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LE MAGAZINE DE L’ACTUALITÉ MUSICALE EN FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES N° 36 – JANVIER / FÉVRIER 2020

ISHA PUISSANCE 3

SWING | ICO | CATHERINE DE BIASIO | CABANE LOÏC NOTTET | JEAN-PAUL ESTIÉVENART | ÉLODIE VIGNON | UN CERTAIN COURANT JAZZ | LES MÉDIATIQUES ANONYMES |

LARSEN • JANVIER, FÉVRIER–2020 2 MUSIC DECIBELS

RENDEZ-VOUS AWARDS LE 19 FÉVRIER EN DIRECT ENFLAMMEZ-VOUS

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CONSEIL DE LA MUSIQUE Quai au Bois de Construc- tion, 10 - 1000 Bruxelles 12 20 Édito www.conseildelamusique.be Contact par mail : Comment ne pas rédiger ce premier éditorial [email protected] de 2020 en pensant aux mesures annoncées Contactez la rédaction : première lettre du début novembre par le gouvernement fla- prénom.nom@conseil- mand… Ces sombres et brutales coupes bud- delamusique.be gétaires faites dans les subventions cultu- relles vont forcément déstabiliser l’ensemble RÉDACTION Directrice de la rédaction du vivier créatif fl amand. Même si, semble-t- Claire Monville il, il est aussi demandé à d’autres secteurs de DECIBELS Comité de rédaction faire des eff orts fi nanciers, le signal envoyé Nicolas Alsteen 24 Denise Caels est pour le moins négatif. François-Xavier Descamps Christophe Hars AWARDS Claire Monville 14 11 Du côté francophone, même si les budgets RENDEZ-VOUS Coordinateur sont compliqués et que, par ailleurs, l’en- de la rédaction semble du milieu a déjà été mis à la diète les François-Xavier Descamps LE 19 FÉVRIER EN DIRECT années précédentes, la volonté affichée est Rédacteurs Nicolas Alsteen heureusement de maintenir, voire renforcer, François-Xavier Descamps les moyens mis à disposition en reconnaissant ENFLAMMEZ-VOUS Collaborateurs que la diversité culturelle fait partie intégrante Nicolas Capart Serge Coosemans de l’identité d’un pays. POUR VOS ARTISTES ! AUSSI SUR Véronique Laurent Luc Lorfèvre rtbf.be/dma Jean-Marc Panis La diversité, c’est ce que Larsen défend très Jacques Prouvost naturellement pour la 36e fois en ce début Stéphane Renard 18 Dominique Simonet d’année : entre ICO, le nouveau phénomène Didier Stiers des réseaux sociaux, le retour aux affaires Correcteurs d’Isha, en passant par les compositions Nicolas Lommers 16 20 DMA_ANN_LARSEN_210x140mm_SOIREE_2020_V2.indd 1 13/12/2019 10:25 Christine Lafontaine inclassables de Pierre Slinckx ou encore les Couverture douces chansons de cabane. Si on ajoute Isha de belles et étonnantes histoires autour © Jali d’artistes inconnus du grand public qui colla- borent avec des personnalités aussi célèbres PROMOTION & DIFFUSION que les Black Eyed Peas, Sting ou Bashung, la François-Xavier Descamps boucle est vraiment bouclée en termes de variété au sein de notre petite mais bouillon- ABONNEMENT nante communauté ! Vous pouvez vous abonner Claire Monville gratuitement à Larsen. [email protected] 20 Tél. : 02 550 13 20

CONCEPTION GRAPHIQUE CONCOURS Sommaire Mikan Suivez nos OUVERTURE ARTICLES Impression pages Facebook Graphius 4X4 APERÇUS (Larsen / Conseil Loïc Nott et P.4 Igloo Records / Gérer ses royalties ? P.27 Prochain numéro EN VRAC LE.COM de la Musique) P.5 Streaming : user centric ou data centric ? P.28 Mars 2020 DÉCRYPTAGE et tentez votre chance Qui sauvera le patrimoine musical ? P.30 IN SITU afi n de gagner RENCONTRES Open Music Jazz Club P.32 POURQUOI ? des places pour ENTRETIEN Isha P.8 Écouter de la musique dans le noir ? P.36 VUE DE FLANDRE les diff érents concours RENCONTRE Swing P.11 Étranglée, la culture joue que nous organisons. RENCONTRE ICO P.12 la carte explosive P.37 RENCONTRE Choolers Division P.13 www.facebook.com/ RENCONTRE Baï Kamara Jr & The Voodoo Sniff ers P.14 LES SORTIES ConseildelaMusique RENCONTRE Jean-Paul Estiévenart P.15 EN FÉDÉRATION WALLONIE-BRUXELLES P.34 www.facebook.com/ RENCONTRE Pierre Slinckx P.16 LISTE DES SORTIES P.36 magazinelarsen RENCONTRE Élodie Vignon P.17 RENCONTRE cabane P.18 BONUS RENCONTRE River Into Lake P.19 L’INTERVIEW INDISCRÈTE Avec Müholos P.38 TRAJECTOIRE CRÉDITS Catherine De Biasio P.20 C’ÉTAIT LE… 2 avril 1991 P.39 Jean Van Cott om, Zozulya Daniil, Danny Willems, ZOOM Samir Barris Un certain courant jazz P.22 Les médiatiques anonymes P.24

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4X4 4X4 Loïc Nottet

Michael Jackson a marqué mon enfance. À la maison, je dansais sur toutes les chansons de Bad et ça a fini par convaincre mes parents de m’inscrire à des cours. Plus que les mélodies des chansons, j’étais attiré par ses chorégraphies et la manière qu’il avait d’utiliser son corps pour extérioriser ses sentiments. Je peux comprendre que beaucoup de gens ont fait la comparaison entre mon court-métrage Candy et celui de Thriller réalisé par John Landis en 1982 qui était précurseur dans sa forme. Mais avec Thriller, on est plus dans le trip gore / zombie. Ce n’est pas trop mon truc. Pour Candy, l’influence vient davantage du cinéma de James Wan, le réalisateur sino-malaisien à qui l’on Michael Jackson doit Saw, Insidious ou encore Conjuring. Pour Candy, Je voulais un mélange Bad d’épouvante, de Walt Disney et de comédie musicale de type Broadway. (1987) © Zeb Daemen

Si Michael Jackson a marqué mon enfance, est l’artiste de la fin de mon Disparu des radars après sa adolescence et du début de mon projet artistique. Jusqu’à cet , je n’avais jamais adhéré totalement à l’univers d’une chanteuse ou d’un chanteur. tournée Selfocracy, Loïc Nottet Je suivais déjà le parcours de Sia, mais c’est avec 1000 Forms Of Fear que est revenu en force avec son single j’ai craqué sur elle. Sia réussit à mettre tout son vécu dans les chansons, tout en gardant une part de mystère. Musicalement, elle marie la pop et les On Fire qui a affolé les compteurs sonorités modernes. J’ai d’ailleurs fait un clip sur son hit Chandelier. Quand YouTube (plus de 2 millions de j’ai découvert ce disque, j’ai trouvé plein de similitudes avec ce que je voulais moi-même exprimer dans ma musique. vues) et surtout le court-métrage Sia Candy. Dans cette fantasmagorie 1000 Forms Of Fear musicale de 21 minutes, l’artiste RCA (2014) belge impose sa nouvelle palette

sonore et un énigmatique héros Lorsque j’ai commencé à suivre des cours de danse, mon professeur diffusait bipolaire dans un mélange qui doit beaucoup de pièces musicales épiques pour nous faire travailler sur les chorégraphies. À l’âge de onze ans, j’ai été confronté pour la première fois autant aux comédies musicales de à Carmina Burina et ça m’a complètement influencé pour mes futurs choix Broadway qu’aux films de Disney artistiques et mes goûts musicaux. Les textes de cette cantate sont en latin et allemand mais, sans rien comprendre, ça me parlait. À la maison, j’écoutais ou au cinéma d’épouvante. À la en boucle In Taberna, une suite de trois morceaux de Carl Orff bourrés veille d’une tournée qui passera par de chœurs. Ça me donnait envie de monter sur les barricades, ça me donnait de la force et du caractère. C’est de Carmina Burana et de ces cours de danse la case obligée de Forest National Carl Orff que vient ma passion pour les musiques orchestrales et les soundtracks. le 25 avril, Loïc Nottet revient sur Carmina Burana C’est aussi Carl Orff qui m’a donné envie de mettre plein de chœurs dans mes Deutsche Grammophon (2002) productions. quatre qui l’ont aidé à imposer son univers singulier. Il m’est difficile de ne citer qu’une seule bande originale de film car je n’arrête LUC LORFÈVRE pas d’en écouter. J’ai eu des gros frissons lorsque j’ai découvert le soundtrack que Nicholas Hooper a signé pour Harry Potter And The Order Of The Phoenix (Harry Potter le Prince de sang - ndlr). Pour le morceau Dumbledore’s Farewell, qui accompagne sur l’écran la mort du mage Dumbledore, Hooper signe un thème simple, frontal et, pour le coup, sans le moindre chœur. C’est juste parfait au niveau des émotions. Chaque fois que je l’entends, je visualise la mort de ce personnage. C’est particulièrement interpellant. J’aime aussi beaucoup le soundtrack de La Liste de Schindler réalisé par Steven Spielberg Nicholas Hooper en 1993 et composé par John Williams, toutes les BO de Danny Helfman Harry Potter And The pour Tim Burton et, dans un tout autre genre, celles de Hans Zimmer. Order Of The Phoenix La dernière musique de film pour laquelle j’ai craqué est It : The Second Warner (2007) Chapter de Benjamin Wallfisch.

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DIAPASON D’OR POUR JAPAN SAX L’OPRL, JEAN-LUC Le Concours International Adolphe Sax VOTANO ET CHRISTIAN ARMING s’adresse à des saxophonistes de niveau su- périeur, de toute nationalité et n’ayant pas Le mardi 26 novembre à dépassé l’âge de 30 ans. Son élaboration mu- , la soirée de remise sicale a été assurée par un comité musical des « Diapason d’or de l’année » a couronné l’al- composé de professeurs de saxophone des bum Contemporary Clari- e conservatoires de Belgique. Fin 2019, cett e 7 net Concertos (Jean-Luc édition a ainsi récompensé le Japonais Ken- Votano, Christian Arming ta Saito, 1er lauréat, devant sa compatriote et l’Orchestre Philhar- Rui Ozawa à l’issue de la fi nale qui s’est dé- monique Royal de Liège roulée dans la Collégiale de Dinant. – Fuga Libera) dans la catégorie « Musique d’au- jourd’hui ». Une distinction qui est octroyée chaque année à une quinzaine d’enregistrements par la CYPRES-IMEP rédaction du magazine La collection français Diapason. Les débuts de l’aventure de cett e nouvelle collection Cypres-Imep remonte à 2006, quand le label Cypres entame une collabora- tion avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège pour mett re en valeur de jeunes ta- TROIS JOYEUX lents prometteurs. L’enregistrement des SOIRÉES ANNIVERSAIRE, Concertos pour clarinett e consacre alors le jeune clarinettiste Jean-Luc Votano, au- DE R.E.V. NOS VŒUX LES jourd’hui devenu professeur à l’IMEP où il a fondé le Chœur de Clarinett es de l’IMEP. Ly- CÉLINE À CHARLE- …PLUS et ils sont SINCÈRES nombreux ! rique et festif, le programme Clarinetti ROI all’Opera inaugure la Collection Cypres-Imep UneSCHEEN Belge Nous fêterons en cett e année 2020 Trois scènes carolos, qui sera guidée par la volonté d’off rir une ex- aux Grammy le Rockerill, l’Eden et le les anniversaires de : périence essentielle aux jeunes musiciens, en- Vecteur s’associent pour 1. JauneOrange : la maison de disques et tourés de solistes professionnels, pour conce- Awards proposer un nouveau de booking fête ses 20 ans en 2020 et lancera voir, enregistrer et diff user des programmes Je ne sais même pas si je concept de soirées : les ème un nouvel événement en avril : le 3 festival ! inédits. suis invitée, déclarait-elle R.E.V Parties. Chaque soi- 2. Intersection : l’agence de booking, récemment à la RTBF ! rée sera composée de trois www. labelcypres.wordpress.com née de la réunion de 4 agences en 1999 Quoi qu’il en soit, elle groupes, chaque structure concourra aux prestigieux en choisissant un, favori- (d’où son nom), fête ses 20 ans également awards aux côtés d’Ed sant ainsi les échanges et 3. Atelier 210 : la salle de concerts (& more) Sheeran, Arianna Grande, choix de programmation ett erbeekoise fête ses 10 ans LES DIX PLUS GROS ou encore Billie Eillish. entre les opérateurs. Des 4. ZoAart Music : production, management Cett e habitante d’Eupen, artistes locaux s’y frotte- et diff usion fête ses 10 ans ! VENDEURS BELGES chanteuse lyrique spécia- ront à des formations et 5. Back in the Dayz fêtait ses 10 ans en 2019 ! lisée dans la musique an- artistes internationaux. DE DISQUES cienne des 16e-18e siècles Premier rendez-vous le Surprise ! Joyeux anniversaires ! est nominée à cette 62e samedi 25 janvier à l’Eden cérémonie des Grammy avec The mystery Lights De tous les temps… et pas spécialement Awards (26 janvier à Los (US), Lispector (FR) et les ceux auxquels on pense ! Angeles) dans la catégo- régionaux de l’étape : The rie « Meilleur album clas- WRS. Les éditions #2 et PROPULSE EN 1. Salvatore Adamo - 100 millions d’albums sique vocal », aux côtés #3 se dérouleront quant à 2. Frédéric François - 35 millions du contre-ténor Philippe elles le 24 avril au Rockerill PLEINE MUTATION - 25 millions 3. Jacques Brel Jaroussky et de Christina et le 25 septembre 2020 au Après 8 éditions, la vitrine promotionnelle des 4. 2 Unlimited - 20 millions Pluhar pour l’album Him- Vecteur. Arts de la Scène ProPulse est mise en chantier 5. Lou Deprij ck - 20 millions melsmusik. afin de mieux répondre aux attentes expri- 6. Rocco Granata - 16 millions mées par les artistes et les professionnels du 7. Gotye -15 millions secteur culturel. 8. Frank Michael - 15 millions La journée ProPulse Classique sera la première 9. Technotronic - 14 millions à tester une nouvelle formule. Elle aura lieu le 10. Francis Goya - 13 millions 3 février prochain, à Flagey, et s’articulera au- tour de 6 concerts de musique classique et d’une session de rendez-vous professionnels. www.propulsefestival.be

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MUSIQUE & INTELLI- LE GENCE ARTIFICIELLE ANGÈLE Les intelligences artifi- BARLOK, cielles parviendront-elles & ROMÉO C’EST à nous comprendre mieux NRJ Music Awards que personne pour orien- FINI ! ter nos choix musicaux ? La chanteuse belge Angèle a été désignée « Ar- Fermeture Sauront-elles répondre tiste féminine francophone de l’année » lors de d é  n i t i v e à notre soif de bugs et la 21e cérémonie des NRJ Music Awards qui se d’imperfections ? Deux déroulait à Cannes. Tout oublier, a sacré An- Voilà, elle était difficile à spécialistes (Glenn McDo- gèle et Roméo Elvis dans la catégorie « Chan- sortir, cette annonce… nald – Data Alchemist chez Spotify – et Antoine son francophone de l’année ». Ils étaient aus- Pris.e.s par le temps, les urgences, mais aussi Buff ard – président de Trax si en lice pour le « Duo francophone de l’appréhension, nous Magazine) imaginent la l’année », remporté cependant par les rap- l’avons repoussée encore place que prendront les peurs pour kids Bigfl o & Oli. Une cérémonie que et encore jusqu’à ce soir. IA dans notre rapport à la Roméo Elvis n’a pas manqué de tacler quelques C’est ainsi que l’équipe du découverte musicale. Elles jours avant sa diff usion, checkez son insta. Barlok a commencé son permettront de mieux post facebook annonçant connaître quelque chose WOUNDED DE BRNS la fermeture défi nitive des qu’on connaît déjà. (…) Album de la décennie ? lieux (sis Allée du Kaai à Je suis convaincu que ces Bruxelles), en sursis depuis technologies ne sont pas Peut-être pas THE album de la décennie mais plusieurs mois (un appel capables d’apporter à Wounded de BRNS est cité dans les 100 meil- à un financement parti- l’homme ce qu’il cherche leurs disques sortis entre 2010 et 2020 selon cipatif avait permis de sans le savoir vraiment. Mowno (un des plus anciens sites web musi- récolter des fonds mais À lire sur www.la- caux indépendants français). pas assez pour assurer fabrique-culturelle. la survie de la salle). Pour sacem.fr rappel, le Barlok organisait une trentaine de concerts par mois, soit environ LesRÉTRO 40 ans de ! la K7 300 groupes et 13.000 FRANCO- spectateurs par an, pour LA TENTA- Il y a 40 ans, l’avènement du walkman signa quelques 3.600 artistes TION SESSIONS depuis ses débuts en 2014. Fin de parcours également le retour en grâce et le prolonge- C’est toujours triste de ment de la vie du format K7. Une histoire voir une salle fermer ses Le 16 octobre dernier, l’asbl Les2020 5 résidents d’amour entre le public et la cassett e qui dura portes… Centro Galego de Bruxe- las – La Tentation (rue sept années… La K7 aura ainsi dominé le sec- Les participants à l’édition 2020 des Franco- teur de la musique avant que le CD ne vienne de Laeken à Bruxelles) a annoncé offi ciellement sa Sessions sont à présent connus : Mélanie Isaac, briser l’idylle. On fabrique encore des cassett es DES INSTRUMENTS POUR SOURDS ET faillite. Pour rappel, le lieu Antoine Armedan, Zeezafana, Lucie-Valentine aujourd’hui… et les ventes ont même légère- MALENTENDANTS ? proposait des événements et Shelby Ouatt ara seront en résidence à SPA ment progressé ces dernières années. Les Pays- socioculturels depuis de du 28 au 30 janvier 2020 pour peaufi ner leur Bas sont les derniers producteurs en Europe. Comment transmettre nombreuses années et le goût de la musique à projet artistique avec les coaches du SDV – Le accueillait de nombreux Studio des Variétés de Paris. des personnes sourdes et ateliers et autres rendez- malentendantes ? C’est la vous bien connus des question que s’est posée Bruxellois. Ce sont des LOUD Cassandra Felgueiras, diffi cultés fi nancières bien Toujours plus fort ! jeune diplômée de 25 ans sûr qui l’ont poussée à la PRIX HENRI des Beaux-Arts de Toulon. fermeture mais la salle Pour y parvenir, elle a mis POUSSEUR 2019 LOUD, le dispositif d’accompagnement de était également sujett e à Appel à candidatures l’asbl Court-Circuit et destiné aux artistes is- au point trois instruments de nombreuses plaintes sus des scènes métal et rock dur est de retour de musique adaptés à ce pour nuisances sonores. Att ribué toutes les années impaires, le Prix en 2019 ! Plus de 90 projets ont été soumis et handicap : un violon, un La seule façon de limiter violoncelle et une basse. Henri Pousseur récompense un jeune lauréat analysés par un jury de professionnels du sec- les nuisances sonores était d’un Conservatoire de la Fédération Wallonie À lire sur www.positivr.fr d’effectuer des travaux teur et quatre projets relativement jeunes et Bruxelles. Doté d’un montant de 1.500 euros, particulièrement promett eurs ont été choisis : d’isolation et le coût es- timé de ces travaux était il consiste en la commande d’une œuvre DES YEUX · HYBRIDISM · LET IT KILL YOU · ROPE bien trop élevé pour l’asbl. mixte (instrumentarium à négocier avec le & BONES. Ils ont tous les quatre bénéfi cié d’une Centre) que le Centre Henri Pousseur créera résidence, d’un coaching sur mesure avec Gré- l’année suivante. Les candidatures pour édi- goire Fray (Thot) mais également d’une aide à tion 2019 sont à envoyer au plus tard le 8 jan- la diff usion grâce à l’organisation des soirées vier 2020 (le cachet de la poste faisant foi) à showcases « Loud Evenings » au sein des salles l’adresse suivante : Centre Henri Pousseur – M. du réseau PLASMA. Enfi n, ces projets ont été Stij n Boeve, directeur général – Quai Banning également à l’affi che du LOUDfest le samedi 7 5, 4000 Liège. décembre 2019 au Botanique à Bruxelles. www.centrehenripousseur.be www.facebook.com/courtcircuitasbl

