CONFERENCE OLIVAINT DE BELGIQUE Association Royale OLIVAINT GENOOTSCHAP VAN BELGIE Koninklijke Vereniging

APERCU GENERAL DU BURUNDI ET RWANDA

ALGEMENE BENADERING VAN

BURUNDI EN RWANDA

RAPPORT DE LA SESSION D’ÉTUDE 2013

RAPPORT VAN DE STUDIESESSIE 2013

2 Association Royale sans but lucratif – Koninklijke Vereniging zonder winstoogmerk rue d’Egmontstraat 11 1000 Bruxelles - Brussel

Tél. +32.476.49.04.96 E-mail : [email protected]

B.D. 21.365/13 www.olivaint.be

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Editeur responsable - Verantwoordelijke uitgever :

Jean Marsia rue d’Egmontstraat 11 1000 Bruxelles

Avertissement - Waarschuwing

Le contenu des articles n'engage que les auteurs.

Les données reprises dans ce rapport sont à jour en date de la fin de la session d'étude.

De auteurs dragen de verantwoordelijkheid voor de inhoud van hun artikels.

De gegevens van dit verslag zijn geldig op datum van het einde van de studiesessie.

3 4 Préambule - Voorwoord

Le présent rapport fait suite au voyage d'étude que la Conférence Olivaint de Belgique a effectué au Burundi et au Rwanda du 1er au 21 juillet 2013, sous le haut patronage du Service public fédéral Affaires étrangères. Voorliggend rapport brengt verslag uit over de studiesessie van het Olivaint Genootschap van België in Burundi en Rwanda van 1 tot 21 juli 2013, die plaatsvond onder de hoge bescherming van de Federale Overheidsdienst Buitenlandse Zaken.

Cette session d'étude n'aurait pas été possible sans les conseils, la collaboration et le mécénat de nombreuses personnes, entreprises et organismes. Nous tenons ici à les en remercier et notamment : Zonder de raadgevingen, de samenwerking en het mecenaat van talrijke personen, bedrijven en organismen zou deze reis nooit werkelijkheid zijn geworden. Wij bedanken hen allen, en in het bijzonder :

AKL Myriam HEYMANS - DE BOCK APPELMANS Alexander LAMBRECHT Thibaut BELGAVIA SA LEVIE – DE GREEF BRABANT - LEMAN LOS Jimmy BIEBUYCK - VAN INNIS MATTEZ Philippe BROODCOORENS Joris MARSIA Jean COGET - de HARENNE MASQUELIN Jean-Jacques CONVENT Christophe MORELLE Quentin COURTENS Albert NOTARIS PEERS Jean-Luc bvba DE CORDES Guy - DE WILDE PACCO Jean-François DE CORT François PECSTEEN DE BRUYTSWERVE Marc DE CRAYENCOUR Gonzague PIENS Jacques DE GROOTE Pierre ROELANDTS Anne DEVOS Anne RONSMANS Luc DENOEL - SEUTIN ROTARY BRUXELLES SUD EEMAN & PARTNERS ass. d’avocats SAELENS Céline FLAMANT Brecht SENY Gaëtan FLAMENT - JONGEN SONCK Samuel GHINS-PACCO STANDAERT - BILLIET HAINE - DE VAUCLEROY SWINNEN Patrick

5 SOLVAY VANDERSTRAETEN J.F. TIELEMANS - DE BROUWER TONDREAU Emmanuel VANHOUTTE Christophe TYTGAT Dominique WARRANT Françoise VAN DEN BERGHE - COCHAUX WAUTERS Anne Marie VANDERSTEEN Julienne WIMER CONSULT VANDERSTRAETEN Godelieve

Le Service public fédéral Affaires Etrangères De Federale Overheidsdienst Buitenlandse Zaken

La Communauté française de Belgique De Franse Gemeenschap van België

Les Missions diplomatiques de l’Allemagne à Bruxelles De diplomatieke Opdrachten van Duitsland in Brussel

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8 Table des matières - Inhoudstafel

LISTE DES PARTICIPANTS - LIJST DER DEELNEMERS ...... 11

ITINERARY ...... 13

RAPPORTS - VERSLAGEN

Le nouveau partage de l’Afrique (François-Guillaume de Lichtervelde) ...... 21

Le partage de l’Afrique (Harold Van den Berghe) ...... 43

La gestion humaine post-conflit au Burundi et au Rwanda (Francesca Biebuyck & Elinor Pecsteen de Buytswerve) ...... 75

La gestion des infrastructures économiques en partage avec d’autres pays (Alexis Brabant & Nicolas Coget) ...... 103

L’évolution de la démographie / Demografische evolutie (Daphné Morelle, Laetitia Mertens & Valentine Pacco) ...... 139

La vie culturelle au Burundi et au Rwanda (Anne-Cécile Joris & Jean-Bruno van der Straeten) ...... 181

Le voisinage de pays turbulents et déstabilisateurs (RDC, Rwanda) (Bernard Morlet) ...... 209

Agriculture dans la région des Grands Lacs : souveraineté alimentaire et pratiques agroécologiques (Samuel Sonck) ...... 243

La lutte contre la pauvreté au Burundi et au Rwanda (Céline Saelens & Stéphanie-Victoire Haine) ...... 275

L’exercice de la démocratie et des droits de l’Homme au Burundi & au Rwanda (Maxime de Cordes, Arthur Ghins & Alexandre Tangton) ...... 307

A close look to Economy in Burundi and Rwanda (Joris Broodcoorens, Nicolas Denoël & Anaïs Mattez) ...... 363

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10 Liste des participants

Lijst der deelnemers

Senior Members of the Conference Olivaint accompanying the group of students : • Mr Marsia Jean • Mr Tonnon Marc

Biebuyck Francesca Master of Laws UCL Brabant Alexis Master of Business Engineering UCL Broodcoorens Joris Master of Business Administration VUB Coget Nicolas Master of Management UCL de Cordes Maxime Master of Laws UCL de Lichtervelde François- Bachelor of Business Engineering FUSL Guillaume Denoël Nicolas Master of Sciences in Management UCL Ghins Arthur Master of Law & Master of Philosophy UCL Haine Stéphanie-Victoire Master of History UCL Joris Anne-Cécile Master of Business Engineering UCL Mattez Anaïs Master of Laws UCL Mertens de Wilmars Laetitia Master of Business Engineering UCL Morelle Daphné Master of Laws KU Leuven Morlet Bernard Master of Laws UCL Pacco Valentine Master of Laws UCL Pecsteen de Buytswerve Elinor Master of Laws KU Leuven Saelens Céline Master of Laws KU Leuven Sonck Samuel PhD-candidate in Engineering UCL Tangton Alexandre Master of Laws & Master of Political FUSL Sciences Van den Berghe Harold Master of Laws KU Leuven van der Straeten Jean-Bruno Master of Laws UCL

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De gauche à droite: Van links naar rechts:

Coget Nicolas, Biebuyck Francesca, Morlet Bernard, Mattez Anaïs, Joris Anne-Cécile, Pecsteen de Buytswerve Elinor, Sonck Samuel, Haine Stéphanie-Victoire, Tangton Alexandre, Marguerite Barankitse, Ghins Arthur, Marsia Jean, de Cordes Maxime, Pacco Valentine, Denoël Nicolas, Broodcoorens Joris, - Mertens de Wilmars Laetitia, van der Straeten Jean-Bruno, Saelens Céline, Brabant Alexis, Tonnon Marc

12 Itinerary

Monday 1.07.2013 - Bujumbura

08:30 – 16:30 Fête de l'Indépendance (défilé civil et militaire)

16:30 – 18:00 Réception offerte par le second vice-président S.E. Gervais Rufyikiri, Dr Ir

Tuesday 2.07.2013 - Bujumbura

08:30 – 09:00 Introduction par M. l'ambassadeur Marc Gedopt

09:00 – 09:30 La coopération belge par MM. Theofiel Baert, ministre conseiller de la Coopération au développement & Olivier Heck, représentant résident de l’Agence belge de développement (CTB).

09:30 – 10:00 Le travail consulaire par M. Brent Van Tassel, consul stagiaire.

10:00 – 10:30 La sécurité au Burundi par le lieutenant-colonel Luc Arnould, attaché de Défense.

11:00 – 12:30 Rencontre à l'Université de Bujumbura avec Mme Marie-José Bingendako, directeur académique, M. le professeur Gilbert Midende (la coopération avec le CIUF), le Dr Thaddée Barancira (la coopération avec le VLIR) et quelques étudiants.

14:30 – 15:30 La situation macro-économique par M. Désiré Musharitse, coordonnateur de la Cellule d'appui chargée du suivi des Réformes et du cadre de partenariat entre le gouvernement et les bailleurs de fonds.

16:45 – 17:30 Les entreprises belges au Burundi par Renaud Henry de Frahan, président Chambre de Commerce Belgo-Burundaise, Doris Ndayiragije, director, Food & Beverage Consulting.

17:30 – 19:00 L’intégration régionale par Anthe Vrijlandt, Country Director, Trade Mark

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19:00 – Cocktail dînatoire offert par M. Bart De Wolf, 1er Secrétaire à la COB, à quelques jeunes belges de Bujumbura et aux membres de l'Ambassade

Wednesday 3.07.2013 - Bujumbura

08:00 – 09:15 La presse au Burundi, par M. Innocent Nsabimana, Secrétaire général de l’Observatoire de la Presse.

09:15 – 10:00 Le rôle du Conseil National de la Communication, par M. Pierre Bambasi, Président du CNC.

11:15 – 12:00 La Radio Télévision Nationale du Burundi, par M. Channel Nsabimbona, Directeur général de la RTNB.

14:00 – 14:45 L’action de 11.11.11, par M. Richard Rudashama - Chef de Mission Adjoint.

14:45 – 15:30 Le rôle du Forum pour le Renforcement de la Société Civile, par M. Vital Nshimirimana, Président du FORSC.

16:00 – 16:45 Le rôle de l'Observatoire de la Lutte contre la Corruption & les Malversations Economiques, par M. Gabriel Rufyiri, Président de l'OLCME.

16:45 – 17:30 Parole et Action pour le Réveil des Consciences et l'Évolution des Mentalités, par M. Faustin Ndikumana, Président de PARCEM.

17:30 – 18:30 Le fonctionnement du journal privé IWACU, par M. Antoine Kaburahe, Directeur des Publications.

19:30 – 21:30 Dîner offert par la COB au Dr Thaddée Barancira et à quelques étudiants de l'Université de Bujumbura.

14 Thursday 4.07.2013 - Bugarama - Kiganda - Gishora - Gitega - Ruyigi

08:00 – 10:00 Bugarama: crète de séparation des bassins du Congo et du Nil. Guide: M. Jean-Claude Clovis Bahati, O.N.T.

10:00 – 11:30 Visite du site de la signature du Traité de protection entre le capitaine von Beringe et le Mwami Mwezi Gisabo (1903) (Kiganda), Guide: Jean Claude Clovis Bahati, O.N.T.

11:30 – 13:30 Visite de l’ancien site royal de Gishora et spectacle des danseurs tambourinaires, Guide : M. Jean Claude Clovis Bahati, attaché de direction, Office national du Tourisme.

14:30 – 16:00 Visite Musée national ethnographique du Burundi à Gitega. Guide : M. Jacques, Conservateur.

Friday 5.07.2013 - Bujumbura

08:00 – 12:30 Visite de la "Maison Shalom", de l’école internationale et de l’hôpital REMA à Ruyigi avec Mme Maggy Barankitse.

Satuday 6.07.2013 - Bujumbura

08:00 – 17:30 Natation et sport sur la plage au Bora Bora Beach.

Sunday 7.07.2013 - Bujumbura

08:30 – 13:00 Marche dans les collines entourant Bujumbura avec les Amis de la Montagne – M. Denys Nzohabonimana, Vice-président.

13:00 – 14:45 Lunch offert par les Amis de la Montagne au restaurant Ikindi.

15:00 – 19:30 Le partenariat militaire belgo-burundais, par le Lieutenant-colonel Luc

15 Arnould, attaché de Défense.

Monday 8.07.2013 – Bujumbura & Bubanza

08:00 – 13:00 Visite de chantiers conduits à Bujumbura par l’Agence belge de Développement (projet pavage, projet collecte d’immondices, tri et recyclage).

14:30 – 18:30 Rencontres à Bubanza avec les responsables de projets de l’Agence belge de Développement (appui à la professionnalisation de la police nationale, amélioration de la justice), avec la présidente du tribunal de première Instance, et avec le procureur. Visite de l'école des officiers de police.

Tuesday 9.07.2013 - Bujumbura

08:00 – 10:00 La politique étrangère du Burundi, par M. Daniel Kabuto, directeur chargé de la Communication et de l'Information au ministère des Relations extérieures et de la Coopération internationale.

10:00 – 12:00 La sécurité publique, par le commissaire principal Tharcisse Yamuremye, conseiller du ministre de la Sécurité publique, directeur du projet de professionnalisation de la Police nationale Burundaise.

14:30 – 15:30 Tour de ville.

16:30 – 18:00 La politique nationale de Défense, par le général-major Pontien Gaciyubwenge, Ministre de la Défense Nationale et des Anciens Combattants.

Wednesday 10.07.2013 - Bujumbura

08:30 – 10:05 L’organisation et le rôle du ministère de l'Intérieur, par M. Gérard

16 Nyandwi, Secrétaire permanent.

10:15 – 11:30 Le système parlementaire burundais, par M. François Kabura, second vice-président de l’Assemblée nationale - présentation des activités de l’Assemblée nationale par M. Sylvère Bavugamenshi, conseiller principal, chargé des questions politiques et diplomatiques - visite de l'hémicycle par Pascal Ntirampeba, chef du protocole.

11:30 – 12:30 Le Bureau des Nations-Unies au Burundi, par M. Vladimir Monteiro, chargé de l’information.

14:45 – 15:30 La Commission électorale nationale indépendante, par M. Pierre-Claver Ndayicariye, président.

Thursday 11.07.2013 - Ngozi - Mwumba (Rwabiriro) – Muyinga

10:30 – 11:00 Accueil à Ngozi par le Dr. Léonidas Mbanzamihigo, responsable du projet de lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition (LIAM) de Louvain Développement.

11:00 – 14:10 Visite d’un champ de bénéficiaire aisé (banane, manioc, ananas, élevage), d’un champ de bénéficiaire vulnérable (caprins, lapins, jardin de cuisine), d’un hangar de stockage, d’une coopérative et d’un centre d’alphabétisation (Mwumba (Rwabiriro)).

17:00 – 19:00 Les activités minières de Flemish Investments Burundi s.a. par Bruce Milne, administrateur (Muyinga).

Friday 12.07.2013 - Muyinga - Bujumbura

10:30 – 14:30 Visite d'un site d'exploitation minière artisanale par Bruce Millen (Muyinga).

19:00 – 22:30 Debriefing du séjour au Burundi, remerciements aux diplomates et aux

17 Amis de la Montagne au restaurant Ikindi (Bujumbura).

Saturday 13.07.2013 - Bujumbura

08:00 – 17:30 Natation et sport sur la plage au Bora Bora Beach.

Sunday 14.07.2013 - Butare

15:00 – 19:30 Visite du musée ethnographique de Butare et spectacle traditionnel.

Monday 15.07.2013 - Butare - Kigali

08:00 – 13:00 Visite du campus de l'université de Butare et de la station de pisciculture; rencontre avec des étudiants au mémorial du génocide de l'université.

Tuesday 16.07.2013 - Kigali

08:30 – 09:00 Visite au mémorial du camp Kigali en mémoire des 10 para-commandos belges et des 14 coopérants assassinés en 1994.

09:00 – 09:05 Mot de bienvenue, par l’ambassadeur Marc Pecsteen de Buytswerve.

09:05 – 09:10 Présentation du programme au Rwanda, par Michael Wimmer, premier secrétaire.

09:10 – 09:25 La situation politique au Rwanda et les relations bilatérales entre les deux pays, par l’ambassadeur Marc Pecsteen de Buytswerve.

09:25 – 09:40 La coopération au développement et la situation économique du pays, par Erwin De Wandel, chef de la section coopération.

18 10:10 – 10:45 Les enjeux sécuritaires régionaux, par le lieutenant-colonel William Breuer, attaché de Défense.

11:00 – 12:00 Les relations entre l’UE et le Rwanda, par Daniel Schaer, délégué a.i. de l'UE.

14:00 – 16:00 L’action de la coopération belge au Rwanda, par Jean-Yves Saliez, représentant résidant de la CTB à Kigali et Prudence Uwabakurikiza, Communication Officer.

16.30 – 19.00 La société civile et la réconciliation au Rwanda, par Assumpta Mugiraneza (Director of the Iriba Center for Multimedia Heritage) - Les questions de justice et de démocratie au Rwanda, par Benoit Joannette, chef de mission de RCN (Réseau Citoyens-Citizens Network) Justice & Démocratie.

19.00 – 22.00 Buffet dinatoire à la résidence de l'ambassadeur de Belgique en présence des juniors de la CTB et des UN Young Volunteers.

Wednesday 17.07.2013 - Kigali

09:00 – 10:00 Les perspectives économiques au Rwanda, par Joseph Mpunga, Head of Division One Stop Center (Investment Implementation).

10:30 – 12:00 Governance in Rwanda, par Prof. Dr. Anastase Shyaka, CEO Rwanda Governance Board.

16:30 – 18:30 Military and Political situation in the Great Lake Region, par le Brigadier General Joseph Nzabamwita, Director General Policy and Strategy, Ministry of Defence.

Thursday 18.07.2013 - Musanze – Mutobo - Gakenke

09:30 – 11:00 Visite de la Farmer Field Schools (FFS), Site de la CTB pour la formation de formateurs à la culture de la pomme de terre, entre Musanze et Rubavu

19 par Arnaud Truyens (CTB), Ritha Tumukunde (coordinatrice FFS), Jean-Marie Vianney Nkunduwimye (coordinateur FFS) et John Nzungize (Operations Manager of the program in Rwanda Agriculture Board).

11:00 – 12:30 Visite du centre de démobilisation et de réinsertion de combattants FDLR à Mutobo

13:30 – 19:00 Contact avec les autorités locales à Gakenke.

Friday 19.07.2013

04:00 – 19:00 Visite du parc de l’Akagera

Saturday 20.07.2013 - Kigali

10:00 – 12:00 Visite de la Société industrielle du Rwanda, Ltd (SIRWA Color) par Elyvin Mironko, administrateur, directeur général

14:30 – 17:30 Visite du mémorial du génocide de Gisozi.

21:30 – 24:00 Vol retour KGL-BRU SN465 vers Bruxelles.

Sunday 21.07.2013 - Bruxelles

00:00 – 06:30 Arrivée à Bruxelles

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Le nouveau partage de l’Afrique

François-Guillaume de Lichtervelde

21

22 TABLE DES MATIÈRES 1. INTRODUCTION ...... 25

1. LE PARTAGE COLONIAL DE L’AFRIQUE : DE 1885 A 1914 ...... 27 1.1. Milieu du XIXème siècle : le temps des explorateurs ...... 27 1.1.1. Un continent hostile ...... 27 1.1.2. Un bassin commercial immense ...... 27 1.1.2. Les structures étatiques préexistantes ...... 27 1.1.2. L’heure des convoitises ...... 28 1.2. 1884-1885 : La conférence de Berlin ...... 28 1.2.2. Prémisses ...... 28 1.2.2. Une zone de libre échange ...... 29 1.2.3. Le principe d’occupation effective ...... 29 1.2.4. Le tracé des frontières ...... 29 1.2.5. Un nouvel impérialisme ...... 30 1.3. Le XXème siècle : les deux guerres mondiales et la décolonisation ...... 31 1.3.1. La Première Guerre mondiale ...... 31 1.3.2. La Seconde Guerre mondiale ...... 31 1.3.3. La décolonisation de l’Afrique ...... 31 1.3.4. Le retrait ...... 32 1.4. La période postcoloniale : la Guerre Froide ...... 32 1.4.1. L’héritage colonial ...... 32 1.4.2. Une Afrique indépendante mais sous tension ...... 33 1.4.3. Une économie sinistrée ...... 33 1.4.4. Un néocolonialisme ? ...... 34 2. ENJEUX DU CONTINENT AFRICAIN : LES RAISONS DE D’UN EMBALLEMENT EUROPEEN 35 2.1. Enjeux économiques : l’Afrique et les marchés globaux ...... 35 2.1.1. Des marchés européens en berne ...... 35 2.1.2 Les ressources naturelles ...... 35 2.1.3. Capitalisme et impérialisme ...... 36 2.2. Enjeux politiques : l’impérialisme européen ...... 36 2.2.1. Rivalités territoriales ...... 36 2.2.2. Des passages stratégiques ...... 36 2.3. Enjeux stratégiques : intérêts militaires et statut international ...... 37 2.3.1. Intérêts militaires ...... 37 2.3.2. Statut international ...... 37 3. CONCLUSION FR ...... 38

CONCLUSION NL ...... 38

4. BIBLIOGRAPHIE...... 41

23

24 1. Introduction

La fin du XIXème siècle fût marquée par l’un des événements majeurs de l’histoire contemporaine : le partage de l’Afrique. Sept puissances occidentales ont participé à ce que l’on a alors appelé le « scramble for Africa », ou la ruée vers l’Afrique, ses territoires et ses richesses, où se mêlèrent une fièvre civilisatrice, rivalités territoriales et convoitises économiques.

Alertés de l’étendue des ressources du continent africain par les explorateurs dépêchés sur place, les dirigeants occidentaux s’accordèrent sur une manière de s’approprier cette manne entre eux sous couvert du noble idéal d’y apporter la civilisation. C’est ainsi qu’ils se retrouvèrent pour la Conférence de Berlin, qui prit place dans la capitale entre le 15 novembre 1884 et le 26 février 1885.

De ces négociations aboutit une vague européenne de signature de traités, délimitant les règles d’un partage. Le vrai découpage s’opéra cependant au cas par cas par la suite, prenant acte des intérêts occidentaux déjà établis sur le continent, et déboucha sur une Afrique presqu’entièrement colonisée dès 1905.

Ce phénomène s’inversa alors au cours du XXème siècle, voyant progressivement les pays africains tenter de s’extirper de l’emprise européenne, pour revendiquer ultimement leur indépendance. Ce mouvement conduisit les métropoles occidentales à se retirer tout à tour de leurs colonies, bien souvent de manière conflictuelle. La cartographie, les régimes politiques et la structure de l’économie du continent portent aujourd’hui l’empreinte des dominations passées.

Dans la lignée de ces événements de notre histoire, une tendance se manifeste ces vingt dernières années. Avec la globalisation des marchés, et l’essor des puissances émergentes comme la CHINE ou L’INDE, on semble assister à une nouvelle ruée vers l’Afrique. Le continent se révèle en effet d’un intérêt capital, à mesure que la disponibilité de certaines ressources naturelles stratégiques comme le pétrole, l’uranium ou encore le coltan, diminue pour les pays industrialisés, et que le développement des nouvelles puissances en fait envoler la demande. Ce rapport de session visera à analyser la nature et l’étendue de ces nouvelles convoitises, ainsi que leurs conséquences politiques, économiques et culturelles sur les pays qui y sont sujets.

25

Afin de cerner au mieux les tenants et aboutissants de ce phénomène inédit, nous nous intéresserons dans un premier temps aux événements précédant au premier « partage » du continent africain par les puissances européennes. Nous en examinerons ensuite les enjeux passés et actuels sur les plans économique, politique et stratégique.

26 1. Le partage colonial de l’Afrique : de 1885 à 1914

1.1. Milieu du XIXème siècle : le temps des explorateurs

1.1.1. Un continent hostile

Les pays européens se sont longtemps cantonnés aux extrémités côtières du continent africain, y établissant des comptoirs commerciaux ou des escales pour leurs navires. L’intérieur des terres s’avérait en effet, dans l’état du progrès technique, fort difficile d’accès. En 1835, à l’exception de l’Afrique du Nord-est, l’essentiel du continent était jusqu’alors terra incognita. Les décennies qui suivirent furent marquées par les premiers sérieux mouvements d’exploration, initiés par les puissances européennes désireuses d’en cartographier un maximum d’étendues.

Des missions guidées par l’écossais David Livingstone, l’anglais Henry Stanley, dépêchés par l’Empire britannique, ou le portugais Alexandre de Serpa Pinto, sortirent de l’ombre des espaces considérables de forêts vierges, et de plaines désertiques ou verdoyantes. Les progrès de la technique et de la médecine au cours du siècle facilitèrent l’exploration, rendant les progressions plus rapide et moins pénibles pour les aventuriers et leurs équipes.

1.1.2. Un bassin commercial immense

Certaines zones révélèrent immédiatement leur potentiel stratégique, comme la région des grands lacs, les bassins du Nil, du fleuve Congo et Niger, ou les plaines australes. Les récits d’explorateurs comme Livingstone, suivi par Stanley, fascinaient les esprits. Cela d’autant plus que les perspectives de débouchés commerciaux en Afrique se multiplient chaque jour. On découvrit d’immenses forêts d’hévéas, pour le caoutchouc des pneus et des bottes, un sol regorgeant de métaux et minéraux précieux ou industriels (or, diamant, émeraude, fer, cuivre, etc.) et des terres riches pour la culture du coton. L’ivoire faisait lui aussi rêver.

1.1.2. Les structures étatiques préexistantes

Le continent africain n’est, à l’entame de la conférence de Berlin, pas dépouillé de toute structure étatique. Au Nord, on retrouve certaines possessions de l’empire ottoman, pourvues

27 d’un appareil administratif. Au Sud du Sahara existent des États africains aux limites imprécises. À l’Est, on trouve encore l’empire chrétien D’ÉTHIOPIE, le royaume de MADAGASCAR ou le sultanat de ZANZIBAR (au cœur du trafic négrier vers le monde musulman). En Afrique australe, enfin, se dresse l’État guerrier des Zoulous.

1.1.2. L’heure des convoitises

A la veille de la Conférence de Berlin, le monde réalisait l’étendue des richesses du continent africain, et l’importance de contrôler de grands territoires pour le siècle à venir en vue de rivaliser avec l’empire Russe et les ETATS-UNIS. Une concurrence effrénée avait en effet déjà gagné certains pays européens à propos de l’Afrique centrale.

En 1877, le roi des Belges avait pris à son service Stanley qui venait de traverser l’Afrique d’Est en Ouest. En 1885, il obtint la création d’un Etat indépendant du CONGO. Les Allemands se firent reconnaître un protectorat sur les zones non encore occupées du CAMEROUN, et les Français s’empressèrent de signer divers traités avec des chefs de tribus du centre-Ouest de l’Afrique. Les convoitises naissant chez chacun rendaient impératif, pour éviter des conflits, de trouver une voie négociée à la ruée qui s’apprêtait à démarrer.

1.2. 1884-1885 : La conférence de Berlin 1.2.2. Prémisses

Le 15 novembre 1884 s'ouvrit la conférence de Berlin. Quatorze pays, européens dans l’ensemble, s’y retrouvèrent, bien décidés à s’occuper du sort de ce nouvel Eden qu’est l’Afrique. C’est ainsi que pendant près de six mois, jusqu'au 26 février 1885, les dirigeants de la FRANCE, de L’ALLEMAGNE, de L’AUTRICHE-HONGRIE, de la GRANDE- BRETAGNE, de L’ESPAGNE ou encore du échangèrent leurs points de vue sur la manière de fractionner le continent. Les ETATS-UNIS et L’EMPIRE OTTOMAN furent également conviés à la table de négociation.

Le chancelier allemand Otto von Bismarck, instigateur de la conférence, décida de convoquer ses homologues suite à ce que le PORTUGAL et la GRANDE-BRETAGNE se soient entendus pour prélever des taxes à l’embouchure du fleuve Congo. Des tensions commençaient à se répandre dans la diplomatie européenne et L’ALLEMAGNE voulut éviter

28 qu’une dynamique de cloisonnement désordonnée s’enclenche à travers le continent africain, alimentant des tensions et créant des barrières au commerce.

1.2.2. Une zone de libre échange

A l’issue de la conférence, tous s’étaient accordés sur un certain nombre de principes et de règles. L’entreprise de la colonisation allait ainsi principalement ouvrir le continent au commerce, et incidemment « associer les indigènes à la civilisation » ainsi que préparer la suppression définitive de l’esclavage. Pour ce faire, il était impératif d’assurer la liberté de circulation sur tous les fleuves du continent (principalement dans les bassins du Congo, du Niger et du Zambèze), et surtout d’établir clairement les conditions de prise de possession de nouvelles terres.

1.2.3. Le principe d’occupation effective

Selon l’Acte général de la conférence, pour faire valoir des droits sur un territoire, un état doit prouver qu’il était effectivement en possession de ce dernier. La présence de comptoirs commerciaux, de ports d’attache, la conclusion de traités ou d’accords avec les chefs indigènes, ou encore la présence d’un drapeau national furent à cet égard décisifs.

Chacune des puissances tenta ainsi de faire valoir ses prétentions sur celles des autres. Le roi des belges Léopold II avait par exemple assuré ses ambitions en instituant en 1878 l’Association Internationale du CONGO, et revendiqua dès lors ses droits sur la zone. Suite à d’âpres négociations, les signataires s’accordèrent sur un tracé provisoire des frontières intérieures, laissant l’appropriation effective des territoires à plus tard. Le réel partage de l’Afrique ne s’est donc pas réalisé lors de la conférence de Berlin, mais bien dans les années qui suivirent, par le biais de multiples accords bi- et multilatéraux entre les puissances coloniales.

1.2.4. Le tracé des frontières

Sur base des cartes dressées par les explorateurs, ils dessinèrent un tracé approximatif des frontières entre les colonies, réalité jusque là parfois inexistante sur le continent. Beaucoup de populations indigènes se sont en effet toujours distinguées par des espaces de mixité et

29 d’échange, et n’ont jamais vu un intérêt dans une délimitation officielle des territoires. Souvent, les frontières furent ainsi dressées sur base des courbes de latitude et de longitude, sans prendre en considération les hétérogénéités culturelle et linguistique du terrain.

Bien que quatorze pays aient été présents à Berlin en 1884-85, les grands gagnants de ce partage du gâteau africain furent essentiellement britanniques, belges, français et allemands. La GRANDE-BRETAGNE renonça à ses prétentions sur ce territoire du Congo, qui devint la propriété personnelle du roi Léopold II, et jeta son dévolu sur un axe allant « du Caire jusqu'au Cap (selon le fameux souhait de l’entrepreneur et homme politique Cecil Rhodes) » : EGYPTE, Afrique noire, AFRIQUE DU SUD, entre autres.

La FRANCE, pour sa part, se vit attribuer toutes les terres au sud du Sahara, notamment les actuels SÉNÉGAL, MAURITANIE, CÔTE D’IVOIRE, MALI. L’Empire allemand s’adjugea les actuels CAMEROUN, BURUNDI, RWANDA, NAMIBIE, TANZANIE et TOGO. De leur côté, les ETATS-UNIS s’adjugèrent le LIBERIA (baptisé en référence à leur fin d’y éradiquer l’esclavage).

1.2.5. Un nouvel impérialisme

A l’aube du XXème siècle, ce continent totalisant une superficie de plus de 30 millions de km2 et 70 millions d’habitants avait, en l’espace d’une vingtaine d’années, été presqu’entièrement colonisé par l’Occident. On parlait alors de Nouvel Impérialisme, ou Néo- Impérialisme, par contraste avec la première période de colonisations aux XV- et XVI-èmes siècles.

En définitive, la conférence de Berlin, convoquée sous l’impulsion du chancelier Bismarck, a permis à court terme d’éviter un grand nombre de conflits entre puissances impérialistes. Certains territoires sont tout de même restés disputés, comme la ville de Fachoda (au bord du Nil blanc), dans l’actuel SOUDAN, à propos de laquelle la GRANDE-BRETAGNE et la FRANCE se sont violemment écharpées en août 1898, pendant la guerre des Mahdistes.

30 1.3. Le XXème siècle : les deux guerres mondiales et la décolonisation

1.3.1. La Première Guerre mondiale

L’Europe avait pendant le Nouvel Impérialisme ajouté presqu’un cinquième du globe à ses possessions d’outre-mer. Les rivalités entre puissances coloniales s’accentuèrent avec l’expansion économique, contribuant à l’effet domino qui conduisit les nations européennes à l’affrontement en août 1914.

Les colonies, essentiellement des Empires français et britannique, ont à ce titre joué un rôle important pendant la Première Guerre mondiale, fournissant aux Alliés des soldats, de la main d’œuvre et des matières premières. Plusieurs centaines de milliers de combattants furent ainsi mobilisés pour venir en aide aux puissances européennes combattant la Triple Alliance. Cette contribution a fait naître dans le chef des populations un sentiment nationaliste précoce, préfigurant de futures revendications d’autonomie.

1.3.2. La Seconde Guerre mondiale

Entre 1939 et 1945, les possessions africaines des puissances européennes furent à nouveau mises à contribution pour l’effort de guerre. Des combattants venus des diverses colonies ont, à des degrés divers, rejoint les rangs des Alliés et de l’Axe. De plus, les navires Européens étaient confrontés au danger des sous-marins ennemis patrouillant dans l'océan Atlantique ; la baisse des quantités de matières premières transportées vers l'Europe suscita donc des importations massives ainsi que la création d'industries locales en Afrique.

