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Revue européenne des sciences sociales European Journal of Social Sciences

XLVIII-145 | 2010 À la recherche des fondements de la rationalité

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ress/734 DOI : 10.4000/ress.734 ISSN : 1663-4446

Éditeur Librairie Droz

Édition imprimée Date de publication : 1 mars 2010 ISBN : 978-2-600-01427-4 ISSN : 0048-8046

Référence électronique Revue européenne des sciences sociales, XLVIII-145 | 2010, « À la recherche des fondements de la rationalité » [En ligne], mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 03 mars 2020. URL : http:// journals.openedition.org/ress/734 ; DOI:10.4000/ress.734

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© Librairie Droz 1

SOMMAIRE

Les sociologues et le postulat de rationalité Jacques Coenen-Huther

Les chances du libéralisme dans le monde arabo-musulman Hatem M’Rad

L’étrange victoire. Leontief et la transformation de la science économique De la « planification sans théorie » à la « mesure sans théorie », 1920-1949 Amanar Akhabbar

Della cultura: storia e teoria Giovanni Busino

La Corse vue par les historiens italiens contemporains Giovanni Busino

L’éblouissement de Naples Giovanni Busino

Note di storia economica e storia delle dottrine economiche A proposito d’una recente storia economica dell’Italia d’oggi Giovanni Busino

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Les sociologues et le postulat de rationalité1

Jacques Coenen-Huther

1 Depuis longtemps, la notion de rationalité est un objet de préoccupations pour les sociologues, soit qu’ils visent à établir les critères de l’action rationnelle, soit qu’ils veuillent montrer le caractère illusoire de l’exercice. La tendance inhérente aux raisonnements sociologiques est de définir le comportement rationnel de manière nettement moins restrictive que les économistes ne sont tentés de le faire. Si la rationalité devait être identifiée à la rationalité instrumentale, orientée vers l’optimisation des avantages matériels, de nombreuses activités chargées de sens seraient exclues du champ de l’action rationnelle. La plupart des sociologues qui, à l’instar de Raymond Boudon, adhèrent à une conception cognitiviste, ou rationaliste, de l’analyse sociologique cherchent à définir le comportement rationnel par une adéquation entre les raisons d’agir des individus et leurs actions. Certes, ils s’écartent des théories rudimentaires du « choix rationnel » et conviennent que la rationalité est une notion relative : relative eu égard aux aspects formels de la situation et relative eu égard aux caractéristiques de l’acteur. Dans cette perspective, la motivation à agir peut être la promotion d’intérêts – même s’ils ne sont pas toujours de nature économique – ou, au contraire, le respect désintéressé d’une valeur. Le comportement mû par une valeur peut être tenu pour digne d’éloges mais inadéquat pour la protection des intérêts légitimes de l’acteur.

2 Il n’est cependant pas certain que tous les adeptes de la sociologie cognitiviste soient pleinement conscients des implications de cette relativité intrinsèque de la notion de rationalité. Elle signifie en effet que plus une société est socialement et culturellement hétérogène, moins on peut s’attendre à y trouver un consensus sur les critères du comportement rationnel. On n’en veut pour preuve que l’habitude solidement ancrée de faire de l’adjectif « irrationnel » un terme désobligeant pour disqualifier une manière de se comporter suscitant le dédain ou la désapprobation. La rationalité doit être mise en rapport avec le contexte socioculturel. D’une période de l’histoire à une autre, d’une culture à une autre, la notion de comportement rationnel acceptée par le sens commun peut varier énormément. Il n’est, par exemple, nullement déraisonnable

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de lier le processus de rationalisation discerné par Max Weber à une conception de la rationalité émanant du monde occidental.

Rationalité ou cohérence ?

3 Dans ces conditions, c’est l’intérêt même de l’attribution de rationalité qui peut offrir matière à discussions. Est-ce tellement important pour un sociologue de décider si une ligne de conduite particulière est rationnelle ou non ? La réponse réside dans la relation qu’il entretient avec l’objet de sa recherche. Décider de la rationalité d’une action n’est pas seulement affaire de vérification empirique, c’est aussi – et même surtout – une question de présuppositions. Le sociologue peut être enclin à postuler la rationalité pour comprendre le comportement de l’acteur. De fait, l’idée de rationalité est en relation étroite avec la compréhension sociologique au sens du Verstehen weberien. Et comme les raisonnements sociologiques incorporent nolens volens une tendance au relativisme, on préserve la validité du postulat en distinguant plusieurs sortes de rationalités : rationalité instrumentale, rationalité axiologique, rationalité cognitive, rationalité limitée, etc. Dès lors, on peut se demander si l’acteur n’est pas censé manifester une certaine forme de rationalité parce que le sociologue se donne pour tâche d’analyser son comportement de façon rationnelle. La rationalité présumée de l’acteur refléterait alors le rationalisme du sociologue. En d’autres termes, l’observateur présupposerait un type de rationalité qu’il puisse endosser parce que cela semblerait le seul moyen de rendre intelligible à ses yeux le comportement de l’individu observé. Mais faut-il adhérer à une version élaborée de la distinction paretienne entre actions « logiques » et « non logiques » ? Ne pourrait-on défendre l’idée que les prétendues « actions non logiques » ont leur logique propre que seul un point de vue tout à fait particulier permet de qualifier de « non logique » ?

4 Le caractère éminemment relatif de la rationalité pourrait être la raison de se donner un concept de portée plus large qui serait un concept de cohérence. On substituerait ainsi un postulat de cohérence au postulat de rationalité. Un comportement peut être complètement irrationnel du point de vue de l’observateur extérieur mais n’en avoir pas moins une incontestable cohérence interne. Il peut trouver son origine dans un état émotionnel qu’il n’est guère possible de traduire en raisons bien élaborées, mais donner lieu quand même à une séquence comportementale parfaitement cohérente, impliquant une relation logique entre buts et moyens. La cohérence peut donc être admise, quand bien même l’idée de rationalité semble dénuée de pertinence. Le métier de sociologue consiste précisément à mettre en évidence une certaine logique là où le sens commun ne voit qu’absurdité. Si le comportement en question apparaît totalement incohérent – dans le cas d’une maladie mentale, par exemple – il échappe tout simplement à l’analyse sociologique dont il est hors de portée. 5 La compréhension rationnelle du comportement d’un individu n’est rien d’autre que la reconstruction hypothétique de sa logique d’action, basée sur des raisons qui paraissent aller de soi au sociologue. Il arrive que ces raisons coïncident avec les motivations ou les justifications présentées par l’acteur lui-même, mais c’est loin d’être toujours le cas. Comme la psychanalyse, mais de manière moins chargée de risques, l’analyse sociologique peut révéler l’individu à lui-même. Quoi qu’il en soit, des raisons d’agir qui semblent évidentes au chercheur sont projetées sur le comportement de l’acteur. Il s’agit moins de faits observés ou d’informations récoltées que de

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raisonnements interprétatifs. Les données disponibles doivent être interprétées pour acquérir une signification. Ce processus analytique requiert plusieurs préalables hypothétiques. On présuppose tout d’abord l’existence de constantes de l’esprit humain qui transcendent les contextes sociaux, les ensembles culturels, voire les périodes de l’histoire. La réalité de telles constantes est niée de nos jours par les partisans d’un constructionnisme radical, mais c’est la condition sine qua non de toute étude scientifique de la vie sociale. Pour qu’un sociologue vivant à notre époque puisse comprendre une expérience religieuse datant de la Rome antique, il doit nécessairement y avoir de telles constantes. En second lieu – et corollairement à cette première présupposition –, le transfert à l’acteur de raisons d’agir conçues par le sociologue implique l’acceptation de la distinction simmelienne entre formes et contenu d’un cours d’action. Après avoir fourni l’interprétation de comportements observés dans le cadre d’un parti politique, on doit pouvoir séparer analytiquement leurs aspects formels de leur contenu, afin de pouvoir appliquer les leçons de l’analyse à un autre contexte – une institution religieuse, par exemple – et mettre en évidence une cohérence d’ordre général, sous-jacente à la diversité des actions envisagées dans leur contexte initial. Enfin, troisièmement, la compréhension sociologique présuppose une continuité entre la connaissance ordinaire et la connaissance sociologique, celle-ci étant dérivée de celle-là en raison d’une communauté de perceptions élémentaires. Le sociologue attribue à l’acteur des raisons d’agir qu’il juge lui-même convaincantes. 6 Cette conviction intime d’avoir atteint un niveau de compréhension libre de toute subjectivité ne s’atteint pas dans un vacuum social ; elle s’appuie sur des intuitions que nul ne remet en question dans le monde de la vie quotidienne. Pour que les fondements logiques d’une argumentation s’imposent comme allant de soi, il faut qu’ils soient à ce point ancrées dans le sens commun qu’ils suscitent une impression d’universalité. Cette troisième condition de la compréhension sociologique exige une attitude intellectuelle très particulière. On ne peut que se fonder sur des évidences du sens commun, mais, en même temps, on doit s’employer à neutraliser mentalement la distance sociale et culturelle qui fait obstacle à l’acceptation de ces évidences. L’exercice est périlleux et il ne faut pas se dissimuler que l’étape du Verstehen, bien qu’inévitable, reste le maillon faible de toute argumentation sociologique. Le risque est grand de juger d’application universelle des conclusions qui ne sont valables que pour un certain milieu, à une certaine époque. Les chercheurs pratiquant l’observation participante sont généralement très conscients du caractère précaire de la compréhension sociologique et le compte rendu d’une recherche fondée sur l’observation directe est souvent le récit de faux départs, de malentendus et d’erreurs de jugement rectifiés à un stade plus avancé du travail de terrain2. Le sentiment d’évidence qui fonde la compréhension rationnelle est fortement soumis à l’air du temps. L’exemple classique, emprunté à Jaspers, de la mère giflant son enfant l’illustre à suffisance. Il y a vingt-cinq ans, la gifle était considérée comme une technique éducative tout à fait admissible et présentée comme un exemple d’action rationnelle (Boudon et Bourricaud, 1982, p. 3). Une décennie plus tard, elle n’était plus tolérée dans les milieux éduqués et apparaissait dans les raisonnements sociologiques comme un exemple type de comportement irrationnel (Valade, 1996, p. 545). 7 Dans la conception rationaliste, l’acteur est censé être mû par des raisons et ces raisons sont les variables indépendantes qui servent à expliquer son comportement. Néanmoins, comme c’est toujours le cas en analyse causale, l’accent placé sur une catégorie particulière de variables – en l’occurrence des raisons jugées plausibles –

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dépend d’un choix intellectuel qui constitue un préalable indispensable si l’on veut éviter la régression ad infinitum d’une cause à une autre. Dans l’éventualité d’un autre choix, si l’explication ne s’en tenait pas aux raisons attribuées à l’acteur, ces raisons cesseraient d’être des variables indépendantes et ne seraient plus que des variables intermédiaires dans la séquence de recherche. L’acteur n’en aurait pas moins de bonnes raisons d’opter pour une certaine ligne de conduite, mais il faudrait rendre compte de l’existence même de ces raisons qui n’auraient plus le statut de données. En amont des raisons attribuées à l’acteur, un élément d’une autre nature contribuerait à les expliquer et, de ce fait, à compléter l’analyse. Cette nouvelle catégorie explicative pourrait être composée de normes prédéfinies, exerçant leur pression sur l’individu. Il pourrait également s’agir de tout un processus de socialisation, incluant une variété d’agents socialisateurs ainsi qu’une gamme de moyens d’influence. Attribuer un rôle décisif à la socialisation et aux normes sociales, c’est sortir du cadre habituel de l’explication rationaliste. L’individu n’est plus l’être de raison né adulte. Le postulat de rationalité perd alors de son efficacité et l’opposition rationnel-irrationnel n’a plus la même vertu heuristique. C’est alors qu’intervient le postulat de cohérence qui relance l’analyse sociologique sur de nouvelles bases. 8 En soi, l’étude des processus de socialisation offre un vaste champ d’investigations en fournissant des hypothèses utiles sur l’impact comparatif des différentes normes et des sanctions qui leur sont associées. Le comportement d’un individu s’explique en partie par le succès ou l’échec de stratégies de socialisation. Au cours du dernier quart de siècle, on a accordé beaucoup d’attention aux conséquences des actions socialisatrices mises en œuvre dans les relations parents-enfants. La recherche empirique a montré que différentes combinaisons de contrôle et de soutien conduisent à des attitudes contrastées à l’issue du processus de socialisation (Peterson et Boyd, 1987). A première vue, substituer les normes sociales aux raisons individuelles comme variables explicatives peut avoir pour effet d’exagérer l’importance des contraintes collectives et de renforcer inutilement une conception holiste du social. Ce serait le cas si l’étude de la vie sociale était inévitablement confrontée à l’alternative holisme-individualisme. Mais une conception relationnelle du social supprime ce dilemme factice. Selon cette option, la relation interindividuelle – ou, si l’on préfère, le rapport social – devient l’unité de la théorie sociologique et la société apparaît comme un réseau complexe d’interactions plus ou moins institutionnalisées. Chaque rapport social comporte un potentiel variable de contrainte et de liberté dû à l’asymétrie des relations. Les participants sont soumis à des normes de comportement mais sont également producteurs de normes en raison même du caractère récurrent de leurs contacts ; l’individu et la société sont ainsi mutuellement transcendants. En dépit des pesanteurs sociales, la double contingence présente dans chaque interaction fait ressurgir l’aspect délibératif du comportement humain.

La cohérence dans une société diversifiée

9 Un postulat de cohérence est l’instrument indispensable de l’analyse sociologique : rien de plus mais rien de moins. Ce postulat est de portée plus large que l’attribution de rationalité qui n’a pas les mêmes conséquences pratiques. Plus que l’insaisissable rationalité, la cohérence est une variable opératoire de la recherche de terrain. Le degré de cohérence est l’objet de travaux empiriques qui peuvent bénéficier des

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avancées de la théorie des rôles sociaux. Il est assez commun de conceptualiser l’homo sociologicus comme un individu porteur de rôles, réagissant à des attentes de rôles qui résultent d’influences normatives. Dans cette optique, le degré de cohérence d’une conduite est en grande partie la conséquence de caractéristiques structurelles de la société prise comme un tout. Dans une société plus ou moins homogène, fondée sur une division du travail très limitée, les rôles se superposent et une mesure de cohérence s’impose d’une certaine façon à l’individu. A l’inverse, dans un environnement social très diversifié, l’individu est confronté à une variété d’attentes de rôles qui ne favorisent pas une cohérence comportementale d’ensemble. Adoptant les termes de Merton, on dira que l’individu est caractérisé par une pluralité de statuts – le status set – et qu’à chacun de ces statuts est associée une série de rôles – le role set – correspondant aux attentes diverses des personnes concernées (Merton, 1957, pp. 110-111). Le concept de role set implique non seulement une pluralité de statuts et de rôles, mais aussi la possibilité de faire face à des attentes de rôles et des contraintes normatives qui peuvent être parfois tout à fait contradictoires. Selon Merton, « moins une société est intégrée, plus souvent l’individu sera soumis à la pression de rôles sociaux incompatibles » qui ne peuvent faire de lui qu’une « personne au soi multiple » (1949, 1968, p. 170). Le concept de rôle social réconcilie l’apparente incohérence de comportements insérés dans des contextes divers avec la cohérence d’ensemble du « soi multiple ».

10 De toute évidence, quand un acteur se déplace d’un contexte social à un autre, les occasions de qualifier son comportement d’irrationnel se multiplient. Pour reprendre un des exemples évoqués par Merton, les actions de « l’homme marginal » subissant les pressions de sociétés aux exigences contradictoires seront certainement qualifiées d’irrationnelles à l’un ou l’autre moment (ibid.), mais l’apparence d’irrationalité peut très bien résulter d’une confrontation entre des attitudes inspirée par la rationalité instrumentale et d’autres, dictées par une forme de rationalité axiologique. Il faut cependant garder à l’esprit qu’une telle analyse n’est concevable que si le sociologue postule « derrière les raisons » des normes. En d’autres termes, la cohérence d’un comportement ne peut s’apprécier qu’en dotant l’individu de repères sociaux. 11 Les variables de configuration, les fameuses pattern-variables parsoniennes, permettent de nombreuses illustrations de l’interrelation entre l’acteur et le système social constitué par son environnement. Pour se référer à un exemple classique, l’enseignant dont le fils est un élève de sa classe est censé traiter celui-ci de deux façons différentes selon le rôle qu’il adopte. En tant qu’enseignant, il doit se comporter à l’égard de son fils comme à l’égard de n’importe quel autre élève, c’est-à-dire selon des normes de comportement à caractère universaliste, spécifique, affectivement neutre et centré sur la performance. Comme père cependant, bien qu’il ait à se préoccuper des accomplissements de son enfant, il convient qu’il le traite selon des normes pouvant être décrites comme particularistes, de portée diffuse et chargées d’affectivité. Dans nos sociétés modernes, on s’attend à ce que le « père-enseignant » se situe dans deux registres différents et présente ainsi deux catégories distinctes d’activités cohérentes. Les deux rôles qui le lient à son « fils-élève » ne peuvent se contaminer mutuellement. En serait-il ainsi que le comportement qui en résulterait serait considéré comme déviant. La modernité occidentale implique une segmentation des réseaux sociaux et requiert en conséquence une relative ségrégation des rôles. Ceci n’empêche qu’on puisse chercher à définir une cohérence surplombante. L’enseignant qui s’efforce

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d’appliquer des normes universalistes à l’école et des normes particularistes dans le cadre du foyer familial est sensible à la nécessité d’adopter ces deux manières de se comporter. En adoptant deux attitudes différentes selon le contexte, il s’adapte à la segmentation des réseaux caractéristique de son environnement social, mais il se soumet en même temps aux normes de comportement typiques de la société dans laquelle il vit. Le sentiment qui le guide est sans doute la conscience plus ou moins nette de la nécessité de « jouer le jeu selon les règles ». Le contenu normatif de cette cohérence d’ensemble devient apparent quand un individu ne se comporte pas selon les règles et perturbe ainsi la vie sociale. 12 Dans une perspective sociologique, il est utile de se rappeler que dans d’autres sociétés que les nôtres, les règles généralement admises et la cohérence attendue sont différentes. La contamination de rôles spécifiques par des normes particularistes y est aisément acceptée et ne donne pas lieu à la réprobation morale. Ainsi, le comportement déviant d’une culture reste le comportement modal d’une autre culture, même si les Pyrénées ont cessé d’être la barrière la plus pertinente à cet égard. Le degré de cohérence d’un comportement individuel est induit en partie par les macro-structures contribuant à modeler l’environnement social. On ne peut exclure que les raisons par lesquelles un individu justifie sa conduite ne soient assez différentes des raisons qui lui sont attribuées par un observateur pratiquant la recherche sociologique dans un cadre peu familier. Même si ce dernier fait un effort pour s’immerger dans une culture autre que la sienne, son cadre de référence cognitif et normatif peut faire obstacle à une compréhension adéquate, à égale distance des deux extrêmes de l’adoption pure et simple des schèmes mentaux de l’individu observé – « going native » disent les anthropologues – et du recours à des catégories conceptuelles imposées de l’extérieur. 13 C’est d’un point de vue méthodologique et non ontologique qu’il s’impose de s’en tenir au principe selon lequel un comportement doit être tenu pour cohérent afin de pouvoir être analysé avec fruit. Cette présomption de cohérence ne peut cependant être séparée du choix préalable d’une perspective. Le jugement de cohérence est dépendant des limites assignées au système social pris en considération. Face à une situation paraissant chaotique et à des actions laissant une impression d’absurdité, un jugement global d’incohérence n’a guère d’intérêt. Non qu’il ne puisse avoir un sens, philosophiquement parlant, mais il n’est ni pertinent ni fructueux pour la recherche sociologique. Rétrospectivement, certains phénomènes de grande ampleur qui dominèrent l’histoire du 20e siècle semblent marqués par un manque total de cohérence. Le génocide des Juifs opéré par l’Allemagne nazie avait, globalement, toutes les caractéristiques d’une entreprise complètement incohérente, particulièrement lorsqu’elle utilisait des ressources et de la main-d’œuvre qui auraient été nécessaires pour mener une guerre victorieuse. Cependant, isolée du contexte des opérations militaires, la mise en œuvre d’activités meurtrières à grande échelle fut organisée de façon très cohérente. On peut même constater qu’il y eut un progrès graduel dans l’organisation des assassinats de masse. Au surplus, au micro-niveau des actions individuelles, de nombreux acteurs impliqués dans l’entreprise d’extermination ont présenté des comportements parfaitement cohérents à des points de vue divers : hommes d’affaires bénéficiant de « l’aryanisation » des entreprises, fonctionnaires visant une promotion, membres du parti nazi croyant à la nécessité de débarrasser leur pays d’éléments allogènes, gardes des camps d’extermination cherchant à échapper au

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service armé dans les zones de batailles, etc. Ces tactiques individuelles ne furent pas à l’origine de la stratégie génocidaire mais elles lui imprimèrent sa dynamique. 14 Divers aspects de la politique de l’Union Soviétique appellent des constatations semblables. Le gouvernement par l’intimidation ou la terreur et le recours systématique au travail forcé ne pouvaient conduire en aucune façon à la société civile vigoureuse qu’exigeaient le développement économique de grande envergure et la très large démocratie préconisés par le régime lui-même. Néanmoins, ce sont précisément les aspects contradictoires du totalitarisme soviétique qui contribuèrent à l’apparition d’attitudes cohérentes de la part d’individus engagés dans des stratégies de survie. Dans son roman Une journée d’Ivan Denissovitch (1967), Alexandre Soljenitsyne décrit une séquence d’interaction parfaitement cohérente au cœur d’une situation qui l’est beaucoup moins. Les détenus d’un camp de travail sibérien doivent survivre par des températures de –30 à –35 degrés centigrades. Chaque jour, ils chapardent des petits morceaux de bois sur les chantiers et les ramènent au camp pour pallier le manque de combustible. Cette manière de se tirer d’affaire est évidemment interdite et le personnel de garde doit confisquer les maigres fagots ainsi rassemblés. Les gardes les confisquent d’autant plus volontiers qu’ils souffrent eux-mêmes du froid et agissent dans leur intérêt personnel. Il leur est cependant impossible d’appliquer strictement le règlement et de procéder à une confiscation totale car les détenus n’auraient alors plus aucune raison de ramasser du bois. La confiscation quotidienne ne peut donc être que partielle. On a affaire ici à des actions qui ne sont certainement pas cohérentes avec les normes établies par les autorités mais qui se déroulent de façon très cohérente au cours d’un processus d’interaction récurrent. 15 Envisageons à présent des politiques gouvernementales plus spécifiques. L’écart entre les buts visés et les résultats atteints peut très souvent donner une impression d’incohérence ou d’absurdité. Cette absence de cohérence peut néanmoins être la conséquence d’une action conçue logiquement mais engagée avec une connaissance insuffisante du contexte systémique. Dans de tels cas, rationalité et erreur de jugement ne sont pas nécessairement contradictoires (Bronner, 2008, p. 172). Des mesures gouvernementales récentes visant à combattre l’inflation en Chine en fournissent l’illustration. Les autorités chinoises ordonnèrent aux services publics de bloquer les prix de l’électricité. Le décret fut promulgué pour protéger la population de la montée des prix et pour permettre aux ménages d’équilibrer leur budget. Mais le contexte n’était plus celui d’une économie administrée et la décision prise eut très vite des conséquences inattendues. Les centrales électriques réagirent en réduisant leurs achats de charbon. Les charbonnages abaissèrent alors leur niveau de production. En raison des températures hivernales, la demande de charbon augmenta jusqu’à excéder la production et les centrales électriques se retrouvèrent avec des stocks très insuffisants. Il en résulta des coupures de courant et des fermetures d’usines (McDonald, 2008). Les autorités avaient réagi aux tendances inflationnistes par des mesures qui auraient été adéquates dans le contexte d’une économie planifiée mais qui n’étaient plus appropriées dans le cadre d’une économie déjà dominée par les mécanismes du marché.

L’ambition scientifique et l’évaluation de la cohérence

16 Compte tenu de son ambition scientifique, la sociologie ne peut que viser à l’universalité, ce qui signifie que le but ultime de la recherche sociologique est de

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formuler des propositions ayant une validité universelle. En conséquence, il y a une tension évidente entre les attributions de rationalité, voire même de cohérence, d’une part, et l’objectif scientifique de connaissance à portée universelle, d’autre part. Pour être acceptés comme des propositions à validité universelle, les diagnostics de cohérence doivent être posés dans un contexte social hypothétique de transsubjectivité complète. Un tel contexte implique que les motivations conscientes de l’acteur individuel – les raisons qu’il estime lui-même être au fondement de ses actions ou de ses croyances – sont largement perçues comme convaincantes dans son milieu social. La connaissance sociologique se greffe alors sur le sens commun dont elle rencontre les manières de penser et on peut, avec Leo Strauss (1953) lui conférer le statut de « connaissance dérivée »3. Une situation de consensus général sur l’interprétation d’un comportement n’est imaginable qu’à partir de la présupposition implicite que tous les individus sont interchangeables et peuvent souscrire à la même argumentation. Toutefois, dès que le contexte social est hétérogène, l’aspect convaincant des raisons ou des croyances individuelles devient matière à discussions. Ceci est assez compréhensible si l’on tient compte du fait qu’elles ne sont « ni objectives ni purement subjectives » mais doivent être largement perçues comme convaincantes (Boudon, 1997, p. 53). Dans le langage de la vie quotidienne, les raisons de l’acteur individuel, telles qu’elles sont imaginées par d’autres, sont les « bonnes raisons » qu’il a d’agir comme il le fait. Pour que ces « bonnes raisons » puissent être considérées comme des « raisons fortes », rencontrant une approbation générale, elles doivent participer d’un mode de pensée typique de toute une population ou, au moins, d’un groupe relativement homogène.

17 Tant qu’on s’en tient au contexte hypothétique de transsubjectivité complète, les contacts avec nos contemporains renforcent les « bonnes raisons », quelle qu’ait pu être leur validité initiale. On doit néanmoins faire observer que ce processus a un caractère circulaire qui suscite le doute et invite à la réflexion. Une croyance, ou une raison d’agir d’une certaine façon, prend son sens pour l’acteur individuel quand elle s’appuie sur des « raisons fortes ». Dans un environnement socialement et culturellement homogène, l’acteur se rend compte que ces raisons sont largement partagées autour de lui et s’insèrent dans des argumentations quasiment stéréotypées. Nulle voix dissidente ne défend des raisonnements concurrents, pouvant également s’ancrer dans des « raisons fortes ». Le consensus relatif à une croyance ou une raison d’agir ne peut manquer d’avoir un impact sur les esprits. L’acteur individuel sent que ses raisons sont fortes parce que chacun autour de lui se déclare d’accord. Et chacun se déclare d’accord parce que ces raisons sont perçues comme fortes. Il est vrai qu’il n’y a probablement pas moyen d’échapper à de telles tautologies parce qu’elles sont, presque par définition, au cœur de la vie sociale. Dans toute situation d’interaction, des individus s’influencent les uns les autres et cette influence mutuelle a des conséquences pour d’autres acteurs. Autrement dit, des normes de comportement émergent d’une agrégation de raisons ou de croyances individuelles. Mais ce phénomène émergent devient autonome en ce sens que les normes produites, à leur tour, stimulent des croyances individuelles. Jusqu’à ce que de nouvelles occasions d’interaction les mettent à l’épreuve… 18 Dans la réalité empirique de sociétés diversifiées et stratifiées, les interactions peuvent être de nature extrêmement différente selon l’environnement social ou culturel. La transsubjectivité suscitant un sentiment d’évidence est généralement limitée à un

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certain milieu social, bien que la plupart des acteurs ne s’en rendent pas compte. Il est donc permis de douter que la notion hypothétique d’entière transsubjectivité suffise à faire accéder des propositions sociologiques à l’universalité4. Dès lors, le mécanisme cognitif le plus pertinent – qui relègue la transsubjectivité au rang de variable dépendante – est le processus intersubjectif par lequel les individus ajustent leur manière de penser au cours de séquences d’interaction réelles (Chazel, 1997, p. 205). Ces ajustements sont d’autant plus aisés que les individus entretiennent des contacts significatifs sur une base fréquente (ibid.). Outre l’analyse de situations de transsubjectivité hypothétique au cours desquelles les individus manifestent leur accord parce qu’ils raisonnent tous de la même façon, il existe un autre type de recherches visant à étudier les manières de raisonner typiques d’une catégorie sociale particulière. Elles apparaissent ainsi comme des signes d’appartenance : appartenance à un réseau social, à un groupe, à une communauté. C’est dans les études de stratification sociale que cette démarche peut revêtir le plus d’intérêt. Lorsque des individus partagent certaines manières de penser, certaines croyances, certains espoirs, une classification objective basée sur des données statistiques recouvre un sentiment intersubjectif d’appartenance qui est le propre des classes sociales. L’intersubjectivité ancrée dans la réalité empirique se substitue alors aux manifestations idéal-typiques de transsubjectivité illustrées par des exemples construits.

Intersubjectivité et cohérence

19 Il paraît difficile d’examiner les mécanismes intersubjectifs présents dans les rapports sociaux sans recourir à la notion de socialisation évoquée plus haut. Tout partenaire d’une relation interindividuelle y apporte un bagage socioculturel contribuant à définir la manière dont il perçoit la situation et s’y adapte. Ce terme de « bagage » renvoie métaphoriquement à l’identité sociale de l’acteur, telle qu’elle a évolué jusqu’au moment où il s’est engagé dans la relation. C’est la combinaison conceptuelle identité- rôles – une identité fondée sur une pluralité de rôles, passés et présents – qui permet d’apprécier la cohérence d’une personnalité, au-delà de la diversité, souvent trompeuse, des rôles et des attentes de rôles. De prime abord, la variété des situations et des contextes paraît priver chaque rapport social de toute pertinence pour les autres. Mais plusieurs situations d’interaction incorporant au moins un élément commun ne peuvent être totalement indépendantes les unes des autres. Chacune est influencée par l’existence des autres et toutes contribuent à modeler la personnalité des individus concernés. Nous sommes donc le produit de l’imbrication des rapports sociaux et non d’une raison immanente. De telles situations, affectant les dispositions d’agir ultérieures, débutent à la naissance lorsque les parents du nouveau-né exerçent leur influence au cours de la phase de socialisation primaire. Ce sont donc de véritables chaînes d’interactions qui requièrent de l’individu un comportement adaptatif, même si cette adaptation consiste paradoxalement en une rébellion ou une fuite. Car les « bagages » sont loin d’être toujours du même poids. Tous les individus ne se trouvent pas confrontés aux mêmes opportunités d’interaction. Il en est qui n’auront jamais la possibilité de faire certaines expériences parce qu’elles sont socialement hors de leur portée. Malgré la diversification des hiérarchies sociales et la fluidité des affiliations, les différences de ressources entre les catégories sociales restent considérables. Le langage de la lutte des classes paraît aujourd’hui obsolète, mais il n’en subsiste pas

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moins des riches et des pauvres, des puissants et des faibles, des dominants et des dominés, les élites et la masse ; ces dichotomies sommaires n’ont pas cessé de conserver une réalité objective et une signification subjective.

20 Ceci dit, quelle que soit la position sociale d’un individu et les dispositions personnelles qu’elle favorise, il y a une interpénétration permanente des composantes individuelles et sociales de la personnalité. C’est le résultat d’un mouvement de socialisation constant et c’est ce qui rend problématique une approche purement rationaliste du comportement humain. La cohérence s’évalue par rapport aux raisons d’agir de l’individu, mais aussi par rapport à ses émotions et aux influences socialisatrices qu’il a subies. La construction du « soi » est un processus jamais achevé qui rend la conception dynamique héritée du pragmatisme américain sociologiquement plus pertinente que la vision cartésienne classique de la nature humaine. L’intersubjectivité, au sens du pragmatisme, est le résultat d’ajustements cognitifs réguliers dans des situations d’interaction et sur la base de ces situations. La formation graduelle de la personnalité dans la dynamique des relations interpersonnelles a été décrite et analysée en détail par George Herbert Mead (1934). Selon lui, l’individu se construit lui-même dans ses contacts avec les autres, dans un dialogue incessant entre les composantes réflexives et adaptatives de sa personnalité. L’aspect réflexif de la personnalité, créant la possibilité d’une distance mentale à l’égard des autres et de soi-même, n’existe que par l’influence humanisante de l’environnement social. C’est un élément capital de la socialisation. Tout au long d’une trajectoire de vie, plusieurs catégories d’« autres significatifs » se succèdent et exercent des influences diverses, parfois contradictoires, sur l’individu. Ce sont les étapes successives de la socialisation secondaire par laquelle l’individu acquiert ses capacités subjectives et accumule son bagage socioculturel. 21 Les mécanismes de socialisation secondaire sont particulièrement apparents lorsque des gens qui se connaissent de longue date cessent de se voir pendant une longue période. L’émouvant essai d’Alfred Schütz (1945), The Homecomer – se référant au G.I. rentrant aux Etats-Unis après les combats de la Deuxième Guerre mondiale – illustre l’évolution produite de manière convaincante. L’individu qui revient chez lui après un long séjour à l’étranger dans des conditions inhabituelles fait une impression étrange sur ceux qui l’ont connu autrefois. Il semble être devenu une personne différente. Pendant son absence, il a fait de nouvelles expériences qui l’ont transformé. Comme on dit dans son entourage, « il n’est plus le même ». Un tel processus d’éloignement est encore plus net dans le cas de l’immigrant qui a laissé des personnes de référence dans son pays d’origine et en a acquis de nouvelles qui participent à sa resocialisation dans le pays où il s’installe. Les doutes intimes liés à cette transformation d’identité sont typiques du marginal man – l’homme marginal – évoqué par Robert Park (1928). Bien sûr, les changements affectant le réseau de relations ne sont pas uniquement le résultat de la mobilité géographique ou sociale. Ils peuvent être suscités par tous les événements qui marquent la vie : mariage, divorce, maladie, retraite, deuil, etc. L’influence des « autres significatifs » – partenaires, personnes de référence – se manifeste de deux façons. Elle a de toute évidence un impact sur l’élément adaptatif de la personnalité en provoquant une forme de contrôle social intériorisé. Elle a toutefois également une influence indirecte sur la composante réflexive du « soi ». Quand de nouveaux personnages entrent en scène, il est temps de faire face à de nouvelles attentes de rôle mais c’est aussi le moment de renouveler le débat intérieur sur la base de nouvelles interactions et de nouveaux arguments.

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22 En tant que mécanismes sociaux, les attentes de rôle, les processus de socialisation, les pressions normatives sortent du cadre de référence de la rationalité mais ils n’impliquent aucun déterminisme. Dans les conjonctures les plus impérieuses, la réflexivité de l’esprit humain préserve une marge de choix. Comme Peter Berger (1963, p. 165) l’a fait observer, on a toujours la possibilité de sortir d’un rôle.

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NOTES

1. Une première version, plus brève, de cet article a paru en anglais sous le titre The Postulate of Rationality between Universality and Diversity (Coenen-Huther, 2009). 2. J’ai développé ceci à l’aide d’exemples extraits de mes propres travaux de terrain dans un article publié antérieurement (Coenen-Huther, 1998). 3. On trouvera une illustration de ce caractère dérivé, fondée sur des observations de terrain, dans un article paru récemment dans cette revue (Coenen-Huther, 2007, p. 37-39). 4. J’ai eu l’occasion de présenter ce raisonnement plus en détail, à partir d’autres prémisses, dans L’Année sociologique (Coenen-Huther, 2001).

AUTEUR

JACQUES COENEN-HUTHER

Université de Genève

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Les chances du libéralisme dans le monde arabo-musulman

Hatem M’Rad

1 On sait que dans le libéralisme, outre la limitation du pouvoir politique, le dernier mot doit revenir à l’individu, à sa liberté, à son choix. Le mot même de liberté s’applique à une relation sociale, c’est-à-dire à une relation entre un ou plusieurs individus. Un individu est libre par rapport à un autre individu, et par extension, par rapport au groupe social, de faire ceci ou cela. Dans le cadre social, la liberté est à la fois, comme dirait F.E.Oppenheim, liberté de et liberté à (freedom from-freedom to) 1. La première nous permet de disposer de nos droits et libertés acquises, la seconde est une liberté qui vise à ouvrir de nouveaux espaces de liberté. Mais toute liberté consiste, pour un individu, à choisir, sans être sanctionné en retour, entre deux ou plusieurs choix, tant sur le plan personnel que sur le plan politique2.

2 A l’évidence, si on a à l’esprit un tel état libéral et une telle forme de liberté qui lui est intrinsèquement rattachée – signification qui a essentiellement cours en Occident – le libéralisme ne peut trouver sa place dans le monde arabo-musulman pour les raisons déjà décrites plus haut. Même si l’on doit reconnaître que cette signification qui a cours en Occident, qui considère le libéralisme comme une philosophie de limitation de pouvoir et de liberté individuelle, est celle qui correspond à l’essence même du concept de libéralisme et à sa réalité historique. 3 Toutefois, si le libéralisme a été et est encore en Occident une philosophie de la liberté, il est plutôt perçu pour le moment dans les pays arabo-musulmans comme une philosophie de libération3. Libération vis-à-vis des pesanteurs morales, religieuses et traditionnelles, libération vis-à-vis des colonisateurs, libération vis-à-vis des pouvoirs en place et finalement libération de l’individu vis-à-vis de lui-même. Or la libération est un stade préalable à la liberté. Le libéralisme est inachevé à ce stade de l’histoire politique arabe. C’est un concept en gestation. Il est institutionnalisé, mais imparfaitement intériorisée. Il ne peut exprimer encore la liberté qui est incomplètement intériorisée dans les mœurs civiles et politiques. Or la liberté, comme l’a rappelé Tocqueville, est d’abord une affaire de mœurs. Et les mœurs arabes et musulmanes sont encore empreintes d’un certain coefficient d’autoritarisme, des mœurs qu’on ne peut « rationaliser » et

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« libéraliser » que dans l’épreuve du temps. Mais faire confiance à l’épreuve du temps ne veut pas dire ignorer l’épreuve de la volonté. La raison humaine ne cesse en effet jamais de tendre à la liberté, car, comme le disait Kant, « La liberté peut toujours franchir la limite qui lui a été assignée »4. 4 Ainsi, sans connaître encore le libéralisme au sens plein du terme - il est d’ailleurs difficile qu’une société soit totalement ou absolument libérale (les Etats-Unis sont une exception en la matière, le libéralisme fait corps avec leurs mœurs), car cela pourra impliquer la dissolution des liens sociaux- les pays arabes n’en ont pas moins connu certaines pratiques, libérales ou libératrices, tendant à s’adapter à leur contexte social et culturel. Ainsi, la conjonction du spirituel et du temporel n’a pas toujours été totale ou systématique, certaines tendances séculières ont tenté dans l’histoire de ces peuples de mettre un frein au débordement de l’islam et de laïciser la politique. Par ailleurs, certains pays arabes ont connu dans leur histoire contemporaine une tradition libérale partielle, qui n’a pas manqué de propulser certains courants libéraux, encore vivaces aujourd’hui auprès des élites5. L’économie a été par exemple un des secteurs qui a le mieux assimilé la libéralisation dans certains pays. Enfin, on peut considérer que les chances du libéralisme dans le monde arabo-musulman résident aujourd’hui, et demain encore, principalement dans l’éducation. Un grand effort éducatif est nécessaire pour, d’abord, limiter les dégâts encore criants de l’analphabétisme, ensuite instruire les peuples par la raison et enfin les éduquer à la liberté.

1. Tendances séculières de la politique

5 On verra d’abord comment ont eu lieu les premières brèches à la confusion du spirituel et du temporel, puis la percée de la sécularisation au XXe siècle.

A) Premières brèches à la confusion du spirituel et du temporel

6 Il est certain que la confusion du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel est le postulat majeur qui coiffe l’architecture de l’islam. Au temps du prophète et des quatre premiers califes, la forme du pouvoir s’identifiait avec éclat à un califat. Globalement, les premiers califes parvenaient plus ou moins à s’autolimiter à travers la morale islamique6. On privilégiait les affaires religieuses, raison d’être même des affaires temporelles, même si la politique était loin d’être une sphère fantasmagorique.

7 Mais les premiers musulmans étaient plus soucieux du spirituel que du temporel. Avant de décéder, le prophète a désigné Abou Bakr pour diriger la prière à sa place, lui déléguant de la sorte la fonction religieuse la plus importante. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les musulmans ont approuvé le choix de Abou Bakr, un homme âgé et pieux7, comme calife, chargé de conduire la communauté musulmane conformément à la loi de Dieu. Il n’était nullement alors question de pouvoir temporel ou encore de « pouvoir royal ». La royauté était à ce moment-là déconsidérée en ce qu’elle constituait le régime des infidèles et des ennemis de l’islam. Fidèle à l’enseignement du prophète, Abou Bakr a combattu les apostats (ahl ar-ridda) et a rassemblé les rangs des musulmans. Puis, à son tour, il a désigné Omar pour lui succéder. Ce dernier a suivi l’exemple de Abou Bakr en ce que, comme lui, il a gouverné avec simplicité et pondération. Il a aussi remporté les guerres contre les autres nations et a permis aux musulmans de confisquer leurs biens et leurs pouvoirs. Le Califat a ensuite été transmis

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à Othman Ibn Affan, puis, lorsque ce dernier a été assassiné par des musulmans au cours d’une révolte, à Ali. 8 Ces quatre premiers califes ont méconnu le pouvoir monarchique, avec tous ses fastes et ses luxes ostentatoires. Leur détachement des choses matérielles et terrestres était, d’après Ibn Khaldoun, renforcé aux premiers temps de l’islam par les conditions de vie élémentaires et par l’habitude de la vie bédouine chez les arabes8. Les plaisirs de la vie leur étaient encore inconnus en raison de leur attachement à l’islam qui prônait l’ascétisme, l’abstention des biens terrestres et en raison des conditions de la vie bédouine, de leur habitat, du désert et de la rudesse de leur existence. 9 Toutefois, la première brèche à la confusion du spirituel et du temporel dans l’histoire arabo-musulmane est survenue après le règne de ces quatre premiers califes. A partir de cette date, on a commencé à privilégier les affaires temporelles sur les affaires spirituelles, à accorder la préférence à la politique plutôt qu’à l’ascétisme religieux. Celui-ci est moins bénéfique au pouvoir que celle-là. 10 Les Omeyyades détenaient la puissance réelle dans l’empire naissant. C’est dans la province syrienne que se concentraient les armées musulmanes. A Damas, qui faisait déjà figure de capitale, l’esprit nouveau s’affirmait avec force. On adoptait les habitudes syriennes : l’usage du vin, la pratique des rites païens. Désormais, on contrevenait aux traditions du Coran et du prophète et aux mœurs musulmanes au grand jour. Les Omeyyades se comportaient ainsi en souverains temporels, immodérés et irréligieux. Ainsi, écrit Ibn Khaldoun « les traits caractéristiques du califat disparurent et il ne garda plus du califat que le nom. Le régime devint une autocratie pure et simple. Le pouvoir toucha à l’absolutisme et servit les vanités du siècle, l’emploi de la force et la satisfaction arbitraire des désirs et des passions »9. 11 Depuis la fin du règne des quatre premiers califes est apparu le grand débat dans la philosophie politique islamique sur la jonction ou la disjonction du spirituel et du temporel, c’est-à-dire sur la nature du pouvoir en islam. A cet égard le cheikh Ali Abderraziq n’est pas le premier penseur musulman à avoir évoqué l’affaire du califat et à défendre la séparation du temporel et du spirituel. Bien avant lui, au IVe et un Ve siècle de l’Hégire, un certain nombre d’écrits sont apparus pour insister sur la séparation radicale entre le calife qui doit se conformer aux textes sacrés et au monarque qui a des préoccupations humaines. C’est ainsi que Ibn Saâdane El Wazir au IVe siècle de l’Hégire a évoqué implicitement l’idée d’une telle séparation10. Il en va de même de Abou Hiyane Tawhidi qui considérait que « le pouvoir c’est la politique des hommes pour les hommes »11. Le besoin de l’autonomie et de l’affranchissement de la politique par rapport à la religion est devenu tellement pressant que plusieurs penseurs musulmans ont considéré que le souverain doit s’appuyer sur la raison, seule garante de la justice, c’est le cas d’El Maârri (363-445 de l’Hégire). Le passage du califat à un sultanat avec les Ottomans est encore un témoignage criant de la source humaine du pouvoir et de la sécularisation de la politique dans l’histoire islamique. 12 Sur le plan philosophique, l’apparition du mouvement Mo’tazilite au IIe siècle de l’Hégire, constitue sans aucun doute la revanche de la raison sur l’ascétisme12. L’homme est devenu responsable d’interpréter les phénomènes de la nature. Les Mo’tazilites se sont imposés dans l’Empire Abbasside de façon si rapide qu’une bonne partie de l’élite musulmane cultivée a été désignée sous leur nom. Leur école a eu l’audace de fonder le principe de l’action morale et sociale sur le principe théologique de la justice et de la liberté de l’homme. L’école ach’arite s’est d’ailleurs attaquée au rationalisme des

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Mo’tazilites auquel on lui reprochait de donner une valeur absolue à la raison. Ce qui revenait non pas à privilégier la foi, mais à l’éradiquer en lui substituant purement la raison13. D’un autre côté, l’hérésie (Ezzandaka) est devenue un mouvement important dès le IIè siècle de l’Hégire. Les défenseurs de la tradition se sont opposés à eux. En fait, la lutte contre l’hérésie n’était pas une lutte pour la protection de la religion contre les impies. Elle était, en quelque sorte, une épuration de tous les opposants à l’autorité officielle en vertu du slogan « celui qui raisonne devient hérétique »14.

B) Percée de la sécularisation au XXe siècle

13 Toutefois, il faut attendre le XXe siècle pour voir s’affirmer avec force dans la vie intellectuelle l’appel à la sécularisation de la politique et à la séparation catégorique entre le spirituel et le temporel dans le pouvoir islamique.

14 Ce mérite revient incontestablement au Cheikh Ali Abderraziq (1888-1966), qui comptait parmi ses proches Mohamed Abdou et Lotfi Al Sayyed, grandes figures réformistes et libérales de l’époque. Son essai capital sur la nature de l’autorité politique dans le monde islamique, L’Islam et les fondements du pouvoir, publié en 1925 juste après l’effondrement du califat en 1924 alors que tous les musulmans s’interrogeaient sur les répercussions de cet évènement sur leur communauté, et qui a suscité des polémiques redoutables, occupe une place à part parmi les écrits arabes de ce siècle, malgré sa modeste dimension15. 15 Ali Abderraziq a, en effet, déclenché un débat de fond qui se poursuit jusqu’à nos jours, et est à l’origine d’un tournant majeur dans la pensée arabe et islamique du XXe siècle16. La principale qualité de l’auteur, celle qui donne à son ouvrage toute l’autorité et l’audace qu’on lui a reconnues est, d’être un ‘âlim et un Câdi’ formé à l’Université Al- Azhar. Il portait le titre de Cheikh Al Azhar qui faisait de lui un membre du corps des théologiens-juristes en charge de défendre l’orthodoxie et l’ordre social islamique. Dans cet ouvrage, Ali Abderraziq défend l’idée d’une séparation radicale du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. Il montre que le prophète est un guide spirituel et non un monarque de ce monde. Ses préceptes pour le gouvernement des hommes n’impliquent en rien les fondements d’un « Etat islamique » qui n’a jamais existé, pas même aux premiers temps de la Umma. Les dernières phrases de son essai font figure de proclamation solennelle : « Aucun principe religieux n’interdit aux musulmans de concurrencer les autres nations dans toutes les sciences sociales et politiques. Rien ne leur interdit de détruire ce système désuet qui les a avilis et les a endormis sous sa poigne. Rien ne les empêche d’édifier leur Etat et leur système de gouvernement sur la base des dernières créations de la raison humaine et sur la base des systèmes dont la solidité a été prouvée, ceux que l’expérience des nations a désigné comme étant parmi les meilleurs. »17 Ce livre franchement libéral a, on s’en doute bien, valu à l’auteur, sa traduction devant la justice en ce qu’il a bousculé les idées reçues les mieux établies en islam. 16 Ali Abderraziq donne ainsi le coup de grâce à la confusion du spirituel et du temporel en laïcisant la politique, coup de grâce intellectuel survenu un an après le coup de grâce politique, puisque le califat a été supprimé en 1924. 17 Il est certain qu’aujourd’hui, sur le plan politique, social et institutionnel l’Islam semble moins pesant que dans le passé. D’abord l’autonomie relative dont jouissait l’institution religieuse a été réduite à sa plus simple expression par les Etats-nations après les

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indépendances. Ensuite le déclin des supports traditionnels de la religion a été concomitant au progrès d’un fort processus sociologique de sécularisation des institutions, de la culture et de la société. De larges secteurs en rapport avec l’organisation bureaucratique, la science et la production moderne sont effectivement soustraits à l’emprise du religieux. Comme le remarque Abdelmajid Charfi, « D’une situation où le religieux était englobant, régulateur quasi-absolu et présent partout, on passe subrepticement à une autre où il n’est qu’un secteur de la vie parmi tant d’autres »18. Par ailleurs, après l’époque coloniale, qui n’a pas peu contribué à marquer les esprits sur le plan culturel et à rationaliser les institutions, la majorité des nouveaux Etats arabes et musulmans apparus sur la scène internationale se sont dotés de constitutions laïques, se bornant juste à énoncer que l’Islam est la religion de l’Etat19. Ces nouveaux Etats ne sont plus pour la plupart des Etats religieux ou à caractère religieux (mis à part certains Etats théocratiques moyenâgeux du Golfe), même s’ils peuvent revêtir un aspect traditionnel (Maroc-Jordanie). Certains d’entre-eux sont mêmes plus laïcs et modernes que d’autres (Tunisie-Liban) tant sur le plan politique que sur celui des mœurs civiles et ne semblent pas affectés outre mesure par le retour du spirituel et du religieux qui pointent à l’horizon dans certaines franges, plutôt populaires, de leur population. 18 Il s’ensuit que, dans le Etats arabes modernes, l’islam n’est pas un obstacle incontournable à l’évolution du libéralisme politique. Quoiqu’on fasse, le politique prime toujours le religieux dans l’action du pouvoir, même si l’inverse peut être vrai sur le plan des représentations mentales. Dans l’islam des premiers temps, le politique guidait ainsi souvent le religieux. La politique arrive toujours à se frayer une voie autonome et spécifique, en ce qu’elle poursuit imperturbablement une logique propre à elle, une logique toute schmittienne mettant face-à-face amis et ennemis. Au fond, la religion est devenue beaucoup plus politique que la politique n’est devenue religieuse. 19 Le courant libéral, qui s’est développé dès le XIXe siècle dans certaines parties du monde arabe, de manière incomplète il est vrai, a d’ailleurs contribué à l’autonomisation relative du politique au regard du religieux. Les idées de limitation de pouvoir, de modernisme institutionnel, de constitutionnalisme ou de liberté individuelle (notamment celle des femmes) sont des idées qui tendent certainement à relativiser le poids du religieux, du sacré, de la communauté, du groupe, un poids qui ne s’est pas affaibli tant dans l’espace public que dans l’espace privé. 20 En effet, la laïcisation de la société n’a jamais pu être totale, ni même importante en terre d’islam. Le caractère laïc doit souvent composer avec l’élément religieux. Les Etats arabes eux-mêmes se complaisent encore à être ou à paraître simultanément musulmans et modernes. Les faits le confirment. En cela, l’opinion de Slim Laghmani ne manque pas de justesse. « On est bien, dit-il, à mi-chemin du modèle laïque qui implique que l’Etat est a – religieux et de l’Etat confessionnel qui implique que l’Etat a pour fondement la volonté divine seule souveraine »20. Les sociétés arabes vivent au fond un « statut intermédiaire » entre l’Etat laïque et l’Etat confessionnel, même si ce statut penche selon les Etats tantôt vers l’un tantôt vers l’autre. Les Etats qui ont connu une expérience libérale sont sans doute moins confessionnels que laïques. C’est ce qui explique le caractère partiel et incomplet de la tradition libérale dans certains Etats arabes.

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2. Une tradition libérale partielle

21 Le monde arabo-musulman a connu à partir de la fin du XVIIIè siècle, en réaction à la décadence générale qui a frappé cette région, un mouvement réformiste libéral. En réalité, bien que libéral, ce mouvement bien localisé, n’en est pas moins resté affecté par la Tradition.

A) Une réaction à la décadence arabo-musulmane

22 En effet, la tradition libérale est liée à la période de la renaissance arabe (la nahdha) dont les auteurs conviennent que sa date de naissance se situe en 1798 21, date de la campagne de Napoléon en Egypte. C’est à partir de cette date que le monde arabe a pris brutalement conscience du retard qui le séparait nettement du monde européen et du progrès spectaculaire acquis par celui-ci. Jusque-là, les arabes n’ont guère cessé de rêver leur passé glorieux et de vivre sur l’acquis de leur brillante civilisation qui, du VIIIe au XVe siècle était effectivement en avance dans tous les domaines par rapport à l’Occident.

23 Ils ont maintenant acquis la certitude que, c’est désormais l’Europe qui domine tant sur le plan économique (commerce mondial), politique (démocratie, liberté politique), intellectuel et scientifique (production, œuvres, découvertes, éditions, progrès palpables…) que sur le plan militaire, comme l’atteste la colonisation du monde arabe et musulman par les pays européens eux-mêmes (Angleterre, France, et ailleurs, Hollande, Allemagne). En un mot, ils ont découvert que l’Europe mène le monde. Corrélativement, perdant de sa force et de son rayonnement, l’empire ottoman est en déclin22. 24 Par rapport à l’Europe le monde arabe a encore pris conscience que ses gouvernements et ses monarques étaient marqués par le despotisme, que les peuples étaient composés de sujets pauvres, ignorants, assujettis à la fois aux autorités politiques qu’aux autorités religieuses traditionnelles enfoncées dans leur lecture passéiste et conservatrice de l’Islam et défendant un immobilisme injustifiable en ce temps- là. 25 Le mouvement réformiste se proposait ainsi de rattraper ce retard à l’égard de l’Europe en pensant le tajdîd (renouveau) et l’Islâh (réforme). Il voulait faire l’état des lieux des sociétés arabes, examiner les raisons de leur faillite tout en proposant des réformes tendant à remédier à cet état. C’est la raison pour laquelle ces réformateurs ont projeté leur regard vers le modèle européen. L’Europe était présentée par Tahtawi comme Ahl al-tamaddun (peuple de civilisation). Elle attirait en fait beaucoup plus les réformateurs de type libéral que les réformateurs de type salafiste, du Manar, plus traditionalistes, qui voulaient, eux, réformer l’islam de l’intérieur sans se laisser subjuguer par l’Europe (Mohamed Abdou, Jamel Eddine Al Afghani, Rachid Rida, Farid Wajdi, Mohamed Iqbal). 26 Il est vrai que la date du début de la Renaissance n’est pas uniforme pour tous les pays arabes. Cela dépend des conditions historiques et sociologiques et de la conjoncture politique de chaque pays. Mais les deux pays qui ont pris de l’avance dans leur contact avec l’Europe sont le Liban, en raison de l’existence dans ce pays d’un grand nombre de chrétiens, et l’Egypte en raison de la campagne de Napoléon. 27 Même si les libanais étaient en avance sur le plan éducatif, c’est l’Egypte qui a commencé à se rapprocher de l’Occident et à emprunter ses valeurs libérales lorsqu’ils

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ne heurtaient pas la religion musulmane. Cela a commencé à l’époque du Khédive Mohamed Ali (1805-1848), qui était un homme d’origine albanaise, qui a accaparé le pouvoir après le départ des Français. Il avait pour ambition de créer un Etat moderne fort et économiquement et militairement capable de concurrencer l’Etat ottoman. La première de ses actions était ainsi d’envoyer des délégations scientifiques composées d’étudiants en Italie, puis en France. Ces délégations à la tête desquelles se trouvait Tahtawi ont contribué par la suite à propulser la renaissance moderne en Egypte, une renaissance de laquelle sont sortis des écoles, des imprimeries, des traductions, une presse, et des intellectuels quasi-modernes23. 28 En Tunisie, l’apparition de quelques penseurs réformistes et hommes politiques comme Khereddine (1820-1887)24, Ibn Abi Dhiaf (1803-1864)25ou Bayram V (1840-1889)26 a été un facteur déterminant dans l’ouverture des monarques beylicaux. La visite de Ahmed Bey à Paris en 1846 a été décisive dans la reconnaissance du progrès de l’Occident libéral. Inversement, les contacts que la Tunisie n’a jamais cessé d’avoir avec la rive nord de la méditerranée ont à leur tour favorisé l’émergence de ces mêmes réformateurs. Encore que le réformisme égyptien a pu aussi déteindre sur le réformisme tunisien. 29 Cela dit, ce mouvement libéral, malgré sa pénétration dans la sphère arabe et son caractère novateur par rapport à la tradition ancestrale, reste un mouvement relativement affecté par la Tradition et bien localisé.

B) Un mouvement libéral simultanément audacieux et affecté par la Tradition

30 Globalement, les réformateurs libéraux voulaient, tant sur le plan politique que sur le plan social, moderniser les institutions, limiter le pouvoir et libérer les sociétés et les individus des pesanteurs de la tradition ancestrale, en s’appuyant cette fois-ci sur la raison et non la Révélation, sur la logique scientifique et non le dogme ou la vérité, fut- elle religieuse.

31 Ainsi, sur le plan politique et intellectuel, Tahtawi a pris l’initiative de traduire en arabe la Charte constitutionnelle française (Takhlîs El Ibrîz…), Khereddine, véritable fondateur de la Tunisie moderne, emploie pour la première fois le concept de dawla (Etat) dans le sens occidental d’Etat moderne distinct du monarque27. Ce qui n’est pas le produit du hasard, car le secret de la puissance occidentale n’est autre, d’après ces réformateurs que l’Etat, « clé du bonheur occidental »28 et introduit dans le discours politique arabe les concepts de « libéralisme politique » et de « droit politique ». Ibn Abi Dhiaf dénonce le pouvoir absolu, source d’instabilité politique, de violence, de déclin économique et de régression des mœurs, en même temps qu’il appelle à l’instauration d’une monarchie limitée par le droit29. 32 Sur le plan social, le statut des femmes, dévalorisé par la tradition30, a fait l’objet de vives controverses entre les modernistes libéraux et les traditionnistes31. Ainsi, le courant libéral, représenté ici par Rifaâ Tahtawi, Kacem Amin, Taha Hussein, Tahar Haddad32 et Nadhira Zineddine, a défendu audacieusement l’enlèvement du voile (Hijâb ), la mixité dans les lieux publics et de travail, le droit de la femme à l’instruction pour qu’elle puisse jouer un rôle social, son droit de choisir son époux, de divorcer, la suppression de la polygamie. Il s’agit de mesures manifestement révolutionnaires par rapport à l’esprit de l’époque ou à la mentalité collective, encore sous l’emprise de la

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tradition. Une emprise de laquelle les réformateurs eux-mêmes n’ont pu y échapper totalement. 33 En effet, il faut bien reconnaître que si les premiers réformateurs libéraux ne sont pas parvenus à théoriser une synthèse de la logique rationnelle occidentale avec l’identité islamique, ils ne sont pas non plus arrivés à théoriser cette synthèse sans l’identité islamique. Rares sont les réformateurs ou les libéraux qui pouvaient crier, à la manière de Ahmed Lotfi Al-Sayyed, l’égyptien, que le libéralisme, c’est la liberté, rien que la liberté33. Le qualificatif de Benjamin Constant arabe qu’on lui a collé est loin d’être usurpé au vu de ses écrits34. Il est en tout cas un des rares écrivains libéraux arabes qui ont compris que le libéralisme veut dire à la base les droits de l’individu35 et non pas seulement la limitation formelle du pouvoir politique. 34 En général, aussi paradoxal que cela puisse paraître - un libéral est d’abord en effet attaché à la liberté- les libéraux arabes n’ont pu parvenir à se libérer totalement de la tradition. Le pouvaient-ils ? La référence à l’islam revient comme un leitmotiv dans leurs écrits. Ils craignaient qu’en bousculant radicalement les repères de la morale islamique le monde arabe n’en arrive à se désagréger et à perdre son identité, ses valeurs morales multiséculaires et solidement intériorisées par les peuples musulmans dans leur conscience collective. C’est pourquoi ils étaient imprégnés par les fondements religieux de l’Islam. 35 Ainsi Tahtawi (1801-1873)36 que certains appellent « le leader du libéralisme arabe » n’a pu se départir de l’influence de la religion musulmane, lors du séjour de la délégation scientifique égyptienne à Paris37 en dépit de son désir de prendre pour modèle les institutions constitutionnelles occidentales. L’Etat qu’il proposait ainsi à la société égyptienne n’était pas exempt de valeurs islamiques, car il était certain que les constitutions qui limitent le pouvoir exécutif ne sont pas contraires à l’Islam. La même appréciation se retrouve chez Khereddine. Si d’après lui, l’Occident à évolué à partir de l’établissement des assemblées parlementaires et de la liberté d’expression, ces deux instruments se trouvent au cœur de l’Islam, puisque les assemblées représentatives ne sont pas autre chose que le principe de la Choura38. De même pour le syrien El Kawakibi qui a rejoint le groupe du manar en 1899 en se liant d’amitié avec Rachid Rida, le réformateur salafiste, et qui, tout en appelant à la réforme, tout en dénonçant le despotisme politique, les conservateurs religieux et leurs privilèges, n’en préconise pas moins dans son célèbre ouvrage Um al Qurâ (la mère des cités, 1900) le retour d’un califat arabe issu de la famille même du prophète. Le califat ne sera pas, d’après lui, despotique, il s’exercera dans le cadre de la choura (consensus)39. 36 Ainsi, pour tous ces penseurs, et à des degrés différents, la modernisation des institutions islamiques, le réformisme libéral ne doivent pas essayer de plaquer les valeurs et le modèle occidental sans discernement, mais doivent être rattachés à l’islam, à la shari’a, seul principe supérieur. « La « modernisation » des institutions politiques, a écrit Bertrand Badie, ne constitue pas une fin en soi : elle est conçue comme une technique permettant le progrès de l’éducation, de l’économie et de la puissance politique, elle est soumise à une vision politique de l’islam et trouve ainsi ses limites dans la soumission à une finalité qui la transcende »40. Il s’agit en quelque sorte de faire un tri en distinguant la bonne modernisation de la mauvaise, « la bonne » s’emboîte avec l’islam, la « mauvaise » s’en écarte. On peut considérer ainsi que l’économie fait partie de la « bonne » modernisation. Le libéralisme économique ou les

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procédés capitalistes sont des techniques qui ne heurtent pas de front les valeurs islamiques. 37 Toutefois, le libéralisme économique qui constitue un autre facteur possible d’avancée du libéralisme dans le monde arabe musulman doit encore composer avec l’interventionnisme étatique et l’autoritarisme politique

3. Un libéralisme économique amputé

38 Le libéralisme économique a connu, en effet, une évolution certaine dans le monde arabe depuis quelques décennies. Mais l’adaptation du modèle libéral s’est faite sur le mode autoritaire.

A) Ouverture des économies locales au marché libéral

39 En effet, les premières formes de libéralisme qu’ont connues certains pays arabes étaient essentiellement d’ordre économique. L’Etat-providence a épuisé ses vertus dans la plupart des pays en voie de développement.