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LePOINTCULTURE prêt reprend JULIEN BEURMS Le personnel et les usagers ont été entendus. À la direction Les prêts directs de supports physiques re- des JM prennent. Une transition vers une autre « mé- diathèque » qui sera adoucie et prolongée C’est Julien Beurms, pia- niste réputé et aupara- dans le temps. L’asbl arrête également sa sai- vant directeur fondateur gnée, les ventes des collections sont suspen- du Chamber dues et l’achat lui-même redémarre. Point- Music Festival, qui est au- RESSO Culture doit revoir sa copie et proposer un jourd’hui directeur fédéral TikTok & le autre modèle dans les mois à venir. de la Fédération des Jeu- streaming nesses Musicales Wallo- nie-Bruxelles, remplaçant Après le succès de Tik- ainsi Michel Schoonbroodt Tok, l’entreprise chinoise à la tête de cett e institu- ByteDance Technology a LE MÉTIER tion renommée. lancé son propre service de streaming musical, baptisé Resso. Pour le DE BOOKER RED BULL ELEKTROPE- moment, l’application Une orientation en dépit DIA AWARDS 2019 du bon sens ? n’est disponible qu’en Artist of the Year : 1. Inde et en Indonésie mais elle devrait bientôt débar- Le magazine Vice a demandé à trois jeunes Zwangere Guy – 2. Angèle RIFRAF EST DE Best Album : Zwangere quer chez nous. Resso est bookers de leur parler de leur métier et de leur Guy – Wie is Guy ? – 2. gratuit mais propose, bien raconter comment ils conciliaient choix mu- RETOUR… MAIS Roméo Elvis – Chocolat sûr, un système d’abonne- sicaux de qualité, artistes ingérables et pro- Best Live Act : 1. ment mensuel premium grammateurs frileux. Discussion croisée entre JUSTE EN FLAMAND ! Zwangere Guy – 2. pour éviter les publicités et accéder à davantage Flo Felix de Zoobook (qui s’occupe entre À quand la version francophone ? Roméo Elvis – 3. Angèle Etc. de services. autres de JC Satàn, Death Grips, Volcan, Bass Il y a quelques semaines, la nouvelle équipe de RifRaf Drum of Death), Marion Gabbai de My Favo- lançait la campagne de crowdfunding « We Are RifRaf » htt ps://awards.redbul- rite (Ought, Swans, Jessica93, Cheveu) et et après seulement 5 jours, l’objectif fi nancier fi xé était lelektropedia.be Charles Crost, boss du label le Turc Mécanique att eint. L’action s’est ainsi terminée avec près de 60.000 L’ART (Strasbourg, Bajram Bili, Harshlove, Tekno- euros récoltés. Tous les crowdfunders ont depuis reçu la première édition du magazine qui sortira tous les deux TIME TO MOVE ON ! mom). DU CLIP ! mois. Un site web suivra au début du printemps 2020 et Vous avez été sélectionné Les inscriptions à la com- À lire sur www.vice.com son accès sera totalement gratuit. L’équipe annonce pour un projet à l’étran- pétition nationale de la beaucoup de nouveautés pour les mois à venir… peut- ger mais vous n’êtes pas deuxième édition du fes- être une version francophone ? financé pour votre trans- tival dédié à l’art du clip à www.facebook.com/RifRafMusiczine port ? Vous avez dévelop- Bruxelles, VKRS ou Video UneMASSIVE étude sur le ATTACK bilan carbone de pé un projet avec un volet Killed the Radio Star (4, 5 international et vous sou- et 6 juin 2020 aux Riches- l’industrie musicale haitez inviter dans un ou Claires), sont dès à présent plusieurs pays des artistes ouvertes ! Rendez-vous sur Massive Att ack veut réduire l’empreinte car- REEPERBAHN et professionnels étran- www.vkrs.be pour inscrire bone des concerts et missionne des cher- gers ? Vous êtes intéressé votre/vos clip(s) de 2019 cheurs en ce sens. Face aux urgences, le par des expériences de (jusqu’au 1er avril 2020). groupe britannique prend les choses en main UneFESTIVAL autre manière d’envisager travail dans un pays étran- et demande à des chercheurs d’imaginer des ger et souhaitez trouver des opportunités couvrant solutions pour des tournées plus vertes. Les la culture CONCOURS INTER- vos frais de voyage ? On NATIONAL DE CHEFS groupes de musique ne peuvent plus se Le Parlement fédéral allemand a accordé au The Move peut vous diriger D’ORCHESTRE D’OPÉRA contenter de servir au mieux de haut-parleurs festival Reeperbahn de Hambourg un fi nan- vers des organisations ou à des associations de lutt e contre le change- des fonds utiles à consul- Les inscriptions pour cement de 20 millions d’euros pour l’aider à la deuxième édition du ment climatique. Ils doivent oeuvrer pour ré- se développer aussi bien chez lui qu’à l’étran- ter pour vos prochains be- soins fi nanciers en terme Concours, qui aura lieu duire l’empreinte carbone des tournées, es- ger au cours des cinq prochaines années. Le de mobilité ! du 21 au 28 août, sont time le leader du groupe de Bristol Massive festival espère ainsi s’étendre à d’autres pays désormais ouvertes. Afin Att ack. et espère organiser des éditions à New York, htt p://on-the-move. de mettre en avant les org/funding Nashville, Pékin, Los Angeles et au Ghana. Le jeunes talents de la direc- Parlement fédéral belge réfl échit à la ques- tion d’orchestre au niveau mondial, le Concours est tion (lol). ouvert aux candidats de À lire sur www.digitalmusicnews.com toutes nationalités nés après le 1er janvier 1985, via le dossier d’inscription en ligne disponible jusqu’au 15 mars 2020 sur le site www. operaliege.be.

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ENTRETIEN © Jali© Isha EN CLAIR-OBSCUR 21 avril 2017. Le rappeur Isha, ex-PsMaker, officialise son retour aux affaires en publiant La Vie Augmente, dont le nom s’inspire d’une réplique du filmLa vie est belle, réalisé en 1987 par son oncle Ngangura Dieudonné Mweze. En mars 2018 sort le second volet de LVA, qui confirme la forme olympique d’un MC bruxellois que d’aucuns avaient trop rapidement relégué au rang de vétéran. Début 2020, Isha revient asséner le troisième uppercut de sa trilogie et complète du même coup la série LVA. Une année cruciale car Isha peaufine en coulisses la sortie de son premier véritable LP. Celui qui devrait, à 33 ans, lui assurer sa place à jamais au panthéon du rap noir-jaune-rouge.

NICOLAS CAPART

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ENTRETIEN

« Je crois au destin, je naire de Verviers qui travaille avec Isha et si- Pour l’album que je prépare, j’ai voulu faire gnait il y a peu avec 92i, le label de Booba - ndlr) les choses différemment et écrire un peu crois que tout est écrit... » et enfin Dinos sur Idole, pour lesquels on a autrement. J’y suis en partie arrivé mais je eu de très bons retours depuis le clip. suis toujours rattrapé par cet univers plus sombre, de manière naturelle. Que ce soit Vous connaissiez déjà Dinos avant que vous au niveau des textes ou du choix de prod’ ne mettiez en boîte ce titre ensemble ? plus lourdes et noires. J’aime les instrus Je l’ai croisé au fil des ans sur plusieurs évé- énervés, on ne se refait pas ! nements, on a tout de suite eu un bon feeling et on est devenu potes. Sur scène, le gars est La vie dure, vous l’avez éprouvée personnel- fort... J’écoutais déjà sa musique depuis un lement mais aussi en tant que travailleur bail avant de le rencontrer, et j’ai toujours dans le social. Vous avez toujours le temps omment ça va depuis tout ce pensé que ce serait quelqu’un avec qui il y pour cela ? temps ? aurait moyen de faire de bonnes choses. Il a Non, j’ai arrêté il y a trois ans. Je bossais déjà Depuis la sortie de LVA 2 , dé- une super plume et je peux dire qu’il est l’un à mi-temps sur la fin de mon contrat et quand but 2018, tout va super bien. des rares dont j’aimerais avoir écrit certains les choses ont commencé à se préciser côté Je sais que les dates vont bien- des textes. Donc quand l’opportunité s’est musique, j’ai démissionné de mon job au tôt à nouveau s’enchaîner, je présentée, j’ai directement foncé. Samusocial. Par contre, ça m’a apporté énor- me prépare mentalement. Des petites ga- mément, c’est certain. Déjà, je sais comment lères nous ont retardés dernièrement pour Juste avant cela était publié Durag, un les choses sont organisées au niveau de l’État. Cla sortie du troisième volet, qui était suppo- autre single de LV3, en solo cette fois. Je ne connais pas les budgets en détails, mais sé arriver un peu plus tôt... Mais le voilà en- Durag est un morceau assez spé’, mais qui je connais les structures qui existent en Bel- fin. J’en suis très fier et excité pour la suite. a plu. Le titre fait référence à ce petit couvre- gique, je sais ce qui est faisable ou non (...). Il chef (Isha enlève alors celui qu’il porte au mo- n’y a pas longtemps, un ami m’appelait à pro- Comment s’organise votre projet au- ment de notre conversation pour illustrer le pos d’une mère de famille de cinq enfants jourd’hui d’un point de vue professionnel ? propos - ndlr), à la base old-school puisque dans l’école de sa fille. Cette dame se retrou- J’ai un producteur, on est signé chez War- popularisé dans les années ’80 et ’90, mais vait sans logement et mon pote voulait mobi- ner / Parlophone et en édition toujours chez revenu à la mode dernièrement dans les mi- liser les gens pour l’aider. On est en Belgique BMG... Pour trois disques. Les choses se lieux américains. et on est en hiver. On ne laisse pas les gens passent très bien jusqu’à présent. Pour le pre- dehors ici, et certainement pas des enfants à mier album qui sortira dans la foulée de Un clin d’œil aux nineties, comme il y en a la rue dans le froid. LVA 3 , on va passer en licence, la dynamique beaucoup tout au long de votre discogra- va changer et la major devrait encore davan- phie. Vous avez pu l’aider ? tage s’impliquer (...) On est vraiment maître C’est vrai que j’ai toujours eu une certaine Je lui ai dit de passer des coups de fils, je lui de notre projet. Niveau featuring par nostalgie de ces années-là. Difficile de le ai filé des numéros, des pistes... Des aides exemple, jamais on ne m’a imposé une col- nier quand on écoute mes textes et mes an- existent toujours, mais il y a des règles (...) laboration, ni même demandé quoi que ce ciens sons. Après les choses évoluent... Plu- Je me rappelle d’un gars qui vivait dans la soit. Il arrive qu’on nous suggère des beatma- sieurs éléments de cette culture rétro et ’90s rue à l’époque où je bossais. Je ne sais pas kers, qu’on nous branche avec d’autres pro- reviennent au goût du jour et sont re-popu- comment c’est calculé, toujours est-il que le ducteurs, mais au final ils nous laissent larisés par les kids. D’autres par contre sont gars avait été jugé apte à être responsable conduire nous-mêmes et respectent totale- devenus totalement obsolètes. J’ai réalisé de lui-même et ne devait pas être pris en ment mon projet artistique. J’ai hâte de voir récemment, en discutant avec un ami, que charge. Du coup, il pouvait passer la nuit au comment on va bosser avec eux pour la suite. certaines de mes références n’étaient centre mais elle ne lui était pas réservée, il plus / pas du tout comprises par les nou- devait appeler en journée pour l’avoir. Mais Parlant de featuring, on croise des invités velles générations. Qu’elles ne parlaient pas il ne comprenait pas et se pointait chaque de marque au fil de LVA3 ? aux jeunes qui écoutent ma musique. Dé- jour à 18h devant porte close. À la fin, on J’ai fait pas mal de featurings ces derniers sormais, j’essaie de faire attention à ça. De appelait pour lui en douce. mois : Dans mon élément avec Georgio, Clope garder l’esprit ouvert. sur la Lune avec Scylla, Nos gènes avec L’Or On est bien lotis en Belgique selon vous ? du Commun... J’ai aussi fait un morceau Le clip de Durag est tourné en N/B. Son es- Vu de l’extérieur, ce genre de truc est diffi- avec un artiste québécois qui s’appelle Fou- thétique rappelle ce côté sombre qui, de- cile à comprendre... mais je le répète il y a Ki (Faut c’qui faut aux côtés du Français puis toujours, vous colle à la peau et aux des règles. En Belgique, les choses se passent Lord Esperanza - ndlr), et un autre son qui notes. PNL disent : J’ai le démon, faut tem- bien. Comparé à la France, par exemple, ou arrive bientôt aux côtés de Bakari (jeune pérer... Même si la vie semble toujours aug- même aux States. Pendant longtemps, la MC liégeois en devenir - ndlr). Je suis menter pour vous, il faut encore composer Belgique a été un pays d’assistés, on ne va content d’avoir fait ces quelques apparitions, avec ça ? pas se mentir. J’ai connu la belle époque par-ci, par-là, histoire de rester dans le pay- Bien sûr ! Ça fait partie du personnage, c’est d’ailleurs. Je ne bossais pas et direct je rece- sage et de ne pas me faire trop oublier pen- profondément ancré dans ma personnali- vais plus de 1.000 balles du chômage, ma dant l’intervalle. Ça ne fait qu’un an mais té... Et cette punchline de PNL veut tout mère n’a rien capté à la situation ! (rires) ça va vite. Heureusement, l’attente est finie, dire, elle me correspond tout-à-fait. Elle dé- Maintenant, ils sont en train de resserrer un les dix morceaux de LVA 3 sont là. J’y ai in- crit parfaitement cette frontière entre clair peu les liens de la bourse mais ça va, et les vité Alkpote, PLK, Sofiane Pamart, Green et obscur que je franchis souvent du pied. structures existantes font un super boulot Montana (étoile montante du rap belge origi- Tu passes d’un côté à l’autre, en pointillés. (...) Faut s’battre.

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ENTRETIEN

On a pu vous voir vous confier à un psycha- nalyste dans la série Therapie sur ViceTV. Lui parler de spiritualité notamment. C’est un élément important dans votre quotidien aujourd’hui ? Cela occupe une place centrale dans ma vie, dans tout ce que je fais, et donc forcément dans mon art également. J’ai grandi dans le catholicisme mais je me suis converti à l’is- lam il y a quelques années. La religion c’est un peu par périodes en ce qui me concerne. J’ai surtout une spiritualité. Je crois au des- tin, je crois que tout est écrit... Que rien n’ar- rive par hasard et que, si quelque chose n’ar- rive pas, c’est que ça ne devait pas arriver. Cela me permet d’encaisser certains événe- ments et choses de la vie plus facilement. Cela s’entend dans ma musique. Il y a des références à cela, de l’engagement.

Vous êtes papa depuis huit ans déjà. Le vôtre, parti il y a quelques années, a sou- vent surgi par endroit au fil des années et de vos textes. La figure paternelle demeure- t-elle aussi importante quand vous rappez ? C’est sûr qu’elle nourrit ma réflexion et mon inspiration... Mais au même titre que la fi- gure de la mère par exemple, qui reste om- niprésente. Cela reste très souvent dans un cadre familial en tous cas. Mais je ne m’en rends pas vraiment compte sur l’instant. En général, c’est quand les morceaux sortent que je réalise. Quand j’écris j’ai l’esprit fo- cus, la tête fermée... D’autant que je ne re- tourne pas sur mes textes. La plupart du temps, ça sort et je laisse comme ça. Pour l’album, je vais davantage peaufiner par contre. Faire les choses bien. Dans le détail. Je veux que ça soit chirurgical.

Peut-on en savoir un peu plus sur cet al- bum ? L’album arrivera le plus vite possible, après la sortie officielle deLVA 3 en ce début d’an- née. Je suis en train d’en écrire les mor- ceaux. Il devrait y en avoir une quinzaine, tous nouveaux, plus les interludes. Comme j’ai eu du retard, j’aimerais bien enchaîner rapidement. Sortir encore un clip en mars, puis sortir le LP pour l’été idéalement.

www.facebook.com/levraiISHA © Jali©

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RENCONTRE

RENCONTRE RAP cette collaboration, révèle ce dernier. D’un côté, j’imaginais bien sa voix sur ce titre. D’un autre côté, j’étais déstabilisé par son aura. Au- jourd’hui, elle a un côté bankable. Je n’avais pas envie de passer pour un opportuniste… Je lui Swing ai donc envoyé un message via Instagram pour lui expliquer la situation. Sans pression. En lui demandant son avis sur la chanson. Je ne voulais pas la mettre mal à l’aise. Parce que HORS DU d’expérience, je sais que ce n’est jamais facile de refuser une collaboration. Ailleurs, N met les stéréotypes et la discrimination raciale COMMUN au cœur d’un morceau magistral. Si j’avais Échappé de L’Or du Commun le trop réfléchi à tout ça, je ne me serais jamais temps d’un enregistrement, Swing lancé là-dedans, affirme Swing. Cette chan- son existe parce qu’elle a vu le jour dans la spon- libère son flow aux côtés de Némir, tanéité. Quand tu vis dans un endroit où tu es Angèle et autres potos croisés en minorité, tu vas forcément te poser certaines en studio. En mode raccourci questions. Ma famille est d’origine rwandaise mais moi, je suis né en Belgique. En tant que clavier, il dévoile aujourd’hui les métisse, je suis un peu étranger ici et là-bas. morceaux du nouveau Alt+F4. De Parfois, on s’imagine que l’herbe est plus verte quoi optimiser sa productivité ailleurs. Il m’est même arrivé de penser que je serais peut-être mieux au Rwanda. Mais c’est et rebooter la machine. complètement illusoire. En vérité, je suis un vrai Belge. Je ne connais pas grand-chose du NICOLAS ALSTEEN Rwanda. Je ne me suis pas forgé là-bas. Ma vie

© Zozulya Daniil Zozulya © est ici.

Loxley et Primero, il n’y a aucun problème Ouvertement tourné vers les mélodies et le d’égo. Dans mon échelle de valeur, le groupe chant, Alt+F4 marque une évolution dans passe avant tout. Parce que c’est le projet qui le parcours musical de l’artiste. Mes goûts nous permet de vivre de la musique. Indivi- évoluent, constate-t-il. Je suis de plus en plus duellement, nous ne pesons pas bien lourd… attiré par des artistes comme Frank Ocean ou Là où L’Or du Commun se montre généra- James Blake : des gens qui évoluent à contre- lement loyal envers un seul beatmaker, courant des tendances avec des propositions Alt+F4 est le lieu de toutes les collabora- transgéniques. Ces dernières années, j’ai écou- tions. Swing y aligne en effet sept morceaux té beaucoup de rap. Là, j’ai besoin de découvrir lors que son amie Blu Samu et autant de producteurs. C’est lié à la mise d’autres sons, de m’ouvrir à de nouvelles façons vient de publier un EP intitulé en œuvre du EP, précise-t-il. Je voyais Alt+F4 de faire de la musique. Première étape d’une Ctrl-Alt-Del, Swing s’échappe comme une façon de redécouvrir ma musique métamorphose annoncée, Alt+F4 promet en solo pour imaginer son à travers la sensibilité des autres. Le Bruxel- des lendemains qui chantent et quelques propre raccourci clavier. Tra- lois imagine alors un processus créatif ultra refrains hors du commun. ditionnellement utilisée pour spontané et instinctif. Pendant neuf jours, fermer les fenêtres ouvertes sous le système il organise des sessions d’enregistrement Swing d’exploitation Windows, l’association entre Paris et Bruxelles avec des produc- Alt+F4 AAlt+F4 sert à présent de titraille au nouvel teurs de passage. J’en connaissais certains, Labrique/Urban [PIAS] EP du rappeur. À titre personnel, il s’agit d’un d’autres pas du tout. L’idée, c’était de composer disque de transition, explique-t-il. Sa mise en en direct, à l’arrache. Tous les nouveaux mor- œuvre a déclenché d’autres envies et, surtout, ceaux découlent de ce processus. le besoin de travailler différemment.Alt+F4, c’est ma façon de fermer une fenêtre pour en DU RWANDA À L’OCEAN ouvrir une autre. En ce sens, cet enregistre- Ouvert à l’inconnu, Swing chamboule ici ment marque la fin d’un cycle et le début d’un ses habitudes aux côtés d’Eazy Dew (Lome- nouveau chapitre. Après avoir signé l’album pal, Jo$man) ou Twenty9 (SCH, Yseult). Marabout sous son nom en 2018, Swing se Avec Pas besoin de raison, il lorgne même du détache une fois encore de sa formation. côté d’un Chance the Rapper sur des beats Dans L’Or du Commun, nous sommes trois taillés sur-mesure par Sam Tiba (Zola, personnes compréhensives. Pour éviter les frus- Kekra). Alt+F4 le voit également partager trations et mener notre carrière dans les meil- son micro avec Némir et Angèle. Au chant leures conditions, nous savons qu’il faut s’auto- sur l’excellent S’en aller, la petite sœur de riser des moments de respiration, permettre Roméo Elvis se met, elle aussi, au service aux envies individuelles de s’exprimer. Avec de Swing. Ça n’a pas été facile de lui proposer www.facebook.com/swingodc

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RENCONTRE

RENCONTRE RAP ICO CARTON ALLEGRO ET ILLICO Trois jours après la sortie de son album Petit con, le clip illustrant Siri 3 comptabilisait près de

