Je Suis La Voie, La Vérité Et La Vie» (Jean 14,6)
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88 No 9 1966 «Je suis la Voie, la vérité et la Vie» (Jean 14,6) Ignace DE LA POTTERIE (s.j.) p. 907 - 942 https://www.nrt.be/it/articoli/je-suis-la-voie-la-verite-et-la-vie-jean-14-6-1582 Tous droits réservés. © Nouvelle revue théologique 2021 « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6) I. — ETAT DE LA QUESTION De toutes les formules johanniques où entre le mot &Xî|eeia, celle de J-n 14, 6, où Jésus déclare qu'il est lui-même « la Vérité », est in- contestablement la plus neuve, la plus hardie et la plus profonde1. Mais c'est en même temps une de celles dent le sens exact est le plus difficile à saisir et à. formuler. Ceci explique les tâtonnements et les hésitations des commentateurs et le nombre impressionnant d'inter- prétations qui en ont été proposées2. N.d.l.R. — Cet article reproduit la chapitre III d'un ouvrage que l'auteur publiera prochainement aux éditions de l'Institut Biblique Pontifical : Alètheia. La nation johannique de vérité et ses antécédents historiques. 1. S. Cyrille d'Alexar.drie notait déjà : paOsia yàp (&ç èifauai Kat ou Uav euKàrùîCTOÇ f| TOC Aôyou Sûvaulç (in h.l., éd. PUSBY, II, 409, S-6 ; PG 74, 189) ; de même, tout proche de nous, A. GUII.LEBAND, à la dernière page de son beau livre, Au seuil de '.'abîme de Dieu. Elévations sur l'évangile de saint Jean, Roma, 1961, 425 : -«Je n-e suis toujours trouvé en face de ces grands mots comme en face de ces rochers tout droits qui défient toute escalade. J'ai lu cent fois ce qu'en disent les commentateurs, ce que développent les sermonnaires ; je les ai médités ou j'ai essayé de le faire ; il est clair que +ous — et moi-même surtout — restent aux pieds ; le sommet se perd dans une nuée qu'on devine pleine de lumière, mais qu'on ne pénètrs pas. » Comme devant une muraille infranchis- sable, l'ouvrage se termine sur ces mots, au seuil même du commentaire de Jn 14, 6. 2. Travaux spéciaux s-ir ce passage : 0. SCHAÏFER, Der Swn der Rede Jesu von dm vieien WshnwiQen m. seines Vaters Hmise und von dem Weg sa ihm (Joh 14, 1-7 >, dans ZNW 32 (1933) 210-217 ; W. MICHAHUS, ait. ô86(, ThWb, V (1948) 80-88 : J. LEAL, £173 sum via. et veritas-et vita (Jn 14, 6), «lans VD 33 (1955) 336-341. — Voir aussi les principales études consacrées au discours après la Cène : A. DURANG, Le Discours de la Cens (Saint Jean; XIII, 31-XVII, 26), dans RSR 1 (1910) 97-131, 513-539; 2 (1911) 321-350, 521-545; H. B. SWETE, Thé Last Discov^se and Frayer of Our Lord. A Siudy c.f St John XIV-XVII, Londofl, 19L3 ; P. W. VON KEPPLER, Unseres Hernt Trmt. Erkiàruns der Abschiedsreden une! des Fi.ohenp-riesterlichen Gebete-s Jesu (Jo Kap. lf-17), 2. und 908 I. DE LA POTTERIE, S.J. 1) P. W. von Keppler l'avait déjà noté3 : la grande difficulté dans l'exégèse de ce verset est d'arriver à préciser la relation exacte des trois termes « chemin », « vérité » et « vie ». La plupart des anciens voyaient dans « la vie », ou même dans l'en- semble des deux réalités « la vérité et la vie », le but à atteindre par la médiation de Jésus, qui est « la voie » vers ce terme, c'est-à-dire celui qui nous y conduit ; les trois membres, pourtant coordonnés grammaticalemeat, étaient donc interprétés comme étant en progres- sion l'un sur Fautre. Mais plus diune explication demeurait encore possible : « par la voie et la vérité, on accède à la vie » * ; ou encore : « par la voie, on atteint la vérité et la vie ». Cette seconde interpréta- tion manifeste une inspiration beaucoup plus platonicienne. Comme on pouvait s'y attendre, elle est représentée chez les Grecs par Clément d'Alexandrie5 : c'est le Christ céleste, le Logos de Dieu, qui est la 3. Aufl. bearb. von S. Weber, Freiburg, 1914 ; J. HUBY, Le Discours de Jésus affres la Cène, Paris, 1937 ; P. GAECHTËR, Der -fwmale Awfbvu, der Abschieds- reden lesu, ians ZKTh 58 (1934) 153-207 ; Ch. HAURËT, Les adieux du, Seigneur. Saint Jean XIII-XVII, Paris, 1951 ; C. CHARUËR, La Présence dans l'absence (Jean 13,31-14,31), dans BiViChr n. 2 (inai-juill. 1953)61-75; J. M. BOVER, Comenfaria al Sermon de la Cena, Madrid, '1955 ; J. KÔNN, Sein. îetstes Wort. Bibelleysmgen iiber die Abschiedsreden des Herrn, EinsiedeIn-Kôln, 1955 ; J. SCHNÏIDER, Die Absch-iedsreden lesu. Ein Beitrag sw Frage der Komposition von fohannes 13, 31-17, 26, dans Goif und Gôtter. Festgabe fur E. Fascher, Berlin, 1950, 103-112 ; H. VAN DBN BUSSCHE, Le discours d'adieu de Jésus, Coll. Bible et vie chréfc, Marecsous, 1959 ; G.