40 Au cours des décennies postérieures à l’indépendance (1960-1970), le rôle de l’Etat dans les économies arabes est partout important. Comme dans beaucoup de pays du tiers- monde, ce sont des politiques et des conceptions étatiques de développement qui ont prévalu. Dans certaine pays, comme le Maroc et la Tunisie41, le cadre affiché était libéral, mais marqué par un fort interventionnisme étatique. Dans d’autres pays, comme l’Algérie, le régime socialiste, organisé selon le modèle soviétique s’est traduit par la mise en place d’une économie entièrement étatisée. En général, l’intervention directe de l’Etat dans l’économie s’exerce par le biais des grandes entreprises nationalisées ainsi que par la prise en charge de grands travaux d’infrastructure42. Enfin, les échanges extérieurs sont fortement contrôlés pour protéger les marchés intérieurs et la monnaie. 41 Ce n’est que vers les années 1970 que le monde arabe s’est progressivement engagé dans des politiques d’infitâh, d’ouverture des économies locales au système de marché libéral, caractérisées par la faveur accordée aux investisseurs privés et à l’intensification des échanges avec l’extérieur. 42 C’est le Président égyptien Sadate qui, voulant se démarquer de l’héritage nassériste, a déclenché la politique des « portes ouvertes »43, suivis aussitôt au Maghreb par la Tunisie44 et le Maroc45 qui, respectivement ont adopté plus tard en 1984 et en 1983 des « programmes d’ajustement structurel » favorables à la privatisation et à la libéralisation économique. 43 Le processus de privatisation ou vente des entreprises publiques est ainsi particulièrement engagé au Maghreb, mais à des rythmes différents selon les pays. Les privatisations sont un aspect du processus du désengagement économique de l’Etat dans ces pays et contribuent à l’ouverture de leurs économies sur l’extérieur lorsqu’elles draînent les investissements étrangers. 44 Les premiers projets de privatisation se rapportent dans la région aux plans d’ajustement structurel. Pour la Banque mondiale, il s’agit dans une logique libérale, de soumettre peu à peu aux lois du marché tous les secteurs de la vie économique, mais aussi de fournir aux Etats les moyens de remboursement de leurs dettes

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internationales. Ces privatisations ont conduit à l’établissement d’un arsenal juridique permettant la cession progressive par les gouvernements d’entreprises publiques et semi-publiques selon un calendrier et des modalités précis. Le nombre de ces entreprises est très important, car les Etats maghrébins contrôlent une grande partie (Maroc et Tunisie) ou tout (Algérie) l’appareil économique. 45 La Tunisie a lancé son programme de privatisation en 1987. Au Maroc, la loi du 11 décembre 1989 engage le processus avec la prévision du transfert au secteur privé de 112 entreprises. Le programme lui-même a débuté en 1993. En Algérie, la loi de finances de 1993 a programmé la liquidation des entreprises publiques locales et le passage des entreprises publiques d’Etat au statut de sociétés par actions. 46 Aujourd’hui, c’est au Maroc que le processus de privatisation a pris le plus d’ampleur. Entre 1993 et 2002, 62 entreprises sont transférées au secteur public pour 40,5 milliards d’euros. En Tunisie, 176 entreprises ont été privatisées en 20 ans, mais en termes financiers, le rapport pour le gouvernement tunisien est beaucoup plus faible qu’au Maroc. En Tunisie, c’est principalement le secteur touristique qui est concerné par les privatisations, suivi par les industries chimiques, électriques et mécaniques, l’agriculture et l’agro-alimentaire. En Algérie, la mise en route des privatisations s’est heurtée à de nombreux obstacles (instabilité, insécurité, endettement des entreprises proposées)46. 47 Ces choix sont aujourd’hui en train d’être approfondis dans ces pays et élargis à d’autres pays arabes devant lesquels se posent les défis de la mondialisation, de l’ouverture du marché mondial. 48 Cela dit, malgré l’extension du libéralisme économique, malgré les politiques de privatisation et le processus de désengagement de l’Etat entamé par certains pays arabes ces derniers années, malgré l’autonomisation du champ économique et le passage à une société holiste47, malgré l’individualisme rampant qui est en train d’affecter les différentes catégories sociales arabes, l’Etat reste largement interventionniste et l’économie reste sous le contrôle du pouvoir politique qui ne conçoit pas encore qu’une partie ou qu’un secteur - et non des moindres - des activités de l’Etat, ou au sein de l’Etat, puisse échapper à son contrôle, surtout à l’époque moderne du tout économique.

B) La mainmise du politique sur l’économique

49 Normalement, dans les économies libérales d’aujourd’hui, c’est désormais le marché et la contrainte extérieure qui priment. La transition d’une économie d’Etat vers une économie de marché le suppose également. Mais, crise de l’Etat - providence ou réalité de la mondialisation économique, libéralisation financière ou réforme des taux de change, libéralisation commerciale et financières des monopoles au niveau du commerce extérieur ou privatisation des entreprises publiques, liberté d’entreprendre ou réduction des pesanteurs bureaucratiques, il faut comprendre que, le politique dans les pays arabes ne se laisse pas aisément tirer par l’économique. C’est toujours le pouvoir politique qui fait le jeu48. Les plans d’ajustement structurel ou la libéralisation économique ont aujourd’hui, certes, été dictés par la nécessité ou par des considérations économiques très sérieuses49. Mais, au fond, le libéralisme économique est adopté moins en raison d’un quelconque partage lyrique de pouvoir que pour que le système politique global n’échappe pas à l’emprise du pouvoir. L’enjeu pour le pouvoir

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est le contrôle de la société, le maintien du parti au pouvoir, tout en réalisant des réformes économiques qui puissent satisfaire les institutions internationales50. Le libéralisme économique arabe ne s’explique donc essentiellement ni par des considérations de rentabilité économique, ni par des considérations de profit liées à une classe économique performante, mais par des impératifs de puissance51. L’économique dans le monde arabe, que ce soit dans les Etats rentiers, semi-rentiers ou dans ceux dont l’économie est diversifiée, relève fondamentalement du politique, de la bourgeoise d’Etat et de la bureaucratie. Ainsi, au Maghreb, les fonctionnaires de l’Etat et du parti (unique) sont encouragés dans les années 1970 à faire fortune dans le secteur privé. Le traitement préférentiel de certains entrepreneurs, encore en vigueur aujourd’hui dans ces mêmes Etats, relève d’une logique politique clientéliste et non, à proprement parler, d’une politique libérale.

50 Aujourd’hui, les choix économiques libéraux en rapport avec la mondialisation et l’ouverture au marché peuvent faire croire qu’il y a eu un élargissement des classes moyennes ou une réhabilitation de l’influence de la bourgeoise entrepreneuriale pouvant contribuer à enraciner les idées libérales dans leurs sociétés. Mais, la mentalité rentière des chefs d’entreprise, toujours fidèles au parti au pouvoir, quel qu’il soit, et la lourdeur administrative continuent de bloquer le processus économique libéral. L’Etat reste tutélaire. Il faut savoir que les grandes affaires économiques des pays arabes ne se négocient pas à l’intérieur des cercles des hommes d’affaires avisés, mais dans les hautes sphères de l’Etat et sous le regard pesant de celui-ci. Le libéralisme économique est suspecté dans le monde arabe d’épuiser le leadership politique. Il doit être tenu en lisière. 51 Ainsi, la Tunisie est un pays qui allie parfaitement la libéralisation économique et l’autoritarisme politique. La croissance économique continue, la prédominance d’une classe moyenne et la stabilité sociale qu’a connues ce pays dans les années 1990 ont accrédité l’idée d’un « miracle » économique propre à ce pays. La réussite affichée de la Tunisie sur le plan économique et social pourrait d’ailleurs accréditer l’idée de la nécessité ou des vertus de l’autoritarisme dans le processus de développement des pays arabes. En réalité, le modèle tunisien des années 1990 s’inscrit dans une continuité et il a profité de l’héritage des décennies précédentes. Le fort interventionnisme étatique qui caractérise encore aujourd’hui l’économie tunisienne et qui a souvent été présenté comme une des causes internes du miracle tunisien, puise ses potentialités dans la tradition d’un Etat fort et centralisé mis en place après l’indépendance, malgré le processus de désengagement. Cet Etat reste très présent dans le domaine économique et social52. 52 Cela veut dire qu’aujourd’hui, dans le monde arabe, la réalité conjugue le libéralisme économique avec un fort coefficient d’autoritarisme politique. Mais le libéralisme économique, à supposer même qu’il soit complet, ne parviendra pas à créer à lui seul une réalité sociale libérale, un pluralisme politique ou une culture libérale et démocratique. L’insertion du libéralisme dans les institutions, la culture, les mœurs et la réalité suppose surtout la modernisation du système éducatif des pays arabes, un système qui pose encore problème dans beaucoup d’entre eux qui tardent à faire leur révolution en la matière et dont l’enseignement est encore archaïque et traditionnel. La liberté commence au fond dans les bancs de l’école. Il ne suffit pas que l’école socialise l’enfant ou les jeunes, il faudrait encore qu’elle leur donne les armes de la liberté et les moyens de combattre l’ignorance, le despotisme, l’irrationalisme et les préjugés.

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NOTES

1. Oppenheim (F.E.), Dimensions of freedom, an analysis, New York, 1961, p. 118. 2. Aron (R.), Essai sur les libertés, Paris, Calmann-Lévy, Coll. Pluriel, 1976, revue et augmentée, p. 193. 3. Le terme « libération » est entendu conformément à son sens authentique, c’est-à-dire « action de rendre libre, affranchissement de tout ce qui limite la liberté, délivrance d’une sujétion, d’une domination ». (Petit Larousse). 4. E. Kant, Critique de la raison pure, op. cit., p. 265. 5. En fait, le libéralisme ne concerne pas les régimes et les pays arabes au même titre ou au même degré. Il ne concerne que ceux qui ont connu dans leur histoire une littérature libérale ou ceux qui fait l’objet de quelques applications libérales, quoique incomplètes, en vertu de la philosophie politique des partis au pouvoir, comme le Wafd, parti nationaliste égyptien et le Destour, parti tunisien de libération nationale, ou encore ceux qui, de nos jours, ont daigné desserrer les verrous en jouant le jeu du pluralisme, c’est-à-dire l’Egypte, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, la Jordanie, outre bien entendu le Liban. 6. Un auteur égyptien, M. Abdelhamid Metoualli, estime que l’héritage musulman ne connaît pas de théorie de limitation de pouvoir ni de théorie de séparation des pouvoirs. On remarque toutefois que, si l’on remonte à l’histoire et au règne des premiers califes, au temps d’Abou Bakr et de Omar, que le pouvoir était limité par les préceptes religieux qui constituaient un obstacle à l’abus de pouvoir et qui étaient considérés comme une garantie de liberté pour les musulmans. Il est vrai toutefois que cet empêchement religieux à l’abus de pouvoir a fini par disparaître après le règne des premiers califes orthodoxes (Abou Bakr, Omar, Othman et Ali). Et le califat, comme le disait Ibn Khaldoun, s’est transformé en royaume et a abouti à la concentration des pouvoirs et à la tyrannie. Metoualli (A.), Mabâdi nidhâm al hukm Fil islâm (Principes du régime du pouvoir en Islam comparés aux principes constitutionnels modernes). Egypte, 1966, p. 648-655. 7. Kalisky (R.), L’Islam (origine et essor du monde arabe), Paris, Marabout, 1968, p. 92 et ss. 8. Ibn Khaldoun (A.), Discours sur l’histoire universelle (Al-Muqaddima), op. cit, p. 402. 9. Ibn Khaldoun (A.), op. cit., p. 441. 10. Gasmi (M.F.), La Laïcité et sa diffusion en Occident et en Orient, (en arabe), op. cit., p. 200. 11. Tawhidi (A.H.), Al Amt’a wal mouânassa, Beyrouth, Publications de la librairie Al Hayet, p. 33. 12. Bouamrane (Ch.), Gardet (L.), Panorama de la pensée islamique, Paris, Sindbad, 1984, 2 e éd., chap. 2, pp. 36-57. 13. Corbin (H.), Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, Coll, Folio, Essai, 1986, p. 155 et ss. 14. Bedoui (A.), Târikh al bida’ fil islâm (Histoire de l’hérésie en Islam) Le Caire, Dar Ennahdha Al Masria, 1945, pp. 23-71. 15. Ali Abderraziq : L’Islam et les fondements du pouvoir, (Introduction de Abdou Filali-Ansary), Egypte, 1925, Paris, Ed. La découverte, 1994. Il est intéressant de relever que dans une enquête du quotidien Al-Sharq Al-Awsat réalisée au cours du mois de mai 1993, la quasi-totalité des écrivains arabes placent cet ouvrage en tête des ouvrages les plus déterminants de notre temps. Cela témoigne implicitement de l’existence d’une demande ou d’une attente libérale dans les sociétés arabes. 16. Voir Filali-Ansary (A.), L’islam est-il hostile à la laïcité ? Casablanca, Ed. le Fennec, 1999, Actes sud, Sindbad 2002 ; Roy (O.), La laïcité face à l’islam, Paris, Hachette, Littératures, Coll. Pluriel, 2005. 17. Ibid., p. 26.

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18. Charfi (A.), « Ijtihad et ijmâ’. Au-delà des malentendus », pp. 70-87, p. 84 ; ainsi que « La sécularisation dans les sociétés arabo-musulmanes modernes », pp. 107-120, in du même auteur, La pensée islamique. Rupture et fidélité, (Recueil d’articles), Tunis, Sud Editions, 2008. 19. Toutefois, certains Etats arabes n’ont toujours pas de constitution, comme l’Arabie Séoudite ou Oman. Amor (A.) « Les Etats arabes et le constitutionnalisme ». Rev. Tun. de Droit, CERP, Tunis, 1990, pp. 25-40, p. 27. 20. Laghmani (S.), « Entre Etat laïque et Etat confessionnel un statut intermédiaire est-il pensable ? », in du même auteur, Islam, le pensable et le possible (Recueil d’articles), Casablanca, Editions le Fennec, 2005, pp. 105-114, p. 111. 21. Encore que ce qu’on a appelé les siècles de décadence, qui se situent entre 1258 ap. J-C et 1800 ne sont pas exempts de lumière. Ainsi, au 14e siècle, l’œuvre de Abderrahmane Ibn Khaldoun va avoir une influence certaine et profonde sur les penseurs du 19e siècle eux-mêmes, ceux de la renaissance libérale. Les penseurs de la renaissance se sont également inspirés d’autres libres penseurs du passé comme Razi, Ibn Sina, Ibn Roshd. 22. Saint-Prot (Ch.), Islam : L’avenir de la tradition entre révolution et occidentalisation, Monaco, Ed. du Rocher, 2008, p. 364. 23. Kadhi (M.) et Soula (A.), Al fikr al islâhi’ind al ‘arab Fi ‘Asr ennahdha. (La pensée réformiste chez les arabes à l’époque de la Renaissance), Tunis, Sud Editions 1992 ; Voir également Abdelmalek (A.) : Idéologie et renaissance nationale : l’Egypte moderne, Ed. Anthropos, Paris, 1969 ; Laroui (A.) : L’idéologie arabe contemporaine, Ed. Maspéro, Paris, 1967. 24. Khereddine, Akwâm al masâlek fi ahwâl al mamâlek. (Réformes nécessaires aux Etatsmusulmans), STD, Tunis, 1972 ; Voir également : Ben Hammed (R.) : « La limitation du pouvoir politique chez Khereddine », in Mélanges Hareth Mzioudet, Tunis, Faculté de droit et des sciences politiques, 1994, pp. 219-231 ; ainsi que du même auteur : « Le Constitutionnalisme dans la pensée politique de Khereddine et Ibn Abi Dhiaf », in Mélanges offerts au doyen Sadok Belaïd, Tunis, CPU, 2004, pp. 217-231. 25. Ibn Abi Dhiaf (A.), Ithâf Ahl Ezzamân bi Akhbâr moulouk Tounes wa’ahd Al Amân, (Chronique des Rois de Tunis et du Pacte fondamental), Tunis, 7 volumes, 1963-1966. 26. Bayram V (M.), Safwat Al I’tibâr, bi mustawda’al amsâr wal aqtâr, 1 ère édition, Imprimerie al i’lâmia, les 3 premiers volumes, 1884 ; le 4e volume, 1885 ; le 5e à l’Imprimerie al muqtataf, 1894, (L’essentiel des enseignements mis en dépôt dans les villes et dans les pays). 27. Larif-Béatrix (A.), Edification étatique et environnement culturel, Paris, Editions Publisud, 1988, p. 80. 28. Ben Achour (Y.), Politique, religion et droit dans le monde arabe, op. cit., p. 115. 29. Badie (B.), Les deux Etats. Pouvoir et société en Occident et en terre d’islam, Paris, Fayard, 1986, Coll. Points, 1997, op. cit., p. 86-87. 30. Charfi (M.), Islam et liberté, op. cit., p. 67 et ss. 31. Si la notion de « traditionaliste » décrit plutôt une tendance vers la Tradition et un certain repliement sur le passé, « le traditionniste » est celui que connaît la Tradition, les textes les récits, la doctrine et les connaissances héritées des anciens. Saint-Prot (Ch.), op. cit., p. 567-568. 32. Haddad (T.), Notre femme, la législation Islamique et la société, Tunis, 1930, Maison tunisienne de l’Edition (M.T.E.), 1978. 33. H.F. Najar qui a consacré un ouvrage à A.L. Al-Sayyed écrit que : « L’idée directrice du crédo de Lotfi Al-Sayyed est la liberté sous toutes ses formes et manifestations ; le crédo est la nation, la démocratie et la civilisation ; l’expression de la nation étant l’indépendance, celle de la démocratie le gouvernement constitutionnel, et enfin celle de la civilisation l’évolution continue, le moyen pour réaliser ces buts consiste dans l’instruction et l’éduction ». Najar (A.P.) Lotfi Al- Sayyed, maître de sa génération (en arabe), Le Caire, 1965, p. 287. 34. Benjamin Constant disait lui-même qu’il a toujours obstinément défendu le même principe : la liberté en tout, en religion, en philosophie, en politique, en économie, en littérature. Constant

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(B.), Mélanges de littérature et de politique in, du même auteur, De la liberté chez les modernes (Ecrits politiques, annotés par Marcel Gauchet), Paris, Coll. Pluriel, 1980, pp. 519-612, p. 519-520 ; Voir également M’rad (H.), « Les repères du despotismes politique dans la pensée de Benjamin Constant », Rev. Tun. de Droit, 2005, pp. 199-225. 35. Lewis (B.), Le retour de l’islam, Paris, Gallimard, essais traduits de l’anglais, 1985, p. 147. 36. Tahtawi (R.), Takhlîs al ibrîz fi talkhîs Bârîz, (La purification de l’or ou l’aperçu abrégé de Paris) Tunis, la maison arabe du livre, 1991 ; voir également Ben Achour (Y.), L’Etat nouveau et la philosophie politique et juridique occidentale, Tunis, Publication du CERP de la Faculté de droit et de sciences politiques et économiques, 1980, 460 p, p. 279 et 55. 37. Il était en effet l’Imam officiel de la délégation. 38. Ben Kantar (H.), « Le constitutionnalisme dans la réalité arabe » (en arabe) Maroc, Revue El Wahda, n° 48, sept. 1988. 39. Kawakibi (S.), « Un réformateur et la science », in Le courant réformiste musulman et sa réception dans les sociétés arabes, Damas, Institut Français du Proche-Orient, 2003 ; Saint-Prot (Ch.), Islam : L’avenir de la Tradition entre révolution et occidentalisation, op. cit., p. 384 et ss. 40. Badie (B.), Les deux Etats, op. cit., p. 88. 41. Voir pour la ferveur planificatrice en Tunisie dans les années 1960 et le développement planifié et interventionniste : Ayari (Ch.), Le système de développement tunisien (une rétros- respective. Les années (1962-1988)), livre I. Analyse institutionnelle, Tunis, CPU, 2003, p. 33 et ss. 42. Comme par exemple les grands barrages ou la politique d’intensification agricole. 43. Hinnebusch (R.), Egyptian politics Under Sadat, Cambridge University Press, 1985. 44. Toumi (M.), La Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Paris, PUF, 1989. 45. Tozy (M.), Edification d’un Etat moderne. Le Maroc de Hassan II, Paris, Albin Michel, 1986. 46. Voir Abderrezak (A.), « Libéralisation économique et privatisations », in Confluences Méditerranée, n° 45, printemps 2003 ; Aziki (O.), Daumars (L.) (sous la coordination de), Privatisations : stoppons l’hémorragie, Attac Maroc (groupes d’Agadir et de Rabat), 2005 ; Aouad– Badoual (R.), Le Maghreb (99 questions sur), Montpellier, CRDP, Académie de Montpellier, 2006, p. 88 et ss. 47. Beatrix-Larif (A.), in GRIC, « Pluralisme et laïcité », Paris, Bayard / Centurion, 1996, p. 213. 48. M’rad (H.), « C’est la politique qui mène le monde », L’Economiste maghrébin, n° 16, 28 nov. 1990 49. Aouad-Badoual (R.), Le Maghreb (99 questions sur), op. cit., p. 87 et ss. 50. Gregor (M.), « L’économie politique du libéralisme », article précité, p. 27 51. Djaït (H.), La personnalité et le devenir arabo-musulmans op. cit. p. 130 52. Voir Hibou (B.), « Tunisie : le coût d’un ‘miracle’« , in Critique internationale, n° 4, été 1999.

AUTEUR

HATEM M’RAD

Département de droit public et de science politique Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis

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L’étrange victoire*. Leontief et la transformation de la science économique De la « planification sans théorie » à la « mesure sans théorie », 1920-1949

Amanar Akhabbar

« Le savoir n’est pas la science, surtout dans sa forme contemporaine ; et celle-ci, bien loin de pouvoir occulter le problème de sa légitimité, ne peut manquer de le poser dans toute son ampleur qui n’est pas moins socio-politique qu’épistémologique. » Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne, 1979, p. 36. 1 Pourquoi choisir comme cas d’étude l’analyse input-output ? La réponse se trouve du côté de l’historiographie économique récente. L’histoire de la pensée économique a investi depuis les années 1990 une dimension qu’elle avait jusqu’alors largement ignorée : la dimension statistique et appliquée de la science économique. Ces premières études se sont concentrées essentiellement sur l’économétrie. Ce domaine récent est structuré par deux thèses majeures. La première (que nous pouvons rattacher aux travaux d’Alain Desrosières [2003]) cherche dans les conditions d’émergence de formes nouvelles de l’Etat celles des savoirs nouveaux. Ainsi la macroéconomie va avec l’Etat keynésien et l’analyse input-output avec l’Etat ingénieur. La seconde thèse (attribuée à Mary Morgan [2003]) ajoute à la précédente thèse l’idée que c’est le va-et-vient entre administrateurs et savants qui a produit de nouveaux instruments, de nouvelles techniques, comme la modélisation et l’économétrie. L’une et l’autre thèse prennent l’analyse input-output comme archétype de l’instrument au service de la puissance, Morgan insistant même sur ce cas pour démontrer une certaine forme de neutralité technique : idéologiquement associée au soviétisme, son emploi en Occident ferait de l’analyse input-output un instrument relativement neutre en valeurs. L’objectif de cet article est d’élaborer une troisième thèse. En effet, la configuration sociopolitique nous

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paraît fondamentale, mais elle est insuffisante. Non seulement il faut tenir compte de la complexité des interactions entre les différents acteurs et milieux culturels mais aussi déterminer dans quelle configuration épistémologique s’encastrent les transformations de la science économique : les débats sur la planification et les instruments de politique économique ne sont pas indépendants des débats épistémologiques sur les critères de légitimité des savoirs etréciproquement. C’est cet encastrement que nous cherchons à mettre en lumière. Partant des débats sur « planification et théorie » en URSS, dans les années 1920, nous montrons que l’analyse input-output est le fruit d’une transformation épistémologique de la science économique dans un contexte sociopolitique donné : depuis la révolution Russe jusqu’à la seconde guerre mondiale et aux débuts de la guerre froide en passant par les expériences des social-démocraties européennes. Wassily Leontief1 traverse ces épisodes constitutifs, depuis ses études universitaires à Saint-Pétersbourg et à jusqu’à ses travaux à Kiel, New York, Cambridge et Washington. Nous cherchons à décrire la configuration sociale, politique, scientifique et épistémologique dans laquelle s’est formé un nouveau savoir, fondé sur la modélisation, la statistique et les mathématiques.

2 De fait, à partir du dernier tiers du 19e siècle, la question de la mesure statistique redevient problématique dans le champ de la science économique. En 1870, la science économique, c’est d’abord l’école classique britannique à côté de laquelle figurent maintenant les marginalistes, Marx, et les historicistes institutionnalistes proches l’école historique allemande. Seule cette dernière pose comme fondamentale la statistique. Si une véritable révolution statistique se met en branle dès les années 1870, donnant lieu à une première génération de technologies numériques (1870-1930), la science économique oppose une forte résistance à cette révolution. Ainsi, d’un côté les revues économiques peuvent continuer à publier en masse des articles très « pratiques » sur des problèmes économiques conjoncturels, de l’autre, le cœur de la science économique est sourd aux sirènes statistiques. Les résistances mènent à des frictions qui trouvent dans le domaine d’étude des business cycles le principal terrain de bataille méthodologique et conduisent à la seconde génération de technologies numériques (1930-1970). En fait, la bataille « statistique » entre déductivistes et historicistes ne s’achève qu’à la fin des années 1940, aux Etats-Unis, avec la controverse de la mesure sans théorie. Cette controverse oppose d’un côté le directeur de recherche de la Cowles Commission, Tjalling Koopmans, promoteur de la théorie de l’équilibre général, de la macroéconomie et de l’économétrie, et de l’autre Rutledge Vining défenseur des méthodes statistiques des institutionnalistes du NBER. 3 Cette controverse finale aboutit à un résultat a priori paradoxal : dans un contexte de forte demande privée et publique d’instruments et d’analyses statistiques, ce sont les déductivistes qui gagnent la bataille et avec eux la théorie, l’axiomatique et la mathématisation. C’est que, dans le même temps, la statistique devient attachée au fondement même de la théorie : dorénavant la méthode déductive s’impose ainsi que l’idée que la théorie doit être testée, les paramètres des modèles doivent être estimés, etc. Ce ne sont plus ni les historicistes ni les administrateurs qui portent la recherche statistique, mais les économistes théoriciens les plus abstraits. Ce sont ces derniers qui façonnent de nouvelles technologies comme la modélisation et l’économétrie. La science économique est maintenant une technoscience2, pleine de techniques, de modèles, de statistiques et plus que jamais théorique : les années de « haute théorie » sont des années de « haute technologie ». Ce résultat se comprend en fait très bien dès

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lors que l’on replace la science économique dans le projet moderne hérité des Lumières. Parce que dans la modernité connaître c’est contrôler, l’alliance entre statistique et théorie déductive accompagne le développement de l’Etat interventionniste : le modèle de connaissance est un modèle d’intervention. La demande publique croissante de statistique aurait due favoriser les institutionnalistes et les historicistes et pourtant ce sont les tenants de la haute théorie, les serviteurs du « Great Analytic » (Clapham), qui emportent la victoire. Cet article présente la place de l’analyse input-output dans ce processus qui aboutit à l’étrange victoire des théoriciens, lors de la controverse de la mesure sans théorie entre la Cowles Commission et le NBER, à la fin des années 1940. Il s’agit donc à la fois d’expliquer le résultat inattendu de la controverse, et la formation de l’analyse input-output. Les deux sont profondément liés. 4 Bien que le « phénomène » ou même le « mythe » « analyse input-output » 3 dépasse en fait largement les activités de l’auteur Leontief, cet auteur se retrouve au centre de la formation de l’analyse input-output dans ces années 1920-1950. C’est pourquoi nous nous centrons sur Leontief. Celui-ci, lorsqu’il invente ce qui va devenir l’analyse input-output, loin d’être à la marge des économistes théoriciens, est au cœur du processus de transformation de l’économie politique en une technoscience. Cette découverte est inattendue dans la mesure où Leontief est habituellement considéré comme un cas « à part » dans la pensée économique, comme un bricoleur de chiffres plus que comme représentatif de sa discipline. En fait, le parcours et l’œuvre de Leontief sont intimement liés à cette transformation : raconter la formation de l’analyse input-output entre 1920 et 1950, c’est aussi raconter les transformations de la science économique. Ce qu’il faut expliquer, et que vient entériner la controverse épistémologique américaine de la fin des années 1940, c’est que des théoriciens se saisissent de la statistique et de la planification et, par là même, transforment la science économique en une technoscience. Si la statistique entre en révolution dans les années 1870, il aura fallu, pour que la science économique en soit transformée, deux guerres mondiales, plusieurs révolutions politiques (à commencer par la révolution russe) et une Grande dépression. En effet, que s’est-il passé pour qu’une science déductive indépendante de l’expérience développe massivement au 20e siècle, des technologies telles que la statistique et la modélisation ? La réponse est complexe, comme toujours et, en même temps, comme le dit Bruno Latour, « depuis le salon de Mme de Guermantes, nous savons qu’il faut un cataclysme comme celui de la Grande Guerre pour que la culture intellectuelle modifie légèrement ses habitudes et reçoive enfin chez elle ces parvenus chez qui l’on n’allait pas » (Latour [1991], p. 16). Ici, Mme de Guermantes c’est la Théorie économique (the Great Analytic dirait Clapham), et les parvenus ce sont les mesureurs, les statisticiens, les administrateurs, les calculateurs, etc. Mais si la science économique a connu un bouleversement au 20e siècle, il n’en reste pas moins que la théorie reste maîtresse. Car le processus qui est mis en œuvre est autant une révolution épistémologique (un positivisme de la connaissance et de la performance) qu’une révolution technique (le développement de la modélisation et de la statistique). Alors, comment les positions épistémologiques des économistes s’articulent-elles avec cette révolution technique en économie ? Répondre à cette question suppose de revoir la méthodologie de l’histoire de la pensée économique. 5 Nous développons dans ce qui suit la thèse suivante : le tournant entre l’économie politique du 19e siècle et celle du 20e siècle vers une technoscience se comprend par la récupération de la mesure et de l’application par la théorie économique pour exercer un contrôle sur la politique économique. Alors que la science économique tente de

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mettre de côté la mesure et l’application (comme le montre l’épistémologie traditionnelle de la fin du 19e et début 20e), les choses changent à partir des années 1920. Nous tentons d’expliquer ce grand mouvement qui amène la science économique à se saisir de la mesure et de la statistique économique pour produire des technologies de savoir qui sont autant de technologies de pouvoir. Ainsi, et c’est le centre de notre argumentation, nous montrons comment la théorie, grâce à une épistémologie référentielle4 et à la modélisation, a permis de faire le lien entre la masse de données et les besoins de la politique économique. En d’autres termes, le fait styliséhistorique que nous tenterons d’expliquer est le développement concomitant d’une épistémologie référentielle explicative et celui de l’économie comme technoscience. Il s’agit de montrer comment le premier a rendu possible le second. 6 Nous faisons commencer notre récit par les débuts de l’expérience soviétique, qui est l’une des premières tentatives de réunir théorie, planification et statistique. Leontief est témoin de cette tentative (I). Suivent les tentatives européennes de l’entre-deux- guerres, avec les travaux de Tinbergen, Frisch ou encore Keynes. Leontief est, là encore, profondément imprégné par ces travaux (II). Nous terminons sur le basculement de la fin des années 1940, aux Etats-Unis, au moment où l’analyse input-output connaît la puissance et la gloire, un moment où la Cowles Commission – dont Leontief est très proche – gagne la controverse sur l’économie statistique (III et IV).

1. Les débuts de l’expérience soviétique et la controverse de la planification sans théorie

7 Si c’est la première guerre mondiale qui constitue le premier laboratoire pour la planification économique5 au 20e siècle, son véritable commencement est marqué par la révolution soviétique de 1917, qui va constituer pour les décennies qui suivent l’exemple (ou le contre-exemple) de la planification sociale. A la différence de la période suivante (1930-1960), les débuts de la planification soviétique dans les années 1920 sont proches de la configuration politique, scientifique et épistémologique occidentale. Le rôle joué dans la genèse de l’analyse input-output par la recherche de techniques de planification par les économistes soviétiques des années 1920 est important dans la mesure où une innovation technologique6 (la balance comptable de l’économie soviétique) publié en 1926 par l’institut statistique soviétique, le TsSOU, est à l’origine de nombreux travaux dont ceux de Leontief et du Bureau of Labor Statistics sur les relations interindustrielles. Ce tableau est la première exposition claire d’un bilan comptable pour une économie entière, utilisant la logique comptable privée des comptes en T, et exposant les résultats par secteurs. On y trouve un tableau intersectoriel que Leontief commentera d’ailleurs dans sa première publication, en allemand (1925)7. Nous montrons ici que Leontief ne reprend pas seulement un instrument technique mais une problématique politique et épistémologique d’ensemble : la construction simultanée d’un appareil statistique et d’un modèle pour éclairer la politique économique et découvrir des lois économiques.

8 Au début des années 1920, en pleine NEP, les statisticiens soviétiques se voient confiés pour mission, par le Conseil pour le Travail et la Défense (STO)8, de développer des outils de planification. D’abord conçu pour organiser l’économie durant la guerre civile, le STO est créé en 1920 –la même année que le NBER à New York. Il a pour mission d’établir et de mettre en œuvre un plan unifié, ce qui amène à en faire un organe

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intermédiaire entre l’armée et le parti et les organes centraux. Le Conseil avait ainsi pour fonction de déterminer une norme (le plan) mais aussi de veiller à son exécution via un réseau administratif important. Les débats portaient en particulier sur l’état et le développement de telle ou telle branche de l’économie, mais surtout sur le financement de l’économie. A titre d’exemple, en 1925, le STO est préoccupé par une baisse des réserves en devises de la banque centrale à la suite d’un déficit extérieur croissant. La banque centrale n’arrivant pas à résoudre le problème, le STO préconise d’accroître les exportations soviétiques (en particulier de blé et d’or). Rapidement il apparaît que non seulement la redirection du blé vers la vente à l’étranger n’arrive pas à résoudre le problème du déficit mais qu’elle crée par ailleurs un problème interne de ravitaillement. Après de nouvelles propositions, les nouvelles solutions apportées par le STO sont in fine rejetées par le Politburo qui conçoit à ce moment là la menace que constituent pour son indépendance décisionnelle des organes indépendants chargés des affaires économiques. Staline pousse alors à un plus grand contrôle du STO par le Politburo de manière à s’assurer de son soutien… Dès lors le STO perd progressivement sa fonction initiale de constitution et d’exécution d’un plan unifié pour gérer les questions de « détails et d’administration économique » (Watson [1998], p. 1211). L’histoire du STO devient celle d’une institution instrumentalisée par le pouvoir central. Très vite relégué au second plan par le GOSPLAN, le STO connaît un déclin jusqu’à sa disparition en 1937. 9 L’épisode du STO, d’abord conçu comme le centre de cohérence de la planification soviétique, montre comment l’extrême politisation de l’appareil politique et administratif soviétique a conduit à criminaliser les efforts d’objectivisation des décisions économiques. L’entreprise du centre de statistique (TsSOU) dépendant du STO, et dont la balance comptable soviétique de Popov et Litoshenko est un produit, est représentative de cet effort et de la résistance à la constitution d’un réseau statistique fiable appuyé sur un modèle macroéconomique de l’économie soviétique. En effet, la publication de la balance soviétique en 1926 provoque une controverse sur l’existence de lois générales que pourrait découvrir la science économique aidée d’un appareil statistique de mesure. Cette controverse a conduit à décrédibiliser l’approche des auteurs de la balance comptable et les économistes se sont vus dénoncés comme des « prophètes » du développement économique9. Ce qui est rejeté, c’est la possibilité d’établir un plan fondé sur des lois économiques et sociales générales justifiées à l’intérieur du programme des sciences sociales. Les travaux des économistes soviétiques montrent que l’une des principales difficultés rencontrées par les planificateurs et les dirigeants soviétiques consistait à construire un ensemble analytique capable de répondre à leurs questions. Lorsque Lénine se trouve dans l’urgence de l’après-première Guerre mondiale et de la guerre civile, l’absence d’un schéma efficace pour mener à bien la planification l’amène à interrompre la socialisation de l’économie et à revenir à un mode d’organisation économique déjà éprouvé : le marché. La NEP s’impose d’autant plus facilement qu’aucune grande stratégie de développement économique ne se dégage, ni aucun moyen de mener à bien une telle stratégie. A propos des travaux des économistes et des théoriciens10, Lénine « trouvait ces projets vides, scolaires, imbus d’arrogance bureaucratique » (Remington [1982], p. 589). Pour Lénine, les discussions sur la planification ont échoué « à proposer des solutions pratiques aux crises pressantes que rencontrait le régime » (ibid.). On ne pouvait citer « rien d’autre de Lénine que son mépris pour les concepts de cohérence des plans, proportionnalité sectorielle, et d’équilibrage itératif » (ibid., p. 593).

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10 A l’époque de la publication de la balance soviétique en 1926, la littérature économique soviétique se complexifie et se développe non seulement en rapport à la tradition marxiste, mais discute aussi le marginalisme et les travaux de l’école historique allemande. En faveur de la théorie et contre les historicistes dans le Methodenstreit, on voit apparaître des modèles mathématiques de croissance. Alors que se développe une branche de la science économique russe autour de l’idée d’équilibre et de reproduction (simple et élargie), le débat est de plus en plus perturbé par la lutte pour le pouvoir. Si Popov (1926) utilise un modèle de reproduction élargie et les données de la balance statistique pour justifier un développement simultané de la production des biens de consommation et de celle des biens de production, ce type de conclusions pratiques sont dangereuses politiquement. Popov et son équipe sont démis de leurs fonctions et la Balance déclenche un débat sur la question de la validité des théories. Les débats sur la validité des théories défendues par ces économistes vont irrésistiblement se focaliser sur l’interprétation des textes de Marx. En effet, pour ce dernier les relations de production sont déterminées par le niveau de développement d’un pays, de sa force de travail et de sa technologie. Par conséquent, les « lois » qui régissent un système économique sont profondément dépendantes de son état de développement historique : elles ne sont valables qu’à l’intérieur d’un certain temps socio-historique. Ainsi, les « marxistes postulent : (a) la priorité donnée aux méthodes de production sur tous les autres facteurs économiques ou para-économiques pour déterminer les caractéristiques d’une société quelconque ; (b) la priorité des phénomènes sociaux sur toute action individuelle, désirs ou préférences ; (c) le caractère transitoire de toute loi (principe) économique » (Spulber [1964b], p. 28). A l’intérieur de ce cadre général, deux écoles de pensée se forment : la première, constructiviste, insiste sur le rôle important du Parti dans la constitution de l’ordre économique ; la seconde insiste sur l’existence de « lois », de régularités empiriques, qui viennent limiter la sphère de l’action humaine (et du Parti). Ainsi Boukharine et Preobrajensky, coauteurs d’un manuel célèbre11, soulignent (dans une alliance provisoire et bientôt rompue) que l’analyse de Marx ne s’applique qu’à une économie capitaliste marchande. Les catégories traditionnelles de la théorie économique (la monnaie, les prix, les salaires, les intérêts, les profits, etc.) ne s’appliquent qu’à ce mode de production et sont caduques dans une économie communiste où ne subsistent que des relations matérielles planifiées. Dans une économie socialiste, c’est-à-dire de transition entre le capitalisme et le communisme, « les prix, les salaires, les profits, etc., dans le même temps, existent et n’existent pas » (Boukharine et Preobrajensky in Spulber [1964a], p. 30). Autrement dit dans les branches où domine encore la production capitaliste, les lois de l’économie s’appliquent, et dans celles où règne le planificateur, l’économiste n’a plus d’utilité pour le planificateur qui se consacre à la comptabilité matérielle (et non en valeur) et aux études d’ingénierie concernant les méthodes de production. L’autre école de pensée reconnaît en I.I. Stepanov-Skvortsov et A.A. Bogdanov ses penseurs, rejoints bientôt par Boukharine12. Ces derniers considèrent que certaines lois sont historiques et que d’autres, en revanche, sont générales. Les lois générales concernent la production et l’échange en général et sont indépendantes du cadre socio-historique. Les lois de la valeur s’appliqueraient alors partout et un planificateur qui voudrait s’en libérer s’égarerait13. 11 Un débat s’engage donc entre les deux parties en faveur de Preobrajensky qui déclare qu’« aucune économie politique n’est nécessaire » (in Spulber [1964a], p. 32). Pour ce dernier, dans l’économie socialiste l’économie politique doit disparaître pour être

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remplacée par une simple « technologie sociale14. Dans la pratique pourtant, il s’avère assez vite qu’il est impossible de se passer de monnaie et les uns et les autres se souviennent subitement que Lénine avait laissé entendre qu’il existait certaines lois générales sans que jamais ne soient indiquées lesquelles. De leur côté, les bureaucrates planificateurs en viennent à admettre l’existence d’une sphère de l’économie politique qui s’appliquerait d’abord aux branches hors de leur responsabilité tandis que les autres branches seraient soumises à la loi de leur libre-arbitre… Il est alors possible de voir un conflit d’intérêts entre les planificateurs qui sont des administrateurs à des places politiques et les économistes professionnels (réfugiés dans les instituts de statistiques)15. Les besoins des dirigeants sont devenus incompatibles avec les « données », les « images » et les relations d’équilibre que peuvent fournir économistes et statisticiens. Les administrateurs soviétiques ont sans doute mis en place un savoir ingénieux pour répondre aux demandes locales sans néanmoins pouvoir contrôler de manière rationnelle l’ensemble de l’allocation des ressources. Les bureaucrates vont avoir clairement tendance à rester hermétiques aux recherches de leurs collègues économistes et statisticiens. Lorsque Staline s’impose à la fin des années 1920, disparaît de la littérature russe toute trace d’économie politique (y compris les modèles algébriques issus des schémas de reproduction de Marx). Les travaux sur la balance de l’économie soviétique de Popov et Litoshenko sont immédiatement oubliés et les débats reprennent pendant encore quelque temps sur la « bonne manière » de construire des balances (physiques) sans tenir compte de ces travaux. Les balances ne sont plus macroéconomiques, ni en valeur, mais construites secteur par secteur et en quantités physiques. C’est donc avec la balance soviétique de 1926, en valeur monétaire et macroéconomique, qu’est liée l’analyse input-output, et non avec les balances physiques et en équilibre partiel des années 1930-1970. 12 Popov – averti comme tous les économistes soviétiques des questions soulevées par le Methodenstreit – avait quant à lui pris position en 1926 dans le débat sur l’existence de lois générales en notant que l’économie politique (marxienne) s’appliquait aussi à l’URSS : « Les lois à travers lesquelles la reproduction capitaliste a lieu, dans une certaine mesure, sont aussi les lois qui gouvernent la reproduction de l’économie sociale en général (…). Nous pouvons être absolument confiants en fondant nos efforts sur les principes méthodologiques que l’on trouve chez Quesnay et spécialement chez Marx qui a paré toutes les erreurs théoriques de Quesnay et mis au jour les lois de la reproduction dans leur forme pure et dans des termes rigoureusement scientifiques. » (Popov [1926], p. 13). Pour lui, la balance comptable de l’économie soviétique et la théorie qui lui est sous-jacente ne peuvent être réduites à une technologie sociale : il s’agit de science économique, une science positive complémentaire de la statistique. Mais à la fin des années 1920, le concept d’équilibre est rejeté comme un concept bourgeois. Popov est démis de ses fonctions et décrédibilisé ainsi que Litoshenko, Preobrajensky et Feldman entre autres. C’est la manifestation du rejet de toute loi scientifique générale telle que peuvent l’exprimer des modèles mathématiques pour des relations quantitatives, mais aussi le rejet de toute approche descriptive rationnelle de l’économie16. Dès lors, à la fin des années 1920 et alors que la NEP prend fin dans les actes et que se met en place le premier plan quinquennal, le planificateur n’a plus besoin des économistes, ce qu’apprendra à ses dépens l’économiste mathématicien (menchevik repenti) V.G. Groman à qui il est reproché de croire que « les décisions à propos des moyens et des fins qui doivent être mis en place dans les plans économiques nationaux peuvent être déduits d’après une inflexible nécessité des bureaux de calcul [des économistes] et des règles à calculer logarithmiques… en un mot il n’y

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a d’autre Dieu que le Bureau de Calcul et Groman est son prophète » (Vaisberg in Smolinski [1973], p. 1202)17. Le destin des travaux statistiques de Popov et Litoshenko est scellé par le besoin de propagande du régime que cherche à imposer Staline : les statistiques, à la « poursuite de l’objectivité » ne cadrent pas avec les besoins en chiffres adaptables de Staline. Ce dernier voit donc très naturellement, dans la statistique, une menace. Les décennies qui suivront seront caractérisées par la falsification des données. Quant à la théorie et aux modèles quantitatifs que l’on cherche à mettre en place, eux non plus ne cadrent pas avec le balancier opportuniste de Staline. Pour ce dernier, théorie, tableaux statistiques et modèles ne sont que des « jeux avec des chiffres ». Le débat est clos en 1929 avec le premier plan quinquennal et l’accession de Staline au pouvoir suprême. Par la suite, les erreurs commises par les planificateurs soviétiques18 ne doivent pas masquer le fait que la modélisation mathématique pouvait se faire avec Marx qui ne refusait pas les mathématiques (voir Smolinski [1973]) et en même temps semble s’être faite le plus souvent sans Marx et avec la théorie de l’équilibre général walrassienne comme c’est le cas de L.V Kantorovich et O. Lange. 13 Ainsi, la relation entre la théorie économique et la comptabilité nationale était cruciale pour pouvoir mettre en œuvre des plans ou des actions économiques, mais cette relation ne pouvait s’établir dans la configuration politique et épistémologique où se trouvaient les économistes et statisticiens soviétiques à partir de la fin des années 1920 : en même temps que se scellait le destin politique de l’URSS, avec la domination de Staline, était scellé aussi celui de la science économique en URSS à l’issue du débat sur l’existence de lois générales en économie. Pourtant le statut que cherche alors à se donner l’économiste et le statisticien, n’est justement pas celui de prophète mais d’ ingénieur19 et de savant. Le résultat de ce processus est une « planification sans théorie », celle du rejet d’une alliance entre la théorie économique, la statistique et la politique économique. Cette configuration montre l’importance du réseau scientifique dans la constitution d’un appareil statistique : cela se voit dans la co-construction d’un tableau comptable et d’un modèle macroéconomique20. Autrement dit, sans théorie il n’y a pas d’instrument, et sans instrument pas de planification cohérente. De plus, la controverse épistémologique sur les lois indique qu’il existe bien une relation entre l’adhésion à une épistémologie référentielle explicative21 et le système de planification établi. On s’aperçoit ainsi que les questions de planification sont intimement liées à celles de la régulation scientifique : on est alors amené à examiner les conditions épistémologiques de l’émergence de la planification, dans la logique d’une hypothèse politico-épistémologique où les technologies de savoir sont aussi des technologies de pouvoir ; autrement dit le pouvoir n’est pas la seule légitimation. L’alliance entre des réseaux politiques, administratifs et techniques et un réseau scientifique dont le programme est fondé sur la recherche de lois économiques selon une épistémologie référentielle se fait, dans la première moitié du 20e siècle, dans les démocraties occidentales et non en URSS. 14 Il reste que les travaux de Leontief vont se situer dans la suite exacte de ceux de Popov et Litoshenko. Comme ces derniers, Leontief est profondément imprégné du Methodenstreit et affirme la prééminence de la théorie sur l’observation et la statistique ; mais comme ces derniers, il voit dans la construction d’une base statistique une nécessité fondamentale pour une science économique à la recherche de lois qui ne soient pas que déductives mais aussi empiriques et historiques, c’est-à-dire donnant lieu à des mesures et des observations. Leontief quitte l’URSS en 1925 pour la République de Weimar. Il s’installe à Berlin où il rédige une thèse encadrée Bortkiewicz

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(et dans une moindre mesure Sombart dont il est l’assistant et qui sera dans son jury de thèse). Ces deux économistes représentent deux approches très différentes de la science économique et réactualisent dans les travaux de Leontief la problématique du Methodenstreit : Sombart défend l’approche historiciste tandis que Bortkiewicz s’intéresse avant tout aux questions les plus formelles de la théorie économique néoclassique et classique. Entre 1925 et 1931 Leontief est en Europe et participe à ce mouvement où se posent simultanément les questions de la planification, de la théorie et de la mesure, à un moment où les thèses du cercle de Vienne connaissent un retentissement de plus en plus fort.

2. L’Europe sociale-démocrate et ses pièces détachées : Vienne, Weimar, Cambridge, Stockholm, Oslo, 1920-1939

15 En Europe, l’expérience planificatrice de la Première Guerre mondiale donne du crédit à l’idée que l’organisation centralisée de l’économie peut remplacer l’organisation marchande22. Ce sentiment est renforcé par le choc de la crise de 1929 et la dépression qui suit. Nous examinons ici la mise en place de solutions de planification dans les démocraties occidentales dans les années 1920 et 1930, pour l’Autriche, la République de Weimar et la Grande-Bretagne, toujours à la poursuite de notre configuration politico-épistémologique. La question de la planification se pose d’abord en rapport au problème des cycles. Deux courants se confrontent avec d’un côté les empiristes radicaux dont l’un des instruments favoris est le baromètre économique (dont l’université de Harvard s’est fait une spécialité, aux Etats-Unis), et, de l’autre, les économistes théoriciens qui sont à la recherche d’une explication formelle du cycle et des structures économiques. Chacun des deux courants occupe des positions importantes dans les instituts d’analyse conjoncturelle et statistique qui se multiplient à cette époque. De leur confrontation naissent de nouveaux outils descriptifs et prescriptifs, mais ce sont in fine les théoriciens qui mettent au point la nouvelle vague de technologies sociales comme nous le montrons dans ce qui suit.

Vienne

16 La République autrichienne, née de l’effondrement de l’empire des Habsbourg, devient dans les années 1920 et au début des années 1930 un laboratoire d’expérimentation planificatrice23 : « Les Autrichiens socialistes et les « austromarxistes », qui ont été confiné à la théorisation pendant les années de l’empire des Habsbourg, obtiennent une confortable majorité électorale à Vienne durant la République et la transforment en un espace expérimental pour la planification sociale » (Wagner [2003], p. 598). L’un des théoriciens de la planification les plus influents est Otto Neurath, le sociologue et philosophe du cercle de Vienne. Neurath est représentatif des liens établis entre une vision épistémologique référentielle et explicative de la science, les sciences sociales et la planification. Pour Neurath, c’est la philosophie même du positivisme logique qui permet de fonder une organisation rationnelle de la société par des scientifiques devenus des ingénieurs sociaux. Les membres du cercle de Vienne n’hésitent pas à penser ensemble l’empirisme logique, l’unité de la science et la planification sociale : « dans un contexte intellectuel et politique de doute et d’incertitude, ses défenseurs [du cercle de Vienne] espèrent réaffirmer le

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projet social moderne par la réintroduction de la sociologie comme une science au statut épistémologique égal à celui des sciences naturelles » (Wagner, ibid., p. 597). Autrement dit, c’est la naturalisation des sciences sociales par le positivisme, en tant que prolongement du projet moderne, qui permet de penser la planification. Car avec Neurath, la continuité entre le projet épistémologique des positivistes au XXe siècle et le projet des Lumières apparaît claire. A la manière des encyclopédistes français du XVIIIe siècle, Neurath se lance avec, entre autres, Carnap et Russell, dans le projet philosophique de constitution de l’unité de la science, porté par l’Encyclopédie de la Science unifiée (International Encyclopedia of Unified Science). Contre la métaphysique, le néopositivisme viennois cherche à fonder la science sur des bases logiques et empiriques vérificationnistes – sans faire de la science unifiée le projet lui-même métaphysique d’une « super-science » (Neurath [1937], p. 265).

17 En économie, les viennois ont largement contribué d’une part à affirmer l’importance de la théorie pour l’analyse du cycle (comme Hayek et Morgenstern à l’institut de conjoncture de Vienne24), et à revivifier la théorie de l’équilibre général et, d’autre part, à relancer le débat sur le calcul socialiste, le lien entre les deux ayant déjà été fait par les économistes Pareto (en 1896) et Barone (en 1908). Sans parler des liens entre le cercle de Vienne et le Mathematische Kolloquium de Karl Menger, on peut, à titre d’exemple, noter que Neurath25 a contribué au débat sur le calcul socialiste où est posée la question de la possibilité d’une économie socialiste26. Ces idées viennent alors faire écho à celles d’auteurs comme Rudolf Hilferding qui, opposées aux idées les plus radicales des marxistes comme Rosa Luxemburg ou encore à l’expérience soviétique jugée trop radicale, développent le concept de capitalisme organisé (qui suppose que le capitalisme soit réformable). 18 Bien que du côté des viennois, les travaux économiques donnent encore rarement lieu à des mesures statistiques concrètes, l’idée s’impose d’une correspondance entre les faits observables et les termes théoriques. La théorie de l’équilibre général va alors bénéficier de cette approche positiviste qui, tout en multipliant la puissance formelle et logique de la théorie, impose une correspondance avec les faits –bien loin de la notion de l’équilibre d’une économie idéelle de Walras et plus proche du positivisme de Pareto. La théorie économique hérite de la philosophie de la logique alors en effervescence en Europe mais aussi de l’idée que le monde est la totalité des faits (Wittgenstein) et que la théorie est une représentation (modèle ou image) d’un état de choses et qu’il doit exister une correspondance entre les éléments de la théorie et les observations ainsi qu’entre la théorie et la structure des états de choses. L’importance accordée à la logique, et aussi à l’axiomatisation et, dans le même temps, aux correspondances ainsi que les problèmes empiriques des cycles économiques, vont amener, dans des mouvements parfois contradictoires en apparence, à développer à la fois le caractère opératif de la théorie (par le calculable et l’observable) et son caractère abstrait (logique formelle et axiomatisation) avec l’idée d’une correspondance factuelle avec le monde (entre les symboles formels et le réel). La nature de cette correspondance est la source de débats houleux et constitue l’origine de controverses cruciales. Mais ce qui s’impose, c’est cette exigence de correspondance, rendue d’autant plus urgente par l’importance prise par le domaine statistique des business cycles et la volonté de répondre aux problèmes sociaux et économiques concrets du capitalisme. Dans le séminaire de Karl Menger, à Vienne, l’empirisme reste d’un ordre très commun, c’est-à- dire basé sur la vision commune des choses que chacun peut avoir, mais, lorsqu’ils

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abordent l’économie, les membres du séminaire appliquent l’idée d’une clarification logique de la théorie afin de mettre au jour la structure du réel grâce à des hypothèses réalistes. En fait, dans cette ligne viennoise, ce qui paraît primordial est la clarification des hypothèses sur lesquelles la théorie économique repose, clarification que la logique et l’axiomatisation sont à même de réaliser. Cette idée n’est pas indépendante de toute forme de réalisme, car le travail de clarification effectué, la question de la validité empirique des hypothèses peut être posée. 19 Tout en reconnaissant l’importance de la question de la correspondance empirique, les viennois ont tendance à établir une division du travail qui se retrouvera par la suite, mais qui en même temps autorise et prépare l’emploi de la statistique et de l’économétrie27. Ce lien entre développement logique de la théorie et statistique est plus sensible encore autour d’Adolf Löwe à Kiel et de Ernst Wagemann à Berlin.

Kiel-Berlin

20 Nous retrouvons dans les années 1920 ces mêmes problématiques à Kiel, dans la République de Weimar, à l’Institut d’Economie Mondiale, Institut für Weltwirtschaft (où travaille Leontief entre 1928 et 1929 puis 1930 et 1931), dont certains membres comme Marschak ou encore Neisser prennent part au débat sur le calcul socialiste et/ou aux questions de la cohérence de la théorie de l’équilibre général, mais aussi où les techniques économétriques sont mises en œuvre. Il ne faut pas ici surestimer le caractère volontaire et individuel des efforts de rapprochement entre la théorie économique et la statistique, mais bien voir que les circonstances, l’urgence de la conjoncture de l’après-guerre, ont imposé aux économistes la tâche d’absorber l’information statistique. Dans ce contexte, où le plus visible des débats en économie reste la question du traitement des business cycles, la recherche de données apparaît comme un élément important mais, pour les économistes réformateurs, ne peut se faire sans théorie. Ainsi, à la différence d’autres instituts économiques, l’Institut pour l’étude du cycle des affaires à Vienne et l’Institut d’Economie Mondiale à Kiel28 ne se contentent pas de collecter des données et ils tentent de construire des ponts entre l’expérience statistique et la théorie. C’est dans ce contexte qu’Adolph Löwe29, le directeur de l’institut de Kiel, lance une attaque théorique et épistémologique contre l’approche de Mitchell des business cycles.

21 Adolf Lowe est à la fois un homme d’influence et un économiste éminent. Il est conseiller dans les ministères du Travail et des Affaires économiques de la République de Weimar entre 1919 et 1924. Entre 1924 et 1926 il dirige la division internationale du Bureau allemand des statistiques avant de devenir directeur de recherche de l’Institut d’Economie Mondiale de Kiel. Il fuit le nazisme en 1933. A Kiel Lowe réunit autour de lui des économistes tels que Gerhard Colm, Fritz Burchradt, Hans Neisser, Wassily Leontief (1927-1928 et 1930-1931) et (1928-1930). Il s’agit ici de souligner la manière dont Lowe a préparé la culture qui va engendrer des modèles-instruments de politique économique. En effet, Lowe cherche, dans un champ dominé par l’induction et l’empilement de données hétérogènes – l’étude des business cycles –, à la fois à montrer l’impossibilité d’apporter une explication aux cycles des affaires sans théorie et l’inadaptation de la théorie économique (fondée sur la notion d’équilibre) à ce sujet. Lowe [1926] dénonce dans les « baromètres »30 la « dernière éclosion de l’école historique ». Il s’oppose à ceux qui voient en eux l’aboutissement de la recherche sur les business cycles

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« pour la construction d’un pont entre la théorie et la réalité » (Lowe [1926], p. 246). Opposé à la méthode monographique de l’école historique, Lowe préconise non seulement les méthodes modernes de statistique (Leontief travaillera à Kiel sur l’économétrie des fonctions d’offre et de demande), mais aussi la recherche purement analytique. En effet pour Lowe, « notre compréhension des interconnexions théoriques des cycles économiques et celle des lois structurelles de la circulation [économique] n’a pas été enrichi par toutes ces phases de description et de calcul de corrélations » ( ibid., p. 246). Après une discussion méthodologique pointue, Lowe conclut : « Ceci signifie que la plus poussée des recherches empiriques ne peut résoudre une controverse théorique puisque, contrairement à l’hypothèse de Mitchell, une « théorie du cycle des affaires » ne peut jamais être « une analyse descriptive » » (ibid., p. 247). Pour Lowe, c’est la théorie qui permet de mettre de l’ordre dans « la jungle factuelle » – ce que reprend Leontief, alors tout juste arrivé à Kiel, la même année : pour Leontief, « toute investigation statistique significative d’un phénomène requiert un appareil conceptuel spécifique, une théorie » (Leontief [1927], p. 258). D’où les premiers travaux empiriques de Leontief en économétrie : avec l’économétrie, la théorie est première : la théorie permet de formuler un modèle qui est ensuite estimé et testé. Jacob Marschak s’illustrera également en économétrie. 22 Par cette méthodologie et la théorie des cycles qu’il tente d’esquisser ensuite, Lowe va permettre de donner une bannière (l’école de Kiel) à une approche encore très marginale en économie : la théorie portant sur des relations quantitatives. Comme à Vienne, cette idée que la théorie permet de construire le réel empirique s’accompagne d’une volonté de réformer le capitalisme : « certains membres du groupe [de l’Institut de l’économie mondiale de Kiel] étaient également impliqués dans le débat sur la planification économique du début des années trente » (Wagner [2003], p. 596). La planification dont il est question vise non pas à abattre le capitalisme mais à réformer l’économie de marché et à rejeter le modèle autoritaire bolchevik puis stalinien31 (voir Hagemann et Kurz [1990] [1998] et Heilbroner et Milberg [1995]). Parmi les membres éminents du groupe de Kiel, Marschak défendra l’économétrie, la théorie économique et des politiques économiques actives (Marschak [1941], [1947]) : en 1941, Marschak écrit : « j’espère que nous [les économistes] pourrons devenir des“ingénieurs sociaux” […] ; je ne crois pas que nous soyons de très bons prophètes » (Marschak [1941], p. 448) –on retrouve cette opposition déjà évoquée en URSS entre « prophètes » et « ingénieurs » ; une fois aux Etats-Unis, Leontief, quant à lui, bien que très prudent sur les questions de politique économique, tentera de diffuser autant que possible, par « traductions » (au sens de Callon et Latour), ses techniques input-output ; enfin, encore, Gerhard Colm participera largement à la politique économique américaine et rédigera un article méthodologique sur les baromètres et la modélisation basée sur la comptabilité nationale. A Kiel l’économiste ne se tourne ni vers les monographies de l’école historique ou les grandes fresques historiques prophétiques, mais vers un savoir technoscientifique qui se rapproche de celui de l’ingénieur. 23 L’Institut de conjoncture de Berlin n’est pas en reste dans cette course à l’analyse économique et à la prescription des politiques économiques. Le directeur de l’IFK (Institut für Konjunkturforschung) de Berlin32, Wagemann, est autant un homme de pouvoir influent qu’un économiste de son temps : habile utilisateur des techniques des baromètres de Harvard et des statistiques du NBER, il conçoit, influencé par les théories du développement économique de Schumpeter, un cadre analytique pour l’étude des

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fluctuations économiques. Wagemann, sans doute inspiré par les travaux des économistes soviétiques33, conçoit un tableau comptable de l’économie allemande. 24 Wagemann construit des bilans de l’économie allemande, selon des comptes en T :

Economie allemande en 1913 (en milliards de marks)34

Production Utilisation In Mrd M

Agriculture 9 Produits alimentaires 16

Moyens de production : Objets de consommation directe 5

En matériel industriel 12 Habillement et autres marchandises 10

En objets de consommation 9 Moyens de production employés pour de nouveaux 8 industrielle investissements

Frais de commerce et de 10 transport

Total des marchandises réelles 39 Total des marchandises réelles 39

Habitation 4 Usages des habitations 4

Services personnels 5 Services personnels 5

Produit social total 48 Produit social total 48

25 En fait, Wagemann tente d’établir, à la suite des économistes russes, un véritable cadre comptable et analytique d’étude du circuit économique pour l’économie allemande et prend ses distances d’avec la méthode des baromètres35. Autrement dit, la construction d’indices statistiques va se faire avec, en arrière plan, un cadre analytique élaboré progressivement entre 1923 et 1928. Ce cadre analytique vient de l’explication des cycles comme phénomènes réels et monétaires. Dans son traité de 1923, Allgemeine Geldlehre (1923), Wagemann reformule l’équation de la théorie quantitative de la monnaie pour former un cadre comptable. Mais ce n’est là que le premier stade de l’analyse, car le bilan statistique est une représentation statique du flux circulaire. Ainsi, afin de comprendre le mouvement économique, le tableau doit permettre de décrire le flux économique : derrière le tableau se trouve une théorie des flux économiques que Wagemann esquisse progressivement et qui devance les travaux de Leontief, Marschak et Tinbergen notamment.

Cambridge, et l’Europe du Nord

26 Ceci nous mène, pour finir, en Grande-Bretagne, où John Maynard Keynes qui – à la fois homme de pouvoir et universitaire de Cambridge – publie la Théorie générale en 1936, pensée efficace pour réformer le capitalisme en crise. La Théorie générale s’impose comme l’une des réponses les plus fortes au problème de la Grande Dépression qui

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vient réactualiser la question du capitalisme organisé. On peut se demander quels éléments ont permis d’assurer à la théorie keynésienne son succès, alors que tant d’autres réponses étaient proposées. On peut penser en particulier aux pays d’Europe du Nord et aux Pays-Bas où les économistes entretiennent un rapport beaucoup plus décomplexé avec la planification que dans le reste de l’Europe et a fortiori aux Etats- Unis.

27 Frisch d’abord, occupé à l’étude statistique et analytique des cycles36, prépare, avec son idée du cheval à bascule, de manière plus détaillée que Lowe, les nouvelles technologies de la science économique : Alain Desrosières note que Frisch « ouvre la voie à des modélisations opératoires orientées vers la politique économique, et non plus spéculatives, comme l’étaient celles des économistes théoriciens » ([2000], p. 361). En fait, parce qu’il fait de la théorie dans le langage de la modélisation, Frisch donne un instrument à la politique économique. Mais alors que Tinbergen construit pour la Société des Nations un modèle que l’on peut qualifier de macroéconométrique, Frisch poursuit une idée encore très abstraite de la planification (1934). Dans « circulation planning » Frisch [1934] propose une organisation de la planification dans un cadre d’échange walrassien. Cette approche de Frisch a été très largement critiquée et est restée sans postérité – bien qu’elle ait vraisemblablement inspiré Leontief. Pourtant ce n’est ni à une révolution tinbergenienne ni à une révolution frischienne que l’on assiste (ou même leontiefienne) mais bien à « la révolution keynésienne ». Il y a là quelque chose de l’ordre de l’anomalie dans la mesure où Keynes produit une œuvre littéraire abstraite sans, en apparence, s’appuyer sur un appareil statistique, mais avec un appareil analytique et un slogan politique fort et simple. Pour comprendre la révolution keynésienne, il faut voir comment s’est faite la révolution américaine des années 1940 et également voir que la Théorie générale était déjà conçue selon le schéma des modèles statistiques qui proliféreront dans l’après-guerre comme l’a clairement montré Patinkin [1976]. En effet, malgré sa controverse avec Tinbergen où Keynes critique sévèrement la méthode économétrique, son Treatise on Money (1930) et The General Theory (1936) résultent aussi d’une réflexion sur la mesure, la statistique économique et la modélisation, même si elle ne suit pas la voie de l’économétrie. 28 En effet, dans les années 1930, Keynes mène une réflexion abondante sur la mesure des cycles et du revenu national (comme en témoigne sa correspondance avec Kuznets). Par ailleurs, comme le souligne Patinkin, les raisonnements de Keynes sont profondément marqués par la pensée mathématique : « Keynes’ own analysis in the Treatise on Money was in fact largely based on fairly mechanical application of the so-called “fundamental equations” » ; et son Treatise on Money se voulait autant une réflexion théorique qu’une recherche appliquée. D’ailleurs Keynes sera l’un des promoteurs en Grande-Bretagne de l’économie appliquée et de la comptabilité nationale dès le début des années 1940 donnant lieu au Cambridge Programme for Growth de Richard Stone au Department of Economic Analysis (DEA) de Cambridge, lorsque les pièces éparses et instables de la nouvelle science économique vont s’assembler, aux Etats-Unis.

