Université Jean Moulin Lyon 3

Ecole doctorale : Lettres, langues, linguistique et arts (LLLA) Institut d'études transtextuelles et transculturelles

L’industrie musicale en Chine au début e du XXI siècle

par Christophe HISQUIN

Thèse de doctorat d’études de l'Asie et ses diasporas

sous la direction de Gregory B. LEE

soutenue le 27 octobre 2008

Composition du jury : Gregory B. LEE, professeur à l’université Jean Moulin Lyon 3 Siyan JIN, professeure à l’université d'Artois Andreas STEEN, professeur à l’université d'Aarhus (Danemark) Remerciements

Mes remerciements vont tout d'abord à Gregory B. Lee qui m'a encouragé et orienté tout au long de mes travaux.

Gratitude aussi à Taoxin, professeur au conservatoire de musique de

Shanghai, qui, par son ouverture d'esprit et son perfectionnisme, m'a apporté des avis précieux pour mieux comprendre la pensée chinoise.

Merci à mes amis artistes de France et de Chine Populaire pour m'avoir

éclairé sur quelques aspects du monde musical.

Je n'oublie pas non plus l'aide technique que m'a apportée Mélanie Hisquin lors de la rédaction et la relecture de ma thèse.

Enfin, merci à ces deux champs d'études que sont la Musique et la Chine pour m'avoir donné et me donner encore tant de plaisir et de beaux projets d'avenir.

2 已有的事,后必再有。已行的事,后必再行。日光之下,并无新事 。

Ce qui est arrivé arrivera encore. Ce qui a été fait se fera encore, rien de nouveau ne se produit sur la terre.

La Bible, Traduite de l'hébreu et du grec en français courant avec les

Livres Deutérocanoniques de la Traduction Œcuménique de la Bible

(TOB) « Livre de l’Ecclésiaste », Chapitre 1, verset 9.

3 Avertissements

Les guillemets français (« … ») sont utilisés pour reprendre des phrases ou expressions d'auteurs cités textuellement dans la thèse.

Les guillemets anglais ("…") sont employés pour les expressions ayant un sens particulier dans le contexte.

L'italique est utilisé pour les mots et expressions traduites (la transcription du chinois ainsi que les mots anglais).

4 Table des matières

L’INDUSTRIE MUSICALE EN CHINE AU DEBUT DU XXIEME SIECLE ...... 1

REMERCIEMENTS ...... 2

AVERTISSEMENTS...... 4

TABLE DES MATIERES ...... 5

PREFACE ...... 9

INTRODUCTION ...... 11

I. LE SON ET SON SENS EN CHINE AU XXIEME SIECLE...... 14

1. LE SON, LA SITUATION ECONOMIQUE ET L’INFLUENCE CULTURELLE...... 14

2. LE FORMAT MUSICAL INTERNATIONAL ET LE PARTICULARISME SONORE CHINOIS...... 26

3. LA LANGUE CHINOISE ET SON SENS DANS LE SON ...... 42

4. L’INFLUENCE DE LA LANGUE ANGLAISE DANS LE SON CHINOIS...... 43

5. L’INFLUENCE DE HONG-KONG,TAIWAN ET MACAO DANS LE SON CHINOIS...... 46

II. LIEN ENTRE LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET L’EVOLUTION DE L’INDUSTRIE MUSICALE...... 50

1. STRUCTURE ECONOMIQUE DE L’INDUSTRIE MUSICALE CHINOISE ...... 50

2. LE CLIP VIDEO...... 69

3. INDUSTRIE MUSICALE, CLIP VIDEO ET JEUNESSE CHINOISE...... 80

4. STRUCTURE DE LA TELEVISION EN CHINE...... 88

5. LE MESSAGE DE LA TELEVISION EN CHINE, ET LA MUSIQUE ...... 92

6. ARTISTES ET TELEVISION ...... 104

7. LA LITTERATURE DE L’INDUSTRIE MUSICALE...... 112

5 8. INDUSTRIE MUSICALE ET MONDE DE LA NUIT ...... 119

9. INDUSTRIE MUSICALE ET ROMANTISME ...... 127

III. LA NOTORIETE ...... 131

1. HISTORIQUE ...... 132

2. SOCIOLOGIE DE LA NOTORIETE...... 142

3. PSYCHOLOGIE DE LA NOTORIETE ...... 147

4. LA NOTORIETE EN CHINE ...... 156

5. L’HOMME BLANC ET LA NOTORIETE EN CHINE ...... 174

IV. LA MUSIQUE EST-ELLE PROPHETIQUE SUR LE PLAN SOCIOPOLITIQUE EN CHINE ? ...... 178

1. LA METHODE D’ANALYSE...... 178

2. LA MUSIQUE CHINOISE ET SES PERIODES HISTORIQUES TRADITIONNELLES...... 182

3. LA MUSIQUE ET LE SACRIFICE EN CHINE...... 185 a. La fonction première de la musique ...... 185 b. Le moment historique et le son chinois ...... 190 c. Conclusion...... 202

4. LA MUSIQUE ET LA REPRESENTATION ...... 204 a. Développement historique, sociologique et culturel...... 204 b. Conclusion...... 221

5. LA MUSIQUE ET LA REPETITION ...... 222

6. LA MUSIQUE ET LA COMPOSITION ...... 227 a. Développement...... 227 b. Conclusion...... 251

V. CONCLUSION GENERALE...... 252

VI. ANNEXES ...... 255

1. ANNEXE NUMERO UN...... 255

2. ANNEXE NUMERO DEUX ...... 266

6 3. ANNEXE NUMERO TROIS ...... 269

4. ANNEXE NUMERO QUATRE ...... 272

5. ANNEXE NUMERO CINQ...... 273

6. ANNEXE NUMERO SIX ...... 276

7. ANNEXE NUMERO SEPT...... 279

8. ANNEXE NUMERO HUIT ...... 283

9. ANNEXE NUMERO NEUF...... 287

10. ANNEXE NUMERO DIX ...... 291

11. ANNEXE NUMERO ONZE ...... 292

12. ANNEXE NUMERO DOUZE ...... 297

13. ANNEXE NUMERO TREIZE ...... 298

14. ANNEXE NUMERO QUATORZE ...... 304

15. ANNEXE NUMERO QUINZE ...... 306

16. ANNEXE NUMERO SEIZE ...... 308

17. ANNEXE NUMERO DIX-SEPT...... 309

18. ANNEXE NUMERO DIX-HUIT...... 311

19. ANNEXE NUMERO DIX-NEUF...... 314

20. ANNEXE NUMERO VINGT ...... 315

21. ANNEXE NUMERO VINGT-ET-UN ...... 318

22. ANNEXE NUMERO-VINGT-DEUX ...... 319

23. ANNEXE NUMERO VINGT-TROIS...... 321

24. ANNEXE NUMERO VINGT-QUATRE...... 326

VII. GLOSSAIRE DES TERMES CHINOIS ...... 331

VIII. BIBLIOGRAPHIE ...... 336

1. OUVRAGES EN FRANÇAIS...... 336

2. OUVRAGES EN ANGLAIS ...... 341

7 3. 中文参考书 OUVRAGES EN CHINOIS ...... 347

4. MAGAZINES...... 351

5. MONOGRAPHIES ...... 352

6. DICTIONNAIRES ET ENCYCLOPÉDIES...... 353

7. CONFERENCES ...... 354

8. ALBUMS,CLIPS,INTERVIEWS, DOCUMENTS AUTRES ...... 354

9. SITES WEB...... 356

10. PROFESSIONNELS DE LA MUSIQUE ET DU SHOW BUSINESS RENCONTRES TOUT AU LONG

DE L'ETUDE MENEE...... 360 a. Musiciens :...... 360 b. Directeurs artistiques: ...... 361 c. Maisons de Disques et autres : ...... 361

8 Préface

La thèse de doctorat qui suit est le fruit d’une part de recherches universitaires menées entre septembre 2003 et septembre 2006 à l’Université Jean Moulin Lyon 3 ainsi qu’au Conservatoire de musique de

Shanghai, et d’autre part de mon expérience empirique, tant mes activités artistiques en République Populaire de Chine entre 2000 et 2007 ont pu m’éclairer sur le fonctionnement de l’industrie du show business dans l’Empire du Milieu et l’idéologie qui la sous-tend. Mes recherches, initiées lors d'un mémoire de Diplôme d'Etudes Approfondies (DEA) dédié à la

ème production de musique Pop Rock en Chine à la fin du XX siècle m'ont permis d'amorcer la structuration de ma pensée et de ma critique socio- musicologique.1

A la fois acteur et analyste d’un monde musical qui est en mutation constante au niveau global, et dont les caractéristiques varient d'un endroit

à un autre, d'un centre culturel à un autre, et ce même à l'intérieur d'un espace géographique délimité par des frontières, j'ai tenté de restituer un

état scientifique de l'industrie musicale en Chine. Auditeur, spectateur, compositeur, interprète, critique, fan, idole, "étranger français" en Chine,

"presque chinois" en Europe, toujours passionné, je me devais de passer par tous ces états pour comprendre la musique et son fonctionnement par

1 Christophe Hisquin, La production de disque pop rock en Chine à la fin du XXème siècle,

Mémoire de DEA Langues et Identités Culturelles, Université Lyon 3 Jean-Moulin, 2003.

9 rapport aux sociétés créées par les humains. J'ai essayé de ne pas me laisser piéger par la pure description artistique et technique de la musique, passionnante, mais qui m'aurait éloigné de mon objectif principal.

Cette thèse utilise la musique, j’entends par là toute production musicale de l’industrie du disque, le spectacle vivant et tous les moyens modernes de promotion de la musique, pour tenter de mieux comprendre la société chinoise.

Alors que les deux premières parties cherchent à montrer comment l’industrie musicale chinoise produit la musique à notre époque et comment la notoriété interagit à l’intérieur même de la société chinoise, la dernière partie quant à elle s’appuie sur la réflexion de Jacques Attali qui présente la musique comme prophète des changements sociopolitiques. Dans l’objectif de vérifier si cette direction peut mener quelque part en sinologie, je me suis livré à un petit historique de la musique en Chine pour tenter de comprendre les liens entre cette expression humaine et la succession des pouvoirs dans cette partie du globe.

Même si j’ai essayé de donner une description et une analyse du monde de

ème la musique en Chine au début du XXI siècle des plus scientifiques possibles, je suis toutefois influencé par ma vision romantique et colonialiste de la Chine, les orientations des ouvrages consultés, les écoles de pensées de mon directeur de recherche et des musicologues chinois qui m’ont éclairé chacun à sa manière.

10 Introduction

Face à la modernité et à tout ce que cette notion emporte comme conditions et obligations, l'Empire du Milieu se voit confronté à la marchandisation, au consumérisme et aux logiques capitalistes. Le chaos idéologique de l'après-Mao est comblé au moment de la rédaction de cette thèse par la fièvre acheteuse venue d'Occident, les rêves matérialistes et une formidable envie de pouvoir économique.

ème C'est dans ce contexte effervescent du début du XXI siècle que le monde de la musique occupe une place toute particulière : celle de médiateur entre le pouvoir dominant et le peuple chinois. A la fois outil de manipulation politique, consumériste et sentimentale, la musique est propagée dans une large mesure par des objets techniques sans vie tels que la télévision et la radio. La production musicale est peaufinée pour sa présentation au public : son standardisé, explosion de la publicité depuis le début des années quatre-vingts et utilisation de matériels et de savoir-faire pointus, fruits de la culture « digitale » ou numérique. Les mélodies susurrant une nouvelle idéologie sont partout. Leurs ambassadeurs sont idolâtrés comme de nouveaux messies, porteurs d'un évangile novateur, ou en termes moins occidentaux, leurs sages sont vénérés comme de nouveaux héros, transmetteurs d’une tradition plurimillénaire.

La musique apaise l'âme. L'émotion musicale canalise la violence sociale.

La musique permet aussi de s'auto-canaliser. La musique est architecturée par la pensée humaine, imaginée par la virtualité puis reproduite dans la

11 réalité sonore. La musique revêt une dimension divine et spirituelle. Comme les esprits des différentes croyances religieuses et l’esprit de l’homme, elle est impalpable et invisible. Depuis le début de l’humanité et la formation des différentes cultures, la musique est l’alliée du pouvoir. La musique et sa marchandisation peuvent-elle jouer ce rôle politique de contrôle d'un milliard trois cent mille personnes ? Quelles musiques peuvent prétendre unifier un pays dont les disparités géographiques, ethniques et économiques sont probablement les plus importantes au monde, ou en tout cas en sauvegarder l'ordre ?

Si les Etats-Unis, dans les années 1980, en pleine guerre froide ont, grâce entre autres aux tubes musicaux qui s'infiltraient dans les pays de l'ex-bloc de l'Est, contribué, avec plus d'habileté que n'importe quel agent secret des services d'espionnage, à la chute du régime soviétique en propageant l'idéologie capitaliste libérale d'une manière douce mais efficace, est-ce qu'on peut s'attendre à ce que le même phénomène se produise dans l'Empire du Milieu, d'autant plus qu'à première vue la Chine n'est pas en

"guerre" avec l'Ouest et qu'il semblerait n'y avoir aucune barrière à

"l’échange culturel" mis en place par les différents gouvernements?2 Tout

2 La CCTV ( Central Television) possède de nombreuses émissions dédiées aux

échanges économiques, culturels et sportifs. Les plus influentes sont les différentes compétitions de culture chinoise organisée pour les étrangers par la CCTC 3 et la CCTV 4.

En outre, les années croisées France Chine en 2004 et 2005 montrent la volonté de rapprochement des deux pays et de leurs gouvernements.

12 est prétexte à la modernisation, vécue comme une étape pour accomplir un monde sinisé, civilisé, optimisé.

13 I. LE SON ET SON SENS EN CHINE AU XXIEME SIECLE

1. Le son, la situation économique et l’influence

culturelle

C’est bien à travers l'industrie musicale, ce créneau apparemment

inoffensif et sans importance stratégique, que la Chine va être confrontée

dans une certaine mesure à la pensée, la culture et la vision des choses du

mode de vie capitaliste et libéral venu d’Occident. En s’appuyant sur l’esprit

des théories sociologiques interprétatives qui permettent d'établir comment

l'art prend du sens dans les sociétés, ainsi que sur les théories

postmodernistes qui fournissent une amplitude de recherche plus large en

utilisant des outils ou méthodes de travail différents suivant le cas étudié,

on constate que la musique, devenu produit à écouter égoïstement,

individuellement et à la fréquence désirée par le mélomane, favorise, tant

dans ses manières de la consommer que dans son message intrinsèque,

cet idéal individualiste qui a pris naissance et s’est développé en Europe

ème ème aux XVII et XVIII siècles à travers la révolution copernicienne,

fondement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen

proclamée lors de la Révolution française de 1789.3

3 Alain Laurent, Histoire de l’individualisme Que sais- je ?, Paris, Presse Universitaire de

France, 1993, p.41.

14 La musique renvoie à « la triple dimension de toute création humaine », à savoir « la jouissance du créateur, la jubilation du spectateur et la source de pouvoir du messager ». L’auteur-compositeur-interprète peut, par l’utilisation individuelle des nouvelles technologies, remplir lui-même ces trois fonctions. 4 Un individualisme ultime. Un format qui synthétise la création de l’homme mais qui reste musique, et en Chine, « véritable relation entre le son et le sens ».5 L’homme-orchestre moderne utilise les machines technologiques qui lui permettent de se libérer les mains, les pieds et de déléguer la synchronisation cérébrale. L’Europe qui désire tant améliorer ses capacités de production lors de la révolution industrielle amorcée en Angleterre, met tous ses efforts et son génie dans l’invention de nouvelles technologies de substitution de l’effort humain. Les leaders du pays populeux qu’est la Chine ne verront en cette nécessité technologique rien d’avantageux et tenteront de rivaliser avec les grandes puissances du

ème XX siècle à la seule force de leurs bras. Un échec. Musicalement aussi.

La technologie transforme les manières de diffuser et d’écouter la musique, modifie les priorités (son-mélodie entre autres), révèle les musiques au monde.

Le son (la sensation auditive engendrée par une onde acoustique), le bruit

(toute sensation auditive désagréable ou gênante), la musique

4 Jacques Attali, Bruits, Presses Universitaires de France, Paris, Fayard, 2001, p.19.

5 François Picard, La musique chinoise, Paris, Editions You Feng, 2003, p.86.

15 (organisation esthétique des sons) comme moyens de communication ont des frontières très floues. Pour le bruit, on parlera de décibels, pour la musique, de notes. « La quantité esthétique attribué à un son relève de la sensibilité de chacun », ainsi le son produit porte un sens différent suivant les personnes ou les cultures et le même sens peut être désigné par différents sons, suivant qui le perçoit et où il est perçu. 6 Ces caractéristiques semblent immuables, cependant le son tend à se globaliser et les sons entendus aux quatre coins du monde signifient de plus en plus les mêmes choses. La maitrise du son, du bruit et de la musique dans les espaces est indispensable pour la bonne gestion des sociétés par les différents pouvoirs qui les régissent. Connaître la musique à diffuser et savoir comment l’auditeur va la percevoir permet d’orienter les sentiments, les actes d’achats, les choix politiques et religieux.

Entrer dans la course capitaliste, c’est accepter les règles du jeu établies par ses concepteurs. De fait, la Chine se heurte sans vraiment s’en rendre compte ni le reconnaître totalement à cette notion essentielle de la pensée occidentale : l’individualisme. Ce modèle de civilisation individualiste des mœurs, propre à l'Occident, construit un « individu autonome qui tend à s'affranchir du contrôle social communautaire », d'où « une augmentation de la privatisation, une augmentation de l'indépendance individuelle dans le

6 Marcel Val, Acoustique et musique, rencontre entre l’architecture et le monde musical,

Paris, Dunod, 2002, p.38.

16 cadre d'une sphère privée ». 7 La culture de soi, l’être cosmopolite, l’hédoniste, soucieux de singularité et aimant le risque, le dandysme, la supériorité aristocratique de la pensée, le libertinage, le sybaritisme, autant de caractéristiques qui mènent à l’individu libre du courant de pensée qui s’est développé en Europe, puis aux Etats-Unis de manière plus extrême encore. Le dandy moderne occidental est décrit en Chine en 2004 avec les termes à la mode, en vogue, par le biais de ses ambassadeurs (David

Beckham ou David Bowie par exemple) ses photos et sa morale. Le lecteur chinois peut lire dans un magazine comme the « Outlook magasine » des séries d’articles qui traitent de cette notion de métrosexualité.8

7 Laurent, Histoire de l’individualisme, p.41.

8 今天在上海,北京,香港,广州,台北,这些深受全球化影响的华文城市,愈来愈多年轻

一族,打扮得看来性别,性向模糊。一种渐成时尚趋势的 Metrosexual 一族 是男的,异性恋

者。是一种生活模式。Metrosexual 现象在华文地区出现,除了是资本主义全球欧美化的影

响外,也展现了年轻一代对中国文化中根深蒂固的禁欲主义。这是文化现

象。 « Metrosexual Xinxing nan langchao 新型男浪潮 » (Métrosexuel ,le nouveau courant masculin), Outlook Magasine, 2002 年 10 月 29 号。

Aujourd'hui à Shanghai, à Pékin, à Hong Kong, à Taipei, des villes qui reçoivent de plein fouet les influences de la globalisation, de plus en plus de jeunes gens, à travers leur choix vestimentaire jettent un flou sur leur sexualité. L'un de ces styles est appelé métrosexuel. Il s'agit d'une manière de vivre. Celle-ci est apparue dans les villes et, en dehors de l'influence apportée par le globalisme capitaliste occidental, cette mode reflète une volonté contraire à la culture traditionnelle chinoise. Il s'agit d'un phénomène culturel,

17 Le dandysme moderne, incarné par les métrosexuels, est aussi difficile à définir pour un Chinois que l’est la britpop pour un non Anglo-Saxon puisque le dandysme trouve ses racines en France et que la « pop music » est née aux Etats-Unis et en Angleterre. De fait, toute tentative de description ou de définition ne s’approche qu’imparfaitement du concept original et ne permet pas de comprendre en profondeur l’essence et la matrice de la notion définie. Les Chinois sont donc confrontés à cette conception nouvelle de l’homme qui prend soin de lui, qui veut plaire à la société citadine d'une certaine manière. Alors que, en Europe, la notion de

ème « métrosexualité » a eu le temps de mûrir depuis le XV siècle, la Chine, elle, doit revêtir ce genre d’« attitude distinguée » alors qu’elle n’a pas encore vraiment admis ou compris les exigences occidentales requises pour entrer dans le cercle très fermé de la "civilisation" et ainsi être considérée comme une nation globalement civilisée en « marchant (elle- même ) avec la civilisation ».9

« Metrosexual Xinxing nan langchao 新型 男 浪 潮 » (Métrosexuel, le nouveau courant masculin), Magasine Outlook, 29 septembre 2002.

9 « Marchons avec la Civilisation (Yu wenming tongxing 与文明同行) », inscription dans le métro de Shanghai, 2005.

18 Le caractère wen 文 signifie "tatouage", "symbole", "rênes", mais aussi

"écriture".10 Très tôt, dans le livre des mutations, le Yijing 易经 (écrit il y a

3500 ans) la notion de culture wenhua 文化 se définit comme « un moyen non restrictif utilisé pour inciter la population à accepter un ordre social

établi ». 11 Promue dans une large mesure par les artistes, la notion de culture prend la forme d’une construction de la civilisation, l’ordre social qui résulte des pratiques culturelles. 12 En Chine, la vision de la culture est monistique. Si la musique yue 乐 fait partie des cinq valeurs de la culture chinoise (les quatre autres étant les rites li 礼,les règles dianzhang 典章, les systèmes zhidu 制度 et le patrimoine culturel wenwu 文物), c’est que les poèmes contiennent des modes de pensées et des sentiments calculés et permettent, tant dans leur contenu que dans l’influence pénétrante qu’ils peuvent avoir sur les humains « d’améliorer les coutumes de la Chine et la conduite des Chinois en accord avec les saints principes qui provoqueront leur admiration, dans un objectif d’expansion de la culture chinoise pour

10 Ping He, China's Search for Modernity, Great Britain, Palgrave Mac Millan, 2002, p.74.

11 He, China’s Search for Modernity, p.75. « non coercive way of making people accept an established social order »

12 He, China’s Search for Modernity, p.76.

19 pacifier les peuples proches des frontières de l’Empire».13 On constate au

ème XXI siècle que les paroles du poète Wang Yong des Qi du Sud, Nanqi 南

齐(550 à 577 de notre ère), s’avèrent illusoires étant donné que les moyens d’expansion de la culture et de la civilisation d’un espace géographique repose sur d’autres facteurs, plus économiques et autoritaires.14 Dans ce domaine, l’Europe, par sa politique colonialiste, agressive, a véritablement permis l’expansion de sa culture et de ses modes de pensées.

En ce qui concerne la métrosexualité dont nous avons parlé plus haut, le point important, me semble-t-il, est que cette notion est une "étape avancée" de la civilisation occidentale, basée sur les codes sociaux occidentaux puiqu’elle prône une certaine supériorité aristocratique de l’apparence et de l’appartenance à une classe sociale citadine et relativement cultivée. Il s’agit d’un peaufinement de la notion de civilisation, un détail supplémentaire de la culture occidentale. Il est donc difficile d’admettre pour l’Occident que la Chine puisse digérer la modernité d’une autre manière que nous la connaissons dans les sociétés avancées. Cette modernité chérie par ses inventeurs porte l’empreinte de l’Occident qui, comme il protège ses textes et ses chansons d’une utilisation abusive par

13 « ameliorate our customs and conduct in accordance with the holy principles so that it will be admired ; to spread our culture so as to pacify the people in the peripheral areas »

14 He, China’s Search for Modernity, p.76.

20 l’autre, voudrait imposer des règles d’utilisation de toutes notions modernes et, s'il le pouvait réclamer un tribut, "un droit d’auteur".

L’observateur étranger sera obligé de se rendre à l’évidence : les citadins chinois prennent soin d’eux-mêmes. Il semblerait même que les salles de sport et les produits de beauté pour hommes n’aient jamais si bien fonctionné. L’appropriation de lieux sociaux ainsi que d’habitudes nouvelles transforme la société chinoise dans son ensemble et ne manque pas de créer un écart entre les populations citadine et rurale. Ainsi, les parcs où les chinois allaient traditionnellement faire des exercices physiques sont remplacés dans une grande mesure par les salles de sport modernes.

Même si, dans les parcs, toutes sortes de musiques comme le rock, la pop, le jazz, la valse ou la samba, sont utilisées par les Chinois pour accompagner les différentes activités artistiques ou sportives, ces musiques sont interprétées par la vision culturelle et chorégraphique que les auditeurs en font. Il me semble que, dans ce cas, la conscience collective chinoise sera peu influencée par la musique et les idéologies occidentales. Dans les installations modernes qui attirent de plus en plus une population jeune et aux revenus élevés, la présence de machines individuelles combinée à une musique purement occidentale largement diffusée par une acoustique professionnelle limite l’échange humain qui avait lieu plus facilement dans les parcs publics. Ainsi, la pénétration idéologique et culturelle se fait d’une manière plus radicale que dans le premier schéma, où elle est très limitée.

Méfiez-vous particulièrement de ceux qui se bornent à une pratique exclusivement physique. Ce ne sont que des gymnastes. Là où il faudrait entendre parler des échanges harmonieux entre le Ciel et la Terre, la création et la production, ils ne parlent que d’organes et de mouvements

21 viscéraux. Les immortels des temps jadis ont bien utilisé ces pratiques mais ils ne se limitaient pas à la seule notion du physique. Leur esprit n’était pas étroit. Libre à vous de vous enliser dans cette voie restreinte et sans issue en suivant des enseignements limités par la contrainte de la matière, de la structure et de la forme. 15

En matière sociale, le désir occidental d’isoler la « haute culture » de la culture populaire peut se réaliser à travers la musique. La classe supérieure entretient « un désir élitiste pour un corps prestigieux de culture qui fixe leurs valeurs comme des vérités universelles de même que le développement du matérialisme et du capitaliste industriel a aidé au développement d’une idéologie d’autonomie esthétique, le problème de l’autorité trouve donc une solution idéale puisque les pratiques culturelles affirment la supériorité ».16 Cette "supériorité naturelle" traduite par le style de musique écoutée prend une dimension globale lorsqu’elle transcende les frontières pour imposer son arrogance aux musiques du monde, locales, exotiques. Ainsi, la musique classique occidentale prévaut sur la musique populaire occidentale et la musique classique exotique, tandis que la musique populaire occidentale l'emporte sur la musique populaire du tiers- monde. Cette notion de supériorité créée par l'appartenance à un groupe d'auditeurs va de pair avec l'idéologie occidentale d'une société élitiste et individualiste. Le son choisi par les consommateurs de musique favorise une certitude d'écouter le "haut de gamme", la "musique à la pointe" de la

15 Annexe numéro un.

16 Allan F. Moore, Analyzing Popular Music, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p.25.

22 société globalisée. Supériorité prouvée aux yeux des Occidentaux, car la découverte sonore dans le champ des sons possibles ainsi que l'interprétation occidentale de la musique sont soutenues par les technologies scientifiques utilisées pour la conquête militaire, pour

ème soumettre jusqu'à la fin du XX les autres peuples et les cultures qui en sont issues, une tonique dont la puissance opératoire n'a cessé de s'affirmer.

Yann Mens et Jeroen De Kloet montrent dans un article éclairant que « les vedettes de la (ou mandapop) et de la cantopop aiment brouiller les genres et entretenir le flou dans un monde globalisé. Ainsi, les chanteurs masculins affichent volontiers des manières androgynes, laissant planer des interrogations sur leur homosexualité ».17 L’attitude qu’analysent ici les sinologues se rapproche de la notion de métrosexualité mais ne l’exprime pas totalement, puisque ce dernier concept insiste plus sur l’homme citadin qui s’entretient physiquement que sur un flou quant à ses préférences sexuelles. La culture gay d’ailleurs ne possède pas autant de différences interculturelles que ne semble en avoir la culture métrosexuelle.

Encore une fois, la Chine se trouve confrontée à de nouvelles idéologies qui ont pris de la maturité au cours du développement de la société occidentale alors qu’elle en a pas encore digéré les fondements, les

17 Yann Mens, « Musique : la Chine toujours pop », Alternatives internationales, numéro du

26 juillet 2005.

23 principes de base, en grande partie parce qu’ils ne sont pas les siens et qu’elle pense pouvoir les éviter ou, au mieux, s’accaparer les « règles culturelles » de l’Occident pour ne garder que ce qu’elle cherche vraiment : un pouvoir économique qui en fasse la puissance mondiale dominante. La

Chine veut aller à l’essentiel (ce que l’essentiel représente pour elle, argent et idéologie, argent pour solidifier l’idéologie) sans vouloir comprendre son présent.

Posséder des magazines à la mode qui parlent de ces notions occidentales qui semblent si amusantes, présenter une vitrine de personnes modernes, rapidement ; faire entendre des sons modernes, civilisés : la Chine change.

La métrosexualité devient une excuse supplémentaire pour faire pénétrer de nouveaux produits destinés à la consommation. Cette différence de conception entraîne des plans marketing différents suivant que l’on vend l’image du produit en Europe ou en Chine.

La Chine a besoin de prouver qu'elle aussi a des intellectuels qui répondent aux critères de classification des Occidentaux.18 Il en est de même des notions religieuses. La Chine, confrontée à l’infiltration du bouddhisme dès le premier siècle de notre ère, doit se défendre face aux conceptions religieuses étrangères. La venue des premiers missionnaires chrétiens dès

ème le début du XVIII siècle et la notion occidentale de "religion" devenue

18 Hisquin, La Production de Disque Pop rock en Chine à la fin du XXème siècle, p.47.

24 ème universelle obligent la Chine vers la fin du XIX à utiliser un nouveau mot venu du japon, zongjiao 宗教, pour qualifier ce concept d’organisation du religieux.19 C’est ainsi que la Chine oppose des réflexions philosophiques majeures telles que le Confucianisme Rujia 儒家 ou le Daoisme Daojia 道家, contrainte qu'elle est de remplir les exigences de classification de l’espace religieux imposées par l’Occident aux organisations religieuses existantes dans le monde. La Chine devra plus tard aussi accepter et digérer les modèles occidentaux, témoins les nouvelles mégalopoles chinoises qui assimilent la verticalité occidentale (alors que la ville chinoise était traditionnellement horizontale) et le "manhattanisme".

19 Annexe numéro deux.

25 2. Le format musical international et le particularisme

sonore chinois

En matière musicale, le son global qui représente la norme, le format

"autorisé" par le marketing musical, a un souci de perfection, de justesse, de précision, de rythme. Les mélodies tonales, les harmonies, sont la base

élémentaire de tout "tube qui se respecte" et espère réussir au hit parade.

Dans ce contexte, les mélodies modales, le flou de la justesse, le rythme imprécis, toutes ces caractéristiques de la musique traditionnelle chinoise sont emportées dans le tourbillon de la musique à l'occidentale, au goût de globalisation. La Chine produit de la musique selon ces critères mondiaux de standardisation. De fait, le son de la production musicale chinoise qui touche la jeunesse et par extension la nouvelle société dans son ensemble est caractéristique du son produit en Occident. Comme si le polissage sonore qui s’effectue, dans la grande majorité des cas, au mixage

(opération qui consiste à mélanger les différents sons enregistrés sur les différentes pistes d’une table mixage d’un studio d’enregistrement) et au mastering (réglages techniques dont l’objectif est de corriger le signal sonore pour en optimiser la qualité, par les mains chinoises elles-mêmes) d’un enregistrement musical permettait, par son professionnalisme incontesté puisque scientifique et technique, d’éliminer tous les parasites sonores et les concepts musicaux qui empêcheraient d’atteindre un résultat parfait, c'est-à-dire formaté. L’Occident et sa technologie sont sur le "bon" chemin, musicalement aussi. La Chine doit se poser les questions que l’Occident se pose pour lui faire face, pour être et rester dans la course.

26 Mais la Chine n’est jamais à l’initiative de ces questions, car sa course ne lui appartient pas.

Dans un même temps, le son chinois nous montre comment, même avec les outils de la globalisation, avec les "machines" occidentales, peut garder ses caractéristiques propres. Si, bien entendu, l’utilisation d’un logiciel musical comme Protools © incite les producteurs de musique à converger vers un son identique ou en tout cas très similaire, il n’en reste pas moins que ce type d'outil acoustique offre des possibilités exceptionnelles de diversification de la production musicale et que les nouvelles technologies proposent un éventail de plus en plus large quant à la capacité exécutive et imaginative en matière musicale (il en est de même de l’image). En fait, la question réside plus dans le choix conscient du producteur de musique à créer de la nouveauté, indépendamment du courant principal, puisque la technologie musicale est arrivée à un stade technique où il est possible de produire la grande majorité des sons que l’on imagine et de reproduire ceux qui existent dans la nature. De fait, même si l’outil technologique global est utilisé d’une manière identique par l’ensemble des producteurs de musique du monde entier, la composition mélodique, les prédilections en matière de tonalité, les différentes langues utilisées par la voix, le choix des instruments et leur organisation au sein-même du morceau enregistré, tout cela contribue à une production musicale différente d’un pays à l’autre, d’une culture à une autre.

27 Jeroen De Kloet explique que « les Chinois écoutent d’abord du made in

Asia » et montre que : côté vente d’albums, leurs stars n’ont rien à envier aux têtes d’affiche américaines. Jay Chou, Wang Fei, Anthony Wong....

Leurs noms sont quasiment inconnus à l’Ouest. Mais à l’Est de la planète, ce sont des stars. Leur popularité n’a rien à envier à celle de Britney Spears,

Kylie Minogue ou Michael Jackson avec lesquels ils font presque jeu égal, au niveau des ventes d’albums.

La production chinoise plaît aux Chinois puisqu’ils se reconnaissent dans cette musique qui les accompagne dans le vécu du moment historique.

Pour l’esprit colonialiste, "made in Asia" semble sonner comme la marque de la non-qualité et de la non-authenticité ; c’est que les Occidentaux sont assourdis et animés de préjugés. Les Asiatiques, dont bien sur les Chinois, utilisent la composition musicale pour interpréter leurs sentiments, en utilisant les moyens techniques à leur disposition. 20 Que le résultat soit proche d’un enregistrement occidental semble normal tant les techniques d’acoustique et d’enregistrement sont semblables. Que le résultat soit différent semble normal aussi, tant les interprétations de la vie et de ses sentiments divergent selon les cultures. Si l’Occidental ne comprend pas que le rock ou la pop chinoises ressemblent et diffèrent à la fois de la production de l’Ouest, c’est qu’il s’est approprié le droit d’établir et de normaliser ce qu’est la musique rock et ce qu’est la musique pop, et ignore

20 Annexe numéro trois.

28 que l’espace et le temps sont des notions pensées différemment dans la culture chinoise, et que cette différence, même si elle est polie par la globalisation culturelle, implique tout de même « une tout autre pratique musicale » tout comme « une tout autre écoute ».21 Encore une fois, on retrouve cette "maladie de la classification" qui ressurgit, comme si l’Occident demandait à la Chine où se trouvent ses musiques pop, rock et classique.

Il me semble possible d'entendre un sens plus ou moins inavoué dans le son produit par les différentes industries musicales. Tout comme un faciès, une attitude ou un langage catégorisent un individu dès son premier contact avec l'autre, la création musicale porte l'empreinte des ancêtres, des atouts et des limites. La chanson ou le titre, mélange composite de mélodies, de paroles, de voix et d’arrangements instrumentaux, et qui diffère de la musique au sens strict, permet de comprendre en profondeur les différentes cultures. 22 L’histoire du jazz montre comment l’interprétation de la musique par les Africains vendus comme esclaves et accablés par la dureté de la vie aux Amériques a conduit à un style d’expression particulier. Les habitudes musicales africaines, comme la modulation à l’intérieur d’un morceau ou le chant à la quarte, ont créé, lorsqu’elles étaient confrontées au système musical occidental, centré sur l’usage du mode majeur et de sa relative

21 François Picard, La musique chinoise, Paris, Editions You Feng, 2003, p.13.

22 David Hesmondhalgh, Popular Music Studies, London, Arnold, 2002, p.34.

29 mineure pour l’ensemble de son répertoire, ces « notes instables qui hésitent entre la majeur et la mineur » appelées « blue notes ».23 Le mode du blues est né, traînant avec lui sa couleur, son interprétation, son histoire.

Il en va de même avec la musique populaire chinoise, confrontée à l’invasion occidentale depuis plus d’un siècle.

La musique occidentale dans son ensemble, classique ou populaire, réserve au refrain de l'œuvre l'attention la plus grande. Le refrain doit réunir toutes les opinions, harmoniser tous les hommes et apporter un sentiment indescriptible de sécurité et de divin, et ses règles d’harmonie, très rigoureuses, mathématiques, permettent d’atteindre la perfection par la raison, et de communier avec le divin. La musique chinoise, quant à elle, n’entend pas les choses de la même manière. En effet, si la composition musicale moderne chinoise subit l’influence de la conception musicale occidentale, la mélodie chinoise, les arrangements et l’harmonie possèdent, dans leurs agencements sonores, des caractéristiques propres.

La standardisation du morceau, formaté pour une écoute radio, fonctionne mondialement sur une structure identique qui se rapproche du motif suivant : introduction, couplet, refrain, couplet, refrain, break, refrain, outro.

Si le morceau chinois tend à reproduire ce schéma, l’introduction privilégie

23 Frank Bergerot, Le Jazz dans tous ses Etats, Histoire, styles, foyers, grandes figures,

Paris, Larousse, 2001.

30 la douceur et la mélodie plutôt que la rythmique et l’énergie, caractéristiques de l’introduction de la plupart des titres pop rock occidentaux à succès. La mélodie chinoise, qui a dû s’adapter à l’harmonisation, au rythme et à la justesse, garde cette sensation de composition facile, prévisible et particulièrement souple. Cette dernière caractéristique est plutôt la mise en exergue d’une habitude pop rock occidentale à privilégier le rythme jusque dans le chant plutôt qu’une mélodie travaillée, symbole de musique sérieuse, intellectuelle, prisonnière.

La pop anglaise propose, dans la majorité de ses titres, une « descente » de basse et d’accords qui suit ce schéma : sol, fa dièse, mi mineur. Ce schéma est reproduit par un nombre impressionnant de titres chinois.

Cependant, dans l’exécution chantée de ce motif, les Chinois tendent à suivre de près la descente orchestrée par la musique. Dans les titres anglais, le chanteur tiendra sa voix, il prolongera la note pour laisser la sensation de la descente harmonique venir "par-dessous", soit la mélodie ne couvrira pas la descente dans la totalité. La mélodie chinoise épouse les formes de l’architecture musicale, comme bien souvent d’ailleurs. Comme si l’oreille avait besoin de coller à un support mélodique et suivre coûte que coûte les moindres recoins de l’arrangement musical. En Chine, l’arrangement a pendant plus d’un siècle été considéré comme sans importance, mais commence, au fur et à mesure des contacts avec les musiciens étrangers, à devenir un art à part entière.

Dans l’ensemble, les harmonies apportées aux productions musicales chinoises ont une couleur différente des occidentales. Puisque l’harmonie

31 correspond, selon l’Arithmétique de Nicomaque, à « la qualité à la fois esthétique, morale et même physique résultant dans un ensemble d’un juste équilibre dans le choix, la proportion et la disposition de ses composants », on comprend que ces choix, ces proportions et ces dispositions diffèrent d’un espace géographique à l’autre, même dans un cadre d’expression artistique restreint.24 Ainsi, les harmonies ne portent pas sur les mêmes notes et l’accentuation n’est pas exercée au même moment.

La sensibilité n’est pas identique non plus. Si, bien entendu, on retrouve des similarités provenant d’échanges musicaux qui s’intensifient depuis une trentaine d’années, ainsi que résultant de la volonté de mimétisme de la part des créateurs chinois, la tendance naturelle à l’harmonie est organisée d’une manière différente tant la structure de la mélodie principale, dont dépendra la création de l’harmonie, diverge déjà sur le plan esthétique.

L’oreille européenne, influencée par son passé culturel, ne peut s’empêcher,

à l’écoute de mélodies pop rock modernes chinoises, de qualifier ces dernières de ‘’rondes’’, ‘’souples’’, ou ruan 软 en chinois. Bien entendu, il n’est possible de décrire cette écriture mélodique qu’en la comparant et en la confrontant avec d’autres mélodies occidentales, arabes ou indiennes. Si

Laozi 老子, Zhuangzi 庄子 et Mozi 墨子 sont loin d’être d’accord sur tout, ils sont pourtant tous les trois d’avis que la guerre est condamnable et que la meilleure technique de gouvernement est d’éduquer le peuple. Puisque la pensée chinoise traditionnelle favorise la camaraderie et la souplesse dans

24 Marc Vignat, Dictionnaire de la Musique, Paris, Larousse, 2001, p.382.

32 les relations humaines, on s’attend à ce que cet héritage culturel et philosophique se retrouve dans les habitudes d’écriture de la musique chinoise moderne.25 De fait, la mélodie souple, aérée, est produite par les compositeurs chinois, et le caractère chinois subsiste, au moins dans cette partie du corps de la création musicale.

C’est ainsi qu’en Chine le son, à travers ses arrangements musicaux, ses instruments de musique mais aussi à travers le chant, permet d’avoir une vision plus claire et plus juste de la musique chinoise ou plus exactement des musiques chinoises. Celle-ci sont modelées par le lieu et les traditions locales : les chanteurs mongoles ou tibétains aux timbres caractéristiques semblent ne pas avoir beaucoup en commun avec l’enfant qui interprète une chanson pop rock chinoise. Les voix qui rendent un culte à travers le chant bouddhique semblent si éloignées des chanteurs classiques meisheng 美声. Pourtant, si les ouvrages spécialisés expliquent en détail les différences d’interprétation chinoise de la musique, l’auditeur occidental essaie avec difficulté de vérifier ces affirmations scientifiques. Les concours de chant très en vogue partout dans le monde, et particulièrement en Chine, permettent d’avoir accès à un panel complet des musiques chinoises, puisque la majorité des concours sont divisés en plusieurs groupes de participants, classifiés suivant le style interprété. Si toutes sortes de timbres,

25 Hyun Hochsmann, On Philosophy in China, Canada, Wadsworth Philosophical Topics,

2004, p.4.

33 de tonalités, de modes, de jeux scéniques, d’effets techniques, d’instruments et d’instrumentations sont utilisées, je ne considère pas ces musiques réellement différentes tant le polissage culturel, c'est-à-dire l’influence culturelle dont les acteurs musicaux sont l’objet, est déterminant dans leur exécution artistique. Ainsi, si mille participants à une finale sont retenus, bien que la majorité viennent de régions différentes et représentent plusieurs provinces (sous-entendu des styles particuliers), le résultat final de chacun est très similaire.

L'artiste, porte-parole d’une supériorité spirituelle, remporte un succès tant sur la scène que par la production d'une œuvre audiovisuelle ou dans le développement cohérent de son personnage, de sa carrière et de sa maturité artistique. Le musicien occidental, auteur-compositeur-interprète, ne "se vend" que très rarement à d'autres arts et encore moins à des activités commerciales et publicitaires sans lien direct avec sa musique.

L'artiste occidental est ainsi "marié" à son art, lui doit fidélité, honneur, et respect, sans aller et venir d'une manifestation artistique à l'autre sous l'unique prétexte d'élargir sa notoriété. En revanche, l'artiste chinois peut, dans sa vie de musicien, combiner beaucoup de rôles différents : musique, mode, publicité, cinéma. La musique chinoise n'y voit pas en soi une atteinte au "contrat artistique" puisqu'un droit musical, qui règlerait l'utilisation de la musique, des droits d'auteurs et de la reproduction mécanique n'est pas vraiment une réalité pour elle. La carrière artistique réussie d'un musicien populaire en Chine se mesure à sa capacité d'apparaître dans le maximum de programmes médiatiques. Nul besoin

34 d'une harmonie entre les différentes apparitions de l'artiste ; l'important est qu'elles soient nombreuses, positives, rapides. Si, de plus en plus, les logiques des artistes du monde entier tendent à se ressembler, l’artiste musicien chinois moderne cherche la notériété à travers sa musique alors que l’artiste musicien occiendental utilise la notoriété pour produire de la musique. Le but ultime semble différent.

La musique traditionnelle chinoise exprime le refrain, la partie la plus remarquée d'un morceau de musique, par des superpositions de mélodies modales, d'augmentations sensibles de la vitesse ou de l'intensité sonore, un enchevêtrement technique plus étoffé. L'harmonie telle que la musique occidentale la conçoit, tellement indispensable à l'esthétique sonore du refrain d'une œuvre, n'est pas attendue à l'origine par l'oreille chinoise comme gage de réussite artistique.

Bien entendu, le son de la majorité de la production chinoise actuelle est déterminé par la philosophie qui caractérise et motive la recherche technologique des moyens d'enregistrement et de composition modernes propres à l'Occident. C’est une des raisons pour lesquelles la musique populaire moderne chinoise diffère dans sa structure et sa présentation au public de la musique traditionnelle chinoise. Si l'utilisation des nouvelles technologies dans la production musicale peut offrir un plus grand champ compositionnel et imaginatif, il n'en reste pas moins que la course au son

35 "parfait" et à la justesse domine la majeure partie des titres musicaux qui fonctionnent.26 L’idéal de justesse, qui résulte de la « conformité du son

émis par un instrument ou une voix avec l’échelle musicale qui sert de référence », est atteint avec par exemple la technologie du logiciel correcteur de voix Antarès qui permet à l’ingénieur du son de retoucher les fausses notes exécutées par le chanteur.27 Après avoir enregistré la totalité du titre, le technicien peut réécouter la mélodie chantée, qu’il suit sur son

écran d'ordinateur à l’aide de courbes d'amplitudes. Quand une phrase ou un mot (liés naturellement à une note) semblent faux, le logiciel permet de sélectionner la partie à retoucher, de la zoomer et propose différents modes

(mineur, majeur) et tonalités pour permettre de corriger la note dans son mode et sa tonalité justes.

En ce qui concerne l’interprétation d’une oeuvre musicale, voici ce qu’on peut lire dans l’ouvrage de Du Yaxiong :

In the west when a musician plays a classical music piece, he is expected to play according to the notation and with only minimal modification. However, in Chinese traditional music, when a piece is played, the musician is expected to make changes (beyond that shown in the notation) in order to create his own version. In this sense the

26 Christophe Hisquin, La production de disques pop rock en Chine à la fin du XXème siècle,

Mémoire de DEA, Université Jean-Moulin Lyon 3, 2003, pp.13-23.

27 Vignat, Dictionnaire de la Musique, p.442.

36 principles of the Yijing and Chinese traditional music coincide in the concept of “change”.28

En Occident, lorsqu'un musicien joue un morceau de musique classique, on attend de lui qu’il joue la partition écrite et qu’il s’écarte le moins possible d’elle. Cependant, dans la musique traditionnelle chinoise, lorsqu'une

œuvre est jouée, on attend du musicien qu’il modifie le morceau (au-delà de ce que décrit la partition) pour créer sa propre interprétation. Dans ce sens, les principes du Yijing et de la musique traditionnelle chinoise coïncident avec le concept de "changement".

On s’aperçoit ici de l’importance de la philosophie et de la pensée chinoises qui influencent jusqu’aux priorités et aux détails d’interprétation d’une

œuvre musicale traditionnelle.

ème Les chinois du début du XXI siècle se laissent bercer et modeler par les gimmicks empruntées au style occidental, tonales.29 Cette tendance n'est

28 Yaxiong Du, The Continuing Confucian and Buddhist Heritage, Chicago, Chinese Music

Society of North America, 2004, p.51.

29 Dans la musique occidentale et, plus précisément, la musique tonale, une gamme est la

« succession ordonnée des différents degrés d'une tonalité », degrés associés à un mode donné, et généralement présentés de manière ascendante (sauf indication contraire) depuis la tonique, jusqu'à sa première répétition, c'est-à-dire, jusqu'à l'octave de cette tonique. Une octave est l'intervalle entre un son donné et son redoublement, c'est-à-dire

37 pas anodine car la musique chinoise possède des finesses différentes de celles de l'interprétation occidentale de l'art musical. L'univers pentatonique que l'on peut reproduire sur les notes "do ré mi sol la" de notre gamme occidentale, le non-chromatisme de la musique chinoise (c'est-à-dire l’impossibilité de reproduire les douze demi-tons d’une gamme), l'absence de rythmique, de cycles, de motifs répétés, de notions de tonalité et d'accords définissent le sentiment chinois par rapport à la vision musicale occidentale. « Le système chinois est essentiellement non-évolutif : il n'a pas connu de progrès ni subi de mutations radicales. Depuis des millénaires, la musique repose sur les mêmes bases philosophiques. Les sons, les modes, l'utilisation des instruments, le rituel des cérémonies sont réglés par l'astrologie et la cosmologie. La musique traditionnelle peut être

écrite ou transmise par le professeur à l'élève, qui la mémorise ensuite. Elle est souvent à caractère descriptif».30

De fait, l'imposition des règles de l'Occident dans la production musicale moderne chinoise montre à quel point l'influence de la mondialisation pénètre en profondeur les créations artistiques musicales. Le code musical qui se crée en Occident par son enracinement dans les idéologies et les technologies d’une époque s’impose à la production musicale chinoise.

entre une certaine fréquence de vibrations sonores et le redoublement exact de cette fréquence. Cela est une règle universelle qui ne doit rien à la culture mais tout à la physique.

30 Annexe numéro quatre.

38 Dans un même temps, ces codes musicaux produisent leurs propres idéologies et technologies.31 On comprend que la Chine, en intégrant le code musical occidental, n’échappe pas à la création d’idéologies liées à ce code.

Bien entendu, la composition des musiques traditionnelles subsiste. Ces musiques et chants traditionnels font référence le plus souvent à la vie rurale et leur notation est d’ailleurs l’objet de recherches par les musicologues chinois. En effet, la majorité des œuvres musicales des shaoshu minzu 少数民族 (minorités ethniques, terme relativement écrasant et révélateur utilisé depuis l'arrivé du parti communiste au pouvoir pour désigner les peuples autres que han 汉) n’a été transmise qu’oralement, sans notation musicale sur papier ou autre support visuel. Malgré la bonne volonté du gouvernement chinois pour sauver la mémoire des musiques traditionnelles, il est difficile de lutter contre le nouveau son, standard, numérisé, analogique, formaté, dont les textes sont diffusés en masse sur l’Internet puis rabâchés par la jeunesse. Les mélodies imaginées sont fredonnées par des cordes vocales humaines ou projetées par ondes sonores dans une discothèque, un KTV, un métro, un centre commercial, un taxi, un hotel, un walkman, la sonnerie d’un portable, et que sais-je encore. Pourtant, même si les Chinois tentent de calquer leur production musicale sur celle de l'Occident, il n'en reste pas moins que la tendance

31 Attali ,Bruits, p.22.

39 naturelle à créer une musique composée d'harmonies, de mélodies, de sons bien spécifiques à l'architecture musicale chinoise est tout à fait présente dans ces produits qui paraissent semblables aux compositions occidentales.

En s'intéressant à un autre phénomène, celui de la copie, et plus particulièrement au processus de copie du slogan de la marque Adidas

« impossible is nothing » par la marque chinoise de vêtements de sport

Lining 李 宁 qui déclare qu’« anything is possible », ainsi que par l’appropriation d’un logo proche dans son design de celui de la marque Nike, je ne vois pas uniquement le pragmatisme chinois à produire une marchandise peu chère et identitaire, mais aussi une attitude narguant la scène commerciale mondiale en sous-entendant "nous aussi, nous pouvons le faire". Tout comme le slogan soutenant Liuxiang 刘 翔 , le champion olympique du saut de haie en 2004, devenu l'un des symboles de la réussite et de la fierté du pays tout entier, dont les dirigeants, relayés par les publicitaires, posent ironiquement la question de savoir qui a osé soutenir qu’un homme jaune ne pouvait pas remporter la victoire.32 Si ce

32 . « Shei shuo huangren buneng dedao shengli 谁说黄人不能得到胜利 ? », Message publicitaire célébrant la réussite de Liuxiang, 刘翔 affiché dans la ville de Shanghai en

2005.

40 genre de déclaration révèle un malaise identitaire, il est aussi le véhicule d'une volonté gouvernementale de galvaniser la population, pour mieux la contrôler.

41 3. La langue chinoise et son sens dans le son

« Si la vraie relation entre musique et poésie chinoises passe non par le sens mais par la voix », le son de la langue chinoise, dès qu’elle est entendue dans une chanson, rappelle à la population chinoise expatriée ou non son appartenance à une communauté indépendante.33 Jeroen De Kloet montre que « l’identité » du genre musical chinois « se définit avant tout par l’usage d’une langue chinoise, le mandarin pour le mandapop, surtout présent à Taiwan et sur le continent. Le cantonais pour le cantopop, implanté à Hongkong et au sud de la Chine » et au Canada. Il poursuit en expliquant que « la présence centrale de la langue maternelle donne à la pop chinoise une audience immédiate dans tous les Chinatowns de la planète » et que, dans une large mesure, « cette musique qui n’est écoutée que par ceux qui parlent chinois permet aux communautés émigrées de se distinguer des autochtones, aux Etats-Unis ou en Europe », et « relie ces individus de la diaspora à leur lointain pays d’origine » en « leur donnant le sentiment d’avoir un foyer, une patrie ».

33 François Picard, La musique chinoise, Paris, Editions You Feng, 2003, p.34.

42 4. L’influence de la langue anglaise dans le son

chinois

L’utilisation de la langue chinoise dans les productions musicales signe dès la première écoute la "patte chinoise", il est aussi important de signaler la forte imprégnation du son occidental jusque dans la prononciation des différents chinois parlés. Tout d’abord les différences de dialectes excluent une reconnaissance globale évidente dans une langue orale utilisée pour la chanson. Les classifications dont Jeroen De Kloet parle plus haut montrent que différentes populations sont caractérisées et touchées par différentes interprétations et par différents sons. Nul n’est besoin de mentionner le gouffre qui existe entre le dialecte shanghaien et la langue de Pékin, qui caractérisent deux représentations sonores différentes de la langue chinoise. Les productions rap, rock, r&b récentes (depuis le début du troisième millénaire) tentent d’imiter le son de l’anglais utilisé par les chanteurs occidentaux.34 Ce besoin de reproduire des sons qui finalement n'ont pas vraiment de sens littéraire ni pour l'auteur ni pour l'auditeur trouve son sens social, réel, ailleurs. Tout comme l’écriture "logatomes” inventée par les acousticiens (monosyllabes sans aucune signification) et l’écriture pariétale (les tags), les chansons chinoises qui veulent sonner anglais dans

34 Annexe numéro cinq.

43 leurs textes « donnent le pouls du groupe social qui l'utilise ».35 L’examen des logatomes, de l'expression graphique pariétale et des textes chinois qui sonnent anglais convergent tous vers un sens dissimulé, caché à première vue ou à première écoute.

