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Dossier Dossier Pédagogique

WOZZECK Opéra d’

VENDREDI 8 FEVRIER– 20H30 DIMANCHE 10 FEVRIER – 14H30 DUREE DU SPECTACLE : 2 HEURES avec entracte GENERALE OUVERTE AUX OPERA CHANTE EN SCOLAIRES ALLEMAND, SURTITRE EN JEUDI 7 FEVRIER FRANÇAIS 14 HEURES

Marie : Barbara DUCRET Direction musicale : Pierre ROULLIER Le Docteur : Eric MARTIN-BONNET Mise en scène : Mireille LAROCHE Deuxième compagnon : Florent MBIA Etudes musicales : Nathalie STEINBERG Le Tambour-Major : Yves SAELENS Lumières : Jean-Yves COURCOUX Margret : Aurore UGOLIN Assistant à la mise en scène : Alain PARIES Le Capitaine : Gilles RAGON Décors : Jean-Pierre LARROCHE : Jean-Sébastien BOU Dramaturge : Dorian ASTOR Andrès : Philippe DO Premier compagnon : Alain HERRIAU L'Idiot : Raphaël BREMARD

Opéra de Reims 13 rue Chanzy 51100 Reims Location tél : 03 26 50 03 92 [email protected] Page | 1

SOMMAIRE

PRESENTATION GENERALE DE L’OPERA ...... 3 SYNOPSIS ...... 3 FICHE IDENTITE DE L’ŒUVRE ...... 6 GEORG BÜCHNER ...... 7 ALBAN BERG ...... 8 L’ŒUVRE ET SA GENESE ...... 9 DU FAIT DIVERS A LA PIECE DE THEÂTRE ...... 9 DE LA PIECE AU LIVRET ...... 10 LES PISTES D’EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES ...... 11 L’EXPRESSIONNISME ...... 11 LA COMPASSION SOCIALE DANS WOZZECK ...... 13 LES CLEFS DU LANGAGE MUSICAL ...... 14 L’ABANDON DU SYSTEME TONAL ...... 14 ZOOM SUR LES PERSONNAGES PRINCIPAUX ET LES DIFFERENTS STYLES VOCAUX QUI LEURS SONT ASSOCIES ...... 15 L’EMPLOI DE LEITMOTIVE ...... 17 L’EXEMPLE D’ANALYSE D’UNE SCENE : LE MEURTRE DE MARIE, ACTE III, SCENE 2 . 17 LES OUTILS PEDAGOGIQUES ...... 23 LES CARNETS DE LECTURE ...... 23 POUR EN SAVOIR PLUS ...... 28 WOZZECK A L’OPERA DE REIMS ...... 30 LA NOTE DU METTEUR EN SCENE ...... 30 L’INTERVIEW DU METTEUR EN SCENE ...... 33 LA RÉORCHESTRATION DE JOHN RÉA ...... 34 L’INTERVIEW DU CHEF D’ORCHESTRE ...... 36

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PRESENTATION GENERALE DE L’OPERA

SYNOPSIS PREMIER ACTE

SCENE 1 C’est le matin. Dans la chambre du capitaine. Celui-ci se fait raser par le soldat Wozzeck. Il lui parle du temps et du vent, et s’amuse de sa bonne volonté mécanique. Mais il s’avise que si Wozzeck est un brave homme, il est dénué de tout sens moral : n’a-t-il pas un enfant sans être marié ! A ce reproche Wozzeck répond qu’il est plus facile d’être vertueux quand on a les moyens. Wozzeck pense trop, se dit le Capitaine, et il le congédie en lui recommandant un peu de sérénité. SCENE 2 Dans un champ aux abords de la ville. Wozzeck et son camarade Andrès coupent du bois. Andrès chante, mais Wozzeck est troublé par des hallucinations qu’active le coucher du soleil rougissant l’horizon. La nuit vient, ils rentrent. SCENE 3 Le soir, dans la chambre de Marie. A sa fenêtre, elle regarde passer la troupe, dont on entend la musique. Elle regarde avec intérêt le beau Tambour-Major. Margret, sa voisine, voyant briller les yeux de Marie, l’apostrophe, et les deux femmes échangent des propos aigus avant que Marie ne claque sa fenêtre et se retrouve avec son enfant, auquel elle chante une berceuse. Soudain, on frappe à la fenêtre : c’est Wozzeck. Il n’a pas le temps d’entrer, il est trop tard. Mais son discours confus, encore frappé de ses visions, inquiète Marie, d’autant qu’il ne semble même pas voir son fils. Il s’en va laissant la jeune femme désemparée. SCENE 4 Dans le cabinet du docteur. Pour quelques sous, Wozzeck se prête à ses expériences diététiques. Mais le docteur lui reproche de ne pas suivre à la lettre ses instructions en continuant à tousser. Alors que le Docteur parle encore, Wozzeck, insensiblement, revient à ses obsessions, ce qui sidère le Docteur au point qu’il le menace de l’asile. Mais le Docteur est en même temps ravi à la perspective de la gloire qu’il va tirer de ses théories. Il continue à examiner Wozzeck. SCENE 5 Dans la rue, devant la maison de Marie. Le Tambour-major fait le paon pour séduire la jeune femme. Il essaie une première fois de l’enlacer mais elle le repousse. Pourtant, quand il revient à la charge, elle se laisse faire, fataliste, et l’accompagne dans sa chambre.

DEUXIEME ACTE

SCENE 1 Le matin, dans la chambre de Marie. Elle admire les boucles d’oreilles offertes par le Tambour- major, en se contemplant dans un miroir cassé. Elle essaie d’endormir son enfant, puis s’admire à nouveau, quand surgit Wozzeck. Il interroge Marie sur la provenance de ces bijoux qu’elle prétend avoir trouvés. Peu convaincu, Wozzeck ne veut pourtant pas pousser plus loin, et va plutôt regarder son enfant. Il médite un instant sur leur triste condition de pauvres gens. Il donne à Marie l’argent de sa solde, et s’en va laissant celle-ci en proie aux remords. SCENE 2 Dans la rue. Le Capitaine tente d’arrêter le Docteur qui, très pressé, ne semble pas disposé à vouloir parler avec lui. Excédé par l’insistance du Capitaine, le Docteur s’arrête pourtant, et diagnostique

Page | 3 brutalement une apoplexie imminente, provoquant sa frayeur. Passe alors Wozzeck. Les deux hommes l’arrêtent et le tourmentent avec des allusions sur l’infidélité de Marie avec le Tambour-major. Wozzeck réagit par une douloureuse imprécation sur l’impossibilité de trouver le bonheur sur terre, pendant que le Docteur lui prend le pouls et essaie de vérifier si l’émotion modifie sa tension. Vivement, Wozzeck s’arrache à ses deux bourreaux et part rapidement, les laissant fort surpris. SCENE 3 Dans la rue, devant la maison de Maire. Wozzeck se précipite devant la jeune femme et l’observe, soupçonneux, comme pour voir sur elle la trace du péché. Il la questionne, insistant jusqu’à exploser, mais quand il va lever la main sur elle, Marie l’arrête d’une phrase terrible : « Plutôt un couteau en moi qu’une main sur moi ». Elle plante là Wozzeck, hagard, obsédé par l’image qu’elle a suscitée. SCENE 4 Dans le jardin d’une auberge, tard le soir. On danse. Wozzeck entre et aperçoit parmi la foule Marie qui danse avec le Tambour-major. Il s’effondre sur le banc, hébété, solitaire au milieu de l’animation de l’auberge. Andrès vient converser un instant avec lui, mais l’attention converge alors vers un artisan passablement éméché qui, monté sur une table, entonne une sorte de discours-sermon. Paraît alors le Fou, qui s’approche de Wozzeck et dit flairer le sang, ce qui le bouleverse à nouveau. SCENE 5 Dans la chambrée de Wozzeck, à la caserne, la nuit. Obsédé par ses hallucinations, Wozzeck ne peut pas trouver le sommeil ; il tente de les expliquer à Andrès, qui l’exhorte à dormir. A cet instant fait irruption le Tambour-major, manifestement ivre, qui vient se vanter bruyamment de ses conquêtes, et qui provoque Wozzeck. Les deux hommes se battent. Wozzeck a le dessous et, tandis que le Tambour-major s’en va, il reste ahuri. « Il saigne » dit alors Andrès, et cette évocation du sang replonge Wozzeck dans ses obsessions.

TROISIEME ACTE SCENE 1 Dans la chambre de Marie, la nuit. Marie lit dans la bible l’histoire de Marie-Madeleine, la femme adultère, comme pour apaiser son remord. Elle s’interrompt un moment pour raconter une histoire à son fils afin de l’endormir, et reprend sa douloureuse lecture. SCENE 2 Au bord d’un étang au crépuscule. Marie arrive avec Wozzeck. Ils s’assoient au bord de l’eau et évoquent un instant les trois ans de leur bonheur passé. Wozzeck embrasse Marie. La lune se lève rouge ; Wozzeck sort son couteau et égorge Marie. SCENE 3 Dans une taverne, la nuit. On danse. Wozzeck boit et chante pour s’étourdir. Avisant Margret, il danse avec elle, puis l’entraîne à une table pour la courtiser. Soudain celle-ci voit qu’il a du sang sur le bras, du sang qui « pue le sang humain » ajoute-t-elle. Les danseurs intrigués eux aussi se sont approchés. Wozzeck les repousse et s’enfuit. SCENE 4 Au bord de l’étang, au clair de lune. Revenu sur le lieu de son crime, Wozzeck cherche le couteau pour le faire disparaître. Il bute sur le cadavre de Marie, qu’il contemple un instant, puis cherche à nouveau le couteau. L’ayant enfin trouvé, il le jette dans l’étang. Mais, à la lueur de la lune, rouge, il se voit couvert de sang. Il entre alors lui-même dans l’étang pour se laver, mais halluciné, il lui semble que l’eau est sang, qu’il se lave dans du sang. Il avance encore, obsédé par l’image du sang et se noie. A cet instant passent au bord de l’étang le Capitaine et le Docteur, qui sont intrigués par un bruit étrange, comme celui de quelqu’un qui se noie, pense le docteur. L’atmosphère lugubre, lune rouge et brouillard gris, les incite à ne pas s’attarder.