3. Une révolution américaine : l’assemblage des pièces détachées

29 La révolution américaine est celle de l’Etat américain, entre le début des années 1930 et la fin des années 1940 : en deux décennies et une guerre mondiale, l’Etat américain

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occupe une place jusqu’alors impensable, celle d’un Etat interventionniste et planificateur. Cette révolution peut être racontée à travers l’évolution de la science économique américaine entre 1930 et 1947, c’est-à-dire depuis la création de l’ Econometric Society jusqu’à la controverse de la mesure sans théorie. C’est une révolution dans l’Etat, dans la statistique publique et les méthodes d’intervention publique : « A l’observation des 200 dernières années de statistique du gouvernement fédéral depuis l’indépendance, il paraît clair que durant les 150 premières années le progrès a été réel, mais largement d’ordre évolutif, alors que ces 50 dernières années [1929-1979]le progrès s’est accéléré à un taux authentiquement révolutionnaire » (Duncan et Shelton [1979], p. 1). Ceci contraste avec les débuts de la statistique mathématique chez les économistes comme le rapporte Carl Christ [1952] : « Dès 1912, alors que [Irving] Fisher était le vice-président de l’ AmericanAssociation for the Advancement of Science, il tenta d’organiser une société pour promouvoir la recherche quantitative en économie. Wesley C. Mitchell, Henry L. Moore et quelques rares autres se montrèrent intéressés mais ils furent trop peu nombreux et dans l’immédiat rien ne sortit de leur vision » (p. 5). Il s’agit de montrer ici comment cette révolution profite des expériences européennes qui sont le plus souvent inachevées et incomplètes. Les différentes pièces détachées de la machine à transformer la société – la théorie de Keynes, l’équilibre général des Viennois, les modèles macroéconomiques des norvégiens et de Tinbergen, les travaux des économistes soviétiques, etc. – alors éparpillées en Europe dans des expériences souvent décevantes, vont, via l’émigration et l’internationalisation des sociétés savantes américaines, arriver aux Etats-Unis au cours des années 1930. C’est durant la Seconde Guerre mondiale, dans ce projet de big science militarisée, que sont assemblées les pièces détachées. Nous voyons alors comment les modèles et instruments, progressivement mis en place par une épistémologie économique transformée, préparent cet assemblage.

30 De nouveau, l’histoire commence avec l’étude des business cycles et la position dominante des institutionnalistes américains durant l’entre-deux-guerres. Ceux-ci, nous l’avons vu, sont décriés par les théoriciens pour leur méthode empirique descriptive. Néanmoins à côté de l’approche quantitative de Mitchell, il existe bien d’autres approches institutionnalistes, et en particulier celle de Veblen. Ce dernier n’articule pas d’épistémologie référentielle de type positiviste à un modèle- instrument37, mais en revanche est un théoricien de la planification de la société industrielle. Veblen mène une analyse détaillée de la société capitaliste et de la phase d’industrialisation en particulier. Pour Veblen, « la tendance à la socialisation et rationalisation technique de l’activité industrielle s’oppose de plus en plus à la tendance désorganisatrice issue des stratégies de déstabilisation menées par les intérêts pécuniaires des propriétaires » (Gislain [2000], p. 101). L’évolution du capitalisme rendrait ainsi inutile la propriété et conduirait à une société « dirigée par l’organisation technique et la gestion industrielle au service de la collectivité » (ibid., p. 102). Les ingénieurs et les techniciens, soutenus par les travailleurs, seraient alors à même d’établir un nouvel ordre social, une « république industrielle ». On pourrait voir dans Veblen l’inspirateur de la révolution américaine mais, s’il ne fait pas de doute que son œuvre a eu une influence sur le New Deal, elle est à classer parmi les prophéties et a bien peu à voir avec la manière dont s’est faite effectivement l’organisation du capitalisme américain dans les années 1940 (puis en Europe de l’Ouest) qui, quant à elle, est comme sortie d’une boite à outil d’un ingénieur. Autrement dit, ce n’est pas l’institutionnalisme qui permet de saisir la manière dont l’Etat américain a investi un nouveau rôle. C’est pour beaucoup contre ou malgré l’institutionnalisme que s’est fait ce changement. Il faut regarder du côté des

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théoriciens, bien que les économistes statisticiens de la première génération aient joué un rôle crucial accompagnant et encourageant la mise en place d’appareils statistiques de grande envergure, dont se serviront les économistes suivants. 31 Reste que, avant 1945, les économistes néoclassiques, très minoritaires, soit développent un style résolument abstrait soit s’embourbent dans des questions sans fin d’estimation économétrique des offres et des demandes38. De manière générale, la collecte de données est l’apanage des institutionnalistes qui tiennent les rênes de la recherche américaine ainsi que de son financement. Ainsi le NBER compile des données sans véritablement produire de théorie des cycles ou éclairer la politique économique pourtant rendue urgente par le New Deal de Roosevelt 39. Après la crise imprévue et inexpliquée de 1929, est remis en question « le décrochage des analyses empiriques par rapport à la théorie formalisée » (Armatte [2005], p. 99) : ce décrochage « conduit à une impasse, dont l’impossible prévision et gestion de la grande Crise en était une preuve évidente » (ibid.). La réponse provient des statisticiens et des théoriciens de l’économie avec, symboliquement, la création le 29 décembre 1930 de l’Econometric Society40. L’économétrie serait alors la manière (tant recherchée) d’articuler l’analyse empirique et la théorie formalisée grâce à cette technologie nouvelle, la modélisation. La création de la Cowles Commission en 1932 va permettre de soutenir les travaux des économistes et des économètres ; et Leontief est immédiatement intégré aux activités de l’Econometric Society. La Cowles Commission opère alors le basculement positiviste de la science économique et adopte comme devise « Science is measurement ». Il faut alors mesurer le chemin de Walras à Marschak, élu premier président de l’Econometric Society, tous deux grands théoriciens, mais dont le rapport aux données factuelles est profondément changé. Un économiste théoricien comme Schumpeter salue cette dorénavant prépondérante dimension quantitative de l’économie : « We do not impose any credo – scientific or otherwise- and we have no common credo beyond holding : first, that economics is a science, and secondly, that this science has one very important quantitative aspect. » (Schumpeter in Christ [1952], p. 6). Par là, sont affirmées à la fois la primauté de la théorie (contre les approches inductivistes ou purement descriptivistes) et sa complicité profonde avec l’analyse factuelle41. De fait, c’est la Cowles Commission qui va accompagner la révolution américaine. En effet, elle va engendrer pendant la Seconde Guerre mondiale deux outils caractéristiques de la planification économique : d’une part, en relation directe avec le débat sur le calcul socialiste et avec l’analyse input- output de Leontief, elle crée l’analyse d’activité (Koopmans) et la programmation linéaire (Dantzig)42 et, d’autre part, synthèse des recherches économétriques et macroéconomiques des années 1930, elle produit un phénomène de cristallisation avec la naissance de la macroéconométrie, outil central de l’Etat keynésien, les travaux de Trygve Haavelmo et de Lawrence Klein. 32 La naissance de la macroéconométrie keynésienne est un épisode central pour saisir comment s’est faite la révolution keynésienne (titre de l’ouvrage de Lawrence Klein [1947]). La révolution keynésienne n’est pas la révolution de la Théorie générale : « la Théorie Générale reste un livre peu ou mal lu (…). La responsabilité de cette lecture cavalière est souvent attribuée à Keynes lui-même, auteur d’un livre mal écrit, obscur » (Dos Santos Ferreira [2000], p. 236). Ce qui est à la base de la révolution keynésienne c’est l’ensemble des traductions qui ont été faites de la pensée keynésienne : on peut penser que la Théorie Générale a permis de focaliser un ensemble hétérogène d’idées et de pratiques qui ne pouvaient se fixer ou se combiner de manière efficace. La Théorie Générale est un ciment, derrière lequel se cache en réalité non pas l’analyse

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keynésienne, mais plutôt une manière de concevoir la politique économique. Sans doute que l’une des « traductions » les plus importantes est le modèle IS-LM à partir de l’article de Hicks de 1937 (qui est l’une des nombreuses tentatives de traduction). Le modèle IS-LM43 permet alors de balayer toutes les autres approches macroéconomiques en raison de sa simplicité et du champ large qu’il couvre (de la production au taux d’intérêt) : il devient un modèle simple au service d’un message politique simple exprimé dans le langage quantitatif des savants positivistes. L’adaptabilité du modèle IS-LM à l’économétrie a assuré son succès. C’est Klein qui, depuis la Cowles Commission, a été l’artisan de la macroéconométrie aux Etats-Unis. Persuadé de l’importance de la planification et de la politique économique, Klein44 construit des modèles de plus en plus larges et sophistiqués. Comparativement aux autres approches macroéconométriques des années 1930, l’approche keynésienne a réussi là où les autres ont échoué à constituer un réseau allant des statisticiens jusqu’aux hommes politiques grâce à un instrument efficace, le modèle IS-LM (entre autres). Ce réseau keynésien (à l’intérieur duquel les multiples traductions ont profondément altéré l’analyse keynésienne initiale) a permis d’associer des approches jusque là séparées d’institutions parfois en conflit, comme les travaux de comptabilité nationale de Kuznets au NBER et l’économétrie de la Cowles Commission. De plus, les travaux du BLS des années 1940, Full Employment Patterns, pour assurer une économie de plein emploi, sont dans la droite ligne de la macroéconomie keynésienne dans laquelle sont réinterprétés le modèle et les tableaux des relations interindustrielles de Leontief : l’analyse input-output devient elle-même keynésienne. 33 L’importance que prennent pendant la guerre cette science économique et ses technologies (modèles, statistiques, tableaux économiques) amène à un nouveau rapport de force dans la communauté des économistes à la fin des années 1940. En particulier, probablement lassé de voir des laboratoires financés par les grandes fondations (Rockefeller, Ford, etc.), influencées par des institutionnalistes réticents, Tjalling C. Koopmans, alors directeur des recherches de la Cowles Commission, attaque, une fois de plus, la méthode des institutionnalistes lors de la publication par W.C. Mitchell et A.F. Burns de Measuring Business Cycles en 1946. Les critiques adressées par Koopmans à la méthode du NBER sont habituelles (manque de théorie, mesure sans théorie, etc.) mais chez Koopmans il devient explicite que la théorie permet de contrôler le réel par la planification économique. Ici un total renversement est opéré : alors qu’à la fin du 19e siècle, les historicistes allemands sont à l’avant-garde du réformisme en politique économique face à des adversaires beaucoup plus réservés (comme Menger), les institutionnalistes américains des années 1940 se révèlent dubitatifs sur la performance politique de la théorie économique. A l’opposé, le plaidoyer de Koopmans contre l’empirisme radical est l’exaltation de la théorie comme instrument de politique économique : « This, then, is my second argument against the empiricist position : without resort to theory (…) conclusions relavant to the guidance of economic policy cannot be drawn » (Koppmans [1947], p. 167). En effet, la discussion épistémologique est autant un argument de légitimation que le critère d’utilité publique : « the criterion of social usefulness of scientific analysis gives us the right to discuss the merits of any particular approach to the problem of economic fluctuation on the basis of the guidance it gives to economic policy » (Ibid., p. 166). Ainsi est bouclé le processus amenant de la controverse soviétique sur la planification sans théorie à celle, américaine, sur la théorie sans mesure : une configuration particulière est établie où l’Etat planificateur et la science référentialiste vont de paire.

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34 Comme Leontief ou Klein, Koopmans est en faveur de la planification aux Etats-Unis, et invite d’ailleurs la Cowles Commission à travailler sur des problèmes de planification avec l’armée de l’air américaine (comme Leontief) via la RAND Corporation. L’importance qu’accorde Koopmans à la politique économique s’explique d’abord par le contexte de l’après-guerre : les économistes, comme les physiciens, ont largement contribué au succès américain dans la guerre et à la reconversion de l’économie de guerre en une économie de paix prospère. Les économistes ont pu pendant la guerre développer des outils techniques à partir, non pas des statistiques du NBER, mais de leurs théories (la théorie keynésienne, la théorie de l’équilibre général, la théorie des jeux, etc.) et surtout leurs modèles mathématiques. Pour ce faire il a fallu que les théoriciens permettent à leurs théories, via la modélisation, l’économétrie et les techniques calculatoires, de s’adapter aux données concrètes. C’est l’époque non seulement du déferlement des techniques statistiques mais aussi des grands modèles axiomatisés et des grands modèles calculatoires qui se veulent des maquettes à grande échelle du système économique. On voit alors comment s’articulent une épistémologie référentielle (l’expérience permet plus ou moins directement de contrôler les énoncés linguistiques), la modélisation (la théorie exprimée par un modèle) et la politique économique45, épistémologie dont la cybernétique est emblématique. 35 La controverse sur la « mesure sans théorie » marque ainsi un aboutissement du processus qui trouve ses origines dans le dernier quart du XIXe siècle et est accélérée par la révolution soviétique, où épistémologie positiviste, théorie et politique économique –dans un contexte de demande d’intervention publique– conduisent à la formation d’un appareil statistique sans précédent et remodèlent complètement la forme de la science économique46.

4. Leontief et Tinbergen, et la transformation de la science économique : un cas d’étude

36 Entre la fin du 19e siècle et les années 1970, l’épistémologie dominante est une épistémologie néopositiviste. En particulier, Koopmans (1947 et 1958) défend l’idée que la théorie représente le réel, que les hypothèses doivent être réalistes et que le modèle permet de guider la politique économique. Leontief de son côté soulignera que durant la controverse de la mesure sans théorie il soutenait Koopmans (in Foley [1998]). Il a d’ailleurs envisagé à cette époque un rapprochement avec la Cowles Commission avant de créer son propre laboratoire où il développe conjointement, avec des contrats avec l’armée de l’air américaine (USAF) et des fonds de la Ford Foundation et de la Rockefeller Foundation, une méthodologie de planification et une méthodologie de l’étude du développement économique et du changement structurel. On retrouve là le produit de cette configuration particulière où science, politique et expérience sont combinés au sein d’une épistémologie référentialiste et où sont développées des technologies de savoir et de pouvoir comme le tableau I/O et les modèles.

37 Lorsque Leontief quitte la République de Weimar en 1931, il est du côté des économistes de Kiel, c’est-à-dire d’économistes pour qui la théorie est première mais qui vont, parce qu’ils veulent résoudre les problèmes économiques du moment, développer des technologies numériques. Marschak comme Leontief, tous deux membres de l’institut de Kiel, sont de fins théoriciens et des économètres reconnus. En arrivant aux Etats- Unis en 1931, Leontief obtient son premier emploi au NBER pourtant réputé pour son

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approche a-théorique en économie. Au NBER, Leontief critique le manque de théorie de l’institution et organise des séminaires clandestins de théorie économique (in Foley [1998]). Il quitte le NBER pour Harvard en 1932, elle aussi réputée pour ses études a- théoriques et les fameux baromètres économiques de Harvard. A Harvard, il obtient des fonds pour ses recherches empiriques sur les relations interindustrielles comme un « à côté » de ses recherches en économie pure et en économétrie. Rétrospectivement ses recherches « empiriques » peuvent paraître contradictoires avec sa défense de la théorie, mais il faut, pour saisir ce que fait Leontief, se resituer dans le contexte de l’économie américaine de l’entre-deux-guerres. Le Committee on Economic Research (HUCER), créé par l’université Harvard en 1917), qui finance les travaux de Leontief, publie la revue The Review of Economics and Statistics (premier volume en 1919) – à Harvard University Press. Les publications de la The Review of Economics and Statistics donnent une idée de la nature de la recherche en économie à Harvard. Warren M. Persons a été le premier directeur de cette revue dont la vocation première est la statistique économique. La revue a pour vocation (1) tout d’abord de collecter, de compiler et de vérifier des données économiques sur le plus de phénomènes économiques possibles ; (2) d’appliquer des méthodes statistiques encore peu ou pas utilisées en économie mais en cours dans les autres sciences ; (3) de pouvoir servir de base informationnelle empirique pour les questions pratiques comme pour les questions scientifiques ; (4) d’amener à une coopération avec les agences gouvernementales et privées pour collecter des données. Selon les actes de la revue [1919], « le progrès de toute science dépend si étroitement du développement de méthodes de mesure adéquates des phénomènes qu’elle étudie que le Harvard University Committee on Economic Research considère qu’il entreprend un travail qui contribue au progrès général de la science économique » (Charles J. Bullock, 1919, p. 1). C’est donc une approche très empiriste et il n’est pas soufflé mot de la théorie. Sans surprise, la revue se consacre pour l’essentiel à la question de la mesure du cycle des affaires, en employant très peu de techniques statistiques mathématiques et beaucoup de représentations graphiques et de tableaux cherchant à faire apparaître, à partir de séries temporelles, les différentes formes des business cycles. Sont parfois employées les méthodes statistiques développées par Yule, Pearson, etc., pour étudier les séries de données et les corrélations statistiques. 38 Les deux articles que Leontief publie dans The Review of Economics and Statistics en 1936 et 1937, répondent, dans une large mesure, aux objectifs de la revue car ils collectent de nouvelles données, travail auquel le HUCER accorde une grande importance ; mais ses articles tranchent très clairement avec les publications de The Review of Economics and Statistics par de nombreux aspects : (1) tout d’abord, Leontief abandonne les méthodes statistiques de la première génération (série temporelle, corrélation, etc.) et se tourne vers une méthode de comptabilité économique nationale (sans en dire le nom) ; (2) il présente son travail comme l’application d’une théorie de l’interdépendance générale et se réfère explicitement à la théorie de l’équilibre général de Walras ; (3) il formule sa théorie de l’interdépendance générale par des formalismes mathématiques ; (4) ces formalismes constituent un modèle mathématique cohérent dont il peut tirer des calculs concrets. On comprend alors comment Leontief tranche avec la méthode du HUCER. Son approche est plutôt alors à rapprocher de celle d’un autre jeune économiste, Tinbergen, à la SDN. 39 Un article publié dans The Review of Economics and Statistics permet de fonder ce rapprochement rétrospectif. Se demandant comment résoudre le problème des business

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cycles (devenu entre-temps la Grande Dépression), A. Loveday s’interroge sur la méthode à suivre : « Premièrement, ceux engagés dans l’étude des cycles peuvent tenter de tirer des conclusions par des raisonnements abstraits basés sur une connaissance générale et non pas sur une étude détaillée ou mathématique des phénomènes cycliques. Ainsi tentent-ils d’énoncer des conclusions générales à propos des séquences causales qui sont susceptibles de se produire dans tout cas particulier ou d’être latentes et modifiées par des facteurs particuliers pouvant être distingués. C’est la méthode normalement employée par les économistes qui travaillent de manière indépendante – la méthode par laquelle la plus grande partie de la structure économique a été constituée. 40 De manière alternative, une tentative de collecter, de classer et de compiler toutes les manifestations disponibles concernant les phénomènes cycliques – la marche des événements – dans l’espoir que par ce moyen des séquences se répétant apparaissent (…). C’est cette procédure (…) qui a été adoptée par le Harvard University Committee on Economic Research (…). Celle-ci ne requiert en amont aucune théorie ; au contraire, l’essence de cette procédure est que les faits devraient parler d’eux-mêmes, devraient eux-mêmes rendre compte de la vérité et que, pour ce faire, ils doivent être maintenus intouchés et non pas modifiés par des idées ou la fabrication de théories élégantes (…). Ce second système est l’autre du premier ; c’est le processus du raisonnement inductif tirant d’une masse de données des théorèmes généraux. 41 La Ligue, dans sa recherche, ne poursuit aucun de ces deux processus de pensée complémentaires, mais a adopté une approche qui est essentiellement une combinaison des deux. (…) La recherche de la Ligue est ainsi amenée à passer les théories existantes au crible de tests factuels. Le travail du Harvard Committee a débuté avec les faits dans l’espoir d’élaborer à partir de ceux-là une théorie ; le travail de la Ligue commence avec les théories dans l’espoir de déterminer, à la lumière des faits, si elles sont vraies ou fausses. La recherche de la Ligue est ainsi à rapprocher de la méthode en œuvre au National Bureau of Economic Research. Le professeur Wesley C. Mitchell a longuement exposé les principes généraux à partir desquels ses recherches sont conduites. Elles divergent de celles adoptées par la Ligue peut-être avant tout par l’importance accordée par la Ligue à la première étape du travail sur les théories existantes » (Loveday [1936], p. 158-159). Ainsi, Loveday met en évidence trois approches : celle du HUCER de Harvard, celle du NBER et celle de la Ligue des Nations. C’est cette dernière qui serait la plus théorique, mais dans le cas du NBER comme de la Ligue, la procédure empirique consiste à tester la théorie. Néanmoins, si Mitchell teste effectivement des théories, il attend beaucoup des méthodes empiriques à la HUCER et ne formule que peu de propositions générales (nomologiques). En revanche, à la Ligue, Tinbergen (que Loveday ne cite pas – il cite Haberler), développe des modèles et les moyens de les estimer. 42 Leontief, comme Tinbergen à la même époque, ouvre la voie aux modèles économiques intégrant dans une même boîte à outils les formalismes mathématiques, les méthodes empiriques (statistique descriptive, économétrie, estimation directe, etc.) et les équipements informatiques nécessaires. Même si les premiers travaux de Leontief sont sensiblement moins marqués par les questions de politique économique et de planification que ceux de Tinbergen47, on peut relever de nombreuses similitudes entre les travaux de Tinbergen et ceux de Leontief : 43 D’une part l’un et l’autre publient leur thèse dans la revue codirigée par Schumpeter, Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik (Leontief en 1928 et Tinbergen en 1929), cherchant l’un comme l’autre à donner à la question des business cycles un fondement

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théorique en opposition aux méthodes ultra-empiristes alors installées (celle des historicistes, dans une certaine mesure du NBER ou encore celle des baromètres). 44 D’autre part, Tinbergen comme Leontief travaillent sur la formalisation mathématique de la théorie économique, ils utilisent et développent les méthodes économétriques récentes48. 45 De plus, persuadés de la double nécessité de fondements théoriques et de fondements empiriques à la science économique, ils construisent indépendamment l’un de l’autre, dans les années 1930, les premiers modèles économiques empiriques nationaux. Tinbergen construit en 1936 un modèle à 24 équations permettant de rendre compte à la fois des prix et des volumes dans un cadre dynamique. Leontief emploie le terme de « modèle » dès 1928. Le modèle de Leontief de 1937, s’appuie sur un modèle « walrassien » (statique) simplifié à n secteurs, spécifié pour dix industries (limite autorisée par sa machine à calculer) incluant les ménages et pour lequel il collecte des données pour les Etats-Unis pour l’année 1919. Tinbergen utilise son modèle de 1936 pour étudier les effets de différentes politiques économiques sur l’économie des Pays- Bas et Leontief simule à partir de son modèle l’effet de changements structurels (changement dans les coefficients techniques) sur les productions et sur les prix sectoriels ainsi que sur le niveau de l’investissement, de l’épargne, du travail et de la demande finale américaine. 46 Mais, alors que Tinbergen défend l’idée de tester des modèles par les techniques économétriques, Leontief abandonne rapidement la voie économétrique pour développer une relation qu’il veut directe de la théorie aux données, s’appuyant sur le tableau entrées-sorties et les études techniques d’ingénierie –et non sur des inférences indirectes pleines d’hypothèses statistiques. Il est à noter que les travaux de Tinbergen comme ceux de Leontief sont l’objet de controverses sur le bien-fondé de la méthode économétrique employée. Leontief est sévèrement critiqué par Ragnar Frisch qui cite sa méthode d’estimation des fonctions d’offre et de demande comme un exemple d’écueil de l’économétrie dans son ouvrage, Pitfalls in the statistical construction of demand and supply curves (1933). Tinbergen est quant à lui l’objet des critiques de J.M. Keynes qui voit dans ses travaux « une sorte d’alchimie statistique » (Keynes [1940], p. 156), avant d’ajouter que « Newton, Boyle et Locke pratiquèrent l’alchimie. Alors laissez-le [Tinbergen] poursuivre » (ibid.). Mais alors que Tinbergen poursuit dans la voie de la macroéconométrie, Leontief abandonne définitivement la méthode économétrique pour l’analyse empirique directe input-output qu’il pense plus fiable. Bien que leurs méthodes divergent, Leontief, comme Tinbergen, voit dans le modèle une représentation réaliste du réel capable de correspondances empiriques effectives, adoptant par là une position positiviste de la connaissance et de la performance : le modèle empirique est un instrument de savoir et une technologie de pouvoir.

Conclusion

47 Entre les années 1920 et 1940 deux processus sont en cours : celui, directement lié à la croissance des bureaucraties et des Etats interventionnistes, de développement d’appareils statistiques nationaux professionnels ; l’autre, le processus de développement de techniques nouvelles en économie comme la comptabilité nationale, l’économétrie et la modélisation mathématique. Ces deux mouvements sont intimement liés. D’un côté, depuis la fin du 19e siècle, le développement des

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administrations statistiques amène à l’octroi de moyens pour mettre en œuvre des techniques de traitement et de gestion de l’information statistique en vue de résoudre les problèmes liés au développement économique et de la classe salariale. De l’autre, les économistes sont divisés sur la place à accorder à la théorie et à la statistique dans l’explication et la compréhension des cycles et du développement économique. La branche la plus abstraite de la science économique développe des techniques de savoir nouvelles, comme la modélisation et l’économétrie, et encourage de plus en plus la comptabilité nationale. Or ce sont justement ces techniques qui vont être employées par les Etats à partir des années 1940 pour mettre en œuvre leurs politiques économiques : ce sont aussi des techniques de pouvoir. Finalement, il se révèle que ce ne sont ni les administrateurs ni les économistes les moins enclins à l’abstraction qui développent les nouvelles techniques statistiques et mathématiques, mais ceux appartenant à la culture la plus théorique et la plus formalisée. C’est le paradoxe que nous avons voulu mettre en lumière.

48 Ainsi, ce qui se joue à la fin des années 1940, connu sous le nom de controverse sur la « mesure sans théorie », ce n’est pas seulement une question d’épistémologie (d’un côté les tenants de l’induction et des statistiques descriptives et, de l’autre, les tenants de la théorie déductive), mais aussi différentes manières de concevoir la science économique, la société et la politique économique. Ce qui s’impose, avec les économistes théoriciens et leurs nouvelles techniques, c’est que la société est une machine que l’on peut contrôler et réparer avec des techniques de pouvoir-savoir : la société est perçue à travers le modèle du théoricien et celui-ci peut la modifier. Leontief s’inscrit dans ce mouvement de transformation de la république industrielle et de la science économique. Il est ainsi l’un des premiers à employer le terme « modèle » et à développer des modèles empiriques en économie : formalisation mathématique et recherche statistique vont de paire. 49 Le tournant du 19e siècle, pour la science économique, est celui qui, par la combinaison d’une épistémologie proche de celle des physiciens, ou plutôt des ingénieurs, et d’une demande croissante de technologies de contrôle, produit une science hautement théorique et hautement technologique : une technoscience. Cette évolution ne s’est pas faite – et c’était là aussi un paradoxe à élucider – grâce à une épistémologie instrumentaliste, mais au contraire grâce à une épistémologie référentielle et explicative : une forme de positivisme. C’est parce qu’il est possible d’atteindre la vérité par la théorie que Koopmans (physicien de formation), par exemple, affirme l’efficacité politique de la modélisation et la légitimité de la science économique. C’est l’affirmation de la vision positiviste de la connaissance et de la performance scientifique. 50 Nous avons tenté de montrer comment, au-delà des individualités en jeu, la configuration politique, sociale, scientifique et épistémologique sont à l’œuvre dans l’apparition non seulement de l’analyse input-output mais d’une nouvelle manière de faire de la science économique. Loin d’être à part, l’analyse input-output est exemplaire du mouvement qui amène à la transformation de la théorie économique, à sa transformation vers une technoscience. Les tableaux de données et plus encore les modèles théoriques mathématiques, constituent les principales technologies de la science économique du 19e siècle. Ces technologies, dans la configuration moderne et dans son moment positiviste, loin d’étouffer la dimension théorique de la science, l’exacerbent : l’épistémologie référentialiste (réaliste) dans laquelle sont pris les

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modèles amène à voir le modèle comme une maquette réaliste, une représentation spéculaire du monde. Cette configuration amène à se détacher d’un point de vue par trop instrumental sur les « techniques input-output » et à analyser comment, au-delà d’une simple configuration sociopolitique, l’analyse input-output participe de glissements analytiques et épistémologiques profonds.

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NOTES

*. Nous nous inspirons librement du titre de l’ouvrage de l’historien Marc Bloch, L’étrange défaite (Editions des Francs-Tireurs, 1946). 1. Wassily Leontief (1905-1999) est né à Munich dans une famille bourgeoise russe. Il est élevé à Saint-Pétersbourg où il fait ses études universitaires mais, après la révolution de 1917, est régulièrement emprisonné en raison de ses positions et de sa liberté d’expression. Il quitte définitivement l’URSS en 1925 et rejoint Berlin où il soutient une thèse de doctorat en 1928 sous la direction de Ladislaus von Bortkiewicz. Après avoir été l’assistant de Sombart à Berlin Leontief gagne Kiel où il travaille sur l’économétrie de l’offre et de la demande à l’Institut d’Economie Mondiale dirigé par Adolph Löwe. En 1931 il obtient un poste au NBER à New York : c’est Kuznets qui vient le chercher à sa descente du bateau et avec qui il restera en bon termes par la suite. L’année suivante il est embauché à Harvard, sans doute grâce à la recommandation de son ainé et

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ami Joseph A. Schumpeter. Il restera à Harvard jusqu’à sa retraite en 1974, année où il obtient le prix Nobel d’économie. Par la suite Leontief s’installe à New York et crée un laboratoire à la où il continue à travailler jusqu’à la fin des années 1990. 2. On parle de technoscience dans la mesure où les instruments des économistes sont à la fois des technologies de savoir et des technologies de pouvoir. Voir, en histoire de la pensée économique, Morgan [2003], en histoire de la statistique économique Porter [1996]. 3. Mythologie de l’ère keynésienne. Mythologie au sens de Rolland Barthes. 4. J’entends par là une épistémologie qui considère que d’une part les énoncés théoriques renvoient à une réalité qui leur préexiste et, d’autre part, que la théorie explique le réel. 5. Le terme planification est pris au sens large couvrant aussi bien les expériences soviétiques que les politiques économiques de type keynésien. 6. Le terme de technologie est ici un anglicisme dans la mesure où en français la technologie désigne l’étude de la technique. Nous employons « technologie » au sens large mais moins connoté de technique. 7. Sur les relations entre le bilan comptable des soviétiques (1926) – appelé la balance soviétique, et les travaux de Leontief, voir Spulber [1964a] et Akhabbar [2008]. 8. Sur la statistique en URSS, voir Mespoulet [2001]. 9. Le terme de développement économique est souvent employé dans la mesure où les questions sous-jacentes à la planification reposent largement sur des questions générales de développement économique. On peut d’ailleurs considérer que c’est dans les travaux de planification soviétique des années 1920 qu’est née l’économie du développement. Aux Etats-Unis les questions de développement économique émergent avec les débats sur la croissance dans les années 1940-1950. 10. On pense essentiellement à Groman, Milyutin, Kristman, Smit, Strumilin et Varga, ainsi qu’à A.A Bogdanov. 11. L’ABC du communisme (1919). 12. Qui rompt avec Preobrajensky. 13. Il nous paraît à la fois révélateur et crucial de souligner qu’aux différends politiques entre Boukharine et Preobrajensky (notamment sur la question de l’industrialisation et de la configuration entre l’Etat et le marché) correspondent des différends épistémologiques sur le statut des lois et la permanence de l’économie politique. 14. « Technologie sociale » est à entendre ici dans un sens purement instrumental contrairement à notre emploi du terme, plus large. 15. La question de l’organisation bureaucratique de l’économie sera très discutée dans le bloc est après les années 1950. 16. Comme le notera N.Bolkhovitinov, « for the better part of the last few decades, the most ordinary objectivity and accuracy in the presentation of facts was nearly a proof of civil courage ». 17. Il s’est avéré par la suite que le Gosplan s’est montré très peu intéressé et finalement ignorant de la théorie économique et des possibilités offertes par les ordinateurs, au contraire des administrations des statistiques. 18. Les économistes russes ont, à partir de la fin des années 1920, délaissé l’économie mathématique pour se consacrer à une science des qualités socio-économiques. 19. Pour reprendre une distinction que l’on trouve chez Boettke et Horwitz [2005] entre les prophètes (qui se prononcent surtout sur l’organisation sociale et économique) et les ingénieurs (qui construisent des moyens de reformer les institutions sociales ou d’atteindre des optimums sociaux). 20. Dans le cas des travaux sur la balance soviétique, Popov et Litoshenko utilisaient un modèle mathématique tiré des schémas de reproduction de Marx pour tenter de résoudre les problèmes de développement économique de l’URSS.

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21. Autrement dit l’affirmation que la théorie permet de désigner une réalité : les modèles représentent et expliquent le réel. 22. Notons que si la Première Guerre mondiale constitue l’une des premières expériences de planification à grande échelle en occident, la question de la place de l’Etat dans le système économique et social est posée avec insistance depuis les années 1870 (et la Commune de Paris peut être le symbole de ces nouvelles revendications populaires et ouvrières, qui constituent un tournant par rapport à l’ordre libéral bourgeois hérité des physiocrates et des Lumières). 23. Voir Wagner [2003]. 24. Oskar Morgenstern succède à Hayek en 1931 à la tête de l’Institut l’étude du cycle des affaires. Hayek travaille alors sur la théorie de l’équilibre général et la théorie du surinvestissement. Morgenstern travaille sur des questions de spéculation et de prévision économique (il enseigne à l’Université de Vienne de 1928 à 1938 avant de quitter l’Autriche). 25. Voir en particulier Neurath [1973] [2004]. 26. Il faudrait aussi parler de l’humanisme de Moritz Schlick et du socialisme de Rudolf Carnap… 27. Abraham Wald lui-même, lorsqu’il est forcé à quitter l’Europe et doit abandonner ses recherches sur l’équilibre général, travaillera à l’économétrie et à la théorie des tests. 28. Cet institut est créé en 1914 par Bernhard Harms. Y travailleront, hormis Adolph Löwe, Hans Neisser, Jacob Marschak, Wassily Leontief, Nurske, Lederer, Alfred Kähler, Gerhard Colm, Fritz Buchardt. L’université de Kiel sera l’une des premières à appliquer les programmes nazis contre les juifs. 29. Adolph Lowe (1893-1995) est né à Stuttgart et fait ses études à Berlin, Munich et Tübingen. Après avoir participé aux réformes économiques de la République de Weimar, il devient directeur de l’Institut de Kiel. Il est professeur de théorie économie et de sociologie à l’université de Kiel en 1930. Il devient, après son émigration aux Etats-Unis en 1933, l’éminence grise de la New School for Social Research à New York. 30. Les baromètres sont ces méthodes graphiques qui mettent en relation des séries chronologiques hétérogènes de données de manière à faire apparaître des relations entre elles. Les séries peuvent concerner la production aussi bien que la pluviométrie. 31. Que rejette Leontief et que fuit sa famille (d’abord en Allemagne puis aux Etats-Unis). 32. L’IFK est inauguré à Berlin en 1925 par Ernst Wagemann, le nouveau directeur de l’Office Statistique National Allemand 33. Cette influence soviétique est confirmée par Tooze : « durant l’ère de la NEP, Wagemann et son institut ont vu des parallèles directs entre les efforts des économistes soviétiques pour créer un cadre cohérent pour la planification économique nationale et leur propre projet en Allemagne. » (Tooze [2001], p. 131). 34. Extrait de Wagemann [1935], p. 179. 35. Quoique l’IFK reste un grand producteur de baromètres. 36. La question des cycles économiques est omniprésente aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est et concentre l’essentiel des débats de théorie pure, d’économie empirique et statistique, et des questions politiques (le capitalisme peut-il survivre à ses propres cycles et crises ?). Il faudrait citer, parmi les économistes nordiques, Ohlin, Myrdal, Lundberg, tous attachés à de nouvelles technologies de savoir, au travail théorique pur, et à la construction de nouvelles institutions économiques de régulation. 37. Rappelons notre hypothèse selon laquelle le développement de technologies statistiques et mathématiques provient en économie d’un projet épistémologique référentiel de type positiviste visant à contrôler l’offre d’outils d’intervention publique. 38. Voir Mirowski [2002]. Il est tout à fait remarquable que les trois programmes de recherches néoclassiques sur l’étude empirique de la loi de l’offre et de la demande, à savoir celui de Henry Schultz, Henry Moore et de Harold Hotelling sont, comme frappés par une malédiction, abandonnés : Moore sombre dans la folie après son apologie de l’équilibre général walrassien de

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1929 (Synthetic Economics), Shultz meurt dans un accident de voiture en 1938, et Hotelling abandonne son projet après la mort de Schultz. Il faudrait ajouter à ces trois programmes un quatrième qui aboutit également à un abandon de la loi de l’offre et de la demande : celui de Wassily Leontief qui est embauché à Harvard pour ses travaux sur l’estimation empirique des fonctions d’offre et de demande, lesquels lui valent une périlleuse controverse avec Frisch. A la suite de cela, Leontief abandonnera les fonctions d’offre et de demande néoclassiques mais aussi l’économétrie. Enfin, un cinquième programme doit être mentionné, le seul qui ait connu une suite, celui de Milton Friedman, alors proche collaborateur d’Henry Schultz. Lui aussi confronté aux difficultés analytiques de l’étude de l’offre et de la demande, il va opter non pas pour l’abandon de cette approche mais de l’épistémologie positiviste qui l’accompagnait jusque-là (Schultz en particulier se réfère à l’épistémologie opérationnaliste de Percy Bridgman), pour une épistémologie instrumentaliste qui libère la théorie des contraintes de réalisme et peu enjamber les difficultés posées par le réalisme. 39. Selon Roosevelt : « National planning is an essential to the future prosperity, happiness and the very existence of the American people ». 40. Membres fondateurs : Ragnar Frisch, Charles F. Roos, Joseph A. Schumpeter, Harold Hotelling, Henry Schultz, Karl Menger, Edwin B. Wilson, Frederick C. Mills, William F. Ogburn, J. Harvey Rogers, Malcolm C. Rorty, Carl Snyder, W. A. Shewhart, Oystein Ore, Ingvar Wedervang et Norbert Wiener. 41. Sorte d’écho à la controverse des boîtes vides lancée par Clapham (1922) et à laquelle Leontief se référera souvent. 42. L’analyse d’activité et la programmation linéaire, synthèses du modèle de Leontief et de la théorie de l’équilibre général, permettent de déterminer la combinaison optimale des activités (chaque activité permettant de produire avec des coefficients techniques constants certains biens à partir d’autre biens) pour maximiser une certaine fonction objectif (Dantzig invente le terme). 43. HOPE a consacré un supplément à l’histoire du modèle IS-LM. Voir De Vroey et Hoover [2004]. 44. Il s’exilera en Grande-Bretagne pendant le maccarthysme. 45. En somme, la création des instruments provient d’une croyance en une science référentielle et explicative, pour ne pas dire positiviste : c’est cette croyance qui (1) a permis de construire des modèles (qui ont servi d’instruments), (2) d’établir des modes de collecte, de classification et d’organisation des données, (3) d’établir des outils permettant de relier les données aux symboles théoriques. 46. Voir le supplément de HOPE consacré à la transformation de la science économique entre 1920 et 1945, Morgan et Rutherford [1998]. 47. A la différence de Tinbergen, Leontief écrit très peu sur la planification elle-même et reste assez discret sur le sujet tandis que de nombreuses administrations aux Etats-Unis et ailleurs s’emploient à construire des tableaux entrées-sorties. 48. Tinbergen, comme Leontief dans une certaine mesure, travaille en particulier sur les mécanismes des prix, l’étude économétrique des fonctions d’offre et demande ou encore du cycle des affaires. Voir aussi Jolink [2003].

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AUTEUR

AMANAR AKHABBAR

Centre Walras-Pareto (Université de Lausanne) et PHARE (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) ; [email protected]

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Della cultura: storia e teoria

Giovanni Busino

1. Degli usi della nozione

1 Nozione importante benché ambigua e confusa, polisemica, polivalente, purtroppo correntemente utilizzata anche nel linguaggio ordinario (sc. cultura della morte, cultura dell’odio, cultura aziendale, cultura dei migranti, cultura originale, cultura dei giovani, ecc.), oggi, nelle scienze dell’uomo e della società, è divenuta quasi sinonimo di civiltà, colla quale talvolta è fusa o confusa. La storiografia ne appalesa però, la funzione ideologica avuta nei dibattiti intellettuali (universalismo, particolarismo, relativismo, differenzialismo, decadenza della civiltà, fine della cultura, difesa della cultura, progresso, ruolo dell’Occidente, fine della storia, ecc.) e l’importante ruolo esercitato nella critica dell’etnocentrismo e dell’evoluzionismo, giudicati responsabili d’ignorare o di sottovalutare le diversità culturali, di gerarchizzare le società, di trattare le forme e gli stati delle società come se fossero stadi dello sviluppo economico. Il paradigma culturalista ha fornito alle teorie ed alle ricerche una rappresentazione ideologica della società, la quale, nel corso degli anni, è stata estesa dall’ambiente fisico e sociale ai criteri per definire l’uomo stesso, criteri facenti astrazione delle caratteristiche psicologiche panculturali invarianti. Rimandando a ciò che è creato e trasmesso dall’uomo, ai suoi comportamenti, alle maniere di pensare, di sentire, d’agire, più o meno formalizzati, a ciò che non è dato dalla natura, dall’ereditarietà, da attributi panumani costanti, dalle strutture, dalle tecniche, dalle istituzioni, dalle norme, dai valori, dai miti, dalle ideologie, la nozione è servita altresì a refutare quella di natura umana universale, a denunciare i sogni del razionalismo, del metodo universale, del linguaggio perfetto, del sistema unitario della natura. Anche quando è stata depurata da tutte le sfumature normative e utilizzata unicamente in maniera descrittiva, questa nozione ha valorizzato una forma di determinismo secondo il quale l’individuo interiorizza la cultura e agisce conformemente ai suoi modelli normativi. Tra l’individuo e la sua cultura d’appartenenza esisterebbe, ovviamente, una certa armonia mentre i conflitti sarebbero all’origine soprattutto di devianze. Perciò la struttura della personalità dipende dalla cultura specifica d’una società e dal sistema

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dei valori dominanti e modali della stessa. Ogni società è allora una totalità culturale originale. Società simili dal punto di vista economico possono essere diverse dal punto di vista culturale. La cultura diventa così un insieme d’elementi coerenti e complementari. I giudizi, le valutazioni e le percezioni sono determinati dal sistema culturale d’appartenenza. Anche la conoscenza ordinaria è all’unisono col contesto culturale, al contrario della conoscenza scientifica prodotta dalla ragione. Persino chi (per es., Archer 1988) ammette che nuovi elementi possano entrare a farne parte e rendere obsoleti i vecchi elementi e sostiene essere le azioni degli uomini i fattori produttivi, proclama tuttavia che il sistema culturale, divenuto autonomo, esercita un’influenza determinante su tutti i livelli socio-culturali e su tutte le successive generazioni d’individui.

2 Della nozione Kroeber et Kluckhohn (1952) hanno elencato 163 definizioni raggruppate poi in sei categorie (descrittiva, storica, normativa, psicologica, genetica, strutturale). Dal canto suo, Murdock (1949) ha catalogato in «Human Relations Area Files (HRAF)» i tratti di 250 culture ritenute separate tra di loro benché supponga che delle analisi comparative potrebbero mettere in luce analogie spiegabili mediante categorie universali. 3 Dagli studi sulla cultura sono state alimentate altresì, le dottrine sull’obbligo, per il pensiero occidentale, di rinunciare all’idea d’una umanità unica, di riconoscere il diritto alla differenza ed all’alterità. Insomma, la nozione, fondatrice del determinismo culturale, della visione relativista della società, delle concezioni dell’uguaglianza assiologica, dell’incomparabilità ed incommensurabilità delle culture, è stata utilizzata non soltanto per combattere il razzismo e le dottrine della mentalità primitiva ma altresì per contestare e ricusare i giudizi di valori sulla gerarchia delle società nonché l’universalismo ed il razionalismo dell’Occidente. 4 I tentativi (Lévi-Strauss, 1971 e 1981) volti a spiegare le peculiarità della cultura in termini di soluzione a problemi di logica anziché in termini di soluzione a problemi d’adattamento ecologico e di funzionamento dei sistemi sociali, sono stati rari ed estemporanei. La cultura concepita come un insieme d’attività biologiche, d’azioni tecniche ed espressive, come lo specchio delle intenzioni razionali degli individui, esterna ad essi, rete di rapporti interpersonali, costruzione logica del ricercatore, messaggio, rete di comunicazione, coarcevo di rapporti di potere espressi nello scambio di merci e di servizi; la pluralità delle culture come il prodotto di permutazioni e di trasformazioni esistenti solo nella mente degli uomini, una tale concezione non ha riscosso molto successo nel mondo della ricerca. 5 In breve, negli ultimi lustri del secolo XX° le ricerche sulla cultura non si sono discostate molto dal paradigma Tylor-Boas-Malinowski né da quello della corrente «cultura e personalità» (Sapir, Benedict, Mead) e della variante «personalità di base» (Linton, Kardiner). Grazie a queste variazioni sullo stesso paradigma si sono continuati ad approfondire i temi già elencati nel saggio di Rossi (art. CULTURA, p. 1144) nonché a descrivere le innumerevoli istituzioni e pratiche culturali, sia individuali che collettive, nei loro aspetti razionali, nelle loro differenze e relazioni, nelle loro significazioni, funzioni e conseguenze sociali. I risultati finora prodotti non hanno modificato le conoscenze correnti (Kuper 2001). Poiché gli uomini hanno la capacità d’inventare, di trasmettere e d’acquisire simboli culturali (credenze, comportamenti, patrimonio di cose e di idee), la cultura è anche strumento di comunicazione, è l’analogo del linguaggio parlato. La simbolizzazione e l’universalità del processo simbolico diventano

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uno degli attributi della natura umana mentre la cultura un sistema simbolico che produce simbolizzazioni specifiche e variabili da un contesto all’altro. Non esiste un’universalità delle significazioni simboliche benché la cultura sia, in un qualunque dove, la manifestazione visibile e l’espressione d’un sistema sociale organizzato. 6 Le società umane esistono come insiemi discreti e le istituzioni sociali sono sistemi omeostatici. Se la cultura è un processo complesso fondato sullo scambio, sulla comunicazione, sulle interazioni, se consiste in tratti esistenti in sé, come segmentare questi tratti, distinguere i rilevanti da quelli irrilevanti? Se poi essa indica una caratteristica unica condivisa dall’umanità intera, allora la nozione è puramente ridontante e la sua definizione è tautologica. Infatti la cultura sarebbe ciò che è umano mentre l’umanità sarebbe ciò che è culturale. In più, se il comportamento è determinato dal contesto culturale, perché mai se ne valutano le conseguenze funzionali secondo criteri scientifici panumani? 7 Finora non è stata data una risposta a questi interrogativi. Lo scopo precipuo delle teorie diffusioniste è stato d’illustrare i contatti e gli apporti culturali indotti dalla diffusione di tecniche e d’oggetti materiali; di quelle funzionaliste, sulla base d’oggetti materiali a vocazione tecnica, essenziali per fabbricare altri oggetti, di valorizzare gli aspetti non-simbolici delle attività produttive degli uomini, di richiamare l’attenzione sulla creatività umana, sullo spazio, sul tempo, sulla socialità degli oggetti, dei materiali, delle tecniche, sulle loro funzioni nelle creazioni socio-culturali. Queste ed altre teorie hanno prodotto delle proposizioni descrittive piuttosto che esplicative, si sono fondate sul truismo che qualsiasi esperienza è mediata da un sistema simbolico (il linguaggio, la scienza, ecc.) ed hanno confuso il simbolico con l’immaginario e trasformato la cultura in un sistema proiettivo. In più, considerando l’universalismo come l’antonimo di particolarismo e l’assolutismo come quello di relativismo, hanno sottovalutato che l’apparizione differenziata d’un tipo di comportamento dipende da condizioni socio-culturali differenziate, e trascurato che le caratteristiche psicologiche pan-umane sono il prodotto di caratteristiche biologiche filogeneticamente determinate (l’ereditarietà) e di esigenze funzionali peculiarie a qualsiasi sistema sociale. 8 Le inchieste sul campo hanno mostrato che tutte le società sono complesse, anche le più piccole, che non hanno sistemi di valore comuni trasmessi mediante la socializzazione, ma anche rivelato che la cultura è una razionalizzazione prodotta da attori sociali, dotati d’una natura umana strutturata da configurazioni sensoriali, radicata nei bisogni individuali umani percepiti attraverso significazioni di simboli e sistemi simbolici di una società specifica in un’epoca particolare. Certo, i processi d’apprendimento sono complicati, dipendono dall’ambiente in cui si trovano a vivere gli individui, sono variabili; è vero che esistono molteplici sistemi di valori, alcuni propri a sottogruppi, altri a subculture locali o a gruppi particolari. Senonché i sistemi culturali, che hanno un forte grado di coerenza quando sono formati da strutture sociali elementari, nelle società complesse palesano una grande eterogeneità con caratteristiche qui compatibili là incompatibili. Appunto perciò questi sistemi vanno analizzati nei loro peculiari processi storici ed interpretati come soluzioni a problemi o risposte di attori sociali collocati in sistemi d’interazione con strutture diverse. I membri d’una società non partecipano ad una cultura comune, ad un sistema di valori comuni. Anche a supporre che gli individui interiorizzino i valori e che poi questi regolino i loro comportamenti, la cultura è una prolunga della natura, governa

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comportamenti quasi istintivi, talvolta sottratti allo stesso controllo del soggetto. I comportamenti non sono mai il prodotto d’un condizionamento; sono la risultante d’una intenzionalità. In conseguenza, la socializzazione non è un semplice meccanismo d’interiorizzazione, non elabora l’habitus, è piuttosto un processo d’adattamento a situazioni mutevoli e varie, un processo caratterizzato da decisioni e compromessi che il soggetto realizza in funzione dei bisogni da soddisfare, delle norme che gli sono imposte, dei valori e delle credenze sottoscritti, degli interessi ponderati. Il culturalismo che fa delle disposizioni la matrice dello habitus e la principale variabile esplicativa del comportamento, deve far ricorso alla petizione di principio secondo cui la cultura è la causa principale di queste stesse disposizioni (Douglas & Ney 1998). 9 L’interiorizzazione completa della cultura d’un gruppo è stata detta assimilazione; l’acculturazione sarebbe la trasformazione, ed eventualmente la creazione di nuovi modelli culturali per effetto del contatto permanente con altri gruppi sociali; la deculturazione sarebbe lo sfilacciamento, il progressivo abbandono dell’originaria cultura d’appartenenza, la non ancora avvenuta assimilazione d’una nuova cultura. La fragilità di questi concetti è stata verificata. La conversione pura e semplice alla cultura dell’altro è una presupposizione gratuita giacché ogni cultura seleziona, reinterpreta, trasforma, secondo una logica propria, gli elementi presi o ricevuti, non è mai passiva di fronte ai cambiamenti culturali esogeni. L’uniformizzazione resta un giudizio ideologico e la mondializzazione culturale un mito. Solo l’etnocidio, lo sterminio volontario e programmato d’un popolo, può mettere in pericolo la sua cultura, mai eliminarla definitivamente o modificarla profondamente (Amselle 1990 e 1996).

2. Il rinnovamento del concetto

10 Le relazioni tra il sistema sociale e la personalità a lungo considerate asimmetriche, sono da qualche anno ritenute simmetriche. Considerata come relativamente passiva, plasmata dal sistema sociale, priva d’influenza su di lui, la personalità non era che l’aspetto soggettivo della cultura. I lavori recenti riconoscono, invece, che la personalità è influenzata dal sistema sociale, ma difendono la tesi che questo è a sua volta influenzato dalla personalità, che le relazioni di scambio tra i due sono molteplici e consistenti. Dalle ricerche sulle influenze dei sistemi sociali sullo sviluppo e la formazione della personalità, gli studiosi recenti deducono le modalità mediante cui le personalità modificano il sistema sociale, secondo quali processi, nel corso della socializzazione, creano bisogni comuni e personalità modali, basi psicologiche equipollenti alle motivazioni culturali. Se i bisogni sono soddisfatti mercé ruoli assunti conformemente alle norme culturali, il funzionamento della società è assicurato. In questa prospettiva la personalità è lo strumento capitale per garantire il controllo sociale. Le sanzioni sono efficaci se diventano bisogni che motivano l’esecuzione del ruolo. Le norme culturali che la prescrivono devono essere interiorizzate affinché la non-conformità provochi ansietà e la conformità alla norma diventi bisogno motivante l’esecuzione del ruolo. I fini prescritti raggiunti coll’esecuzione d’un ruolo sono poi investiti e servono ai bisogni personali per motivare le ulteriori esecuzioni di ruoli numerosi e complessi.

11 Abbandonato il paradigma secondo cui la cultura è il determinante indifferenziato ed esclusivo della personalità e dei comportamenti grazie al processo d’interiorizzazione (Spiro 1987), gli studi recenti considerano che la personalità non è consustanziale alla

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cultura né isomorfa ai comportamenti. Sistema di disposizioni cognitive, affettive, percettive e motivazionali, la cultura include pattern di comportamenti e tratti di personalità. La sua variabilità è associata alla variabilità della personalità. L’uomo è un organismo biologico ma è anche un animale psicologico e sociale, produttore di processi coscienti ed inconscienti. La conoscenza di questi processi permette di comprendere i significati apparenti, le funzioni manifeste dei simboli culturali come le loro significazioni profonde e funzioni latenti. 12 Questi tentativi di rifondare la nozione di cultura sono stati più o meno ispirati dall’approccio praticato dalle scienze cognitive per le quali, com’è noto, sia i sistemi naturali che quelli artificiali, hanno in comune il percepire, il comprendere, il risolvere i problemi dell’azione. Secondo il punto di vista cognitivo sono importanti la struttura dell’informazione e le funzioni che permettono gli atti di conoscenza. Perciò gli studiosi di questa tendenza riservano un’attenzione particolare a processi mentali differenti (la percezione, la memoria, il linguaggio, il ragionamento, la coscienza, le emozioni, le rappresentazioni sociali) ed alle strategie per la risoluzione dei problemi effettuate da moduli cognitivi specializzati, interagenti e cooperanti fra di loro (trattamento delle informazioni, in parallelo o in serie, cooperazione tra strutture biologiche e funzioni cognitive, pilotaggio centrale e autoregolazione). 13 Sin dagli anni ’80, l’approccio connessionista di questo modello cognitivista ha analizzato le elaborazioni mentali in termini di reti neuronali, ha messo in evidenza il fatto che attraverso la percezione ricomponiamo ed organizziamo i dati del mondo esterno, che la memoria filtra e ricompone il passato, che non procede per semplice accumulazione, che la ragione umana non è identica alla logica, che essa utilizza delle procedure euristiche ( dei miniprogrammi per la risoluzione dei problemi ) e degli schemi mentali ( delle rappresentazioni stabili che permettono di decodificare il reale ). Il mondo è quello che i nostri sensi permettono di «vedere», che le basi innate del linguaggio esprimono. La visione della società è modellata dalle rappresentazioni sociali che ci rendono sensibili a certi aspetti dell’ambiente e che sono strutturate secondo noduli stabili. Si sa che in tutti gli esseri umani l’emisfero sinistro del cervello presiede alle funzioni analitiche (linguaggio, ragionamento, calcolo), mentre l’emisfero destro regola le funzioni analogiche (mappe mentali dell’ambiente circostante, i giudizi estetici, la musicalità) nonché le manifestazioni esterne delle emozioni (piacere, dolore, rabbia, invidia, gelosia, ecc.). 14 Col superamento dell’opposizione tra la descrizione normativa e razionale del pensiero e la descrizione psicologica del pensare, il modello cognitivista offre una nuova teoria della natura umana. Dato che esiste un livello intermedio di rappresentazione o conoscenza tra il mondo fisico e cerebrale e quello comportamentale, non è più possibile derivare dai concetti mentali, posti all’origine, le proprietà dei loro contenuti, per poi caratterizzarli in termini puramente descrittivi e causali. Si riconosce così che le nostre capacità intellettuali sono basate parimenti su conoscenze tacite standard e su processi sub-personali o sub-individuali. Finora però non è stato possibile naturalizzare queste capacità giacché non si è in grado di comprendere e spiegare se e in che maniera delle catene causali colleghino i contenuti del pensiero. Trattasi d’un problema importante ma difficile dato che il pensiero è fatto da una grande quantità di sottomeccanismi specializzati, da moduli constitutivi dell’equipaggiamento genetico stesso. Invero, in tutti i contesti culturali si acquisisce, in maniera spontanea e ad un tempo particolare e simile, il concetto di specie biologica. Laddove uno o più moduli

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sono deteriorati o assenti, si constata un deficit cognitivo localizzato. L’autismo è prodotto da un deficit della capacità d’attribuire ad altri stati mentali mentre talune lesioni cerebrali producono l’incapacità di denominare le piante o riconoscere i visi. 15 I fenomeni sociali hanno delle componenti diverse ma esiste un legame causale che caratterizza il cervello e lo spirito, marcati ambedue dall’ambiente e quest’ultimo a sua volta marcato dall’attività d’altri umani. Queste concatenazioni tra i processi interni del cervello ed i processi esterni al livello delle popolazioni, restano mal conosciuti, ancora tutti da elucidare. 16 La variabilità culturale dei comportamenti e delle personalità non prova che l’organismo (genotipo e fenotipo) è una scatola vuota, che non esistono caratteristiche invarianti pan-umane. Al di là delle specificità e delle differenze ambientali e storiche, tutti gli uomini, in qualsiasi società, hanno tratti biologici comuni ed analoghi processi d’adattamento. Le caratteristiche biologiche, sociali, culturali alla base del processo di socializzazione (il controllo delle attività corporali e delle frustrazioni, la distinzione tra l’immaginario ed il reale, ecc.), sono dappertutto le stesse e formano un insieme di costanti che in interazioni reciproche compongono la natura umana universale. 17 Le ricerche in corso stanno, dunque, abbandonando la tesi dell’isomorfismo tra la cultura, il comportamento e la personalità, alla base del modello dell’interiorizzazione della cultura, e indagano invece i rapporti complessi esistenti tra il genotipo ed il fenotipo, tra la natura e la cultura, tra la personalità ed i comportamenti, tra l’individuo e la sua società.

3. Dalla cultura alle culture

18 Poiché la cultura esiste grazie agli individui in situazioni d’interazioni durabili, poiché ogni contesto impone le sue proprie convenzioni ed un sistema d’attese, le ricerche sui processi interattivi che producono i sistemi culturali hanno avuto, in questi ultimi anni, un notevole sviluppo. Esse hanno rivelato l’eterogeneità e l’instabilità di tutte le culture e messo in evidenza le logiche dei comportamenti apparentemente contraddittori degli individui agenti in contesti diversi. Il tema tradizionale della gerarchia delle culture, della cultura dominante o egemonica e delle culture dominate o subalterne, le teorie oliste delle culture nazionali, regionali e micro-locali, hanno subito trasformazioni così radicali che ormai molti ricercatori li giudicano alla stregua d’una semplice metafora.

19 Un sistema culturale non può essere né superiore né inferiore ad un altro. Tutti i sistemi hanno una propria peculiarità, non esistono gerarchie culturali. Il che non vuol dire che tutti i gruppi sociali sono eguali e tutte le culture equivalenti. Sono le ineguaglianze economico-sociali e politiche, i rapporti di forza a creare le gerarchie sociali, le quali poi tentano di valorizzare, in maniera più o meno arbitraria, un dato ordine culturale e d’imporlo come egemonico. I subalterni dispongono di numerose possibilità sia per resistere sia per opporsi, possono reinterpretare le produzioni culturali imposte e cosi facendo trasformarne i contenuti. I rapporti simbolici non funzionano secondo la stessa logica dei rapporti sociali. L’egemonia culturale è basata sul consenso, quindi non è né costante, né durevole, mai permanente. Deve essere costantemente ottenuta attraverso un’opera d’inculcazione, di persuasione, di convinzione. I risultanti non sono né scontati né univoci, possono persino essere perversi rispetto alle attese dei dominanti. I rapporti di dominazione culturale non si confondono quasi mai coi rapporti di dominazione sociale perché funzionano secondo

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una logica ed una coerenza propria, perché arrivano a conservare una certa autonomia relativa. 20 Le ricerche sulla cultura materiale, strettamente legata colla vita economica ma da essa distinta, lo studio degli oggetti, degli utensili, dei manufatti, ha fatto luce sui meccanismi dell’esistenza quotidiana, quella che assorbe gli atti ed i pensieri degli esseri umani, quella che è indissociabile dal lavoro e dalla produzione, ed ha inoltre circonscritto il terreno su cui opera l’economia, la materia che essa lavora, i livelli tecnici che ne costituiscono la base. Queste ricerche hanno avuto delle incidenze maggiori anche sugli studi delle culture popolari. 21 Di quest’ultime sono state esplicitate le logiche operative, le combinazioni d’operazioni con cui quelle elaborano le maniere di pensare, di rendere vivibili le condizioni oggettive di vita dei propri membri. Tutte le azioni sociali sono sempre datate e territorializzate, è la localizzazione delle azioni umane nello spazio sociale e nel tempo storico a configurare nel comportamento sociale tutto ciò che può essere compreso come un’azione peculiare (Grignon & Passeron 1989; de Certeau 1980 e 1993). La descrizione della democratizzazione culturale prodotta dalla scuola, l’analisi delle incidenze dei prodotti delle industrie culturali, della mondializzazione, della perdita di legittimità della cultura intellettuale classica, hanno rivelato la fallacia del romanticismo populista, della visione essenzialista delle classi popolari (Lasch 1981), ed hanno dimostrato inoltre che la cultura popolare, quella della gente ordinaria, non è mai passiva, dispone d’una ampia autonomia nell’interpretazione e nell’accettazione, nella riappropriazione e nella trasformazione dei beni culturali prodotti e diffusi dal processo industriale di produzione o dalla classe egemonica. Le identità collettive popolari non sono assorbite o manipolate dai media, la cultura popolare non si fonde e non si confonde colla cultura di massa. I prodotti uniformi di questa cultura sono rielaborati, re-interpretati sino a dotarli d’altri significati, a renderli incontrollabili e resistenti (Couldrey 2000; Storey 2001). 22 Le ricerche di Richard Hoggart (1957) hanno analizzato la cultura popolare come una strategia di resistenza agli effetti congiunti della cultura dominante e della cultura di massa. La descrizione degli oggetti culturali elaborati da quella cultura, delle «maniere di fare e d’essere» prodotti dalle esperienze della vita sociale, dell’adesione ai valori collettivi, del rifiuto di quelli individualisti, della coerenza delle pratiche e dei comportamenti, hanno aperto la via alle ricerche, prima coordinate dal «Center for Contemporary Cultural Studies», creato a Birmingham nel 1963 da Richard Hoggart, e poi sviluppatesi negli Stati Uniti secondo altre prospettive ed interessi, in difesa d’ogni specie di minoranze. Quest’ultimi lavori sono all’origine di forme nuove di radicalismo, del rifiuto delle gerarchie e dell’elitismo, della scienza univerale, di difese, talora apologetiche, dei gruppi sociali minoritari, marginali. Le «Cultural Studies» denunciano la dissoluzione della cultura popolare nella cultura di massa, la massificazione di tutte le pratiche culturali, l’ideologia scientista e sessista, l’influenza preminente dei mass- media sulle abitudini, sui valori morali, sui processi di socializzazione (Willis, 1990). Mentre Hoggart ed i suoi primi discepoli ritenevano che esiste una maniera popolare d’assorbire, anche intensamente, i prodotti dell’industria culturale, che le capacità di resistenza ai cambiamenti, all’industrializzazione degli oggetti simbolici e culturali, d’imporli al consumo di massa, sono considerevoli, gli studiosi americani, più radicali ed estremisti, partono dall’idea che viviamo una contemporaneità senza precedenti, la quale anticipa un futuro radicalmente diverso, fatto di dominazione e di

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disumanizzazione. Attribuiscono legittimità e validità a tutte le esperienze, a tutte le pratiche sociali, ritenute eguali, s’oppongono alla divisione sessuale e razziale, e mirano a dare il potere («to Empower», «the Empowerment») ai gruppi sociali finora discriminati, ai giovani, alle donne, agli omosessuali, ai neri, agli ispanici, agli indios, ecc.( McRobbie 1991) ed agli individui che esplorano nuove possibilità di vita e maniere d’essere e di fare innovative. I movimenti anti-culturali hanno considerato i comportamenti di rigetto e di contestazione dei modelli vigenti manifestazioni e avanguardia annunciatrice d’una nuova cultura. Theodore Roszak (1969) ne ha fatto la teoria e ne ha descritto i tratti più tipici: lo stile di pensiero mistico ed olista che si oppone all’orientamento strettamente razionalista ed atomista del pensiero scientifico; l’adozione d’un modo di vita anticonformista, edonista, antimaterialista, la ricerca d’una società alternativa anti-autoritaria, in armonia colla natura, liberata dall’etica del consumo e del lavoro; rigetto dell’azione politica organizzata ritenuta una forma di collaborazione colla cultura dominante. Da qualche anno però alcuni studiosi sono più riservati e riconoscono che gli «hooligans», gli «urban Riots», i «sauvageons», non sono eroi ribelli o resistenti alle regole sociali ma piuttosto tirannelli oppressori e talvolta anche delinquenti (Campbell 1995). 23 Anche gli studi sulla cultura di massa sono stati profondamente rimescolati da questi rinnovamenti concettuali. Le teorie di T. W. Adorno e di H, Marcuse, che hanno confuso la cultura per le masse colla cultura delle masse, le loro dottrine sull’alienazione culturale, sulla sterilizzazione delle capacità creative degli individui, sull’impossibilità di sottrarsi alla dittatura dei mass-media, sul livellamento e sull’uniformizzazione operati dai mezzi di comunicazione di massa, si sono rivelate inconsistenti, per non dire fallaci. È vero che i messaggi mediatici sono standardizzati, uniformizzati, ma è altrettanto vero che essi non sono ricevuti in maniera analoga dai pubblici cui si rivolgono. Le inchieste sociologiche, analizzando i discorsi e le immagini diffuse, hanno rivelato che la ricezione è diversa da un pubblico all’altro, da un contesto ad un altro. Qui producono polemica o indignazione, là attenzione scettica o accettazione distratta, altrove atteggiamenti indifferenti, riletture pregne di riserve mentali, comprensioni parodistiche, sarcastiche o semplicemente indifferenti o ironizzanti. Per queste ragioni, adesso, abbandonate le grandi costruzioni teoriche, si studia ciò che i consumatori fanno di ciò che consumano e si comincia a capire perché la globalizzazione mass- mediatica non produce la mondializzazione intesa come l’omogeneizzazione di tutte le culture. Al contrario, lo stesso messaggio, ricevuto in diversi contesti, visto in determinate situazioni, produce effetti diversi, genera differenze sostanziali, reazioni contrastanti. 24 Tutti questi cambiamenti concettuali hanno ristretto la portata della vecchia nozione di cultura di classe, meglio, le hanno dato nuove prospettive. Abbandonati i contenuti filosofici ed ideologici di cui la tradizione marxista l’aveva dotata, la nozione rimanda oggi, innanzitutto, ai sistemi di valori, ai modelli di comportamento, alle pratiche quotidiane ordinarie (consumi, stili d’alimentazione, tecniche corporali, ecc.) che si osservano in gruppi sociali aventi lo stesso livello di reddito, le stesse abitudini di spesa, la stessa concezione del mondo, la stessa adesione a sistemi di valore, lo stesso senso d’appartenenza ad una comunità di vita e di destino, la stessa «privatizzazione» dei modi di vita. 25 Analoghe trasformazioni concettuali si sono avverate negli usi della nozione di cultura politica. Essa ormai è alla base di ricerche che descrivono le opinioni relativamente

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stabili dei diversi gruppi sociali, i loro atteggiamenti nei riguardi del controllo sociale, nonché i loro modelli normativi, i valori che guidano le loro scelte politiche, la concezione che hanno della legittimità e degli stili di vita della classe politica di governo e d’opposizione.