1.3.3. La décolonisation de l’Afrique

Le climat politique qui suivit les deux guerres fût marqué par les aspirations à l’autonomie de plus en plus de colonies vis à vis de leurs métropoles. Les promesses faites de part et d’autre d’une plus grande reconnaissance en rétribution de l’aide africaine lors de la première et seconde guerre, et la perte de prestige des puissances coloniales suite aux victoires allemandes lors de la seconde, ont fait naître des revendications d’émancipation et une ambition à les faire respecter.

31 Un autre phénomène est celui du démantèlement des empires occidentaux au cours du XXème siècle. A la suite de la guerre de 1914-18, ce furent les empires allemand, austro-hongrois, ottoman et russe qui se sont progressivement dépareillés. Après la seconde guerre mondiale, ce fût au tour de l’empire britannique, de la FRANCE coloniale et de la HOLLANDE de décliner et de peiner à conserver l’unité de leurs territoires. La Charte de l’Atlantique, introduite par Winston Churchill et Franklin Roosevelt en 1941, joua également un rôle important en ce qu’elle formalise le souhait d’indépendance des colonies.

1.3.4. Le retrait

Ces deux tendances, ajoutées au fait que les colonies s’avérèrent fort coûteuses à ce moment pour leurs métropoles et que les mouvements anti-colonialistes gagnaient les foules, conduisirent à un processus généralisé de désengagement des colonies. Ce parcours fut souvent ponctué d’accrocs (rappelons-nous de la révolte de MADAGASCAR en 1947, suivie par la guerre D’ALGÉRIE qui fit rage de 1954 à 1962, et dans le cas britannique, de la révolte kényane en 1952). Le GHANA (ancienne Côte-de-l’Or) fut le premier pays, en 1957, à accéder à l’indépendance.

1.4. La période postcoloniale : la Guerre Froide

1.4.1. L’héritage colonial

Bien que n’ayant relativement peu duré à l’échelle de l’histoire (généralement moins d’un siècle), l’emprise coloniale a eu sur les pays africains de profonds impacts. Les sphères économiques et politiques avaient été structurées de manière à rencontrer les besoins européens et, une fois l’indépendance consommée, ces structures ont dans l’ensemble survécu. La transition vers des états autonomes allait dans le sens de l’instauration de gouvernements démocratiques, selon les souhaits des peuples européens, et au lendemain de la seconde guerre mondiale,

32 1.4.2. Une Afrique indépendante mais sous tension

Au lendemain de la décolonisation, l'Afrique a très vite montré des signes d’instabilité politique. Les structures mises en place par les anciens colons s’avéraient en effet conflictuelles. Les postes de haute administration étaient bien souvent occupés par des minorités, blanches ou désignées par les colons, ce qui nourrissait jalousie et ressentiment chez les classes inférieures.

Tantôt les nouveaux gouvernants usaient de leurs privilèges dans des buts personnels et négligeaient l’intérêt du pays, comme ce fut par exemple le cas pour le ZAÏRE de Mobutu. Tantôt les survivances des ségrégations raciales et sociales édifiées lors de la période coloniale alimentaient guerres civiles et violences à l’encontre des européens restés sur place, ou entre ethnies.

D'autres violences ont lieu à cause du désaccord relatif au découpage géographique fait durant la colonisation. Malgré une acceptation très répandue de ce découpage, des conflits frontaliers comme ceux entre le TCHAD et la LYBIE, l’ETHIOPIE et la SOMALIE, le NIGERIA et le CAMEROUN surgissent, parfois encore aujourd'hui.

1.4.3. Une économie sinistrée

Sur le plan économique, la situation versa par la suite au désastre : incapables de bonne gouvernance, tributaires au niveau de leurs ressources naturelles des intérêts commerciaux des anciens colons, beaucoup de pays fraichement indépendants plongèrent dans le marasme. L’activité économique établie sur place ne servait en effet pas aux intérêts de la population mais bien à ceux des élites dirigeantes et leurs anciens colonisateurs.

Ce « paradox of plenty », selon la formulation de P. Carmody, ou malédiction des ressources naturelles, caractérise encore bon nombre de pays africains aujourd’hui. Par ailleurs, les gouvernants de l’époque ont montré une dépendance chronique à la dette, ce qui desservit également cette économie fragile, qui fut forcée d’emprunter sans compter avec ses richesses naturelles comme seule monnaie d’échange.

Un appauvrissement en ressources naturelles de l'économie africaine en a découlé, et aucune possibilité de diversification de l'exportation de ses cultures commerciales ne s’est dessinée envers les pays colons. L’Afrique a lutté sans vrais moyens financiers pour faire progresser

33 une main-d'œuvre non qualifiée et frappée par la pauvreté.

1.4.4. Un néocolonialisme ?

Si à l’aube de la Guerre Froide l’essentiel des pays africains colonisés avait formellement accédé à la souveraineté, l’indépendance réelle était elle encore loin. Les structures administratives et industrielles mises en place par les colons avaient subsisté et l’influence occidentale était encore bien présente. On parlait alors de « néocolonialisme » : l’indépendance politique était formellement atteinte mais le contrôle de l’économie, et par là un pouvoir politique indirect, restait dans les mains des anciens colons. Julius Nyerere, premier président Tanzanien qualifia cette situation de « flag independence ».

Des compagnies européennes continuèrent à agir partout en Afrique afin d’exploiter comme du temps des colonies les gisements miniers, gaziers et halieutiques, ainsi que les plantations. A titre d’exemple, la Société générale de BELGIQUE contrôlait encore dans les années 1980 près de 70% de l’économie congolaise. Ce genre de situation engendra beaucoup de conflits, notamment, dans ce cas, au Katanga avec la présence de l’Union minière du Haut-Katanga.

34 2. Enjeux du continent africain : les raisons de d’un emballement européen

Au milieu du XIXème siècle, l’Afrique subsaharienne est largement exempte de toute forme d’emprise impérialiste sur son territoire. Les convoitises se sont rapidement éveillées entre des puissances européennes pleines d’ambitions pour ce continent. Nous verrons dans ce chapitre quelles raisons ont principalement motivé la ruée vers l’Afrique que nous avons connue.

2.1. Enjeux économiques : l’Afrique et les marchés globaux

2.1.1. Des marchés européens en berne

Dans une Europe au plein cœur de la Grande Dépression (1873-1896), le continent africain s’est révélé providentiel sur le point de vue commercial. Les marchés européens y étaient timorés par le protectionnisme ambiant, et bon nombre de grands états, comme l’Empire Britannique, affichaient un déficit creusé de leur balance commerciale. Ils virent dès lors dans l’Afrique un marché béant sur lequel ils pourraient écouler leur surplus de production.

2.1.2 Les ressources naturelles

La demande européenne pour une série de biens et matériaux indisponibles sur le continent, et dont les industries comme particuliers ne pouvait plus se passer, augmentait de manière considérable à la fin du XIXème siècle. L’Europe était devenue dépendante du cuivre, de l’or, du diamant, du caoutchouc, du coton, de l’huile de palme, du thé ou encore du cacao, tous en provenance d’Afrique, et pour lesquels une plus grande emprise allait assurer davantage d’approvisionnements. Il fallait dès lors trouver une manière de sécuriser ces immenses réserves pour l’avenir.

35

2.1.3. Capitalisme et impérialisme

L’Afrique fut également considérée comme une cible d’investissements massifs de capitaux en provenance d’un Vieux Continent dont le secteur financier se développait rapidement. Les perspectives de développement étaient immenses : ressources naturelles aussi peu couteuses qu’abondantes, concurrence presqu’inexistante, et formidable source de main d’œuvre. Pour certains auteurs, le capitalisme qui se généralisait à l’époque est donc au soubassement des ambitions impérialistes des puissances occidentales.

2.2. Enjeux politiques : l’impérialisme européen

2.2.1. Rivalités territoriales

Le Nouvel Impérialisme qui a conduit à la conquête de l’Afrique s’explique également par les ambitions, parfois personnelles et parfois nationales, des nations européennes. L’étendue des possessions territoriales d’un pays était en effet à cette époque révélatrice de sa puissance et de son poids sur la scène internationale. Léopold II, roi des Belges, avait des difficultés à s’implanter en Asie, et jeta dès lors son dévolu sur l’Afrique centrale. La FRANCE, gardant le goût amer de l’annexion par L’ALLEMAGNE de l’Alsace et de la Lorraine lors de la guerre Franco-prussienne, nourrissait, elle, de grandes soifs de territoires.

2.2.2. Des passages stratégiques

Une source importante des rivalités fut le positionnement stratégique de l’Afrique, au centre des autres possessions coloniales dans les Amériques ou en Asie. Le canal de Suez creusé en Egypte quelques années auparavant était à cet égard crucial, car il formait le plus court passage naval entre l’Est et l’Ouest.

L’ALLEMAGNE, pour sa part, menée en cette fin de XIXème siècle par le Chancelier Bismarck, n’avait pas de grand appétit envers le continent, mais organisa et participa au partage pour apaiser les esprits. Lucide, il voyait que certains pays comme le PORTUGAL et

36 la GRANDE-BRETAGNE ne pouvaient plus attendre, et décida de convoquer les puissances de l’époque autour de la même table.

2.3. Enjeux stratégiques : intérêts militaires et statut international

2.3.1. Intérêts militaires

La « course au clocher » qui s’est déroulée à l’égard du continent africain s’explique également par les rivalités militaires au niveau naval et terrestre existant entre les leaders occidentaux. L’Afrique est en effet parsemée de ports et autres comptoirs occidentaux existants ou éventuels, qui donnent un atout stratégique certain à leurs possesseurs sur la scène internationale.

Les avancées technologiques fulgurantes, comme le développement de navires de guerre et de transport en fonte fonctionnant à la vapeur ont, à ce titre, rendu une attache africaine indispensable pour toute puissance qui se respecte. Par ailleurs, la démographie importante de l’Afrique en faisait un gigantesque réservoir de main d’œuvre et de soldats potentiellement mobilisables en cas de conflit armé, comme on a pu le voir lors des deux guerres mondiales du XXème siècle.

2.3.2. Statut international

Il ne fait nul doute que l’idée de posséder de grands territoires a de tous temps flatté l’esprit des leaders européens. Un pays pèse en effet d’autant plus qu’il est étendu. L’idéal civilisateur qui servit ici de justification à l’entreprise coloniale impliqua corolairement une sorte de « devoir », celui d’apporter savoir et morale aux populations africaines. Dès lors, les pays européens tiraient de cette responsabilité une source de statut et de grandeur auprès de leurs interlocuteurs.

37 3. Conclusion FR

Longtemps ignorée par les puissances occidentales, l’Afrique a dès le milieu du XIXème siècle brusquement été mise sous le feu des projecteurs. Fascinée par les récits des explorateurs, l’Europe s’est éprise de ce continent à première vue hostile. Elle comprit en effet que l’Afrique présentait un potentiel inouï, tant sur le plan des débouchés commerciaux, que celui des intérêts politiques et stratégiques, pour le siècle à venir.

Afin d’éviter que ces convoitises à l’égard de tel ou tel territoire africain se muent en conflits, les dirigeants des quatorze plus grandes puissances de l’époque se réunirent entre 1884 et 1885 afin de se « partager le gâteau », sous le couvert de motifs humanitaires. C’est cet événement, la Conférence de Berlin, qui initia le processus de colonisation de l’Afrique, ou néo-impérialisme.

Les rapports de force existants à l’époque donnèrent un partage essentiellement favorable à l’empire britannique, à la France, et à la Belgique. Les frontières du continent étaient alors définies, et allaient marquer à tout jamais son histoire. Avec le XXème siècle, cependant, la dynamique s’est inversée, allant vers une émancipation des pays africains, suite aux deux guerres et aux changements dans les mentalités.

Au début de la Guerre froide, la plupart des pays africains étaient désormais indépendants et, bien que les colons et leurs entreprises gardent une présence importante. Avec le démantèlement des empires et de leurs colonies, d’autres acteurs allaient prendre le relais dans la lutte d’influence sur le continent. Nous étudierons dans la suite de ce rapport de session la mesure dans laquelle ces nouveaux rapports de forces sont présents en Afrique, qui en est responsable, et en quoi ce « nouveau » partage de l’Afrique est différent du premier.

Conclusion NL

Lang genegeerd door de Westerse machten, Afrika uit het midden van de negentiende eeuw werd plotseling gebracht onder de schijnwerpers. Gefascineerd door de verhalen van ontdekkingsreizigers, is Europa gecharmeerd van dit continent die bij eerste vijandig uitzicht. Ze wist onmiddellijk dat Afrika had een ongelooflijk potentieel, zowel in termen van

38 zakelijke kansen, dat van politieke en strategische belangen voor de volgende eeuw.

Om deze lusten van bijzonder Afrikaans land zetten in conflicten te voorkomen, de leiders van veertien grootmachten van die tijd verzamelde tussen 1884 en 1885 met het oog op “het aandeel van de taart,” door humanitaire gronden bedekt. Het is deze gebeurtenis, namelijk de Conferentie van Berlijn, die het proces van kolonisatie van Afrika, of neo-imperialisme, heeft gestart.

De bestaande machtsverhoudingen op het moment gaf een in wezen gunstig is voor het Britse empire, Frankrijk en België. De grenzen van het continent werden vervolgens gedefinieerd, en zou voor altijd markeren zijn geschiedenis. Met de twintigste eeuw, is de dynamiek omgedraaid in de richting van de emancipatie van Afrikaanse landen, als gevolg van oorlogen en veranderingen in de houding.

In het begin van de Koude Oorlog, waren de meeste Afrikaanse landen onafhankelijk , hoewel de kolonisten en hun bedrijven een belangrijke aanwezigheid houden. Met de ontmanteling van de rijken en hun koloniën, zouden anderen dan in de strijd om invloed op het continent te nemen. We zullen later studeren in dit sessie rapport de mate waarin deze nieuwe machtsverhoudingen aanwezig zijn in Afrika, wie er verantwoordelijk is, en hoe deze “nieuwe” scramble for Africa” verschillend is van de eerste.

Conclusion EN

Long ignored by the Western powers, Africa from the mid-nineteenth century was suddenly put under the spotlight. Fascinated by the stories of explorers, Europe is enamoured of this continent at first sight hostile. She knew in fact that Africa had an incredible potential, both in terms of business opportunities, political and strategic interests for the next century.

To avoid these desires of particular African country turn into conflicts, the leaders of fourteen major powers of the time gathered between 1884 and 1885 in order to "share the cake," as covered by humanitarian grounds. It is this event, the , which initiated the process of colonization of Africa, or called neo -imperialism.

39 The existing power relations at the time gave an essentially favourable share to the British Empire, France, and Belgium. The boundaries of the continent were then defined, and would forever mark its history. With the twentieth century, however, the dynamic is reversed towards the emancipation of African countries, due to wars, conflicts and changes in attitudes.

At the beginning of the Cold War, most African countries were now independent, although the settlers and their companies keep a significant presence. With the dismantling of empires and their colonies, others would take over in the struggle for influence on the continent. We will study later in this session report the extent to which these new power relations are present in Africa, who is responsible, and how this "new" scramble for Africa is different from the first.

40 4. Bibliographie

4.1. Ouvrages

- John A. Hobson, Imperialism, Cosimo, New York, 1902. - Padraig Carmody, The new scramble for Africa, Polity Press, Oxford, 2011. - Henri Wesseling, Le partage de l’Afrique – 1880-1914, Folio Histoire, Paris, 1996. - Henri Brunschwig, Le partage de l’Afrique noire, Flammarion, Paris, 1972. - Thomas Pakenham, The Scramble for Africa, Abacus, Londres, 1992. - Paul Kennedy, The rise and fall of great powers, Vintage, New York, 1987. - Kwame Nkrumah, Le néo-colonialisme - Dernier stade de l'impérialisme, Présence africaine, Paris, 2009.

4.2. Rapports

- African Bank, African Natural Ressources, The Paradox of Plenty, 2007.

4.3. Documentaires

- Joël Calmettes, Berlin 1885, la ruée sur l'Afrique, 2010, disponible sur http://www.youtube.com.

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Le partage de l’Afrique

Harold Van den Berghe

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44 TABLE DES MATIERES

1. Introduction ...... 46 2. L’Afrique avant 1880 ...... 47 3. L’expansion impérialiste...... 48 3.1 Les rivalités franco - britanniques et l’émergence d’un nouveau regard sur l’Afrique ... 48 3.2 Motivations européennes dans la conquête coloniale ...... 49 3.3 La naissance du processus de partage ...... 50 3.4 La période du partage ...... 50 3.5 La naissance de l’Association Internationale Africaine ...... 51 4. La conférence de Berlin ...... 53 4.1 Introduction ...... 53 4.2 Organisation et objectifs de la Conférence ...... 53 4.3 Léopold fin stratège ...... 54 4.4 Conclusion ...... 55 5. L’après – Berlin ...... 56 5.1 Le découpage in situ ...... 56 5.2 L’organisation du pouvoir local ...... 56 5.3 La domination par l’idéologie ...... 57 5.4 Les effets du contrôle politique sur le plan économique ...... 58 6. Les colonies au début du XXe S...... 60 6.1 L’agriculture ...... 60 6.2 Les travaux forcés ...... 61 6.3 Bilan de l’époque coloniale jusqu’à la Seconde Guerre ...... 62 7. Les origines de la décolonisation ...... 63 7.1 Affaiblissement des puissances coloniales ...... 63 7.2 Hostilité des Etats Unis et de la Russie au système colonial ...... 63 7.3 Difficile émergence des mouvements de libération nationale ...... 65 7.4 Les réactions des puissances coloniales ...... 65 8. La décolonisation de l’Afrique ...... 66 9. Conclusion ...... 68 10. Références bibliographies ...... 72 10.1 Ouvrrages ...... 72 10.2 WEBOGRAPHIE ...... 72

45 1. Introduction

« Il a y partage d’une contrée lorsque plusieurs puissances étrangères se mettent d’accord pour la placer, entièrement ou partiellement, sous leur souveraineté. Cela suppose donc des rivalités et des négociations entre les partageants, et l’incapacité de résister de la part du partagé».1

Pour comprendre l’Afrique d’aujourd’hui, il y a lieu de revenir dans le temps afin de comprendre, pourquoi et comment, l’Afrique a été partagée par les Européens et - que sa configuration a été créée politiquement, par eux, à la fin du XIXe siècle. C’est en effet, en Europe, que le partage de l’Afrique fut décidé. La Conférence de Berlin et ses accords « fixèrent les frontières des possessions européennes en Afrique et ces frontières sont demeurées jusqu’à ce jour celles des Etats africains avec toutes les conséquences que cela implique ».2 Après Berlin, l’histoire du partage de l’Afrique a été jalonnée de conférences internationales et de rencontres entre diplomates et dirigeants de pays concurrents pour régler certains différends ; jamais ce partage n’a donné lieu à des conflits sur le sol européen.

Les conséquences du partage se font encore sentir aujourd’hui puisque l’Afrique actuelle, avec tous ses problèmes territoriaux et les crises qui en ont résulté est née de décisions prises par les Européens à la fin du XIX è siècle.

1 H. BRUNCHWIG, Le partage de l’Afrique noire, février 2009, coll. Champs histoire, éd. Flammarion, p. 21 2 H. WESSELING, Le partage de l’Afrique, éd. Denoël, coll. Folio Histoire n°107, p.16

46 2. L’Afrique avant 1880

Jusqu’à la fin du XVIIIè siècle, ce continent « oublié » en raison de son intérêt géostratégique marginal, n’attirait que des aventuriers européens en mal de fortune ; ces « individus » se rendaient sur les côtes africaines pour commercer3. La présence des Européens se limite à des comptoirs (portugais, espagnols, français et anglais) sur le littoral où des marchandises étaient troquées contre des esclaves. Les transactions, avec les chefs noirs africains, étaient réalisées à la hâte ; les étrangers fuyant dès que possible la chaleur et les fièvres de ces régions. Ces aventuriers étrangers représentaient plutôt des intérêts privés que des Etats.

Cette situation n’évolua que peu durant la première moitié du XIXè siècle.: l’esclave fut toutefois progressivement remplacé par l’huile de palme, l’ivoire, l’or ou les plumes d’autruche.

A cette époque, la trame africaine présentait une structure mouvante, inachevée, inégalement organisée ; où les rivalités personnelles, religieuses, ethniques ne sont jamais dominées par des intérêts communs ou par un sentiment national.4 Aucun de ces états ne pouvait se maintenir, sitôt qu’il dépassait la superficie contrôlable par son chef, « aucun n’a possédé l’armature bureaucratique et le réseau de communication capables de pallier à la médiocrité passagère du prince mal doué succédant à un chef prestigieux ».5 L’instabilité des grands Etats africains avait, en outre, habitué les esprits à de fréquentes mutations politiques et prédisposé les populations à douter de la pérennité de ces Etats. Dès lors, elles se soumettaient aisément, se révoltaient de même et considéraient les dominations étrangères comme un avatar politique normal6.

3 J.B. WAGO, L’Afrique face à son destin, Quel projet de développement en l’an 2000, éd. l’Harmattan, p. 32, 33 4 Y. SAINT MARTIN, L’Empire toucouleur 1840-1897 cité dans Brunschwig p.150 5 H. BRUNSCHWIG, op.cit., p. 151 6 H. BRUNSCHWIG, op.cit., p. 151

47 3. L’expansion impérialiste

3.1 Les rivalités franco - britanniques et l’émergence d’un nouveau regard sur l’Afrique

Dans les années 1870, les conquêtes coloniales en Afrique sont progressivement devenues un enjeu politique7 ; la situation de l’Afrique va évoluer sous la pression des rivalités entre puissances européennes8.

Ainsi en 1872, le Premier ministre anglais Benjamin Disraeli, annonce dans un retentissant discours, sa volonté de promouvoir l’empire anglais (« uphold the empire of England »). Il voyait dans la colonisation, l’expansion naturelle d’une nation et d’une civilisation supérieures et un instrument de prestige pour la monarchie. Son bilan en ce sens fut éclatant puisqu’en 1880, la Grande-Bretagne était la première puissance coloniale du monde et la reine Victoria était reconnue comme souveraine sur tous les continents.9

La même année son éternelle rivale, la France10 sort meurtrie de la guerre avec l’Allemagne et des évènements de la Commune. Dans la classe politique dominent alors, l’idée de la "revanche" et, le souvenir des provinces perdues de l’Alsace et de la Lorraine. Toutefois, au sein de la gauche républicaine apparaît progressivement l’idée, que l’image de la France peut se reconstruire hors de ses frontières, grâce à la conquête d’un empire colonial, qui lui permettrait de retrouver sa «fierté nationale ». En 1872, Léon Gambetta déclare que « pour reprendre véritablement le rang qui lui appartient dans le monde, la France se doit de ne pas accepter le repliement sur elle-même. C’est par l’expansion, par le rayonnement dans la vie du dehors, par la place qu’on prend dans la vie générale de l’humanité, que les nations persistent et qu’elles durent ; si cette vie s’arrêtait, c’en serait fait de la France ».

7 La colonisation de l’Afrique et ses détracteurs, http://www.herodote.net/ 8 J.B. WAGO, L’Afrique face à son destin, Quel projet de développement en l’an 2000, éd. l’Harmattan, p. 33 9 O. DENHEZ, Benjamin Disraeli, for Queen and country, http://histgeo.discipline.ac- lille.fr/formations/agregation-interne/acces-limite/propositions-en-histoire/benjamin-disraeli-for-queen-and- country/view

10 R. GIRARDET, L'idée coloniale en France, 1871-1962, éd. La Table ronde, Paris, 1972, p. 43.

48 3.2 Motivations européennes dans la conquête coloniale

Cette rivalité franco-britannique a donné le coup d’envoi à l’émergence d’un nouveau regard sur l’Afrique, continent inexploré jusqu’alors.

En France, les discours de Schœlcher et Victor Hugo11 prononcés le 18 mai 1879, illustrent cette nouvelle approche. Ils traduisent certes, le sentiment de supériorité des Européens de l’époque mais résument aussi leurs motivations coloniales, considérées à l’époque comme humanistes et progressistes, « l’intérêt de l’Europe vers le pays des hommes noirs sera la gloire du XIX e S».12

La première motivation est humanitaire : il fallait ouvrir l’Afrique à la civilisation. « L’Afrique est un continent qui n’a pas d’histoire »13 ; il s’agit d’un monde barbare à conquérir « cette Afrique farouche n’a que deux aspects : peuplée, c’est la barbarie ; déserte, c’est la sauvagerie14 » ; il faut y lutter contre l’esclavage, « leur enseigner la liberté (et) l’horreur de l’esclavage »15 ; enfin, l’Europe a une mission civilisatrice, elle doit « rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation »16.

La seconde motivation est économique : il faut intégrer l’Afrique au système mondial en envoyant des explorateurs et en ouvrant l’Afrique à l’économie moderne par le développement des infrastructures « Faites des routes, faites des ports, faites des villes ». L’expansion coloniale est présentée comme une solution à la « grande dépression » que connurent les pays industrialisés de 1873 à 1896.

Enfin, le troisième argument est d’ordre politique : aller en Afrique devait permettre, aux Français mais aussi aux Européens, d’une part, de régler leurs problèmes en les réunissant autour d’un projet mobilisateur « Unissez-vous, allez au sud »17 et d’autre part, d’espérer que l’Afrique absorberait l’excédent démographique européen, souvent résumé par ces

11 V. HUGO, Discours sur l’Afrique, www.gutenberg.org/etext/8490 12 V. SCHOELCHER, Propos, http://www.gutenberg.org/files/35166/35166-h/35166-h.htm 13 V. HUGO, op. cit. 14 idem 15 V. SCHOELCHER, op.cit. 16 V. HUGO, op.cit. 17 idem

49 termes : « versez votre trop plein dans cette Afrique »18. Il s’agissait, ainsi, résoudre avec la pauvreté en Europe : « Résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires »19.

3.3 La naissance du processus de partage

La naissance de ce processus de partage se situe selon les historiens en 1879, en 1882 ou en 1884. Henri Wesseling, dans son ouvrage « Le partage de l’Afrique », synthétise les réflexions des uns et des autres ainsi: « ceux qui prétendent qu’elle (la naissance) débuta en 1879 se réfèrent à la nouvelle politique expansionniste que la France commença à mener au Sénégal cette année-là. Ceux, qui optent pour 1882, estiment que l’occupation de l’Egypte par l’Angleterre fut le début de cette entreprise de partage. Enfin ceux qui pensent, que le partage débuta en 1884, se réfèrent à l’entrée de Bismarck et du roi Léopold II sur la scène africaine et sont convaincus que l’apparition de ces nouveaux acteurs, déclencha le partage» 20. Wesseling conclut « la date de début du partage ne peut être établie, avec certitude, on ne peut considérer qu’un tel évènement précis fut la cause du partage »21. Ce sont donc un ensemble d’évènements qui produiront le processus de partage.

3.4 La période du partage

La période du « partage de l’Afrique » s’étend, grosso modo de 1880 à 1914. Au cours de ces années, presque la totalité22 du continent africain a été placée sous autorité européenne.

L’équilibre entre commerçants blancs et commerçants noirs dans les comptoirs, a été ébranlé dès 1879, par la nouvelle politique européenne. Les pays industrialisés, France et Grande- Bretagne en tête, ont commencé à envahir le continent noir, chacun espérant y trouver de

18 idem 19 V. HUGO, op.cit. 20 H. WESSELING p. 680 et 681 21 H. WESSELING p. 681 22 En 1914, seuls deux Etats, le Liberia et l’Ethiopie (Abyssinie) avaient échappé aux Européens. L’Ethiopie sera toutefois conquise par l’Italie fasciste en mai 1936, elle sera occupée jusqu’en mai 1941 (5 ans).

50 nouvelles matières premières, de nouveaux marchés pour ses produits et, de nouvelles positions stratégiques face à ses rivaux. Cette conquête du continent africain, fut qualifiée de « course aux clochers » à cause de la compétition entre les pays européens et donna lieu à une véritable mêlée (« scramble » comme disait les anglais)23. Il en résulta des tensions entre les nations rivales, aussi bien sur le terrain qu’en Europe24. Les militaires, les commerçants et les missionnaires rivalisent dans leurs expéditions afin d’atteindre le plus rapidement possible des territoires qui ne sont pas encore contrôlés par des puissances concurrentes. La conquête fut souvent brutale et a bien évidemment, engendré des résistances armées de la population emmenée par ses chefs voire de sociétés parfaitement organisées (les Zoulous, en sont un exemple). Nonobstant leur résistance au climat et leur connaissance du terrain, les Africains furent rapidement conquis grâce à la supériorité de l’armement européen et la prédisposition des populations locales à douter de la pérennité de leur Etat.25

3.5 La naissance de l’Association Internationale Africaine

Léopold II26 qui, se considérait comme le « souverain d’un petit pays et de petites gens27», parlait du belge en ces termes : « il peut soutenir la comparaison, pour l’intelligence, l’activité, l’honnêteté avec n’importe quel Européen. Malheureusement, pour ce qui est du sens national, il est en retard ; voyez l’Anglais, l’Allemand et le Français ». Le Roi qui était un homme d’affaires, habile à gérer une grosse fortune personnelle, était passionné de géographie et se tenait au courant de toutes les explorations sur tous les continents28. En effet,

23 Dès 1832, « Alfred de Musset dans A quoi rêvent les jeunes filles, donne une description précise de ce sport : Avez-vous jamais vu les courses d’Angleterre ? On prend quatre coureurs - quatre chevaux sellés ; On leur montre un clocher, puis on leur dit : Allez ! Il s’agit d’arriver, n’importe la manière. L’un choisit un ravin - l’autre un chemin battu. Celui-ci gagnera s’il ne rencontre un fleuve ; Celui-là fera mieux, s’il n’a le cou rompu. » 24 Un découpage géopolitique imposé, éd. Armand Collin 25 H. BRUNSCHWIG pp149 150 26 (1835-1909), Roi des Belges de1865-1909. 27 Dico-citations, www.dico-citations.com 28 H. BRUNSCHWIG p. 45

51 insatisfait de son « petit » pays, « il rêvait d’utiliser sa fortune personnelle à la mise en valeur d’un pays neuf »29. Après avoir commandité diverses expéditions infructueuses, il jeta son dévolu sur l’Afrique centrale.

En 1876, il réunit dans son Palais de BRUXELLES une conférence internationale de géographie où les géographes, explorateurs et mécènes de divers pays s’accordèrent pour fonder l’Association Internationale Africaine dont la mission serait d’abolir l’esclavage et, d’établir la concorde entre les chefs près de l’embouchure du CONGO.

En 1878, lorsque le Roi appris que, Henry Morton Stanley, qui venait de descendre le fleuve Congo, arrivait à Marseille ; il mandata immédiatement ses émissaires à la rencontre de Stanley, afin de lui faire part de son intention de créer un Etat dans le bassin du Congo et de lui demander d’accepter de coordonner l’installation d’une série de comptoirs commerciaux le long du fleuve. A partir de ces comptoirs, un Etat africain de type nouveau serait créé puisque le chef en serait le Comité, c’est-à-dire Léopold et qu’il ne s’agissait aucunement d’établir une souveraineté étrangère sur un territoire. La Belgique ne voulait d’ailleurs pas d’une colonie tandis que Léopold souhaitait cumuler son titre de roi des Belges à celui de souverain d’un Etat « nègre ».30

29 Idem p. 45 30 Idem p. 47

52 4. La conférence de Berlin 4.1 Introduction

A l’heure où la fièvre civilisatrice battait son plein, la conférence internationale qui s’est tenue à Berlin, à partir de novembre 1884, n’avait pas pour finalité de diviser l’Afrique entre les Etats colonialistes mais de la désenclaver, d’y instaurer le libre-échange, de la « civiliser ». Pour ce faire, il y avait lieu de se mettre d’accord entre Occidentaux, sur des règles d’occupation du continent. Néanmoins, cette conférence est devenue le symbole du « partage » de l’Afrique, parce que les règles, adoptées lors de celle-ci, accélérèrent la colonisation31 et qu’elle a scellé le destin de l’Afrique pour de longues années.

Les discussions durèrent plusieurs mois. Aucun Africain n’y a été convié, tandis que des diplomates qui ne connaissaient pas l’Afrique et qui n’y mettraient jamais les pieds, décidèrent, cependant, de diviser et de tracer les frontières de ce continent.

4.2 Organisation et objectifs de la Conférence

Le fait que les Anglais et les Portugais se soient entendus pour prélever des taxes à l’embouchure du fleuve Congo, sans l’accord des autres puissances, a été le prétexte saisi par l’Allemagne et la France pour organiser la Conférence.

Celle-ci est organisée au Palais du Chancelier Bismarck et est présidée par le Chancelier en personne, l’homme le plus puissant du monde, devenu le chef d’orchestre du concert européen.

Dans sa séance inaugurale, le chancelier Bismarck insiste sur les valeurs portées par la Conférence : ouvrir des territoires inoccupés et inexplorés, à la civilisation, au commerce et à l’instruction et mettre fin à l’esclavagisme. Les Occidentaux n’occupent à ce moment-là encore que les pourtours de l’Afrique, or, si la conquête du continent leur semble inexorable, ils craignent qu’elle ne rompe l’équilibre des puissances occidentales. C’est pourquoi ils veulent interdire en certains endroits, taxes et barrières douanières, symbole criant des nationalismes qui ont occasionnés tant de conflits.