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SCENE 5 Dans la rue, devant la maison de Marie. Des enfants jouent. Parmi eux celui de Marie, galopant sur un cheval de bois. D’autres enfants accourent et l’un d’eux vient annoncer à l’enfant de Marie que sa mère est morte, là-bas, sur le chemin, près de l’étang. Mais, l’enfant ne comprend pas et continue de jouer seul, sur son cheval de bois. D’après le synopsis d’ALAIN DUAULT, Avant-scène Opéra.

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FICHE IDENTITE DE L’ŒUVRE

Wozzeck est un opéra en trois actes (15 scènes) d’Alban BERG (1885-1935). Le livret s’appuie sur le drame de Georg Büchner (1813-1837) : Woyzeck écrit en 1836. L’opéra fut créé au StaatsoperUnter den Linden de Berlin le 14 Décembre 1925.

RÔLES ET VOIX WOZZECK: baryton MARIE : soprano TAMBOUR-MAJOR: ténor ANDRÈS : ténor Berg sort des standards de l’opéra en CAPITAINE : ténor bouffe confiant à une voix de baryton le rôle DOCTEUR : basse principal. PREMIER COMPAGNON : basse

DEUXIEME COMPAGNON : baryton Marie, quant à elle, possède une voix de FOU : ténor soprano dramatique au registre étendu lui MARGRET : contralto permettant un champ d’expressivité assez L’ENFANT DE MARIE large. SOLDATS : ténor I et II, baryton I et II,

basse I et II SERVANTES ET PROSTITUEES : soprano I et II, contralto I et II CHŒUR D’ENFANTS

L’ARGUMENT …

Franz Wozzeck, un jeune soldat de caractère simple et bon, vit difficilement. Pour satisfaire aux besoins de sa femme, Marie, et de leur fils, il sert de cobaye au docteur et de subalterne au capitaine de la garnison. Les mauvais traitements le font progressivement tomber dans la folie. Lorsqu’il soupçonne Marie de fréquenter le tambour-major, il perd la raison et la tue. Cherchant le couteau avec lequel il l’a égorgée, il se noie dans l’étang.

LES LIEUX…

Une petite ville d’Allemagne ; des intérieurs ; des pas de porte ; des rues ; des champs ; des landes ; un chemin près d’un étang dans un bois.

LA PORTEE SOCIALE ET IDEOLOGIQUE DE L’ŒUVRE

POSTER REALISE EN 1964 PAR LE GRAPHISTE POLONAIS JAN LENICA (1928 - L’œuvre dénonce l’injustice d’un pouvoir qui s’acharne sur 2001). un personnage anonyme, victime d’une société hiérarchisée, lesté par le poids de la solitude. Elle incarne une révolte contre l’autorité dominatrice : la hiérarchie militaire.

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GEORG BÜCHNER Né le 17 octobre 1813 à Goddelau Mort 19 février 1837 à Zurich

Georg Büchner, écrivain, dramaturge, révolutionnaire, médecin et scientifique allemand, écrit à son frère depuis Zürich, fin novembre 1836 : « Le jour je travaille avec le scalpel et la nuit avec les livres ».

Sa vie a été brève puisqu’il meurt à l’âge de 24 ans. Mais, au cours des deux dernières années de sa vie, des œuvres essentielles de la littérature allemande verront le jour : il compose un récit, Lenz, et trois pièces de théâtre qui suffisent à marquer sa place parmi les plus grands écrivains. Woyzeck, histoire fragmentaire d’un crime, tableau éclaté de la misère allemande, marque l’invention foudroyante du théâtre moderne en 1936.

« Georg Büchner est un des auteurs allemands SON ŒUVRE du XIXe siècle les plus joués et les plus traduits en France dans les dernières Büchner a laissé une œuvre qui comprend : décennies. Sans doute parce qu’il est plus que - trois pièces de théâtre : la Mort de Danton (1835), tout autre à la source d’un théâtre pour notre Léonce et Léna (1836), temps : pas à proprement parler un modèle - Woyzeck (1837) même si, occasionnellement, on l’a copié – - un récit : Le Messager Hessois (1834) mais plutôt une brèche dans l’écriture - une nouvelle : Lenz (1835) dramatique, une « blessure » qui ne s’est pas - les traductions de deux drames écrits par Victor refermée. » Hugo en 1833 : Lucrèce Borgia et Marie Tudor. Jean-Louis Besson, Le théâtre de  Malgré la brièveté de son œuvre Büchner Georg Büchner, un jeu de masques, tient une place majeure dans la littérature Editions Circé, 2002. européenne.

ELEMENTS BIOGRAPHIQUES A EXPLOITER AVEC LES ELEVES • ses engagements politiques (socialistes) qui lui vaudront l’exil; • sa précocité et sa mort dans sa vingt-quatrième année ; • sa place dans le théâtre contemporain ; • la reconnaissance tardive de son œuvre.

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ALBAN BERG

Né le 9 février 1885 à Vienne Mort dans la même ville le 24 décembre 1935

Il fait partie avec Arnold Schönberg et de la Seconde École de Vienne, connue pour l’utilisation du dodécaphonisme - échelle de 12 sons indépendants d’une quelconque tonalité- 1.

PORTRAIT DE BERG PAR SCHÖNBERG

SCHÖNBERG / BERG : UNE RELATION D’AMITIE Issu d’une famille bourgeoise passionnée de musique, Alban Berg devient en 1904 l’élève de Lorsqu’ Alban Berg rencontre Schoenberg Schönberg. Dès 1909, il met en pratique les leçons en 1904, celui-ci vient de terminer son de son maître et ami dans un Quatuor à cordes puis Trois pièces pour orchestre (1914), de style premier quatuor. Entre le maître et l’élève expressionniste. Vient ensuite Wozzeck, d’après le s’établit aussitôt un climat de confiance et drame de Büchner. Créé à Berlin en 1925, cet opéra une inaltérable amitié. Schoenberg instruisit est une synthèse des systèmes tonal, atonal et sériel. Berg dans toutes les sciences musicales Son Concerto de chambre terminé la même année (harmonie, contrepoint, analyse puis sa Suite lyrique (1926) forment ses premières orchestration), mais surtout il se préoccupa œuvres dodécaphoniques. Dans le domaine lyrique, de la personnalité de son élève, favorisant, Berg compose encore une cantate sur des textes de Baudelaire (« le Vin »), et un nouvel par ses conseils intelligents, la maturation opéra, , laissé inachevé. En 1935, son Concerto de son tempérament d’artiste. Trois œuvres à la mémoire d’un ange qu’il dédie à Manon importantes de Berg (les Pièces pour Gropius, fille d’Alma Mahler récemment disparue, orchestre op. 6, le Kammerkonzert et Lulu) est un véritable chant d’amour et d’adieu. Berg sont dédiées à Schoenberg, en témoignage meurt d’une septicémie quelques mois plus tard. de sa filiale admiration.

"Celui qui voudrait croire que c’est seulement la reconnaissance et l’amitié qui m’incitent à POUR EN SAVOIR PLUS sur la exprimer mon admiration, que celui-là personnalité de Berg, on lira avec profit n’oublie pas que je sais lire la musique, et les extraits proposés dans les carnets de qu’à travers des sons..., j’ai pu me faire une lecture : idée du talent déployé... Salut à toi, Alban - Arnold Schönberg : Le Style et l’idée. - Theodor W. Adorno : Alban Berg, le maître Berg ! " Arnold Schönberg de la transition infime.

1 Voir le chapitre consacré à l’atonalité dans Wozzeck p. 14 du présent dossier.

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L’ŒUVRE ET SA GENESE

DU FAIT DIVERS A LA PIECE DE THEÂTRE

Wozzeck de Berg prend appui sur la pièce de théâtre de Büchner qui elle-même s’inspire d’un fait divers survenu en 1821 à Leipzig : le soldat Woyzeck est décapité pour avoir poignardé sa maîtresse, en août 1824. Il s’agit d’un drame de la jalousie avec, comme toile de fond la misère sociale dans laquelle le protagoniste évolue, en proie de surcroît à des accès de psychose.

« Le 21 juin de l’année 1821, vers 9 heures et demie du soir, le coiffeur Johann Christian Woyzeck, 41 ans, frappait la veuve de feu le chirurgien Woost Johann Christian, 46 ans, dans le couloir de sa maison, Sandgasse, avec une lame d’épée émoussée à laquelle il avait fait mettre une poignée cet après-midi- là. Atteinte de sept blessures, la veuve rendait l’âme au bout de quelques minutes. »

EXTRAIT DU RAPPORT MEDICAL L’EXECUTION DE WOYZECK SUR LA MARKPLATZ DE LEIPZIG LE 27 AOUT 1824

Avant de mourir en 1837, Georges Büchner rédige sa pièce qui restera à l’état de fragments : 27 scènes brèves, assez lâchement reliées en une succession incertaine et dans un style heurté, lacunaire, très réaliste. L’aspect fragmenté, lacunaire et ouvert de l’œuvre – permettant à chaque metteur en scène de choisir son propre ordre, de transmettre et d’imposer sa propre vision –, ainsi que le choix d’un personnage principal, homme simple, issu du peuple et en bas de la hiérarchie sociale, explique son rayonnement au sein du théâtre moderne.

EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES  Montrer que l’histoire, inspirée d’un fait réel, présente pour la première fois un héros qui n’est ni un prince ni un bourgeois, mais un simple homme.  On pourra parallèlement faire rechercher dans le répertoire théâtral romantique la fonction sociale des personnages récurrents.

A RETENIR : Fréquemment considéré comme l’antihéros par excellence, Wozzeck est le premier héros, parmi ceux qui jalonnent l’histoire de l’opéra, qui n’a plus rien d’exceptionnel. Page | 9

DE LA PIECE AU LIVRET

Berg découvre la pièce de Büchner en mai 1914 à Vienne quand il assiste à sa représentation au Wiener « Je fus surpris lorsque Berg, cet Kammerspiele. Il transformera la succession des 27 adolescent au cœur tendre, s’engagea scènes du fragment en un drame solidement dans une aventure qui paraissait charpenté en 3 actes et 5 scènes chacun, adoptant une condamnée au désastre : la mise en trajectoire rigoureuse et toute « classique » : exposition- chantier de Wozzeck, drame d’une péripétie-catastrophe. action si tragique qu’il semblait exclu qu’on pût le mettre en musique. L’exposition présente le protagoniste dans son Objection plus grave : l’action environnement et le monde qu’il fréquente : son ami comportait des scènes de la vie de Andrès, le Capitaine, le Docteur, Marie, son fils, le tous les jours, en contradiction avec Tambour-Major. les canons de l’opéra qui reposaient Péripétie : Wozzeck affronte l’infidélité de Marie. encore sur l’emploi de costumes de Catastrophe : il tue Marie. théâtre et de personnages Après trois années de travail, le compositeur parachève conventionnels. son œuvre, de 1917 à 1922.

Schönberg, propos cités par Alain Wozzeck est dédié à Alma Mahler qui prit alors en Poirier, L’expressionnisme et la charge une partie des frais d’édition. En 1924, Hermann musique, p. 252. Scherchen dirige trois fragments de Wozzeck à Francfort. L'opéra intégral sera finalement créé à Berlin, l'année suivante, au Staatsoper sous la baguette d'Erich Kleiber. Le grand succès ne fut jamais démenti depuis même si l’Allemagne nazie qualifiera l’opéra, quelques années plus tard, d’art dégénéré.

CROQUIS DE WOZZECK REALISE PAR LE SCENOGRAPHE JEAN- PIERRE LARROCHE POUR L’OPERA DE REIMS

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LES PISTES D’EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES

L’EXPRESSIONNISME

OU ET QUAND ? A EXPLOITER EN : L’expressionnisme est un ample mouvement artistique qui HISTOIRE DES apparaît au début du XXème siècle, entre 1905, année de la ARTS : fondation de la communauté d’artistes « die Brücke » et 1920, - En Collège avec année marquant la fin des agitations révolutionnaires d’après- thématique : « arts, ruptures guerre. Il s’épanouit essentiellement dans le nord de l’Europe et et continuité » plus particulièrement en Allemagne. - Au lycée avec la thématique « Arts, réalités, imaginaires » LES DOMAINES ARTISTIQUES LETTRES Il touche de nombreux domaines artistiques aussi différents que HISTOIRE les décors de théâtre, la danse, le cinéma, le théâtre, EDUCATION MUSICALE l’architecture, la musique même si la peinture reste son domaine ALLEMAND de prédilection.

SES CARACTERISTIQUES

L’expressionnisme est l’expression d’une conception de la vie ressentie par une jeune génération unanime quant au rejet des structures sociales et politiques dominantes.

Il consiste en la projection d’une subjectivité qui tend à déformer la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Les représentations sont souvent basées sur des visions angoissantes, déformant et stylisant la réalité pour atteindre la plus grande intensité expressive. Celles- ci sont le reflet de la vision pessimiste que les expressionnistes ont de leur époque, hantée par la MURNAU, Nosferatu, 1922 menace de la première guerre mondiale.

D’une manière générale, ce mouvement artistique, influencé par la psychanalyse naissante, se propose d’explorer les méandres de l’âme humaine et la fascination de la mort avec une violence paroxystique, visible dans la représentation des corps et des visages torturés, ou encore de paysages angoissants. Cette école picturale reste très proche du fauvisme, né au même moment en France, et qui quant à elle porte à l’extrême le principe de liberté de perception issu de l’impressionnisme. Le fauvisme est, selon Derain, l’« épreuve du feu » de la peinture. Révélé au public de manière spectaculaire lors du Salon d’Automne de 1905, le mouvement initié par Matisse affirme l’autorité de l’artiste dans le choix de couleurs autonomes, tout en tenant compte de la leçon synthétiste de Gauguin. EDWARD MUNCH, LE CRI, 1893 NATIONAL GALLERY, OSLO Page | 11 

LES SIGNES ANNONCIATEURS

En peinture, les premiers éléments annonciateurs de l’expressionnisme apparaissent à la fin du XIXème siècle, en particulier chez Edvard Munch (Le Cri) ainsi que dans les travaux de Van Gogh.

MUSIQUE Le terme «expressionnisme» est surtout appliqué aux trois compositeurs Schönberg, Berg et Webern qui forment la Seconde école de Vienne ; mais il prend une coloration particulière. La musique évolue essentiellement dans l’ombre omniprésente de Wagner, et ses caractéristiques essentielles sont un lyrisme émotif intense et une concentration sur le moi. L’expressionisme musical ne se pose pas en réaction contre ce qui précède ; il représente au contraire une exaspération de ce qui se trouvait en germe dans le romantisme et que le postromantisme avait amplifié. Il accentue l’atmosphère subjective par le culte d’un moi hypertrophié dont l’insatisfaction fondamentale devant le monde ambiant et les normes existantes se traduit par des sursauts de révolte, des tensions perpétuelles, un penchant pour l’anarchie et une atmosphère fiévreuse débouchant souvent sur le lugubre, le morbide, le décadent. Der Blaue Reiter publia dans son premier numéro l’œuvre d’Arnold Schönberg (qui s’exerça aussi à la peinture Schönberg, Vision rouge expressionniste), d’Alban Berg et d’Anton Webern. Les opéras 1910 Lulu et Wozzeck de Berg, les drames Die Erwartung et Die Glückliche Hand de Schönberg peuvent être qualifiés d’expressionnistes.

LITTÉRATURE En littérature, on cite généralement le nom des poètes Hugo Ball, Gottfried Benn, Yvan Goll ou Georg Trakl mais on rattache également les romans de Franz Kafka à l’expressionnisme ainsi que plusieurs auteurs dramatiques allemands du début du XXe siècle tels que Georg Kaiser ou Ernst Toller. En France, où le terme est peu couramment employé en littérature, on a parlé d’expressionnisme à propos d’un roman d’Octave Mirbeau Dans le ciel, rédigé sous le coup de la révélation de Van Gogh, ou à propos de ses Farces et moralités.

CINEMA Avec l’apparition du film Le Cabinet du docteur Caligari en 1919, Robert Wiene apparaît comme un des premiers metteurs en scène introduisant clairement des éléments expressionnistes au cinéma grâce aux lumières, décors, costumes, autant d’éléments qui aspirent à montrer, à travers le grand écran, une optique déformée de la réalité. Au commencement, le cinéma muet allemand était complètement lié à l’expressionnisme avec des metteurs en scène comme Fritz Lang, Friedrich Murnau, Paul Leni et Paul Wegener. Les œuvres les plus Le Cabinet du docteur Caligari représentatives de cette période sont : Nosferatu de Murnau, Metropolis, Les Trois lumières, Le dernier des Hommes (Der Letze Mann), et Le Testament du Dr Mabuse. La démesure était associée à un genre de cinéma d’horreur et fantastique. Quelques

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œuvres postérieures virent le jour dans l’étape du cinéma sonore, comme, M le Maudit (également connu simplement par M) de Fritz Lang.

LA COMPASSION SOCIALE DANS WOZZECK

La remise en question de l’ordre social est un phénomène A EXPLOITER EN : relativement récent, l’un des acquis essentiels, peut-être même le LETTRES plus important de tous, de la Révolution française de 1789, HISTOIRE comme le prouve l’affirmation saisissante d’un de ses acteurs les EDUCATION MUSICALE plus radicaux, Saint-Just : «Le bonheur est une idée neuve en

Europe». Plus précisément le droit au bonheur. Bien que ce droit au bonheur se trouve déjà affirmé dans l’œuvre des grands philosophes des Lumières, la compassion sociale s’est développée plus tard. En littérature, il faut attendre le plein essor du XIXe siècle. La musique, et en particulier l’opéra qui nous intéresse ici, a suivi bien plus tard encore.