4. Identità, Alterità, Equivalenze culturali

26 Sin dagli anni `60il tema delle identitàculturali s’è sviluppato senza tenere conto delle acquisizioni delle scienze sociali. I ricercatori di quel settore hanno tentato soprattutto di chiarire i problemi sollevati dall’integrazione sociale degli immigranti, d’accertare le modifiche o gli sconvolgimenti apportati da essi alla composizione culturale della società civile, al mercato del lavoro, alla convivenza comunitaria, di valutare i risultati delle procedure d’assimilazione, di descrivere, infine, le eventuali gerarchie socio- culturali in via di costituzione (Poutignet & Streiff-Fenart 1995).

27 L’ipotesi allora dominante tra i ricercatori, era che l’identità culturale, stabile ed immutevole, determinerebbe le condotte individuali. Essa non dipenderebbe dal contesto delle interelazioni poiché sarebbe il nocciolo duro dell’identità sociale stessa. In più dell’attribuzione dell’identità gruppale, della categorizzazione della distinzione noi/essi, dell’elaborazione di diverse differenziazioni contrapposte a quelle degli altri, l’identità culturale fisserebbe, quindi, l’appartenenza primordiale e definitiva dell’individuo ad un determinato sistema sociale. Gli individui non sarebbero, da soli, capaci di autodefinirsi né di costruire la loro propria identità sulla base di criteri scelti e combinati poi liberamente in funzione delle soluzioni da dare ai problemi posti dalle interelazioni e dai contesti in cui si deve agire. 28 In verità, tutte queste ricerche sono state influenzate dalla logica dello Stato-Nazione e dal presupposto che un gruppo sociale o una comunità seleziona, in maniera sovrana, le sue tradizioni, interpreta arbitrariamente la sua storia ed il suo presente, fissa i modelli normativi dei comportamenti, fattori indispensabili per realizzare l’ordine sociale e per tenere unita la società. Lo Stato ne sarebbe l’artefice ed il garante mediante l’unione della cittadinanza colla nazionalità, grazie alla regolamentazione ed al controllo di questa identità, divenuta riferimento esclusivo, assunta come la sola legittima. Ed è così che un’identità culturale può essere percepita come positiva mentre un’altra negativa; ed è così che si creano le premesse per escludere le identità culturali differenti, per creare, in situazioni estreme, le condizioni che sboccano poi nelle purificazioni etniche. 29 L’insieme di queste ricerche può essere raggruppato, molto sommariamente, in tre tendenze maggiori. La prima dà un contenuto oggettivo all’identità culturale, la fonda geneticamente e naturalizza l’appartenenza culturale. L’identità è data dal gruppo d’appartenenza, che pre-esiste all’individuo, che la riceve più o meno passivamente, che deve sottomettervisi, pena la marginalità o lo sradicamento. Una tale identità non può evolvere perché è innata, è iscritta nel patrimonio genetico. Il sentimento d’appartenenza è reputato innato e l’identità culturale diventa un prerequisito immanente che caratterizza e definisce, in maniera stabile e definitiva, l’individuo. Questa eredità culturale è trasmessa, consolidata e allargata dal processo di socializzazione nel corso del quale i modelli culturali sono interiorizzati. L’identità è, per conseguenza, consustanziale ad una cultura particolare. Qui le emozioni e le solidarietà condivise strutturano l’identificazione al gruppo e contribuiscono a complessificare i meccanismi d’identificazione collettivi ed individuali. I ricercatori di

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questa tendenza sono convinti che l’appartenenza ad un gruppo etnico determina e condiziona l’appartenenza sociale. Perciò l’identità, configurata sulla base di criteri determinanti, oggettivi (l’eredità, le genealogia, la lingua, la personalità di base, il rapporto con un dato territorio, ecc.), è necessariamente una proprietà del gruppo, è trasmessa indipendentemente da quelle degli altri gruppi etno-culturali e sociali. Un gruppo sprovvisto d’una lingua propria, senza un territorio, senza un fenotipo culturale, non costituisce una comunità etno-culturale, non può rivendicare un’identità culturale peculiare, autentica. La seconda tendenza ha una visione più soggettivistica dell’identità. Questa non è data una volta per tutte, proviene piuttosto dal sentimento d’appartenere ad una collettività alla quale ci si identifica. Le rappresentazioni che gli individui si fanno della realtà sociale e delle sue divisioni contribuiscono a dare delle caratteristiche alle identità culturali. Perciò esse sono variabili, effimere, dipendenti da scelte individuali operate in contesti relazionali e situazionali momentanei e peculiari. Studiate dalla psicologia, dall’antropologia, dalla sociologia e dalle scienze storiche, le identità culturali non sono altro che delle costruzioni – rappresentazioni di cui gli individui si servono per dare un senso al loro essere al mondo. La terza tendenza postula che l’identità si costruisce e si ricostruisce a seconda delle situazioni, mediante un susseguirsi di scambi sociali. Non esiste un’identità in sé, trattasi d’un rapporto con altri che si forma mediante un sistema di relazioni e di strategie svolgentisi in contesti e situazioni specifici. Gli individui partecipano a diverse culture, fabbricano, con diversi materiali prodotti in situazioni specifiche, le loro identità personali, e le argomentano sincreticamente. In altri termini, l’identità è costruita e come tutte le costruzioni sociali prende la forma d’una rappresentazione. Riflette la complessità sociale ed i rapporti di forza del momento, le lotte per produrli o riprodurli o per rovesciarli. È multidimensionale, dinamica, difficile da circonscrivere e da definire. Mezzo per raggiungere un fine, essa è mutevole e relativa, si presta a molteplici interpretazioni ed anche ad innumerevoli manipolazioni. La partecipazione ad una cultura non implica automaticamente il possedere un’identità particolare giacché non esiste un’identità in sé e per sé. Persino l’identità etno-culturale utilizza alcuni elementi d’una cultura, in nessun caso l’insieme delle componenti d’una stessa cultura. Quest’ultima può persino essere strumentalizzata differentemente ed a seconda delle diverse strategie d’identificazione. Donde la necessità di stabilire, di volta in volta, cosa significhi, in un dato momento, in un certo contesto, mantenere, difendere, proteggere o mettere in questione un’identità particolare. Questa presa in conto del pluralismo delle identità, dei sistemi di valori soggiacenti, della partecipazione a diverse culture, ridefinisce l’identità universale in termini d’identità differenziata e proclama fallace il dibattito sul multiculturalismo relativista e sull’universalismo dell’esclusione. Il che conduce altresì a riconoscere l’uguale dignità di tutte le identità culturali, pur nella differenza e nella diversità, ad attribuire all’alterità valore e legittimità. La nozione di «cultura societale» (Kymlicka 1995) sottolinea che tutte le maniere di vivere sono significative se prodotte dalla storia, dai sistemi rappresentativi, dai saperi e dalle saggezze tacite nelle sfere d’attività comunitarie, per cui sono tutte meritevoli di garanzie che ne assicurino la riproduzione e ne favoriscano l’esercizio. 30 Queste ricerche sull’identità culturale hanno suscitato interrogazioni, perplessità e alimentato un dibattito che è lontano dall’estinguersi. Se la teoria dell’esistenza d’identità culturali naturalizzate, oggettivate, non suscita né nuove questioni né risposte convincenti e concordanti collo stato delle conoscenze attuali, la corrente soggettivistica e quella dell’identità multipla sono, invece, all’origine d’un dibattito di

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più in più animato quasi esclusivamente dai filosofi sociali e dagli scienziati della politica. Wilson (1985), per esempio, è dell’avviso che la mondializzazione e la globalizzazione privano gli individui dei legami comunitari, sostituiti da rapporti sociali multipli e funzionali, insufficienti ed inadatti a mobilitare gli individui, a riconoscere i valori ultimi. Ma se esistono tanti valori quante sono le comunità, allora i valori culturali hanno un solo fondamento, quello di essere il cemento comunitario. Dal canto suo Beck (1993) sostiene che l’individuo incontra oggi innumerevoli ostacoli nella costruzione del self dato che tutte le sue decisioni sono prese sotto la pressione dell’ambiente. Sottomesso a costrizioni strutturali, la sua autonomia è ormai illusoria, le sue decisioni sono reazioni e non già delle scelte razionali. La mondializzazione ha prodotto del nihilismo. Il soggetto sociale non è più il depositario e la fonte dei valori, è niente altro che un semplice meccanismo delle strutture sociali. Giddens (1999), a sua volta, aggiunge che gli effetti strutturali della mondializzazione hanno prodotto una società in rottura con le società del passato, caratterizzata da una discontinuità radicale rispetto alla società industriale moderna. I criteri che permettevano d’attribuire valore positivo o negativo alle cose, che davano un contenuto all’identità culturale, sono adesso divenuti inconsistenti. Se il legame collettivo nasce quando gli individui fanno prova di virtù, di moderazione, di tolleranza, d’ossequio alle leggi, di rispetto dell’autonomia degli altri, insomma di ciò che Rawls (1993) chiama raisonabless, vale a dire il senso del ragionevole e del giusto, allora come conciliare i diritti culturali particolaristici con quelli generali, i diritti individuali con quelli collettivi, evitare la formazione di comunità chiuse su se stesse ed anche che talune minoranze pratichino l’esclusione al fine di preservare la propria integrità culturale? 31 Gli studiosi post-modernisti ritengono questa problematica non pertinente. La relativizzazione dei messaggi culturali nazionali, i modi di vita imposti dalle logiche mercantili, il rafforzamento dell’individualismo, la variazione dei modi di vita e l’ideologia dell’interiorità e della comunicazione, hanno reso caduca e dimostrato la fallacia della definizione unitaria del vivere insieme, della società unificata, d’identità culturali stabili. Le società post-moderne producono una reificazione definitiva delle identità, una codificazione di forme particolari di pluralità culturali, una forma illusoria d’unità sociale, d’equivalenza delle culture, colle quali si crede mascherare la tirannia d’identità molteplici, sfuggenti, inafferrabili ed inconsistenti. 32 Se la cultura è l’apprendistato delle libertà individuali e la democrazia quello della volontà generale, se la cultura è una configurazione dell’essere e la democrazia un’organizzazione dell’esistenza, se la prima è l’equilibrio invisibile delle cose che ci aiutano a vivere e la seconda è l’ordine visibile di quelle che ci governano e ci fanno interagire convenientemente, cosa bisogna intendere per culture equivalenti e per identità culturali multidimensionali e differenziate? Se l’individuo ha la capacità ed il diritto di giudicare, d’accettare e di rifiutare i valori, i progetti e le norme del suo ambiente sociale e culturale; se l’individuo è l’artefice d’identità e può creare all’infinito delle diversità e delle differenze, non si rischia d’accordare lo stesso riconoscimento a qualsiasi rappresentazione quali che siano i comportamenti ed i valori praticati? Se la società è un insieme organico, la cui coesione è garantita dall’esistenza di similitudini tra i suoi membri, dalla condivisione di valori comuni, da una stessa eredità storica, da un analogo conformismo dei comportamenti, se le differenze innumerevoli provocano pericolose frammentazioni sociali ed un relativismo culturale caotico, accettare qualsiasi differenza, ascrittiva/ereditaria e acquisita, nella sfera pubblica ed in quella privata, trattare gli individui portatori di

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valori, costruttori d’identità specifiche, implica che bisogna ignorare e negligere il fatto che esistono valori ineguali ma anche che le differenze espresse liberamente nella sfera pubblica possono ledere la libertà degli altri. Se non esiste una simmetria tra identità pubbliche ed identità private, tra cultura a vocazione universale e cultura a vocazione particolaristica, in che modo allora garantire le specificità, le particolarità, le alterità, le pluralità culturali e le identità collettive ed individuali in una società democratica a vocazione universalistica, vivente ed agente perché le sue fondamenta poggiano su un principio d’unità e d’identità, di cui purtroppo è sprovvista la democrazia procedurale ed anche il patriottismo costituzionale strutturato dall’adesione volontaria a valori astratti e formalizzati.

5. Differenzialismo e pluralismo culturali in una società democratica

33 Posto anche che la cultura non si trasmette geneticamente, che è una costruzione sociale in stretta correlazione col contesto sociale in cui si vive e si agisce, ne consegue che essa è fatta di faccette multiple e varie, di pari o di analoga dignità. In questo caso tutte le identità culturali hanno diritto alla medesima eguaglianza di trattamento e tutte le culture sono equivalenti. Le loro rivendicazioni dell’uguaglianza economico- sociale, del riconoscimento delle differenze dei loro sistemi simbolici, non possono allora non trovare uno sbocco nel sistema politico.

34 In che maniera conciliare l’uguaglianza universale di tutti i cittadini con il riconoscimento d’identità particolari, con le rivendicazioni particolaristiche di queste identità? 35 Le risposte ad una tale questioni sono state finora diverse. I liberali sostengono che esiste una sfera (società civile, vita privata) dove si esprimono liberamente orientamenti culturali differenti. Là si è liberi d’accettare o di rifiutare i valori, i progetti e le norme degli altri, di valorizzare e praticare i propri ritenuti più pertinenti e validi. Nella sfera pubblica, invece, l’appartenenza, la cittadinanza, l’uguaglianza, l’autonomia, la sicurezza, la protezione delle libertà fondamentali restano preponderanti; qui è preminente la necessità ed il diritto di regolamentare tutte le differenze onde prevenire o impedire che esse ledano le libertà delle altre identità culturali (Holmes 1993). I repubblicani constatano che il potere è confiscato da politici di professione e da burocrati irresponsabili, che i cittadini sono passivi, indifferenti alla vita pubblica, egoisti, disobbedienti, con desideri e bisogni illimitati. Se la cittadinanza è partecipazione, è amore della collettività e del bene comune, rifiuto della divisione del corpo sociale, allora bisogna formare dei cittadini, inculcare in essi l’amore della collettività e dell’uguaglianza, il senso dei limiti. Credere che tutti possano accedere autonomamente al sapere ed alla razionalità, che la sfera privata e la sfera pubblica esistano indipendentemente dai rapporti di forza, è niente altro che la maniera retorica di celebrare «the Santification of ordinary Life» (Taylor 1989). Le interazioni sociali producono ineguaglianze (razzismo, sessismo, statuti inferiori, gerarchie d’ogni tipo, discriminazioni linguistiche e d’origine sociale, limitate opportunità sul mercato del lavoro e della politica, ecc.). Se lo Stato si astiene dall’intervenire, resta neutro nel funzionamento del sistema culturale (scuola, mass-media, memorie e narrazioni storiche), queste ineguaglianze diventano sempre più consistenti. Al contrario, deve essere il promotore di programmi di riparazione, di «Affermative action», di

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«Recognition»; deve favorire le espressioni delle orientazioni culturali di tutte le minoranze, riconoscere che le identità culturali minoritarie, anche quelle più colpite dai pregiudizi sociali, hanno una pari dignità, costitutiva dell’essere umano, nell’appartenenza alla società. 36 Molti studiosi considerano la neutralità culturale dello Stato un’ideologia elaborata per confortare le maggioranze culturali, il «Charter Group». La cosiddetta «cultura nazionale», che lo Stato dichiara essere il prodotto d’una esperienza storica comune, d’una condivisione permanente della stessa genealogia, è ritenuta una interpretazione della storia e del presente, una selezione arbitraria delle tradizioni, una imposizione. Dal canto loro, i comunitari (Mac Intyre 1981) rigettano gli approcci liberali e repubblicani perché sarebbero costruiti su una concezione irrealistica, astorica, quella che fà dell’individuo un essere razionale, capace di scelte ragionevoli, di strategie deliberate, di fabbricare la sua identità culturale ed il suo essere al mondo, come se non fossero la risultante di esperienze sociali collettive a lui anteriori. Il radicamento sociale e culturale in una comunità è costitutivo dell’essere umano. Il soggetto sociale non è autonomo, non esiste prima della collettività cui appartiene, le sue scelte sono condizionate da regole indipendenti dalla sua volontà. La sua identità si forma mediante interazioni individuali e collettive, nel presente e col passato, e non ha esistenza se gli altri non la riconoscono e non la confermano. È la comunità in cui è nato, in cui vive, è questa a procurargli valori e riferimenti, il senso d’appartenenza ad una collettività, le possibilità d’attribuire e distribuire significazioni, darsi delle finalità, realizzare progetti con una certa autonomia. 37 Tutti questi studi sulle identità culturali hanno aperto un nuovo campo di ricerche sulla giustizia sociale, sui diritti alla protezione delle culture delle minoranze etniche, sessuali, dei Neri, degli Ispanici, degli immigrati e delle donne; sono all’origine d’un vivacissimo dibattito sulla «Redistributive justice versus Reparative justice», sui programmi d’azione positiva in favore delle persone che subiscono forme d’esclusione e di marginalizzazione. 38 Per alcuni, introdurre un trattamento speciale, cioè il riconoscimento e la protezione pubblici delle differenze degli orientamenti culturali individuali e collettivi, significa storcere, se non distruggere il principio d’uguaglianza, introdurre una discriminazione pericolosa e lesiva della coesione sociale. In più, nessuno può definire, in maniera generale, accettabile da tutti, ciò che è la vita buona e ciò che è il bene essenziale da rispettare per vivere in società. I criteri per definirli sono innumerevoli, variabili e negoziabili di caso in caso, di volta in volta, a seconda dei contesti e delle circostanze, mediante regole di funzionamento accettate consensualmente (Gray 2001). La tolleranza ed il rispetto, la libertà d’espressione delle minoranze sono, certo, elementi costitutivi d’una società libera e democratica. Tuttavia una politica stabile orientata a proteggere e sostenere le minoranze non consoliderebbe né estenderebbe quegli elementi. Le discriminazioni positive non creano diritti culturali positivi ma accrescono le differenze tra la minoranza, tra le altre minoranze e con la maggioranza. 39 Per altri, il riconoscimento del pluralismo culturale non dovrebbe porre problemi particolari alle società liberal-democratiche. Bisogna tuttavia essere coscienti che la genesi recente di molte identità culturali non si trova nel bisogno d’identificazione ad una cultura visssuta bensì in motivazioni particolaristiche manifestantesi allorché i valori universalistici mettono in difficoltà gli interessi d’un gruppo. Per queste ragioni, la cittadinanza, deve essere il principio fondante e preponderante della democrazia, più

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importante e rilevante dell’identità culturale. Una società vive, le sue istituzioni sono legittime, se esistono interessi e scelte collettive, se la partecipazione alla vita politica e sociale è vivace, se gli individui s’identificano ad esse e se ne sentono responsabili. È stato sovente ripetuto (Tylor 1989, 1991, 1992, 1994, 1996, 1997) che il «Self» e la «Modern Identity» s’affermano allorché l’accettazione e la pratica della cultura della società in cui si vive non sono minacciate dal rifiuto o dall’irrispetto della dignità di taluni. Da un altro versante (Walzer 1980, 1983) è proclamato che la libertà astratta non garantisce la vita in comune. Questa è possibile solo a condizione che i valori sociali, culturali, razziali, le identità specifiche siano riconosciuti ed abbiano pari dignità e diritti. La giustizia è realizzabile a condizione che si rispettino e si prendano in considerazione positiva i diversi principi che una cultura impiega per dar senso a settori della vita socio-culturale quali, ad esempio, la scuola, il mercato del lavoro, la solidarietà, l’onore, la lealtà, la gratitudine, ecc. Poiché non possiamo in nessun modo gerarchizzare gli universi culturali e dato che le sfere d’azione sono molteplici, la giustizia e l’equità obbligano a tenerle tutte in conto, ad aiutare con programmi ad hoc le identità culturali particolari, persino quelle etniche, a rispettare tutti i diritti ed i significati specifici, le valutazioni conferiti e valorizzati dalle minoranze culturali. Walzer (1995) sostiene che le autonomie locali, il federalismo e diverse forme di consociazionismo, sostenuti da una legislazione antidiscriminatoria, da intense procedure democratiche, dall’educazione interculturale, bastano a garantire la vita, il rispetto e la riproduzione delle culture minoritarie. I più scettici ritengono che laddove i meccanismi d’integrazione sociale sono troppo elastici, i rischi d’etnificazione, di razzismo, di comportamenti illiberali, di odii culturali, di chiusure etniche, sono inevitabili. Ammettere che tutte le identità culturali sono equivalenti implica la frammentazione del tessuto sociale, l’isolamento degli individui, divisioni irrimediabili. Anziché valorizzare ciò che differenzia le diverse componenti della società, è più saggio ed opportuno celebrare ciò che le avvicina, le integra e le può tenere unite. Il legame sociale riposa su regole che ci diamo, che reggono i nostri rapporti, che ci permettono di gestire situazioni conflittuali e rendere possibile la cooperazione quando gli attori hanno interessi divergenti, od anche antagonistici. Per ottenere un sistema d’attese tra persone con comportamenti differenti, bisogna disporre di procedure che permettano la coordinazione delle divergenze, disporre di regole che diventino delle abitudini, del «common Knowledge», delle culture, ed è ciò precisamente che fonda il sociale. Gli accordi tra le persone sono i prodotti di queste regole, di mediazioni e di convenzioni. Soltanto la politica in quanto razionalità del valore dei fini, in quanto trascendenza d’identità particolari, d’interessi settoriali, può sovvenire a tali necessità, al vivere nell’incertezza, a garantire strutture di vita ragionevoli ed adattabili, a tutti modalità d’accesso alle risorse ed all’informazione, possibilità per ognuno di re-investire le esperienze sociali ed i progetti in un rapporto proficuo al mondo ed alle cose. Le ricerche sulla cultura, sulla pluralità delle culture, sulle identità personali e collettive sono, nel corso degli ultimi lustri, sboccate nel campo della filosofia politica e sono all’origine di rigogliosi dibattiti sull’universalismo, sull’uguaglianza, sul rapporto cittadinanza-nazionalità, sull’estensione dei diritti alle persone in quanto tali. Le prospettive intravedibili non sono però nette. Nondimeno un’idea sembra intravedersi, distaccarsi con più nettezza, ed è quella che soltanto la democrazia e la cittadinanza costituzionale sono i fondamenti solidi, legittimi, d’identificazioni non esclusive, limitative e controproduttive (Schnapper 1994, 1998).

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40 Riconoscere le differenze è conciliabile col principio di non discriminazione, che impone di non prendere in conto le differenze generiche, etniche, culturali, di trattare tutti gli esseri umani come eguali, in maniera identica? Negare le differenze conduce a trattare in modo omogeneo individui eterogenei. Prendere allora in conto esclusivamente le differenze costitutive della capacità di formare e di definire l’identità individuale e culturale, ma sulla base di quali criteri? Come rispettare diritti fondamentali, universali, quali quelli della libertà, della giustizia e dell’uguaglianza? (Bell 1993). 41 A questo punto la riflessione filosofica e politica ha preso il posto che gli studi antropologici e sociologici hanno avuto lungo tutto il secolo XX° nelle ricerche sulla cultura.

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La Corse vue par les historiens italiens contemporains

Giovanni Busino

1 Les travaux des historiens italiens sur la Corse ainsi que l’inventaire de la documentation archivistique sur cette île ont été enregistrés dans les bibliographies de Renato Giardelli et de Carmine Starace1. Presque tous les travaux parus jusqu’à 1910 présupposent que l’Italie d’avant 1860 est une mosaïque d’Etats régionaux aux histoires spécifiques. Pour cette raison les vicissitudes de l’île sont incorporées dans les chroniques et les histoires des Etats dominants ou relatées en tant que relations entre la Corse et l’un ou l’autre Etat du Continent. Les livres remarquables de Giovanni Livi sur les rapports des Corses avec Giovanni et Cosimo De’ Medici2 ainsi que ses commentaires à l’édition, en 1890, d’une gerbe de lettres inédites de Pascal Paoli en sont les exemples les plus éloquents.

2 Dès les premières années du XXe siècle, à la suite du déclin du positivisme et du tarissement des recherches de l’Ecole historique dite économico-juridique, une nouvelle vision de l’histoire se manifeste, avec force, en Italie. Contre la vision de la spécificité de l’histoire de chaque Etat de la péninsule et contre l’autre que l’histoire de l’Italie commence en 1861, l’on fait valoir l’unité fondamentale de l’histoire italienne et on la fait remonter tantôt à l’Empire romain tantôt au Haut Moyen-Age. En même temps, la traditionnelle histoire sociale et des institutions est délaissée au profit exclusif de l’histoire politique, de l’histoire de l’Etat, de la Nation et de leur hégémonie sur la société civile. 3 Les tenants de ce courant historiographique affirment de partager les tribulations et les sentiments de leurs contemporains et dès lors ils revendiquent le droit de récuser la démarcation entre la recherche savante et la divulgation au grand public. Ils sont nationalistes, antisocialistes, antilibéraux, antidémocrates, quelques-uns même antisémites. Tous revendiquent, au nom de la doctrine de l’Irrédentisme, le droit de ramener dans la communauté nationale, entre autre, des territoires désormais français (Nice, Savoie, Corse, Tunisie), anglais (Malte), suisses (le Tessin et les vallées sud alpines des Grisons et des régions romanches). Ces historiens veulent jouer un rôle important

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dans la bataille pour l’italianité des terres « a redimere », pour un Etat national italien puissant, pour une politique nationaliste et impérialiste3. 4 Les plus représentatifs et les plus actifs dans ce courant à la fois historiographique et politique, sont, entre autres, le romaniste Ettore Pais, l’historien du droit Arrigo Solmi, les modernistes Ettore Rota, Pietro Silva et Francesco Salata. Mais celui qui a exercé l’influence la plus profonde sur des générations de chercheurs c’est assurément Gioacchino Volpe, défini par l’historien Aldo Garosci la « tête de turc de l’historiographie chauvine et impérialiste du régime fasciste »4. 5 Doté d’un talent pugnace et corrosif, d’un savoir historique remarquable, d’une érudition sans faille, d’un remarquable talent pou la saisie des rapports des force, des situations complexes et compliquées et de toutes les forme du « statu nascenti », Volpe, surtout à partir de 1910-1911 environ, abandonne sa spécialisation, les études médiévales, et se consacre aux recherches sur la naissance de l’Etat moderne et la formation de la Nation italienne. L’Etat et la Nation deviennent alors les sujets primordiaux de sa vision de l’histoire, il les décrit comme une force puissante en expansion et en compétition constantes avec les autres Etats et Nations5. 6 Le cas de la Corse lui semble, à ce propos, significatif. Pour lui l’île, placée au cœur de la Méditerranée, a participée depuis toujours à la vie économique, politique et culturelle du système des Etats italiens6. Elle a été liée à la République de Pise de 833 à 1340 et puis, sauf les parenthèses Aragonaise, du Saint-Siège et Milanaise (1464-1499), à la République de Gênes dès 1343 et, pour quelques années, au Banco di San Giorgio7. L’expédition allemande du comte von Würtemberger en 1731-1732, le royaume de Théodore de Neuhof en 1736-1738-1743, le régime indépendantiste de Pascal Paoli de 1755 à 1768, la présence française dès 1768 ou le royaume anglo-corse entre 1794 et 1796, n’ont pas arraché les racines italiennes de la Corse. La domination génoise, pour certains à la source des révoltes, des frustrations et des injustices, ne lui paraît pas plus oppressive et différente que celles de Naples sur la Sicile et du Piémont sur la Sardaigne. Il affirme que l’équilibre séculaire, linguistique, culturel, politique, économique, a subi par contre, peu à peu, la sape de l’expansionnisme subliminal français. Pour Volpe la France est arrivée à détourner, grâce à des tromperies hypocrites, la Nation corse du processus fusionnant les Etats de la péninsule dans la Nation italienne. Il continue à marteler que la Corse a été italienne jusqu’à 1769, attachée spirituellement à l’Italie de 1860 à 1870, et qu’elle manifeste toujours son « italianité » dans sa façon d’être et de parler, dans ses idéaux et dans ces comportements culturels. Certes, ajoute-t-il, il ne faut pas confondre l’opinion publique corse favorable à l’Italie avec l’autonomisme et le « corsisme ». Ces derniers ne sont que des mouvements minoritaires moralisateurs, passéistes, revendiquant le retour aux modèles et aux règles des anciennes communautés claniques, aux traditions paysannes ancestrales. Ces mouvements alimentent leurs hostilités anti-françaises à la source du rejet du parisianisme, du colonialisme, du parlementarisme, du jacobinisme centralisateur et, en général, de la modernité. 7 Dans le but de réanimer et ragaillardir l’hégémonie culturelle italienne en Corse, Volpe, avec l’accord et le soutien du philosophe Giovanni Gentile, fonde à Milan, au début de 1924, l’Association « Gli Amici della Corsica » et fait paraître, au mois de mars de cette même année, le premier numéro de la revue « Corsica. Bollettino mensile della Società Gli Amici della Corsica ». Les finalités de la Société sont amplement explicitées dans ce

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premier numéro du « Bollettino » tandis que les articles y font tous l’apologie de l’italianité de l’île. 8 Le président du Conseil des Ministres, Benito Mussolini écrit, le 25 mai 1924, à Volpe, député au Parlement et professeur à l’Université de Milan, et lui ordonne l’arrêt immédiat du « Bollettino » car sa publication risque de desservir la cause corse, de procurer maints ennuis aux autonomistes et aux amis de l’Italie, de les exposer à une vigilance toujours plus tatillonne de la police française.Volpe obéit sans discuter8. 9 Les articles du « Bollettino » suscitent quelques rares critiques surtout de la part des démocrates libéraux. Par exemple, dans la revue « La rivoluzione liberale » de Piero Gobetti, le journaliste Giovanni Ansaldo dénonce la propagande nationaliste de Volpe, ses accusations malveillantes contre les intellectuels corses, sa façon sournoise de faire de la propagande nationaliste et de dissimuler le dessein, velléitaire et politiquement irréaliste, d’éveiller l’irrédentisme corse9. 10 Indifférent aux critiques et aux mises en garde, Volpe fonde à Milan, en 1925, le « Centro di studi corsi », lance une collection de monographies consacrées à l’histoire de la Corse ainsi que l’« Archivio storico di Corsica », déplacés par la suite à Rome lorsqu’il y sera nommé professeur à la Faculté des sciences politiques de l’Université. Volpe, bien entendu, assume la direction de l’ « Archivio » et nomme Ersilio Michel10 rédacteur en chef. Ce dernier assurera la direction de la rédaction de la revue jusqu’à sa suppression, en 1943. 11 Les collaborateurs de l’« Archivio » sont nombreux, la plupart des jeunes de talent, pas tous engagés politiquement. Leurs articles traitent de l’histoire, de la géographie, de l’ethnologie, de la linguistique, de l’archéologie, de l’art, en bref de tous les aspects de la société et de la civilisation corses, souvent avec objectivité et érudition11. L’« Archivio » réserve une place importante aux analyses des documents jusqu’alors enfouis dans les archives et les bibliothèques italiennes et étrangères, il publie également des correspondances inédites, des documents érudits, des reconstructions impartiales des événements historiques bien que son directeur ne cache pas sa visée ultime : absorber, assimiler l’histoire de l’île dans celle italienne. Paoli, italien par sa culture, par la langue qu’il parlait et écrivait parfaitement, lui parait un personnage important surtout à cause de la Real-Politik qu’il pratiquait, à cause de son projet de créer un Etat nouveau, de transformer des mentalités primitives, de former une classe dirigeante, de faire reconnaître la Corse au plan international12. Toutes ses luttes ambitionnaient, selon Volpe, à donner à l’île un statut international semblable à celui des Etats de la mer Tyrrhénienne et puis à l’intégrer dans l’équilibre politique de l’espace méditerranéen. Les révoltes,de 1729 à 1769, contre Gênes, sont jugées l’œuvre de « irrequieti isolani », intolérants à toute forme de pouvoir. La Convention de Saint- Florent de 1752, le deuxième traité de Compiègne de 1764 et puis le traité de Versailles du 15 mai 1768 prouvent, selon lui, que Gênes n’a jamais renoncé définitivement à ses droits souverains. Pour cette raison il qualifie l’annexion de la Corse à la France de forfaiture car la République de Gênes avait le droit de recouvrer sa souveraineté sur l’île après avoir remboursé la dette contractée ainsi que les subsides perçus. 12 Que la République de Gênes n’aurait jamais pu rembourser des sommes si considérables, ce fait parait à l’historien insignifiant. Désormais Volpe va rendre de plus en plus évanescentes les différences entre la recherche historique et l’idéologie nationaliste au service de la politique étrangère du régime fasciste. Le livre sur la révolte de Sampiero d’Ornano contre la domination génoise et les intrigues de dame

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Sampiero13 ; celui sur la situation de la Corse à la fin du Moyen-Age14 ainsi que l’autre sur les évêques et la question du visiteur apostolique15, ont une large diffusion et consolident l’idéologie irrédentiste. Dès les années ’30, Volpe peut compter aussi sur l’appui du puissant ISPI (« Istituto per gli studi di politica internazionale »), de ses ramifications à l’étranger, de ses publications, de collections comme celle intitulée « Interessi e naturali aspirazioni del popolo italiano ». Dans toutes les publications de l’ISPI la ésence française à Djibouti et en Tunisie16 ainsi que les relations entre l’Italie et la France sont sévèrement critiquées17. L’historien Ettore Rota publie des livres colériques et furibonds sur la France « envieuse » de l’Italie, sur la France toujours prête à s’opposer à l’Italie, à en contraster les intérêts légitimes18. Paoli est le précurseur du Risorgimento, c’est le premier italien moderne. Etant donné qu’il concevait la liberté de la Corse en tant que partie intégrante de la liberté de l’Italie, les Italiens, selon Volpe et Rota, ont raison de le considérer « le pionnier de leur héroïsme national ». Par ailleurs, le sort que les Français ont réservé à l’héros corse le prouverait19. Cette historiographie, partisane et hagiographique, trouve, en des années tourbillonnantes, beaucoup de supporteurs et des zélateurs fanatiques20. Les quatre biographies de Pascal Paoli21, parues à cette même époque, démontrent à quel point l’apologie du fascisme et la défense aveugle de l’idéologie nationaliste ont altéré la recherche en histoire, corrompu les esprits et rendu très compliqués les rapports entre la France et l’Italie. Et pour en avoir des preuves supplémentaires il suffit de parcourir la Storia della Corsica. Dalle origini ai nostri giorni du meilleur spécialiste de l’histoire de l’Ordre de Malte, Mario Monterisi, livre paru en 1939 et puis en 194122, ou encore I prodromi della cessione della Corsica : 1727-1789 de Domenico Izzo, publié en 194123. 13 Des revues grand public (par exemple « Corsica antica e moderna », dont le directeur est F. Guerri et le rédacteur en chef l’ex dirigent autonomiste corse Marco Angeli, le « Giornale di politica e di letteratura », directeur Umberto Biscottini, et l’« Almanacco popolare di Corsica ») vont diffuser les doctrines nationalistes et impérialistes. Un professeur de l’Université de Pavie, Gino Bottiglioni, publie, à partir de 1933, l’ « Atlante linguistico della Corsica », financé par un consortium sous la houlette de l’Université de Cagliari et de différents ministères de Rome. 14 Le Gouvernement fasciste aide également les « Gruppi di cultura corsi », fondés à Pavie par Petru Giovacchini, nommé « u parrucu ». Les 170 sections de ce mouvement, avec environ 22.000 adhérents, confluerons, en 1940, dans l’« Istituto nazionale di studi corsi », dont le siège central est installé à Pavie. La ville de Livourne, où vivaient beaucoup de Corses, est assurément le centre moteur de la propagande irrédentiste. Umberto Biscottini, auteur d’un libelle intitulé « l’île perdue »24, en est le concepteur le plus exalté. Il favorise la publication, chez l’Editeur Giusti, de nombreux livres et pamphlets25. Le quotidien local, « Il Telegrafo », lance même une édition hebdomadaire corse, financée par le Ministères des affaires étrangères et placée sous la houlette de Francesco Guerri, président également du « Comitato per la Corsica », créé en 1924, comité lequel finance aussi, entre autres, Petru Rocca et son « Partitu corsu d’azzione » 26. De son côté le directeur du quotidien, Giovanni Ansaldo, naguère critique virulent de Volpe, fait maintenant l’apologie de l’italianité de l’île, de tout ce que celle-ci doit à Pise et à Gênes. Si la République de Gênes eut été sévère à l’endroit des clans, des bandits et des violents, l’histoire aurait été inévitablement différente : la Corse serait à présent une région italienne, écrit-il27. La publication d’un recueil de documents diplomatiques de la République de Vénise est utilisée pour prouver le refus séculaire et opiniâtre des Corses de se soumettre à la domination française28. En somme, pour les historiens et les

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intellectuels fascistes l’Italie sera véritablement grande et indépendante quand les barreaux de la prison méditerranéenne (la Corse, Bizerte, Malte, Suez, Gibraltar) seront détruits, selon les propres mots de Mussolini à la veille de la déclaration de guerre à la France29. 15 Le Gouvernement français, irrité par cette propagande importune et inamicale, après quelques protestations diplomatiques sans résultats, interdit la diffusion, sur son territoire, en 1928, du quotidien « Il Telegrafo », et en 1932 de l’« Archivio » ainsi que des publications historiques et politiques revendiquant l’« italianité » de la Corse30. Cependant la propagande à outrance ne s’arrête point. En 1936 Petru Giovacchini commence à organiser, dans presque toutes les régions italiennes, les « Gruppi di cultura corsa ». 16 Les écrits de Volpe sur la Corse, parus entre 1923 et 1940, sont republiés, revus, modifiés, puis réunis en volumes, accompagnés ou suivis par des innombrables préfaces aux publications de ses élèves ou de ses collaborateurs. Les idées du maître sont amplifiées par les articles de certains élèves et vont constituer, pendant presque une vingtaine d’année, les fondements d’un véritable paradigme historiographique. Les plus importants de ces écrits se trouvent, à présent, réunis dans le volume Storia della Corsica italiana31, puisrésumés par l’auteur dans l’article Corsica du Dizionario di politica 32, édité par Antonino Pagliaro pour le compte du Partito nazionale fascista. 17 La vision historique de Volpe en tant qu’histoire de l’Etat, est jugée, dans la revue « La critica », en 1923 et en 1939, par Benedetto Croce, mais les écrits sur l’histoire corse sont ignorés33. Le seul à les analyser sévèrement est un jeune, Franco Venturi34, dont la renommée de très grand historien ne fera que croître avec les années, soit en Europe soit aux Etats-Unis d’Amérique qu’en Russie. 18 Pour Venturi l’histoire de Volpe et de ses disciples est « une histoire fantaisiste », élaborée uniquement pour les usages de la politique du fascisme. Faire du massacre de Pontenuovo la première bataille du Risorgimento italien revient à écrire une histoire imaginaire35. La défaite de Paoli et des Corses par les troupes françaises, le 9 mai 1769, marque plutôt la fin d’une glorieuse indépendance et le commencement des tribulations d’un peuple héroïque et indomptable. D’après Venturi la vision historique de Volpe et des ses consorts déforme « l’importance de la révolte corse du XVIIIe siècle », « sa valeur propre, originale dans l’intransigeance de sa haine anti-génoise ». Si l’Europe des Lumières s’enthousiasma pour la rébellion des Corses, si Rousseau, Boswell, Parini ou Alfieri, si des nombreux intellectuels européens et une frange de colons nord-américains purent la voir comme le modèle ou le symbole du progrès et de la modernité, c’est parce qu’il s’agissait de la rébellion « des pauvres contre les riches, des pures aborigènes contre les étrangers corrupteurs, du petit nombre énergique contre le faible grand nombre, des paysans contre les citadins ». Pour Venturi « Il est par conséquent ridicule de voir les érudits fascistes tâcher de mettre des voiles pudiques sur l’origine même de la révolte, et faire tous leurs efforts pour démontrer que l’administration génoise n’était pas si mauvaise qu’on l’a dit, que les Corses n’étaient pas malheureux qu’on l’a prétendu sous la domination des banquiers sérénissimes. » En ignorant l’origine anti-génoise de l’indépendance corse, les « érudits fascistes » s’interdisent « la compréhension non seulement de Paoli et des siens, mais aussi de cette légende corse que le dix-huitième siècle tissa autour du courage et de la fierté insulaires ». Les « érudits fascistes » dissimulent « les accusations de sépulcre blanchi que Paoli adressait à l’Italie de son temps, incapable de sentir assez l’originalité

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et l’importance de son effort », ils ignorent la différence « qui passe entre la première et la seconde partie de la vie de Paoli, [et] ils confondent son premier généralat avec ses intrigues anglaises pendant la révolution française ». « Sa froideur, son habilité s’illumine d’un idéal de raison. Il parle bien de mâter les révoltes intérieures, les séditions continuelles […], mais cela ne reste pas un but, n’est pas la fin ultime de la politique. » Et Venturi rappelle que cet idéal est le point cardinal de Paoli, lequel écrit dans une de ses plus belles lettres : « Je me flatte qu’un jour l’esprit de sédition finira ; les guerres civiles guérissent les préjugés des nations et quand elles sont finies les rendent plus respectables et le gouvernement devient plus fort. A cette vérité doivent la plus grande partie de leurs victoires Louis XIV, Cromwell et Guillaume III. » Pour Venturi Paoli « est encore trop vivant pour rester tout entier dans les mains de Volpe et autres académiciens ». 19 A la suite des bouleversements de 1943 l’« Archivio », le « Centro di studi corsi » ainsi que l’appareil de la propagande irrédentiste sont démantelés. La défaite du régime fasciste et la fondation de la République ne poussent pas Volpe à repenser son historiographie. Il continuera à professer la doctrine de l’hégémonie de l’Etat-Nation italien, de ses droits impérialistes en Méditerranée, qu’il exposera minutieusement dans les trois volumes de son œuvre majeure Italia moderna et dans un de ses derniers articles sur l’« italianité » de la Corse paru en 196436. Certes, il doit reconnaître l’échec en Corse du « nouveau irrédentisme » et pourtant il reste convaincu qu’il faut continuer à défendre les droits italiens en Méditerranée afin d’éviter leur prescription et afin de ne pas barrer pour de bon « la via alle possibilità dell’avvenire »37. 20 L’histoire des années 1940-1943 reste un terrain vierge. On dispose, pour le moment, du volume des mémoires du général italien commandant les troupes d’occupation38 ainsi que des documents de l’Etat majeur de l’Armée italienne publiés en 1990 et d’une reconstruction historique des rapports entre le gouvernement de Pétain et celui de Mussolini39. 21 Les archives, par exemple, du Ministère de la culture et des Affaires étrangères nous apportent beaucoup d’informations sur les avatars de la propagande italienne au service de la politique irrédentiste du régime fasciste et de son expansionnisme territorial40. D’autres informations pourraient nous venir des archives françaises. 22 Entre 1944 et 1950 pas de publications, en Italie, sur la Corse mais les idées de Volpe continuent à circuler et on les retrouve même, atténuées ou simplement suggérées, dans des travaux d’histoire économique, où le traité du 16 mai 1768, ratifié par la République de Gênes le 28 du même mois, est qualifié « una beffa » et Paoli désigné comme l’« anticipatore del Risorgimento », le champion de l’indépendance nationale italienne41. 23 Il faudra attendre encore quelques années avant d’assister à la floraison des « études élégantes », selon la belle formule de Benedetto Croce. En 1952 paraît une recherche bien documentée sur la politique méditerranéenne anglaise pendant la guerre de succession d’Autriche42 et en 1954 la reconstruction, en vérité sans souffle, de la médiation milanaise à l’occasion du différend de 1746 entre Gênes et l’Autriche43. 24 Quelques années auparavant Ernesto Sestan proposait une thèse interprétative nouvelle à propos des rapports de la Corse avec Gênes44. Pour cet historien le féodalisme fut importé par Gênes sur l’île alors qu’il y était totalement incompatible à cause de la nature non hiérarchique, très segmentée de la structure sociale prééxistante. Or ce système féodale importé a exacerbé les Corses, les a poussé à

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s’enfermer dans des clans, à pratiquer des formes agressives de socialité, à employer la violence pour la solution des conflits, la vendetta pour laver les torts subis, à percevoir l’étranger comme un ennemi et n’importe quelle forme de domination comme une tyrannie pernicieuse. Pour Sestan Paoli eut le génie de comprendre que la solution du problème corse exigeait la formation non de la Nation corse mais de l’Etat corse reconnus et garanti dans son indépendance par les grandes puissances européenne, un Etat indépendant organisé à partir des traditions et des volontés de ses habitants, en mesure de faire valoir tant soit peu l’intérêt général et le bien public. L’administration de la justice constitue le cœur de sa construction étatique. Certes, Paoli voulait que l’italien fût la langue de cet Etat, mais rien ne prouve qu’il acceptât de rattacher l’Etat corse aux Etats de la péninsule et plus tard de le dissoudre dans celui du Royaume d’Italie45. 25 Toute la problématique de ce domaine d’étude est bouleversée lorsque Franco Venturi commence à publier ses travaux sur Paoli et la Corse à partir des années ‘6046. Tout d’abord ces travaux approfondissent et prolongent la critique à l’historiographie nationaliste entreprise à la fin des années ’30 avec l’article Le fascisme contre Paoli et ensuite ils ouvrent des perspectives nouvelles à propos de la spécificité, de l’originalité du « Settecento riformatore » raccordé davantage à la Philosophie des Lumières qu’aux péripéties du Risorgimento47. 26 Il a été écrit que Venturi affiche une trop grande sympathie pour Paoli car l’homme lui parait incarner les luttes pour la liberté et pour l’égalité, car Paoli est à la fois un modernisateur, un réformateur social, un critique impitoyable de la civilisation corrompue, car il est l’exemple vivant de l’unité entre la pensée et l’action. C’est vrai mais il y a plus. Pour l’historien italien Paoli a été capable de relier le sentiment national au cosmopolitisme, de combiner les avantages d’un gouvernement éclairé avec les aspirations égalitaires et libertaires du peuple, mais aussi de conjurer les mythes révolutionnaires et nationalistes et de concevoir la Nation, la Patrie et la Liberté en tant que des biens présents et futurs, comme la source originaire de l’espérance des générations présentes et de celles à venir48. 27 Venturi interprète, peut-être avec un certain anachronisme, l’insurrection corse en tant que révolte coloniale contre un Etat patricien, en tant que combat contre les privilèges d’une aristocratie citadine décadente et survivant grâce à une exploitation des plus cyniques. Toutefois il a bien vu combien réaliste et pourtant proche des idéaux et des problèmes de la philosophie des Lumières était le projet de Paoli, ancré dans les attentes des Corses de vivre en hommes libres, égaux et indépendants. La politique à l’endroit de la religion, de la justice indépendante et le réajustement de la tactique militaire au profit de la guerre des partisans sont décrits en tant que des manifestations significatives de cette façon moderne de gouverner. Venturi souligne avec force que Paoli, pour concilier la tradition et les réformes, pour dépasser les affrontements claniques, pour changer les mentalités traditionnelles, pour élaborer une volonté collective, comprit qu’il fallait, sans plus tarder, construire un Etat, le doter d’une administration, d’une armée, d’une justice, d’une Université capable de former une classe dirigeante aux valeurs communes. Et il s’attela à cette tâche de construire l’Etat corse, de le structurer démocratiquement, d’en faire le garant des libertés collectives et individuelles, avec la patience, la prudence et la sagesse de l’homme politique de génie et du philosophe cosmopolite49.

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28 Venturi est plus réservé sur le comportement de Paoli pendant les deux exiles anglais50, sur l’analyse que le général faisait de la domination française jugée, à tort, pareille à celle de Gênes. L’exil ternit, selon l’historien italien, ses capacités d’intuitions, ses analyses du nouveau patriotisme en train de surgir et ses jugements sur la nouvelle conjoncture politique créée par la Révolution de 1789. La venue à Paris, son discours du 22 avril 1790 à l’Assemblée constituante, son retour en Corse révèlent l’irréalisme de son agir politique. Il pensait de pouvoir braver la Convention et le Comité de salut public de la même manière qu’il l’avait fait avec Louis XV et ses généraux. Or nonobstant les avertissements, les attaques et les injures des Jacobins, de Buonarroti et de Bonaparte, Paoli donna la Corse à la Couronne britannique en 1794 sans jamais avoir la conscience du fait que le Gouvernement anglais, peu intéressé à une colonisation directe ou indirecte, se débarrasserait de lui et de la Corse à la première occasion. Ce que le Gouvernement de Sa Majesté fit effectivement en 1796 tout en acceptant d’accueillir à nouveau, en Angleterre, Pascal Paoli et quelques-uns de ses partisans51. 29 Venturi réserve aux dernières années de la biographie de Paoli des pages d’une empathie attendrissante. Elles décrivent la passion avec laquelle Paoli suivait les vicissitudes de l’Université de Corté, sa création choyée, l’institution à laquelle il avait confié la mission de pacifier les esprits, de faire progresser la civilisation en Corse et dans l’Europe désormais sous le joug de Napoléon. Mais ces pages mettent aussi en évidence le décalage entre la vision politique de Paoli et la nouvelle réalité internationale très défavorable à la cause de l’indépendance de l’île. La lecture des pages intitulées « Patrie et liberté : la révolution de Corse » nous révèlent non seulement la culture encyclopédique de l’historien cosmopolite mais aussi son admiration pour Paoli le réformateur fidèle aux doctrines des Lumières. Elles nous éclairent sur ce que Paoli fit en Corse, sans aides extérieures, entre 1755 et 1768, mais aussi pourquoi aucun Etat ne soutint ni protégea les luttes des insulaires et pourquoi, en même temps, elles devinrent partout la plus belle des épopées du XVIIIe siècle et plus tard un véritable mythe romantique. 30 L’historien turinois reconstruit, sur la base d’une documentation étendue et souvent inédite, de quelle façon les « affaires corses » furent reçues, perçues ou transfigurées en Piémont, en Lombardie, à Venise, en Toscane, dans les Etats de l’Eglise et à Naples52. Et il nous rapporte comment ces mêmes réceptions, perception et transfiguration naissent et se développent en France, en Angleterre, en Hollande, dans les Cantons suisses, dans le monde germanique, dans la Russie de Catherine II et chez les colons d’Amérique du Nord. Partout Paoli y est vu comme l’incarnation des idéaux réformistes, modernisateurs, progressistes, comme le modèle de l’homme d’Etat philosophe. Ces pages nous apprennent, en outre, de quelle façon les idées circulaient à l’époque des Lumière et ajoutent des informations sur le « Projet de constitution pour la Corse » de Rousseau, sur le chapitre « De la Corse » du Précis du siècle de Louis XV de Voltaire, sur les attente et le critiques à propos des affaires corses du réformateur piémontais Dalmazzo Francesco Vasco53 ainsi que sur les agissements et les intrigues, dès 1768, de Mathieu Buttafoco, chef du parti royaliste pendant la Révolution française et dont la correspondance avec Paoli sur la Constitution de la Corse a été publiée, en Sardaigne, en 197854. 31 B. Brunelli Bonetti a pu reconstruire les péripéties italiennes et les velléités du roi Théodore55 tandis que H. Benedikt, sur la base des relations des diplomates autrichiens

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et de lettres inédites de Paoli, nous a donné des renseignements très précieux sur les combats des Corses pour la liberté et l’indépendance56. 32 Dès les années ’70 les historiens italiens ont recommencé à labourer le terrain de la recherche érudite. 33 Enrica Dardani a publié un faisceau de documents, de la période 1759-1768, lesquels éclairent les instructions imparties par Guillaume-Léon Du Tillot, le tout puissant ministre du duc Don Philippe, à comte d’Argental, plénipotentiaire du Duc auprès du roi de France, à propos d’un éventuel rattachement de la Corse au Duché de Parme57. 34 Les historiens génois contemporains et notamment Carlo Bitossi, à partir des années ’90, nous ont donné les premières études d’histoire économique génoise solides et perspicaces et grâce auxquelles une bonne partie des polémiques et supputations sur les rapports entre la République de Gênes et la Corse commencent désormais à être éclaircies58. 35 Francesco Barra a analysé les rapports économiques et politiques entre la Corse et le Midi de l’Italie de 1754 à 1815 et sur l’émigration corse à Naples59 tandis que Marco Cini a remis sur le métier les investigations sur les rapports culturels entre l’Île et la Péninsule et nous a révélé des informations très précises à propos d’une matière ayant suscité par le passé des affrontements polémiques et des mises en cause des identités de deux peuples60. 36 Alessandra Giglioli a publié, en 2001, la reconstruction des relations entre l’Italie e la France sur la base d’un examen approfondi de toute la documentation du Ministère italien des affaires étrangères et de celle actuellement consultable à Paris dans les archives du Quai d’Orsay61. Ce livre décrit par le menu l’organisation que le gouvernement fasciste mit en place (en Corse, en France et en Italie) pour propager l’Irrédentisme, les montants des subsides versés à la presse corse et française, des subventions et des dons attribués aux « collaborateurs ». L’auteur nous donne un exposé détaillé et complet du rôle du quotidien « Il Telegrafo » et des tentatives des Autorités françaises d’en surcontrer l’influence soit en interdisant sa diffusion dans l’Hexagone soit en demandant à Rome la suppression de l’édition hebdomadaire corse. Les officiels fascistes étaient bien conscients, notamment dès 1938, que la propagande irrédentiste n’avait aucune chance de succès, qu’elle produisait surtout la détérioration des relations diplomatiques entre les deux pays, et pourtant ils continuaient à croire en la nécessité d’une annexion de la Corse pour assurer et garantir l’hégémonie italienne sur les mers méditerranéennes. 37 Ce livre de Madame Giglioli explore et décrit sereinement les anfractuosités d’un passé piteux ; il met en évidence les velléités d’une politique expansionniste et inévitablement condamnée à la faillite62. L’approche des rapports italo-français, pendant la période 1936-1939, sous l’angle des revendications territoriales italiennes fait conclure à son auteur que le « coup de poignard » du mois de juin 1940, n’est pas « un gesto incomprensibile e inatteso » ; il est plutôt la lame de fond « di contrasti e di problemi ancora vivi e aperti. […] la politica di Mussolini verso la Francia non aveva fatto altro che coltivare e aggravare questo dissidio, utilizzando a tal fine tutte le risorse disponibili messe a disposizione sia dalla diplomazia internazionale, sia dall’efficiente propaganda del regime. » Madame Giglioli affirme que « il motivo delle rivendicazioni territoriali italiane verso la Francia non rappresenta soltanto una chiave di lettura per comprendere la politica estera fascista negli anni precedenti lo scoppio della seconda guerra mondiale, ma costituisce la ‘sostanza’ stessa di tale politica,

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motivo essenziale dell’entrata in guerra dell’Italia, obiettivo prioritario perseguito con fermezza e intransigenza fino alla disfatta del paese e al crollo del regime. »63 38 Il est évident qu’une telle explication découle de l’analyse de la politique étrangère fasciste centrée exclusivement sur les revendications territoriales italiennes et sur les obstacles et les difficultés opposés par la France à ces revendications. Elle ne tient pas compte du système stratégique mis en place par les alliances entre les puissances de l’Asse et les griefs italiens contre le Traité de Versailles, contre le fonctionnement du parlementarisme et contre la démocratie. Pour cette raison l’explication proposée dans l’excellent et fort bien documenté livre de Madame Giglioli peut paraître unilatérale à certains historiens du XXe siècle. 39 En 2003 paraît, enfin, le premier volume (La prise du pouvoir) contenant les lettres de Paoli de la période 1749-1756, suivi en 2005 du deuxième (La construction de l’Etat) couvrant les années 1756-1758, en 2007 du troisième (Le visiteur apostolique) contenant les lettres de années 1759-1760 et du quatrième (L’avenir de la Corse est sur l’eau), à paraître, avec les lettres de la période 1761-1762. Les volumes sont enrichis d’un apparat critique magistral et de remarquables introductions, celles de F. Ettori, de J.-M. Arrighi, de C. Bitossi et de A.-M. Graziani. Ces volumes nous font déjà entrevoir l’importance exceptionnelle de ce joyau littéraire qu’est la correspondance de Pascal Paoli pour la connaissance de l’histoire de la Corse et du XVIIIe siècle européen. On peut aisément prévoir que cette correspondance va relancer aussi les études corses en Italie, qu’elle aidera les historiens italiens à concevoir autrement les relations entre les deux pays, à ne plus enfreindre, comme il est arrivé au cours de la première moitié du XXe siècle, les règles morales de la recherche, ces règles morales à propos desquelles Bronislaw Baczko nous a enseigné : quand l’historien les enfreint, « il est en proie à la mauvaise conscience et aux sentiments d’avoir renié et trahi ses devoirs moraux ainsi que le rôle social qu’il aurait dû assumer »64. 40 L’historiographie italienne d’aujourd’hui semble échapper à une telle calamité : ayant perdu l’aveugle certitude de la compréhension idéologique du passé, la hantise de ce que l’on n’a pa connu ou vécu, ayant désormais un rapport distant au passé et à la tyrannie du présent, en s’efforçant maintenant de reconstruire la chaîne des raisons qui permettent de relier, de façon intelligible, le présent à ce qui a disparu à jamais et nous est devenu étranger, cette historiographie qui ne confond plus mémoire et histoire est en train de conquérir une conscience historique et de la mémoire collective à la fois plus sereine et complexe. Elle prépare ainsi l’éclosion de la nouvelle saison des études historiques sur les relations de l’Italie avec l’Île de Beauté.

NOTES

1. R. Giardelli, Saggio di una bibliografia generale della Corsica. Prefazione di A. Codignola, Genova, Ed. Giornale storico e letterario della Liguria, 1938, 170 pp. et C. Starace, Bibliografia della Corsica. Presentazione di G. Volpe, Milano, ISPI, 1943, 1033 pp.

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2. G. Livi, Delle relazioni dei Corsi colla Repubblica fiorentina e con Giovanni De’ Medici, Firenze, Cellini, 1884, et La Corsica e Cosimo I De’ Medici. Studio storico, Firenze, Boncini, 1885 ; Lettere inedite di Pasquale d’ Paoli, a cura di G.Livi, « Archivio storico italiano », série V, 1890, vol. V, 1, pp. 61 et suiv. ; 2, pp. 228 et suiv. ; vol. VI, pp. 267 et suiv. Certaines de ces lettres ont été reprises par Franco Venturi in Illuministi italiani. Tomo VII. Riformatori delle antiche repubbliche, dei ducati, dello Stato pontificio e delle isole, a cura di G. Giarrizzo. G. Torcellan et F. Venturi, Milano, Riccardo Ricciardi, 1965, pp. 721-784. 3. Lire à ce propos B. Bracco, Storici italiani e politica estera : tra Salvemini e Volpe, 1917-1925, Milano, Angeli, 1998 ; G. Belardelli, Il mito della « Nuova Italia » : Gioacchino Volpe tra guerra e fascismo, Roma, Lavoro, 1988 et surtout G. Volpe, Scritti sul fascismo, 1919-1938, a cura di P. Buscaroli, Roma, Volpe, 1976. 4. Dans « Giustizia e Libertà », V, n. 19, 19 mai 1939 et puis dans A. Garosci, Pensiero politico e storiografia moderne. Saggi di storia contemporanea. I., Pisa, Nistri-Lischi, 1954, p. 123 (« un retore, che accoppia alle abitudini esteriori della persona colta l’intima disaffezione per la cultura e l’altrettanto intima affezione per il proprio posto.[...] Testa di turco della storiografia sciovinista e imperialista del regime fascista ») et p. 29 (« il male che hanno fatto le intenzioni d’eclettismo equilibrato di costui, per il quale tutti hanno i loro meriti e stanno sullo stesso piano, indipendentemente dalla loro natura di forze rozze e incivili o di forze organizzatrici di civiltà ; esso contiene un elemento molto più demoralizzante che gli eccessi dello storicismo nell’identificare progresso temporale e progresso ideale ». 5. Voir G. Volpe, La Nazione e lo Stato italiano, in Il libro d’Italia nel decennale della vittoria, Milano, Istituto fascista di cultura, 1929, mais aussi Piano per una storia d’Italia in collaborazione, désormais in Nel regno di Clio.Nuovi storici e maestri, Roma, Volpe, 1977. Une analyse critique de cette approche se trouve in E. Gentile, La grande Italia. Ascesa e declino del mito della nazione nel ventesimo secolo, Milano, Mondadori, 1997. Cf. pour la problématique générale M. Cuaz, L’identità ambigua : l’idea di « Nazione » tra storiografia e politica, « Rivista storica italiana », CX, fasc.II, agosto 1998, pp. 573-641. 6. Ces thèmes ont été développés de façon fracassante par P. Silva, Il Mediterraneo dall’Unità di Roma all’Impero italiano, Milano, Mondadori, 1927 ; la 7e éd. accrue a été publiée à Milano par l’ISPI en 1942. Du même voir également Italia fra le grandi potenze (1882-1914), Roma, Cremonese, 1931 et Italia, Francia, Inghilterra nel Mediterraneo, Milano, ISPI, 1939. 7. Pour la période la plus ancienne de cette « domination » il y a maintenant le travail de G. Petti Balbi, Genova e la Corsica nel Trecento, Roma, Istituto storico italiano per il Medio Evo, 1976. 8. La lettre a été publiée par E. Di Rienzo, Gioacchino Volpe : fascismo, guerra e dopoguerra. Nuovi documenti, 1924-1945, « Nuova storia contemporanea », VIII, n. 1, gennaio-febbraio 2004, p. 122. Sur le fascisme de Volpe voir G. Turi, Il problema Volpe, « Studi storici », XIX, 1978, pp. 175-186 ; G. Belardelli, L’adesione di Gioacchino Volpe al fascismo, « Storia contemporanea », ottobre 1983, pp. 649-694 et G. Sasso, Giovanni Gentile e Gioacchino Volpe dinanzi al crollo del fascismo, in Filosofia e idealismo.IV.Paralipomeni, Napoli, Bibliopolis, 2000, pp. 531-557. Les participants au colloque Gioacchino Volpe e la storiografia del Novecento(février-mars 2000) ont essayé d’évaluer l’apport de Volpe à l’organisation des études historiques, au développement de la science historique en Italie et ses engagements politiques pendant le fascisme et après sa chute. Les communications peuvent désormais se lire in « Annali della Fondazione Ugo Spirito », 2000-2001, XII-XIII, pp. 13-221. Mais voir également G. Giarrizzo, Volpe tra storiografia e politica : un bilancio, « L’Acropoli », VII, n. 4, luglio 2006, pp. 411-433 et G. Galasso, Volpe : genesi e senso di ‘Italia Moderna’, Ibid., pp. 463-482. 9. G. Ansaldo, La Corsica, « La Rivoluzione liberale », IV, 1925, 8, p. 33 et Bibliografia della Corsica, Ibid., IV, 1925, 9, p. 39. 10. Il est l’auteur de nombreux livres et de recherches bien documentées sur les italiens en Egypte, en Tunisie et sur les Esuli italiani in Corsica (1815-1861). Con prefazione di G. Volpe, Bologna,

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Cappelli, 1940. Voir le portrait qu’en a fait G. Volpe in Storici e maestri. Nuova edizione accresciuta, Firenze, Sansoni, 1967, pp. 198-212. 11. Les exemples sont nombreux. Il suffit de renvoyer à Gioacchino Volpe e Walter Maturi. Lettere 1926-1961. A cura di Pier Giorgio Zunino, « Annali della Fondazione Luigi Einaudi », XXXIX, 2005, pp. 245-326 et pour une vision d’ensemble à R. De Felice, Gli storici italiani nel periodo fascista, dans son volume Intellettuali di fronte al fascismo. Saggi e note documentarie, Roma, Bonacci, 1985, pp. 190-243. 12. E. Di Rienzo, Lo spazio politico mediterraneo nella storiografia italiana tra Grande Guerra e Fascismo, « Clio », XLII, n. 3, luglio-settembre 2006, pp. 389-400. Du même voir aussi Storia d’Italia e identità nazionale. Dalla Grande Guerra alla Repubblica, Firenze, Le Lettere, 2006, pp. 137-142. 13. R. Russo, La ribellion di Sampiero Corso, con prefazione di G. Volpe, Livorno, Giusti, 1932 et l’article de I. Rinieri, La vera figura storica di Sampiero Corso. Risposta a « La ribellione di Sampiero Corso » del prof. Rosario Russo, « Archivio storico di Corsica », ottobre-dicembre 1932, pp. 461-498. 14. C. Bornate, Genova e Corsica alla fine del Medio Evo. Prefazione di G. Volpe, Milano, ISPI, 1940. 15. I. Rinieri, I vescovi della Corsica, Livorno, Giusti, 1934. 16. F. Salata, Il nodo di Gibuti. Storia diplomatica su documenti inediti, Milano, ISPI, 1939 ; A. Giaccardi, La conquista di Tunisi. Storia diplomatica dal Congresso diu Berlino al trattato del Bardo. Presentazione di F. Salata, Milano, ISPI, 1940 ; G. Gorrini, Tunisi e Biserta. Memorie storiche. Con prefazione di F. Salata, Milano, ISPI, 1940 ; R. Catantalupo, Racconti politici dell’altra pace, Milano, ISPI, 1940. Sur les activités de l’institution milanaise, voir. A. Montenegro, Politica estera e organizzazione del consenso. Note sull’Istituto per gli studi di politica internazionale, 1933-1943, « Studi storici », XIX, 1978, pp. 777-817 et E. Decleva, Politica estera, storia, propaganda : l’ISPI di Milano e la Francia (1934-1943), « Storia contemporanea », XIII, n. 4-5, luglio-ottobre 1982, pp. 697-757. 17. Voir le livre d’A. Solmi, Italia e Francia nei problemi attuali della politica europea, Milano, Treves, 1931 et son recueil Discorsi sulla storia d’Italia, con una introduzione, una appendice e note illustrative, Milano, La Nuova Italia, 1941. Cet historien du droit dirigera aussi l’« Archivio storico della Svizzera italiana » de 1926 à 1942. Cette dernière publication inspirera la création de l’« Archivio storico di Malta », dirigé de 1929 à 1934 par Benvenuto Cellini et puis de 1935 à 1942 par Francesco Ercole. Cf.aussi l’apologie de E. Rota, Arrigo Solmi nella sua opera di storico e di politico, Pavia, Treves, 1934. 18. E. Rota, Italia e Francia dinnanzi alla storia. Il mito della sorella latina, Milano, ISPI, 1939 ; Francia contro l’Italia dal Risorgimento ad oggi, Milano, Ispi, 1939 ; Il problema italiano dal 1700 al 1815. L’idea unitaria, Milano, ISPI, 1941 ; Problemi storici e orientamenti storiografici. Raccolta d’articoli, Como, Cavallero, 1942. 19. E. Rota, Le origini del Risorgimento (1700-1800), Milano, Vallardi, 1938 ; Pasquale Paoli, Torino, Utet, 1941, spec. p. 147 e p. 194. 20. Par exemple V. Gayda, Italia e Francia : problemi aperti, Roma, Tip. del Giornale d’Italia, 1939, et Che cosa vuole l’Italia ?, Roma,Tip. del Giornale d’Italia, 1940. 21. L. Ravenna, Pasquale Paoli, con prefazione di N. Rodolico, Firenze, Le Monnier, 1928 (compte rendu de E. Sestan, in « Leonardo », IV, 1928, pp. 271-272) ; G. Rovida, Pasquale Paoli, Milano, Zucchi, 1940 ; F. Lancisa, Pasquale Paoli e le guerre d’indipendenza della Corsica, Milano, Vallardi, 1941 ; E. Rota, Pasquale Paoli, Torino, Utet, 1941. 22. Milano, Bocca, 1939 ; IIe éd., Ibid., 1941. 23. Napoli, Studio di propaganda editoriale, 1941. 24. U. Biscottini, L’isola persa, Livorno, Giusti, 1930. 25. Citons, entre autres, L’italianità della Corsica, Livorno, Giusti, 1931 ; La conquista francese della Corsica. Da un giornale dell’epoca, a cura di F. Guerri, Livorno, Giusti, 1932 ; P. Monelli, In Corsica, Milano, Garzanti, 1939 ; A. Pasqualini, Il martirio della Corsica, isola italiana, Firenze, Vallecchi, 1939. 26. Lire à ce propos F. Guerri, Gli anni e le opere dell’Irredentismo corso. Ricordi nell’ora della redenzione, Livorno, Officine poligrafiche italiane, 1941.