31 Réseau In Terre Actif, volet 4, Colonisation de l’Afrique, p.3, www.in-terre-actif.com

53 Au-delà de la préoccupation humaniste des Occidentaux, la Conférence est une tentative des grandes puissances européennes de s’emparer des territoires du continent africain pour empêcher les autres Européens d’en faire autant. Il s’agissait, de garantir le contrôle de grands territoires pour le XXe siècle. Les Etats européens avaient une soif de contrôle d’immenses territoires, gigantesques territoires que les ETATS-UNIS et la RUSSIE possédaient déjà. Enfin, il s’agissait pour les Européens de trouver, dans cette conquête de l’Afrique, de nouveaux approvisionnements en matières premières et, de créer de nouveaux débouchés pour leurs produits manufacturés.

Bismarck définit ensuite les questions sur lesquelles la Conférence devait se pencher :

1) la liberté du commerce dans le bassin et les embouchures du Congo,

2) la liberté de navigation sur le fleuve Congo et sur le fleuve Niger,

3) la définition des formalités à observer pour que des occupations nouvelles, sur les côtes d’Afrique, soient considérées comme effectives lors des prises de possession de nouvelles terres.32

Clairement, on ne parlait pas de partage de l’Afrique mais de la mise en place de conditions favorables au libre-échange sur les côtes et les grands fleuves africains. Entre les puissances coloniales le partage fut pacifique mais les rivalités intenses.

4.3 Léopold fin stratège

En marge de la Conférence, Léopold négociait en coulisses et parlait au nom de « tous » pour obtenir la reconnaissance du pavillon de l’A.I.A. Il voulait créer l’Etat indépendant du Congo (E.I.C), une colonie sans métropole33, au sein de laquelle tous les Etats pourraient librement commercer.

Le principal but de la conférence était de maintenir le libre-échange alors que, tant la France que le Portugal et le traité anglo-portugais, l’avait limité sur les territoires qu’ils avaient

32 H. BRUNSCHWIG , op.cit., p.51 33 E. NGODI, L’Afrique centrale face à la convoitise des puissances, Paris, L’Harmattan, 2010, p.24

54 conquis. C’est donc pour cette raison que la plupart des puissances se montrèrent favorables à l’octroi à l’A.I.C d’un large domaine. « L’A.I.C. assurait un avenir au libre-échange international »34. Dans cette zone, il était interdit de percevoir des droits d’entrée sur les importations, seuls étaient autorisés les droits de sortie, lesquels étaient indispensables aux budgets locaux.

Bismarck dans son discours de clôture indiqua qu’il avait reçu, « au nom de son fondateur Léopold II, l’adhésion de l’A.I.C. aux résolutions de la conférence […]35 et qu’il constatait que « le nouvel Etat du Congo est appelé à devenir un des principaux gardiens de l’œuvre que nous avons en vue, et je fais des vœux pour son développement prospère et pour l’accomplissement des nobles aspirations de son fondateur » 36.

4.4 Conclusion

En mettant l’Afrique au centre d’une conférence internationale, le chancelier Bismarck a introduit l’Afrique sur la scène de la diplomatie internationale, et l’a fait quitter celle où marins et marchands s’agitaient sous le contrôle un peu dédaigneux de leurs gouvernements.37 La conférence de Berlin a eu pour effet d’ancrer, le continent africain dans l’orbite stratégique de l’Europe38, elle a ouvert la porte du cœur du continent africain au commerce européen et a déterminé un espace accessible à tous, l’Association Internationale du Congo39.

Ce partage de l’Afrique constitua en fait un événement paradoxal, puisque l’on se partagea d’abord les territoires sur des cartes, puis on chercha sur place comment s’en emparer. Ici la carte ne représente pas la réalité, elle la façonne.40

34 H. BRUNSCHWIG op.cit. p.62 35 H. BRUNSCHWIG op.cit. p.65 36 idem 37 H. BRUNSCHWIG op.cit.p.52 38 NGODI, op. cit. p.19 39 L’Association Internationale du Congo, en abrégé A.I.C. est la continuation de l’A.I.A. et le précurseur de l’Etat Indépendant du Congo 40 Ph. GARDEY, Le partage colonial de l’Afrique à la fin du XIXè S., http://disciplines.ac-bordeaux.fr/histoire- geo/uploads/

55 5. L’après – Berlin

5.1 Le découpage in situ

A cause de leurs connaissances géographiques lacunaires parce que les européens n’y avaient jamais mis les pieds, l’accord s’était fait sur des tracés géométriques le long de méridiens et de parallèles. Dans les années qui suivirent la conférence, au fur et à mesure des conquêtes, de nombreux traités bilatéraux furent signés entre les pays pour adapter ces lignes théoriques aux réalités du terrain et y fixer les frontières de leurs possessions.41 L’Afrique tout entière fut ainsi, pendant deux décennies, l’objet de négociations où elle n’était qu’un enjeu de la politique internationale.

En 1914, seuls deux pays avaient échappé à la main mise européenne : le Liberia et l’Ethiopie.42 L’Angleterre s’était taillé la part du lion (l’Egypte, le Soudan, l’Afrique du Sud, la Rhodésie et le Kenya, le Nigeria et la Côte de l’Or) ; la France occupait l’Algérie depuis 1830, en 1914 elle ajoutait d’autres colonies à son empire (le sud du Sahara et l’île de Madagascar) ; le Portugal s’offrait deux vastes territoires l’ et le Mozambique tandis que l’Allemagne impériale s’empara du Cameroun, du sud-ouest africain et du Tanganyika (Tanzanie actuelle) . Enfin, le vaste bassin du Congo se trouvait entre les mains de la Belgique43, tandis que l’Italie et l’Espagne se partageaient le reste. Les nations colonisatrices, qui ne possédaient que 11 % du territoire africain en 1875, le contrôlait à près de 95 %, moins de 20 ans plus tard. Les Européens ont pris le contrôle de 30 millions de km2 peuplés de 70 millions d’Africains.

5.2 L’organisation du pouvoir local

Le nouveau découpage de l’Afrique fut concrétisé par la formation de gouvernements coloniaux ; ceux-ci, étroitement liés à la métropole, recevaient de cette dernière leurs directives.

41 ALMEIDA-TOPOR, H., L’Afrique du 20è S. à nos jours, éd. Armand Colin, Paris, 2013, http://www.armand- colin.com/upload/Afrique.pdf, Un découpage géopolitique imposé, p. 21. 42 A l’époque dénommée l’Abyssinie 43 Propriété personnelle de Léopold, l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C.) a été cédé le 15 novembre 1908, à la Belgique ; qui en modifia le nom en « Congo Belge ».

56 Les relations entre les territoires dépendants d’Afrique et leur métropole ont varié en fonction de la politique générale de la métropole. Toutefois, les situations multiples peuvent se synthétiser en deux types : soit le protectorat, soit la colonie, elle même divisée entre colonie concédée et colonie à gouvernement direct.

Dans le système du protectorat, la métropole a maintenu en droit la souveraineté antérieure, mais elle s’était assuré l’autorité et, de façon plus ou moins directe, le bénéfice de l’administration. Le protectorat maintenait le pouvoir du souverain autochtone qui régnait mais ne gouvernait pas. L’administration antérieure était conservée, mais elle était contrôlée à sa tête par un haut fonctionnaire venant de la métropole. Des territoires français et anglais ont été soumis à ce type de système, qui eu égard au caractère fictif du maintien de l’autorité antérieure, s’est progressivement vidé de son contenu et, se sont muées en colonies44.

Dans le second type de système, celui des colonies, les relations avec la métropole étaient marquées dès le départ par une dépendance beaucoup plus affirmée. Dans un premier temps, pour administrer les colonies, certaines métropoles concédèrent la ‘gestion’ de ces colonies à des sociétés privées. Toutefois ce système de colonies concédées abouti dans la plupart des cas à des échecs, les sociétés privées renonçant à leur monopole vu le coût de la gestion et de la mise en place des infrastructures. Les dernières compagnies concessionnaires, comme celle du Mozambique, ont disparu au début de la Seconde Guerre mondiale. Enfin, les colonies à gouvernement direct, dont l’organisation variait en fonction de l’Etat colonisateur, mais qui se caractérisaient par des responsables locaux, tous hauts fonctionnaires métropolitains nommés par leur pays qui définissait leurs compétences et dont ils appliquaient leurs décisions45.

5.3 La domination par l’idéologie

Si une domination par la force fut nécessaire pour établir les bases de l’administration coloniale en Afrique, c’est bien une savante domination idéologique des populations indigènes qui a permis aux colonies de pouvoir perdurer.46 Dans tous les pays colonisateurs,

44 ALMEIDA- TOPOR, H., L’Afrique du 20è S. à nos jours, éd. Armand Colin, Paris, 2013, http://www.armand- colin.com/upload/Afrique.pdf, Un découpage géopolitique imposé, p. 21. 45 Idem. 46 Réseau In Terre Actif, volet 4, Colonisation de l’Afrique, p.5, www.in-terre-actif.com

57 la fierté de posséder un territoire était soigneusement entretenue par les dirigeants et, inculquée à tous, dès l’âge scolaire.47 De plus, la propagation de la théorie qui cherche à organiser les différentes branches de l’humanité en ordre hiérarchique de civilisations a permis de justifier les inégalités du système colonial. Au centre de cette idéologie la croyance que les Africains sont au bas de l’échelle et les Européens au sommet. Les administrations impérialistes ont propagé cette idéologie, soutenue par le système éducatif, économique et politique qu’elles contrôlaient, contribuant ainsi à bâtir un sentiment d’infériorité chez les populations africaines. Cette croyance, considérée comme indéniable à l’époque, contribua au maintien de l’ordre social dans les colonies48.

5.4 Les effets du contrôle politique sur le plan économique

La production en Afrique tombe progressivement sous le contrôle politique et économique des métropoles européennes en fonction des besoins de consommation de celles-ci même si cela arriva selon des processus différents. Partout, toutefois, la production se dissocie progressivement de la satisfaction des besoins locaux tandis que la redistribution des ressources est inégale et se fait en faveur des nations européennes.49

Au Kenya, par exemple, les colons ont confisqué en 1915, deux millions d’hectares d’excellentes terres pour les redistribuer à près de mille colons britanniques. Or, pour cultiver les terres, il fallait de la main d’œuvre, les colons ont donc introduit l’impôt en monnaie, notion nouvelle. Ils ont exigé la « capitation » et un « impôt sur la maison ». L’économie locale n’étant pas fondée sur la circulation monétaire, les Africains ne pouvaient payer pas l’impôt en monnaie et n’ont eu d’autre choix que d’aller travailler pour les Européens moyennant salaire. C’est ainsi qu’en 1920, les colons employaient dans leurs plantations, près de la moitié des hommes valides.

De l’autre côté du continent, au Nigéria, le paysage colonial était différent ; en l’absence de colons blancs les choses se déroulaient comme avant. Les anglais n’avaient conquis cette

47 ALMEIDA- TOPOR, H., L’Afrique du 20è S. à nos jours, éd. Armand Colin, Paris, 2013, http://www.armand- colin.com/upload/Afrique.pdf, Un découpage géopolitique imposé, p. 25. 48 Réseau In Terre Actif, volet 4, Colonisation de l’Afrique, p.5, www.in-terre-actif.com. 49 Réseau In Terre Actif, volet 4, Colonisation de l’Afrique, p.5, www.in-terre-actif.com.

58 vaste région éloignée de la mer que pour empêcher les Français de l’avoir. Les Anglais se contentaient donc de superviser de loin, c’est ce qu’ils appelaient le gouvernement indirect et qui ce concrétisait par le fait de gouverner par l’intermédiaire de rois locaux qui devenaient suzerains de la Couronne.

Le gouvernement indirect était bon marché et très efficace, les rois et princes locaux maintenaient la paix, la loi et l’ordre dans leur propre intérêt comme celui des britanniques. Ainsi ces rois locaux pouvaient maintenir leurs privilèges et même les accroître, ils chargeaient les gens de leur suite de s’occuper des affaires du pays. Seuls les chefs ressentaient l’impact de la présence britannique, le peuple restait loyal à son roi. Les villages continuaient à être administrés exactement comme avant, sans modernisation, comme si les anglais n’existaient pas, à la seule exception près, que les habitants devaient payer l’impôt à un corps d’administrateurs africains formés par les anglais. Le salaire de ces administrateurs était appréciable, ils disposaient d’un pouvoir dont ils se servaient pour s’enrichir personnellement aux dépens de leurs sujets. Par conséquent la réussite des anglais fut largement due à la création et au développement d’une classe qui leur était acquise.

59 6. Les colonies au début du XXe S.

6.1 L’agriculture

Dans les colonies les plus favorisées, on vit apparaître, dès les années 1920, quelques bienfaits de la vie occidentale, des hôpitaux, des services vétérinaires, des écoles, mais c’étaient les africains qui devaient payer toutes ces bonnes choses ; aussi afin de se procurer de l’argent, ils ont du commencer à exporter leurs récoltes, et ont donc été incités à produire ce qui répondait à la demande européenne. C’était la période de la moisson de l’argent. Au Sénégal, le climat et le sol étaient propices à la culture de l’arachide, les français l’achetaient pour faire tourner leurs pressoirs à Marseille et tirer de plantureux bénéfices sur la vente de l’huile. L’arachide rapportait également de l’argent aux agriculteurs sénégalais et aux comptoirs coloniaux ; c’est donc ainsi que la monoculture de l’arachide a progressivement été introduite au Sénégal.

Les agriculteurs du Ghana, à l’époque dénommé Côte de l’Or, devinrent les plus grands producteurs du monde de cacao, alors que les africains ne consommaient pas de chocolat.

Les cas du Sénégal et du Ghana ne sont que des exemples, la plupart des pays africains ont ainsi été spécialisés50 en fonction de ce qu’ils pouvaient le mieux produire compte tenu des besoins du continent européen ou des matières premières dont avaient besoin leurs usines et, absolument pas, eu égard à l’intérêt local des populations indigènes.

Tant qu’ils vendaient leurs récoltes aux européens, les producteurs africains étaient satisfaits. Même si les acheteurs européens s’entendaient pour maintenir les prix des marchandises exportées par les africains artificiellement bas et que les prix des marchandises vendues aux africains n’avaient aucun rapport avec ceux pratiqués pour l’achat des matières premières produites en Afrique. Les bénéfices n’étaient donc absolument pas partagés équitablement entre les africains et les européens.

Cette exportation et spécialisation massive ont de plus, détruit l’autosuffisance alimentaire des Africains car, par attrait de l’argent, ces derniers ont négligé les cultures vivrières. De leur côté, les gouvernements coloniaux n’étaient préoccupés que par la production de matières premières pour leurs usines et non pas le maintien d’un équilibre entre la production vivrière

50 La Guinée a été spécialisée dans la culture de la banane, la Côte de l’Or (qui correspond essentiellement à la côte de l'actuel Ghana) exportait en masse des fèves de cacao et de l’or, la Côte d'Ivoire de l’ivoire, mais également du cacao et du café, dans le bassin du Congo, ce fut essentiellement la culture de l’hévéa.

60 et celle à destination de l’export. L’africain n’a pas pris conscience de ne plus avoir de production équilibrée car à l’époque coloniale, le colonisateur faisait parvenir aux africains, à des prix non négociables, ce qui était nécessaire, du riz, de l’huile de palme, etc.

Le bilan est donc lourd pour le continent africain : régression des cultures vivrières, disparition de l’autosuffisance alimentaire et déséquilibre dans les échanges financiers. De l’autre côté, ce que le roi Léopold avait appelé « le magnifique gâteau africain » commençait à produire ses milliardaires.

6.2 Les travaux forcés

Dans les années ’20, les travaux forcés étaient pratiqués à large échelle dans la plupart des colonies.

Les premières routes, les premiers chemins de fer furent construits par les travaux forcés. Si certains ouvrages sont de réelles prouesses techniques ; leur coût humain fut catastrophique. En Afrique équatoriale française (A.E.F.), par exemple, le magnifique chemin de fer qui relie la côte à Brazzaville est l’œuvre de 125.000 africains, qui y ont donné leur vie pour 14.000 d’entre eux. Dès la fin des années ’20, le réseau des chemins de fer coloniaux était pratiquement achevé, le but principal de ces voies était d’assurer l’exportation des minerais et autres richesses.

Le développement de l’activité minière européenne basée sur la transformation de l’or, du cuivre, du zinc, de l’étain, des diamants ne fut permise que grâce au travail des africains obtenu par la pression administrative et par l’impôt. Dans les mines, les conditions étaient très dures à supporter, à titre d’exemple, entre 1904 et 1933, environ 30.000 africains sont morts dans les mines de la Rhodésie du Sud (Zimbabwe actuel).

Dès 1930, tout le système du travail dépendait d’africains qui devaient abandonner leur village pour aller travailler au loin dans les plantations ou dans les mines coloniales51. Ce gigantesque bouleversement a détruit les fondements de l’Afrique rurale et ses anciennes structures sociales.

51 Dénommé « le travail nomade ».

61 La crise économique de 1929 est venue troubler ce pseudo équilibre, car elle provoqua un effondrement des prix des matières premières dans un contexte où les cultures vivrières étaient déjà beaucoup trop négligées.

6.3 Bilan de l’époque coloniale jusqu’à la Seconde Guerre

La politique économique coloniale fut donc un échec, car si avant l’époque coloniale les Africains avaient un rôle dans le domaine économique en détenant leurs propres commerces d’import-export, ces derniers ont été balayés par de grands comptoirs internationaux soutenus par les puissances colonisatrices. Ces nouveaux comptoirs étaient bien évidemment, exclusivement préoccupés par la production destinée à l’exportation et la recherche du profit et non, par le maintien en Afrique d’un équilibre dans les échanges Afrique-Europe et entre production vivrière et exportation. Le travail forcé au seul bénéfice du colonisateur ne laissait plus personne disponible pour la production de la nourriture indispensable à la subsistance des populations locales. La monoculture destinée à l’exportation imposa aux Africains d’importer leurs moyens de subsistance, elle entraîna également des famines, qui se font de plus en plus fréquentes à partir des années ’40.

En même temps, les signes d’une nouvelle résistance apparaissaient, alors que les européens exprimaient sans détours leur objectif en Afrique : « en extraire la richesse » ; les africains n’étaient plus disposés à accepter leur statut d’infériorité permanente.

La Seconde Guerre mondiale a, encore accru les difficultés économiques et financières locales. En effet, outre l’impôt de capitation, les prestations obligatoires se sont multipliées, les populations ont été invitées à verser des « dons pour la défense du pays colonisateur ». L’effort de guerre fut également militaire avec des milliers de recrues mobilisées et envoyées sur les champs de bataille en Europe. Enfin, la présence d’U-boots (abréviation d’Untersee boot qui signifie sous-marins allemand) patrouillant dans l’Océan Atlantique, a réduit la quantité de matières premières transportées vers l’Europe.

62 7. Les origines de la décolonisation

La décolonisation est issue des mouvements nationalistes qui sont timidement apparus dès la fin de la Première Guerre mondiale dans les différents empires coloniaux ; et qui se sont développés et radicalisés après la Seconde Guerre mondiale.52 Ces mouvements trouvent leur origine dans l’affaiblissement des puissances coloniales, l’hostilité des Etats-Unis et de la Russie au système colonial, l’émergence de mouvements nationaux, la réaction des puissances coloniales elles-mêmes.

7.1 Affaiblissement des puissances coloniales

La Seconde Guerre mondiale a entraîné une énorme perte de prestige pour les puissances coloniales : l'image de leur invincibilité fut très atteinte, d’une part, en raison des victoires allemandes puis japonaises entre 1940 et 1942 et d’autre part, le génocide juif a discrédité l’idée de « suprématie de la race blanche » imposée aux peuples africains. Les leaders des mouvements de libération africains, issus pour la plupart des élites locales occidentalisées, étaient conscients de cet affaiblissement des puissances coloniales.

Par ailleurs, pendant la guerre, Britanniques et Français ont eu besoin des colonies et ont fait des promesses d'émancipation.

Dès lors, dès la fin de la guerre, les leaders des mouvements de libération ont réclamé l’application de l’article 1er de la Charte des Nations Unies53, qui proclame le droit des peuples à disposer d’eux mêmes.

7.2 Hostilité des Etats Unis et de la Russie au système colonial

La montée en puissance des Etats-Unis et de l’URSS caractérise l’après-guerre. Les deux nouvelles superpuissances ont, chacune, encouragé les mouvements d’indépendance ; elles partagent le fait d’être longtemps restées à la périphérie du monde européen et d’avoir une

52 Encyclopédie Larousse en ligne, Décolonisation http://www.larousse.fr/encyclopédie/divers/décolonisation/40278 53 U.N., Charte des Nations Unies, San Francisco, 26 juin 1945.

63 vision messianique du monde ; « chacune d’elles veut le convertir à ses idéaux54 ». Toutefois, leurs motivations sont forts différentes.

En ce qui concerne les Etats-Unis, très marqués par les circonstances de leur naissance, ils ont toujours eu un discours doctrinal anti-colonial. Les présidents Woodrow Wilson et Franklin Roosevelt ont, d’ailleurs, milité avec véhémence pour un ordre international fondé sur le droit et non sur les rapports de force. En 1941, en pleine guerre, le président Franklin Roosevelt et le premier ministre britannique Winston Churchill, ont adopté une déclaration commune qui restera dans l’histoire sous le nom de « Charte de l’Atlantique» 55. Ce document précise certains principes communs, à la politique nationale de leurs pays respectifs et sur lesquels ils fondaient leurs espoirs d'un avenir meilleur pour le monde. Une série de principes devant servir au maintien de la paix et de la sécurité internationale y étaient précisés. Or, en son chapitre 3, la Charte fixe au nombre des buts de guerre, le rétablissement des « droits souverains et du gouvernement autonome de ceux qui en ont été dépossédés par la force ».

De son côté l’idéologie russe est fondée sur la dictature du prolétariat associe depuis 1920, les prolétaires du monde industrialisé aux populations tombées « sous le joug colonial ». Pour Nikita Khrouchtchev56 « toute forme de lutte pour l’indépendance est révolutionnaire et l’URSS l’appuie, même s’il faut courir le risque, comme à Cuba en 1961, d’un affrontement direct avec les Etats-Unis ». La lutte pour l’indépendance doit mobiliser, dans le monde entier, les « forces progressistes ». Durant des décennies l’idéologie russe répétera que « l’impérialisme est le stade suprême du capitalisme », et, plus tard, que « le néocolonialisme est le dernier soubresaut de l’impérialisme » 57 .

Ces courants anticolonialistes ont trouvé leur consécration dans la Charte des Nations Unies signée en 1945.

54 E. NGODI, L’Afrique centrale face à la convoitise des puissances, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 27. 55 U.N., Histoire des Nations Unies, http://www.un.org/fr/aboutun/history/atlantic_charter.shtml 56 Premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique, du 14/9/1953 au 14/10/1964. 57 Encyclopédie Larousse en ligne, Décolonisation http://www.larousse.fr/encyclopédie/divers/décolonisation/40278

64 7.3 Difficile émergence des mouvements de libération nationale

L’émergence des mouvements de libération nationale n’est pas aisée parce que dans les années ’30 les puissances coloniales avaient pris soin de n’entretenir qu’une minorité d’élites leaders formées dans les universités occidentales et familières avec des idées comme l’autodétermination. Parmi ces leaders, quelques nationalistes majeurs ont mené bataille pour l’indépendance de leur pays : Léopold Sédar Senghor (Sénégal), Kenyatta (Kenya), Kwame Nkrumah (Côte de l’Or, Ghana), Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire).

D’autre part, le tracé arbitraire des frontières réalisé à Berlin, faisait vivre ensemble au sein d’un « Etat », des ethnies sans valeurs communes, voire parfois, antagonistes.

7.4 Les réactions des puissances coloniales

Enfin, les réactions des puissances coloniales à ces mouvements de libération sont diverses. Au Royaume-Uni, il y avait après la guerre, une sérieuse pression pour que le pays se conforme aux termes de la Charte de l’Atlantique ; les britanniques ont ainsi accepté la décolonisation comme un fait relativement inéluctable, d’autant qu’ils n’ont jamais prôné « l’assimilation » à l’instar des français mais considéraient plutôt leurs colonies comme des pays étrangers58.

Par contre, la France, dont on se souvient qu’elle s’était lancée dans la colonisation pour compenser sa défaite à Sedan en 1870, considérait ses colonies comme partie intégrante de son territoire, estimait son empire colonial comme immuable.

En ce qui concerne les petits pays, les Pays-Bas restent attachés aux Indes néerlandaises dont l’Indonésie et le Portugal reste également très attaché à ses colonies africaines, vestige de sa grandeur passée ; par contre, la Belgique manifeste peu d’intérêt pour sa colonie.

58 N. DODILLE, Introduction aux discours coloniaux, Université de la Réunion, UOH, 2011, http://unt-new.univ-reunion.fr/fileadmin/Fichiers/UNT/UOH/idc/co/module_ndodille.html

65 8. La décolonisation de l’Afrique

La décolonisation a commencé sur le continent asiatique entre 1945 et 1954, tandis qu’en ce qui concerne le continent africain, elle est intervenue essentiellement dans une seconde phase, de 1955 à 1966.

La décolonisation prend donc place en pleine période de confrontation Est-Ouest laquelle a suivi la fin de la Seconde Guerre. Dans un monde déstabilisé, les deux puissances antagonistes s’opposent alors, tant sur le plan politique, qu’idéologique, économique et stratégique.

Chaque superpuissance dans ce monde bipolaire Est-Ouest recherche le contrôle d’une zone d’influence. L’Europe devient le lieu d’affrontement entre les deux super puissances, deux évènements l’illustrent : le coup de Prague (février 1948) et le blocus de Berlin (juin 1948- mai 1949). Les impératifs de la guerre froide impliquent les puissances coloniales mais ils impliquent également l’Afrique. L’Afrique centrale en particulier va devenir une zone de convoitises entre les deux grands. « Le contrôle des matières premières stratégiques, la surveillance des satellites et cantonnements importants (stockage de matériel, carburants), le contrôle des routes maritimes et l’installation des bases navales devinrent les enjeux stratégiques de la guerre froide59 ». A titre d’exemple, les installations aériennes et terrestres de la base Kamina au Katanga (Congo belge) vont ainsi servir de dispositif de l’OTAN en Afrique centrale et de structure d’accueil des éléments des forces rapides américaines en cas de raids60.

Le monde bipolaire de la Guerre Froide ébranle les processus de décolonisation et donne naissance à des Etats soucieux d'affirmer leur identité. En avril 1955, à Bandung, en Indonésie, ces nouveaux Etats émancipés font entendre la voix de ce que le démographe français Alfred Sauvy appelle le « Tiers-Monde » en référence au Tiers-Etat français. Selon lui, « ce Tiers-Monde ignoré, méprisé, comme le Tiers-Etat, veut lui aussi devenir quelque chose61». Les pays composant ce groupe d'Etats très hétérogènes ont alors pour point commun le fait de ne pas avoir connu l'industrialisation du XIXème siècle. Les débats de la conférence

59 M. AICARDI, La politique africaine des Etats-Unis, Paris, Economica, 1987, pp 139. 60 E. NGODI, L’Afrique centrale face à la convoitise des puissances, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 11. 61 A. SAUVY, Trois mondes, une planète, le Nouvel Observateur, 14 aout 1952, n°118, P.14.

66 de Bandung seront dominés par les interventions du chinois Chou En-lai et du Premier ministre indien Jawaharlal Nehru ; ni les Etats Unis, ni l’URSS n’ont pris part à cette conférence.

Si la nouvelle expression « Tiers-monde » désignait les États issus de la décolonisation, lesquels se voulaient indépendants des deux blocs (de l’Est et de l’Ouest) et voulaient même former un troisième groupe de pays ; ils n’y sont pas arrivés et l’expression n’a plus désigné, par la suite, que les pays pauvres.

Le processus de décolonisation prendra fin dans les années 1990 avec l'émancipation de l'Afrique du Sud.

Bien que l'indépendance a parfois dû être acquise par les armes, le Portugal a mené de longues et cruelles guerres coloniales ; certains anciens pays colonisateurs, comme « le Royaume-Uni et la France, ont réussi à mener un processus d’émancipation qui a conduit leurs anciennes possessions à une indépendance librement négociée au terme d’une évolution politique fondée sur le dialogue et les perspectives d’une harmonieuse collaboration »62 qui s’est traduite par la conclusion de liens préférentiels, les uns par la voie d’accords bilatéraux, les autres dans le cadre d’un Commonwealth élargi et rénové. Au Congo belge, l’indépendance fut acquise relativement pacifiquement, mais le chaos s’est installé dès la proclamation de l’indépendance.

Le bilan de la décolonisation africaine n’est pas à la mesure des espoirs qu’elle avait suscités. L’Afrique aurait pu au seuil de l’indépendance tirer parti des infrastructures léguées par le colonisateur : ports, routes, voies ferrées, mais aussi aménagements hydrauliques et amorce d’industrialisation. L’instauration de régimes constitutionnels stables, d’inspiration parlementaire dans les anciennes possessions britanniques, présidentielle dans l’ancienne Communauté française, a été rapidement mise à mal par l’avènement du parti unique et la mue autocratique des pères fondateurs. C’est sans doute aux puissances coloniales qu’en incombe la responsabilité, elles ont insuffisamment formé des cadres locaux et par la « politique des races » qu’elles ont menée, elles ont cultivé les différences ethniques.63

62 B. DROZ, Regards sur la décolonisation de l’Afrique Noire, Labyrinthe, mis en ligne le 06 juin 2008, pp. 1 à 7, http://labyrinthe.revues.org/306 63 Idem, pp.5, 6

67 9. Conclusion

Pour conclure, l’on peut résumer le colonialisme comme une doctrine qui légitimise l’occupation, la domination politique et l’exploitation économique d’un pays sur un autre.

Ainsi, l’Afrique, rebelle au sentiment national en raison de sa très ancienne configuration tribale, s’est vue imposé dans les années 1880 un nouvel ordre colonial après un arbitraire découpage réalisé par les puissances occidentales de l’époque.

Parmi les prétextes qui ont justifié l’impérialisme colonial du XIXe siècle il y a eu la volonté de « civiliser l’Afrique et d’abolir l’esclavage » ; au XXe siècle la mondialisation visera, elle, à « alléger la pauvreté et à favoriser le développement de la démocratie ». D’ordre moral et éthique, ces phénomènes ont été considérés par leurs promoteurs comme inéluctables et naturels dans le cours du développement de l’humanité.

La colonisation de l’Afrique s’est accompagnée de la propagation de l’idéologie de la supériorité de la race blanche et la négation de toute capacité culturelle, religieuse, politique et intellectuelle des peuples noirs. Cette idéologie dominante imprégnée à l’intérieur même des systèmes éducatifs, économiques et politiques mis en place et contrôlés par les européens dans les colonies, a contribué à bâtir un sentiment d’infériorité chez les populations africaines.

La production est tombée sous le contrôle politique et économique des métropoles européennes dans le seul but de servir les besoins de consommation de celles-ci. La production africaine se tourne vers la monoculture, et ne répond progressivement plus à la satisfaction des besoins vitaux de ses populations. Cette appropriation des richesses minières et agricoles du continent africain ne profite absolument pas aux africains puisque le partage des bénéfices est totalement inégal.

Au niveau politique, les anciens Etats africains ont été « absorbés » par les métropoles coloniales. La décolonisation laissera donc des Etats sans structure politique interne, sans nation et avec des structures sociales désarticulées.

Les Etats dont les limites ont été fixées arbitrairement, ne regroupent pas nécessairement des ethnies qui s’entendent et qui souhaitent vivre ensemble. Cette situation provoquera après la décolonisation d’importants conflits locaux que nous connaissons d’ailleurs toujours à l’époque actuelle. Au niveau social, le « travail nomade » dans l’agriculture ou les mines, au profit des empires coloniaux a miné les structures sociales des populations.

68

Le bilan de la décolonisation africaine n’est pas à la mesure des espoirs qu’elle avait suscités. L’instauration de régimes constitutionnels stables, d’inspiration parlementaire dans les anciennes possessions britanniques, présidentielle dans l’ancienne Communauté française, sera rapidement mise à mal par l’avènement du parti unique et la mue autocratique des pères fondateurs.

Conclusion :

To conclude, we can summarize colonialism as a doctrine that legitimizes the occupation, political domination and economic exploitation of one country over another.

So Africa, as a historically not favourable to national sentiment because of its ancient tribal configuration, was imposed in the 1880s a new ‘colonial order’ after an arbitrary choice of the borders done by the Western powers.

Among the reasons given to justify colonial imperialism in the nineteenth century, there was the desire to “civilize Africa and to abolish slavery". In the twentieth century globalization will try to “alleviate poverty and to promote the development of democracy”. From moral and ethical point of view, those phenomena were considered, by their proponents, as inevitable and natural in the course of human development.

The colonization of Africa has been accompanied by the spread of the ideology of the superiority of the white race and the negation of cultural, religious, political and intellectual capacity of black people. This ideology was infused within the educational, economic and political systems established and controlled by Europeans in the colonies. Hence, this dominant ideology has helped to build a sense of inferiority among African people.

Production fell under the control of European capitals for the sole purpose of serving the needs of consumption thereof. African production turned to monoculture, and responded more slowly to the satisfaction of the basic needs of its people. The ownership of mineral and agricultural wealth of the African continent represented absolutely no benefit to Africans as profit sharing was totally unequal.

69

At the political level, the former African states have been “absorbed” by the colonial powers. Thus, decolonization let states without internal political structure, without a national feeling and social structures fragmented.