Verdi fut bien sûr un compositeur hautement politique, mais la dimension proprement sociale lui demeura étrangère, même dans un sujet «contemporain» comme celui de La Traviata. De même, Le Trouvère ou même La Bohême (Puccini) ne peuvent absolument pas être analysés comme drames sociaux, et la compassion dont Puccini est l’un des plus grands maîtres n’entraîne jamais chez lui une remise en question de l’ordre socio-politique établi. Il faut attendre les lendemains de la Première Guerre Mondiale pour voir apparaître enfin, près d’un siècle après les grands textes littéraires correspondants, les premiers chefs d’œuvre véritables pouvant correspondre à notre définition de la compassion sociale, c’est-à-dire basés sur une remise en question radicale d’un ordre social générateur d’oppression inégalitaire et de malheur causé par l’impossibilité pour les victimes de vivre pleinement leur humanité. Le sujet de Wozzeck est essentiellement celui-là, comme il sera celui de Lulu. Dans un ordre social si monstrueusement injuste, celui d’une hiérarchie sociale et matérielle arbitraire issue de l’Ancien Régime, et où les privilèges de la naissance ne cèdent la place qu’à ceux de l’argent, on ne voit qu’une superposition de victimes. Certes, Wozzeck le premier, mais ses bourreaux «immédiats», le Tambour-Major, le Capitaine ou le Docteur, sont eux-mêmes les victimes de ceux qui les dominent, en vertu de la loi infernale d’un système où les bourreaux contaminent leurs victimes en un jeu de miroirs sans fin. Au plus bas se trouve Marie, la femme dont le sexe est la seule arme face à l’oppression de tous les hommes. Alban Berg aura cependant eu un prédécesseur de première importance en la personne de ce pionnier parmi les pionniers, Leos Janacek. Dans Jenufa, le compositeur, s’inspirant d’une pièce de Gabriela Preissová, critique la société paysanne morave de la fin du XIXe siècle, avec ses structures patriarcales strictement hiérarchisées et misogynes. On retrouve la compassion sociale dans ses œuvres postérieures telles Katya Kabanovaou encore La Petite Renarde Rusée, mais c’est avec De la Maison des morts que Janacek se penche sur la plus atroce misère matérielle et morale, celle de l’univers carcéral sibérien. Plus tard, Dimitri Chostakovitch fera de sa Lady Macbeth de Mzensk un chef d’œuvre insurpassable de compassion sociale : Katerina y apparaît comme une victime d’un ordre social insupportable, le même exactement que celui de Katya Kabanova, celui de la classe marchande russe bornée du milieu du XIXe siècle. Mais contrairement à cette dernière, elle refuse de se soumettre et décide de vivre pleinement sa vie, quitte à la perdre.

POUR APPROFONDIR AUTOUR DE CE SUJET  Lire l’article de Harry Halbreich tiré de L’Avant Scène Opéra n°215, éditions Premières Loges, Paris, 2003, pp. 86-91.  On lira aussi avec profit l’extrait proposé dans les « carnets de lecture » du présent dossier pédagogique : Leibovitz, Histoire de l’opéra, chapitre intitulé « les opéras d’Alban Berg ou la synthèse de l’art lyrique ».

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LES CLEFS DU LANGAGE MUSICAL

L’ABANDON DU SYSTEME TONAL

L’écriture musicale abandonne le système tonal traditionnel fondé sur la tension / détente, générée par la dominante et la tonique, système employé par tous les musiciens depuis les précurseurs de Bach. Aucune note n’occupe désormais de place privilégiée, il n’y a plus de tonique : la musique devient « atonale », utilisant toutes les ressources de la gamme chromatique sans aucune hiérarchie. Ce changement s’opère progressivement au tournant du XXème siècle en Allemagne sous l’impulsion des compositeurs de la seconde école de Vienne : Schönberg, Berg, Webern.

Voici ce qu’en dit Alban Berg lui-même peu après la composition de Wozzeck :

« Quand je décidai, il y a quinze ans, de composer Wozzeck, la situation de la musique était très particulière. Nous, de l’Ecole de Vienne, ayant à notre tête Arnold Schönberg, venions juste de franchir le seuil de ce mouvement musical qu’on a appelé (à tort d’ailleurs) « atonal ». La composition dans ce style se limitait, dans un premier temps, à l’élaboration de petites formes, telles que des lieder, des pièces pour piano ou pour orchestre, où, dans le cas d’œuvres plus importantes (comme les vingt et un mélodrames du Pierrot lunaire de Schönberg ou ses deux ouvrages en un acte pour la scène), à l’élaboration de formes qui

tirent leur configuration d’un support textuel ou de l’action

dramatique. Il manquait encore à ce style dit « atonal » des

œuvres de plus grande envergure, conçues classiquement en quatre mouvements, de dimensions jusqu’alors habituelles. La raison de cette absence ? Ce style avait renoncé à la tonalité, et, de ce fait, au moyen le plus sûr, le plus puissant, pour traiter les très grandes comme les petites formes. »

A.BERG, Conférence sur Wozzeck (1929), révision et traduction Dennis Collins, in revue musique en jeu n°14, éditions du Seuil, Paris, 1974, p.77.

POINT SUR LE VOCABULAIRE

MUSIQUE DODECAPHONIQUE : musique utilisant une série de douze sons de l’échelle chromatique, dans un ordre fixé à l’avance et immuable.

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ZOOM SUR LES PERSONNAGES PRINCIPAUX ET LES DIFFERENTS STYLES VOCAUX QUI LEURS SONT ASSOCIES

Berg emploie plusieurs styles de déclamation et de chant qui P.-J. Jouve et M. Fano parlent rendent la vocalité vivante et contrastée : du parler ordinaire sans d’un « mystère de la voix » hauteur et sans rythme au chant pur, avec efflorescences lyriques. dans Wozzeck. « Le chant se confond avec la matière thématique générale. » La ligne WOZZECK : BARYTON mélodique accentue les Constamment angoissé et révolté, illuminé et délirant, dévoré par inflexions du texte et les la jalousie, le soldat Wozzeck est confronté à des tensions déforme parfois, « pour libérer extrêmes. la force magnétique du mot », Son style vocal est de ce fait particulièrement varié et peut ce que Jouve nomme le prendre toutes les formes et les teintes de la vocalité, du murmure « pouvoir surnaturaliste du au cri, de l’acquiescement mécanique à la phrase largement chant. » soutenue et exaltée.

Voir bibliographie p. 28 : FANO, TAMBOUR-MAJOR : HELDEN TENOR (TÉNOR Michel et JOUVE, Pierre Jean, HÉROÏQUE) Wozzeck d’Alban Berg Ce ténor héroïque quasi wagnérien, est un bellâtre vaniteux, modèle du séducteur et du fanfaron au panache dérisoire, mais également vulgaire et brutal.

LE CAPITAINE : TENOR BOUFFE À la voix extrêmement malléable, le Capitaine est un personnage sanguin et glapissant, mielleux et imbu de lui- même. Vocalement, il est capable de grands bonds, de changements rapides de registre et d’expression.

LE DOCTEUR : BASSE BOUFFE Le docteur est un tortionnaire qui vit dans un monde irréel d’expériences et de rêves de gloire. Il débite avec assurance et grandiloquence des âneries pseudo-scientifiques et philosophiques. Son style vocal est volontiers cassant et vif, mais également extatique, au bord de la transe, enflammé ou pontifiant.

MARIE Mère pleine de tendresse pour son enfant auquel elle chante des berceuses, raconte des histoires qu’elle dramatise en faisant les gros yeux, elle est aussi est une pécheresse espérant un acte rédempteur du Christ. Elle assume une féminité exigeante et sensuelle, car elle aime la force animale des hommes, mais n’attend pas de leur être soumise. Toutes les ressources vocales d’une soprano dramatique sont exigées pour ce rôle, depuis le registre grave poitriné jusqu’aux notes aiguës les plus affirmées et même stridentes.

CROQUIS DE MARIE REALISE PAR LE SCENOGRAPHE JEAN- PIERRE LARROCHE POUR L’OPERA DE REIMS

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Saluer Marie….. Par Dorian Astor, dramaturge

« Et la femme ? Les héros ont vécu, les anti-héros aussi. La souffrance de Wozzeck nous aveugle, et nous cache celle de Marie, incommensurable. Marie est le personnage le plus complexe, parce qu’il est paradoxalement le plus traditionnel, c’est-à-dire aussi le plus aliéné - sans avoir basculé dans la folie comme Wozzeck, ce qui est peut-être pire. Elle n’arrive pas à se mouvoir en dehors des figures traditionnelles de la féminité qui lui sont socialement imposées : la mère, la putain, la sainte.

Marie est une mère, alors que tout est fait pour l’en empêcher. La forme sous laquelle s’exprime cette maternité est celle de la berceuse ou du conte. Elle ne cesse de vouloir protéger l’enfant en l’entourant de fictions. Et pourtant, chaque fiction se fait menace : l’enlèvement par les bohémiens, les yeux arrachés par le marchand de sable. Marie fait peur à son fils, parce qu’elle a peur elle-même, parce qu’elle est pauvre, parce que le père est fou et ne tient pas son rôle (« il ne l’a même pas regardé »). Figure de la mère monstrueuse, ou indigne. Double aliénation : on te range du côté des mères, et puis on te stigmatise parce que c’est une place intenable dans la misère.

Elle est une putain, parce c’est sa façon d’être prolétarisée. Comme les putes bon marché, elle est fascinée par les petits cadeaux. Il y a des putes parce qu’il y a des hommes au pouvoir, partout. Personne ne se demande pourquoi elle est excitée par les beaux soldats, on ne veut rien savoir de sa pulsion sexuelle, de sa pulsion de vie, de son animalité, réveillée par l’animalité caricaturale du tambour-major. L’aliénation bourgeoise du corps de la femme, on la retrouve dans la remarque du docteur : les hommes développent des maladies du cerveau et les femmes des cancers de l’utérus. La belle affaire ! Wozzeck lui-même la tue parce qu’il est terrorisé par la « femme en chaleur ».