Dans certaines compositions musicales chinoises, les sonorités de la langue chinoise sont accentuées pour donner l’effet voulu et coller de près

à la sonorité américaine. Ce procédé est repris par la star Zhou Jielun 周杰

论 qui, par exemple dans son titre Tade jiemao 她的睫毛 (Ses cils), met en exergue les sonorités en "-ang" qui se rapprochent de l’anglais "-ound" ou "- own", mais en plus chante les paroles d’une manière "mâchée" et peu claire

(de l’aveu de nombreux auditeurs chinois aussi), ce qui renforce l’assimilation à la sonorité anglaise, globale.36 Bien entendu, nombre de chanteurs incluent dans leurs textes des phrases en anglais pour atteindre différents objectifs. Le premier est la volonté de montrer combien l’artiste est "branché", puisque l’anglais représente la modernité. Le deuxième est l’exigence des maisons de disques qui veulent donner une image jeune et dans le vent aux artistes signés (qui le sont puisque jeunes et branchés). Il me semble aussi en troisième lieu que l’utilisation de l’anglais est le symbolisme du "nous aussi on peut le faire", un moyen de se raccrocher au

35 Marcel Val, Acoustique et musique, rencontre entre l’architecture et le monde musical,

Paris, Dunod, 2002, p.50.

36 Annexe numéro cinq.

44 monde global. Quoi qu’il en soit, l’anglais n’est utilisé que d’une manière inconsciente, comme un symbole, une présence obligatoire dans la musique actuelle. La relation aux mots étrangers que le chanteur ou le fan a semble faussée, artificielle et surtout perd son sens premier. 37 Tout comme le caractère chinois influe sur l’imaginaire du bourgeois français, les mots anglais apportent ce sentiment d’appartenance à un "club cool", représenté par l’Occidental, où rien ne semble interdit.

37 On peut ici souligner la manière différente et probablement plus sûre d'elle-même que la langue japonaise a utilisé et utilise encore pour intégrer et digérer les mots étrangers composés dans une grande mesure par la langue anglaise. Le japonais a cette capacité d'incorporer le mot anglais en utilisant la translation phonétique que permet l'alphabet katakana, destiné aux mots étrangers. Ainsi, si le mot anglais reste bien entendu à connotation étrangère, celui-ci est inclus sans "faute" d'écriture ou d'interprétation dans l'univers langagier et littéraire japonais. Il en va différemment du chinois mandarin qui sépare l'étranger du national. A l'oral, les Chinois tentent d'utiliser les mots anglais authentiques dans leur conversation ou autres. Il en résulte de nombreuses fautes d'orthographe et une certaine naïveté et médiocrité dans l'utilisation. Par la suite, les mots et concepts occidentaux nouveaux sont entrés dans le chinois mandarin par le calque sur le japonais.

45 5. L’influence de Hong-Kong, Taiwan et Macao dans

le son chinois

Le son diffusé en Chine populaire est créé dans une mesure significative par Hong Kong et Taiwan. Si au niveau politique, particulièrement dans le cas de Taiwan, la situation est tendue, la production musicale, elle, ne semble ne pas se heurter à de grandes difficultés, à partir du moment bien sûr où elle ne critique pas le gouvernement et rapporte de l’argent à l’industrie chinoise du disque. Le sud de la Chine est particulièrement exposé à l’influence Hongkongaise dans la production musicale. Macao, territoire redevenu chinois en 1999 est aussi imprégné de canto pop et le vent de liberté et de subversion qui souffle dans l’ancienne colonie portugaise montre combien, à travers la musique et l’utilisation du cantonais pour l’interprétation des titres, elle traduit une volonté d’identification, de reconnaissance vis-à-vis de Pékin.38 Nous verrons plus loin, dans la partie réservée à la notoriété en Chine, comment le son produit dans les territoires

38 Lors de mon voyage à Macao en mai 2006 j’ai pu constater la liberté idéologique et religieuse dont le territoire jouissait. Des opposants au parti communiste chinois alpaguent librement les Chinois de Chine populaire et les étrangers en voyage, particulièrement sur les sites touristiques comme les ruines de l’Eglise Saint-Paul. Des éclaircissements sur la pseudo secte du Falungong sont révélés par des journaux, dvd, cd distibués gratuitement en anglais et en chinois. La liberté religieuse est aussi respectée tant des mouvements religieux peuvent exercer leur culte librement sans main-mise par le gouvernent de Pékin

(les témoins de Jéhovah par exemple).

46 de Hongkong et de Taiwan permet à leurs artistes d’éblouir la scène chinoise et de renforcer leur présence sur le continent.

Macao a une histoire marquée par un développement du commerce initié par les marchands portugais. Ces derniers, contrairement aux Chinois, n’étaient pas soumis à des interdictions de voyages à l’étranger et pouvaient de fait prospérer dans le commerce avec l’Europe, la Chine et le

Japon. Si les Portugais ont permis à Macao de devenir un territoire riche

économiquement, ils ont aussi amené leur religion, le catholicisme, et leur culture sur le territoire chinois. L’ouvrage de Clive Willis compile des

ème expériences d’évangélisateurs portugais du XVI siècle qui tentent d’expliquer comment les Chinois réagissent à l’enseignement de la foi chrétienne. 39 A travers le catholicisme, la musique liée à cette religion pénètre le territoire chinois et permet à l’oreille chinoise de goûter de nouvelles sonorités, de nouvelles organisations du son ; une autre façon d’utiliser la musique pour accompagner et atteindre la spiritualité.

C’est à la même époque que l’introduction de la guitare donne aux musiciens européens tout d’abord, puis du monde entier par la suite un instrument qui accompagne « les migrations humaines, le colonialisme, le

39 Clive Willis, Portuguese Encounters with the World in the Age of the Discoveries,

England, Ashgate Publishing Limited, 2002, pp.47-55.

47 post colonialisme, la technologie et le renouveau ».40 Le son de la guitare impose une certaine forme de composition, d’attitude scénique et

ème d’idéologie. Ce n’est qu’à la fin du XX siècle que la Chine commencera à digérer la philosophie de la guitare, à travers entre autres l’arrivée du rock qui est en fait l’accélérateur de notoriété de cet instrument dans le monde entier. La Chine n’y échappe pas. Depuis, les chanteurs pop rock

Hongkongais, Taïwanais et de Chine populaire s’approprient l’instrument à la manière d’un Keith Richards ou d’un Elvis Presley.

Les ouvrages plus ou moins détaillés qui présentent et décrivent les différentes caractéristiques chinoises montrent pratiquement tous la diversité qui existe sur le territoire chinois. En effet, les « nationalités de la

Chine moderne sont à considérer comme des produits de l’idéologie et de la praxis politique ». 41 Ainsi la production musicale tout au long du développement des civilisations des différents peuples qui ont évolué sur le territoire géographique chinoise varie suivant leurs caractéristiques propres.

Par exemple, la Chine du sud, avec les Cantonais produit de la Canto pop, dont la structure musicale et le contenu varie d’une composition Pékinoise, plus ou moins considérée comme référence au point de vue culturel (même

40 Victor Anand Coelho, The Cambridge Companion to the Guitar, Cambridge, Cambridge

University Press, 2003, p.6. « "The global seeding of guitar cultures through human migration, colonialism, post colonialism, technology and revival ».

41 Edward L.Shaugnessy, La Chine Ancienne, Singapour, Larousse, 2000, p.20.

48 si l’on a montré que le standard du format musical réside plus dans le titre pop rock sorti des studios de Hong Kong ou Taiwan et fortement influencé par l’Occident, le Japon ou la Corée). Cette volonté de distinction n’est pas

ème nouvelle, car déjà dans un VIII siècle où les Chinois se considéraient comme des « Han 汉 », les Cantonais affirmaient leur différence en se donnant le nom « Tang 唐 ».

49 II. LIEN ENTRE LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET

L’EVOLUTION DE L’INDUSTRIE MUSICALE

1. Structure économique de l’industrie musicale

chinoise

Le développement économique de la Chine amorcé dès les années quatre-

vingts, relancé par Deng Xiaoping en 1993, et qui se poursuit au début du

ème 42 XXI siècle, peut être décrit comme un « capitalisme culturel ». Pourtant,

si la Chine reconnaît la capacité productive et la puissance militaire que le

capitalisme peut générer, « elle se doit d'y résister et de trouver une autre

manière d'acquérir la modernité » dans un souci de différence.43 En terme

de production musicale, cela revient à tenter d'utiliser les techniques

modernes utilisées par l'ensemble de la planète pour la production musicale,

à appliquer les méthodes marketing et publicitaires récentes, et à distribuer

le produit musical comme partout ailleurs tout en prétendant pouvoir rester

différent, voire même indépendant, principalement dans l'idéologie qui

domine le monde de la musique chinois.

42 Ping He, China's Search for Modernity, Great Britain, Palgrave Mac Millan, 2002, p.73.

43 He, China’s Search for Modernity, p.73.

50 A l’échelle globale, l’industrie du disque est l’industrie culturelle la plus concentrée, puisqu’à la fin du siècle dernier il n’y avait que cinq grandes firmes, les Majors, qui se partageaient 80 % du marché estimé à 40 milliards de dollars. 44 La situation dans laquelle se trouve l’industrie du disque oblige les vrais créateurs de nouveautés à se trouver à la frange de l’oligopole. Si la production musicale est de plus en plus diversifiée, on constate que quelques artistes dominent plus de 80 % des ventes totales d'albums, que ce soit pour la vente de pop rock aux Etats-Unis ou en Chine, pour la variété en France ou l'industrie de musiques de films Bollywood en

Inde.45 La majorité de la musique est produite et distribuée par les réseaux des Majors, tandis que les indépendants vivent l’aventure artistique dans une autre dimension, avec ses avantages et ses inconvénients. L’explosion

ème de la musique en ligne dès la fin du XX siècle donne une lueur d’espoir quant à une musique disponible plus facilement et plus diversifiée. Une façon de revoir peut être le lien entre producteur de musique et consommateur, même si Françoise Benhamou montre que « l’égalitarisme de façade que propose l’internet masque mal le fait que la construction d’une marque, d’un capital de notoriété demeure cruciale ».46

44 Annexe numéro six.

45 Richard O. Nidel, World Music: The Basics, Routledge, Great Britain, p.223.

46 Nidel, World Music, p.223.

51 Si l'industrie du disque a la possibilité de répondre aux différents goûts et besoins d'une population globale, aussi nombreuse soit-elle, l'industrie musicale, à travers le courant pop rock, cible principalement la classe moyenne d'une population. Si dans les pays développés la classe moyenne représente environ 80 % de la population globale, en Chine cette classe moyenne qualifiée par certains sociologues chinois de "cols blancs" ne constitue en fait que 10 à 15 % de la population totale, soit environ 200 millions de personnes, en grande majorité citadines. Ce n'est donc pas tant l'existence d'un marché pour la production musicale chinoise qui peut soulever des questions et animer des doutes mais plutôt la réception, la perception de celle-ci par une population composée de plus de 800 millions de ruraux aux revenus très modestes, peu habitués aux codes de la modernité.

La production musicale principale, la pop music, s'effectue dans les meilleurs studios, à travers les nouvelles technologies, en s'imprégnant d'occidentalisme pour ce qui est de la composition et de l'interprétation, et est diffusée sur les ondes et les écrans et atteint une population chinoise dont les écarts de niveaux de vie ne font qu'augmenter. S'il semble ne pas y avoir de production musicale à deux vitesses (je ne parle pas ici de la différence de philosophie historique et économique Majors/indépendants mais plutôt d'une production musicale officielle et globale qui se sépare en deux "stratégies marketing ciblées", l'une pour la classe moyenne supérieure, l'autre pour la classe paysanne), c'est entre autres parce que le

52 profit économique et l'utilisation des nouvelles technologies n'attend pas les pauvres et n'a pas besoin d'eux ; produire une musique pour cette catégorie, aussi importante soit-elle, n’a pas de sens, au niveau économique j'entends.

L’industrie du disque en Chine est construite sur le même modèle que ses grandes sœurs européennes et américaines. Les maisons de disque, représentées par les Majors implantées sur le continent et les maisons de disque chinoises de taille plus ou moins importante, ainsi que les producteurs indépendants, assurent les produits musicaux dans les logiques qui sont celles de l’industrie musicale chinoise. 47 Si la ligne

économique est la rentabilité financière par l’exploitation de la production musicale dans son spectacle vivant, sa diffusion radio ou télévisuelle, ses produits dérivés, la notoriété de ses artistes à travers les différentes interventions ublicitaires ou cinématographiques ou autre, les droits d’auteurs générés, la vente d’albums, de dvd, de vcd, de téléchargement sur l’internet ou sur les téléphones portables et l’édition de partitions, l’industrie musicale chinoise possède toutefois ses propres caractéristiques.

L’une d’entre elles consiste à considérer le disque comme un outil de promotion de l’artiste au plein sens du terme, sans en attendre un revenu

47 Pour une distinction des Majors et des producteurs indépendants, lire le mémoire de

DEA de Christophe Hisquin, La Production de Disque Pop rock en Chine à la fin du XXème siècle, 2003, pp. 34-43.

53 important par la suite. 48 De fait, contrairement aux maisons de disques occidentales qui tirent des profits considérables de la vente du support musical, l’entreprise chinoise concentrera essentiellement son attention sur le geshou yanlu heyue 歌手演录合约 (le contrat d’artiste) qui permet à la maison de disques d’utiliser l’artiste signé dans autant d’activités lucratives

à tendances artistiques qu’elle pourra. C'est ainsi qu’en Chine les sanhang mingxing 三 行 明 星 (les stars des trois domaines (chanson, cinéma, publicité)) permettent aux maisons de disques de rentrer dans leurs frais d’investissement et de faire des bénéfices. Les stars jouent souvent sur plusieurs tableaux pour multiplier les apparitions.

Le disque produit n’est qu’un moyen de faire connaître le nom et l’image de l’artiste sans pour autant viser une rentabilité importante. Cela est dû dans une grande mesure à l’invasion des disques pirate qui représentent 95% des ventes de cd et dvd et peuvent s’acheter dans la rue à 10 yuans (1 euro) maximum. L’industrie du disque en Chine s’est, de fait, organisée sur un business model particulier dans lequel le cd, comme nous l’avons dit plus haut, est considéré comme un produit marketing qui fait la promotion de l’artiste et dont on n’attend aucun revenu. Par la suite, tout ce qui est généré comme conséquence de la popularité de l’artiste (contrats de publicité, concerts, merchandising) sont les véritables sources de revenus

48 Entrevue avec Wu Lihua 吴 历华 , Business Development Manager of Sony Music,

Shanghai, avril 2005.

54 de la société chinoise ou étrangère implantée en Chine, dont le rôle d’agent est complet. Cela diffère des pays occidentaux où il y a séparation entre l’agent et la maison de disques.

Un comportement particulier est identifié : Sur 500 000 ventes illégales d’un album que l’on trouve à tous les coins de rue, il y a entre 30 et 50 000 ventes légales pour lesquelles il faut aller en magasin.49 Ces disques sont achetés par les vrais fans de l’artiste qui veulent le supporter. Ces observations nous montrent la relation intime entre les consommateurs et l’offre musicale et le sens des modèles économiques actuels et à venir. N’y aurait-il donc pas une place plus confortable pour l’artiste indépendant dont le contact avec le public semble plus évident qu’une star construite de toutes pièces par la machine du star system ? Nous retrouverions alors l’observation de Yolène Escande qui admet que, « dans l'esthétique chinoise, c'est le rapport entre le spectateur et l'artiste qui compte et non l'objet matériel de l'œuvre d'art ». De fait, le consommateur de musique n’aura l’envie d’acheter un disque à son prix fort (3 euros en Chine en magasin) que s’il ressent une émotion particulière pour l’artiste lui-même, plus que pour son œuvre.

Après une discussion animée dans la classe du professeur Taoxin 陶辛, musicologue en poste au conservatoire de Shanghai et spécialiste de la

49 Propos tenus par le directeur de la maison de disque Jiesheng, Canton, novembre 2007

55 musique occidentale, il ressort de ces échanges deux grands points importants : la place du disque n’est pas la même en Asie qu’en Occident, la musique populaire en Chine est essentiellement un divertissement yulexing 娱 乐 性 . Le besoin d’enregistrer un album musical ainsi que l’attention sacrée portée à son contenu est le résultat direct d’une société chrétienne, dont le besoin est de communiquer avec Dieu et de se faire pardonner les péchés. Depuis la naissance du premier Etat chrétien, par la conversion de l'empereur Constantin, l’Europe prône officiellement son penchant sentimental pour la foi chrétienne ainsi que l’acceptation en profondeur des règles et manières de penser du Christianisme en rapport avec les différentes actions entreprises dans la vie. Cette notion de péché qui se définit comme le fait de commettre une faute par rapport à un code

écrit émanant d’un Dieu personnel n’existe pas en Chine et le contenu musical n’est pas considéré comme essentiel et spirituel. On notera d’ailleurs qu’en langue chinoise le terme utilisé pour pécher ou to sin en anglais est traduit par fanzui 犯罪, qui n’emporte pas de notion religieuse et s’utilise couramment pour traduire l’expression "commettre un crime". Le sacré ne réside pas dans le contenu intellectuel et sentimental d’une œuvre musicale.

L’analyse d'un projet musical qui consiste à promouvoir le développement d'un artiste européen qui compose et chante en langue chinoise une musique pop révèle une situation particulière : la Chine ne possède pas, sur

56 sa scène musicale, de chanteurs "sérieux" réellement soutenus par la production musicale officielle.50 Il est intéressant de noter le double sens de cette notion de sérieux, qui désigne à la fois l’attitude scénique mais aussi l’investissement personnel dans une volonté de créer la nouveauté.51 Ces analyses expliquent en partie la différence d’approche qui existe entre, d’une part, une volonté de produire pour le marché chinois un album représenté par un personnage individualiste par son essence et, d’autre part, l’attente des maisons de disques. En effet, lors de mes rencontres avec les directeurs artistiques de Sony music, EMI et Zhongyang 中央, je me heurte aux mêmes idées : pourquoi tant insister sur la sortie d’un disque alors que celui-ci ne rapporte pas d'argent et qu’il n’est qu’un moyen de promotion pour obtenir la notoriété ? Le contenu d’un album, son adéquation avec l’artiste qui le représente ainsi que les activités artistiques parallèles doivent être soigneusement choisis et peaufinés me semble-t-il, dans un objectif de réelle création et non pas de copie, ainsi que dans un but qualitatif et non forcément commercial. Le public peut apprendre à consommer de la qualité et de l’innovation, puisqu’il est établi que l’on peut orienter les goûts des consommateurs. Une sorte d’éducation par l’art de l’imagination.

50 Voir annexes sept et huit.

51 Taoxin Laoshi 掏辛老师, Shuoshishengban 硕士生班, Shanghai Yinyuexueyuan 上海音

乐学院, 2005.

57 L’industrie du rêve propose au consommateur d’utiliser son temps libre pour s’émerveiller d’une vie artificielle qu’il n’aura probablement jamais. Le rêve devient le but à atteindre, la "carrière secrète". La pyramide de Maslow explique la satisfaction des besoins primaires ainsi que l’évolution des désirs. Dans une société où l’économie est florissante, où la plèbe satisfait ses besoins essentiels, l’industrie du rêve se voit confier une mission toute particulière, fortement liée à celle de la publicité (pour sa part centrée essentiellement sur la promotion du matériel), celle de créer des nouveaux désirs ou besoins (être connu par exemple), avec bien sûr les moyens d’y répondre en créant toutes sortes de produits dont l’objectif est de glorifier l’individu pour ses capacités d’adaptation (Fear Factor), combatives (le maillon faible), artistiques (Star Academy), exhibitionnistes (l’île de la tentation), tout en réduisant les risques, les coûts de production de ces produits et en augmentant ainsi le profit économique. 52

En Chine, en 2006, les concours de chant tels que Chaojinusheng 超级女生 ou plus récemment Jiayou haonaner 加油好男儿, les concours de danse et de modeling envahissent le petit écran. 53 Si en Occident la télé réalité et la

52 Rioux, La Culture de Masse en France de la Belle Epoque à aujourd’hui, Paris, Fayard,

2002.

53 En relation avec le concours de chant Chaojinusheng 超 级女生 , certains critiques considèrent la possibilité de voter pour sa ou son chanteur préféré comme une libéralisation démocratique demandée par la population, opposée au statique Parti

58 création de la star revêt une dimension plus économique que sociale

(encore que je ne minimise pas l'utilité politique de contrôle social et de

"donneur de sens" dans ces régions du monde), il semble qu'en Chine la révélation des difficultés cumulées pour atteindre un idéal (la vedettarisation en l'espèce) contribue à construire une unité nationale, sociale. Une sorte de socialisme télévisuel qui, parallèlement à l'intégration de la marchandisation de la force de travail et d'un libéralisme qui fait de plus en plus peur (dans un pays où le passage au capitalisme se fait sur un fond socialiste, provoquant du chômage, contrairement à l'Europe où le capitalisme à ses débuts s'appuie sur des opportunités croissantes d'emplois) permet à l'Etat de rassurer, protéger une population qui remercie chaudement sa famille et la CCTV, à savoir le Parti, de lui donner une chance de s'exprimer.54

La plupart des produits télévisuels sont vendus dans de nombreux pays du monde entier, ce qui a tendance à renforcer l'homogénéité économique et idéologique d'un monde qui se globalise. Plus le pouvoir économique augmente, moins la part des besoins primaires est importante, plus l’envie et le désir d’obtenir du rêve sont présents. De fait, un expatrié américain avouera ne « manquer à Shanghai ni d’argent, ni de femmes, mais de

Communiste Chinois. D'autres relativisent cette présentation dualiste de la situation chinoise actuelle.

54 Francoise Mengin, Politics in China, Moving Frontiers, Palgrave Mac Millan, 2002, pp.3-5.

59 reconnaissance » 55 . De nombreux américains jouent dans des groupes après leur travail avec l'objectif d'en obtenir une gloire, une reconnaissance : qu’y a-t-il de plus efficace que la musique pour devenir connu ? Le cinéma peut-être. Les stars ont leur vie créée, résumée dans des articles de journaux. Le fan a l’impression que la vie de l'idole est idéale, pleine de rebondissements, sans jamais connaître de trêve. Pour le fan, l'idole n’a jamais d’existence humaine puisqu’elle n’apparaît que dans des positions idéales, de rêve. Le capitalisme occidental et le communisme chinois acceptent tous deux le culte de la personnalité, le besoin d'images, de stars, de héros relayés par les médias, auxquels la population peut s'identifier.56

ème Pourtant, au début du XXI siècle, les secrets sont révélés, on commercialise les méthodes de création de l’idole. L'Europe et les Etats-

Unis connaissent cette désacralisation de l'artiste à travers la révélation des différentes étapes qui mènent à la célébrité. La compression à l’extrême d’un produit, fruit de la recherche d’une perfection extrême a conduit l’industrie musicale à fabriquer un format où tout est "parfait" : la voix est juste, les instruments superposés à l’infini, la mélodie est étudiée en amont pour plaire au public, la représentation est maitrisée par un clip vidéo ou

55 Propos recueillis dans le magazine That's Shanghai, février 2001.

56 John A. Walker, Art and Celebrity, London, Pluto Press, 2003, pp.169-70.

60 une apparition télévisuelle en play back ou un passage radio. 57 Cette course à l’idéal esthétique appelle d’autres désirs, de simplicité ou d’erreur humaine tout simplement, fautes qui seront excusées par le public occidental en recherche d’authenticité et un public chinois qui ne se soucie guère de toutes ces questions, plus sensible à l’aspect ludique, pragmatique de la musique.

Relatés aux fans, les efforts faits pour arriver à telle ou telle position permettent de valoriser l’artiste et l’équipe qui ont contribué à la réussite du projet. Probablement que, d’un point de vue occidental, ce combat pour la notoriété est présenté au grand nombre pour ne pas choquer par une réussite "facile". Mon expérience avec les rencontres de dirigeants de maisons de disques implantées sur le territoire chinois en 2005 confirme cette nécessité de montrer sa bonne volonté et sa compétence par la somme des difficultés surmontées, des peines endurées. Il y aurait ici une explication à chercher en relation avec la notion de mérite. Choisir entre travailler avec un individu qui peine pour obtenir un résultat ou un autre qui réussit facilement?

Si l'orientation politique de la Chine est, en matière sociale et économique, d'augmenter la richesse du peuple et de satisfaire en priorité les besoins primaires de la majorité de la population chinoise, représentée

57 Le terme anglais play back est traduit par jiachang 假唱 (chanter pour de faux) en chinois.

61 principalement par les paysans, il semblerait que la recherche de la perfection et de la nouveauté dans l'art et la création musicale soit reléguée au second plan. Pourtant, si la Chine est en majorité peuplée de paysans dont le pouvoir économique et le niveau de culture restent encore très bas, l'élite sociale chinoise est tout à fait mûre pour intégrer les nouveaux genres musicaux, les nouvelles tendances sonores et ainsi assimiler dans une certaine mesure les nouvelles attitudes artistiques et comportementales. La production musicale est capable de satisfaire l'ensemble des niveaux

ème sociaux observés en Chine au début du XXI siècle, ainsi que de cibler ses auditeurs en fonction de l'âge et même du positionnement géographique. La forte capacité qu'a la Chine d'écouter, d'assimiler et de reproduire les réalisations étrangères tout en réintroduisant sur le marché du disque des titres traditionnels remixés ou réécrits permet au monde musical chinois d'avoir une grande diversité de musique disponible.

Le piratage reste un sujet de débat animé en Occident puisque les grandes maisons de disques s’inquiètent pour leur avenir. En revanche, en Chine, l’intérêt pour cet aspect de l’industrie musicale est moins important. En effet, qu’il s’agisse des droits d’auteurs pour la création d’une œuvre ou du piratage massif d’albums étrangers ou chinois, la population, et je dirais même les responsables des maisons de disques chinoises, n’ont pas de scrupules à "continuer comme ça", puisqu’en Chine "ça a toujours été" et qu’en plus "toutes ces réformes viennent de l’Occident". Le rapport au disque étant moins sacré qu’en Europe, la création musicale étant plus relativisée, la volonté de se battre pour les droits d’auteurs et contre le piratage n’est que le fait des étrangers, des grosses maisons de disques

62 qui y voient un intérêt financier ainsi que de tous ceux qui veulent faire

"branché". En pénétrant dans les entrailles musicales shanghaiennes, on s’aperçoit que des musiciens qui ont apporté, il y a trente ans, des titres japonais sur le territoire chinois devenus en 2005 des tubes nationaux n’ont touché que quelques centaines de renminbi 人民币 pour leur travail. La plupart ne s’en plaignent pas, puisqu’ils considèrent qu’à cette époque-là, les choses étaient différentes, moins compliquées qu’à présent. Il est vrai que l’intervention excessive de l’économie dans la création musicale contribue à ralentir certaines coopérations qui se seraient faites plus vite, mais surtout à alimenter un rêve de richesse bien souvent illusoire et malsain pour l’art et le bon fonctionnement de l’humain en général. Dans certains domaines, je ne pense pas que les révolutions soient nécessaires, particulièrement lorsque l’on touche aux domaines "naturels" tels que l’expression artistique par exemple.

Si la France est représentée comme le pays de la loi (Faguo 法国) par les

Chinois, c'est entre autres que l'Hexagone aime légiférer sur tous les domaines qui touchent à l'existence humaine. La musique en ressent d'ailleurs une forte influence. En France, pour qu'il y ait musique, il faut qu'il y ait droit. La musique doit appartenir à quelqu'un, un compositeur, un artiste, un tiers. Elle doit être écrite, enregistrée, protégée. La musique est une entité juridique. Le lien droit d'auteur – création musicale fait partie intégrante de l'industrie de la production musicale occidentale. Jusque dans la psychologie des compositeurs et des auteurs, musiques et paroles appartiennent à un propriétaire, comme une partie de lui, de son patrimoine,

63 comme une descendance. L'artiste français, à un moment ou à un autre de sa carrière, se voit confronté à l'industrie culturelle, à ses règles juridiques et économiques. Pourtant, à en expérimenter son application, la législation qui protège les productions musicales et leurs créateurs semble ne profiter qu’aux producteurs importants qui finalement n’ont pas tant besoin d’un appui juridique que les producteurs indépendants. La SACEM (Société des

Auteurs et Compositeurs et Editeurs de Musique), bien connue en France pour prélever et répartir les droits d’auteurs, reconnaît son impuissance à le faire complètement, tant le nombre de morceaux exécutés est important.

De plus, la SACEM reconnaît les cercles vicieux qui se créent et profitent aux éditeurs de musique les plus connus.58 Si la situation semble quelque peu catastrophique en France en ce qui concerne la valorisation des droits d’auteurs, la perception par la SACEM de droits en provenance de Chine est quasiment inexistante, même après une pseudo-collaboration de plus de dix années. 59 Il va de soi que, si la France a déjà du mal à faire fonctionner au plein sens du terme et équitablement une législation dans son propre territoire, imaginer un succès dans ce domaine en relation avec la Chine semble encore plus utopique.

58 Voir annexe numéro neuf.

59 Mails reçus par des représentants de la SACEM à mes différentes interrogations quant à l'existence d'une réelle collaboration entre la SACEM et la Société d’ Auteurs Chinoise.

64 Traditionnellement, la Chine ne considère pas la musique comme une propriété intellectuelle donnant droit à des rémunérations. L'histoire du droit chinois, dont la philosophie tend à maintenir l’ordre politique plutôt qu’à défendre l’intérêt individuel ainsi que la conception de l'art en général, qui insiste plus sur la relation artiste – public que l'œuvre d'art elle-même, peut donner une orientation quant à l'appréhension de la position de la production musicale dans l'Empire du Milieu. La musique comme moyen d'expression, les textes contrôlés depuis l'époque des Zhou 周 , les chansons sont la propriété du royaume, comme si la musique était un tout, impossible à répartir entre des individualités.

Le cadre légal de la musique chinoise subit les influences d’un cadre légal global, moins juridique que le français, mais bien plus normalisé que celui existant en Chine. La musique vit "sans en avoir le droit". Elle existe seule, sans limites juridiques, peut-être seulement idéologiques, politiques. La

SACEM, qui tente d'obtenir les droits d'auteur en Chine par l'intermédiaire d'une société basée à Pékin, semble impuissante face au mutisme chinois des dix dernières années sur ce sujet. La priorité n'est pas à la structuration de la musique dans un cadre juridique, mais plutôt à l'organisation d'évènements grandioses pour donner du sens à la scène télévisuelle, au spectacle vivant, à la jeunesse. La production musicale est un outil qui sert le pouvoir, mais est aussi un pouvoir à elle seule. Lui donner une puissance juridique est un risque supplémentaire d'octroyer une dimension trop grande aux artistes, déjà détenteurs d'une ascendance psychologique, charismatique et nostalgique sur la population chinoise.

65 Si, à l’ère numérique, la musique semble de plus en plus impalpable, les magasins de disques restent des lieux privilégiés d’échanges musicaux et de découvertes sonores, qui passent bien souvent par un attrait graphique de la pochette du disque mais aussi par les disques mis à l’écoute. Il est possible d’établir trois catégories de distributeurs de supports musicaux.

Tout d’abord les Pifa shangdian 批 发 商 店 (les magasins qui vendent engros), les magasins de moyenne taille, et enfin les petits points de vente.

Je ne parle pas ici des vendeurs à la sauvette qui proposent des copies non originales. Les premiers, les vendeurs en gros, exigent de signer un contrat de vente de disque Xiaoshou xieyi 销售协议 (contrat de vente) avec la société productrice.60 Par exemple, la société Shanghai Xinghua shudian yinxiang gongsi 上海新华书店音像公司 vend des supports musicaux et vidéo dans ses propres locaux mais fournit aussi de nombreux magasins de

Shanghai de plus petites tailles. Ces derniers, comme par exemple le magasin de musique Tiantian yishu 天天艺术 juxtaposé au Conservatoire de Shanghai Shanghai Yinyue xueyuan 上海音乐学院, fonctionnent de la même manière que leurs grands frères mais acceptent aussi de ne pas signer de contrat avec le producteur de disque, puisque la quantité de produit déposée en stock ou en rayon n’est pas importante (une dizaine

60 Pour les détails d’un contrat de vente d’albums, voir l’annexe numéro dix : contrat xiaoshou xieyi 销售协议 de la société Shanghai Xinghua shudian yinxiang gongsi 上海新华

书店音像公司 .

66 d’exemplaires). Enfin, les petits détaillants qui vendent des vrais supports signent peu de contrats.

Les grandes librairies musicales ainsi que les magasins de moyenne taille organisent, entre un et deux mois après la mise en rayon d’un produit, des qianming huodong 签名活动 (scéances de dédicace), qui permettent à l’artiste de rencontrer le public, au public de découvrir l’artiste, et ainsi d’augmenter la zhimingdu 知名度 (notoriété) de l’artiste et du magasin et les ventes de l’album. En général, le distributeur touche entre 35 et 40 % du prix de vente en magasin. Les grands distributeurs ne traitent

(monétairement parlant) qu’avec la société productrice et légalement reconnue, chinoise. Ainsi, il est indispensable de passer par une entreprise de fabrication de disques chinoise pour, dans un premier temps, obtenir le numéro légal ISBN et, dans un deuxième temps, avoir la possibilité d’émettre un reçu lorsque les disques en magasin se vendent. Bien entendu, ces exigences conventionnelles sont exclues lors d’une négociation avec un petit ou moyen distributeur qui n’établi pas de contrat.

Pour le producteur de musique ou l’artiste, l’important est que le disque pénètre chaque quartier de la ville, toutes les possibilités sont les bienvenues, à condition d’établit un prix qui ne varie pas d’un point de vente

67 à un autre, pour garder une logique, tant du point de vue économique que de celui du client, qui ne veut pas se sentir abusé.61

61 Entretien avec Luo Yan, responsable d’un magasin de vente en gros Shanghai Xinghua shudian yinxiang gongsi 上海新华书店音像公司 qui conseille de faire attention à cette homogénéité des prix, dans Shanghai en tout cas, Shanghai, 1er juillet 2006.

68 2. Le Clip Vidéo

A l’heure de la « culture numérique », qui provoque depuis environ soixante-dix ans des révolutions technologiques dans tous les secteurs d’activités, y compris celui de l’industrie musicale, un monde parallèle au monde palpable se crée.62 Le monde rêvé de l'analogique et du numérique permet de contempler un paradis émotionnel fabriqué par des ingénieurs du son et de l’image. Dans ce monde à la fois en marge de l'existence réelle tout en y étant étroitement lié, le vidéoclip qui apparaît vers la fin des années 1980 est un produit culturel qui permet d’observer les mutations des sociétés. Les décors choisis, les techniques de cadrage, le matériel utilisé sont révélateurs. A travers les images du clip se dévoilent les valeurs prônées par la société créatrice; il est aussi possible de lire son objectif marketing. Le clip (de l'anglais bijou) vidéo, désigné en Chine par le terme anglo-saxon MTV (Music Television Video), est un support très utilisé depuis la fin des années 1970; c'est en 1977 que naît le premier véritable clip, celui du groupe Queen pour sa chanson Bohemian Rhapsody. Peu après, le rock fait son apparition en Chine, plus précisément en 1980, quand un groupe de rock voit le jour à l'Université des Langues Etrangères

ème de Pékin. Au début du XXI siècle, l'Empire du Milieu et les chaînes de télévision chinoises diffusent un grand nombre de clips dans l'objectif de promouvoir les artistes, que ce soit sur les chaînes musicales ou artistiques

62 Charlie Gere, Digital Culture, London, Reaktion Books, 2002, p.13.

69 de Shanghai (Yinyue pindao 音乐频道; Wenyi pindao 文艺频道) ou celles de

Pékin (Yinyue pindao 音乐频道), entre autres.

La vogue du clip renforce une tendance déjà présente, diffuse sur les

écrans une culture musicale déjà largement prédominante et répand une culture iconique issue du même moule.63 Le clip vidéo permet de présenter l'artiste dans un environnement différent d'une émission de télévision traditionnelle où l'on invite le chanteur à interpréter une œuvre, il est aussi très différent d'un concert. Dans les deux cas cités précédemment, l'artiste est exposé à l'erreur et les artifices utilisés pour embellir l'apparition de l'idole sont moins importants que dans le clip vidéo, où chaque image est montée, retravaillée et optimisée. Si le travail effectif intégré à la création audiovisuelle présente un grand intérêt, on peut néanmoins s'interroger sur l'imaginaire qu'il véhicule. « Comme la publicité, il répète les clichés thématiques : la rencontre, l'amour contrarié, le voyage, la femme-objet, mais il est original dans la densité des superpositions de mondes imaginaires différents ».64 Pourtant, le consommateur de vidéo musicale est enfermé dans un imaginaire produit par les références et les codes culturels des puissances mondiales dominantes.

63 Annexe numéro onze.

64 Annexe numéro onze.

70 La relation qui existe entre l’image (la vidéo), le son (le titre musical) et le lien (interprétation) avec le spectateur auditeur semble se rapprocher

étrangement de la logique trinomique de la linguistique. Cette dernière possède trois variables. La première variable est le son, la manière dont la mémoire reproduit ce qu’elle entend. La deuxième variable, l’image, fonctionne par analogie tandis que la troisième composante est la relation entre le tout.65 Si, dans le monde de la musique, l’image semble avoir une importance subordonnée au son puisque l’on parle de produit musical en premier lieu, il n’en reste pas moins qu’elle contribue à former un tout homogène et harmonieux, principalement par la relation que le cerveau humain va établir entre l’image et le son.

En linguistique, la fusion du son et de l’image donne du sens. Dans le produit qu’est la vidéo musicale, l’image vient donner un complément de sens, une orientation sentimentale à l’évocation musicale. A l’inverse, dans la réalisation et le montage d’un film, la musique vient donner ce complément de sens, cette orientation sentimentale voulue par le metteur en scène. Si l’ordre d’utilisation du son et de l’image change suivant qu’il s’agit de la réalisation d’une vidéo musicale ou d’un film (ou d’une série télévisée), le résultat que l’artiste veut atteindre est la cohérence établie par la raison. En Chine, la véritable cohésion qui peut s’établir entre l’oral et

65 Annexe numéro douze.

71 l’écrit est celle exprimée dans la musique. Bien entendu, certains clips vidéo misent sur une absence de relation directe entre le sens du son et celui des images. Dans ces cas-là, c’est la capacité d’imagination de l’auditeur visionneur qui entre en action et va établir un sens général. S’il semble que cette technique permette au consommateur de vidéo musicale d’avoir une certaine liberté en utilisant sa raison d’une manière plus accentuée que dans des clips où le sens est "prémâché", on a l'impression que les références globales et maintes fois réutilisées convergent toutes vers un "sens commun".

Le clip joue souvent le double jeu du réel et de l'imaginaire. Si le cinéma classique s'efforce de cacher ses effets spéciaux, ses trucages (on y voit rarement un acteur regarder le spectateur droit dans les yeux (l'axe Y-Y)), le clip affirme que le chanteur est réel au milieu d'un foisonnement imaginaire, irréaliste. La situation qui en résulte est double. Comme le précise Théophile Gautier, « la musique est le plus cher de tous les bruits », et si l’on rajoute à ce bruit luxueux le clip vidéo, il ne fait aucun doute que l’art musical moderne est étroitement lié à l’économie. Un professionnel de l'image expliquait que, plus on investit de l'argent, plus le résultat sera parfait66. Cette constatation est un fait essentiel en rapport avec l'industrie

66 Gerard Brechet, avec qui j'ai travaillé sur mes vidéos personnelles. Gérard Brechet travaillait en 2004, sur la région lyonnaise, avec le groupe de hard rock Lyzanxia distribué au Japon.

72 musicale. La création de l'idole et de son image vidéo demande un investissement important. Le prix moyen d'un clip se situe autour de 40 000 dollars avec quelques records : 1 250 000 euros pour Thriller de MichaëI

Jackson, 750 000 euros pour David Bowie ou Elton John.

En 2005, à Shanghai, un directeur des programmes de la télévision de

Shanghai estime qu'il faut dépenser au minimum 60 000 renminbi 人民币, soit 6 000 euros, pour un clip vidéo professionnel mais très simple. Il ajoute qu'il faut monter la somme à 100 000 renminbi 人民币, ou 10 000 euros pour être plus satisfait, mais que le budget d'un clip vidéo n'a pas vraiment de limites, puisque celui-ci dépend de l'imagination des investisseurs et des artistes décideurs. Ces sommes ne comprennent pas, bien sûr, le prix à payer pour la diffusion du clip à la télévision, domaine encore plus flou et flexible. C'est d'ailleurs à ce moment-là que l'on comprend plus précisément l’importance des guanxi 关系 (les relations) en Chine, puisque celles-ci permettent à un artiste de gagner du temps pour trouver les meilleurs réalisateurs où toutes sortes de collaborations sont envisageables, "entre amis" seulement.

Après cinq à six passages par jour d’un clip vidéo à la télévision, un groupe peu connu devient célèbre. On estime que la diffusion d'un clip peut permettre d'augmenter les ventes du disque de 10 à 12%. Si on constate que, récemment, les émissions de musique continues connaissent une certaine désaffection du public en Europe ou aux Etats-Unis, les experts

73 musicaux ne voient pas comment on pourrait faire marche arrière. Le clip reste un instrument de promotion indispensable.

A travers la vidéo musicale, c'est une nouvelle image du chanteur qui apparaît, le clip est bien souvent plus attendu par le public que le disque lui- même. Mais, pour faire un clip, il faut un look, c'est-à-dire une nécessaire adéquation entre l'image d'un chanteur et sa musique. L'exemple du chanteur français Richard Anthony qui, dans les années 1980, refuse pendant 10 ans tout passage parce que, pour le public, son image sonore ne correspond pas à son image physique, est célèbre. La diffusion massive de clips suscite un problème idéologique, dans la mesure où il apparaît comme un produit de consommation lié au grand capital. La diffusion intensive est assurée à ceux qui payent cher. Le système renforce donc la position des vedettes.

En Chine, l’image de l’artiste pensée en fonction de sa musique est aussi une question étudiée pour le lancement d’une nouvelle production.67 Si le début du troisième millénaire voit fleurir un nombre sans précédent de chanteurs sur la scène chinoise, il faut bien reconnaître (à en écouter l’opinion de la population chinoise) qu’il est difficile de retenir l’image et la musique d’un artiste en particulier. Puisque dans le monde du show business chinois on assiste à une course vers la notoriété, les candidats à

67 Annexe numéro dix.

74 la starification sont nombreux et les idoles innombrables. Il en résulte, pourrait-on dire, un relativisme de la part du public en ce qui concerne l’appellation à donner à la majorité des soi-disant "pop stars". La notion d’aversion au risque de la part des maisons de disque ou des investisseurs va renforcer leur détermination à produire une musique que "tout le monde aime", ou qui suit le zhuliu 主流 (courant principal), pour limiter le risque d’échec. De fait, puisqu’ils n’ont peu ou pas le temps ni l’habitude artistique de chercher eux-mêmes de nouvelles musiques, les mélomanes chinois ne sont abreuvés que de musiques positives, politiques et "romantiques". Le cercle vicieux du développement musical et artistique en général de l’individu, vertueux pour les manias du show business, est bien établi.

Si le clip offre un vaste champ d'expérience à la créativité, il semble par certain aspects forts stéréotypé quand il reste le privilège d'une musique commerciale, seule capable de s'offrir ce luxe coûteux, ou lorsqu'il utilise les nombreux clichés empruntés au cinéma et plus particulièrement au western. Il est la vitrine des looks les plus variés et les plus "modes" de notre époque.

Le clip, comme publicité de la musique qu’il exhibe, permet de réduire le risque pris par le consommateur. Si les professionnels sont capables de prévoir à l’avance le type de musique qui va plaire au mélomane et que le cerveau de celui-ci, quoique extrêmement bien fait, peut fonctionner un milliard de fois mieux en emmagasinage et traitement d’informations, le champ des possibilités pour l’acceptation des nouvelles musiques n’est que

75 très réduit et n'est accessible qu’aux êtres qui voudront chercher plus loin que ce qu’on leur vend et présente.

Le clip vidéo est une forme d’art visuel qui permet de prolonger l’impact du son et du sens, et il rejoint en cela le rôle essentiel des caractères chinois placés en sous-titres lors des émissions télévisées chinoises. Ce visuel resserre les liens de la communauté chinoise, qu’elle se trouve en Chine

Populaire ou expatriée à l’étranger. Au-delà de la Mandapop (mandopop) et de la Cantopop, qui « créent une communauté sonore imaginaire et contribuent à fabriquer une identité chinoise globale par-delà les frontières politiques des Etats », les idéogrammes rassurent le pouvoir central quant à l'unité nationale et permet à la population de "s’entendre" et de se "voir".

L’intégration des nouvelles technologies dans le clip vidéo permet à la créativité d'entrer dans le jeu visuel et graphique dont les idéogrammes sont l’objet. En effet, si la vidéo a permis de repousser les limites de la production visuelle et musicale, il en va de même pour ce qui est de l’utilisation "moderne" des caractères chinois. Si, après quelque temps passé en Chine populaire, l’observateur étranger s’habitue à l’omniprésence du sous-titrage chinois pour la plupart des productions télévisuelles, le premier contact avec cette manière de faire amène à s'intérroger quant à son utilisation. Le pragmatisme tout d’abord. Dans un pays où cohabitent plus de 200 dialectes, l’utilisation des caractères,

76 représentants officiels du chinois mandarin, permet de comprendre le sens par la lecture du sous-titrage. 68 L’identité ensuite. Les sous-titrages en caractères chinois permettent de renforcer le sentiment patriotique des communautés chinoises, qu’elles se trouvent dans l’espace géographique chinois ou dans la diaspora. Le visuel des idéogrammes ravive et entretient le sentiment culturel, permet aux chinois de se rallier à un imaginaire commun. L’esthétique, enfin. Le sous-titrage en caractères chinois donne une assise et une stabilité à l’image. Comme si cette dernière était soutenue par des piliers ou des colonnes en marbre qui donne une solidité

à tout l’édifice. Bien entendu, il s’agit ici d’une opinion esthétique personnelle. Je laisse la liberté de jugement à ceux ou celles qui veulent se prêter à cette analyse.

Dans certains clips vidéo de Zhou Jielun, celui tourné pour la chanson

Qingtian 晴天 (Une belle journée) par exemple, l’apparition et la disparition des idéogrammes du sous-titrage viennent donner un rythme au clip lui- même, et permettent d’apporter un effet supplémentaire. Le jeu qui s’opère entre les images et les idéogrammes ajoute un intérêt artistique au support

68 Le chinois mandarin et l’arabe littéraire sont les langues officielles parlées par les membres du gouvernement dans leurs discours officiels, par les présentateurs de télévision sur les grandes chaînes nationales ou enfin dans les livres sacrés comme le

Daodejing 道德经 ou le Coran. En outre, de nombreux dialectes sont utilisés par la population pour communiquer dans la vie quotidienne.

77 visuel. Le chinois mandarin, qui s’est transformé au cours des siècles dans le graphisme de ses caractères et dans la grammaire, s’adapte à sa manière à la modernité et utilise les outils de cette modernité pour produire un visuel "à la chinoise". 69 Ainsi, le clip vidéo devient une production qui superpose et parallélise nombre d’ingrédients : les images, un scénario, des effets spéciaux, des sous-titrages qui accompagnent le déroulement de l’histoire et, enfin, la musique.

Dans les années 1980, la vidéo musicale fait son apparition en Chine.

Wang Guoping 王国平, l’un des pionniers du clip vidéo sur le territoire chinois, réalise depuis plus de 25 ans des vidéos qui accompagnent non seulement le développement d’artistes de tous horizons mais aussi le développement économique de la Chine, qui réalise de nombreuses vidéos publicitaires où la musique est mélangée à l’image.70 Les clips vidéos sont utilisés par tout les styles de musique, que ce soit pour promouvoir le

69 Christophe Hisquin, La Production de Disque Pop rock en Chine à la fin du XXème siècle,

Mémoire de DEA Langues et Identités Culturelles, Université Lyon 3 Jean-Moulin, 2003, p.45.

70 Expérience professionnelle personnelle, collaboration avec Wang Guoping 王国平 pour le tournage d'une publicité sur Shanghai commandée par le gouvernent chinois, juin 2006,

Shanghai

78 rock’n’roll de Cui Jian ou de Hei Bao, les groupes qui imitent la tradition musicale occidentale ou encore pour les chants patriotiques.71

71 Gregory B.Lee, La Chine et le spectre de l’Occident, Paris, Editions Syllepse, 2002, pp.139-42.

79 3. Industrie musicale, clip vidéo et jeunesse chinoise

L’industrie du disque possède un arsenal d’armes toutes plus sophistiquées les unes que les autres pour vendre le produit musical et fidéliser la clientèle. L'approche sociologique critique marxiste, qui établit la culture de masse comme produit de l'industrie culturelle, dont le but final est de faire du profit ou d'obtenir de la valeur ajoutée chez les exploités de ce secteur, montre comment cette situation générale influence jusqu'à la création musicale. 72 La musique en Chine n’échappe pas à ces méthodes de production puisqu’elle est entrée dans la course capitaliste depuis le début des années quatre-vingts. Pour écouler la production musicale, les vendeurs de musique et de rêve vont utiliser un élément essentiel constitutif de l’état de la jeunesse : le besoin d’idolâtrer. Partant de l’axiome de base que tout être a un besoin inné d’adorer un dieu (qu’il soit invisible, homme, animal ou autre), et que cette nécessité est amplifiée chez les jeunes, on en conclura comme Daniel Bocquet l’écrit dans sa thèse remarquable que

« l'adoration des idoles est d'autant plus forte que le sujet adorateur est faible » et que « les adolescents sont les plus sujets à l'idolâtrie en raison de leurs incessantes déceptions chroniques ou crises d'identités ».73 Les besoins d'admirer ou de détester naissent avec les parents qui représentent

72 Victoria D. Alexander, Sociology of the Arts Exploring Fine and Popular Forms, Blackwell

Publishing, idée générale de l’ouvrage, 2003

73 Daniel Bocquet, L’imposture de l’artifice, 1998, p.17.

80 la figure de l'autorité, admirée et crainte. En s'émancipant et en quittant le cercle familial, le jeune adolescent aura cette tendance naturelle à rechercher d'autres modèles.74

Depuis toujours, dans le monde entier, la « prédisposition à l’apate », c'est-

à-dire « la volonté de s’oublier dans l’inconscient et de perdre son identité », est une information supplémentaire sur la nature humaine de l’adolescent que pourront exploiter les excellents "mauvais génies" pour vendre le produit musical. La période de la jeunesse offre donc un champ sensitif, sensoriel, émotif qu’il va falloir combler d’une manière ou d’une autre. Par manque d’expérience et de perspicacité, l’individu jeune subira l’influence de son environnement plus violemment que l’adulte. C’est dans cette période qu’il va falloir, pour le vendeur de musique, créer le consommateur, le fidèle, le fanatique, en « rétrécissant son champ de conscience » et en utilisant le « narcissisme refoulé de l’individu détestant sa propre image ».75

Si la musique peut être utilisée auprès des enfants pour changer l'attitude vis-à-vis de l'autre, l'étranger, et ainsi limiter le degré de xénophobie et de racisme à l'âge adulte, c'est que l'influence de cet art sur l'humanité est

74 John A. Walker, Art and Celebrity, London, Pluto Press, 2003, p.3.

75 Bocquet, L’imposture de l’artifice, pp.17-8.

81 incontestable. 76 Comme le montre Philippe Marion, « la musicothérapie utilise cet aspect sécurisant de la musique continue qui favorise le travail de l'imaginaire, la perte du contact avec le réel, le retour au sein maternel ».77

ème En Chine, au début du XXI siècle, il ne fait aucun doute que la jeunesse chinoise possède ces mêmes caractéristiques naturelles exacerbées en raison du vide idéologique qui existe dans l’Empire du milieu. L’incapacité présente des intellectuels et des grands frères chinois de ces adolescents

ème du XXI siècle à trouver la zhengque sixiang 正确思想 (la pensée juste) (et donc la fangxiang 方向 (la direction)) amplifie le flou créé par la voie officielle qui encourage la compétition économique, ou l’individualisme, tout en prônant une forme de holisme socialiste : Rang dajia zhidao women shi zhongguoren ! 让大家知道我们是中国人 ! (Que tout le monde sache que nous sommes chinois !) chante la star Hongkongaise Xie Tingfeng 谢霆风 en 2004. Ce contexte instable laisse un champ encore plus important au sentiment de vide chez la jeunesse chinoise, qu’il faudra de toute manière combler par d’autres rêves, plus abordables, plus palpables, accessibles rapidement. La construction de la chanson populaire permet de fabriquer

76 Maria do Rosario Sousa, Can Music Change Ethnic Attitudes Among Children ?, London,

Sage Publication, idée générale de l’article, 2005.

77 Philippe Marion, Le vidéoclip: art total ou drogue électronique, conférence à Châtelet,

1986.

82 une stabilité sociale, un repère face aux « discours (politiques) instables ».78

Au début du XXIème siècle, la jeunesse chinoise est abreuvée de MV (Music

Video) qui font partie de ce que l'on appelle la pop promo, terme qui désigne tout d'abord la musique pop rock mais aussi le clip comme outil promotionnel. 79 Ces clips vidéo exhibent les modes de vie, les attentes, les espoirs, les haines de leurs idoles. Si, bien souvent, les paroles des chansons pop rock sont assez floues quant à leur sens, nous avons montré plus haut que la vidéo peut aider à la compréhension ou en tout cas donner une indication supplémentaire pour se faire une image mentale du sens visé par l'artiste. Nous avons aussi souligné que certains clips vidéo utilisent un procédé inverse, puisque l'effet artistique recherché est contenu justement dans un synopsis, un montage sans lien direct avec la chanson interprétée. Ces clips vidéo, tout comme la découverte de nouveaux morceaux de musique, font partie du quotidien de la jeunesse chinoise. Les nouveaux titres écoutés à la radio ou sur l’internet pénètrent les conversations et permettent aux jeunes de s’intégrer à un groupe social. La musique comme sujet de conversation de la jeunesse promeut les productions musicales les plus diffusées, mais aussi, à partir d’un certain

78 David Hesmondhalgh, Popular Music Studies, London, Arnold, 2002, p.39.

79 Jeremy G. Butler, Television Critical Methods and Applications, Lawrence Erlbaum

Associates, 2002, p.220.

83 âge, à la post-adolescence lorsque la volonté de se différencier devient plus forte, la critique positive de certains groupes et chanteurs en marge du star system.