725.000 vues sur YouTube. Dans le DR même genre : Stéphanie, quatrième extrait de ce disque, approchait les 341.000 vues en moins de une chute et une sorte de scénario de film, et que je joue dès qu’il y a une caméra. Je ne je me retrouve à écrire des petites conneries. sais pas trop comment ça se fait, mais c’est 48 heures. Bref, ICO, 26 ans et Le refrain (« Faut pas mentir à ta maman… » vrai, c’est un personnage construit. passé par Solvay à l’ULB, c’est le - ndlr) est encore raconté d’une manière très conne. D’où le titre de l’album : j’essaie de Bruxellois qui met les chiffres KO. Vous dites que vous ne vous considérez pas faire le mec sérieux mais il y a tout le temps comme un rappeur parce que vous n’êtes Mais pas que. Présentations… ce truc de rajouter une blague dedans. pas là-dedans depuis assez longtemps. DIDIER STIERS C’est la seule raison ? Quel est le pourcentage d’autobiographie C’est juste qu’à un moment donné, j’ai pris la dans le texte de Petit con ? posture du rappeur. Regarde, quand tu es ar- e titre de l’album était déjà décidé La totalité. Après, d’autres choses sont inven- rivé, j’étais en train de composer pour un autre avant de le mettre en boîte ? tées. On aime beaucoup me demander si Sté- artiste (ICO a notamment été producteur sur l’al- Non, il est vraiment venu à la fin. phanie est tiré d’une histoire vraie. Je ne ré- bum Selfocracy de Loïc Nottet - ndlr). Disons que Je me suis demandé ce qui reliait ponds jamais à cette question parce que ce je suis plus pianiste, compositeur, musicien ou tous ces morceaux, et c’est ça, c’est n’est pas vraiment le but du morceau. Ce n’est même artiste que rappeur. Un rappeur, c’est raconté par un petit con, avec beau- pas de dire que je l’ai vécu, c’est plus pour sen- vraiment un mec qui raconte des choses, qui coup de légèreté. sibiliser, à propos de quelque chose d’impor- revendique plus… Moi, je n’ai aucun besoin de tant : le cyber harcèlement, le harcèlement, parler, de raconter, et ce n’est pas la musique LIl y a de l’humour et des clins d’œil dans etc. Donc à la question de savoir si dans le pre- que j’utiliserais pour le faire. Même si je com- tout ce qu’on a pu entendre jusqu’ici : c’est mier morceau de l’album (Dédicace - ndlr), mence : sur l’album, un morceau comme Ca- indissociable de ce que vous faites ? c’est vraiment toutes les meufs que j’ai « ken », ramel est un peu plus introspectif. Mais je ne Ce n’est pas quelque chose que j’essaie d’ajou- je ne réponds pas parce que pour moi, elle n’a suis pas encore dans cette posture-là. Ça fait ter dans mes textes, c’est là, c’est inné. Je ne pas vraiment de pertinence. deux ans que j’ai acheté mon premier micro, sais pas si on peut dire que j’ai une manière alors je trouverais ça un peu prétentieux d’ar- d’écrire, et je ne sais pas comment ça se fait, Justement, à propos de ce titre, on n’y en- river : Salut les collègues, moi aussi j’suis rap- mais inconsciemment, ça tourne tout le tend pas un seul gros mot. Pas plus qu’ail- peur ! Il y a des vrais rappeurs qui, eux, rappent temps à la rigolade, à la blague. En même leurs dans l’album. C’est un autre clin d’œil ? depuis dix ans ou écrivent des textes depuis temps, j’ai l’impression que c’est le meilleur Beaucoup de personnes qui l’écoutent ne se quinze ans. Après, si on veut m’appeler rap- média pour transmettre des trucs. Pour moi rendent pas forcément compte que c’est vrai- peur, allons-y, ça ne me dérange pas, pour moi, en tout cas, c’est plus facile via l’humour. ment voulu. Ce premier morceau par ce n’est pas péjoratif. exemple, je le dédicace à toutes les meufs que Cela dit, dans un texte comme celui de Sté- j’ai « biiip ». Il y a vraiment un « biiip » dessus. C’est donc par la musique que vous avez phanie, la chute est dramatique puisqu’il y Il est très vulgaire et pourtant, il n’y a pas une commencé ? est question de suicide. seule trace de mots vulgaires dedans. J’ai es- Par la musique, oui : solfège, piano dès l’âge C’est le meilleur exemple, Stéphanie. sayé d’être arrogant plus que vulgaire, c’est ça de 9 ans. Et depuis, j’ai commencé à compo- J’aborde un sujet sérieux mais quand je le truc. En vrai, je ne suis pas du tout ce mec- ser mes prods, j’ai acheté un piano, un syn- prends du recul sur ce track, je me rends là, tous ceux qui me connaissent un mini- thé et c’est parti de là. J’ai commencé à chan- compte que c’est malgré tout un morceau mum diront la même chose. Mais je donne ter sur mes prods en racontant des conneries drôle. Même en essayant d’être sérieux, avec l’impression d’avoir construit un personnage et paf, millions de vues quoi…

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RENCONTRE

Qu’est-ce qui peut expliquer que ces cap- RENCONTRE RAP sules, comme Rebeu fragile ou Dafalgan, cartonnent à ce point sur Internet ? Ces capsules, je savais qu’il allait y en avoir 10 et mon objectif était très simple : que toutes Choolers atteignent le million de vues. En plus d’at- teindre au moins 100.000 abonnés sur You- Tube (début décembre, il en comptait 344.000 Division - ndlr). Il faut une certaine base d’abonnés pour sortir l’album. Un album, c’est énormé- IMPROS & ment de travail et je trouve ça super frustrant de sortir un projet aussi lourd dans le vide. FULGURANCES Les capsules, c’était clairement un moyen de fidéliser chaque semaine le public et de le Choolers est mort, vive Choolers faire croître. Dès la première, je savais très Division ! Son 1er album éponyme bien que ça allait fonctionner parce que je l’ai positionnée comme quelque chose qui n’existe sortait mi-novembre. © Olivier Donnet pas ici, dans le rap : second degré mais pas C’est la raison pour laquelle on bosse souvent NICOLAS CAPART trop, ni YouTubeur, et quelque chose d’amé- en résidence. Heureusement, j’ai réussi à faire ricain dans la mélodie et la vibe, quelque venir Philippe qui désormais vit à Vielsam chose de très frais, très hype. Enfin, c’est ce avec Kostia et moi. Ce qui a permis d’avancer que je fais et c’est ce que j’écoute en même ntoine Boulangé persiste et plus vite. temps. Je savais très bien que ce personnage, signe. L’homme derrière le cette image-là avec cette musique-là, cette ori- projet Choolers revient plein Musicalement, La Division ne quitte pas les ginalité si on peut appeler ça comme ça, allait d’envies en formation réduite. terres expérimentales mais s’enfonce en créer quelque chose. Pas forcément fonction- Choolers Division est la suite du eaux hip hop. S’il n’était pas fan du genre à la ner mais en tout cas créer quelque chose. projet Choolers que j’avais créé il base, Kostia avait déjà fait démonstration de y a une dizaine d’années...Une voix résonne son flow et, partant de cela, je voulais faire bi- Cela sous-entend un gros travail en amont, à l’arrière : « Onze ! C’était en 2008… ». Il est furquer le projet vers un univers plus rap. Au- qui n’a rien à voir avec la musique ou l’écri- Ameilleur que moi. Bien joué Kostia ! (...) À jourd’hui, les gars adorent. Ils écoutent du ture ? l’époque, on était une douzaine, dont 6 per- Gims, etc. Et leur langage scandé, souvent C’est clairement une étude de marché, du sonnes handicapées. Le groupe a tourné mais énigmatique, épouse les compositions de la marché du rap français. Il est très peu varié, la logistique était compliquée. De plus, la ma- paire Charles / Boulangé dans un décorum contrairement au rap américain qui a une pa- jorité des concerts qu’on donnait se faisait en hip hop synthétique et singulier. Sur scène, lette infinie de couleurs. On commence, ces milieu handicapé et ce n’était pas du tout l’idée les explosions sont légion, l’improvisation dernières années, avec des Vald et deux ou de base. Je me suis mis à réfléchir à une for- est reine et l’énergie communicative. trois autres qui se positionnent un peu plus mule plus facile à déplacer et mieux adaptée à second degré, mais pourquoi ne pas pousser la scène musicale underground... Pour ne pas De telles initiatives sont rares, les groupes ça encore, ici ? J’étais persuadé que ça allait évoluer en vase clos. composés de personnes handicapées encore faire un truc, à condition aussi de faire tout plus. Il y a Wild Classical Ensemble à Cour- un travail sur la crédibilité de la musique. La formule, c’est Choolers Division, carré trai, Chevalier Surprise à Verviers... Je me Mais donc tu te positionnes là où tu vois une de deux MC trisomiques et deux musiciens. souviens aussi d’un groupe finlandais avec un niche. Tu arrives et tu sers un produit atten- Il aura fallu aller jusqu’à Marseille pour nom impossible qui était à l’Eurovision (Pertti du depuis des années. C’est comme arriver qu’en 2013 se forme cette nouvelle entité. Kurikan Nimipäivät - ndlr). Mais il y a peu dans une université et se rendre compte qu’il Mon père a fondé le Créham, qui organise des de projets similaires, ou alors ça vire en djem- n’y a aucune sandwicherie : tu l’ouvres, tu sais ateliers avec des personnes handicapées en bé / maracas cul-cul la praline... et ça m’inté- qu’il y aura une file, c’est aussi simple que ça. Belgique depuis 1979, animés par des artistes, resse moins (...) Nous, on préfère parler de la Après, si ton sandwich n’est pas bon, tu sais pas des éducateurs. Le projet a été exporté vers personne handicapée plutôt que de son handi- que la file ne va pas durer longtemps. Bien le sud de la France où j’ai suivi mon père et cap. Il faut trouver une alchimie : les gars ont sûr, ce que je vends, c’est clairement de la mu- travaillé dix ans. C’est là que j’ai rencontré ce talent, à nous de faire ce qu’il faut pour les sique, même s’il y a tout ce côté marketing et Kostia. Puis, je suis rentré en Belgique, où mettre en avant. emballage qu’on travaille énormément. Le j’anime des classes musicales au Grand Atelier cœur reste la musique. de La S à Vielsam. Choolers Division ICO Arrive alors le second MC, Philippe Marien. Choolers Division Black Basset Records Petit con Un fanatique de Michael Jackson ! Je l’ai dé- Squamour/Back in the Dayz couvert en organisant une Choolers Academy, sorte de Star Ac’ pour personnes handicapées. J’ai sollicité plein d’institutions pour leur dire qu’on cherchait des talents. Sur les quinze can- didats, je n’ai retenu que la sienne. Enfin, Jean-Camille Charles complète le quatuor. www.facebook.com/ICOSQUA Il vient du sud et réside toujours en France. www.thechoolers.org

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RENCONTRE

RENCONTRE BLUES sur scène. Derrière ce vrai-faux groupe, Bai Kamara Jr. retrace un récit personnel : Il y a trois ans, ma mère est décédée. Ses obsèques avaient lieu en Afrique. Là-bas, j’ai retrouvé Bai ma sœur dans tous ses états : elle était en train de gérer les questions de succession. Dans ce contexte, elle devait composer avec les Kamara croyances traditionnelles... Ainsi, quand quelqu’un meurt en Sierra Leone, la famille convoque un chasseur d’esprits dans la mai- Jr. & The son du défunt. Ma sœur avait donc fait appel à un Voodoo Sniffer. En gros, il s’agit d’un mec qui renifle les baraques pour dénicher les mau- Voodoo vais esprits. Pour le moins farfelu, l’épisode ne laisse pas le chanteur indifférent. Les Voodoo Sniffers se situent entre le folklore spi- Sniffers rituel et la sorcellerie. Je trouvais ce nom par- fait pour un groupe de blues. Souvent consi- L’ENFANT DU PAYS déré comme le réceptacle d’une profonde tristesse, le blues exprime ici d’autres émo- Parti à la conquête de ses racines tions. C’est un genre qui se prête volontiers à l’humour, affirme le musicien. Pour passer africaines, le Bruxellois favori de au-dessus des coups durs, les bluesmen tour- Vanessa Paradis réforme le concept naient les choses en dérision. Car il vaut mieux du coup de blues via un disque rire d’une situation désespérée que de la subir. En quinze chansons, l’album de Bai Kama- lumineux. Avec Salone, Bai Kamara Jr. ra Jr. tisse des liens imaginaires entre la © Michael Chia lève le voile sur son histoire. Entre musique d’Ali Farka Touré et celle de John réceptions à l’ambassade et Lee Hooker. À quelques encablures de ken Pis. Au pays de la frite, Bai Kamara Jr. Michael Kiwanuka, le style du Bruxellois chasseurs de mauvais esprits, entame un cursus en gestion d’entreprise à évoque également les exploits de Keziah son récit est à l’image de sa l’université du Maryland, antenne locale de Jones. J’ai toujours été attiré par le blues. Mais musique : riche en émotions. la célèbre institution américaine. Dans une je pense qu’il est impossible de le réinventer. Au famille vouée à la politique, lui s’oriente plu- mieux, on peut le rafraîchir… Pour y parve- NICOLAS ALSTEEN tôt vers la finance. Jusqu’au jour où sa sœur nir, l’artiste va jouer de ses paradoxes. Je l’invite dans un bar bruxellois. Là, sur une suis autant Européen qu’Africain. J’ai puisé petite scène, il y avait un chanteur vietnamien mon inspiration au cœur de ces deux cultures. et une floppée de musiciens locaux, se sou- Pour les percussions, par exemple, j’ai travail- ’histoire commence à Bo Town, vient-il. Le nouveau-venu leur propose alors lé sur des objets ramenés d’Afrique de l’Ouest deuxième ville de la république de d’écrire des morceaux. Au début, je compo- et, dans certains cas, du Sierra Leone. Sierra Leone. C’est là, à l’hiver sais et puis, de fil en aiguille, je me suis mis à 1966, que Bai Kamara voit le jour. chanter. Faire carrière dans la musique ? Je Imprimé sur la pochette du disque, le mot Junior ne marche pas encore n’y avais jamais songé. Mais à force de recevoir Salone géolocalise les intentions du chan- quand il met les pieds en Angle- des encouragements, j’ai poursuivi l’effort.De - teur. En dialecte créole, cela signifieSierra terre. Ma mère devait y terminer ses études, puis, il a collaboré avec Youssou N’Dour, Leone, précise Bai Kamara Jr. Parce qu’avec raconte-t-il, aussi élégant qu’éloquent à partagé des tournées en compagnie de Ro- ce disque, j’ai l’impression de revenir à mes ra- Ll’heure du croissant. En mouvement entre kia Traoré et vécu des moments privilégiés cines. Si ce titre diffuse un léger parfum pa- Londres et la Sierra Leone où son père est sur scène aux côtés de Vanessa Paradis. triotique, le contenu de l’album n’a rien d’un politicien, le garçon s’établit un temps en tract nationaliste. Il s’agit de mon histoire, Guinée. Maman y avait été nommée à l’am- Aujourd’hui, Bai Kamara Jr. publie Salone, confie l’artiste. À travers ce disque, je revisite bassade. Mais elle ne voulait pas que je fasse son sixième album solo. Pour concevoir le mes souvenirs d’enfance et j’explore des réalités mes études là-bas. Elle m’a donc envoyé en précédent, j’avais collaboré avec douze per- typiquement bruxelloises. Soit les deux fa- Grande-Bretagne. À Bath d’abord, puis à sonnes. D’un point de vue pratique, c’est tout… cettes d’un homme vaillant et entier. Manchester, Bai Kamara Jr. découvre les sauf pratique. Ne serait-ce que pour organiser deux visages de l’Angleterre sous l’ère That- une session, c’était la guerre ! Pour s’épargner Bai Kamara Jr. & cher. Après la Guinée, madame l’ambassa- des points de vie et gagner du temps, le The Voodoo Sniffers drice est mandatée pour un poste en Eu- chanteur penche cette fois pour une autre Salone MIG Records rope. Direction Bruxelles. À part Tintin, je option. J’ai tout enregistré moi-même, ex- ne connaissais rien de la Belgique, se rappelle plique-t-il. Toutefois, la pochette du nou- le fiston. Je savais seulement qu’il y avait, veau Salone renseigne l’existence d’un quelque part, un gars qui pissait dans la rue. groupe. Les Voodoo Sniffers ? Je les ai imagi- Ça, je m’en souvenais parce que mon oncle nés en prévision des concerts. Parce qu’en solo,

avait une pompe à bière en forme de Manne- je suis incapable de reproduire les morceaux www.baikamara.com

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RENCONTRE

RENCONTRE JAZZ Jean-Paul Estiévenart DRÔLE D’OISEAU Secret et insaisissable, le trompettiste Jean-Paul Estiévenart est un musicien qui aime jouer avec l’ombre et la lumière. Éternel insatisfait, toujours en recherche, il publie un superbe album qui correspond totalement à sa personnalité : Strange Bird.

JACQUES PROUVOST © Kris Dewitte

e précédent album parlait de vos Revenons au disque, pourquoi le choix de racines et de souvenirs, alors que ces musiciens ? Nic Thys, pour commencer. ce dernier s’inscrit plus dans la Parce que c’est parfait. J’adore sa façon de spontanéité et le présent. jouer. Ce n’est pas quelqu’un qui va se mon- C’est tout à fait ça. J’ai l’impression trer, mais s’il n’est pas là, le groupe s’effondre. moins. Le côté plus improvisé, comme que c’est une synthèse de tout ce que C’est grâce à lui si le groupe va si loin. C’est lorsque je joue avec Manolo Cabras ou Alex je fais. On m’avait offert une carte blanche comme Dave Holland quand il joue avec Koo. Il ouvre mais il garde un côté très mé- lors du Marni Jazz Festival et j’ai proposé une Miles, il tient la ligne pendant 25 minutes lodique. Ce n’est pas un musicien qui fait du Lphotographie de l’instant. J’ai essayé de alors qu’il pourrait, avec la technique et tout « noise », il joue des lignes. mettre en musique un moment spécifique. ce qu’il a en tête, faire autre chose. Nic est tel- lement intelligent qu’il est capable de créer la Sur le disque il y a plusieurs références et Vous êtes un impulsif. Vous avez tout écrit en tension en gardant une seule note. C’est fort, hommages : Ines 11 pour votre fille,Sshhh !!! deux semaines, comme sur un coup de tête ? simple et complexe à la fois. Et pour ce quin- pour Miles, Bert’s Sketches pour Bert Joris, C’est vrai, je suis impulsif. J’ai tout compo- tette avec piano et guitare, il fallait quelqu’un mais qui est Henri ? sé et puis j’ai tout mis de côté en me disant : de « simple » sinon c’était trop confus. Antoine C’est Henri Tomasi, compositeur classique « On verra au concert ». Il n’y avait pas de Pierre et Nicola Andrioli interagissent déjà contemporain, qui a écrit des concertos pour structures compliquées ni de difficultés de beaucoup. C’est pour cela aussi que j’ai choisi trompette que j’ai beaucoup analysés et tra- lecture. L’idée était : on lit la partition, on Romain Pilon qui est plus « calme » aussi. vaillés. J’aime ses superpositions entre diffé- part en impro, on se voit à la coda, on boit rentes harmonies et c’est ce que j’ai utilisé une bière et c’est bon. De cette façon, tu ne Comment l’avez-vous rencontré ? pour ce morceau. Barcelona, lui, est inspiré de peux pas te tromper. En studio, c’était pa- Il jouait avec Toine Thys et j’aimais vraiment Chopin. Ça me traînait dans la tête depuis un reil, on a fait une ou deux prises max. De- son phrasé : très classe, très « jazz ». C’est très bout de temps et ça s’est concrétisé lors de ma puis, je n’ai pas réécouté l’album. Je n’ai pas rattaché à la tradition mais très moderne. Je semaine d’écriture. Ce sont des « trips » du mo- envie, je veux garder la surprise pour les voulais un son acoustique à la Jim Hall ou ment. Je suis fan de musique baroque aussi, concerts de sortie. Peter Bernstein, avec un langage parfois j’écoute ça depuis des années. J’écoute certai- proche de Rosenwinkel. Sa façon de jouer nement plus de musique classique que de jazz. Qu’est-ce que vous craignez le plus quand est ludique, évidente et riche à la fois. Ou alors, Armstrong et tous les grands de cette vous jouez : le risque de vous tromper, de ne période. J’écoute peu de ce qui se fait actuel- pas trouver l’inspiration ou de vous répéter ? Quant au saxophoniste Logan Richardson, lement, finalement. J’ai peut-être peur de me La répétition, c’est ma hantise. Si tu joues où l’avez-vous rencontré et pourquoi l’avoir rendre compte que je joue mal (rire). une phrase en te disant que tu la connais, intégré ? ça ne va pas. Si, dans mon solo, je com- Je l’ai rencontré à New York. Chaque fois que Jean-Paul Estiévenart mence à me répéter, il faut que j’arrête. j’allais l’écouter jouer avec Ambrose Akin- Strange Bird C’est pour cela qu’en concert, parfois, je musire, j’étais impressionné. Il a un jeu très Outhere/Outnote joue trois phrases et puis j’arrête. Je laisse instinctif. J’ai eu l’occasion de l’inviter à jouer la place aux autres qui sont peut-être plus avec moi pour un hommage à Ornette Cole- inspirés que moi. Il faut laisser la musique man au Festival Jazz à Liège, il y a deux ou décider, ne pas la forcer. La sincérité et trois ans. l’inspiration viennent de là. Il faut être dans l’instant, il faut toujours se surprendre Qu’apporte-t-il au groupe ? soi-même, ne jamais se satisfaire de la note Il fait ressortir un côté de ma personnalité qu’on vient de jouer. que les gens connaissent peut-être un peu www.jeanpaulestievenart.com

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RENCONTRE CONTEMPORAIN Pierre Slinckx TOUS LES PARAMÈTRES SONT EN TRAIN DE MONTER Le compositeur-interprète belge publie deux œuvres parallèles, C#1 pour orgue et ordinateur avec Cindy Castillo, et M#1 avec le quatuor à cordes MP4. Une histoire bien bouclée.