Marie est une sainte, parce qu’elle cherche la rédemption, et ne la trouvera que dans le martyre. Elle cherche des réponses auprès de Marie-Madeleine (la pute rédimée). Le plus déchirant reste le cri de Marie contre le tambour-major : « Ne me touche pas ! ». « Noli me tangere », avait clamé le Christ ressuscité à Marie-Madeleine voulant l’approcher. Marie- Madeleine est une figure centrale pour comprendre Marie. Et aussi la Babylone biblique. Wozzeck regarde Marie comme le quartier qui l’entoure : des monstres de luxure. Il en vient à des imprécations de prophète contre la ville femelle.

Et sinon - pourquoi Marie meurt-elle ? Carmen ou Lulu nous donneront des fragments de réponse. »

CROQUIS DE L’ENFANT REALISE PAR LE SCENOGRAPHE JEAN- PIERRE LARROCHE POUR L’OPERA DE REIMS

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L’EMPLOI DE LEITMOTIVE

Une forêt thématique est liée aux personnages. Les thèmes ou leitmotive sont aussi bien vocaux qu’instrumentaux. Berg les nomment Erinnerungsmotive (motifs du souvenir) et une grande partie d’entre eux apparaissent dans le premier acte placé sous le signe de la prémonition. Ils sont associés aux personnages principaux, à leurs sentiments, à leurs états psychiques ou représentent objets- symboles qui annoncent le drame : le sang, le couteau ou la mort.

On peut ranger dans quatre catégories ces différents leitmotive :

1° Motifs mélodico-rythmiques 2° Motifs harmoniques ou thèmes d’accords 3° Motifs d’intervalles La seconde mineure est liée au sang, la tierce mineure au couteau, la quinte à la mort. 4° Motif d’une note : Une note apparaît à la fin du deuxième acte pour devenir de plus en plus importante jusqu’à la scène du meurtre (III-2) qui est entièrement construite sur celle-ci : la note Si est la note du crime.

 Voir l’analyse ci-après de la scène du meurtre de Marie.

L’EXEMPLE D’ANALYSE D’UNE SCENE : LE MEURTRE DE MARIE, ACTE III, SCENE 2

L’audition de l’extrait musical proposé en analyse est disponible sur le net : http://www.youtube.com/watch?v=1kPdwwvr0qo

SITUATION DE L’EXTRAIT DANS L’OPERA Le troisième acte est celui du dénouement dramatique. La seconde scène correspond au meurtre de Marie dans ce qu’il a de plus réaliste et violent.

Toute cette scène se construit sur la note SI, noyau structurel et

dramatique de l’ensemble. « L’invention sur une note utilise sciemment le mécanisme de Cette note traverse la totalité de la partition comme le symbole l’obsession. La note résonne à musical de la mort de Marie : toute place, elle existe à tous les instants : présente en chaque 1° Elle est présente aussi bien aux instruments qu’aux voix. mesure avec un rôle propre à tous 2° Elle se fait entendre dans tous les registres : des graves les les registres, revêtue par plus profonds aux aigus les plus stridents. l’instrumentation de toutes les 3° Elle peut revêtir différents modes de jeux : trémolos, sonorités. Elle est donc le son glissandos, harmoniques. immuable. Le son fixe, le son sacré. Elle est obsédante dans le fond comme dans la forme, le son Pour en percevoir toute l’importance dramatique, on peut SI pour l’image du meurtre. » donner quelques exemples de son utilisation :

Michel FANO, Wozzeck d’Alban

Berg (voir la rubrique « pour en - Dès le début, planté dans le registre grave des savoir plus »). contrebasses et , le Si donne à entendre la

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profondeur sombre et inquiétante de la forêt :

- Affublé d’un trille aux bassons, la délicate oscillation sur ce Si peut traduire le sentiment d’insécurité de Marie, isolée dans cette forêt, face à Wozzeck au comportement étrange.

- Les cordes ainsi que la harpe et le célesta exécutent des glissandos inquiétants sur cette note, conclusion instrumentale angoissante venant souligner la perversité des propos de Wozzeck qui interroge, à ce moment précis, Marie sur sa bonté et sa fidélité :

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- Au moment du crime - précisément quand Wozzeck sort son couteau et jusqu’à la mort proprement dite de Marie - le si est martelé aux timbales qui donnent à entendre l’inéluctabilité d’un destin tragique :

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- C’est encore sur ce si (d’abord chanté dans l’aigu puis deux octaves plus graves ensuite) que Marie pousse son dernier cri « Hilfe » (« à l’aide »), au moment même où elle va être poignardée :

- La scène s’achève aussi sur cette note - placée dans tous les registres de l’échelle sonore- et qui envahit progressivement tout l’orchestre dans un grand crescendo final qui s’effectue en deux étapes entrecoupées d’un rythme « à nu », énoncé à la grosse caisse. L’effet théâtral, dramatique est saisissant :

Début du second crescendo sur la note

SI

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ZWEITE SZENE DEUXIEME SCENE

Waldweg am Teich. Es dunkelt. Sie kommt mit Chemin forestier près de l’étang. Il commence à faire Wozzeck von rechts. nuit. Marie arrive avec Wozzeck de la droite.

MARIE MARIE Dort links geht’s in die Stadt. Là, à gauche, ça va vers la ville. C’est encore loin. Es ist noch weit. Komm schneller. Viens plus vite !

WOZZECK WOZZECK Du sollst da bleiben, Marie. Komm, setz’ Dich. Reste ici, Marie. Viens, assieds-toi.

MARIE MARIE Aber ich muss fort. Mais je dois partir.

WOZZECK WOZZECK Komm! (Sie setzen sich) Bist weit gegangen, Marie. Viens ! (Ils s’assoient) Tu es allé loin, Marie. Tu ne Sollst Dir die Füße nicht mehr wund laufen. ‘s still dois plus t’abîmer les pieds à marcher. C’est tranquille hier! Und so dunkel. Weißt noch, Marie, wie lang es ici ! Et si sombre – tu te souviens, Marie, combien de jetzt ist, dass wir uns kennen? temps ça fait maintenant qu’on se connaît ?

MARIE MARIE Zu Pfingsten drei Jahre. Trois ans à Pentecôte.

WOZZECK WOZZECK Und was meinst, wie lang es noch dauern wird ? Et combien de temps crois-tu que ça va encore durer ?

MARIE MARIE (elle se lève brusquement) (Sie springt auf) Je dois partir. Ich muss fort.

WOZZECK WOZZECK Fürchte Dich, Marie? und bist doch fromm? (Er lacht.) Tu as peur, Marie ? (Il rit.) Et bonne ! Et fidèle ! (Il la Und gut! Und treu! (Er zieht sie wieder auf den Sitz. Er fait assoir ; se penche vers elle, à nouveau sérieux.) neigt sich wieder, Ernst, zu Marie.) Was Du für süße Quelles douces lèvres tu as, Marie ! (Il l’embrasse.) Je Lippen hast, Marie ! (Er küsst Sie.) Den Himmel donnerais le paradis et tout le bonheur céleste pour Gäb’ ich drum und die Seligkeit, wenn ich Dich noch pouvoir encore souvent t’embrasser comme çà ! Mais oft so küssen dürft ! Aber Ich darf nicht! Was zittert? je ne peux pas ! Qu’as-tu à trembler ?

Der Nacht tau fällt. La rosée de la nuit tombe.

WOZZECK WOZZECK (Flüstert vor sich hin) (chuchotant pout lui-même.) Wer kalt ist, den friert nicht mehr! Dich wird beim Celui qui a froid n’a plus froid ! A la rosée du matin, Morgentau nicht frieren. tu n’auras plus froid.

MARIE MARIE Was sagst Du da? Que dis-tu là ?

WOZZECK WOZZECK Nix. Rien. (Langes Schweigen) (Long silence) (Der Mond geht auf) (La lune se lève.)

MARIE MARIE Wie der Mond rot aufgeht! Comme la lune se lève rouge !

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WOZZECK WOZZECK Wie ein blutig Eisen ! Comme un fer ensanglanté. (zieht den Messer) (Il sort son couteau.)

MARIE MARIE Was zittert? (springt auf) Was will? Tu trembles ? (elle se lève d’un bond) Que veux-tu ?

WOZZECK WOZZECK Ich nicht, Marie ! Und kein andrer auch nicht ! (packt Moi, rien, Marie ! Et personne d’autre non plus ! (il sie an und stößt ihr das Messer in den Halls) saisit, et lui enfonce le couteau dans la gorge.)

MARIE MARIE Hilfe ! Au secours ! (sinkt nieder) (Elle s’écroule.)

WOZZECK WOZZECK (beugt sich über Marie). (Marie stirbt). Todt ! (richtet (se penche sur Marie.) (Elle meurt) Morte ! sich scheu auf – und stürzt geräuschlos. Vorhang zu. (se lève craintif - et disparaît sans bruit. Rideau.)

A EXPLOITER EN CLASSE

LETTRES  Analyser la présente d’images prémonitoires aux couleurs sanglantes et les différents symboles annonciateurs du tragique événement. EDUCATION MUSICALE  Création musicale sur une note : une invention de quelques minutes sur des notes Si, jouées sur les instruments à disposition ou des voix, en variant la registre, la durée, avec des rythmes variés, en ostinato. Cette expérience devrait faire naître l’idée de l’obsession, du stress. HISTOIRE DES ARTS  Travail sur l’expressionnisme à travers la thématique « Arts, réalités, imaginaires » : on peut

notamment faire visionner des scènes de meurtres : Murnau, Lang….