-M. BËHI.ËR, Les paroles d'adieux du Seigneur, Coll. Lectio divina. 27, Paris, I960. 3. P. W. VON KEPPLen, o.c., 74. 4. En gros, on peut dire que cette première interprétation est plutôt celle des Grecs (sauf Clément d'Alexandrie e- Origène), et, parmi les Latins, celle de S. Ambroise et de S. Léon le Grand. Mais d'importantes niances distinguent entre eux ces différents auteurs. La meilleure explication est encore celle de Chrysostome (suivi par Théophylacte), du moins en ce sens, qu'il met, comme il se doit, l'accent du verset sur le premier terme : Jésus est la voie vers le Père ; les deux autres termes du verset, d'après Chrysostome, garantissent l'ef- ficacité de cette promesse : Jésus, la vérité, ne peut tromper ; et puisque Jésus est la vie, la mort même ne pourra nous arrêter sur ce chemin. Théodore de Mopsueste souligne davantage la succession des -rois termes : c'est par Jésus (la voie) que nous connaissons la vérité révélée et que nous jouirons de la vie étemelle. La. même progression des termes est sensible dans l'interprétation de S. Ambroise (« In^rediamur hanc viam, teneamus veritatem, vitarn sequamur. Via est quae perducit, vîritas est quae confirmât, vita quae per se redditur », De bww mortis, 12, 54 ,- PL 14, 592), dans celle de S Léon le Grand («Via scilicet conv-ersatioois sanctae, Veritas doctrinae divinae et Vita beatitudinis îempit^rnae », Serrw II de Resurr. ; PL 54, 390 C) et de Rupert de Deutz (PL 169, 697). Mais une telle succession linéaire des trois termes, où le troisième est compris en un sens strictement eschatologique, ne peut rendre corr.pte de tous les aspects du verset, comme nous le verrons. 5. S'.romat's, V, 3, 16, 1 (GCS 2, 336, 1-5) : «Celui qui espère, tout comme celui qui croit, voit en esprit (t$ v@ ôpÇ) les realités intelligibles f.tà wr\w) et futures. Si donc nous disons d'une chose qu'elle est juste ou belle; ou qu'elle est la vérité, rien de tout cela ne peut être vu avec les yeux, mais seulement en esprit. Or le Logos de Dieu, (ô fié Aôyoç TOC OeoD) dit : ' Moi, je suis la Vérité ' ; c'est donc en esprit que le Logos peut être contemplé (v$ 5pa @E«apTi-tôç ô Aôïoç)». Et dans la phrase suivante, lorsqu'il veut expliquer ce que sont ces réalités « JB SUIS LA VOIS, I,A VÉRITÉ BT I«A VIS » (;N 14, 6) 909 Vérité ; il est !a Vérité, parce qu'il est l'intellect ou la pensée même de Dieu. Même interprétation chez Origène6. Chez les Latins, une exégèse très semblable reparaît chez saint Augustin 7 ; elle sera reprise, avec véritables, Clément se réfère explicitement au Phèdre (247 c) de Platon, tout en lui faisant subir une transposition chrétienne ; alors que pour le philosophe grec, c'est l'idée qui est la vérité (êv 6è T$ <&a(8p<() itepi o^riGeiaç <&ç t8éa UYOV ô IISAtOv), pour le théologien d'Alexandrie, la vérité est la pensée (èwÔT|ua de Dieu, le Loges de Dieu,. — On peut consulter à ce sujet R. HOI.TS. Béatitude et sagesse. Saint Augustin et le problème de la philosophie ancienne, Paris, 1962, 185 s. 6. Nous n'avons malheureusement plus le commentaire d'Origène sur ce pas- sage de l'évangile de Jean ; mais l'explication qu'il en donne ailleurs est d-u même type que celle de Clément. Selon M. HAHL (Origène et la fonction révé- latrice du Verbe incarné. Coll. Patristica Sorbonensia, 2, Paris, 1968, 351), l'ex- pression « Je suis la Vérité » de Jfi 14, 6 était rapportée par Origène au Fils, au Logos étemel du Père, plutôt qu'au Jésus de l'histoire, au Verbe incarné, comme l'avait fait saint Jean. On le voit clairement par deux passages où Ori- gène dit que le Christ en Dieu est le Verbe même, la Vérité en soi 'et essentielle : ô dfrroXô'yoç èorri Kai •i\ afrrofftxpia Kai f| ai)ToaA,ri9eia (Contra Ceïs., III, 41 ; GCS, Orig., I, 237, 6-7) ; f| afr;oa^9eia f| oWaSnç Kai, ïv' o&cœç etmo, TtpœîÔTOiiOs rfiç èv Taïç XoYiKaïç VDXOÏÇ àA,ti9eiaç C/w Jo., VI, &, 38; GCS: Orig., IV, 114, 22-23). Cette pensée et ces formules sont pétries de platonisme. 7. D'après l'explication augustinienne, la vérité et la. vie se trouvent au terme du chemin, c'est-à-dire dans le Verbe, en Dieu n-.ême. Ici se manifeste clairement l'influence néo-platonicienne subie par Augustin : « veritas et vita » désignent la réalité étemelle du Christ, c'est-à-dire sa divinité, contemplée dans la vision ; voir à ce sujet F.