En Chine, cette volonté d’être différent par une identification à un artiste non connu reste faible tant la musique est utilisée par le pouvoir politique et l’industrie du divertissement dans un objectif de convergence vers les mêmes comportements d’achat. C’est dans le medium humain qu’est la rumeur que vont se former des suppositions quant à la tournure que prendra le prochain album d’un artiste. La rumeur est aussi utilisée par l’action marketing pour préparer la sortie d’un produit musical. Elle permet à la jeunesse, dans un monde où le pouvoir est détenu par celui qui possède l’information, de se placer dans une position de "pionnier" quant à la critique du disque à venir (ou en tout cas d’un nouveau titre puisque la notion de disque chez les plus jeunes tend à s’amenuiser). La promotion positive ou négative qui résulte de la conversation de la jeunesse peut déterminer la réussite ou non d’un projet musical.

En Chine, le site internet Sohu 搜虎 permet d’être au courant de nombre de nouveautés musicales, particulièrement celles produites par l’industrie musicale officielle. La jeunesse chinoise est d’ailleurs dans la capacité de faire le lien entre la musique plébiscitée par la vidéo musicale et les musiques produit des organes officiels, les maisons de disques et le gouvernement. Les productions musicales supportées par la vidéo et diffusées sur les yinyue dianshi 音乐电视 (les chaînes musicales) font l’objet

84 de sujets de conversations et de critiques sur les chats de l’internet.80 Ainsi, le clip vidéo, le disque ou le MP3, les sites musicaux, les conversations avec les copains qui font et défont les productions musicales composent et accompagnent dans une grande mesure le développement, l’idéologie et la mémoire de la population.

Jeroen De Kloet montre que « la Chine continentale, mais aussi les communautés chinoises réparties dans le monde, vibrent aux sonorités, souvent sirupeuses, d’une musique pop made in Asia et non made in

Occident ». Les scènes que propose l'univers musical chinois présentent des artistes juvéniles, encourageant la jeunesse à adopter une attitude générale positive et naïve. La culture du ke'ai 可爱 (mignon), fortement propagée par les Japonais, est, au niveau du visage et du visuel, caractérisée par une position de la mâchoire qui permet de projeter sur le devant des dents les paroles chantées des chansons, "l'intentionalisation" des fossettes pour paraître "mignon" ou "mignonne" (tout comme il existe en France une attitude désinvolte et rebelle caractéristique des adolescents). Les artistes féminins accentuent particulièrement cette attitude infantile qui se répercute sur la plupart des adolescentes et des jeunes adultes. Cela renforce le sentiment d'appartenance à une

80 Christophe Hisquin, La Production de Disque Pop rock en Chine à la fin du XXème siècle,

Mémoire de DEA Langues et Identités Culturelles, Université Lyon 3 Jean-Moulin, 2003, p.58.

85 communauté de vivants et permet de donner un espoir et un sens à l'existence. Lors des concerts, la rythmique est plus ou moins battue par le public qui possède dans la plupart des cas des bâtons phosphorescents, comme si cette baguette magique lui permettait d'avoir accès au rêve et de changer à sa guise l'artiste en scène ; comme si le choix venait des spectateurs, maîtres de leurs vies et de celle des artistes.

Dans les salles de cours du conservatoire de Shanghai, il n’est pas rare d’entendre des prises de positions politiques très fermes quant au nouveau courant musical zhuliu 主流 qui envahit les ondes, pénètre les consciences des individus et inonde l’air citadin. En cours de zhongguo yinyueshi 中国音

乐史 (histoire de la musique chinoise), le professeur sermonne les élèves qui deviennent par leur présence même les représentants et les fautifs d’une génération entière de Chinois qui ont plus ou moins abandonné la musique traditionnelle chinoise, modale, que les Occidentaux se plaisent toujours à appeler "musique d'origine exotique" (en référence aux musiques venant d'autres cultures, d'autres civilisations ou influencées par ces cultures). Comme si la Chine pouvait, par les cours dispensés dans les classes destinées aux futurs producteurs de la musique officielle chinoise moderne, résister au son globalisant, comme ça, juste en commentant la grandeur de la mélodie chinoise.

Pour les jeunes musiciens extérieurs au monde du conservatoire de musique, sanctuaire traditionnel de production musicale, cet endroit terrifie rien que par l’idée technique, académique et règlementée qu’il véhicule.

86 Les jeunes artistes entendent faire de la musique d’une manière libre, en

écoutant leurs sentiments et en interprétant leurs compositions par l’intermédiaire d’un groupe, là où la musique prend vie. Par la suite, le groupe se produira dans des bars et deviendra porteur de sens, lorsqu’il prendra toute sa dimension face aux auditeurs. Pendant ce temps, l’enregistrement de l’album peut s’effectuer dans un home studio de fortune

(de plus en plus professionnel) et est fin prêt pour une vente aux fans. Telle est la route de l’indépendant.

87 4. Structure de la télévision en Chine.

Si, dans une large mesure, la diffusion de la musique semble indissociable de la radio, la télévision est devenue encore plus incontournable pour analyser le rôle de la musique dans les sociétés. David Hesmondhalgh écrit dans son ouvrage Popular Music Studies :

Radio song has increasingly lost ground to televised song, because of the overwhelming presence of music videos. As a result popular songs have been incorporating the image into its basic forms of communication which has introduced considerable complexity to its analysis.

La musique radio a sans cesse perdu du terrain sur la musique télévisée, et ce à cause de la présence étouffante des clips vidéos. Le résultat est que la musique populaire a incorporée l'image à ses formes de communication les plus basiques, ce qui a compliqué considérablement son analyse.

En Chine, le rôle de la télévision n'a cessé de prendre de l'importance et son organisation, économique et politique, a connu des changements significatifs au cours des trente dernières années, avec un objectif certain de coller à la modernité et au développement économique du pays. La

Télévision Centrale de Chine CCTV (China Central Television), basée à

Pékin, se compose de quatorze chaînes principales, (CCTV news xinwen 新

闻, CCTV1, CCTV 2, CCTV 3, CCTV 4, CCTV 5, CCTV6, CCTV7, CCTV8,

CCTV9, la CCTV10, CCTV11, CCTV12, CCTV shaoer 少儿,CCTV yinyue

音乐). Ce réseau télévisuel est l'objet technologique de masse le plus efficace pour permettre à l'orientation politique donnée par le parti

88 communiste chinois de pénétrer dans les foyers des quatre coins de la

Chine.

La CCTV International (CCTV-9) est une chaîne qui diffuse des programmes en langue anglaise, et ce 24 heures sur 24. Il s'agit aussi du plus grand réseau de télévision national en Chine. La chaine a été lancée en 2000 et a pour objectif d'informer les téléspectateurs et plus particulièrement la Chine. Une ambition supplémentaire est de fournir une plus grande diversité et plus de perspectives dans l'information.

L'agence Xinhua 新华 explique que la CCTV a pour objectif dans les trois ans de laisser à chaque chaîne la responsabilité de sa propre gestion, en particulier pour ce qui est de la publicité et des interventions artistiques.

Dans un même temps, les dianshiju 电视剧 (séries télévisées) s'orientent vers un changement sur la manière de vendre les droits de diffusion, puisque la CCTV souhaite que ces droits soient vendus une seule fois à la television et que celle-ci en dispose sur l'ensemble des chaînes du réseau télévisuel. Dans ce contexte, et dans une Chine où le petit écran est déjà envahi par les séries télévisées, ces dernières renforceront encore plus leur présence à l'écran et dans la vie des Chinois.

Le Shanghai Media Group (SMG) regroupe depuis 2001 la Radio du Peuple de Shanghai, la Radio de l'Est de Shanghai, la Télévision de Shanghai ainsi que la Télévision Orientale de Shanghai. Ce groupe médiatique n'a cessé de croître pour représenter aujourd'hui une entreprise de 5200 personnes et

89 un capital de 11,7 milliards RMB. Depuis cinq ans, il est clair que la télévision à Shanghai s'est professionnalisée, tant dans la qualité des programmes, la diversité de ceux-ci ainsi que dans les stratégies à court et moyen terme. A l'heure actuelle, les programmes de la SMG sont nombreux et regroupent le sport, le showbiz, les arts, les sciences, la finance et plus encore. Avec 11 chaînes publiques, 90 chaînes privées, des chaînes sur l'Internet, et 19 radios, le groupe possède aussi des journaux, des magazines, des sites web et des publications audio-visuelles. L'objectif avoué de la SMG et de son président est de favoriser l'expansion des programmes destinés au marché interne mais aussi au marché de la diaspora chinoise. La logique est bien celle d'une entreprise à but lucratif, fini le temps du non-professionnalisme et de l'économie socialiste.81

En se référant au cas de l’Inde, qui ressemble dans bien des domaines à celui de la Chine, on constate que la situation dans laquelle la musique pop indienne évolue depuis le début des années 1990 est modelée par la libéralisation économique et l’impérialisme culturel. Ainsi, l’Inde reconnaît dans ce processus de développement économique que « l’influence des clips vidéos (et de la musique à la télévision en général) est devenue si

81 Pour une présentation du Shanghai Media Group SMG voir le site web http://www.smg.sh.cn/english/index.html.

90 importante que les Indiens nés à l’époque de la post-libéralisation sont en général décrits comme faisant partie de la MTV generation ».82

82 David Hesmondhalgh, Popular Music Studies, London, 2002, p.240.

91 5. Le message de la télévision en Chine, et la

musique

Existe-t-il une logique autre qu'économique qui motive le choix du contenu de la télévision chinoise ? Pour répondre à cette interrogation et ainsi arriver à cerner dans quel contexte le monde musical chinois évolue, il est intéressant tout d'abord de montrer comment la télévision "parque" ses artistes dans ses programmes. S'il est bien entendu qu'une organisation est nécessaire pour la réussite de n'importe quel projet, je parle ici d'un parcage quasi-forcé, dans le but de contrôler un groupe de personnes. Par la structure choisie ainsi que par la nature de la répartition, il est possible d'émettre quelques hypothèses et conclusions en ce qui concerne la volonté du gouvernement chinois d'éduquer le commun peuple d'une certaine manière.

Les premières interrogations se sont fait entendre lorsque j'essayais de comprendre le rôle de l'étranger dans les programmes de divertissements télévisés. Prenons par exemple le concours annuel Waiguoren zhonghua caiyi dasai 外国人中华才艺大赛 (les étrangers et les arts chinois) qui se déroule pendant la période de chunjie 春节 (la fête du printemps). Le concours est une pseudo-compétition (j'utilise le terme "pseudo" car, au final, on ne sait pas qui gagne vraiment) à la louange de l'Empire du milieu.

En effet, l'objectif (plus ou moins) avoué est de célébrer la Chine et sa culture par l'intermédiaire de bouches étrangères. Pendant des années, ce concours avait une forme d'amateurisme gentillet. Les organisateurs chinois

92 étaient partagés entre l'admiration pour le laowai 老外 (terme utilisé en

Chine pour désigner l'étranger) capable de baragouiner en mandarin, de chanter un air de musique ou de tenter de faire rire, et l'évidence du non- professionnalisme de ce dernier. Les professionnels chinois (représentés principalement dans ce contexte par le ou les daoyan 导演 (metteur en scène)) pouvaient à leur guise former, sculpter l'expression théâtrale qu'ils désiraient dans l'objectif de correspondre à la toile politico-artistique exigée.

Les étrangers sont parqués dans des émissions et programmes et ne sont que très rarement mélangés, à l’écran, aux artistes chinois.

En 2005 se pose le problème d'une confrontation entre le semi- professionnalisme (j'utilise le terme "semi" pour désigner un artiste qui produit de temps à autre de la musique mais qui n'en fait pas son activité ou sa source de revenu principales), le non-conformisme, l'individualisme ainsi que l'improvisation et l'organisation chinoise.83 Ils souhaitent des étrangers talentueux. Lorsqu'ils le sont, ces derniers veulent-ils s'enfermer dans le modèle artistique musical chinois, ou préfèrent-ils apporter une autre contribution à la scène chinoise et ainsi prédire sur cette scène ce qui, dans un futur proche, se passera dans la société même ? L'Occident peut, en chinois mandarin, infiltrer les pensées, les attitudes, les traditions chinoises.

A moins que le gouvernement n'ait déjà prévu de ne laisser à l'artiste

étranger intégré par la maîtrise de la culture et de la langue que des

83 Annexe numéro treize.

93 espaces de "bêtes de cirque" ou de "soirées d'étudiants qui s'éclatent en chantant en chinois", en évitant ainsi d'être assiégés et contaminés par de nouvelles valeurs, mentalités, convictions, transmises par l'intermédiaire de ces artistes occidentaux dont l'objectif est "d'éduquer" la population par l'art moderne ou par l’apport d’arts étrangers authentiques. Et ainsi faire tomber le pouvoir mis en place. Les Chinois voudraient-ils écouter du Madonna et en même temps refuser toute la rage du groupe de rap français NTM ? Ou n'accepteraient-ils la rage que lorsqu'elle vient de bouches chinoises?

L’attitude scénique en dit long sur le message que l’artiste veut présenter à ses auditeurs, elle révèle aussi le personnage qu’il désire apporter sur l’autel de la société. Il est instructif d’observer comment la majorité des chanteurs chinois se comportent sur la scène. Très souvent, pendant sa prestation, l’artiste exécutera des gestes descriptifs particuliers : ronds, lents, exagérés. Lors d’une conversation avec une littéraire roumaine et un anthropologue suisse travaillant sur le chamanisme, j’ai pu apprendre qu’avant 1999, sous le régime communiste de Roumanie, les chanteurs roumains avaient la même gestuelle sur scène que les chanteurs chinois actuels. En outre, Milovan Djilas montre que la culture qui résulte d’un pays dirigé par le parti communiste « ressemble trait pour trait à la propagande politique ».84 L'application de l'idéologie marxiste dans le communisme et le socialisme chinois impose une esthétique propre. En outre, la forte

84 Mickael Voslensky, La Nomenklatura, Paris, France Loisir, 1980, p.33.

94 influence des opéras chinois où les mouvements exécutés ressemblent très fortement à ceux utilisés par les artistes actuels, (témoins, par exemple, les mouvements gestuels et dansants, mais aussi de déplacement de la pièce

Guifei zuijiu 贵妃醉酒) concourent à former une culture visuelle syncrétique.

Enfin, le contenu des chansons donne aussi une ligne directrice et des indications quasi naturelles quant à la prestation scénique appropriée. Les chansons chinoises relatent le plus souvent la nature et la masse; ainsi les gestes d’envergure sont plus utilisés que des gestes directs et introvertis, ces derniers étant plus propices aux chansons évoquant des sentiments intimes (encore que, lorsque l’on évoque le romantisme, les artistes chinois traditionnels font souvent référence à l’astre qu’est la lune, que l’on peut aisément décrire d’une manière "chinoise").

La télévision chinoise est envahie par l’existence d’une domination idéologique.85 Le support télévisé sert cette idéologie. La musique que la machine politique chinoise permet de diffuser à la télévision doit être, elle

ème aussi, en accord avec l’idéologie prônée au début du XXI siècle « le parti communiste va aimer cet artiste, cette chanson ».86

85 Dominique Colomb, L’essor de la communication en Chine, 1997, p.126.

86 Déclaration de mon agent, Xiaoping 小平, lors d'un spectacle pour la région Songjiang 松

江 qui se trouve dans le sud-ouest de Shanghai, 20 novembre 2005

95 Dès les premières pages des ouvrages sociologiques qui s’attachent à définir et à décrire la structure et les règles de la culture chinoise, le lecteur se heurte à cet état de fait : « l’orientation politique de la culture chinoise est donnée par le parti communiste chinois et toutes ses tâches sont décidées par lui, dans l’objectif de servir le peuple et le socialisme » :

中国文化政策的目标是由中国共产党在社会主义时期的基本路线和根本任 务所决定的。。。为人民服务,为社会主义服务。87

L'objectif de la politique culturelle chinoise est de servir le peuple et l'idéologie socialiste grâce aux décisions et aux directions prises par le parti communiste chinois, dans une période de socialisme.

La culture chinoise, dont la musique fait partie, doit être en premier lieu au service du peuple, au service de l’idéologie socialiste. Steven Wayne Lewis décrit plus en détail comment « the socialist spiritual civilization » est vendue dans les plus grandes villes de Chine, mais aussi à toute la population chinoise.88 Platon mentionnait déjà que, « si la musique est la partie maîtresse de l’éducation, c’est parce que le rythme et l’harmonie sont particulièrement propres à pénétrer dans l’âme ». La musique pour éduquer, convertir, orienter. Ainsi, à la CCTV, les chanteurs rendent gloire à la politique du pays. Les stars hongkongaises comme Xie Tingfeng dont nous

87 Gao Shule 高树勋 Zhongguo wenhua fagui jigou 中国文化法规机构,Wenhua yishu chubanshe 文化艺术出版社,1999, pp.1-2.

88 Steven Wayne Lewis, « What Can I Do for Shanghai? », Selling Spiritual Civilization in

China's cities, London, Routledge Curzon, pp.139-151.

96 avons parlé plus haut, en lesquelles les Chinois de Chine populaire ne se reconnaissent pas forcément, sont aussi utilisées pour la propagande nationale. Si la "maturité", pour un chanteur en France, s’exprime dans une grande mesure par l’interprétation des chansons du passé ou d'une composition musicale et textuelle plus étoffée, il me semble qu’en Chine, cette maturité se caractérise plus par une position de porte-parole de l’évangile socio-communiste qui ordonne au peuple de relever la tête « en

étant fier d’être chinois, et de faire connaître cela à tout le monde ».89 De fait, le chanteur rock, juvénile, pas vraiment pris au sérieux, devient, en interprétant des chansons patriotiques, une figure scénique, artistique, morale importante, reconnue par le peuple. Si, comme nous l’avons dit ci- dessus, « la maturité artistique d’un artiste chinois se révèle lorsqu’il atteint une position de porte-parole politique du peuple », le développement

économique va décupler la fierté d’être chinois. Jeroen de Kloet confirme en outre que « succès économiques aidant, la fierté d’être chinois est de plus en plus forte aujourd’hui chez les expatriés ». La scène télévisuelle offre donc au peuple chinois la possibilité de se retrouver pour fortifier sa grande muraille nationaliste : idéologie, croissance économique. Histoire remodelée comme l’on referait un visage grâce au scalpel de l’esthétique, le tout mixé dans des produits musicaux et servis par une représentation musicale destinée à orienter la vie de plus d’un milliard de personnes.

89 Xie Tingfeng 谢霆丰, Women shi zhongguoren, rang dajia zhidao 我们是中国人,让大家

知道, CCTV, 2004.

97 "L’idéologie", comme toutes les idéologies, est contestable et imparfaite, créée par un rêve d’égalité sociale emprunté à la Bible par un certain Marx, rêve dilué par la suite dans l’obligation de s’enrichir à tout prix sans reconnaître que plusieurs directions ne peuvent converger vers une seule et unique vérité (« la troisième voie ») ; « on adore Dieu ou la Richesse, pas les deux à la fois ». La croissance économique est inégale et n’apporte un semblant de réussite et de satisfaction qu'aux plus chanceux, les citadins.

Les 8000 ans "d’Histoire officielle" sont flous derrière les airs simples et merveilleux. Cette Histoire est rêvée, souhaitée et en tout cas présente.

Même le dictionnaire Xinhua 新华 ne peut donner beaucoup d’informations sur les dynasties précédant l’époque Shang 商, il y a moins de 3600 ans.

Difficile aussi pour la population, et même pour les plus cultivés d’admettre et de réaliser que l’on compte le temps avec le calendrier "occidental", orienté par l’existence de Jésus Christ. Et ces produits musicaux, nombreux, tellement nombreux, et pourtant tous prisonniers d’un son globalisant et d’une logique politico-économique.

En s'imprégnant du texte officiel qui guide le parti communiste chinois, dont

« l'idéal suprême et le but final est l'accomplissement du communisme », on s'aperçoit que son contenu plébiscite une perfection dans la pensée et l’accomplissement des théories marxiste, léniniste, maoïste, dengiste. 90

90 Annexe numéro quatorze.

98 Ces pensées sont le modèle à suivre pour réussir la voie chinoise. Dans ce contexte, la culture et donc les domaines qui en constituent les fondements sont des outils tout trouvés pour mener à bien cette volonté d’édifier la civilisation spirituelle socialiste. La musique, tant dans sa forme compositionnelle que dans son interprétation, mais aussi par les paroles qu’elle associe à la mélodie, est au service de l'unification de la patrie et de l’union du peuple chinois tout entier. Comme en témoigne un titre révélateur

Guojige 国际歌 (le chant international), la musique, et dans ce cas précis le rock, est porteuse d'universalité, et sert de porte-parole d'une volonté affirmée de réaliser le communisme par la nation chinoise dans le monde entier. 91

Chaque Chinois, qu’il se trouve dans les régions administratives spéciales de Hong Kong ou de Macao, à Taïwan ou ailleurs, doit ressentir jusque dans ses émotions mêmes la fierté d’être chinois, ainsi que le sentiment d’appartenance à une communauté interethnique plurimillénaire. Il ne fait aucun doute que les nouvelles technologies, encouragées par le texte officiel lui-même, sont utilisées dans ce projet de musique au service de l’idéal communiste chinois. La qualité des productions musicales n'est pas un but en soi, mais juste un moyen de sculpter la pensée des masses. La musique en Chine, dans son utilisation et sa présentation aux auditeurs,

91 Red Rock Band. China Rock 1985-2005, CD2, Shantou haiyang yinxiang chubanshe 汕

头海洋音像出版社, 2005. Voir annexe quinze.

99 semble suivre la logique utilisée dans les communications politico-socio-

économiques adressées au peuple chinois. Le premier niveau de communication correspond à l'organe officiel qu'est le parti communiste chinois, qui lance une propagande très directe et très claire quand à la gloire et à la toute-puissance du parti. Le vocabulaire utilisé est proche des livres saints, tend vers une perfection idéologique et ne trahit aucun doute quant à la supériorité du parti. Le deuxième niveau de communication est celui qui fait le lien entre le gouvernement et la population. Il s'agit d'un contenu destiné à promouvoir la jingshen wenhua 精神文化 (la civilisation spirituelle).

Les mots utilisés dans cette propagande sont proches de ceux employés pour les louanges adressées au parti communiste, mais plus adaptés à la vie quotidienne du peuple chinois. 92 Le troisième et dernier niveau de communication publicitaire est, quant à lui, dominé par la créativité chinoise ou l'influence de l'Occident. Les spots publicitaires, les affiches, les termes et concepts utilisés témoignent d'une appropriation par la Chine des idées occidentales ainsi que d'une participation au concert de la globalisation. De la même manière, il semble que la musique peut aussi être morcelée en trois niveaux de fonctionnalité. Son premier rôle et théâtre de représentation est par, et pour, l'organe central qu'est le parti communiste.

92 « Yu wenming tongxing, zuo ke'ai de shanghairen 与文明同行,作可爱的上海人»

(Marchons avec la civilisation, soyons de bons Shanghaiens).

100 Cette musique est composée principalement de vieilles chansons traditionnelles, révolutionnaires et patriotiques. Le deuxième niveau est occupé par une musique produite par la Chine, contrôlée dans son son, ses mélodies, ses paroles et son interprétation et diffusion, musique destinée à caresser l'oreille de la population de positivisme, d'idéal nationaliste et de consumérisme. Le dernier niveau, le troisième, est représenté par la musique qui échappe au contrôle total du pouvoir, celle qui est faite par la

ème personnalité chinoise du XXI siècle, qui traite des problèmes sociaux, qui exprime les sentiments réels du peuple.

La Chine fait face depuis 1980 à ce que l’on peut appeler la "quatrième révolution industrielle" caractérisée par une révolution des technologies de l’information mondiale. 93 Dans ce contexte global, la Chine connaît une crise d’identité culturelle. 94 La confrontation avec le reste du monde, et particulièrement avec les plus grandes puissances mondiales, oblige la

Chine à se trouver une place, une Histoire, une particularité. L’étude de la production musicale chinoise permet de mieux comprendre et d’anticiper les changements futurs que cette crise identitaire provoque. Tout d’abord, la production moderne de musique en Chine ne peut s’effectuer sans les technologies ni les formats occidentaux si elle veut être reconnue par les

élites musicales, le show business international et par une partie de la

93 Ping He, China's Search for Modernity, Great Britain, Palgrave Mac Millan, 2002, p.20.

94 He, China’s Search for Modernity, p.20.

101 jeunesse nationale ; internationalisée. Ensuite, les créateurs chinois, de plus en plus en contact avec le monde global, ne souhaitent pas "régresser" en limitant leurs échanges artistiques avec les Occidentaux, garantie de prestige, lorsque cela leur est possible. Enfin, si cette obligation d'utilisation des méthodes de composition, de production et de diffusion musicale occidentale est un fait, la volonté d'affirmer un contenu musical indépendant des normes étrangères, la création de son propre "beau" ainsi qu'une interprétation caractéristique, "à la chinoise", tendent à se renforcer en raison de l'autonomie économique que les musiciens acquièrent avec le développement du pays, un marché de l'art et de la musique en pleine croissance et paradoxalement une faible conscience et volonté d'exportation de la musique populaire.

Si nous persistons à juger la Chine et le monde asiatique en général avec nos définitions, nos classifications, nos concepts et critères occidentaux, il est impossible de se rapprocher de la vérité globale qu'est le monde. Si, au temps de l'Union Soviétique, les Occidentaux n'ont que deux options pour caractériser un espace géographique quant à sa stratégie politico-

économique, capitaliste ou socialiste, c'est que l'Occident manque d'imagination, ou en tout cas n'a pas la possibilité d'admettre que l'on peut gérer autrement un pays. En 2006, l'Occident hésite sur le cas de la Chine, la qualifie de communiste en se basant sur l'appareil politique autoritaire qui gouverne le territoire chinois, puis de capitaliste lorsqu'elle se tourne vers son économie ou plutôt de l'attitude "avide" de sa population vis-à-vis de cette nouvelle ère de consommation qui sonne fort.

102 L'analyse de la musique chinoise permet de montrer que la même attitude est manifestée de notre part envers l'art musical chinois, un doute constant quant à la nature de la musique moderne chinoise, un flou quant à son genre, une impalpabilité continuelle. Si l'Occident campe sur ces positions, c'est qu'elle a un complexe de supériorité et une soif de protection de son territoire. De leur côté, les Chinois entretiennent ce flou qu'ils considèrent congming 聪明 (intelligent) ou comme une stratégie intelligente, en cachant au monde leurs atouts et motivations. Musicalement, la Chine fait ce qu’elle veut. Elle utilise les nouvelles technologies pour créer ses compositions à caractère chinois, imite les sons d’alentours parce qu’il s’agit d’un marché porteur, classifie cette production musicale nationale selon les standards internationaux sans vraiment de conviction ni de précision, juste pour plaire

à la communauté sonore professionnelle internationale. A trop vouloir compter dans l’indénombrable, établir des frontières dans des territoires invisibles, l’Occident ne capte pas l’onde politico-sonore chinoise.

103 6. Artistes et télévision

Il existe une relation de haine et d’amour entre l’artiste et la télévision. Cette dernière peut être décrite dans certains cas comme « une hydre à trois têtes dont la première tête est spectaculaire », puisqu’elle « contient des jeux et des débats démonstratifs, manipulateurs ; la seconde est informative, et peut s'insérer dans une tentative d'explication du monde ; la troisième, enfin, susurre des fictions qui, en travaillant le faux, produisent du vrai ».95 Si la logique de la télévision, et du star system en général, dépend dans une certaine mesure de l’artiste, des règles existent. La télévision a besoin de la nouveauté pour survivre et attirer le public. Aux Etats-Unis par exemple, la télévision a suivi la naissance et l'évolution de la culture rock dans les années 1960.96 L’écran plat du début du troisième millénaire doit promouvoir la nouveauté pour attirer les téléspectateurs. La nouveauté existe indépendamment des médias tout en ayant besoin d'eux pour être propulsée vers le public. La télévision se doit de présenter des images emblématiques dans ses programmes, puisque l’apparition d’un personnage ou d’un artiste connu renforce l’audimat. Si la télévision semble

95 Joseph Belletante, Contribution des séries américaines de fiction à la formation de jugement politique, Mémoire de DEA, Institut d'Etudes Politiques de Lyon, 2002,

Introduction.

96 Jeremy G.Butler, Television Critical Methods and Applications, Lawrence Erlbaum

Associates, 2002, p.223.

104 être caractérisée par le paradigme de l’impérialisme culturel, notion qui

émerge à la fin des années 1960 et montre comment la télévision américaine dicte apparemment son idéologie globalisante aux téléspectateurs, il n’en reste pas moins que ce n’est pas parce que l’on exporte et diffuse une production issue du moule global à l’étranger que la population locale est forcément exposée à son influence. L’étude menée sur les téléspectateurs équatoriens, submergés de productions américaines et équatoriennes, montre la force de la « proximité culturelle télévisuelle ».97

Les Equatoriens "résistent", sans vraiment s’en apercevoir, à l’influence américaine, en « inversant l’importance de la programmation télévisée ».98

La télévision est devenue la scène de la plupart des spectacles que le public va consommer, et l’artiste va devoir gérer cet état des choses ou en tout cas tenter de s’intégrer aux logiques télévisuelles. L'artiste recherche tant la possibilité de faire connaitre son produit de la pensée qu’une reconnaissance artistique et sociale. Il apparaît en effet que la télévision est l’autel sacré du sacrifice musical rendu par l’artiste pour obtenir l’approbation des dieux de la reconnaissance et de l’identité artistiques, qu'il recherche de manière consciente ou non. Les émissions télévisées donnent

à ce dernier la possibilité de dévoiler au grand public son image "officielle",

97 Mickael G.Elasmar, The Impact of International Television, A Paradigm Shift, New York,

Lawrence Erlbaum Associates, 2003, pp.111-29.

98 Elasmar, The Impact of International Television, pp.111-29.

105 créée par lui-même ou par son entourage artistique. L’artiste qui produit lui- même sa musique est confronté au problème de l’image qu’il veut, ou doit, donner au public. Il doit aussi penser, lors de l’écriture de l’album, à la réaction des mélomanes. Plus son détachement du monde sensible,

économique et critique est important, plus l'artiste est libre. Plus l’artiste est dépendant d’une réalité économique et d’un besoin de reconnaissance, plus son pouvoir créatif est limité et se heurte à des choix raisonnés.

La création musicale, par l’intervention d’une démarche marketing dans le processus même de composition des titres, rejoint la même logique que celle du clonage ou de l’insémination artificielle en biologie humaine.

L’objectif est d’atteindre une perfection compositionnelle pour permettre l’intégration réussie de la créature dans le monde palpable. La peur du rejet, la dictature d’une perfection standardisée. Si la biologie moderne permet de choisir les caractéristiques qui composent la créature animale ou humaine finale, le marketing, intégré dans la composition des mélodies ou des paroles, permet de la même manière de se faire une idée très précise du produit final. La standardisation et la perfection sont le lot des productions musicales que l’interprète se doit de représenter. L’artiste, par sa présence

à la télévision, prolonge cette création "parfaite" en lui donnant une existence visuelle, contrôlée et accessible à la majorité de la population.

Nous avons évoqué plus haut l’existence de règles établies par le marché de la diffusion télévisuelle. En Chine, il est vital pour l’artiste lui-même, ou pour son agent, d’avoir des relations privilégiées avec les contacts qui

106 permettent d'accéder aux émissions télévisées. Dans la plupart des cas, il est nécessaire de participer à des programmes n’ayant rien à voir avec l’activité artistique en question, dans l’unique but d’entretenir la présence à l'écran, et donc dans l’esprit des fans et des consommateurs.

Il existe, en France, une idée reçue selon laquelle, sauf à la télévision, les chanteurs n’existent pas et semblent ne pas avoir d'existence palpable, réelle. Comme si l'artiste ne prend vie que lorsque le public voit son "image télévisée", ou entend son interview radiodiffusée. Comme si l'artiste ne possède comme seuls moyen de subsistance les droits télévisuels ou radiophoniques. Pourtant les artistes, nombreux, existent sans la

"conscience" du grand public. Témoins les registres de la SACEM qui montrent clairement le nombre d’artistes "reconnus" en France. Malgré cela, la pression sociale demeure sur les épaules de l’artiste : il n’est rien s'il ne passe pas au petit écran.

En Chine, il faut non seulement participer aux émissions télévisées, mais en plus le faire fréquemment, pour espérer sortir du lot et ainsi être reconnu par le public comme un professionnel (pour pouvoir décrocher des contrats), tant le nombre de chaînes de télévision est impressionnant : plus de 500.

L’artiste est confronté à un système et va devoir se soumettre à ses règles.

Dans la plupart des cas, il n’a pas à se soucier des relations avec les télévisions, puisque cela est le travail des maisons de disques ayant leurs

ème propres agents. Pourtant, au début du XXI siècle, en Chine, il est possible pour un artiste indépendant d’entretenir lui-même des relations avec les

107 télévisions dans le but d’y promouvoir ses activités artistiques, d’une manière "artisanale". Si cette méthode permet à l’artiste d’avoir une grande liberté ainsi qu’un confort psychologique, elle n’en a pas moins des limites, d’autant plus que la télévision chinoise se professionnalise, "s’économise", et laisse de moins en moins la place au "hasard" (c'est-à-dire au flou et à l'ignorance culturels, économiques, légaux dans lesquels se trouve la Chine) au fur et à mesure de sa modernisation.

L'artiste chinois tente de profiter de la situation économique générale qui s'améliore, ainsi que de l'image de la Chine qui, selon le gouvernement chinois, et donc de la population dans sa majorité (par mimétisme plutôt que par obéissance), est de plus en plus estimée. Les Chinois entendent participer et profiter du concert universel, sans pour autant renier leur originalité, ils veulent demeurer libres de définir en quelque sorte leurs propres critères, fondés sur une acceptation assez différente de la modernité telle que les Occidentaux l'ont vécue. Pourtant, dans les faits, j'ai l'impression que cette liberté d'interprétation et d'expérience de la modernité et de la croissance économique n'est réservée qu'aux "artistes décideurs" de l'art chinois. J'entends par là que, entre les artistes et le message qu’ils veulent faire passer au peuple chinois, il y a l'existence d'une censure, ou plus précisément d'un polissage culturel, d'un modelage du message. Si, bien entendu, la raison économique est indiscutablement présente, elle me semble subordonnée à cette volonté politique de garder la couleur "chinoise" et plus justement encore "socialiste chinoise".

108 La préparation et les répétitions du spectacle à la gloire de la réussite

économique des quartiers de Songjiang 松江, en banlieue de Shanghai, organisé par le gouvernement chinois, permettent de mieux comprendre que les artistes, les installations acoustiques haute technologie, les différentes ethnies (y compris les non-Chinois), sont juste des moyens permettant d'extirper des spectateurs certains gan’enzhixin 感 恩 之 心

(sentiments de reconnaissance) envers le gouvernement et le parti communiste chinois, comme l’exprime la chanson chantée pour l'occasion.99 De fait, la performance artistique n'est validée et appréciée que si elle colle aux critères établis par l'esthétique sino-communiste. Encore une fois, les positions héroïques, les airs traditionnels, les voix aiguës, les

étrangers louant la Chine et admirés pour leur connaissance du mandarin, les mises en scène où les acteurs passent leur temps à regarder le ciel et au loin, et le maquillage, vif, enivrant les artistes qui n'ont pas bu, mais qui ont été persuadés, tout cela concourt à créer la mise en scène destinée à consolider le pouvoir établi.

Le mélange entre succès économique, son musical à caractéristiques chinoises, image et support visuel renforce le sentiment d'appartenance à un peuple disséminé sur toute la planète, dont la patrie mère est la Chine.

L'économie en progression donne l'espoir à la direction chinoise d'acquérir du pouvoir autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, sans pour autant

99 Liangxin wanhui 两新晚会,Shanghai Songjiang 上海松江,28 septembre 2005

109 abandonner son idéal communiste. Cette communauté sonore imaginaire dont parle Jeroen De Kloet, qui renforce la fierté d'être chinois, est consolidée et entretenue par l'image télévisuelle qui, elle aussi, grâce aux technologies modernes, pénètre les foyers chinois du monde entier.

L'artiste, face au public lorsqu’il représente son art sur une scène ou un plateau télévisé, prend ainsi la fonction d'intermédiaire, de porte-parole, d'interprète ludique de la volonté du gouvernement de Pékin d'unifier la communauté chinoise.

L'artiste met à la disposition de la télévision son image. En contre-partie, la télévision promeut l'image de l'artiste, qui en retire si l'on peut dire une certaine valeur ajoutée, puisque l'apparition télévisuelle fabrique dans une large mesure la zhimingdu 知名度 (la notoriété) de l'artiste. Pourtant, on s'aperçoit que la télévision, en Chine, polit l'image du chanteur, et il semblerait que le programme télévisé, conçu et organisé principalement par le daoyan 导演 (le directeur artistique), exige de l'artiste une attitude et une apparence (image) standardisées. Le chanteur de Nirvana, Kurt Cobain, avait, dans les années quatre-vingt-dix, à la télévision française, tourné en dérision cette attitude scénique télévisuelle politiquement correcte en interprétant son titre Smells Like Teen Spirit d'une voix grave, sans agressivité, d'une attitude "propre" et soumise, sans exprimer la hargne et la haine habituelles qui caractérisaient le groupe.

En Chine, la télévision et ses artistes doivent revêtir cette personnalité

"propre" (qui ne semble pas être la volonté de la jeunesse chinoise plus

110 rebelle et éclairée par des voyages à l’étranger), ou jiankang 健康 (en pleine santé), destinée à montrer le chemin à la jeunesse et à la population.

Il sera difficile de trouver sur la scène musicale chinoise officielle des artistes au son plus "sale", "distordus", à contre-courant. Il est à ce stade possible d'établir un lien entre la gestuelle scénique dont nous parlions plus haut, gestuelle établie par les règles "d'art" communiste et de communication de masse, et la volonté du gouvernement en matière artistique et d'éducation (l'art comme outil éducatif de la population) de produire des artistes posés, modelables, prévisibles. En imposant les gestes, les attitudes, les paroles et l'accompagnement musical, les risques de débordement sont minimisés, même nuls, lorsque l'on sait que la plupart des émissions télévisées ne sont pas diffusées en direct. 100

100 Annexe numéro seize.

111 7. La littérature de l’industrie musicale

A travers les revues musicales, la critique pop rock compare les différents artistes, expose des points de vue et amène des concepts souvent

étrangers aux lecteurs novices. 101 Apparue dans les années 1950 aux

Etats-Unis, la critique musicale se concentre sur le jazz et la pop. Les articles en langue anglaise permettent aux lecteurs d’élargir leurs connaissances en matière musicale. Dans les années 1980, des magazines plus spécialisés, réservés aux guitaristes ou aux joueurs de synthétiseur apparaissent.102 Au début du troisième millénaire, la littérature musicale se diversifie et s’adresse à toutes sortes de lecteurs, en fonction principalement de l’âge, du style musical et du degré d’implication technique souhaité par le consommateur. L’évolution technologique en matière de technique d’enregistrement et de diffusion de la musique apporte aussi ses magazines spécialisés dans l’acoustique et le spectacle vivant.

Dans l'Empire du Milieu, si les magasines musicaux chinois sont au début des manuels de partitions, ils deviennent à partir des années 1980 un nouveau support qui permet plus de visibilité des nouveaux courants musicaux comme le rock ou le heavy metal. Au conservatoire de Shanghai

101 Steve Jones, Pop Music and the Press, Temple University Press, 2002, pp.97-107.

102 Jones, Pop Music and the Press, pp.1-7.

112 par exemple, il est possible de consulter plusieurs revues qui détaillent les

états de la musique pop rock dazhong Yinyue 大众音乐. Les magazines

Yaogun 摇 滚 , Feel Yinxiang shijie 音 像 世 界 , Yinyuedashi 音 乐 大 视 ,

Qingyinyue Hit 轻音乐 ont le point commun qu'ils présentent toutes les nouvelles créations en termes d'artistes, de disques et de concerts. Ces revues sont rédigées et produites sur le modèle occidental. Une grande attention est apportée à la mise en page, aux photos et au rythme image- texte. Chacune de ces brochures présente un visuel haut en couleurs, un contenu mixte (évoquant la musique pop chinoise et occidentale), et est rédigée en chinois. La revue Yaogun, qui s'intéresse essentiellement aux nouveautés rock, présente les groupes pop rock occidentaux et chinois. Le numéro de mars 2005 s'intéresse, dans sa rubrique « Music News Yuetan kuaixun 乐坛快讯 », « Guoji xinwen 国际新闻 », aux nouvelles concernant

Luzhou 禄州 (Oasis), Laji 垃圾 (Garbage), Beike 贝克 (Beck), Zisun 子孙

(The Offspring) ; en tout 33 artistes. La page suivante affiche la même présentation pour les groupes chinois, dans la catégorie « Guonei xinwen

国内新闻 », avec des artistes comme Heimao 黑貌, Wangfei 王菲, Qingxing

清醒. Ces présentations sont entrecoupées de pages publicitaires pour des instruments de musique, par exemple Bob Zilla pour une basse Warwick, avec un slogan pour le moins agressif « He kicks Ass with Warwick Basses and Amps », ce qui traduit en français veut dire « Il met un coup de pied au cul avec les basses et les amplis Warwick ». En outre, la revue expose les albums étrangers qui font fureur en Chine : Nick cave Abattoir Blues, Prince

Musicology, Bjork Volumen, Muse Absolution, Korn Take a look in the

113 mirror. Une cinquantaine d'albums sont cités, tous très connus en Europe et aux Etats-Unis. Il n'y a donc apparemment pas de surprise : la globalisation musicale tente d’uniformaliser les habitudes d’écoute de la musique et d’orienter les choix musicaux.

Il est intéressant de noter la forte publicité faite au groupe Lüri 禄日 (Green

Day) depuis la sortie de son nouvel album Meiguo shagua 美 国 傻

瓜 (American Idiot), produit par la maison de disque Reprise. On se pose des questions sur le degré de compréhension des auditeurs chinois quant au message évident délivré par les artistes de ne pas sombrer dans le consumérisme et le grégairisme aveugle en suivant les exigences du gouvernement américain. Une présentation de leur idéologie et de leur groupe est incluse dans le numéro de mars 2005. Le groupe est aussi présent dans le magasine Feel, avec une image plus soignée, photo prise lors des Grammy Awards.

Le magazine Hit présente ce qui se fait sur la scène musicale en Occident.

Cette revue, éditée par Jilinsheng wenxue yishujie lianhehui 吉林省文学艺

术界联合会, se vend dix yuans dans le commerce. Elle est très au fait des nouveautés internationales, présente les grands groupes et les différentes tendances au sein de la musique populaire. Pop, rock, death metal, rap, tout y est décrit, puisque cette revue commente plus les produits du star système qu'elle n'effectue une réelle analyse musicale. Pourtant, ce magasine me semble intéressant pour la jeunesse chinoise, dans le sens où les tendances musicales véhiculent aussi des messages. Des images

114 fortes, comme les grandes catastrophes surevenues dans le monde (y compris en Chine), sont par exemple montrées dans le numéro d'octobre

2005 avec, pour couverture, la chanteuse Shakira, ce qui permet aux jeunes mélomanes (particulièrement les citadins) qui vivent dans un nuage d'optimisme naïf d'avoir une vision moins édulcorée et plus proche des difficultés réelles et véritables que rencontre le monde. 103

Pour autant, de nombreuses notions, pour la plupart étrangères ou tout du moins oubliées ou modelées par la culture chinoise, sont à expliquer, afin de permettre aux auditeurs de comprendre dans une mesure raisonnable le contenu de ces chansons qui ont pénétré et continuent d'abreuver l'espace auditif chinois. Témoin cet article sur One Love, publié dans le magasine

Yaogun, dont l'objectif est d'expliquer le sens profond de cette œuvre de

103Shakira Isabel Mebarak Ripoll voit le jour le 2 février 1977 en Colombie, à Barrabquilla.

D'un père libanais et d'une mère colombienne, la jeune fille est bercée par de nombreuses influences culturelles. A treize ans, déjà expérimentée, elle attire l'oeil des producteurs.

L'un d'entre eux, appartenant à la célèbre maison de disques Sony la repère et lui permet d'enregistrer en 1990 son premier album Magia, dont le titre rappelle les origines hispanophones de la jeune artiste. Tout en poursuivant ses études, Shakira sort en 1993 un second album Peligro. Mais c'est surtout Pies descalzos, son troisième album qui explose dans les hit-parades. Fidèle à sa langue natale, Shakira séduit des millions d'auditeurs américains dont la population est fortement hispanophone. Avec des titres pop- rock dansants, des textes orientés vers l'amour et la sensualité (la langue aidant), Shakira symbolise cette génération universelle aux origines multiples et bigarrées (orientales, occidentales, américaines).

115 Bob Marley.104 Cet article décrit les origines bibliques de la signification de

"one love", qui trouve ses racines dans l'évangile de Matthieu chapitre 12 versets 29 à 31, où l'amour unique ne peut être accordé qu'à Yawhé. Cette explication est pertinente pour la jeunesse chinoise qui peut en effet avoir accès à une base de la culture biblique occidentale, tout en comprenant en partie les difficultés auxquelles le mode de vie chrétien est confronté, à savoir la fidélité dans le mariage dans une société qui a évolué, loin des valeurs traditionnelles. Si la moralité de la jeunesse chinoise est en déclin croissant, faute de barrières morales claires et justifiées en Asie (le pouvoir et la richesse d'un homme lui permettent de justifier sa polygamie officieuse auprès des femmes elles-mêmes mais aussi des plus jeunes, qui bien souvent en font un modèle de réussite), l'Occident est, lui, confronté à la

"transgression" dans la plus grande banalité des règles religieuses traditionnelles. Le communisme qui diminue le sentiment de propriété, jusque dans son propre corps et son utilisation, l'avenir incertain qui favorise les comportements sexe – argent, le manque de sens de la société

104 Légende, mythe, prophète, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire Robert Nesta

Marley, plus connu sous le nom de Bob Marley. On pourrait évidemment y ajouter celui de

« reggaeman » : Rarement en effet un artiste aura à ce point été identifié à un genre musical. Tout au long de sa vie, Bob Marley s'inspire de la symbolique rastafari pour construire sa propre personalité et vehiculer un message d'amour et de paix. A travers lui, c'est le début du reggae sur la scène internationale. Avec son groupe The Wailers, il séduit les hit parades du monde entier. Bob Marley, atteint d'un cancer, meurt en pleine gloire le

11 mai 1980.

116 qui donne la part belle au marché du sexe ludique tend à faire disparaître totalement les valeurs traditionnelles. De fait, la littérature musicale qui explique et analyse le sens profond des chansons qui ont duré dans le temps (c'est le cas pour "one love" de Bob Marley qui, lui, avait à l'esprit dans une large mesure l'unité dans le combat) est un vrai outil d'éducation et d'intercommunication culturelle.105

Les magazines critique de musique ont un objectif éducationnel et, dans bien des cas, tentent d'expliquer comment la pop music est essentiellement créé par l’Ouest.106 Ces magazines permettent, par exemple, d’établir une distinction relativement compréhensible par tous entre le rock et la pop (les variétés). Si le rock est considéré comme ayant une véritable histoire musicale, composée d’artistes à talent et créatifs, la pop met plus l'accent sur le côté simple des mélodies, la notoriété médiatique de ses chanteurs qui jouent plus sur leur physique et la relation au public.107

La littérature musicale permet à la population chinoise d’exercer et d'aiguiser son jugement critique sur les courants musicaux et participe à la construction des formes de musiques populaires. S’il est établi que le rock

105 Li Junju 李俊驹, « What's One Love? », Revue Yaogun 摇滚, p.59.

106 David Stokes, Popping the Myth of , Routledge Curzon, 2004, pp.37-39.

107 Stokes, Popping the Myth of Chinese Rock, pp.39-41.

117 possède une plus grande qualité artistique que la pop, certaines personnes chinoises choisissent d’être fan de musique rock, non pas par subversion ni par goût naturel comme en Occident, mais par désir de distinction sociale. 108 Ainsi, la lecture de magasines musicaux permet une reconnaissance sociale, une assimilation à un groupe d'élite, souvent caractérisé chez les 20-35 ans par « une culture rock » plus aiguisée.

108 Stokes, Popping the Myth of Chinese Rock, pp.41-3.

118 8. Industrie musicale et monde de la nuit

L'industrie musicale entretient une relation étroite avec le monde de la nuit.

Celui-ci est structuré de telle manière que la consommation de musique ludique ou autre est quasiment incontournable. Qu'elle soit destinée aux fonds d'ambiance, à la danse ou à la mise en valeur d'évènements, la musique est indispensable pour mettre en condition le consommateur et faire de lui un être quasi robotisé, prévisible. Il est même possible d'établir,

à travers l'analyse de la scène musicale chinoise, une situation sociale et

économique, voire morale, dans laquelle se trouvent les grandes métropoles chinoises à l'heure actuelle.

Si l'on prend pour exemple le quartier moderne de Xin Tiandi 新天地 à

Shanghai, qui représente pour la Chine un "nouveau monde" et, plus qu'une "certaine image de la réussite", "une image certaine de la réussite à la chinoise", il est éclairant de noter la place qu’occupe la musique dans ce nouveau contexte. Dans les KTV de Pékin (endroits de prostitution légalisée où les hommes (peu de femmes) viennent pour boire et chanter), la musique a une place prépondérante, tant elle est la composante de la base ludique proposée aux riches Chinois. Musiques pour rassembler dans un même sentiment les xiaojie 小姐 (nom donné aux demoiselles qui chantent, boivent, dansent dans les salles réservées à cet effet) et leurs clients, pour

119 faire oublier aux unes leurs malheurs et aux autres leurs consciences.

Prétexte à camoufler tous les vices.109

La musique en est souvent réduite à n'accompagner les humains que dans la boisson et la débauche. Les slogans publicitaires à l'intérieur du complexe entretiennent cette idée que la musique mêlée à l'alcool et à la chair donne un cocktail explosif. La musique devient la partie indissociable d'une nouvelle trinité, divinité triptyque, à laquelle les nouveaux riches chinois sacrifient leur argent et leurs valeurs traditionnelles. Le respect artistique de l'art musical prend donc à nouveau un coup radical qui relègue les acteurs musicaux à jouer des rôles bien moins flatteurs que lorsqu'ils sont réellement porteurs de sens. A moins que le sens n'ait changé, que ce qui a du sens n'ait pris une nouvelle direction et que le musicien n'ait toujours cette position ambiguë d'accompagnateur, de témoin et de moraliste.

Tout comme l'Inde qui connait ces vingt dernières années une nouvelle forme de production musicale à travers le Hindi remix, musique de films remixés pour la dance en discothèque, la Chine expérimente aussi ce

ème phénomène, qui s’accentue encore plus au début du XXI siècle. La tendance s’explique par l’évolution des technologies en matière de

109 Expérience vécue lors de la promotion nationale du Whisky Balantines en Chine par la société Emotion dans les plus grands KTV de Pékin, mars 2006

120 production musicale, une plus forte exposition à travers la télévision à la musique pop internationale, mais aussi aux nouvelles formes de divertissement qui apparaissent depuis le développement économique.110

Ces remix permettent aux clients du monde de la nuit d’intégrer une image globale crée par les médias internationaux, tout en conservant la proximité culturelle de son espace géographique. Le produit remplit une fonction quasi diplomatique de négociation du global et du national. Ainsi les boîtes de nuit shanghaiennes, pékinoises et d’autres grandes villes diffusent des titres connus des Chinois comme Shinian 十年 de Chen Yixun 陈奕迅 ou

Superstar de S.H.E, remixés. 111 Il est à noter que le développement important de ce genre de pratique culturelle permet de rendre la population plus obéissante, "rythmée" et "satisfaite", tout en modifiant les comportements humains puisque, par exemple, les jeunes femmes deviennent plus « expressive physiquement et plus indépendante sexuellement ».112

110 David Hesmondhalgh, Popular Music Studies, London, Arnold, 2002, p.244.

111.奕陈迅先生于十二岁便离开家人到英国读书,大学时期曾修读两年的建筑系及四年音乐课

程。一九九五年跟华星唱片公司签约,正式成为歌手,踏入乐坛。

Chen Yixun a quitté sa famille à douze ans pour l’Angleterre, puis a étudié deux ans à l’Université l’architecture et quatre ans la musique. Il devient en 1995 un artiste signé par la maison de disque Huaxing.

112 Hesmondhalgh, Popular Music Studies, p.244.

121 J’évoquais dans mon mémoire sur la production pop rock en Chine à la fin

ème du XX siècle que « la musique moderne et toute la technologie qu’elle draine avec elle oblige "l’esprit chinois" à s’adapter aux nouvelles formes d’amusements proposés par les pays occidentaux ».

La technologie crée la musique, la musique modifie le comportement humain ; ce dernier se soumet à la technologie, globale. De fait, les attitudes des populations se globalisent et les références s’uniformisent. La culture globale modèle la Chine à travers la musique issue de son moule.

Techniquement, la musique est dirigée de manière à influencer le comportement des sujets exposés. Très tôt, la connaissance de la musicologie permet aux experts chinois de constater que « les notes produites par les cinq instruments influencent les organes et, par conséquent, les états psychologiques ». De fait, l’orchestre classique est alors considéré comme « un moyen thérapeutique et comme un instrument de pouvoir, puisqu’il est en mesure de corriger le cœur de l’homme ».113

L’incessante grosse caisse qui bat tous les temps d’une mesure dans un morceau de musique techno ou autre tend à provoquer l’excitation chez les auditeurs. Ce phénomène est accentué par la danse. La musique est un guérisseur ou une arme, tout dépend comment le "maitre de cérémonie

113 Annexe numéro un.

122 musical" l’emploie. Témoin des plus grands massacres (j’entends par là les massacres moraux) et les cristallisant dans sa mémoire (le sujet fait le lien entre une expérience vécue et la musique qui est diffusée parallèlement), la musique semble inoffensive et non-coupable. Le monde de la nuit montre qu’il n’en est rien. Sans le concours "silencieux" de la musique, la débauche d’une société n’est pas si flagrante ni si dangereuse pour sa sauvegarde même.