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27. Les articles d’arguments corses de ce journaliste ont été réunis dans le volume : G. Ansaldo, Corsica l’isola persa, Genova, De Ferrari, 1999. Dans ce recueil se trouvent des véritables perles, comme celle qu’on peut voir à la p. 182 : « La parola malgoverno genovese non regge, ha le sue radici nella razza e nel sangue ». 28. B. Brunelli, Corsi contro Francesi nei dispacci dei consoli veneti, Milano, ISPI, 1941. 29. Lire à ce propos pour d’autres d’informations : R. De Felice, Mussolini il Duce. Lo Stato totalitario, 1936-1940, Torino, Einaudi, 1996. Le marquis Blasco Lanza d’Ajeta était en charge, à Rome, du suivi de la politique fasciste en Corse. Sa biographie est encore à écrire. 30. Voir les Documents diplomatiques français, 1932-1939, 2e série, tome XIII, Paris, Imprimerie Nationale, 1979, n. 354, p. 635 ; tome XIV, 1980, n. 130, p. 229 ; tome XVII, 1984, n. 329, p. 542 ; tome XVIII, 1985, n. 380, p. 453. 31. G. Volpe, Storia della Corsica italiana, Milano, ISPI, 1939. Récemment S. Tomassini, Gli studi sulla Corsica in « Annali della Fondazione Ugo Spirito », op.cit., pp. 755-87, a proposé une nouvelle lecture des écrits de Volpe sur la Corse. Les réticences à l’égard de certaines de ses prises de position sont nombreuses ainsi que de la conclusione, où on lit : Volpe « al di là di qualsiasi illusione, oggi e da tempo ormai davvero impossibile, ci ha insegnato almeno due cose : la prima, generale, che le nazion i hanno vita come di person e, possono cresc ere e ridursi, possono morire e a volte perfino nascere eo c redere di esser nate – che è poi la stessa cosa-, la seconda, specifica per la Corsica, che i francesi posson o tranquillamente riconoscersi il ‘diritto di non essere indifferenti’« . 32. Roma, Istituto dell’Enciclopedia italiana, 1940, I, pp. 650-656. 33. L. Del Piano, Gioacchino Volpe e la Corsica ed altri saggi, Cagliari, Cuec, 1987. 34. Gianfranchi, Le fascisme contre Paoli, « Fascisme et Italie. Bimensuel français de ‘Giustizia e Libertà’« , V, n. 48, 9 décembre 1938, p. 4. Il y a deux traductions italiennes de ce texte, la première in F. Venturi, La lotta per la libertà. Scritti politici. Saggi introduttivi di V. Foa e A. Galante Garrone. A cura di L. Casalino, Torino, Einaudi, 1996, pp. 127-134, et la deuxième in F. Venturi, Pagine repubblicane. A cura di M. Albertone e con un saggio introduttivo di B. Baczko, Torino, Einaudi, 2004, pp. 217-222. Dans le bimensuel du 16 décembre est annoncé une conférence de Venturi à Strasbourg sur le thème « Paoli, la Corse et le fascisme ». 35. Lire l’article de G. Volpe, Pontenuovo, « La Tribuna », 11 maggio 1923. 36. Voir à ce propos son dernier texte à propos de la Corse : G. Volpe, Il nazionalismo tra le due guerre, « Il Veltro », VIII, n.3, giugno 1964, pp. 481-504. A propos de l’historiographie de Volpe, cf. G. di Giovanni, Il realismo storico di Gioacchino Volpe, Roma, Semerano, 1964 et les articles réunis de AA.VV. par R. Bonuglia in Gioacchino Volpe tra passato e presente, Roma, Aracne Editrice, 2007 et les livres cités plus haut. 37. Cf. G. Volpe, Lettere dall’Italia perduta, a cura di G. Belardelli, Palermo, Sellerio, 2006 et les analyses de G. Sasso, Guerra civile e storiografia, « La cultura », XLIII, 2005, n. 1, pp. 5-25 ; G. Santomassimo, Dopoguerra storiografico e astratti furori, « Passato e Presente », n. 64, gennaio-aprile 2005, pp. 157-167 ainsi que de P. G. Zunino, Il « fascismo degli idealisti ». Alla caduta del regime : Gioacchino Volpe e le radici della politica estera fascista, « Annali della Fondazione Luigi Einaudi », XL, 2006, pp. 3-41. Eugenio Di Rienzo vient de publier une biographie exhaustive de Volpe fort bien documentée. A propos des dernières années de la vie Volpe, voir la IVe partie de ce livre La storia e l’azione. Vita di Gioacchino Volpe, Firenze, Le Lettere, 2008, intitulée « Straniero in Patria ». Sur le la genèsi du nationalisme de Volpe lire du même Di Rienzo, Ancora su liberalismo, liberismo e fascismo. I gruppi nazionali liberali nel 1919, « L’Acropoli », VII, n. 4, luglio 2006, pp. 434-462, texte repris avec des changements mineurs dans la biographie citée. 38. G. Magli. Le truppe italiane in Corsica prima e dopo l’armistizio del 1943, Lecce, Tipografia della Scuola A.U.C., 1950. 39. R.H. Rainero, Mussolini e Petain. Storia dei rapporti tra l’Italia e la Francia di Vichy (10 giugno 1940-8 settembre 1943). Stato maggiore dell’Esercito. Ufficio storico, Roma, Marzorati, 1990, 2 vols. et M.

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Borgogni, Mussolini e la Francia di Vichy. Dalla dichiarazione di guerra al fallimento del riavvicinamento italo-francese (giugno 1940-aprile 1942), Siena, Nuova Immagine, 1991. 40. Lire à ce propos A. Giglioli, Il fascismo e la questione dell’Irredentismo corso, « Nuova Antologia », fasc. 2212, ottobre-dicembre 1999, pp. 331-357. 41. V. Vitale, Breviario della storia di Genova. Lineamenti storici ed orientamenti bibliografici, Genova, Società ligure di storia patria, 1955, pp. 365-416, mais également G. Giacchero, Storia economica del Settecento genovese, Genova, Apuania, 1951 ; Economia e società del Settecento genovese, Genova, Sagep, 1973 ; Seicento e le compere di San Giorgio, Genova, Sagep, 1979. 42. C. Baudi di Vesme, La politica mediterranea inglese nelle relazioni degli inviati italiani a Londra durante la cosidetta « Guerra di successione d’Austria », 1741-1748, Torino, Gheroni, 1952. 43. A. Ostoja, Genova nel 1746 : Una mediazione milanese nelle trattative austro-genovesi, Bologna, Palmaverde, 1954. 44. E. Sestan, Sardegna e Corsica e Nazione italiana, in Europa settecentesca ed altri saggi, Milano, Ricciardi, 1951, pp. 243-263. Dans Scritti vari. III. Storiografia dell’Otto e Novecento, a cura di G. Pinto, Firenze, Le Lettere, 1991, pp. 355-360, Sestan affirme que l’historiographie de Volpe est fondée su « nessi impensati fra motivi apparentemente affini, immersi e fusi in un fluido omogeneo ». 45. E. Sestan, op. cit., pp. 256-257 : « …Pasquale Paoli, per quanto con la volubile ambiguità inerente al termine potesse parlare di nazione corsa, non mirò à formare una nazione corsa, non almeno nell’accezione moderna del termine, ma a formare uno stato corso , riconosciuto e garantito nella sua indipendenza dalle grandi potenze europee ; e precisamente uno stato corso che si aggiungesse, indipendente, su un medesimo piano, agli altri stati italiani indipendenti, non uno stato corso che si ponesse fuori dell’orbita della comune nazione morale e culturale italiana, non una nazione equidistante dalla nazione italiana, e dalla nazione francese e dalle altre nazioni. Il pnsiero indipendentista, non nazionalista corso del Paoli riecheggia ancora... ». Une vision plus lisse est celle de F. Valsecchi, L’Italia del Settecento, Milano, Mondadori, 1971, pp. 191-200. 46. F. Venturi, Pasquale Paoli, in Illuministi italiani. Tomo VII. Riformatori delle antiche repubbliche, dei ducati, dello Stato pontificio e delle isole, a cura di G.Giarrizzo, G. Torcellan e F. Venturi, Milano- Napoli, Riccardo Ricciardi, 1965, pp. 719-784 ; Genova a metà del Settecento, « Rivista storica Italiana », LXXIX, fasc.4, dicembre 1967, pp. 1129-1143 ; L’Italia fuori d’Italia, in Storia d’Italia. Volume terzo. Dal primo Settecento all’Unità, Torino, Einaudi, 1973, pp. 1049-1052 ; Pasquale Paoli e la rivoluzione di Corsica, « Rivista storica italiana », LXXXVI, fasc. 1, marzo 1974, pp. 5-81 ; Il dibattito francese e britannico sullarivoluzione di Corsica, Ibid., fasc.4, dicembre 1974, pp. 643-719 ; Il dibattito in Italia sulla rivoluzione di Corsica, Ibid., LXXXVIII, fasc.1, marzo 1976, pp. 40-89 ; Pasquale Paoli in Olanda, in Hommages à Fernand Ettori, « Etudes corses », X, 1982, nn. 18-19, pp. 191-200 ; Patria e libertà : la rivoluzione di Corsica, in Settecento riformatore.V.L’Italia dei Lumi (1764-1700). Tomo primo. La rivoluzione di Corsica. Le grandi carestie degli anni sessanta. La Lombardia delle riforme, Torino, Einaudi, 1987, pp. 3-220 47. En ce sens aussi L. Guerci, Gli studi venturiani sull’Italia del ‘700 : dal « Vasco » agli illuministi, in Il coraggio della Ragione. Franco Venturi in tellettuale e storico cosmopolita, a cura di L. Guerci e G. Ricuperati, Torino, Fondazione Luigi Einaudi, 1998, pp. 203-241. 48. Voir à ce propos E. Tartarolo, La rivolta e le riforme. Appunti per una biografia intellettuale di Franco Venturi (1914-1994), « Studi Settecenteschi », 15, 1995, pp. 9-42 et également R. Pasta, Franco Venturi e le antiche repubbliche italiane, in Il repubblicanesimo moderno. L’idea di repubblica nella riflessione di Franco Venturi, a cura di M. Albertone, Napoli, Bibliopolis, 2006, pp. 379-406 ; G. Cambiano, L’illuminismo di Franco Venturi, Ibid., pp. 125-127 et B. Baczko, Curiosité historique et passions républicaines, Ibid., pp. 217-247 ; G. Imbruglia, Illuminismo e storicismo nella storiografia italiana, Napoli, Bibliopolis, 2003, pp. 257-393 et pp. 341-478 ; D. Grippa, Il percorso di un’intransigenza : Franco Venturi e gli scritti del 1945-1946, « Annali della Fondazione Luigi Einaudi », XXXVII, 2003, pp. 447-495.

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49. Sur cette question voir D. Carrington, L’ordinamento costituzionale della Corsica durante il regime di Pasquale Paoli, « Critica storica ». XI, n.s., n. 4, dicembre 1974, pp. 594-622. 50. Lire à ce propos C. Vivanti, Lettere di Pasquale Paoli dall’Inghilterra, « Rivista storica italiana », LXXI, fasc. I, aprile 1950, pp. 88-118. Sur la base des 13 lettres à Giambattista Gherardo d’Arco, Vivanti avance l’hypothèse que la pensée politique de Paoli est plus proche du libéralisme modéré que du républicanisme. 51. Malgré les interventions des supporteurs de la Corse et leurs efforts pour convaincre le gouvernement de Sa Majesté des avantages commerciaux à tirer d’une présence sur l’île, les autorités anglaises furent inébranlables. Voir à ce propos M. Ambrosoli, John Symonds. Agricoltura e politica in Corsica e in Italia (1765-1770), Torino, Fondazione Luigi Einaudi, 1974, pp. 37-59. 52. Quelques années auparavant ce chantier avait été ouvert par C. Bordini, Note sulla fortuna di Pasquale Paoli nel Settecento italiano, « Rassegna storica del Risorgimento », 60, 1973, fasc. 4, pp. 522-543, article puis repris dans le livre du même Rivoluzione corsa e illuminismo italiano, Roma, Bulzoni, 1979. Cet auteur est de l’avis que les réformateurs lombards ont défendu le droit des Corses à se rebeller contre le despotisme de la Dominante mais qu’ils ne croyaient pas que les luttes de Paoli constituaient une expérience exemplaire. C’est en Toscane que les Corses ont trouvé des alliés et des appuis plus sûrs. Le pape Clément XIII était indifférent aux conflits opposant les Génois aux Corses car pour lui la défense des droits de l’Eglise contre l’élargissement du pouvoir juridictionnel des Etats primait sur tout. A Naples, le ministre Bernardo Tanucci regardait aux événements corses avec méfiance. Sur un certain nombre de points les interprétations de Bordin se veulent plus détachées et froides que celles de Venturi. Sur la politique de Clement XIII, pape de 1758 à 1769, défenseur des Jésuites et contempteur de l’esprit philosophique, lire F. Fonzi, Le relazioni fra Genova e Roma al tempo di Clemente XIII, « Annuario dell’Istituto storico italiano per l’età moderna e contemporanea », vol. VIII, 1957. pp. 7-196. 53. Sur ce réformateur piémontais il faut consulter également le livre de F. Venturi, Dalmazzo Francesco Vasco (1732-1794), Paris, Droz, 1940 et les références à Paoli se trouvent in D.F. Vasco, Opere, a cura di S. Rota Ghibaudi, Torino, Fondazione Luigi Einaudi, 1966, passim. 54. Voir leurs échanges à propos de la Constitution in Rousseau et la Corsica nel carteggio di Pasquale Paoli & M. Buttafuoco, a cura di G. Deroyer et G. Rais, Cagliari, Edizioni 3T, 1978. 55. B.Brunelli Bonetti, Teodoro re di Corsica,in Miscellanea in onore di Roberto Cessi, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1958, II, pp. 453-467. 56. H. Benedikt, La lotta di liberazione dei Corsi secondo le relazioni delle Legazioni austriache e lettere inedite di Pasquale Paoli, in Miscellanea in onore di Roberto Cessi, cit., II, pp. 435-46. 57. E. Dardani, La Corsica nel carteggio du Tillot-d’Argental dell’Archivio di Stato Parmense, in « Studi e ricerche della Facoltà di economia e commercio dell’Università degli Studi di Parma », 14, 1978, pp. 435-451. 58. Voir à ce propos A. Ceccarelli, Dieci anni di studi sull’antico regime genovese (1528-1797), « Rivista storica italiana », CXIX, fasc.II, agosto 2007, pp. 727-777 ainsi que C. Bitossi, Il governo dei magnifici. Patriziato e politica a Genova fra Cinque e Seicento, Genova, Ecig, 1990 ; « La repubblica è vecchia ». Patriziato e governo a Genova nel secondo Settecento, Roma, Istituto storico italiano per l’età moderna e contemporanea, 1995 ; Oligarchi. Otto studi sul ceto dirigente della Repubblica di Genova (XVI-XVII secolo), Genova, Dipartimento di storia moderna e contemporanea, 1995 ; L’antico regime genovese, 1576-1797, in Storia di Genova, a cura di D. Puncuh, Genova, Società ligure di storia patria, 2003, pp. 301-509. 59. F. Barra, La Corsica e il Mezzogiorno d’Italia tra Settecento borbonico e decennio napoleonico (1734-1815), in Corsica. Isola problema tra Europa e Mediterraneo, a cura di A. Aversano, Napoli, ESI, 1998, pp. 25-44. 60. La nascita di un mito : Pasquale Paoli tra ‘700 e ‘800, a cura di M. Cini, Pisa, BFS, 1998 ; M. Cini, Le dialogues des élites. Salvatore Vitale-Giovan Pietro Viesseux : Correspondance (1829-1847), Ajaccio, Albiana, 1999 ; M. Cini, Gli esuli italiani in Corsica. 1815-1860, in Storia, letteratura, linguistica, a cura di

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A. Bocchi e M. Cini, Pisa, Domus Mazziniana, 2000 ; M. Cini, Storia nazionale e costruzione identitaria : le « novelle storiche » corse, in « Etudes Corses », n. 55, décembre 2002, pp. 107-125 ; M. Cini, Une île entre Paris et Florence : culture et politique de l’élite corse dans la première moitié du XIXe siècle, Ajaccio, Albiana, 2003. Sur la question de l’identité la bibliographie est considérable. Ici il suffit de renvoyer à G. Bollati, L’Italiano. Il carattere nazionale come storia e come invenzione, Torino, Einaudi, 1983 et à A. Volpi, Appunti sulla storia d’Italia nella cultura europea dell’Ottocento, in « Etudes corses », n. 55, décembre 2002, pp. 23-46. 61. A. Giglioli, Italia e Francia 1936-1939. Irredentismo e ultranazionalismo nella politica estera di Mussolini, Roma, Jouvence,2001. 62. Op. cit., p. 635 : « Il caso corso è ancora una volta esemplare. In Corsica, infatti, l’azione irredentistica si svolse principalmente tramite agenti e elementi fiduciari locali, i quali si rivelarono ben presto interessati più alla possibilità d’estorcere denaro dalle borse del governo fascista, che a sostenere la causa dell’italianità dell’isola. La stessa situazione, […], caratterizzò l’affare dei sovvenzionamenti alle destre francesi, in particolare quelli a Doriot.[…] La proclamazione delle mire italiane sulla Corsica determinò infatti la reazione degli autonomisti e propagandisti corsi, molti dei quali ruppero con l’Italia, causando il fallimento del tentativo di creare un movimento autonomista autonomo. » 63. Op. cit., p. 637. 64. B. Baczko, La responsabilité morale de l’historien, « Diogène », n. 67, juillet-octobre 1969, pp. 61-70.

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L’éblouissement de Naples1

Giovanni Busino

1 A la mi-novembre de l’année 1955, deux Anglais, treize Italiens et deux Suisses nous retrouvâmes à Naples en tant que boursiers de l’Institut italien pour les études historiques. Logés dans des minuscules cellules, toutes contiguës, d’un pensionnat de l’Ordre de Malte situé dans le vieux quartier espagnol, nous formâmes assez vite une communauté de vie et de travail. Le récit des sept mois vécus ensemble, des matinées passées à travailler dans la Bibliothèque de Croce, des séminaires de l’après-midi dans le majestueux Palazzo Filomarino, des discussions poursuivies jusqu’aux heures les plus tardives, des concerts au Conservatoire de San Pietro a Maiella, des représentations aux théâtres San Carlo et San Ferdinando, des conférences à l’Institut français de culture et ailleurs, des excursions en fin de semaine, – ce récit a été rédigé par Renzo De Felice et Piero Melograni et se trouve dans le livre La scuola di Croce, paru à Bologne en 1992. Aux pages de ces deux éminents historiens ainsi qu’au témoignage (Studenti di Federico Chabod) que Melograni a publié en 2002 (dans Renzo De Felice. Studi e testimonianze, a cura di L. Goglia e R. Moro, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2002, pp. 101-108), je ne puis ajouter que quelques bribes de souvenirs personnels.

2 Tous nos collègues, à l’époque, étaient des adeptes du matérialisme historique, certains aussi des militants communistes. Pour eux l’engagement politique était le seul moyen pour accélérer le passage du royaume de la nécessité à celui de la liberté, pour favoriser l’éclosion d’une société meilleure de celle capitaliste. Nos premières discussions furent rudes, hérissés, agressives. Au moment de la présentation des projets de recherche personnels, les quatre boursiers non marxistes fûmes critiqués sèchement. Pour les collègues, nos recherches étaient une apologie de la classe dominante et en plus elles dissimulaient la défense du système capitaliste. L’excès de nos réactions déchaina des ripostes virulentes, apaisées seulement en partie par la sérénité et le calme de la réplique d’Alain Dufour. Celui-ci expliqua que pendant la guerre de 1559-1593 entre la Maison de Savoie et la Seigneurie de Genève les structures économiques ou géographiques, symboliques ou sociales avaient été importantes. Cependant leur rôle avait varié dans le temps et selon les conjonctures. La causalité protéiforme oblige, par conséquent, l’historien à faire des choix et à établir des hiérarchies, à prendre acte qu’à l’origine d’un conflit de 34 ans, il y a eu des individus capables d’affronter les

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pesanteurs, de créer dans le flux du monde d’infinies bifurcations, de maîtriser ou de contourner des initiatives imprévisibles et inopinées, de modifier, de proche en proche, le cours des choses, de faire, en somme, de la politique. L’histoire ne change jamais d’elle-même, elle n’est pas déterminée par des lois ou des structures, elle est l’œuvre d’hommes, de leurs idées-forces. 3 Le climat fortement idéologique pendant nos premières semaines napolitaines se décanta au fil des séminaires, des discussions et des rapports que nous établissions peu à peu entre nous. Les séminaires de Federico Chabod étaient, assurément, les moments forts de chaque semaine. Nous les suivions dans un silence absolu, subjugués par ses façons de décrire et d’argumenter, par la finesse et la complexité de ses analyses. Ses exposés, construits avec une maestria exemplaire, fondés sur une grande variété de documents, fournissaient en même temps l’état des questions et des interprétations. Chabod revenait régulièrement sur les questions de périodisation, de transition d’un type de société à un autre, sur le dilemme de la continuité ou de la rupture, sur la spécificité des contextes historiques. Il attachait beaucoup d’importance aux idéologies en tant que représentations ou reflets de la réalité économique et sociale, mais pour lui l’histoire véritable restait l’histoire politique. Sa conception du rôle de Maître lui empêchait d’établir des rapports familiers avec nous les disciples et pourtant il suivait de près la progression de nos travaux, valorisait, avec un doigté subtil, nos enthousiasmes et ambitions, s’intéressait à notre confort matériel, à nos soucis personnels. Pour lui toutes les occasions étaient bonnes pour nous rappeler, avec sa voix suave de baryton, que le travail du chercheur est harassant, qu’il faut le pratiquer avec rigueur, humilité et désintéressement, qu’il est impératif de se méfier des philosophies de l’histoire et de la politisation du travail historiographique. Il soulignait les bienfaits d’une historiographie désenchantée, non militante, éclectique, empirique, narrative, un peu moins dramatique de l’histoire éthico-politique de Benedetto Croce et totalement différente de celle partisane d’Antonio Gramsci. 4 A la fin de chaque séminaire, les discussions s’enflammaient, les suggestions fusaient et les doutes sur nos certitudes d’autrefois jaillissaient. Giovanni Pugliese Carratelli et Alfredo Parente nous introduisaient de la façon la plus classique à l’étude des paradigmes canoniques et aux recherches en train de s’élaborer en histoire ancienne et en histoire de la philosophie. Les débats qu’ils suscitaient étaient nourris mais sans plus. Par contre les séminaires de Rosario Romeo troublaient les idées reçues et excellaient dans l’éreintement des paradigmes historiographiques les mieux établis, notamment ceux des « Annales », de « Past and Present » et des différents courants du marxisme. Historien à l’érudition éblouissante, ce Sicilien, au verbe dru, au franc-parler volontiers provocateur et fréquemment intempestif, agaçait par ses sarcasmes et son scepticisme, mais il avait un don incomparable : faire entrevoir, soudainement, des perspectives insoupçonnables, des singularités aux causalités multiplicatives, des connexions compliquées entre des événements disparates. A partir d’exemples bien choisis, il traitait du problème de la vérité, de l’utilité et de l’objectivité dans une discipline, l’histoire, vouée à reconstruire, sans moyens de vérification et d’expérimentation, un passé disparu à jamais et en plus à le reconstruire sur la base des questionnements et des savoirs d’aujourd’hui. Selon Romeo, pour confectionner le tissu historique toujours changeant et neuf, les lois et les causalités ne sont d’aucun secours. Pour comprendre le monde dans lequel nous vivons il faut synthétiser la pensée et l’action. L’histoire est toujours contemporaine, elle est intelligible lorsque « l’homme la lit et la revit en fonction de ses problèmes et de ses expériences propres », lorsque

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l’historien arrive à mettre en évidence les « raisons intérieures, en tant qu’effort spirituel » des acteurs historiques. 5 La crise du stalinisme, les quelques transformations dans les pays du socialisme réel, les débuts de la laïcisation du marxisme européen rendirent nos discussions, en cet hiver et en ce printemps napolitains très froids, plus sereines et constructives. Désormais nous étions convaincus que l’Etat, l’activité économique, la force, les classes sociales, la culture, la religion étaient les manifestations d’une même vie humaine et de son évolution aléatoire dans le temps. 6 Le premier livre d’Alain Dufour, paru en 1958, est le reflet personnel de nos discussions napolitaines. En effet, pour identifier les « idées-forces » et « l’esprit » ayant animés les hommes pendant la guerre de 1589-1593, l’auteur y montre qu’aux fondements de la vie sociale genevoise il y avait l’éthique calviniste, que « le calvinisme développait chez ses adeptes une combattivité exceptionnelle », « une piété combative, nourrie d’Ancien Testament », laquelle « engendrait en chaque Genevois un intense orgueil de l’indépendance de la cité ». La doctrine éthico-politique de ces puritains genevois est décrite ainsi : « Genève repoussa donc la tentation d’une paix compromettante avec le duc de Savoie, et celle aussi d’une harmonie avec le pays environnant. Elle resta donc seule, mais libre ». Pour l’historien Dufour, par conséquent, il n’y a pas de dernière instance, de déterminismes économiques, géographiques, sociaux, d’antagonismes primordiaux entre la ville et la campagne, au sein du monde humain signifiant. 7 Tous les écrits d’Alain Dufour successifs à notre retour de Naples (certains sont réunis dans son livre Histoire politique et psychologie historique, paru en 1966) visent à démontrer (je cite) « comment les idées politiques » s’imposent « à des vastes ensembles humaines » et puis se traduisent « en actions collectives ». Parallèlement à ses travaux d’historien, Alain Dufour a traduit en français L’historisme de Carlo Antoni, la Théorie et histoire de l’historiographie (1968), révisées les traductions de Galéas Caracciolo, marquis de Vico (1965) et de l’Histoire comme pensée et comme action (1968), trois livres de Benedetto Croce. Notre Ami est aussi à l’origine de la publication d’un recueil d’articles de Federico Chabod, De Machiavel à Croce, paru en 1970, et de tant d’autres excellents livres, comme par exemple ceux de Valiani, de Venturi et de Torcellan. J’ajoute que tous les chercheurs ont trouvé en l’historien érudit et en l’éditeur, en l’humaniste Alain Dufour des soutiens généreux, des aides fraternelles. Faut-il ajouter que sa discrétion et sa générosité suscitaient déjà la stupéfaction de tous quand, à l’occasion de nos sorties napolitaines du week-end, les cafés et les pizzas étaient mystérieusement payés ? 8 Permettez-moi d’ajouter que si la « Revue européenne des sciences sociales » pourra fêter, en 2013, son cinquantième anniversaire, elle le doit à celui qui en a favorisé la naissance, en 1963, et assuré son indépendance et sa liberté. Alain Dufour nous a aidés toujours généreusement, il n’a jamais fait peser sur le responsable de la rédaction les questions découlant de la crise économique et la lente diminution du nombre des abonnés individuels. Sans son soutien la « RESS » n’aurait jamais vu le jour, j’en suis certain, mais surtout elle n’aurait pas pu survivre pendant toutes ces années où la publication des périodiques scientifiques a été possible grâce aux financements et aux parrainages des sociétés savantes et des universités. Alain m’a permis de « fabriquer et publier » la « RESS », d’en faire la revue libre et indépendante appréciée par tant de chercheurs. Je le remercie de tout mon cœur et lui exprime publiquement ma gratitude et aussi mes sentiments fideles et affectueux.

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9 L’expérience acquise à l’Institut Croce est assurément à la base de ce que nous sommes actuellement et de ce que nous avons fait en ce demi-siècle. Pour beaucoup d’entre nous, cette expérience reste, en plus, éblouissante et mémorable car le séjour à Naples nous a fait connaître des historiens de talent, des chercheurs infatigables, à l’érudition solide, et aussi l’ami, Alain, dont le charme, la gentillesse, la courtoisie, la disponibilité envers tous continuent à nous enchanter.

NOTES

1. Discours lu à l’occasion du 80 e anniversaire d’Alain Dufour, le 12 juillet 2008, au cours de l’« Amabilissima Laudatio ad A’D’« , organisée par la Société du Musée historique de la Réformation, la Société académique de Genève et la Librairie Droz. La bibliographie des travaux d’Alain Dufour se trouve in Mythes et réalités du XVI e siècle. Foi, Idées, Images. Etudes en l’honneur d’Alain Dufour, éditées par B. Lescaze et M. Turchetti, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2008, pp. 229-239.

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Note di storia economica e storia delle dottrine economiche A proposito d’una recente storia economica dell’Italia d’oggi1

Giovanni Busino

1 Pierluigi Ciocca, già vicedirettore generale della Banca d’Italia, e Gianni Toniolo, professore di storia economica nell’Università di Roma-Tor Vergata, direttori della gloriosa «Rivista di storia economica» fondata da Luigi Einaudi nel 1936, sono conosciuti ed apprezzati per i loro numerosi lavori con i quali hanno aperto prospettive promettenti alle ricerche di storia economica italiana. È da parecchi anni che questi due studiosi collaborano intensamente. Basti qui ricordare, a titolo d’esempio, i loro contributi alla «Collana storica della Banca d’Italia» e tanti altri ottimi lavori sullo sviluppo economico italiano dal 1861 al 1940 o ancora quelli, più specifici, sull’economia italiana nel periodo fascista.

2 Con i volumi dell’opera che propongono adesso, Ciocca e Toniolo mirano ad esporci i meccanismi della crescita economica (tassi d’investimento, domanda pubblica e privata, adeguazione della produzione ai vantaggi comparativi), ed a spiegare, ricercandone i fattori strutturali nei secoli passati, le ragioni dei successi, dei fallimenti e dei ristagni dello sviluppo economico dell’Italia moderna. 3 L’opera, d’eccellente qualità anche didattica, sorprende inoltre per la chiarezza e l’asciuttezza della scrittura, per l’ampiezza delle referenze bibliografiche e per l’accuratezza degli indici2. Tutti i contributi contenuti in questi volumi tentanto di dare una risposta ad interrogativi quali: perché una crescita tanto rapida (il «miracolo economico») dopo la fine della seconda guerra mondiale? perché a tutt’oggi tanti problemi restano irrisolti? perché l’Italia non arriva più a progredire, dalla fine dell’era antica e di nuovo dall’inizio di quella moderna? perché lo sviluppo economico dal 1800 in poi è stato lento? perché l’economista deve ricorrere a materiali storici rappresentanti l’unicità e la peculiarità degli accadimenti? 4 Ovviamente queste domande presuppongono la preventiva soluzione di numerosi problemi epistemologici e metodologici. La maniera secondo cui essi sono stati impostati e risolti possiamo indirettamente inferirlaanche dagli altri lavori dello stesso

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Ciocca, per esempio da Il progresso economico dell’Italia: permanenze, discontinuità, limiti 3, da L’economia mondiale del Novecento. Una sintesi, un dibattito4 o dalla recente raccolta di saggi intitolata Il tempo dell’economia. Strutture, fatti, interpreti del Novecento 5. In questi lavori la genesi delle potenzialità, dell’instabilità e delle «perversità» del capitalismo moderno è localizzalita nel primo Ottocento mentre l’irrobustirsi della dimensione economica del sociale lungo tutto il Novecento, secolo caratterizzato dall’inflazione e dalla deflazione dei prezzi, da recessioni e disoccupazioni, da crolli di banche e borse, da impetuosi conflitti politici. Poiché l’economia condiziona la vita quotidiana degli uomini, la loro sopravvivenza dipende dalla permanenza delle strutture economiche, cioé dalla moneta, dal risparmio, dalle istituzioni giuridiche, dalle crisi, dalla produzione e dalla distribuzione della ricchezza. Donde la necessità di conoscerne le genesi, l’evoluzioni ed i processi di riproduzione. In Italia questa permanenza è stata assicurata anche da un’economia intermedia, da idee e da azioni degli analisti e degli attori operanti nel mercato o attivi nella determinazione della politica economica. 5 Da molti anni Ciocca, economista di formazione e di professione, sa per esperienza diretta che l’economia pretende passare, grazie alla politica economica, dalla teoria alla pratica, che s’avvale di sofisticati modelli matematici, di formalismi complessi ma nello stesso tempo deve accontentarsi di materiali empirici instabili ed insicuri, come le cosiddette variazioni marginali dei prezzi del consumo e della disoccupazione, d’approcci suggeriti dal senso comune, d’analisi divergenti dello stesso fenomeno. Incerti sono il tipo di sapere elaborato dal discorso economico e se questo discorso costituisce la «conoscenza» della realtà economica. Le cosiddette «uniformità» o «leggi» economiche non sono verificabili se non in periodi determinati ed in condizioni quasi costantemente irripetibili. In più esse variano a seconda delle circostanze e delle congiunture. L’obsolescenza della curva di Laffer o di quella di Phillips o anche delle politiche conformantisi alla teoria keynesiana, è provocata dal cambiamento del comportamento degli agenti economici, ossia da fattori storici che rendono l’elaborazione di «leggi universali» assai aleatoria. Perciò taluni economisti continuano ad interrogarsi sul ruolo della storia nelle loro elaborazioni teoriche e tentano di chiarire in che maniera i fatti economici del passato potrebbero aiutare ad elucidare i meccanismi della crescita, della distribuzione del reddito, delle fluttuazioni monetarie o ancora della stabilità dei sistemi economici. 6 L’esperienza insegna che persino i modelli econometrici prevedono ben poco (non hanno previsto, per esempio, la recessione del 1993 né il boom del 1988 dopo il krach finanziario della fine del 1987), che in generale la validità delle previsioni economiche è malferma, che i modelli con i quali le si ottengono sono inaffidabili perché cagionevoli. Il che obbliga a distinguere nel discorso economico ciò che rileva della coerenza logica (il ragionamento) e ciò che rileva della rappresentazione con la teoria (le ipotesi) del reale. La scienza economica è una rappresentazione della realtà, non è la realtà. 7 Al fine di chiarire queste problematiche Ciocca si propone d’accertare in che maniera i materiali storici ed i contesti storico-sociali condizionino o influiscano sulle costruzioni teoriche e non teoriche degli economisti rappresentativi dei tempi passati e presenti, da François Quesnay a Luigi Pasinetti. E tenta di farlo mediante una ricerca alla quale hanno collaborato una dozzina di studiosi noti per l’interesse manifestato alla storia delle idee e dei fatti economici e per essere degli avvertiti conoscitori dell’opera dell’economista che gli è stato affidato6.

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8 I lavori di storia delle dottrine economiche sono innumerevoli7, ben noti gli apporti della teoria economica alla storia economica8, invece scarsi gli studi sul nesso della storia colla teoria, sul ruolo dei fatti e degli accadimenti storici nelle teorie degli economisti. 9 Il volume che raccoglie i risultati della ricerca diretta dal Ciocca, introdotti da un suo succoso, informato ed erudito saggio intitolato «Clio, nella teoria economica» (pp.9-49), è prezioso perché apre un nuovo cantiere di lavoro e indica i sentieri da percorrere per arrivare ad approfondire i rapporti tra l’economia, la documentazione storica e la storiografia in generale; perché contiene, inoltre, delle osservazioni molto acute sulla fragilità del formalismo dei modelli economici, sulla futilità dei «fatti» ridotti ad indicatori e poi ad indici per la verifica delle ipotesi, per la stima dei parametri, per l’accertamento e la verifica delle variabili indipendenti e dipendenti, per lo stabilimento non già dei legami intrinseci tra l’antecedente ed il conseguente ma piuttosto delle successioni regolari, delle regolarità relative, delle consecuzioni apparenti. 10 Si sa che Ciocca è un fervente partigiano del riavvicinamento tra la teoria dell’economia politica, la storia e le altre scienze dell’uomo e della società. È notorio che questo studioso è convinto che queste discipline, artificiosamente separate, costituiscono «in realtà un’unica disciplina».«Teoria e storia dell’economia sono scienze non sperimentali. Devono sottrarsi alla fictio di assimilarsi alla fisica. Usano entrambe l’arte della comunicazione e della persuasione secondo regole. Storici economici ed economisti sono, gli uni e gli altri, cacciatori e narratori di storie plausibili. […] teoria e storia dell’economia sono rivolte alle motivazioni, alle decisioni, degli uomini, alle conseguenze che esse hanno per la società. L’una e l’altra hanno quale primario oggetto la ricerca delle cause, prossime e profonde, di quelle decisioni e conseguenze.» (pp. 48-49). 11 Una tale presa di posizione è condivisibile a condizione che si precisi cosa bisogna intendere per «storia» e per modalità specifiche delle logiche argomentative utilizzate o utilizzabili. 12 Se la conoscenza del passato non è né il riflesso d’una realtà o del reale, ma solo una ricostruzione fondata su una scelta selettiva e parziale, in che maniera stabilire un minimo di connessioni tra gli avvenimenti affinché il racconto sia significativo? È possibile spiegare un avvenimento unico e singolare mediante un suo antecedente costruito e scelto mediante una rappresentazione o un concetto? In mancanza di proposizioni generali da cui dedurre l’evento, bisogna ricorrere alle intenzioni, agli obbiettivi, alla soggettività degli agenti e trasporne poi in rappresentazioni l’esperienza vissuta? Qual è il rapporto tra colui che racconta e comprende e colui che è oggetto del racconto e della comprensione? Se qualsiasi racconto comporta un minimo di spiegazioni e d’interpretazioni, cosa bisogna intendere per cause? A quale uditorio ci si rivolge e secondo quali regole lo si fa? 13 Sin dai tempi di Cournot (vedi il capitolo 20 del suo Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, uscito nel 1851), siamo abituati a fare una netta distinzione tra le discipline teoriche e le discipline storiche, tra le necessità naturali, le regolarità empiriche e le necessità logiche. Un antecedente (preso tra tanti altri) non è una causae appunto perciò una consecuzione supposta regolare può non essere necessaria. L’opera di Pareto, anche da questo punto di vista, resta significativa. Infatti, per questo economista-sociologo la storia è una successione

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d’eventi non collegati tra di loro, è ricostruzione e scelta tra un gran numero d’accadimenti. La «successione», ossia il ricorso agli antecedenti selezionati, fornisce la spiegazione. Rifiuta la distinzione tra cronaca e storia, tra il presente vivente ed il passato morto. Quando costruisce una teoria presuppone che gli agenti economici (banchieri. imprenditori, esperti, ecc.) abbiano delle conoscenze e dei saperi, tra cui anche quelli elaborati dagli economisti. Per conseguenza, la sua teoria è sempre storicamente determinata. Se critica la teoria walrasiana dell’equilibrio generale gli è perché questa postula essere il sapere dell’imprenditore analogo a quello dell’economista, perché confonde connessione razionale e connessione intelligibile. Secondo Pareto i saperi degli uni e degli altri si radicano in razionalità differenti, determinate dalla scelta dei mezzi adeguati alle congiunture considerate. Tutti i comportamenti sono analizzabili a condizione di distinguere due forme di razionalità, quella dell’azione e quella della spiegazione, d’ammettere l’esistenza di due differenti forme di logica, quella della dimostrazione e quella dell’argomentazione, di riconoscere che la verità non coincide coll’utilità, che una dottrina non-logica, non vera, può essere utile socialmente mentre un’altra, logica, vera, può essere nociva, dannosa per la società. La descrizione e la spiegazione sono realizzate mediante tipologie e modelli, cioé delle costruzioni concettuali, dei fatti sociali nelle loro diversità osservabili. La separazione e la differenza tra le scienze formali e sperimentali e le scienze storiche, tra le scienze cognitive e le scienze della perizia e dell’applicazione, tra la teoria e la pratica, sono nette e precise. Chi non riconosce questa distinzione tra la realtà e la conoscenza che ne abbiamo, è condannato, secondo Pareto, a produrre analisi statiche, formali, astratte, irreali9. 14 Anche Schumpeter difende una concezione quasi analoga allorché scrive che la dinamica del capitalismo implica il ricorso a forme diverse di razionalità e quando distingue la razionalità dell’osservatore dalla razionalità dell’osservato. Resta meno dubbioso però a proposito della questione circa l’esistenza o non d’una compatibilità tra la razionalità oggettiva dell’osservatore e la razionalità soggettiva dell’osservato, tra la razionalità dell’economista e quella dell’imprenditore, tra il sapere imparziale ed il sapere parziale, per utilizzare la terminologia smithiana. 15 Sia per Pareto che per Schumpeter la storia è conoscenza degli eventi, cioè di ciò che è successo di previsibile o d’imprevisibile, d’intenzionale o involontario, ad un momento dato e in un luogo determinato dello spazio. Il suo oggetto non è dato, non è diretto e dipende dalle interpretazioni delle fonti, dalle tracce ritrovate e ricostruite, dalle questioni che gli rivolgiamo in funzione della cultura e delle attese presenti. È la conoscenza d’un passato raccontato, è un insieme di proposizioni narrative che ricostruiscono ciò che è stato a partire di ciò che è o che crediamo essere. Gli eventi sono descritti e semplificati mediante un discorso intelligibile, fondato su legami di coesistenza e di successione, su consecuzioni ritenute regolari perché costruite con criteri e con norme accettabili dall’«uditorio universale»10. L’incerto realismo delle ipotesi, la molteplicità delle variabili enumerate, il collegare nozioni e concetti essenziali (produzione, capitale, investimenti, vantaggi comparati, moneta, ecc.) ma sprovvisti di definizioni precise, sottomettono la causalità dei fenomeni economici a incroci, a circolarità, alla mutua dipendenza. Appunto perciò l’economia non può prescindere dalle altre scienze sociali. 16 Gli articoli contenuti in quest’opera ci forniscono la messa in forma di materiali sovente originali, ma i loro autori non dubitano minimamente dell’importanza scientifica della

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causalità né della logica deduttiva, della storia come d’un deposito di dati per l’economista. 17 Il saggio di Stefano Fenoaltea (Lo sviluppo economico dell’Italia nel lungo periodo: riflessioni su tre fallimenti, I, pp 3-41) spiega perché il protezionismo agrario e la conseguente emigrazione di massa hanno impedito all’economia italiana, dall’Unità al primo ventennio del XX° secolo, d’eliminare «la sua inferiorità rispetto ai paesi europei più avanzati». Paolo Malanima (Risorse, popolazioni, redditi: 1300-1861, I, pp.43-118) riunisce e mette dell’ordine in una massa di dati disparati, costruisce delle serie aggregate (popolazione, urbanizzazione, prezzi, salari, rese, prodotto) ma non dice in che maniera i dati quantitativi sono stati scelti, omogeneizzati ed in seguito resi compatibili. 18 Per Umberto Cerroni (Dinamica politica e modernizzazione in Italia. Tendenze e discrasie prima dell’Unità, I, pp.119-158) i fallimenti e le stagnazionieconomici seguono il ciclo della politica. «Lamancata unificazione dell’Italia genera bensì policentrismo, creatività e pluralismo sul piano culturale, artistico, giuridico-istituzionale ma anche gravissime ristrettezze pratiche, dialettismo culturale, particolarismi infiniti, meschinità politiche, moralismi provinciali. […], la mancata formazione di una comunità organizzata in Stato moderno sembrava aver sradicato del tutto eticità, spirito di ricerca, ardimento imprenditoriale e passione civile. L’anello di congiunzione tra economia-politica-diritto – un ethos condiviso – che altrove fu costruito dal moderno Stato nazionale unitario, qui restò in frammento fino al 1861. Da allora stiamo faticosamente tentando di saldarlo.» 19 Piero Bevilacqua (La «Storia economica» e l’Economia, I, pp.159-196) osserva, da parte sua, con grande pertinenza, che il passato è sempre ripensato e riplasmato in funzione delle problematiche e delle questioni del presente ma anche della scoperta che le interpretazioni tramandateci riflettono sempre «la critica e la recriminazione dello stato presente e l’esortazione a emulare le realtà tecnico-produttive delle aree o dei paesi prossimi considerati come più avanzati.» Anche gli indicatori storici dello sviluppo, i modelli standard per renderne conto (quello ricardiano di crescita, quello dei vantaggi comparati, ecc.) sono divenuti obsolescenti perché non arrivano a prendere in conto il fatto che «le strutture agricole hanno continuato ad operare nel tempo, si sono trasmesse come capitale fisso e rinnovabile di generazione in generazione, hanno accresciuto la produzione della ricchezza e hanno finito col costituire una delle condizione della prosperità agricola dell’Italia contemporanea.» La trasformazione industriale dell’Italia «ha potuto contare su accumulazioni sotterranee di lungo periodo, che di solito non vengono inserite nella contabilità economica, e che tuttavia rappresentano le parti invisibili della ricchezza reale di una società» nonché su settori industriali minori che prendono in conto le mutazioni «del gusto dei consumatori, la configurazione della distribuzione commerciale, la dimensione e dislocazione territoriale delle imprese.» Insomma, l’economia italiana del passato era molto più diversificata di quanto i modelli esplicativi abbiano postulato, che il settore privato aveva una certa consistenza e che i rapporti tra le collettività pubbliche, le istituzioni finanziarie e le industrie maggiori avevano rapporti complessi benché complicati. Ricostruzione del passato in funzione esclusiva del presente? 20 Considerazioni aggiuntive si trovano nel saggio di John A. Davis (Mutamento di prospettiva sul cammino dell’Italia verso il XX secolo, I, pp.197-259), il quale, da orizzonti lontani e in una prospettiva caleidoscopica, suggerisce che il passato esiste in funzione delle conoscenze attuali e dei quesiti che i contemporanei si pongono per ridurre le

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incertezze e le alee dei sistemi d’azione. Davis sostiene che la cultura italiana attuale non resta più «prigioniera» della storia economica, scritta finora in maniera negativa, che gli attuali successi dell’economia spingono gli studiosi a riscriverla in modo positivo. Aggiunge che «pur riconoscendo la trasformazione dell’economia italiana», taluni ricercatori «sottolineano altresì la permanenza di ostacoli strutturali (in particolare il rapporto tra debito pubblico e Pil, gli alti tassi di disoccupazione e la caduta dei consumi interni in seguito all’austerità fiscale degli ultimi anni)», cioé il peso schiacciante del passato sul presente. Inoltre lo storico del Connecticut offre una rassegna critica del come gli stranieri hanno giudicato l’economia italiana, dai dibattiti sull’industrializzazione, sulla «rivoluzione mancata» a quelli sulla modernizzazione difficile della penisola. 21 Charles S. Maier (Conti e racconti: Interpretazioni della performance dell’economia italiana dal dopoguerra ad oggi, I, pp.261-296), senza compiacimento, con un guizzo d’ironia e con una buona padronanza dei dibattiti teorici dell’ultimo mezzo secolo e delle ricerche storiografiche, descrive ed analizza i principali modelli esplicativi alla base delle visioni della crescita economica della penisola (inadeguatezza della politica economica, eccessivo potere delle parti sociali, incompatibilità delle teorie economiche ispiranti, in momenti diversi, le politiche economiche, dualismo Nord-Sud, forme locali di fenomeni globali), «ostaggio di una società e di un sistema politico nei quali permangono rilevanti fattori di arretratezza». L’esame di questi diversi approcci spinge lo studioso di Harvard a dare, nonostante tutto, «un giudizio piuttosto positivo» e ad auspicare «una nuova storia – che interpreti l’economia italiana non tanto come una semplice vicenda nazionale, ma come un modello di trasformazione con valenza mondiale…». 22 Sfumature e precisioni sullo stesso argomento si trovano nel saggio di Luciano Cafagna (Contro tre pregiudizi sulla storia dello sviluppo economico italiano, I, pp.297-325). L’autore è cosciente della «dubbia attendibilità delle valutazioni e stime relative alla contabilità nazionale storica» fatte sulla base di rielaborazioni e di manipolazioni di rilevazioni grezze d’epoca, della complessità dei fenomeni economici «i cui effetti si prestano a valutazioni anche contrastanti, a seconda delle angolazioni teoriche e dei modelli interpretativi con cui vengono affrontati», e tuttavia giudica positivavemente tutte quelle ricerche che contribuiscono a distruggere il monismo di molti pregiudizi storiografici e teorici. Tra questi tre gli sembrano i più notevolmente ricorrenti. Il primo «è quello che postula una fase storica breve e concentrata nel tempo, unica e determinante, per quello sviluppo; un secondo porta a considerare come fonte sostanzialmente unica, dell’avvenuto sviluppo, […], l’azione dello Stato unitario. Una terza è quella che tende, in diverse varianti, ad attribuire all’unificazione politica italiana la formazione del divario economico fra Nord e Sud.» Dopo averli vagliati, Cafagna tratteggia le caratteristiche fondamentali della crescita economica in Italiacosì:«a) un dualismo territoriale originario e pressoché radicale, dei percorsi economici a lungo separati e indipendenti […], b) un ‘eclettismo’ effettivo di sorgenti impulsive (pubbliche e private), nonché c) un tempo lungo, trapuntato da un pluralismo di accelerazioni storiche seguite da crisi pressoché esistenziali.» Questa storia d’una industrializzazione «rischiata» postula però uno «statalismo» fuori mercato, non competitivo, l’immancabile salvataggio delle imprese «favorite» ed il ricorso, in certe circostanze, all’autoritarismo, al controllo o alla sorveglianza stretta dell’ ordine sociale. Giudizio, mi pare, più politico che storiografico.

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23 Le pagine di Giuseppe Galasso (Stato nazionale e democrazia latina: il modello italiano, I, pp. 327-400) delineano rapidamente le specificità e le particolarità della nostra storia nazionale, rivisitano le tappe fondamentali che hanno permesso la creazione dello Stato nazionale unitario. Certo, l’Italia è un «caso» difficile, ma non anomalo rispetto a quello delle altre Nazioni dell’Occidente europeo, giacché finora non ha dato luogo a divisioni, separazioni, disgregazioni. Persistono una varietà e specificità di storie delle nazioni europee. Quella italiana (di lingua, di cultura) precede la formazione dello Stato unitario accentratore, burocratico, inefficiente e si differenzia da quella degli altri paesi europei. L’esperienza risorgimentale, la politica giolittiana, le velleità fasciste di dare al paese un ruolo «di espansione e di potenza», le vicissitudini delle politiche da De Gasperi ad oggi, rivelano le difficoltà politiche, economiche e sociali, la sfasatura tra le élite e le masse popolari, punteggiano e nello stesso tempo dicono che i progressi sono numerosi, «sia in termini di civiltà industriale che in termini di sensibilità etico- politica». «Perché allora le tante riserve, autocritiche, insoddisfazioni, denunce, negazioni, proteste, contestazioni di ogni genere degli italiani nei confronti della loro vita nazionale? Perché tanti disconoscimenti di quanto si era fatto e tanti propositi di fare ben altro e ben più da parte dei settori più diversi della vita politica, sociale, culturale? Perché, accanto a tanti riconoscimenti e lodi stranieri, tanti altri loro giudizi negativi, perplessi, talora aspri?» 24 Le risposte date a questi interrogativi sono bene argomentate benché meriterebbero d’essere verificate con più minuzia. Ciò nonostante, la tesi centrale del saggio è molto plausibile: l’Italia d’oggi continua ad essere fedele alla tradizione politica dello Stato nazionale unitario fondato nel 1861. Il cosiddetto «nuovo ordine italiano» conferma, secondo Galasso, «che le apparenze di precarietà, di ambiguità, di contraddittorietà, di debolezza di questa storia non ne inficiavano il dinamismo, per quanto diversi per consistenza e qualità potessero essere gli approdi di tale dinamismo. Forza della debolezza, inevitabile, e al tempo stesso preziosa…». 25 Il volume II di questa Storia economica d’Italia porta il sottototilo Annali, è opera di Stefano Battilossi, copre il periodo che va dal 1796 al 1998, anno dell’introduzione dell’Euro. Sistematizzazione accuratissima dei fatti «economici», mai separati dalla loro interpretazione, il volume enumera le informazioni indispensabili alla conoscenza dell’evoluzione socio-economica italiana. Niente è trascurato: l’agricoltura, l’industria, le imprese, i grandi gruppi, la moneta, la finanza, il credito, il commercio estero, le politiche commerciali, la bilancia dei pagamenti, il trasporto le comunicazioni, i servizi, l’intervento dello Stato, la politica industriale, la programmazione, l’ordinamento giuridico, le istituzioni, la società, il mercato del lavoro, gli interessi organizzati, la legislazione sociale e il welfare. Le variabili prettamente economiche sono strettamente legate agli interventi politici, alle questioni sociali, alle invenzioni, alle innovazioni e alle specializzazioni che ne derivano. Le fonti sono largamente citate e ad esse si può ricorrere per approfondire l’argomento. Una consistente bibliografia (II, 548-595), un repertorio dei maggiori protagonisti della vita economica italiana (pp.559-632), un altro dei gruppi e grandi imprese, banche e istituzioni (635-658), la lista dei governi, ministri economici e governatori della Banca centrale dal 1861 al 1998, precedono gli indici dei nomi, delle imprese e degli enti, degli argomenti principali, fanno di questo volume uno strumento di lavoro preziosissimo, facile da consultare, piacevole a piluccare, utile per accostare informazioni che a prima vista sembrano distanti. Insomma, un lavoro rimarchevole.

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26 Il volume III, Industrie, mercati, istituzioni 11, è suddiviso in due tomi che contengono ventiquattro contributi. Il primo tomo è consacrato alle «strutture dell’economia». Ognuno dei tredici saggi fornisce un’analisi quantitativa d’un settore preciso, assolutamente innovativa rispetto alle conoscenze finora disponibili. Al lettore forniscono una sorte di caleidoscopio dell’economia italiana: la ricchezza, il reddito totale e settoriale, il benessere fanno intravedere ciò che li ha resi possibili, cioé il capitale, il lavoro e le risorse non riproducibili. Le pagine, erudite e perspicaci, di Malanima sulla ricchezza, la povertà e le risorse naturali, di Gustavo De Santis sulla storia della popolazioni, di Giovanni Vecchi sul benessere, di Giovanni Federico sull’agricoltura, di Stefano Fenoaltea sullo sviluppo industriale, di Guido Pellegrini sullo sviluppo strutturale, di Luigi Cannari e Salvatore Chiri sulle infrastrutture economiche, di Renato Giannetti sul progresso tecnico, rivelano non solo le aperture, le originalità, le differenze di visioni e di dottrine di questi studiosi ma soprattutto che gli scambi interdisciplinari favoriscono le innovazioni e producono novità straordinarie. Di fattura più classica nell’esposizione delle problematiche, ma altrettanto ammirevoli a causa della maestria con cui l’argomentazione analitica è svolta, sono le pagine di Piero Bolchini su piccole e grandi industrie alle prese col liberalismo e col protezionismo, di Franco Amatori e Pier Angelo Toninelli sugli imprenditori e lo sviluppo economico italiano, di Giuseppe Berta su «la qualità» dell’impresa, di Lucio Villari su «gli uomini decisivi», ossia sul capitano d’industria Oscar Sinigaglia e sul banchiere Raffaele Mattioli, di Domenico Delli Gatti, Marco Gallegati e Mauro Gallegati sulla natura e le cause delle fluttuazini cicliche in Italia tra il 1861 ed il 2000. 27 La struttura portante du molti di questi saggi sono dei dati statistici, provenienti da epoche e fonti svariate. Sarebbe stato utile sapere non solo come questi dati sono stati omogeneizzati, con quali procedure li si è resi comparabili, ma altresì conoscere gli strumenti coi quali le cifre sono state fabbricate e da chi (censimenti, inchieste, nomenclature, mercuriali, rapporti, ecc.). Le operazioni di produzione determinano la forma e la pertinenza delle informazioni donde la necessità di conoscerle per apprezzarne la validità e la credibilità. 28 Gli undici saggi del secondo tomo che ha come sottotitolo «I vincoli e le opportunità» situano l’economia italiana nel contesto dei suoi rapporti e legami internazionali. Marcello de Cecco (L’Italia grande potenza: la realtà del mito, III-2, pp.3-36) accenna ad un tema importantissimo e che speriamo tratterà con più compiutezza e sfumature in un’altra occasione. Massimo Roccas ci dà una sintesi eccellente delle esportazioni nell’economia italiana (pp.37-135) mentre Ignazio Mussu (pp.137-181) uno spaccato d’una politica economica a lungo indifferente allo stato delle risorse naturali e dell’ambiente ma ora alle prese irrimediabili colle esigenze dello sviluppo sostenibile. Giorgio Fodor (pp.183-211) ripercorre a gran passi le grandi scelte (democratica, atlantica, apertura dell’economia, il ruolo della Banca d’Italia) del dopoguerra, mentre Giangiacomo Nardozzi offre una splendida rappresentatione quasi pittorica del «miracolo economico» (pp.213-268). Con i colori chiari mostra un paese con «grandi possibilità di affermazione», con i chiaroscuri la sua assuefazione ad «addolcire in qualche modo lo scontro competitivo», con il nero «l’inclinazione nazionale alla ricerca delle vie brevi», alla compressione della concorrenza mediante «opportunità di posizioni monopolitstiche», grazie anche alla «collusione con la politica». Ricchissimi di dati e utilissimi perché chiari e sintetici i saggi di Roberto Artoni e Sara Biancini sul debito pubblico dall’Unità ad oggi (pp.269-380) e di Marco Onado (pp.381-454) sulla

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costruzione del sistema finanziario, sulla «riluttanza italiana a darsi regole adeguate ad un capitalismo maturo», sul natura «della lunga, affannata e spesso sterile rincorsa verso i paesi più avanzati sul piano dello sviluppo economico e democraticamente più maturi», insomma sulle difficoltà e sull’impotenza del pensiero riformatore italiano. Questo saggio è completato ed in un certo senso rinvigorito dalle pagine di Giuseppe Carriero, Pierluigi Ciocca e Monica Marcucci sul ruolo del diritto in economia (pp. 455-528). Sistematizzazione d’una materia finora poco esplorata, questo saggio costituisce un modello perfetto di ciò che la ricerca interdisciplinare può recare all’accrescimento delle conoscenze. In questa stessa scia si situa anche l’articolo di Marco Magnani sulle culture economiche e lo sviluppo (pp.529-573), dove si dimostra quanto siano forti la diversità, la differenziazione, la contrapposizione degli interessi, delle aspirazioni dei sistemi di valori sociali, economici e politici sulle dottrine degli economisti e le pratiche degli attori economici. Ciò sarebbe all’origine dell’incapacità degli Italiani di «formarsi una coscienza dello Stato» (Gobetti), di guardare con più attenzione «a temi al centro dell’impostazione liberale, come il principio della separazione dei poteri e il conflitto d’interessi»? 29 L’articolo di Tullio De Mauro (Economia e linguaggio, pp.375-587) e quello più sostanzioso di Massimo Vedovelli (Non si vive un’economia, si vive una lingua, pp.589-625) allargano ancora di più i confini della ricerca e mostrano quanto sia profittevole per l’economia interessarsi ad altre discipline. I due articoli mostrano l’importanza della lingua per la costruzione delle rappresentazioni scientifiche, per la loro comunicazione e diffusione, per la maniera stessa di «narrare l’economia». Ciocca se n’è reso conto da anni. Grazie a lui disponiamo d’una bellissima antologia che ci mostra come gli economisti italiani «narrano» i materiali delle loro ricerche, come utilizzano l’italiano per fabbricare le loro teorie12. Che oggi gli economisti abbiano adottato come lingua franca l’inglese è un indicatore inquietante e ci rivela, infatti, la progressiva scomparsa delle tradizioni nazionali nella scienza economica, l’egemonia dei modelli anglo-sassoni, la mondializzazione delle relazioni economiche internazionali e la loro percezione e descrizione mediante un modello esplicativo unico. Certo, per la costituzione d’una solida comunità scientifica, con regole comuni, con curricula standard, ciò è d’una efficacità garantita. Per rendere conto della diversità e varietà dei comportamenti umani, il modello unico non sembra produrre dei risultati scientifici soddisfacenti. 30 Le pagine di De Mauro e di Vedovelli sembrano ignorare le ricerche di Jean Molino sui rapporti dell’economia e della linguistica, ricerche che forniscono spunti preziosi per chiarire meglio l’interdipendenza delle due discipline13. 31 Dispiace che questa opera interessantissima non consacri una sola pagina all’altra disciplina importante per l’economia: la sociologia. I rapporti tra queste due discipline, i cui processi di razionalizzazione sono sempre andati di pari, sono stati nel passato intensi14 e riprendono ad esser tali presentemente tanto più che le statistiche sociali, ormai indispensabili agli economisti, sono fabbricate adesso soprattutto dai sociologi. Questa assenza, o forse questa dimenticanza meriterebbero d’essere giustificate nel volume conclusivo. 32 Confesso che la polifonia, la pluralità delle visioni, la molteplicità delle concezioni teoriche dei saggi contenuti in questi quattro grossi volumi pensati e diretti da Ciocca e da Toniolo m’hanno procurato un vero piacere, un autentico godimento intellettuale. Non c’è più alcun dubbio, la cultura economica italiana sta facendo dei passi da gigante verso l’obbiettivo già vicino della pluridisciplinarità, al quale seguiranno

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inevitabilmente quelli della transdisciplinarità e della metadisciplinarità. A lettura terminata, ci si accorge d’avere imparato molto, di disporre d’uno strumento di consultazione di pregio, ma anche che molti interrogativi e dubbi sorti leggendo o rileggendo le pagine di quest’opera, restano senza risposta, inevasi. Che mi sia permesso d’esprimerli, disordinatamente, à mo’ di conclusione. 33 La maggior parte degli economisti ritengono che la loro disciplina è la più teorica e la più formalizzata tra le scienze dell’uomo e della società, la più prossima alle scienze naturali. L’economia privilegia il ragionamento ipotetico-deduttivo, matematico e talvolta non puramente quantitativo. Per fabbricare le sue prove, essa utilizza la storia economica, le matematiche, la statistica e la simulazione. Ora i materiali storici, per esempio quelli sui cicli economici, sono inadatti a rendere conto delle sequenze attuali mentre i metodi statistici debbono sottomettersi alle necessità della simultaneità delle variabili economiche. Ne deriva l’impossibilità, in economia, di duplicare, di ripetere, di verificare le ricerche, di calcolare i parametri strutturali o di testare in maniera formale le ipotesi. Poiché il ricorso esplicito all’osservazione empirica è impraticabile, la garanzia della prova è data soprattutto dalla coerenza interna sulla base del principio posto all’inizio. Appunto perciò taluni economisti possono affermare che la formazione del capitale dà un debole contributo alla crescita mentre altri ne fanno la condizione del take-off. Una constatazione analoga può essere fatta per i consumi (reagiscono o non alla riduzione temporanea delle imposte, agli effetti d’annuncio delle future politiche fiscali) o ancora per l’instabilità finanziaria sulle attività economiche reali. 34 L’approccio attraverso la dinamica dei sistemi, la massimizzazione «sous contrainte», l’equilibrio come interdipendenza e mutua compatibilità, le scelte senza o in situazione di incertezze, il capovolgimento delle relazioni causali per studiare l’andamento economico, portano gli economisti a preferire i modelli stabili, a rigettare quelli che non lo sono, a praticare delle sperimentazioni artificiali, come quelle purtroppo in uso in micro-economia. 35 L’economia mira meno a descrivere ed a spiegare che a prescrivere degli orientamenti ed a preconizzare delle soluzioni in materia d’allocazione delle risorse e della loro utilizzazione. Contiene delle istruzioni eidetiche la cui normatività non è mai messa in discussione. Per garantire la sua neutralità dal punto di vista assiologico, i ricercatori hanno messo a punto la distinzione fatto/norma, la quale, in verità, resta una costruzione filosofica, una concettualizzazione speculativa. L’equilibrio, meglio le proprietà d’equilibrio del sistema dinamico sono state mutuate alla formalizzazione di David Hilbert ed alla sua rappresentazione del sistema mediante un vettore nello spazio ma non si è mai dimostrato in che maniera si possa passare da quel formalismo astratto all’esperienza concreta. 36 L’economia accorda un posto determinante ai dati statistici, considerati come riflesso del reale. La realtà è colta mediante una codificazione. Le tavole a doppia entrata della contabilità nazionale sono delle costruzioni. L’indice (disoccupazione, prezzo, crescita, ecc.) è una registrazione, è il risultato d’una procedura impostata dalle strutture amministrative, giuridiche e politiche del paese. Le teorie sui comportamenti dei consumatori, sulle curve d’indifferenza, sulla transitività delle preferenze, sulle scelte senza o con incertezze, sui mercati e sugli effetti esterni, ecc., sono delle costruzioni, delle rappresentazioni. È praticamente impossibile far variare, in maniera controllata, i parametri dei fenomeni di cui quelle teorie pretendono rendere conto. La descrizione dei fatti e la constatazione dei risultati intervengono sempre alla fine d’un processo

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empirico e teorico produttore d’interrogativi sulla realtà. L’osservazione in economia è inseparabilmente processo e risultato. Certo, gli economisti non sono essi stessi i produttori dei dati utilizzati. Talvolta si contentano d’analizzare i dati, le cifre, gli indicatori, gli indici, le osservazioni costruiti da altri. Si tratta d’un lavoro diverso da quello effettuato nelle scienze empiriche. Ivi, per identificare la legge che governa un fenomeno, è necessario riunire una serie di fatti organizzati metodicamente mediante la variazione degli elementi definiti precedentemente. È questa esperienza ad avere valore di prova. In economia, un seguito d’osservazioni apparentate permette tutt’al più delle comparazioni. Per l’interpretazione dei dati economici, la conoscenza intima del processo che li ha prodotti è allora indispensabile. 37 Le «verifiche» in economia necessitano in più della statistica anche della storia. Ma l’una e l’altra mettono in scena delle situazioni artificiali, anacronistiche, inadattabili ai casi reali d’oggi. Si pensi, per esempio, alle ricerche sui bilanci famigliari che sono servite a lungo a provare che il salario operaio bastava o non alla riproduzione della forza-lavoro. A partire degli anni ’50 quel genere d’inchieste, estese a tutti i mestieri e a tutte le professioni, servono a provare che il salario in quanto costo è meno importante che il consumo in quanto componente della domanda globale. Durante degli anni si è proclamato che i prezzi ed i salari sono perfettamente flessibili, che esiste un certo equilibrio tra l’offerta e la domanda sui mercati, mentre adesso s’afferma che la disoccupazione e l’inflazione danno luogo ad una certa rigidità nello spazio e nel tempo. Il PIL, strumento primordiale della macro-economia keynesiana, dagli anni ’60 in poi serve soprattutto a fissare i montanti delle sovvenzioni di Bruxelles, a valutare i tassi di deficit dei bilanci, a comparare le performance dei bilanci nazionali. 38 L’economia dipende poco dal passato. La statistica non arriva a rendere conto della mutua dipendenza dei fenomeni né della simultaneità delle variabili. L’economia è determinata soprattutto dall’avvenire e secondo meccanismi poco noti dell’evoluzioni vissute e della comprensione che gli agenti economici ne hanno. Le teorie delle anticipazioni adattative e delle anticipazioni razionali non sono realiste né sono conformi ai processi cognitivi quali le neuroscienze cominciano a metterli in luce. Sono queste le ragioni per cui le teorie ed i modelli della scienza economica hanno una funzione meramente prescrittiva, normativa, quasi mai una funzione cognitiva? 39 Una riflessione sulla normatività della scienza economica potrebbe fornirci degli schiarimenti sui dubbi e sugli interrogativi più sopra esposti rapsodicamente. Ma ciò detto, quest’opera diretta da Ciocca e Toniolo apre un nuovo corso alla riflessione critica nelle scienze umane. Formuliamo il voto che i giovani studiosi vi troveranno stimoli e spunti per continuare nella stessa direzione e collo stesso spirito innovativo.