CROQUIS DE LA SCENE DU MEURTRE DE MARIE REALISE PAR LE SCENOGRAPHE JEAN- PIERRE LARROCHE POUR L’OPERA DE REIMS

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LES OUTILS PEDAGOGIQUES

LES CARNETS DE LECTURE

ARNOLD SCHOENBERG LE STYLE ET L’IDEE

« Quand Alban Berg vint à moi, en 1904, c’était un très grand garçon extrêmement timide. J’examinai les compositions qu’il me soumit, des mélodies écrites dans un style qui se situait entre Hugo Wolf et Brahms, et je reconnus aussitôt en lui un véritable talent. En conséquence, je l’acceptai pour élève, bien qu’à l’époque, il fût incapable de me régler des honoraires. Par la suite, sa mère fit un gros héritage, et elle conseilla à Alban, puisqu’ils étaient désormais riches, d’entrer au Conservatoire. On m’a rapporté qu’Alban fut si bouleversé par cette proposition qu’il se mit à pleurer et ne cessa de pleurer que lorsque sa mère l’eut autorisé à poursuivre ses études avec moi. Il fut toujours d’une absolue loyauté envers moi, tout au long de sa brève existence. Pourquoi ai-je rappelé cette anecdote ? Pour dire à quel point je fus surpris lorsque cet adolescent timide au cœur tendre s’engagea dans une aventure qui paraissait condamnée au désastre : la mise en chantier de Wozzeck: drame d’une action si tragique qu’il semblait exclu qu’on pût le mettre en musique. Objection plus grave : l’action comportait des scènes de la vie de tous les jours, en contradiction avec les canons de l’opéra qui reposaient encore sur l’emploi de costumes de théâtre et de personnages conventionnels. Et pourtant Alban Berg réussit. Wozzeck fut un des plus grands succès qu’ait connu l’opéra. Et pourquoi ? Parce que Berg, s’il était d’apparence timide, possédait un caractère fortement trempé, aussi loyal envers ses propres idées qu’il fut loyal à mon égard lorsqu’il fut presque mis en demeure de cesser ses études avec moi. Il réussit à imposer son opéra comme il avait réussi à rester mon élève. Forger son destin sur la foi en ses propres idées, voilà la qualité qui fait le grand homme. »

Extrait d “Alban Berg” (1949), in , Le Style et l’idée, traduit de l’anglais par Christiane de Lisle Editions Buchet Chastel, 1977,

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Theodor W. Adorno Alban Berg, le maître de la transition infinie

« J’ai fait sa connaissance au printemps et au début de l’été 1924, lors de la fête de l’Allgemeiner Deutscher Musikverein , le soir de la première des trois fragments de Wozzeck. Enthousiasmé par cette oeuvre, je priai Scherchen, que je connaissais, de me présenter à Berg. En quelques minutes, il fut convenu qu’il me prendrait comme élève à Vienne, dès que j’aurais passé mon doctorat, au mois de juillet. Ce n’est finalement qu’au début du mois de janvier 1925 que je vins à Vienne. La première impression que j’avais eue de Berg à Francfort, avait été son extrême gentillesse, mais aussi sa timidité qui me libéra de la peur que m’inspirait cet homme que j’admirais sans mesure. Si j’essaie de me souvenir de l’impulsion qui me poussa aussitôt vers lui, je me rends compte qu’elle était tout à fait naïve ; pourtant, elle avait trait à un aspect essentiel de Berg ; en effet, les fragments de Wozzeck, surtout l’introduction de la marche, puis la marche elle-même, me semblaient faire la synthèse de Schoenberg et de Mahler, et c’était là à mes yeux l’idéal de la nouvelle musique. Deux fois par semaine, je faisais mon pèlerinage chez Berg au 27 de la Trauttmansdorfgasse à Hietzing, dans ce rez-de-chaussée qu’habite encore aujourd’hui Madame Hélène Berg. A l’époque, cette rue était à mes yeux d’une incomparable beauté. D’une façon que j’aurais du mal à préciser aujourd’hui, ses platanes me rappelaient Cézanne ; à l’âge que j’ai actuellement, elle n’a pas perdu son charme. Lorsque je revins à Vienne au retour de l’émigration et que je cherchai la Trauttmansdorfgasse, je m’égarai et revins vers mon point de départ à l’église de Hietzing ; puis je me mis en route comme si j’étais aveugle, sans réfléchir, en me fiant à mon souvenir inconscient, et je trouvai mon chemin en quelques minutes. En 1925, avant d’entrer dans la maison pour la première fois, je sus où j’étais en entendant des accords dissonants – ceux du Concerto de chambre que Berg était en train d’achever – qu’il faisait résonner au piano. J’ignorais que ce fût là une situation très célèbre qui se répétait. Sur la porte, le nom avait été dessiné par Berg en caractères très savants, les mêmes que pour les titres des éditions originales des opus 1 et 2, encore avec une pointe de Jugendstil, mais pourtant bien lisibles, sans aucune surcharge ornementale. Berg avait un indéniable talent de plasticien. Ce qui était déterminant chez lui était moins le lien primaire au matériau musical que le besoin d’expression. A la lumière de ses débuts, le fait qu’il ait persisté dans la musique est presque contingent. Nul doute qu’il ait eu beaucoup de mal à traduire son besoin d’expression universellement esthétique en terme spécifiquement musicaux ; c’est ce trait de caractère qui a servi de modèle au personnage de Leverkühn. Il était artiste avant tout, mais artiste à tel point qu’il devient par là même un artiste au sens particulier, un maître de la composition. Cela étant, toute visualité n’a pas disparu, de la façon la plus frappante, dans la calligraphie de ses partitions. Un après-midi, il m’a enseigné au Café Impérial comment on écrit clairement des notes. [...] Je ne puis résister à la tentation de parler du nom de Berg qu’il prononçait avec une chaleur infinie, sans rien ajouter, lorsqu’il répondait au téléphone. Quand il prononçait son nom, il le faisait de la manière dont d’autres disent « je ». Je n’ai guère connu de personne qui ait autant ressemblé à son nom. Alban : il y a là à la fois l’élément catholique et traditionnel – ses parents possédaient un commerce d’objets religieux – et l’aspect recherché, élégant auquel cet homme fidèle n’a jamais tout à fait renoncé malgré toute sa rigueur et sa discipline constructives. Berg : son visage était montagneux en ce double sens qu’il avait les traits d’une personne familière des Alpes et qu’il avait lui-même, avec son nez noblement arqué, sa bouche douce et fine et ses yeux profonds,

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énigmatiquement vides, semblables à des lacs, quelque chose d’un paysage montagneux. Extraordinairement grand de stature, mais en même temps délicat, comme s’il n’était pas à la hauteur de sa propre taille, il se tenait penché en avant. Ses mains et surtout ses pieds étaient étonnamment petits. Son apparence, son attitude et son regard avaient quelque chose du géant rêveur et lourdaud. On aurait pu imaginer qu’il voyait tout agrandi, de manière effrayante, comme on le dit des chevaux. Peut-être que l’aspect micrologique de ses compositions était une réaction à cela ; les détails sont infimes, infinitésimaux, car le géant les perçoit comme à travers des jumelles de théâtre. Même prise comme un tout, sa musique, à la fois démesurée et fragile, est à l’image de Berg. En règle générale, il réagissait lentement, puis vivement et brusquement. C’est sans doute la raison pour laquelle il avait un respect énorme pour l’esprit de repartie, la vivacité intellectuelle et la mobilité ; cette admiration était telle qu’il développait à son tour un talent pour la plaisanterie et le jeu de mots, le plus souvent tristes. Un élève assez peu doué, à qui il avait demandé s’il avait « l’oreille absolue», lui avait répondu avec insolence : « Dieu merci, non ». Il avait immédiatement adapté ce « Dieu merci » et manquait rarement l’occasion de l’employer pour ses expériences fâcheuses et désagréables. »

Extrait : Alban Berg, le maître de la transition infime (1968) de Theodor W. Adorno, traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz. Editions Gallimard, pour la traduction française (1989)

RENE LEIBOVITZ, HISTOIRE DE L’OPERA « LES OPéRAS D’ALBAN BERG OU LA SYNTHèSE DE L’ART LYRIQUE »

« Le très beau texte de Büchner ne nous est parvenu que sous la forme de vingt-cinq scènes, assez lâchement agencées, dont l’unité réside moins dans la continuité de l’action que dans la signification symbolique et mythique des personnages. Ainsi le capitaine devient le symbole d’un moralisme philistin et peureux, le médecin est une sorte d’incarnation de l’esprit démoniaque - calculateur et froid - hostile aux véritables aspirations de l’homme, le tambour-major représente la « bestialité », et Marie est la véritable et totale victime de la pauvreté. Wozzeck représente, lui aussi, les opprimés, ces « pauvres gens » (paroles qu’il profère dès le début de l’œuvre et sur lesquelles Berg compose l’un des principaux leitmotivs de l’opéra), mais il est aussi plus que cela. Il semble, en effet, que Büchner ait voulu faire de lui un de ces « simples d’esprit » (au sens religieux du terme), un être primitif et innocent qui, non seulement souffre de la plus grande misère, mais qui, de plus, en assume la responsabilité. Situé tout à fait en dehors de toute morale conventionnelle, il aime Maire avec une

Page | 25 passion et une tendresse réelles et pourtant il la tue, mû en cela par les mobiles mêmes qui inspiraient l’amour. Son crime accompli, il entend purifier son âme en se suicidant dans ce même étang où il avait lavé son poignard après le meurtre de Marie. Tout cela nous est conté dans un style d’une tenue très haute et d’une grande sobriété et, qui plus est, de la manière la plus réaliste qui soit. On reste confondu d’ailleurs par tout ce que le texte de Büchner contient de « prophétique » à l’égard de notre époque. C’est ainsi que dans Wozzeck se mêlent des thèmes qui présagent ceux-là mêmes qui nous préoccupent le plus à l’heure actuelle : psychanalyse, existentialisme, réalisme social, tout cela se trouve annoncé par Büchner avec une préscience extraordinaire. »

Extrait de L’Histoire de l’opéra de René Leibovitz, (chapitre XXI) Buchet / Chastel, Paris, 1987.