La musique est composante du monde de la nuit puisqu’un point commun les lie : l’argent. Dans les années 1950, à Taiwan, les Japonais qui règnent en maitres et possèdent un pouvoir économique important sur la population taïwanaise sont à l’origine d’un certain développement de la vie nocturne à

Taipei et dans ses environs.114 En effet, les Japonais, qui recherchent des divertissements sexuels bon marché affluent dans les bars où, dans les années 60 et 70, les chanteurs laisseront la place aux chanteuses nakaxi ; les textes des chansons et la composition musicale populaire s’orientent vers la boisson, telles les jiuge 酒歌 (chansons à vin), les passions, la nostalgie. 115 La clientèle construit le courant musical qui cristallise les orientations d’une société. La Chine populaire connaît cet état des choses

ème avec la venue des étrangers au début du XX siècle à Shanghai ; la vie nocturne de la ville est influencée de façon quasi incontrôlable par les

114 Jeremy E. Taylor, Refashioning Pop Music in Asia, RoutledgeCurzon, 2004, pp.173-81.

115 Taylor, Refashioning Pop Music in Asia, pp.173-81.

123 femmes russes.116 Plus récemment, le monde de la nuit a pris une forme internationale dans la majorité des grandes villes chinoises mais aussi dans les villes secondaires, en raison des étrangers qui "envahissent" les lieux, des efforts faits par les tenanciers chinois d’établissements ludiques pour satisfaire la demande, mais aussi par un phénomène commun à tout territoire ayant connu une forme ou une autre de colonisation : la volonté de calquer ses modes culturelles et artistiques sur le centre politique colonisateur, symbole de « sophistication et de pouvoir social ».117 Ainsi, le monde de la nuit en Chine est un lieu de promotion de la production musicale, et on ne s’étonnera pas que l’un des premiers réflexe d’une maison de disque chinoise qui veut lancer un nouvel artiste soit de faire des versions karaoké des deux meilleurs titres de l’album mis sur le marché.

La musique diffusée dans le monde de la nuit est prétexte à rencontres. Le produit musical, le disque vendu par le chanteur ou le groupe après sa prestation dans un bar, un pub ou une boîte de nuit, permet aux artistes de rencontrer le public et enfin de retrouver l'essence de la musique : communiquer. 118 Dans les villes riches de Chine, les clients des lieux de la

116 Harriet Sergeant, Shanghai, Bookmarque, 1991, pp.31-3.

117 Sergeant, Shanghai, p.180.

118 Cette analyse s’appuie principalement sur une série de six concerts effectués dans un pub connu de Shanghai, le Melting Pot, courant juin 2006. Les concerts donnent lieu à des rencontres entre artistes et spectateurs. C’est dans ce contexte que la présentation et la

124 nuit n'hésitent pas acheter le "cd coûteux original" d'un chanteur qu'ils apprécient. L'authenticité l'emporte sur la gratuité, le faux et le copiage.

Dans un pays où il semblerait que le piratage et la virtualité aient tué tout espoir de survie du disque, le spectacle vivant avec les échanges humains qu'il procure et favorise offre un extraordinaire espoir de créativité et de réalité. La musique peut enfin vivre, sans en avoir honte, sans remettre en question sa valeur monétaire, on la paye comme tout autre produit que l'on aime. La musique du monde de la nuit échappe aux idées préconçues, aux prévisions du marketing musical, réservé pour "l'industrie musicale du jour".

Un Chinois du nord qui chante de la musique country américaine, une

Shanghaienne qui interprète des titres rock japonais, un européen qui chante de la pop chinoise, le monde de la nuit accueille toutes les diversités.

Si nous avons montré plus haut qu'un son standard et un produit standard prédominent même dans le monde de la nuit, les établissements nocturnes restent tout de même l'occasion de tester de nouvelles compositions, de former de nouvelles coopérations et d'expérimenter des orientations musicales dont l'industrie du disque ne veut pas encore. Comme l'Europe, la Chine se caractérise par une jeunesse qui veut s'identifier aux musiques américaines ou anglaises. « Le son de la langue anglaise dans la musique rock est idéal », les Français ou les Chinois le reconnaissent. Ils ont oublié

vente du cd Parfums d’Extrêmes de Dantès, produit par Christophe Hisquin, a permis à de nombreux chinois ou étrangers de donner leur avis sur le produit. Des discussions sur l’inter-culturalité, la musique du monde, le global et le local s’en sont suivies.

125 que rien n’est plus normal puisque le rock a été créé en Angleterre puis aux

Etats-Unis. Peu importe les raisons pour les chanteurs et les auditeurs, la musique globale leur permet de se sentir accrochés aux mousquetons de la modernité. Si la déferlante occidentale recouvre en apparence les caractéristiques culturelles chinoises, le monde de la nuit révèle que l’identité chinoise est encore bien vivante. A travers les titres chinois interprétés, la manière de présenter un set musical ou même le contenu des paroles dites par l’artiste (j’entends par là toutes les phrases énoncées hors du contexte musical) affirment l’existence d’un caractère chinois qui intègre petit à petit les valeurs globales, à sa manière.

126 9. Industrie musicale et romantisme

A entendre les Chinois décrire la France et les Français, il semblerait que l'Hexagone soit romantique et que les Français portent ce romantisme jusqu'au bout des ongles. Tentons de comprendre comment les Chinois perçoivent le romantisme, et comment ils l’intègrent dans l’univers musical ou à l'image, dans les clips vidéo. Si les Européens "artialisent" le monde visible, esthétisent le monde (la modernité a effacé le rapport herméneutique que les Européens entretenaient avec la nature), dans l'esthétique chinoise, c'est le rapport entre le spectateur et l'artiste qui compte, et non l'objet matériel de l'œuvre d'art ou de l'œuvre artistique. Des différences de notion existent bel et bien quant aux critères de jugement d'une œuvre. En ce qui concerne le concept du romantisme, il faut remonter

ème à la fin du XVIII siècle, juste après la Révolution française, pour commencer à entendre parler de cette notion qui consiste à exprimer ses sentiments et ses sensations d’une manière révolutionnaire et codée. La vision romantique de l'artiste, telle que nous la concevons à notre époque en Occident, est caractérisée par une attitude en marge de la société, un

être "génial" qui est un porte-parole du Ciel, bourré de talent, détenteur d'une science musicale, poétique, avec une personnalité hors norme, producteur d'œuvres d'art, de disques, de poèmes, et en même temps qui ne se soucie pas du matériel, capable de vivre n'importe où, charmeur du monde. Si cette vision est "romantique" pour plus d'un aujourd'hui, Bourdieu montre que cette conception de l'artiste romantique est le produit d'une

époque, d'un lieu géographique. Selon Betling et Price, cette vision

127 romantique ne caractérise pas forcément les époques précédentes ni d'autres endroits du monde.119

Par exemple, « le destin du musicien professionnel yuehu 乐户 dans la

Chine traditionnelle apparaît comme une fatalité familiale, un malheur voire même un déshonneur ».120 Dans ce cas-là, le musicien "absolu", (j’entends par là celui qui ne fait rien d’autre pour gagner sa vie) est considéré comme mendiant, contrairement aux connaisseurs de musique qui eux, dans l’opulence, sont des « amateurs » de musique. Avec ces éclaircissements, il sera plus aisé de comprendre, ou en tout cas de concevoir, une différence d'appréciation de la notion du romantisme. Il faut toutefois admettre que le pragmatisme chinois est une référence en matière de réflexion humaine, et il ne fait aucun doute qu'à notre époque l'archétype du romantique occidental tranche avec le réalisme chinois, surtout en matière artistique.

De fait, un musicien chinois qui a des difficultés financières sera peu souvent considéré comme romantique, tant l'importance matérielle revêt un point décisif dans la société consumériste chinoise ces dernières années.

Néanmoins, certaines modes pénètrent l'Empire du Milieu, qui à son tour intègre peu à peu cette notion romantique de l'artiste. Il me semble que

119 Victoria D. Alexander, Sociology of the Arts Exploring Fine and Popular Forms,

Blackwell Publishing, 2003, pp.142-3.

120 François Picard, La musique chinoise, Paris, Editions You Feng, 2003, p.11.

128 cette facette du romantisme rejoint l'idée de mérite, caractérisé par plus de pragmatisme et moins de désinvolture.

Le clip vidéo de la vedette incontestée de ces dernières années Zhou Jielun

周杰论, réalisé pour son titre Tingdedao 听得到, est un exemple intéressant de la manière dont les producteurs chinois traitent le romantisme. La scène se passe dans une université où le chanteur, étudiant pour l'occasion, va

être l'objet de séductions "acharnées" de la part d'une étudiante en jupe plissée, cheveux au carré, ayant tout le long du scénario une attitude naïve et infantile. Le chanteur, quant à lui, reste de marbre, ne regarde pratiquement jamais la jeune fille. Si le son de la musique, tendance r&b, caisse claire de la batterie feutrée, voix de tête maîtrisée, susurrée dans les aigus, paroles plus suggérées qu’articulées dans le corps de la chanson, timbre des sons choisis relativement doux pour laisser planer cette sensation de romantisme, de séduction ambiante, de lancinance exhibée, et si les paroles mêmes renforcent cette idée de douceur et de romantisme, l'observateur occidental est surpris lorsqu’il voit apparaître l’utilisation d'un téléphone portable dans cette romance, l’intégration d’un humour filé qui commence par le rougissement artificiel et électronique des joues de l'étudiante lorsque l’artiste s’approche d’elle, et se poursuit avec une blague: le casque de moto que la jeune fille reçoit et enfile est rempli d'eau! 121

121 Annexe numéro dix-sept.

129 Il ne fait aucun doute que l'utilisation de tous ces détails et accessoires tend

à donner une image très particulière du romantisme. Si les paroles sont un hymne à l'amour, à la douceur et à la vie, je trouve qu'il y a un décalage entre ce romantisme que l'on découvre dans les paroles, la musique et le clip. Dans la conception occidentale du romantisme, il semble que certains objets et certaines attitudes n'ont pas leur place. D'une part, on pourrait considérer que ce soi-disant décalage provient d'une vision différente, due

à une définition culturelle divergente du romantisme. D'autre part, on peut

ème aussi attribuer ces différences à l'époque du tournage, au début du XXI siècle, où la conception du romantisme évolue dans le monde.

Le romantisme est-il une essence que seule l'Occident possèderait et dont les autres nations seraient les copieurs, ou bien s’agit-il d’une notion qui existe partout mais interprétée et décrite de manière différente ? La conception actuelle du romantisme pour les Chinois est caractérisée par des codes et attitudes qui semblent artificiels et empruntés pour un observateur occidental et, comme pour les composantes des religions, il en va de même pour le romantisme, ainsi « des phénomènes semblables peuvent trouver place et s'interpréter dans un cadre général néanmoins différent ».122

122 Julia Ching et Hans Kung, Christianisme et religion chinoise, Paris, Editions du Seuil,

1991, p.52.

130 III. LA NOTORIETE

Rien donc de plus vain que la gloire au-delà du tombeau, à moins qu'elle n'ait fait vivre l'amitié, qu'elle n'ait été utile à la vertu, secourable au malheur, et qu'il ne nous soit donné de jouir dans le ciel d'une idée consolante, généreuse, libératrice, laissée par nous sur la terre.

François-René de Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, tome 1, livre 12, chapitre 1.

Plus le piédestal est beau, plus l'œuvre d'art doit être belle

Citation anonyme

131 1. Historique

Il semble que la notoriété, la célébrité ou la gloire aient toujours existé, tant on a l'impression que rien dans notre société ne peut se faire sans leurs empreintes. 123 Des vertus comme les prouesses militaires pouvaient conduire celui ou celle qui les réussissait vers la gloire. L'art oratoire ou un charisme inné permettaient aussi de mettre une personne sur un piédestal et, à terme, lui accordaient une place supérieure au commun des mortels.

Nemrod (Nimrod), roi Mésopotamien, dans son rêve de gloire, construit une tour, appelée finalement Babel, pour concurrencer Dieu et lui prendre sa place de souverain universel. Considéré dans la Bible comme le premier homme fort ayant existé, ce personnage mêle ambition, arrogance, imagination, et obtient une gloire immortelle comme étant l'homme qui fait face à Dieu et provoque en ce dernier une colère telle qu'Il décide de confondre les langages des hommes au service de Nimrod pour entraver son projet. La volonté d’être glorifié est liée à l’existence de l’homme, elle est à la foi savoir (savoir les techniques, les procédés, les moyens pour devenir célèbre) et sentiment (sensation de plaisir ou d’obligation morale).

A l’époque des Temps Modernes, lors de l'affirmation intellectuelle de

ème l'Europe du XV siècle, l'utilisation de nouveaux procédés comme l'imprimerie vers 1450 permet d'accélérer la diffusion des idées et des

123 John A. Walker, Art and Celebrity, London, Pluto Press, 2003, p.2.

132 exploits réalisés par certains. Si les sociétés primitives n'avaient, comme moyens de préservation principal, que la tradition orale, la compilation

écrite et transportable permet de faire connaître les grands du monde à tous les peuples. Pendant la Renaissance, le culte de l’artiste individuel apparaît, lorsque les artistes se distinguent des autres professions.124 La signature d’un tableau ainsi que la popularisation des autoportraits annoncent l’importance que revêtira le nom sur le marché de l’art.125 Puis, en raison de l'esthétisation du monde qui gagne tous les terrains, et suite à

ème la mise en place d’un système commercial de l’art dès la fin du XIX siècle, la culture de la célébrité s'accroît et commence à toucher toutes sortes de gloires : militaire, économique, artistique, culturelle. 126 Enfin, à l'époque

ème ème moderne et postmoderne, durant les XX et XXI siècles, la notoriété devient un produit en lui-même, presque comme les autres, « un objectif immatériel » dicté par « une rationalité économique », avec ses méthodes de production et ses secrets de fabrication.127

124 Walker, Art and Celebrity, pp.193-4.

125 Walker, p.94.

126 Walker, p.2.

127 Françoise Mengin, Politics in China, New York, Palgrave MacMillan, 2002, Introduction, p.17.

133 Comme le montre Walker dans son ouvrage Art and Celebrity, «une célébrité est une personne de renom, une personne célébrée».128 Ce mot

"célébrité" trouve ses origines dans le terme latin "celebrare", qui signifie célébrer. La notion de célébrité ou de notoriété est représentée par une personne physique, un lieu ou une entreprise dont les revenus dépendent, pour tout ou partie, d’une exploitation économique de sa notoriété. Dans notre société postmoderne, cette exploitation économique de la notoriété est l'apanage du star system. L'opinion que l'artiste ne possède une valeur artistique que s'il est connu par les masses se crée. Dans un même temps, des artistes médiocres qui utilisent ce statut de "créateur" pour obtenir la notoriété, avant toute autre reconnaissance, font leur apparition. L’idée que, dans le monde artistique, rien n'existe s'il n'est pas présenté dans les médias détermine bien souvent si une œuvre d'art sera ou non répertoriée dans les ouvrages spécialisés ou dans une encyclopédie ou un dictionnaire des noms propres, et ainsi reconnue dans l'Histoire du pays ou de l'Humanité.

La célébrité se fabrique, particulièrement à notre époque, où l'apparition répétée dans les médias crée la notoriété. La gloire, quant à elle, n'est obtenue que lorsque le peuple reconnaît l'être glorifié comme supérieur de par son œuvre ou son action, « un concert unanime d'estime et de louanges », et non pas uniquement parce qu'il est promu par les organes

128 « A celebrity is a person of renown, one who is celebrated »

134 de communication. Pour Achille, héros de la mythologie grecque, la gloire est conquise dans l'action ; l'idéal est de mourir en "pleine gloire", en pleine lumière, pour ainsi, par la suite, utiliser cette gloire pour se relier à « la communauté des hommes de tous les temps ».129

Cette gloire semble être, comme l'Histoire et les modes, dictée par l'époque et les courants qui entourent les personnages destinés à la notoriété. Si

Mozart n'est qu'un esclave de la musique en son temps, il devient, à notre

époque, un génie, digne d'admiration puisque connu et par la suite glorifié comme un "dieu de la musique". Pour autant, combien de musiciens africains ou chinois, issus de ce que l'on appelle le "tiers-monde", n'ont jamais connu cette gloire internationale en raison de leurs origines et surtout parce que leurs pays ne participent pas au concert des grands, aux points de vue politique, économique et culturel en tout cas.

L'Occident semble produire la plus grande célébrité humaine en la présence de Jésus Christ. 130 Même si les Beatles, encore une création occidentale, prétendent être plus connus que le Messie lui-même et marquer un tournant dans l'histoire de la musique pop rock, ceux-ci n'ont pas laissé une trace aussi indélébile dans le temps. On se réfère en effet à

129 Annexe numéro dix-huit.

130 Personnage central des Ecritures Saintes. Son existence a influencé jusqu'à la manière dont l’humanité compte le temps (avant notre ère, de notre ère).

135 la naissance du messie pour compter le temps, puisque la culture et le monde chrétiens imposent leur rythme et leur vision des choses à la planète entière, y compris la Chine. Si Jésus est aussi célèbre dans le monde entier, c'est bien sûr par la publicité faite au livre qui retrace son histoire, les Ecritures Saintes, mais aussi par les récits eux-mêmes qui décrivent l'homme doté de talent oratoire, de pouvoir de persuasion et même de la capacité à utiliser l'acoustique naturelle dans ses sermons.

Avec le Nazaréen, c'est un autre style de héro qui voit le jour, divin de par nature mais qui refuse, lui, dans ses dires, la gloire du monde. Si tous les autres candidats à la notoriété puis à la gloire qui prétendaient à l'universalité de leur reconnaissance ont rarement obtenu de tels honneurs, le personnage central biblique, lui, dans sa modestie, les a attirés. L'un des plus grands révolutionnaires a fait des adeptes jusqu'à nos jours et le contre-courant est devenu une niche artistique, musicale, dans laquelle il fait bon s'engouffrer à l'époque de la globalisation culturelle.

Les gloires sont nombreuses, les notoriétés et les célébrités encore plus. La mesure de la grandeur d'un homme, d'un artiste, passe par la critique de l'œuvre ou des actions menées. Ces critiques seront soumises à l'inconscient collectif d'un groupe d'artiste, d'une nation, de l'humanité. Il faudra bien qu'à un certain niveau d'appréciation les sentiments d'admiration, cette "étincelle adorative", prennent la place de l'analyse consciente et technique du personnage en question. Ainsi, au-delà de tout jugement technique, c'est le sentiment produit par la célébrité sur l'humanité qui le placera ou non dans une position divine, atemporelle, infinie.

136 La notoriété est aussi véhiculée par le théâtre et le cinéma. Dans les années 1870, aux Etats-Unis, les patrons des salles de spectacles tendent

à engager « quelques artistes regroupés autour d’une forte personnalité dont on peut penser qu’elle deviendra une vedette ».131 Véhiculés par le

ème théâtre de Vaudeville dès le début du XX siècle, qui s’approche progressivement d’une culture de masse, les artistes les plus mis en valeur deviennent des stars.132 Si le théâtre Vaudeville annonce une culture de masse sans vraiment y parvenir tout à fait faute d’intérêt du public pour cet art, les productions hollywoodiennes de cinéma quant à elles sont créées pour éblouir le monde et faire briller leurs stars dans les yeux de l’humanité, et parviennent à cet objectif avec un succès sans précédent. Si « la star de cinéma (américaine dans le contexte) est mythique, c’est parce qu’elle ne ressemble à personne de la vie quotidienne » déclare John Waters. L’effet

Keanu Reeves montre comment, à travers le corps de l’acteur, les plans

131 Jean Pierre Rioux, La Culture de Masse en France de la Belle Epoque à aujourd’hui,

Fayard, 2002, pp.31-2.

132 Le Vaudeville est un genre théâtral dont la définition a évolué au cours du temps. Au

XVIIème siècle, le mot désignait une pièce entrecoupée de chansons gaies ou de ballets. À partir du XIXème siècle, le mot change de sens pour désigner une comédie populaire légère, pleine de rebondissements. Parmi les moyens les plus employés, on peut noter le quiproquo et les situations grivoises provoqués par de multiples et complexes relations amoureuses ou pécuniaires.

137 filmés de la ville de Los Angeles et la relation que le spectateur va faire entre les deux, l’interaction entre les acteurs et les lieux (qui représentent des images culturelles, au même titre que l’interprétation musicale), le cinéma d’Hollywood existe comme «un état d’esprit et pas seulement comme une entité géographique ».133

Les différentes productions cinématographiques permettent de promouvoir la notoriété d’humains, mais aussi de lieux géographiques devenus célèbres par la publicité intensive que les médias en font. Témoin la ville de

Paris, dont la récurrente volonté d’appropriation par de nombreux artistes construit la gloire et la notoriété de la capitale française. Les nombreux films français ou étrangers qui exposent en toile de fond Paris contribuent à cette reconnaissance quasi forcée de la ville devenue idole. La production récente d’un cinéma d’animation décrivant Paris dans les années 2050 par un studio français montre, d’une part, la volonté politico-culturelle de promouvoir Paris et, d‘autre part, que la capitale est une star dont la notoriété a une valeur marchande stable. Le lieu géographique se substitue aux personnages, qui deviennent secondaires et qui n'existent que pour glorifier la vraie célébrité, réellement immortelle, la ville.

133 Angela Ndalianis, Stars in Our Eyes: The Star Phenomenon in the Contemporary Era,

Westport, 2002, p.62.

138 La désacralisation de la personne adulée provient de l'existence d'opinions personnelles qui ne reproduisent pas le schéma officiel, celui de critiques reconnus qui ont porté l'être humain vers une notoriété et une gloire reconnues officiellement par tous. Par exemple, dans le domaine littéraire,

Flaubert était considéré comme un auteur parfait, un romancier idolâtré.

Pourtant, par la suite, son génie est relativisé car la peine et l’effort visibles et étalés dans toute son œuvre limitent la valeur de ses ouvrages. Les critiques montrent qu'il manque aux phrases de Flaubert cette beauté supérieure et supplémentaire. En fait, l'effort révélé, l'artiste s'éloigne d'une gloire qui lui reviendrait si son talent lui était inné et ne demandait aucun effort. Tout comme la télévision révèle le travail nécessaire pour un artiste qui veut faire de la scène et devenir un personnage publique, les efforts perçus ou exposés dévalorisent "le produit final' que le chanteur fabrique.

Seul le processus de création de la star intéresse le téléspectateur, qui, lassé de voyeurisme, perd le gout de l'éblouissement. Si la montée en puissance des œuvres pornographiques dans les années 1990 a permis à la société occidentale de casser les ultimes interdits traditionnels, la téléréalité "met à nu" le travail fourni par les célébrités. Leurs contemplateurs deviennent insensibles.

Le modèle de la société postmoderniste occidentale se veut libéral et démocratique. Pourtant on constate qu’une nouvelle aristocratie s’est créée avec la dictature de la notoriété. J’entends par là qu’à travers la classe des célébrités le peuple se voit assujetti et soumis par l'image des stars exhibée sans cesse dans les médias et principalement à la télévision. Cette classe

139 de célébrités est à distinguer des bourgeois qui, eux, ne possèdent qu’un fort pouvoir d’achat. Il est à noter que la célébrité, tout comme le statut d’aristocrate, peut se léguer, puisqu’un nom connu peut permettre à celui qui en hérite de rentrer dans le cercle des "people" et avoir accès à la vie de la jet set.134 Ainsi, à travers la possibilité pour quelques élus du peuple de faire partie de cette classe aristocratique nouvelle offerte par la télé réalité entre autres, le pouvoir dominant contrôle la violence sociale.

Pourtant, il ne fait aucun doute qu’au début du troisième millénaire la célébrité se divise en plusieurs catégories, notamment celles de "basse qualité" et celle de "qualité supérieure". Le bas niveau de la notoriété est celle produite par les médias sur des individus qui n’ont pas vraiment de talent, tandis que la notoriété de qualité est celle qui résulte d’une activité sérieuse, respectée par le public. La véritable notoriété semble tendre vers une absence totale de l’artiste déifié dans les médias "populaires", tel le chanteur Prince qui refuse d'apparaître dans les médias, pour finalement n’exister que dans un conscient universel. La toile cybernétique permet à de plus en plus de personnes de se fabriquer leur notoriété, tant la possibilité de synthétiser images, sons, textes et de le faire connaître aux

134 La jet set est caractérisée par un ensemble de personnes riches et modernes qui forment une communauté et dont l'objectif principal est de voyager et de participer aux soirées organisées un peu partout dans le monde.

140 internautes est simple. L’humanité tend-elle vers une possibilité pour quiconque veut être célèbre de réaliser ce désir ?

141 2. Sociologie de la notoriété

Walker établit huit fonctions sociales de la célébrité. Il montre dans son ouvrage qu'il existe un besoin psychologique, social, ainsi qu'une demande

économique en rapport avec les stars. De l'autre côté du star system existent des artistes, aux tendances exhibitionnistes, prêts à tout pour satisfaire la demande du marché. Les artistes sont soutenus par des entreprises marketing de l'industrie culturelle qui les emploient dans différents évènements, organisent leur marchandising et louent les vedettes lors d'actions politiques ou caritatives. L'existence de médias dont le contenu consiste à parler des célébrités permet aux fans d'être plus nombreux et de suivre la vie quotidienne de leurs idoles.135

Dans le cas du cinéma d'Hollywood dont nous avons parlé plus haut, et plus particulièrement du phénomène Keanu Reeves dans le film Speed il est à noter que la notoriété attribuée à un acteur qui évolue au milieu d'images culturelles représentées par les paysages du film permet aux spectateurs de vivre virtuellement les situations qu'il peut rencontrer quotidiennement. Paul Warren analyse comment la série québécoise Lance et compte permet d’ancrer le filmique dans la topographie culturelle, dans

135John A. Walker, Art and Celebrity, London, Pluto Press, 2003, p.2.

142 les lieux communs de la nation, et d’en faire surgir le « fictionnel ». 136 Il montre que la production audiovisuelle a de l’impact à travers le système du

« reaction shot » (le regard de réaction des protagonistes de l’écran) qui autorise et oblige l’axe vertical, à savoir l’axe écran-salle. 137 La

« vedettarisation » (par le reaction shot) de la star est créée par le fait que son image cristallise les regards et les opinions des contemplateurs qui, à travers sa réaction face à la situation provoquée dans le film, voient en la décision de l’acteur la seule et unique possibilité, la meilleure.138 En fait, ce sont les multiples regards des regardants, des protagonistes et par extension des spectateurs couvant, balayant la star qui rendent possible sa vedettarisation. La star devient un sage qui montre l'exemple par son attitude, courageux dans les épreuves qu'il doit rencontrer. Réciproquement, sa notoriété est le gage, pour le spectateur, de son attitude juste, sans erreur. Si le film permet aussi d'avoir une vue d'ensemble du lieu géographique et de ses interactions sociales (limitées tout de même par le subjectivisme du réalisateur ou par les limitations temporelles ou

136 Paul Warren, Le secret du star-system américain, le dressage de l’œil, Montréal, l’Hexagone, 2002, p.131.

137 Warren, Le secret du star-system américain, p.17.

138 Warren, pp.15-30.

143 techniques imposées), la star se positionne, prend parti pour une valeur morale, une attitude officiellement correcte.139

Alors que Nimrod avait rêvé, d’atteindre le ciel et ainsi de faire le lien entre le divin et l’homme grâce à la construction d’une tour, le 20 juillet 1969 les

Américains atteignent le ciel en investissant l’astre lunaire. Par ce pas symbolique pour les humains et la nation américaine, les deux astronautes deviennent les représentants de l’humanité, établissant un lien entre l’extraordinaire et la vie quotidienne. 140 La place que les astronautes prennent dans la société humaine tend à établir une sorte d’intermédiaire scientifique (plus crédible et plus facile à croire puisque cet intermédiaire n’est pas le résultat d’une démarche de foi mais d’une réalité empirique, scientifique) entre l’univers et la société humaine.

L’intervention du religieux par l’approbation et l’encouragement sans réserve du Pape Paul VI à l’odyssée spatiale, ainsi que la mise en scène du spectacle que propose la NASA lors des essais ou des retransmissions médiatiques, contribuent à la formation d’une représentation sociale d’un

139 Ndalianis, Stars in Our Eyes: The Star Phenomenon in the Contemporary Era, Westport,

2002, p.65.

140 Ndalianis, Stars in Our Eyes, p.103.

144 pouvoir quasi religieux accordé aux voyageurs de l’espace. 141 Si la découverte spatiale et la présentation de ses héros au grand public a besoin des médias, des écrans géants et du son optimisé, c’est que la création de la notoriété, la starification, a besoin plus que toute autre chose d’une communication, d’une communion avec l’humanité. L’élite sociale des célébrités s’impose au peuple car, impressionné par tant de pouvoir, il ne peut que se livrer à l’admiration et à la contemplation des idoles. A travers l’astronaute, le téléspectateur aussi pose un pied sur la lune. Il vit ce moment par procuration. Les stars revêtent ce rôle social d’accomplir les actes rêvés du commun des mortels.

La célébrité se positionne au-delà de la simple réussite artistique. Si, bien entendu, la star est caractérisée par sa rareté en proportion de la masse des professionnels du show business, sa personnalité se détache à un moment donné de son objet artistique initial. Ainsi, la célébrité n’est plus tant appréciée pour son œuvre en tant que telle, mais plutôt pour la position divine qu’elle a prise au fur et à mesure de sa starification. Cette distance qui résulte d’une adulation massive, pousse plus d’un critique ou d’un proche de célébrité à avouer que le changement de statut social, le passage d’artiste à "artiste à succès" ou idole, influence d’une mauvaise manière l’œuvre artistique pure. 142 Ainsi, l’idole prend une dimension

141 Ndalianis, Stars in Our Eyes, pp. 105-8.

142 Ndalianis, Stars in Our Eyes, p.199.

145 sociale qui le place au dessus de toute critique raisonnable, ou plutôt, la critique, quoique formulée, ne paraît que peu crédible aux yeux des contemplateurs qui s’inclinent, éblouis devant l’idolâtré. L’important n’est plus ce qui est créé, mais qui le crée. Il résulte de la combinaison création d’art–notoriété une situation double. L’artiste déifié tire un avantage

économique et social indiscutable de son état, puisque ses œuvres tendent

à être connues dans le monde entier ou au moins dans son pays d'exécution, et rien que le nom et l’image de la star permettent la vente du produit artistique. D’un autre côté, les artistes de haut niveau, qui ne sont pas forcément élevés au rang de vedette, souffrent d’une manière

économique et éthique d’un manque d’attention de la part du grand public, obligé de se concentrer sur le courant principal imposé.143

143 Ndalianis, Stars in Our Eyes, p.265.

146 3. Psychologie de la notoriété

Pour Freud, les artistes masculins sont motivés par « le désir de gagner honneurs, pouvoir, richesse, reconnaissance et l'amour des femmes ».

Puisque qu'ils ne peuvent pas atteindre ces objectifs d'une manière directe, ils tentent de l'obtenir indirectement à travers l'art ou la présence artistique. 144 La réflexion de Freud s'étend d'ailleurs à l'œuvre d'art en général, qu'il considère comme une « libido refoulée dans les accomplissements sociaux ».145 La "désacralisation de l'idole", à laquelle la société postmoderne se voit confrontée, semble paradoxale. Elle est le processus psychologique qui résulte de l'histoire de l'homme. Cette désacralisation traduit un désir d'étouffer le divin, le spirituel. La révélation des techniques de starification de l'artiste montre à quel point l'homme postmoderne veut contrôler sa vie, jusqu'à choisir son dieu, en toute conscience. Les idoles se créent avec des matériaux que le peuple choisit, une sorte de démocratisme exacerbé.

La notoriété est finalement impalpable, puisque celle-ci peut se transmettre par un simple nom ou par une imitation réussie de la star. Ainsi, la simple simulation d'un personnage célèbre provoque chez les fans ou les autres un déclenchement quasi incontrôlable d'adulation, ou en tout cas d'émotion.

144 John A. Walker, Art and Celebrity, Pluto Press, London, 2003, p.11.

145 « repressed libido into socially productive accomplishments »

147 Il suffit pour cela d'imiter la tenue vestimentaire, la coiffure, l'attitude et le tour semble joué. Si on y rajoute des attributs naturels proches de la star convoitée, tels que le visage, les mimiques ou la voix, il devient alors possible de vendre ses services à une "look alike agency" ou "sound alike agency". La notoriété n'appartient plus uniquement à une personne, mais peut se partager autant de fois que l'image ou le son notoires peuvent se reproduire artificiellement ou non et que le marché sera prêt à payer pour leurs présences. Le personnage public le devient dans le sens ou son image est l'objet de copies, de faux, tout comme n'importe quelle œuvre d'art et produit artistique est en proie à la reproduction illégale. De fait, l'image qui, elle, est connue du grand public se détache de la personne physique qui l'initialise pour prendre une indépendance propre et ainsi se donner la possibilité d'être revêtue par d'autres corps charnels. Au point de vue économique, le faux, la simulation, rapporte au moins autant sinon plus que la célébrité originelle.146

Les stars elles-mêmes peuvent s'identifier à d'autres célébrités, soit dans un but marketing et utiliser ainsi la mémoire collective d'un peuple, soit par orgueil ou créativité personnelle (Exemple de Madonna qui imite Maryline

Monroe en portant un corset or avec des cônes cousus par Jean Paul

Gauthier à l'occasion de sa tournée en 1990). La simulation peut aussi être transnationale lorsqu'un artiste ou une célébrité tente de s'approprier les

146 Walker, Art and Celebrity, p.143.

148 codes et les attitudes propres à un autre peuple dans l'objectif d'apporter une dimension supplémentaire au personnage déjà mystifié. Cette appropriation des gestes, des langues, des attitudes de l’autre peut autant s’effectuer d’une culture locale vers la culture globale que l’inverse, lorsque la star aux codes internationaux puise dans le local ses inspirations.

L'individu qui perçoit l'image de la star va être impressionné par sa beauté, son talent et les efforts marketing mis en œuvre pour en faire une idole. Si des ingrédients sont nécessaires au contrôle du sensitif, du sensoriel, et de l’émotionnel par la vedette, le concept de « largeness », que nous pouvons traduire dans le contexte par "profondeur", est aussi une clé pour capter l'attention des consommateurs de célébrité.147 Ellery Ryan explique que

« la largeur de l’écran de cinéma est plus propice à la création de l’idole que l’écran de télévision ». Il poursuit en montrant que la « largeur mythique et technique a des répercutions importantes sur la représentation des espaces culturels et politiques, pas seulement à l’intérieur de l’imaginaire de l’espace narratif des représentations artistiques mais aussi par les moyens dans lesquels nous identifions chaque acteur ou personnage ainsi que les espaces, métaphoriques ou littéraux qu’ils habitent. Ce qui est plus

147 Angela Ndalianis, Stars in Our Eyes: The Star Phenomenon in the Contemporary Era,

Westport, 2002, p.71.

149 large que la vie sur un écran de cinéma devient plus étroit que la vie à la télévision ».148

Dans certains cas, même si la star a réussi tant sur le plan artistique que financier, son image peut rester simple, comme si la célébrité était «l’un de nous ». 149 C’est ainsi que, dans la psychologie populaire française, des artistes comme Johnny Hallyday ou Jean Jacques Goldman, bien que starifiés et adulés, restent "abordables " et "humains".150L’idole peut aussi représenter l’ambivalence d’une attitude, une affirmation et son contraire.151

L’idole représente de fait l’univers des possibles, tout existe par elle et à travers elle, comme si le sujet contemplatif n’a que le choix imposé par l’attitude de la célébrité.

La notoriété se mêle à la gloire. Cette dernière, « attribut de la divinité », se prend quelquefois «pour l’honneur et les hommages que l’on rend à Dieu, pour la béatitude céleste dont on jouit dans le paradis. Cette gloire aérienne a été représentée par les peintres et par les sculpteurs. Les premiers ont

148 Ndalianis, Star in Our Eyes, p.71.

149 Jeremy G.Butler, Television Critical Methods and Applications, Lawrence Erlbaum

Associates, 2002, p.55.

150 Butler, Television Critical Methods and Applications, p.55.

151 Butler, pp.55-6.

150 appelé gloire la représentation du ciel ouvert, avec les êtres divins, les anges et les saints ; les derniers ont donné ce nom à un assemblage de rayons divergents, entourés de nuages, et au centre desquels on aperçoit un triangle, symbole de la Trinité ».152 La notoriété est un sous-objectif de la gloire, qui prétend approcher le ciel. La gloire est plus que de la notoriété ; car la notoriété est « éphémère, contestable, et s’attache aux bonnes comme aux mauvaises actions ». Ce désir d'être connu, reconnu, adoré, divinisé, adulé, laisse transparaître l'existence du divin, l'inconsciente obligation de confier son objectivité à une entité. Si la notoriété emporte tout de même une idée positive, elle peut être donnée à des personnes ou autres d'une manière négative. La gloire, elle, dans la majorité des cas, est attribuée à un être positif, reconnu comme modèle. La notoriété semble être un pallier qui permet d'accéder à la gloire. Pourtant, la gloire n'arrive qu'à des êtres le plus souvent humbles, qui n'ont pas cherché à la conquérir.

Lorsque l’artiste à succès devient une célébrité, bien souvent son attitude vis-à-vis de sa propre production artistique change, tant sa vision critique est diminuée en raison de l’encensement que les médias et l’entourage exercent sur elle. Si, bien entendu, il est important de distinguer la star devenue célèbre par son talent réel et celle créée de toutes pièces par l’industrie du rêve, il n’en reste pas moins qu’élever un être humain au rang de "demi-dieu" produit chez lui une tendance à devenir arrogant, détaché

152 Annexe numéro dix-huit.

151 du monde, d’autant plus que la célébrité ne fréquente bien souvent que des stars et que le système même qui produit l’idole a intérêt à tenir cette dernière loin des réalités.153 L’orgueil manifesté par la vedette, qui ne peut reconnaître les erreurs ou les faiblesses de ses compositions, devient une qualité qu’il est bon d’utiliser pour s’affirmer et marquer sa différence. Ainsi, le groupe anglais Oasis n’hésite pas à déclarer qu’il est « le meilleur », bien que musicalement les compositions soient banales. 154 L’attitude provocatrice, une assurance arrogante, une agressivité à fleur de peau, une notoriété entretenue par la promotion organisée par une maison de disque, tout cela contribue à fabriquer une "psychologie de la star".

La notoriété produit le fan. Les ouvrages spécialisés qui traitent des "fanatiques " montrent les différents degrés d’implication d’un fan envers un artiste. Ainsi, un enfant, qui reçoit la promotion de l’idole dans son champ sensitif, devient un fan sans organisation réelle, sans faire un véritable choix.155 La célébrité dans ce cas est l’outil final qui permet au projet artistique d’influencer le comportement du sujet contemplateur. Dans une optique plus développée, la notoriété d’un artiste permet "d’accrocher"

153 Walker, Art and Celebrity, p.263.

154 Oasis est un groupe de musique rock anglais originaire de Manchester qui s’est formé en 1991. Ce groupe a été l’un des succès médiatique et commercial les plus importants des années 1990.

155 Matt Hills, Fan Cultures, New York, Routledge, 2002, Preface.

152 sur un plus long terme l’attention du fan. Dans ce cas, "l'amour" porté à l’idole va au delà de la simple influence perçue par l’exposition dans les médias de la performance de l’artiste. Le fan club qui naît de l’adulation portée par un groupe de personnes à un artiste prouve que, malgré la marchandisation de la musique, la relation essentielle qui existe entre l’artiste et ses admirateurs est sauve. On s’aperçoit même dans les faits que des artistes peu connus et indépendants drainent une masse de fans suffisante pour remplir les salles lorsqu’ils organisent des concerts. Cette relation intime qui conduit un fan à se déplacer pour aller écouter l’expression d’un chanteur renvoie à la fonction essentielle de la musique et du spectacle vivant : l’échange. C’est ainsi que la demande sans cesse croissante des fans pour plus d’épisodes d’une série télévisée, la présentation des coulisses d’un clip ou d’un film montre l’émotion investie par le fan dans sa démarche, ce que les producteurs ont bien compris d’ailleurs.156

La culture du fan se construit à travers la reconnaissance de règles propres au groupe de fans constitué, à la connaissance théorique et aux expériences empiriques. Si Bourdieu montre que le terme "fan" ne peut pas

être appliqué à la bourgeoisie dominante, il semble que l’attitude qui consiste à se laisser subjuguer, par plaisir ou non, par conscience ou non,

156 Hills, Fan Cultures, pp.27-30.

153 révèle le besoin inné de l’humain d’aduler.157 De même, si certaines formes de fanatisme semblent être contrôlées, c’est que le milieu social dans lequel le fan évolue limite la démonstration affective que l’on attend traditionnellement d’un "fan fanatique" : extravertie et revendicatrice. Les couches supérieures de la société ont simplement une possibilité plus

élargie, parmi un catalogue plus élaboré et plus recherché, d’orienter leur fanatisme. Le perfectionniste amplifie cette position fanatique. Nous sommes tous des fans. Dans les yeux du contemplateur et encore plus dans ceux du fan, la star est conçue comme ayant la même personnalité à l’écran que dans la vie. Par exemple, « des actrices passionnées et pleines d’érotisme comme Brigitte Bardot ou Béatrice Dalle sont souvent représentées comme ayant une vie privée turbulente ».158

Le troisième millénaire voit l’entrée de l’adoration de l’homme banal. Après la fin du XIXème siècle qui, dans le domaine de la reproduction des œuvres artistiques voit un changement radical permettant par exemple « au lecteur de passer à tout moment écrivain », la fin du XXème siècle simplifie encore plus le processus de vedettarisation.159 La télé-réalité mélange la célébrité et le fan, le fan devient idole, l’idole est devenue fan, banale. Le regard des

157 Hills, Fan Cultures, pp.46-8.

158 Guy Austin Stars in Modern French Film, London, Arnold Pulisher, 2003, p.5.

159 Walter Benjamin, Ecrits français, l’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée,

Paris, Gallimard, 1991, p.203.

154 autres devient le plus important, l’individu n’existe que par les regards extérieurs, création de l’hétéronomie ; lorsque ma loi c’est l’autre.160 Ainsi la population, la masse, qui n'est pas destinée à avoir une reconnaissance sociale à travers les médias, s'approprie cet espace "public". Plutôt que de contempler des êtres qui nous font rêver par leurs talents et leurs positionnements historiques idéaux, pourquoi ne pas adorer des individus qui nous ressemblent?

160 Michel Maffesoli, Notes sur la postmodernité, le lieu fait lien, Paris, Editions du félin,

2003, p.36.

155 4. La notoriété en Chine

L’Histoire plurimillénaire de la Chine est racontée par la propagande officielle qui mêle les mythes, les légendes, les grandeurs de ses dynasties, l’humiliation par les colons et les agressions et, plus récemment, l'intégration de la modernité, procure un terrain très favorable aux idoles, à la starification, à la création et au succès de la notoriété. Dès le premier empereur des Xia 夏, la notion de grandeur, de divinité Huangdi 黄帝 apparaît.161 Les guerriers chinois, considérés dès l'époque primitive comme des héros dignes d'être glorifiés, permettent d'étendre la possibilité d'acquérir une notoriété à travers le royaume. Encore une fois, les qualités martiales sont les critères d'un homme qui mérite la louange.

La culture chinoise est formée d'une abondance, d'une redondance d’images spirituelles où l’homme, de part sa volonté personnelle, peut se sauver lui-même et ainsi contrecarrer la destinée établie par le Ciel.

L’importance du bouddhisme depuis la période des Tang 唐 apporte ses

161 Selon l’historiographie traditionnelle chinoise qui a refait surface depuids les années

1990, la dynastie des Xia 夏 aurait régné de -2205 à -1767. Huangdi 黄帝, qui aurait vécu il y a plus de quatre mille ans est considéré comme le premier ancêtre de la civilisation chinoise et fondateur d’un code moral.

Pour une autre interprétation du moment historique en Chine, consulter Jean François

Billeter, Chine trois fois muette, Paris, édittions Allia, 2000, pp.69-82.

156 sculptures, son visuel et son esprit "élevant" à la recherche de son propre secours. 162 L'architecture bouddhique, caractérisée par les toits presque rectilignes, imposants par leur volume, soutenus par des piliers majestueux,

ème détruite en grande partie à la fin du IX siècle, n'a pas sombré dans l'oubli des Chinois puisque celle-ci s'est ancrée dans les peintures, les poèmes, les décors artistiques et littéraires de l'époque Tang, l'apogée de la production culturelle en Chine. Ces décors "typiquement chinois", mais en fait grandement influencés par l'arrondi et la sensualité de l'Inde, ont aussi nourri l'imagination occidentale et la vision "exotique", mystique de l’art chinois. De même, les constructions réalisées par les Jésuites aux XVI ème et XVII ème ont profondément marqué l’esprit des Chinois. Ces derniers vont même jusqu’à accorder une valeur patrimoniale aux édifices et palais construits par des artisans occidentaux utilisant des techniques de constructions occidentales.163

Dans la loi de protection du patrimoine culturel publiée le 19 novembre

1982, les critères d’identification de villes célèbres sont trouvés : lieux politiques et historiques (les six grands sites des capitales chinoises, Xi’an,

Luoyang, Kaifeng, Nankin, Hangzhou et Pékin, personalités dans l’histoire,

162 La dynastie Tang 唐 est la treizième dynastie chinoise, deuxième grand empire après les Han 汉. Les Tang ont régné de 618 à 907 de notre ère.

163 Zhang Liang, La naissance du concept de patrimoine en Chine, XIXème-XXème siècles,

Dijon, éditions Recherches, 2003, pp.31-3.

157 par exemple Quefu, lieu rituel pour Confucius, Shaoxing, pays carctérisé par les patriotes, identité locale et minorité nationale : des villes du Tibet ,du

Xinjiang, de Mongolie intérieure, villes avec morphologie particulière : canaux et ponts, montagnes et eau, Merveilles et œuvres d’art : les villes où se trouvent les trois plus grandes grottes gravées et peintes : Dunhuang,

Datong, Luoyang, Lintong où a été mis au jour le tombeau de l’Empereur des Qin et son armée en terre cuite. 164

L’importance du paraître prend ses racines bien tôt dans l’histoire chinoise, ne serait-ce qu’avec les idéogrammes, soucieux d’être vus et adorés. Sans cesse, l’aspect visuel a son importance, tant dans les tenues vestimentaires que dans la volonté de faire connaître son enseigne de magasin. Les empereurs construisent des édifices à la mesure du pays, de leurs ambitions, mais aussi en raison de ce sentiment d’infini et d'éternité qui existe dans tous les hommes. Le maquillage et les parures contribuent depuis le début de l’histoire de Chine à caractériser un peuple qui aime être vu. Plus récemment, le Grand Timonier, le Tournesol, le président Mao, autour duquel les enfants font des rondes s’est imposé à toute une génération comme une idole ultime, une star mûre. Le besoin d’être reconnu naît le plus souvent dans l’inconscient. En Chine comme ailleurs, cette nécessité de reconnaissance s’accroît d’autant plus que l’individu

164 Zhang Liang, La naissance du concept de patrimoine en Chine, p.159.

158 possède du pouvoir et se sent en danger dans la société. De fait, l’identification à la star, au chanteur, à l’idole, permet le plus souvent à l’individu, au fan, au consommateur de musique de satisfaire dans une pauvre mesure cet intérêt quasi incontrôlable d’attirance au divin, autrement dit, sa soif de culte.

Au niveau linguistique, différents caractères chinois sont utilisés pour définir la notion de célébrité. Les analyser permet de cerner comment la notion de notoriété s’est intégrée dans la culture chinoise. Les adjectifs zhuming 著名 et chuming 出名 désignent respectivement "nom fameux, célèbre" et "faire sortir le nom". Tout d’abord zhuming 著名. Zhu 著 possède deux sens, l’un que l'on peut traduire par "écrire ou composer", l’autre "fameux, célèbre".

Connu pour ses écrits donc, ou bien connu pour sa réputation. Chuming 出

名 , ensuite. Chu 出 qui emporte l’idée de "sortir", comme si le nom apparaissait parmi tant d’autres, "sorti du lot" finalement.

L’expression de quatre caractères zhongsuozhouzhi 众所周知 est aussi employée pour désigner la célébrité. Zhong 众 pour "les gens", zhou 周 pour

"autour" et zhi 知 pour "savoir, connaître", sous-entendu "les gens d’alentour le connaissent tous". Si l’idéogramme zhong 众 peut être interprété comme des (puisque "trois" désigne "beaucoup" dans la pensée chinoise) esclaves qui travaillent aux champs, on pourrait viser juste en suggérant que la notoriété est celle qui permet d’être connu des esclaves, à savoir des personnes privées de par leur condition pauvre de toute vie

159 sociale.165 Dans cette ligne directrice, on constate que depuis l’arrivée de la télévision et de la radio dans les moindres recoins, mêmes les plus pauvres de l’espace géographique chinois, les célébrités sont connues jusque chez la population la moins favorisée. Témoin la notoriété de la chanson « Take me to your heart » de Mickael Learns to Rock, un groupe danois qui envahit les ondes chinoises en 2005 en chantant pourtant en anglais.166

Le caractère hong 红 qui désigne la couleur rouge, employé pour parler d’un artiste populaire connu, semble à première vue être le fruit d’une

165 Shouyi Bai, An Outline History of China, , Foreign Languages Beijing Press, 2002, p.67.

166 Michael Learns To Rock, popularly known as MLTR, is a Danish English-language pop music band. Michael Learns to Rock was formed in 1988, and has been well known since the release of the single « That's Why (You Go Away) » in 1994. The band is well known in

Europe and especially popular in Asia, where many of its albums have gone gold and platinum.In 2004, the band released the sheet « Take Me To Your Heart » a remake of

Jacky Cheung's « Goodbye Kiss ». The single has gained popularity in Mainland China,

Hong Kong, Vietnam, and Taiwan.

Mickael Learns To Rock ou MLTR est un groupe de musique pop danois qui chante en anglais. Le groupe est né en 1988 et s’est fait connaitre avec le titre « That’s Why (You Go

Away) » en 1994. Le groupe est connu en Europe et particulièrement apprécié en Asie où beaucoup d’albums du groupe ont reçu des disques d’or et de platine. En 2004, le groupe enregistre « Take Me To Your Heart », un remake de « Goodbye Kiss » de Jacky Cheung.

Le single a très bien fonctionné en Chine Populaire, à Hongkong, au Vietnam et à Taiwan.

160 idéologie communiste "rouge". Pourtant, l’expression est antérieure à l’établissement du régime communiste en Chine en 1949. En fait, hong 红 symbolise "le succès, l’importance". Un personnage hong est celui qui reçoit une grande crédibilité de la part du public ou des contemplateurs.

La langue chinoise fait une distinction de classe quant au niveau de notoriété, ou en tout cas de la qualité de la notoriété. Nous avons parlé plus haut de la "qualité supérieure" et de la "qualité inférieure" d'une notoriété, qui se mesurent principalement en fonction du secteur, et plus précisément encore de la spécialité du secteur où de l’objet qui déclenche le mérite d'une reconnaissance. Ainsi, le compositeur de musique qui doit être considéré comme un yinyuejia 音乐家 est celui qui sort des conservatoires de musique et qui compose de la "grande" musique. L'artiste qui mérite d'être respecté comme un yishujia 艺术家 est celui qui fréquente les "hauts" lieux de l'art connus comme tel. Jia 家 signifie en effet "spécialiste".

ème De nouvelles expressions apparaissent au cours du XX siècle, calquées sur l’anglais. Ainsi mingxing 明星 traduit le mot anglais star. Mingxing zhidu

明星制度, pour "star system", désigne le système économique d'exploitation de la notoriété. Cette organisation de la célébrité est aussi bien réelle en

Chine depuis ces vingt-cinq dernières années. D'après les articles chinois qui paraissent sur le sujet, les caractéristiques qui composent le star system chinois sont très proches des star systems en général :

现代消费社会离不开明星制度。作为一种创意产业,当代文化产业对创造 性有很高的要求,它的投资是一种风险投资,有很高的回报,也有很大的 风险,甚至血本无归。为降低投资风险,明星制度是很好的选择。它是对 创意的补充与检验,是对风险的缓冲与降解,向上,有极大的拓展余地,

161 向下,保证成本的回收。明星制度与投资者和经营者的利润预期密切相 关,也与降低投资风险密切相关。明星制度有自己的体系,有歌迷会、影 迷会、发烧友、追星族的基本队伍,甚至还有后援会,巨大的赞助机构。 启用明星,可以在相当程度上降低投资风险 。

La société de consommateurs moderne est liée de très près au star-system. En tant que partie de l’industrie créative, l’industrie culturelle comptemporaine accorde une importance majeure à la créativité, son investissement est un investissement à risque, qui peut rapporter un grand profit, mais un investissement risqué. Pour diminuer le risque, le star-system est un bon choix. Il permet de compléter la créativité et de faire baisser le risque de perte économique. Les profits du star-system, des investisseurs et des entreprises sont étroitements liés ainsi que la diminution des risques d’investissements. Le star-system possède son propre système de fonctionnement, avec ses fan clubs pour chanteurs ou acteurs, ses clubs d’amis, ses fans qui se déplacent pour les évènements, et même les organisations de soutien d’artistes. Tout cela permet dans une large mesure de faire baisser le degré de risque de l’investissement.

Cet article montre comment la société actuelle est liée au star system où ce dernier exige, pour survivre, un sans cesse renouvellement continu de la nouveauté et s'appuie sur des investissements souvent dangereux, même s'ils peuvent s'avérer très rentables. L'argent reste donc le garant de la créativité et de la nouveauté. Le star system possède ses propres rouages qui fonctionnent, par exemple, à travers l'existence de différentes sortes de fan clubs.

Le culte de la personnalité institué par Mao 毛 montre comment la notoriété en Chine peut être provoquée.167 Dans le cas du Grand Timonier, toutes les techniques de communications sont utilisées pour rendre la population soumise à la toute puissance de l'homme, en allant jusqu'à une sorte de

167John A. Walker, Art and Celebrity, London, Pluto Press, 2003 , p.168.

162 marchandising iconique.168 Mao devient en quelques années l’autorité qui contrôle d’une manière absolue le discours social.169 Mao considère que la musique doit « épouser les objectifs de l’Etat et promouvoir sa cause » ;

« cette ligne de pensée rejoint la vision Islamiste fondamentaliste ». 170

Comme, pendant la Révolution Culturelle, "l’Etat c’est Mao", autant dire que la musique doit "promouvoir" Mao lui-même.

Le contexte historique, le "timing" politique et social permettent à Mao de se faire un nom et de construire sa gloire et sa divinisation, toutefois il n'en reste pas moins que la tyrannie médiatique est l'un des facteurs clé pour réussir à créer l'idole. Le spectacle (la société) qu’il propose est un

« instrument d’unification » qui permet à une Chine séparée d’avoir un regard unique et une conscience sur sa société et son existence même.171

L'empreinte de la théorie marxiste-léniniste qu'il utilise pour contrôler le peuple chinois est un outil puissant, Mao va jusqu'à utiliser les marchandises et pénétrer l'art, la poésie, la peinture, la musique, pour conforter son emprise spirituelle sur toute une génération, et même au delà.

168 Walker, Art and Celebrity, p.168.

169 Ping He, China’s Search for Modernity, p.147.

170 Richard O.Nidel, World Music, The Basics, Great Britain, Routledge, 2005, p.215.

171 Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Editions champ libre, 1983, p.10.