L’edizione delle opere economiche d’Auguste e Léon Walras

40 Il Centro Auguste e Léon Walras dell’Università di Lione-2 ha portato a termine, in poco più di vent’anni, la pubblicazione delle opere complete d’Auguste e di Léon Walras. Il merito di questa impresa monumentale, d’una complessità e d’una complicazione inverosimili, va riconosciuto ai professori Pierre Dockès, Pierre-Henri Goutte, Claude Hébert, Claude Mouchot, Jean-Pierre Potier e Jean-Michel Servet.

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41 Quattordici grossi volumi, stampati accuratamente, attestano quanto sia stato laborioso ritrovare, inventoriare, classificare gli scritti editi, inediti e le corrispondenze, sparsi tra Losanna, Lione, Montpellier e il Canada, repertoriare poi il materiale già stampato, stabilire e trascrivere le modifiche, le variazioni, le aggiunte inserite in epoche successive nelle ristampe o riedizioni e tutte datate precisamente grazie agli innumerevoli riscontri effettuati in registri e carte d’archivi, in periodici e giornali sepolti in biblioteche locali. Delle tavole di concordanza, delle note d’una erudizione straordinaria e d’una minuzia e precisione insolite, orientano la lettura e facilitano la comprensione. 42 L’annotazione si fonda su materiali per lo più inediti, su una documentazione originale scovata negli archivi dipartimentali francesi e nelle conservatorie dei manoscritti delle biblioteche di Francia e di Svizzera. Certo, William Jaffé, coi tre volumi della Correspondence of Léon Walras and related Papers, pubblicati nel 1965, indicò la strada e suggerì numerose ipotesi investigative, ma sono i ricercatori di Lione che hanno portato a termine l’improba fatica editoriale e offerto agli studiosi dei testi filologicamente esemplari. Il loro lavoro resterà, senza alcun dubbio, nei lustri a venire, come il modello di riferimento, la fonte d’ispirazione e d’imitazione per i futuri editori delle opere degli scrittori d’economia, di sociologia e delle scienze sociali in generale. 43 Siccome né l’ordine cronologico né quello tematico né la divisione tra scritti editi ed inediti sono stati ritenuti dagli editori, il volume XIV, Tables et Index, curato da Roberto Baranzini, Claude Mouchot e Jean-Pierre Potier, uscito nell’autunno del 2005, è senz’altro la guida più preziosa per orientarsi nelle migliaia di pagine di quest’edizione, per ritrovare nei diversi tomi i temi che si vogliono approfondire, per scoprire la genesi d’una problematica e vederne le variazioni, gli sviluppi e le modifiche successive nel tempo. Poiché ai testi già conosciuti sono stati aggiunti talvolta degli appunti inediti, delle annotazioni estemporanee, dei riferimenti a lettere ricevute o spedite, questo volume di tavole e d’indici presta un soccorso indispensabile a colui che s’avventura nel labirinto delle teorie walrasiane. In più, essofornisce la cronologia delle opere complete dei due Walras, ricostruisce la storia dei fondi walrasiani, ristabilisce il catalogo dei libri, degli estratti, delle riviste che costituirono la biblioteca personale di Léon e fa conoscere persino l’elenco dei libri che questo economista fece comprare dalla Biblioteca universitaria di Losanna. Chiude il volume un copioso e validissimo indice delle materie (pp.379-569) nonché un indice delle persone citate negli scritti d’Auguste e di Léon Walras (pp.571-620). I pochissimi errata e complementi ritrovati nei tredici volumi dell’opera (pp.621-628) dimostrano l’accuratezza con cui tutti i volumi sono stati preparati, controllati e verificati prima d’essere dati alle stampe15. 44 Il progetto di pubblicare gli scritti di Walras padre venne formulato per la prima volta dal figlio che voleva dimostrare essere il genitore il precursore ed il fondatore della scienza economica moderna. Aline Walras tentò, in mille modi, coll’aiuto di Georges Renard, di Etienne Antonelli e di altri, di far pubblicare le opere complete del nonno e del padre. L’Università di Losanna, depositaria del più importante lascito, esitò a farsene l’initiatrice, rimandò il progetto a tempi migliori e poi considerò che l’edizione delle opere complete dei due Walras non fosse d’una importanza scientifica maggiore e d’una imperativa attualità16. Aline, con suppliche e minacce, cercò d’ottenere che l’Istituzione vodese onorasse l’impegno assunto col padre, che patrocinasse l’edizione, ma non ottenne il minimo successo. L’indifferenza vodese non venne smossa dalla pugnace testardaggine della vestale walrasiana, alla quale tuttavia gli studiosi debbono

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gli inizi della ripubblicazione, nella seconda metà del XX° secolo, d’un manipolo di scritti e di carteggi vari. 45 Bisognerà aspettare gli ultimi lustri del secolo affinché la realizzazione di questa impresa editoriale, salutata subito con gratitudine da Gérard Debreu e Wassily Leontief, premi Nobel, e dalla comunità scientifica mondiale, fosse intrapresa e finalmente portata a termine. Gli innumerevoli articoli nelle riviste d’economia e di storia attestano la validità, la necessità, l’importanza di tale iniziativa culturale, resa possibile dall’impegno costante della squadra degli economisti lionesi ed ai quali non sono mai mancati gli aiuti del CNRS ed i sostegni dell’Università di Lione-2 e di numerosi organismi pubblici e privati. 46 Tutti gli scritti, editi e inediti, sono ora riuniti in quattro grossi volumi che permettono di conoscere il pensiero economico d’Auguste Walras, a lungo ignorato in Francia, sconosciuto all’estero. Anche le versioni castigliane del 1850 e del 1857 della Théorie de la richesse sociale, pubblicata in francese nel 1849, sono restate confidenziali. La pubblicazione di questi quattro volumi è, quindi, un avvenimento notevole. Grazie ad essi riscopriamo un autore che merita d’esser letto per le costruzioni teoriche che elaborò e per gli influssi esercitati su quelle del figlio e sugli sparuti cultori dell’economia sociale, ma anche per meglio conoscere le controversie culturali francesi negli anni tra l’apogeo del saint-simonismo (apologia d’una società industriale umanizzata e gerarchizzata) e gli anni del cesarismo democratico di Napoleone III. 47 Siccome le opere edite d’Auguste non erano reperibili se non in pochissime biblioteche e di quelle inedite s’erano perse le tracce, gli studi su questo scrittore di cose economiche sono stati pochi. Persino gli articoli nei dizionari e nei manuali si contano sulle dita d’una sola mano. In più sono inaffidabili perché basati su informazioni parziali ed imcorrette. Il solo testo bene informato è restato a lungo l’articolo consacratogli dal figlio Léon nel 1908 e dove il padre è proclamato precursore e fondatore del pensiero economico moderno. 48 La biografia scritta, nel 1923, da Modeste Leroy ha avuto il merito di far conoscere materiali bio-bibliografici finallora sconosciuti. Altre informazioni di prima mano si trovano nell’introduzione apposta, nel 1938, da Gaston Leduc all’edizione De la nature de la richesse et de l’origine de la valeur17, nonché nel saggio d’Auguste Murat, pubblicato nel 1946, ricco d’una documentazione inedita interessante. Nel 1969 Oscar Nuccio tracciò i contorni del pensiero economico d’Auguste Walras e fornì utili informazioni bibliografiche nell’introduzione alla ristampa anastatica della prima edizione della Théorie de la richesse sociale, edita dal Bizzarri di Roma. Numerose e varie altre indicazioni si trovano anche nei saggi di William Jaffé che Ronald A. Walker ha opportunamento riuniti e ripubblicati in un volume nel 198318 e nelle note dei tre volumi della Correspondence of Léon Walras and Related Papers usciti nel 1965. 49 Il volume I delle «Œuvres économiques complètes», preparato da Pierre-Henri Goutte e da Jean-Michel Servet, è intitolato Richesse, Liberté et Société 19.ed è preceduto da uno studio dettagliato sulla storia delle edizioni degli scritti (pp.IXL-CXX) e dalla biografia d’Auguste Walras dal 1801 al 1848 (CXXI-CLXXII). I dati biografici per gli anni 1848-1850 si trovano nel vol.II (pp.9-26) mentre quelli per il 1850-1866 si leggono nel vol.III (pp. 9-63). 50 Questo volume I contiene gli scritti, editi ed inediti, redatti tra il 1830 ed il 1844. Le informazioni archivistiche, le annotazioni sugli attori e gli avvenimenti storici, i commenti, le tavole di concordanza, i rinvii bio-bibliografici agevolano grandemente e

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la lettura e la comprensione d’un autore amaro e vanitoso, i cui giudizi sono categorici, taglienti, a volte sprezzanti, ma che sa mettere ordine nella confusione dei concetti e riorganizzarli quando disarticolati appaiono senza senso. 51 Il filo rosso che attraversa tutti gli scritti di quasi un quindicennio s’intravede subito. Auguste Walras, dopo aver determinato, mediante una classificazione delle conoscenze umane, il carattere della scienza, sostiene che la teoria del valore, la «rareté» dà all’economia la dignità di scienza «à part entière». Non apprezza le «élecubrations incomplètes ou erronées de nos économistes contemporains»e più particolarmente di J.-B. Say. Ritiene che la scienza economica non abbia «fait un pas depuis dix ans, parce que personne n’a voulu sortir encore du principe d’Adam Smith que la valeur vient du travail, et qu’il n’y a rien que le travail.». Manifesta però una certa considerazione per F. Quesnay e per l’Adam Smith autore della Teoria dei sentimenti morali. Rigetta categoricamente le tesi di Thomas Hobbes sul giusnaturalismo, La dottrina di Nassau William Senior sulla divisione del lavoro, sulla crescita della popolazione, sul macchinismo è giudicata non pertinente. L’autore di An Outline of the Science of Political Economy avrebbe ignorato essere la ricchezza il principio fondante l’economia. Le critiche più acerbe sono rivolte alle teorie di David Ricardo sull’origine del valore- lavoro oggettivato nella merce, sulla «rareté», alla di lui concezione del saggio di profitto. 52 Auguste Walras dice e ripete che l’errore maggiore degli economisti contemporanei è di mettere l’accento sulla produzione della ricchezza senza tuttavia distinguerla nettamente dalla distribuzione. Così essi confondono due teorie differenti (quella della produzione della ricchezza basata sull’utilità e quella della distribuzione fondata sulla giustizia). Insomma, trascurano che la produzione è una teoria fisica o naturale mentre la distribuzione è una teoria morale consustanziale al tipo d’organizzazione della proprietà e dunque al diritto naturale:«[…] il y a entre la production et la distribution de la richesse une différence caractéristique […] La production est une œuvre d’art, de science, d’habilité; la distribution est une question de droit et de justice. La production dooit être abondante; la distribution doit être équitable. Entre la production et la distribution se place naturellement la question de la propriété . Et, en effet, c’est le système de propriété qui règle la distribution.» 53 Il compito principale della scienza consiste nell’elaborazione d’«une théorie complète de la richesse, de la valeur qui la caractérise, et des idées qui s’y rapportent, et, ce qui n’est pas moins précieux ni moins urgent, une théorie également complète, et parallèle à la première, de la propriété et du domaine personnel». Appunto perciò l’economia deve analizzare la natura della ricchezza, le sue diverse forme ed origini e indicare poi i risultati che può ottenere. Essa è una scienza naturale mentre la proprietà fa parte integrante della morale e del diritto naturale, è materiale di studio da parte delle scienze morali e politiche. 54 In questa prospettiva il concetto di «rareté» è strategico, diventa il fondamento stesso dell’economia in quanto scienza. Indica la qualità delle beni non riproducibili e la cui quantità non basta a soddisfare la totalità dei bisogni. Differenza tra la quantità necessaria e la quantità esistente, la «rareté» è anche la causa e la regola del valore, mai determinato dall’utilità. Se la ricchezza e la proprietà sono prodotte dalla limitatezza di certi beni e dall’impossibilità di soddisfare tutti i bisogni, persino il valore di scambio, il valore-costo, il valore-utilità trovano la loro origine nella «rareté».

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55 Utile per soddisfare i bisogni e per procurare i godimenti, la ricchezza è il valore, un valore che scaturisce dalla limitata disponibilità delle quantità dei beni. Tale limite nella durata è altresì all’origine del reddito. Appunto perciò bisogna nettamente distinguere la teoria del valore da quella dei redditi. Auguste Walras enumera vari tipi di redditi i cui tassi sono funzioni della massa dei capitali. L’imposta diretta sui redditi di capitale (rendite e profitti), di lavoro e di consumo, è considerata ingiusta. La sola che sia moralmente giusta è quella fondiaria. La terra e il suolo coltivabile sono un bene utile e limitato, sono un valore, sono una ricchezza. L’individuo in quanto essere mortale non può avere un diritto assoluto su ciò che è indistruttibile, inconsumabile, permanente, durabile, perpetuo. Per questa ragione la proprietà del suolo deve appartenere allo Stato «et le produit annuel de la terre constitue le revenu public de chaque génération». Tutte le imposte devono essere soppresse. Il reddito fondiario fornirà allo Stato i mezzi per far fronte agli investimenti ed al funzionamento degli apparati pubblici, insomma alle spese collettive.. 56 Tutti gli scritti di questo primo volume trattano, da angolature diverse, con argomentazioni più o meno stringate, della natura della ricchezza, dell’origine del valore e della sua misura, dell’oggetto dell’economia pura e della sua specificità rispetto all’economia sociale. 57 Il volume II, La vérité sociale, curato da Michel Servet e da Pierre-Henri Goutte contiene gli scritti che vanno dagli anni del 1848 al 1850, taluni editi altri inediti. Trattano degli stessi argomenti del volume I, ma in maniera più sistematica, in una forma più elaborata, con un’argomentazione meglio distesa e precisano o chiariscono punti di dottrina altrove appena intuiti, abbozzati o enunciati con una concisione eccessiva20. Le introduzioni dei curatori, le note meticolose, le delucidazioni erudite, forniscono tutte le informazioni e le spiegazioni indispensabili per ben situare storicamente gli scritti riprodotti e per collegarli ai contesti storici in cui furono elaborati e da cui furono ispirati. In questo volume si leggono: La vérité sociale par un travailleur (inedito), la Théorie de la richesse sociale, la Théorie de la propriété, la refutazione del libro di Thiers sulla proprietà, e De l’impôt sur le revenu, il Mémoire sur l’origine de la valeur d’échange, una serie di note in margine d’un capitolo del libro di Guizot, De l’impôt sur le capital, ed infine un testo molto corto che celebra le virtù dell’economia per la soluzione scientifica della questione sociale. 58 Nel saggio De l’impôt sur le revenu ritorna con più insistenza sulla tesi circa la soppressione dell’imposta sul reddito. Per realizzare la giustizia basterebbe tassare le rendite fondiarie ed i profitti. «Alors tout le monde serait traité sur le même pied relativement au capital personnel et au revenu qui en émane. Personne ne payerait l’impôt pour cet objet. Le propriétaires fonciers et les capitalistes resteraient soumis à l’impôts de plus que les autres, et à proportions de la quantité qu’ils en posséderaient.» 59 Nel Mémoire sur l’origine de la valeur d’échange sviluppa una critica serrata della dottrina inglese per la quale la ricchezza sociale è data dalla produzione. Il valore proverrebbe dagli scambi dei prodotti e dalla quantità di lavoro in essi incorporato. Questa dottrina è reputata erronea. Se tutti i prodotti sono dei valori, non tutti i valori sono dei prodottti. La terra è un valore anteriore alla produzione. La fonte del valore non si trova né nella produzione né nell’utile ma piuttosto ne «la limitation dans la quantité et la rareté qui en résulte». Con sussiego afferma che l’economia è la scienza della ricchezza sociale, che la ricchezza sociale si compone di valori che si scambiano e che trovano la loro origine nella «rareté». È persuaso che questa concezione spiega tutto

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perché rende conto della natura del valore, di tutte le sue variazioni(«la valeur et toutes les nuances de la valeur, le taux des différentes valeurs et toutes les variations dont ce taux peut être susceptible»), perché spiega, infine, che «la valeur du travail et la valeur des tous les services productifs»hanno la stessa origine. 60 In uno scritto dell’agosto 1850, Mais laissons là toutes ces misères, scrive che l’economia non ha fatto grandi progressi perché ha sempre trascurato lo studio della natura della ricchezza sociale e delle leggi che ne governano la formazione, il consumo e la diffusione nella società. Finché gli economisti non studieranno la teoria della proprietà e non riconosceranno che questa teoria ha come fondamento la teoria della ricchezza, non sarà possibile fare progressi sostanziali. «J’ai démontré et, à cet égard, je ne conserve aucune espèce de doute, que la richesse et la propriété portent précisément sur les mêmes objets, que l’appropriabilité des choses, si je puis m’exprimer ainsi, proviennent l’une et l’autre, d’un seul et même fait qui est la limitation dans la quantité. Fort de ce principe, je n’ai jamais séparé l’étude de la propriété de l’étude de la richesse, et plus j’avance dans mes travaux, plus je me félicite d’avoir suivi cette méthode.» 61 Il III volume, Cours et pièces diverses 21, curato da Pierre-Henri Goutte e Jean-Michel Servet, coll’aiuto di Claude Mouchot, contiene un corso d’economia (21 lezioni) dato a Evreux nel 1832-1833, un altro profferto nel 1835 sempre a Evreux, un terzo letto all’Ateneo reale di Parigi nel 1836-1837, ed un quarto a Pau nel 1863-1864. I primi tre corsi sono stati concepiti e profferiti nel periodo che va dal 1830 al 1848, anni durante i quali il dibattito delle idée, la creatività, la curiosità e l’attenzione per le novità scientifiche e letterarie avevano felicemente prosperato. La seconda sezione del volume contiene scritti sparsi d’economia, editi e inediti, che si riallacciano, senza aggiungere nulla di nuovo, alla walrassiana dottrina basica, mentre la terza sezione riunisce testi occasionali, scritti o detti in occasione d’avvenimenti scolastici. L’introduzione generale dei curatori ricostruisce minuziosamente il contesto culturale, politico e storico-biografico in cui questi corsi sono stati dati e ricevuti dal pubblico. Anziché fare una storia del pensiero economico (idee, teorie, dottrine) che cerca nei testi del passato l’emergenza dei concetti al fine di comprendere meglio il formarsi delle teorie moderne, i curatori di questa edizione sono riusciti ad incardinare, invece, le pagine di Walras padre nel loro contesto storico. La storia delle pratiche culturali è privilegiata rispetto a quella concettuale, normalmente poco propizia alla messa in evidenza delle determinazioni che regolano la produzione e la comunicazione delle idee. La descrizione delle pratiche intellettuali dell’autore, delle forme discorsive e materiali utilizzate per criticare ed opporsi agli economisti allora egemoni nella disciplina (Smith, Sismondi, Say, Rossi, Ricardo, Proudhon, Malthus, Mac Culloch, Lauderdale, Bastiat) ci fa ben comprendere le tensioni, le suscettibilità, i moti umbratili, dell’uomo che credeva d’essere marginalizzato, incompreso, non valorizzato dall’establishment economico. 62 Il volume IV, Correspondance22, curato da Claude e Henry Hebert, ricco di 332 lettere, in maggioranza indirizzate ai familiari, completano magnificamente il ritratto umano ed intellettuale di Auguste Walras, adepto d’una rigorosa analisi concettuale, convinto che esiste un ordine naturale immutabile, retto da leggi universali, che all’economia pura, caratterizzata dalla variabilità, dalle crisi, dall’equilibrio, retta da modelli teorici funzionanti come modelli fisici, oppone un’economia sociale retta dai principi universali di giustizia ed uguaglianza..

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63 In uno scritto adespoto, rinvenuto negli Archivi del Fondo Walras di Lione (sono i curatori ad attribuirne la paternità a Auguste Walras, IV, pp.759-764), leggiamo: L’économia tratta: (a) della ricchezza in generale, della sua natura e della sua origine; (b) del valore e del prezzo venale, del numerario e della moneta; (c) dei capitali e dei redditi, della produzione e dei suoi caratteri; (d) della ricchezza naturale o della terra e del lavoro, considerati come capitrali primitivi, appannaggio naturale dell’uomo e dell’umanità. Il valore proviene dalla «rareté» (limiti nella quantità e nella durata) ed è il punto di vista del vero, dell’ideale, dell’astratto. Il prezzo venale è, invece, il punto di vista del reale, del concreto. Il valore è una legge generale, mentre il prezzo venale è un’applicazione reale, attuale, determinata, è una forma concreta e relativa. «Tout objet qui ne sert qu’une fois et qui se sonsomme dès les premier servuce qu’on en retire, est un revenu. Tout objet, qui limité dans sa quantité, l’est aussi dans sa durée, mais de manière à servir plus ou moins longtemps, comme un habit, une maison, ou qui même n’est pas limité dans sa durée, comme la terre et qui peut toujours servir, forme un capital.» 64 Il capitale è destinato alla produzione mentre il reddito al consumo. Il reddito proviene dal capitale ed il capitale si forma e si riproduce mediante il reddito. E più oltre aggiunge:«Lorsqu’on a une fois admis qu’il y a deux richesses naturelles, deux valeurs primitives, deux capitaux originaires, la terre et le travail, il faut se demander à qui ces deux objets appartiendront. Or il me semble que le travail appartient naturellement à l’homme qui le possède, à l’individu qui est en état de l’exercer. C’est à chacun de nous que la nature a donné les bras, les jambes, les forces, la capacité morale, e intellectuelle. Le travail et ses fruits, voilà le domaine de la propriérté individuelle, voilà l’apanage de l’individu. Quant à la terre, elle est une chose permanente et durable de la nature. A ce titre, elle ne peut appartenir à l’individu, personnalité essentiellement éphèmere. Il faut qu’il y ait entre l’objet et le sujet de droit une analogie, une proportion qui me paraît évidemment troublée dans l’établissement de la propriété foncière individuelle.». Siccome il reddito fondiario appartiene allo Stato, le imposte non avranno ragione d’essere e la «suppression radicale de la classe oisive et parasite des propriétaires» è ineluttabile. 65 Col V volume inizia la pubblicazione degli scritti economici di Léon Walras. La fortuna dell’opera e la serie di peripezie attraversate prima d’arrivare all’attuale edizione, sono d’una stravaganza estrema. La cronaca delle dimenticanze, delle esitazioni, dell’indifferenza, delle insensatezze degli ambienti accademici vodesi e francesi si legge, con stupore, in quasi tutti i volumi di questa edizione. Si può rilevare anche l’estrema atipicità della diffusione delle idee walrasiane, le quali, dopo un lento, sotterraneo espandersi negli anni a cavallo del XIX° e del XX° secoli (Gustav Cassel, Knut Wicksell, Vilfredo Pareto, Albert Aupetit, Etienne Antonelli, Henry L. Moore, Irving Fischer, Henry Schultz) subìrono un netto rallentamento. Sin dalla vigilia della prima guerra mondiale la loro propagazione subì un’interruzione quasi-totale; l’incomprensione dell’equilibrio fece sì che fosse percepito soprattutto come un esercizio di pura logica matematica, costruito sulla base d’ipotesi irrealistiche e quindi di nessuna utilità per la soluzione dei problemi economici reali23. Intorno agli anni ’30 si ebbe una leggera ripresa delle interpretazioni delle teorie walrasiane ma la vera e propria risurrezione dell’intera opera, il suo risituarsi al centro del dibattito teorico in economia, avvenne negli anni dopo la seconda guerra mondiale24. Verso gli inizi degli anni ’50 Arrow-Debreu ridisegnarono il modello dell’equilibrio generale; Frank Hahn

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pose le basi delle re-interpretazione degli apparati teorici walrasiani in una prospettiva neo-classica; delle rivalutazioni contemporanee della teoria dell’equilibrio, grazie anche all’approfondimento ed al chiarimento dei teoremi d’unicità e di stabilità, e la riformulazione delle problematiche della domanda, del capitale, della moneta25, dell’equilibrazione/equilibrio, delle allocazioni, delle questioni relative all’economia sociale e alla ripartizione dei redditi, riportarono Walras tra gli economisti. 66 Questi studi, d’anno in anno, sono divenuti sempre più numerosi ed importanti26. La nozione di «tâtonnement» e la teoria del funzionamento del mercato sono ormai recepite, da taluni, in quanto analisi realiste descriventi diverse situazioni reali e rappresentative di fenomeni osservabili (consumo, investimenti, risparmi, scelte di portafoglio)27. 67 Gli studi incentrati sulla teoria dei giochi in quanto analisi alternativa ai problemi di coordinazione dei sistemi economici decentralizzati, non sono riusciti a mettere in crisi il modello d’equilibrio e nemmeno a destabilizzare in maniera definitiva la distinzione tra tipi reali e tipi ideali. I processi di decisione, come scelta ottimale tra scelte infinite, come massimazione sotto vincoli di una funzione obiettivo, le limitate capacità di calcolo e d’informazione dei decisori, le incertezze ambientali, i prezzi e le quantità fissati dal continuo processo di massimazione da parte dei singoli operatori, – tutti questi problemi non sono stati mai seriamente analizzati. Le difficoltà create dalla constatazione delle frequenti molteplicità delle posizioni d’equilibrio, ha spinto i teorici della teoria dei giochi, confrontati regolarmente a osservare decisioni contrastanti colle norme elementari della razionalità economica, a dover perfezionare la definizione dell’equilibrio (Reinhard Selten e Robert J. Aumann) o ad elaborare criteri per selezionare uno degli equilibri (J. C. Harsanyi). La teoria delle anticipazioni razionali, a sua volta, sarebbe divenuta carente senza il sostegno del modello teorico dell’equilibrio generale. 68 L’edizione dei ricercatori lionesi prova innanzitutto quanto sia stata grande l’influenza esercitata da Auguste sul figlio Léon, non solo sulla scelta della professione d’economista, ma altresì sulla maniera di trattare molti temi di questa scienza («une œuvre d’innovation e[xige] la double culture littéraire et mathématique, philosophique et économique»), sulle sue opzioni politiche (soppressione di tutte le imposte, liberoscambismo universale, condizione assoluta della pace), epistemologiche e filosofiche (la scienza studia le essenze, cioè i fatti permanenti, che si distinguono in fatti naturali e fatti umanitari; i fatti naturali debbono essere spiegati mentre i fatti umanitari/morali debbono essere governati). Il padre, sin dal 1861, diceva al figlio: Tu «es mon avenir et ma gloire», ma non si deve dire «que tu dois une partie de ton succès aux idées que je t’ai communiqué et que as su si bien t’approprier». Persino la nozione di razionale quale sinonimo di puro, di deduttivo in contrapposizione a empirico/ induttivo, la ritroviamo negli scritti di Léon. Per costui una teoria razionale è una teoria pura, nomologico-deduttiva, la cui dimostrazione/verità è data dalla deduzione delle espressioni ben formate. Le leggi generali indotte a partire d’osservazioni particolari richiedono conferme empiriche ottenibili tramite esperimenti. Una teoria razionale non ha bisogno di verifiche, d’esperimenti, di confutazioni circa la giustezza delle ipotesi e delle conclusioni poiché i tipi ideali che la fondano non sono una descrizione empirica della realtà. Quest’ultima fornisce tutt’al più degli spunti, che poi la modellizazione logico-deduttivo depura coll’eliminazione dell’accessorio, del superfluo, dell’accidentale. La teoria pura non è mai una rappresentazione della realtà, è una

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dimostrazione, è un principio d’intelligibilità applicabile al mondo reale al fine di correggerlo, di modificarlo, di migliorarlo. Il rigetto dell’empirismo fa presagire la dimensione normativa dell’economia applicata e dell’economia sociale ma anche lo studioso scientista ed il partigiano della filosofia del progresso. 69 Il V volume di questo monumento editoriale, curato da Pierre-Henri Goutte e Jean- Michel Servet, è intitolato L’économie politique et la justice e contiene un’introduzione generale, rimerchevole ed ampiamente documentata, alla vita ed all’opera economica di Léon Walras (pp.IX-XCIV), la ristampa dell’autobiografia e dell’autobibliografia, diverse note biografiche e necrologiche, e poi cinque saggi, tra i primi redatti dall’economista28. Gli editori hanno comparato tutte le versioni disponibili dei testi pubblicati, ne hanno notato non solo le differenze significative ma anche le aggiunte, le soppressioni, le modifiche. Il lettore ha così tutti gli elementi per percorrerne la traiettoria dalla genesi alla formulazione ultima, per conoscere inoltre il modo di produzione e di riproduzione degli enunciati teorici e non teorici praticato dallo scrittore-economista. 70 Il volume contiene L’économie politique et la justice (pp.87-313), Théorie critique de l’Impôt (343-432, De l’impôt dans le Canton de Vaud (435-503), De la propriété intellectuelle (513-529). Questi scritti sono interessanti perché contro la concezione della morale come fatto naturale e dell’economia come fatto sociale difesa da P.-J. Proudon nel libro del 1858 De la Justice dans la Révolution, essi difendono l’idea che l’economia è naturale mentre la morale è sociale. Conformemente alle idee del padre sostiene che tra le due esiste una correlazione, forse anche una stretta relazione tra le leggi dell’economia e quelle della giustizia sociale data dalla natura stessa della ricchezza sociale, della proprietà, del valore di scambio, della rendita e dei redditi. La connessione tra la questione della proprietà e quella delle imposte è sottolineata con vigore. L’autore ritiene che l’importanza primordiale data alla produzione ha forviato gli economisti. I socialisti sono stati capaci di ben caratterizzare la questione sociale ma non sanno come risolverla. Secondo Léon Walras la questione sociale «trouvera sa solution dans la constitution de la science sociale». Il «socialiste décidé en matière de propriété foncière et de monopoles industriels et financiers» è fermamente convinto che la scienza sociale fornirà le indicazioni indispensabili per «procéder à la distribution de la richesse dans la société». 71 L’ultimo degli scritti mostra le incertezze di Walras a proposito della natura della proprietà intellettuale, incertezze che supererà in parte più tardi, negli scritti ora riuniti nei volumi IX (pp.213-226) e XII (pp.284-289). 72 Già in queste pagine si trovano i contorni d’un modello che sarà perfezionato di lì a qualche anno: trattasi d’un mondo di piccoli produttori, autosufficienti, che dispongono della loro forza-lavoro e del bene/capitale. Il salariato dispone si della sua forza-lavoro per ottenere un massimo di soddisfazioni, ma non può utilizzarla produttivamente perché privo di capitale. Senza questa dotazione iniziale non può effettuare scambi, può solo sopravvivere. Inoltre, queste pagine fanno intravedere l’inclinazione walrasiana a semplificare eccessivamente, a idealizzare i fenomeni reali, a rimpiazzare l’analisi induttiva dei fatti col ragionamento ipotetico-deduttivo basato su nozioni definite dal punto di vista formale. Vi si avverte già la tesi secondo la quale l’azione volontaria e cosciente dell’uomo, libero delle sue scelte e responsabile di esse, capace d’indirizzare i suoi sforzi verso la realizzazione dei fini progettati, si contrappone alla forza bruta della natura.

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73 Il VI volume, Les associations populaires et coopératives contiene scritti del periodo 1864-187029. Le introduzioni e le note dettagliate dei curatori Claude Hébert e Jean- Pierre Potier, (pp.IX-XLIII, 11-13, 91-92, 109-110, 125-129, 233-235) permettono di collegare tutte le pagine alle attività cooperativistiche di Walras ed ai dibattiti dell’epoca sull’espansione delle cooperative e sul movimento mutualistico. Trattasi di documenti utili per la storia della cooperazione e per comprendere il formarsi delle idee sociali walrasiane. 74 L’idea di riunire in un volume gli scritti d’economia politica e sociale che non potevano trovare collocazione altrove, è dello stesso Léon Walras, che verso la fine del 1893 e la primavera del 1896 ne mette a punto la composizione. Negli anni successivi la riformula, ritocca e modifica molte pagine, trasforma la disposizione delle materie nelle nove sezioni o capitoli. Composto da scritti redatti negli anni 1860-1867, 1871-1896, 1902-1909, il manoscritto fa parte degli archivi versati, nell’estate del 1910, all’Università di Losanna. 75 Siccome nel 1911 le autorità accademiche vodesi considerarono non opportuna né utile la pubblicazione d’una tale raccolta di scritti vari, Aline Walras recuperò il manoscritto e tentò vanamente, anche coll’aiuto di E. Antonelli e di G. Leduc, di farlo stampare. Dopo tante peripezie i Mélanges d’économie politique et sociale vennero finalmente alla luce. Essi comprendono 29 saggi e formano il volume VII delle «Œuvres économiques complètes» curato, con la maestria e l’esattezza ormai ben note, da Claude Hébert e Jean-Pierre Potier30. Grazie alle tante ricerche archivistiche, alla consultazione di fonti documentarie edite ed inedite, i curatori risituano i testi nei relativi contesti storici, descrivono le diverse redazioni dei manoscritti walrasiani, indicano le date e i luoghi delle prime edizioni e delle ristampe e riassumono (pp.36-37) le successive composizioni e rifacimenti dati dall’autore al manoscritto. 76 L’ascendente d’Auguste sul figlio Léon è ben visibile nella maggior parte degli scritti qui riuniti. È forte nelle pagine sulla riforma delle imposte, sulla nazionalizzazione del suolo, sulla distinzione, che sarà affinata più tardi, tra capitale (fondiario, personale, mobiliare/artificiale) e reddito (lavoro, rendita, profitto), sul rigetto dell’intervento statale in materia di speculazioni immobiliari e d’affitti, sulle politiche monetarie, sulla borsa ed il credito, sul lavoro nelle fabbriche, sulle virtù del mercato libero e sulle differenze tra l’economia politica liberale ed il «socialismo empirico». Il testo, finora inedito, sull’industria moderna e l’economia politica (pp.135-154) riprende le critiche rivolte dal padre agli economisti inglesi che pretendevano trovare nel lavoro l’origine del valore e della ricchezza e lasciavano intravedere taluni vantaggi che l’industria avrebbe potuto ricavare dall’utilizzazione delle conoscenze prodotte dalla scienza dell’economia. Anche le pagine sulla colonizzazione dell’Algeria e sullo statuto della proprietà in quel paese (pp.164-175) meritano d’essere lette. Walras scrive che «les Arabes sont des vaincus», che essi formano «une société barbare où les éléments de l’individu et de l’Etat sont encore confondus dans une sorte de mélange pour ainsi dire embryonnnaire». Hanno il diritto di possedere «une partie de leurs terres afin qu’ils y pratiquent à leur gré la culture, mais il y a lieu également de réserver une autre partie de ces mêmes terres pour être, soit concédées, soit affermées en vue de pourvoir aux dépenses des services publics». 77 Le pagine più interessanti sono quelle consacrate alla scienza economica ed al suo insegnamento. Nell’articolo Paradoxe économique (pp.42-62) Walras preannunzia che la scienza non può fare affidamento sul senso comune, sulle conoscenze immediate e

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spontanee della realtà ottenute colle percezioni. La scienza trasforma progressivamente il dato sperimentale in un enunciato razionale, in una funzione, il contingente in necessità. «Le jour où toutes les sciences seraient ainsi faites, elles se confondraient les unes avec les autres en une science unique» (p. 257). Questo compito è facilitato dall’analisi matematica, da concetti quantitativi che non è necessario dimostrare; quest’analisi riesce a collegare la pratica alla teoria e la teoria alla pratica, i fatti ai principi ed i principi ai fatti. «Si l’économie politique pure devient science mathématique, un jour viendra où la loi de l’offre et de la demande, où le principe des frais de production, où la règle de la libre concurrence en matière de production et d’échange seront aussi universellement acceptés […]. Ce jour-là, l’économie politique aura cessé d’être une littérature, […], pour devenir peut-être la plus intéressante et la plus autorisée d’entre les sciences.» (p. 329). Walras, per semplificare, sostiene la superiorità del metodo astratto degli scambi concorrenziali ideali sul realismo descrittivo alla Marshall. 78 Che per matematizzare i fatti economici, per avere delle grandezze misurabili bisogna costruire delle funzioni arbitrarie e variabili negli stessi tempi e modi di quelli che rappresentano, delle costruzioni elaborate a partire d’ipotesi astratte (egoismo/ altruismo), è ritenuto irrilevante. Non si dà nessuna importanza al fatto che il sistema d’equazioni non ha né una soluzione unica né delle soluzioni reali positive e forse non ha soluzioni d’alcuna sorte. Il sistema d’equazioni non rende conto dei processi dinamici dei mercati, siano essi ipotetici secondo la prospettiva walresiana. 79 Queste pagine consacrate all’insegnamento dell’economia politica e delle scienze morali e politiche (pp.349-442) lasciano da parte tali questioni, non dicono nulla sull’esistenza e l’unicità dell’equilibrio generale, sul come conciliare la soluzione teorica col «tâtonnement» della teoria del mercato31, ma contengono delle lunghe variazioni sulla necessità di costruire, coll’aiuto delle matematiche, un linguaggio rigoroso, prerequisito di un’autentica scienza dei fatti economici e sociali32. 80 Nella sezione 9 (pp.448-517) si trovano riuniti sei testi, scritti tra il 1878 ed il 1909, dove si trovano reminiscenze autobiografiche, idee meglio espresse altrove, ma qui presentate con più ostinazione e passione. A titolo d’esempio si citano La paix par la justice sociale et le libre échange e Ruchonnet et le socialisme scientifique. Qui si difende di nuovo la tesi che la pace e la giustizia sociale non potranno essere realizzate dalla «politica empirica». Soltanto la scienza, dopo aver messo in evidenza le leggi della natura umana e della ricchezza sociale, potrà indicare le «solutions fécondes pour la paix et le bonheur de l’humanité». La scienza ha già rivelato la necessità per lo Stato di «racheter des terres en contractants des emprunts successifs […] Puis qu’il amortisse peu à peu ces emprunts au moyen des fermages croissants. Au bout d’un certain temps dans cent, cent cinquzante ou deux ans ans, il sera rentré dans ses droits naturels et pourra subsister sans impôts d’aucune espèce et en particulier sans droits d’importation.» Qui si portano alle estreme conseguenze i teoremi altrove dimostrati, sulla base del diritto naturale, che le facoltà personali sono la proprietà degli individui e che la terra è di proprietà dello Stato. 81 L’VIII volume ristampa gli Eléments d’économie politique pure ou Théorie de la richesse sociale33. Bisogna esprimere la nostra ammirazione entusiastica al curatore, Claude Mouchot, che ha comparato le edizioni del 1874, del 1889 (già rivista, corretta, aumentatata dall’autore), del 1896, del 1900 e quella postuma del 1926 (definitiva, nuovamente rivista ed aumentata dall’autore). La messa a confronto delle cinquue

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edizioni rivela tutti gli interventi (anche i più minuscoli) operati mel corso degli anni. Tutte le varianti sono notate, le trasformazioni datate e spiegate, le convezioni utilizzate sobriamente descritte. Mouchot, economista matematico, ha realizzato un lavoro da certosino assolutamente magistrale ed in più nuovo ed originale in un campo poco fruttuoso come quello delle edizioni delle grandi opere delle scienze economiche e sociali. In calce agli Elements…è ristampato l’Abrégé des Elements d’économie pure, pubblicato da Gaston Leduc nel 193834 e poi nel 1953, corredato da una tavola delle concordanze e da un glossario terminologico. Il testo che ebbe in illo tempore una diffusione quasi confidenziale aiuta a capire perché taluni teoremi fossero ritenuti dal Walras originali ed innovativi. Infine, la storia delle differenti ristampe ed edizioni degli Elements… e dell’Abrégé… ci mostra non solo la stratigrafia delle opere ma altresì ci rivela la maniera di lavorare, nel corso degli anni, del grande economista. L’edizione di Mouchot resterà a lungo un modello di riferimento e aiuterà gli studiosi a muoversi con facilità nel labirinto delle costruzioni teoriche walresiane. 82 La quintessenza della dottrina walrasiana si trova in questo volume. Qui è spiegato perché i criteri della verità, dell’utilità e della giustizia s’applicano ad oggeti specifici; qui prendiamo conoscenza degli argomenti mediante i quali i fatti naturali sono differenziati dai fatti umanitari; qui è detto che la scienza pura procede secondo la regola della verità, quella applicata è disciplinata dall’utile, dall’interesse e dall’efficacità, mentre quella morale dagli ideali del bene e della giustizia. 83 In questo volume si legge la definizione dell’economia in quanto scienza della ricchezza sociale, cioè delle cose materiali ed immateriali rare, utili all’uomo ma esistenti in quantità limitate. I beni rari e limitati sono appropriabili, quindi logicamente scambiabili. La rarità presuppone il valore di scambio, la produzione e la proprietà, che così diventano i caposaldi della tripartizione della scienza dell’economia. Il valore di scambio, prodotto indipendemente dalla volontà degli individui, presuppone la concorrenza ed è un fatto naturale, oggetto della scienza pura. La produzione, ossia l’organizzazione dei rapporti tra gli uomini e le cose per aumentare la ricchezza sociale, esige l’utilità e dà luogo ad una teoria applicata. La proprietà, identificata colla ripartizione, è un fatto umanitario concernente i rapporti tra le persone e forma la scienza morale basata sui criteri del bene e del giusto quali furono proclamati dalla Rivoluzione francese del 1789 e consacrati dalla Costituzione del 1791. 84 All’opposto del metodo sperimentale, induttivo, che descrive i fenomeni d’una determinata sfera della realtà, Walras è il fervente sostenitore del metodo deduttivo, razionale, fondato sulla costruzione di tipi ideali, da cui dedurre logicamente delle conclusioni applicabili poi ad una realtà imperfetta. Per Walras l’economia pura riposa su una serie d’operazioni e di trasformazioni logico-deduttive effettuate a partire da tipi ideali indifferenti al realismo. Essa non spiega la realtà, ma fornisce la dimostrazione scientifica d’un teorema. 85 Dobbiamo a Pierre Dockès l’édizione delle Etudes d’économie sociale (Théorie de la répartition de la richesse sociale), costituente il volume IX delle «Œuvres économiques complètes»35. Questo libro fu pubblicato per la prima volta nel 1896, l’autore ne preparò una nuova edizione tra il 1899 ed il 1900, ma questa seconda edizione venne alla luce soltanto nel 1936 grazie all’interessamento di G. Leduc. Dockès riprende, ovviamente, quest’ultima edizione, ma ci dà la cronologia dei testi ripresi in volume, tutte le varianti nonché un quadro dei diversi classamenti operati da Walras negli anni in cui preparò la prima e la seconda edizione della raccolta delle Etudes… Le note (pp.425-471) facilitano

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la lettura e forniscono informazioni precise su personaggi ed accadimenti dal 1860 al 1896. 86 La rassegna delle recensioni consacrate alla prima edizione delle Etudes…è molto interessante (pp.483-507). La ricezione dell’opera fu abbastanza tiepida. Alcuni dubitavano che la teoria del Walras potesse conciliare l’individualismo col comunismo, il liberalismo col socialismo, l’interesse con la giustizia, l’utilitarismo con il moralismo, che una tale dottrina potesse servire come fondamenta d’una politica economica e sociale reale, concreta. Altri contestavano l’utilizzazione delle matematiche, il ricorso a teorizzazioni astratte e alla meccanica del metodo deduttivo. Ammesso che la società ideale sarà quella in cui lo Stato assicurerà l’uguaglianza delle opportunità e gli individui potranno ottenere dei beni mediante la concorrenza, resta ancora da dimostrare in che maniera la proprietà privata e la libertà imprenditoriale potranno conciliarsi col socialismo, come il perseguimento dell’interesse individuale potrà essere compatibile con la giustizia e la solidarietà collettiva. Incerte restano le modalità grazie alle quali l’uguaglianza delle opportunità e delle condizioni riusciranno ad eliminare l’ineguaglianza delle posizioni. Se lo Stato deve assicurare l’uguaglianza delle condizioni iniziali per tutti, la libertà degli individui d’agire liberamente, di lavorare e di risparmiare, produrrà inevitabilmente delle ineguaglianze di posizioni sociali. Per Walras ciò è giusto e conforme alla giustizia:«Liberté de l’individu, autorité de l’Etat; égalité des conditions, inégalités des positions». 87 Quasi tutti i critici giudicarono la società ideale di Walras alla stregua d’un orizzonte irraggiungibile, assoluto, immaginario, come tante altre utopie elaborate dagli uomini nel corso della storia. Molti dubitarono che la collettivizzazione delle terre potesse essere realizzata e dare i frutti sperati poiché l’ipotesi che l’ha generata, la «théorie mathématique du prix des terres et de leur rachat par l’Etat» (pp.229-309) è debolissima. Niente, allo stato attuale delle conoscenze sulle variazioni dei tassi d’interesse nel lungo periodo, permette di presumere che il valore futuro delle terre sarà superiore al valore corrente ove, peraltro, sono già stati inclusi gli accrescimenti futuri anticipati della rendita. Presupporre che la rendita fondiaria coprirà le spese statali e ciò in virtù della credenza in un progresso economico naturale ineluttabile, è una visione azzardata, se non utopistica. 88 Anche la concezione walrasiana del socialismo scientifico suscita discussioni e riserve. Che la soluzione razionale alla questione sociale verrà dalla sintesi tra il liberalismo ed il socialismo, tra l’individualismo ed il socialismo, che la conciliazione del collettivismo in materia di ripartizione e produzione della ricchezza con il mercato della libera concorrenza sia nella natura del progresso economico, che il collettivismo possa coesistere armoniosamente con il mercato libero, che l’uguaglianza reale non produce inevitabilmente l’egualitarismo, tutte queste tesi suscitano dubbi e riserve, riassunti molto bene dall’editore del volume, il professore Dockès. La sua conclusione è acuta: Walras teme i monopoli, le attività fuori mercato, gli interventi del potere, la dominazione di gruppi settoriali; sogna uno Stato dotato d’una razionalità superiore, capace cioé di promuovere riforme razionali in vista della società ideale. Ma non dice con chiarezza in che maniera realizzarlo anche a lunga scadenza. 89 Il volume X ripubblica le Etudes d’économie politique appliquée. (Théorie de la production de la richesse sociale), ed è stato curato da Jean-Pierre Potier36. Questa raccolta venne alla luce nel 1898. Una nuova edizione fu approntata tra il 1899 ed il 1902, ma bisognerà aspettare il 1936 per vederne la stampa. Gli articoli riuniti in sette sezioni (Moneta &

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Teoria della moneta, Mopoli, Agricoltura-Industria-Commercio, Credito, Banca, Borsa, Abbozzo d’una teoria economica e sociale) sono stati pubblicati e ripubblicati separatamente ed in diverse occasioni ma non sempre in un’identica redazione. L’editore ha il merito d’avere collazionato accuratamente tutte le varianti di tutte le stampe e ristampe e d’indicare anche, in un apposito prospetto, le frasi e talvolta i paragrafi che si leggono anche nei testi dell’altra raccolta, quella del 1889, intitolata Eléments d’économie politique pure. Le note e le annotazioni esplicative (pp.443-511), numerose e sostanziose, facilitano la lettura d’un libro poco sistematico ed aiutano a fugare, ma non tutte per la verità, le titubanze, le insidie teoriche, le incongruenze, le oscurità, gli anacronismi che l’autore suscita talvolta col suo periodare stentato e ellittico. 90 Si sa che Walras fonda la teoria della moneta sul presupposto che i meccanismi dello scambio e della produzione sono dati dal mercato dei servizi e dal mercato dei prodotti. La teoria dei due mercati gli permette d’introdurre la nozione di numerario e di moneta e d’elaborare poi la legge della quantità in virtù della quale i prezzi sono sempre proporzionali alla quantità di merce moneta. Il che lo induce a sostenere che per ottenere la stabilità dei prezzi è necessario regolare le variazioni della quantità e del valore della merce moneta. L’intervento dello Stato non sarebbe perciò incompatibile colla libera conncorrenza. In più, poco realista sembra l’affermazione secondo la quale la concorrenza produce, per l’individuo e la collettività, il massimo di soddisfazioni. 91 I primi lettori di questa raccolta non riservarono alle tesi walrasiane una accoglienza favorevole. Il trattamento matematico della materia fu ritenuto da taluni artificiale da altri inutile. Denunciata fermamente, inoltre, fu la maniera di mettere in non cale la realtà, di ragionare a partire di finzioni, di tipi ideali, utilizzati poi per elaborare dei teoremi da cui ottenere, attraverso deduzioni, delle conclusioni dimostrative. Le dimostrazioni così ottenute, trasformate in modelli normativi, in regole di dover essere, furono giudicate da molti astrazioni, inapplicabili, irrealizzabili. Il curatore professore Potier ci dà una rassegna obbiettiva delle discussioni e dei dibattiti che le pubblicazioni della Teoria della moneta (pp.529-537) e degli Studi d’economia politica applicata (pp.539-548) suscitarono quando vemnnero pubblicati per la prima volta. 92 L’Abbozzo d’una dottrina economica e sociale (pp.405-441) è una presentazione sintentica della concezione walrasiana della scienza pura, della scienza morale, della scienza applicata e della pratica. La scienza pura dell’uomo e della società predetermina la scienza pura della ricchezza sociale e la teoria morale della ripartizione della ricchezza sociale. Dall’insieme di queste conoscenze e di questi saperi è dedotta una teoria applicata della produzione della ricchezza sociale ed è giudicata la politica sociale francese. La chiusa dell’abbozzo è la «prière du libre-penseur» ove s’uniscono e si confondono in una sorta di monismo intellettuale molto idealistico le astrattezze materialistiche e spiritualistiche le più antitetiche. Per alcuni queste pagine sono rivelatrici del sostrato metafisico delle dottrine walrasiane, per altri invece è il testamento filosofico d’un economista persuaso d’essere il creatore della scienza sociale contemporanea. 93 Il volume XI è l’edizione critica della Théorie mathématique de la richesse sociale et autres écrits d’économie pure, curata ottimamente da Claude Mouchot37, che l’ha scomposta in tre parti. La prima è formata dalle quattro memorie costituenti il famoso libretto del 1883, da saggi vari sul bimetallismo, sui biglietti di banca, sul prezzo della terra e da diversi appunti che rivelano le intenzioni di Walras di completarne e di prolungarne le

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problematiche. La seconda parte riunisce cronologicamente diversi scritti non inclusi nei Mélanges d’économie politique et sociale, come, tra l’altro, le tre redazioni dell’ Application des mathématiques à l’économie politique, le dieci lezioni del Système des phénomènes économiques e nove altri scritti, dove sono ripresi e meglio spiegati punti di dottrina, o vi si risponde a critiche espresse da recensori o da lettori in lettere private o ancora vi si riformulano le equazioni della circolazione. Nella terza parte, infine, sono state ristampate le recensioni della «Biblioteca dell’Economista», la bibliografia delle opere relative all’applicazione delle matematiche all’economia politica e diversi appunti e note a proposito di «Masse et rareté», interessanti per le analogie stabilite tra l’economia e la meccanica e per l’importanza attribuita alla statica ed alla dinamica nello studio dei fenomeni economici. Queste note fanno intravedere, senza abbellimenti retorici, l’idea che Walras si faceva dell’economia in quanto scienza non dissimile dalla fisica e dalla meccanica razionale. Gli inediti qui pubblicati non rivelano dettagli misconosciuti o variazioni rinnovate a proposito della teoria matematica della ricchezza sociale e dei fondamenti dell’economia pura, ma sono preziosi perché rendono palese la maniera di lavorare dell’autore, il suo mododi produrre teoria, di argomentare, d’elaborare, secondo criteri razionali, ipotesi, assiomi o postulati che gli permettono poi di formulare teoremi. 94 Il volume XII è intitolato Cours. Cours d’économie sociale. Cours d’économie politique appliquée. «Matériaux du» Cours d’économie politique pure, riunisce materiali diversi prodotti durante il ventennio d’insegnamento a Losanna, la maggior parte inediti, ed è stato curato da Pierre Dockès, Jean-Pierre Potier e Pascal Bridel38. Un’introduzione generale (pp.9-41) descrive le caratteristiche principali dell’insegnamento di Walras, come preparava le lezioni, in che maniera le dava e le variazioni che introduceva, anno dopo anno, nei temi trattati. Grazie ai dati forniti dagli editori (pp.45-112) si scoprono i tempi e le modalità di composizione dei Corsi negli anni che vanno dal 1871-1872 al 1892. Un prospetto indica l’anno in cui un tema è esposto, in quale anno è stato ripreso ed la collocazione che gli è data nella trattazione generale. Le concordanze tra i corsi qui stampati e gli scritti già editi e quelli venuti alla luce successivamente, rivelano il lavorio, persistente, ininterrotto, su tutte le sue pagine, le continue riprese, trasposizioni, utilizzazioni in contesti diversi ed analoghi. Non si può dire che essi aggiungano elementi nuovi ed originali per la conoscenza delle dottrine walrasiane, eppure esprimono con una precisione nitida le differenze tra l’economia politica pura, o teoria del valore di scambio e della ricchezza sociale, l’economia politica applicata, o teoria dell’indusatria e della produzione della ricchezza sociale, e l’economia sociale, o teoria della proprietà, dell’imposta e della ripartizione della ricchezza sociale. 95 Il corso d’economia sociale è composto da sessanta lezioni (pp.115-381), quello d’economia politica applicata (pp.445-714) da sessantasei, mentre quello d’economia politica pura dagli appunti delle lezioni prese dallo studente Georges Pellis e dai materiali che Walras fornì a Pareto per facilitargli le prime lezioni (pp.741-794). 96 La documentazione riunita dai curatori per inquadrare storicamente questi corsi, per conoscerne la stratigrafia, le logiche strutturanti la loro composizione, per metterne allo scoperto i modi di produzione e di riproduzione, mostrano il Walras al lavoro in un cantiere accuratamente recintato e ognora convinto dell’assoluta originalità delle sue teorie, della loro superiorità rispetto a tutte le altre in auge tra gli economisti del passato e quelli a lui contemporanei.