States, whose limits were set arbitrarily, did not necessarily include the ethnic groups that wish to live together. This situation caused the major conflicts, we know, and that are still present today. At the social level, the “nomad work” in agriculture or mining, in favour of the colonial empires has undermined the social structures of local populations.

Finally, the assessment of the African decolonization is not as good as the hopes this had raised. The establishment of stable constitutional regimes, parliamentary inspiration in the former British possessions, and presidential in the former French Community will quickly undermined by the advent of the one-party autocratic regime.

Samenvatting

Ten slotte, kunnen we kolonialisme samenvatten als een doctrine die de bezetting, politieke overheersing en economische uitbuiting van het ene land over een andere legitimeert.

Dus, in de jaren 1880, zag Afrika, opstandig tegen nationaal sentiment vanwege zijn oude tribale configuratie, zich een nieuwe koloniale orde worden opgelegd na willekeurig snijding door de westerse mogendheden van die tijd.

Tussen de excuses die het koloniale imperialisme van de negentiende eeuw hebben gerechtvaardigd, was er de wens om " Afrika te civiliseren en om de slavernij af te schaffen «; Tijdens de twintigste eeuw zal de globalisering ernaar streven om " de armoede te verlichten en om de ontwikkeling van de democratie te bevorderen. " Op morele en ethische orde, werden deze fenomenen door hun voorstanders in de loop van de menselijke ontwikkeling beschouwd als onvermijdelijk en natuurlijk.

De kolonisatie van Afrika is gepaard gegaan met de verspreiding van de ideologie van de superioriteit van het blanke ras en de ontkenning van culturele, religieuze, politieke en intellectuele capaciteit van zwarte mensen. Deze dominante ideologie geïmpregneerd

70 binnenin de educatieve, economische en politieke systemen, die vastgesteld en gecontroleerd waren door de Europeanen in de koloniën, heeft bijgedragen aan de bouw van een gevoel van minderwaardigheid bij Afrikaanse populaties.

De productie viel onder de politieke en economische controle van Europese steden en had tot doel het dienen van hun behoeften van consumptie. De Afrikaanse productie draait rond monocultuur, en antwoordt langzamerhand niet meer aan de bevrediging van de basisbehoeften van de bevolking. Deze bezitting van de minerale en agrarische rijkdom van het Afrikaanse continent komt absoluut niet ten goede voor Afrikanen want de winstdeling is helemaal ongelijk verdeeld.

Op politiek niveau werden de voormalige Afrikaanse staten " geabsorbeerd " door de koloniale machten. De dekolonisatie zal dus staten achterlaten zonder interne politieke structuur, zonder natie noch sociale structuren.

De staten waarvan de grenzen arbitrair werden vastgelegd, zijn niet noodzakelijkerwijs etnische groepen die met elkaar opschieten en die samen willen leven. Dit zal leiden tot grote plaatselijke conflicten na de dekolonisatie die we, op de dag van vandaag, nog altijd kennen. Op het sociaal vlak, heeft het " nomadisch werken " in de landbouw of mijnbouw, in het voordeel van de koloniale rijken, de sociale structuren van populaties ondermijnt .

De balans van de Afrikaanse dekolonisatie is niet op de hoogte geraakt van de hopen dat ze had opgewekt.

De oprichting van stabiele constitutionele regimes, van parlementaire inspiratie in de voormalige Britse bezittingen, van presidentiële inspiratie in de voormalige Franse gemeenschap, zal snel ondermijnd worden door de opkomst van de unieke partij en de autocratische rui van de grondleggers.

71 10. Références bibliographies

10.1 Ouvrages

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Encyclopédie en ligne Herodote.net, La colonisation de l’Afrique et ses détracteurs, http://www.herodote.net/

Dico-citations, www.dico-citations.com

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74

La gestion humaine post-conflit au

Burundi et au Rwanda

Francesca Biebuyck

Elinor Pecsteen de Buytswerve

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76 TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ...... 79 1. LE CONTEXTE HISTORIQUE ...... 80 1.1. LE RWANDA ...... 80 1.1.1. Le conflit ...... 80 1.1.2. La chronologie historique ...... 80 1.2. LE BURUNDI ...... 82 1.2.1. Le conflit ...... 82 1.2.2. La chronologie historique ...... 82 2. LA RECONSTRUCTION ET SES DEFIS ...... 84 2.1. GENERAL ...... 84

2.2. LE RWANDA ...... 85 2.2.1. Les besoins...... 85 2.2.2. Les défis et réussites ...... 86 2.3. LE BURUNDI ...... 87 2.3.1. Les besoins...... 87 3.2.2. Les défis et réussites ...... 89 3. L’ANALYSE DES INSTITUTIONS PRINCIPALES MISES EN PLACE APRES LE CONFLIT, AINSI QUE LEURS APPORTS ...... 91 3.1. LE RWANDA ...... 91 3.1.1. Les initiatives gouvernementales ...... 91 3.1.1.1. La CNUR ...... 91 3.1.1.2. Les « gacaca » ...... 93 3.1.1.3. Les Camps de Solidarité (Ingando)...... 95 3.1.2. Les initiatives non gouvernementales ...... 96 3.1.2.1. Le TPIR ...... 96 3.1.2.2. L’AVEGA ...... 96 3.1.2.3. L’ONU...... 97 3.2.1. Les initiatives gouvernementales ...... 97 3.2.1.1. Le ministère de la Solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre ...... 97 3.2.2. Les initiatives non gouvernementales ...... 98 3.2.2.1. La Ligue ITEKA ...... 98 CONCLUSION ...... 99 BIBLIOGRAPHIE ...... 101

77

78 Introduction

Souvent qualifiés de « faux jumeaux », le Rwanda et le Burundi sont deux pays d’Afrique de l’Est, partageant une même frontière et faisant partie de la même organisation régionale : l’ « East African Community ». A première vue, ces deux pays se ressemblent de façon troublante. Mêmes paysages, mêmes habitats, mêmes données météorologiques, mêmes physionomie des autochtones, même passé commun. Et pourtant, ils ne pourraient pas être plus différents aujourd’hui. Alors que le Rwanda se situe dans le rang des pays d’Afrique les plus développés et riches, le Burundi se trouve tout en bas du classement. Alors que le Rwanda se bat pour participer à ce qu’il considère « la Cour des Grands » au niveau international, le Burundi se contente d’une relation de coopération avec ses bailleurs de fonds. De surcroît, alors que le Rwanda a décidé d’abolir la différence Hutu/Tutsi pour se relever du génocide de 1994, le Burundi encourage l’acceptation de cette différence afin d’amener le pardon et la réconciliation.

Après un conflit, les Etats, qu’ils soient nouvellement constitués ou provisoires, se voient confrontés à la question suivante : « Comment remettre le pays sur pied ? ». Souvent, la situation est si catastrophique qu’il leur faut agir en urgence. Les premières mesures sont celles qui concernent l’humanitaire et l’aide aux personnes physiques. Avec le temps, les gouvernements changent souvent de perspective, même si la situation humanitaire n’est pas encore réglée.

Dans ce travail, nous tenterons de comprendre comment les gouvernements rwandais et burundais ont, chacun à leur façon, contribués au relèvement de la société civile et des structures étatiques. Dans un premier temps, la dimension historique du Rwanda d’une part et du Burundi de l’autre sera abordée (Chapitre I). Ensuite, la reconstruction et les défis de chacun de ces pays seront abordés (Chapitre II). Enfin, nous nous attarderons sur la description et l’analyse des institutions qui ont été mises en place afin d’aider ces pays post- conflits à se reconstruire (Chapitre III).

79 1. Le contexte historique

Afin de dresser la toile de fond de notre sujet, nous aborderons, pour commencer, le contexte historique du Rwanda d’une part, et du Burundi de l’autre.

1.1. Le Rwanda

1.1.1. Le conflit

Le Rwanda est un petit pays composé majoritairement de deux ethnies (Hutus et Tutsis). Les tensions ethniques, ancrées dans l’histoire du Rwanda, atteignirent un point culminant en 1994. En effet, du 6 avril au 4 juillet 1994, un génocide fut perpétré par les hutus extrémistes contre les tutsis et hutus modérés. Pour comprendre cet événement marquant de l’Histoire, il faut remonter quelque peu dans le temps et s’arrêter sur quelques dates clés.

1.1.2. La chronologie historique

En 1885, l’Afrique est partagée entre les différentes puissances européennes. Ainsi, en 1896, le Rwanda, alors sous le règne du roi Kigeli IV Rwabugiri, est colonisé par l’Allemagne. En 1924, après la Première Guerre Mondiale et le Traité de Versailles de 1919, le Rwanda est placé sous mandat de la Société des Nations et confié à la Belgique, chargée de l’administrer. Puis, en 1946 le pays devient une tutelle belge confiée par les Nations- Unies1. Le 1er Juillet 1962, la royauté est abolie et l’indépendance du Rwanda est accordée. C’est à ce moment-là que les premiers massacres ont lieu. Un échange de pouvoir de plus en plus violent a lieu entre la majorité hutue (84% de la population) et la minorité tutsie (environ 14%)2. Environ 600 000 Tutsi prennent la fuite. En conséquence, un arrêté présidentiel interdisant aux Tutsis de revenir au Rwanda est adopté en 1966. Le pouvoir hutu se développe de plus en plus et en 1973, un coup d’état porte le général Juvénal Habyarimana au pouvoir3. Parallèlement, les tutsis exilés, dont certains ayant aidé Yoweri Museveni à renverser le

1 F. MÉGRET, Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, Paris, édition Pedone, 2002, p. 20. 2 Il existe aussi l’ethnie des Twas (1%), dont la majorité a été tuée lors du génocide. 3 P. GUILLOT, « L’exigence de coopération des Etats. Les relations entre le Rwanda et le TPIR » in La répression internationale du génocide rwandais, CREDHO, n°4, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 23.

80 président Milton Obote, s’organisent en Ouganda. En 1987, ils créent le Front Patriotique Rwandais (FPR). La guerre est alors déclarée contre le régime de Kigali en octobre 1990. Le FPR envahit le Nord-Est du Rwanda. De décembre 1992 à février 1993, le FPR continue de lancer des offensives, mais celles-ci s’arrêtent aux portes de Kigali. S’ensuit une vague vengeresse de massacres contre les Tutsis, qualifiée de « répétition générale du génocide ». Le 4 août 1993, la communauté internationale, par une médiation de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) et de la Tanzanie, intervient et instaure les accords d’Arusha. Ceux-ci prévoient une cessation des hostilités, la rapatriation des réfugiés et la création d’un gouvernement de transition. Par ailleurs, le 5 octobre 1993, la MINUAR (Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda) chargée de superviser les accords d’Arusha est créée par la résolution 972 du Conseil de sécurité. Cependant, cette mission échoue dans les années qui suivent face à la montée des extrémismes, à la propagation des « médias de la haine », à la création de la tendance « Hutu power » au sein des partis politiques et à l’apparition des milices interahamwe, composées de jeunes hutus endoctrinés et entrainés à tuer. Cette atmosphère de violence sociale grandit au fur et à mesure jusqu’à atteindre son point culminant le 6 avril 1994 avec l’attentat du Président Habyarimana, événement considéré comme étant le signal déclencheur du génocide4.

Le génocide prend alors son essor et les massacres de tutsis s’étendent progressivement, en avril et en juin 1994, à la quasi-totalité du territoire rwandais. Il fallut attendre le mois de mai pour qu’un pays tiers intervienne. La France lance l’Opération Turquoise et des zones de sécurité sont créées. Mais le génocide ne prend réellement fin qu’en juillet avec la victoire du FPR et la fuite dans les pays limitrophes ou en Europe des génocidaires vaincus militairement5. Bien que ce soit le mois de juillet 1994 qui marque la fin du génocide, ainsi que le début des procès des responsables, des incursions de rebelles hutus et des massacres périodiques ont encore lieu jusqu’en 1998 sur le territoire rwandais. Depuis, le FPR se maintient au pouvoir au Rwanda et continue à poursuivre les responsables et les exécuteurs du génocide.

4 De nombreux ministres modérés du gouvernement furent aussi assassinés dans le but de créer délibérément un vide politique : P. GUILLOT, ibidem, p. 25. 5 V. MORRIS, M.P. SCHARF, The International Criminal Tribunal for Rwanda, Transnational Publishers Inc., 1998, p. 705.

81 1.2. Le Burundi

1.2.1. Le conflit

Tout comme son voisin au nord, le Burundi, bien qu’étant un des plus petits pays du continent africain, a souffert des mêmes divisions ethniques. Il a toujours été composé d'un côté des Tutsis, qui détenaient l'essentiel du pouvoir et des richesses, de l'autre des Hutus, plus nombreux et plus pauvres. Cela a conduit sa population, qui s'élève à 8,7 millions d'habitants, à se mener une guerre civile sanglante durant une dizaine d’années.

1.2.2. La chronologie historique

La guerre civile burundaise s’est déclenchée en 1993 après l'assassinat par des officiers tutsis du premier président hutu élu démocratiquement6. La nuit même, un massacre de Tutsis et de Hutus modérés a lieu, « entamant un nouveau cycle de violence nourri de représailles réciproques »7. Cette guerre civile a, selon les statistiques, fait quelques 200 000 victimes8 et forcé des centaines de milliers de personnes à fuir leurs terres pour migrer vers l’intérieur du pays ou pour se réfugier dans les pays limitrophes. Trois ans après l’assassinat de Ndadaye, en 1996, le leader tutsi, Pierre Buyoya, saisi le pouvoir à travers un coup d’état. Il parvient alors à signer un accord de cessez-le-feu avec les forces rebelles hutus. Cela n’a cependant pas empêché les hostilités de se poursuivre, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. En 1998, les troupes burundaises, afin de sécuriser leurs frontières, sont allées jusqu’à intervenir dans le conflit en RDC.

Le début des années 2000 a été marqué par l’édification d’un accord de paix (Accords d’Arusha) qui a permis à des Hutus d'accéder au gouvernement. Malgré ce geste d’apaisement, les FLN, hutus, ont décidé de poursuivre le combat contre le nouveau pouvoir en place. « Ce gouvernement est corrompu et n’a pas réglé le problème des inégalités entre les

6 Melchior Ndadaye, candidat hutu du Front pour la démocratie du Burundi (Frodebu). 7 E. PIRSOUL, « Le long chemin de la reconstruction », Dimension 3 - le Journal de la Coopération belge, 2/2008, p. 3. 8 “Le Burundi”, CIA World Fact Book, October 2002 (in Courrier ACP-UE n°199, Juillet-Août 2003).

82 populations. Nous poursuivons notre lutte contre les discriminations », avait alors justifié Agathon Rwasa, leur leader9. Finalement, en 2003, un accord global de cessez-le-feu est signé entre les rebelles du CNDD-FDD et le gouvernement de transition. Cela permet au pays de se remettre doucement de ses lourdes blessures. En 2005, de nouvelles élections libres et démocratiques, soutenues par l’ONUB10, ont ouvert la porte aux « espoirs de stabilité et à la perspective d’investissements à plus long terme »11. En 2006, un dernier cessez-le-feu est signé entre le gouvernement et le dernier bastion rebelle Hutu.

9 « Burundi : l'espoir après quinze ans de guerre civile » | Jeuneafrique.com - le premier site d'information et d'actualité sur l'Afrique, consulté le 22 Septembre 2013. 10 Force de Maintien de la Paix de l’ONU. 11 E. PIRSOUL, op. cit., p. 3.

83 2. La reconstruction et ses défis

Afin de bien cerner le cadre entourant la problématique de la gestion humaine, il convient d’analyser les défis et les besoins du Rwanda et du Burundi en période de post- conflit.

2.1. Général

Il est généralement admis que les conflits se situant dans la région du Congo, du Rwanda et du Burundi sont inextricablement liés par des insurrections qualifiées de transfrontalières, par des liens ethniques transfrontaliers et des liens économiques transfrontaliers12. Ces trois pays, et en particulier le Rwanda et le Burundi, partagent un passé commun et une histoire marquée par des cycles de violence récurrents et par une culture d'impunité. Ceux-ci doivent être surmontés pour que la paix et la réconciliation soient un jour possibles en Afrique Centrale.

L’accumulation dans ces pays d’une économie statique, d’une pression démographique extrême, d’un niveau de pauvreté et de chômage élevé et du manque de terres participent à créer des tensions sérieuses qui peuvent aisément tenir en échec le développement de politiques de gestion et de reconstruction post-conflit mises en place au sortir de la guerre13.

Lors de notre session d’étude en Afrique, il nous a été dit à plusieurs reprises qu’une participation plus démocratique est déjà quelque peu recherchée dans le domaine économique et politique. De plus, la tenue de procès en bonne et due forme, ainsi que la présomption d’innocence et la participation citoyenne aux décisions juridictionnelles sont des éléments dont la justice du Burundi et du Rwanda se préoccupent dès à présent. Cela se situe dans un contexte plus large de réintégration, de réadaptation et de support économique des réfugiés et anciens combattants rentrés au pays afin de favoriser le renforcement de la coexistence, du respect mutuel et de la réconciliation des Hutus et Tutsis rwandais et burundais. Il s’agit également évidemment de contrer efficacement les insurrections, la prolifération des armes,

12 J. PRENDERGAST, D. SMOCK, “Post-Genocidal Reconstruction”, Building Peace in Rwanda and Burundi, United States Institution of Peace, Sept 1st, 1999, p. 21. 13 Ibidem.

84 de « restructurer, revitaliser et restaurer l’Etat de droit »14 ainsi que de réussir à garantir une distribution effective des ressources dans la population.

Ces éléments sont connus des élites politiques depuis longtemps. On oublie cependant que sous-jacent tout cela, le manque de « formation du leadership moral vers la réalisation d’un consensus moral, de respect pour la dignité humaine et des libertés d’expression »15 sont d’autant d’obstacles à la reconstruction et à la réalisation des éléments cités supra.

2.2. Le Rwanda

2.2.1. Les besoins

Assumpta Mugiraneza, une rwandaise venue nous parler, lors de notre séjour à Kigali, au sujet de l’évolution de la société civile en ce qui concerne la justice et la réconciliation au Rwanda, nous a fait part d’un témoignage assez marquant, dont voici un extrait : « J’ai une peur psychique pour ma personne car le génocide rwandais, c’est un génocide de proximité ; on se tuait entre voisins, entre étudiants et professeurs, entre médecins et malades, entre prêtres et paroissiens… ». Fin de citation. Assumpta certifie également que lors de la période post-génocide, les exilés rentrant au pays étaient confrontés directement aux événements tragiques. La situation étant chaotique au sortir de la « guerre », rien ne leur a été épargné. En effet, les moyens de gestion et d’organisation étaient très faibles, peu d’aide était mise en place à ce moment-là. Tous étaient bouleversés. « Rien ne pouvait plus être comme avant » rajouta Assumpta, comme pour insister sur l’atrocité de cette période d’après génocide.

Il est essentiel de garder à l’esprit que tous ont souffert du génocide rwandais, et que ce drame a marqué la société toute entière et à tous les niveaux. Près de la moitié des rwandais survivants ont été déplacés de leur foyer durant cette épreuve afin de se réfugier soit ailleurs au Rwanda, soit en Tanzanie, au Burundi, ou encore au Zaïre (ex-RDC), principalement. Le problème des réfugiés rentrant au pays est donc, comme déjà dit, une des majeures épines dans le pied du Rwanda aujourd’hui.

14 NGODI E., “Globalisation, Violence et Reconstruction Post-Conflit dans la Région des Grands Lacs Africains”, Communication sur les conflits et la reconstruction en Afrique, cas de la région des Grands lacs. 15 Ibidem.

85

Un autre phénomène qui nous a été mis en exergue à travers notre voyage d’étude est le fait que le gouvernement Rwandais ne considère pas la négociation comme un moyen envisageable de réaliser la paix et la réconciliation au Rwanda, surtout avec des interlocuteurs tels que les responsables du génocide de 1994. Il s’agit alors également d’ébaucher une solution durable pour que la réconciliation et le respect mutuel soient réalisés et que le pardon prenne la place de la volonté de vengeance.

2.2.2. Les défis et réussites

Notons tout d’abord que le Rwanda a aujourd’hui la volonté de partager son expérience de reconstruction post-conflit car elle estime que sa réconciliation a été un grand succès et qu’elle peut dès lors servir d’exemple pour d’autres pays. La raison de ce succès se trouve sans doute dans la combinaison de plusieurs facteurs clés tels que : le leadership, la création d’emplois, ou encore les méthodologies innovantes en matière de gouvernance.

Créée en 1999, la Commission Nationale de Réconciliation et d’Unité a amorcé des consultations dans tout le pays sur des questions liées à la coexistence. Cette Commission a cherché à mettre en évidence les problèmes et à promouvoir des solutions et une histoire commune pour tous les Rwandais en se défaisant des mythes et autres croyances infondées16. Son mandat novateur lui permet également de contrôler et surveiller tous les programmes gouvernementaux afin de déterminer comment ils affectent la paix, la réconciliation et l'unité nationale. Il s’agit d’une grande avancée pour le Rwanda.

Les agences d’aide locales et internationales cherchant à aider au redéveloppement du pays ont commencé à se manifester afin de subvenir aux besoins vitaux durant la fin de la guerre civile, bien que le nombre d’habitants au Rwanda diminuait à une vitesse hallucinante (8 millions d’habitants avant le génocide, 400.000 début 1993). Beaucoup d’Organisations Non Gouvernementales (ONG) ont également apporté leur aide malgré le risque énorme que cela représentait d’envoyer des hommes et des femmes sur place. Le Comité International de

16 J. PRENDERGAST, D. SMOCK, op cit, p. 21.

86 la Croix Rouge, aidé par des bénévoles de l’ONG : Médecins sans Frontières, a énormément aidé le pays en apportant des soins médicaux à trois endroits différents de Kigali. Le Comité International de la Croix Rouge a estimé que près de 1 000 rwandais ont été sauvés grâce à leur intervention. L’Organisation des Nations-Unies a également contribué à la reconstruction post-conflit en envoyant des consultants sur place afin qu’ils distribuent de l’aide envoyée à Kigali par les forces armées canadiennes. Cette « UN Advance Humanitarian Assistance Team » (UNAHAT) a distribué énormément de vivres à la population de Kigali, parfois sous la protection du MINUAR. De plus, ces derniers ont dû faire face aux problèmes locaux tels que la sécheresse, le manque de graines et d’ustensiles propres à l’agriculture des terres pour les réfugiés rentrés au pays. Ces problèmes se traduisaient par un taux de malnutrition élevé, un niveau de production agricole bas et des problèmes sécuritaires17. Les membres de ces ONG et de l’ONU, qui ont dû ainsi rester sur place durant une bonne partie des évènements, ne bénéficient malheureusement pas d’une importante reconnaissance pour leur courage et l’aide apportée.

En définitive, le gouvernement Rwandais gère soigneusement le processus de transition politique post-génocide. Malgré les efforts toujours plus poussés en matière de réalisation de la parité ethnique dans le cabinet ministériel et parmi les gouverneurs régionaux, le gouvernement continue à être lourdement critiqué pour son étroitesse élitiste et son traitement douteux des dissidents18. En conséquence, le défi pour le gouvernement est d'augmenter significativement la participation civile des Hutus tout en maintenant la sécurité pour les populations Tutsi.

2.3. Le Burundi

2.3.1. Les besoins

Le Burundi entier a été ébranlé par le conflit ethnique qui a duré douze longues années. De profonds changements se sont mis en place dans la société burundaise. Toutes les personnes rencontrées nous ont affirmé avoir été d’une manière ou d’une autre affecté par le

17 Ibidem. 18 Pour plus de détails, voir SAINT JAMES (V.), « Trois répressions du génocide rwandais » in Apprendre à douter. Questions de droit, Questions sur le droit. Etudes offertes à Claude LOMBOIS, 2004, 34 p.

87 conflit. En effet, peu ont été épargnées par les violences et beaucoup d’entre eux ont perdu des proches, parfois même devant leurs yeux. Le Burundi est à présent dans une situation de sortie de conflit, caractérisé par un niveau de vie extrêmement bas. Lorsqu’on observe la situation dans les rues, le niveau de pauvreté est frappant. Le taux de pauvreté est particulièrement élevé : plus de 80 % de la population vit avec moins de 1,25 dollar U.S. par jour19.

Nous avons eu la chance de marcher avec « Les Amis de la Montagne », association burundaise de marcheurs qui se rejoignent tous les dimanches pour une longue ballade revigorante. Lors de notre ballade ensemble, nous avons pu discuter avec eux de leur vie de tous les jours et surtout, nous avons bénéficié d’une traversée inédite dans les quartiers les plus pauvres de Bujumbura. Cela nous a permis de comprendre pourquoi le développement de l’agriculture rurale est considéré comme prioritaire par le gouvernement. Malheureusement, les terres sont déjà toutes cultivées au maximum. Cela est devenu un tel problème que certaines personnes assassinent des membres de leur famille afin de se procurer leurs terres20.

Une autre difficulté nécessitant prestement une action gouvernementale est, tout comme au Rwanda, le problème des émigrés rentrant au pays. Aujourd’hui, environ 38 000 réfugiés et demandeurs d'asile au Burundi ont besoin d'une protection et d'une aide matérielle ; sans oublier les quelques 40 000 Burundais réfugiés en République-Unie de Tanzanie et en République Démocratique du Congo qui devraient regagner leur pays sous peu. Il semblerait que, du fait de sa capacité d'absorption très limitée, le pays ne puisse offrir de possibilités d'intégration sur place ou de réintégration durable aux réfugiés21. En outre, comme exprimé supra, il semblerait que le Gouvernement mette ses priorités sur le développement. Il réoriente ainsi ses démarches et se détourne de l'action humanitaire, de sorte qu'il est plus difficile de mobiliser des fonds pour les activités humanitaires qu’auparavant.

19 “Le Burundi”, CIA World Fact Book, October 2002 (in courier ACP-UE n°199, Juillet-Août 2003). 20 Anecdote nous ayant été partagée par le Directeur de la CTB (Coopération Technique Belge) dans son speech donné à l’Ambassade de Belgique du Burundi, lors de notre visite en juillet 2013. 21 E. PIRSOUL, op cit, p.4.

88 3.2.2. Les défis et réussites

Contrairement au Rwanda, le Burundi a aisément adopté et exercé le processus de négociation en vue de la résolution de conflit et de la gestion de la situation post-conflit. Ce processus de négociation et de paix a débuté à Arusha au cours de l’année 1998. Les Accords d’Arusha avaient pour objectif de trouver un arrangement transitoire et une date pour les élections tant sollicitées. Ils ont, en réalité, permis aux divers groupes opposants de s’asseoir à une même table de pourparlers et de discuter des nombreuses réformes nécessaires. Malgré ce point positif, il reste que de nombreux analystes accusent Arusha d’avoir engendré une certaine manipulation procédurale ainsi que d’autres effets néfastes. En outre, les principaux groupes d’opposition armés, le FDD et le FNC, n’étaient pas représentés aux pourparlers, ce qui a eu pour effet d’entrainer des accords dits subversifs en matière de sécurité entre autres22.

Hormis cela, du progrès a été fait lorsque début 2007, un bureau de contrôle de l’ONU (BINUB) a remplacé l’ONUB. Egalement en 2007, le Burundi devient un des premiers cas sur lesquels se penche la toute nouvelle ‘UN Peace Building Commission’. En outre, le pays a récemment signé et ratifié la Convention sur la protection et l'assistance aux personnes déplacées en Afrique, adoptée par l'Union africaine en 2009 sous le nom de Convention de Kampala.

Malheureusement, malgré ces avancées, le pays reste troublé politiquement. Il se caractérise par un gouvernement faible et, comme précisé maintes fois par les élites du pays que nous avons rencontré, corrompu. Les organes gouvernementaux semblent incapables de gérer la pauvreté surprenante qui accable l’ensemble du pays, ainsi que le taux d’inflation toujours plus élevé qui entraîne une dégradation manifeste des conditions de vie. Les progrès sont très lents au niveau de son développement et de son processus de réconciliation. De surcroît, le nombre important d’armes dans le pays facilite le banditisme et les exactions. En effet, les médias ainsi que diverses organisations de défense des droits de l'homme ont signalé des arrestations arbitraires, des tortures et des exécutions extrajudiciaires23.

Il reste aussi le problème douloureux des réfugiés et déplacés. En effet, il a été affirmé qu’au moins 78 900 personnes déplacées à l'intérieur du territoire burundais sont dans le

22 J. PRENDERGAST, D. SMOCK, op cit, p. 25. 23 UNHCR, Profil d’Opérations 2013 – Burundi, http://www.unhcr.fr/pages/4aae621d577.html, consulté le 2 Novembre 2013.

89 besoin. Il nous faut trouver des solutions durables et cesser de rafistoler les pots casés24. Depuis juin 2012, le flux de réfugiés et de demandeurs d'asile ne cesse de croître. Ceux-ci proviennent surtout de la République Démocratique du Congo (RDC). Bien qu’il existe une opération effective de rapatriement des réfugiés congolais, ils sont très peu à rentrer. Ceci s’explique aisément par les circonstances actuelles en RDC. Trouver une solution pour les problèmes d’un des pays des Grands Lacs pourrait ainsi solutionner des problèmes situés dans le pays voisin. Comme dit supra, ceux-ci sont réellement inter reliés.

24 Rapport de profilage conjointement établi par les autorités, les organismes des Nations Unies et des ONG, Voir UNHCR, ibidem, consulté le 2 Novembre 2013.

90 3. L’analyse des institutions principales mises en place après le conflit, ainsi que leurs apports

Très vite, à la fin des périodes de conflit, des initiatives ont été lancées afin de subvenir aux besoins de la population tant au Rwanda qu’au Burundi. Il était en effet indispensable d’encadrer la population au lendemain de ces conflits qui ont déchiré ces pays. Nous analyserons pour le Rwanda ainsi que le Burundi les initiatives gouvernementales ainsi que non gouvernementales.

3.1. Le Rwanda

3.1.1. Les initiatives gouvernementales

3.1.1.1. La CNUR

En 1999, le gouvernement rwandais met sur pied la Commission nationale pour l'unité et la réconciliation (CNUR) afin de combattre la discrimination et d’éradiquer les conséquences néfastes qu’avait le génocide sur la population rwandaise. Les actions de la CNUR sont principalement axées sur la réconciliation et elle a développé plusieurs outils afin d’atteindre cet objectif25. Cette Commission a, plus précisément, pour missions essentielles de « préparer et conduire des débats à l’échelle nationale dont l’objectif est de promouvoir l’unité et la réconciliation du peuple rwandais, user de tous les moyens possibles en vue d’éveiller les Rwandais pour l’unité et l’asseoir sur une base solide, concevoir et diffuser les idées et initiatives visant à promouvoir la paix au sein du peuple rwandais et à inculquer la culture de l’unité et de la réconciliation, dénoncer et combattre les actes, les écrits et langages susceptibles de promouvoir toute sorte de discrimination, préparer et coordonner le programme national pour la promotion de la réconciliation des Rwandais, sensibiliser les Rwandais à leurs droits, au respect des droits des autres peuples et ériger entre ex une culture de lutte pour leurs propres droits, émettre des réflexions afférentes aux projets de lois visant à combattre tout sectarisme et à promouvoir l’unité et la réconciliation du peuple rwandais, suivre de près le respect, par toutes les institutions, des objectifs de l’unité et de la

25 http://www.trial-ch.org/fr/ressources/commissions-verite/afrique/rwanda.html, consulté le 3 novembre 2013.

91 réconciliation entre les Rwandais, veiller au respect, par les forces politiques, les dirigeants ainsi que par toute personne, de l’idéologie de l’unité et la réconciliation nationale »26. Fin de citation.

Les missions de la CNUR sont également inscrites dans l’article 178 de la Constitution rwandaise, qui dispose que la CNUR est chargée de : 1. Concevoir et coordonner le programme national pour la promotion de l’unité et la réconciliation nationale; 2. Mettre en place et développer les voies et moyens de nature à restaurer et consolider l’unité et la réconciliation parmi les Rwandais; 3. Eduquer et sensibiliser la population rwandaise à l’unité et la réconciliation nationale; 4. Effectuer des recherches, organiser des débats, diffuser des idées et faire des publications sur la paix, l’unité et la réconciliation nationale; 5. Formuler des propositions sur les meilleures actions susceptibles d’éradiquer les divisions entre Rwandais et renforçant l’unité et la réconciliation nationale; 6. Dénoncer et combattre les actes, les écrits et le langage susceptibles de véhiculer toute forme de discrimination, d’intolérance et de xénophobie; et

7. Faire rapport annuellement sur l’état de l’unité et la réconciliation nationale.

Ces objectifs bien nobles sont cependant difficilement atteignables dans la pratique. Il semblerait que ce soit la volonté politique qui fasse défaut, ainsi qu’un manque de simultanéité entre action par le haut et par le bas dans le processus de réconciliation. Au lieu de cela, il se trouve au Rwanda des responsables qui se déchargent sur la population, tout en reconnaissant que celle-ci ne parle pas un même langage sur les mêmes faits, notamment sur l’origine des conflits27.

26 V. NDAMAGE, Rwanda : auto réconciliation et droits citoyens – Une dialectique politico-culturelle, L’Harmattan, Points de Vue Concrets, Paris, 2004, p. 193. 27 V. NDAMAGE, ibidem, p. 195.