163 Mao combine la manipulation des marchandises et du monde économique visible avec l’idéologie communiste, tantôt palpable, tantôt imaginée.172 On comprend de fait qu'il soit difficile de combler le vide idéologique de l'après

Mao, tant l'homme politique a concentré les médias sur sa personne. La

Chine actuelle partage l'industrie du rêve et de la notoriété entre différents acteurs, qui ne peuvent recevoir, de par leur statut d'artiste, le même traitement médiatique qu'un personnage tout-puissant. Le parti communiste est omniprésent dans la société chinoise même si les visages de ses représentants sont peu mis en lumière. Le président Hu Jintao 胡锦涛 ne semble pas être plus médiatisé qu'un Sarkozy ou un Bush dans leurs pays respectifs. Pourtant, au fur et à mesure des années, le gouvernement chinois aménage son territoire d’une manière minutieuse. Le contrôle du

Tibet, du Xinjiang permet à la Chine et aux Chinois d’aller visiter en toute tranquilité et en toute sinicité ces territoires aménagés économiquement, lieux « différents » au début mais rendus « équivalents ».173 Une certaine forme de promotion du pays et de ses valeurs.

Toutes les gloires réelles ou rêvées chinoises ont été entachées par le monde extérieur, par l’Occident. La colonisation par l’armée plurinationale

ème au début du XX siècle, les saccages des palais, les humiliations sur la scène mondiale par les grandes puissances, les jugements quant à la

172 Debord, La société du spectacle, pp.28-9.

173 Debord, pp.133-4.

164 manière de gouverner le pays, l’imposition des valeurs de l’Occident, tout cela contribue à former dans la continuité un inconscient collectif, où l’objectif du camarade chinois est de glorifier la Chine en premier lieu, avant toute gloire personnelle. Sa propre reconnaissance est dépendante de la reconnaissance de la Chine. Le Français en Chine n’est-il pas d’abord français ? Et ce, peu importe le niveau social qu’il a réellement en France ?

ème Au début du XXI siècle, la notoriété est à la fois objectif visé et outil de promotion commerciale. En Chine, pour réussir à être connu, il fait respecter certaines règles. Pour un chanteur qui veut réussir et être accepté, il y a des gestes à faire, une attitude scénique à avoir. Ce qui sort de ce cadre est-il accepté par le pouvoir ? Y a-t-il de la place en Chine pour ce que l'on appelle en Occident "l'innovation artistique" ?

La notoriété semble être un sujet de conversation de prédilection de la jeunesse chinoise. Il est évident qu’une maison de disques et l'artiste signé se reposent dans une grande mesure sur la notoriété. L'ampleur de cette notoriété se mesure bien souvent au volume des ventes du produit artistique réalisé. En Chine, la notoriété s’évalue grâce au degré d'infiltration dans les médias, tous secteurs confondus. Ce sujet n’était bien entendu pas choisi au hasard, car à travers lui je voulais étendre les réflexions sur le monde de la musique en Chine.

Etant donné que la musique reflète l'état de la société, que l'on peut lire en elle les attentes, les craintes et les faits vécus par une population désignée,

165 on pourrait objecter que l'importance trop déterminante de la raison

économique dans l'industrie musicale fausse toutes les données et analyses, puisque l'exigence de rentabilité financière exclut de s'intéresser

à certains projets dans la mesure où ils peuvent s'avérer risqués pour les profits de la maison de disque. Par conséquent, la musique populaire produite par le réseau musical officiel ne révèle pas avec exactitude l'état de la société. Si la raison économique envahit depuis le début des années

1980 l'industrie musicale chinoise, ce rouleau compresseur est présent à tous les niveaux, et l'on ne peut pas nier son existence et son influence dans les rouages de la société même, des relations entre les humains, des peuples entre eux, des sentiments qu'elle crée ou détruit. Si la musique est pure, authentique, totale, expérience extrême, il n'en reste pas moins

ème qu'elle est imprégnée d'une époque, d'un contexte. Le début du XXI siècle a pour contexte historique la tyrannie économique.

La "simulation" dont nous avons parlé dans le chapitre précédent est un phénomène notable en Chine. Elle peut se révéler par l'assimilation et la reproduction de codes collectifs relatifs à la l’identité chinoise. 174 La simulation permet de renforcer le sentiment nationaliste, de mettre en confiance le consommateur de produit culturel et de revivre l'Histoire d'une manière rapide et pratique. Témoin le groupe rock Tang Dynasty qui reprend à son compte le nom de la dynastie que l'on veut légendaire, les

174 Annexe numéro trois.

166 codes vestimentaires, un design de pochette de disque quasi gothique et une musique considérée comme sérieuse, progressive, loin des mélodies faciles de la mandopop.

La "simulation interculturelle" connaît ses temps forts en Chine depuis l’ouverture vers l'extérieur des années 1980, avec l'assimilation des attitudes rock, punk, rap et r&b. La star chinoise, si elle doit être fière de sa nationalité et de son nationalisme connu de tous, gagne de la crédibilité aux yeux de la masse dans l'assimilation qu'elle fait des codes occidentaux en matière d'attitude et d'esthétique. Le groupe SHE "débride" ses yeux pour sa dernière image publicitaire et reprend l’imagerie de la mythologie grecque dans un de ses clips vidéo, les rappeurs chinois adoptent la gestuelle et le rythme langagier des rappeurs américains, et les chanteurs pop teintent leurs clips et leurs mélodies d'occidentalisme. Le chanteur

Zhou Jielun 周杰论 reproduit même avec un groupe formé pour l’occasion l’ambiance des Beatles.175

175 Zhou Jielun est un auteur compositeur interprète Taiwainais qui entre dans le monde de l’industrie musicale en tant que compositeur en 1998. L’artiste, que l’on nomme aussi Jay

Chou, signe avec la maison de disque Alfa music, et son deuxième album Fantasy le propulse déjà sous les feux de la rampe. Il est interessant d’analyser la musique de Zhou

Jielun, qui réussit à travers un style propre à fusionner les instruments traditionels chinois avec l’architecture musicale occidentale. En Chine Populaire et à Taiwan, l’artiste est présent dans de nombreuses réclames publicitaires, films et show télévisés.

167 Le cas de Sun Xun 孙逊, auteur compositeur interprète, montre comment, en Chine, la poursuite de l’entéléchie, cet état de perfection, de parfait accomplissement de l'être est une volonté humaine qui touche tous les humains.176 A 27 ans, Sun Xun, après avoir obtenu son doctorat en science, se compare à Einstein et constate que ce dernier, au même age, avait déjà découvert la relativité. Animé d’un sentiment de frustration et de déception, condamné à faire du commerce pour gagner sa vie, Sun Xun se dit

"illuminé" le jour où il écrit son premier texte. Il décide de produire un album, qu’il finance lui-même et concocte cinq années durant. Le docteur, devenu

"officiellement" artiste après la parution de ses 12 titres, est en fait un homme désireux de partager ses sentiments exprimés par l’écriture et la composition musicale. Dans son cas, la musique devient la cristallisation d’un idéal, d’une notoriété, souhaitée à l'origine dans sa réussite scientifique.

Walker expose dans ses conclusions les effets positifs et négatifs que revêt le phénomène de la célébrité. Il semble que ses commentaires puissent, dans une large mesure, s’appliquer aux artistes chinois déifiés. Prenons le cas par exemple de l’attitude arrogante et orgueilleuse qui résulte bien souvent d’une exposition importante de l’artiste dans les médias. De nombreux artistes chinois qui réussissent, j’entends par là qui vivent de leur

176 Sun Xun 孙逊,Duoxie shijian gei ziji de zhuanji 多谢时间给自己的专辑,Beijing 北京,

Zhongguo yinyuejia yinyue chubanshe 中国音乐家音乐出版社,2005.

168 art et travaillent régulièrement dans des productions cinématographiques, télévisuelles et musicales, développent une "attitude de star" envers l'équipe technique qui rentre d’ailleurs dans le jeu, tant cette attitude de star

"doit" exister chez une célébrité ou une future célébrité "digne de ce nom".

Comme si le comportement démesuré précédait la véritable reconnaissance. En ce qui concerne les acteurs chinois, les coulisses des tournages de deux séries chinoises à grands budgets, Gongqingwang de chuanqi 恭请王的传奇 et Mingtian wo bushi gaoyang 明天我不是羔羊, auxquels j’ai participé, montrent la tendance qu’ont les jeunes acteurs qui ne sont pas encore reconnus nationalement à avoir un comportement de célébrité "négative" (orgueil, faible ouverture d’esprit), tandis que les acteurs déjà célèbres se soucient plus de la réussite du projet artistique et n’hésitent pas à orienter le metteur en scène pour obtenir une série politiquement correcte, qui ne sera pas censurée et qui, par sa diffusion, augmentera la notoriété des vedettes. 177Les séries télévisées chinoises commencent a être diffusé en 1958. En 1979 le nombre de séries augmentent et en 2004 on compte 537 produites par la Chine.178

177 Expériences personelles lors des tournages en 2006 des séries citées dans le corps du texte. La relation avec les acteurs reconnus, mûrs et au sommet de leur art, est plus naturelle et plus enrichissante que celle amorcée avec des acteurs et actices en devenir.

178 Wang Yanling 王艳玲,Dianshi wenxue daolun 电视文艺学导论, 成都,

Sichuan daxue chubanshe 四川大学出版社,2006,pp.76-82.

169 La course à la notoriété en Chine enferme la production musicale chinoise ainsi que sa représentation dans des interprétations calquées sur les moules occidental, japonais et coréen, et ferme de nombreuses portes aux artistes chinois qui tentent de créer une réelle production musicale novatrice. En Chine, le contenu de la production musicale est moins vital pour l’éthique qu’il ne l’est en Occident, et la promotion de l’artiste et de son image passe avant la qualité et la créativité intégrées dans les titres musicaux. Ainsi, la conscience artistique de la nouvelle scène musicale est resserrée à l’extrême d’autant plus que les artistes doivent aussi compter avec la forte présence de l’idéologie communiste dominante qui censure tous débordements.

De "bons" artistes chinois, au-delà de toute considération artistique, n’obtiendront sûrement jamais une notoriété nationale puisque la notoriété artistique, depuis Cui Jian 崔建 principalement, est vue par le pouvoir comme la montée dangereuse d’une protestation. Si celle emmenée par le rock est contrôlée par la digestion et l’intégration par les niches marketing du rouleau compresseur de l’industrie musicale chinoise, ainsi que par le faible impact que le rock a eu sur la population chinoise dans son ensemble ces 20 dernières années, des formes plus dures de protestation seraient condamnées par le pouvoir d’une manière aussi radicale que lorsque les

étudiants chinois se sont rebellés en 1989, lorsque les paysans expropriés ont contesté en 2006, lorsque les internautes veulent se documenter d’une manière plus objective, ou même lorsque les chinois, convertis au christianisme, tentent de se réunir pour exprimer leur foi.

170 La notoriété d'un courant musical permet à ses représentants de devenir

« stars » dans une société donnée. Inversement, une célébrité peut permettre à un type de musique de devenir une mode et d'obtenir une reconnaissance auprès du public. Dans le cas du rock chinois, si les commentateurs occidentaux ont toujours voulu démontrer que le rock est différent du reste, plus authentique car contre le pouvoir, il n'en reste pas moins que son succès est dû dans une large mesure à la couverture médiatique dont il a été l'objet.179 En fait, « le rôle des médias dans la construction culturelle et est plus important qu'il n'y paraît ».

On peut donc s’interroger sur l’éventuelle possibilité de "faire taire le rock" en Chine simplement par "ne pas en parler". La notoriété du rock chinois semble ne tenir que sur les épaules d’un Cui Jian, que peu de jeunes

Chinois connaissent vraiment, et d’un Wang Lei 王 磊 , encore plus transparent sur la scène musicale chinoise. 180 Il semble que le rock en tant

179 David Stokes, Popping the Myth of Chinese Rock, Routledge Curzon, 2004, p.34.

180 Wang Lei est un artiste chinois du Sichuan qui évolue sur la scène musicale chinoise et internationale depuis une dizaine d'années. Après un parcours solo, où les productions discographiques du musicien sont principalement rock, il s'oriente par la suite vers la création de musique éléctronique. De fait, il sera soutenu par quelques producteurs décideurs du monde musical franco-chinois, principalement établis à Pékin. En 2004, il sort

171 que courant musical ait du mal à trouver sa place, étouffé par la pop et les chansons d’amour chinoises, adulées. Ainsi le courant musical dans lequel une vedette s’exécute détermine en grande partie son degré de starification.

Pour cette raison, la réussite d'une notoriété dans l'industrie musicale en

Chine (je désigne ici l'artiste signé qui n'a plus à se "battre" pour entrer dans le monde professionnel) est dépendante du choix du style de la musique produite et interprétée (pop), de la présence à l'image (séries télévisées, publicités) et enfin d'une soumission idéologique.

La course à la notoriété, le rêve d’être reconnu par la patrie et la volonté d’être différent de l’autre posent les jalons de la problématique des milieux artistiques et sportifs chinois. Ce désir exacerbé d’être la fierté de son pays, le héros national, combiné à l’omniprésence d’une compétition et d’une concurrence entre les individus, révèle le problème d’un tout homogène et harmonieux. Dans un groupe de rock, chaque musicien doit respecter sa place et jouer de telle manière à servir le groupe et non pas seulement sa propre interprétation. De même, une équipe de football gagne grâce au collectif. Obnubilés par le rêve individualiste de gloire, les Chinois échouent là où leur art ou leur discipline demande de la cohésion et du détail. Cette recherche du détail et cette capacité à écouter les autres musiciens qui composent un collectif musical est l’apanage des artistes qui se connaissent bien et qui sont considérés comme professionnels.

Xin, chez le label Bailong Music, « synthèse de la création électronique chinoise, mix d'influences et d'époques des luths ancestraux à la drum'n'bass ».

172 173 5. L’homme blanc et la notoriété en Chine

L’artiste qui désire vivre de son art ou de sa passion se sert dans une large mesure de la notoriété qu’il acquière au fur et à mesure de l’évolution de sa carrière, qu’elle soit gérée par une structure ou par lui-même. C’est la notoriété, et par extension, le résultat économique que produit cette reconnaissance du public qui encourage tant sur le plan économique puis psychologique le développement de l’artiste, et qui permet une continuité du métier d’auteur compositeur interprète professionnel. A contrario, ceux pour qui le public n’a que peu d’intérêt ne peuvent continuer la voie musicale, à moins bien entendu qu’ils tirent leurs revenus d’autres sources et s’obstinent donc à créer de la musique pour l’art uniquement, ou pour leur propre jouissance, plus justement. On ne vit pas de la musique, mais avec la musique.

Dans cet état de choses, l’artiste étranger (j’entends par là l’Européen ou le

Nord Américain blanc de peau, conformément à la définition que le peuple chinois donne communément de "l'étranger") qui décide de lui-même ou par un concours de circonstance de travailler sur le sol chinois semble se faciliter "la vie artistique". En effet, si les réminiscences des agissements guerriers destructeurs et humiliants de l’armée plurinationale au début du

ème XX siècle resurgissent régulièrement dans le discours officiel chinois diffusé dans les séries télévisées ou les émissions historiques et culturelles, l’étranger blanc, et ce qu’il représente (la modernité et la réussite

économique), est mis sur un piédestal. Dans cette situation sociale déterminée par l’Histoire et l’économie, mais aussi par un caractère chinois 174 qui se veut « tolérant », « intelligent » et « humble », l’artiste blanc est plus facilement en contact avec les sommités du monde de la musique chinois, est invité plus facilement aux émissions télévisées, à la radio, et trouve des dates de concerts d’une manière plus sereine.181

Pour la Chine, l’ouverture à l’étranger est synonyme d’accroissement

économique. De même, la présence d’artistes étrangers sur le territoire chinois génère de la croissance économique, et cela pour trois raisons principales. Tout d’abord, le principe de rareté fait monter les prix d’une prestation musicale exécutée par un Européen par exemple.182 Ensuite, la présence d'un artiste blanc au cours d'une soirée est une manière de montrer que le maître des lieux est puissant, puisqu'il connaît des étrangers ou en tout cas qu'il a les moyens de les employer. Enfin, dans le domaine de la scène, l'artiste étranger qui exécute son savoir-faire est, dans bien

181 Expérience personnelle en 2000, 2005 et 2006.

182 A titre d’exemple, une représentation musicale d’environ 45 minutes, soit un set de chansons, est rémunérée au minimum 1000 yuans (600 pour le chanteur, 400 pour l’agent) tandis qu’un artiste chinois ne recevra que 150 yuans, et ce même si les chansons interprétées sont les mêmes.

175 des cas, considéré par les Chinois spectateurs comme un professeur dont on peut tirer un enseignement et une technique.183

Lorsqu’un artiste qui produit sa propre musique désire se faire connaître, il se retrouve confronté aux logiques du star system décrites plus haut. Il est judicieux de rajouter à ces explications le constat ô combien éclairant que ce ne sont pas les meilleurs chanteurs qui réussissent (ni ceux qui sont connus). Evitons le débat ici de savoir ce qu’est la réussite en termes artistiques ou celui de savoir si une notoriété importante est le symbole de la réussite professionnelle. Evoquons plutôt les concours de circonstances historiques, les volontés politiques, les praxis culturelles comme générateurs de notoriété.

Prenons l’exemple de Confucius. N’y avait-il pas à l’époque de cet homme d’autres "Confucius" latents ? Pourquoi lui et pas un autre ? Ma compréhension sociologique me pousse à montrer que la volonté politique de la Chine sous la dynastie Han, qui a besoin d'une théorie, d'une ligne directrice, d'une religion, d'un courant philosophique, appelons-le comme bon nous semble, vient à amplifier le phénomène "Confucius". Ce qui n'était qu'une description de la vie, une nostalgie de la perfection sociale et une

183 Témoin le commentaire d'un saxophoniste américain qui s'étonnait après un an de concerts donnés dans la région de Shanghai en 2005 de l'attitude empreinte de curiosité de la part du public chinois vis-à-vis de son instrument.

176 volonté probablement charnelle de puissance (ou en tout cas de maîtrise des esprits humains), devient la réflexion de base d'un gouvernent qui domine les Chinois. A moins qu'il ne s'agisse, pour Confucius, d'une volonté humaniste de fraternité entre les hommes, qu'il ne voyait pas de son

époque et qu'il ne verrait d'ailleurs pas non plus à la nôtre, comme l'ont constaté et le constatent encore dans leurs réflexions nombre d'écrivains.

Un simple homme finalement, dont la pensée est signée par la "Major" qu'est le gouvernement et propagée aux foules et à leur histoires culturelles et personnelles par les médias de l'époque : l'oralité, les cours mandarinaux, la littérature et la musique.

Les incertitudes quant à ce que le Maître a réellement écrit, les ajouts qui ont été faits par la suite aux textes confucéens et enfin la destruction des originaux et la réécriture sur la base unique de la mémoire des lettrés montrent à quel point la création de la notoriété d'un homme est le fruit d'un travail collectif et de conditions historiques favorables.184

184 Julia Ching et Hans Kung, Christianisme et religion chinoise, Paris, Editions du Seuil,

1991, p.90.

177 IV. LA MUSIQUE EST-ELLE PROPHETIQUE SUR LE PLAN

SOCIOPOLITIQUE EN CHINE ?

1. La méthode d’analyse.

La musique en Chine, comme ailleurs, a toujours été réduite à un moyen de

conforter le pouvoir mis en place et de l’organiser. Ordonnée par les

différents empereurs qui se sont succédés, elle était à la Cour une esclave

parmi tant d'autres. Musique serviteur d'une culture officielle. On retrouve

cet état des choses dans l'Histoire occidentale, lorsque des compositeurs

comme Bach ou Lully doivent composer la musique commandée par le

roi.185 Sous les dynasties chinoises, la musique 雅乐 (la musique de

Cour) est composée dans ce but constant de maintien du pouvoir et de

contrôle de l'ordre social. Si bien souvent, la dazhong yinyue 大众音乐 (la

musique populaire) est considérée par la majorité des souverains comme

dangereuse et à combattre car elle peut compromettre l'ordre établi,

certains empereurs, comme Li Shiming 李世明 (sous la dynastie Tang 唐),

185 La petite encyclopédie de la Musique par Brigitte Massin, Paris, aux Editions du regard ;

1997, montre comment LouisXIV, à travers Lully, transforme en rite politique ce qui n’était

jusqu’alors qu’un plaisir innocent. Lully commande l’Académie Royale de Musique et, à

travers elle et d’autres pôles culturels, établit une politique de centralisation culturelle. Bach,

quant à lui , se voit nommé « Compositeur de la Cour Royale de Dresde » et est reconnu

par les rois. Il compose pour la Cour dès 1707.

178 estiment que ce n’est qu'en se mêlant aux musiques populaires traditionnelles (chinoises) et en tentant de se plonger dans les œuvres des poètes de leurs époques qui expriment l’inquiétude et la peur d’un système décadent, que l’on peut bien connaître les pensées et les sentiments du peuple, et donc mieux gouverner. 186

Jacques Attali, lorsqu'il expose dans son ouvrage Bruits que la musique est une prophétesse qui dépeint les changements politiques, construit une théorie qu'il semble tentant d'appliquer au cas de la Chine. Peut-on déceler dans la musique produite en Chine des indices qui nous permettent de prévoir les structures et les formes du pouvoir politique chinois ? Peut-on utiliser la même stratégie, la même analyse, pour expliquer les changements politiques tout au long de l’histoire chinoise et ainsi être en mesure d'établir une prévision pour le siècle qui s'annonce ?

Attali décrit les étapes qui composent l'histoire de l’Europe de l’Ouest à travers la musique : « le sacrifice », « la représentation », « la répétition » et enfin « la composition ». L’auteur montre comment le bruit est utilisé par les hommes, depuis les sociétés primitives jusqu'à notre stade avancé de sociétés postmodernes. Toutes les productions musicales sont incluses

186 Bai Shouyi, An Outline History of China, Beijing, Foreign Languages Beijing Press, 2002, p.214.

179 pour servir de méthode d'analyse et chacune, qu'elle soit traditionnelle, classique, populaire ou moderne, est porteuse de sens. L’auteur établit que

« la musique évolue parallèlement à la société des hommes, structurée comme elle et changeante avec elle. Avant elle ».187 Si, en Chine, « le diapason huangzhong 黄钟 est variable selon les époques au gré des décrets impériaux », ce qui signifie que la musique reçoit l’influence directe des mouvements politiques et sociaux, il est intriguant de vérifier dans quelle mesure les phénomènes musicaux (tout ce qui se rapporte à la production musicale, son étude, son utilisation) influent sur ceux-ci.188

La Chine n'a pas un développement historique semblable à celui de l'Occident et plus précisément de la France. Si l'on considère les critères

économique, culturel, innovatif ou politique, les évolutions sont différentes, inégales. Pour ces raisons, il est nécessaire d'appliquer l'analyse de la connaissance musicale d'une sphère géographique à son cas seul et non pas de tenter d'utiliser les caractéristiques musicales occidentales ou françaises dans l'étude de l'évolution sociale et politique chinoise. Il est

187 Jacques Attali, Bruits, Presses Universitaires de France, Paris, Fayard, 2001, p.13.

188 François Picard, La musique chinoise, Paris, Editions You Feng, 2003, p.23.

En musique et en acoustique, le diapason est un outil donnant la hauteur, la fréquence d’une note repère conventionnelle. La hauteur du diapason varie suivant les époques et les lieux géographiques. Le diapason « universel » est fixé depuis 1953 par la conférence internationale de Londres à la hauteur absolue du la3 de 440hertz.

180 impératif en premier lieu de connaître les musiques, ou en tout cas les grandes tendances musicales, qui composent et accompagnent l'Histoire chinoise, et plus récemment son industrie musicale.

Cela n'empêche pas de prévoir des recoupements interculturels et l'utilisation des classifications musicales globales, tant des influences se sont exercées dès qu'il y a eu contacts et échanges. De plus, la nature universelle et spirituelle de la musique a tendance à regrouper les hommes vers un point de ralliement sensoriel et artistique ; il n'est donc pas exclu de fusionner les deux expériences historiques en une seule, tant l'expression musicale reflète les sentiments des hommes, au-delà de leurs différences ethniques.

ème Enfin, la globalisation du XXI siècle permet aux différentes sociétés d'être

étudiées, non pas sur un point d'égalité, car la perception de la postmodernité et l'appropriation du globalisme culturel est différent suivant l'endroit où le sujet les reçoit, mais par des codes (les codes musicaux sont inclus) qui deviennent de plus en plus unanimes et où la musique reste l’endroit privilégié de réécriture d’un autre monde, idéal.

181 2. La musique chinoise et ses périodes historiques

traditionnelles.

En Chine, l’histoire de la musique peut se révéler à travers trois périodes.

La première concerne l’époque sanhuangwudi 三皇五帝 (environ 3000 avant notre ère), jusqu'à la dynastie Tang, où il n’existe pas de notation musicale; la transmission se fait essentiellement par les professeurs d’instruments qui perpétuent la tradition musicale d'une manière orale, sans partitions. Il faut tout de même faire une exception pour la période liuchao

六 朝 , pendant laquelle il existe une notation de caractères chinois expliquant comment jouer du Guqin 古 琴 , cithare à sept cordes sans chevalet qui représente l’instrument de musique chinois par excellence.189

Dans cette première phase de l'histoire de la musique chinoise, la majorité de la musique est pratiquée à la cour de l’empereur, mais parallèlement une autre musique, populaire, est produite par le peuple pour accompagner ses sentiments et sa vie quotidienne.

ème La seconde période embrasse l’époque Tang jusqu’à la fin du XIX siècle.

Cette dynastie marque le début de la notation musicale telle que nous la concevons à présent. Il s’agit de la notation jianzipu 减字 qui utilise le

189 Zhang Huaying 章华英,Guqin 古琴,Hangzhou 杭州, Zhejiang renmin chubanshe 浙江

人民出版社,pp.1, 5.

182 radical, ou la clef, des caractères chinois. Cette découverte a été faite à

ème Dunhuang 敦煌, dans la province du Gansu 甘肃 à la fin du XVIII siècle.

On retrouve aussi, dans les grottes de Mogaoku 莫高窟, de nombreuses esquisses de représentations musicales. 190 Les intellectuels ne s’intéressent qu’aux théories musicales. La pratique est une activité trop pauvre et populaire pour eux, exception faite pour le guqin dont même

Confucius était adepte. 191

ème Enfin, une troisième période débute à la fin du XX siècle et s’étend jusqu’à nos jours. L’influence de l’extérieur, les guerres ainsi que l’arrivée du communisme au pouvoir et le développement croissant du commerce avec les puissances étrangères changent la donne. Il ne se dégage pas véritablement de courant musical prédominant. On pratique la musique dans des salles de concerts ; depuis 1949, la "portée" occidentale wuxianpu

五线谱 est utilisée comme notation musicale et devient, surtout depuis 1960, une concurrente dangereuse pour la notation traditionnelle chinoise.

Un ouvrage récent intitulé World Music dévoile l’Histoire musicale d’une manière légèrement différente. La première période est caractérisée par la musique des temps anciens, à l’aube de l’humanité. La deuxième étape est

190 Annexe numéro dix-neuf.

191 Zhang Huaying 章华英,Guqin 古琴,p.5.

183 ème celle qui commence avec la conception confucianiste de la musique au V siècle avant notre ère et qui poursuit son influence jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong 毛泽东 en 1968. La troisième période commence après 1980, avec une musique aux caractéristiques mondiales.192

Si les interprétations du développement musical en Chine peuvent revêtir différentes formes suivant les critères de jugement choisis, la division en trois périodes (que ce soit celles établies par le département de musicologie du Conservatoire de Shanghai ou celles de l'ouvrage "World Music") permet d’établir une vision simplifiée des transitions qu’a subies la musique chinoise. Pour mettre à l’épreuve les classifications traditionnelles de la musique chinoise par les musicologues et les sinologues, il semble pertinent de décrire les caractéristiques des grandes dynasties qui ont régnés en Chine, en tentant de les relier avec les messages que la musique de la dynastie précédente avait pu émettre. Dans un même temps, on tentera de superposer l’analyse d’Attali, qui consiste à découper l’Histoire musicale en quatre périodes qui s’annoncent et se succèdent, périodes que nous avons mentionnées plus haut. Commençons par la première, qualifiée de « sacrifice ».

192 Richard O. Nidel, World Music, The Basics, Great Britain, Routledge, pp.214-7.

184 3. La musique et le sacrifice en Chine

a. La fonction première de la musique

Selon Attali, la « fonction fondamentale de la musique est de montrer que la violence est contrôlable, donc que la société est possible ». 193 Ainsi, il considère que la première fonction que la musique joue dans l’histoire de l’humanité est celle du « sacrifice ». La musique comme mémoire de l’humanité. La musique possède depuis le début de l’homme une fonction rassurante et permet de communiquer avec le divin. Si, bien entendu, toutes les hypothèses sont possibles puisque difficilement vérifiables, la

Chine et ses penseurs inspirent grandement les Occidentaux quant aux origines de la musique. Que ce soit dans la culture grecque, chinoise ou germanique, la musique et celui qui l’interprète remplissent ce rôle d’intermédiaire sacrifié. En Chine, l’accent est mis sur l’importance de la musique pour bien gouverner. Ainsi, à l'aide des rites et des arts comme la musique, il est possible d’établir les lois humaines, de corriger les caractères et les passions et ainsi diriger toutes choses.194 En fait, si la musique revêt un aspect mystique, elle est en même temps une certaine traduction des sentiments humains, qui ont besoin d’être exprimés et

écoutés par une autorité spirituelle pour obtenir une consolation.

193 Attali, Bruits, p.45.

194 Leonard Shihlien Hsu, The Political Philosophy of Confucianism, Great Britain,

Routledge, 2005, pp.90-1.

185 Les ouvrages chinois, qui reconnaissent sans ambiguité l’existence des dynasties Xia 夏 et Shang 商, montrent qu’à ces époques la musique accompagne les poèmes chantés par un peuple opprimé au sein duquel le système des classes est déjà établi. Les chants traitent de la société, du mariage, mais critiquent également le pouvoir.195 Les poèmes produits ont un sens politique en ce qu'ils « se libèrent des volontés de l'Etat ».196 Ces poèmes prédisent les mouvements anti-gouvernementaux qui auront lieu dans l’histoire. Chaque homme, lorsqu’il est outragé, a cette capacité

"d’auto-réflexe" et de critique de l’agresseur. Le talent de l’artiste est d’avoir la plume ou la verve pour pouvoir l’exprimer d’une belle manière. Son courage réside dans le fait de laisser une empreinte des douleurs qu’on lui a infligées, alors que le simple fait d’en donner un témoignage peut lui valoir encore plus de persécution. Courage encore face à la pudeur d’étaler ses sentiments, si précieux aux yeux de la postérité, à laquelle l’artiste ne pense pas forcément. Par exemple, un poème contenu dans le Yijing 易经,

195 Yang Yinhua 杨银哗,Zhongguo gudai yinyueshi gao 中国古代音乐史稿,Beijing 北京,

Renmin yinyue chubanshe 人民音乐出版社,1981,pp.17-8.

196 Gregory B. Lee, La Chine et le Spectre de l'Occident, Paris, Editions Syllepse, 2002, p.41.

186 le Livre des mutations, ouvrage de divination chinoise, montre que le sentiment d’exploitation par les nobles existe déjà.197

Au cours des premières dynasties chinoises, les poètes, par leurs expériences empiriques et leurs interprétations de l’existence, sont capables de « scruter » et de « pressentir » l’avenir du monde dans lequel ils vivent.198 Par la « métaphore », le poète chinois prend conscience de sa situation et fait comprendre aux descendants les rapports de force qui existent.199 La musique trouve ses premières inspirations dans le travail, lorsque les travailleurs manuels composent des chants pour accompagner leur labeur. Ces mêmes travailleurs, dans un objectif de rêveries et de liberté, dessinent à travers leur musique un avenir plus agréable que leur présent, probablement difficile à vivre. Le passage qui suit montre comment l'importance du rythme, c'est-à-dire « la manière d’assembler différentes figures rythmiques afin de constituer une phrase ou un motif régulier ou irrégulier », prime sur la tonalité, ici l’échelle majeure ou mineure servant à la construction de la pièce musicale ou les paroles. Ces dernières

197 Chang Bingyi 常 秉 义 , Yijing rumen 易 经 入 门 , Beijing 北 京 , Guangming ribao chubanshe 光明日报出版社,2006.

198 AttaIi, Bruits, p.13.

199 Attali, p.13.

187 interprètent en fait le rythme de travail imposé dans une société déjà réglée par des règles de production.

原始人在劳动时总是伴着歌唱。音调和歌词完全是次要的。主要的是节 奏。歌的节奏恰恰再现着工作的节奏,音乐起源于劳动。

L’homme primitif, lorsqu’il est au labeur, s’accompagne de chants. La tonalité et les paroles sont de peu d’importance. Le rythme prédomine. Le rythme de la chanson colle au rythme du travail, la musique prend naissance dans le travail. 200

Une autre forme de musique est utilisée par les seigneurs dans un objectif de glorification personnelle, ou pour leur propre plaisir. Les rois sous les

Shang 商, lorsqu’ils gouvernent le premier Etat chinois dans la plaine du

Nord, naissent avec le destin d'accomplir la fonction de maitre du peuple, et deviennent des dieux après leur mort. La classe dominante s’approprie le pouvoir de danser et chanter pour demander la pluie, privilège jadis réservé au peuple. Des spécialistes sont choisis pour effectuer la danse symbolique, l’acte sacrificiel est réservé à une classe dirigeante sélectionnée et organisée, dont le peuple est exclu. Les rois Shang « étaient essentiellement des grands prêtres d’une coalition tribale théocratique, qui a incorporé, en s’étendant progressivement, de nombreux cultes locaux en un même panthéon et en une généalogie commune ».201 La musique en

200 Liu Daoguang 刘 道 广 , Zhongguo gudai yishu sixiangshi 中 国 古 代 艺 术 思 想 史 ,

Shanghai 上海, Shanghai renmin chubanshe 上海人民出版社, 1998, pp. 2-3.

201 Edward L.Shaugnessy, La Chine Ancienne, Singapour, Larousse, 2000, p.24.

188 Chine prend dès cette époque la forme d’un outil de contrôle de la pensée du peuple, puisqu'elle accompagne la vie des souverains, placés au dessus et divisés dans la mémoire collective puisque hissés au rang de dieux, des créatures craintes qui méritent et réclament un culte, et ce à tout jamais. La musique doit être à la hauteur de cette ambition et bien entendu ne pas être la même que celle du peuple, charnelle.

Pourtant, la musique se retourne peu à peu contre les empereurs jusqu'à en avilir quelques uns tels Xiaqi 夏启 et son fils Taikang 泰康 sous les Xia, ainsi que les deux derniers empereurs de la dynastie des Shang, Di Yi 帝乙 et Di Xin 帝 辛 . 202 Comme si cette musique qui vit parallèlement aux hommes était en fait indépendante et revêtait la fonction d'une "arme sincère", puisque production sentimentale de l'humain. Il faut noter que la présence de nombreuses femmes qui exécutent la musique à la cour semble accélérer la décadence des souverains, devenus sourds à leurs obligations de monarques à force de "plaisirs sonores" et sensuels. Dans un même temps, les musiques étrangères pénètrent l’espace culturel des

Xia et les contacts musicaux avec ce que les Chinois appellent aujourd’hui

« les minorités ethniques » sont déjà fréquents.203

202 Shaugnessy, La Chine Ancienne, p.21.

203 Shaugnessy, p.22.

189 b. Le moment historique et le son chinois

Dans la littérature chinoise, le terme "musique" apparaît pour la première fois dans le lüshi chunqiu 吕氏春秋, un livre d’histoire édité pendant la période des Royaumes Combattants (476-221 BC) par Lü Buwei. 204 Le caractère yue 乐, qui désigne la musique dans le terme yinyue 音乐, est utilisé tant au Japon qu’en Chine. On lit dans un ouvrage chinois dédié à la musique orientale :

乐这个字在日本如同在古代的中国一样,不是单纯指音响艺术,而是指 音乐,语言,舞蹈,戏剧有机地融为一体的混生性艺术。因此,日本传 统音乐(统称邦乐)自古以来就具有一种综合性,具象艺术的倾向。直到今 天,许多音乐品种仍与语言文字,舞蹈,戏剧有着密不可分的血肉联 系。

Le caractère yue, qu’il soit utilisé au Japon ou dans la Chine ancienne, ne désigne pas purement l’art acoustique, mais un synchrétisme artistique composé de musique, de language, de danses et de théatre. C’est pourquoi la musique traditionelle japonaise (appelé communément bangyue) possède depuis l’antiquité une tendance synchrétique et artistique. Jusqu’à nos jours, de nombreuses formes musicales sont inexorablement liées à l’écriture, à la danse et au théatre. 205

La notion de musique est un syncrétisme de plusieurs arts tels que le language, l’écriture (catégoriquement séparés d’ailleurs dans la tradition chinoise), la danse, le théâtre et la musique elle-même. Le terme yue

204 Yaxiong Du, The Continuing Confucian Buddhist Heritage, Chicago, Chinese Music

Society of North America, 2004, p.46.

205 Yu Renhao 俞人豪,Dongfang yinyue wenhua 东方音乐文化,Beijing 北京, Renmin yinyue chubanshe 人民音乐出版社,1995, p.4.

190 désigne plus que la mise en forme du bruit ou l’organisation harmonieuse des sons. On comprend dès lors que, pour l’appréciation chinoise, la musique à elle seule ne peut revêtir ce but ultime occidental qu’est le sacré.

Cette notion de sainteté, de communication avec le spirituel, exige une superposition des différents arts ainsi que plus tard, sous l’influence confucianiste, une organisation "rythmée" par les rites. L’expression religieuse existe dans l’accomplissement du rite lui-même, qui donne du sens à la croyance, rite rempli de musique (qui ne prend pas une valeur transcendantale par « une sensibilité individuelle ou un geste instrumental », mais par son « inhumanité même »), de positions, d’objets symboliques qui créent le sacré et permettent de communiquer avec le divin. On peut supposer dès lors que lorsque Mozi 墨子 se positionne en défaveur de la musique, il ne s’oppose pas uniquement à la musique en tant qu’organisation des sons agréables à l’oreille, mais aussi à toute forme de danses ou de mimes souvent utilisés pour égayer les banquets aristocratiques.206

Les musicologues qui définissent la musique chinoise comme « ne se réduisant jamais à une musique de l'instant » restent relativement flous dans cette explication.207 Si bien entendu des ouvrages entiers sont dédiés

206 Burton Watson, Mozi Basic Writings, United States of America, Columbia University

Press, 2003, idée générale.

207 François Picard, La musique chinoise, Paris, Editions You Feng, 2003, p.8.

191 à la musique chinoise, et expliquent techniquement le caractère de cette musique, j’ai la crainte que de nombreux artistes, particulièrement ceux qui se sont formés avec leur sensibilité et les nouvelles technologies et pas forcément dans les conservatoires et les académies de musiques savantes, aient du mal à cerner par la lecture ce qu'est le son de l’interprétation chinoise de la musique. 208 Ainsi, il me semble plus clair de montrer que "le son de la musique traditionnelle chinoise qui ne se réduit pas à la musique de l’instant" est celui qui ne porte pas les marques d’une époque autre que celle "antique", "traditionnelle", à savoir les évolutions acoustiques des l'instruments, les technologies et philosophies d'enregistrement.

ème Billeter fait de la dynastie des Zhou 周, qui règna du X siècle à 221 avant

Jésus Christ, un « moment fondateur » de « l’intégration chinoise ». Il montre que le souverain des Zhou réussit à prendre le pouvoir et à avoir l’ascendance sur les Shang grâce à ses puissants alliés, qu’il compose en

« famille aristocratique », organisée et réglée de telle sorte que chaque membre ait une place bien précise et définie. 209 Le culte des ancêtres instauré, ainsi que l’importance des rites, tendent à solidifier l’ordre stratégique chinois. 210 C'est d'ailleurs dans un contexte instable, où la

208 He Ping, China’s Search for Modernity, Great Britain, Palgrave Mac Millan, 2002, p.25.

209 Jean François Billeter, Chine trois fois muette, Paris, Editions Allia, 2000, pp.104-6.

210 Billeter, Chine trois fois muette, p.107.

192 Chine connaît le désordre pendant 500 ans, que les créations et les innovations chinoises fleurissent.211 A une période où le monde, à travers ses différents penseurs, posent les fondations intellectuelles et éthiques des sociétés occidentales, perses ou arabes, la Chine étend son influence culturelle par la philosophie confucéenne, constituée en grande partie par des préceptes énoncés des siècles plus tôt.212 Dans ce contexte où se forme la matrice de la notion d’ordre des choses dans la civilisation chinoise, la musique issue de cette civilisation prend forme et s’établit dans sa structure définitive.

Les dirigeants Zhou utilisent la musique pour éduquer les Chinois, et une

« nouvelle ère humaniste » commence en Chine.213 Il ne fait aucun doute que la musique, dont l’une des essences est de parler aux sentiments et de se construire par eux, est un outil remarquable pour améliorer les relations sociales, que ce soit entre le peuple et le pouvoir, ou entre les dominés eux-mêmes.

211 June Grasso, Modernization and Revolution in China, United States of America, M.E

Sharpe, 2004, pp.16-7.

212 Grasso, Modernization and Revolution in China, pp16-7.

213 Julia Chang et Hans Kung, Christianisme et religion chinoise, Paris, Editions du Seuil,

1991, p.86.

193 ème Dès le milieu du XXI siècle avant notre, le lülü 律吕, système des douze demi-tons (les douze hauteurs tonales chromatiques dans l'octave) et sept notes, est utilisé.214 Yuezhi 乐律,yinlü 音律,lülü 律吕,lüzhi 律制. Ces termes désignent la tonalité pure, la structure du système des douze demi- tons, la gamme, le mode ou la tessiture.215 Le premier système tonal des

Zhou possède des fréquences calculées avec précision basées sur une hauteur tonale de base appelé huangzhong 黄 钟 . 216 Déjà, le système théorique musical est établi et la plupart des instruments de musique existent. On en établit aussi les composantes sonores : les 5 notes authentiques sont choisies parmi le spectre des sons naturels qui existent.

Il s'agit des notes qui correspondent au do, ré, mi, sol, la de la gamme occidentale traditionnellement utilisée en Occident.

Confucius influence et détermine en profondeur le rôle de la musique en

Chine. A cette période, le système de la musique rituelle est formé et la musique de cour yayue est clairement utilisée pour servir et consolider le pouvoir mis en place. Les cinq notes semblent représenter les cinq

214 Yang Yinhua 杨银哗,Zhongguo gudai yinyueshi gao 中国古代音乐史稿,Beijing 北京,

Renmin yinyue chubanshe 人民音乐出版社,1981, p.44.

215 Yang Yinhua 杨银哗,Zhongguo gudai yinyueshi gao 中国古代音乐史稿, p.43.

216 Yaxiong Du, The Continuing Confucian Buddhist Heritage, Chicago, Chinese Music

Society of North America, 2004, p.95.

194 éléments naturels, mais on constate que la musique rituelle et la musique de divertissement utilisent chacune plus de notes que ce système pentatonique de base voulu par la conception chinoise du monde. Cette conception est déjà ancrée avant l’entrée du bouddhisme il y a 2000 ans puisque, sous les Royaumes Combattants, les Chinois adorent le ciel tian

天, la terre di 地, l’empereur jun 君, les parents qin 亲, les professeurs shi 师, ces cinq attitudes constituant le lizhiben 礼之本 (la conduite de base).217 La musique de Cour n'a pas de but lucratif ou ludique, elle n'est pas composée pour sa beauté artistique, mais uniquement dans un objectif d'accompagnement du rite, pour renforcer le sentiment mystique et quasi surnaturel du religieux, du pouvoir. 218 La musique accompagne les manifestations sportives comme le tir à l'arc pratiqué par les nobles de la cour. La fonction principale attribuée à cette production musicale par les dirigeants de la dynastie Zhou est de favoriser et de maintenir un niveau moral élevé du peuple par une exemplarité des souverains, tant dans les pensées que dans le comportement. A cette époque, un lien est déjà établi entre l'influence que peuvent avoir le son, la mélodie et l’organisation du bruit.

217 Du, The Continuing Confucian Buddhist Heritage, p.59. « the root of propriety »

218 Jin Wenda 金文达,Zhongguo gudai yinyueshi 中国古代音乐史,Beijing 北京, Renmin yinyue chubanshe 人民音乐出版社, 2001, pp.56-8.

195 La production de la musique de cour est l'œuvre d'une minorité, professionnelle. Sur les 1463 personnes qui composent les musiciens de la cour, seulement 186 décident de la composition musicale, le reste des artistes exécute les ordres musicaux, soumis. 219 C’est pendant cette période que se forme une caste de spécialiste de la musique qui composent, exécutent, accordent les instruments, dansent. Ce savoir est détruit par la fondation du premier Empire, en 221 avant notre ère. En outre, l'étude de la musique par la classe dominante de l'empire a pour objectif, non pas d'interpréter pour un plaisir quelconque la musique, mais pour acquérir l'art de gouverner, de comprendre l'importance et la perfection des rites, retranscrits dans la musique. Les paroles choisies qu'accompagne la musique rituelle sont d'un haut niveau littéraire, d'une importante densité descriptive et se réfèrent aux expressions et concepts de l’époque.

La dynastie Zhou entame des compilations de chants populaires. L'objectif est encore une fois d'acquérir le savoir nécessaire pour gouverner (ou l’art de gouverner) par la compréhension du sentiment populaire, qui s'exprime dans les productions musicales. Certains fonctionnaires ont la responsabilité de collecter les chansons, de corriger certaines d'entre elles et enfin de vérifier si le contenu tant musical que textuel ne va pas à l'encontre du pouvoir. Ce système est encore utilisé dans une certaine

ème mesure au début du XXI siècle en Chine. L'année 841 avant notre ère

219 Jin Wenda 金文达,Zhongguo gudai yinyueshi 中国古代音乐史, p.54.

196 marque le commencement de la conscience historique du pays : les historiens écrivent systématiquement les événements. On comprend mieux le contexte historique qui amène les Zhou à compiler plus de trois mille poèmes et chansons populaires, par la suite sélectionnés et réduits au nombre de 305 pour former le Shijing 诗经 (le livre des poèmes).220 Dès cette époque on tente de matérialiser les sentiments humains exprimés dans l'art musical populaire, comme une mémoire pour la postérité. Si cette matérialisation de la musique révèle un changement d’époque, elle montre aussi combien la culture officielle de la Chine antique lui accorde une grande importance. Les traditions musicales se retrouvent dans les premiers dictionnaires chinois, le Erya 爾雅 et le Guangya 廣雅, qui placent la musique (yue) entre les talismans (qi 奇 ) et le ciel et la terre

(respectivement tian 天 et di 地).221

La musique, la production musicale et la littérature sont propriétés du pouvoir politique. Les droits d'auteurs existent dans le seul but de protéger d'éventuelles copies frauduleuses et calomniatrices qui tendraient à déshonorer les souverains ou les ancêtres. Il n'y a ici rien qui laisse à penser une quelconque propriété individuelle d'un morceau de musique composée par un artiste. La vision confucéenne de la société interdit toute

220 Jin Wenda 金文达, p.54.

221 Picard, La musique chinoise, p.10.

197 égalité entre les hommes ; ainsi la musique produite par un individu appartient à l'autorité supérieure.222

La production musicale (qui comprend la danse, les poèmes et le théâtre) conteste déjà la corruption du souverain. Ainsi est née l’œuvre du Dawu, qui décrit par la danse, la représentation théâtrale et la musique l’attitude mauvaise du souverain en exercice. Cette représentation décrit en détail comment les tribus des Zhou, ainsi que des esclaves de la précédente dynastie des Shang, se sont coalisés pour faire tomber le pouvoir en place et le remplacer.223 Si, dans ce cas, la création artistique n’est pas en amont du changement politique, il n’en reste pas moins qu’elle permet de fixer dans l’histoire, d’une manière encore plus réelle peut-être que le changement de dynastie en lui-même, la volonté du peuple d’être bien gouverné et de prospérer. La production musicale existe aussi pour rappeler cet idéal récurent qu’est la quête du bonheur. Quelques siècles après, la représentation du Dawu est réutilisée par Confucius dans le Yueji

乐记 (le recueil de la musique), comme si cette expression artistique servait de rappel vivant contre la corruption politique

222 Qu Sanqiang, Copyright in China, Beijing, Foreign Languages Press, 2002, p.6.

223 Yang Yinliu 杨阴浏,Zhongguo yinyueshi gao 中国古代音乐史稿,Beijing 北京, Renmin yinyue chubanshe 人民音乐出版社,1981, pp.31-3.

198 La période est caractérisée par des luttes intestines régulières entre ducs et princes. Dans une société rurale, où les principautés sont aux mains d'une noblesse héréditaire, les Zhou restent tout de même, dans l'esprit du peuple, détenteurs d'un mandat du ciel. La musique, qui existe principalement par la musique de Cour et la musique populaire, "sonorise", matérialise la société esclavagiste. Les compilations de chansons annoncent, en même temps qu'elles en témoignent, une volonté d'unification, de repères de la société chinoise, mais aussi de propriété.

On peut considérer dans le passage de l'esclavagisme au féodalisme sous les royaumes combattants une conséquence prédite dans l'agencement musical qui commence sous les Zhou.

La difficulté de gouverner est en grande partie due à l'état primitif des communications, et les dirigeants peuvent probablement voir dans les textes compilés et les airs composés un moyen efficace de connaître les

états d'âmes, en tout cas les préoccupations du peuple ainsi que ses degrés de mécontentement. L’émergence récente du national est à la fois un fait prédit dans les activités connexes à la musique (compilations essentiellement), et accompli dans le développement moderne des communications. Les rébellions incessantes poussent les dirigeants à réfléchir sur le trouble de l'Etat et le retour aux rites. C'est à cette époque que Confucius forme son enseignement et ses théories pour un retour aux rites et à l'ordre politique. Malgré les difficultés intérieures, la dynastie règne

199 ème jusqu'au III siècle avant notre ère, portée par l'essor économique, les transformations sociales et les découvertes scientifiques.

Sous la dynastie des Han 汉, fondée par Liubang 刘邦, le principe du mandarinat, fondé sur le mérite et sur un complexe système de concours.

De nombreux historiens font de cette période un autre moment fondateur de la civilisation chinoise. L’Age des Classiques, ou appelé aussi l’Age de la

ème Théologie, qui s’étale du II siècle avant notre ère sous Dong Zhongshu 董

仲舒, qui préconise l’adoption des classiques confucéens comme doctrine

ème officielle, jusqu’au XIX siècle, a construit la mentalité culturelle des

Chinois.224 Liubang réorganise l’administration de l’Empire en adoptant les commanderies, utilisées sous les Qin 秦. La différence cruciale est que les

Han ont rétabli le système du titre héréditaire, qui avait été abandonné sous les Qin, en proclamant roi des membres de la famille impériale. Les deux systèmes fonctionnent d’une manière parallèle ; hérédité pour les uns, mérite pour les autres. Ce système double engendre des querelles et des contradictions. Le système centralisé caractérisé par un pouvoir détenu par les lettrés confucianistes concouret à figer la Chine dans une tradition impériale et à influencer en profondeur l'histoire et la culture. Cette période voit l'apogée du confucianisme utilisé principalement pour détourner les jeunes souverains des activités ludiques comme le jeu, les courses de

224 He Ping, China’s Search for Modernity, p.146.

200 chiens ou de chevaux qui les mènent à une « déficience morale ». 225

L’historien Si Maqian 司马迁 relate que de nombreux jeunes aristocrates se sont repentis de leurs vices et ont ainsi obtenu « un pardon officiel et des postes éminents ». Deux ouvrages considérables, mi-historiques, mi- encyclopédiques, sont composés sous les Han: le Shijing 史 经 de Si

Maqian et l'Histoire des Han, de Pankou 盘口. L'Histoire devient dès cette période un outil politique. La dynastie prend fin avec la paupérisation de la population, qui résulte du trop fort investissement dans les conquêtes de la part de l'empereur Wudi ainsi que des intrigues sans cesse grandissantes.

A l’origine, l’Empereur Jaune Huangdi 黄帝 « souhaite utiliser les sons, donc la musique, comme moyen thérapeutique. De fait, il ordonne la fabrication d’instruments de musique liés aux sons des Cinq Eléments wuxing 无形 ».226 La dynastie Han tente de reconstituer les connaissances musicales détruites et perdues par les décisions de destruction massive de

Qinshi Huangdi 秦 始 皇 帝 des travaux philosophiques et des livres traditionnels antérieurs à son règne. C’est par cela que le Yuefu 乐府 (le

Bureau de la Musique) est créé. Les fonctionnaires en charge de ce travail

225 Grant Hardy, The Establishment of the Han Empire and Imperial China, Westport,

Greenwood Press, 2005, pp.72-3.

225 Hardy, The Establishment of the Han Empire and Imperial China, pp.74-5.

226 Annexe numéro un.

201 n’ont pas d’affinités musicales ni même artistiques, et la qualité du résultat final s’en ressent.227 Les garçons de haut rang apprennent avant l’âge de sept ans la musique et la dance en rapport avec les rites, tandis que les filles cultivent l’art du rituel et de la production de soie.228

L’humanisme chinois qui a pris naissance sous la dynastie des Zhou parvient à sa maturité sous les Han.229 La musique prend, dès les périodes postérieures à l’existence et à la mise en forme de l’œuvre de Confucius, une importance indispensable dans la construction chinoise humaniste de l’homme. Ce n’est pas non plus un hasard si la divination et le sacrifice perdent de leur prédominance à cette époque, où la musique (mais aussi la littérature) concourent à modeler une société chinoise qui gardera sa forme pendant deux millénaires.

c. Conclusion

En Chine, depuis les Xia, la musique remplit ce rôle de simulacre du sacrifice et de canalisation de la violence. Cette musique, qui s'organise à la Cour pour ne devenir qu'une organisation des sons sans véritable attraction esthétique, organise le pouvoir sous les Zhou, annonce l'ordre chinois, impalpable et pourtant si bien réglé. Parallèlement, la production

227 Picard, La musique chinoise, p.11.

228 Picard, p.11.

229 Chang et Kung, Christianisme et religion chinoise, p.87.

202 musicale populaire cristallise sa violence dans des textes et musiques qui, une fois compilés, annoncent une volonté du peuple d'exister autrement que par un système esclavagiste silencieux, fruit d'un "ordre "naturel".

203 4. La musique et la représentation

a. Développement historique, sociologique et culturel

Tandis que les dissensions politiques de l’après Han ont ébauché une aristocratie et des dynasties militaires, la dynastie Tang 唐, de 618 à 907 de notre ère, est caractérisée par de fortes mutations ou l’Empire médiéval est réunifié, et où l'ouverture vers le monde extérieur est une priorité. De cette volonté d'ouverture résulte la cohabitation religieuse, l'apogée du bouddhisme, contrôlé par l’Etat. Les dirigeants, compétents, permettent au pays un rayonnement intellectuel. Les fonctionnaires sont choisis sur concours, l'impôt foncier est établi, la Chine semble engager une ouverture vers l'extérieur tout en solidifiant sa politique intérieur. C'est d'ailleurs pendant cette période que la Chine est techniquement le plus avancée et politiquement le mieux gouvernée.230 La diversification pénètre la matrice sociale, les interactions qui existent entre 500 et 1000. 231 La juxtaposition d’une agriculture intense et d’une urbanisation dynamique permettent à l’économie de prospérer.232

230 June Grasso, Modernization and Revolution in China, United States of America, M.E

Sharpe, 2004, p.22.