DOMINIQUE SIMONET © Danny Willems

a musique mixte, non pas électroa- et le cerveau. Risset est parvenu à synthétiser moduler. Pour le projet avec le Quatuor MP4, coustique mais électronique ET un son qui donne l’impression d’une montée in- j’ajoute une pédale. Certains moments sont vrai- acoustique, mène à des rencontres finie, explique Pierre Slickx, très branché ment virtuoses, analyse Pierre Slinckx. pour le moins inattendues, comme psycho-acoustique. En réalité, c’est une celles des contrôleurs MIDI de boucle, démystifie-t-il. Avec le Californien Dans la pièce pour orgue C#1, écrite un an Pierre Slinckx et des grandes or- Roger Shepard, 90 ans aujourd’hui, Risset avant M#1, première œuvre pour MP4, cette gues de Cindy Castillo, ou du quatuor à a ainsi défini le principe de glissando infini, espèce d’utilisation du glissando de Shepard- cordes MP4. Surprenantes, et un brin pro- dit de Shepard-Risset donc. Risset est explicite ; elle est plus distanciée dans Lvocatrices, ces créations sont deux pièces la pièce pour quatuor à cordes. Alors qu’il tra- d’un même moment, souligne le musicien Pour en revenir à C#1, à lire comme étant la vaille à une composition pour le jeune en- belge. Différentes par leur instrumentation, première composition avec Cindy Castillo, semble liégeois Hopper, Pierre Slinckx re- elles sont assez semblables au niveau de partie des quatre premières mesures du cho- met C#1 sur le métier. En effet, Cindy l’harmonie et du rythme. Elles repré- ral BWV 721, ce qui traverse la pièce est cette Castillo vient d’acquérir un organetto de type sentent, selon lui, une sorte d’aspiration vers boucle, parfois très transformée, très filtrée, qui médiéval, soit un petit orgue portatif avec un l’origine, vers le haut. Tous les paramètres sont donne l’impression d’étirer le temps. Cela pro- clavier pour une main, et un soufflet pour en train de monter. duit un effet émotionnel, une tension très effi- l’autre. Ce sera une nouvelle pièce, avec les spé- cace, analyse Pierre Slinckx. Cette pièce cificités de cet instrument dont on peut moduler Plutôt culotté – on entend déjà crier au sacri- pour orgue et ordinateur a été enregistrée à le souffle. Le son devient très organique, précise lège –, Pierre Slinckx est parti d’un choral l’église Notre-Dame des Grâces, dans le quar- le compositeur. Et l’œuvre pourra être jouée attribué à Jean Sébastien Bach, Erbam’ dich tier au nom prédestiné du Chant d’Oiseau, à où bon semble aux interprètes. mein, o Herre Gott (« Aie pitié de moi, ô Sei- Woluwe-Saint-Pierre. Le lieu abrite le ma- gneur »). Cette fascinante petite pièce, réper- gnifique instrument moderniste conçu par toriée BWV 721, avec un accompagnement l’organiste français Jean Guillou (1930-2019), d’accords répétés, illustre la volonté de l’être ancien titulaire de Saint-Eustache à Paris. humain de s’élever. Dans l’harmonisation pour orgue, les quatre premières mesures sont Pour l’enregistrement, comme pour les strictement ascendantes. Je prends ces quatre concerts donnés par la suite, Pierre Slinckx premières mesures et les mets en boucle sur elles- interprète la musique en direct, en symbiose mêmes, en utilisant le principe de Risset pour avec l’organiste. Les « bandes », soit les sons Pierre Slinckx Pierre Slinckx la transformer en cette ascension infinie. préenregistrés appelés ainsi en référence & Cindy Castillo &Quatuor MP4 aux bandes magnétiques, il laisse ça à la mu- C#1 M#1 Un brin d’explication s’impose. Où il est sique concrète. Placés à hauteur des tuyaux Cypres Cypres question d’illusion. Agrégé de physique de d’orgue, des haut-parleurs diffusent les sons Normale Sup’ – ça ne rigole pas –, Jean- émis par l’ordinateur et joués via les boutons Claude Risset (1938-2016) est passé maître et curseurs de la console MIDI (Musical Ins- dans l’étude des phénomènes psycho-acous- trument Digital Interface). Les sons sont dé-

tiques, ou perception des sons par l’oreille clenchés par mes gestes, parfois combinés pour http://pierre.slinckx.net

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RENCONTRE

indiquer des tempi très précis, avec parfois un changement qui ne concerne que deux mesures, mais il ajoute au-dessus « libre- ment ». Une écriture où la poésie et l’intui- tion prennent tant de place laisse une grande liberté à l’interprète.

Autre réussite de ce disque, une création de Claude Ledoux… Il avait beaucoup aimé mes Debussy. J’ai eu l’idée de lui commander une œuvre dans le même esprit. Claude a tellement de cordes à son arc... Et puis, il y a chez lui un vrai sens mélodique, qui est ce que je recherche dans la musique contemporaine. C’est un esprit brillant, en perpétuelle interrogation. Il a d’ailleurs modifié les esquisses du pre- mier mouvement après m’avoir entendue en concert. Le deuxième mouvement, plus contemplatif, s’inspire du jazz et de Miles Davis, ce qui me parle beaucoup aussi.

© Isabelle© Françaix Qu’est-ce qui guide vos choix discogra- phiques ? L’instinct ? RENCONTRE CLASSIQUE Oui ! Personne n’attend les Ballades de Cho- pin par Élodie Vignon ! (elle rit). Je ne me sens donc pas obligée d’apporter une nou- velle lecture d’un répertoire déjà joué mer- veilleusement des millions de fois. Or, Élodie Vignon construire sa discographie, c’est aussi bâtir sa carrière d’interprète. Je ne veux pas cal- quer mes disques sur les standards des salles de concert. Question d’honnêteté et L’ÉLÉGANCE À LA FRANÇAISE de cohérence. J’adore jouer Chopin et Liszt, Après un premier CD Debussy aussi inattendu qu’applaudi, la oui, mais pourquoi fait-on un disque ? Moi, pianiste poursuit dans la même veine avec Henri Dutilleux et Claude c’est pour me confronter à moi-même, au- tant que pour amener le public vers un ré- Ledoux. Saveurs multiples, entre tendresses et fulgurances. pertoire qu’il connaît moins. Jouer Dutil- STÉPHANE RENARD leux prend dès lors tout son sens. Sa sonate est magnifique, et il n’y a aucune raison pour qu’elle ne soit pas davantage proposée. l ne sortira qu’en février, pour les Piano est très en demande de compréhension de Lorsque le public la découvre en concert, il Days de Flagey où elle se produira. Mais ce répertoire particulier. me dit la même chose. Larsen l’a déjà écouté en primeur : le nouveau disque d’Élodie Vignon, qui as- Votre prochain disque poursuit dans cette L’une des jeunes pianistes à qui vous ensei- socie Henri Dutilleux et une création de même veine du piano français avec Henri gnez vous a dit un jour aimer son piano car Claude Ledoux, se moque une nouvelle Dutilleux, dont les accents ne sont pas sans elle pouvait lui confier ses secrets. Mais que fois des impératifs commerciaux. Pur bon- évoquer Debussy… raconte Élodie Vignon à son piano ? heur que ce piano-là, intime et brûlant, à la Dutilleux a en effet reconnu avoir été in- C’est secret ! Mais j’avoue que je n’aurais pas Isubtilité ciselée au service d’une musique fluencé par son prédécesseur, mais aussi pu jouer d’un autre instrument. Eh oui, je bien trop rare. par Ravel. Il se réclamait ouvertement de suis monomaniaque. Je n’écoute pratique- l’école française, très attachée à la quête de ment que du piano ! Il a toujours été mon Votre premier disque, les douze Études de l’élégance et de l’esthétisme. C’est ce qui en confident, depuis toute gamine. Un refuge Debussy complétées par les Poèmes du fait un compositeur tout à fait accessible, où je pouvais et peux encore me jeter corps Belge Lucien Noullez, était une sacrée prise alors que ce n’est pas l’idée que l’on s’en fait et âme. Quel allié ! de risque… a priori. C’est ce que pensait mon éditeur… Dutilleux-Ledoux Et pour le pianiste ? D’ombres Dutilleux a beau signaler de manière ultra Élodie Vignon …et ce fut une superbe découverte poé- Cypres tique, même pour les debussystes. précise sur la partition tout ce qu’il désire, Le disque a en effet connu un vrai succès à il y règne une grande liberté intérieure, avec l’international, et plus particulièrement aux chaque fois l’une ou l’autre indication qui États-Unis, où je me produis souvent. On y permet de sortir du carcan. Il peut ainsi

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RENCONTRE FOLK POP cabane GRANDE EST LA MUSIQUE Après quelques signes fugaces et enivrants, l’espoir était de rigueur. La rumeur courait en effet qu’un album de cabane, ce très excitant projet de Thomas Jean Henri, était sur le point de sortir. On a eu raison d’y croire, car l’ex-Venus et ex-Soy un caballo a décidé de voler de ses propres ailes, en solo, mais très

bien accompagné. Bref, de sortir © Jean Van Cottom un disque marquant. Grande est la maison, c’est la douceur d’une rendant compte que certains morceaux verts C’est complètement improbable ! Je suis caresse, la profondeur d’un baiser, feraient bien de carrément retourner dans dans mon salon, je termine un bout de mor- et la bienveillance d’un mot tendre le rouge… Mais je me souviens précisément ceau, et je ne comprends toujours pas ce du moment où j’ai compilé tous les morceaux qu’il se passe dans ma tête pour que j’arrive murmuré à une oreille qui en a bien que j’aimais bien, et de me dire : mais en fait, à me dire : tiens, je vais envoyer ça à Bonnie besoin : la nôtre. Dix morceaux qui j’ai un album ! C’est la beauté d’un premier Prince Billy, je pense que ça peut lui plaire ! disque. Tu travailles sans but pendant des (rires). Pareil pour Kate ou Sean. Et pour- osent raconter l’amour, celui qui années, et un beau jour, tu te réveilles et te tant, c’est ce que je fais. Mais en même brûle, mais qui s’estompe aussi, dis qu’il est temps d’arrêter de tourner au- temps, je leur donne du pouvoir. Ils font par- la beauté du vivant et l’émotion tour du pot. C’est très libérateur. tie des quelques personnes de mon entou- rage qui ont un droit de veto sur mon tra- d’être fragile. Le tout emballé dans Vous parlez de premier disque. Or, vous vail. C’est une des raisons pour laquelle ce un écrin d’élégance, de cordes et n’êtes pas vraiment un nouveau venu sur la disque a mis du temps : si l’une d’elles trou- de voix qui requinquent. Rencontre scène musicale belge. vait un morceau mauvais, ça bloquait tout. C’est certain, mais dans ma carrière, il n’y avec un chef d’orchestre lucide. aucun projet avec lequel j’ai tenu le coup du C’est fatiguant? deuxième disque, c’est assez troublant. Dans Disons que ça prend du temps ! Malgré mon JEAN-MARC PANIS cabane, je me sens plus à l’aise. À mon âge, anglais un peu limité, j’ai pour chaque mor- la perspective du groupe de rock est devenue ceau une idée de base, fondamentale pour obsolète. À vingt ans, j’allais changer le moi. Pour le morceau Now winter comes, monde avec mon groupe. Aujourd’hui, mon j’avais une phrase qui me trottait en tête, inq ans pour faire un disque, équilibre est ailleurs : dans une expérience comme une ritournelle : Our love will fade in c’est beaucoup à l’échelle de collective à géométrie variable, mouvante. me, on that we silently agree. Thomas Jean Henri? J’ai envie de respecter les autres et le temps C’est à ce moment-là que je fais appel à Caro- Thomas Jean Henri : Oui et qu’ils peuvent donner à ce projet. Même line Gabard et Sam Genders (Tunng, Dia- non. Ça a pris du temps car chose pour les gens qui écoutent. Ils sont tel- grams - ndlr) pour les textes. Je leur envoie des j’avais une idée très précise de lement sollicités. Ça me va d’apparaître de idées très précises. Les mots, les émotions, ce ce dont j’avais envie. J’ai des dossiers colo- temps en temps. Puis on m’oublie, et parfois, que j’ai vécu et ce à quoi je veux faire réfé- rés sur le disque dur de mon ordi. Verts, je reviens… c’est très bien comme ça. rence. Pour eux démarre alors un calvaire : Coranges et rouges. eux proposent beaucoup de choses et moi je Mes pauvres morceaux passaient d’une cou- Dans cette géométrie variable, vous invitez suis très sélectif. Ça peut être long et doulou- leur à l’autre. Parfois, je retournais quand du beau monde. Kate Stables, Bonnie Prince reux. Mais ils me parlent encore, donc ça va. même voir dans le dossier rouge si, à tout ha- Billy, Sean O’ Hagan (High Llamas)... Il faut sard, il n’y aurait pas un truc à sauver. J’ai être sûr de soi pour faire appel à de telles Il y a aussi les chanteuses de BostGehio, qui vécu des grands moments de désarroi, en me pointures? agissent comme un chœur antique, com-

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mentant le texte, ou les arrangements de RENCONTRE FOLK ROCK cordes de l’orfèvre Sean O’Hagan. Quand arrivent-ils dans le processus de création? Dans une première phase, je me laisse com- plètement libre, les idées sortent, sans filtre River ni jugement, c’est grisant. J’en sors avec vingt, trente ou quarante morceaux. Puis vient la déception quand je prends conscience que ce Into Lake ne sont pas des morceaux, mais au mieux des parties de morceaux. La deuxième étape COMMENT SE JETER consiste à malaxer la matière : jouer cette mé- lodie au piano plutôt qu’à la guitare, celle-ci À L’EAU ? au chant… c’est un grand travail de cuisinier. Et là, nouvelle déception : de mes 40 idées, il Pour certains, la vie est un long en reste 5. C’est à ce moment qu’arrive chez fleuve tranquille. Pour d’autres, moi le besoin de collaborer. Le moment où, © Colin Leveque aux autres, j’ouvre la porte sur mon travail… comme Boris Gronemberger, il s’agit je suis bien conscient que cabane n’existerait d’éviter le creux de la vague et de lequel Boris Gronemberger prend toutes les pas sans ces collaborateurs. Will Oldham surmonter les déluges quotidiens. décisions. Jusqu’ici, je n’étais pas très à l’aise (Bonnie Prince Billy), c’est le fantôme, le rap- dans le costume de leader, dit-il. Je n’assumais port à la mort, à la perte. Kate (Stables, This Revenu métamorphosé de son pas ce rôle. À partir du moment où je l’ai accep- is the kit), c’est la lumière, la bienveillance, la intérim chez Girls In Hawaii, le té, tout est devenu plus simple... Premier al- chaleur. L’addition des deux, c’est cabane. musicien colporte désormais bum de River Into Lake, Let The Beast Out explore une veine slowcore, à la fois lumi- Les anglophones différencient la notion de ses mélodies sophistiquées sous neuse et mélancolique. Bordées de somp- maison en tant que bâtiment matériel, et l’enseigne River Into Lake : un autre tueux arrangements de cordes, nappées de claviers, les chansons se dévoilent à l’aune celle de foyer, plus abstrait, plus émotion- nom pour un nouveau départ. nel. « House » et « home ». Où se situe la ca- d’une étrange pochette. J’ai tout composé au bane dans votre vocabulaire? NICOLAS ALSTEEN départ de cette image, confie Boris Gronem- Pour moi, la cabane est un endroit tempo- berger. Ce serpent qui sort de la tête d’un fakir, raire dans lequel on se protège des intempé- c’est une allégorie : laisser sortir la bête, c’est af- ries. C’est essentiel pour moi. J’aime l’idée ongtemps caché derrière les ma- firmer ma nature. C’est aussi la représentation de pouvoir se mettre à l’abri du chaos social, juscules du projet V.O., Boris d’un état d’esprit : une façon d’exfiltrer mes idées amoureux ou politique… J’aime qu’on puisse Gronemberger a manié la baguette noires, la colère, les frustrations. Cette dé- tous avoir un endroit sûr, qui n’est qu’à nous. chez les Girls In Hawaii et joué de marche proactive traverse d’ailleurs l’al- Moi c’est cabane, et j’aimerais que ça le soit tous les instruments pour Françoiz bum. Un morceau comme Misunderstan- pour d’autres aussi. Breut. Après une courte pause-car- ding, par exemple, plonge dans les abîmes rière et de longues réflexions, le musicien de l’humanité pour mettre le doigt sur de Comment vous sentez-vous au moment de refait surface aux commandes de River Into tristes réalités. Entre les attentats perpétrés la sortie du disque ? LLake. Je ne me reconnaissais plus à travers aux quatre coins du monde, le réchauffement J’ai eu plein de vies et beaucoup de chance. l’abréviation V.O., explique-t-il. D’autant qu’en climatique et la montée des extrêmes sur l’échi- J’ai aussi pris la responsabilité des chances la choisissant au début des années 2000, je quier politique, j’ai traversé des moments diffi- qui m’ont été offertes. J’arrive à être bienveil- n’avais pas anticipé l’essor d’internet. Le détail ciles. Mais l’anxiété n’est pas une solution. lant à mon égard : je suis un artisan qui a peut sembler anodin. Pourtant, en tapant Mieux vaut réagir et passer à l’action. beaucoup bossé. Par contre, je ne suis pas sûr V.O. dans un moteur de recherche, le résul- Après les doutes, l’avenir de River Into Lake d’avoir encore la volonté ou le courage de tat est sans appel : à l’écran, aucune info mu- semble à présent assuré et parfaitement as- continuer cabane. Ce dont je suis certain, c’est sicale, mais une multitude de films et séries sumé. Dans les prochaines semaines, le que je suis très heureux que ce soit fini, heu- en version originale. Pour faire front et ré- multi-instrumentiste défendra, en effet, ses reux de pouvoir tourner une page. Cette page. pondre à ses nouvelles aspirations, l’artiste morceaux à travers l’Allemagne. Puis, il ac- s’est trouvé un autre nom. River Into Lake compagnera Agnes Obel tout au long de sa cabane est un clin d’œil à un album de Raymondo, un tournée européenne. Si tous les ruisseaux Grande est la maison super groupe dans lequel j’ai joué. Puis, j’ai- vont à la mer, River Into Lake semble bel et cabane records mais cette image aquatique où l’affluent vient bien sur le bon chemin. nourrir une plus grande surface. Cette méta- phore s’applique à ma vision de la société. River Into Lake Comme beaucoup de gens, je pense que le Let The Beast Out Humpty Dumpty Records monde doit changer. Les initiatives indivi- duelles seront à la source du changement. Chaque goutte d’eau dans l’océan peut faire la différence. Comme Tame Impala ou Vampire Wee- kend, River Into Lake est un authentique www.cabane-music.net trompe-l’œil, un groupe de façade derrière www.facebook.com/riverintolake

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TRAJECTOIRE © Samir Barris©

Catherine De Biasio LA MÉLODIE DU BONHEUR Du duo féminin Blondy Brownie à son projet jeune public Ici Baba, en passant par un groupe de reprises de Julien Clerc, des dj’sets, une fanfare ou une tournée mondiale où elle a accompagné la pianiste danoise Agnes Obel, le parcours de la multi-instrumentiste carolorégienne est aussi éclectique qu’atypique. Portrait d’une artiste épanouie toujours en quête de nouveaux défis.