92 3.1.1.2. Les « gacaca »

Face à l’incapacité du système judiciaire rwandais de résorber le gigantesque contentieux issu du génocide de 1994, le gouvernement rwandais a voulu inventer d’autres solutions pour faire face à cette impasse. C’est seulement suite à une profonde réflexion que l’idée d’instaurer des juridictions « gacaca » vit le jour, initiative proposée par le Président de la République en 199828.

« Gacaca » est le nom rwandais désignant un « tribunal communautaire villageois ». Ces tribunaux permettaient originairement de régler des différends de proximité (familiaux ou de voisinage) sur les collines. Ils sont réapparus, après une longue période d’attente, en 2001 afin de pouvoir mener à bien les procès de quelques centaines de milliers de personnes accusées d’avoir participé au génocide rwandais et de seconder les Chambres spécialisées instaurées au niveau de chaque Tribunal de Première Instance29. Leur restauration poursuivait 5 objectifs principaux :

1° faire connaître la vérité sur les actes commis ;

2° accélérer les procès du génocide ;

3° éradiquer la culture de l’impunité ;

4° réconcilier les Rwandais et renforcer l’unité nationale ; et

5° prouver que la société rwandaise est capable de régler ses propres problèmes au travers d’une justice basée sur la coutume rwandaise30.

Les gacaca, qualifiées de « juridictions spécialisées » par la Constitution, sont devenus alors de véritables juridictions populaires, ainsi qu’une composante essentielle du système judiciaire rwandais, tout en échappant au système pyramidal dans lequel s’inscrivent les juridictions de droit commun et militaires. Cette spécificité rend les décisions des gacaca non susceptibles de recours devant la Haute cour de la République, devant la Haute Cour Militaire

28 F. DIGNEFFE et J. FIERENS (dir.), Justice et Gacaca : l’expérience rwandaise et le génocide, CUD, Presses universitaires de Namur, Namur, 2003, p. 75 – 77. 29 V. NDAMAGE, op. cit., p. 218. 30 V. NDAMAGE, ibidem, p. 219.

93 ou encore devant la Cour Suprême31. Dans la pratique, la population devait relater les faits, révéler la vérité et participer à la poursuite et au jugement des auteurs présumés étant donné que les infractions avaient été commises publiquement sous les yeux de la population. Le devoir de témoigner était devenu une véritable obligation morale. Les accusés étaient jugés en public devant la communauté elle-même. Cependant, tous les rwandais ne percevaient pas ces juridictions de la même façon. Certains voyaient les gacaca comme étant un moyen de réduire la population carcérale, d’autres comme étant un moyen d’établir la réalité sur les faits du génocide, d’autres comme étant une méthode qui permet de punir les véritables coupables par voie de dénonciation, et d’autres encore voyaient les gacaca comme un instrument de réconciliation32.

L’Etat, par l’instauration des gacaca, estimait que la solution durable aux problèmes du Rwanda en matière de justice ne pouvait être trouvée que dans l’instauration d’un système de justice participative, une justice donnant la possibilité à chacun de révéler la vérité sur les crimes ayant été commis dans le pays, une justice permettant de punir les responsables de tous ces crimes sur les lieux des crimes mêmes. L’Etat voyait en ces institutions une cause d’unité et de tolérance, une juridiction qui aurait un rôle central tant pour les victimes que pour les accusés33.

La loi d'août 1996 sur l'organisation et la poursuite de crimes de génocide ou crimes contre l'humanité a créé quatre catégories de criminels :

1° les planificateurs, les organisateurs et les leaders du génocide, ceux qui ont agi en position d'autorité, les meurtriers de grand renom ainsi que ceux qui sont coupables de tortures sexuelles ou de viols ;

2° les auteurs, co-auteurs ou complices d'homicide volontaire ou d'atteintes contre des personnes ayant entraîné la mort et de ceux qui avaient l'intention de tuer et ont infligé des blessures ou ont commis d'autres violences graves qui n'ont pas entraîné la mort ;

3° ceux qui ont commis des atteintes graves sans intention de causer la mort des

31 J. CHATAIN, Paysage après le génocide – Une justice est-elle possible au Rwanda ?, Le Temps des Cerises, Pantin, 2007, p. 167. 32 V. NDAMAGE, op. cit. p. 220. 33 V. NDAMAGE, ibidem, p. 218.

94 victimes ; et

4° ceux qui ont commis des infractions contre les biens.

Suivant le sort de la loi de 1996, celle de 2001 instaurant les juridictions gacaca montra vite ses limites. En effet, la loi était assez lacunaire et ambivalente sur le rôle des juridictions ordinaires ayant en charge les faits les plus graves et les responsabilités les plus lourdes. En 2004 une nouvelle loi vit le jour. Il s’agit aujourd’hui de la seule loi encore en vigueur34. De plus, ces juridictions ont fait l’objet de nombreuses critiques tant au Rwanda qu’au-delà des frontières. Ces juridictions respectaient-elles véritablement les droits fondamentaux ? Les gacaca avaient-ils vocation à juger des crimes du génocide ? Et était-il possible de s’exprimer librement devant ce type de juridiction ou la pression extérieure était- elle trop forte ? Les opposants les plus fermes étaient les juristes ainsi que certaines associations telles que le Haut Commissariat aux réfugiés (Nations Unies, HCR, 2000), la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies (Nations Unies ECOSOC, 1999) ou encore Human Rights Watch (Human Rights Watch, 2000), qui soulignaient le manque de garanties juridiques indispensables à la mise en œuvre de procès équitables. Malgré toutes ces craintes, nombreux ont été ceux35 qui ont soutenu ce projet en accordant des aides financières à des ONG travaillant sur place afin de contribuer à la réalisation de ces juridictions. Notons que ces juridictions ont fermé leurs portes en juin 2012.

3.1.1.3. Les Camps de Solidarité (Ingando)

Les Camps de Solidarité (« Ingando »), initiative du Gouvernement rwandais, avaient initialement comme objectif premier d’extirper la mentalité de génocidaire chez les rapatriés afin de leur inculquer des valeurs telles que la solidarité, l’unité et la réconciliation nationales, préalable à la réintégration socioprofessionnelle. Ces camps étaient administrés par le Département de l’éducation civique de la Commission Nationale pour l'Unité et la Réconciliation (CNUR) et ont été prévus par les Accords d’Arusha en 1992. Ils s’inscrivaient dans le cadre des jugements issus des juridictions gacaca ; après avoir purgé leur peine, les relâchés devaient séjourner dans ces camps de solidarité, ce qui marquait la première étape de

34 J. CHATAIN, op. cit. p. 159. 35 Notamment la Belgique, la Commission européenne, la Suisse, la Hollande.

95 leur réadaptation à la vie hors de la prison36. Cependant, force est de constater au vu du contenu de la formation, du profil des personnalités responsables de la formation ainsi que de l’atmosphère régnant dans ces camps, que ceux-ci s’inscrivaient plutôt dans un large processus d’endoctrinement à l’idéologie du FPR (Front Patriotique Rwandais). Dans les faits, les intervenants censuraient certains aspects de l’Histoire du Rwanda, présentaient le FPR comme étant le libérateur du peuple rwandais ou encore vantaient les prouesses du régime actuel de Kigali et infligeaient des traitements humiliants aux séminaristes ne respectant pas l’entièreté du règlement du camp37.

3.1.2. Les initiatives non gouvernementales

3.1.2.1. Le TPIR

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, le « TPIR », a été mis en place le 8 novembre 1994 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans le but de pouvoir y juger les personnes responsables d’actes du génocide ou d’autres actes violant le droit international humanitaire commis au Rwanda, ou commis par des citoyens rwandais sur des territoires voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Le siège du TPIR se situe à Arusha, en Tanzanie. La création du TPIR a contribué au processus de réconciliation nationale au Rwanda, ainsi qu’au maintien de la paix au Rwanda. Ce Tribunal a également permis aux pays africains d’intérioriser les leçons du génocide rwandais afin d’éviter que cela ne se reproduise un jour38.

3.1.2.2. L’AVEGA

L’AVEGA, également connu comme étant « l’association des veuves du génocide » est une association rassemblant des veuves rescapées du génocide rwandais de 1994. Cette a.s.b.l. vise principalement à aider les femmes, principalement celles atteintes du SIDA,

36 V. NDAMAGE, op. cit., p. 219. 37 V. NDAMAGE, ibidem, p. 212 – 215. 38 http://www.unictr.org/, consulté le 3 novembre 2013.

96 plongées dans la douleur (physique ou morale) suite au génocide, ainsi qu’à apporter du réconfort et du soutien aux orphelins, aux parents ayant perdu leurs enfants, aux personnes âgées ou encore aux handicapés ayant survécu au drame. Le soutien apporté par l’association est d’ordre divers : il s’agit de soins psychologiques et médicaux, d’assistance judiciaire, d’opérations sociales et de renforcement des capacités institutionnelles. Au lendemain du génocide, AVEGA comptait 50 femmes. Aujourd’hui, l’association rassemble près de 25.000 personnes et aide énormément de victimes à se reconstruire39.

3.1.2.3. L’ONU

L’ONU a mis en place dès 1993 la « MINUAR », mission d’assistance au maintien de la paix, afin de venir en aide au Rwanda et d’aider à mettre en œuvre l’Accord de paix d’Arusha40 signé la même année. La MINUAR visait à assurer la sécurité des citoyens rwandais, ainsi qu’à promouvoir la réconciliation nationale. L’intervention de l’ONU a cependant fait l’objet de nombreuses controverses et critiques, certains parlent même d’un « abandon » de la communauté internationale41.

3.2. Le Burundi

3.2.1. Les initiatives gouvernementales

3.2.1.1. Le ministère de la Solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre

Le Ministère de la Solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre a mis en place un « plan d’action national » pour la mise en œuvre de la Résolution 1325 du

39 http://avegaagahozo.org/, consulté le 2 novembre 2013. 40 Les accords d’Arusha sont des accords signés en 1992 et 1993 prévoyant une intégration militaire et politique des différentes composantes internes et externes de la nation rwandaise, ainsi que le départ des troupes françaises. 41 http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/past/unamir/, consulté le 6 novembre 2013.

97 Conseil de Sécurité des Nations Unies. Cette Résolution fut adoptée le 31 octobre 2000 et a été d’importance majeure dans le paysage burundais post-conflit. Elle est devenue un texte juridique de référence à l’échelle mondiale qui souligne l’importance de la participation des femmes dans la prévention, le règlement des conflits et la consolidation de la paix. Ce texte adopté par le Conseil de Sécurité des Nations Unies énonce que « si les effets des conflits armés sur les femmes et les petites filles étaient mieux compris, s’il existait des arrangements institutionnels efficaces pour garantir leur protection et si les femmes participaient pleinement au processus de paix, le maintien et la promotion de la paix et de la sécurité internationales seraient facilités ». Cette Résolution est principalement articulée en quatre axes : la prévention, la participation, la protection et le relèvement.

La volonté de mettre en œuvre une telle Résolution reflète la volonté de l’Etat burundais de se reconstruire au niveau social, politique, culturel et économique après une période de conflits armés. Il s’agit d’un réel signal de la part du Gouvernement qui souhaite mobiliser la nation toute entière afin que le Burundi reparte sur des bases plus solides. Ce plan d’action est également une manière pour le Gouvernement de conscientiser tous les citoyens burundais particulièrement par rapport aux aspects de la paix et de la sécurité ainsi que du rôle de la femme au sein de la société.

3.2.2. Les initiatives non gouvernementales

3.2.2.1. La Ligue ITEKA

La Ligue ITEKA est une ligue burundaise des droits de l’homme créée en 1991 et a pour objectif principal de défendre, promouvoir les droits de l’homme ainsi que d’en prévenir les violations. Le but de cette organisation est de sensibiliser, d’éduquer et de former la population afin qu'elle assure la défense de ses droits42.

42 http://www.ligue-iteka.africa-web.org, consulté le 3 novembre 2013.

98 Conclusion

Le Burundi et le Rwanda sont des pays qui peuvent aisément être comparés de par leur taille, leur densité de population, mais également de par le conflit ethnique que chacun de ces pays a traversé. Nous avons, dans ce travail, tout d’abord explicité le contexte historique et la chronologie des événements ayant menés aux conflits ethniques au Burundi et au génocide au Rwanda. Nous nous sommes ensuite penchées sur l’enjeu de la reconstruction proprement dite en mettant en exergue les besoins actuels de ces deux « faux jumeaux », ainsi que les obstacles auxquels ils sont confrontés aujourd’hui. Finalement, nous avons analysé quelques institutions ayant été mises en place dans le but d’aider la société civile à se reconstruire et à vivre à nouveau collectivement en dépit des traumatismes et rancœurs profondément ancrés. Malgré qu’il ne soit pas facile de percevoir concrètement les apports et les impacts de ces différentes initiatives, de nombreux témoignages sur place laissent penser qu’ils avaient chacun un rôle essentiel dans la reconstruction de ces pays.

Burundi en Rwanda zijn landen die gemakkelijk vergeleken kunnen worden omdat ze ongeveer dezelfde grootte, hetzelfde bevolkingsdichtheid hebben en omdat ze beiden hebben een etnisch conflict meegemaakt. In dit sessie rapport hebben we de historische context en de chronologie van de gebeurtenissen uitgelegd die geleid hebben tot etnische conflicten in Burundi en tot het Rwandees genocide. We hebben dan de inzet van de reconstructie geanalyseerd, met aandacht voor de huidige behoeften van die "twins" en de uitdagingen waar ze vandaag mee worden geconfronteerd. Eindelijk hebben we verschillende instellingen geanalyseerd die opgericht zijn geweest om het maatschappelijk middenveld te ondersteunen en een samenleving mogelijk maken ondanks de trauma's en diepgewortelde wrok. Hoewel het niet eenvoudig is om de concrete input en effecten van deze initiatieven te meten, vele getuigenissen in situ tonen dat ieder een belangrijke rol in de wederopbouw en het menselijk beheer van die twee landen na de conflicten.

99 Burundi and Rwanda are two countries which we tend to compare due to their size, density of population, and their shared ethnic-conflict background. In this present essay, we have started by clarifying the historical context and the chronology of events which led to the ethnic violence in Burundi and Rwanda. Thereafter, we looked at the reconstruction process in itself by emphasizing the current needs of these two “fake twins”, as well as the obstacles with which they are confronted today. Finally, we analyzed some institutions having been put into place with the aim of helping the civil society to reconstruct itself and live collectively again, in spite of the traumas and the resentment. While it is not easy to establish concretely the positive contributions and the impacts of these various initiatives, numerous testimonies lead us to think that they each played an essential role in the reconstruction of the Rwandese and Burundese societies.

100 Bibliographie

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102

La gestion des infrastructures économiques en partage avec d’autres pays

Alexis Brabant

Nicolas Coget

103

104 TABLE DES MATIERES

L’EAC 107

1. SON FONCTIONNEMENT ...... 108 1.1 Le Sommet ...... 108 1.2 Le Conseil des ministres ...... 109 1.3 Le Comité de coordination ...... 109 1.4 Les Comités sectoriels ...... 110 1.5 La Cour de justice est africaine ...... 111 1.6 L’Assemblée législative de l’EAC ...... 111 1.7 Le Secrétariat ...... 113 2. ADHESION ...... 114

3. PROJET DE FAIRE DU BURUNDI UN CARREFOUR LOGISTIQUE ...... 115 3.1 Opportunités ...... 116 3.2 Menaces ...... 117 4. CONTRIBUTIONS ACTUELLES DE L’EAC AU PROJET DE « CARREFOUR LOGISTIQUE » 120 4.1 Contribution douanière/ législative ...... 120 4.2 Contribution aux infrastructures ...... 120 LA CEPGL ...... 122 1. CONTEXTE DE LA CEPGL ...... 123 1.1 Contexte historique ...... 123 1.2 Contexte politique ...... 123 1.3 Cadre politico juridique ...... 127 2. OBJECTIFS DE LA CEPGL ...... 128

3. SON FONCTIONNEMENT ...... 129 3.1 La Conférence des Chefs d'Etats ...... 130 3.2 Le Conseil des Ministres ...... 130 3.3 Les Commissions Techniques Spécialisées ...... 131 3.4 Le Secrétariat Exécutif Permanent ...... 131 3.5 La Commission Consultative/ d'Arbitrage ...... 132 4. SITUATION ACTUELLE ...... 133

5. ACTEURS DE LA RELANCE ...... 135 CONCLUSION ...... 136 SOURCES ...... 137

105

106 L’EAC

L’EAC est une organisation internationale regroupant cinq membres : Le KENYA, la TANZANIE, l’OUGANDA, le RWANDA ainsi que le BURUNDI. Son siège se trouve à Arusha en TANZANIE et la langue officielle y est l’anglais. Le président actuel de l’EAC (2013) est le président burundais Pierre Nkurunziza.

La TANZANIE, le KENYA et l’OUGANDA partagent une longue histoire de coopération depuis le 20ième siècle. Elle commença par la création d’unions douanières (1917), puis par la création de la Haute Commission Est-africaine (1948-1961), ensuite par l’Organisation de services communs Est-africain (1961-1967), la création de la communauté Est-Africaine ou encore de la coopération Est-africaine. Néanmoins, la version de l’East African Community (EAC), telle que nous la connaissons aujourd’hui, fut traduite en traité signé à Arusha le 30 novembre 1993 et mis en application le 7 Juillet 2000.

Les cinq pays composant actuellement l’EAC ont une superficie de plus de 1,82 millions de kilomètres carrés et sont peuplés de 133,5 millions d’habitants. Le PIB combiné des pays de l’EAC est de $74.5 milliards, avec un PIB/tête de $558 (2010).

107 1. Son fonctionnement

L’EAC dispose de sept organes en vue de la mise en pratique des politiques décidées par les pays partenaires.

1.1 Le Sommet

Le Sommet consiste en un rassemblement des différents chefs d’état des pays qui composent l’EAC. Il se réunit au moins une fois par an et des réunions extraordinaires peuvent être organisées à la demande d’un pays membre.

La présidence de ce sommet est exercée en alternance par les pays membres. La durée du mandat du président est d’un an. Les décisions sont prises par consensus. Le Sommet discute de sujets soumis par le Conseil et de toute autre matière ayant attrait à la Communauté. Il fixe ses propres procédures tant en ce qui concerne la conduite des affaires que pour la désignation du président en accord avec le Traité de constitution.

1.1.1 La fonction du Sommet

Le Sommet donne une impulsion et une direction commune à la Communauté en vue de l’accomplissement de ses objectifs. Il surveille aussi les progrès accomplis pendant l’année écoulée sur base de rapports fournis par le Conseil, comme décrit dans le Traité.

Le Sommet examine l’état de la paix, de la sécurité, de la bonne gouvernance et l’état d’avancement de la création d’une union politique et fédérale des membres.

Comme décrit dans le Traité, le Sommet a le pouvoir de déléguer n’importe laquelle de ses fonctions à n’importe quelles conditions à tout membre du Conseil, au Conseil lui-même ou au secrétaire général si le besoin s’en fait sentir.

Le Sommet a l’obligation de publier toute décision et tout ordre donné dans « la Gazette ». Tout ordre ou décision est applicable à la date de sa publication à moins qu’il n’en soit décidé autrement.

108 1.2 Le Conseil des ministres

Il est composé des ministres en charge de la coopération régionale de chaque état-membre. Chaque état est libre de désigner ses ministres responsables.

Le Conseil se réunit deux fois par an et la première rencontre est fixée immédiatement après la réunion du sommet. Une réunion extraordinaire du Conseil peut être tenue sur requête d’un état-membre ou du président du Conseil. Le Conseil détermine lui-même ses procédures pour la conduite des affaires ainsi que pour la désignation du président, choisi parmi les membres du Conseil.

Les chefs de délégation d’un pays-membre peuvent, lors d’une réunion du Conseil, faire part d’objections quant à l’examen de propositions soumises à la décision du Conseil. Si une opposition est formulée, le Conseil ne statue pas sur la proposition, à moins que l’opposition ne soit retirée. Le conseil prend ses décisions sur base d’un consensus.

Les règlements, les directives, les décisions et les recommandations du Conseil lient, sous réserve du Traité fondateur de l’EAC, les états-membres et les institutions de la communauté, autres que le Sommet, le Cour et l’Assemblée, ainsi que les organes qui sont sous leur juridiction en vertu de Traité de la Communauté.

1.3 Le Comité de coordination

Le Comité de coordination est composé des secrétaires permanents chargés de la coopération régionale dans chaque état-membre ainsi que d’autres secrétaires permanents que les états peuvent déterminer.

Sous réserve des directives données par le Conseil, le Comité se réunit au moins deux fois par an, avant la tenue des Conseils. Des réunions extraordinaires peuvent être tenues à la requête du président du Comité de coordination.

Le Comité détermine ses propres procédures pour la planification de ses réunions, pour la conduite des ses affaires ainsi que pour la rotation du président. Il choisit parmi ses membres, les secrétaires permanents chargés de la coopération régionale dans les Etats-membres ou le Comité.

109 Le Comité de coordination soumet des rapports et des recommandations au Conseil, soit de sa propre initiative, soit à la demande de celui-ci, sur la mise en application du Traité de la Communauté. Il met aussi en application les décisions du Conseil, sur ordre de celui-ci.

Il est encore chargé de recevoir et d’étudier les rapports des comités sectoriels et de coordonner leurs activités. Il a le pouvoir de demander à un comité sectoriel d’enquêter sur toute question particulière. Il exerce aussi toutes les fonctions qui lui sont attribuées par le Traité.

1.4 Les Comités sectoriels

1.4.1 Création et composition des Comités sectoriels

Le Comité de coordination recommande au Conseil la création, la composition et les fonctions de Comités sectoriels, qui peuvent être nécessaires pour la réalisation des objectifs du traité.

1.4.2 Réunions des Comités sectoriels

Sous réserve des directives qui peuvent être données par le Conseil, les Comités sectoriels se réunissent aussi souvent que nécessaire pour le bon exercice de leurs fonctions et ils déterminent leur propre procédure.

1.4.3 Fonctions des Comités sectoriels

Sous réserve des directives que le Conseil peut donner, chaque Comité sectoriel est responsable de la fixation de ses priorités et de la préparation d'un programme de mise en œuvre compréhensible des dispositions du Traité qui affectent son secteur. Il surveille et évalue en permanence la mise en œuvre des programmes de la Communauté à l'égard de son secteur et soumet de temps à autre des rapports et des recommandations au Comité de coordination, ceci de sa propre initiative ou à la demande du Comité de coordination.

110 1.5 La Cour de justice est africaine

Cet organe de l’EAC n’étant pas l’objet central de notre travail, nous n’en parlerons pas en détail dans ce rapport de session. Elle a été créée en vertu de l’article 9 du Traité de constitution de l’EAC et sa responsabilité principale est d'assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application de celui-ci ainsi que le respect du Traité de l'EAC. Elle siège temporairement à Arusha jusqu’à ce que le Sommet décide de son emplacement définitif.

1.6 L’Assemblée législative de l’EAC

Elle est établie par l’article 9 du traité fondateur de l’EAC. En vertu du Traité, l'Assemblée a un effectif composé de neuf membres élus par chaque État membre ainsi que de membres exofficio que sont le ministre ou ministre adjoint chargé des Affaires de la Communauté d'Afrique orientale de chaque État partenaire, le Secrétaire général et de les membres du Conseil de la Communauté. Actuellement, l'Assemblée compte 45 membres élus et 7 membres exofficio. Vingt d'entre eux sont des femmes.

L'Assemblée a une fonction capitale dans la poursuite des objectifs de la Communauté. Cette fonction englobe la législation, la représentation et la surveillance. L'article 49 du Traité stipule que l'Assemblée est l'organe législatif de la Communauté. Elle assure la liaison avec les Assemblées nationales des états partenaires sur les questions relatives à la Communauté.

Elle débat et approuve le budget de la Communauté, elle examine les rapports annuels des activités de la Communauté, les rapports annuels d'audit de la Commission d'Audit et de tous les autres rapports qui lui sont soumis par le Conseil font aussi partie de ses attributions.

Elle discute de toutes les questions relatives à la Communauté et fait des recommandations au Conseil qu'elle juge nécessaire pour la mise en œuvre du traité; dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, elle peut établir un ou plusieurs comités pour les fins qu'elle juge nécessaire.

Il lui est possible de recommander au Conseil la nomination du greffier et d'autres fonctionnaires de l'Assemblée, et d’instaurer ses propres règles de procédure et celles de ses comités. L'Assemblée peut également exercer toute autre fonction qui lui est conférée par le

111 Traité.

Le Traité confère à l'Assemblée le pouvoir d'établir un ou plusieurs comités pour les fins qu'elle juge nécessaires. Actuellement, l'Assemblée a établi les comités suivants: − Le Comité des affaires Chambre − Le Comité des comptes − Le Comité des affaires juridiques, des règles et des privilèges − Comité de l'agriculture, du tourisme et des ressources naturelles − La Commission des affaires régionales et des résolutions des conflits − Le Comité sur la communication, du commerce et de l'investissement ; et… − Le Comité d’usage général.

Ces comités sont chargés de la supervision de la mise en œuvre des dispositions du Traité et de la Stratégie de développement de l’EAC dans les domaines spécifiques de coopération qui relèvent de leur champ d'action respectif. C'est grâce à ces comités que l'essentiel du travail de l'Assemblée est exécuté. En substance, ils sont le bras technique de l'Assemblée et en tant que tel ils jouent un rôle important dans les décisions finales prises par l'Assemblée.

1.6.1 Vision de l'Assemblée

La vision de l'Assemblée législative Est-africaine doit être celle d’un parlement régional efficace et indépendante.

1.6.2 Mission de l'Assemblée

La mission de l'Assemblée législative Est-africaine est de légiférer, de faire la surveillance législative et de représenter les gens de l'Afrique orientale dans le but de favoriser une intégration économique, sociale, culturelle et politique des différents pays composants l’EAC.

1.6.3 Valeurs fondamentales de l'Assemblée

L'Assemblée s'engage à promouvoir les valeurs fondamentales suivantes dans ses opérations: − L’efficacité − L’éthique et l’intégrité

112 − La transparence et la responsabilité − L’objectivité et l'impartialité − Le professionnalisme et le travail d'équipe − L'unité dans la diversité ; et − L’allégeance aux idéaux de l’EAC.

1.7 Le Secrétariat

Le Secrétariat est l'organe exécutif de la Communauté. Il est composé d’un secrétaire général, de secrétaires généraux adjoints et du conseil de la Communauté. D’autres postes peuvent être instaurés si jugés nécessaires par le Conseil.

1.7.1 Le secrétaire général

Le Secrétaire général est nommé par le Sommet, sur proposition du Chef de l'Etat concerné en vertu du principe de rotation. Un état partenaire renonce au poste de secrétaire général adjoint si l’un de ses ressortissants est élu comme secrétaire général.

Le Secrétaire Général est le principal dirigeant de la Communauté. Il est la tête du Secrétariat, de la comptabilité de la Communauté, du Secrétariat du Sommet, et effectue d'autres tâches qui lui sont conférées par le Traité ou par le Conseil. Le Secrétaire général a un mandat fixe de cinq ans. Les termes et conditions de service du Secrétaire général sont déterminés par le Conseil et approuvé par le Sommet.

1.7.2 Mission du Secrétariat

Le Secrétariat est chargé d’initier, de recevoir et de soumettre des recommandations au Conseil et de transmettre les projets de loi à l'Assemblée par le Comité de coordination. Il doit initier des études et des recherches liées à l’exécution de programmes, en vue d’atteindre de manière rapide et efficace les objectifs de la Communauté.

Il est aussi en charge de la planification stratégique, de la gestion et du suivi des programmes de développement de la Communauté. Il doit de sa propre initiative ou sur ordre, réaliser des

113 enquêtes, collecter de l'information, ou effectuer la vérification des questions concernant la Communauté qui lui semblent mériter un examen.

La coordination et l'harmonisation des politiques et stratégies relatives au développement de la Communauté à travers le Comité de coordination sont aussi de sa responsabilité. Il doit promouvoir et diffuser de l’information sur la Communauté aux parties prenantes, le grand public et la communauté internationale. Il présente au Conseil les rapports faits par le Comité de coordination sur les activités de la Communauté.

L'administration générale et de la gestion financière de la Communauté sont aussi sous sa responsabilité. Il se charge de la mobilisation des fonds des partenaires au développement et d'autres sources pour la mise en œuvre des projets de la Communauté. Sous réserve des dispositions du Traité, il présente le budget de la Communauté au Conseil pour examen.

Il propose le projet d'ordre du jour pour les réunions des organes de la Communauté autre que la Cour et l'Assemblée et se charge de la mise en œuvre des décisions du Sommet et du Conseil. Il tient également les registres des réunions des institutions de la Communauté autres que ceux de la Cour et l'Assemblée et est gardien de la propriété de la Communauté. Enfin, il doit établir des relations de travail pratiques avec la Cour et l’Assemblée, et gérer toute autre question prévue par le Traité.

2. Adhésion

L’adhésion d’un pays à l’EAC est basée sur six critères :

114 1. La candidature doit être acceptée par la communauté telle comme prévu par le Traité de 1993. 2. Le pays doit accepter les principes universels tels que la bonne gouvernance, la démocratie, l’observation de la loi, le respect des droits de l’homme et de la justice sociale. 3. Le pays doit contribuer au renforcement de l’intégration des pays au sein de l’EAC. 4. Le pays doit avoir un lien géographique, ainsi qu’une interdépendance vis-à-vis des autres pays partenaires de l’EAC. 5. L’établissement et la préservation d’une économie de marché 6. Le pays doit avoir des politiques sociales et économiques compatibles avec celles de la communauté. 7. La candidature d’un pays est organisée par des procédures définies et est fonction des sommets des chefs d’états des pays composants l’EAC.

Les candidatures de la nouvelle république du Sud-Soudan et de la Somalie sont en attente d’adhésion.

3. Projet de faire du BURUNDI un carrefour logistique

Le gouvernement Burundais projette de faire du BURUNDI une plateforme logistique entre

115 les pays de la CEPGL et de l’EAC. Le BURUNDI étant membre de ces deux organisations régionales et positionné géographiquement au centre de l’Afrique, ce projet semble opportun. Nous analyserons ainsi, en identifiant ses opportunités et ses menaces, dans quelle mesure l’EAC peut contribuer à réaliser cet objectif.

3.1 Opportunités

3.1.1 Accès plus rapide et moins cher au reste du monde

L’adhésion du BURUNDI à l’EAC peut être considérée comme une opportunité. En effet, la levée des nombreuses barrières douanières qui existaient entre le BURUNDI et les ports africains de l’Est permet un désenclavement du pays. Ainsi le prix du transport d’un container standard, des ports de Dar-es-Salaam en Tanzanie ou encore de Mombassa au Kenya, a été plus que divisé par deux. Ceci est essentiel, dans un pays où la majorité des produits manufacturés proviennent de pays situés en dehors de l’Afrique.

Le BURUNDI produit principalement du café, du thé, des fruits tropicaux, des légumes et des fleurs hors saison qu’il vend sur des marchés situés en dehors de l’Afrique. Pour ces exportations, la levée des barrières douanières peut aussi s’avérer une aubaine.

3.1.2 Membre conjointement de l’EAC et de la CEPGL

La position géographique du BURUNDI est intéressante. En effet, situé à mi-chemin entre l’Est et l’Ouest de l’Afrique centrale, il est un point de passage presque obligé pour les biens transitant entre les membres de l’EAC et de la CEPGL.

116 Tableau 1: Exportations entre les CER 2000 - 2007 (en millions USD)

Source : ARIA IV – CEA – Sur la base des données DOTS FMI, février 2009.

Dès lors, les flux commerciaux entre les différents comités régionaux mais aussi entre les communautés régionales et le reste de l’Afrique n’ont cessé de croître durant les années de 2000 à 2007 (voir tableaux 1 et 2). En outre, la croissance de ces échanges commerciaux a continué d’augmenter en ce en dépit de la crise économique mondiale.

Tableau 2 : Exportations des CER vers le reste de l'AFRIQUE 2000 - 2007 (en millions USD)

Source : ARIA IV – CEA – Sur la base des données DOTS FMI, février 2009.

Ceci est donc une aubaine pour le BURUNDI et plus particulièrement pour la réorientation de son économie vers la logistique.

3.2 Menaces

3.2.1 La présence de très gros acteurs

L’EAC représente un marché de plus de 133 millions d’habitants, avec un PIB d’environ 75 milliard de dollars. Ce marché semble donc à première vue bénéfique au BURUNDI. En effet, ses entreprises devraient pouvoir écouler plus de marchandises à l’étranger et ainsi lui assurer une croissance bien nécessaire à ce pays.

117 Cependant ce constat doit quelque peu être nuancé. Il existe de grandes disparités entre les pays composant l’EAC. Le contraste entre le KENYA et d’autres pays comme le BURUNDI est, par exemple, saisissant. Le KENYA avec un PIB de l’ordre de 37,23 milliards de dollars (2012) représente environ la moitié du PIB de l’EAC. Et la TANZANIE, autre poids lourd de la communauté, représente à elle toute seule environ 23 milliards de dollars US.

Ces deux pays représentent donc plus de cinq septièmes du poids économique de l’EAC. Le BURUNDI de son côté avec son PIB de 2,4 milliards de dollars US n’est qu’une goutte d’eau au milieu de l’océan. En outre, l’industrie est beaucoup plus développée dans les pays les plus riches de l’EAC et est quasi inexistante voir très faible au BURUNDI.