231 S.A.M Adshead, Tang China, New York, Palgrave Macmillan, 2004, p.101.

232 Adshead, Tang China, p.102.

204 L'art sous la dynastie Tang prospère, le positivisme est une ligne directrice.

La littérature chinoise classique se forme. La dynastie Tang semble être la période pendant laquelle la pensée artistique chinoise mûrit. L’empereur

Tang Minghuang 唐明皇 est lui-même musicien. On lit dans un ouvrage chinois l’analyse suivante :

Tangdai shi xu handai zhihou you yige da yitong de fengjianquanli. Tangdai zai sixiangwenhua shang chengjie de shi nanbeichao de yichan. Tangdai xingchengle nenggou rongna butong sixiangyishi beijing de wenhuaxingtai de kuanguangxionghuai. Tangdai shehui de wenhuayishu shenghuo zai nei rongshang, ticaishang dou chengxianchu qiansuoweiyou de xunliduocai ,yu handai xiangbi, tandai geng xiang yige dianyahuagui de shijiazidi. Chutangzhiji de yinyueyishusixiang nenggou you ruci « kaifang » de tedian, he tangtaizong Lishimin de yishuguannian youguan .

唐代是继汉代之后又一个大一统的封建权利。唐代在思想文化上承接的 是南北朝的遗产。唐代形成了能够容纳不同思想意识背景的文化形态的 宽广胸怀。唐代社会的文化艺术生活在内容上,体裁上都呈现出前所未 有的绚丽多采,与汉代相比,唐代更像一个典雅华贵的世家子第。初唐 之际的音乐艺术思想能够有如此 « 开放»的特点,和唐太宗李世民的艺术 观念有关。233

La période Tang, qui succède à celle des Han, conserve un fort pouvoir féodal. Au niveau culturel, les Tang sont fortement liés à l’héritage légué par les dynasties du Sud et du Nord. Sous les Tang se forme une culture qui peut accepter différentes sensibilités culturelles. L’art produit sous la culture de la société Tang, ainsi que les genres littéraires, apparaît comme une nouveauté absolue et, contrairement à la dynastie des Han, revêt un style élégant. On peut définir la pensée musicale du début des Tang comme « ouverte », reflétant en cela la conception de l’empereur Taizong.

La politique d’ouverture qui s’exerce sous les Tang permet aux arts et à la musique d’intégrer de nouvelles attitudes musicales venues de l’extérieur dans les productions artistiques chinoises. La chute des Tang est due au contre-pouvoir qui se forme à l'intérieur de l'empire. La xénophobie qui s'est

233 Liu Daoguang 刘 道 广 , Zhongguo gudai yishusixiangshi 中 国 古 代 艺 术 思 想 史 ,

Shanghai 上海,Shanghai remin chubanshi 上海人民出版社, 1998, pp.110-1.

205 formée à force d'échanges avec l’étranger devenus probablement trop pesants est aussi à l'origine d'une volonté de changement.

Tandis que le chinois mandarin est utilisé comme langue officielle, la musique chinoise, sous les Tang, prend sa forme définitive, intégrant modes musicaux et instruments en usage dans les mondes Arabe, Persan et Turc, comme le luth (pipa 琵琶). Jiduan kaifang de yinyue 极端开放的音

乐 (musique ouverte sur le pays et vers l’extérieur). Les Etrangers viennent vers la Chine (Arabie, Corée, Turkestan). De ces mélanges sont issues des musiques nouvelles. La musique se mélange avec la danse et la littérature, y compris les poèmes. On pratique la musique à la cour de l’empereur. Les ouvrages chinois qui compilent les poèmes qui sont utilisés dans les chansons populaires permettent de constater le pragmatisme des poètes de l’époque qui, sans retenue, expriment leurs sentiments de joie autant que les difficultés de la vie qu’ils connaissent. La musique, sous la dynastie

Tang, est composée pour les poèmes qui servent de contenu textuel aux productions musicales de l’époque. 234 On s’attend donc à ce que la musique soit au service des paroles qu’elle doit sublimer par la mélodie.

Voici ce qu’on lit dans l’ouvrage The Chinese Continuing Confucean :

By adhering to five or six notes, the tonal system of the Tang dynasty may have been changed by the influence of even older but more powerful Zhou dynasty ideology, namely yin yang 阴阳 and five elements theory.

234 Liu Ling 刘玲,Tangdai yinyue wudao zajishi xuanjie 唐代音乐舞蹈杂技诗选解,Beijing

北京, Renmin yinyue chubanshe 人民音乐出版社, 1991,pp.1-3.

206 En adhérant à cinq ou six notes, le système tonal de la dynastie Tang peut avaoir subi l’influence de l’idéologie puissante de la dynastie Zhou, en particulier le Yin et le Yang et la théorie des cinq éléments.

On comprend que l’expression musicale, l’expression humaine des sentiments, se soumet depuis l’époque des Zhou à une philosophie caractéristique, et qu’elle pérennise son existence, sa reconnaissance et son influence au cours de la dynastie Tang.

ème On s'attend à ce que l'invention de l'imprimerie en Chine au milieu du XI

ème siècle favorise, comme cela est le cas dès le XV siècle en Europe, une protection privée des productions intellectuelles. Pourtant, Sanqiang Qu montre dans son ouvrage Copyright in China ce qui suit :

In China, printing techniques had been invented in the middle of the 11th century. The highly sophisticated organization of social and cultural life had by then had a longer tradition than anything comparable in Europe. Against such a background, it is true that there was some evidence of restriction on the unauthorized publication or reproduction of certain books, symbols, and products, but this can hardly be regarded as constituting what we nowadays typically understand as copyright law, because the purpose of such restrictions was neither to protect property nor to protect other private interests, but merely to control publication and maintain high cosmic harmony in the feudal state.235

En Chine, les techniques d’imprimerie ont été inventées au milieu du ème XI siècle. L’organisation hautement sophistiquée de la vie sociale et culturelle avait déjà à l’époque une tradition bien plus longue qu’en Europe. Dans un tel contexte, on peut trouver quelques preuves d’interdiction de publication ou de reproduction de certains livres, symboles ou produits, mais on ne peut pas vriament considérer cela comme ce que l’on entend aujourd’hui par droits d’auteur, puisque les restrictions en question n’avaient pas pour objectif de protéger la propriété privée mais servaient uniquement pour le contrôle des publications et le maintien d’une haute harmonie cosmique au sein de l’Etat féodal.

235 Qu Sanqiang, Copyright in China, Beijing, Foreign Languages Press, 2002, p.3.

207 Le cadre juridique de la musique ne change pas avec l'arrivée de technologies nouvelles. Si les premières partitions imprimées font leur

ème apparition en Europe au début du XVI siècle, et si le monde occidental connaît une maturation des droits d’auteur depuis cette période, la Chine, en tant que tout culturel, n’a jamais vraiment soulevé ce débat.

Ainsi, si la musique chinoise reçoit les influences étrangères, le modèle traditionnel l’emporte et modèle dans un cadre donné toute production musicale chinoise. En outre, le système mandarinal exige de celui qui veut devenir mandarin qu’il fasse de longues années d’études. L'important pour passer le concours est d’apprendre par cœur des préceptes traditionnels, confucianistes. Comme le fait remarquer l'ouvrage de June Grasso, « il n'y a pas de place pour un esprit critique comme dans la tradition occidentale ».

L’écriture chinoise même est prisonnière des concepts confucianistes et de l’idéologie qui va avec. 236 Puisque dans ce concept rien n’est remis en question, les formes et les créations musicales subsistent dans le même esprit.

La dynastie des Song 宋, de 960 à 1279 de notre ère, dix-neuvième dynastie de Chine qui débute avec l’empereur Taizu, donne la primauté absolue à la politique intérieure. Les dirigeants vont jusqu'à acheter la paix aux Mongols pour garantir la sérénité dans le pays. A cette époque se

236 June Grasso, Modernization and Revolution in China, p.31.

208 forment les premiers penseurs politiques chinois et les premiers partis politiques. La vie urbaine intense, le raffinement de la civilisation tournée vers l'art et le plaisir plutôt que la puissance en tant que telle caractérisent la dynastie Song. L'art est le produit des sentiments et de l'imagination ; tous les empereurs de la dynastie Song sont des artistes. Au niveau de l'architecture, la mode des toits recourbés s'impose à l'ensemble de l'empire. Sous les Song, la calligraphie se développe, avec des idées fraîches.237

La musique sous la dynastie Song progresse vers sa maturité. L'apparition du zaju 杂居, drame poétique et musical, montre l'imagination artistique qui se développe à cette période. La croissance des quartiers d'amusement voués aux divertissements permet aussi à la musique d'avoir une existence autre que celle d'un art destiné à la cour et au maintien de l'ordre politique.

La musique comme art ludique peut dès lors s’exprimer librement dans des endroits où le plaisir est le fruit de multiples composantes. La tendance générale sous les song est un repli sur le territoire géographique de la chine, une volonté forte que la musique reste à l’intérieur et limite ses échanges avec les cultures étrangères. Le ras-le-bol de la chanson populaire et de l’étranger incite les nobles à promouvoir la musique de cour yayue, même si personne ne l’aime vraiment. Une volonté politique et aristocratique de

237 Liu Daoguang 刘 道 广 , Zhongguo gudai yishu sixiangshi 中 国 古 代 艺 术 思 想 史 ,

Shanghai 上海,Shanghai remin chubanshe 上海人民出版社,1998, pp.161-6.

209 retrouver la culture chinoise "pure", loin des folies extérieures. En période d’économie florissante, les Chinois sont prêts à se déplacer pour aller dans les endroits réservés aux concerts et ainsi permettre la subsistance des artistes.

Tandis que, durant la période des Song la majorité des œuvres musicales qui laissent une empreinte sont populaires et folkloriques, l’essence de la musique sous la dynastie Tang est représentée par la gongting yanyue 宫廷

燕乐 (la musique de Cour). 238

A cette période, la musique chinoise profite du développement des techniques scientifiques qui permettent l’impression de partitions d’œuvres musicales, la création et la fabrication d’instruments de musique plus

élaborés qui favorisent la floraison musicale.239 Si la musique officielle du gouvernement semble être peaufinée au plus haut point, la Cour n’a toujours pas trouvé le moyen de faire taire d’une manière radicale le peuple qui souffre d’une situation inégale, où la classe dirigeante domine sur la classe paysanne. Ces sentiments sont exprimés dans des chants dans lesquels par exemple, des auteurs du royaume de Liao 辽 se plaignent avec sarcasme de l’incapacité des dirigeants à régner correctement, de l’injustice

238 Jin Wenda 金文达,Zhongguo gudai yinyueshi 中国古代音乐史,Beijing 北京,Renmin yinyue chubanshe 人民音乐出版社,2001, p.244.

239 Jin Wenda 金文达,Zhongguo gudai yinyueshi 中国古代音乐史, p.244.

210 des systèmes inégaux, et en appellent aux exploits des héros paysans dont les récits sont contenus à titre d’exemple dans le Liaotian zuoshi guorenyan

辽天祚时国人谚.240 De nombreux textes de chansons montrent la position de révolte que la classe paysanne prend face au pouvoir. Des textes comme Shangediao 山歌调 ou Nanxiangzi 南乡子 révèlent aussi le talent de certains quant à composer musiques et textes, alors que bien entendu non reconnus comme artistes, compositeurs ou autres appellations tendant à valoriser leurs capacités artistiques. En fait, on s’aperçoit qu’à cette époque, les chansons populaires sont principalement composées et chantées pour exprimer le désaccord du système politique, pour exprimer le temps qui passe, les amours, et en fait très peu pour parler de guerres ou de sentiments patriotiques.241

La période des Song voit apparaître un développement considérable de la musique citadine. Si, pendant la dynastie Tang, la population citadine doit se rendre aux temples pour écouter la production musicale destinée à divertir, principalement en raison du développement industriel des villes, les lieux de concerts se multiplient, se privatisent et permettent à la population d’avoir accès à la musique plus librement, plus simplement.242 Si, sous les

240 Jin Wenda 金文达, p.244.

241 Jin Wenda 金文达, p.249

242 Jin Wenda 金文达, p.265

211 Song, la musique et les arts en général deviennent une priorité en partie à travers l’influence des lettrés et des intellectuels qui orientent fortement les décisions des empereurs, il semble que cette profusion artistique au sud ait encouragé une invasion par les mandchous au nord. Si la musique peut faire taire les réalités sociales, elle peut être aussi un déguisement de la réalité, une vision paradisiaque d’un monde guerrier en fait.

La « représentation » est, pour Attali, la notion commune à la société

ème occidentale du XIV siècle. L’auteur montre que cette représentation permet de mettre en scène la musique, de mettre en scène une vie rêvée où l’auditeur « fait sa révérence devant le spectacle de l’harmonie ».243 Les bourgeois, comme les seigneurs, s’offrent des représentations musicales pour exprimer leur statut social. 244 A cette époque, la Chine sort de l’époque des Song, qui s’est terminée en 1279. La période qui s’ensuit voit la succession de plusieurs dynasties avant la prise du pouvoir par les Qing

清 en 1644. Les Liao 辽, les Jin 金, les Yuan 原 et les Ming 明 couvrent cette période historique où l’Occident évolue vers une "représentation" du monde.

Jusqu’ici, l’acrobatie était le divertissement privilégié de la Cour. Les empereurs Mandchous de la dynastie Ming, dès leur arrivée au pouvoir, chassent les acrobates de la Cour. Deux raisons à ce brusque changement :

243 Jacques Attali, Bruits, p.84

244 Attali, p.84.

212 le non-intérêt que leur portent les souverains, l’émergence d’une nouvelle forme d’art populaire sous la forme de l’opéra. L’acrobatie disparaît pendant près de trois cents ans tant le public est avide de nouveautés, ce que les acrobates sont incapables de fournir.245 A partir de la dynastie des Yuan, on constate l’invention d’instruments de musique à cordes frottées. Ces nouvelles technologies ont pris naissance dès les dynasties Tang et Song,

ème 246 mais ne connaissent un réel développement qu’à partir du XIII siècle.

Les Yuan voient apparaître des voyageurs occidentaux, et des relations commerciales plus organisées s’établissent sous la période des Ming. Si on constate qu’à cette période les inventions qui ont bouleversé les idées en

Europe à l’époque de la Renaissance « avaient leurs ancêtres » en Chine, on peut aussi admettre que la « représentation » qui prit naissance en

Europe en Angleterre dans « l’effigie » du roi, censée représenter trait pour trait la figure du souverain, ait des racines ou, plus modestement, doive son existence propre à un moment donné de l’histoire chinoise.247 Si l’opéra voit

ème le jour en France à la fin du XVI siècle avec pour objectif de « parler en musique » et de retrouver la splendeur de la Grèce antique, la Chine quant

à elle connaît l’opéra Kunqu 昆 曲 auquel succédera, en termes de popularité, l’opéra Jingju 京剧, dont nous parlerons à présent puisqu’ils

245 Annexe numéro vingt.

246 Annexe numéro vingt-et-un.

247 Attali, p.84.

213 nous en apprennent beaucoup quant à la « représentation » du monde à travers l’art musical.

En termes de contenu musical, la Cour, sous les Qing 清, dynastie qui succède aux Ming, entretient des orchestres pour les rituels mais aussi pour les banquets et les divertissements. 248 C'est pendant cette longue période d'environ trois siècles que l'opéra de Pékin Jingju voit le jour. Le

Jingju, local au début, devient un art national au fur et à mesure de son imprégnation dans la capitale chinoise puis sur le reste du territoire. L'opéra

ème de Pékin remplace vers la fin du XVIII siècle le Kunqu, rédigé selon des procédés littéraires recherchés et observant des règles rigoureuses sur les plans de l'interprétation et de la voix.249 Les opéras locaux, les huabu 花布, libèrent les artistes et les spectateurs des anciennes contraintes du Kunqu, et connaissent un franc succès en ouvrant la voie à un nouvel art populaire,

à un nouvel opéra. En cinquante ans, l'opéra de Pékin se formera pour prendre la place du système musical et représentatif qui a duré plus de 500

248 François Picard, La musique chinoise, Paris, Editions You Feng, 2003, p.11.

249 Sun Congyin 孙从音, Zhongguo kunqu qiangci gelü ji yingyong 中国昆曲腔词格律及应用,

Shanghai 上海, Shanghai yinyue chubanshe 上海音乐出版社, 2003, p.1-2.

214 ans.250 L’opéra de Pékin moderne connait trois périodes fastes : à la fin du

XIXème, dans les années 1920-1930 et dans les années 1950-1960.251

Il semble impossible d'étudier l'univers de la musique chinoise et de son industrie sans s'attarder un tant soit peu sur l'Opéra de Pékin. Cet art théâtral mêle acrobaties, chants et jeux scéniques. Chaque personnage revêt un costume et a le visage peint, ce qui symbolise un caractère bien défini et codé par des règles. Si le Jingju se voulait plus simple et plus à la portée de tout le monde que le Kunqu, on constate que son évolution suit de très près les mutations des rapports sociaux. Si, au début, le Jingju avait une mission moralisatrice, c'est-à-dire qu’il visait à représenter sur ce petit carré blanc de scène doufukuai 豆腐块 la société chinoise, au début du

ème XX siècle, l'opéra de Pékin recherche plus une interprétation raffinée et sentimentale où l'esthétique prend toute son importance.252 Il importe de montrer dans quelle mesure il est possible de percevoir les changements sociaux ou gouvernementaux sur la scène du théâtre et dans les chants

250 Xu Chengbei, Opéra de Pékin, Pékin, China Intercontinental Press (Wuzhou chuanbo chubanshe 五洲传播出版社), 2003, pp.13-8.

251 Liu Yunyan 刘云燕,Xiandai jingju yangbanxi 现代京剧样板戏,Danjiao changaqiang yinyue yanjiu 旦角唱腔音乐研, Beijing 北京,Zhongyang yinyue xueyuan chubanshe 中央

音乐学院出版社,2006, pp.1-2.

252 Xu Chengbei, Opéra de Pékin, p.33.

215 interprétés, que ce soit dans ce processus de complexification de l'opéra de

Pékin ou son esthétisation.

Les quatre types de rôles qui composent le Jingju ainsi que leurs subdivisions, permettent aux spectateurs et aux artistes eux-mêmes d'avoir une vision relativement claire de l'organisation générale de ce milieu artistique. Comme si le personnage n'avait pas besoin de s'exprimer pour que l'on sache sa position sur la scène, puisque son costume et surtout son maquillage le trahissent à première vue. L'apparence extérieure est complétée par la volonté consciente du personnage d'utiliser telle ou telle voix pour interpréter le chant, tel ou tel geste pour l'attitude scénique. La personnalité du personnage n’est absolument pas secrète ; seuls les rapports humains vont être l'objet d'intrigues. On pourrait voir ici un communautarisme "déguisé" qui soumet l'individualité en la stigmatisant, en la parquant dans un personnage qui n'est pas libre de ses mouvements, mais qui doit obéir à ce que l'on attend de lui. La voix, quant à elle, qui ne peut être émise qu'en respectant un certains nombres de codes, renforce cet état de soumission, de jeux scéniques, artistiques. Ces attitudes rappellent les classifications sociales, familiales et plus récemment

économiques qui règnent sur les relations humaines en Chine. Nul n'est besoin de parler pour connaître la position de l'interlocuteur, son titre social est le costume qui le classe, ses propos et son ton soumis ou supérieur renforcent les codes du lien déjà établi. Si le Kunqu en tant qu'image de la

ème représentation de l'organisation de la société chinoise jusqu'au XV siècle a laissé place, après cette période, à une nouvelle organisation musicale et

216 théâtrale de forme Jingju, c'est que cette production artistique annonce déjà la volonté populaire d'un changement. La production musicale, par l'intermédiaire de cette représentation théâtrale mêlant différents arts, annonce, en avant –première, les changements politiques dont sera objet la

Chine dès 1912.

L’harmonie musicale permet au pouvoir de sonoriser l’ordre, puisque le mélange harmonieux d’instruments de musique tend à représenter un état parfait, rassurant, divin. Comme nous l’avons vu plus haut, la musique chinoise ne cherche pas à accomplir l’harmonisation polyphonique.

Pourtant, la volonté de la musique chinoise à faire entendre une harmonie avec la nature et le monde extérieur existe bel et bien, et se matérialise à travers l’organisation des sons instrumentaux propres.

ème Au milieu du XIX siècle, dans un monde qui se standardise, apparaissent les techniques modernes qui vont permettre de satisfaire tout les éventuels consommateurs de musique. Gramophones, phonogrammes, téléphones, microphones traitent le son comme jamais auparavant, et la

« répétition » à l’infini de la musique vient remplacer dans une large mesure l’interprétation, le spectacle vivant. En Chine, c’est la dynastie des Qing 清

ème mandchoue, fondée en 1616 par Aisin Giorio Nurtachi, qui règne au XIX siècle. L'ensemble de la classe dirigeante parle mandchou, une langue toungouse, turco-mongole. Si les lois raciales, comme le port obligatoire de la natte montrent le dédain qu'a la classe gouvernante au début de sa politique, la dynastie connaît une croissance économique par la suite. La

217 puissance de l’empereur est telle qu’il met au point « des mécanismes politiques lui permettant de s’informer et de prendre des décisions sans en référer à la bureaucratie ». 253 Sous les règnes de Kangxi 康熙 (l’empereur qui régna le plus longtemps dans l’histoire chinoise) et Qianlong 乾隆, les troubles intérieurs diminuent et la prospérité perdure.254 Par la suite, de

253 Edward L: Shaugnessy, La Chine ancienne, Larousse, 2001, p.40.

254 Voici ce qu’on peut lire sur l’empereur Kangxi dans l’introduction de l’ouvrage

Zhengshuo Kangxi 正说康熙 de Wang Xiaohui 王晓辉, aux pages 170 et 171 :

爱新觉罗。玄桦是清朝入关后的第二位皇帝,年号康熙,俗称康熙皇帝。8 岁登基,69 岁故

世,在位 61 年,是我国历史上施治最多的一位帝王。他去世后,绵号圣祖,因此清朝又称

他为圣祖仁皇帝。康熙的诗作现存的有 1000 多首,内容相当广泛。他读书的所感所悟,出

旋途中的铁事见闻,国家发生的大事,战争的进展情况等都在他的诗中所反映。除医学之

外,康熙还向传教士学习过天文,数学,几何,地理,拉丁文,哲学,音乐,绘画等,涉及

的范围相当广泛。

Aixinjueluo Xianhua est le deuxième empereur de la dynastie Qing, avec pour titre Kangxi ; il est communément appelé empereur Kangxi. Il monte à 8 ans sur le trône, meurt à 69 ans et devient l’empeureur de Chine qui a régné le plus longtemps, avec 61 ans de pouvoir.

Après sa mort, il devient sacré et est considéré comme l’empereur sacré durant la période

Qing. Kangxi a écrit 1000 poèmes, au contenu fourni.Son inspiration lui vient des livres qu’il lit, des contemplations de voyages, des affaires du pays, des progrès guerriers. En plus d’étudier la médecine, Kangxi apprend des Missionaires Jésuites l’astronomie, les mathématiques, la géométrie, la géographie, le latin, la philosophie, la musique, la peinture , ainsi que d’autres savoirs.

218 nombreuses sectes xénophobes et nostalgiques de la dynastie Ming donnent à la Chine un paysage politique désorganisé. Dès le début du

ème XIX siècle, les rapports désastreux avec les Occidentaux annoncent le déclin de l'empire, et la Chine devient tributaire de l'Occident. La chute des

Qing est due en grande mesure au conservatisme des dirigeants, comme l'impératrice douairière Cixi 慈禧, qui persistera à mettre un enfant de trois ans sur le trône, Puyi 仆役.

Il est à noter que l'empereur Kangxi se tourne particulièrement vers l'art, et que ses priorités culturelles et artistiques (il s'intéresse à l'art des Jésuites) favoriseront l'apaisement social. Cette rencontre de la Chine et de l’Occident, et plus encore de la pensée chinoise avec la pensée occidentale, chrétienne en l’occurrence, donne un indice quant à l’attitude chinoise face aux pensées extérieures. Si les Jésuites viennent en Chine pour prêcher l’évangile, l’attitude curieuse des Chinois montre comment la capacité de ces derniers à accepter une nouvelle pensée sans qu’elle remplace toutes les autres est caractéristique du raisonnement propre aux

Chinois. Pour eux, l’entrée de Jésus Christ dans le territoire culturel chinois est juste un « esprit » supplémentaire. Le xiansuo 弦索, genre musical réservé aux instruments à corde et courant dans le nord de la Chine, est intégré à la musique de la Cour. Sous les Ming, les Mongols avaient déjà influencé la production musicale sur le territoire chinois; avec le xiansuo, c'est la pénétration dans le "très saint " chinois par une domination et une musique quelque peu étrangères.

219 ème Si la Chine se retrouve à la traîne au XIX siècle, c’est en raison du retard pris sur l’Europe aux points de vue économique, militaire et technologique par la dynastie Qing 青. Affaiblie par la défaite de la guerre de l’opium contre les Anglais, la signature de traités inégaux, et écrasée à la fin du siècle par le Japon, la Chine n’est pas en mesure d’utiliser les nouvelles

ème technologies produites en Occident. Ce n’est qu’au début du XX siècle qu’une élite chinoise citadine aura l’opportunité de goûter aux résultats des technologies modernes de traitement du son.

220 b. Conclusion

Sous l’empire, la musique est utilisée par le souverain pour consolider le pouvoir. Toutes sortes de musiques sont créées. Si elles sont composées et interprétées dans les limites d’un cadre d’une culture qui a pris naissance et s’est formée au fil des années sur le territoire chinois, elle est néanmoins l’objet d’une grande liberté. Lorsque le président Mao prend les commandes de la nouvelle Chine, la musique est emprisonnée dans une représentation du pouvoir, elle est esclave de celui-ci. Si, sous les dynasties de l’Histoire chinoise, les musiciens sont serviteurs à la fois du pouvoir et de la musique, sous l’ère Maoïste c’est la musique même qui est annihilée. Le langage politique utilisé dans les textes des chansons pour glorifier le communisme et son chef tout-puissant, les chœurs d’harmonies, la composition mélodique, le refus de la culture du passé ainsi que l’obstination à ne pas s’intéresser à la musique produite à l’extérieur

(excepté bien entendu l’intérêt porté aux méthodes d’enregistrement, de diffusion et de règles mélodiques qui rendent la musique belle et influente) contribuent à paralyser la production musicale chinoise. Les danses accompagnent le rite politico-musical. Elles sont exécutées sur une scène, retransmises à la télévision et présentées à un public imbibé d’images et de sons qui représentent le pouvoir. Les textes sont centrés sur le personnage clé, divinisé ; les mélodies exécutées sur un modèle quasi unique, non subversif ; les danses mises en scène autour du personnage central, le tournesol.

221 5. La musique et la répétition

La période qu'Attali nomme celle de la « répétition », et qui commence dès

ème le début du XIX siècle par l’invention du gramophone, est le résultat d’une société qui tend vers la reproduction mécanique de toute activité humaine, qui commence par le son, la musique. La Chine n’entrera dans cette phase

ème de « répétition » qu’au XX siècle, lorsque l'industrie phonographique, déjà organisée, étendra son influence commerciale au reste du monde. Le

« principe qu’une œuvre d’art a toujours été reproductible » se confirme dans les différentes sphères géographiques suivant leur rythme de développement scientifique et industriel. 255 L'assimilation de cette forme d’industrie du disque se fait plus tard en Chine qu'aux Etats-Unis ou en

Europe, et laisse moins de temps à la société chinoise pour en digérer les rouages. Ainsi, la question des droits d’auteurs, qui se pose et ne cesse de se poser depuis bientôt deux cent ans en Occident, depuis l’apparition de la

« répétition », ne devient réellement un sujet d’intérêt pour la Chine que depuis l’établissement de maisons de disques occidentales sur son territoire, la mondialisation des moyens de diffusion de la musique et l’augmentation du spectacle vivant occidental dans les salles de représentions artistiques chinoises. Depuis une vingtaine d’années tout au plus.

255 Walter Benjamin, Ecrits français, l’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée,

Paris, Gallimard, 1991, p.177.

222 Dans un monde où la durée de vie des produits est de plus en plus courte, où les modes et les tendances changent plus rapidement qu'auparavant, la

Chine voit son industrie musicale confrontée, à la fin du siècle dernier et au début du troisième millénaire, à une superposition obligée de la

« répétition » et de la « composition ». Le consumérisme en général, et la consommation du produit musical en particulier, est au plus fort, tandis que le désir d’expression et de composition est lui aussi favorisé par la mondialisation des pensées et la plus grande facilité à produire des enregistrements sonores. Nous avons montré plus haut que les Chinois ne considèrent pas le support sonore comme sacré, ni la notion d’authentique comme déterminante dans la valeur d’une œuvre. La période historique influence aussi d’une manière importante la forme de l’industrie musicale

ème chinoise au début du XXI siècle.

Attali montre que la musique annonce la standardisation des produits et la

ème production de masse que connaît la société occidentale au cours du XX siècle. La duplication de produits musicaux qui tendent vers une perfection du son, de l’emballage et du design, prédit un siècle où l’attention de l’homme n’est tournée que vers la consommation de produits manufacturés,

ème idéaux. Si le XX siècle en Chine est une conséquence malheureuse du retard technologique pris sur l’Occident scientifique, la forte différence de style et de qualité sonores qui existe au niveau de la production musicale, qui varient suivant la province ou même la ville chinoise, permet d’établir une coupe de la Chine à cette époque ainsi que de mieux comprendre son

223 évolution. Tant au niveau technique qu’inspirationel, « chaque compositeur a son style personnel et ses particularités d'écriture. Leur origine géographique a une influence évidente sur leur œuvre. La Chine est une mosaïque d'ethnies très différentes, dont les folklores, collectés sur les directives de Mao, sont autant de sources d'inspiration. Pour ceux qui avaient décidé d'émigrer définitivement, l'utilisation de ces airs populaires exprimait aussi la nostalgie du pays natal. Les paysages dans lesquels les artistes ont vécu ont aussi une influence, plus subtile, car les hautes montagnes du Tibet n'ont pas les mêmes couleurs que les steppes désertiques de la Mongolie ou que les lumières de Shanghai ».256

ème L’invention du phonogramme à la fin du XIX siècle, qu’il est possible de diffuser à la radio, matérialise la musique en produit consommable individuellement et annonce la société consumériste.257 Avec lui, les droits d'auteurs, les droits de reproduction mécanique, les droits voisins, s'intensifient au point de devenir une réalité à laquelle la Chine, traditionnellement éloignée du concept de propriété, doit répondre

256 Annexe numéro vingt-deux.

257 Emile Berliner (1851-1929) est l'inventeur du premier disque, un 78 t/min en zinc enduit de cire. Il fait appel à un procédé de photogravure, une couche isolante étant gravée par la modulation, puis la couche de zinc sous-jacente attaquée par un acide. Si le son est de moins bonne qualité qu'avec le phonographe, le disque est plus facilement reproductible ; et Berliner travaille sans cesse à améliorer la qualité de ses enregistrements, au point que son gramophone vient de plus en plus concurrencer le système d'Edison.

224 positivement, et accepter une vision occidentale de la protection des droits de la production intellectuelle.

En Chine, le plus ancien enregistrement musical est une pièce de l'opéra de

258 ème Pékin interprétée par Sun Juxian. Au début du XX siècle, la production de disques en Chine est très rudimentaire, et on ne peut guère parler de production de masse. En fait, c’est à partir de 1930 que l’industrie musicale chinoise prend réellement forme : on commence à produire des disques chinois et on ne se limite plus à écouter les vinyles étrangers. 259 Les premiers enregistrements sont ceux d’opéras locaux, d’airs populaires, d’œuvres de Nie Er ou Xian Xinghai, de chansons de Zhou Xuan 周旋.260

La musique produite à cette époque et la manière de la diffuser annoncent la standardisation et la répétition de la société chinoise.

L’arrivée du communisme au pouvoir en 1949 ne sera d’ailleurs pas un obstacle à cette logique, puisque la production musicale au service de l’uniformisation idéologique permet à la Chine de se doter, à Pékin, d’une

Agence du Disque puissante et monopolistique. La volonté du

258 Annexe numéro vingt-trois.

259 Annexe numéro vingt-trois.

260 Sun Sheng 孙生,Zhongguo liuxing yinyue jianshi 中国流行音乐简史 (1917-1970) ,

Beijing 北京, Zhongguo wenlian chubanshe 中国文联出版社,2004, p.5.

225 gouvernement de contrôler le territoire et la population disséminée sur celui-ci trouve un moyen pratique dans la diffusion d’enregistrements sonores à la radio. En fait, le retard qu’a la Chine par rapport à l’Occident tient plus dans le fait qu’elle n’a pas inventé les nouvelles technologies sonores et acoustiques que dans la non appropriation de ces mêmes technologies. Cette analyse trouve un puissant accomplissement dans le fait que, peu de temps après l’invention du Compact Disc dans les années quatre vingt, la Chine intègre rapidement ce nouveau support. Les DVD,

VCD, MP3, avec pour toile de fond la globalisation grandissante, apparaissent en Chine quasiment en même temps qu’en Occident. Ainsi, on constate qu’à travers la musique, devenue enregistrement et produit musical, il est possible de montrer que la musique annonce en Chine une société basée uniquement sur l’échange marchand, en même temps que cette société se virtualise et offre un espoir ou une porte ouverte à la gratuité.

226 6. La musique et la composition

a. Développement

Le moment présent de l’Histoire est pour Attali celui de la « composition », qui permet de s’exprimer, de produire les fruits de son imagination musicale.

Composition facilitée avec l’utilisation des nouvelles technologies qui se démocratisent tant dans l’aspect économique (moins chères) que technique

(utilisation simplifiée). Le produit musical devient un sentiment humain matérialisé, que l’on est prêt à échanger gratuitement. En Chine, jusqu’au

ème début du XX siècle, la notion de composition est déterminée par la pensée chinoise où la valorisation de la création individuelle comme de la nouveauté en soi se heurte à un interdit majeur.

A l’opposé, la mélodie en France, fortement influencée par "l’orgueil de

Rousseau", est au service de la langue française. La manière de chanter, qui s’appuie sur la sonorité du français et sur son phrasé, le détail de l’arrangement musical, dicté par une culture du raffinement, ainsi que la mélodie elle-même, discrète, prennent leur forme définitive dans les cours des rois. A l’écoute, le musicologue chinois la qualifie de bao 薄, ou "fine".

Avec ces quelques éléments qui décrivent l’interprétation française de la musique, il est plus aisé de tenter de définir la musique chinoise actuelle.

Après plus de 3000 ans de création de musique traditionnelle chinoise, la

Chine reçoit depuis environ 140 ans l’influence occidentale jusque dans ses créations et interprétations musicales. Après la guerre de l’opium qui sévit

227 sur le territoire chinois, la Chine perd son empereur et sa fierté. Si, dès le

ème début du XX siècle, les villes côtières comme Shanghai, fortement exposées à l’influence étrangère, produisent une musique avant-gardiste et créent par exemple le mythe du Lao Shanghai 老上海 (le vieux Shanghai), avec une chanteuse comme Zhou Xuan, la progression de l’influence occidentale dans la création musicale est beaucoup plus lente dans le reste du territoire chinois, et il faudra attendre les années trente pour que des titres créés en chinois mandarin et détachés de la simple copie des disques occidentaux voient le jour.

Ainsi, alors que les Chinois ne faisaient que reproduire les mélodies importées en découvrant la prédominance de l’harmonie et de la polyphonie, dont les utilisations sont essentielles dans les productions occidentales, ils ont fini par s’approprier le support musical, les arrangements, et ont créé "la partie supérieure du titre", à savoir les paroles et la mélodie. Des années

1940 aux années 1980, les créations musicales se rapprochent des airs traditionnels, chantés avec la technique de chant meisheng 美声, qui se rapproche de l’opéra classique occidental.

Dès les années 1980, dans une Chine où le cynisme et l’intérêt financier personnel prévalent sur toute autre forme de relation sociale, l’influence de la canto pop, des productions musicales de Taiwan et de Hongkong vont permettre à la Chine populaire d’être en contact auditif avec de nouveaux sons, synthèses d’Occident et d’Extrême Orient. C’est en 1978 que Deng

Xiaoping 邓小平 arrive au pouvoir prend la tête d’une Chine qui a pris un

228 retard de soixante-dix années sur les grandes puissances politiques mondiales en termes de développement économique et technologique. Le leader chinois a pour projet de continuer la politique des quatre modernisations ébauchée par Zhou Enlai 周 恩 来 , d’ouvrir la Chine à l'extérieur, d'enrichir le peuple, tout en gardant l'idéologie communiste marxiste établie par son prédécesseur, Mao Zedong 毛泽东.

Alors que les mesures économiques sont prises dès l'année d’accession au pouvoir de Deng Xiaoping, il n'en reste pas moins que le délai d'application des réformes s'étale sur plus de dix années. A cette époque, en 1980, le rock apparaît en Chine, avec le groupe Wanli Mawang.261 Le style existe déjà, le son est disponible. Le contenu, le symbolisme du rock est formé. Le rock en Chine n'a pas soixante-dix ans de retard sur le rock anglo- saxon ou américain. Le rock est à l'œuvre avant la politique, il la devance. Si le rock est finalisé dans certains disques dès les années 1980, c'est que l'on y pense bien avant, qu'on a préparé ces productions antérieurement. La question est de savoir si la distribution et la population sont prêtes à accepter un nouveau concept musical. Le gouvernement hésite aussi, devancé, apeuré par des sons et des attitudes qui lui échappent, avec cette idée qui plane depuis des millénaires « minge ji minjian shi shidai de jingzi 民歌及民间是时代的镜子 (les chansons populaires sont le miroir d'une époque) ». Comme si la compréhension de l'époque appartenait en

261 Annexe numéro vingt-quatre.

229 priorité aux musiciens et non aux dirigeants, qui devraient pourtant être détenteurs de la "Voie".262 D’ailleurs, dès les temps anciens, les Chinois considèrent la maîtrise et la connaissance de la musique comme inhérentes

à la capacité de gouverner. 263

A cette époque, où le discours évolue d'un stade où nul ne pouvait être comparé à la Chine vers une approche culturelle où la prise de conscience permet une analyse comparée des différentes cultures et, enfin, une volonté politique et intellectuelle qui permette à la Chine d'acquérir les caractéristiques des pays développés de l'Ouest tout en analysant l'Histoire pour comprendre les erreurs qui ont conduit à cette situation inégale, le

Rock semble, lui, avoir déjà tout compris des enjeux sociaux qui apparaissent. 264 Si l'acte de naissance du rock coïncide avec le développement de la radio et de la télévision, c'est que les nouvelles

262 Jin Wenda 金文达,Zhongguo gudai yinyueshi 中国古代音乐史,Beijing 北京,Renmin yinyue chubanshe 人民音乐出版社,2001

263 G.P.Green, Aspects of Chinese Music, William Reeves, London, p.33-4 « the knowledge of sounds was said to be so closely connected with the science of government, that only those who understood the science of music were fit to perform the duties of rulers ».

264 He Ping, China’s Search for Modernity, Great Britain, Palgrave Mac Millan, 2002, p.25, pp.28-9.

230 technologies ont fait connaître au monde un courant musical qui existait dès les années trente aux Etats-Unis.265

En Chine, la pratique musicale différente combinée à une évolution technologique inégale produit un résultat différent quant à l'influence du rock sur la population. En Europe, un débat fait rage, qui consiste à savoir si le rock est mort et si une vraie relance de ce courant est en marche. En

Chine, « on assiste très naturellement à l’adaptation de courants musicaux modernes qui concilient la tradition musicale chinoise dite classique avec la musique symphonique occidentale ou des formes musicales plus actuelles.

Il existe donc un Rock chinois très particulier à la fois créatif et quelque peu nostalgique puisqu’il retrouve parfois le son original et dépouillé de la musique la plus antique».266

Si le rock en Chine, à ses débuts, fait peur au pouvoir, il est par la suite l'objet d'espérance de rentabilité économique. Pourtant, on constate qu'il ne rapporte pas tant que ça, en tout cas pas plus qu'un autre style musical.

Quant à son influence sur la population, il n'a pas vraiment fait tant de bruit social qu’en Europe dans les années soixante.

265 Pierre Mickaleof, émission Chachacha, France Inter, le 20 août 2006.

266 Annexe numéro un.

231 Plus de vingt-cinq ans après, la sortie d'une compilation officielle de rock chinois en 2005 semble être un point d'orgue à ce processus d'appropriation du rock par la machine politico-économique dont l'objectif est de rendre le rock inoffensif et "au pire" commercial.267 "The Red Rock", le rock "rouge" chinois, remplit là son rôle éducatif, nationaliste. La Chine est fière d'avoir son rock, enfin, comme si elle en avait douté auparavant.

L'officialité de cette compilation possède une double valeur, artistique et politique. La première consiste à considérer la notion de musique rock comme un style qui diffère des chansons d'amour, de l'opéra ou de la mandopop ou canto pop. C'est ainsi que des titres de la compilation, n'ont pas vraiment un son rock pour des Occidentaux. La deuxième valeur, nationaliste, consiste à affirmer que le rock, c'est ça et pas autre chose.

Dans cette affirmation, il y a la reconnaissance non avouée de l'existence d'un rock plus critique, subversif et rageur. Ce rock là n'est pas considéré par la distribution musicale en Chine comme étant commercial, et garde encore la réputation d'être plus ou moins dangereux et subversif. Témoin la réaction de certaines personnes apeurées face à la sortie d'un album de rock indépendant qui prône l'indépendance de la province du Ningxia 宁夏,

267 Red Rock Band China Rock 1985-2005, Zhongguo yaogun 20 nian jinghua jingxuanji 中

国摇滚 20 年精华精选集, Shantou haiyang yinxiang chubanshe 汕头海洋音像出版社,2005.

232 réaction que l'on retrouve lorsque l'on aborde les sujets politiques. 268

Nombre de jeunes Chinois sont littéralement envahis de craintes et de suspicions lorsque l'on aborde des sujets relatifs à la légitimité du pouvoir politique, à sa forme et à son programme. Ainsi, les groupes considérés comme rebelles et dangereux par le pouvoir, les religions ou sectes (Fa

Lungong 法轮公 Dongfang Shandian 东方闪电 dongfangshandian) qui ne sont pas sous le contrôle de l'Etat, sont placés dans une situation médiatique dont le but est d'effrayer les gens. Un article sur le traitement infligé aux dissidents internautes explique que, finalement, la meilleure censure qui puisse exister c'est celle que l'on se fait soi-même. La musique n'y échappe pas.

L'authenticité et la subversion que l'observateur voudrait trouver dans le rock chinois semblent être des composantes peu caractéristiques. Si l'Occidental tente souvent d'imaginer une Chine exotique, il souhaite aussi que l'essence du rock soit clairement visible dans des pays à la culture différente comme la Chine, pour se rassurer et en même temps retrouver les sensations de rebellion perdues en Occident.269 Le rock chinois est juste un style de musique différent des autres formes de musiques populaires

268 One and only Ningxia, Zhiyou yige ningxia, 只 有 壹 个 宁 夏 , Beijing beiying luyinxianggongsi 北京北影录音录像公司,2005.

269 David Stokes, Popping the Myth of Chinese Rock, Routledge Curzon, 2004, pp.32-7.

233 chinoises et n’est pas ce symbole, ce porte- parole, cette égérie de l’anti- hégémonisme ou de l’anti-culture officielle.270

Ainsi, même si tout au long du siècle dernier les Chinois tentent de composer leur propre musique, l’omniprésence d’une machine politique et d’une culture officielle, la non- reconnaissance de la nouveauté comme attribut digne d’éloge ainsi que l’obligation d’utiliser des technologies dont la philosophie est imprégnée de l’Occident rendent la tache bien difficile aux compositeurs chinois, souvent inconscients de la situation dans laquelle ils se trouvent. Dans un monde polyphonique et dodécaphonique, il parait impossible d’intéresser le village global à la modalité et au pentatonique, symboles de médiévalisme, trop monotones et trop simples, dans un monde rapide assoiffé d’harmonies. Si le langage traditionnel musical chinois ne peut se faire une place dans la musique globale que dans les catégories "exotiques" ou parmi les mélomanes "avertis" et "curieux", il est

à craindre que l'utilisation de la langue chinoise dans les enregistrements musicaux n'aide pas à une intégration et une acceptation de la production musicale chinoise par les autres communautés.

L'auditeur "moyen", habitué à l'anglais ou à sa langue maternelle dans l'écoute d'une chanson, est peu enclin à tenter de nouvelles aventures auditives et linguistiques. Si l'anglais communautarise tous les peuples, le

270 David Stokes, Popping the Myth of Chinese Rock, p.44.

234 français "élitise" ceux qui le pratiquent et l'espagnol "sensualise" ceux qui le chantent, quel est le sentiment que la langue chinoise fait naître chez cet auditeur novice ? Le chinois mandarin dans son oralité et sa pratique parlée a-t-il une place et une reconnaissance sur la scène mondiale (y compris musicale) mondiale aussi forte que les idéogrammes (brodés en masse sur les vêtements importés), à en constater l'influence dans l'imaginaire des

Occidentaux les plus jeunes, semblent déjà avoir ?

Lorsqu'on évoque la démarche compositionnelle, la notion de créativité intervient dans bien des cas. Cette dernière tend à valider un acte artistique par rapport à celui qui ne l'est pas. La créativité qui est issue d'un «contexte psychosocial est jugée par la société qui la produit. En dernier recours, c'est la société qui décide de qui peut être considéré comme artiste, de ce qui peut être appelé « une nouvelle expérience esthétique ». Ce contexte psychosocial n’est pas le même suivant la culture et le moment historique qui le produisent. Ainsi, dans un même style musical, il est possible de considérer des compositions qui « ressemblent » au reste comme créatives, dans ce sens où elles apportent une expérience esthétique nouvelle au style musical auquel elles appartiennent. Si, à titre d’exemple, les chansons pop rock semblent toutes se ressembler, il est pertinent de considérer de nombreux nouveaux titres comme créatifs car, même si les suites d’accords utilisées sont les mêmes, si la tendance sonore est proche et si les mêmes mots composent les paroles, des détails au niveau du son, du sens textuel, de l’interprétation ou ne serait-ce qu’au niveau temporel (la même musique interprétée à des moments historiques différents ne remplit pas forcément

235 le même rôle) permettent de caractériser la créativité, musicale en l’occurrence.

En Chine, la créativité dans la musique pop rock se constate entre autre lorsque des artistes intègrent le son rock (Cui Jian 崔建,Wang Lei 王磊,

Tang Chao 唐朝), r&b et hip hop (Zhou Jielun 周杰轮,Wang Lihong 王历

宏), électro (Wang Lei 王磊) ou d’autres orientations musicales encore aux créations musicales pop rock. Seule la société chinoise, c'est-à-dire l’oreille chinoise, éduquée avec ses codes et ses traditions, est en mesure de considérer tel ou tel titre comme emprunt de créativité. Ce qui peut être considéré comme créatif par un Occidental (je pense ici à tout ce qui est mélange de sons d’instruments traditionnels chinois avec la musique moderne, toutes les imageries imaginées par l’Occident pour décrire la

Chine) a déjà dans une grande mesure été réalisé et semble peu imaginatif dorénavant. En revanche, l’intrusion de l’interprète chinois dans le monde

Occidental, qui réinterprète à sa manière le monde extérieur, semble être un symbole de créativité très en vogue. De même, la réinterprétation du répertoire musical traditionnel chinois tend à donner du crédit aux artistes qui l’exécutent. Ainsi, par exemple, le titre "One night in Beijing" de Chen

Sheng 陈升 mélange la modernité (la langue anglaise) et le traditionnel (la manière de chanter empruntée à l'opéra Jingju). N’oublions pas non plus que les icones du rock ou de la pop occidentale ont, elle aussi, fait des reprises, à l’exemple de Bob Dylan ou des Beatles. Le rock s’est construit avec les citations du passé ; de même, la musique pop moderne intègre

236 dans ses constructions mélodiques et ses arrangements les mélodies et les ambiances de titres anciens.

Composer, pour Attali, permet de repenser le monde, de sonoriser un avenir que l'homme veut parfait. Dans le moment historique du début du

ème XXI siècle, la musique est prétexte au partage, gratuit. Les pubs des grandes villes chinoises promeuvent régulièrement des soirées free style où n'importe qui peut venir jouer sa musique. De nombreux Chinois participent

à ces soirées, bien souvent des "exclus" du star system, des compositeurs qui veulent oublier, en donnant gratuitement de leurs talents, de leurs sensations et de leurs sentiments, que la musique ne se vend plus.

Si, avant les années 1980, ce partage musical est restreint par un gouvernement qui a peur du subversif et des rassemblements qui promeuvent les nouvelles idées (ce dont les associations musicales et artistiques en marge du show business sont les garants), la libéralisation, partielle dans le discours officiel, mais pratiquement totale dans les lieux où le spectacle vivant s'écoute gratuitement, laisse entrevoir une société qui a soif de gratuité et de fraternité, non pas qu'elle n'ait pas d'argent pour payer ni d'amis avec lesquels partager un moment. Apparaîssent en premier plan une tendance naturelle à renier le système monétaire, conçu comme

"contre-nature", ainsi qu'une fraternité vraie, loin du paraître et des conventions sociales, une tendance à l'unification familiale et fraternelle de tous les hommes.

237 Si la composition est « refus du spectacle, refus de se taire, refus de s'émerveiller » et « d'admirer », elle prend une dimension symbolique et décisive en Chine, pays où la télévision, les scènes musicales et l’idéologie politique promeuvent le grégairisme et la pensée unique.

On comprend dès lors qu’une jiancha 检查 (censure) soit le passage obligé d’une œuvre musicale originale. Le polissage artistico-idéologique du contenu d’un album musical ainsi que de sa pochette est la condition indispensable de toute obtention d'un chubanhao 出版号 (numéro ISBN

(International Standard Book Number)), qui lui seul permet la commercialisation d’une composition.271 Dans cette situation caractéristique, le refus de se couler dans un moule préétabli est rendu plus difficile, et seul les artistes engagés et matures tentent l’aventure musicale. Les conservatoires qui forment les élites musicales chinoises futures, leurs interprètes mais aussi leurs compositeurs, répondent à une exigence patriotique dictée par l’idéologie politique. Ainsi, si dans les milieux officiels de la musique en Chine, la musique occidentale est étudiée avec le plus grand soin, c’est pour prouver au monde la capacité qu’a la Chine à jouer toutes sortes de musiques, et donner une image de spécialiste. Si les compositions chinoises sont perçues comme exotiques en Occident par la

271 A titre d’exemple, se référer à l’annexe numéro dix qui propose le document juridique rendant un disque légal sur le territoire chinois.

238 majorité des auditeurs, la musique occidentale est elle aussi considérée comme "différente" par les Chinois.

La société chinoise moderniste produit une population en constante rivalité, particulièrement dans les grandes villes. Rivalités dans l'éducation, de la maternelle à l'université, rivalités sur le marché de l'emploi, rivalités encore sur les questions de mariage où la tyrannie de la femme (cette dernière est devenue rare en Chine) contraint les hommes à une obligation de succès matériel avant toute espérance d'union. 272 Si le communisme a voulu

"égaliser" tous les Chinois, tant dans leur mentalité que dans leur apparence extérieure, cet idéal égalitaire, combiné à l'encouragement depuis 1980 de s'enrichir, a produit une population bancale, profondément individualiste, mais "un individualisme à la chinoise".

Si "tout le monde se ressemble" en Chine, les produits du luxe, les appartenances à divers groupes sociaux ou religieux mais aussi la composition (musicale) permettent aux chinois de se différencier et ainsi

« réduire la menace de violence ». 273 Pour autant, il semble que l’expression personnelle, particulièrement lorsqu’elle aborde des questions existentielles (ce qui est d’ailleurs propice à la création artistique et musicale), se heurte aux réminiscences d’un communisme qui encourage la

272 Particulièrement dans la région de Shanghai.

273 Jacques Attali, Bruits, p.277.

239 délation pendant de nombreuses années, ainsi qu’à une vision selon laquelle la tradition est supérieure à toute composition originale, probablement considérée comme discutable et non objective. (Comme si la tradition n’avait pas pris ses racines dans des compositions originales !)

L’autorité de l’empereur a toujours été plus importante que n’importe quelle autorité religieuse du pays. Les dirigeants ont utilisé les religions pour dominer tout en gardant une certaine distance vis-à-vis de ces dernières.274

Sous le régime communiste dicté par Mao, « le monopole de la musique et de toute émission et d’écoute de bruits est réservé au pouvoir seul ». En effet, le dictateur sait que « l’expression du beau favorise la revendication du vrai ».275 Le contrôle des bruits émis, des informations sonores, est la préoccupation du pouvoir qui se doit d’entendre les détails des révoltes qui pourraient se préparer. La délation, sous les tyrannies communistes, a laissé jusqu’à aujourd’hui des traces de crainte dans l’attitude des Chinois ultra soumis à leur gouvernement. Au début du troisième millénaire, sous le régime communiste chinois, décrit comme un « socialisme de marché aux caractéristiques chinoises » mené par le président Hu, la création musicale est contrôlée par l'idéologie du pouvoir et par le marché économique.

Même si la libre circulation des créations Rock « prouve que des esprits

274 Du Yaxiong, The continuing Confucian Buddhist heritage, Chicago, Chinese Music

Society of North America, 2004, p.60.

275 Attali, p.17.

240 libres commencent aujourd'hui à être reconnus." Traduction : en cette période complexe où l'"ouverture" va de pair avec censure et répression, le pouvoir ne peut totalement se permettre d'ignorer le fait social et culturel.

Cui Jian, avec ses airs de mauvais garçon, est l'une des incarnations de cette société en mouvement. Mais sa musique va plus vite que celle du parti.276 Le rock en Chine, qu’il soit chinois ou étranger, est devenu un produit de consommation, un spectacle inoffensif d’une subversion maitrisée.

Les productions indépendantes chinoises existent pour montrer que le début du troisième millénaire annonce un partage gratuit de la production musicale ainsi qu’une virtualisation de son existence.

Partage tout d’abord. Si l’industrie du disque est bien établie avec ses rouages et ses logiques, la musique et ses compositeurs détachés de toutes considérations matérielles échappent dans certains cas à la logique

économique. Pas dans son investissement bien entendu, puisque l’organisation des sons ainsi que sa production industrielle nécessitent forcément une dépense d’argent, mais plutôt dans sa relation avec

276 Li Hongjie 李宏杰,Zhongguo yaogun shouce 中国摇滚手册 Encyclopedia of China

Rock and Roll,Chongqing 重庆,Chongqing chubanshe 重庆出版社,2006, pp.66-71.