Georg Büchner, DEUX LETTRES ______A sa famille. Strasbourg, le 5 avril 1833

« J’ai reçu aujourd’hui votre lettre qui parle de ce qui s’est passé à Francfort. Mon opinion, la voici : s’il est une chose à notre époque qui puisse être utile, c’est la violence. Nous savons ce que nous pouvons attendre de nos princes. Tout ce qu’ils ont concédé leur a été arraché par la nécessité. Et même les concessions nous ont été jetées comme une grâce mendiée et un misérable jouet d’enfant, pour faire oublier à l’éternel jobard qu’est le peuple qu’il est emmailloté trop à l’étroit. C’est avec un fusil en fer blanc et un sabre de bois que seul un Allemand a pu avoir le mauvais goût de jouer au petit soldat. Nos assemblées locales sont une satire contre la saine raison, nous pouvons continuer à nous promener comme cela pendant encore un siècle et quand alors nous ferons le compte des résultats, eh bien, le peuple n’aura pas cessé de payer les beaux discours de ses représentants plus cher que cet empereur Romain qui fit donner vingt mille florins à son poète de cour pour deux vers boiteux. On reproche aux jeunes gens de recourir à la violence. Mais ne sommes-nous donc pas dans une situation de violence perpétuelle ? Parce que nous sommes nés et que nous avons grandi au cachot, nous ne nous apercevons plus que nous sommes au fond d’un trou, pieds et poings enchaînés, un bâillon enfoncé dans la bouche. Qu’appelez-vous donc ordre légal ? Une loi qui fait de la grande masse des citoyens un bétail à corvées, pour satisfaire les besoins contre nature d’une minorité infime et corrompue ? Et cette loi, appuyée par la violence brutale des militaires et par la roublardise stupide de ses sbires, cette loi n’est qu’une violence brutale et perpétuelle qui est faite à la justice et à la saine raison, et je la combattrai de la bouche et de la main chaque fois que je le pourrai. »

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______A sa famille. Strasbourg, 8 juillet 1835

« L’écrivain n’est pas un professeur de morale, il invente ecrée des personnages, il fait revivre des époques passées, et qu’ensuite les gens apprennent là-dedans, aussi bien que dans l’étude de l’histoire ou dans l’observation de ce qui se passe autour d’eux dans la vie humaine. Si on allait par-là, on n’aurait pas le droit d’étudier l’histoire, parce qu’on y raconte un très grand nombre de choses immorales, il faudrait traverser la rue les yeux bandés, parce que sinon on pourrait voir des choses inconvenantes, et il faudrait crier haro sur un dieu qui a créé un monde où se produisent tant de dévergondages. Si du reste on voulait encore me dire que l’écrivain ne doit pas montrer le monde tel qu’il est, mais tel qu’il devrait être, je réponds que je n’entends pas faire les choses mieux que le Bon Dieu, qui certainement a fait le monde comme il doit être. Pour ce qui concerne encore les écrivains prétendument idéalistes, je trouve qu’ils ont donné presque uniquement des marionnettes avec des nez bleu ciel et un pathétique affecté, mais non des êtres de chair et de sang dont je puisse éprouver la souffrance et la joie, et dont les faits et gestes m’inspirent horreur ou admiration. »

Extraits de lettres traduites de l’allemand par Bernard Lortholary, in Georg Büchner, Œuvres complètes. Inédits et lettres sous la direction Bernard Lortholary, Collection Le Don des langues, Editions du Seuil, 1988, pour la traduction française

CROQUIS DES COMPAGNONS A L’AUBERGE PAR LE SCENOGRAPHE JEAN- PIERRE LARROCHE POUR L’OPERA DE REIMS

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POUR EN SAVOIR PLUS

BIBLIOGRAPHIE

AUTOUR DE BERG ADORNO, Theodor W., Alban Berg, le maître de la transition infime, Gallimard, 1989. BARILIER, Etienne, Alban Berg : essai d'interprétation, L'Âge d'Homme, 1978. JAMEUX, Dominique, Berg, Seuil, 1980. POIRIER, Alain, L’expressionnisme et la musique, Fayard, 1995.

SPECIFIQUEMENT SUR WOZZECK FANO, Michel et JOUVE, Pierre Jean, Wozzeck d’Alban Berg. Éditions Plon, Paris, 1953 ; Éditions 10/18, Paris, 1964 ; Éditions Christian Bourgois, Paris, 1999. L’Avant-Scène Opéra, Wozzeck, n° 215, juin 2003.

AUTOUR DE BÜCHNER BÜCHNER, Georg, Woyzeck, texte, manuscrits, source, traduction nouvelle de Jean-Louis Besson et Jean Jourdheuil, éd. Théâtrales, 2006. CANETTI, Elias, « discours pour l’attribution du prix Georg Büchner », in La conscience des mots, Albin Michel, 1984. M. CARNER, Alban Berg, Paris, éd. Jean-Claude Lattès, 1979.

CINEMATOGRAPHIE

Woyzeck, film de 1979 du réalisateur allemand Werner Herzog avec Klaus Kinski dans le rôle-titre et Eva Mattes. Il s’inspire directement du drame de Büchner.

Wozzeck, Waltraut Meier, Franz Grundheber, choeur du Staasoper de Berlin, Staatskapelle Berlin, direction Daniel Barenboïm, mise en scène Patrice Chéreau. Warner Classic, 1994.

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WEBOGRAPHIE http://solomonsmusic.net/wozzeck.htm « Wozzeck, un opéra expressionniste/symboliste » article très fouillé de Larry J. Solomon (en anglais) http://www.opera-lille.fr/fr/multimedia/?cat=8&saison=0607&theme=16&spect=0 L’opéra de Lille propose un dossier pédagogique autour de l’opéra Wozzeck avec des pistes d’écoutes qui jalonnent l’opéra dans son intégralité. http://www.youtube.com/watch?v=1kPdwwvr0qo Vidéo de la scène du meurtre de Marie, analysée dans le présent dossier pédagogique. Interprétation par le Frankfurter Museumsorchester sous la direction de Sylvain Cambreling, Wozzeck: Dale Duesing, Marie: Kristine Ciesinski.

CONFERENCE SUR WOZZECK A L’OPERA DE REIMS « L’univers atonal au service du drame expressionniste » par Francis Albou.

MARDI 29 JANVIER A 18H : PREMIERE PARTIE

MERCREDI 30 JANVIER A 18H : SECONDE PARTIE

RENCONTRE AVEC DES ARTISTES DE LA PRODUCTION

1 heure avec Pierre Roullier, chef d’orchestre et Mireille Larroche, metteur en scène :

LUNDI 4 FEVRIER A 18H30

WOZZECK, ACTE III, SCENE 2 OPERA DE FRANKFUR T1939

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WOZZECK A L’OPERA DE REIMS

Marie : Barbara DUCRET Direction musicale : Pierre ROULLIER Le Docteur : Eric MARTIN-BONNET Mise en scène : Mireille LAROCHE Deuxième compagnon : Florent MBIA Etudes musicales : Nathalie STEINBERG Le Tambour Major : Yves SAELENS Lumières : Jean-Yves COURCOUX Margret : Aurore UGOLIN Le Capitaine : Gilles RAGON Assistant à la mise en scène : Alain PARIES Wozzeck : Jean-Sébastien BOU Décors : Jean-Pierre LARROCHE Andrès : Philippe DO Dramaturge : Dorian ASTOR Premier compagnon : Alain HERRIAU L'Idiot : Raphaël BREMARD ORCHESTRE DE L’OPERA DE REIMS

LA NOTE DU METTEUR EN SCENE

« Le monde est fou ! Le monde est beau ! » s’égosille Wozzeck. Quelle serait, aujourd’hui, la condition de Woyzeck, dont Büchner avait fait un troufion humilié et sans le sou? Sans doute pas celle d’un soldat. Au lieu d’une caserne, un no man’s land d'une grande ville européenne d’aujourd’hui. Au cœur même de la cité. Ces violences que notre vigilance policière a cru pouvoir expulser vers les périphéries, ont fait retour au cœur même de nos capitales. Des « espaces invisibles » s’y sont créés, où se reconfigurent des hiérarchies violentes. Entre désespérance et sauvagerie, les seuls repères sont devenus les rapports de force et de faiblesse. Dans les interstices de nos démocraties fardées à grand renfort de médiatisation, s’insinue la nudité d'autres organisations sociales, qui ne reposent que sur l’aliénation du plus faible. Sous le costume de théâtre de la démocratie, grouille l’intolérable. Une rue, une impasse, une palissade derrière laquelle une friche attend la prochaine opération immobilière du quartier, enfin un échafaudage qui domine ce no mans’ land.