Le BURUNDI risque dès lors d’être relégué au rang de marché de second plan pour les poids lourds de la communauté. L’absence de barrières douanières rend l’accès au marché Burundais très facile pour les entreprises de ces gros acteurs de la communauté.

Accorder au BURUNDI un certain délai avant que ne soient levées les barrières douanières permettrait aux entreprises Burundaises de se développer et de devenir concurrentielles. Ce pourrait être une solution, cependant cela ne semble pas être l’option retenue par l’EAC. Réformant à grande vitesse pour atteindre le plus vite possible ses objectifs d’intégration, il est à craindre que la Communauté risque de laisser certains de ses membres sur le côté de la route…

3.2.2 Flotte de camions tanzaniens

La TANZANIE a fortement investi dans une flotte nombreuse de camions assez récents. Leur présence est d’ailleurs très manifeste sur les routes du BURUNDI. Cette flotte peut constituer une menace pour le projet de carrefour logistique du BURUNDI.

En effet, ce pays ne peut pas se permettre de n’être qu’ un simple point de passage entre l’Est et l’Ouest s’il veut se spécialiser dans la logistique pour pousser le pays sur la voie du développement et ainsi augmenter le bien être globale de sa population.

Des entreprises spécialisées dans la logistique ainsi que les services et produits y afférant doivent y être créées et ce, avec le soutien du gouvernement car la concurrence avec la

118 TANZANIE qui dispose d’une flotte moderne, nombreuse et avec plusieurs années d’expérience est rude.

3.2.3 Non-proportionnalité de la contribution de chaque état membre au budget de l’EAC

Actuellement, la contribution versée par chaque état membre au budget de la Communauté n’est pas proportionnelle à la richesse de ceux-ci. Or ils sont confrontés à des réalités bien différentes. La situation du KENYA n’est en rien comparable à celle du BURUNDI, tant en termes de géographie, de population que du point de vue économique.

La contribution du BURUNDI est de 4,2 millions de dollars US, ce qui représente environ 10% des contributions totales des états membre de la Communauté alors que la part du PIB du BURUNDI dans celui de l’EAC n’est que de près de 3%.

Ainsi la répartition des contributions n’est pas très juste en ce qui concerne le BURUNDI. La question est de savoir si cette contribution importante au budget de l’EAC lui profite.

119 4. Contributions actuelles de l’EAC au projet de « Carrefour logistique »

4.1 Contribution douanière/ législative

Les objectifs que poursuit l’EAC vont directement dans le sens voulu par le gouvernement burundais. En effet, l’EAC souhaite créer un marché unique en diminuant, voire en suppri- mant les barrières au commerce entre les pays membres. Notons que si les choses s’amélioraient ainsi du point de vue administratif, le mauvais état de certains tronçons de route restera un obstacle.

En outre, cette suppression douanière ne sera pas un avantage absolu. En effet la RDC n’est pas membre de l’EAC. Dès lors, les tarifs douaniers pourraient encore poser problème au point de rencontre entre l’EAC et la CEPGL. Le BURUNDI se trouvant à l’intersection de ces deux grandes organisations, le gouvernement Burundais, en partenariat avec les autres états membres de l’EAC, devraient discuter d’éventuelles facilitations douanières pour les biens transitant de l’EAC vers la CEPGL. Certains scénarios semblent aller dans ce sens. Ainsi, un régime particulier ou même une intégration de la RDC à.. ??????. ne semblent pas entièrement irréalistes.

4.2 Contribution aux infrastructures

Un des objectifs de l’EAC est entre autre la promotion de la mobilité entre les différents états membres de la Communauté. Il s’agit donc d’une intégration physique. Ainsi l’EAC a financé l’asphaltage du ‘Corridor Nord’, route de Mombasa à Bujumbura, et du "Corridor Centre", route de Dar es-Salaam. Ces corridors sont vitaux pour le BURUNDI vu qu’ils sont ses seuls accès à la mer et donc au reste du monde. C’est par ces routes que transite quasi l’ensemble des produits importés par le BURUNDI.

A l’inverse, c’est aussi par ces deux axes que le BURUNDI pourrait exporter des biens vers d’autres pays de l’EAC et du reste du monde. Sans eux, le BURUNDI se retrouverait très isolé. L’asphaltage de ces deux routes les rend praticables toute l’année et réduit sérieusement les temps de parcours mais aussi les risques d’accidents.

120 Un projet extrêmement ambitieux sur lequel la communauté planche est « l’East African Railway Masterplan ». Ce projet, encore à l’étude, a pour ambition de relier tous les pays de la Communauté par chemins de fer, rendant la livraison de biens entre les états membres et entre le reste du monde plus rapide.

Ce projet nécessite cependant des capitaux extrêmement importants, de l’ordre de 35 milliards de dollars US, impossibles à financer par l’EAC seule. Il faudra donc trouver d’autres sources de financements pour réaliser ce projet ambitieux.

121 LA CEPGL

Si la Communauté des Pays des Grands Lacs a été créée en 1976, nous pouvons retrouver des éléments ayant trait à sa création bien plus loin dans le passé. Nous devons pour cela remonter dans le passé colonial des pays en question afin de non seulement comprendre l’organisation en elle-même mais aussi tous les problèmes auxquelles elle tente de trouver une solution. Nous détaillerons ainsi le contexte historique dans lequel se situe la CEPGL et les éléments y jouant un rôle et nous nous focaliserons ensuite sur ses objectifs et son fonctionnement. Afin de rendre ce rapport plus intéressant et digne d’intérêt, nous relaterons aussi les récents évènements menant à la reconduction de la CEPGL.

122 1. Contexte de la CEPGL

1.1 Contexte historique

Si les allemands découvrent la région des grands lacs africain seulement dans le courant des années 1880’s, il ne faut pas s’imaginer grand-chose. Certes, l’ALLEMAGNE arrive à intégrer ces nouveaux territoires de manière pacifique sous l’égide de l’EMPIRE ALLEMAND mais la présence allemande ne tient qu’à un poste militaire à USUMBURA1. Cette conquête se traduit dans les faits par un traité de protectorat en 1889.

Le chancelier allemand, le Prince Otto von Bismarck se pressera de réunir en 1884 l’EUROPE afin de sécuriser la mainmise allemande sur ces nouveaux territoires et celle-ci se penchera sur l’épineuse question des frontières des trois pays membres de l’organisation. C’est en effet de ce moment là que sont issues les frontières actuelles de la REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE du CONGO, du RWANDA et du BURUNDI. Certains historiens se plairont à parler dès lors d’une Balkanisation de la région puisque ne seront pas pris en compte les influences des royaumes locaux sur les territoires en question, source aujourd’hui de beaucoup de conflits.

Pendant la première guerre mondiale, les belges chasseront conjointement avec les anglais en 1916, les allemands de la région. Cette région se verra ainsi placé sous mandat belge par la Société des Nations en 1924 et sera dès lors rattaché au CONGO BELGE en tant que septième province. En 1946, les Nations Unies transformeront ce mandat en tutelle belge. En plaçant ainsi le RUANDA-BURUNDI sous tutelle belge, nous retrouverons les liens politico- administratifs de la CEPGL puisque ces différents territoires seront gérés de la même façon par le ROYAUME de BELGIQUE.

1.2 Contexte politique

Comme mentionné précédemment, la CEPGL sera créée le 20 septembre 1976 à Gisenyi. Elle nait suite à la signature quelques années auparavant, en mars 1967, de la « Déclaration de

1 Ancien nom de la capitale du BURUNDI s’appelant aujourd’hui Bujumbura

123 GOMA ». Elle était à l’origine un accord de coopération en matière de sécurité entre la RDC, la REPUBLIQUE du RWANDA et le ROYAUME du BURUNDI et sa création se justifiait par la présence de conflits internes au RWANDA.

L’origine de ces conflits internes au RWANDA se trouve, selon certains chercheurs, dans le type d’administration coloniale belge ayant favorisé la minorité tutsi pour contrôler la majorité hutu. Cependant, si le RWANDA blâme la BELGIQUE pour avoir instaurer ce système-là, la BELGIQUE n’a guère fait qu’assumer la situation qu’ils trouvèrent sur place après en avoir chassé les allemands.

C’est ainsi que la BELGIQUE préfèrera diriger le RWANDA, non pas de manière directe, mais plutôt en s’appuyant pour son administration aux institutions qu’elle y découvrit sur place. En outre, la Société des Nations encouragera la BELGIQUE à adopter cette forme d’administration qu’elle considérait correspondre à un état social multiséculaire, ce qu’elle n’était manifestement pas. Cependant, la BELGIQUE n’est pas à blanchir totalement puisque c’est en effet elle qui introduit la carte d’identité en 1931 mentionnant l’appartenance ethnique Hutu-Tutsi, ce qui aura pour conséquence d’aggraver encore davantage les ressentiments des Hutu envers les Tutsi.

C’est dans un climat sous l’impulsion d’une élite intellectuelle hutu entreprenant simultanément la rédaction du texte-fondateur révolutionnaire hutu, le manifeste Bahutu, et la mobilisation de la population hutu contre ce qu’elle appelle la « féodalité tutsi », que nous observerons un premier conflit en 1959 dans lequel les Hutu revendiqueront la part de pouvoir administratif - pouvoir administratif ayant été confié à la minorité tutsi.

Pour tenter de pallier à ce problème, la BELGIQUE décidera d’organiser des élections communales en 1960 et 1961 et celles-ci donneront la victoire électorale aux Hutu. Cette victoire du Parti de l'émancipation des Bahatu (Parmehutu) mènera rapidement à une dictature raciale et raciste, célébrant l'identité hutu rwandaise et stigmatisant les idées "féodo- colonialistes" et à une multiplication des massacres contre les Tutsi qui la contesteront.

Dans ce climat d’insécurité et en l’absence d’une paix au RWANDA, les Tutsi prendront en masse le chemin de l’exil en RDC, au KENYA et au BURUNDI. Nous voyons ici apparaître une première déstabilisation de la région puisque ces exilés tutsi planteront progressivement l’idéologie de la vengeance dans leur frères burundais, frères qui suite aux délimitations des frontières des pays de la région par les allemands s'étaient retrouvés séparés des tutsi rwandais

124 suite à l’accord de 1884.

Ces exilés tutsis ne tarderont pas à servir d'excuse au parti des Bahatu afin de justifier leur pouvoir absolu. En effet, de 1963 à 1966, des commandos tutsis mèneront des incursions en territoire rwandais avec la ferme intention de récupérer le pouvoir par la force des armes. C'est dans ce climat ponctué par des actes de vengeance tutsi que le Parmehutu n'hésitera pas à prendre la population tutsi, resté au RWANDA, en otage et à organiser des pogroms de Tutsi en représailles.

Si le RWANDA connaît une période particulièrement angoissante pour les Tutsis, il en ira autrement pour le BURUNDI. Ce dernier, à la veille de son indépendance en 1962 connaîtra une violence structurelle causée par une idéologie excessive de la part de sa classe politique - aidé notamment par cette idéologie de vengeance implémenté par les tutsi rwandais. Elle aura une frustration ethnique à toute la population comme conséquence qui culminera en 1972, avec des tutsi rwandais commettant beaucoup de crimes envers les populations hutu burundaises prononçant ainsi encore davantage la déstabilisation de la région.

En RDC, la situation n'est guère plus brillante. Au lendemain de leur indépendance le 30 juin 1960, les belges restés au CONGO ne se faisaient guère d'illusions; l'entreprise d'un CONGO indépendant demeurait hautement risqué puisqu'elle reposait principalement sur la capacité de la Force Publique à maintenir l'ordre - Force Publique dans lequel les blancs2 gardèrent le pouvoir. Elle ne tardera d'ailleurs pas à être confronté à divers problèmes.

En effet, les soldats sont lassés par d'interminables interventions pour faire face aux conflits tribaux et politiques. Ils n'ont pas jouit des fêtes de l'indépendance. Le pouvoir de l'époque avec Lumumba comme premier ministre n'est guère disposé à entendre leurs demandes comprenant une africanisation des forces de l'ordre et un remaniement du cabinet militaire, composé exclusivement d'officiers blancs. Couronnant la frustration prévalant, une injustice continue à régner au sein des forces de l'ordre. Cette accumulation de maux ouvrira la porte aux multiples cas de mutineries qui ne tarderont pas à éclater.

Pour aggraver encore la situation, l'instabilité politique et territoriale du CONGO se poursuit avec la sécession de la province du KATANGA le 11 juillet 1960 suivi de peu par la

2 Il ne s'agissait pas uniquement d'officiers Belges; nous pouvions également retrouver des officiers danois, suédois etc.

125 sécession effective du SUD-KASAÏ le 20 août 1960. Si ces évènements semblent à priori n'avoir peu de liens directs avec les évènements du RWANDA et du BURUNDI, il s'avèrera par la suite que la sécession du KATANGA, chapotée par l'insurrection muleliste3, était soutenu par des réfugiés tutsi rwandais conférant une dimension encore un peu plus transfrontalière du conflit interethnique hutu-tutsi.

Figure 2 : Crise du Congo 1960-1964

Source : Crise du Congo 1960-1964

Le gouvernement de Lumumba perd alors ses deux provinces minières et fera appel aux troupes de l'ONU, alors nombreuses en RDC. Ces dernières, ne disposant pas de mandat pour empêcher les sécessions, ne feront cependant rien et l'escalade de la confusion politique et territoriale de la RDC, alors en pleine expansion est à son comble.

3 Cette insurrection était chapotée par Pierre Mulele dont le nom a été repris pour désigner la révolte

126 Si nous entamons un bond vers le présent, nous pouvons, aujourd'hui encore, mesurer combien toute la problématique reste explosive et sujette à de changements rapides. Il suffit pour cela de se tourner vers la situation actuelle du NORD- et SUD-KIVU. Et si nous n'avons pu mesurer l'ampleur de la problématique lors de notre session d'étude au RWANDA et au BURUNDI car zone interdite aux étrangers, notons que même lors de notre voyage, la guerre faisait rage à la frontière rwandaise-congolaise.

1.3 Cadre politico juridique

Face à ce contexte, il est relativement simple de cerner l'engouement avec lequel les états ont voulu créer une organisation faisant face à ces problèmes. Ces états aux même maux spécifiques et cependant quasi-identiques ont vite compris la nécessité de trouver une solution coordonnée puisque confrontés aux mêmes facteurs géographiques, culturelles et historiques de leurs populations respectives, favorisant par ces biais l'effet de contagion d'un pays à l'autre.

Si l'effet de contagion est l'élément principal menant à la création de la CEPGL, le contexte politique n'est toutefois pas à sous-estimer. Suite à la déstabilisation de la région durant les années soixante, chaque état était soucieux de garder son pouvoir4 dans la sous-région si jamais de nouvelles incidences devaient se reproduire. Car face à ce "triangle frontalier" que forme les états respectifs du RWANDA, BURUNDI et de la RDC, il était / est relativement simple pour les éléments perturbateurs de se replier de l'autre côté de la frontière en cas d'échouement de leur agenda politique.

Enfin, le contexte juridique de la création de la CEPGL se base, comme le souligne John Kazembe, sur l'épineuse question de la nationalité dans la sous -région, le problème des frontières et les problèmes fonciers qui faisaient rage dans le KIVU et dont les parties se retrouvaient être frères ou sœurs à d'autres dans les pays voisins. Cela a créée la nécessité d'une solution juridique objective et stable.

4 Par pouvoir nous entendons la nécessité pour chaque état de stationner une force militaire au cas où.

127 2. Objectifs de la CEPGL

Si les états concernés ont eu d'autres mobiles menant à la création de la CEPGL, nous ne pouvons nous empêcher d'apercevoir, au détour d'une visite sur le site de la CEPGL, le fil rouge dans les objectifs qui lui ont été assignés; à savoir l'établissement d'une paix durable au travers des différents aspects de la vie quotidienne.

Ainsi ses objectifs assignés sont au nombre de quatre et nous pouvons les retrouver dans le document législatif de la session sénatoriale belge de février 2006; − assurer la sécurité des États et de leurs populations de façon qu'aucun élément ne vienne troubler l'ordre et la tranquillité sur leurs frontières respectives − concevoir, définir et favoriser la création et le développement d'activités d'intérêts communs − promouvoir et intensifier les échanges commerciaux et la circulation des personnes et des biens ; et − coopérer de façon étroite dans les domaines social, économique, commercial, scientifique, culturel, politique, militaire, financier, technique, touristique, et plus spécifiquement en matière judiciaire, douanière, sanitaire, énergétique, de transports et de télécommunications.

128 3. Son fonctionnement

Si nous jetons un coup d'œil au fonctionnement de la CEPGL, nous ne pouvons nous en empêcher de faire un parallèle avec le fonctionnement des institutions européennes. En effet, les institutions de la CEPGL, au nombre de cinq, peuvent être mises en parallèle: − la Conférence des Chefs d'Etats ↔ Conseil Européen − le Conseil des Ministres ↔ Conseil de l'Union Européenne − les Commissions Techniques Spécialisées ↔ Commission Européenne − le Secrétariat Exécutif Permanent ↔ Comité des représentants permanents − la Commission consultative ↔ (Commission Européenne) → Parlement Européen

Toutefois, malgré les apparences, son fonctionnement est loin d'être identique à celui de l'Union Européenne. Nous relèverons ainsi, en parcourant les différentes institutions dont est composé la CEPGL, les différences quant à leur fonctionnement.

A l'instar de l'Union Européenne, où nous pouvons retrouver la Cour de Justice de l'Union Européenne, la Banque Centrale et la Cour des Comptes Européennes, plusieurs institutions orbitent également autour de la CEPGL. Nous pouvons ainsi mentionner: − l'Institut de la Recherche Agronomique et Zootechnique (IRAZ) − l'Organisation de la CEPGL pour l'Energie des Grands Lacs (EGL) − la Banque de Développement des Etats des Grands Lacs (BDGL) − la Société Internationale pour l'Electricité des Grands Lacs (SINELAC)

Nous n'entrerons cependant pas dans les détails du fonctionnement de chacune d'entre elles, ceci n'étant pas notre objectif. Toutefois, deux aspects majeurs les différencient.

Tandis que les institutions de l'Union Européenne ont toutes été mise en place par l'article 13 du traité de l'Union Européenne, nous remarquons que c'est la CEPGL qui les a mises en place. Et tandis que l'Union Européenne s'est surtout concentré sur des institutions de contrôle, nous pouvons voir que la CEPGL, elle, s'est surtout concentrée à mettre en place des institutions promouvant le développement de la sous-région.

129 3.1 La Conférence des Chefs d'Etats

La Conférence des Chefs d’Etat qui se réunit une fois par an en session ordinaire, est l’instance suprême de la Communauté5 et la Présidence de la Conférence est assurée chaque année à tour de rôle par un Chef d’Etat selon l’ordre alphabétique de désignation des Etats.

Si la Conférence des Chefs d'Etats de la CEPGL et le Conseil Européen orientent chacune la politique générale et qu'elles exercent chacune une influence considérable quant à la nomination de haut responsables dans d'autres institutions, nous remarquerons que cette première est bien plus puissante. Elle dispose en effet des pouvoirs de décision dans tous les domaines, ce qui ne peut être dit du Conseil européen dont les décisions n'ont de valeur juridique6.

Elle dispose ainsi d'un pouvoir de contrôle sur les travaux du Conseil des Ministres et commissaires d'états. Elle peut également, sur proposition du Conseil des Ministres et des commissaires d'états, arrêter le budget annuel de la CEPGL et dispose d'un pouvoir de nomination quant à la nomination du secrétaire exécutif et des secrétaires exécutifs adjoints7.

C'est encore elle qui décide de son propre règlement intérieur et qui approuve celle des autres institutions. Enfin, c'est elle qui procède à la révision des structures, fonctions et activités sur proposition du conseil et qui, en temps de crise, peut déléguer au Conseil des ministres et des commissaires d'Etat son pouvoir de décision dans les matières qu'elle détermine.

3.2 Le Conseil des Ministres

Le Conseil des Ministres composé des membres des gouvernements des Etats membres ou des plénipotentiaires désignés par les Etats membres, a pour rôle d’élaborer et de proposer les

5 Nombre sont ceux considérant le Conseil Européen comme l'instance suprême de l'Union Européenne 6 Pour que les mesures de cette dernière soient acceptées, elles doivent en premier lieu avoir fait l'objet d'une proposition par la Commission européenne et avoir été soumis à un vote tant par le Parlement européen et le conseil des ministres. 7 Le Conseil Européen nomme son propre président, le président de la Commission Européenne, le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le président de la Banque Centrale Européenne (BCE).

130 mesures de politique de développement et de coopération des Etats membres de la CEPGL. Il est à ce titre responsable devant la Conférence des Chefs d'Etats et est également chargé de préparer les réunions de la Conférence des Chefs d'Etats.

La Présidence du Conseil est assurée chaque année à tour de rôle par un Ministre ou Commissaire d'Etat. Le Ministre ou Commissaire d'Etat ne peut pas être du même pays qui assure la présidence en exercice de la Conférence des Chefs d'Etats. Il se réunit deux fois par an en session ordinaire.

Contrairement à son homologue européen, qui conjointement avec le Parlement Européen possède d'un droit de codécision dans les directives et règlements communautaires, elle ne dispose pas d'un pouvoir de vote afin d'adopter les mesures qu'elle a élaboré puisque celles-ci sont avalisé par la Conférence des Chefs d'Etats qui détient le pouvoir de décision dans tous les domaines. Nous remarquons ainsi que la grande manquante des institutions qui forment la CEPGL est un parlement conjoint des trois pays membres de la CEPGL.

3.3 Les Commissions Techniques Spécialisées

Les Commissions Techniques Spécialisées proposent des politiques, veillent a leur exécution et évaluent périodiquement le niveau de coopération dans leurs domaines respectifs. Elle peut se comparer à la Commission Européenne avec ses commissaires européens en sa qualité de gardienne des traités. Elle a repris cette tâche de la Commission d'Arbitrage.

3.4 Le Secrétariat Exécutif Permanent

Le Secrétariat Exécutif Permanent (SEP) est l’organe permanent de la Communauté chargé de veiller à la mise en œuvre des décisions de la Conférence des Chefs d’Etat et du Conseil des Ministres concernant notamment les échanges économiques, sociaux juridiques et culturels des Etats membres.

Institution d’exécution et d’étude de la CEPGL, le SEP assure le secrétariat de la Conférence des Chefs d’Etat et du Conseil des Ministres ainsi que des Commissions Techniques Spécialisées. Le Secrétariat Exécutif Permanent peut ainsi se comparer au Comité des Représentants Permanents de l'Union Européenne.

131 Ainsi, le Secrétaire exécutif a pour mission d'élaborer des projets d'intérêt commun et de les soumettre aux Etats Membres avec des propositions concrètes ayant trait notamment à l'implantation des industries compte tenu des critères communs, d'avantages mutuels et du volume des échanges commerciaux provenant de ces mêmes industries.

Elle s'assure également du suivie des projets en cours d'exécution, de formuler des propositions de modifications ou de réajustements éventuels, de signaler les difficultés rencontrées et d'en proposer les solutions8.

Le Secrétaire Exécutif est assisté de deux Secrétaires Exécutifs-Adjoints et d'un personnel administratif et technique. Les Secrétaires Exécutifs-Adjoints sont chargés respectivement: − Des affaires politiques, juridiques, sociales, culturelles et scientifiques − Des affaires économiques, techniques, financières et administratives

Ces deux adjoints sont nommés pour une période de quatre ans, renouvelable par la Conférence des Chefs d'Etats sur proposition du Conseil des Ministres.

3.5 La Commission Consultative/ d'Arbitrage

La Commission consultative donne des avis sur l’interprétation, l’application de la Convention et tous les textes fondamentaux de la Communauté et ses Organismes Spécialisés ou tout différend entre les Etats membres de la Communauté qui ont seul qualité pour la consulter. Les états membres sont libres de tenir compte des avis de la Commission d'Arbitrage. Nous remarquons ici une similitude avec le Parlement Européen qui se charge d'émettre un avis consultatif, dans les domaines où elle est compétente, sur une proposition de la Commission Européenne.

Cependant, à l'origine de la convention portant à la création de la CEPGL, la Commission, alors appelée Commission d'Arbitrage, était compétente, tout comme la Commission Européenne avec ses commissaires européens, pour statuer sur tout différend entre les Etats Membres dans le cadre de la Convention et les décisions s'y référant avaient force exécutoire et obligatoire. La transformation vers une Commission Consultative fut amendée le 17 juin

8 Une multitude d'autres tâches lui sont assigné, pour plus d'informations, veuillez consulter le Recueil des Traités, volume 1092, Nations Unies, New York, 1986.

132 1984.

4. Situation actuelle

Si la CEPGL constituait une noble cause pour le développement de la sous-région, ses activités connaitront de nombreux problèmes - non des moindres suite aux non respects des articles de la convention portant trait à sa création. Ainsi la CEPGL sera rapidement privée de ses ressources de financement - contributions financières provenant directement des ses états membres.

Suite aux atrocités ayant eu lieu au RWANDA (avril à juillet 1994) et à la crise burundaise, la Conférence des Chefs d'Etats décidera de mettre en place des mécanismes de gestion de la sécurité aux frontières et remaniera l'administration du secrétariat et de ses organismes spécialisés, qui aura comme conséquence une réduction de 80% de ses effectifs. En outre, l'agression de la souveraineté territoriale zaïroise par les troupes de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du CONGO (AFDL) et de l'Armée Patriotique rwandaise (APR) en 1996 aura comme conséquence la suspension de tous ses accords.

La récurrence de factions armées contrôlant des pans entiers de territoire9 afin d'avoir une mainmise sur les ressources minières et entrainant des déplacements de réfugiés, le trafic illégale des armes et une dégradation des infrastructures de base n'ont guère apporté de soulagement par la suite et ont renforcé la décision de ses dirigeants quant à la mise en place de mécanismes de gestion de la sécurité aux frontières.

Notons toutefois que certaines de ses institutions continueront à fonctionner à divers degrés. Nous nous sommes ainsi aperçu que la SINELAC était le seul organisme à avoir fonctionné normalement et que l'IRAZ avait fin 2003, malgré la crise, encore 5 programmes de recherches en cours en vue d'assurer la sécurité alimentaire et l'équilibre nutritionnel de la région.

Depuis 2001, de nombreuses initiatives ont toutefois été prises afin d'essayer de sortir la relance de la CEPGL de l'impasse. Nous pouvons notamment nommer les accords d'Arusha

9 Ces factions armées se retrouvent essentiellement au Nord- et Sud-Kivu, à la frontière Rwandaise-Congolaise et au nord-ouest de Bujumbura au BURUNDI.

133 sur la paix au BURUNDI10, les accords de LUSAKA11 et de PRETORIA12 pour la RDC.

En juillet 2004, les ministres des affaires étrangères des états membres se rencontrent à Bruxelles sous l'égide du ministre des affaires étrangères belge, Louis Michel, afin de se concerter sur la CEPGL. Mentionnons également la Déclaration de DAR-ES SALAAM sur la Paix, la sécurité, la Démocratie et le développement dans la région des Grands Lacs du 20 novembre 2004.

Enfin, en avril 2007, les trois états membres se rencontreront à BUJUMBURA afin de relancer la CEPGL, dont les activités étaient gelées depuis 1994 comme mentionné précédemment. Elle décidera à ce moment de réviser ses priorités, au nombre de cinq depuis sa création, et en retiendra trois auxquelles elle donnera priorité pour les cinq prochaines années: − Energie et Infrastructures − Agriculture et Sécurité Alimentaire − Paix et Sécurité, Démocratie et Bonne Gouvernance.

Toutefois, si la relance est effectivement lancée en 2007, si l'on en croit les articles recensés sur le web, elle restera en veilleuse jusqu'en 2013. Toujours selon des informations grappillées sur la toile, ceci est confirmé par le secrétaire exécutif permanent de la CEPGL affirmant: "Il est vrai que nombreux dossiers étaient gelés dans le cadre économique et sécuritaire. Mais malgré ces problèmes, la Communauté est restée vivante".

10 Accord signé en août 2000 en TANZANIE prévoyant l'envoi de 700 militaires sud-africains afin d'assurer la sécurité des membres d'opposition de retour d'exil. 11 Accord signé en juillet 1999 par les gouvernements congolais, namibien, Rwandais, Ougandais, zimbabwéen, angolais, ainsi que par les rebelles du Mouvement de libération du Congo (MLC) et du Rassemblement congolais pour la Démocratie (RCD) mettant en place un cessez-le-feu contrôlé par l'ONU et nouant un dialogue entre gouvernement, opposition, groupes d’ex-rebelles, menant à des élections. 12 Accord signé en juillet 2002 par les gouvernements Rwandais et congolais menant à un retrait des troupes Rwandaises du territoire congolais et le désarmement des forces dites négatives des ex-FAR et des milices Interahamwe en RDC.

134 5. Acteurs de la relance

Si la CEPGL a été relancé en 2007, cela est dû à diverses raisons. En effet, le RWANDA et le BURUNDI, caractérisés par les mêmes facteurs géographiques et faisant face à une démographie galopante, étaient soucieux de résoudre leurs problèmes énergétiques et soutenaient dès lors vivement une redynamisation de la SINELAC - seul organisme ayant fonctionné normalement comme mentionné précédemment.

Le RWANDA en particulier était désireux d'avoir accès aux marchés afin de leur proposer des services. Nous avons en effet pu constater à quel point le secteur bancaire était bien développé à Kigali pour ne citer qu'un exemple. En outre, comme nous avons pu le constater, ce pays dispose de peu de richesses minéralogiques et ses terres en altitude ne permettent pas une agriculture à grande échelle. Enfin, certaines de ses richesses comme le gaz naturel du lac KIVU, nécessitent un accord de coopération d'exploitation avec la RDC.

En RDC, l'idée d'une relance de la CEPGL était nettement moins prononcée, notamment dû au fait qu'une partie de la population décriait / décrie l'impunité totale dans laquelle vivent encore aujourd'hui de nombreux auteurs de crimes de guerre. Une exploitation illégale de leurs ressources était également un souci majeur. D'autres cependant, en particulier le secteur économique congolais, ne s'opposaient pas au retour de la CEPGL mais mettaient en avant que certaines mesures préalables étaient nécessaires, notamment : l'intégrité territoriale du pays, la paix et l'aboutissement du processus de transition vers la démocratie en RDC.

L'AFRIQUE du SUD quant à elle est un partenaire économique important de la sous-région et a vu d'un bon œil la relance de la CEPGL. D'autres comme le KENYA, la TANZANIE et l'OUGANDA en revanche, n'ont guère vu d'avantages quant à sa relance en 2007. L'OUGANDA en particulier ne veut être écarté du jeu et souhaite continuer à exploiter les ressources en RDC.

135 CONCLUSION

Le gouvernement burundais a dans l’idée de faire du BURUNDI une plateforme logistique entre les pays de l’AFRIQUE de l’Ouest (CEPGL) et ceux de l’AFRIQUE de l’Est (EAC) et si l’intégration du BURUNDI à l’EAC offre des opportunités pour ce projet, elle présente aussi des risques.

The REPUBLIC of BURUNDI enjoys a privileged central location between the various members of the CEPGL and the EAC. However, at present, its economic weight does not allow it to compete with the more developed countries of the EAC when considering the logistic factor. Support from the Burundian government to the private sector in this area is, therefore, essential.

De REPUBLIEK BURUNDI moet ook aandacht besteden aan de aanwijzingen en de besluiten van de twee regionale gemeenschappen als hij in zijn opzet wil slagen om zijn economie te heroriënteren in de logistiek én een logistiek draaischijf wil worden tussen de verschillende leden van de CEPGL en de EAC.

Nous constaterons également que malgré le poids politique et historique des dernières décennies, de réels efforts sont mis en place afin de harmoniser et pacifier la sous-région des grands lacs, et ce à travers tous les aspects de la vie quotidienne.

Although the CEPGL has still a long way to go if it is to succeed in its attempt to establish a long lasting peace in the region, neighboring countries seem to be willing to obtain this through a diplomatic and democratic way.

Niettegenstaande dit, één van de grootste gevaren aan wat de CEPGL en de EAC bloot staan, is het niet respecteren van het engagement en de richtlijnen die aan de basis liggen van de stichting van deze organisaties. De contributies van alle leden aan het budget van deze organisaties moeten daarom imperatief gerespecteerd worden als diezelfde landen economisch en maatschappelijk willen evolueren.

136 SOURCES

Rapports 1. (United Nations), Analyse stratégique de la participation du Burundi dans différents cadres d’intégration régionale : Défis et opportunités, Rapport final (mars 2012).

2. (CPCS), East African Railways Master Plan Study, Final Report. 3. (United Nations), Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs: Programme d’Action Régional pour le Développement Economique et Intégration Régionale, juin 2006 4. Accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, août 2000.

5. Conférence Internationale sur la Paix, la Sécurité, la Démocratie et le Développement dans la Région des Grands Lacs: Déclaration de Dar -es-Salaam sur la paix, la sécurité, la démocratie dans la région des Grands Lacs, novembre 2004.

Sites web 1. http://www.mercenary-wars.net/congo/ 2. http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/congo/ 3. http://www.cepgl-cepgl.org/ : site officiel de la CEPGL 4. www.eac.int : site officiel de l’East African Community 5. http://www.senate.be/www/?MIval=/publications/viewPub&COLL=S&LEG=3&NR=1578& PUID=50334585&LANG=fr

Mémoire 1. John KAZEMBE, La conférence internationale sur la région des grands lacs: les défis d'une organisation sous-régionale africaine, Université de Goma, 2006.