241 l’auditeur, le consommateur de musique.277 La tendance à produire de la musique pour son plaisir d’une manière professionnelle (j’entends par là en utilisant toutes les nouvelles technologies mises à la disposition de qui peut les louer) montre comment la musique est directement liée aux sentiments de l’homme, à l’état intrinsèque de la condition humaine.

Sun Xun 孙勋, par la production de son album, montre que la création musicale peut être une étincelle dans la vie matérialiée par un disque.278 Il

277 La production industrielle de 1000 cds coûte environ 1000 euros en Chine. Le coût de l’enregistrement de 10 titres varie suivant la qualité exigée, les instruments enregistrés, le studio choisi, le type de contrat (production ou coproduction). Le design de la pochette du disque est plus ou moins onéreux, suivant la renommée du graphiste. Il faut compter 1000 euros pour un artiste reconnu en Chine. (Tarifs en relation avec la production du double

Album Parfums d’Extrêmes de Dantès, artiste français, produit par Christophe Hisquin et le

Studio Backstage en 2006).

278 La préface du livret qui accompagne le coffret de Sunxun présente l’artiste comme suit :

一搂顶着理工博士帽子,却戴着音乐镣铐翩翩舞动生命的尘烟,一个外表粗诳身材伟岸。却

有着纤细敏感心灵的人间异类。在他的食谱里,可口可乐,水果沙拉与羊肉串。在他的脑子

里,科学的缜密,艺术的灵动,商业的精明与近似疯狂的表现力不可思议地缠绕在一起。他

是我们中间的一个迷,等待你我用音乐的钥匙去开启。关于孙逊,真正的答案只是在你的作

琢磨里

D’un côté, il revêt la casquette du docteur en sciences, d’un autre il est sensible à la musique, tout en étant sportif. Et pourtant doté d’une sensibilité humaine si fine. Dans ses

242 n'est pas nécessaire de revendiquer l’appartenance à une classe de

"compositeur supérieur" ou de demander une permission quelconque.

Produire de la musique pour donner du sens à sa vie. Sunxun met sur le marché son disque, en premier lieu pour se faire connaître. Le marché est un lieu de reconnaissance. Reconnaissance tout d’abord d’exister, de valeur ensuite. Mais le marché ne dicte pas la production musicale d’un

Sun Xun ou d’un Wang Lei, producteur indépendant de musique

électronique et symbole de la nouvelle génération de l’indépendance musicale. Le marché est juste une place d’échange qui permet d’être au contact des autres et de leur faire parvenir ses preuves d’existence et de sensations conscientes. Les producteurs indépendants chinois, comme ceux du monde entier, montrent comment la musique existe au-delà de la machine capitaliste qui a voulu la retenir prisonnière dans un processus

économique et juridique.

La nouvelle forme de consommation de la musique annonce sa gratuité. Si, en Chine, la notion de gratuité est plus proche du quotidien qu’elle ne l’est dans les pays occidentaux (en raison du phénomène de masse principalement), c’est aussi parce que, dans l’Empire du Milieu, le partage

livres de recettes, Coca Cola, salade de fruits et brochette d’agneau. Dans ses neurones, science minutieuse, esprit artistique, intelligence commerciale qui frôlent la folie et s’entremêlent d’une manière inimaginable. Un passioné parmi nous, qui attend la clé musicale pour démarrer une aventure humaine. En ce qui concerne Sun Xun, la véritable réponse réside dans ta propre réflexion.

243 est une tradition. La multiplicité des échanges, ainsi que la prépondérance du rapport à l’artiste plutôt qu’au contenu artistique, renforcent le sentiment que toute production musicale n’est qu’une expression de sentiment, au même titre qu’une déclaration parlée ou un geste. La musique stockée sur internet, le son digital du format MP3, les magasins de musique online contribuent à dématérialiser encore un peu plus la musique qui annonce, avant tout autre phénomène, une virtualisation exacerbée de la société.279

Le moteur de recherche Souhu 搜狐, la technique SP qui consiste à vendre sa musique à un opérateur internet qui, ensuite, commercialisera le disque sur la toile, contribue en Chine à rendre la musique à la fois encore plus accessible, tout en la banalisant. La musique devient aussi importante que l’air que l’on respire, ou l’eau que l’on boit. A la différence de ces deux autres composantes vitales, la musique semble impossible à polluer (dans son concept même) et inépuisable.

Pour l’artiste, le droit de parole (ou de s'exprimer par le chant ou la musique) s’obtient par des facteurs extérieurs à la musique même. Avant de pouvoir exprimer ses sensations, ses sentiments, ses opinions et ses espérances, il faut parvenir à enregistrer sur un support sa musique et ses textes. Il faut

279 La véritable appellation du MP3 est MPEG Audio Layer-3. Le format, bien qu’il soit prêt depuis 1989 doit attendre 1997 pour que le développeur de programme Tomislav Uzelac mette au point la possibilité d’écouter la musique en format MP3. En 1998, par l’intervention de Justin Frankel, le MP3 est mûr pour révolutionner l’industrie musicale.

244 aussi parvenir à monter sur une scène. Bien souvent, l’artiste n’est écouté que si il y a une grande promotion de sa musique ou de son personnage, mais dans ces cas-là, le produit musical fini ressemble plus à une louange

à la gloire du système actuel. Si le créneau de la rébellion est utilisé, le simple fait qu’il soit digéré par l’industrie culturelle la rend inoffensive. En fait, on s’aperçoit que les œuvres musicales prennent une dimension de sens lorsque son compositeur n’est plus là pour la plébisciter. Par exemple,

Bach et sa messe nous montrent comment une pièce peut changer d’utilité en raison de sa position dans le temps. Pour Jean Sébastien Bach, au début, la composition est un travail qui emporte un rôle social, car sa musique côtoie la population toutes les semaines à la messe. Aujourd’hui, il s’agit d’une œuvre d’art. L’œuvre ne change pas mais les conditions extérieures changent.

En Chine, la censure, la forte relation qui existe entre l’art et le politique, ainsi que le choix déterminé de suivre coûte que coûte la "troisième voie", accentuent le fossé qui existe entre l’art musical officiel tel qu’il est présenté dans les médias et celui qui existe dans les "rues", c’est-à-dire dans les bars, les pubs, les lieux de la nuit. La musique en Chine est avant tout un outil politique dont l’objectif est d’encourager l’idéologie positiviste, consommatiste et nationaliste. De fait, si l'on veut tenter de prévoir l’avenir de la Chine, le plus pertinent est d’analyser l’évolution et les mutations de l’univers musical chinois "underground", puisque l’on pourrait penser que les nouvelles idées, les véritables rêves de la population résident dans ce monde privé de projecteurs, "souterrain". Etant donné que le pouvoir

245 contrôle fortement la musique produite sur la place publique chinoise, lire en elle l’avenir du pays semble incomplet. Pour autant, il est possible de noter des transformations et des signes de réaction au sein même de ce rouleau compresseur qu’est la toile politico-économique. Pour que la musique, même dans son état le plus soumis soit-il, fasse bouger les choses et les gens, il faudrait que le politique procure une vie rêvée à toute la population. Dans le cas inverse, la musique et les chansons se transforment en armes et moyens guerriers pour travailler au mieux.

Il faut distinguer les codes relatifs à la culture, que l’on ne saurait considérer sur une échelle de valeur internationale, et la véritable signification de ces codes dans la culture donnée. Il semble utile d’étudier l’évolution des codes culturels à travers les époques, dans l’objectif de capter comment l’artiste, le créateur et même le spectateur, vivent et comprennent leur histoire, comment ils réagissent face à l’extérieur. Pourquoi en Chine, dans tel et tel endroit, il y a telle représentation esthétique « plutôt que rien ». 280 Les gestes de l’acteur ou du chanteur reprennent ces codes, tout comme le joueur de erhu 二胡 (la vièle chinoise) ou l’amateur de taijiquan 太极拳.281 Si,

280 Yolaine Escande, L’esthétique, Europe, Chine et Ailleurs, 2003, p.9.

281 Le erhu est un instrument à cordes traditionel chinois, qui appartient à la famille des huqin, qu’on peut aussi nommer huqin. L’ancêtre des huqin est le xieqin, instrument de la dynastie Tang. Au début, le xieqin est un instument à pincer et, bien que sa forme ressemble à celle du huqin, sa différence réside dans le fait qu’on utilise un archer de

246 dans ces cas précis, la notion artistique générale est de reproduire un geste arrondi et souple, il importe de savoir comment cette philosophie est née, s’est perpétuée, et comment cette attitude se comporte avec la modernité, pour ainsi tenter de prévoir la place des codes culturels chinois dans la période postmoderniste. D’ailleur que ce soir le guqin ou le erhu, représentants des instruments traditionels chinois, tout deux sont confrontés de plus en plus à partir des années 1980 à une société chinoise en mutation, moderne. Le guqin, instrument du rite confucéen, outil pour gouverner et non pas instrument de dilétante fait face au XXème siècle à de nouvelles orientations et créativités.282

Il est à ce sujet intéressant de noter comment la toile télévisuelle chinoise présente la coupe du monde de football 2006 organisée en Allemagne. Si

bambou pour en jouer. A l’époque Song, le huqin de deuxième génération, le jiqin, commence à faire son apparition dans les banquets impériaux, et les prouesses techniques utilisées pour en jouer atteignent des sommets, c’est à cette époque que l’on commence à utiliser l’archer en poils de cheval. L’archer en poil de cheval, qui remplace le bambou pour frotter les cordes de l’instrument, est astucieusement utilisé depuis longtemps par les nomades des minorités ethniques chinoises, et est en même temps un jalon historique du développement des instruments à cordes chinois.

La méthode Gen mingshi xue erhu 跟名师学二胡 donne de nombreux renseignements quand à l’aspect matériel de l’instrument ainsi que sur sa philosophie de jeu.

282 Miao Jianhua 庙建华,Guqin meixue sixiang yanjiu 古琴美学思想研究,Shanghai 上海,

Shanghai yinyue xueyuan chubanshe 上海音乐学院出版社,p.76.

247 tous les matchs sont retransmis, plusieurs chaînes réservent leurs programmes à cet événement et des journalistes sportifs analysent en permanence le jeu des différentes équipes, le caractère chinois tient et subsiste dans l’atmosphère générale choisie pour présenter la coupe du monde de football : esprit d’amitié et de nostalgie. La musique choisie pour accompagner les avants et après matchs, ainsi que les reportages ou les résumés, tend dans la majorité des cas à adoucir le geste sportif. Par une mélodie au piano, celle que l’on retrouve dans la plupart des émissions télévisées chinoises, destinée à accompagner les récits des personnes interviewées dans un objectif de toucher émotionnellement le public, par une tonalité générale descriptive, la Chine digère à sa manière l’évènement international.

Si, en Europe, l’interprétation que les Catholiques ont fait de la Bible ont

ème imprégné dans une grande mesure la musique classique des XVI

ème XVII siècles avec, entre autres, tout le courant de la musique à trois temps provenant directement du dogme de la trinité, on peut imaginer que la musique classique chinoise ait aussi été influencé par les autorités en place.

Composition influencée par les orientations religieuses et politiques. On permet à la musique d’exister pour harmoniser les rencontres sociales.

Artistes désirés, recrutés pour combler le silence qui règne lors d’une soirée de vente à Suzhou 苏州, autour du Jinjihu 金鸡湖 (le lac du Poulet Doré). Le silence inquiète. Comment peut-il ne pas y avoir de bruit s'il y a réussite commerciale et sociale ?

248 L’artiste doit être à même d’éveiller les sentiments qui existent plus ou moins dans chacun des auditeurs spectateurs. Le musicien est sur la scène, le spectateur moderne ne sait s'il faut l’admirer ou rire de sa présence en décalage avec le monde des " vrais hommes". Si le manager chinois remplit sa mission en fournissant les artistes à l’entreprise de publicité employée pour organiser la soirée de cocktail, il n’en reste pas moins que la musique est parquée dans une fonction ludique pure et dure, sans véritable espoir de faire changer l’ordre social injuste ni de pousser les gens à réfléchir sur la vanité et le danger que revêt la construction d’immeubles dans une zone ou les inondations sont fréquentes, en l’occurrence.283

La musique se doit d’accompagner le mensonge social et l’acte publicitaire si elle veut vivre décemment. Combien de musiciens sont obligés de faire de la musique commerciale, c'est-à-dire un son qui réponde à l’attente d’un marché lucratif et éduqué, cultivé pour l’acte d’achat, pour se permettre à un moment ou à un autre une véritable création musicale et artistique

283 La société américano-chinoise Joint The Grand a réalisé des constructions d’immeubles haut standing au bord du Lac Jingji. La soirée de promotion de laquelle j’ai été personnellement le présentateur montre la volonté, tant de la part des promoteurs que des clients, d’harmoniser la nature et la modernité architecturale. Pour autant, le non respect des normes de construction, tant dans la nature des matériaux (du béton par exemple) que du danger que peut revêtir la position géographique discutable, n’entame pas les soifs de profits et le positivisme des investisseurs, 苏州 Suzhou, 金鸡湖 Jinjihu, Soirée Joint the

Grand, 2005

249 originale, pure. Le même phénomène existe dans le cinéma, où les cinéastes font de "l’alimentaire" et tournent des publicités en attendant de pouvoir réaliser "leur film". Les acteurs chinois de dianshiju 电视剧 ( les séries télévisées) enchaînent les tournages éreintants, au rythme de nouvel an chinois en famille manqués pour cause de tournage, dans des conditions stressantes et peu propices aux exploits artistiques. Les acteurs tournent les séries télévisées avec l’espoir constant d’avoir un jour l’accès à un rôle important dans un film, considéré, lui, comme de l’art par ces mêmes acteurs. Les équipes de tournage des séries chinoises travaillent même en "trois huit", pour aller plus vite et pouvoir terminer une série de plus de 30 épisodes en moins de deux mois et demi.284 L’artiste, où qu’il soit, est frustré de ne pouvoir atteindre cet idéal qu’il se promet, qu’on lui promet.

284 Tournage de la série télévisée Mingtian wo bushigaoyang 明天我不是羔羊, Shanghai tiankong guanggao chuanbo fazhan youxiangongsi 上海天空广告传播发展有限公司,

Shanghai 上海, 2005-2006.

250 b. Conclusion

La composition en Chine permet de faire survivre une certaine gratuité dans un espace géographique où chaque action devrait recevoir un paiement monétaire. Si une relative gratuité existe en Chine en raison du nombre important de la population et de la logique économique qui veut que, plus un produit est fabriqué en masse, moins son coût unitaire est élevé, le

"pragmatisme" chinois combiné à la logique capitaliste laissent tout de même un espace à la liberté, à la gratuité. Les lieux de la nuit qui permettent à la population de se mettre en scène, les concours télévisés, l'apprentissage accéléré d'instruments musicaux accordent une vision positive quant à l'avenir de la "créativité pour se faire plaisir uniquement "du monde chinois. Même si cette conception de respect de l'authentique ne semble pas être aussi cruciale qu'en Occident, banalisée d'une manière différente par la "répétition", moins obnubilée par les droits d'auteurs, la

Chine retrouve peu à peu sa créativité, à travers l'échange avec l'extérieur ainsi que par l'affirmation de sa propre différence.

251 V. CONCLUSION GENERALE

La musique chinoise démontre, parallèlement à l’organisation de la

civilisation à laquelle elle appartient, que le monde est séparé en deux

sphères en Chine. Le pouvoir actuel permet à un nombre impressionnant

d’informations de pénétrer sur le territoire chinois, tout en les contrôlant

d’une manière intensive. Cette apparente diversité peut être considérée

comme l'antithèse de la position quasi "céleste" que le gouvernement

chinois revêt, avec sa manière stratégique de tolérer une certaine forme de

chaos à l’intérieur de règles produites par la hiérarchie gouvernementale.

Les musiques n’en font qu’une en Chine. Point besoin n’est de les classifier.

Laisser la musique faire son bruit, tant qu’elle ne remet pas en cause le

pouvoir en place. Le marché "aide" l'objectif politique, puisque les artistes,

de plus en plus écrasés par l’économie et des notions extra-musicales

telles que la notoriété, deviennent de moins en moins influents, alors que

leurs possibilités de faire connaître leurs expressions est de plus en plus

forte; une indifférence médiatique naît et un manque de critique subsiste.

La production de musique en Chine est caractérisée à la fois par une

utilisation massive des nouvelles technologies venues de l’étranger pour la

composition, l’enregistrement et la diffusion de la musique, et une certaine

influence exercée sur le contenu et la forme même de cette production

musicale. Dans un même temps, on constate indéniablement une

persistance du caractère chinois dans l’essence de la composition, dans les

choix d’enregistrement et dans les attitudes et priorités de diffusion. Tout

252 comme le développement économique a permis de consolider et d’accentuer le sentiment religieux à Taiwan, la musique montre que l’économie florissante du continent renforce la fierté du peuple chinois et sa détermination à produire sa propre musique et par extension sa propre politique. L’économie comme outil de son existence et moteur de sa production culturelle.

Tenter d'appliquer le modèle théorique d'Attali, aussi brillant soit-il, au cas de la Chine est périlleux. La musique comme expression des sentiments humains et outil de pouvoir n'a pas la même évolution, la même mise en forme dans l'espace et le temps, ni même dans sa présentation au publique, en Chine et en Occident. Si, dans les temps les plus reculés, « la musique comme sacrifice » dont parle Attali s'applique sans ambigüité à l'expérience musicale chinoise (puisque la Chine est un berceau de l'humanité, et les outils qui nous permettent d'étudier ces périodes où l'humanité débute sont limités et donc plus facilement mis en commun et acceptés; dans ce cas le savoir occidental s'appuie sur les données chinoises) et si l'expérience de la mondialisation à notre époque permet de constater une situation quasi identique de l'état de la musique en Chine et en Occident qui correspond à ce qu'Attali décrit comme « la musique et la composition » (même si l’on constate un décalage d’une vingtaine d’années en ce qui concerne le marché et avant cela « la répétition »), il semble difficile de placer dans l’Histoire chinoise « la représentation » et même « la répétition » (plus facile que l’étape précédente tout de même), tant la musique chinoise se revêt

253 d’atemporalité puisque qu’elle est une production artistique issue d’un moule culturel caractéristique.

La musique prouve que le commencement de l’activité humaine a une origine commune et une fin similaire. Comme si les quelques 4000 ans d’histoire musicale de part et d’autre n’étaient que des chemins différents offerts pour explorer le champ des possibles, selon ses sensations culturelles et auditives en utilisant les mêmes outils naturels et en convergeant vers une globalité.

254 VI. ANNEXES

1. Annexe numéro un

Musique et Musicothérapie en Chine, article tiré de la page internet

http ://www.taoyin.com/beauxarts/musique_musicotherapie.htlm.

A l’origine, l’Empereur Jaune, Wangdi, souhaitait utiliser les sons, donc la

musique, comme moyen thérapeutique. Il ordonna donc la fabrication

d’instruments de musique liés aux sons des Cinq Eléments (Wuxing). Le

premier instrument créé dans cette attente fut, selon la tradition, le " Tube

étalon de bambou " (Wang Zhong) confectionné à partir de bambous

cueillis à l’Ouest de Dahia (Ta Hia) dans la vallée de Yeqi (Hie Ki). Il

produisit un son très pur, cette fameuse " Note Jaune " qui servit alors

d’étalon au fur et à mesure que le bambou fut rempli de grains. Cela permit

de donner une mesure idéale de quatre vingt une unités, ce qui

correspondait au carré de neuf, chiffre emblème de l’énergie créatrice du

Ciel... donc de l’empereur. Grâce à des recherches récentes, il fut

déterminé que le son initialement produit par cet instrument de bambou

correspond, ou peu s’en faut, à la note fa.

Il fut donc créé un instrument comprenant douze tubes sonores, le Lu, qui,

à cause de son origine de bambou, correspondit à l’élément Bois. Ce fut

donc également, par métaphore, l’instrument de l’empereur... donc du

Dragon. Il fallait bien qu’un autre instrument puisse lui répondre afin que

l’énergie vitale soit harmonisée. Wangdi étant un adepte de l’alchimie

255 taoïste, il décida donc que cet instrument correspondrait au Tigre et serait de métal. On fondit donc une cloche de bronze accordée, le Jin Zhong.

Les notes produites par cinq instruments avaient donc pour but d’influencer les organes et, par conséquence, les états psychologiques. L’orchestre classique était donc alors considéré comme un moyen thérapeutique et comme un instrument de pouvoir puisqu’il était en mesure de " corriger le cœur de l’homme ". Dans l’esprit de Wangdi la musique ne servait donc pas

à " adoucir les moeurs " mais bel et bien à diriger les corps et les esprits en utilisant le rite. Ce fut donc probablement l’un des premiers dictateurs à utiliser à grande échelle le pouvoir de la musique à des fins politiques.

Ce principe essentiel fut, par la suite, repris et utilisé sans exception par tous les régimes politiques qui se succédèrent en Chine. Le Yijing (Yi King), ou Livre des Mutations, grand classique de la Chine s’il en est un seul, situé

à la confluence des philosophies taoïstes et confucéennes, ne peut être plus direct à ce sujet : " Il n’y a rien de mieux que la musique pour réformer les us et coutumes des peuples ". Kongzi (Confucius) ne pouvait donc qu’approuver ce point de vue et influencer profondément les relations

étroites existant entre la musique et le pouvoir pendant plusieurs millénaires.

La musique classique, de par ce simple fait, fut toujours considérée comme presque exclusivement rituelle et tenait un rôle important dans les affaires de l’Etat. Il n’y a rien d’étonnant au fait que le ministre de la musique, poste instauré sous la dynastie des Zhou (1122-256 avant J.C.), soit considéré comme l’un des plus importants personnages de l’état. Le fait que cette musique soit essentiellement rituelle ne veut pas dire qu’elle manque de force émotionnelle. On relate le fait que Kongzi (Confucius) perdit le goût de

256 tout aliment pendant plus d’un mois, tant il en fut enchanté, en écoutant un morceau de musique composé 1600 ans plus tôt par Ta Shao !

Des Cinq Instruments de l’Empereur Jaune, on passa assez rapidement aux Huit Instruments Classiques. En effet, si " Les Cinq Mouvements (ou

Cinq Eléments, Cinq Dynamismes, Cinq Agents.) se matérialisent sur Terre, les Huit Trigrammes (Bagua ou Pa Kua, les Huit Figures) potentialisent l’Energie Céleste ". Ces instruments furent mis en relation avec les huit orients et furent à la base de l’orchestre classique actuel. La musique chinoise classique est primitivement mélodique et utilise une gamme pentatonale, mais deux demi-tons furent ajoutés en 600 avant J.C. tandis que sous la dynastie des Ming, en 1596, furent inventés les " Douze liu tempérés "... soit un siècle avant l’adoption en Europe de la gamme chromatique tempérée.

Aussi, aujourd’hui ressemble-t-elle à la gamme occidentale. Mais, même en absence d’harmonie, la musique chinoise antique n’était pas simple puisqu’un musicien traditionnel utilisait alors 84 gammes contre les douze modes majeurs et mineurs de la musique occidentale ! La transcription musicale, par contre, n’existera en Chine qu’à partir du huitième siècle, l’enseignement musical se faisant presque exclusivement oralement par tradition de maître à disciple. Concernant toutes les compositions antérieures à cette date, il convient donc plus de faire confiance à l’homme plus qu’à l’écrit... cela n’empêche nullement, au contraire, que de très nombreuses compositions soient parvenues intactes en évitantles altérations des copistes.La tradition étant toujours très vivace en Chine il

257 est toujours fort rare qu’un orchestre classique utilise une partition ce qui serait considéré par les puristes comme un manque total de conscience professionnelle.

Cela rappelle quelque peu l’affirmation du Prince Liu An (180 Avant J.C.) dans le Wainanzi (Huai Nan Tseu) et concernant la pratique des gymnastiques de santé (Daoyin):

« Méfiez vous particulièrement de ceux qui se bornent à une pratique exclusivement physique. Ce ne sont que des gymnastes. Là où il faudrait entendre parler des échanges harmonieux entre le Ciel et la Terre, la création et la production, ils ne parlent que d’organes et de mouvements viscéraux. Les immortels des temps jadis ont bien utilisé ces pratiques mais ils ne se limitaient pas à la seule notion du physique. Leur esprit n’était pas

étroit. Libre à vous de vous enliser dans cette voie restreinte et sans issue en suivant des enseignements limités par la contrainte de la matière, de la structure et de la forme ».

On distingue toujours actuellement la musique classique rituelle,

dite " Musique de Cour " de la musique liturgique classique dite " Musique

de Temple ".La première est apparentée à la philosophie confucéenne, la

seconde est de tendance plus ou moins religieuse puisque liée aux

principes bouddhistes et taoïstes. La première est généralement une

musique chorale lente et imposante accompagnée de flûtes et

d’instruments à percussion tandis que les musiques liturgiques consistent

258 en une psalmodie rythmée par un orchestre.

La " Musique des Hommes Cultivés " représente une autre forme classique liée à des compositions personnelles se devant, malgré tout, de respecter des règles précises. Elle est également dite " Musique Civile "

(Wen). Pendant très longtemps la musique populaire, bien que classique, fut représentée par le répertoire de l’opéra chinois... Ce genre particulier représente le plus souvent l’image que l’on se fait, en Occident, de la musique chinoise. Destinée à un très large public, et ceci depuis des siècles, elle est, en fait, extrêmement simple et ne comporte, en réalité, qu’une trentaine de mélodies utilisant des variations liées à l’intrigue de la pièce. Quelque peu bruyante, éraillée et criarde elle n’en représente pas moins une tradition musicale très originale.

Enfin, toujours très représentative, la musique folklorique fait également partie de l’héritage chinois. Elle se compose de multiples pièces, souvent très anciennes, liées principalement aux activités agraires mais

également à tous les domaines de la vie publique et privée de la Chine des campagnes et des villes. Il existe donc de multiples compositions liées aux semailles et aux moissons, aux fêtes villageoises, aux

épousailles, aux enterrements, au départ des conscrits... ainsi que des morceaux particuliers aux charretiers, bateliers, carriers et mille autre professions. Certains de ces morceaux font désormais partie du répertoire classique. Il convient, dans ce cadre, de ne pas oublier les multiples formes musicales spécifiques aux diverses ethnies présentes sur le sol chinois... La fameuse trompette du Shanxi (So Na) ainsi que le

259 " violon barbare " (Hu Jin) à deux cordes, instruments issus de ce folklore ont désormais leur place dans les instruments classiques. Il existe, par ailleurs, une relation étroite entre la langue chinoise et la musique chinoise.

Le chinois étant une langue à tons il est donc parfois difficile de trouver une limite entre la langue parlée et le chant. Encore de nos jours de multiples corporations utilisent, dans le cadre professionnel des mélopées spécifiques à leurs activités. Que ce soit sur les marchés, dans certains magasins, au restaurant, en salle des ventes on reconnaît immédiatement, grâce à des airs distinctifs, la catégorie de transaction en cause.Enfin, plus récemment, on assiste très naturellement à l’adaptation de courants musicaux modernes qui concilient la tradition musicale chinoise dite classique avec la musique symphonique occidentale ou des formes musicales plus actuelles. Il existe donc un Rock chinois très particulier à la fois créatif et quelque peu nostalgique puisqu’il retrouve parfois le son original et dépouillé de la musique la plus antique.

260 L’orchestre le plus caractéristique demeure celui de l’opéra dit de Pékin, considéré comme plus classique que son confrère de Canton à vocation essentiellement populaire. La musique traditionnelle de l’opéra de Pékin représente un style particulier nommé Pi Wang lequel se compose de deux parties, le Xi Pi, ou musique des occasions gaies et le Er Wang, ou musique des occasions dramatiques. L’opéra évolue donc toujours entre farce et tragédie. Depuis le siècle dernier cette différenciation tend d’ailleurs à s’estomper. Chacune de ces deux parties se subdivise elle- même en un mode vrai et un mode inverse. Le Xi Pi inverse étant peu utilisé on considère donc qu’il existe en réalité trois modes musicaux courants utilisés par l’orchestre. Cela implique la particularité spécifique que les instruments sont accordés en fonction du mode utilisé. Cette même musique est, ensuite, classée suivant deux catégories particulières... le principe civil (Wen) et le principe militaire (Wu).

Dans la musique " civile " (Wen) les instruments à corde et à vent prédominent produisant une musique aiguë, douce et captivante qui accompagne le chant. Dans la musique " militaire " (Wu) ce sont les instruments à percussion de métal et de bois qui prédominent mettant en valeur les acrobaties et les combats accompagnés par des déclamations.

L’orchestre de scène se compose de huit à dix instruments mais peut comporter jusqu’à vingt quatre musiciens. Il n’existe pas de chef d’orchestre puisqu’il n’existe pas de partition et que chaque musicien se doit de parfaitement connaître chaque mélodie dans son moindre détail.

Par contre, dans cet orchestre, l’instrument le plus important est constitué d’un petit tambour au son aigu. Un musicien placé dans une partie de la

261 scène nommé " La bouche des neuf dragons " utilise ce tambour nommé

Xiao Gu ou Tan Bi Gu (petit tambour ou tambour à une peau) qu’il frappe avec une baguette afin de donner la mesure tant aux autres musiciens qu’aux acteurs. Il commande donc tant le chant que les cordes, les bois, les cuivres et les percussions. L’orchestre de scène (Chang Mien) se compose principalement du " violon barbare " ou " luth étranger ", le

Huqin utilisant des cordes en boyau et un archet de crin pris entre les deux cordes. Il est destiné à doubler le chant avec une sonorité criarde et sauvage. C’est, en quelque sorte, le premier violon de l’orchestre. D’une sonorité plus douce et plus harmonieuse viennent, ensuite, les violons à deux (Erhu) et quatre cordes (Sihu). Ces violons sont accompagnés par les luth chinois à trois et sept cordes (Qin). Dans les instruments à cordes il faut encore compter la " guitare lunaire " (Yue Qin) à quatre cordes et le fameux Piba (Pipa). Les instruments à vent comprennent une flûte droite

à cinq trous (Siao), une flûte traversière à six trous longue de 66cm

(Titzu) de sonorité très claire et un orgue à bouche composé de treize ou dix sept tuyaux de bambou munis d’anches et montés sur une calebasse

(Sheng). Certains orchestres utilisent encore le Guan, tuyau sonore à huit ou neuf trous et le Suona, ou hautbois chinois à anche double et à la sonorité très mélancolique.Mais aucun orchestre classique ne serait complet sans les fameuses percussions. Originellement très nombreuses et utilisant le bois, le bronze, le jade, l’airain ou le cuivre, elles se sont assagies et ne comprennent plus que quelques instruments très particuliers.

262 En premier lieu vient la fameuse cloche isolée (Bozhong), rarement utilisée, vient ensuite le carillon musical composé de seize cloches suspendues (Bianzhong). Ces carillons pouvaient, jadis, comporter jusqu'à soixante quatre cloches. A ces cloches répondent les gongs et, particulièrement le Yunlo composé d’une dizaine de gongs suspendus à un cadre de bois. Aux deux extrémités de ce cadre figurent le " petit gong " (Xia Lo) destiné à annoncer les actrices et le " grand gong " (Ta

Lo) utilisé dans les scènes d’action. Jadis on utilisait également les carillons de pierres musicales (Bianquing) comportant seize pièces de jade suspendues et rendant un son cristallin.

L’orchestre des percussions se compose, enfin, de divers tambours (Gu) ainsi que d’instruments de bois comme les planchettes à frapper (Poban), servant à marquer les temps forts, le poisson de bois (Muyu), instrument d’origine bouddhique rendant un son très guttural. Le fameux tigre musical (Yu), couché sur une boite de résonance est tombé en désuétude. Le musicien frappait la tête du tigre trois fois puis, avec le même bâton parcourait le dos du félin hérissé d’une série de vingt sept dents. Il était jadis utilisé pour marquer la fin d’une strophe. Il fut, peu à peu, remplacé par les cymbales (Po) de laiton ou de cuivre dont l’intempestive sonorité métallique écorche les oreilles occidentales à la fin de ces mêmes strophes.On peut donc s’ennuyer mais rarement s’endormir bien que certains écriteaux communs à de nombreux théâtres chinois affirment encore " Il est permis de manger et de boire mais non de cracher ou de ronfler pendant les représentations ! ".

263 Le chant, quant à lui, est dans l’opéra chinois, ce qui étonne ou agace le plus le spectateur occidental. Il ne s’agit pas, en fait, de chant mais d’une déclamation très particulière, le Bai, qui est un résumé du personnage, de sa situation dans la pièce. Ce Bai est donc récité d’une voix de fausset et est soumis à un rythme précis défini par des règles immuables dont l’intonation et le débit dépendent du personnage et varient suivant la situation à un moment donné de l’action. La langue chinoise étant monosyllabique il est donc nécessaire de s’exercer pendant de longues années afin de restituer les intonations et les inflexions spéciales destinées à exprimer de multiples situations sans qu’aucune émotion ne vienne troubler l’ordre des choses.

Une fois encore l’opéra chinois puise ses sources dans la tradition la plus classique de la Chine antique et le Liji (Li Ki), ou Livre des Rites, attribué

à Kongzi (Confucius) en fixe les limites :

" Les sons clairs et distincts représentent le Ciel Yang, les sons forts et puissants la Terre Yin. Le commencement et la fin des morceaux représentent les saisons, les évolutions représentent les mouvements des vents et de la pluie. Les Cinq sons principaux de la gamme imitent les

Cinq Mouvements et représentent les Cinq Couleurs qui composent un tout élégant sans jamais se confondre. Les huit sortes d’instruments imitent les Energies (Qi) des huit directions principales qui correspondent

également aux douze tubes musicaux et ne s’en éloignent jamais. La mesure et la cadence sont constamment sous la garde de l’Esprit (Shen).

Les sons aigus et graves se complètent les uns et les autres. Les sons

264 clairs et les sons voilés s’accompagnent mutuellement et tour à tour commencent et dominent le chant. Lorsque la musique est florissante, les devoirs attachés aux cinq relations sociales sont bien remplis. Les yeux et les oreilles perçoivent clairement. Le sang et les esprits vitaux sont en

équilibre, les exemples des grands deviennent meilleurs, les moeurs sont réformées et la tranquillité règne partout sous le Ciel.

265 2. Annexe numéro deux

Robert Morrison, premier missionnaire en Chine, article tiré du site internet http://www.chine-informations.com/guide/robert-morrison-1er- missionnaire-en-chine_147.html.

Robert Morrison est né en 1782 de parents Écossais. Il est devenu

Chrétien à l’âge de 15 ans. Peu après, il reçu l’appel au ministère. Il voulait être missionnaire en Afrique, mais ses parents se sont fortement opposés à lui. Après la mort de sa mère en 1802, et contre les souhaits de son père, où il s’est inscrit à une formation en théologie et mission. Il a offert ses services à la Société Missionnaire de Londres. Ce fut difficile, surtout quand son père lui écrivit en se plaignant que la compagnie familiale souffrait à cause de son absence et en ajouta que lui-même ne se sentait pas bien. Par retour de courrier, Robert expliqua « qu’ayant mis la main à la charrue, il ne pouvait plus regarder en arrière ».

Un jour le jeune homme a écrit cette prière dans son journal : « Jésus, je me suis donné entièrement à ton service. La question qui me préoccupe est, où te servirais-je? J’ai appris dans ta Parole que ton saint plaisir est que l’Évangile soit prêché dans le monde entier. Mon désir est, Oh Seigneur, de m’engager là où les travailleurs sont le plus en manque. Peut-être qu’un lieu sur le champ est plus difficile qu’un autre. Bien que je me sente inapte, je sais que je peux faire toutes choses par ta puissance qui agit en moi. Oh Seigneur, guide-moi. 266 Rends-moi capable de compter le coût, et après être arrivé à une résolution, d’agir avec consistance ».

Sa prière fut richement répondue. Morrison fut le premier missionnaire protestant en Chine. Il fut appointé à Canton (Guangzhou) en Chine en 1807. Ses premières années en Chine furent très difficiles. À cause des édits impériaux, il a dut passer la plupart de son temps caché. Il a déménagé dans une cave et était très rarement vu en public. Il se consacrait à l’étude de la langue chinoise. Sa santé souffrait du manque d’air frais et d’exercice. Puis quand ses enfants ont eu sept et neuf ans, sa femme Mary est morte du choléra. En dépit de toutes ces difficultés, Morrison put maîtriser la langue et fut embauché comme interprète. Il a passé vingt-cinq années à traduire la Bible entière et plusieurs autres livres utiles pour la propagation de la foi. Il a aussi produit un dictionnaire chinois en six volumes ainsi qu’un livre de grammaire chinoise. Il est mort à canton en 1834. Il a été enterré à

Macau où une chapelle a été construite en sa mémoire. Bien qu’il n’ait vu que trois ou quatre conversions, il a pavé la voie pour les futurs missionnaires en Chine.

Morrison continue aujourd’hui d’être une inspiration. Deux cents ans plus tard, plusieurs missionnaires marchent encore humblement dans ses traces. L’apôtre Jean a écrit que « …c'est pour le nom de Jésus

Christ qu'ils sont partis, sans rien recevoir des païens. » et nous devons « accueillir de tels hommes, afin d'être ouvriers avec eux pour

267 la vérité. » Nous rendons témoignage et honorons la foi, la discipline et la consécration de Robert Morrison. Nous prenons part à son travail en continuant ce pourquoi il a donné sa vie; apporter la Parole de Dieu en Chine et enseigner la Vérité.

268 3. Annexe numéro trois

Asia : Co-figurative Identification par Naoki Sakai, de l’université de Cornell.

Regardless of whether it is civilizational, national, ethnic or racial, all identity is, first of all, a matter of identification. Asia is no exception to this insofar as it is comprehended as the identity of some collectivity. No individual or group can claim itself to be Asian unless, in its outward reference, it is distinguished from and contrasted to some entity that is not Asian while at the same time being identified, in its inward self-restitution, with Asia. In this respect Asia should be just like any such collective identities as civilizational and geopolitical identities - the West, Europe, the Americas, Africa, the East, the New World -, national identities - Chinese, British, Russian, Indonesian,

U. S. American, South African, Brazilian - and racial identities - White, Black,

Yellow, Semites, Mongolian and so forth.

As Étienne Balibar said with regard to the problem of collective identities in generali, all the geopolitical identities are fundamentally ambiguous. The ambiguity inherent in the Asian identity is not unique. In talking about the

Asian identity and the transitional predicament in which this identity is currently perceived to be situated, what is at issue is neither its inherent ambiguity nor its complexity: it is instead the historically specific modes and modalities of its identification. The globally-accepted general consensus dictates that Asia is primarily one of the four major geographic regions (five when including Oceania, and six when separating North and South

Americas or including the Antarctic). It is often mistakenly regarded as one 269 of the large continents of the world, but as a cursory glance immediately reveals, it is not a continent just as Europe is not. While the concept of continent is extremely dubious and has been called into question within the domain of geographic knowledge Asia is qualified even less as a name for a geographically identifiable area of the globe. Nonetheless the presumption that Asia is essentially an expansive but enclosed geographic landmass persists. This presumption forms an operational dogma that the identity of

Asia is somewhat anchored in the location of a place through cartographic imagination.

It goes without saying that, following the colonization by European powers of many parts of the world, such a presumption began to be accepted by the elite in various communities across the globe. Today the term Asia - or its equivalent in a local language - is instantly intelligible with respect to its connotation despite the fact that there is an extremely wide variety of its uses around the world. It is widely believed that Asia is a certain proper name that indicates a vast geographic area with a huge resident population.

Accordingly, some people might assume that those who live in the geographic area called Asia are naturally designated as the Asians and that some common history or cultural attributes must be intrinsic to those who inhabit this vast area called Asia.

As a consequence of this, of course, it does not necessarily follow that the people thus called Asians are able to gather themselves together and build some solidarity among themselves through the act of self-representation or

270 auto-determination by enunciating ‘we.’ Clearly there is a wide gap between the fact that the population is described as Asians by some observers standing outside the population – we will inquire into the conceptual specificity of this "outside” or externality below – and the self-assertion by the people themselves in terms of the name attributed to them. Some sort of leap is required in order to move from the state of being described as

Asians by some outside agents to the self-representation as a subject. And let us not be negligent of a historical verity that such a situation did not exist until the late nineteenth century, so that, before that time, the majority of residents in Asia did not know they were living in Asia and referred to as

Asians by Europeans. Until then, generally speaking, there were objects designated as Asians but there were no subjects who represented themselves by calling themselves Asians. Only in the late nineteenth century did a few intellectuals begin to seriously consider the plausibility of turning the objects ‘Asians” into the transnational and regional subjects of

Asia. In this respect one can never overlook the particular genealogy of

Asia: that the name Asia originated outside Asia, and that its heteronomous origin is indubitably inscribed in the notion of Asia, even if it cannot be taken as a geographic or cartographic locality.

271 4. Annexe numéro quatre

Article tiré de la page internet http://www.jeunesses musicales.be/Dpeda/LiuFang.pdf.

Le système chinois est essentiellement non-évolutif : il n'a pas connu de progrès ni subi de mutations radicales. Depuis des millénaires, la musique repose sur les mêmes bases philosophiques. Les sons, les modes, l'utilisation des instruments, le rituel des cérémonies sont réglés par l'astrologie et la cosmologie. La musique traditionnelle peut

être écrite ou transmise par le professeur à l'élève, qui la mémorise ensuite. Elle est souvent à caractère descriptif.

272 5. Annexe numéro cinq

Cette annexe explique que le texte de la chanson de Zhou Jielun, Ta de jiemao 她 的 睫毛 , dans sa sonorité et son interprétation, se rapproche beaucoup d'un titre chanté en anglais.

tādejiémáo ;她的睫毛 qīnàidezǒngyǒuxiēshìméibànfǎj ;亲爱的总有些事没办法教 biǎocuòqíngdegǎnjuéyǒuyìdiǎnz ;表错情的感觉有一点糟 làizhebúzǒuhuìràngrénhěngǎnmà ;赖着不走会让人很感冒 yǐshàngzhèdàolǐwǒquándōule ;以上这道理我全都了 wǒjiāngbùgāifàndecuòdōumòbèih ;我将不该犯的错都默被好 zǐxìguānchátādexǐhào ;仔细观察她的喜好

érwǒ jǐn péng dewàibiǎo ;而我 ;紧 ;棚 ;的外表 xiàngshàngjǐnhòudefātiáo ;像上紧后的发条 děngtādedáàn jiē shǒu ;等她的答案 ;揭 ;首 tā de jié máo wān de zuǐ jiǎo ;她 ;的 ;睫 ;毛 ;弯 ;的 ;嘴 ;角 wúyùjǐngdeduìwǒxiào ;无预警的对我笑 méiyǒuyùzhàochūhūyìliào ;没有预兆出乎意料

273 jìngránxiānduìwǒshìhǎo ;竟然先对我示好 tādejiémáowāndezuǐjiǎo ;她的睫毛弯的嘴角 yòngyǎnshénduìwǒpāizhào ;用眼神对我拍照 wǒjièbúdiàotādewēixiào ;我诫不掉她的微笑 yángyìxìngfúdewèidào ;洋溢幸福的味道

yǒuxiēshìméibànfǎjiào ;有些事没办法教 biǎocuòqíngdegǎnjuéyǒuyìdiǎnz ;表错情的感觉有一点糟 làizhebúzǒuhuìràngrénhěngǎnmà ;赖着不走会让人很感冒 yǐshàngzhèdàolǐwǒquándōule ;以上这道理我全都了 biànàidefāngshìwúfǎnábǐlái chāo ;变爱的方式无法拿笔来 ;抄 yěméiyǒuguīzékěyǐqǔqiǎo ;也没有规则可以取巧 bèi dòng de yuán fèn hěn bù kě kào ;被 ;动 ;的 ;缘 ;分 ;很 ;不 ;可 ;靠 xǐ huan de duì xiàng yào zì jǐ tiāo ;喜 ;欢 ;的 ;对 ;象 ;要 ;自 ;己 ;挑 tā fěn nèn qīng xiù de wài biǎo ;她 ;粉 ;嫩 ;清 ;秀 ;的 ;外 ;表 xiàng shì duō zhī de shuǐ mì táo shuí dōu ;象 ;是 ;多 ;汁 ;的 ;水 ;蜜 ;桃 ;谁 ;都 xiǎng yǎo ;想 ;咬

274 tāzuǐshàngliàngde chén gāo ;她嘴上亮的 ;辰 ;膏 yǒuyīgǔzìxìndejiāoàowǒkàndédà ;有一股自信的骄傲我看得到 tāfěnnènqīngxiùdewàibiǎo ;她粉嫩清秀的外表 xiàngshìduōzhīdeshuǐmìtáoshuí ;象是多汁的水蜜桃谁都想咬 tāzuǐshàngliàngdechéngāo ;她嘴上亮的辰膏 yǒuyīgǔzìxìndejiāoàowǒkàndédà ;有一股自信的骄傲我看得到

La manière de chanter, calquée sur les interprètes de pop anglaise, ainsi que la façon de jouer sur le son de la langue chinoise pour la rendre "anglicisée", accentuent les similarités esthético-auditives qui existent entre le titre en langue chinoise et celui interprété en langue anglaise.

275 6. Annexe numéro six

L’analyse économique de la musique enregistrée, article tiré de la page internet http://editions.bnf.fr/pdf/revue/extrait16.pdf.

276 277 278 7. Annexe numéro sept

Dantès 戴亮 : Le premier chanteur français qui écrit et interprète en chinois mandarin.

ème Dantès est un artiste français du XXI siècle qui fait vivre ses chansons. Il les écrit et les interprète aussi en chinois. Dantès est partisan d'un nouveau monde sans frontières, sans préjugés…

Artiste Lyonnais, Christophe Hisquin (vrai nom de Dantès) est lié à la culture chinoise depuis l'âge de 12 ans, lorsqu'il fait le pari d'étudier le chinois mandarin en première langue vivante. Les années passent, le style musical de Dantès se dessine peu à peu, influencé par la pop anglaise et la chanson française. Puis, en 1995, Dantès pose le pied dans l'Empire du milieu. La rencontre avec CuiJian, pionnier du rock chinois, lui donne l'envie irrésistible d'aller chanter en Chine. Après l'enregistrement d'un maxi cd en français qui plaît au public lyonnais, Dantès s'envole en 2000 pour une année en Chine, à Shanghai, où sa carrière artistique chinoise débute.

Télévision, cinéma, publicité, la bouffée d'oxygène asiatique porte l'artiste de 22 ans à songer à une idée toute particulière : composer un album en chinois. Rentré en France, Dantès concocte en 2003, en coproduction avec le studio Backstage, un album de 22 titres, 11 en français et 11 en chinois mandarin, qu'il interprète lui-même sur le disque. En 2004, Dantès est à nouveau en Chine, au conservatoire de Shanghai, pour, entre autre,

279 faire vivre sa musique dans cette partie du globe. En 2006, le double album

"Parfums d'Extrêmes" est publié et distribué en Chine.

L’article suivant, rédigé par le journaliste musical Leo Dong sur l’artiste

Dantès Dailiang 戴亮 est paru dans la revue mensuelle 生活在 High, en septembre 2006, lors de la soixantième édition, à la page 89 :

游吟诗人,在中国不多。对于一个来自法国的老外来说,要实现这个梦想,

从旁人眼里来看可能更难了。初次跟 Dantès 的交流是在初夏的新天地,我们

坐在 « 星巴克 »的咖啡椅上,他跟我说我叫 « 戴亮 »。这个名字,是中国的

朋友给的。而他告诉我,他一直坚持用中文来撰写歌词,并自行演唱。他对

中国的情,都写在歌里,你能从他的吟唱中,感受到一个法国人对中国那独

有的中国情结。

« 我就是喜欢中国,我在大学的时候,选修的也是中文 »。他无不自豪地跟

我说。于是,有了这张意义非凡的唱片。记忆中的外国人唱中文歌,都有着

那么一丝的土气。也就是我们平常能够聆听完之后,悠然地一笑,然后说唱

得太像了。

因为刻意地模仿中国人的味道,有些搞笑的成分,我们给予这样的评价。而

戴亮拒绝了这样的形式,他的音乐,认真而严谨,自然而不造作。

我在头一次听的时候,即刻被他的音乐天赋与音乐中透出的那份真诚所打

动。他的歌词直而充满真情,描绘了自己 2000 年去北京。一直到 2006 年来

上海的不同经历。参合着骄傲,感动,柔情与浪漫。音乐元素也竭力表现了

这些个特点,摇滚的,民谣的,流行的。。。

280 他并不去模仿中国流行那些被音乐人不值一提的东西,而是作为一个独立音

乐人,真诚的去用音乐表达自己在中国的点点滴滴。于是,有了自主回法国

录音 ; 于是,有了自主洽谈发行出版业务 ; 于是,有了这张中文首张专辑。

Traduction :

Un poète voyageur qui débarque en Chine. Pour les proches du Français, réaliser le rêve qui est décrit par la suite semble impossible. J’ai rencontré pour la première fois Dantès au café Starbucks de Xintiandi, à Shanghai. Il m’a dit : « Je m’appelle Dailiang » C’est un nom qu’un de ses amis chinois lui a donné. Puis il me confie qu’il écrit des chansons en chinois, un mélange de France et de Chine. « J’aime la Chine, lorsque j’étais à l’Université, j’ai étudié le chinois.» Il m’a dit ça fièrement. C’est pour ça que ce disque hors du commun a vu le jour. Il me vient à l’idée que lorsque les

Etrangers chantent les chansons chinoises, c’est gentillet et amusant. Les

Etrangers veulent imiter le style chinois, et pour nous ça en devient un peu grotesque. Dailiang refuse ce positionnement ; sa musique est sérieuse et naturelle. A la première écoute, j’ai été touché par sa sensibilité musicale et sa sincérité. Les paroles, vraies, décrivent ses expériences en Chine et entre 2000 et 2006, à Shanghai. Orgueil, sensation, douceur, romantisme.

Musicalement rock, folk, pop…

Il n’imite pas la pop chinoise contrôlée dans sa production, il est indépendant, à travers la musique il exprime ses sensations vécues en

281 Chine. Il enregistre en France à ses propres frais, achète une existence juridique musicale en Chine et sort ce cd écrit en langue chinoise…

282 8. Annexe numéro huit

Cette annexe présente les documents officiels qui permettent à un album d’être légal sur le territoire chinois. Ces documents ont été produits pour le double album franco-chinois Parfums d’Extrêmes 我记得你 de Dantès 戴亮, produit par Christophe Hisquin et le Studio Backstage et édité par

Zhongguo kexue wenhua yinxiang chubanshe 中国科学文化音像出版社 en

2006.

283 284 285 286 9. Annexe numéro neuf

Gestion de la Sacem, article tiré de la page web http://saceml.deepsound.net/archives/archi45.html.

Bonjour tt le monde, pas de panique, pour gagner un peu d'argent en tant qu'auteur dans des concerts, il faut se lever de bonne heure !

Les bars qui programment un peu, on n'en parle même pas, ils payent un forfait à l'année selon beaucoup de critères (superficie,...). La Sacem n'épeluchera jamais les programmes de 50 sombres groupes ayant fait des reprises pour verser la somme de 2,78 F aux héritiers de Jimmy Hendrix via une des 2 sociétés américaines (BMI ou ASCAP) qui prendront eux aussi un % de gestion. Parce que c'est le nerf de la guerre, la sacem se rémunère en prenant ce %, il est + ou - élevé suivant le type de droits (il faut bien payer les gens qui matchent l'argent sur les comptes des sociétaires et ceux qui vont le prélever dans tous les bars). C'est pour les DEP issus des concerts que le % est le + élevé, dans les petites salles qui programment des vrais concerts (billeterie,...) les frais peuvent avoisiner 30 à 40 % et peut-être plus mais c'est impossible à savoir.

Imaginez donc pour un bar qui payent peu de Sacem (allez, 5000 F à l'année c'est déjà pas mal), les frais de gestion qui pourraient être occasionnés par des recherches sur 40 programmes (qd ils sont remplis et correctement

287 rédigés) de divers groupes inconnus qui mélangent compos et reprises : impossible, on aurait du 200 à 300% de frais de gestion et la sacem en a rien à foutre.

Donc c'est comme pour les petites radios, les droits collectés sont répartis au + gros (tournées importantes,...)

Moralité, si vous voulez toucher des droits par la sacem, il faut :

- vendre des disques ou au pire en faire fabriquer (les droits phono sont les mieux répartis et + justement)

- jouer dans des grosses salles (théatres, scènes nationales, gros festivals ou aligner 50 dates dans le réseau Fédurock)

- passer sur les radios périphériques (France Inter, FIP, RTL, Europe 1) ou rentrer en play list sur des gros réseaux (NRJ,...)

- faire de la musique de pubs ou de téléfilms qui passent en prime time sur les chaines hertziennes (Canal + le mieux puis TF1 et France TV), oubliez les chaines cablées cela ne rapporte rien (certaines ne payent même pas de droits)

- les droits dans les salles de cinéma sont bien répartis mais cela est négligeable par rapport aux droits TV (à moins de faire 1 million d'entrées)

Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'on n'est pas membre SACEM qu'un organisateur ne devrait pas payer des droits aux auteurs. La sacem donne une autorisation systématique dès lors que les droits sont payés (sans consultation des auteurs si on ne porte pas atteinte à leur droit moral)

288 mais si l'auteur n'est pas membre, l'organisateur devrait dealer directement avec l'auteur et obtenir son autorisation (en théorie).

Ce n'est pas parce qu'on n'est pas membre Sacem que la loi française et le

CPI ne s'appliquent pas...

De : Marion

Au sujet de ces forfaits, comment répartissent-ils les droits ensuite?

Personnellement, je n'ai jamais donné de programme où que ce soit or il faut bien déterminer qui va les toucher . J'ai vu quelquepart qu'il existait un système permettant de répartir la majorité de droits aux titres les plus diffusés du moment, le reste étant réparti je ne sais trop comment. Est-ce comme cela que ça fonctionne?...SI c'est le cas, quelle manne pour les squatteurs au Top 50!

Voir l'excelent mail à ce sujet de Fabien, 10 mn avant le tien ! ;-)

Tout ce que la Sacem recupere comme droits, payés forfaitairement par les diffuseurs est effectivement reparti au prorata des plus grandes diffusions du moment (du top 50 si tu veux ! ;-)

La Sacem effectue un savant equilibre entre l'enorme tache qu'est la recuperation des droits de diffusions et les couts de cette perception / repartition.

Imaginez les millions de lieux en France qui diffusent de la musique !!

C'est gigantesque par le nombre, mais aussi par les conditions differentes

289 par lesquelles s'effectue cette diffusion.