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Dans ces lieux que personne ne veut voir, on ne se fixe pas, on ne fait que passer, le décor lui-même passe devant nos yeux. Pourtant, ici, il faut bien vivre. Une camionnette garée sur le trottoir : Marie vit là sa vie de passage, peut-être de passe. Elle vient de loin, sans racines, et ce nomadisme archaïque est cependant l’effet le plus contemporain des violences de notre société. Des SDF squattent un coin sur un vieux canapé récupéré, deux bouches d'aération du métro déversent leurs odeurs nauséabondes. Une bouche à incendie. Des poubelles. C'est dans l'une d'elles que Wozzeck tentera de faire disparaître le corps de Marie. Sans domicile fixe, c’est aussi sans vie propre : on habite ici ou là, on pourrait être ceci ou cela. La précarité indétermine les gens. Ici vit une communauté où chacun s'invente un rôle en fonction de la complaisance des autres. Chez Büchner, chaque rôle est d'abord le représentant d'une fonction, d'une autorité (militaire, médicale, politique) ; ici, perspective inversée - ces fonctions se recréent, se réinventent sans cesse, au gré des exclusions. Ici ni étang, ni mare, ni lune rouge, rien de réaliste, que du concret : un néon orange pour la lune, une marelle dessinée par les enfants avec le ciel, la terre, l'eau…. pour l'étang. Un vieux fauteuil de dentiste, un rideau rouge, une perruque de poupée Barbie. Une seule image fixe la vie des gens : dominant la palissade, un énorme panneau publicitaire. Elle est l’instance de contrôle quasi totalitaire des désirs : elle les tire vers le haut, suscite l’imagination, le fantasme, l’espoir d’atteindre (de consommer?) un jour, la beauté ; et puis vers le bas, elle écrase le désir sous sa domination, elle fait mordre la poussière aux pulsions jamais assouvies : dépendance. La tyrannie de l’autorité, c’est qu’on ne sait jamais exactement ce qu’elle veut.

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Je crois plus aux corps qu’aux mots, et moins au pouvoir de l’illusion qu’à l’impact d’une réalité recadrée et grossie à la loupe. Rien de romantique dans mon approche. Il faut introduire de l’ordinaire, surtout dans le monde extraordinaire de l’opéra, parce que la pire violence est ordinaire. Mon Wozzeck se comporte comme les machos du gang qui l’oppriment. Victime et bourreau? Wozzeck ne voit aucune issue. Sinon de devenir comme les autres. La violence est bête, fondamentalement bête et laide. Au-delà d’un certain seuil de violence subie, les gens deviennent « irrécupérables ». C’est le plus terrifiant. Wozzeck est l’expression de la frustration à l’état pur. Je veux dire pourquoi Wozzeck devient un meurtrier. J’ai voulu insister sur l’aspect social et forain de la pièce, même si les dimensions métaphysique et poétique sont forcément présentes. La poésie comme ultime acte de résistance mais aussi comme dernier espace de liberté. Une poésie de rue, de forains, une poésie qui s’accroche aux barbelés, aux grilles des échafaudages. Une poésie ou une folie (selon le point de vue qu’on adopte) qui se réinvente, malgré tout, malgré tous. Comme s’il ne pouvait il y avoir d’existence humaine sans elle. Composée comme un scénario de film, la mise en scène enrôle l’onirisme désenchanté de l’ouvrage dans une critique sociale du temps présent : coller le spectateur derrière l’objectif d’une boîte noire à la dimension du théâtre et l’obliger à regarder en face ce qui se passe chez les gens et en lui-même, comme un voyeur. Comme l’enfant qui ne quitte pas notre scène, il voit tout, et joue en silence. Cet enfant, c’est la question de ce que nous sommes, de ce que nous allons devenir. Question absolument ouverte, précaire, effrayante. Mais c’est la seule question d’avenir. Rien à voir avec l’utopie. L’absence totale d’utopie dans Wozzeck est à peine soutenable. On a perdu tout ça. On a perdu les héros de l’opéra, prêts à mourir pour leurs idées ou leurs passions. Sans héros, comment la théâtralité est-elle encore possible ? Et de fait, Wozzeck est à la limite de la théâtralité au sens traditionnel du terme. Ici, c’est la musique de Berg qui sauve. Une énergie et une vitalité héritées du cabaret allemand, qui ont marqué l’écriture musicale jusqu’à nos jours. Vitalité qu’il faut exalter jusqu’au paroxysme, quelque part entre folie et féerie. Car « le monde est fou ! Le monde est beau ! », s’égosille Wozzeck. Une humanité rageuse adossée à une palissade : clameurs, rythmes, scansions, heurts sonores de cette musique inouïe de révolte, d’impuissance, de mélancolie et de compassion - et pourtant ouverte sur le futur.… Le cerveau de Wozzeck n’est plus que le siège sonore du chaos humain et urbain. »

MIREILLE LARROCHE

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L’INTERVIEW DU METTEUR EN SCENE

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LA RÉORCHESTRATION DE JOHN RÉA

« Non, je n'étais pas affligé par une espèce de folie, une belle idée fixe, d'une « aberratio mentalis partialis, zweite Spezies », comme disait le Docteur à Wozzeck. Au contraire, le projet de transformer « en miniature » la partition multicolore d'Alban Berg m'a fait souffrir. Il faut admettre que parfois j'étais sujet à des étourdissements. Et comment pourrait-il être autrement puisque placé au cœur de ce projet, un paradoxe surprenant s'imposa : bon gré, mal gré, réduire voulait dire étendre, agrandir ! Et de quelle manière ? Par un travail presque acharné, exigé de ces 21 musiciens qui composent l'orchestre de chambre et jouent, de par le fait même, plus fréquemment que dans l'original tout en interprétant souvent des musiques qui ne leur « appartiennent » pas.

Suite à la demande de Lorraine Vaillancourt, en 1992, d'« imaginer une version de Wozzeck pour le Nouvel Ensemble Moderne (NEM) » et, par conséquent, après une étude de la partition du chef, j'ai conclu que pas moins de 21 musiciens seraient nécessaires pour pouvoir rendre la musique vivante et irrésistible. Donc, à partir de l'Acte II, scène 3 (la scène centrale de tout l'opéra, soit le Largo), j'ai trouvé - déjà en miniature - les 15 instruments de la Symphonie de chambre d'Arnold Schoenberg, à qui la scène rend hommage. Puis un chevauchement, avec les 15 musiciens, légèrement différents de la composition habituelle du NEM, ajoutant une harpe, un deuxième percussionniste et, voilà, les 21. Le choix de Berg, pour son instrumentation à ce moment dans l'opéra, n'est pas sans intérêt. On se rappelle que, plusieurs années auparavant, Berg avait essayé, en vain, de « réduire » à deux pianos cette œuvre magistrale de Schoenberg et que le projet échoua. C'est Webern qui réalisa une version pour quatuor à cordes et piano. Ainsi, je me sentais réconforté - mon travail ne serait pas une trahison - car ce genre de « traduction » d'une œuvre en version compacte se situe dans la tradition même, voire une tradition bien rodée, chez ces trois Viennois.

Sous quelle forme se présente donc cette réduction « agrandissant » ? Une partie du travail consiste à faire des transcriptions, surtout dans les passages où Berg compose beaucoup de musique de chambre. Ceci s'entend particulièrement bien à l'Acte II, scène 1 (Berceuse). Une autre technique employée est la réduction, compréhensible quand on se rend compte que chez le compositeur les vents sont généralement multipliés par quatre, la partition faisant appel à 30 instruments à vent et 50 à 60 instruments à cordes. Puis, il y a la réorchestration, un procédé qui s'applique de manière variable. Presque à chaque mesure, on est obligé de compléter la pensée musicale avec un timbre conforme, c'est-à-dire un timbre qui n'est pas celui choisi originellement par berg, mais qui puisse se prêter à la tâche. La réorchestration comporte aussi des nouvelles doublures à l'unisson pour que certaines lignes mélodiques se fassent entendre.

Finalement, la réorchestration s'apparente à l'art de la composition quand on est obligé de « mettre à nu » d'énormes agrégats qui, de par leur propre nature, dépassent l'action salutaire de la transcription, de la réduction, de l'emploi des timbres conformes et des doublures. Ceci s'entend bien à l'Acte III, scène 4 (Wozzeck se noie ; Invention sur un accord de six sons) où je fus contraint de réécrire sur papier manuscrit toutes les voix de toutes les hauteurs avant d'attribuer les timbres, une attribution qui allait

Page | 34 bien sûr dans l'esprit de l'œuvre et de pair avec la structure du passage. Ce travail n'est donc pas exactement une recomposition et n'est surtout pas un arrangement puisque, dans un arrangement, on présuppose la possibilité de manipuler les hauteurs dans des registres quelconques. C'est plutôt une nouvelle disposition qui doit à tout prix conserver au maximum les timbres instrumentaux de Berg en même temps que les registres de la partition. Car l'action même de changer les registres aurait été certainement une trahison fâcheuse ! Après tout, nous voulons croire à une illusion sonore : comme si Berg avait fait lui-même ce « réarrangement » instrumental, quoique élargi.... » JOHN REA

L’ORCHESTRE DE BERG LA REORCHESTRATION DE JOHN REA Il y a trois orchestres dans le Wozzeck de Berg : Cordes : 2 violons, 1 alto, 1 violoncelle, 1 contrebasse - celui qui est dans la fosse, à l’effectif Harmonie : 1 flûte (jouant piccolo et flûte en sol) instrumental très important, avec de - 2 hautbois (dont ) - 3 clarinettes nombreuses percussions (clarinettes en sib, mib et la, 1 clarinette basse) - - celui qui est issu du précédent pour la scène 2 bassons (dont 1 contrebasson) - 1 trompette - 2 de rupture (II, 3) trombones (ténor et basse) - 2 cors - celui qui est sur scène (II, 4) avec violons, 2 Percussionnistes accordéon, bombardon… 1 Harpe (jouant du triangle et de la cymbale suspendue) - 1 piano (jouant célesta, synthétiseur Il y a en plus une « bande militaire » (I, 3), et triangle) un pianino (piano droit de taille réduite) placés sur scène (III, 3).

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L’INTERVIEW DU CHEF D’ORCHESTRE

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