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97 Le pagine in cui Walras tenta di dare una prospettiva «scientifica» all’economia sociale («De l’homme et de la destinée humaine.Les catégories sociales»; «Distinction entre les sciences sociales et la politique. Méthode de la science sociale»; «De la concordance de l’intérêt et de la justice.Critère de la science sociale»; «De l’individu et de l’Etat. Formule générale de constitution de la science sociale») restano estranee ai dibattiti epistemologici che negli ultimi decenni della fine del XIX° secolo videro impegnati tanti e tanti filosofi, giuristi, linguisti, economisti e sociologi. Walras legge e discute soprattutto i pubblicisti ed i politici francesi; le sue conoscenze della filosofia della scienza della sua epoca (per esempio, Adrien Naville, Ernest Roguin, Ferdinand de Saussure, ecc., per citare soltanto alcuni suoi contemporanei colleghi universitari romandi) sono assai carenti e talvolta hanno l’andamento della predica ispirata39. 98 Il corso d’economia politica applicata è strutturato in maniera eccellente. Walras cominciò a leggerlo (meglio sarebbe dire: a dettarlo ai suoi studenti) negli anni accademici 1871, 1872-73, 1874-75, e poi durante i semestri d’estate (cinque ore settimanali) del 1877, 1879, 1881, 1883, 1885, 1887, 1889. Già nel 1881 preparò un piano per darlo alle stampe. Riprese il progetto nel 1893-1894 e lo abbandonò davanti alle difficoltà incontrate per la pubblicazione delle sue opere. Il corso contiene molte pagine inedite e completa, in un certo senso, molti argomenti che si leggono nella raccolta a stampa degli studi (1896) di economia politica applicata. Le lezioni del corso si concatenano in maniera quasi perfetta. La descrizione dei regimi economici, il ruolo della concorrenza, la natura dei sistemi economici introducono ottimamente alle analisi dell’agricoltura, dell’industria, del commercio, del credito, delle istituzioni bancarie ed assicuratrive, della borsa e delle crisi monetarie, industriali, commerciali e finanziarie. 99 Non abbiamo il testo del corso d’economia politica pura, ma la ricostruzione datane dai curatori del volume, i materiali da essi raccolti, le informazioni racimolate nei carteggi, nei programmi universitari, nei ricordi degli allievi, aiutano a delineare l’evoluzione di questo insegnamento tra il 1870 ed il 1892. Walras riprende ciò che ha scritto nelle diverse edizioni degli Elementi d’economia politica pura, detta, per esempio, i brani principali della teoria dell’equilibrio generale agli studenti, non dà mai nuove spiegazioni né tenta d’essere più chiaro fornendo delle esemplificazioni. Le sue tecniche scolastiche d’insegnamento, la sua pedagogia categorica e dommatica, il suo comportamento paternalistico ed autoritaritario, fanno del grande teorico un docente insipido e mediocre40. Walras non sa distinguere la maniera di presentare un argomento nel corso d’una lezione e la tecnica del ricercatore di comunicare le proprie scoperte agli specialisti della materia. Nondimeno è così persuaso della superiorità di quello che trasmette col suo insegnamento che immagina dovere il suo successore, Vilfredo Pareto, ispirarsene e proseguirlo fedelmente. 100 I curatori di questo XII volume hanno ritrovato il volume fittivo che Walras aveva fabbricato per Pareto, con scritti tratti da volumi e da articoli disparati, con «passages cannibalisés» qui e là. Scrivono a questo proposito i curatori: «A l’aide d’une paire de ciseaux et de colle, Walras combine avec un soin extrême ces divers éléments pour le moins hétéroclites. La minutie avec laquelle il procède à la correction de ce cours est notamment illustrée par sa tentative de numéroter d’une manière continue des documents de plusieurs provenances.» (p. 734) Sappiamo, dalle lettere a Maffeo Pantaleoni, che Pareto prese conoscenza della documentazione datagli da Walras ma che non l’utilizzò né se ne ispirò. Confiderà all’amico: «Soddisfo all’ossequio che credo

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dovuto al Walras, lodandolo ogni momento, ma poi spiego le cose in modo da essere capito da tutti.» 101 Com’è noto, i rapporti tra i due divennero subito freddi e più tardi addirittura scostanti. Walras riteneva falsa la dimostrazione paretiana della condizione del minimum del prezzo di produzione come condizione del maximum d’utilità effettiva totale.Quella dimostrazione gli sembrava provare tutt’al più la fondatezza della dottrina che afferma trattarsi del maximum della ricchezza valutata in numerario. Per lui, Pareto immagina che gli uomini abbiano delle curve d’utilità false. «Dans mes recherches d’Economie politique pure, je suppose des échangeurs ayant des courbes d’utilité vraie. M. Vilfredo Pareto a cru devoir y substituer des courbes d’ophélimité /agréabilité ou désirabilité. Cette différence provient de celle de nos points de vue philosophiques et scientifiques. M. Pareto croit que le but de la science est de se rapprocher de plus en plus de la réalité par des approximations successives. Et moi je crois que le but final de la science est de rapprocher la réalité d’un certain idéal; c’est pourquoi je formule cet idéal.» 102 Per Pareto, al contrario, una tale pretesa è una metafisicheria, donde l’incomprensione e poi anche l’ostilità a proposito d’una parte non certo secondaria delle dottrine walrasiane. 103 Il volume XIII comprende le Œuvres diverses, ripartite in sette sezioni, ed è stato curato e magistralmente annotato (pp.653-723) da Pierre Dockès, da Claude Mouchot et da Jean- Pierre Potier41. Nella prima sezione si trovano quattordici testi (dieci editi e quattro inediti) redatti tra il 1858 ed il 1867. Gli argomenti trattati sono disparati e non armonizzabili tra loro. A leggerli attentamente vi si rovano pochi spunti che diventeranno più tardi teorie ben formate. Per esempio, la differenza tra il senso comune e la scienza, la necessità per quest’ultima di non sottomettersi ciecamente al primo. Per Walras «le sens commun réunit les points de vue, confond les idées, épargne les mots; et voilà comment la science, au contraire, distinguant et séparant les points de vue et les idées, emploie deux ou trois mots, quelquefois davantage, là où un seul suffit au vulgaire. Le sens commun dit valeur; la science dit tantôt valeur esthétique, tantôt valeur archéologique, tantôt valeur de souvenir et de sentiments, tantôt valeur d’échange ou valeur économique. […] Partout où le bon sens voit la tension de muscles ou du cerveau, il prononce qu’il y a travail; l’économie politique affirme qu’il y a travail toutes les fois qu’elle reconnaît un effort physique ou intellectuel susceptible de valoir et de s’échanger; elle nie qu’il y ait travail, toutes les fois qu’elle reconnaît un effort non susceptible d’être payé d’un salaire. Ce dernier cas est celui de la spéculation; ce l’est au moins dans le cas évoqué. Il est donc incontestable que la spéculation n’est absolument pas un travail économique.» (p. 54) 104 Il rapporto tra la scienza ed il senso comune resterà a lungo al centro del dibattito epistemologico francese e sarà teorizzato da Louis Althusser à Pierre Bourdieu, nell’ultima parte del secolo XX°, e sintetizzato colla formula «rupture épistémologique». 105 La seconda sezione del volume riunisce, sotto il titoletto «Economia sociale», cinque scritti, quattro redatti nel 1860 ed uno del 1872. Sono i primi incunaboli delle dottrine walrasiane e perciò utili soprattutto per lo studio della genesi e della storia delle teorie economiche sociali. 106 Nella terza sezione sono stati ristampati dieci testi, redatti tra il 1865 ed il 1899, i quali costituiscono degli utili complementi alle pagine degli Studi d’economia politica applicata. Il più interessante è quello intitolato «Un sistema razionale di moneta», ove s’intravede

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un abbozzo rudimentario della distinzione tra la razionalità soggettiva dell’attore e la razionalità oggettiva delle preferenze e degli obbiettivi ipotizzati. 107 Nella quarta sezione sono pubblicati due rapporti, rispettivamente del 1874 e del 1878, su questioni attuariali e scritti su mandato d’una compagnia d’assicurazioni, mentre nella quinta leggiamo sei recensioni, nessuna delle quali suscita, in verità, entusiasmo o curiosità. 108 La sesta sezione, intitolata «Note d’umore», è a sua volta suddivisa in quattro parti: Osservazioni autobiografiche, Analisi critica dell’economia politica e giudizi individualizzati, Considerazioni sul progetto scientifico, Riflessioni filosofiche e varie. 109 Queste note si leggono con attenzione benché non rivelino granché di nuovo e d’importante a proposito dell’opera e del mondo ideale walrasiani. L’uomo Walras controlla la sua aggressività, la sua durezza, il suo narcisismo, il suo egotismo. I suoi giudizi sono fondamentalmente categorici, talvolta persino taglienti e sprezzanti. È inflessibile e instancabile nella difesa delle sue dottrine, è sordo alle critiche, ed invecchiando diventa sempre più rancoroso, amaro, vanitoso, e di meno in meno affabile, sensibile, generoso, accessibile alle idee altrui, punto attento alle ricerche estranee alle sue opzioni teoriche e metodologiche. Ciò che scrive contro gli economisti e le istituzioni accademiche francesi, l’incomprensione rispetto a tutti quelli che non condividono in modo totale, senza riserve, le sue dottrine, i suoi approcci, le sue idealità, rivela le chiusure dello scienziato che è convinto che il suo modello economico è la norma dell’economia razionale nonché la fede del riformatore sociale in un ideale morale ricavato dalla teoria della proprietà esplicitamente normativa. 110 La settima sezione è una miscellanea di noterelle diverse (pp.629-652) che forniscono delle informazioni utili per la biografia walrasiana. Il primo testo racconta l’entrata a Losanna, il 1° febbraio 1871, degli 80.000 soldati del Corpo d’Armata comandato dal generale Justin Clinchat, successore del generale Bourbaki, battuti dai Prussiani il 15-17 gennaio 1871 nel corso della battaglia della Lisaine. Gli altri concernono le attività accademiche vodesi, eccezion fatta per il brogliaccio d’una recensione al libro di Henri Poincaré, La science et l’hypothèse (1902), che nella redazione finale si sarebbe conclusa così: «Ma métaphysique ne m’interdit pas de croire que l’Univers a quelques rapports avec la raison et que la liberté humaine a le droit et même le devoir de chercher ces rapports et d’en faire son profit. J’use de ces droits et replis ce devoir. Mais il est certain qu’ici l’homme de science mathématique et physique et l’homme de science morale sont dans une position opposée.» (p. 648) 111 La lettura di questi bei volumi dimostra inequivocabilmente che tra l’economia pura, l’economia applicata e l’economia sociale esiste, per Walras, un rapporto dialettico sostanzioso, che tra la teoria della società economica e la teoria della società in generale esiste una forte interdipendenza. Ma perché allora tutti gli studiosi contemporanei si sono soffermati soprattutto sull’economia politica pura, e più particolarmente sulla teoria dell’equilibrio generale, ossia (a) sullo studio delle quantità scambiate e dei prezzi dei beni di consumo, (b) sulle quantità scambiate e sui prezzi dei servizi produttivi dei capitali e dei beni intermedi, (c) sulle quantità e sui prezzi dei capitali, (d) sulle quantità e sui prezzi delle anticipazioni e del capitale circolante? Perché essi hanno riservato un’attenzione particolare ai soli concetti di capitale, di reddito, d’imprenditore, di formazione dei prezzi, di concorrenza? Perché l’economia applicata e l’economia sociale hanno suscitato scarsi interessi e consensi, perché i

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lavori walrasiani in quelle materie non hanno prodotto frutti nemmeno nei molteplici settori della sociologia economica oggi in piena espansione?42 112 Non vi sono risposte univoche a questi interrogativi. La conoscenza di un’opera, nella sua genesi e nella sua cronologia, nelle diverse discipline delle scienze sociali, non ha mai favorito il fiorire d’interpretazioni imparziali ed i volumi qui presentati non rimedieranno all’andazzo corrente nella disciplina economica. Gli studiosi d’oggi ricercano nelle opere del passato materiali per meglio consolidare e annobilire le loro costruzioni teoriche, per illuminare, colla luce delle opere del passato, i problemi attuali ancora irrisolti, per delinearli un po’ meglio. Per la maggior parte degli economisti la storia delle dottrine economiche è una sorta di albero genealogico, il blasone della disciplina. Persino la terminologia utilzzata (dottrine economiche, pensiero economico, analisi economica) indica approcci analoghi, è il referente d’una stessa realtà, del medesimo blasone. 113 Le ragioni di questo stato di fatto si possono ritrovare nella genesi della storia delle dottrine economiche, il cui atto fondatore fu firmato, com’è noto, dagli iniziatori della Scuola storica e dai Socialisti. Infatti, gli uni e gli altri si fecero promotori dello studio delle dottrine economiche per ragioni meramente pratiche. Desiderando elaborare un metodo autonomo ed originale in economia politica, essi furono indotti, per opposizione agli economisti classici, a ricostruire lo svolgimento di certe dottrine nel tempo e nello spazio, a ritrovarne le ragioni nei contesti sociali in cui si erano sviluppate. Ma mentre i seguaci della Scuola storica conclusero che la storia delle dottrine è parte integrante della storia economica ed in questa inclusero l’economia politica in quanto scienza, i Socialisti, con il Marx delle Theorien über Mehrwert e con l’Engels dell’Anti-Düring, proposero un progetto più originale. 114 Pur riconoscendo che i contesti storico-sociali debbono essere le premesse indispensabili per la ricostruzione delle teorie e delle dottrine, gli studiosi socialisti ammisero anche che per comprendere la realtà economica d’una data formazione sociale d’una data epoca storica, bisogna ricorrere ad una serie d’ipotesi, la cui validità è verificabile sia nel corso stesso dell’indagine sia alla fine della stessa. Ciò posto, diveniva appunto concepibile una storia delle «ipotesi», storia del tutto distinta dalla storia dei fatti economici. 115 Il capitalismo, proprio perché ha creato un tipo relativamente omogeneo d’uomo economico, ha fatto sì che l’ipotesi, o modello, non fosse completamente arbitraria nella sua astrattezza. Anzi, l’astrazione è divenuta una sorta di mezzo più semplice per avvicinarsi agevolmente allo studio delle attività economiche. Per conseguenza, le ipotesi, che costituiscono le fondamenta stesse delle opere degli economisti, proprio perché hanno un peculiarissimo rapporto colla realtà, possono essere oggetto di storia. E lo studio sistematico di queste ipotesi può dare – secondo Marx – una descrizione della realtà sociale. Per esempio, lo studio delle opere di Smith e di Ricardo può costituire la chiave di volta per comprendere la società inglese dei loro tempi. 116 Poiché le teorie sono legate direttamente alla realtà, la storia delle dottrine comprenderà unicamente lo studio delle «ipotesi», delle «teorie», oppure anche quello dell’interazione tra le condizioni obbiettive e la teorizzazione umana? Dal momento che le idee hanno la loro radice nelle istituzioni, nei rapporti di classe, negli interessi contrastanti dei gruppi sociali, dov’è la linea divisoria tra l’ipotesi nella sua purezza astratta e l’ipotesi riflesso dell’effettuale?

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117 Se il genio di Marx ed il buon senso di Engels hanno saputo evitare, in pratica, molte difficoltà derivanti da un’applicazione pedissequa della loro metodologia, la questione di base, cioé cosa bisogna intendere per dottrine economiche, è restata in pendenza. I loro successori hanno dovuto affrontare il problema della natura delle dottrine, della differenza tra storia delle dottrine e storia della scienza, della peculiarità delle dottrine, delle teorie, della scienza economica. È ovvio che dalla soluzione di questo problema dipendeva e dipende l’elaborazione del metodo di ricerca e la fissazione dei limiti della disciplina. 118 Per Marx dottrina e teoria sono sinonimi, anzi si confondono nella più ampia nozione di ideologia. Ma già gli stessi suoi discipoli respingono tale riduzione. Quelli che fanno professione di storia utilizzano il termine dottrina nel senso generico di riflessione sull’attività economica; quelli invece che si occupano di economia propendono per un’accezione più restrittiva. Benché i loro argomenti siano poco chiari o poco definiti, essi utilizzano il termine scienza e parlano volontieri di storia della scienza. Sul piano pratico la loro posizione si confonderà con quelle degli altri economisti seguaci delle differenti scuole, i quali credevano che la scienza economica fosse una scienza come la matematica o come la fisica. 119 Ma cos’è che rende scienza l’economia? Il metodo, che è un metodo scientifico? Allora la storia sarà la storia di questo metodo? Oppure è scienza perché procede nello studio dei fenomeni similmente alle scienze dette naturali? 120 Pochi economisti, tra la fine del secolo XIX° ed i principi del XX° secolo, pensavano che la dignità di scienza potesse attribuirsi ad una disciplina solo perché questa utilizzasse un metodo scientifico, altrimenti avrebbero dovuto riconoscere il carattere di scienza alla teologia; altri, al contrario, ritenevano che l’economia fosse molto prossima alla matematica o alla fisica, che fosse una sorta di meccanica razionale. 121 Che la matematica sia una scienza strumentale, complementare, quasi una tecnica, addirittura una logica formale, colla quale del resto la matematica superiore si confonde di più in più; che la fisica sia una scienza naturale, capace di «ripetere», duplicare accadimenti e fenomeni per meglio comprenderli o per verificare ipotesi e stabilire poi teoremi, – ciò non è stato quasi mai attentamente valutato. 122 Per molti economisti per scienza economica bisogna intendere quel complesso di teorie che sono elaborate a partire d’una ipotesi, d’un essendo dato…, che nella fattispecie è un dato mercato nei suoi elementi relativamente costanti, variabili o in sviluppo. Questo processo d’astrazioni successive è l’oggetto della storia, d’un certo tipo di storia di cui ha bisogno l’economista e di cui, ovviamente, non ha bisognolo lo storico generale. 123 Una tale tesi è stata portata alle sue più estreme conseguenze da Maffeo Pantaleoni, economista geniale, multiforme, eclettico, estroso, sconquassatore dell’assetto sia delle discipline speculative sia di quelle applicative43. 124 Pantaleoni afferma esistere una differenza sostanziale tra l’economia pura e l’economia applicata. La prima sarebbe una scienza teorematica, non puramente formale, mentre la seconda una scienza storica. Gli economisti debbono interessarsi alla storia delle dottrine dell’economia pura; la storia dell’economia applicata resta di competenza dello storico dei fatti economici. La storia delle dottrine deve prendere in considerazione unicamente «il patrimonio scientifico presente», in altri termine deve occuparsi esclusivamente delle verità economiche. Pantaleoni è persuaso che sia possibile stabilire la verità e la falsità d’una dottrina mercé la logica deduttiva o la logica

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induttiva; ripete perciò che una cosa è la storia dello storico ed un’altra quella dell’economista. Quando l’economista s’occupa di storia seleziona, sceglie, omogeinizza i dati; per lo storico, invece, un fatto vale l’altro, nessun fatto può scartarsi, tutti i dati debbono essere collocati nel contesto da cui sono stati prodotti ed al quale appartengono44. 125 Se bisogna riconoscere al Pantaleoni il merito d’aver indicato con energia l’importanza gnoseologica delle dottrine per l’economista, bisogna altresì riconoscere che il suo tentativo d’attribuire o di donare un’autonomia, all’interno delle scienze dell’uomo e della società, alla storia delle dottrine economiche, di sottrarla alle mire fusionistiche degli storici, è completamente fallito. 126 Si possono, infatti, rivolgere al Pantaleoni due sorte di critiche, ambedue assai decisive. Una, formulata già dal Montemartini45, per la quale la tesi di Panteleoni sarebbe accettabile se fosse detto cos’è la verità, o il vero economico. Per il momento noi conosciamo solo i rapporti tra i fenomeni e ci sforziamo di mettere in luce le leggi che regolano tali rapporti. Questi rapporti e queste leggi sono condizionati e dettate dalla situazione storica, dalle posizioni e dagli atteggiamenti dell’osservatore, insomma da un complesso d’elementi psico-fisici. Mettere in luce codesti rapporti, districare il complesso d’elementi che sono alla base di tali rapporti, è la maniera di «fare storia». Pantaleoni dice: «È compito dello storico dell’economia dimostrare la genesi delle verità generalissime dalla invenzione graduale di verità assai meno generali e di queste da verità più particolari ancora e queste dalla osservazione di casi del tutto concreti. Questa è storia di dottrina.» Benissimo, ma in che modo, dal momento che risulta impossibile prescindere dall’osservatore, dalla posizione che occupa nel tempo e nello spazio? 127 Che si pensi alle teorie della scienza delle finanze che cambiano a seconda che prendiamo come punto di partenza una certa nozione, filosofica o giuridica, dello Stato. Ciò dipende anche dalla relatività delle nostre conoscenze, dal nostro rapporto col reale, dai nostri interessi, dai nostri sentimenti. Proprio per questo i problemi scientifici sono sottomessi a continue revisioni, a perpetui aggiornamenti. Con altre parole, Montemartini dubitava che si potesse fare una storia delle dottrine quale la teorizzava Pantaleoni, e appunto perciò rivendicava energicamente la necessità che questa storia comprendesse tutte le dottrine economiche, studiate nel loro humus storico-sociale. 128 Dal canto suo Vilfredo Pareto osservava, in un primo tempo, che una dottrina si può studiare seguendo due metodi: (a) intrinsecamente, seguendo cioé la concatenazione logica degli enunciati, delle definizioni, delle trasformazioni; (b) estrinsecamente, cioé dal punto di vista di quelli che l’hanno elaborata e dal punto di vista di quelli che l’hanno accolta. 129 Dal punto di vista intrinseco la storia delle dottrine false o caduche non ha importanza né è immediatamente utile; dal punto di vista estrinseco ha, al contrario, un valore primordiale. Grazie a questo studio possiamo conoscere certi atteggiamenti, certe disposizioni, certi caratteri degli uomini. Infatti, poiché gli uomini optano per una dottrina economica spintivi da ragioni sentimentali o d’interesse, lo studio d’una tale opzione è non solo interessante ma anche utile. E per compierlo abbiamo una sola via perseguibile: analizzare gli effetti, ossia le opinioni che gli uomini hanno manifestato a proposito delle cose economiche. Pareto scriverà a questo proposito: «La storia delle dottrine è utile, come tutte le storie, per conoscere le relazioni fra le cose che ne

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costituiscono la materia. Sarebbe desiderabile che fosse scritta solo da coloro che conoscono tali oggetti. È alquanto ridicolo che la maggior parte della storia dell’economia sia fatta da persone che ignorano la scienza economica. Non viene in mente a chi ignora la chimica, la fisica, l’astronomia, la fisiologia, di fare la storia di queste scienze; invece c’è chi scrive la storia del lavoro, della moneta, della protezione, o dell’economia in genere, e non ha che poche o punte nozioni delle cose di cui discorre.» 46 E nell’articolo Economia sperimentale aggiunge: «Che utilità può avere la storia delle teorie per costituire una teoria rigorosamente sperimentale? Tale utilità ci può essere per le teorie che hanno un assintoto, per esempio la matematica, l’astronomia, la fisica, ecc.; è scarsa, scarsissima per le teorie che non hanno un assintoto, come ad esempio moltissime teorie dell’economia. Ma pure anche le teorie sono fatti. Giustissima è l’osservazione. La storia di questi fatti è il fondamento di una teoria di essi, cioé di una teoria delle teorie.[…] Ciò facendo si vedrà che nulla hanno di speciale; esprimono semplicemente sentimenti ed interessi: ed è perché e questi e quelli durano che durano pure le teorie raccolte ai due poli opposti.»47 130 La paradossalità d’una tale posizione è stata giustamente avvertita da diversi studiosi, i quali ritengono essenziale sceverare l’aspetto positivo, obbiettivo, la parte di verità scientifica contenuta in un testo, dall’aspetto soggettivo, ossia dall’ideologia dell’autore. Ma per arrivare a tale separazione, bisogna prima descrivere l’ambiente intellettuale, economico e sociale nel quale ha vissuto l’autore di quel dato testo. Pur riconoscendo i legami esistenti tra la scienza economica ed il mondo economico, i partigiani di questa tesi non riescono ad evidenziarli conseguenteme poiché non sanno in che maniera confrontare le dottrine descritte colla realtà sociale e politica del tempo, non arrivano a notare le concordanze e le discordanze tra le prime e le seconde, né a spiegare le une attraverso le altre o questa attraverso quella. 131 Grande, in questo caso, è il rischio di dissolvere la storia delle dottrine nella storia della cultura. Il che, ovviamente, è inaccettabile sia per gli economisti e gli storici dell’economia sia per gli storici delle idee e della vita culturale 132 Luigi Einaudi, proprio partendo da questa tesi, dichiarava apertis verbis che le opere degli economisti sono le fonti, o meglio una delle fonti della storia economica. Non c’è soluzione di continuità tra la storia economica e la storia delle dottrine economiche. Astrattamente si potrebbe attribuire alla prima lo studio delle azioni economiche ed alla seconda lo studio delle azioni espresse su quelle azioni, ma nella pratica i due aspetti si presentano fusi, o compenetrantisi l’uno all’altro. Perciò l’Einaudi propende per la riduzione della storia delle dottrine alla storia economica, benché le dottrine abbiano una parte privilegiata allorché si scrive la biografia d’un economista, unico genere che avrebbe una certa giustificazione pratica e culturale. 133 Che per gli economisti la storia delle dottrine costituisca lo strumento per meglio comprendere questa o quella teoria, per afferrare certi cambiamenti nella scienza economica, o per conoscere le ragioni d’una rivoluzione o quelle dell’adozione d’un paradigma, per Einaudi non ha molta importanza. Riteneva che non si hanno teorie indipendemente dai fatti, anzi i fatti precedono e generano le teorie48. 134 Le prospettive dello storico sono diverse da quelle dell’economista. Lo storico situa l’economico, fatti e dottrine, all’interno del divenire e lo confronta con la realtà politico-economico-sociale, e talvolta persino colle grandi concezioni filosofiche che impregnano una determinata epoca. Così la dottrina e il fatto economico diventano l’espressione d’una realtà o la rappresentazione d’una situazione contestuale, d’una

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aspirazione umana o anche d’un valore morale. Invece, per l’economista questo ha relativamente scarsa importanza. Quello che s’attende dallo storico è la raccolta di fatti «autentici», presentati allo stato originario. 135 Lo storico ha però sotto gli occhi un copioso materiale: descrizioni, ideali, proposte, programmi, teorie-dottrine, opinioni, ecc. ecc. In che maniera procedere alla raccolta, alla scelta, alla classificazione, alla presentazione? 136 G. Pirou ha tentato di mettere un po’ d’ordine tra tanta confusione. Egli distingue la scienza propriamente detta dalla dottrina: la scienza è al riparo dei conflitti filosofici, religiosi, sentimentali, mentre le dottrine partecipano a codesti conflitti. La scienza ha per scopo di spiegare la realtà, le dottrine di cambiarla. Con altre parole, Pirou propone di separare, nella maniera più netta, le dottrine dalla teoria, la spiegazione dall’apprezzamento, la conoscenza del reale dal giudizio di valore, ciò che è da ciò che dev’essere. Per comprendere una dottrina è necessario riferirsi all’ambiente storico in cui quella nacque e si sviluppò; per comprendere una teoria, invece, si deve prescindere da quell’ambiente49. 137 Nella pratica della ricerca non esistono strumenti o criteri per riconoscere e differenziare una dottrina da una teoria. Inutile citare, a titolo d’esempio, le dottrine del capitale, le teorie del valore, del profitto o anche quelle dell’equilibrio generale e degli equilibri parziali. 138 Dal canto suo A. Fanfani ha proposto di distinguere la scienza economica dalle dottrine economiche e queste dalla storia economica. Quest’ultima deve prendere in considerazione le dottrine solo quando queste servono a meglio comprendere i fatti. Lo studio della genesi, dello sviluppo, del significato e del valore delle dottrine, è l’oggetto della storiografia delle dottrine, alla quale spetta altresì il compito di stabilire in quale misura le idee agiscono sui fatti. Benché legate dialetticamente alla storia, le dottrine conservano una loro autonomia. 139 Per distinguere e poi caratterizzare una dottrina, Fanfani ricorre alla nozione di opinione. L’osservatore si trova –allorché s’occupa di questi problemi- di fronte ad un complesso d’elementi scarsamente elaborati dal punto di vista critico, per nulla fusi in un sistema coerente, oppure ha davanti a sé qualcosa di sistematico ed omogeneo. Nel primo caso trattasi d’opinioni, nel secondo di dottrine. L’opinione non è il prodotto d’un autore, mentre la dottrina è l’opera d’un individuo. Va da sé che un’opinione può diventare dottrina e che una dottrina può generare un’opinione. Per distinguere quella da questa, bisogna identificare nell’oggetto studiato (a) i presupposti, ossia le idee filosofiche dell’autore, (b) le osservazioni, ossia le nozioni che l’autore ricava dallo studio del fenomeno economico, (c) le regole e le prescrizioni che l’autore propone. In poche parole, lo studio delle dottrine è qualcosa di più del semplice studio della scienza economica, la quale s’occupa unicamente delle leggi regolanti i fenomeni economici. 140 Le dottrine, che stanno alla scienza come il tutto sta alla parte, sono distribuite dal Fanfani in tre categorie: dottrine naturaliste, intendendo per tali quelle che ammettono la razionalità dell’ordine naturale; le dottrine volontariste, quelle che riconoscono alla volontà umana la capacità di mettere in pratica i dettati della ragione; dottrine neo- volontariste, quelle che negano l’esistenza d’un ordine economico razionale ma ammettono la posssibilità di costruirne uno. 141 Se la concezione dei rapporti tra dottrine e fatti è ricevibile, le distinzioni tra dottrine ed opinioni sono discutibili. Un’opinione non è il risultato d’uno sforzo collettivo; una

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dottrina non è il risultato d’una attività individuale. Le opinioni non sempre hanno la forma a-sistematica e le dottrine quella sistematica. Sovente le opinioni si presentano allo studioso come un blocco compatto, talvolta appena screziato. In più, le ricerche recenti delle scienze cognitive hanno mostrato gli strani e tortuosi cammini che le idee, individuali e collettive, debbono seguire per strutturarsi in formulazioni, più o meno coerenti, in concetti, in nozioni, in rappresentazioni individuali e sociali50. 142 Anche la distinzione tra scienza e dottrina è opinabile. Ridurre la scienza economica alla ricerca delle leggi economiche e le dottrine ad essere un’interpretazione- spiegazione del mondo, è contestabile. Lo specifico della scienza economica, almeno sinora, è stato la messa in evidenza e la spiegazione dei rapporti d’interdipendenza, di concomitanza, di causalità nell’agire economico; s’è configurata come l’analisi delle strutture, dell’identificazione degli elementi relatrivamente costanti che determinano un mercato e degli elementi relativamente variabili che caratterizzano le crisi di congiuntura. Nella pratica risulta impossibile distinguere la dottrina dalla scienza51. 143 Schumpeter, cosciente di questa difficoltà, ha proposto di lasciare alla storia economica la storia delle dottrine, di lasciare altresì in un canto la storia del pensiero o della teoria o della scienza, date l’impossibilità di fissarne la natura ed il metodo, e d’occuparsi unicamente dello studio dell’analisi economica, cioé dei metodi coi quali le concettualizzazioni della disciplina sono costruite per ottenere le nozioni indispensabili alla scomposizione ed all’esposizione degli oggetti analizzati dall’economia. Schumpeter ammette che l’analisi economica è una parte soltanto del pensiero economico, che l’evoluzione del pensiero va di pari col progresso dell’analisi, ma per comodità preferisce tenere separati i due settori52. 144 I dibatti recenti non hanno modificato i termini della questione. I rapporti tra gli economisti e gli storici restano sempre problematici, il dialogo tra i culturi delle diverse scienze sociali quasi impossibile, persino nei settori ove gli scambi potrebbero essere reciprocamente profittevoli53. 145 Gli economisti, molto probabilmente, continueranno a leggere i classici del pensiero economico in funzione delle costruzioni teoriche alle quali si dedicano. E le «Œuvres économiques complètes» d’Auguste e Léon Walras non cambieranno granché alla chiusura stagno tra l’economia pura, l’economia applicata e l’economia sociale. Finché il paradigma neo-classico resterà dominante, Walras figlio sarà letto come finora è stato letto mentre Walras padre continuerà ad essere considerato come un riformatore sociale. I collegamenti stretti che Léon Walras stabiliva tra i tre settori, collegamenti che gli facevano credere d’aver elaborato una scienza globale della società, questi collegamenti, così palesi alla lettura dei volumi delle «Œuvres économiques complètes», saranno presi in considerazione allorché l’attuale paradigma dominante sarà ribaltato ed una rivoluzione scientifica aprirà la via alla rifondazione d’una scienza sociale globale. 146 Ormai diventa di più in più evidente che i fenomeni economici non possono essere analizzati prescindendo completamente dalla persona dell’osservatore e dagli strumenti che impiega. L’economista si trova in un contesto politico, sociale, culturale, psicologico, il quale si riflette nell’osservazione ed in un certo senso la condiziona e la trasfigura. Poiché finora non è stato possibile ottenere l’esatta ripetizione delle condizioni d’osservazione, per ottenere la rappresentazione precisa del fenomeno (quale era indipendemente dall’osservatore), bisogna ricostruire l’iter, meglio il suo modo di produzione. Ma per ricostruire il clima d’opinione, ridar vita a descrizioni

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positive, definizioni, ideali, proposte e attese di cambiamenti, a bisogni nuovi e vecchi, ad ideologie, speranze, a credenze in diritti realizzabili, le dottrine economiche debbono immergersi nella realtà economico-sociale d’una epoca, ossia nella storia. 147 Per l’economista che studia la programmazione, sapere che W. Leontief, per esempio, ha elaborato l’analisi delle interdipendenze strutturali («input-output analysis») negli USA ed in un certo ambiente socio-culturale, è di scarsa rilevanza. Invece, conoscere come quell’economista sia arrivato a elaborare le equazioni di bilancio della produzione dei singoli settori economici, e come abbia ottenuto il valore aggiunto, è di capitale importanza per capire il funzionamento dei meccanismi della teoria. È perciò importante rendersi conto attraverso quali vie l’economia, da Walras in poi, sia diventata algebra in senso moderno. Non possiamo ignorare che la creazione dell’analisi intersettoriale, delle strutture, cioé dell’input-output, è stata possibile grazie all’analisi matriciale. Ma questa analisi è stata utilizzata decenni dopo la sua scoperta effettiva quando sorsero il bisogno e la necessità d’avere l’inventario completo delle ricchezze d’un paese. E questo inventario cominciò ad essere fatto quando la politica economica dovette affrontare i problemi specifici dello Stato fiscale e più tardi quelli della ridistribuzione delle ricchezze, delle politiche di solidarietà sociale. 148 La pubblicazione delle Opere economiche dei due Walras rilancerà il dibattito sulla natura storica dell’economia e sulle sue relazioni con le altre scienze sociali? Aiuterà a riflettere sulla natura, sui mezzi e sulle finalità della scienza dell’economia? Rimetterà in discussione il nocciolo duro del pensiero neo-classico, lo schema dell’equilibrio generale?54 149 Gli editori delle Opere complete di Auguste e Léon Walras sono del parere che bisognerebbe optare per una «lecture comme ré-écriture». Solo il decostruzionismo permetterebbe un’appropriazione delle opere economiche del passato. Soltanto la lettura decostruttivista sarebbe autenticamente critica. Prescindendo dalle categorie e dalle teorie moderne, essa aiuterebbe a fare «naître une pensée nouvelle». L’influenza della filosofia di Jacques Derrida è palese. La sua ricezione in economia improbabile a corta scadenza benché auspicabile per ridare al dibattito una nuova consistenza55. 150 Modo liceat vivere, spes est.

La banca d’Italia e la formazione d’una classe dirigente

Alfredo GIGLIOBIANCO, Via Nazionale. Banca d’Italia e classe dirigente. Cento anni di storia, Roma, Donzelli Editore, 2006, X-404 pp. 151 Una rassegna critica delle ricerche storiche sull’evoluzione e sul ruolo nella vita economica, finanziaria e politica della Banca d’Italia occuperebbe un buon centinaio di pagine. La sola «Collana storica», pubblicata dall’Editore Laterza in occasione del Centenario di quella Istituzione, conta giä numerosi volumi di «Documenti», di «Statistiche», di «Contributi» per la storia del sistema finanziario italiano e copiosi materiali sui suoi apporti per regolare e controllare la moneta, i cambi internazionali, il mercato del credito, la Borsa e le stanze di compensazione, le relazioni bancarie. In più della documentazione inedita, dei materiali statistici interpretati criticamente, tutti quei volumi della «Collana storica», dovuti ai maggiori studiosi italiani di storia economica e finanziaria, resteranno a lungo delle opere di riferimento e di

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consultazione per decrittare la storia di un’economia in cui il grande capitalismo e la grande industria sono caratterizzati da rapporti di natura familistica, per orientarsi nei meandri d’un sistema economico, prevalentemente, di piccoli imprenditori, di medie imprese, irrigato da filiere produttive assai frammentate, composto da una galassia di lavoratori autonomi, sostentato da un sistema finanziario inadatto a far fronte all’arretatrezza del Mezzogiorno ed alle sfide della concorrenza internazionale.

152 Numerosi sono anche i libri di volgarizzazione, taluni degni d’attenzione, come quello di Elena Polidori (Via Nazionale. Splendori e miserie della Banca d’Italia, Milano, Longanesi, 2006, 195 pp.) dove si opina che gli Italiani sanno poco circa le attività basilari della Banca centrale o che le percepiscono unicamente attraverso le dichiarazioni e gli interventi pubblici dei suoi Governatori successivi. Persino la documentazione iconografica, in questa materia, è abbondante e validissima, come per esempio il vol.XIV della serie «Documenti» della «Collana storica», intitolato Il potere dell’immagine. Ritratto della Banca Nazionale nel 1868, a cura di Marina Miraglia (Bari, Laterza, 2003, V-175 pp.), volume che contiene le fotografie, fatte intorno al 1868, dei dirigenti e dei collaboratori della Banca Nazionale nel Regno d’Italia, una delle matrici principali dell’attuale Banca centrale. 153 Il volume di Gigliobianco, qui segnalato, ricostruisce la storia della «formazione» della Banca d’Italia tramite le biografie dei suoi dirigenti (in tutto i 37 membri del direttorio), dai tempi della Banca di Genova (e poi della Nazionale) e del suo direttore generale Carlo Bombrini al governatore Carlo Azelio Ciampi, cioé dal 1882 al 1993. Il risultato è molto probante: trattasi della storia secolare dell’istituto ricostruita grazie ad una lettura perspicace delle azioni e delle attività di quelli che ne hanno diretto le sorti. 154 Il tipo ideale del banchiere centrale fornisce il filo conduttore e determina la periodizzazione, talvolta lunga talaltra corta, ritenuta dall’autore. Il metodo utilizzato è, in parte almeno, il metodo prosopografico, metodo praticato regolarmente, com’è noto, dagli storici dell’antichità, i quali, incrociando dati individuali comparabili, costituiscono poi delle biografie collettive di gruppi sociali (per esempio la «Nobilitas» romana) e spiegano così la formazione, l’evoluzione, il disfacimento e la ricomposizione di ceti dirigenti e, più raramente, di taluni ceti sociali (ved. C. Nicolet, Prosopographie et histoire sociale: Rome et l’Italie à l’époque républicaine, «Annales E.S.C.», septembre-octobre 1970, pp.1209-1228; A. Chastagnol, Prosopographie, méthode de recherche sur l’histoire du Bas-Empire, Ibid., pp.1229-1235 ). Utilizzato ugualmente dagli storici del Medio Evo (per es., F. Autrand, Naissance d’un grand corps de l’Etat: Les gens du Parlement de Paris, 1345-1454, Paris, Université de Paris-I, 1981), la diffusione di questo metodo tra gli storici modernisti e contemporaneisti si deve soprattutto ai ricercatori anglo-sassoni (ved. L.Stone, Prosopography, in F.Gilbert & S.R.Graubard eds., Historical Studies Today, New York, 1972, pp.107-140) che l’hanno applicato, con risultati apprezzabili, a diversi aspetti della società moderna. In Francia il ricorso a questo metodo ha avuto un largo successo (Prosopographie des élites françaises (XVIe-XXe siècles). Guide de recherche, Paris, CNRS, 1980).Grazie all’utilizzazione dell’informatica (Informatique et prosopographie. Textes réunis par H. Millet, Paris, CNRS, 1985) gli studiosi francesi hanno potuto incrociare e correlare una molteplicità di dati e contribuire così a fissare con precisione le frontiere tra la biografia individuale e la biografia collettiva (Biographie und Prosopographie. Hrsg. K. Vössing, Stuttgart, Steiner, 2006). 155 Il metodo prosopografico è stato utilizzato, in modo particolare, per lo studio dei notabili politici e dei gruppi economici. Qui basti ricordare le ricerche dirette da L.

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Bergeron e G. Chaussinand-Nogaret (Grands notables du Premier Empire, diversi volumi editi dal CNRS) ed ovviamente i libri di Romuald Szramkiewicz (Les Régents et les Censeurs de la Banque de France nommés sous le Consulat et l’Empire, Genève, Droz, 1974), di Armand Plessis (La Banque de France et ses deux cents actionnaires sous les Seond Empire, Genève, Droz, 1982; Régents et Gouverneurs de la Banque de France sous le Second Empire, Genève, Droz, 1985; La politique de la Banque de France de 1851 à 1870, Genève, Droz, 1985), di Youssef Cassis (Les banquiers de la City à l’époque Edouardienne. 1890-1914, Genève, Droz, 1984) nonché l’inventario di Frédéric Barbier (Le patronat du Nord sous le Second Empire. Une approche prosopographique, Paris, Droz, 1989). In tutte queste ricerche l’incrocio di dati preliminarmente formalizzati (origine sociale, tipo di formazione, matrimoni, patrimonio, relazioni sociali, diversi tipi di capitali, ecc.) ha consentito, certo, di mettere in evidenza delle forme sincroniche di solidarietà e d’omogeneità sociali, senonché esse restano mute sul come sorgono, nei gruppi sociali ricostituiti, gli antagonismi, le rotture, le innovazioni ed i cambiamenti. Per supplire a questa carenza, il metodo prosopografico deve ricorrere a scavi monografici individualizzanti. Le tipologie che il metodo ha permesso d’elaborare si rivelano dei tipi ideali «puri» nel senso weberiano, ad ognuno dei quali bisogna poi attribuire un significato individualizzante. Si ritorna così alla ricerca biografica. 156 Gigliobianco n’è perfettamente cosciente, perciò tralascia, ad un certo punto, il metodo prosopografico, completa le biografie dei 37 membri del direttorio con dati personali qualitativi, che legge e valorizza facendo un ricorso implicito alle problematiche canoniche delle ricerche sulle élite e sulle classi dirigenti (M. Vovelle, L’élite ou le mensonge des mots, «Annales. E.S.C.», janvier-février 1974, pp.42-72 e J. Scott, The Sociology of Elites, Aldershot, Elgar, 1990-1992, 3 volumi). Il che fà di questo libro un ottimo esempio della ricchezza degli apporti conoscitivi della sociologia storica, della storia economica, o anche della concettualizzazione sociologica dei documenti storici. 157 Gigliobianco profitta del fatto che i conflitti virulenti dei tempi in cui si opponevano gli studiosi liberali a quelli marxisti, si sono placati. Ormai esiste un consenso minimo sulla fondatezza e pertinenza delle problematiche oligarchiche, sulla maniera di analizzarle e sui linguaggi per esprimerle. Parallelamente, è tramontata la speranza posta a lungo negli studi comparati transculturali dai quali si sperava ottenere le indicazioni indispensabili per verificare le leggi dei processi storici e per scoprire le uniformità dei modi di produzione e di riproduzione delle classi dirigenti, o dell’elite politica, che talora veniva opposta e talaltra veniva identificata colla prima. Infatti, e fu così per molti anni, i termini élite e classe dirigente hanno avuto accezioni e significati fluttuanti. 158 Il termine élite poteva denotare la posizione e l’azione d’una classe o d’una frazione di classe esercitante una funzione di direzione intellettuale, morale o economica nei riguardi delle altre classi della società, mentre quello di classe dirigente connotava, il più sovente, l’insieme di coloro che, pur appartenendo a classi diverse, occupano, nei diversi settori della vita sociale, una posizione dirigente nei confronti di altre classi o nei confronti dell’intera società. Allora tutte le minoranze (politiche, economiche, sociali, religiose, intellettuali, tecnologiche, militari, ecc.) erano considerate élite dirigenti e dominanti, mentre la classe dirigente non coincideva necessariamente e costantemente con la classe dominante. Oggi queste imprecisioni terminologiche sono scomparse, benché non esista ancora un accordo generale esplicito sui significati dei termini, sui loro contenuti e sulle loro estensioni. In verità, per la stragrande

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maggioranza degli studiosi, attualmente, la parola élite designa tutti coloro che si trovano al vertice della gerarchia sociale, vi esercitano funzioni importanti che sono valorizzate e riconosciute pubblicamente mediante redditi importanti, diverse forme di privilegi, di prestigio ed altri benefici di legge e di fatto. Un piccolo numero di studiosi continua ad uilizzare l’espressione classe politica per indicare la minoranza che esercita le funzioni politiche di governo, e quella di classe dirigente per qualificare tutti coloro che influenzano i governanti e governati in virtù dell’autorità morale che detengono oppure a causa della potenza economica e finanziaria di cui dispongono. Tuttavia la tendenza di fondo sembra convergere verso l’adozione generalizzata del termine élite, al singolare ma molto di più al plurale. Inoltre, si dà per scontato che i rapporti tra individui o tra gruppi sono quasi sempre asimmetrici, cioé caratterizzabili in termini d’ineguaglianza. Difatti, individui o gruppi ristretti possono fare prevalere, in certe circostanze, in relazione a determinati problemi, eventi o crisi, le proprie preferenze nonostante le preferenze in contrario di altri individui o d’altri gruppi. Il perché di ciò è dovuto al fatto che l’ipotesi d’un gruppo minoritario, unitario, cosciente, coerente, complice, detentore e manipolatore di tutte le decisioni, suscita di più in più delle perplessità. Oggi l’attenzione maggiore va al modo attraverso cui le élite nascono, si tramandono situazioni e posizioni, decadono, al come si organizzano ed esercitano potere ed influenza, alla composizione interna dei gruppi, ai rapporti tra gruppi e funzioni di gruppi, alla coesione ed ai conflitti tra le élite stesse. Precisamente per queste ragioni si è data la priorità assoluta alle ricerche empiriche sull’origine sociale, sui tipi di reclutamento e di formazione, sulle qualità che assicurano il successo, sulle modalità di carriera, sulle maniere di pensare, sulle concezioni e sulle rappresentazioni che queste minoranze hanno dell’esistenza sociale. Proprio perciò una sollecitudine particolare è riservata al «Corporate Interlocking» ed agli «Interlock Networks». 159 Quasi tutte le ricerche contemporanee arrivano, più o meno, alle stesse constatazioni, ossia che l’individuazione della presenza e dell’azione d’una élite non permette di concludere che essa sia in una posizione dominante. Con altre parole, si riconosce che le relazioni tre le élite sono complesse, complicate, e che finora niente consente d’ipotizzare a priori l’esistenza d’un gruppo unitario, o omogeneo, ovvero di gruppi consociati di tal fatta. Le ricerche sui banchieri, sui finanzieri, sugli industriali e sugli imprenditori non sono arrivate, almeno per il momento, a provare che queste categorie siano unite, che abbiano gli stessi interessi delle élite politiche ed intellettuali, o che siano capaci di influenzarle, né che siano capaci di definire gli orientamenti ed i mezzi di trasformazione sociale e di disporre di modelli culturali in cui l’innovazione ed il dominio siano fusi. Tali ricerche empiriche, insomma, svelano piuttosto l’esistenza d’una diversità e pluralità d’élite, di categorie dirigenti, tanto numerose quanto sono le funzioni d’una società complessa, dove i ruoli sono enormemente differenziati, con forme d’organizzazione ipercomplesse e con una moltiplicazione di gerarchie comando-obbedienza non sempre immediatemente percepibili. 160 Taluni ricercatori pretendono che in Francia l’élite politica, l’élite intellettuale e l’élite economica si compenetrino e si confondano, che esse formerebbero una super-élite omogenea, al di là delle divergenze d’opinioni, integrata fortemente da una medesima ideologia dei mass-media, da un’identica concezione della società come spettacolo. Questa «Noblesse d’Etat» (P. Bourdieu) funzionerebbe in maniera endogena e prospererebbe colla cooptazione, essa avrebbe ridotto alla porzione congrua i tecnocrati e controllerebbe l’intero sistema sociale ed eliminato il rischio di vedere sorgere delle contro-élite. Altri ricercatori, invece, tentano d’identificare i nuovi gruppi

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sociali, le nuove attività professionali e di mostrare perché ogni singolo interesse e tutti gli interessi sono, o non sono, egualmente in grado d’organizzarsi e di difendersi. Queste ricercatori vorrebbero, in fondo, chiarire perché la conoscenza, la ricchezza, la posizione sociale, l’accesso alle cariche pubbliche e a tutte le altre risorse economico- sociali si trovino sempre ripartite inegualmente, ed infine perché le minoranze attive siano capaci d’iniziative, di far valere le loro preferenze, di costituire dei poli di stimolazione e d’influenza, mentre la maggioranza, o le masse possono solo reagire positivamente o negativamente. 161 Un fatto sembra certo: più le società diventano complesse e si diversificano tanto meno l’unità e l’omogeneità dell’élite è garantita, e consequenzialmente le relazioni tra i diversi gruppi d’élite sono complicate e quindi potenzialmente conflittuali. Perciò si ricorre di meno in meno allo schema d’una sola classe dirigente, capace di controllo, dotata di spirito di cospirazione. La regola dei tre «C» («control», «conspiracy», «cohesion») è ormai caduta in desuetudine. Certo l’élite economica ha un’importanza non trascurabile, tuttavia è responsabile solo d’una piccolissima parte delle decisioni sia tattiche che strategiche. Il potere decisionale di cui le élite dispongono è fatto dunque derivare dalle caratteristiche di questa società fortemente diversificata ed in cui il corso degli eventi lungi dall’essere provocato da una sola determinazione, resta invece governato da un processo dialettico inafferrabile nei suoi contorni precisi e purtuttavia incontestabile. I limiti di questo potere decisionale sono intralciati dalle burocrazie, condizionati dai movimenti collettivi e dall’opinione pubblica, dipendono da una massa di funzionari prigionieri del ruolo loro assegnato. È possibile descrivere questi limiti senza ricorrere a procedure intuitive o più semplicemente assertive? 162 Si è tentato, finora, d’elaborare dei modelli in cui le funzioni euristiche e le funzioni descritive più che compenetrarsi si confondono. Le classi di modelli più correnti sono sono due: quella dei modelli strutturali grazie ai quali le élite sono assunte come un insieme complesso d’elementi interdipendenti, come un insieme di posizioni (status e ruoli) da cui dipendono (e non viceversa) sia le sue proprie caratteristiche peculiari sia la forme delle interelazioni sociali mantenute colle altre categorie dirigenti. Questi modelli strutturali non permettono di mettere in evidenza tutte le interdispendenze e di trattarle simultaneamente, per cui essi non hanno prodotto finora risultati congruenti. L’altra classe di modelli è quella funzionale. Rendono conto delle funzioni delle élite, del contenuto delle loro attività, dei bisogni che queste soddisfano, ma non spiegano la natura delle competenze e delle qualità ritenute necessarie per far funzionare le imprese industriali, per dirigere le forze armate, per ripartire le risorse nazionali tra il risparmio e gli investimenti, per fissare la scala delle rimunerazioni, per bene utilizzare le risorse della tecnica onde accrescere la riccchezza della collettività. Questi modelli funzionali non vanno di là delle funzioni latenti o manifeste. Aiutano a capire i come ma non dicono nulla sui perché. Le ricerche sull’origine sociale, sui processi di selezione scolastici, sul tragetto sociale, sulle strategie di carriera, sulla prosopografia delle categorie dirigenti, sono servite, finora, a rilanciare il dibattito sulla natura del potere e sulla sua ineguale distribuzione nelle società. Permettono di constatare l’accrescimento incommensurabile della complessità delle interazioni tra gli uomini, tra i gruppi e tra le società, ma anche parallelamente l’ampliamento della libertà di scelta degli individui e l’esplosione dei sistemi d’informazione e di comunicazione. Fissano i contorni d’una fenomenologia del potere, delle relazioni di potere in situazioni diverse, e più particolarmente dell’autorità fondata sul prestigio,

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del dominio assicurato dal potere istituzionalizzato, della violenza come espressione estrema del potere e dell’agire tecnico come atto d’esercizio del potere sociale. 163 Bisogna riconoscere che le conclusioni di tutte queste ricerche sono tutte incerte ed ambigue. L’accentuazione delle differenze tra i gruppi, aggravata dalla moltiplicazione degli scambi, dallo sviluppo esponenziale della scienza e della tecnica, a quali cause dobbiamo attribuirla? Perché tante differenze nell’utilizzazione delle risorse? Quali sono i fattori determinanti? La scuola e la stratificazione sociale come molti sembrano ritenere? Una sola risposta sembra la più plausibile tra tutte: il complesso delle conoscenze, il sapere sta sostituendosi progressivamente alla proprietà, alla ricchezza e a ben altri fattori come fondamento del potere nelle società contemporanee. Esiste un consenso tra gli studiosi sulla centralità dei saperi teorici, sugli approcci empirici e sulla progressiva codificazione dei saperi in sistemi astratti di simboli che ammettono poi una molteplicità d’interpretazioni e d’applicazioni. La separazione tra il sapere (chi sa) ed il potere (chi comanda) sta regredendo. Grazie al sapere il potere sta moltiplicando all’infinito le sue potenzialità. Non c’è stata l’attesa traslazione del potere al sapere annunciata negli anni ’70 da Daniel Bell (The Coming of post-Industrial Society. A Venture in social Forecasting, New York, Basic Books, 1973 e The Cultural Contradiction of Capitalism, New York, Basic Books, 1976). Il potere resta tuttora l’appannaggio esclusivo d’una minoranza, d’una elite potestativa. Il potere politico che è un potere relazionale appartenente a chi lo esercita, resta sempre un potere sovraordinato a tutti gli altri. L’élite politica, rinforzata e orientata dagli esperti, conserva sempre ed ancora il monopolio del potere politico e dirige tutti i grandi cambiamenti della e nella società. È probabile che la politica, gioco contro le persone, dialettica dell’amico e del nemico, sia la fonte ultima ed irriducibile delle differenziazioni e dei conflitti, degli antagonismi nella e tra le società. 164 Gli studi sulle «categorie dirigenti», sulle élite e sulle classi (R. Aron, Les sociétés modernes. Textes rassemblés et introduits par Serge Paugam, Paris, Quadrige/Puf, 2006, spec. le pp.461-582) rivelano le diverse abilità con cui gli individui ed i gruppi mettono a profitto le risorse disponibili e i diversi mezzi utilizzati affinché quelle risorse possano far raggiungere le mete prefisse. Nessuna società conosce la ricetta infallibile per affidare le funzioni importanti agli uomini d’intelligenza superiore, dal carattere fermo e di buona volontà. Nessun sistema di selezione ha dato finora la garanzia di far emergere le sole minoranze virtuose. Aron diceva che un’élite unita e solidale prepara la fine della libertà, ma che un’élite disunita e stravolta dai dissensi accelera la crisi delle istituzioni, forse anche la fine dello Stato e la decadenza della Società. La libertà e lo Stato prosperano e sopravvivono là dove esiste un’unità morale delle élite, là dove gli uomini ed i gruppi sanno preservare il segreto della saggezza semplice ed eterna, quella che concilia, nonostante i dissidi, i pericoli, le minacce, l’autonomia e la cooperazione. In che maniera fare attecchire questa saggezza pratica in società con gerarchie contraddittorie e con élite in continua trasmutazione, nella società dell’istantaneità, del presentismo e dell’obsolescenza rapida? A questa domanda solo lo studio storico dei processi formativi delle categorie dirigenti potrebbe dare una risposta plausibile. 165 Il libro Le classi dirigenti nella storia d’Italia (Bari, Laterza, 2006, 364 pp.), curato recentemente da Bruno Bongiovanni e Nicola Tranfaglia, colla collaborazione di F.Barbagallo, M.Isnenghi, G.C. Jocteau, M. Palla e M. Scavino, è una storia politica di come i governanti hanno gestito la direzione politica e amministrativa dello Stato italiano dall’Unità agli anni del Governo di Berlusconi. Scarni, in questa pubblicazione,

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sono i dati quantitativi e le prosopografie sulla classe politica di governo e di opposizione (ministri, deputati, senatori, alte cariche dello Stato, alti magistrati, prefetti, sindacalisti, ecc.), pochissimi quelli sugli imprenditori, banchieri, sindacalisti ecc., sulla loro ripartizione per gruppi professionali, per classi d’età, per aree territoriali, per ascendenze familiari, per ricchezza patrimoniale. Il solo contributo che accenni, seppure sommariamente, alle caratteristiche qualificanti una classe dirigente è quello di Marco Palla sulla dirigenza fascista (pp.151-184), che utilizza sapientemente i libri di M. Messori e di D. Musieldlak e le proprie ricerche sullo Stato-partito fascista. Benché il titolo non indichi veramente il contenuto effettivo del libro, che mi sembra ridurre la classe dirigente ai maggiorenti dei governi in carica, i suoi nove contributi si leggono tutti con profitto ed anche con curiosità. Quello di Mario Isnenghi (Dall’intervento alla marcia su Roma, pp.105-149) è tanto più apprezzabile che lo stile elegante serve un’erudizione storica solida e raffinata. 166 Gigliobianco imbocca la strada della storia e della prosopografia allo scopo di scoprire i processi messi in pratica dalla Banca d’Italia per formare i suoi dirigenti. Il libro che ci offre è importante perché sin dal 1893 la Banca d’Italia ha avuto un ruolo capitale non soltanto come responsabile della politica monetaria (ora demandata alla BCE di Francoforte), perché l’autore proietta fasci di luce sul modo di funzionamento del direttorio, sulle ragioni della sua autorevole centralità nella vita istituzionale del Paese, sulle procedure seguite per formare le categorie dirigenti bancarie, sulle maniere praticate per dotarle d’un ethos, d’una forte identità e d’una professionalità in settori molto specializzati, ma più di tutto perché ci aiuta a comprendere le ragioni dei travasi e dei trasferimenti dalla Banca alle più importanti istituzioni, nazionali ed internazionali, di molti dei suoi più brillanti collaboratori. L’analisi delle biografie dei dirigenti della Banca (governatori, direttori generali, vice direttori generali) è fatta mediante il classico schema prosopografico (origine sociale, origine geografica, formazione, relazioni sociali, situazione patrimoniale, ecc.ecc.) La conoscenza dei risultati delle ricerche sulle élite ne corroborano le argomentazioni. Nei primi anni di vita dell’Istituto, i suoi dirigenti provengono anche da ceti poco agiati (per esempio, il romano Tito Canovai figlio d’un barbiere, il sardo Efisio Piana figlio d’un pescatore), in seguito dai ceti nobili e borghesi. Sono, per lo più, originari delle regioni liguri- piemontesi (Grillo, Ponte, Morro), del Veneto (Marchiori, Levi della Vida, Stringher), e anni più tardi anche del Mezzogiorno (Pasquale D’Aroma, Azzolino, Menichella). 167 Le pagine consacrate al trentennale governatorato di Bonaldo Stringher sono eccellenti, indicano il ruolo che la Banca centrale assolve, tra il 1900 ed il 1930, al crocicchio dei poteri economico, politico, intellettuale. L’interventismo in materia bancaria e monetaria fino alla battaglia per la «quota novanta» di Mussolini ed anche, tra il 1922 ed il 1925, del suo ministro delle Finanze Alberto de’ Stefani, ridussero i margini di manovra del Governatore Stringher. Purtuttavia talune sue possibilità d’intervento non furono cancellante tant’è vero che Gigliobianco annota: «...la Banca fu uno di quei centri di potere [...] che frenarono la tendenza del fascismo verso un assetto totalitario del Paese» (p. 119). 168 Vincenzo Azzolini, già direttore generale dal 1928 al 1931, fu Governatore dal 1931 al 1944. Durante questi anni tre direttori generali (Troise, Acanfora, Cimino) si successero mentre un solo vice-direttore generale, Niccolò Introna, restò in carica dal luglio 1928 a giugno del 1944. Le pagine consacrate a quegli anni sono intitolate «Marginalità politica e affinamento tecnico». L’autore vi dimostra che la Banca perde, in quel decennio, una

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buona parte dei ruoli che aveva tenuto precedentemente. Il peso politico dell’Istituto diminuisce di valore ma la creazione d’un Ufficio studi ne accresce le competenze tecniche. In più, tale Ufficio diventa una vera e propria scuola per la formazione e la selezione, tramite anche delle borse di studio per dei soggiorni in università estere e la costituzione d’una ricchissima biblioteca, del ceto dirigente. Per Gigliobianco Azzolini fu un innovatore, costruì, grazie anche alla collaborazione del responsabile della Vigilanza, «un argine all’avventurismo economico». Niccolò Introna, capo della Vigilanza, fu «testardo, incapace di muoversi entro i nuovi orizzonti della politica economica; ma oggi non possiamo negare la fondatezza di alcuni suoi dubbi. La sua difesa appassionata della tecnicità e dell’autonomia dell’azione di vigilanza merita di essere ricordata con rispetto.» (p. 168). Le peripezie della Banca dopo l’Armistizio dell’8 settembre 1943, e particolarmente la questione del trasferimento al Nord dell’oro depositato nel caveau romano, sono ricostruite con cura e precisione, sulla base d’una ampia documentazione archivistica e di tutta la letteratura secondaria disponibile. Gigliobianco spiega il perché Azzolini cedette alle pressioni tedesche, perché si trasferì con un centinaio di collaboratori a Moltrasio, sul Lago di Como, e descrive la natura della sua collaborazione con il Governo di Salò. In seguito all’accordo di Fasano del 5 febbraio 1944 tra il ministro della RSI Domenico Pellegrini Giampietro e l’ambasciatore tedesco Rudolf von Rahn, 71 tonnellate dell’oro della riserva italiana furono trasportate a Berlino, 25 depositate a Fortezza e 23 trasferite in Svizzera. La rassegna della questione è minuziosa e completa, un solo libro non è menzionato, ed è quello di Bruno Kiniger (1939-1945. Da Tripoli a Salò, dall’Africa alla missione in Svizzera. Un diario. A cura di Marino Viganò. Prefazione di Geno Pampaloni, Milano, Angeli, 2000), delegato commerciale della RSI nella Confederazione, dove si trovano altre informazioni sulla consegna alla Banca nazionale svizzera dell’oro corrispondente ad un debito di 107 milioni di franchi svizzeri scaduto il 31 dicembre 1943. Disgraziatamente, questa consegna non saldò i conti in sospeso colla Confederazione, che continuò a reclamare un accordo conclusivo ed a ripetere, per esempio anche nel mese di aprile del 1948: «Un nouveau crédit n’est pas envisageable qu’après la conclusion d’un accord préalable portant sur l’ensemble des rapports italo-suisses, y compris les arriérés [in tutto circa 57 milioni di franchi svizzeri]. Il en est aussi des investissements suisses». Tutta la documentazione su questo intricato problema si legge nei volumi 15 (documento 332), 16 e 17(documento 129) dei Documenti diplomatici svizzeri. 169 Gigliobianco ritiene che la condanna a trent’anni di reclusione per tradimento, dopo un processo di quattro giorni, per «avere collaborato con il tedesco invasore, facendo al medesimo consegna della riserva aurea della Banca d’Italia», fu una condanna iniqua. Dopo alcuni anni nel quarto braccio di Regina Coeli, prima l’amnistia di Togliatti e poi la revisione del processo ridettero all’Azzolini libertà ed onorabilità. Si tenne conto che aveva posto «in essere quegli accorgimenti che il tempo e le circostanze consentivano», che la Banca d’Italia non aveva, nel settembre 1943, il controllo dell’oro, che il trasferimento a Berlino fu deciso dalla RSI, che il Governatore non poteva fare più di quello che fece.. 170 Gli anni 1943-45 furono anni tragici e difficili. L’Istituto subì un triplice commissariamento, al Sud, al Nord ed alla Liberazione, interventi di vario genere, finché la nomina a Governatore di Luigi Einaudi riportò la situazione alla normalità e così venne intrapresa la ricostruzione del sistema monetario sconvolto dalle vicende belliche, la difesa della lira avviata verso un’inflazione accelerata, la valorizzazione degli studi e delle ricerche. Proprio in questi anni, dall’IRI che negli anni del fascismo

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era riuscito a formare una «classe dirigente capace di elevarsi alla comprensione dei problemi nazionali», capace di definire le modalità della riorganizzazione del capitalismo italiano, cominciarono ad affluire in Banca d’Italia uomini con elevate competenze ed esperienze. Da allora legami stretti s’instaurarono «fra due grandi amministrazioni non statali come l’Iri e la Banca d’Italia» (p. 194). Il successore di Einaudi, nel 1948, fu appunto Donato Menichella, direttore generale dall’aprile 1946, già collaboratore di Alberto Beneduce all’IRI. Gigliobianco gli consacra delle pagine vivide, che attestano una conoscenza minuziosa delle opere e degli interventi del Governatore e rivelano altresì un’empatia appena contenuta per questo personaggio. Gli si deve la consolidazione della stabilità monetaria, la riduzione del disavanzo nella bilancia dei pagamenti, l’equilibrio nei cambi, l’abbondanza delle liquidità, l’assestamento del potere d’acquisto. La sua fermezza nei riguardi delle esigenze di gruppi economici particolari, delle richieste di gestire il credito con criteri politici, andò di pari passo col rifiuto di selezionare qualitativamente le iniziative, di dirigere consapevolmente gli investimenti. Menichella fu un tenace sostenitore dell’austerità dei consumi, del contenimento dei salari, della libertà degli scambi, dell’abbassamento delle tariffe doganali, vie aspre e tormentate da percorrere per rinnovare le strutture economiche del paese, per modernizzare la società italiana. 171 Il suo successore, Guido Carli, Governatore dal 1960 al 1975, si trovò ad agire in un paese in cui il «miracolo economico» aveva generato nuove forme di disuguaglianza. Il sistema dei redditi, i consumi, il risparmio crescevano mentre l’apparato produttivo e commerciale non aveva lo stesso ritmo perché appesantito da pratiche corporative, da rigidità nella produzione e nella distribuzione. C’era un bisogno di risorse per il finanziamento d’alcuni servizi essenziali ma la Banca d’Italia era costretta a finanziare il disavanzo pubblico. Carli doveva nello stesso tempo riservare un’attenzione particolare alle liquidità interne e internazionali, alla bilancia dei pagamenti con l’Estero, al controllo della Borsa valori, doveva utilizzare con oculatezza le riserve valutarie dell’Istituto per accrescere le liquidità del sistema bancario, doveva svincolare con ponderazione una quota delle riserve obbligatorie delle banche presso la Banca d’Italia. Per fare tutto ciò Carli riorganizzò la Banca centrale, ne modernizzò l’apparato, ne potenziò le attività di ricerca in materia di politica monetaria, finanziaria e internazionale; delegò poteri e funzioni, ricorse a consulenze d’economisti famosi. Si considerava il portavoce della Banca, il volgarizzatore delle sue competenze, della sua tecnostruttura; fu un comunicatore incomparabile. E così «grazie alla propria capacità di elaborazione e di previsione, unita a un più diretto rapporto con l’opinione pubblica, la Banca assunse un ruolo di primo piano nel tracciare la rotta della politica economica» (p. 262).»Tanto Menichella era stato riservato quanto il nuovo governatore fu desideroso di comunicare, e capace di ottenere l’attenzione dei mezzi di informazione» (p. 295). Carli seppe rompere «lo stereotipo del potere economico centrato sulla riservatezza e l’influenza occulta», approfittare delle potenzialità mediatiche, rendere l’economia e la politica monetaria accessibili al cittadino comune. Secondo Gigliobianco: «La cultura italiana deve a Carli un forte impulso alla modernizzazione e un contributo decisivo alla diffusione dell’economia quantitativa», gli deve altresì il riconoscimento che le autorità hanno «il dovere di intervenire per tenere il sistema vicino al suo potenziale produttivo massimo» e che l’opinione pubblica ha «il diritto di conoscere i criteri di tale intervento» (p. 307). E non si può dir di più e meglio.