LUC LORFÈVRE

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TRAJECTOIRE

tout le monde s’est foutu de ma gueule. J’ai alors impressionnant, c’est celui de Kris Dane qui opté pour la clarinette.À dix-huit ans, j’ai com- sort du chapeau. Sur son album Songs Of mencé le trombone, un peu grâce à la chanson Crime And Passion (2007), j’ai assuré les Black Trombone de Serge Gainsbourg et aus- chœurs avec ma sœur. C’est la première fois que si parce j’aimais les sonorités à mille lieues de nous nous sommes retrouvées ensemble, Méla- e suis très heureuse. J’exerce un su- celles de la clarinette. Mon professeur Michel nie et moi, sur un disque. C’est aussi grâce à per métier. Plus j’avance dans la vie, Massot est le spécialiste du trombone. Je joue Kris Dane que j’ai découvert les studios ICP, à plus j’ai conscience que passer du dans sa fanfare Babelouze. Je bidouille aussi Bruxelles, quand il m’a proposé de chanter et temps à faire ce qu’on aime est un sur des claviers et puis il y a la batterie que j’ai de jouer de la batterie surRise & Down Of luxe absolu. Glissée dans une commencé à apprendre en 2014. La batterie, The Black Stallion. conversation passionnante, cette c’est comme la gym, c’est physique. ça me sert réflexion résume parfaitement la person- de défouloir. L’EXPÉRIENCE AGNES OBEL nalité de Catherine De Biasio. Voilà une Et puis il y a eu Agnes Obel. En 2016, pour Jmusicienne qui mesure la chance qu’elle a. PREMIÈRES CHANSONS la tournée mondiale consécutive à son troi- Voilà une multi-instrumentiste toujours en Après ses années d’apprentissage, Cathe- sième album Citizen Of Glass, la pianiste mouvement. Voilà une battante qui croque rine crée un premier groupe éphémère avec danoise cherche des musiciennes. Elle vou- la vie. Voilà une femme qui réussit à mener sa sœur Mélanie et commence à prêter lait exclusivement des femmes et notamment de front son rôle de maman et sa passion main forte à différents projets. Installée dé- une instrumentiste capable de jouer des per- pour la musique. Sans jamais s’égarer et en sormais à Bruxelles, elle écrit ses premières cussions, de la clarinette tout en assurant aus- retirant toujours le positif. chansons pour son groupe Mièle qui publie si certains chœurs. Agnes a passé une semaine deux albums (Mièle en 2006, Le Jour et La à Mons pour répéter. Ce n’était pas vraiment La veille de notre entretien, Catherine De Nuit en 2011). Les textes sont en français. une audition. Nous avons joué ensemble et j’ai Biasio jouait à Paris avec Blondy Brownie, Les musiques flirtent avec l’électro, la pop eu le job. Je l’ai accompagnée dans des salles le duo qu’elle a créé en 2015 avec son amie et le rock. C’est avec Mièle qu’elle découvre prestigieuses en Europe mais aussi aux États- de toujours Aurélie Muller. Aussitôt la les joies de la promo et des premières tour- Unis. Une expérience inoubliable. Une énorme touche « Stop » de notre enregistreur ap- nées. Une étape importante, analyse-t-elle au- structure et un groupe féminin où on ne parle puyée, elle filait à l’académie d’Etterbeek jourd’hui. Après l’académie, j’ai fait des études que l’anglais… Ça me changeait des tournées pour sa leçon hebdomadaire de trombone de journalisme et quelques jobs alimentaires. en Wallonie dans un van pourri où j’étais la prodiguée par Michel Massot. Le soir, elle Mais mon but était de faire de la musique et seule meuf au milieu de six mecs (rires). Le re- donnait un dj set dans un bar. Les jours qui d’essayer d’en vivre. J’avais envie de collaborer vers de la médaille, c’est qu’une fois la machine ont suivi, il y a eu les représentations d’Ici avec d’autres groupes, mais je ressentais aussi lancée, je n’avais plus d’opportunités pour gérer Baba, le duo « jeune public » lancé en 2015 le besoin de créer mes propres chansons, d’avoir mes autres projets. J’étais aussi jeune maman avec Samir Barris qui vient de publier son mon truc à moi où je pouvais m’exprimer libre- alors. J’ai préféré arrêter à la veille d’entamer troisième album Les Yeux Ouverts et affiche ment. Une question d’équilibre. Et cet équilibre, le deuxième volet de la tournée. Mais au final, déjà plus de mille dates au compteur. À ce je l’ai toujours recherché. C’est vital. En 2018 et je suis sortie grandie, musicalement et humai- menu chargé, il faut encore ajouter les hap- 2019, par exemple, j’ai énormément tourné avec nement, de cette aventure. penings euphoriques avec Les Juliens, Atome. Ça me plaisait d’intégrer comme ins- groupe déjanté de reprises de… Julien Clerc trumentiste de scène uniquement l’univers du Encore un détail. Vingt-quatre heures après et les derniers coups de pinceau posés sur groupe. Mais à côté, je pouvais aussi écrire, cette interview, Catherine De Biasio nous les chansons du deuxième album de Blon- composer au sein de Blondy Brownie et Ici envoyait un mail. J’aimerais encore insister dy Brownie avant que celui-ci ne rentre Baba. C’est clairement Ici Baba qui est mon sur un truc vachement important, écrivait- dans sa phase de mixage. Mon agenda est projet le plus rentable. Et je m’y éclate. Je peux elle. Si je fais ce merveilleux métier au- bien rempli, confirme-t-elle. Rien que pour y jouer de plusieurs instruments et les concerts jourd’hui, c’est aussi grâce à mes parents qui Ici Baba, nous avons des dates programmées ont lieu en journée. C’est un projet participatif m’ont conduit un peu partout dans les acadé- jusqu’en décembre 2021. Ce n’est pas toujours où les enfants interagissent sans cesse. La sou- mies et concerts toute ma jeunesse. Ils m’ont évident, il faut parfois prévoir des plans B, plesse de notre formule nous permet de nous toujours soutenue et m’aident encore beaucoup mais j’aime mener de front plusieurs projets. produire partout : dans des classes, des salles aujourd’hui, notamment à concilier ma vie de Cela nécessite un bon sens de l’organisation et de gym, des églises, des bois. maman et de musicienne. Un post-scriptum parfois des choix draconiens. Mais je pense que virtuel qui achève de nous convaincre. Ca- je m’ennuierais vite si je ne me consacrais qu’à Avec son profil éclectique, ses qualités de therine De Biasio est quelqu’un de bien. De un seul groupe ou à un seul instrument. musicienne, ses talents de chanteuse et son très bien. ouverture d’esprit lui permettant de s’adap- Comme on s’en doute, la musique est entrée ter à toutes les configurations, Catherine De Ici Baba Les Yeux Ouverts très vite dans la vie de cette artiste origi- Biasio a été particulièrement sollicitée ces Stakhanova/Victor Mélodie naire de Charleroi. Mes parents n’étaient pas quinze dernières années. Après avoir par- musiciens, mais ils écoutaient beaucoup de ticipé à l’aventure de Melon Galia, qui lui a disques à la maison : Simon et Garfunkel, permis de rencontrer Aurélie Muller à Bowie, du rock seventies, de la soul… À l’â ge d e l’aube des années 2000, elle a ainsi collabo- six ans, j’ai commencé à suivre les cours de sol- ré avec Hank Harry, Morning Star, Mine- fège à l’académie de Charleroi. Très vite, on m’a rale, My Little Cheap Dictaphone, Le Yéti, demandé de choisir un instrument. Je rêvais Great Mountain Fire, Noa Moon, Atome et de faire de la harpe, mais il n’y avait pas de on en oublie. Quand nous lui demandons https://fr-fr.facebook.com/ici.baba.ici.baba https://fr-fr.facebook.com/blondybrownie harpe disponible. Quand j’ai évoqué la batterie, de citer un nom en particulier dans ce CV

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ZOOM ZOOM Un certain courant jazz © Diego Crutzen Glass Museum

Après avoir fêté ses 100 ans, le jazz est toujours en ombien de fois le jazz a-t-il été déclaré mort ? Combien de fois est-il revenu à la vie ? On l’avait déjà dit « per- pleine mutation et toujours pas sage. Ces dernières du » après l’ère du swing, avant qu’il ne se transforme années, on a vu de plus en plus de groupes intégrer – au grand dam des puristes – en bop, hard bop et autre clairement le hip hop, l’électro ou les musiques free… Puis il s’est fait engloutir par le rock avant de re- venir, une fois de plus, sous une autre forme : Fusion, ethniques pour en faire un « autre jazz ». Chez nous en Électro jazz, Nu jazz, Acid jazz… Belgique, on remarque aussi des projets assez neufs et Jazz is not dead, it just smells funny, disait Frank Zappa. On pourrait décomplexés qui s’inscrivent peu ou prou dans cett e Cressortir cett e phrase tous les dix ans, voire même chaque année. Le jazz en a vu de toutes les couleurs : quand ce n’était pas pour le mouvance. Font-ils partie d’un renouveau ? Font-ils ringardiser, c’était pour le confi ner à un carré d’intellos ou pour le bouger les lignes ? Sont-ils conscients de leur impact ? cloisonner ou l’enfermer. Mais qui peut capturer une musique que personne n’arrive à défi nir totalement ? Musique de l’instant, le Est-ce une nouvelle avant-garde ? Rencontre avec jazz évite les pièges tant qu’il peut et c’est bien là son esprit, son quelques-uns des protagonistes et programmateurs besoin fondamental de liberté. pour tenter de cerner le phénomène. « Jazz ? Pas jazz ? » Le combat existe depuis des siècles… Enfi n, de- puis un siècle, puisqu’il est né vers 1910. Et nous n’allons pas re- JACQUES PROUVOST faire ici l’histoire, même si elle se répète.

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tissent les scènes rock ou de musiques du monde pour proposer une musique qui ne dénature ni l’esprit de l’un ni celui de l’autre. Mais est-ce si nouveau ? Miles a cassé les codes avec Bitches Brew, parce qu’il y avait le rock et il y avait Hendrix, rappelle Antoine Pierre. Brad Mehldau a remodelé du Radiohead, renchérit Roel Vanhoeck, programmateur à Bozar du 4th Stream Festival qui met en lu- mière, lui aussi, un jazz aventureux et hybride. Avant, les jazzmen Maarten Van Rousselt, programmateur à Flagey qui intègre dans s’inspiraient surtout d’autres jazzmen. Les batteurs écoutaient Elvin son Brussels Jazz Festival des jazz venus de tous les horizons, tente Jones ou Philly Joe Jones. Puis ils sont allés écouter Questlove, par une non-définition : C’est quoi le jazz ? Roots, improvisation, rythme, exemple, et actuellement ils écoutent tous les genres. une tradition, une mixité ? C’est une question de sémantique et je pense Pierre Spataro (Commander Spoon) enchaîne : J’écoute autant A que les musiciens actuels traduisent le métissage spécifique des grandes Love Supreme de Coltrane et tout le jazz ’60, que Flying Lotus ou les villes dans un monde globalisé. rappeurs des années ’90. Cela me nourrit inconsciemment. Ce que je fais à la batterie,termine Sammy Wallens, n’est pas swing et pourtant DU JAZZ À TOUTES LES SAUCES les batteurs jazz ont une influence énorme sur mon jeu. Humer l’air du temps, s’adapter aux nouveaux langages, aux nou- velles formes, aux nouvelles technologies, bref : « se réinventer », c’est Et le public, comment reçoit-il cette musique, que recherche-t-il et un peu le «fonds de commerce» du jazz. À l’instar de ce qui se passe à quoi s’attend-il ? aux States et en Angleterre, avec Robert Glasper, Kamasi Washing- Le public n’est pas dupe ni idiot, on ne doit pas tout lui prémâcher, as- ton, Shabaka Hutchings ou Nubya Garcia – pour ne citer que la par- sène Antoine Pierre. Et Martin Grégoire de continuer : Que ce soit tie émergée de l’iceberg – qui s’accaparent le hip hop, l’électro, le rap les circuits alternatifs ou les clubs traditionnels de jazz, le retour du pu- ou les musiques ethniques, des groupes belges y ont trouvé, eux aus- blic est toujours bon, car lui aussi demande à être surpris. si, un terreau fertile pour explorer de nouvelles pistes. On peut citer, Du côté des programmateurs, on confirme la tendance. Pour Maar- au risque d’en oublier un paquet : Echt !, STUFF., Urbex, Esinam, ten Van Rousselt, la demande est là : la programmation de concerts Mélanie De Biasio, The Milk Factory, OTTLA, Yokaï, Nu Jazz Pro- de jazz, traditionnel ou plus pointu, augmente, le public est plutôt ur- ject, Glass Museum, 2times Nothing, The Brums, SilverRat Band, bain et cosmopolite mais surtout il rajeunit ! Commander Spoon et d’autres tant la liste est longue et diversifiée. Et Roel Vanhoeck constate également une évolution constante : Le jazz est en recherche constante et se veut, curieux, inventif et Le public est toujours plus curieux. Finalement, la musique de STUFF. sans frontières. J’écoute Kamasi ou Robert Glasper, nous dit Antoine n’est ni plus ni moins accessible que la musique des années ’50. Bien Pierre, leader d’Urbex et de Next.Ape, mais j’avoue que ce n’est pas sûr, certains préfèrent le jazz plus acoustique ou traditionnel, mais je une scène qui m’influence particulièrement car elle véhicule un message pense qu’il y a de moins en moins de gens sectaires. politique sur ce qui se passe là-bas. Moi je parle de ce qui se passe ici, de Cependant, il y a encore un peu de chemin à parcourir nous dit ce que je vis. Les textes de Next.Ape se basent sur tout ce qui se passe chez Antoine Pierre : Cela reste une musique de niche. D’ailleurs, on passe moi en Europe. Ce n’est pas explicite, mais le ressenti est différent entre peu à la radio car notre musique n’est pas formatée. ici et là-bas. Avec une autre approche musicale, Pierre Spataro et Samy Wal- JAZZ 2.0, LA TARTE À LA CRÈME ? lens de Commander Spoon ne disent pas autre chose, le fait de se L’arrivée du streaming et des plateformes digitales ont sans doute servir du vécu est primordial : On écoute ce qui se passe à Londres et permis l’émergence de nouveaux talents et l’éclatement des styles. aux States, mais on est plus influencé par ce que chacun a fait dans ses Avec le web, et les nouveaux outils digitaux, les musiciens ont ac- projets respectifs. On vient d’horizons différents, cela nous enrichit et cès à tout et peuvent tout imaginer. Echt ! s’amuse à jouer les DJ’s on n’a pas de frontières stylistiques. de façon totalement instrumentale, Esinam, elle, capture et triture en live les rythmes tribaux via des loops, Urbex revisite l’électrique Si la musique du duo Glass Museum s’inspire encore d’autres Bitches Brew de Miles, Glass Museum joue la transe et l’ambient, formes, le point de convergence résonne presque à l’identique. An- STUFF. fait s’entrechoquer l’esprit d’Aphex Twin et d’Afrika Bam- toine Flipo vient du classique et moi du rock, nous confie Martin Gré- baataa, Black Flower injecte du rock dans son éthio-jazz… Tout est goire. On n’a jamais vraiment appris le jazz mais on a beaucoup écou- permis. Mais ce que l’on remarque, c’est surtout un besoin de jouer té la fusion et Aka Moon. On n’a jamais voulu mettre d’étiquette sur ce avec de « vrais » instruments. que l’on faisait mais on nous a classés en jazz. Cela nous a intimidés car On veut s’éloigner des machines, confirme Samy Wallens. L’utilisation c’est un peu sacré. On avait peur de «déranger», car on ne se considère de la contrebasse acoustique dans Commander Spoon n’est pas fortuite. pas comme jazzmen. Mais finalement cela nous convient car la mu- Quant à la transmission de leur musique, chaque groupe reste fort sique que nous faisons est très libre, très ouverte et pleine d’improvisa- attaché à l’objet physique, ce que confirme Samy : C’est important tions, sans être trop structurée. de faire un disque. C’est concret. On ne veut pas se laisser bouffer par Instagram ou les plateformes. En tant que consommateur de musique, Qu’on le veuille ou non, le jazz s’infiltre partout et permet, comme on j’achète des albums et des vinyles des groupes que j’aime, et je ne les écoute le voit, tous les mélanges. La force du jazz, c’est qu’il est un des piliers de pas distraitement sur une story. la culture musicale occidentale. Que tu viennes du hard rock, de la dance ou du classique, à un moment, tu arrives au jazz, conclut Maarten. Alors, quand on demande à ces musiciens s’ils font partie d’une nouvelle mouvance et s’ils s’inscrivent dans un renouveau du jazz, JAZZ, ROCK, POP, OÙ EST LA SCÈNE ? ils gardent les pieds bien sur terre : C’est flatteur, mais on est dans Alors que certains festivals de jazz invitent encore des chanteurs ou notre bulle et on ne pense vraiment pas à ça. L’avenir nous le dira. des groupes pop pour attirer un public parfois réfractaire au jazz, on sent dernièrement un effet inverse se produire. Des jazzmen inves-

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ZOOM ZOOM © Fabienne Cuypers Bionix Les médiatiques anonymes Si la célébrité accompagne bien souvent le succès, certains artistes du coin cartonnent en mode « sous-marin ». Loin des médias traditionnels du plat pays, il y a des publicités pour Dior, des millions de vues générées sur YouTube, mais aussi des hits pour Kendji Girac et les Black Eyed Peas. Entre moments privilégiés en compagnie de Sting et albums enregistrés aux côtés d’Alain Bashung, Johnny Hallyday, Zazie, Vanessa Paradis ou Françoise Hardy, certains s’offrent même des tournées sold-out aux États-Unis. Ils sont Belges et renommés. Tous vivent parmi nous, mais quasi personne ne les (re)connaît. Qui sont-ils ?

NICOLAS ALSTEEN

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vet de Jacques Higelin, Henri Salvador, Adamo, Françoise Hardy, William Sheller, Vincent Delerm, Vanessa Paradis, Louane ou Mi- chel Polnareff. Sans parler de sa relation privilégiée avec Zazie et Ben- jamin Biolay. À l’ombre des géants, le musicien aiguise ses riffs de guitare et affûte ses lignes de basse. S’il a collaboré avec les plus grands, son nom est pourtant inconnu du grand public. Ce rôle me convient parfaitement, assure-t-il. À mes yeux, le succès tient surtout à la reconnaissance de mes pairs. Être célèbre, devenir une personnalité, ce n’est pas mon truc. Je préfère qu’on me laisse faire de la musique tranquillement. ans l’imaginaire collectif, concerts et passages radio La guitare surgit rapidement dans la vie de Nicolas Fiszman. Je de- constituent les étapes vitales d’une carrière musicale. vais avoir six ans quand j’ai gratté des cordes pour la première fois, re- À l’écart des autoroutes médiatiques, du buzz Instagram trace-t-il. J’ai d’abord appris tout seul, puis avec le guitariste folk Bert et des mouvements de foule, certains gagnent pourtant Bertrand. Quand j’ai eu onze ans, le jazzman Philip Caterine a accepté leur vie sans faire de bruit. Parce qu’à l’évidence, de de me donner des cours. Assez vite, il m’a proposé de partager la scène à l’ombre au soleil, il n’y a qu’un pas. Les Bruxellois Ra- ses côtés. Il m’a vraiment permis de progresser. En plus, il a été mon pre- chid Mir et Christian Dessart peuvent en témoigner. Nous cherchons mier lobbyiste : il vantait mes mérites auprès d’autres artistes... Si le jeune toujours à nous positionner en amont d’un succès, confie le premier. guitariste bénéficie des conseils de ses professeurs, il se fie aussi à DC’est là que nous sommes les plus efficaces.En termes d’efficacité, ces ses propres instincts. J’allais encore à l’école à l’époque où je faisais mes deux compositeurs ont fait leur preuve. Kendji Girac leur doit no- premières scènes « pros » dans les cabarets en compagnie d’une chanteuse tamment le tube Andalouse et M. Pokora fait régulièrement appel à qui allait devenir Maurane. J’avais 13 ans, elle en avait 17. Sans itiné- leurs services. Réunis sous le nom Bionix, les deux hommes re- raire préétabli ni plan de carrière, le musicien range son cartable viennent aux origines de leur association : Des copains de l’école au placard et, pour la première fois, pose sa guitare dans un studio m’avaient élu « producteur » de leurs chansons, raconte Christian Des- d’enregistrement, accompagnant les Bowling Balls, groupe sorti des sart. Je suis donc parti à la recherche d’un studio. Lors de ses investiga- pages de la BD Germain et nous. Le dessinateur Frédéric Jannin et le tions, il croise la route de Rachid Mir. On s’est tout de suite compris ! scénariste Thierry Culliford ont eu l’idée de le transposer dans la réalité, Actif depuis la fin des années 1990, le duo prône l’autonomie abso- raconte-t-il. Passée du papier à la réalité, la formation sert de trem- lue dès sa création. Notre but était de concevoir un morceau de A à Z, plin à Nicolas Fiszman. À partir de là, des producteurs m’ont proposé enchaîne Rachid. Pour y parvenir, nous sommes partis d’un clavier et d’autres projets. Dans ma carrière, je n’ai jamais dû courir après les au- d’une souris. Christian maîtrise différents instruments. Pour ma part, je ditions. On m’appelle. Je viens. C’est aussi simple que ça. fais tout à l’oreille. L’objectif ? Conserver une certaine fraîcheur et, sur- En marge de sa vie en studio, Nicolas Fiszman accompagne par- tout, favoriser une approche anti-académique. fois certain(e)s « client(e)s » sur scène. Pour moi, les concerts ne sont pas le prolongement obligatoire des sessions d’enregistrement. J’ai ac- En 2003, le chanteur de R&B Matt Houston les contacte. Nous lui cepté de le faire pour Zazie ou Benjamin Biolay. Mais quand il s’agit de avons fait écouter notre travail et, quelques mois plus tard, il passait sur partir sur la route pendant plusieurs mois, je suis ultra sélectif. Être toutes les radios françaises avec l’un de nos morceaux. Baptisé Miss, le musicien de tournée, c’est un job à part entière. single cartonne dans l’hexagone. Au point d’attirer l’attention de Sur le long terme, Nicolas Fiszman n’a aucun engagement. Mon toute l’industrie musicale. Dans le milieu, le bouche-à-oreille reste en- emploi du temps tient aux envies des autres. Ce sont eux qui décident core le meilleur moyen de dénicher de nouvelles collaborations. Au- – ou pas – de faire appel à moi. Cela étant, il lui arrive aussi de refu- jourd’hui, nous sommes aussi invités à de nombreux « writing camps » : ser des propositions. Un jour, Johnny Hallyday m’a demandé de l’ac- des rassemblements créatifs où différents intervenants font leurs em- compagner en tournée. J’ai décliné l’invitation. L’énormité de la chose plettes. Ainsi, en 2017, les Bionix participent à un « camp » parisien. m’effrayait un peu. Financièrement, c’était sans doute très intéressant. Les Black Eyed Peas y étaient aussi. Will.i.am faisait son shopping. Dans Mais sur le plan artistique, j’avais d’autres envies à ce moment-là... son panier, le chanteur glisse une compo du duo. Banco ! Quelques Récemment, Nicolas Fiszman a hérité de la basse de Sting. À la suite mois plus tard, le morceau apparaît au casting du nouveau disque d’un accident, il était incapable d’en jouer sur scène. Il m’a contacté pour le des Black Eyed Peas. Dans les coulisses d’un blockbuster américain remplacer dans son propre rôle de musicien. Sentimentalement, ça repré- ou posté derrière le triomphe de Kendji Girac, les deux Belges ap- sente beaucoup pour moi. Car j’ai toujours été un grand fan de Police. Même précient leur position. Nous ne sommes pas directement exposés au suc- si son CV a de quoi laisser rêveur, le Bruxellois nourrit encore quelques cès de nos clients. De plus, nous avons maintenant le privilège de choisir fantasmes adolescents. J’aimerais beaucoup travailler avec Peter Gabriel les projets sur lesquels nous souhaitons travailler. ou collaborer avec le guitariste de jazz Bill Frisell. Et puis, il y a Daniel La- nois aussi. Un jour, quelqu’un a dit de lui : Quand il est dans la pièce, tout GARS SÛR le monde joue mieux. J’espère qu’un jour, on dira la même chose de moi. Ce privilège, Nicolas Fiszman le connaît bien. Guitariste de forma- tion, bassiste d’exception, le musicien connaît bien la chanson. D’ail- TOP SYNCHRO leurs, il met régulièrement ses talents aux services de super stars. Il Au rayon électronique, le barbu Yann Attia compose sa musique est ainsi crédité dans plus de… 300 albums. Spécialiste des studios sous le nom de Haring. Aux confins de la house, de l’IDM et d’une d’enregistrement, le Bruxellois a donné vie à plusieurs disques de techno bercée de mélancolie, l’artiste s’est construit une belle pe- Johnny Hallyday et Alain Bashung. Il s’est également porté au che- tite réputation en solo, aux commandes du label City Tracks ou