Articles 1. Philippe LEYMARIE, Congo: vers la fin de la première « guerre africaine » dans Le Monde Diplomatique, édition du mercredi 7 février 2001. 2. Serge DUPUIS, Retour sur le génocide des Rwandais tutsi, Revue Socialiste, septembre 2009

Ouvrage Groupe de recherche et d'information sur la paix, Congo-Zaire: la colonisation- l'indépendance-le régime Mobutu-et demain?, GRIP-Groupe de recherche et d'information sur la paix, 1989

137

138

L’évolution de la démographie

Demografische evolutie

Daphné Morelle Laetitia Mertens Valentine Pacco

139

140 TABLE DES MATIERES / INHOUDSTAFEL

1. INTRODUCTION ...... 143 2. APERÇU GENERAL ...... 144 2.1. DEFINITION DE LA DEMOGRAPHIE ...... 144

2.2 LA TRANSITION DEMOGRAPHIQUE ...... 144

2.3 LES PROBLEMES DEMOGRAPHIQUES EN AFRIQUE ...... 145 3. DEMOGRAPHIE AU BURUNDI ET AU RWANDA ...... 147 3.1. MISE EN PERSPECTIVE ...... 147 3.1.1 Le Burundi ...... 147 3.1.2 Le Rwanda ...... 149 3.2. ORIGINES DE LA CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE ...... 150

3.3. PROBLEMES ENGENDRES...... 156

3.4. POINT DE VUE DE CHRISTIAN DE DUVE ...... 161

3.5. LES SOLUTIONS ...... 163 3.5.1 Qu’est-ce qu’une politique démographique ? ...... 164 3.5.2 La politique démographique au Rwanda face à l’accroissement de la population ...... 164 3.5.2.1 L’évolution du taux de prévalence contraceptive (TPC) ...... 164 3.5.2.2 Quelles mesures ont été prises afin de réduire la natalité ? ...... 165 3.5.3. La situation au Burundi face à l’accroissement de la population ...... 167 3.5.3.1 L’évolution du taux de prévalence contraceptive (TPC) ...... 167 3.5.3.2 Quelles mesures ont été prises afin de réduire la natalité ? ...... 168 3.5.4 Les mesures ont été prises afin de réduire la mortalité ...... 170 3.5.5 Les acteurs ...... 172 3.5.6. Les interventions souhaitables pour le futur au Rwanda et au Burundi ...... 173 4. CONCLUSION ...... 176 BIBLIOGRAPHIE ...... 180

141

142 Introduction

Lors de notre session d’étude au Burundi et au Rwanda cet été 2013, nous avons été émerveillés par les enfants. Nous en avons vu qui marchaient dans les rues au pas lent de ceux qui ont trop de temps, d'autres qui gravissaient les chemins escarpés des collines à toute allure. Nous avons goûté les cacahuètes, les bananes et autres découvertes locales qu'ils vendaient à la sauvette. Nous avons été touchés par tous ceux qui nous offraient leur plus beau sourire aux dents si blanches. Et enfin nous avons pu parler aux plus intrépides qui venaient nous serrer la main.

Mais ces enfants nous ont aussi interpellés. Au coin du moindre village nous les voyions arriver par dizaines puis par centaines. Des questions se posent alors : Où dorment-ils ? Vont- ils tous à l'école ? Quel sera leur avenir dans ces deux si petits pays ?

La région des Grands Lacs renvoie à des images de famines et de guerres associés à des densités élevées de population au cœur de l'Afrique: des collines surpeuplées, une croissance démographique accélérée, des migrations de masse.

Au cours de ces trois semaines, nous avons pu rencontrer des responsables de la société civiles, des ONG ou du monde politique. Beaucoup sont conscients de ce problème de société. Des actions sont lancées pour sensibiliser la population à la nécessité de contrôler la démographie galopante, des centres de planning familial et de soins pré- et post-natals sont construits, des discours politiques forts sont prononcés. Mais cela est-il généralisé à toutes les régions ? Est-ce suffisant ? Quelles solutions apporter ?

Ce travail a pour objectif de répondre à ces interrogations en commençant par une mise en perspective et par un plongeon rapide dans l'histoire du Burundi et du Rwanda, nécessaires pour comprendre la crise démographique actuelle. Ensuite nous commenterons l'origine du haut taux de démographie, puis aborderons les problèmes que cela engendre. Nous terminerons avec le point de vue de Christian de Duve, lauréat du prix Nobel de médecine, et avec quelques pistes de solutions.

143 2. Aperçu général

2.1. Définition de la démographie

La définition de la démographie, simple et universellement admise, est l'étude scientifique des populations.

Cette définition entraîne quatre questions : qu'est-ce qu'une population ? En quoi consiste l'étude « scientifique » des populations ? Dans quelle mesure l'évolution des populations a-t- elle un impact plus général sur l'économie et sur la société ? Et, finalement, comment la politique peut-elle infléchir les tendances de la démographie ?

Une population est constituée par l'ensemble des personnes qui habitent un lieu donné : la population de la France, celle de l'agglomération parisienne ou simplement d'un immeuble.

Une seconde définition intéressante est proposée par le Dictionnaire démographique multilingue (Henry, 1981). « Science ayant pour objet l'étude des populations humaines et traitant de leur dimension, de leur structure, de leur évolution, et de leurs caractères généraux envisagés principalement d'un point de vue quantitatif ». Cette définition ajoute le point de vue selon lequel ces populations sont étudiées, un point de vue quantitatif, qui implique une méthode privilégiée : la méthode statistique.

2.2. La transition démographique

La démographie joue un rôle primordial dans le développement d'un pays. Il est largement reconnu qu'un pays qui accélère sa transition démographique et diminue le taux de mortalité influence positivement ses résultats économiques.

La transition démographie peut être définie comme un passage progressif d'un taux élevé de natalité et de mortalité en équilibre vers un faible taux de natalité et de mortalité qui atteignent un nouvel équilibre.

La relation entre l'augmentation rapide de la population et le développement socio- économique est particulièrement notable dans quatre domaines : la croissance économique et le développement du capital humain, la réduction de la pauvreté, la protection de l'environnement et le niveau de santé. La rapide croissance empêche notamment les pays de

144 développer leur capital et d'atteindre l'objectif de « l'éducation pour tous », une condition sine qua non pour le développement économique.

Réduire la croissance démographique élevée était une des priorités pour le développement international dans les années 1960 et 1970. Aujourd'hui, l'attention internationale se focalise sur d'autres problèmes urgents tels que le SIDA, les crises humanitaires et la bonne gouvernance.

2.3. Les problèmes démographiques en Afrique

Aujourd'hui la plupart des pays développés ont atteint un faible niveau de mortalité et de fertilité et des taux de croissance beaucoup plus bas que dans les années soixante.

Les pays sub-sahariens – mise à part l'Afrique du Sud- échappent à cette règle. La plupart des pays d'Afrique sub-saharienne n'ont connu une diminution du taux de fécondité que dans les années 1990 ou 2000 et certains n'ont même pas, jusqu'à présent, connu une diminution du taux de fécondité. De plus, la baisse du taux de mortalité est très faible et s'est même inversée dans les années 1980 et 1990 à cause de l'impact du SIDA, des troubles et des guerres civiles. Cela a comme résultat que beaucoup de pays africains ont toujours de très haut niveau de fécondité, une croissance de population très élevée et des populations très jeunes.

L'objectif de la communauté internationale est que ces pays atteignent un régime démographique moderne d'ici 2050. Cela implique d'arriver à des taux de mortalité et de fécondité tels que ceux observés dans les pays développés.

Une diminution de la mortalité implique la poursuite d'une politique visant d'une part à diminuer la mortalité infantile (celle des enfants de moins de cinq ans) mais aussi, celle des adultes, spécialement par la réduction de l'impact du SIDA et des maladies cardio-vasculaires.

Au niveau de la fécondité, cela implique entre 2 et 3 enfants par femme.

Selon les projections, la population africaine va encore augmenter fortement et rapidement de 1 milliard en 2010 à 1.5/1.7 en 2030 et jusque 2/2.5 milliards en 2050, l'incertitude dépendant de la variante de fécondité considérée.

145 Ces pays africains sont confrontés aujourd'hui a un problème démographique majeur : ils doivent faire face un doublement, voire au triplement de leur population en âge de travailler d'ici 2050. Cette exceptionnelle augmentation de la force de travail pourrait être appelée « l’héritage démographique du passé ». Il résulte directement du haut niveau de fécondité depuis les années 1960, d'une conséquence du manque d'intérêt ou d'une négligence face à cette tendance de la part des autorités publiques, de la société civile et des bailleurs de fonds internationaux. Permettre à tous les jeunes d'accéder à un travail va être extrêmement difficile.

Deux politiques majeures doivent être mises en place de manière urgente:

- Il faut mieux préparer le futur des populations à venir sur le plan de l’éducation et de l’emploi.

- Un fort élan vers l'émancipation des femmes doit être effectué. Cela implique de légiférer pour augmenter l'âge du mariage et garantir l'égalité entre les droits des hommes et des femmes notamment au niveau de l'héritage.

146 3. Démographie au Burundi et au Rwanda

3.1. Mise en perspective

3.1.1 Le Burundi

La population est composée d'une minorité Twas et de deux grandes ethnies les Hutus (85%) et des Tutsis (14%). Depuis son indépendance en 1961, le Burundi a été marqué par le conflit et les tensions entre les deux groupes majoritaires. Il est l'un des pays les plus pauvres et les moins développés du monde. Entre 1993 et 2004, le pays a été la proie d'une guerre civile. Le pays se redresse petit à petit de ce conflit pendant lequel plus de 300,000 personnes ont perdu leurs vies. La sécurité s’est globalement améliorée, mais la population se débat pour vivre dignement au quotidien1.

Il reste des défis énormes sur les plans économiques et humains. Le Burundi est petit et sans accès à la mer. De plus, il ne possède pas d'importantes ressources minérales. On enregistre de faibles niveaux de vie et des situations de pauvreté chronique.

Plus de 90% des habitants du Burundi dépendent de l'agriculture pour leurs moyens d'existence et leur survie, si bien que les familles rurales et urbaines doivent pouvoir produire leurs propres aliments. L'insécurité alimentaire aiguë et l'accès limité aux services essentiels sont le lot d'une grande partie de la population. Dans de telles conditions, la flambée des prix des aliments et l'inflation croissante des prix à la consommation ont rendu les ménages vulnérables encore plus exposés au risque de connaître la faim.

Le plus gros défi humanitaire auquel le pays se trouve confronté aujourd'hui est la rareté des terres amplifié par le retour et la réinsertion des rapatriés burundais (500,000 rapatriés depuis 2002). Doté de ressources en terres limitées, touché par une pauvreté chronique et exposé à de graves périodes de sécheresse, le Burundi est plutôt démuni pour pourvoir aux besoins d'un si grand nombre de rapatriés2. La pression sur ces terres exiguës, ont été à l’origine des conflits fonciers de nature à perturber la paix relative dont le pays avait commencé à jouir.

1http://coin.fao.org/cms/world/burundi/InformationSurLePays.html

2 http://www.fao.org/isfp/information-par-pays/burundi/fr/

147 Une attention prioritaire doit aussi être accordée aux groupes les plus vulnérables tels que : ménages gérés par des veuves/orphelins, ménages affectés par le VIH ou encore les ex-enfants soldats ainsi que ceux très affectés par les catastrophes climatiques (ménages à l’Est et au Nord-est du pays). Les niveaux de vulnérabilité aiguë sont en passe d’être réduits à travers de meilleures pratiques agricoles.

Il faut s'attaquer au manque d’opportunités des moyens d’existence et d’autres activités génératrices de revenus. La sécurité alimentaire doit être garantie, cela impliquant l’accès à des niveaux adéquats d’alimentation pour une grande partie de la population souffrant de la malnutrition chronique.

La gestion de la fragile transition d’une situation d’urgence post-conflit à celle d’un développement durable à long terme nécessitera également un engagement de long terme à travers une série d’activités.

D'un point de vue démographique, la population burundaise a augmenté de façon inexorable depuis 1950 et a pratiquement quadruplé en 50 ans.

Étant donnée l'étroitesse du territoire, la densité de population était estimé en 2009 à 296 personnes par kilomètre carré, il s'agit du taux le plus élevé d'Afrique après le Rwanda et l’Union des Comores. Et ce taux est encore en train d'augmenter élevant la pression sur le secteur agricole en particulier et sur l'écosystème en général.

Le taux de mortalité infantile est extrêmement élevé avec 120 enfants morts avant l'âge d’un an sur 1000 naissances. Le taux de mortalité pour les enfants jusqu’à 5 ans est estimé à 180 décès pour 1000 en vie.

L’espérance de vie à la naissance est de 49 ans, c'est plus bas que la moyenne des pays sub- sahariens (51 ans).

Par contre, il semble que l'épidémie du SIDA soit en voie de diminution.

Ces tendances ont pour résultat que la population burundaise devrait continuer à grandir rapidement durant ces prochaines 40 années. L'augmentation actuelle de la population est estimée à 2.1% par an.

148 Même si le taux de fécondité diminuait de façon drastique, la population continuerait à grandir et doublerait probablement d'ici 70 ans. Cette situation est causée par la jeunesse de la pyramide des âges.

Étant donné le petit territoire et l'économie essentiellement rurale, la rapide augmentation de la population pose d'énormes défis pour la perspective de développement du Burundi.

Lors d'un colloque international en 2012, on a constaté que les familles ont en moyenne 6 enfants. L'objectif politique est de réduire ce nombre de moitié. Il faut une prise de conscience par les familles3.

3.1.2 Le Rwanda

Le Rwanda est un pays enclavé et montagneux de 26 338 km2 avec une population de plus de 10 million habitants. La densité de population de plus de 400 personnes /km2 est la plus élevée d'Afrique.

Il est aussi un des pays les plus pauvres au monde avec un revenu annuel par personne de 370 U.S. dollars en 2008 avec 56.9% de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Le taux de natalité est de 4,6 enfants par femme, La population a augmenté chaque année avec un pourcentage de 2.8%. On projette qu'elle augmentera à 15 million en 2020 et à 20 million en 2030.

La population se remet péniblement du génocide. Lorsque l'on visite le Kigali Memorial Centre, on comprend que la douleur du passée est toujours bien présente. Son économie est principalement basée sur l'agriculture, Plus de 80% de la population vit en milieu rural et la plupart ne possède que de très petites parcelles à exploiter.

Le début du 21ème siècle est marqué par un bon développement et de nouveaux accords avec la communauté internationale sur le développement économique, social et agricole.

3Conférence ministère des affaires étrangères

149 L’établissement des Millenium Development Goals (MDGs) est la plus grande manifestation de ces accords. Le premier objectif des MDG est de réduire l'extrême pauvreté et la faim de 50% d'ici 2015.

3.2. Origines de la croissance démographique

Les petits États du Burundi et du Rwanda font partie aujourd’hui des pays les plus densément peuplés. La population double en un quart de siècle. Les origines de cet accroissement démographique fulgurant sont multiples.

Premièrement, l’augmentation de la population s’explique par une diminution du taux de mortalité. Le taux de mortalité a commencé à diminuer lors de l’arrivée des colonisateurs européens. En effet, dû aux conditions climatiques défavorables, aux multiples virus et à la traite des esclaves, la population de ces 2 pays a longtemps stagné. A la fin du 19ième siècle, la colonisation européenne a entraîné une diminution du taux de mortalité en combattant les épidémies et la forte mortalité infantile. De plus, le colonisateur a mis en place des programmes de mise en valeur des terres afin d’augmenter les récoltes agricoles. La population a commencé à grandir rapidement avec une moyenne de 2% par an. Les densités démographiques sur les surfaces habitées sont passées de 77 à 148 habitants au km2 entre 1931 et 1962.

La santé est devenue un enjeu stratégique qui concerne les acteurs publics nationaux, le corps médical, l’aide international et les organisations internationales. Les systèmes de santé souffrent encore de grandes insuffisances mais ils s’améliorent peu à peu. Les pays africains représentent 1 % des dépenses mondiales de santé et 2 % du personnel mondial de santé, ce qui est relativement faible pour une population qui représente 12 % de la population mondiale.

Au Rwanda la mise en place d’une mutuelle de santé permet à la population d’avoir accès aux soins de santé à un prix plus démocratique. L’épidémie du SIDA apparaît être sous contrôle et cause de moins en moins de décès. Au Burundi l’accouchement a été rendu gratuit, ce qui a fortement diminué le taux de mortalité à la naissance, mais le système de la sécurité sociale y est quasi inexistant. On observe une très grande inégalité entre les plus riches et les plus pauvres devant la maladie et la mort.

150 Grâce aux meilleurs soins de santé mis à disposition dans ces 2 pays, on s’attend à ce que la croissance de la tranche de la population âgée s’agrandisse entre 2015 et 2030 afin que l’espérance de vie atteigne 65 ans au lieu d’une moyenne de 55 ans aujourd’hui. Cette population se retrouvera face à de multiples défis car elle va être confrontée à des problèmes de vieillesse, ce qui demandera plus de besoins en soins de santé. Cela leur coûtera plus cher et il y aura une plus grande prévalence à la pauvreté. Le vieillissement de la population contribue à un accroissement démographique au Burundi et au Rwanda, ce qui représente un risque pour le développement du pays à cause d’un manque d’infrastructure mis en place et destinée à accueillir cette nouvelle tranche d’âge.

Deuxièmement, l’accroissement de la population se traduit également par une très faible diminution des naissances. Le taux de fertilité au Rwanda est de 4, 6 enfants par femme alors qu’au Burundi il est de 6,4 enfants /femme, ce qui reste très élevé. Les facteurs à l’origine du faible déclin (tableau 1) de la fécondité est tout d’abord l’introduction de l’âge minimale pour le mariage, qui est de 21 ans pour les filles et les garçons depuis 2002. Ensuite par un accroissement timide de l’utilisation des techniques de contraception, seulement 27% de la population rwandaise et 8% de la population burundaise utilise les méthodes contraceptives modernes, la demande a explosée ces 4 dernières années, mais reste très faible.

Tableau 1 : Taux de natalité au Rwanda entre 1983 et 1992

Source : Ntavyohanyuma P. 1999, p 244

Les communautés religieuses ont eu un impact notoire sur le taux de fécondité de ces pays. Elles sont arrivées au Rwanda et au Burundi dans les années 1900 et ont pris beaucoup

151 d’influence politique et sociale. Ces communautés ont beaucoup contribué à la mise en place des premiers systèmes d’éducation et de santé. Même si les gouvernements font un effort pour augmenter les infrastructures de santé et d’éducation pour répondre à la demande croissante de la population, beaucoup de centres de santé, d’écoles primaires et secondaires sont encore entre les mains de ces communautés. Celles-ci ont une grande influence sur la politique de natalité car elles promeuvent uniquement les méthodes contraceptives naturelles, basées sur la température et les symptômes. Les méthodes contraceptives modernes sont disponibles uniquement dans des « postes de santé ». On estime qu’aujourd’hui encore 120 postes de santé doivent être construits au Burundi afin que la majorité de la population puisse y avoir accès. Le soutien de l’Église catholique aux méthodes contraceptives naturelles uniquement ainsi que leur hostilité face à la politique de planning familial ne facilite pas la diminution des natalités au sein de ces pays.

Une autre raison qui mène à la surpopulation du Burundi et du Rwanda est le biais culturel de l’Afrique en faveur des familles nombreuses. Le concept de la famille dans les pays africains est important et influence fortement la démographie de ces pays. Les normes sociales et les valeurs sont différentes des valeurs familiales occidentales. La fécondité des femmes et des hommes est fortement valorisée, ayant une préférence pour les familles élargies. Le mariage précoce des femmes et la prise en charge des parents plus âgés font aussi partie de leurs valeurs. D’après une enquête menée par UNICEF, même si le besoin intégral des moyens de contraception serait satisfait, la fécondité diminuerait uniquement au nombre de 5 enfants par femme.

Une autre origine à cette croissance démographique est les politiques démographiques très faibles ou même quasi inexistantes au Burundi et au Rwanda. Le Rwanda connait depuis 1994 un bouleversement de sa dynamique démographique par le déplacement massif des populations à l’intérieur des frontières et dans les pays voisins, suivis par le retour tout aussi massif de ces populations de 1996 à 1998. Ce qui rend plus difficile l’entretien de registre national. Le traumatisme causé par le génocide en 1994 a rendu toute discussion sur la démographie taboue jusqu’en 2004. Le gouvernement mis en place après le génocide n’a pas voulu ratifier la politique de population émise par le gouvernement précédent. Ils se sont entièrement différenciés du gouvernement précédent pour pouvoir tourner la page. Ce n’est qu’en 2004 que le gouvernement Rwandais a intégré une véritable politique démographique intitulée « The National Population Policy for Sustainable Development of Rwanda ». Ils ont

152 fait un registre de la population afin d’avoir un contrôle sur la démographie de leur pays. Mais le programme semble être trop dense et a trop de priorités pour être réellement efficace.

Contrairement au Rwanda qui a pris les choses en main ces 10 dernières années, le Burundi est à la traîne. Le dernier registre national a été effectué en 1990. Depuis lors, plus aucune analyse n’a été faite. Le registre civil Burundais est incomplet au niveau des naissances, de la mortalité et des mouvements migratoires. Le traumatisme causé par l’histoire politique du Burundi a mis fin aux discussions démographiques pendant 20 ans. Les problèmes démographiques et de santé reproductive ont été négligés jusqu’en 2006. En 2006, le gouvernement a créé « The Poverty Reduction Strategy Paper (PVRS) », ce qui a mis en évidence les problèmes liés à l’accroissement démographique. Mais aucune stratégie claire n’a été mise en place pour le moment. Vu le contexte politique, l’implémentation d’une politique démographique est un réel défi pour le Burundi. Le gouvernement Burundais ne reconnaît pas encore entièrement le fait que la croissance de la population est une contrainte majeure pour le pays afin de pouvoir se développer. Le gouvernement a besoin d’en prendre conscience afin de pouvoir s’attaquer à ce défi démographique.

De plus, le manque d’éducation est aussi une cause de cette démographie galopante. Le rôle de la femme dans les sociétés patriarcales comme le Burundi et le Rwanda, est limité, peu d’entre elles sont éduquées et elles ne possèdent aucun bien. Jusqu’en 2002, la femme n’héritait pas de biens fonciers de la part de sa famille. Dans son ménage, son rôle se limitait à fructifier le patrimoine existant, sans aucun espoir de devenir un jour la propriétaire de ces biens. Les enfants constituent donc pour elle sa seule sécurité sociale et son capital-vieillesse. Ce qui influence les femmes à avoir beaucoup d’enfants. Depuis 2002, le code de la famille au Rwanda permet aux femmes d’hériter, cela devrait leur permettre de pouvoir accumuler des biens et de devoir moins compter sur leurs propres enfants en vieillissant.

Les jeunes qui font de études, comprennent l’impact du problème démographique et réalisent qu’avoir beaucoup d’enfants n’est pas une bonne solution, ni pour eux, ni pour leur pays. La régulation de la démographie au Burundi ne doit pas se faire par contrainte, elle doit résulter d’une prise de conscience globale. La population non éduquée considère l’enfant comme un instrument de production, au plus d’enfants ils auront, au plus de revenus ils auront. Ce qui n’est pas vrai, il faut qu’ils prennent conscience qu’un enfant est d’abord une charge à nourrir, à entretenir et à éduquer avant d’être un instrument de production.

153 La scolarisation, particulièrement celle des filles, permet de retarder les grossesses et facilite l'accès à la contraception. Or, pour l’instant, seul 30 % des jeunes fréquentent un établissement d'enseignement secondaire, soit la moitié de la moyenne mondiale.

Enfin, la réduction de la croissance démographique n’est plus dans les priorités de l’agenda du développement international. Des programmes de diminution de la croissance démographique ont été instaurés en Amérique latine et en Asie dans les années 1960 et 1970, mais n’ont jamais été implantés en Afrique. La communauté internationale met l’accent aujourd’hui sur des problématiques qu’ils considèrent comme plus urgentes comme le SIDA, ou encore la bonne gouvernance, les crises humanitaires ou encore le changement climatique. Aucun plan efficace n’est actuellement mis en œuvre pour diminuer l’accroissement démographique au Burundi, alors que c’est en commençant à s’attaquer au problème démographique qu’on pourra commencer à améliorer le développement de ces pays.

A cause du fait que plus de la moitié de la population a moins de 25 ans au Burundi et au Rwanda aujourd’hui, même si le taux de natalité tendrait à diminuer et qu’on atteindrait le taux de remplacement, la population continuerait à augmenter. Au Burundi elle doublerait même pendant les 70 prochaines années. Ce phénomène est appelé « the population momentum » et se produit lorsqu’un grand nombre de personnes se trouvent dans la tranche d’âge pour procréer et qu’ils continuent à alimenter la croissance de la population. Plus de couples ont des enfants, même si ceux-ci en ont moins. Dans le tableau 2, on peut observer les effets du « population momentum » au Burundi pour ces 40 prochaines années, avec un remplacement du taux de fertilité de 2.1 enfants par femme à la place de 6.4 aujourd’hui. Ce problème se pose sur quasiment l’entièreté du continent Africain. Sur les quarante-huit pays du globe dont la population de moins de 15 ans dépasse 45 %, trente et un pays sont africains.

154 Tableau 2: Population projection Burundi, 2005-2050 (in thousands)

Source: Source : United Nations 2009

Pour résumer, les origines de la surpopulation au Burundi et au Rwanda sont dues à la diminution du taux de mortalité grâce à l’amélioration des soins de santé et à la faible diminution du taux de natalité engendrée par l’augmentation de l’âge du mariage et l’accroissement timide de l’utilisation des moyens de contraception. La diminution du taux de natalité reste très faible à cause du manque d’éducation de la population, des traditions familiales, de l’influence de l’Église catholique ainsi que du manque de préoccupation de la communauté internationale et du manque de conscience des gouvernements, particulièrement du gouvernement Burundais. Au Rwanda, même si il y a une plus grande prise de conscience de la part du gouvernement, une politique démographique et des moyens de contraception plus propagés, on est encore loin du but. A la suite des tendances globales de mortalité et de natalité, les populations de ces 2 pays vont continuer de grandir rapidement pendant ces 40 prochaines années. La croissance rapide de la population va compromettre les efforts de développement ainsi que l’intégration dans l’économie mondiale.

155 3.3. Problèmes engendrés

Comme il a été vu plus tôt dans ce rapport de session, il est largement reconnu qu’une accélération du processus de transition démographique et une accélération de la diminution des naissances a une influence positive sur les résultats socio-économiques d’un pays. En Asie de l’Est, on a pu observer que 40% de la croissance économique ont été obtenus par un changement de la pyramide des âges et une forte diminution du taux de fertilité. En Afrique sub-saharienne, ces changements démographiques n’ont pas encore eu lieu.

L’accroissement de la population au Burundi et au Rwanda engendre de multiples problèmes présents et futurs qui compromettent le développement de ces pays. Il y a 4 raisons majeures pour lesquelles il faut accélérer la diminution des naissances : (i) la croissance économique et la formation du capital humain, (ii) la diminution de la pauvreté, (iii) l’amélioration des soins de santé ; et (iv) la protection environnementale.

Premièrement, la croissance fulgurante de la population empêche les pays d’accomplir leur objectif, « d’éducation pour tous », qui est une des conditions sine qua non pour la croissance économique de ces pays. D’après l’expérience vécue en Asie de l’est, on peut en conclure qu’une croissance démographique plus lente diminue le ratio d’enfants utilisés comme force de travail et sources de revenus et donc augmente le ratio d’enfants allant à l’école.

Vu le grand nombre de jeunes de moins de 15 ans présents dans ces pays, on doit s’attendre à une arrivée massive de personnes sur le marché de l’emploi d’ici 10 ans. Le combat contre le chômage représente un autre défi considérable pour le futur du Burundi et du Rwanda. Le Burundi n’a pas encore une économie et des institutions assez fortes pour prendre un avantage de cette nouvelle masse de travailleurs qui arrivent sur le marché. Le Rwanda s’y prépare petit à petit en développant le secteur secondaire et tertiaire. L’évolution de l’économie du Rwanda a longtemps suivi de près celle du secteur principal, à savoir l’agriculture, qui occupait et assurait la subsistance de près de 95% de la population. Aujourd’hui, le secteur agricole constitue la base de l’économie rwandaise puisqu’il emploie officiellement plus de 90% de la population active.

Aujourd’hui, uniquement 30% des élèves qui finissent l’école primaire au Burundi vont à l’école secondaire et les 70% restant rejoignent déjà la vie active à 12 ans. Ce qui est le résultat d’une dépendance économique entre parents et enfants, les parents ne savent pas subvenir aux besoins de toute la famille. Une petite minorité atteint les bancs universitaires,

156 mais la plus grande partie d’entre eux se retrouvent au chômage ou bien avec un travail pour lequel ils sont surqualifiés une fois sortis de l’université à cause d’un manque de développement des secteurs secondaires et tertiaires.

Sans politique économique solide et sans institutions fiables, un grand nombre de jeunes adultes ne pourrait pas faire face à des marchés du travail qui ne sont pas en mesure de leur fournir un emploi rémunérateur. Cela a comme conséquences des taux élevés de chômage, de sous-emploi, et de l'instabilité politique.

Selon une étude de la Banque Mondiale, la croissance économique en Afrique va dépendre de l’extension de l’infrastructure, de l’exploitation de nouvelles innovations et de la construction de capacités institutionnelles.

Deuxièmement, un haut niveau de fertilité compromet les efforts de réduction de la pauvreté. Les ménages pauvres souffrent du haut niveau de fertilité, car c’est un frein à la qualité de l’éducation ainsi qu’à l’accès aux soins de santé.

Le Burundi fait face à l’extrême pauvreté, 68% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. La population est très jeune et cela a des implications de grande envergure pour la formation du capital humain.

Le Burundi et le Rwanda sont en manque drastique d’enseignants. Les classes de tous les niveaux sont mélangées avec un nombre gigantesque d’élèves par classe. On estime le ratio élèves/maître à 58 et un nombre de 81 élèves par classe en moyenne au Rwanda. Ceci est lié au manque de moyens financiers des états. Ceux-ci n’ont pas les moyens financiers de construire rapidement les infrastructures éducatives suffisantes, ainsi qu’un manque de fonds pour former suffisamment d’enseignants. Par conséquent, le pays ne peut garantir une éducation de qualité pour tous les élèves. La croissance démographique ne fait qu’aggraver le problème en augmentant le nombre d’élèves par classe et donc diminue la qualité de l’éducation.

De plus, le problème de la sécurité alimentaire devient de plus en plus inquiétant. La première préoccupation des ménages pauvres au Burundi est la capacité de pouvoir nourrir tous les membres de leur famille. Suite à une enquête menée par la Banque Mondiale au Burundi en 2009, on estime que la présence d’un enfant supplémentaire implique une contraction de 25% de la consommation par tête.

157 Troisièmement, le taux élevé de natalité a des conséquences dramatiques sur la santé des femmes et des enfants. Beaucoup de femmes ont besoin et veulent avoir accès à des moyens de contraception, mais elles en sont empêchées à cause des inégalités de genre, des barrières culturelles et religieuses et à cause de l’inefficacité du planning familial. Répondre à ces besoins non satisfaits, améliore la santé de la femme en diminuant le taux de mortalité maternel et en permettant à la femme de réaliser son propre potentiel économique. En effet, 1 femme sur 16, en Afrique subsaharienne, décède à cause de sa grossesse, contre 1 femme sur 2 800 dans les pays industrialisés.

La croissance démographique diminue l’accès aux soins de santé. Selon les normes OMS il faudrait 1 médecin pour 3000 habitants, soit 3300 médecins pour 10 millions d’habitants. Or la Burundi et le Rwanda ont entre 5 et 10 fois moins de médecins que cette norme. De plus on observe une émigration importante des médecins africains. La pénurie de médecins résulte du manque d’accès à l’éducation et de cette émigration. Avec la croissance démographique le ratio médecin/population ne fera que baisser ce qui diminuera l’avantage de l’accès aux soins de santé. De plus, les ressources alimentaires se font de plus en plus rares, ce qui augmente la malnutrition à travers ces pays et augmente le risque de maladie et de décès chez les plus pauvres.

Quatrièmement, l’augmentation de la croissance démographique augmente les pressions auxquelles le Burundi et le Rwanda font face pour subvenir aux besoins alimentaires et en eau de la population, à la division des terres ainsi qu’à la dégradation environnementale. De plus, les ressources rares diminuent à grande vitesse avec la croissance démographique, ce qui augmente les risques de conflits et diminue la sécurité de ces pays.

L’accélération de l’accroissement démographique au Burundi et au Rwanda a entraîné une multiplication de la demande de nourriture, de combustibles, de pâturage et de logements. La population est obligée d’exploiter massivement les ressources naturelles, ce qui exerce une destruction irréparable sur l’environnement et rend la terre infertile. L’agriculture, principale activité économique, est menacée par la croissance démographique galopante. Cette situation amplifie les problèmes de la sécurité alimentaire et de la pauvreté à travers le Burundi et le Rwanda. C’est pourquoi maîtriser la démographie est une priorité pour ces 2 pays. Le secteur primaire constitue le noyau de l’économie burundaise comme dans la plupart des pays à faible revenu. Le secteur agricole engendre plus de 50 % du produit intérieur brut. Le Burundi ne donne aucun signe encourageant, le pays offre peu d’opportunités d’emplois pour désengorger

158 le monde rural et libérer des terres surexploitées. L’agriculture est pratiquée de manière traditionnelle, ce qui n’améliore pas le niveau de vie des agriculteurs. Ils sont réticents vis à vis des techniques modernes et ils ont une volonté délibérée de ne produire qu’en fonction de leurs besoins immédiats, ce qui limite fortement l’importance du surplus qui pourrait être commercialisé.