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172 Al versatile e carismatico Carli successe nel gennaio 1975, Paolo Baffi, economista di talento, intellettuale probo e riserbato, uomo d’una grande sensibilità, che dovette agire negli anni più tempestosi della crisi del sistema monetario internazionale del dopoguerra. Assistito da Rinaldo Ossola e da Antonino Occhiuto, Baffi dovette fare i conti col collasso della domanda, con una politica creditizia permissiva, coll’inflazione, col disavanzo dell’amministrazione pubblica, col dissesto della bilancia valutaria, coll’elevato livello dei tassi bancari, coll’aumento dei prezzi del petrolio. Fu ostile al salvataggio delle aziende indebitate e non risanabili, predicò invano la necessità di ricreare nella società e nell’economia dell’Italia un «circolo virtuoso», «un sistema che produce un sovrappiù e, invece di sprecarlo, lo impiega per accrescere la base produttiva e per diffondere equamente il benessere tra i cittadini». Ma la sua rigorosa austerità, i sacrifici inevitabili per realizzare «il circolo virtuoso» furono percepiti pericolosi ed inaccettabili da una classe dirigente, politica, economica, industriale, ormai invecchiata ed inamovibile, gelosa della sua rigidità. In anni di disfacimento delle strutture e delle istituzioni, Baffi fu il guardiano non solo dell’alto livello tecnico della Banca, del suo prestigio morale, ma altresì della speranza in una società più equa, come provò, alla fine del 1978, quando si dichiarò contrario all’entrata dell’Italia nello SME e difese ragioni (per lui era pericoloso uscire da un regime di cambi mobili e entrare in un regime di cambi stabili) opposte a quelle del suo amico Ugo La Malfa. L’inflazione fu una delle sue preoccupazioni maggiori come anche il dilemma sostenere la produzione o difendere la moneta. Nei mesi di aprile e maggio 1979 una bufera giudiziaria s’abbattè sulla Banca d’Italia. Molti suoi dirigenti furono ingiustamente accusati di interesse privato in atti d’ufficio e di favoreggiamento. Avrebbero favorito Rovelli nel caso Sir- Credito industriale sardo e si sarebbero poi spartiti «i denari dei loro depositanti e dello Stato». Baffi dovette lasciare l’incarico di Governatore e cosi anche il capo della Vigilanza Sarcinelli. Il discredito morale grave che li travolse non fu mai riparato, nemmeno quando, alla fine dell’anno 1979, i magistrati romani dovettero ammettere di non possedere alcun indizio di reato. Gigliobianco descrive con delicatezza l’amarezza di Baffi, «il suo sentimento di estraneità rispetto a uno Stato che lo accusava» ingiustamente, e nello stesso tempo i cambiamenti che quella vicenda produsse sull’autonomia della Banca centrale. L’empatia dello storico per le opere dei dirigenti di questo periodo non mortifica la verità documentaria. L’argomentazione resta sempre rigorosa ed equilibrata. 173 Poche pagine (pp.343-354) sono consacrate al lungo governatorato (1979-1993) di Carlo Azelio Ciampi. «Alla Banca d’Italia, Ciampi non è stato un tecnocrate, ma un ragionatore capace di utilizzare appieno quella tecnostruttura creata da Azzolini e rinforzata durante e dopo gli anni sessanta»(p.351). Egli difese con ostinazione e coraggio la moneta, lavorò per la riduzione dell’inflazione, per il rafforzamento della bilancia dei pagamenti, per la ricostituzione delle riserve monetarie. Ebbe una grande fiducia nell’equilibrio del mercato e continuò ad operare affinché la Banca d’Italia continuasse ad essere una riserva di talenti su cui il Paese potesse ognora e sicuramente contare. Altre informazioni si trovano nel libro di Paolo Peluffo, Ciampi, l’uomo e il presidente (Milano, Rizzoli, 2007, 528 pp.). 174 L’ultimo capitolo del libro è intitolato «Una classificazione dei banchieri centrali: origini, formazioni e carriera» (pp.355-371). Sulla base dei dati prosopografici raccolti, Gigliobianco tenta di darci qualche grande generalizzazione (genere, lingua, religione, origini sociali, età, formazione, percorsi di carriera). La dimensione del campione (37

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dirigenti) è troppo piccola, non permette delle tabulazioni incrociate, cioé la suddivisione di una distribuzione per sottoclassi, per cui le generalizzazioni restano approssimative e poco significative. Ciò nondimeno bisogna riconoscere che la Banca d’Italia è riuscita finora a selezione dirigenti con caratteri ben temprati, con larghezza di vedute, capaci di padroneggiare materie complesse (la politica monetaria), in grado di servire gli interessi collettivi con disinteresse e senza subire interferenze. Le ragioni di ciò vanno ricercate nell’autonomia di cui gode, nel fatto che la politica non riesce a sottometterne i valori, le regole e le finalità. ad influenzarne le decisioni? Perché è la sola istituzione italiana a trovarsi in una situazione siffatta? Perché non esistono, in Italia, altre istituzioni capaci di formare dirigenti con delle competenze professionali ed un senso del servizio pubblico altrettanto forti di quelli formati a Roma in Via Nazionale? 175 Gigliobianco, curioso di storie e di sentimenti, studioso lucido, inflessibile, instancabile, ci invita a riflettere sul problema capitale della fragilità dei ceti dirigenti italiani. Con il suo libro mette dell’ordine nella confusione dei dibattiti, riorganizza razionalmente dati finora disarticolati, e attraverso la ricostruzione della storia della Banca d’Italia fa intravedere che le ragioni di sperare, di credere, d’intraprendere non sono ancora del tutto appassite. Ci dà un libro che obbliga a riflettere sulla debolezza della coscienza nazionale italiana, sulle mediocri ambizioni d’una classe politica riluttante a servire l’interesse generale, sprovvista del senso del bene comune, libro che obbliga a riflettere sulla debolezza della coscienza nazionale italiana, sulle mediocri ambizioni d’una classe politica inadatta a servire l’interesse generale, sprovvista del senso del bene comune, libro importante, che solleva problemi veri ma che apre una prospettiva tortuosa, per non dire opaca e insidiosa, sul presente e sull’avvenire come anche si può constatare leggendo Generare classe dirigente. Un percorso da costruire. I rapporto Luiss 2007 (Roma, Luiss University Press, 207, 325 pp.). 176 Gli autori di tale importante ricerca forniscono dettagliate informazioni sul come gli italiani percepiscono e giudicano la classe dirigente (concepita, è vero, in senso molto lato), cosa dicono sugli sprechi, sulle insufficienze, sui privilegi, sulla burocrazia pletorica e costosa, sul parassitismo diffuso e protetto, sul come un’oligarchia vorace s’appropria delle ricchezze, ne distribuisce una parte ai propri clienti e sul come quell’ultima concepisce il suo ruolo ed esercita le funzioni che le competono. Le conclusioni tratte dal materiale raccolto, dai tabulati delle elaborazioni statistiche sono conturbanti. I meccanismi sociali ed istituzionali indispensabili alla selezione ed alla promozione sono carenti, gli organismi incaricati di trasmettere le competenze, le regole ed i valori comuni non funzionano e rivelano quotidianamente un declino irrefrenabile. Le relazioni e le adesioni ispirate a familismo, le connivenze, la lealtà e le fedeltà di parte, l’amicizia, lo scambio di reciproci favori, prevalgono sempre sul merito e le competenze. La gerontocrazia e le incrostazioni generazionali ostacolano la circolazione ed il ricambio, fanno prevalere individui senza carisma e senza idee sul futuro. Il che rende, tuttavia, compatta una categoria di professionisti della politica risoluti a difendersi in quanto casta, ostili alle richieste di cambiamento, maldisposti alle sollecitazioni delle novità e della trasparenza, senza reale egemonia sui comportamenti individuali e collettivi. Questa casta di professionisti inossidabili, parlanti un gergo esoterico, viventi in unità claniche, concepisce la responsabilità come adattabilità e flessibilità, neutralizzazione degli scontri e delle difficoltà, e le convinzioni come freni al raggiungimento delle mete possibili.

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177 L’Italia repubblicana, scrivono gli autori della ricerca, è stata governata dai partiti, sottoposta al loro controllo invasivo dei processi economico-sociali, dalla loro messa in tutela d’un apparato statale sempre più inefficiente ed inabile ad aggregare o anche semplicemente ad articolare gli interessi di parte in un modello collettivo. «Da questo insieme di fenomeni deriva il carattere ibrido di gran parte della classe dirigente italiana, che produce un corrto circuito tra competenze tecnopolitiche, fedeltà al partito e capacità di attivare (anche con mezzi illeciti) i canali di acquisizione e mantenimento del consenso.» (p. 60), donde il panpoliticismo, le polarizzazioni verbali, la modernizzazione incompiuta, le insufficienze dello sviluppo tecnoeconomico, l’incapacità e l’impossibilità di trascendere gli interessi corporativistici. Gli autori del rapporto ne intravedono le origini nell’«assenza di una visione comune e lungimirante», in «un certo conservatismo culturale, [...], unito a una tolleranza amorale dell’illegalità», nella predominanza attribuita «alla persuasione e al consenso piuttosto che alla competenza, al merito e alla conoscenza» (pp.84-85). Il quadro così tracciato della situazione attuale è particolarmente nerastro: una classe dirigente pletorica, invecchiata, attaccata più alla cooptazione che al merito, in balia dei media, affetta da «un deficit di fiducia» e la cui «reputazione tra la popolazione resta in modo preoccupante a bassi livelli». L’autorità senza legittimazione morale è di più in più erosa dai processi di mondializzazione, dalla «globalizzazione delle forze economiche», dalla pessima reputazione che i politici raccolgono presso l’opinione pubblica, la quale attende con impazienza «l’innovazione e l’efficientizzazione della conduzione della cosa pubblica. Questa doppia spinta dovrebbe indurre il potere politico-istitutionale a valutare la riduzione del suo raggio di azione e a ridimensionare quella parte di plusvalore politico che genera autorefenzialità e privilegio» (p. 156). Il che tuttavia non avviene e per conoscere il perché bisogna risalire al processo d’unificazione della penisola, quando la classe dirigente del Regno d’Italia s’è costituita sulla base d’elementi socializzati in società e Stati con storie, tradizioni ed attese disparate. Cotesta classe dirigente, quasi «raccogliticcia», non poteva aver coscienza di dover governare un «nuovo paese» con strutture socio-economiche profondamente eterogenee, con interessi ed orientamenti culturali sprovvisti d’omogenità. Sconnessa dal paese reale ma preoccupata soprattutto della sua propria sopravvivenza, l’arroganza e l’insensibilità di questi dirigenti hanno prodotto innanzitutto delusioni, rivolte, sconfitte e ritardi. 178 Una storia di tutte le categorie dirigenti dall’Unità agli anni della Repubblica, fatta alla maniera di questa qui segnalata di Alfredo Gigliobianco, potrebbe aiutarci ad intravedere il modo di produzione e di riproduzione di questa casta, ad indicarci forse il da fare per fare uscire il paese Italia dalla crisi endemica ormai di più in più incontrollabile.

Giovanni Gentile vice presidente dell’l’università Bocconi

«Faremo grande l’Università». Girolamo Palazzina-Giovanni Gentile. Un epistolario (1930-1938) a cura di Marzio A. Romani, Milano, Università commerciale Luigi Bocconi, 1999, 577 pp. «Da ieri ho l’inferno nel cuore». Girolamo Palazzina-Giovanni Gentile. Un epistolario (1930-1944) a cura di Marzio A. Romani, Milano, Università commerciale Luigi Bocconi, 2000, 429 pp.

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Costruire la classe dirigente. Lettere a un maestro, a cura di Marzio A. Romani. Prefazione di Mario Monti e con un saggio di Sergio Romano, Milano, Egea, 2007, 340 pp. 179 I due primi volumi qui segnalati contengono le lettere che Giovanni Gentile e Girolamo Palazzina si scambiarono tra il 1930 ed il 1944. Pubblicati da Marzio Achille Romani, certamente uno dei migliori conoscitori della storia dell’Università Bocconi, questi due volumi ci danno le missive dei due corrispondenti senza annnotazioni né commenti ma corredati da sostanziose e documentate prefazioni nonché da due notevoli appendici che ne guidano, in un certo senso, la lettura e ne facilitano la comprensione.

180 Il carteggio è importante, ovviamente, non soltanto per la storia dell’Università Bocconi durante il regime fascista, ma soprattutto perché fa capire, a partire da situazioni concrete, da vicende personali precise, d’avvenimenti unici, cosa veniva fatto nell’era fascista, giorno dietro giorno, per salvaguardare l’autonomia delle scelte e delle decisioni accademiche, per garantire la libertà della ricerca e dell’insegnamento, per tutelare la dignità scientifica e l’autonomia culturale degli insegnanti, per evitare che la politica invadesse totalitariamente le manifestazioni dell’istituzione universitaria milanese, insomma per non subire tutte le costrizioni dello Stato-regime mussoliniano e le pretese e le faziosità dei fascisti lombardi. 181 La Bocconi, in pochi anni, prima sotto la direzione di Leopoldo Sabbatini (al quale anni or sono lo stesso Romani consacrò l’eccellente studio Costruire le istituzioni. Leopoldo Sabatini, 1860-1914, Soveria Mannelli, Rubbettino, 1997), poi di Angelo Sraffa e del direttore amministrativo Girolamo Palazzina, tre personalità energiche e d’eccezionali capacità manageriali, era divenuta un’istituzione accademica di riferimento negli studi economico-aziendali. Molti prestigiosi titolari di cattedre universitarie (Einaudi, Mosca, Cabiati, Prato, Benini, Anzillotti, Bonfante, ecc.ecc.) vi davano, come incaricati, insegnamenti di qualità, ne garantivano il prestigio scientifico e contribuivano ad assicurarle un’ottima reputazione tra le Università specializzate negli studi economico- aziendali e commerciali europee e degli Stati Uniti. 182 Sin dal 1922 i fascisti milanesi cominciano ad intervenire pesantemente ed a perturbare così il normale svolgimento delle attività accademiche, attaccando soprattutto i docenti non aderenti al fascismo, criticando l’indifferenza dei dirigenti dell’Ateneo rispetto alle «conquiste del Regime». Il rettore Angelo Sraffa, qualificato «il desposta», è sovente aggredito verbalmente perché conservatore liberale e perché lascia ampio spazio agli insegnamenti di docenti antifascisti. Nel 1924 è accusato, in maniera spropositata, di proteggere il docente Nino Levi che dopo il delitto Matteotti, al di fuori della cinta universitaria, aveva denunziato «la politica liberticida del fascismo, il contenuto reazionario ed antiproletario della sua azione, la violenza e la sopraffazione che ne costuiscono mezzi di lotta, la vacuità e l’intolleranza sistematica che lo contraddistinguono». Col tempo questi attacchi diventano così faziosi, molesti ed insopportabili che, nel 1925, Luigi Einaudi, Attilio Cabiati, Giuseppe Prato, Vincenzo Porri si trovano nella necessità d’abbandonare gli incarichi d’insegnamento. Nel mese d’ottobre dell’anno seguente anche il giurista Sraffa, davanti alle difficoltà insormontabili che i fascisti arrecano al funzionamento normale della vita accademica, agli attachi aspri e continuativi di cui è il bersaglio, si dimette dalla carica di Rettore. È sostituito da Ferruccio Bolchini, docente di diritto commerciale, apprezzato e stimato negli ambienti milanesi per la sua affabilità, discrezione,moderazione, e soprattutto non inviso alle gerarchie fasciste locali.

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183 Il nuovo Rettore, persuaso che il sistema degli incarichi d’insegnamento annuali metteva la politica universitaria, tutti gli anni, alla mercé del ministro dell’Educazione nazionale, della burocrazia romana e del GUF milanese, propone al consiglio d’amministrazione della Bocconi di costituire un proprio corpo accademico stabile. Nel 1928 sono finalmente create tre cattedre (scienze aziendali, diritto commerciale, economia politica) destinate, in qualità d’ordinari, a Gino Zappa, a Ferruccio Bolchini ed a Ulisse Gobbi, da anni incaricati dell’insegnamento di quelle stesse discipline ma già titolari di cattedre nelle università statali. 184 La nomina di Zappa non suscita opposizioni ed è ratificata subito dalle autorità romane mentre le altre due sono lasciate pendenti. In realtà, le «superiori gerarchie fasciste» esigono la chiamata di Emilio Ferri, vincitore d’un recente concorso d’economia politica, economista sostenuto insistentemente dal senatore Baldo Rossi, rettore dell’Università Statale, e dai gerarchi Augusto Turati e Giuseppe De Capitani d’Arzago. 185 Il consigliere delegato della Bocconi Calogero Tumminelli conosceva Giovanni Gentile, col quale collaborava da tempo per lo sviluppo dell’Enciclopedia Treccani dopo l’estromissione di Angelo Fortunato Formiggini e l’accantonamento del suo progetto (vedere il racconto che costui dà della vicenda in La picozza filosofica del fascismo e la marcia sulla Leonardo, Roma, A.F. Formiggini, 1923, 377 pp., ma anche G. Volpe, G. Gentile e l’«Enciclopedia italiana», in «Giornale critico della filosofia italiana, 1947, n. 3-4, poi in Giovanni Gentile. La vita e il pensiero, vol.I, Firenze, Sansoni, 1948 e ora in L’Italia che fu. Come un italiano la vide, sentì, amò, Milano, Longanesi, 1961, pp.283-327). Su suggerimento del Tumminelli si decide di ricorrere all’assistenza di Giovanni Gentile per sbloccare la situazione di stallo creata dal rifiuto del presidente Ettore Bocconi, a nome dell’Università, di assecondare le richieste dei fascisti romani e milanesi nominando Ferri al posto di Ulisse Gobbi. 186 Gentile, che già presiede o dirige un’infinità d’istituzioni culturali, accetta subito l’offerta di collaborazione trasmessagli dal Tumminelli ed arriva a persuadere Turati di rinunciare a sostenere la chiamata di Ferri facendogli intravedere la possibile nomina di quest’ultimo al Politecnico appena Gobbi vi abbandonerà la cattedra d’economia politica dopo la sua nomina alla Bocconi. Ed è così che all’inizio dell’anno accademico 1929-1930 la Bocconi può disporre dei suoi primi professori ordinari. 187 L’intervento di Gentile convince il consiglio direttivo della Bocconi che una personalità così autorevole, prestigiosa, stimata negli ambienti culturali e politici romani, così informata e ponderata nel trattamento dei problemi politici e universitari, poteva essere l’eccellente difensore degli interessi della loro Libera Università, un sostenitore qualificato del suo sviluppo istituzionale e scientifico, un ambasciatore e mediatore impareggiabile a Roma degli interessi e delle attese dei milanesi. Proprio perciò è proposto al filosofo siciliano di far parte del Consiglio d’amministrazione della Bocconi in qualità di rappresentante del Ministero dell’Educazione nazionale. 188 Dopo la morte di Ferdinando Bocconi, nel 1930, la vedova, donna Javotte Manca di Villahermosa, chiamata alla presidenza del consiglio d’amministrazione, delega tutte le sue funzioni al vice-presidente Gentile. Tra questi ed il segretario del consiglio d’amministrazione e direttore della segreteria dell’Università Girolamo Palazzina si stabilisce un’immediata intesa consolidata anche da un’analoga visione dei problemi universitari e delle maniere d’agire. Palazzina informa Gentile quotidianamente sui grandi e piccoli avvenimenti, sui problemi da risolvere, sulle difficoltà quotidiane dell’organizzazione accademica. Gentile consiglia, decide, interviene affinché il

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Ministero disbrighi rapidamente le pratiche milanesi; si occupa, con prontezza e precisione, di tutte le questioni, grandi e piccole, che gli sono sottomesse, dalla franchigia postale allo scambio delle pubblicazioni, dal montante delle tasse d’iscrizione agli aumenti degli stipendi e alla concessione delle gratifiche. I due sono, inoltre, sempre d’accordo sulle valutazioni degli uomini e sulle qualità scientifiche e didattiche dei docenti. Per esempio, a proposito di Ezra Pound («pessimo conferenziere»), di Robert Michels («privo d’ingegno», «lavora male», «è scocciatore di prima classe, che non conviene mai incoraggiare»), di Gustavo Del Vecchio («si afferma da lamenti, non legge attentamente, ma si limita a sfogliare le tesi di laurea»), o di Gioacchino Volpe («ha troppi impegni»). 189 Gentile, in mille modi, facilita il disbrigo delle pratiche concernenti i rinnovi degli incarichi ai docenti non iscritti al PNF, compito, questo, che si rivela, col passar del tempo, di più in più difficoltoso e complicato. L’11 ottobre del 1933 scrive a Palazzina:»[...] ieri ebbi l’occasione di parlare dell’argomento col Capo del Governo. Il quale si dimostrò risoluto a negare ogni consenso, anche per gli incarichi gratuiti e anche per coloro di cui si pretende (diceva) l’insostituibilità. Ha consentito sinora, per motivi singolarissimi, una o due eccezioni; e n’è pentito». Ciò nonostante Gentile insiste e persiste, ricorrendo anche a pressioni amichevoli, via la sua estesa rete d’amicizie e di relazioni, onde trovare rimedi e soluzioni ai problemi della Bocconi. Fa altrettanto anche quando si tratta di «israeliti vitandi», de «i poveri colleghi condannati all’ostracismo», per esempio di Giorgio Mortara («talora è un po’ duro e scontroso ma è certo un professore modello per disciplina, rispettato e seguito dagli allievi come non molti altri») o di Gustavo Del Vecchio («Gli scrivo oggi stesso per esprimergli i miei personali sentimenti. Non credo neanch’io alla razza; e l’ho detto ben forte a chi di ragione. Ma non si tratta di credere o non credere, pur troppo!»), o ancora dell’«eccentrico» Giovanni Demaria (uomo dagli «atteggiamenti anticonformisti e capricciosi», dal temperamento aspro, «megalomane ma simpatico e colto»). 190 Insomma, Gentile si occupa di tutto: delle rimunerazioni dei docenti e degli impiegati, delle ore d’insegnamento, dell’organizzazione della biblioteca, degli esami, delle tasse, del contenimento delle spese di funzionamento dell’Università, dell’elaborazione del bilancio globale, del controllo delle entrate e delle uscite. Le sue decisioni ed i suoi consigli sono ponderati e tengono sempre conto degli interessi in gioco, della situazione locale, dei limiti politici a non oltrepassare, delle suscetibilità nazionali e regionali. 191 La pratica più difficile trattata durante questo periodo è, quasi certamente, quella della concorrenza dell’Università cattolica. Nel 1933 padre Agostino Gemelli decide di creare nell’Università cattolica del Sacro Cuore una Facoltà di scienze economiche e commerciali, aperta anche ai licenziati degli Istituti tecnici e commerciali. Palazzina è preoccupato della futura concorrenza nel reclutamento di questa categoria di studenti e degli insegnanti provenienti dal mondo degli affari e dell’economia (a questo proposito leggere l’introduzione di Francesca Pino a R.Mattioli, Appunti di tecnica bancaria, Lanciano, Carabba, 2006, pp.IX-LIX e le informazioni contenute in F. Cesarini, Gli Appunti di tecnica bancaria e le lezioni di Raffaele Mattioli alla Cattolica, «Notiziario della Banca popolare di Sondrio», n. 104, agosto 2007, pp.29-35). Anche Gentile è cosciente di questo pericolo, per cui domanda al Ministero di fare alla Cattolica «una precisa diffida», anzi d’annullare le iscrizioni al nuovo corso aperto in violazione della normativa vigente. Il 26 gennaio 1934 annota:»Non riesco a persuadermi delle ragioni

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che possono aver fatto approvare nella stessa sede di Milano una istituzione parallela e concorrente, come quella della Sezione di Scienze economiche introdotta nella Facoltà di Giurisprudenza della Cattolica; e vorrei che la concorrenza almeno si svolgesse per vie legali.» Padre Gemelli tenta di far cambiare parere a Gentile, gli promette di «procedere assolutamente d’accordo» colle autorità della Bocconi, e «per l’avvenire propone di fare uno statuto e un ordine di studi interamente conforme ai nostri concetti, con tasse anche superiori alle nostre»; gli propone di rinunciare ad una facoltà autonoma, anzi d’inserire nella Facoltà di scienze politiche la laurea in scienze economiche e commerciali. Nonostante il rifiuto del filosofo vice-presidente di prendere in considerazione tali proposte, padre Gemelli non accantona i suoi progetti d’estensione degli insegnamenti nell’Università di cui è Rettore. Alla fine dell’anno 1936 il Ministero accede, finalmente, alle richieste della Cattolica. Gentile diventa furioso e parlerà di «orme brigantesche gemelliane», del «frate prepotente», del «brigante di S. Ambrogio»; «La manovra subdola suggerita da Gemelli è riuscita interamente, e resta da sapere soltanto se l’inclito Ministro [si riferisce a Cesare Maria De Vecchi non al successore Giuseppe Bottai] ha frustrato consapevolmente gli ordini del Capo. Ma noi non ci arrenderemo. Scrivo oggi stesso al Duce come egli era disobbedito quando ancora credeva di poter assicurare a me e al Podestà di Milano che l’Università cattolica non avrebbe mai conferito lauree in economia e commercio» (lettera del 7 novembre 1936). I rapporti con il Gemelli sono ormai così tesi che Gentile sospetta persino che gli intrighi del «frate maneggione» sono all’origine della messa all’Indice, da parte del S. Uffizio, della sua Opera. Questo rancore non diminuirà cogli anni tanto è vero che nel maggio del 1942 dirà: «Mi dispiace che Bottai s’invischi nelle fesserie gemelliane psicotechniche. Peggio per lui. Tutta roba che cadrà.» Quando, nell’aprile 1943, è ricevuto in udienza, non esiterà a dire al Papa Pio XII° l’opinione che aveva del frate francescano: «Io gli ho anche parlato delle mie idee religiose e offerta la mia ultima conferenza invocando comprensione, tolleranza e...amore del prossimo. Abbiamo parlato anche di frate Agostino, sul conto del quale ho spiattellato franco il mio giudizio». 192 Gentile porta a termine molti progetti e realizza diverse riforme nell’organizzazione accademica della Bocconi. Una delle più importanti è la creazione dell’Istituto d’Economia «Ettore Bocconi», una scuola di alti studi economici destinata a «quella piccola minoranza di studenti, nella quale per legge naturale ogni istituto soltanto può attuare le sue più alte finalità creatrici di aristocrazie intellettuali» (Storia di una libera università, vol.II, Milano, Egea, 1997, p.188). Quest’Istituto incorpora l’Istituto d’economia politica creato da Angelo Sraffa nel 1921 e che ebbe come direttori prima Francesco Coletti, poi Luigi Einaudi e come primo assistente (anni accademici 1922-1923 e 1924-1925) Raffaele Mattioli, che era stato chiamato alla Bocconi, nel 1921, da Attilio Cabiati e dal Rettore nominato anche aiuto bibliotecario (ved. le eccellenti ricerche di F.Pino, Note sulla cultura bancaria a Milano nei primi anni Venti:Cabiati, Mattioli e la Rivista bancaria,»Rivista di storia economica», 1995, n. 1, pp.1-55 e Raffaele Mattioli tra economia e bibliografia (1922-1925), «Il pensiero economico italiano», VIII, 2000, n. 1, pp.31-102). Il nuovo Istituto sarà ben presto affiancato da altri Istituti divenuti, cogli anni, le strutture portanti del funzionamento accademico. Le discipline aziendali sono così potenziate e accoppiate alle discipline economiche e storiche. A partire dal 1936 è aperto il cantiere della nuova sede dell’Università. Gentile s’impegna a fondo in questo progetto, vince le incertezze delle autorità, le inerzie della burocrazia milanese, fa intervenire il Duce, sollecita i finanziamenti privati e pubblici, sceglie l’architetto,

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insomma fa tutto il possibile affinché i lavori possano cominciare e poi procedere lestamente. 193 L’anno 1938 è l’anno della sciagurata politica razziale. Tutti gli sforzi per permettere a Mortara e a Del Vecchio di continuare la loro apprezzata attività scientifica restano infruttuosi. Gentile confessa il 5 agosto 1938:»Mi sa quanti dispiaceri del genere ci aspettano». I due economisti abbandonano l’insegnamento e Gentile non può fare niente altro se non salvare il loro «Giornale degli Economisti», facendolo offrire all’Università Bocconi dai direttori costretti al silenzio o all’espatrio e poi affidandone la direzione a Giovanni Demaria, ordinario alla Bocconi, molto stimato benché giudicato eccentrico e niente affatto ortodosso in materia d’economia corporativa come il corso litografato La politica economica dei grandi sistemi coercitivi provava chiaramente. Gentile gli raccomanda tuttavia «l’assoluta moderazione e obbiettività che si conviene a un organo di un corpo universitario» e d’evitare «critiche e apologie compromettenti». La documentazione disponibile in materia è già cospicua (ved. Alberto Zanni, Demaria negli anni Trenta attraverso un epistolario (giugno 1930-febbraio 1939), «Storia del pensiero economico», 1996, n.31-32, pp.25-128), ma è singolarmente arricchita dal Romani (1938: un anno difficile per Giovanni Demaria e per il Giornale degli Economisti, in Giovanni Demaria e l’Economia del Novecento. Atti del convegno organizzato dall’Istituto di Economia politica E.Bocconi, Milano 12 aprile 1999, Milano, Edizioni Bocconi Comunicazione, novembre 1999, pp.48-72), il quale aggiunge nuove tessere alla ricostruzione del mosaico della persecuzione degli universitari ebrei, del salvataggio della più famosa rivista italiana d’economia, dei tentativi gentiliani di mitigare provvedimenti nefasti e di salvare ciò che poteva essere salvato della «tradizione critica» e dell’imparzialità della ricerca scientifica. 194 Il 12 febbraio 1940 Gentile ritorna in argomento col Palazzina e gli ripete:»Bisogna attenersi scrupolosamente alle limitazione della legge, tanto più che nel Giorn. d. Econ. ci sono occhi non interamente benevoli; e qualcuno potrebbe rallegrarsi di vederci cogliere in fallo. Non credo tuttavia che tale scrupolo debba essere esagerato, e pretendere una riduzione matematicamente rispondente alla proporzione chiesta dalla legge». «Ora bisogna che Demaria ci si metta con tutto l’impegno di non urtare in nessuno scoglio». Dall’esilio a cui era stato costretto Gustavo del Vecchio, dal canto suo, scriveva a Palazzina il 16 gennaio 1941: «...non esito a dichiarare che il Giornale di Demaria è migliore di quello che facevamo noi». 195 Al Del Vecchio che aveva dovuto dimettersi anche da Rettore, Gentile tenta di trovare un successore accettabile dal regime. Il nome di Einaudi è scartato subito, quello di Demaria anche (diventerà però rettore sette anni più tardi). Dopo diversi tentennamenti l’accordo è finalmente raggiunto sul nome di Paolo Greco. Questo giurista reggerà il Rettorato sino al giorno in cui l’Italia sarà tagliata in due. 196 La guerra, dichiarata a giugno del 1940, turba gravemente Gentile. «Ora vivo questi giorni di attesa in ansia grandissima. Affronteremo un terribile rischio; ma è fatale e bisogna marciare!». La sorveglianza ed i controlli polizieschi diventano ancor più meticolosi. Persino il bibliotecario della Bocconi, Fausto Pagliari, in gioventù socialista ma ormai estraneo a qualsiasi impegno politico, è arrestato. Gentile ammette che «il caso è doloroso e non so come si possa intervenire.[...] Io poco posso fare, anche perché ho appena visto una volta il Pagliari e non saprei che dire di lui» (9 luglio 1940). Poi, dietro insistenza di Palazzina, qualcosa è fatto e Pagliari, liberato, ritrova la direzione della biblioteca bocconiana.

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197 La guerra sconvolge anche il corso normale della vita universitaria. Molti studenti sono chiamati alle armi, i corsi sono poco frequentati; si tenta di mantenere alte le esigenze agli esami, si chiudono gli occhi per quelli che non vi si presentano in divisa. Le richieste del GUF di approvare tutti gli studenti richiamati alle armi, come già facevano altre Università, sono rifiutate con sdegno. Agli scoraggiamenti di Palazzina per il susseguirsi d’accadimenti dolorosi, per la morte di molti studenti, Gentile fà eco:»Bisogna essere forti e concepir sempre la vita come un dovere, anche nei più atroci dolori. Coraggio!». «Studenti caduti. Essi veramente ci danno il coraggio di soffrire e di persistere nella lotta, che non potrà essere vana. Il mondo ha veramente le doglie del parto: doglie fierissime, ma che sono inarrestabili come quelle di ogni parto. Senza questo mistico sentimento dei grandiosi avvenimenti che maturano nella storia dell’uomo non si saprebbe davvero donde attingere la forza di resistere allo spettacolo di questa immane tragedia.» (A questo proposito ved. la documentazione raccolta da Pietro Cavalli, Italiani in guerra. Sentimenti e imagini dal 1940 al 1943, Bologna, Il Mulino, 1997). 198 Nel volume Costruire la classe dirigente Romani pubblica un florilegio delle lettere degli studenti e degli ex-studenti a Palazzina. Da tutte tracima l’ascendenza, l’affetto, il rispetto, l’ammirazione che questo alto funzionario della Bocconi suscitava in tutti ma anche l’attenzione che egli riservava ad ognuno, la cura con cui ne seguiva la carriera, la sua partecipazione diretta alle vicende personali dei bocconiani. In più, s’intravede in queste lettere anche la sua volontà di mantenere un collegamento permanente tra i laureati della Bocconi e tra questi e la loro antica Alma mater. Il fascino ed il potere d’attrazione del Palazzina accattivavano anche la simpatia e l’ammirazione dei docenti, come provano talune delle missive che si leggono in questo stesso volume. Dall’appassionante studio introduttivo di Romani a proposito della raccolta di queste lettere (L’amico di ieri, di oggi, di sempre, pp.1-58) apprendiamo inoltre quale fu il ruolo di Palazzina nella Bocconi del secondo dopoguerra, la sua sostituzione nel 1958. Scrive il Romani: «I tempi stavano però cambiando con una rapidità che all’inizio prese di sorpresa un po’ tutti e mise in discussione il sistema di cui, sino a quel momento, Palazzina era stato il centro. [...] Si trattava di un fenomeno di dimensioni sconosciute in passato e che avrebbe richiesto profonde riforme di struttura, per adeguare la scuola a una realtà profondamente mutata.» (p. 39) 199 Il fenomeno del passaggio dall’Università d’élite a quella di massa sconvolse tutti i vecchi modelli di comportamento ed i processi decisionali cosicché gli artefici d’un tempo non potevano non essere museificati. E ciò avvenne sia per Palazzina che per Demaria. 200 Si deve a Gentile ed a Palazzina l’ingrandimento della sede universitaria. Dopo tante trattative, difficoltà, interruzioni, la nuova sede della Bocconi è finalmente inaugurata il 21 dicembre 1941. Il rettore Paolo Greco, in quell’occasione, ricorda e cita nominalmente tutti i «Maestri insigni» che illustrarono l’Ateneo nei primi quarant’anni della sua storia, anche quelli che ne furono estromessi per ragioni politiche o razziali. 201 Nel 1942 il «Giornale degli Economisti», diretto da Demaria, che critica la politica economica corporativa, solleva reazioni violente da parte dei fascisti e dei partigiani della dottrina corporativa. Lo stesso Demaria, il 6 maggio, in un convegno a Pisa, difende apertamente la libertà d’intrapresa, il mercato europeo unico, le libere atttività aziendali e l’«assoluta eguaglianza di possibilità per i singoli ciittadini per operare industrialmente». La relazione dell’economista della Bocconi sul «Problema industriale

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italiano» suscita critiche scomposte e duramente astiose. L’economista è immediatamente privato della tessera del PNF «per scarsa sensibilità fascista». Nonostante i numerosi interventi degli estimatori del professore Demaria, il provvedimento non è revocato. Per parte sua Gentile fa tutto quello che è in suo potere per aiutare l«impetuoso economista», per persuaderlo d’essere «più prudente e riflessivo»; «Ma bisogna che i nostri amici si persuadano che anche nel mondo morale una volta che questo sia definito in una determinata struttura ad ogni azione segue una reazione; e che perciò quando non voglia la seconda, bisogna evitare la prima quali che siano le buone ragioni che militano per essa»(5 luglio 1942). Ed il 12 agosto aggiunge: «Si può sfidare i pericoli ma a due condizioni: 1.) che si sia disposti poi a subire, senza lagnarsi e raccomandarsi altrui, le eventuali conseguenze spiacevoli; 2.) che nei pericoli non vengano coinvolte le istituzioni che si ha il dovere di garantire». Benché la relazione pisana gli sembri fare prova d’una «ingenua rigidezza», che le stesse cose potevano essere dette «in altro tono e altro garbo», pure Gentile spende tutte le sue energie, con Alessandro Pavolini, Giuseppe Bottai e il Duce, per tutelare Demaria, salvaguardarne la carriera, garantire la continuazione della pubblicazione del «Giornale degli Economisti». 202 Quello che altresì colpisce leggendo questi carteggi è il fatto che i lutti ed i bombardamenti, le assenze degli studenti richiamati alle armi, le ristrettezze inevitabili in un paese in conflitto, non perturbano né modificano l’andazzo abituale della vita dell’Ateneo e neanche la maniera d’operare e di decidere di Gentile e di Palazzina. Ambedue procedono esattamente nella maniera messa a punto sin dagli inizi della loro collaborazione. Il ritmo delle comunicazioni giornaliere resta il medesimo, l’uso del telefono parsimonioso, nonostante che il va e vieni delle lettere sia sottomesso ai ritardi ed alle interruzioni ferroviarie, agli enormi disagi imposti dalla congiuntura bellica. Gentile continua a raccomandare a Palazzina, per esempio colla lettera del 1° aprile 1943, di sorvegliare «che i professori non abbandonino del tutto gli studenti e che questi possano di quando in quando aver da loro qualche indirizzo o suggerimento per la preparazione degli esami. Quando si farà la storia di quest’anno terribile per il nostro paese, non sarà la maggiore passività questa del disordine della nostra scuola. Pensi quel che avviene in tutte le scuole di Sicilia!». Alla richiesta di costituire negli Istituti delle biblioteche specializzate smembrando la Biblioteca centrale, oppone un netto rifiuto. La Biblioteca centrale deve considerarsi «tutta d’economia sensu latu; perché quel che in essa non è economica è connesso con gli studi di questa». Si rallegra del buon funzionamento della mensa universitaria e prende atto che i sinistrati, anche se non studenti, vi sono ammessi. «Quindi anche utile opera sociale». 203 Le notizie provenienti dal fronte lo angosciano («Poveri giovani caduti o fatti prigionieri in Tunisia! E che tremenda sventura per l’Italia! Da ieri ho l’inferno nel cuore» (14 maggio 1943). I bombardamenti sulle città italiane lo turbano ma non lo fiaccono né gli fanno ridurre il ritmo nello svolgimento delle sue attività e dei suoi impegni. Il 24 giugno pronuncia il controverso discorso agli Italiani, che suscita discussioni, commenti, dissensi, critiche, ma anche «approvazioni entusiastiche da ogni parte. Ma so anche purtroppo che ci sono pure Italiani che agognano la sconfitta della Patria!» (1° luglio 1943). Palazzina, che non è iscritto al PNF ed è indifferente alle vicende della lotta politica attuale, non vuol credere che ci siano degli Italiani che «desiderino la sconfitta delle nostre armi». 38 studenti della Bocconi sono caduti sul campo, altri sono prigionieri in Africa del Nord ed uno disperso in Russia. Gentile gli risponde il 7 luglio: «Gli studenti sono pur troppo caduti e cadono. E dimostrano tutti

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che la fibra italiana non traligna. Ma i chiacchieroni continuano a imperversare e avvelenare il paese. E ciechi di passione taluni si augurano la sconfitta e la fine dell’Italia, per cominciare poi da capo!...». Il 9 luglio scrive, alla vigilia della partenza in vacanza: «Parto con l’angoscia nell’animo: speriamo che la Sicilia possa resistere». 204 Il voto del 25 luglio 1943 del Gran Consiglio del Fascismo lo sorprende in vacanza a Troghi (Firenze), da dove scrive, il 30, a Palazzina: «...l’animo è esacerbato per le cose della mia povera Sicilia e per tutte le altre di questa misera Italia, che deve scontare durissimamente tante sue colpe e apprendere a proprie spese quanto sia difficile la vita, e come deve essere visssuta seriamente. Quanto fiato abbiamo sprecato per tanti anni! E che spettacolo oggi di viltà e di leggerezza! Pure la mia fede nell’avvenire dell’Italia non può morire. Abbiamo sempre un tesoro di energie spirituali da sfruttare e che hanno un valore assoluto nel mondo». Le notizie provenienti da Milano sono «terrificanti»: una bomba, caduta nel cortile interno dell’Università, ha infranto tutti i vetri, danneggiato le aule. «Intatta la biblioteca. I telefoni guasti e la luce elettrica funziona solo in parte. Soffitti perforati. Serramenti svitati. Muri lesionati». I servizi, interrotti dalle incursioni aeree, riprendono lentamente a causa anche degli scioperi. Gentile chiosa:»Se si comincia con gli scioperi agli ordini di Mosca si va a fondo. Certo la situazione è brutta. Ma...speriamo bene»(26 agosto 1943). La lettera con cui il Ministro Leonardo Severi lo critica severamente e gli dice «i giovani, la scienza, la verità sono stati traditi a tal punto da lei che un ministro dell’Educazione nazionale d’un governo che ripristina la libertà non può più averla fra i suoi consiglieri»,- la pubblicazione di questa lettera nei giornali obbliga Gentile a dimettersi «anche da rappresentante del Ministero nel Consiglio della Bocconi» e ad appartarsi dalla scena politica nazionale. Il 6 agosto, il «Giornale d’Italia» l’accusa d’avere avuto dei comportamenti tali che «davano apparenza fallace di libertà alla servitù, di dignità nazionale alla faziosità partigiana, di alta pedagogia all’uso brutale del manganello» ed in più d’essere stato il «maneggione» di tutti gli intrighi universitari durante il ventennio. In una lettera a Palazzina Gentile confida, l’8 agosto: «Lei può credermi se le dico che non interrompo senza gran dispiacere questa collaborazione alla quale ho consacrato per anni ed anni pensieri, fatiche ed amore; e dalla quale ho riicevuto molte soddisfazioni. Ma tutto quello che potevo fare per l’Università Bocconi, l’ho fatto; e confido di potervi essere ricordato con benevolenza». Il 21 dello stesso mese gli precisa: «Ma le mie dimissioni non sono state ancora accettate. E quando saranno accettate, dico a Lei, e soltanto a Lei, che il primo segno di buona memoria dei servigi da me resi all’Università crederei dovesse essere la mia nomina a uno dei posti del Consiiglio che sono di designazione della sig.ra Bocconi. Poiché a uno di quei posti non ci sarebbe nessuna incompatibilità. E non avere uno di quei posti non mi parrebbe bello per la dignità della Bocconi in regime, come si dice, di libertà». 205 Le dimissioni dalla Bocconi e dagli altri incarichi ministeriali non producono effetti in seguito alla sostituzione del Ministro Severi, l’11 febbraio 1944. Infatti, il nuovo ministro, Giovanni Cuomo, in carica sino al 22 aprile, sostituito da Adolfo Omodeo sino al 18 giugno, poi da Guido De Ruggiero sino al 12 dicembre e da questa data sino al 10 dicembre 1945 da Vincenzo Arangio Ruiz non danno seguito alla lettera di dimissioni.. Nel frattempo Gentile continua ad occuparsi dei quotidiani problemi della vita universitaria della Bocconi colla solita vigilanza e cura minuziosa. 206 Non si trovano tracce, in questo carteggio, dell’armistizio dell’8 settembre 1943, degli accadimenti dei primi mesi del 1944 né dell’adesione gentiliana alla Repubblica Sociale

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Italiana. Accetta la presidenza dell’Accademia d’Italia, la direzione della «Nuova Antologia». Per tener conto dei cambiamenti politici testé accaduti al Nord, ritiene però opportuno di far designare un nuovo Rettore in sostituzione di Paolo Greco. «È una necessità per sottrarre la Bocconi da gravi rischi che oggi potrebbero derivare dalle solite polemichette implacabili locali. Una mia nomina, sia pure come misura transitoria, io non la posso chiedere, e non la crederei opportuna appunto perché attirerebbe l’attenzione e riuscirebbe strana come nomina di Rettore in partibus». Tuttavia, scrive, il 30 marzo 1944, sempre al Palazzina, «per amore di Lei mi sono indotto a proporgli [al ministro Carlo Alberto Biggini] – per quest’anno – la mia nomina a Commissario della Bocconi; e la nomina di Demaria subcommissario. Demaria potrà firmare le carte di ordinaria amministrazione e sostituirmi, occorrendo, in casi urgenti. La mia proposta è stata accettata e avrà subito attuazione». 207 Gentile si oppone con vigore alla proposta «strana e pericolosa» del ministro RSI dell’Educazione Biggini «di fare dell’Università Bocconi una ‘facoltà Luigi Bocconi’ della Ex-Regia, per avere unità di comando! Ho combattuto subito questa molto vivacemente, del resto irrealizzabile. Ma in questa confusione di idee si può temere di tutto. Il Ministro però mi ha assicurato che di questa idea, che metteva subito da parte, mi avrebbe eventualmente riiparlato... dopo la guerra!». 208 I principali documenti gentiliani di questo periodo si trovano ora riuniti in Giovanni Gentile. Dal Discorso agli Italiani alla morte, 24 giugno 1943-15 aprile 1944. Prefazione di M. Pera, Roma, Senato della Repubblica, 2004, documenti che completano molto bene molte allusioni e riferimenti contenuti in questi carteggi Gentile-Palazzina, della cui pubblicazione, ripeto, dobbiamo essere veramente grati alla solerzia ed all’erudizione del professore Romani. 209 Il 15 aprile del 1944 Giovanni Gentile è assassinato a Firenze (ved. il materiale raccolto da Luciano Canfora in La sentenza. Concetto Marchesi e Giovanni Gentile, Palermo, Sellerio, 1985). Palazzina confida la sua grande tristezza ed il suo immenso cordoglio e rimpianto a Paolo Greco che gli risponde di comprendere i «contrastanti sentimenti sulla sorte del nostro ex-amico, e li condivido. Ma era caduto in tale abiezione che a ben considerare, e di fronte al sacrificio di tanti innocenti, di animo veramente eletto, non c’è posto per la commozione...». Tutt’altra è la reazione dello storico dell’economia Armando Sapori, che deplora la «disumanità della cosa» e scrive: «Questi episodi di guerra civile –che sono tanti ormai- aumentano lo strazio della guerra combattuta e sofferta in ogni più remoto angolo del nostro disgraziatissimo Paese: esposto all’offesa aerea che porta via con rivi di sanngue tanti lembi della nostra antica civiltà; abbandonato dall’amore dei figli che dovrebbero trovare l’unione non fosse altro che nella generalità delle sofferenze. Quanti pensano ancora all’Italia, piuttosto che al loro momentaneo interesse o alla vendetta momentanea?». 210 Il professore Romani, curatore dei volumi, conclude l’interessante ed appassionante scambio epistolare tra Gentile-Palazzina così: il carteggio suggella un periodo difficile nella vita del Paese e dell’Università Bocconi e chiude un’epoca la cui fine si è manifestata «in un mare di lacrime, di sangue, di distruzioni, di dolore, di morte». E tale giudizio, equanime e storicamente fondato,è condividibile. Resta tuttavia da chiarire tuttora perché tante personalità illustri parteciparono o collaborarono, con o senza convinzione e passione, a generare tanti disastri.Troppo semplicistica («il fascismo degenerato e corrotto degli ultimi anni... non era niente o era solo un uomo, un avariatissimo uomo») è la spiegazione di Gioacchino Volpe che si legge in una lettera

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del 16 agosto 1943 a Giovanni Gentile e pubblicata da Gennaro Sasso ( Giovanni Gentile e Gioacchino Volpe dinanzi al crollo del Fascismo in Filosofia e idealismo. IV. Paralipomeni, Napoli, Bibliopolis, 2000, pp.531-557, la cit. è a pp.555-556). Non si può disconoscere che il fascismo fu un regime di massa basato, durante molti anni, su un vasto consenso popolare e sull’impegno e la partecipazione di moltissimi intellettuali e di quasi tutte le élite sociali del paese sempre sensibili alla tutela dei propri interessi particolari, alla protezione del proprio «particulare». 211 La venuta alla luce d’altri carteggi, simili a quelli oggi pubblicati dal Romani, aiuterà, quasi certamente, a farci prendere coscienza di quanto siano state e restano ancora deboli, paventose e sottomesse a qualsiasi potere le élite in Italia e senza radici etico- politiche profonde le classi dirigenti di governo e di opposizione. 212 L’Università Bocconi ha dato, certamente, un contributo straordinario allo svecchiamento della cultura economica italiana, alla formazione d’una moderna categoria professionale, ha favorito l’elaborazione d’una élite di professori e di ricercatori di primissimo ordine, ma possiamo attribuirle e riconoscerle anche il merito d’aver dato al paese una classe dirigente con valori di base comuni? 213 Nello stato attuale della documentazione la risposta a questo interrogativo è difficile. Non disponiamo ancora delle ricerche storiche e sociologiche che sole permettono di delineare i termini del problema e di cercarne poi la soluzione.

NOTE

1. Storia economica d’Italia. 1. Interpretazioni, a cura di Pierluigi CIOCCA e Gianni TONIOLO, Bari, Laterza, 1999, XIX-419 pp.; Stefano BATTILOSSI, Storia economica d’Italia. 2. Annali, Bari, Laterza, 1999, XI-713 pp.; Storia economica d’Italia. 3. Industrie, mercati, istiuzioni. 1. Le strutture dell’economia, a cura di Pierluigi CIOCCA e Gianni TONIOLO, Bari, Laterza, 2003, VII-587pp.; Storia economica d’Italia. 3. Industrie, mercati, istituzioni. 2. I vincoli e le opportunità, a cura di Pierluigi CIOCCA e Gianni TONIOLO, Bari, Laterza, 2003, 635 pp. 2. Nel volume I, p.414, i lavori di Roberto R. Romano (224n, 324, 397) sono confusi con quelli di Ruggiero Romano. 3. Bologna, Il Mulino, 1994, pp. 4. Bologna, Il Mulino, 1998, 154 pp. 5. Torino, Bollati Boringhieri, 2004, 356 pp. 6. Le vie della storia nell’economia, a cura di Pierluigi Ciocca, Bologna, Il Mulino, 2002, 190 pp.Incomprensibile l’assenza, in questa raccolta, di studi su economisti, per citare dei nomi, quali Vilfredo Pareto, John Hicks, François Perroux, Maurice Allais, ecc. 7. A titolo d’esempi ricordiamo le recenti raccolte di M.A.Augello & M.E.L. Guidi (a cura di), La scienza economica in Parlamento: 1861-1922. Una storia dell’economia politica dell’Italia liberale, Milano, Angeli, 2002, LI-620 + LXIII-656 pp., e di P. Barucci (a cura di), Le frontiere dell’economia politica. Gli economisti stranieri in Italia: dai mercantilisti a Keynes, Firenze, Polistampa, 2003, 461 pp. 8. Basti qui menzionare il classico manualetto di C.M.Cipolla, Tra due culture. Introduzione alla storia economica, Bologna, Il Mulino, 1988. Per questo studioso una ricerca di storia economica è sterile ove gli strumenti e le categorie della teoria economica non vengano utilizzati.

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9. È quanto rimprovera a Léon Walras, che ignorerebbe l’incompatibilità esistente tra l’economia politica pura e la politica economica. A questo proposito leggere Ph. Steiner, Pareto contre Walras: le problème de l’économie sociale, «Economies et Sociétés. Série Oeconomia, Histoire de la pensée économique», P.E., n. 20-21, 10-11/1994, pp.53-73. 10. Per ulteriori approfondimenti cf. D. H. Fischer, Historian’s Fallacies. Toward a Logic of Historical Thought, New York, Harper and Row, 1970 e R. Aron, Introduction à la philosophie de l’histoire. Essaî sur les limites de l’objectivité historique. Nouvelle edition revue et annotée par Sylvie Mesure, Paris, Gallimard, 1986. 11. Contrariamente agli altri volumi, questo non è dotato d’indici. 12. Scrittori italiani di economia, a cura di Rossella Bocciarelli e Pierluigi Ciocca. Postfazione di Cesare Cases e Tullio De Mauro, Bari, Laterza, 1994, XXXII-441 pp. 13. J. Molino, Linguistique et Economie: sur un modèle épistémologique du Cours de Saussure, «L’Age de la science», 1969, n.4, pp.335-349 e dello stesso Saussure et l’Economie, «Revue européenne des sciences sociales», XXII, 1984, n. 66, pp.145-161. 14. Vedere a questo proposito J.-J. Gislain & Ph. Steiner, La sociologie économique, 1890-1920. Emile Durkheim, Vilfredo Pareto, Joseph Schumpeter, François Simiand, Thorstein Veblen et Max Weber, Paris, Puf, 1995, 235 pp.nonché Ph. Steiner, Sociologie de la connaissance économique. Essai sur les rationalisations de la connaissanmce économique (1750-1850), Paris, Puf, 1998, 285 pp. 15. Auguste et Léon Walras, Œuvres économiques complètes. XIV. Tables et Index, Paris, Economica, 2005, 631 pp.Per conoscere i criteri adottati dagli editori di quest’opera monumentale, leggere l’articolo di J.-P. Potier et P.-H. Goutte, «Œuvres économiques complètes» d’Auguste et de Léon Walras: une nécessaire diversité des critères d’édition, «Revue européenne des sciences sociales», XXX, 1992, n. 92, pp.171-208. 16. Il Cantone di Vaud e l’Università di Losanna si comportarono in maniera non dissimile col lascito di Pareto. Vedere a questo proposito F. Bruttin, La Bibliothèque Pareto de l’Université de Lausanne, «Revue européenne des scienmces socials», XXXIII, 1995, n. 100, pp.207-233. 17. Comprendeva il testo di Walras, le «Notes inédites de Jean Baptiste Say, suivi du Mémoire sur l’origine de la valeur d’échange présenté par l’auteur à l’Académie des sciences morales et politiques et précédé d’une Introduction biographique sur la vie et les travaux de l’auteur par Gaston Leduc et d’une Préface de Gaétan Pirou», Paris, Alcan, 1938, XVI-345 pp.Questo volume venne recensito da Luigi Einaudi nella «Rivista di storia economica», IV, n. 2, giugno 1939, pp.175-177. 18. William Jaffé’s Essays on Walras, ed. by Donald A. Walker, Cambridge, University Press, 1983, XIV-377 pp.Vedere anche dello stesso W. Jaffé, The Antecedents and Early Life of Léon Walras, «History of Political Economy», XVI, n. 1, Spring 1984, pp.1-57. 19. Paris, Economica, 1990, CLXXII-579 pp. 20. Paris, Economica, 1997, 712 pp. 21. Paris, Economica, 2005, 1002 pp. 22. Paris, Economica, 2005, 835 pp. 23. Vedere ciò che scrive A. Zylberberg, L’économie mathématique en France, 1870-1914, Paris, Economica, 1990. Per altre informazioni leggere l’introduzione ed i commenti ai documenti pubblicati da P. Bridel, Le chêne et l’architecte. Un siècle de comptes rendus bibliographiques des «Elements d’économie pure» de Léon Walras. Textes et commentaires. Textes établis avec la collaboration de R. Baranzini, Genève, Droz, 1996. 24. L’eccezione è costituita dai lavori giovanili di Sir John Hicks e soprattutto dal suo libro Value and Capital, Oxford, Clarendon Press, 1939. 25. Il lavoro più rappresentativo in questo campo è certamente quello de M. Morishima, Walras’s Economics. A pure Theory of Capital and Money, Cambridge, Cambridge University Press, 1977. 26. A titolo di esempio si citano l’antologia (65 articoli d’economisti europei ed americani) The Legacy of Léon Walras. Edited by D. A. Walker, Cheltenham, Elgar, 2001, vol.I, XLVII-592; vol.II, XI-670 pp.(«Intellectual Legacies in Modern Economics», 7) ed i volumi di J. Van Daal & A. Jolink,

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The Equilibrium Economics of Léon Walras, London, Routledge, 1993; di P. Dockès, La société n’est pas un pique-nique. Léon Walras et l’économie sociale, Paris, Economica, 1996, di A. Rebeyrol, La pensée économique de Walras, Paris, Dunod, 1999, e di R. Baranzini, Léon Walras e la moneta senza velo (1860-1886). Contributo analitico ed epistemologico alla ricostruzione del modello monetario walrasiano, Torino, Utet Libreria, 2005. Per i rapporti di Walras con gli studiosi italiani ved. G. Busino, Una fonte per la storia del pensiero economico in Italia: il carteggio di Léon Walras, «Rivista storica italiana», LXXX, 1968, n. 2, pp.381-393 ed anche J.-P. Potier, Léon Walras et l’«Ecole lombarde-vénitienne» à travers sa correspondance (1874-1886), nella raccolta L’Economie, une science pour l’homme et la société. Mélanges en l’honneur d’Henri Bartoli, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, pp.117-145. Sul Walras riformatore e politico cfr. il libro d’H. Dumez, L’économiste, la science et le pouvoir. Le cas Walras. Préface de H. Guitton, Paris, Puf, 1985. 27. Basti qui rinviare al volume di D. A. Walker, Walras’s market models, New York, Cambridge University Press, 1996, recensito da P. Bridel, in «Journal of Economic Literature», XXXVI, March 1998, pp.231-233. 28. Paris, Economica, 2001, XCIV-753 pp. 29. Paris, Economica, 1990, XLIII-563 pp. 30. Paris, Economica, 1987, 575 pp. 31. Nei volumi VIII e XI di quest’opera si leggono ampi sviluppi su questa nozione un po’ misteriosa e tuttavia le perplessità ed i dubbi restano numerosi. 32. Alcuni studiosi pretendono che questo approccio ed altri similari dissimulano i conflitti sociali, le opposizioni tra gli interessi dei dominanti e dei dominati, giustificano la sedicente dottrina del bene comune, squalificano la politica in nome dell’etica. Per delle informazioni più dettagliate ved. B. Amabile & S. Palombarini, L’économie politique n’est pas une science morale, Paris, Raisons d’Agir Editions, 2005. Va ricordato che molti studiosi hanno scritto che questo libro ripropone una teoria economica marxista senza socialismo. Vedere a questo proposito l’articolo di F. Fourquet, La nostalgie du marxisme, in «Revue du Mauss semestrielle». n. 27, Premier semestre 2006, pp.523-531. 33. Paris, Economica, 1988, XXVI-891 pp.La descrizione dei criteri adottati per questa edizione si trovano anche nell’articolo di C. Mouchot, L’édition synoptique des «Eléments d’économie politique pure», «Revue européenne des sciences sociales», XXX, 1992, n. 102, pp.209-231, 34. Questa edizione venne recensita da Luigi Einaudi nella «Rivista di storia economica», III, n. 4, dicembre 1938, pp.364-365, 35. Paris, Economica, 1990, XIX-537 pp. 36. Paris, Economica, 1992, XXX-573 pp.A questo volume ha consacrato un’attenta recensione G. De Caro, Ambito e metodo dell’«Economie politique appliqué». A proposito della nuova edizione degli «Etudes» walrasia, «Storia del pensiero economico», n. 24, N.S., 1992, pp.18-38. 37. Paris, Economica, 1993, XII-745 pp. 38. Paris, Economica, 1996, 941 pp.Ved. A questo proposito quanto scrive P. Bridel, The Lausanne Lectures in Pure Economics: from Walras to Pareto ( how and what to publish, if anything at all!), «Revue européenne des sciences sociales», XXX, 1992, n. 92, pp.145-169. 39. Ved. a questo proposito G. Busino, Recherches préparatoires à une histoire de l’épistémologie des sciences humaines, «Revue européenne des sciences sociales», XLIII, 2005, n. 132, pp.83-162, spec. pp.109-140. 40. Scrive Pareto a Pantaleoni, in una lettera del 22 maggio 1893 (V. Pareto, Œuvres complètes. Tome XXVIII, 1, Lettere a Maffeo Pantaleoni, 1890-1923, a cura di G. De Rosa. Volume primo, 1890-1896, Genève, Droz, 1984, p.372):«Il buon Walras aveva finito coll’avere solo 6 studenti alle sue lezioni.» Nella nota 3 della lettera n. 1132 di Pareto al Walras, del 4 maggio 1893 (Correspondence of Léon Walras and Related Papers. Edited by W. Jaffé. vol.II, 1884-1897, Amsterdam, North-Holland, 1965, n.3 a p.560) Jaffé scrive: «Pareto’s boast was confirmed by conversations of Lausanne, one a retired lawyer and the other a retired teacher, who in their youth had attended

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the University at the time the chair of political economy passed from L. W. to Pareto. My two aged informants recalled that L. W. struck them as a very old man (though he was then only 58) who drily read his lectures from notes. It was a great relief to the students when Pareto arrived and delivered his lectures without notes and with animation.» 41. Paris, Economica, 2000, 773 pp. 42. Vedere a questo proposito J.-J. Gislain et Ph. Steiner, La sociologie économique, 1890-1920. Emile Durkheim, Vilfredo Pareto, Joseph Schumpeter, François Simiand, Thorstein Veblrn et Max Weber, Paris, Puf, 1995, e di Ph. Steiner, La sociologie économique, Paris, La Découverte, 1999, nonché il fascicolo monografico sulla sociologia economica, preparato da Ph. Steiner e da I. This Saint-Jean, di «L’Année sociologique», vol.55, 2005, n. 2. 43. M. Pantaleoni, Dei criteri che debbono informare la storia delle dottrine economiche, «Giornale degli Economisti» del novembre 1898, pp.407-434 e del dicembre 1898, pp.-, poi in Scritti varii di Economia, Milano-Palermo-Napoli, Sandron, 1904, pp.477-526 ed ora in Erotemi di Economia. Volume I, Padova, Milani, 1963, pp.211-245. Un premio Nobel d’economia, P. Samuelson, Out of the Closet. A program for the Whig History of Economic Science, «History of Economics Society Bulletin», vol.9 (1), 1987, pp.51-60, irride alle letture qualificate di «whiggiste» degli storici del pensiero economico, che privilegierebbero le ricostruzioni razionali, che farebbero fiducia al falsificazionismo popperiano o lakatosiano, che sarebbero affascinati dalla credenza nel progresso del sapere. 44. È ovvio che Pantaleoni semplifica eccessivamente. Vedere a questo proposito P. Bini, Maffeo Pantaleoni. Le relazioni ideologiche tra storia e teoria economica, in Le vie della storia nell’economia, a cura di P.Ciocca, Bologna, Il Mulino, pp.119-129. Nello stesso volume vedere l’introduzione di Pierluigi Ciocca, Clio, nella teoria economica (pp.9-49) e gli articoli di diversi autori consacrati a Quesnay, Smith, Ricardo, Marx, Marshall, Schumpeter, Keynes, Sraffa, nonhé le considerazioni sulla storia da parte degli economisti Friedman, Samuelson e P.L.Pasinetti. Si rimanda a ciò che è scritto nella sezione «A proposito d’una recente storia economica dell’Italia d’oggi» in G. Busino, Storici alla ricerca d’un passato inafferrabile, «Rivista storica italiana», CXVI, fasc.III, Dicembre 2004, spec. pp.1154-1170. 45. G. Montemartini, Una questione di metodo nella storia delle dottrine economiche, in «Rivista filosofica», vol.II, 1899, pp.112-131, e B. Griziotti, Intorno alla Scuola di Luigi Cossa in Pavia. Glosse e controglosse inedite di Maffeo Pantaleoni e Giovanni Montemartini a «Una questione di metodo nella storia delle dottrine economiche», ora in Studi nelle scienze giuridiche e sociali, vol.XXII, Pavia, 1938. 46. La discussione con Pantaleoni a proposito della storia delle dottrine economiche si può leggere in V. Pareto, Œuvres complètes. Tome XXVIII,3. Lettere a Maffeo Pantaleoni, 1890-1923, a cura do G. De Rosa. Volume Terzo: 1907-1923, Genève Droz, 1984, pp.332-355. 47. V. Pareto, Œuvres complètes. Tome XXI. Faits et Théories. Version française de M. Tripet. Préface par J. Freund, Genève, Droz, 1976, pp.116-117. 48. L. Einaudi, Per un programma di lavoro, «Rivista di storia economica», I, n.3, settembre 1936, pp. 199-204, ristampato in Natura e metodo della storia economica. Raccolta di saggi, a cura di M. R. Caroselli, Milano, Giuffré, 1960, pp.79-85. Ved. anche la Prefazione (pp.VII-XIII) a Saggi bibliografici e storici intorno alle dottrine economiche, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 1953. 49. G. Pirou, Doctrines sociales et science économique, Paris, Recueil Sirey, 1929; Les théories de l’équilibre économique: L. Walras et V. Pareto, Paris, Domat-Montchrestien, 1938, 2e éd.; Les doctrines économiques en France depuis 1870, Paris, Domat-Montchrestien, 1946, 3e éd.; Introduction à l’étude de l’Economie politique, Paris, Recueil Sirey, 1946, 2e éd. 50. G. Busino, Alla ricerca d’una teoria dell’opinione pubblica, «Giornale di storia costituzionale», n. 6, II semestre 2003, pp.17-33. 51. A. Fanfani, Storia delle dottrine economiche dall’Antichità al XIX secolo. Quarta edizione, Milano- Messina, Principato, 1955, spec. pp.3-33, e l’Introduzione allo studio della storia economica. Terza edizione, Milano, Giuffré, 1960. Un rapido ritratto del Fanfani è stato tracciato da G. Rumi,

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Quell’ambizioso professorino, «Corriere della sera», 7 agosto 2004, p.29. Ved. inoltre V. La Russa, Amintore Fanfani, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2006. 52. Per un panorama abbastanza esauriente dei paradigmi contemporanei in materia, si rimanda a A. M. Fusco, Sulla storiografia dell’economia, Napoli, Giannini, 1972. 53. Si cita, a titolo d’esempio, la ricerca del Groupe de Montheron, Les cigales et les fourmis. Des emprunts entre sciences. Textes réunis et commentés par A. Delessert et J.-Cl. Piguet, Lausanne, LEP-Loisirs et Pédagogie, 1996. 54. Sulla storia dell’equilibrio generale sono ancora molto utili i lavori di R. Weintraub, General Equilibrium Analysis, New York, Cambridge University Press, 1985, e Stabilizing Dynamics: Constructing Economic Knowledge, Cambridge, Cambridge University Press, 1991. 55. P. Dockès et J. M. Servet, Les lecteurs de l’armée morte. Note sur les méthodes en histoire de la pensée économique, «Revue européenne des sciences sociales», XXX, 1992, n. 92, pp.341-364.

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