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avec les copains du collectif GANGUE. En pleine préparation d’un deuxième album attendu pour le printemps, le musicien se rap- pelle, un peu ému, de ses débuts. En mai 2014, j’ai finalisé un titre dans mon salon, dit-il. Baptisée Us, cette compo suscite alors l’inté- rêt d’un blog américain qui souhaite la diffuser via ses canaux. À l’époque, je débutais. J’étais déjà bien heureux de recevoir un peu d’at- tention, note Yann Attia. Les choses auraient pu en rester là. Mais le rayonnement du morceau va déclencher une combinaison de coups gagnants. Je recevais des messages d’encouragement et quelques compliments. Puis, un mail du service marketing de Dior est arrivé…

Spécialisée dans le chic, l’entreprise souhaite utiliser Us pour les © DR besoins d’une campagne publicitaire. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à discuter pognon avec les négociants de Dior. Au terme

d’une longue tractation, Us sert de bande-son à la publicité d’une Nicolas Fiszman crème de jour multi-perfection. En gros, il s’agissait d’une texture an- ti-ride. Toujours est-il que, sans rien demander, je venais de signer ma première synchro. Dans le jargon, l’utilisation commerciale de mu- sique pour un autre contenu est appelée une synchro(nisation). Quand ce plan m’est tombé dessus, on m’a dit que la synchro appelait les synchros. Après Dior, d’autres marques internationales se mani- festent en effet avec le même désir. Quand tu commences à vendre un titre à des fins commerciales, tu prends très vite conscience des prix pratiqués sur le marché. Les coûts varient en fonction des supports de diffusion : il y a des grosses boîtes qui disposent de budgets colossaux. Puis, il y a les autres. Quand une banque frappe à ta porte, ce n’est pas du tout le même délire que le gars qui souhaite habiller sa vidéo d’anni- versaire sur YouTube… Entendu dans des émissions télé au Canada, mais aussi lors de

conventions automobiles aux U.S.A, Us atterrit également dans la Ganja White Night © DR playlist de la compagnie United Airlines : c’était diffusé dans l’espace lounge des passagers enregistrés en business class. Vu la demande per- sistante, Haring confie finalement son titre à deux maisons d’édi- tion. L’une gère le territoire européen depuis la France, l’autre est im- plantée aux États-Unis. Grâce à leurs interventions, je dégote souvent des synchros. Récemment, Brut a utilisé ma musique pour une vidéo de décryptage de l’actualité : une petite capsule à destination des réseaux sociaux. Riche d’enseignement, cette aventure conduit Haring sur le chemin de la professionnalisation. Quand Us est sorti, je ne connaissais même pas la signification du motmastering . J’étais vrai- ment un débutant. Grâce à ce morceau, j’ai gagné ma vie, trouvé une agence de booking et un manager. On peut dire que j’ai appris les ficelles du métier par l’entremise d’un heureux accident. © Maria Baoli

DES PROPHÈTES Haring Tout aussi improbable, l’histoire des Montois de Ganja White Night donne envie de croire en tout... Ou presque. Pendant une dizaine d’années, Benjamin Bayeul et Erwan Dodson ont arpenté les « soi- rées chapiteaux » de la région en essayant de colporter une mu- sique ancrée au cœur de la culture dubstep. Bien accueilli à Dour TiiwTiiw – Iliass Barni à l’état civil – s’est, elle aussi, exportée à en 2016, le duo local peine toutefois à susciter l’intérêt des promo- l’étranger. Parti des fêtes de mariage et de quelques bonnes idées teurs de concerts à l’échelon national. Sans s’affoler, ils se tournent piochées dans les traditions folkloriques de la dakka marrakchia, alors vers l’Angleterre et le Canada où leurs prestations attirent la carrière du Bruxellois décolle en force au Maroc à la faveur l’attention. Après quelques petites performances en clubs, les gar- des algorithmes YouTube. Sur le réseau social, chaque tube de çons reçoivent finalement une invitation pour se produire au Webs- TiiwTiiw pèse ainsi des millions de vues. La vidéo du hit ter Hall, à New York. Depuis, l’ascension du duo est vertigineuse. DAW DAW , par exemple, compte plus de 162 millions de vues. À Suivi par des milliers de fans sur Facebook et Instagram, Ganja titre de comparaison, on notera que le Basique d’OrelSan plafonne White Night enchaîne les tournées à guichets fermés d’un bout à à 75 millions… l’autre des États-Unis. Longue de 32 dates, leur dernière tournée Si nul n’est prophète en son pays, Ganja White Night et TiiwTiiw vient d’ailleurs de s’achever sur deux soirées sold-out au Hollywood sont des preuves incontestables de réussite. Comme quoi, il semble Palladium, salle mythique capable de contenir 4.000 personnes… bel et bien possible de gagner sa vie sans passer par les circuits conventionnels. En tournée, dans un salon ou en studio, les Quasi exclues des médias traditionnels belges malgré la présence musicien(n)es belges disposent d’autres façons de se faire entendre. d’une large communauté maghrébine dans le pays, la musique de Dans l’anonymat. Ou pas.

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APERÇUS APERÇUS Igloo Records 40 ANS DE PASSION Le label Igloo clôture en beauté les festivités de son quarantième anniversaire avec un ouvrage retraçant ses 40 années de production discographique. Un imposant et passionnant document aux multiples intervenants et compilant archives, photos et interviews.

FRANÇOIS-XAVIER DESCAMPS

loin d’être glaciale, qui a fêté, tout au long (journaliste et occasionnel collaborateur de de 2019, ses 40 ans d’existence en autant (si- Larsen). Un épais volume qui fourmille non plus) de concerts. Et qui clôture en beau- d’informations essentielles sur l’essor té cet anniversaire par un ouvrage structuré d’Igloo et des diverses structures qui l’ont en 40 mouvements, parcourant 40 années, accompagné au fil de ces quatre décennies. de 1978 à 2018. L’histoire d’Igloo Records (…) Photos et documents inédits et interviews repose sur la complicité, l’engagement et l’ami- des nombreuses personnalités artistiques tié de trois personnes : Christine Jottard qui, au qui ont marqué le label émaillent cet impo- quotidien, depuis plus de trente ans est la sant recueil… avec autant d’anecdotes qui e point commun entre Mélanie De conductrice passionnée du projet ; Daniel Léon ont fait et font encore la grande et la petite Biasio, William Dunker, Nathalie l’exigeant et perfectionniste ingénieur des sons histoire de cette maison aux 440 disques et Loriers, Claude Semal, Christian et moi-même, résume ainsi d’emblée Daniel dont le point de départ était simplement Merveille et Urbex ? Ils ont tous Sotiaux, le président et fondateur d’Igloo l’envie d’enregistrer un récital du comédien sorti, un jour, un album sous le Records, qui a dirigé la réalisation de ce Jean-Paul Ganty (IGL 001 – 1978) au studio L logo du label Igloo ! Une maison, beau livre aux côtés de Jean-Pierre Goffin Caramel de Daniel Léon. Vivement la suite ! épartir équitablement l’ensemble ductions. Le principe est que chaque vente doit des revenus générés par sa mu- être « traçable » au centime près. L’appli se révé- Gérer ses sique… une des principales pierres lerait également utile aux artistes-entrepre- d’achoppement dans la carrière neurs leur permettant d’obtenir une vue conso- d’un artiste, auteur-compositeur, lidée de leurs revenus et également de calculer les royalties ? qui peut miner les relations entre redevances dues à un producteur, à un artiste en ce dernier et sa maison de disques. Selon la featuring ou à un remixer par exemple. Ce qui EDDY’S RIGHT ! notoriété de l’artiste et les canaux de diffusion différencie Eddy.App des autres solutions dis- Rde sa musique, celui-ci peut espérer récupé- ponibles sur le marché ? La prise en main et Right’s Up (une compagnie rer entre 5 et 25% des revenus générés par la l’aspect user friendly sont des points primordiaux vente ou mise à disposition de sa musique pour nous. Ce qui permet aux labels de consacrer numérique qui a déjà développé (lorsqu’il est sous contrat). Notre intention n’est le moins de temps possible aux décomptes et ce, un outil de récupération des pas de s’immiscer dans la relation label - artiste. de manière ludique. À vous de tester ! Mais plutôt de la renforcer avec des décomptes de revenus générés par les droits royautés transparents, déclare Damien Mor- voisins) lance aujourd’hui une jane, cofondateur de la startup Rights’Up. La nouvelle application digitale : transparence est vraiment dans l’ADN du pro- duit. La transparence est le maître-mot dans Eddy.App, une solution de gestion la présentation de cet outil permettant aux des royalties que la société labels indépendants d’avoir une vision claire présente comme un instrument des royalties de leurs artistes. Premièrement, les artistes ont une vue sur les contrats encodés qui va changer la vie des labels dans eddy.app. Ce contrat est utilisé pour calcu- de musique indépendants. ler les redevances (la traduction française des « royalties » - ndlr). De cette manière, tout le FRANÇOIS-XAVIER DESCAMPS monde peut vérifier si le contrat encodé corres- pond bien au contrat signé. Deuxièmement, un « audit trail » est disponible pour chaque ligne de vente. Il décrit le taux qui a été utilisé pour calcu- www.eddy.app ler le montant dû à l’artiste et les éventuelles dé-

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LE.COM DR Streaming USER CENTRIC OU DATA CENTRIC ? Depuis des années, Deezer milite pour un système de rétribution des artistes basé sur l’utilisation réelle de la plateforme, dit « user centric », et non plus sur le prorata (« data centric »), ce dernier avantageant en principe surtout le mainstream. C’est éthique, c’est sain mais c’est aussi très critiqué, très compliqué et ça entraînerait même quelques effets pervers. Et pourtant, ça pourrait bien être appliqué dès 2020...

SERGE COOSEMANS

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LE.COM

centric, tu payes par exemple aussi Roméo Elvis même si tu ne l’as ja- mais écouté. Mais c’est compliqué et ça peut en fait avoir un effet néga- tif sur les musiques de niches. 10 écoutes d’Ed Sheeran, c’est facile à comptabiliser. 10 écoutes d’artistes plus confidentiels, ça amène une comptabilité drôlement complexifiée puisque d’une grosse comptabilité transversale, tu te retrouves face à une foule de micro-comptabilités. Au n 2015, Geoff Barrow, surtout connu pour Portishead bout du compte, cela pourrait dès lors générer de gros coûts. Et donc mais aussi actif dans Beak et compositeur de musiques encore diminuer le pactole à partager. de films, révélait sur Twitter que 34 millions d’écoutes Chez les labels et les éditeurs, on se pose quand même pas mal de ques- en streaming de sa musique allait lui rapporter un peu tions, toujours selon Didier Gosset. Dans un tel système, qui serait moins de 2.260 euros, ce qui revient à 0,0000007 cent gagnant, qui serait perdant ? Il y a des projections et on parle en fait de (US) par stream. Quand cette folie va-t-elle s’arrêter ?, se petites pertes tant chez les indépendants que chez les majors. Il y a le demandait-il. La même année, exigeait de Spotify que problème des comptes dormants aussi. On estime à 10 ou 12% les abon- toute sa discographie soit retirée de la plateforme, refusant que son nements qui sont chaque mois débités, notamment via domiciliation Etravail « contribue à une expérience qui ne rétribue pas équitable- bancaire, mais qui ne sont en réalité pas utilisés. Parce que la personne ment les auteurs et les artistes ». C’était d’autant plus chic de sa est à l’étranger, a oublié qu’elle avait un compte, ne l’a simplement pas part que Swift est l’une des rares artistes au monde qui aurait pu utilisé... Que fait-on de cet argent ? À qui va-t-il ? En octobre, au Ams- correctement être rétribuée en laissant sa musique accessible sur terdam Dance Event, quelqu’un de Deezer a répondu que les sommes un site de streaming légal. C’est que le mainstream est générale- collectées sur les comptes dormants seraient en fait redistribuées au pro- ment avantagé par le mode de rémunération de mise sur beaucoup rata. Mais on aurait alors un système bâtard. Et toujours opaque. de plateformes : le prorata, aussi appelé le « data centric ». En fait, si la volonté de Deezer de se montrer plus éthique que la Celui-ci ne fait pas dans le détail : on comptabilise les abonnements concurrence est à saluer, il faut tout de même souligner que c’est et les revenus publicitaires, on totalise le nombre de streams, sont bien Deezer qui resterait a priori gagnant, quoi qu’il arrive. Ce que déduits les frais et la part des intermédiaires et ce qui reste du pac- la plateforme perdrait sur les gros artistes, elle le gagnerait en prin- tole est redistribué aux labels et aux artistes. Un peu à la louche. cipe sur son catalogue. Mais même ça, ce n’est pas certain, car il Et de façon souvent opaque aussi, vu que la « valeur » d’un stream existe toujours la possibilité que des labels refusent de continuer est un secret bien gardé et dealé différemment selon les artistes et à travailler avec la plateforme. Il faut aussi rappeler que Deezer est les labels. Il y a en effet des raisons de penser qu’un stream de non seulement une « petite » plateforme mais surtout une société Drake « vaut » et rapporte donc plus à Drake qu’un stream de Geoff française, autrement dit basée dans un pays où existent des quo- Barrow ne rapporte à Geoff Barrow. Qui lui-même empoche sans tas de diffusion et où le concept d’ « exception culturelle » rencontre doute plus par stream qu’un groupe de post-rock ardennais. D’où un large consensus politique. Si en France des labels importants une certaine contestation de cette formule qui avantagerait surtout comme Believe, Wagram et Because soutiennent l’idée d’appliquer les majors et les « gros » artistes. Logique : pour gagner des sommes la méthode « user centric » dès 2020, l’idée semble avoir beaucoup significatives via le streaming, il faut du volume, beaucoup de vo- plus de mal à s’imposer dans des pays plus traditionnellement li- lume, vu que même 34 millions d’écoutes, ce n’est pas assez. D’où béraux, là où l’on caricature déjà l’idée en « truc à la Robin des une course au volume et même l’envie de certains de recourir aux Bois ». Selon Didier Gosset, l’un des gros problèmes de ce type de escroqueries de type « arnaque bulgare », qui consiste à générer des plateforme, c’est d’ailleurs d’être mondiale et pas particulièrement écoutes automatiques via des batteries de comptes bidon, afin d’ar- attentive aux particularités locales : Le prétendu soutien aux produc- tificiellement gonfler la part de revenus. tions locales est un sujet carrément brûlant. Spotify Belgium est par exemple basé à Amsterdam et on peut supposer qu’ils ont dès lors une On a aussi noté des effets pervers sur le formatage artistique des plus grande affinité avec la Flandre qu’avec la musique faite en Fédé- productions : puisque sur une heure, un maximum de streams rap- ration Wallonie-Bruxelles. Il n’y a d’ailleurs pas de « landing / home porte plus que l’écoute de 6 longs morceaux de 10 minutes, il y a page » locale, de focus spécifique sur la Belgique. Mais le problème n’est une nette tendance à privilégier les morceaux courts sur les plate- pas que belge. L’équipe éditoriale qui s’occupe de la Serbie est basée en formes et dans les studios d’enregistrement. Ainsi qu’à prôner une Croatie : faut-il rappeler qu’il y a de grosses différences culturelles et un politique commerciale d’occupation continue du terrain par la pop lourd passif entre ces deux régions devenus pays indépendants ? En et les musiques urbaines, puisque celles-ci génèrent plus de streams Allemagne, c’est un marché uni, donc c’est facile d’y booster des artistes que les artistes plus underground ou même middleground (Por- mais tu fais comment sur des marchés plus éclatés ? tishead, pas les plus obscurs...). Bref, dans cet environnement édi- torial et commercial à la fois ultraconcurrentiel et biaisé, beaucoup C’est une question importante, vu que le « user centric » est surtout de musiciens, en fait tous ceux n’étant pas dans le Top 200, ont très censé être bénéfique pour les musiques locales et de niches, vu difficile à agréger suffisamment d’écoutes pour générer de vrais qu’elles ne seraient plus mises en concurrence avec les mastodontes revenus. Et donc, par extension, de vivre de leur musique et de du mainstream et des musiques urbaines. Mais cela suffirait-il à pouvoir développer des carrières. ce que des artistes émergents soient soutenus par une communau- té active ? Autrement dit, les questions d’éthique et d’équité soule- Depuis quelques années, Deezer dit vouloir y remédier en passant vées par Deezer sont certes passionnantes mais si sa politique édi- du « data centric » au « user centric », axé sur l’écoute réelle. Le prin- toriale ressemble surtout à celle du Myspace de 2007, à qui cipe est bon, beaucoup plus éthique : sur l’abonnement de 10 euros, profitera vraiment l’«user centric » ? Réponse en 2020 ? Vraiment ? mettons qu’il en reste 5 dès que décomptés les frais et ces 5 euros seraient partagés entre tous les artistes que vous auriez vraiment écoutés. C’est beaucoup plus éthique, nous confirme Didier Gosset d’Impala, l’association des labels indépendants, puisque dans le data

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DÉCRYPTAGE © Michel Gaida Qui sauvera le patrimoine musical ?

PointCulture, la KBR, le CeBeDem, la Sonuma et La Maison du Jazz sont quelques-uns des acteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles actifs dans la sauvegarde du patrimoine musical. Leur mission est ambitieuse, leurs moyens réduits. Leurs questions quotidiennes sont quant à elles carrément philosophiques. Et Internet n’est pas la solution...