Du supermarché au dernier congrès d'Arlette.

Du Sunset a Paris au Zenith de Lyon.

Des milliers de "petits" medias (radios, tv etc....)....

Franchement, ca m'amuserait de connaitre, sur une periode de 24 heures en

France, le nombre de titres du repertoire diffusés sur le territoire !!! ;-)

Innimaginable ! Impossible à gerer nominativement !

Donc la Sacem fait de son mieux (et peut etre peut-elle mieux faire.... ca c'est un autre debat).

Ce qui est un peu inquietant, c'est qu'avant même l'arrivée du numerique et des nouveaux moyens de diffusions (cable, sattelite, internet etc....)....c'etait deja enorme !

Avec ces nouveaux medias, la tache devient monstrueuse !

D'apres moi, c'est 20 Pierre Forest qu'il faudrait avoir à la Sacem !! ;-)

Non ?

A bientot,

JC / Deepsound

Gestionnaire de sacem

290 10. Annexe numéro dix

Clauses d’un contrat de vente de cd en gros chez un disquaire shanghaien.

291 11. Annexe numéro onze

Les Français sont-ils romantiques ? Article tiré de la page internet http://french.china.org.cn.htm.

Il y a quelques années, à Beijing, j'avais reçu un cadeau venant de France, une jolie petite canette, légère et très bien fermée. Curieuse, je mourais d'impatience de découvrir ce qu'il y avait à l'intérieur, mais à ma grande surprise, il n'y avait rien, absolument rien; quoi, une boite vide? Bouche bée, j'avais repris la canette, et cette fois, j'avais aperçu son étiquette : L'air de

Paris. Voilà, ce n'était pas une boite vide, elle était remplie de l'air de Paris!

Regrettant d'avoir laissé s'enfuir ce cadeau précieux, j'avais donc flairé tout autour de moi pour essayer de rattraper cet air qui était censé être différent de ceux d'ailleurs. Si l'air de Paris a vraiment quelque chose d'extraordinaire, tous mes amis à qui j'avais raconté cette anecdote disaient que cet air devait être romantique!

Pour les Chinois, les Français sont des gens romantiques, bien que mes amis français soient souvent étonnés par cette remarque. Personnellement, cette impression s'est même renforcée après mon arrivée en France. Ce pays n'est-il pas le berceau du romantisme? Ce sont les grands maîtres comme Hugo, Chateaubriand, Berlioz, Mme de Staël qui sont les piliers de l'école romantique littéraire et artistique au XIXe siècle. Et c'est depuis lors que le romantisme a imprégné l'état d'esprit des Français qui, épris d'art,

292 prônent la liberté d'esprit et la valeur personnelle, trois bonnes preuves de leur véritable romantisme.

L'avant-garde française

Être romantique, c'est avoir le courage et la capacité de remettre en question les règles existantes et les idées reçues, sortir de l'ordinaire et de la banalité. Si les Chinois se montrent conciliants sur la diversité, l'objectif est l'harmonie entre les différences. Les Français sont beaucoup plus sceptiques, ils ne cessent de discuter et de contester pour mettre en

évidence la différence entre les uns et les autres, entre les « avancés» et les « démodés». L'originalité est la qualité la plus vantée chez les Français.

Paris, berceau artistique et intellectuel, est ainsi devenu la capitale de l'art et de la culture pour les cinq continents. Et beaucoup s'émerveillent des idées géniales des Français. Pour souhaiter la bienvenue au nouveau millénaire, les Parisiens n'ont-t-ils pas réussi à faire voler la tour Eiffel, lourde de centaines de tonnes de kg de métaux, avec leurs feux d'artifice?

En été, des milliers de Parisiens et de touristes étrangers n'ont-ils pas le plaisir de se faire bronzer sur une plage au bord de la Seine ? Génial, non?

Le centre Pompidou est un musée qui a l'air d'une usine, le pont Charles- de-Gaulle ressemble à une aile d'avion, les exemples ne s'arrêtent pas là...

En comparaison de leurs amis de l'Hexagone, les Chinois se montrent parfois beaucoup plus hésitants; traditionnellement, la continuité nous est peut-être plus chère que l'innovation…

Les Français, les artistes de la vie

293 L'amour de l'art ne manque pas aux Chinois, nous sommes nous aussi un peuple plein d'imagination et de poésie. Li Po, grand poète de la dynastie des Tang, qui invitait la lune à prendre un verre avec lui et à danser avec son ombre, incarne le symbole du romantisme chinois. Mais cette aventure reste sur papier, toujours un rêve très loin de la vie réelle. Par contre, les

Français et les Françaises connaissent bien l'art de la vie ou plutôt vivent la vie en art, y mêlant l'inspiration et la création artistiques. Au Quartier latin,

Rive gauche, cœur du monde intellectuel français, il n'y a pas d'important musée d'art, mais si on pousse la porte d'un café, on peut tomber sur une conférence-débat au thème philosophique; au coin d'une rue, un concert improvisé, peut-être un peu plus loin, une exposition de photos en plein air.

L'art, la culture, les connaissances ne sont pas réservés aux salles des musées, à la scène des théâtres, ils font partie intégrante de la vie en général. Les habitants d'un petit village au bord de la Seine protestent contre leur maire qui a décidé de construire de nouveaux bâtiments; pourquoi croyez-vous? La raison avancée illustre bien mon propos : un tableau de Cézanne retrace le paysage du village qui disparaîtrait avec les nouveaux bâtiments. Pour les riverains, le paysage doit rester exactement le même que celui du pinceau du grand peintre, même au détriment du développement local.

À mon sens, pour les Français, la culture est omniprésente dans la vie quotidienne. On donne souvent une valeur artistique aux petites choses de tous les jours. Si une famille chinoise reçoit des amis à la maison, la

294 maîtresse va préparer de très bons plats, des délices rares, souvent chers pour montrer son hospitalité. Mais pour nos amis français, le plaisir ne s'arrête pas à la bonne chère : il faut aussi penser à la décoration de la salle à manger, aux bougies, aux fleurs, à la musique. Une fois, j'ai été invitée chez une amie ; ce soir-là, le thème du repas était la mer : la table

était donc décorée de coquillages de toutes les couleurs, de mâts minuscules ou de noeuds marins, on a même eu droit au bruit des vagues grâce au CD. Ce n'était pas un simple dîner, mais une évasion vers les mers lointaines.

La mise en valeur de la personnalité individuelle

Les caractères individuels sont davantage pris en considération en France qu'en Chine, et les Français disposent de plus de liberté pour s'exprimer en comparaison avec les Chinois qui se définissent par rapport à leur position dans la famille et dans la société. Un Chinois est le fils de son père, le mari de son épouse, le responsable de son travail, etc.; à chaque moment, il doit avoir un comportement approprié selon la place qu'il occupe dans les circonstances, ce qui l'empêche souvent de se révéler ses sentiments profonds. Pour la plupart, les Chinois sont réservés, posés, mesurés, même en amour qui est supposé donner un brin de folie. La scène typique des couples amoureux est plutôt la suivante : le mari travaille tard dans la nuit, sa femme vient lui apporter une tasse de thé, sans un mot, l'amour se dit tout doucement dans les regards.

295 Mais en France, les scènes d'amour ne manquent pas aux Français, de 7 ans à 77 ans ! Un jour dans la rue, j'ai même trouvé une déclaration écrite en toutes lettres sur le trottoir : Mon amour, sans toi, ma vie n'aurait aucun sens ! N'est-ce pas romantique?

Cet air de Paris, je l'ai respiré à pleins poumons. J'ai aussi trouvé la tendresse de son ciel romantique qui revêt son habit bleu quand on lui sourit; qui gronde sur les amants quand il en est un peu jaloux, mais qui leur offre un arc-en-ciel pour se faire pardonner ! Ce n'est pas moi qui connais si bien le tempérament du ciel parisien; c'est Édith Piaf, la môme de Paris, qui l'a chanté en ces termes!

Chine au présent 2004/08/05

296 12. Annexe numéro douze

La philosophie chinoise et l’image.

La relation qui existe entre l’image (la vidéo), le son (le titre musical) et le lien (interprétation) avec le spectateur auditeur semble se rapprocher

étrangement de la logique trinomique de la linguistique. Cette dernière possède trois variables. La première variable est le son, la manière dont la mémoire reproduit ce qu’elle entend. La deuxième variable, l’image, fonctionne par analogie tandis que la troisième composante est la relation entre le tout.

297 13. Annexe numéro treize

Cette annexe relate 2005 nian Waiguoren zhonghua caiyi dasai 2005 年外

国人中华才艺大赛 , (la Compétition d'arts chinois pour étrangers), qui se déroule chaque année depuis 1995.

2005 年“外国人中华才艺大赛”已经在全球范围展开。2005 年“外国人中华才

艺大赛”将举办 .其中复赛、决赛和颁奖暨大赛 10 年精彩回顾晚会,将于春节

前后在北京电视台黄金时间播出。本次大赛的复赛除了常规的歌舞、武术、

曲艺等传统中华才艺表演外,还加入展示选手自身对中国文化等方面认识的

环节。进入决赛的选手还将经过更高难度的才艺比试和更激烈的比拼,以产

生最后的“中华才艺总冠军”和二、三等奖及各类单项奖。

据了解,本次大赛的参赛方式非常简便,只要对中国文化艺术有兴趣、有一

技之长都可以报名参加,时间到 11 月 30 日截止北京电视台春节期间的品牌

节目“外国人中华才艺大赛”创办于 1995 年,到今年已经走过了十年的光阴。

十年间,大赛不仅吸引了众多外国朋友对中国文化的兴趣,其精彩的节目也

受到了电视观众的喜爱。“2005 年春节外国人中华才艺大赛”自举办以来,有

来自 40 多个国家的数百名选手报名参加。成为大赛自举办以来参赛人数最

多,参赛选手国别最丰富的一年。

298 与往年相比,2005 年才艺大赛的规模更为宏大,选手的中文水平,中华才艺

水平更为精湛。在传统的选手选拔的基础上,今年的大赛加入了全球各地设

立分赛区的概念,在北美、欧洲、日本等地了设立分赛区.现场和电视前的观

众将在轻松快乐的氛围中,欣赏到老外的才艺表演,了解外国人在中国的生

活状态,体现中国文化与世界文化的相互包容。

本次大赛由于外国选手才艺出众,水平相当,角逐异常激烈。选手们的精彩

表演不仅打动了现场的观众,也打动了现场的嘉宾评委。他们表示,没料到

选手的汉语如此流利,没料到选手的才艺表演如此精彩,没料到他们对中国

文化了解的如此精通,他们对中国的感情如此深厚。除了一二三等奖,优秀

奖,大赛还设置了最佳人气奖,最佳明星潜力奖和最佳创意奖。大赛还特别

推出了“走过十年”回顾晚会,邀请历届参赛选手和获奖者参加演出,展示 10 年

来从“外国人演唱中国歌曲大赛”到“外国人中华才艺大赛”所走过的辉煌之路。

同时,邀请重量级中外演艺嘉宾,和观众们一起回顾过去的岁月,展望美好

的将来。

“2005 春节外国人中华才艺大赛”的两场复赛、一场决赛、“走过十年”晚会和

本届才艺大赛的精编版将分别在 2 月 9 日(初一),2 月 10 日(初二),2

月 11 日(初三),2 月 12 日(初四)每晚 22 点 40 分,2 月 13 日(初五)

晚 19 点 40 分 BTV-1 套首播,并在春节期间安排重播。另外凤凰卫视欧洲

台、以及美国纽约中文电视、加拿大城市电视台等海外电视媒体也将播出本

次大赛的盛况。

299 参加本次大赛的选手中,既有来自美国的“中国媳妇”包伊文,又有来自乌兹别

克斯坦的“中国女婿”哈塔姆,而更多的选手也已经在中国找到了自己的心上

人。今年最突出的一个特点就是,选手们似乎已经不再满足于唱别人的歌,

而更热衷于自己创作,来自美国的张季明在用歌曲诠释自己在中国的经历,

来自澳大利亚的渴狗把中国歌曲改编的有滋有味,而来自法国的戴亮已经出

版了自己的中文歌曲 CD。

正如选手所说的那样,大赛对于他们来说,已经不像是一场比赛,而更像是

一个大的聚会,大赛给他们提供了一个展示自己的中华才艺和对中国文化了

解的舞台,同时他们认识了更多的朋友,更加了解了中国文化的内涵。

300 Traduction :

La Compétition d’arts de Chine pour les étrangers version 2005 a déjà commencé ses sélections dans le monde entier. Sa demi-finale, sa finale et une soirée de gala pour les dix ans de l’émission seront diffusées à la télévision de Pékin à une heure d’audience maximale. Toutes sortes de prestations sont attendues, danses, art martial, musique, tout en relation avec la culture chinoise. Les candidats qui arriveront en finale seront soumis à un plus grand challenge qui leur permettra de décrocher la première, deuxième ou troisième place, avec récompense à la clé. Cette compétition permet à n’importe quel étranger ayant un intérêt pour la culture chinoise, et étant dans la capacité de présenter un programme artistique, de monter sur scène, et ce depuis 1995.

En dix ans, de nombreux étrangers ont participé au concours, et ce programme télévisé est suivi par un grand nombre de spectateurs. Plus de quarante nationalités sont représentées en 2005. Les candidats étant nombreux, le spectacle s’annonce pétillant.

En 2005, cette compétition revêt une plus grande envergure, le niveau de chinois des candidats est plus élevé et la qualité des programmes présentés supérieure aux années précédentes.

Des présélections ont été organisées partout dans le monde, aux Etats-

Unis, en Europe, au Japon, etc. Les spectateurs assistant, dans la bonne

301 humeur, aux sélections peuvent apprécier les démonstrations artistiques des étrangers et tenter de comprendre leur vie en Chine, en goûtant à cet

échange culturel entre la Chine et le Monde.

En raison du niveau artistique élevé des concurrents, la compétition est acharnée. Les prestations touchent non seulement le public des sélections, mais impressionnent également le jury. Un si bon chinois, de si bonnes prestations, une connaissance culturelle si pointue, une telle adoration de la

Chine. Hormis les trois récompenses pour les trois premiers de la compétition, d’autres récompenses iront pour le plus brillant, le plus semblable à une star, le plus créatif.

Une soirée de souvenir est tenue pour se remémorer les dix années de compétition artistique en Chine pour les étrangers. Parmi les candidats, nous avons " la belle fille chinoise" venue des Etats-Unis Bao Yiwen, "le gendre chinois" d’Oubekistan Ha Damu, comme d’ailleurs beaucoup d’autres participants qui ont trouvé l’âme sœur en Chine. Le plus remarquable cette année est que certains candidats ne se contentent pas de chanter les chansons des autres, mais composent leurs propres œuvres.

L’Américain Zhang Liming chante ses expériences chinoises, l’Australien

Kegou adapte une chanson connue avec ses propres paroles, tandis que le

Français Dailiang a déjà produit un cd en langue chinoise.

Au dire des participants, l’évènement ne ressemble pas à une compétition, mais plutôt à un grand rassemblement où chacun exprime son art

302 « chinois » sur une scène dédiée à la culture de l’Empire du milieu, où il est possible de se lier d’amitié et de mieux comprendre les connotations de la culture chinoise.

303 14. Annexe numéro quatorze

Passage du Texte intégral des Statuts du Parti communiste chinois(I), article tiré de la page internet http://french.peole.com.cn.

Voici le texte intégral des Statuts du Parti communiste chinois (PCC),

(révision partielle faite au XVIe Congrès du Parti communiste chinois et approuvée par celui-ci le 14 novembre 2002) PROGRAMME GENERAL. Le

Parti communiste chinois est le détachement d'avant-garde de la classe ouvrière chinoise, en même temps que celui du peuple chinois et de la nation chinoise, ainsi que le noyau dirigeant de la cause du socialisme à la chinoise ; en tant que tel, il représente les exigences du développement des forces productives avancées en Chine, représente l'orientation du progrès de la culture chinoise avancée et représente les intérêts fondamentaux de l'écrasante majorité de la population en Chine. L'idéal suprême et le but final du Parti résident dans l'accomplissement du communisme. Le Parti communiste chinois fait du marxisme-léninisme, de la pensée de Mao

Zedong, de la théorie de Deng Xiaoping et de la pensée importante de

Triple Représentativité son guide pour l'action. Le marxisme-léninisme met en lumière les lois du mouvement de l' histoire de la société humaine, ses principes fondamentaux sont justes et doués d'une puissante vitalité. Le communisme, en tant qu'idéal suprême poursuivi par les communistes chinois, ne peut se réaliser que sur la base d'une société socialiste très

évoluée et hautement développée. Le développement et le perfectionnement du régime socialiste constituent un long processus historique. En persévérant dans l'application des principes fondamentaux 304 du marxisme-léninisme, tout en suivant la voie que le peuple chinois a choisie de son propre gré et qui est adaptée à la situation particulière de la

Chine, la cause du socialisme chinois remportera finalement la victoire.

305 15. Annexe numéro quinze

Cette annexe montre, à travers l’extrait d’une chanson comment le rock chinois reprend le thème politique de la lutte contre le capitalisme et la bourgeoisie. La chanson encourage à la lutte. La manière de chanter oscille entre la technique rock et la technique opéra. Si l'orchestre rock occidental est la base musicale du titre, l'esthétique communiste modifie quelque peu les refrains, où les chœurs annoncent clairement la couleur idéologique. Le rock chinois, qui promeut la patrie chinoise comme modèle du monde, prétend à l'universalité.

Extrait des paroles :

国际歌

起来饥寒交迫的奴隶起来全世界受苦的人

满腔的热血已经沸腾要为真理而斗争

旧世界打个落花流水奴隶们起来起来

不要说我们一无所有我们要做天下的主人

这是最后的斗争团结起来到明天

英特纳雄耐尔就一定要实现

这是最后的斗争团结起来到明天

英特纳雄耐尔就一定要实现

306 从来就没有什么救世主也不靠神山皇帝

要创造人类的幸福全靠我们自己

我们要夺回劳动果实让思想冲破

Traduction :

Levez vous les esclaves, levez vous, vous tous qui subissez les difficultés

Plein d’ardeur combattons pour la vérité

Le vieux monde tombe en décadence, levez vous, esclaves

Ne disons pas que nous n’avons rien, nous serons les maîtres sur Terre

C’est l’ultime combat, unissons nous jusqu’à demain

L’internationale se réalisera sans faute

C’est l’ultime combat, unissons nous jusqu’à demain

Il n’y a jamais eu de sauveur et ne nous appuyons pas sur l’empereur céleste, ne comptons que sur nous même pour créer le bohneur de l’humanité

Les fruits de notre labeur permettront à nos idées de se frayer un passage

307 16. Annexe numéro seize

La télévision, les artistes, et la protection du message politique officiel.

Cette annexe relate la prise de position politique de Cooper, anthropologue américain qui travaille sur la Chine depuis plus de trente ans et qui n'hésite pas, lors de l'enregistrement télévisé du concours annuel des étrangers qui chantent en chinois, à évoquer le temps où la Chine interdisait le contact avec l'extérieur. Si le public ainsi que le jury avaient particulièrement apprécié l'humour d'un Américain relativement âgé, d'où respecté, qui parle chinois, et si son intervention "politique" était un moment fort de sa performance artistique, il est évident que la CCTV a coupé, au montage de l'émission, cet échange certainement considéré par le pouvoir comme

"excessif" et dérangeant.

Dans la même veine, un artiste français qui, lors de sa prestation musicale, insère une connotation humoristique quant au jeu scénique relatif à la concubine dans le thème de l'opéra de Pékin " 贵妃醉酒" amuse le public chinois, mais est censuré lors de la diffusion nationale. La censure n'apprécie pas que le personnage chinois soit "dédivinisé" en tentant un mélange des genres : une concubine de l'opéra de Pékin qui porte une guitare électrique. Que ce soit en raison d'une différence dans la conception de l'humour, de la créativité ou tout simplement de l'attitude générale, le polissage culturel est le garant de la pérennité du pouvoir chinois.

308 17. Annexe numéro dix-sept

Le texte de la chanson suivante de Zhou Jielun, intitulé Ni tingdedao 你听得

到 (Tu entends), permet de montrer l'adéquation entre l'expression d'un romantisme écrit et une interprétation visuelle modifiée suivant les codes culturels.

你听得到

作曲,写词 周杰轮

有谁能比我知道

你的温柔象羽毛

秘密躺在我怀抱

祗有你能听得到

还有没有人知道

你的微笑象羽毛

多想藏著你的好

祗有我看得到

站在屋顶祗对风说不想被左右

本来讨厌下雨的天空

直到听见有人说爱我

坐在电影院的二楼

309 看人群走过怎么那一天的我们

都默默的微笑很久

我想我是太过依赖

在挂电话的刚才

坚持学单纯的小孩

静静看守这份爱

知道不能太依赖

怕你会把我从怀

你的香味一直徘徊

我舍不得离开

310 18. Annexe numéro dix-huit

Définition de la gloire, article tiré de la page internet http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Gloire.

"Qu’est-ce donc la gloire, cet attribut de la divinité, que l’homme a voulu rapetisser à sa taille mortelle, elle, dont la majesté et la durée n’a point de limites? Consiste-t-elle seulement dans un concert unanime d’estime et de louanges, ainsi que le dit le Dictionnaire de l’Académie? Ou bien est-ce quelque chose de plus indéfinissable? La gloire est plus que de la célébrité; car la célébrité est éphémère, contestable, et s’attache aux bonnes comme aux mauvaises actions; et la gloire, qui serait passagère, contestable, ou

établie sur des bases contraires à la morale, cesserait de porter ce beau nom; la gloire est plus qu’un concert de louanges et d’estime, qu’une admiration enthousiaste, car elle pourrait alors être l’ouvrage d’une camaraderie adulatrice. La gloire d’un citoyen, c’est-à-dire cette renommée inattaquable qui donne durant des siècles une puissance prodigieuse et un noble retentissement à son nom, doit être pure et brillante comme le disque du soleil : que l’œil y découvre une tache, quelque minime qu’elle soit, et tout son prestige tombe soudainement; elle a cessé d’exister dès ce moment. Où se trouve donc ce mobile puissant, dont le nom a tant de fois

été blasphémé? Dirons-nous, avec le savant, qu’elle est dans une science

étroite; avec le poète, qu’elle est dans ses vers; avec l’artiste, qu’elle est sur la toile, ou dans la pierre, qu’il a animée; avec le navigateur, qu’elle est dans ces découvertes qui ont transporté sur d’autres continents les vices de notre civilisation? Dirons-nous avec les guerriers et les conquérants qu’elle est dans le sang qu’ils ont vainement répandu? Aucun d’eux n’y atteint 311 cependant; car, ainsi que la fortune, la gloire accompagne rarement la mémoire de ceux qui ont usé leur vie à la chercher, et elle vient s’asseoir dans la tombe modeste de celui qui l’a fuie. Sanction de toutes les vertus utiles, de toutes les actions désintéressées, qui ont signalé un citoyen à la postérité, la gloire individuelle ne saurait être renfermée dans la ville, dans le pays qui lui a donné le jour : elle est cosmopolite. Aussi est-il peu de mots que l’on devrait être plus jaloux d’appliquer à propos, car c’est prostituer la gloire que de la prodiguer.

On conçoit dans combien de cœurs l’amour de la gloire a dû germer, ne fût- elle, comme tant l’ont dit, qu’une illusion d’autant plus chère qu’elle est plus insaisissable. Malheur à qui n’y a pas rêvé une fois dans sa vie! Car son

âme est sèche et égoïste; malheur aussi à qui s’est complu à la rêver sans cesse! Car chez lui ce beau mobile de toutes les grandes choses a dégénéré en ambition : ce nom troublera sans relâche son bonheur. C’est presque toujours un excessif désir de gloire qui a engendré tous les fanatismes; et les partis, il faut l’avouer, n’ont pas peu contribué à lui enlever son éclat en s’en faisant les distributeurs. Qu’on ne pense pas, d’après ce que nous venons de dire, que la gloire ne puisse être l’apanage que de quelques hommes privilégiés : elle est aussi la récompense de peuples entiers. Leurs succès dans les batailles, leur moralité dans la paix, leurs progrès dans les sciences et les arts, constituent en leur faveur une gloire qui est pour une nation ce qu’est l’honneur pour un particulier.

312 Gloire se prend quelquefois pour l’honneur et les hommages que l’on rend

à Dieu, pour la béatitude céleste dont on jouit dans le paradis. Cette gloire aérienne a été représentée par les peintres et par les sculpteurs. Les premiers ont appelé gloire la représentation du ciel ouvert, avec les êtres divins, les anges et les saints; les derniers ont donné ce nom à un assemblage de rayons divergents, entourés de nuages, et au centre desquels on aperçoit un triangle, symbole de la Trinité.

Enfin, les machinistes des théâtres ont désigné ainsi une machine suspendue, entourée de nuages, sur laquelle se placent les acteurs qui doivent monter aux cieux, ou en descendre. Ces gloires massives s’enlèvent ou s’abaissent à l’aide de contre-poids."

313 19. Annexe numéro dix-neuf

Les grottes de Mogao, article tiré de la page internet http://www.jsdj.com/luyou/lyzy/gmegaoku.htm.

莫高窟,俗称千佛洞,位于甘肃省河西走廊西端,敦煌市东南公里,在鸣沙

山东麓 50 多米高的崖壁上,洞窟层层排列。

前秦建元二年(公元 366 年),一位法名乐尊的僧人云游到此,因看到三危

山金光万道,状若千佛,感悟到这里是佛地,便在崖壁上凿建了第一个佛

窟。以后经过历代的修建,迄今保存有北凉至元代多种类型的洞窟 700 多

个,壁画 50110 平方米,彩塑 2700 余身。

1900 年 6 月 22 日看管石窟的道士王元录请来写经书的杨某在往墙缝中插灯

草时,发现墙里面是空的,因此发现了一个密室,(现编号 17 号窟,也叫藏经

洞),洞中有 4 至 11 世纪(西晋至宋代)的经、史、子、集各类文书和绘画

作品等四万余件。其中大部分后被外国盗宝者劫到十多个国家和地区。

莫高窟是集建筑、彩塑、壁画为一体的文化艺术宝库,内容涉及古代社会的

艺术、历史、经济、文化、宗教、教学等领域,具有珍贵的历史、艺术、科

学价值,是中华民族的历史瑰宝,人类优秀的文化遗产。1961 年被国务院列

为国家重点文物保护单位,1987 年被联合国教科文组织列入世界文化遗产名

录。

314 20. Annexe numéro vingt

Le grand cirque de Pékin, article tiré du site web http://www.eurasie.net/webzine/article.php3?id_article=118.

Connue en Asie sous le nom de « zaji » (talents assortis), l’acrobatie chinoise se compose de disciplines multiples : jonglerie, gymnastique, trapèze, contorsion, magie, mimes et clowneries.

Selon les découvertes faites sur des sites archéologiques, cette discipline artistique existe déjà 200 ans avant la naissance de Confucius, soit près de

1000 ans avant l’ère chrétienne. Les peintures murales et les objets funéraires prouvent qu’elle est déjà pratiquée au plus haut niveau dès cette

époque.

Un divertissement impérial.

L’acrobatie chinoise se développe tout particulièrement au cours de la

Dynastie Han (206 avant JC-220 après. JC), surtout pendant le règne de l’Empereur Wu. Célèbre pour son goût des plaisirs et des fêtes grandioses, il organise des banquets orgiaques où l’acrobatie tient une place privilégiée, avec la réalisation d’une performance dite « Bai Xi » où les artistes doivent exécuter 100 numéros à la suite.

Plus tard, la Dynastie Sui (581-618) fait construire une gigantesque arène en l’honneur de l’acrobatie. 10 000 artistes vêtus de costumes féeriques, ornés de jade et de perles, se donnent en spectacle jour et nuit pendant les

15 premières lunes du nouvel an. Confortablement allongés sur des estrades entourant la scène, les convives admirent les numéros rythmés de musiques et de danses, dont les échos se font entendre à des kilomètres à la ronde. On raconte encore aujourd’hui en Chine que les spectateurs

315 accouraient de toutes les provinces de l’Orient et n’hésitaient pas à faire plusieurs semaines de voyage pour découvrir ces spectacles extraordinaires.

Sous la Dynastie Tang (618-907), les poètes et écrivains de la cour, pour plaire aux Empereurs, puisent leur inspiration dans les scènes d’acrobatie auxquelles ils assistent et décrivent les performances réalisées par les artistes dans des vers évocateurs tels que : « deux femmes s’enroulent autour d’une corde avec la grâce des esprits célestes », « cinq hommes se lancent dans les airs »...

Quand l’acrobatie devient art populaire... et perd ses lettres de nobless.

La chute de la Dynastie Ming, en 1644, change le cours de l’histoire de l’acrobatie. Chassés de la cour de l’Empereur Manchu - qui ne les apprécient pas -, les acrobates se retrouvent dans la rue, jouant devant les foules, sur les marchés et les places publiques. Le folklore et les coutumes du peuple influencent alors considérablement leur création : « La Danse du

Lion » ou « Le Dragon Lanterne » apparaissent à cette époque.

Cependant, la disgrace des acrobates coïncide avec l’émergence d’une nouvelle forme d’art populaire chinois : l’Opéra. Contraints à un long entraînement dû à la technicité très complexe de leurs numéros, les acrobates s’avèrent incapables de renouveler rapidement leur répertoire. Le public, toujours avide de nouveautés, se lasse de ce divertissement qui tombe en désuétude.

316 C’est ainsi qu’après avoir été pendant des siècles florissants la distraction favorite de la cour impériale et du peuple chinois tout entier, l’acrobatie disparait de la scène pendant près de 300 ans.

317 21. Annexe numéro vingt-et-un

Naissance et développement des instruments de musique chinois, article tiré du site web http://french.china.org.cn/french/182565.htm.

318 22. Annexe numéro-vingt-deux

Les compositeurs chinois depuis la Révolution culturelle, article tiré du site web http://www.cndp.fr/secondaire/bacmusique/xuyi.

Malgré toutes les manifestations de l'Année de la Chine, la musique chinoise contemporaine reste mal connue du grand public. On peut pourtant répertorier une soixantaine de compositeurs d'origine chinoise dont les œuvres sont jouées et publiées à l'échelle internationale. Le propos, ici, est d'offrir une idée de l'éventail de leurs créations, tout en se limitant aux compositeurs nés en Chine continentale, excluant donc les Chinois de

Hong Kong et de Taïwan ainsi que les émigrés de deuxième génération.

La situation avant la Révolution culturelle

Remarque préliminaire : Pour faciliter les éventuelles recherches discographiques, les noms des compositeurs chinois cités seront toujours

écrits en majuscules dans le présent texte.

Ainsi que le montre le film Le Dernier Empereur, le début du XXe siècle vit la Chine perdre sa puissance face aux politiques coloniales des pays européens. La culture chinoise millénaire était donc dépréciée et la nécessité d'absorber la civilisation occidentale, fascinante en particulier par son avance technologique, semblait impérieuse.

Importée surtout à Shanghai par des musiciens russes depuis 1917, la musique occidentale s'était propagée en Chine. Les instruments de l'orchestre classique étaient enseignés au Conservatoire aussi bien que les instruments traditionnels. Pour la notation musicale, on utilisait

319 autant la portée que les caractères chinois. Des pièces pour piano, de la musique de chambre, des symphonies furent écrites par des musiciens chinois comme ZHU Jian-er (né en 1922) qui avait étudié la composition en URSS, ou LUO Zhongrong (né en 1924), qui avait utilisé le folklore à la façon de Bartók. Tous deux enseignèrent ensuite la composition, l'un à Shanghai, l'autre à Pékin, et formèrent la génération suivante. Importées par des musiciens juifs fuyant la montée du nazisme, les théories de Schoenberg parvinrent en Asie.

SANG Tong (né en 1923) écrivit en 1947 les premières œuvres atonales chinoises. Mais avec l'arrivée de Mao au pouvoir (1949), les compositeurs perdirent une grande partie de leur liberté : fonctionnaires, rouages de la machine révolutionnaire, ils furent chargés de créer une musique nationale populaire à partir du folklore, en utilisant le langage harmonique du XIXe siècle (dans les années

1950, la directive politique était : « Sauvegarder l'héritage national »).

320 23. Annexe numéro vingt-trois

Cent ans d'histoire de l'industrie du disque en Chine, article tiré du site web http://french.cri.cn/1/2005/03/10/[email protected].

L'industrie du disque en Chine vient de fêter son centenaire. De 1904 à nos jours, elle a passé toutes les vicissitudes de son existence. Dans l'émission d'aujourd'hui, nous allons vous présenter un reportage sur le chemin que l'industrie du disque a parcouru pendant un siècle.

Le plus ancien enregistrement existant en Chine est une pièce de l'opéra de

Beijing, elle a été interprétée par le grand maître de l'Opéra de Beijing Sun

Jüxian. Quant au disque, il est conservé par un collectionneur de Tianjin du nom de Liu Dingxun. A ce propos, M. Zhao Daxin, le directeur général de la

China Record Corporation (CRC) s'exprime devant le micro de RCI : «

D'après nos archives, le premier disque sorti en Chine est l'enregistrement de deux pièces d'Opéra de Beijing, interprétées par Sun Jüxian. En Chine, les plus anciens enregistrements sont pour la plupart des pièces de l'Opéra de Beijing. De leurs enregistrements à celui des musiques modernes se fût un long processus. »

Au début, la production du disque n'était que très rudimentaire.

Presque toutes les sociétés de production n'étaient capables que de réaliser leurs enregistrements. Quant à la production des disques proprement dite, elle ne pouvait être effectuée qu'à l'étranger. L'industrie du disque en Chine n'a réellement pris forme que dans les années 1930. Dès lors, le public chinois commençait à apprécier les disques de fabrication chinoise. C'étaient ainsi que sont nés de grands producteurs comme «

321 Pathé record », « Shengli » ou Victoire et « Dazhonghua », ou Grande

Nation Chinoise ainsi qu'une dizaine de petits producteurs de disque. Ils ont sorti successivement une centaine de milliers de disques sur les opéras chinois locaux, sur les chansons et autres formes d'art populaire. Ces disques ont été vendus dans tout le pays. Les oeuvres musicales de grands compositeurs chinois Nie Er et Xian Xinghai ainsi que les chansons de

Zhou Xuan datent toutes de cette époque.

Après l'avènement de la Chine nouvelle en 1949, l'industrie chinoise du disque a connu un développement accéléré. En 1957, l'Agence du disque de Chine est officiellement fondée à Beijing, devenue aujourd'hui la China

Record Corporation (la CRC), qui a longtemps monopolisé la production du disque en Chine, dont les filiales couvraient l'ensemble du territoire.

En évoquant le chemin qu'elle a parcouru, la China Record Corporation a de quoi à être fière, puisqu'elle a été très prolifique. En 1979, elle avait déjà produit plus de 260 millions de disques répartis en plus de 21 000 catégories, sur des vinyles et en stéréo.

A partir de 1979, au fur et à mesure de l'approfondissement de la réforme et de l'ouverture de la Chine vers l'extérieur, un nouveau support, la cassette, a fait son apparition. Ainsi le magnétophone, jouant les chansons populaires, est devenu l'outil préféré des Chinois. En même temps, la naissance de la Société de production audiovisuelle Pacifique de

Guangzhou a brisé le monopole de la China Record Corporation et a naturellement ouvert une nouvelle époque pour la production audiovisuelle en Chine.

322 Depuis sont nés dans le pays plus de 300 sociétés de production audiovisuelle, plusieurs centaines de sociétés de reproduction et plus de

100 000 points de vente, jetant ainsi les bases solides du développement d'une industrie au service de sa culture. En outre, la généralisation des chansons de variété a également donné un bon coup de fouet au développement de l'industrie audiovisuelle, autrement dit, cette généralisation a accéléré la production, la publication et la vente des produits audiovisuels. Tout cela a permis à la Chine de rapidement s'intégrer sur le marché international en la matière. CD, LD,VCD et DVD ainsi que d'autres formes de produits audiovisuels se sont introduits, les uns après les autres, en Chine. La notion de « disque » est désormais remplacée par celle d'«audiovisuelle ». Ce secteur s'efforce de diversifier autant le contenu que le contenant de ses produits. En 2004, en Chine se sont écoulés plus de 28 000 espèces de produits audiovisuels, dont le montant total de la distribution a dépassé 2 milliards 700 millions de yuans.

La prospérité du marché audiovisuel national enrichit de ce fait la vie culturelle de la population et promeut les échanges culturels entre la Chine et les autres pays du monde. A ce propos, le célébre flûtiste chinois Wang

Tiéchuei s'exprime devant le micro de RCI : « Le disque joue un très grand rôle. Nombre de chefs- d'oeuvre ont été enregistrés. Primo, on peut ainsi les conserver pour la postérité, secondo, un plus large publique peut ainsi les apprécier voire les étudier, et tertio, ils peuvent aussi servir de pont entre la Chine et l'étranger sur le plan culturel. Dans les années 1950, la distribution de mon album hors de nos frontières a suscité la curiosité de certains étrangers. Des morceaux comme « La cueillette de coton » et « la

323 Célébration de la moisson » ont particulièrement retenus l'attention, des fans sont même aller jusqu'à les relever pour pouvoir les jouer.»

Il faut tout de même reconnaitre que l'industrie audiovisuelle chinoise a rencontré pas mal de difficultés au cours de son développement : le déferlement du piratage, et la genèse de nouveaux supports musicaux :

Internet, et les MP3 pour être plus précis. En outre cette industrie est aussi marquée par la pénurie de création originale et l'insuffissance du financement, autant d'éléments qui entravent son développement. Pour remédier à cette situation, le gouvernement chinois a adopté une série de mesure afin de lutter contre le piratage, en encourageant la mise au point de nouvelles technologies.

Par ailleurs, au fur et à mesure que la politique d'ouverture vers l'étranger en matière de culture s'est appliquée, les entreprises privées et les capitaux

étrangers sont apparus dans le secteur audiovisuel chinois. A ce propos, le président de l'Association de l'audiovisuel de Chine M. Liu Guoxiong s'exprime devant le micro de RCI : « Les producteurs chinois arrivent très bien à profiter de cette occasion qui leur est donnée pour développer la production audiovisuelle nationale, et in fine mieux vendre nos produits sur le marché international. Il faut dire que ces dernières années, la Chine a entamé des échanges internationaux en matière d'audiovisuel, en prenant part à un certain nombre de foires et d'expositions internationales par exemple. Mais, c'est encore très peu, disons que ce n'est qu'un commencement. »

324 Selon M. Liu Guoxiong, à présent, l'industrie audiovisuelle chinoise a déjà

établi des liens interactifs avec les secteurs informatique et éléctro-ménager.

Il s'est déclaré convaincu que la production audiovisuelle chinoise vivra un siècle encore plus brillant que celui qui vient de s'achever.

325 24. Annexe numéro vingt-quatre

La chronologie de l'évolution du rock'n'roll chinois, article tiré du site internet http://french.people.com.cn/french/200402/18/fra20040218_65389.html.

A l'état embryonnaire

1980 : Le groupe rock Wan Li Ma Wang a vu le jour à l'Université des langues étrangères de Beijing. Ce premier groupe rock sur le continent chinois ne jouait que le rock classique.

1981 : Naissance du groupe Alisi, qui interprétait principalement des chansons japonaises.

1982 : Adi a créé Mainland avec des rockeurs étrangers

1984 : Seven-pice Puzzle et Self Righting Doll ont pris naissance. Ce dernier est le premier groupe rock en Chine à utiliser des instruments

électroniques. Les styles d'avant-garde des deux troupes ont donné le ton à la musique rock chinoise durant la période de son développement.

1985 : Cui Jian, le chef de file du rock chinois, a sorti son premier album « La libertine revient à la maison », une première tentative de combinaison de musique pop-rock sur le continent chinois.

326 1986 : Cui Jian a interprété son tube « Je n'ai rien à moi », qui deviendra rapidement l'une des chansons les plus populaires de la musique pop chinoise.

1987 : Le Léopard noir, un autre groupe important, a pris naissance.

La revue Monde audiovisuel, le première périodique présentant la musique pop occidentale, a vu le jour.

1988 : Le groupe La dynastie Tang est né.

1989 : Cui Jian a donné un concert influent au théâtre du Centre des expositions de Beijing et a sorti « Rock sur la route de la Nouvelle

Longue Marche », les deux événements marquant le début de la maturation du rock chinois.

En période de floraison

1990 : Les trois groupes dynastie Tang, Breath et 1989 se sont produit ensemble au Concert de la Musique moderne des années 90, le premier de ce genre sur le continent chinois, tenu au Stade de La

Capitale à Beijing.

1991 : Le Léopard noir a sorti son premier album à Hong Kong. Son tube « Ne brise pas mon coeur » se trouve en tête du hit-parade de

Hong Kong.

327 1992 : Le magazine Music Heaven (le Paradis de la Musique) a vu le jour. Il influe sur le monde musical chinois par son contenu et ses cassettes gratuites de musique pop occidentale. La Dynastie Tang a sorti son premier album « Rêver de la dynastie Tang », premier album de heavy metal en Chine, qui a connu un succès aussitôt après sa mise en vente. Le Chinese Fire I a vu le jour.

1993 : La chaîne musicale de la Radio Beijing a lancé le programme

Rock Magazine, établissant ainsi le premier dossier de rock chinois.

Beaucoup de rockeurs chinois se sont produit à l'étranger. Zheng Jun a sorti son premier morceau « Naked (Nu) ».

1994 : Le morceau violent mais franc « Refuse Dump (Refuser le dépôt d'ordures) » de He Yong, « Black Dream (le Rêve noir) » de

Dou Wei, premier album de la période post-punk en Chine et le poétique « Lonely People Are Shameful ( Les gens seuls sont tristes)

» de Chu sont sortis, ces événements consacrant ainsi le mouvement de la nouvelle musique chinoise. Les trois rockeurs sont également surnommés Les Trois Knock-outs.

1995 : Dou Wei a réalisé son second album Sunny Days (Les Jours

Ensoleillés). Le bassiste Zhang Jun de dynastie Tang a été tué dans un accident de voiture.

328 1996 : Le groupe Overload a sorti son premier album éponyme, ouvrant ainsi une étape importante du heavy metal chinois. Le bar

Manfeng s'est ouvert à Beijing, devenant le lieu de représentation pour de nouveaux groupes de Beijing.

Diversité des styles

1997 : Le rocker underground Pan Gu a sorti le premier album de dirty punk "What to Do", mélangeant la musique de type undergroud avec des morceaux à tendance Punk. L'artiste Pop et de rock folk Xu Wei a lancé son album « In Other Places ». Le groupe Sober a publié sa première oeuvre Britpop « Too Good » et fondé Modern Sky (Ciel

Moderne), la première compagnie de musique rock indépendante en

Chine, entraînant ainsi une avalanche de production de musique de type DIY (do-it-yourself). Plusieurs albums importants sont mis en vente, dont le premier album de Chinese folk opera rock « Confucius

Says ».

1998 : L'année du Punk. Le célèbre bar Punk Scream a ouvert à

Beijing, avec une pancarte à son entrée, sur laquelle on lit « interdit d'entrer aux vieux et aux métal rockers ». La naissance du magazine

Punk « l'époque Punk » a coïncidé avec la nouvelle vogue punk à l'échelle nationale. Le groupe Pop punk New Pants a sorti son premier album « New pants », Pan Gu, son album « Brûler d'un désir lubrique

329 » et Dou Wei, « Montagne, rivière et eau », un album expérimental combinant la musique techno et la musique chinoise traditionnelle.

1999 : Le groupe pop punk post-pubère Fleur a sorti Beside

Happiness ( A côté de la joie). Le premier album « I go to 2000 » du rocker pop Pu Shu a été largement plébiscité chez les étudiants universitaires. Le magazine Free Musique (Musique libre) a vu le jour sous l'adage « La musique est un moyen, la liberté est le but ». Trois magazines de rock : Modern Sky (Ciel moderne), X music (Musique X) et So Rock (Rock, c'est comme ça) ont gagné en popularité.

2000 : Modern Sky a engagé de plus en plus de groupes, et la prolifération des labels de musique s'est poursuivie.

330 VII. GLOSSAIRE DES TERMES CHINOIS

Pinyin Caractères Français

Bianzhi 辨者 les philosophes Bianzhi

Bao 薄 fine (mélodie)

CCTV xinwen CCTV 新闻 la télévision pour les nouvelles

CCTV yinyue CCTV 音乐 la télévision musicale

Chen 陈奕迅 le chanteur Chen Yixun

Chen Sheng 陈升 le chanteur Chen Sheng

Chubanhao 出版号 le numéro d'édition

Chuming 出名 connu, célèbre

Chunjie 春节 la fête du printemps

Cixi 慈禧 l’impératrice douairière Cixi

Cui Jian 崔建 le chanteur rock Cui Jian

Dailiang 戴亮 l’artiste Dantès

Daojia 道家 le taoisme

Daoyan 导演 metteur en scène

Dawu 大武 la danse Dawu

Dazhongyinyue 大众音乐 musique populaire

Dianshiju 电视剧 série télévisée

Dixing 帝辛 l’empereur Dixing

Diyi 帝乙 l’empereur Diyi

Doufukuai 豆腐块 la scène

Dunhuang 敦煌 un endroit de Chine

Erhu 二胡 la vielle chinoise

Faguo 法国 France

Fanzui 犯罪 pécher,commettre une faute

Fayanquan 发言权 le pouvoir de parole

331 Ganenzhixin 感恩之心 un cœur reconnaissant

Gansusheng 甘肃省 la province du Gansu

Geshou yanlu heyue 歌手演录合约 contrat d'artiste

Gongqingwang de chuanqi 恭请王的传奇 la légende du roi des Qing

Gongtingyanyue 宫廷燕乐 la musique de Cour

Guangya 爾雅 le dictionnaire Guangya

Guanxi 关系 les relations

Guangya 廣雅 le dictionnaire guangya

Guifeizuijiu 贵妃醉酒 une œuvre de l'opéra de Pékin

Guo Moruo 郭沫若 l’écrivain Guo Moruo

Guqin 古琴 le guqin

Hong 红 connu, célèbre, rouge

Hu Jintao 胡锦涛 le président Hu Jintao

Huabu 花布 les théatres huabu

Huangdi 黄帝 l'empereur jaune

Huangzhong 黄钟 le diapason

Jiancha 检查 la censure

Jiankang 健康 sain

Jianzipu 减字谱 la partition

Jiduan kaifang de yinyue 极端开放的音乐 musique ouverte sur l’extérieur

Jingju 京剧 l'opéra de Pékin

Jingshenwenhua 精神文化 la culture spirituelle

Jinjihu 金鸡湖 le lac Jinji

Jiuge 酒歌 chansons à vin

Kangxi 康熙 l'empereur Kangxi

Keai 可爱 mignon

Kunqu 昆曲 l’opéra Kunqu

Laoshanghai 老上海 le vieux Shanghai

Laowai 老外 l'étranger

Laozi 老子 sage chinois

332 Li Shiming 李世明 l’empereur Li Shiming

Lining 李宁 marque de vêtement de sport

Liu Bang 刘邦 le révolutionnaire Liubang

Liuchao 六朝 la période Liuchao

Liuxiang 刘翔 athlète chinois

Lizhiben 礼之本 l’attitude de base

Lüshichunqiu 吕氏春秋 le livre d’Histoire

Lülü 律吕 système des 12 demi-tons

Lüzhi 律制 mode, tessiture

Meiguoshagua 美国傻瓜 un stupide américain

Meisheng 美声 technique de chant les chansons sont le mirroir de la Minge ji minjian shi shidai de jingzi 民歌及民间是时代的镜子 société Mingtian wo bushi gaoyang 明天我不是羊 羔 demain je ne suis plus un agneau

Mingxingzhidu 明星制度 le star system

Mogaoku 莫高窟 les grottes de Mogao

Mozi 墨子 le sage Mozi

Nanxiangzi 南乡子 style musical personnage de la mythologie Pankou 盘口 chinoise Pipa 琵琶 le pipa

Puyi 仆役 l’empreur Puyi

Qianlong 乾隆 l’empereur Qianlong

Qingyinyue 轻音乐 le magasine Qing music

Qinshihuangdi 秦始皇帝 l’empereur Qinshi

Rang dajia zhidao women shi 让大家知道我们是中国 montrons à tous que nous zhongguoren! 人 ! sommes chinois! Renminbi 人民币 la monnaie chinoise

Ruan 软 souple

Rujia 儒家 le confusianisme star des trois milieux (musique, Sanhangmingxing 三行明星 cinéma, pub) Sanhuangwudi 三皇五帝 la période sanhuangwudi

333 Shang 商 la dynastie des Shang

Shangediao 山歌调 chansons des montagnes

Shaoshuminzu 少数民族 les minorités ethniques

Shijing 诗经 le recueil de poêmes

Shijing 史经 le recueil d'Histoire

Shinian 十年 dix ans

Si Maqian 司马迁 l'historien Si Maqian

Sohu 搜虎 moteur de recherche

Songjiang 松江 la région de Songjiang

Sun Xun 孙逊 le chanteur Sun Xun

Suzhou 苏州 la ville de Suzhou

Ta de jiemao 她的睫毛 ses sourcils

Taijiquan 太极拳 le taichi

Taikang 泰康 l’empereur Taikang

Tangchao 唐朝 la dynastie Tang

Tangchao 唐朝 la dynastie Tang musicologue au conservatoire de Taoxin 陶辛 Shanghai Tingdedao 听得到 entendre la compétition d'arts chinois pour Waiguoren zhonghua caiyi dasai 外国人中华才艺大赛 étrangers Wang Lei 王磊 le musicien Wanglei

Wang Lihong 王历宏 le chanteur Wang Lihong

Wenyi pindao 文艺频道 la chaîne culturelle

Wudi 五帝 les cinq empereurs

Wuxianpu 五线谱 la portée musicale

Wuxing 无形 les cinq éléments

Xia 夏 la dynastie Xia

Xiaqi 夏启 l’empereur Xiaqi

Xietingfeng 谢霆风 chanteur Hongkongais

Xinhua 新华 l'agence officielle d'informations

Xintiandi 新天地 nouveaux cieux et nouvelle Terre

334 Xinwen 新闻 les informations

Yaogun 摇滚 le rock

Yayue 雅乐 la musique savante

Yijing 易经 le recueil des mutations

Yinlü 音律 les 12 demi-tons

Yinyue 音乐 la musique

Yinyue pindao 音乐频道 la chaîne musicale

Yinyuejia 音乐家 un artiste musicien

Yinyueshijie 音像世界 le magasine feel

Yishujia 艺术家 un artiste

Yu wenming tongxing 与文明同行 marchons avec la civilisation

Yuefu 乐府 le bureau de la musique

Yueji 乐记 le recueil de la musique

Yuelü 乐律 la tonalité pure yulexing 娱乐性 à caractère ludique

Zai zhe wu chabie de shijie 在这无差别的世界 dans ce monde sans différences

Zazu 杂居 les arts acrobatiques

Zhengque sixiang 正确思想 la voie correcte zhimingdu 知名度 la notoriété zhongguoyinyueshi 中国音乐史 histoire de la musique chinoise

Zhongsuoweiyou 众所周知 la notoriété

Zhongyang 中央 central

Zhou 周 la dynastie des Zhou

Zhou Enlai 周恩来 l’homme politique Zhou Enlai

Zhou Jielun 周杰论 chanteur Hongkongai la chanteuse shanghaienne Zhou Xuan 周旋 Zhouxuan Zhuangzi 庄子 sage chinois

Zhuliu 主流 le courant principal

Zhuming 著名 connu, célèbre

Zongjiao 宗教 religion

335 VIII. BIBLIOGRAPHIE

1. Ouvrages en français

ATTALI Jacques, Bruits, Paris, Fayard, 2001.

BENJAMIN Walter, Ecrits français, Paris, Editions Gallimard, 1991.

BERGERON Régis, Le cinéma chinois 1984-1997, Paris, Institut de l’image,

1997.

BERGEROT Frank, Le Jazz dans tous ses Etats, Histoire, styles, foyers, grandes figures, Larousse, 2001.

CHAUTRANT Eric, Musique Numérique, Micro Application, Paris, 2001.

BERGERE Marie Claire, La République populaire de Chine de 1949 à nos jours, Armand Colin, 1987.

BILLETER Jean François, Chine trois fois muette, Paris, Editions Allia,

2000.

CAPDEVILLE-ZENG Catherine, Rites et Rock à Pékin, Tradition et modernité de la musique rock dans la société chinoise, Paris, Les Indes

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2005 nian waiguoren zhongua caiyi dasai richengbiao 2005 年外国人中华才

艺大赛日程表,北京,2005

Shoujie zhongguoxing quanguo liuxingyinyue dasai guanggao zazhi 首届中

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Chen jingju laoshi de jianjie zazhi 群京剧老师的简介杂志,Shanghai 上海,

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359 10. Professionnels de la musique et du show

business rencontrés tout au long de l'étude menée

a. Musiciens :

YU Quan 羽泉,soft rock, manyaogun 慢摇滚,Beijing 北京

KANG Bin 康兵,Beijing 北京,Nanchang 南昌

TONG Kong 瞳孔,Beijing 北京

WENGLaoshi 翁老师,variétés, liuxingge 流行歌,Shanghai 上海

Ganggang 刚刚,rock, yaogun 摇滚,上海

SHA Long 龙沙,musique traditionnelle et folklorique, minzu yinyue 民族音

乐, Shanghai 上海

LI Weiyuan 行立元,professeur de vièle, erhu laoshi 二胡老师,Shanghai yinyue xueyuan 上海音乐学院 Conservatoire de Shanghai

ZHAO Qun 赵群, opéra de Pékin, jingju 京剧,Shanghai 上海, Beijing 北京

360 b. Directeurs artistiques:

LUO Xiangnan 罗向楠,Beijing zhongyang dianshitai 北京中央电视台

ZHEN Dali 郑大里,Shanghai dongfang dianshitai 上海东方电视台

WANG Guoping 王国平,Shanghai 上海

XIE Jianguo 谢建国,Shanghai 上海 SMG

c. Maisons de Disques et autres :

Romano CANZIANI, ingénieur du son au studio Backstage de Villefranche sur Saône, France

Pierre BlANC, Ambassade de France en Chine, bureau des musiques actuelles

LI hua 历华,Sony music à Shanghai, Suoni shanghai 索尼上海

LIU Changhe 刘长和,Zhongyin yinxiang guanli jigou 中音音像管理机构

SHI Song 石松, Zhongyin yinxiang guanli jigou 中音音像管理机构

Zhang Xinyu 张新宇,EMI à Pékin, Baidai beijing 百代北京

361 DA Shan 大山,Humoriste Canadien reconnu en Chine

Leo DONG du magazine High, Shanghai 上海

Jessy du magazine chuangwai 窗外, Shanghai 上海

Karen Shelphon du magazine News 时空, Suzhou 苏州

Johnny YANG du magazine City Express 都市快报, Hangzhou 杭州

362