SERGE COOSEMANS

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DÉCRYPTAGE

ans l’occultisme et dans l’univers vées. L’exhaustivité, même si elle constitue évidem- des choses qui auraient plus de valeur artis- Marvel Comics (voir Doctor ment un objectif inatt eignable, est donc bien l’op- tique et sociale que les produits à durée de vie Strange, notamment) existent ce tion choisie. Une option qui exige donc limitée mis sur le marché par les industries que l’on appelle les Annales Aka- forcément du temps, des fonds, des ressources culturelles. À cett e notion de choix... Bien en- shiques, c’est-à-dire un espace où humaines mais aussi des réseaux, des lieux de tendu, a priori, ce n’est pas le job de la KBR de « s’inscrivent toutes les paroles, stockages et surtout, des connaissances histo- sauvegarder des traces de l’existence de Sou- actions et pensées de l’homme, tous les êtres riques et musicologiques. D’ailleurs, selon lwax et de Roméo Elvis. Pas plus que ce n’est et événements du monde ». Autant dire une Jean-Pol Schroeder, il est grand temps que se dé- vraiment celui de la Sonuma (archives audio- Dbibliothèque exhaustive, une médiathèque où veloppe une conscience culturelle. Au vu des visuelles) ou du CeBeDem (le Centre Belge de serait conservée la totalité du patrimoine coupes budgétaires frappant prioritairement la Documentation Musicale, dépendant depuis culturel humain... Ce qui tient du pur fan- culture, ce n’est pas gagné. Et pourtant, un monde 2015 du Conservatoire royal de Bruxelles, lui tasme intellectuel, vu qu’en réalité de tels lieux sans culture, un monde sans patrimoine est un aussi axé sur les répertoires classiques). Mais n’existent pas et n’existeront sans doute jamais. monde condamné à se dissoudre puis à dispa- est-ce que la pop ne serait justement pas un Bien entendu, on archive, on inventorie et on raître. C’est donc bien d’une urgence qu’il s’agit, en peu déconsidérée parce qu’elle déborde litt é- classifi e. C’est carrément le travail essentiel termes de jazz comme dans les autres domaines ralement d’Internet, qu’elle semble ultra-dis- des bibliothèques et des médiathèques, le prêt liés à la culture. D’autant que le jazz n’est pas qu’une ponible et n’a donc a priori aucun besoin d’être au public n’étant pas forcément la mission pre- expression musicale : le jazz, musique d’esclaves et prise en charge par une institution s’occupant mière de tels lieux. On conserve, on sauve- de révoltes est aussi une vision du monde, une sé- de la sauvegarde du patrimoine culturel ? Sur- garde. Mais on trie, aussi. Dans les biblio- rie de paradigmes pouvant être transposés dans la tout qu’il n’y a notoirement pas d’argent dans thèques et les médiathèques, il est ainsi notoire sphère socio-politique ou dans la réfl exion philo- les caisses des diff érents niveaux de pouvoir que l’on jett e et que l’on vend en permanence. sophique. Et jusqu’il y a peu, la préservation du pour subsidier de telles démarches forcément Il existe des critères et ceux-ci font générale- patrimoine jazz ne semblait pas préoccuper grand non rentables… ment que l’on tente de garder les choses rares monde, à commencer par les services publics. et considérées comme artistiquement impor- Bien entendu, tout ne se trouve pas sur Inter- tantes alors que tout ce qui tient davantage du Sur le site de la « section de la Musique » de la net. Tout n’a pas été numérisé. On peut certes produit de divertissement est souvent perçu KBR (Bibliothèque Royale), reconnue comme retrouver en quelques clics seulement des comme plus dispensable, quelque chose à la étant le premier centre scientifi que du pays choses rares mais il faut savoir où les chercher durée de vie nett ement plus limitée. Ces cri- pour la conservation de documents musicaux et les trouver n’est pas toujours légal. Ce sera tères sont donc totalement arbitraires et il peut (disques, partitions mais aussi affi ches, pho- aussi le plus souvent dégott é brut, pas forcé- en découler de malheureuses erreurs d’appré- tos, correspondances, etc.), le jazz est toutefois ment bien encodé, décontextualisé, et même ciation. Ainsi, au nom d’un « dégraissage » des plutôt bien représenté, notamment via de régulièrement accompagné d’informations er- stocks, des pans importants des collections de nombreux « fonds », c’est-à-dire des collections ronées. Éparpillé, aussi. Or, si on veut un jour PointCulture ont dernièrement été soldés, des privées gérées par la KBR ou rachetées à des att eindre un réel équivalent technologique des choses justement rares écoulées dans le public personnalités. Un exemple : le fonds Marc Annales Akashiques, il va bien falloir centra- à des prix de brocante de printemps. Scanda- Danval, du nom du trublion bien connu des liser. La question fondamentale n’est donc pas leux ? Sans doute. Mais humain aussi, voire auditeurs de La Troisième Oreille, l’émission de savoir s’il faut tout digitaliser, ce qui est sur- même tout simplement inévitable, vu que culte de la RTBF (et des blagues de Fred Jan- tout d’ordre technique et plutôt secondaire. La cett e question de tri, de dégraissage, de choix nin !). En 2010, 12.000 disques, 800 ouvrages, belle idée utopique serait plutôt que le patri- donc, ne se pose pas qu’en temps de crises et 3.000 photos et 500 affi ches ont été achetées moine cesse d’être éparpillé, non seulement se trouve au cœur même de la problématique à Marc Danval par la KBR ; ce qui, selon cett e entre pays aux législations fort diff érentes sur de l’archivage culturel. C’est un débat surtout dernière, lui a permis d’ouvrir les collections mu- le droit d’auteur, mais aussi entre institutions, éthique, philosophique, et sans doute même sicales de l’institution aux répertoires « non clas- asbl plus ou moins sérieuses et collections pri- sans de possible réponse défi nitive réellement siques », jusqu’ici peu représentés. vées à niveau plus local. Selon Jean-Paul satisfaisante. Schroeder, cet idéal serait une collaboration Si le jazz ne préoccupe éventuellement pas accrue entre tous les acteurs intéressés par la Puisque le modèle parfait des Annales Aka- beaucoup les services publics, au moins est-il sauvegarde du patrimoine : sur le plan national shiques est une fi ction inatt eignable (même souvent considéré comme une musique sé- ou régional mais aussi sur le plan européen, voire YouTube reste loin du compte), il faut en eff et rieuse et digne d’intérêt scientifique. Tout mondial, mett re en réseau toutes ces collections, continuellement choisir. Ce qui n’est pas comme le classique. Entrez en revanche « Sou- toutes ces bases de données, qu’il s’agisse d’initia- simple. Prenons le jazz, par exemple. Le jazz a lwax » et « Roméo Elvis » dans le moteur de re- tives publiques ou privées. Tout en maintenant le ceci de particulier, nous explique Jean-Pol cherches de la base de données de la section pouvoir décisionnel aux spécialistes des diff érents Schroeder de la Maison du Jazz de Liège, que musique de la KBR, il n’en sortira rien. Bien domaines culturels. En ce qui concerne la mise à basé sur l’improvisation et sur la création dans entendu, on trouve de la pop dans de nom- disposition sur le web, cela supposerait évidem- l’instant, il ne génère que des œuvres uniques. Cent breuses médiathèques mais celle-ci est plutôt ment une réévaluation de la politique des droits versions du même thème par le même interprète destinée à être prêtée, pas sauvegardée dans d’auteurs et des droits assimilés. Et là encore, il y a (My Favorite Things par John Coltrane, par un but d’étude patrimoniale. On en revient à du pain sur la planche. Autant dire que cela tient exemple) sont diff érentes et méritent d’être préser- cett e notion de diff érence très subjective entre là aussi du fantasme. Dommage…

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IN SITU IN SITU… Open Music Jazz Club L’AVENTURE COLLECTIVE © Sham

Située tout au nord de la province du Hainaut, enclavée entre la Flandre et la France, au centre du triangle Ypres, Courtrai et Lille… excentrée dans notre petit pays, la ville de Comines a souvent tendance à être oubliée des médias. Pourtant, de cette situation délicate, Jean-Jacques Vandenbroucke en a fait une force. Avec une bande prête à tout, enthousiaste et passionnée de musique – et de jazz en particulier – il a ouvert l’Open Music Jazz Club au centre de la ville.

JACQUES PROUVOST

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IN SITU

pour l’acoustique, on a accroché des dizaines de magnifiques pho- tos d’artistes qui ont croisé la route de l’Open Music. On peut y voir la crème du jazz belge et hexagonal.

ean-Jacques Vandenbroucke, ancien bâtonnier au bar- La scène est au fond, bien surélevée afin que tout le monde puisse reau de Tournai et ex-échevin de la culture de Comines- profiter du spectacle sans être gêné par quoi que ce soit. Et puis, Warneton, n’en est pas à son premier coup d’essai en mu- cerise sur le gâteau, le club bénéficie également d’une magnifique sique. Il était déjà à l’origine du festival blues rock de mezzanine. La structure existait déjà quand on a récupéré le lieu. On Houthem entre 1988 et 1997. C’était très excitant, mais cela a déplacé l’escalier pour gagner de la place et on a aménagé l’espace pour devenait de plus en plus coûteux et on avait un peu peur aus- pouvoir ajouter des sièges. La vue est, en effet, imprenable. Là-haut, si de l’usure du milieu du blues, nous confie-t-il. il est même possible de manger quelques délicieuses tartes faites Alors, avec son asbl Open Music qu’il avait mise sur pieds à maison (les bénévoles sont bourrés de talent) ou de siroter son verre Jl’époque, il continue à organiser sporadiquement des concerts. Mais à l’aise. Résultat, tous les spectateurs sont au plus près des artistes. vers 2012, il redonne un coup d’accélérateur et veut se concentrer un peu plus sur les artistes de jazz. L’association organise alors ré- Si le club affiche complet régulièrement, c’est grâce à sa program- gulièrement des concerts dans différentes salles de l’entité. C’était mation, bien entendu, mais aussi de ses accointances avec la mé- fatigant d’aller de salle en salle, avoue Jean-Jacques, il fallait chaque tropole lilloise. Il n’y a plus de club de ce type là-bas et le public fois tout installer pour donner l’illusion d’être dans un club de jazz. Il n’hésite pas à parcourir les trente kilomètres qui nous séparent était vraiment temps de nous trouver un lieu. pour vivre des moments uniques. Jean-Jacques Vandenbroucke L’idée fait son chemin et l’opportunité se présente lorsque, sur la établit, en accord avec les membres de l’asbl, une programmation place Sainte-Anne de Comines, l’ancien bistro-dancing «Le Club», très alléchante, à la fois pointue et traditionnelle. Ce boulimique en cessation d’activité et dont le bâtiment est laissé à l’abandon de- de musique ne ménage pas sa peine en allant écumer clubs et fes- puis plus de quinze ans, est à vendre. Son état est désastreux. Il y tivals de la région, et même au-delà, pour faire découvrir des perles avait des arbres qui poussaient en plein milieu de la salle. C’était pire et partager sa passion au plus grand nombre. qu’une ruine. La brasserie propriétaire des lieux trouve un accord avec l’asbl mais pour réaliser ce rêve totalement fou, il faut quand Comines fait aussi partie de la programmation « belge » du festival même y mettre les moyens. Le patron et son équipe décident alors français Jazz En Nord (comme le centre Marius Staquet de Mous- de créer une coopérative afin de pouvoir tout financer. C’est une cron, situé dans la même région). Vu sa situation, le club attire des belle idée, un peu post-soixante-huitarde, mais le public a suivi ! Le club publics de toutes les communautés et de tous les âges aussi. Le jazz est donc exclusivement financé par les gens eux-mêmes – et de est éclectique, s’adresse à tous et renforce indéniablement les liens quelques sponsors et mécènes – sans aucune autre aide des pou- sociaux. On a appelé notre club Open Music, ce n’est pas pour rien, le voirs publics. Il y a eu un élan d’enthousiasme incroyable. En six mois, jazz c’est avant tout un état d’esprit. on a récolté près de 535.000 euros. L’aventure ne fait que commencer. Les membres sont bien déci- « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » di- dés à élargir encore la scène aux ateliers, jams et résidences d’ar- sait Mark Twain tistes. Le club va aussi augmenter le confort des musiciens. Le se- cond étage de l’immeuble est en cours d’aménagement pour les Non seulement, les membres ont investi, mais ils ont mis la main accueillir et leur permettre d’y loger. On n’est pas loin du paradis. à la pâte. Chacun a enfilé les bottes, empoigné les pelles et les Avec tous ces atouts, il est fort à parier que l’endroit deviendra masses. Bien entendu, les architectes Damien Van Massenhove et (mais il l’est déjà) un incontournable de la scène jazz belge. Gaël Le Fur ont suivi les travaux avec des hommes de métier pen- dant un an et demi. Et tous leurs honoraires ont été reversés à titre de Avec tous ces atouts, il est fort à parier que l’endroit deviendra parts sociales dans la coopérative, précise encore Jean-Jacques. (mais il l’est déjà) un incontournable de la scène jazz belge.

Le rêve s’est transformé en succès. En janvier 2019, pour l’inaugu- www.openmusicjazzclub.be Open Music Jazz Club ration, on a dû installer un chapiteau sur la place car il y avait plus de 13, Place Ste Anne, 7780 Comines 800 personnes présentes.

Depuis l’ouverture, le club affiche pratiquement sold out à chaque concert. La jauge actuelle est de 150 à 160 places, ce qui n’est pas rien. L’esprit « coopérative » fonctionne à plein régime. Chaque membre paie sa place lors des concerts, insiste fièrement Jean- Jacques. L’ambiance est unique et chacun a son rôle, ses compétences, ses qualités. C’est cela qui fait notre force. Le résultat est donc à la hau- teur des espérances, voire même au-delà.

Quand on pénètre dans le club, un sentiment d’euphorie s’empare de vous. L’accueil est chaleureux et sans chichis et on s’y sent tout de suite chez soi. L’endroit est tout en longueur et offre immédia- tement une belle perspective sur la scène. Le bar – essentiel ! – est à l’entrée, tenu par des bénévoles aussi pros que des pros. Le long des murs, recouverts d’interminables planches de bois venues spé- cialement d’Allemagne et choisies autant pour l’esthétique que © Sham

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LES SORTIES

décoff rage, immédiate- albums en trio, a paru en 2017 Delta, en quar- ment intenses à l’image tett e. Fin 2018, la même formation s’est re- de Nightdreamer, plage d’intro sans… intro, trouvée au studio d’Alex Tassel, à Sarzeau, qui explose tout de dans le Morbihan, avant d’y retourner en sep- suite dans les oreilles. tembre de cett e année pour terminer le tra- Par-dessus, nos énervés vail. Gehenot et Tassel assurent la majorité jett ent ce voile noir des compos, mais, souvent, la seule et unique qu’on leur connaît. reprise est chargée de sens : I Remember Clif- Winter Woods Résultat : Alone, le genre ford de l’immense saxophoniste Benny Gol- Rosewood de musique sur laquelle Autoproduction on verrait bien la Sor- son, en hommage au non moins énorme cière Rouge de Game of trompett iste Cliff ord Brown, dont la carrière Un disque aussi cha-

Thrones accoucher de © DYOD a tourné court, à 25 ans, dans un accident de leureux que si l’on se sa prochaine créature retrouvait chez Mumford voiture. Il est donc clair que Cursiv est placé de l’enfer. Vivement la & Sons, avec lesquels Igor Gehenot sous le signe d’un hard bop actualisé, qui suite ! Winter Woods partage – DS Cursiv s’abandonne volontiers au swing. Sensation assurément le goût pour renforcée lorsque le quartette devient un IGLOO/JAZZ les jolies mélodies « clas- quintett e, classique du genre, avec l’adjonc- siques » soutenues par tion de David El Malek au sax ténor. Les tem- des instruments acous- t dire qu’il n’avait pas l’inspiration. pos lents, nostalgiques, méditatifs, sont la si- tiques – piano, guitare, contrebasse – et tradi- C’est ainsi, il arrive que ça ne gnature des albums du pianiste d’origine tionnels issus du folklore vienne pas… Et puis quoi, les en- liégeoise. Mais Cursiv recèle aussi des bril- américain de type banjo couragements d’Alex Tassel, l’air lances façon Michel Petrucciani (Fat Cat ou et violon. La voix du revigorant de la Bretagne, et le len- Hopeful), des joies presque enfantines à la lead vocal (Maximilien Houben & Son demain, il y eut un moment magique, Erik Satie (Julia). Comme quoi, on peut se re- Toussaint) fait parfois 7/7 on a pondu cinq compositions en un coup. C’est mett re magistralement d’une panne d’inspi- penser à Sam Smith Igloo Records comme ça, il arrive que ça arrive. Après deux ration. Il suffi t d’avoir The Faith. et il s’exprime dans un – D.Sim. anglais à l’accent impec- Rien de tel que l’entre- E cable : ces Namurois prise familiale pour n’auraient pas à rougir perpétuer, le savoir et sur la scène anglophone. la qualité. Chez Houben Ma track, il s’off re même stricte performance Romantiques à souhait, and Son, ce sont la les services du Français expérimentale, l’œuvre ces 14 (généreux) titres poésie et la musique Matt rach (Mathieu Rach- de Monolithe Noir sont sortis pile poil au que l’on cultive depuis majda), guitariste (et s’affi rme au croise- bon moment : balancez des années. 7/7 est youtubeur) renversant, ment de diverses quelques bûches dans la l’hommage du fi ls Greg, qui fait des covers de sources d’inspiration. cheminée, faites craquer trompett iste, au père PNL les doigts dans le À la fois percussive et le bois du rocking chair Steve, saxophoniste. nez (façon de parler) et ultra contemplative, la et détendez-vous. – FXD Ou vice-versa. Les deux accompagne Damso sur formule défendue par hommes ont écrit l’un Phasm sa tournée Lithopédion. l’électronicien se frott e Antoine Hénaut pour l’autre 10 titres Nihilisme Du lourd ! – DS notamment à la culture Par défaut d’une sincérité tou- BroodjeMusic folk en compagnie de la 30 Février/[PIAS] chante. Ces 10 morceaux fée Rozi Plain (l’excellent Étranger aux tendances, faits maison, façonnés Le mc et beatmaker Blinded Folded). Ailleurs, imperméable aux modes à la main, à l’ancienne opérant depuis BX (son nappes ambient et qui vont-et-viennent presque, oscillent entre Studio 87 et son Six rythmiques krautrock sur les réseaux sociaux, sourire et tendresse. Les O’Clock Gang), Adrien côtoient le chant envoû- Antoine Hénaut chante Houben, amoureux des Béhier (dans le civil) tant de Peter Broderick. ses combats ordinaires. belles harmonies et de boucle une année 2019 Proche de Nils Frahm, ce particulièrement proli- Entouré par des poules ASupernaut mélodies délicates, nous dernier prête sa voix à fi que avec un album bien pondeuses, un cheval, Morsure invitent à feuilleter un la mélodie intimiste de chargé. En atmosphères plusieurs chats et de Autoproduction album de famille presque Monolithe Noir By Twos. Hantée, véri- drôles d’oiseaux, l’ar- imaginaire, entre bop et comme en featurings, Moira tablement lancinante, tiste vit retiré dans son « It’s rock, it’s soul, it’s cool jazz, entre latino et au micro (Convok, Lord Kowtow Records la montée Valslava est, psychedelia and it’s pure Gasmique, K1D…) et aux hameau, loin de tout, à mélo. Si l’entreprise fonc- Adepte du synthétiseur quant à elle, portée love », affi chent les trois prods (Dee Eye, Chuki…). la campagne. Là-bas, au tionne aussi bien, c’est modulaire, ambassadeur par la voix de la Belge Bruxellois en guise de de- Glissée au beau milieu beau milieu des champs, qu’elle peut compter sur d’une musique élec- Elsie DX. En marge de vise. Et du love, il en faut de ce Nihilisme, la plage il s’interroge sur le temps des collaborateurs aussi tronique sans œillères, toutes ces camaraderies, toujours pour se lancer titulaire le voit rejoint, qui passe, tenaillé entre fi ables que créatifs : Antoine Pasqualini Monolithe Noir fantasme sans fi let. Cet album justement, par Lord l’âge adulte et une inter- Fabian Fiorini, au piano, opère sous le blase de un sublime générique quatre tracks sort en Gasmique et Dee Eye. minable adolescence. alterne les phrases Monolithe Noir. Le télévisuel (Amok) et eff et en autoproduction Imaginez un son entre Poète du quotidien, riantes et les soupirs em- cœur cramponné à ses déroule des trames totale (enregistrement, Ennio Morricone et John éternel romantique, bués de nostalgie, tandis machines, le Bruxellois instrumentales dotées mixage, distribution Carpenter, et vous com- Antoine Hénaut accorde que James Williams et dévoile aujourd’hui les d’une puissante dimen- digitale…) et porte bien prendrez qu’en matière ses bons mots à des Cédric Raymond sont contours de son nouvel sion cinématographique. son titre : un pied dans de trap, on tient avec chansons qui doivent des piliers solides d’une album. Moira malaxe les Soit une indéniable le punk, l’autre dans le Phasm un sérieux client, autant à Thomas Fersen cohésion sans faille. 7/7 matières synthétiques réussite. – NA métal, et au milieu… pas trop adepte de la qu’à Vincent Delerm. s’écouterait pratique- avec soin, justesse et quatre titres bruts de bluett e. Sur l’outro de Venu du cirque, le ment 24h/24. – JP amour. Au-delà de la

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LES SORTIES

Hennuyer cultive l’art Sampa du grand Caetano il accompagne le chanteur américain en tour- du spectacle et un goût Veloso et véritable hom- née aux quatre coins du monde. En Belgique, certain pour les allocu- mage à l’étrangeté de tions de Monsieur Loyal sa ville natale, le titre l’homme malaxe les ambiances psychédé- (Pain bénit). Plus sobre de cet album off re un liques, le blues et les improvisations jazz au qu’Arno, moins théâtral contexte radieux aux sein du groupe Dans Dans. Puis, quand son que Jacques Brel, le morceaux de Renato agenda ne déborde pas, il s’échappe en soli- chanteur met, lui aussi, Baccarat. De retour taire. À l’heure de signer son troisième album, sa belgitude en musique au bercail, ce dernier Lyenn a posé ses valises sur la terre des vol- via quelques airs de revisite ses souvenirs cans. Enregistré en Islande, au pied des gla- fanfare (Le copain) et d’enfance, semant des autres sorties de route mélodies douces-amères ciers, le nouveau Adri�t est assurément la parfaitement maîtri- entre son passé et la meilleure façon de commencer l’année. Les sées – un comble pour réalité d’une cité en huit titres de ce disque produit par Shahzad un garçon qui refuse perpétuelle évolution. Ismaily (Carla Bozulich, Colin Stetson) obstinément de passer De toute beauté. – NA plongent au cœur d’une pop sophistiquée et son permis de conduire. © Sébastien Forthomme Sébastien © mélancolique. À la fois minimalistes et lumi- Placé en fi n de parcours, neux, les arrangements off rent un contrepoint le magnifi que Jamais Lyenn toujours jongle avec des parfait à la voix hantée de Fred Lyenn. En vé- émotions contradic- Adrift ritable décorateur d’intérieur, le chanteur pare toires, rappelant au WASTEMYRECORDS ses mélodies de douceur et pose ses mots passage les grandes comme autant d’hommages aux âmes per- années de Mickey 3D. our certains musiciens, les journées dues. Car derrière le moindre beat, sous les En onze titres et un sont trop courtes, les nuits rare- lignes de basse et autres notes pianotées du morceau caché, l’album ment trop longues. Engagé dans bout des doigts, il y a du Jeff Buckley, du Mark Par défaut dévoile ainsi Nawaris ses nombreuses quali- Bach à Bagdad une impitoyable course contre la Hollis et du Nick Drake. Du repos éternel à la Homerecords tés. – NA montre, Fred Lyenn �lirte ainsi beauté infi nie, Lyenn ose le grand saut. Sans Après un premier album avec les limites du temps pour effet de manche ni grandiloquence, Adri�t qui racontait, d’une cer- concrétiser ses envies personnelles. C’est que s’ouvre une brèche, une ère post-Radiohead : taine manière, le voyage le Bruxellois donne beaucoup de lui-même un nouvel âge d’or, libérateur et contemplatif d’un homme fuyant aux autres. Bassiste att itré de Mark Lanegan, à mort. – NA la guerre pour arriver P en Belgique, le oudiste irakien Hussein Rassim imagine cett e-fois, avec ce Bach à Bagdad, sente att irent l’att ention. Plusieurs dépassent Renato Baccarat le voyage inverse, en le million, à l’instar du surpuissant Tout vient Deselegância Discreta quelque sorte. En mélan- d’Hollande. En 2018, il signe avec le label Red- Naff Rekordz geant, comme il sait si volution et décroche un contrat avec Corps et âme du groupe bien le faire, la musique RCA / Sony Music France. Adoubé par les ca- Utz, le chanteur Renato traditionnelle irakienne dors Alkpote et Fianso, poussé dans le dos par au jazz, à la musique Baccarat s’échappe son pote Damso, sur papier D.A.V. a tout pour en solitaire le temps baroque mais aussi à la musique des Balkans ou réussir. On savait D.A.V. fi dèle à un rap bru- d’un disque solaire. Né tal et sans fi oriture. Divergence confi rme et au Brésil, expatrié en de l’Inde, Hussein Ras- Belgique depuis plus sim s’invente un monde. précise. Passée l’intro, ParoVie place la barre de vingt ans, l’artiste Un monde apaisé, haut. Une prod’ carrée, marquée d’un gim- renoue aujourd’hui avec optimiste et insouciant mick entêtant et de l’empreinte de Damso en ses origines. Les neuf presque, qui se joue des mode automatique. Chaque Jour, plus écrit, adultes et de leurs fo- chansons de l’album épuré et autotuné, est du même acabit. Puis Deselegância Discreta lies. Entouré de Juliett e Lacroix, au violoncelle le ton monte. Vulgarité dans le barillet, ryth- parcourent en eff et miques taillées dans l’infrabasse et poings ser- des chemins tracés qui semble vouloir garder D.A.V. les pieds sur terre, des rés... Jack Miel dégaine, PDNVM GVNG ta- en d’autres temps par Divergence Chico Buarque ou Tom percussionnistes Saïf basse et Skunk (cf. Siboy) att este qu’on est dans REDVOLUTION Zé. Imaginé aux abords Al Qaisi, Ersoj Kazimov le vif du sujet. Sur District Fighter, la tension des pavés bruxellois, et Stephan Pougin qui monte et D.A.V. se fait artisan d’un son trap pimentent l’aventure enregistré le long des e regard planqué sous un bob qu’il ne moins couru de ce côté-ci de la frontière. À la et de Manuel Hermia au plages de São Paulo en quitt e jamais, ce MC d’origine congo- manière de Kalash Crimine. S’ensuit un dou- compagnie du produc- bansuri insaisissable, laise de 21 ans a fait ses armes dans blé schizophrénique avec Roméo Elvis : Para- teur Guilherme Kastrup Rassim est réellement (Bixiga 70, Gal Costa, porté dans son onirisme. le District 12 et s’est d’abord fait noïa, oasis pop dans un océan de kicks et d’up- Elza Soares), cet album Et lorsque Laurie Batis- connaître sous le blaze Shadow Kobi percuts, puis Hood, un retour dans le jardin réchauff e les oreilles ta, au chant, dépose ses One Kenobi ou celui de Découpeur de de D.A.V. où Roméo revêt un costume de Mé- en plein cœur de l’hiver. mélopées enivrantes ou Saint-Josse. Très att aché à ses racines, D.A.V. chant qui lui sied. Si la fi n s’égraine sur un ses chants poétiques, Traduit du portugais pose pour son quartier, représente pour la mode mineur, et si l’on aurait pu faire l’écono- on se dit qu’un monde au français, Desele- diaspora et fait claquer entre les rimes l’éten- mie de plusieurs des 15 titres servis, D.A.V. gância Discreta signifi e meilleur pourrait être L dard de Matongé. Dès 2016, une série de vi- signe un premier jet qui en impose. Il faudra « inélégance discrète ». possible. - JP Clin d’œil à la chanson déos freestyles baptisée #BruxellesJeRepré- dorénavant compter avec lui. – NC

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LES SORTIES

JAZZ LISTE Françoise Derissen, POURQUOI ? Cordes avides (Homerecords) Giuseppe Millaci & DES Vogue Trio, The Endless Way SORTIES (Hypnote Records) Écouter Jean-Paul Estiéve- nart Quintet feat. NOV. – DÉC. 2019 Logan Richard- ENVOYEZ-NOUS LA son, Strange Bird de la musique (Outhere/Outnote) DATE DE SORTIE DE State Of Time, VOS PRODUCTIONS. Bœuf in the basement Nous relaierons dans ces colonnes : (Orfena Music) dans le noir ? [email protected]

POP-ROCK CHANSON Expérience immersive et sensorielle, l’écoute des albums Black Moon Tape, Angèle, Brol, La Suite Hello Ghost (Freaksville dans le noir le plus complet est une marque de fabrique (Universal) Records/Nomad Eel Records) Arcadie, Entre deux Dario Mars, Flesh de l’Atelier 210. Pour tout comprendre, n’éteignez pas mondes (Autoproduction) (Granvia/[PIAS]) Charlie Lomond Domenico Solazzo, la lumière et lisez cet article jusqu’au bout. (EP), Tour Clovis Kino (Off ) (Autoproduction) Finger Lick, One Way NICOLAS ALSTEEN Va à la Plage, Boréal Ride (Autoproduction) (Autoproduction) Kürsk, 11° 33’ 00’ N (Nord) 92° 14’ 00’ E (Est) in d’année. Du côté d’Ett erbeek, le de nouveaux sons, des détails auxquels ils (Humpty Dumpty Records) public affl ue pour célébrer la 80e n’avaient jamais prêté att ention. CLASSIQUE - Loïc Nottet (EP), édition du cycle Blackout Session. CONTEMPORAIN Candy (Sony) Sarina Cohn, Curieux d’un jour et fans de tou- Le choix du disque écouté s’opère selon des cri- Beethoven, Sonates Premiere (Autoproduction) jours se retrouvent à l’Atelier 210 tères subjectifs, mais assumés. Le fi l rouge du nos 3, 6, 7 & 8 pour The Permanentz violon et piano, Lorenzo pour écouter Horses, l’album emblé- projet, c’est l’album en tant qu’œuvre cohérente, pen- (EP), This is fuck (Rockerill Gatt o, Julien Libeer Records/Belly Butt on Records) matique de Patt i Smith. Particularité du ren- sée de ses premières secondes à sa dernière minute. (Outhere/Alpha) Winter Woods, dez-vous ? Tout va se dérouler dans l’obscuri- Les Blackout Session s’appuient toujours sur le Giovanni Paolo Rosewood (Autoproduction) té la plus totale… Derrière ce projet, il y a l’envie format vinyle. Ce n’est pas du purisme de base, Colonna, O Splendida F Dies, Scherzi Musicali, de revenir au plaisir – tout simple – d’écouter un assure François Custers. C’est que le change- Nicolas Achten URBAIN-SOUL album dans son intégralité, explique François ment de face nous donne l’occasion de marquer (Outhere/Ricercar) Amis Terriens, Custers, directeur artistique de la salle de une pause, un moment où la lumière revient fur- IMEP Namur Clari- D’un Mot (Autoproduction) spectacle. À une époque où le format album tivement. Car être plongé dans le noir pendant une net Choir, Jean-Luc Anthony Lastella heure, ça peut être traumatisant. Certains Voltano, Philippe est supplanté par des clips diff usés sur les ré- & LeBobby, Clean seaux sociaux et autres écoutes de singles en souff rent de véritables pertes de repères. Se savoir Cuper, Calogero (Coudasse Prod) Palermo, Clarinett i Choolers Division, ligne, la Blackout Session entend remett re les à la moitié de la session, c’est rassurant. Avec le All’Opera (Cypres) Choolers Divison microsillons au goût du jour. Ou plutôt au temps, une véritable communauté s’est créée Purcell/Blow/ (Black Basset Records) cœur de la nuit. Car ici, tout se passe dans le autour de l’événement. Des gens débarquent Clarke/Kapsberger/ D.A.V, Divergence (Sony) Simpson/Lanier, ICO, Petit Con noir. Dans ce contexte, le corps réagit diff érem- même sans connaître le disque, assure le pro- An Englishman’s Ballad, (Squamour/Back in the Dayz) ment. Les sens sont aiguisés. Les oreilles se grammateur. Ils viennent parce qu’il s’agit d’un Jeff rey Thompson, Rizla, Mauvais Rêves tournent inévitablement vers les sons projetés. En contexte idéal pour découvrir de la musique. Cela (Autoproduction) Philippe Pierlot, ce sens, l’éveil à la musique est parfait. donne parfois lieu à des situations cocasses. Daniel Zapico (Flora) L’autre jour, un monsieur qui était délibérément WORLD-TRAD-FOLK L’aventure a commencé voici cinq ans avec venu écouter In A Silent Way de Miles Davis est ELECTRO Aboubakar Traoré Serge Gainsbourg et la fresque Histoire de Me- revenu par curiosité. À son retour, il a eu droit au & Balima, Tama Tama Feral Cities, Near lody Nelson. Chaque Blackout Session s’ouvre King For A Day de Faith No More. Il ne s’y att en- Strangers (Autoproduction) (Autoproduction) Luz Da Lua, avec une plongée dans l’histoire, une mise en dait pas. Mais ça ne l’a pas laissé indiff érent. Il en Galli, What If Illuminations (Homerecords) contexte présentée par Xavier Daive, l’insti- a retenu quelque chose. Sans le contexte et l’obscu- (Autoproduction) Tricycle, Zoom Macgray, Journey to gateur du projet. Quand mon père était ado, au rité, il n’aurait certainement jamais été au bout de (Aventura Musica) the Dawn (SiameSound/ début des années 1960, il se rendait au Théâtre cet album. Comme quoi, pour bien entendre, Katuktu Collective) Max Telaer, 2 Faces 140 avec des copains, raconte ce dernier. mieux vaut ne rien voir. (Muzik & Friends Records) Chaque mercredi après-midi, ils se retrouvaient Night Sky Pulse là-bas, dans la pénombre, pour écouter les der- (EP), Habitat Retrouvez nières sorties musicales sur de grosses enceintes. (Autoproduction) la liste complète Quadra 163 (EP), des sorties sur Bien des années plus tard, le fi ston se prend Spin Coaster au jeu : Je me plongeais dans le noir et j’écoutais (Elypsia Records) www.conseil delamusique.be att entivement un vinyle. Au fi l des écoutes, une idée fait son chemin : transposer l’expérience au sein de l’Atelier 210. Ici, on va prendre le temps d’écouter l’album de bout en bout, comme il a été imaginé. Dans le noir, certains perçoivent DR

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VUE DE FLANDRE

VUE DE FLANDRE Étranglée, la culture joue la carte explosive

Les mesures annoncées début novembre par le Ministre-président flamand, également en charge de la Culture, le NV-A Jan Jambon, relèvent d’avantage de la coupe sombre que de la simple économie budgétaire. L’annonce a fait l’effet d’une bombe. Les secteurs concernés tout comme la société civile se mobilisent. Résumé et commentaires en compagnie du directeur de l’AB (sur le départ) Dirk De Clippeleir et de Leen Laconte, directrice du réseau oKo, réseau d’acteurs du secteur artistique flamand.

VÉRONIQUE LAURENT DR

oncrètement, l’annonce faite pour aider les jeunes artistes, poursuit Dirk l’offre culturelle, en Flandre évidemment, mais par Jan Jambon touche 130 De Clippeleir, solidaire du secteur. Il pointe également à Bruxelles, tout comme son acces- organisations socio-cultu- surtout le côté peu adéquat du timing de sibilité, certaines salles pourraient répercuter relles dont le budget 2020 se l’annonce – à effet quasi immédiat, alors que la perte sur le prix du ticket, craint Leen La- voit rogné de 6%. 3% « seule- tous les budgets 2020 sont déjà bouclés. conte. ment » pour 7 institutions ins- tallées (Ancienne Belgique, Concertgebouw Pour Leen Laconte, cela fait des années que Début décembre, pour la première fois, se ré- Brugge, Antwerp Symphony Orchestra, de- le secteur culturel doit consentir à des efforts jouit Dirk De Clippeleir, une importante coa- CSingel, Kunstencentrum Vooruit, Kunst- budgétaires. Il faudrait que tous les secteurs lition d’acteurs du secteur culturel s’est unie, re- huis – Opera Ballet Vlaanderen, Vlaams soient touchés de façon équivalente. Pour toutes joignant fonctionnaires des services publics, Omroeporkest et le Kamerkoor). Second vo- une série de petits acteurs -clubs, petites struc- syndicats et acteurs de la société civile pour let : réduction de 60% des subsides alloués tures, producteurs classiques, ce sera beaucoup une riposte organisée. En réponse, Jan Jam- aux nouveaux projets qui passent de 8,47 plus difficile de compenser, voire impossible. Et bon invitait le secteur à répartir lui-même millions d’euros à 3,39 millions. Drastique? en région bruxelloise, pour certains bénéficiant ces économies ! Mais le débat dépasse désor- Ce budget diffère de toute façon grandement de différents subsides, c’est la double peine.Le mais la seule perspective économique : l’op- d’année en année...tempère Dirk De Clippe- Vlaams Brusselfonds par exemple, soit 5 position (Groen, sp.a et PTB-PVDA) a en- leir, il faut faire des économies ; il n’y a pas rai- millions d’euros en 2019, destiné à soutenir clenché la motion de «sonnette d’alarme». son que le secteur culturel n’y participe pas, divers domaines dont la culture, sera qua- Une procédure qui pourrait geler le projet ajoute le directeur de la structure musicale siment divisé par deux ; il avait permis à la de la majorité N-VA, CD&V et Open Vld dont 50% du public est francophone. Bruxel- salle de concert molenbeekoise, le VK, de pour risque de discrimination pour raisons lois et Wallons ont d’ailleurs montré leur poursuivre ses activités. Tom Bonte, direc- idéologiques et philosophiques. Elle rend ain- solidarité de façon virtuelle, en adoptant teur du KVS, Théâtre royal Flamand, si visible l’enjeu politique, un monde poli- le filtre jaune recouvrant à 60% leur photo confiait en novembre son inquiétude dans tique de droite contre un secteur culturel de profil Facebook. Le futur directeur de la presse face à la fragilisation encore ac- généralement associé à la gauche. Et pour- Bruzz explique que l’AB fonctionne à 80% crue des jeunes artistes. Ceux-ci seront par- rait empêcher le garrottage en règle de l’ap- sur recettes propres et la perte de 80.000 mi les premiers touchés par ces mesures port d’une culture plurielle et tournée vers euros, sur un budget de 13 millions, se com- prises sans aucune concertation. D’autres l’innovation. pensera sur les réserves. L’institution est conséquences? De possibles licenciements, une machine à soutenir l’émergence. La struc- éventuelles fermetures, etc. Ce qui réduira ture possède d’autres moyens que financiers automatiquement la richesse et la diversité de

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L’INTERVIEW INDISCRÈTE L’INTERVIEW INDISCRÈTE Chez Müholos

Imaginez le Robbie de La planète interdite inspiré par le disco et les expériences de l’atelier radiophonique de la BBC… Cette électronique rétrofuturiste s’écoute en live ou at home. L’album estampillé Freaksville, produit par David Chazam (un proche du pionnier Jean-Jacques Perrey), arrive sous peu sur les plateformes, le vinyle étant pour mars. Côté scène, on est au-delà du spectacle car mesdames et messieurs, le Docteur Alfred Müller alias Müholos vit dans une dimension parallèle. Pour y voir clair, une enquête s’imposait, façon Fiat Lux. Et c’est à Liège, dans un bar

© Florence E. en Féronstrée, qu’on a retrouvé l’une des « petites mains » dudit Müller. Bonnet aux couleurs de l’équipe de foot des Pays-Bas enfoncé sur le crâne (toursiveux camouflage !), l’individu nous a confié les photos des objets sélectionnés par son maître. Et un gsm, seul médium pour joindre ce dernier.

DIDIER STIERS DR DR DR

MÉTHODE CONTRE L’INSOMNIE, LE WERSIMATIC CX2 UN BANC DE PHOTONS DE DOMINIQUE WEBB À partir des années 70, la technologie se dé- Un grossissement à très, très haute échelle C’est un gars sympa que j’ai rencontré dans veloppant, j’ai commencé à concevoir des ap- des photons ondulatoires. Là, ce qui est amu- les années 60 et eu comme stagiaire quand pareils qui, même s’ils avaient encore besoin sant, c’est qu’on est à la marge des spectres je travaillais à l’établissement des théories d’un opérateur humain, pouvaient déjà dis- sonore et visuel. En fonction de l’appareillage et des ondes supranormales, et des effets sur séminer le bénéfice de l’ondothérapie ondu- scientifique utilisé, on peut choisir de faire la psyché, l’humain et les tissus. Il suivait latoire. Ce qui nous amène à celui qu’on voit apparaître ces structures. En écoutant Müh- ça avec intérêt, mais avait quand même déjà ici, clairement à destination musicale et sorti olos, on peut voir ces dessins apparaissant une petite carrière de magicien et était at- au début des années 80. Dix ans auparavant, dans l’air. Ils sont toujours là, pas forcément tiré par le côté un peu sensationnaliste de je m’étais retranché dans mon Allemagne na- en version lumineuse : ici, ils ont été un peu l’affaire. Il travaillait le soir à une petite pro- tale, et je cherchais d’autres domaines où trou- colorisés artificiellement. Mais on touche là, duction musicale, qu’il m’avait fait écouter : ver non pas une reconnaissance de la réalité en tout cas, à la vérité ondulatoire, celle qui c’était pas mal intéressant mais ça restait de mes travaux mais un moyen de diffuser de va vous apporter le salut. Il serait peut-être quand même de l’illusionnisme. J’ai modi- manière plus large les bénéfices de l’ondulo- bon de rappeler que nous faisons tout ça pour fié légèrement ses bandes en incluant les thérapie. Sur fonds propres, j’ai réussi à ras- la science et le bonheur de l’humanité d’abord. prémisses de la technologie que je dévelop- sembler une petite équipe qui travaillait sur On notera à cet égard que les entrées en pais à l’époque. Sous ce couvert, ce disque un appareil destiné aux hôpitaux, mais dont scène du robot ont toujours quelque chose renferme déjà un peu de la vérité et une ver- j’ai dû ensuite me séparer au moment de ma d’éminemment spirituel, à la manière de sion préliminaire des ondes supra nor- dépression. Eux ont rajouté des touches en Moïse s’apprêtant à fendre la Mer Rouge. males, mais il a déjà un effet assez positif façade pour faire passer ça pour un appareil Ainsi en août dernier, son apparition au Mi- sur le conscient et l’humain… En même musical normal et l’ont sorti sous l’appellation cro Festival a eu selon le flyer de la Müller temps, c’est un bon souvenir de l’époque de « groovebox ». Ça a renforcé en tout cas mon Corp. des effets instantanés, faisant gagner au précédant ma dépression ; vous n’êtes pas idée d’aller encore plus loin dans la maximi- vivant des années de vie supplémentaire, de la sans savoir que j’ai eu beaucoup de mal à sation. Müholos doit apporter de façon auto- joie et du bien-être. faire reconnaître mes recherches par la nome la vérité bienfaisante partout où il peut communauté scientifique… se rendre.

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C’ÉTAIT LE…

C’était le 2 AVRIL 1991

Dans ce numéro, ce genre affi chant Rewind ! Début 90's, aujourd'hui), En 2020, ils portent Le présent article Larsen s’interroge plus de cent coup de fraîcheur sur qui déboulaient d'autres noms et est reproduit sur le présent printemps au le jazz... ce sont les sur les scènes s'appellent Antoine avec l’autorisation du jazz et sur ceux compteur Michel Massot, du Royaume ! Pierre - Urbex, Yôkaï, de l’Éditeur, tous qui animent les (lire notre article Fabrizio Cassol et Et Le Soir commen- Echt ! ... soyez droits réservés. nouveaux horizons en p.22-23). autres Ivan Paduart çait à s'intéresser curieux ! (Le Soir - auteur : qui s’ouvrent devant (toujours bien actifs à eux. Thierry Coljon)

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Marble Sounds Cycle Concert Intimiste Me 15.01.2020 - 20h30

Ghalia Volt The BluesBones Cycle Blues on the dance fl oor Cycle Blues on the dance fl oor Sa 01.02.2020 - 20h30 Sa 01.02.2020 - 20h30

Jawhar Catharsis Quintet Cycle Concert Intimiste Concert Jazz Me 05.02.2020 - 20h30 Sa 08.02.2020 - 20h30

Ebbène Cycle Concert Intimiste Me 04.03.2020 - 20h30 Éd.responsable: R. van Breugel – 93, av. Thielemans – 1150 Bruxelles Thielemans – 1150 Éd.responsable: R. van Breugel – 93, av.

Centre culturel de Woluwe-Saint-Pierre - Av. Charles Thielemans, 93 - 1150 BXL JANVIER, FÉVRIER–2020 • LARSEN Réservation : Tél. : 02/773.05.88 - whalll.be