Un autre problème qui survient est le partage des terres entre la population. Les membres d’une même famille partagent leurs terres et chaque enfant devient propriétaire d’une parcelle à l’âge adulte. La densité du Rwanda et du Burundi devient tellement élevée que les terres sont morcelées en petites parcelles. Ceci a pour conséquence non seulement de causer une surexploitation de la terre mais également de causer pas mal de meurtres. Les membres d’une même famille s’entretuent afin de posséder la parcelle de terre de l’autre. La propriété de terres est la principale source de conflits au niveau des communautés rurales, on en compte environ 5000 par an. On devrait nécessairement observer un déclin évident des surfaces disponibles par habitant au cours du temps vue l’augmentation de la population alors que la superficie cultivable ne varie presque pas.

Afin d’éviter la surexploitation et les drames familiaux, le Rwanda a pris de précautions et a émis un avant projet de loi qui recommande l’exploitation en commun des parcelles familiales et interdit de morceler les terres de moins d’un hectare. Ces mesures risquent de ne pas être très populaires car au Rwanda les populations sont plus individualistes dans l’exploitation de terres. Au Burundi, aucune mesure n’a été prise dans ce sens. En outre, une agriculture respectueuse de l’environnement doit s’imposer pour atteindre la sécurité alimentaire.

Dans le tableau 3, on peut voir la corrélation entre la population urbaine et la production vivrière, le rendement par hectare, le taux de déboisement et la consommation de bois. On observe que la population a doublée en 15 ans mais que le rendement par hectare et les cultures vivrières restent plus au moins constants. On constate que pour une population deux fois plus grande, la production vivrière est restée identique.

159 Tableau 3 : Urbanisation et dégradation de l’environnement au Burundi

Source : ISTEEBU (2008), Base de données pour les indicateurs du DHD 2006, Bujumbura

Ces phénomènes s’accompagnent d’une déforestation, d’une pollution de l’eau et de l’air, d’une perte de la biodiversité, d’une dégradation de la terre ainsi que d’une perturbation de l’ensemble des systèmes agro-écologiques. En raison de la surexploitation de la terre, la population exploite de plus en plus les ressources produites par la forêt et la savane. Le défrichement des forêts et de la savane pour l’agriculture a causé la perte de nombreuses espèces animales. On y observe aussi la déforestation pour des fins énergétiques ou d’exploitation, ainsi que des feux de forêts et de la chasse illégale. Comme le montre le tableau 3 la consommation du bois de feu a plus que doublé en moins de 15 ans, ce qui va de pair avec le taux de déboisement qui croît d’année en année.

On peut conclure que l’accroissement fulgurant de la démographie au Burundi et au Rwanda est un frein au développement et augmente le niveau de pauvreté de ces pays. La surpopulation amplifie plusieurs facteurs, tels que : faible niveau de productivité, faible qualification de la population, mauvaise gestion agricole, et dégradation de l’environnement.

Ces facteurs agissent par eux-mêmes et s’amplifie par leurs interactions afin de former un cercle vicieux. Le cercle vicieux de la pauvreté provient du fait que les populations sont peu éduquées et sont soumises à l’insécurité alimentaire, elles exploitent de plus en plus de terres

160 en raison de la forte croissance démographique. Cela réduit la fertilité de la terre. En conséquence, le taux de natalité reste élevé car l’exploitation de ces terres peu fertiles requiert plus de main d’œuvre en raison de la faible productivité due entre autres aux techniques rudimentaires utilisées. Ce processus à pour effet d’aggraver l’insécurité alimentaire.

3.4. Point de vue de Christian de Duve

Dans son livre intitulé : « Génétique du Péché Originel : le poids du passé sur l’avenir de la vie », notre illustre Prix Nobel de médecine, Christian de Duve examine les menaces qui pèsent sur l’avenir de l’humanité et les mesures qui pourraient être prises pour les prévenir. Il expose des moyens techniques pour pallier certaines des déficiences qui se profilent à l’horizon, telles, par exemple, la crise de l’énergie ou la pénurie d’eau. Toute cette analyse se fait de son point de vue de biologiste. Il cherche ainsi à trouver les causes profondes de notre situation critique actuelle avec l’espoir qu’une compréhension plus claire et une prise en compte plus efficace de ces causes pourront nous aider à affronter les menaces de l’avenir d’une manière plus rationnelle et plus constructive que cela n’a été fait jusqu’à présent.

Nous abordons le livre de Christian de Duve dans ce travail car il est en lien direct avec notre sujet d’analyse. Au terme de son ouvrage, l’auteur débouche en effet sur la conclusion simple et claire que, nous citons : « nous sommes trop nombreux sur Terre, aucune solution ne pourra jamais réussir si nous n’arrivons pas à réduire l’expansion démographique ». Il déclare dans le ‘scenario 7 : contrôler l’expansion de la population’ que tous les maux dénoncés au fil de son livre sont causés, directement ou indirectement, par le fait que nous sommes trop nombreux sur Terre. L’inexorable allure exponentielle de l’expansion démographique devait nécessairement mener un jour à une crise mondiale. « Malthus l’avait prévu il y a deux siècles. C’est arrivé aujourd’hui » dit-il.

Nous allons parcourir les principales idées soutenues au fil de cet ouvrage.

Tout d’abord, l’auteur critique l’attitude prise par l’Église catholique au sujet de l’accroissement de la population. En effet malgré le fait que la démographie poursuit son ascension, le pape Benoit XVI, a à nouveau réitéré en octobre 2008 sa condamnation inflexible de la limitation volontaire des naissances par des moyens autres que l’absence de rapports sexuels durant la période fertile du cycle féminin. Ainsi, comme le relate l’auteur, le chef spirituel de plus d’un milliard de personnes s’abstient encore aujourd’hui dans une

161 situation si critique pour déclarer moralement justifié, sinon recommandable ou même obligatoire, de s’opposer à l’augmentation de la population par tous les moyens raisonnables compatibles avec la santé et la dignité humaines. Ch. de Duve encourage ainsi les fidèles à ne pas suivre l’interdiction papale et de suivre au contraire la voie la plus raisonnable qu’est celle de limiter le nombre d’enfants par famille au moyen de méthodes contraceptives efficaces.

Ensuite, il aborde les possibilités de réduire, d’une manière ou d’une autre, la natalité. Il propose d’abord des méthodes telles que la stérilisation volontaire, l’abstinence de rapports sexuels et aborde aussi la voie de l’homosexualité- bien que cette dernière ne peut être recommandée. Il déclare ensuite que les procédés les plus efficaces et les plus performants pour réduire le nombre d’êtres humains restent la contraception et, aussi précocement que possible, l’interruption volontaire de grossesse, y compris sa forme préventive, la « pilule du lendemain ». « C’est par de tels procédés que l’humanité peut mieux s’opposer à l’expansion démographique. Ils sont autorisés plus ou moins libéralement dans de nombreux pays. Mais cela ne suffit pas. Ils ne devraient pas être simplement tolérés : ils devraient être encouragés ».

C’est avec ce dernier précepte qu’il termine son ouvrage : la limitation des naissances doit être encouragée, et son contraire, être sanctionnée, par des mesures financières et fiscales. L’auteur insiste sur le fait que les pouvoirs politiques, avec l’appui du plus grand nombre d’autorités morales, prennent activement position en faveur d’une limitation stricte des naissances et encouragent celles-ci par un nombre substantiel d’avantages et de pénalisations. On ne peut dépasser le nombre de deux enfants par couple, en moyenne, pour que la population ne fasse simplement que ne pas augmenter. Ses idées deviennent très concrètes. Il veut que tous moyens contraceptifs (préservatifs, stérilets, diaphragmes, pilules, etc.) soient mis gratuitement à la disposition de toute personne en âge de procréer, ainsi que l’aide médicale nécessaire pour une interruption de grossesse- sous certaines conditions bien définies. « Les allocations familiales devraient être limitées au premier enfant. À partir du troisième, un impôt, croissant avec le nombre d’enfants supplémentaires, pourrait même être prélevé. […] Des mesures devraient également être prises pour favoriser la stérilisation volontaire à grande échelle, surtout chez les progénitures qui risquent de dépasser le ‘quota’ autorisé ».

Pour conclure, Ch. de Duve admet ouvertement que les mesures qu’il préconise auront un effet choquant dans nos sociétés qui ont toujours placé l’enfant au centre de ses préoccupations. Les mesures se heurteront certainement à toutes sortes de difficultés

162 politiques, sociales, légales, économiques et autres mais l’auteur répète à nouveau qu’il faut s’incliner devant la logique des chiffres. Si nous ne faisons rien, nous nous abandonnons à la sélection naturelle, avec toutes les conséquences désastreuses que cela implique. Certaines de ses propositions peuvent évidemment être modifiées par des autorités plus compétentes, mais l’idée principale restera la même : la limitation des naissances doit impérativement être encouragée.

3.5. Les solutions

Ayant à présent analysé la situation démographique du Burundi et Rwanda et ayant parcouru les multiples conséquences négatives qui découlent de cette explosion démographique, il est clair qu’il est grand temps d’agir. Cette croissance démographique inquiétante ne fera que se poursuivre dans les années à venir et le rythme de croissance ne ralentira pas si aucune action n’est prise. Il faut donc impérativement réfléchir aux mesures à prendre et mettre en place une politique démographique ferme pour contrôler ce phénomène.

Dans cette partie, nous nous pencherons sur la diminution, d' une part, du taux de natalité et du taux de mortalité, d' autre part. Nous allons nous focaliser sur les solutions possibles pour diminuer et réduire cette explosion démographique. Augmenter l’espérance de vie et réduire le taux de mortalité, bien que faisant partie intégrante- et importante- d’une politique démographique nationale, ne fera pas l’objet de notre analyse. Notons aussi que nous discuterons du Burundi et du Rwanda séparément dans un premier temps et ensuite simultanément lorsque nous analyserons les solutions possibles car ces dernières seront valables pour les deux pays.

Les multiples conséquences néfastes décrites ci-dessus répondent clairement à la question du « pourquoi » faut-il réagir. Nous devons maintenant nous pencher sur les questions suivantes:

- Quelles mesures ont déjà été implémentées par les deux pays ? Sont-elles efficaces ?

- Qui agit à présent et qui devra agir ? Quels acteurs devront se charger de résoudre le problème ? A quel niveau : international ou national ? National ou local ?

- Comment allons-nous agir à présent? Quelles mesures devons-nous prendre ? Quelle sera la manière la plus efficace pour s’attaquer à ce problème ?

163 3.5.1 Qu’est-ce qu’une politique démographique ?

Avant de répondre à ces questions nous devons définir le terme ‘politique démographique’. Étant donné que toutes les mesures et solutions décrites ci-dessous pivotent autour de ce terme, il est utile de savoir en quoi il consiste précisément. La politique démographique d’un pays peut être ainsi définie comme « l’ensemble des actions prises, de façon implicite ou explicite, par les autorités publiques afin d’éviter, postposer ou s’adresser à des déséquilibres entre des changements démographiques d’un coté, et les objectifs sociaux, politiques et économiques de l’autre ». Ces politiques démographiques sont généralement préparées en vue d’atteindre un bien commun général et sont censées résoudre les possibles problèmes démographiques en ajustant la taille de la population en fonction des besoins et des aspirations de la population. Le débat autour de la question si oui ou non les autorités publiques devraient intervenir dans ce domaine est sans fin. Pendant la deuxième moitié du vingtième siècle il y a eu d’énormes désaccords entre les malthusiens et les marxistes, c’est-à- dire entre les partisans d’une intervention proactive dans le domaine démographique et ceux qui prônaient une approche de laissez-faire. Nous sommes amenés à penser qu’aujourd’hui les partisans de la première catégorie sont majoritaires, surtout dans les pays que nous examinons dans notre rapport de session.

L’implémentation de politiques démographiques peut se faire dans un pays sous trois formes : (i) un planning au développement, qui définit les objectifs socio-économiques, (ii) un planning familial, qui s’adresse directement à la fertilité pour diminuer l’accroissement de la population ; et (iii) une politique démographique nationale, qui intègre les données du problème démographique dans tous les secteurs (politique sociale, campagnes de sensibilisation, etc.). Dans ce travail nous n’allons cependant pas faire une distinction rigide entre ces trois formes car elles peuvent facilement se chevaucher.

3.5.2 La politique démographique au Rwanda face à l’accroissement de la population

3.5.2.1 L’évolution du taux de prévalence contraceptive (TPC)

Le principal problème auquel le Rwanda a dû – et auquel il doit encore- faire face était le très faible taux d’utilisation de méthodes contraceptives. Suite au génocide, l’utilisation de méthodes contraceptives avait drastiquement diminué, le TPC était passé de 13% en 1992 à 4% en 2000. Selon les statistiques recueillies par l’USAID lors des Enquêtes

164 Démographiques et de Santé (EDS) et par le Projet-DELIVER malgré le fait que ces taux ont fortement augmenté depuis 2000 ils restent faibles. En 2005 l’utilisation de méthodes contraceptives parmi les femmes mariées était de 17% et de 10% pour toute méthode moderne c’est-à-dire la pilule et les injections contraceptives. Les taux sont plus élevés dans les quartiers urbains par rapport aux espaces ruraux (21% contre 9%) et parmi les femmes éduquées (29% pour les femmes avec une diplôme d’enseignement secondaire ou plus élevé contre 6% pour les femmes non-éduquées).

www.newsecuritybeat.org/2011/11/building-commitment-to-family-planning-rwanda/#.UlGKHlPZut8

3.5.2.2 Quelles mesures ont été prises afin de réduire la natalité ?

Afin de parvenir à réduire la natalité plusieurs initiatives ont été mises en place au fil des années. Ces initiatives sont toutes liées, directement ou indirectement, à une politique démographique, et plus précisément à la mise en place de plannings familiaux et de politiques démographique nationales. Bien que le premier planning familial fut mis en place dès 1962, nous retracerons les développements de la politique démographique seulement après la fin du génocide et cela de façon très sommaire.

En 1997, l’Office National de la Population (ONAPO) mène une enquête sur les attitudes et stratégies à suivre concernant la population au Rwanda. Elle est active à plusieurs niveaux : (i) sensibilise la population à la nécessité d’un planning familial, (ii) fournit des moyens contraceptifs, (iii) offre des services de planning familial dans des centres médicaux et (iv) coordonne les efforts des autres agences privées et publiques à travers le pays. Quelques années plus tard, le Projet-DELIVER mis en place par USAID améliore la logistique des

165 méthodes contraceptives. En 2002 et 2003, le gouvernement crée le Réseau des Parlementaires Rwandais pour la Population et le Développement (RPRPD) et le Ministre de la Santé signe la première loi concernant un programme national de Santé de la Reproduction qui vise aussi entre autres à améliorer la qualité des services de santé. En 2005, l’organisation PSI (‘Population Services International’) commence formellement un planning familial : ils travaillent avec le secteur privé et au niveau local et l’année suivante ce planning familial national est poursuivi et implémenté par le Département de la Santé Rwandais. De nombreuses organisations internationales ont continué à soutenir cette nouvelle politique de planning familial: le Fonds des Nations Unies pour la population ou UNFPA » soutient financièrement six districts et poursuit ensuite en offrant des formations aux employés locaux. Enfin une Stratégie sur le Développement économique et la diminution de la pauvreté est publiée et insiste sur l’importance du planning familial et définit comme objectif 70% de TPC.

La combinaison de toutes ces initiatives a résulté en l’augmentation du taux d’utilisation de méthodes contraceptives. Un élément important qui a aussi permis au succès de ces initiatives est le soutien du gouvernement dans toutes ces initiatives depuis 2006. Le gouvernement a en effet reconnu la nécessité d’agir dans ce domaine : les politiques menées n’ont donc pas été simplement imposées par des agents extérieurs, elles ont été au contraire reconnues et fortement soutenues de l’intérieur. Cela marque une forte différence avec l’attitude prise par les dirigeants dans le passé : auparavant le gouvernement avait une vision peu claire des objectifs à atteindre au long terme et cela rendait le processus législatif lent et menait à une faible application des législations. Les politiques démographiques étaient en effet souvent le résultat de fortes pressions extérieures : elles n’étaient peu ou pas initiées par le gouvernement lui-même. L’organisation « Futures Group » a été très importante à cet égard. Lors d’une présentation en 2005 l’organisme a présenté le model RAPID afin de montrer de façon claire et explicite les conséquences d’une trop forte croissance démographique. Avec ce modèle RAPID, les parlementaires rwandais constatèrent que les objectifs de réduction de pauvreté ne pourraient tout simplement pas être atteints avec de fortes augmentations de population, et que la réduction de la fertilité- de par l’instauration de planning familial- était essentielle.

Le Président Kagamé et son gouvernement sont ainsi conscients que l’accroissement démographique doit être estompé. Le Président a déclaré qu’un planning familial était une priorité nationale. Le Ministre de la santé a ensuite ajouté que « le planning familial est notre première priorité- non pas juste au niveau théorique, mais surtout au niveau de son

166 implémentation ». Ces déclarations sont un grand pas en avant pour le Rwanda compte tenu des fortes barrières sociales et culturelles qui ont empêché ce genre de politique dans le passé. Après le génocide tant de familles avaient en effet perdu quelqu’un qui leur était cher que le gouvernement n’osait pas invoquer une politique familiale. De plus, la culture africaine est fort ‘pronataliste’ fortement influencée par l’Eglise catholique, par opposition à une politique d’espacement des naissances. Par exemple, lors d’un mariage le toast traditionnel encourage le couple nouvellement marié « à être fructueux ; ayez de nombreux fils et filles ».

3.5.3. La situation au Burundi face à l’accroissement de la population

Le Burundi, contrairement au Rwanda, a pris plus de temps à mettre en place des mesures pour s’attaquer au problème démographique. Les nombreuses interventions mises en place chez leurs voisins Rwandais par des acteurs nationaux et internationaux pour augmenter le taux d’utilisation de moyens contraceptifs- et ainsi réduire la fertilité- ne trouvent pas d’équivalent au Burundi. Les mesures au Burundi sont malheureusement restées disparates et bien plus rares. Toutefois, très récemment des progrès se sont manifestés. Le gouvernement a par exemple fixé comme ambitieux objectif de réduire le taux de fertilité de 6.4 à 3.0 enfants par femme d’ici 2025 et simultanément d’augmenter le TPC de 20 à 40%.

3.5.3.1 L’évolution du taux de prévalence contraceptive (TPC)

Le Burundi est pourtant face au même problème que ses voisins rwandais et une intervention rapide est également tout aussi nécessaire. Ici aussi malgré le fait que le TPC est estimé avoir progressé de moins de 10% en 2006 (selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement ou PNUD) à environ 20% en 2009, ce taux reste trop faible. Avec un tel taux une diminution drastique de la fertilité n’est pas possible. Malgré ces pourcentages encore fort bas, deux aspects encourageants sont à souligner ici : d’une part le TPC rural est environ égal au TPC national, un phénomène rare dans la région sub-saharienne, et d’autre part il y a un rythme de croissance constant du TPC de 2 à 3 % par an.

167 Tableau 4 : Le pourcentage de prévalence contraceptive au Burundi parmi les femmes entre 15 et 49 ans (étude menée par la Banque mondiale en 2010)

http://www.tradingeconomics.com/burundi/contraceptive-prevalence-percent-of-women-ages-15-49-wb-data.html

3.5.3.2 Quelles mesures ont été prises afin de réduire la natalité ?

La mise en place d’une politique démographique est un sujet qui est resté longtemps tabou au Burundi et reste difficilement abordable au niveau politique pour de raisons historiques. Le traumatisme causé par plus de dix ans de guerre civile entre Hutus et Tutsis a marqué une halte à toute discussion relative à la population et cela pendant plus de vingt ans. Tous les problèmes relatifs à la population et à la santé reproductive ont été négligés et il n’y a ainsi presque aucune mesure concrète qui a été mise en place.

Notons par exemple que la dernière collecte de données de la population au niveau national date de 1987 et que, malgré le fait qu’il y en ait un nouveau sondage en cours actuellement, ces résultats seront probablement peu fiables. Face à cette absence de données, il est difficile de mettre en place des mesures pour s’atteler au problème. Ensuite, malgré la publication en 2007 de la Politique Nationale de la Santé de la Reproduction, élaborée en collaboration avec l’UNFPA, il n’y a pas eu une implantation sérieuse de ce document. Dans d’autres pays voisins où pareils documents ont été rédigés ceux-ci ont aussi été très peu suivis.

Le seul progrès en cours que nous constatons à présent serait la prise de conscience progressive du gouvernement de la nécessité de réagir. Il faut impérativement augmenter le

168 TPC et réduire l’explosion démographique. Bien que le gouvernement il y a quelques années, et encore aujourd’hui, n’a pas tout à fait reconnu le fait que l’accroissement de population est un sérieux frein, parmi d’autres, à la réalisation d’une croissance économique durable, certains indices portent à penser qu’ils progressent.

D’abord, le gouvernement Burundais parle souvent au public de l’urgence de s’atteler à ce problème démographique par une diminution du haut taux de fertilité. En 2010 le gouvernement a publié la « vision Burundi 2025 » qui s’attarde dans son cinquième pilier sur le problème de la démographie. Dans ce rapport le Burundi reconnaît que si rien n’est fait dans le moyen et long terme sa situation démographique explosive portera un sérieux coup de frein au processus de développement socio-économique du pays. Après une brève analyse des conséquences néfastes, il est admis qu’il faut mettre en place ‘une politique démographique agressive’ afin de limiter le taux de croissance démographique à 2% à l’horizon 2025. En vue d’atteindre cet objectif- qui notons-le est pour le moins très ambitieux - le Burundi opte pour la mise en place « d’une politique volontariste par l’élaboration d’une stratégie agressive en partenariat avec les acteurs du développement socio-économique en particulier avec le support des confessions religieuses, de la société civile et des ONG ». Les rédacteurs poursuivent en déclarant « qu’un accent particulier sera mis sur l’information et l’éducation sur le planning familial et sur la santé de la reproduction. Il s’agira également de lever les obstacles sur les croyances et les tabous. L’éducation des jeunes fera l’objet d’une attention toute particulière […] ». Ces belles déclarations n’ont malheureusement toujours pas abouti en des actions concrètes : son implantation se laisse encore attendre.

Le gouvernement a poursuivi dans sa lancée avec la Déclaration de la Politique démographique nationale en 2011. Il a poursuivi en 2012 avec la finalisation du Cadre Stratégique de Croissance et de Lutte contre la Pauvreté 2011-2015 qui intègre les stratégies Pop/RH parmi ses mesures clés pour atteindre les objectifs de réduction des taux de natalité.

Les chefs religieux ont eu aussi reconnu l’urgence de s’adresser aux problèmes démographiques (Déclaration de Gitega, décembre 2010) malgré le fait que l’Église catholique (62% de la population est catholique ainsi qu’un cinquième de tous les centres médicaux) a souvent exprimé ses doutes à propos de la promotion des moyens de contraception moderne.

169 3.5.4 Les mesures ont été prises afin de réduire la mortalité

La diminution de la mortalité passe par l'amélioration des soins de santé. Le Burundi et le Rwanda doivent reconstruire au plus vite leurs systèmes de santé endommagés par les conflits.

Les points prioritaires sont les suivants :

- La réduction de la mortalité maternelle et infantile : cela passe par une assistance lors de l'accouchement ainsi que par des soins prénatals et de visites postnatales. Le faible taux d'accouchements ayant bénéficié d'une assistance qualifiée et le très faible accès aux soins obstétricaux aggravent le fardeau de la mortalité et de la morbidité maternelle et néonatale.

- La promotion de la santé, de la sécurité sanitaire des aliments et la protection d’environnement : il faut notamment augmenter les campagnes sur la vaccination des enfants et sur la nécessité de vivre dans un environnent sain.

- La lutte contre les maladies transmissibles et non transmissibles : la lutte pour la diminution voire l’éradication du paludisme, de la maladie du sommeil et le SIDA sont les enjeux primordiaux.

- L’amélioration de la performance du système de santé. : des plans d’assurance maladie sont mis en place, prévoyant la gratuité de certains soins.

Le profil épidémiologique du Rwanda et du Burundi reste dominé par les maladies transmissibles. La mortalité et la morbidité dues à ces affections sont aggravées par le haut niveau de pauvreté, le bas niveau d’éducation de la population ainsi que par les problèmes liés à l’insuffisance de l’eau, de l’hygiène et des systèmes d’assainissement adéquats.

Les maladies transmissibles les plus fréquentes sont le paludisme, le VIH et le SIDA, les infections respiratoires aiguës, les maladies diarrhéiques et la tuberculose. D’autres maladies apparaissent sous forme d’épidémies, telles que : typhus, choléra, rougeole et méningite.

170 Le paludisme est cité comme la première cause de morbidité et de mortalité au Rwanda et au Burundi. 4Les infections respiratoires sont la deuxième cause de morbidité et de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans. Les maladies épidémiques comme le choléra et les méningites sont devenues des menaces constantes, voire endémiques pour le choléra, sur les plaines bordant le lac Tanganyika. Si la détection rapide et les réponses aux épidémies sont en amélioration constante, des causes structurelles (vulnérabilité de la population, services de bases déficients) laissent penser que les épidémies vont continuer à sévir durant les prochaines années.

Beaucoup d’études et de projets sont réalisés, et des fonds injectés pour améliorer les soins de santé. Mais il résulte souvent que les communautés ont besoin d'être plus impliquées dans leur problème de santé et que les institutions de soins de santé doivent prendre place à un niveau plus local. Une attitude particulière doit être apportée aux personnes les plus vulnérables (les Batwas presque tous illettrés, les personnes affectées par le SIDA, les orphelins, les femmes victimes de violences sexuelles, les réfugiés). Il faut améliorer la connaissance et l’attitude vis-à-vis du SIDA : de larges couches de la population sont insuffisamment, voire pas du tout informées des causes du VIH, de la prévention et des risques et de l'importance d'entamer à temps un traitement. La stigmatisation des personnes atteintes du VIH demeurent un grand problème.

L’Agence Belge de Développement (CTB), est notamment active dans le secteur de la santé au Rwanda et au Burundi. Elle a participé notamment à la construction de laboratoires, de maternités et d’hôpitaux. Elle offre aussi un appui scientifique et met à disposition des assistants techniques experts en santé publique5. Au niveau local, la CTB noue des liens étroits avec le niveau opérationnel, à savoir les services de santé. Mais elle est aussi active au niveau central pour entamer un dialogue politique et institutionnel. Un des projets phares est le développement d'une assurance maladie, considérée à l'échelon mondial comme un des piliers d'un bon système de santé au Rwanda et au Burundi.

En dépit de récents progrès, le Rwanda se situe encore en dessous de la moyenne africaine des indicateurs de santé. Le Rwanda connaît une morbidité élevée associée aux troubles mentaux.

4OMC rwanda

5CTB Rwanda, Programme d'Appui institutionnel au ministère de la santé, phase IV (2010-2015)

171 La santé mentale est devenue une priorité nationale. La politique insiste sur le fait que les soins de santé mentale soient intégrés dans les soins de santé de base. 6 Le Rwanda, comme les autres pays de la sous-région, reste sous la menace de catastrophes naturelles ou provoquées par le comportement des hommes. La mortalité et la morbidité dues aux maladies, sont aggravées par les problèmes liés à l’eau et à l’assainissement, le haut niveau de pauvreté et le bas niveau d’éducation des populations. Le financement de la santé est à dominante extérieure mais les contributions du gouvernement et surtout des populations, à travers les mutuelles de santé, sont en nette progression.

Le Burundi connaît aussi un taux de mortalité élevé, compris entre 1,2 et 1,9 par 10 000 habitants jour, et le taux de mortalité observé chez les enfants de moins de 5 ans, qui est de 2,2 à 4,9 par 10 000 habitants/jour, restent supérieurs aux taux de mortalité attendus en situation d’urgence. Le taux de mortalité néonatale (114/1000 naissances vivantes) et celui de la mortalité maternelle (800-1300/100 000 naissances vivantes) dépassent les moyennes de la Région africaine7.

3.5.5 Les acteurs

Au Rwanda énormément d’acteurs sont impliqués pour mettre en place ces solutions. Non seulement il y a de nombreux ministères et de pouvoirs locaux impliqués, il y a aussi plusieurs ONG et acteurs internationaux engagés à l’aménagement d’une bonne politique démographique. Selon le livre World Population Policies : Their Origin, Evolution, and Impact, de John F. May, expert de la Banque Mondiale et alumni de la Conférence Olivaint de Belgique, l’engagement de ces nouveaux acteurs externes est une illustration du phénomène ‘d’internationalisation’ des problèmes de population. Cette internationalisation a commencé avec la mise en place d nouvelles institutions spécialisées dans le domaine il y environ une quarantaine d’années telles que : la Fédération Internationale des Planning Familiaux (FIPF), l’agence américaine pour le développement international (USAID) et le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA). Le phénomène s’est poursuivi par plusieurs conférences dont celles de Bucarest en 1974, au Mexique en 1984 et en 1994 au Caire qui ont fort

6http://www.unfpa.org/sowmy/resources/docs/country_info/profile/fr_Rwanda_SoWMy_Profile.pdf

7http://www.who.int/countryfocus/resources/ccsbrief_burundi_bdi_06_fr.pdf

172 médiatisé les thèmes et problèmes relatifs à l’accroissement de la population. La création d’agences de planning familial ainsi que le soutien et financement procuré aux agences gouvernementales déjà mises en place prouvent que les partenaires internationaux sont des acteurs cruciaux au Rwanda. La combinaison de l’engagement de ces acteurs externes d’une part et du réel soutien interne du gouvernement a été essentielle afin de rendre ces initiatives fructueuses.

3.5.6. Les interventions souhaitables pour le futur au Rwanda et au Burundi

Vu que la fertilité n’a toujours pas diminué de façon suffisante, les mesures actuellement en place au Rwanda restent défectueuses. Le Burundi quant à lui a besoin d’instaurer et mettre en place une nouvelle série de mesures pour s’attaquer à ce problème. Les solutions que nous proposons pour les deux pays sont les suivantes :

- La mise en place d’un programme de planning familial au niveau national, encore plus sérieux que celui en place aujourd’hui. Il faudra déléguer au Ministre de la Santé cette responsabilité et il faudra compter sur la conviction et la motivation de tout le gouvernement pour mettre un pareil planning national sur place. Grâce à cette délégation de pouvoir le Ministre pourra ainsi coordonner toutes les initiatives disparates actuellement en cours à travers le pays et promouvoir de façon plus efficace les services de planning familial et les rendre accessible à tous. Comme l’a correctement dit le Ministre de la Santé rwandais « si nous faisons ceci de manière ordonnée avec un suivi et une évaluation régulière des résultats nous atteindrons notre objectif. Si cela se fait de façon disparate, ce sera un effort gâché ». Le ministre et le gouvernement devront à cet égard définir les objectifs d’accroissement du TPC et de diminution de fertilité et mettre en place un suivi sérieux des mesures dès à présent ‘coordonnées’.

- Soutenir encore plus les initiatives qui ont été prouvées comme étant efficaces. Par exemple soutenir les formations à long terme, les initiatives aux niveaux des districts, etc.

- Pour que ces deux premières mesures puissent être mises en place il faudra tout d’abord sérieusement améliorer les statistiques disponibles relatives à la démographie dans tous ces aspects (les taux de fertilité par région, les taux de prévalence contraceptive, d’éducation sexuelle, etc.). Il est nécessaire, voire impératif, d’avoir ces

173 données et d’avoir des statistiques fiables afin de pouvoir prendre les bonnes décisions au niveau national. Il faut avoir des analyses plus rigoureuses des initiatives déjà en place pour pouvoir décider lesquelles il faut soutenir et lesquelles ne fonctionnent pas. L’état actuel des données statistiques et déplorable et doit absolument être amélioré.

- Il faudra lever des fonds afin de pouvoir acheter les produits contraceptifs. : avoir suffisamment de fournitures de moyens contraceptifs est indispensable pour une bonne politique démographique.

- Continuer à dialoguer avec l’Église catholique afin d’avoir son soutien- ou du moins ne pas avoir son opposition. Poursuivre cela à partir de ces déclarations de 2007 au Rwanda et celles de 2010 au Burundi.

- Mener une campagne de sensibilisation au niveau national afin de sensibiliser la population sur la nécessité des plannings familiaux.

- Inclure des cours d’éducation sexuelle et de santé dans toutes les écoles. Il a été en effet prouvé que les femmes éduqués avec un degré de l’enseignement secondaire ou plus avait nettement moins d’enfants que les femmes non-éduquées.

- Supprimer les barrières auxquelles font face les femmes dans le processus du planning familial (discriminations). Cela va de pair avec le renforcement du pouvoir des femmes dans la société et implique l’adoption de réformes législatives telles que : augmentation de l’âge légal de mariage, adoption de lois relatives aux successions qui ne désavantagent pas les femmes et adoption de Codes Familiaux qui garantissent l’égalité des droits et devoirs d’hommes et des femmes.

- Au Burundi en particulier, nous pouvons ajouter à cette liste de solutions proposées, la nécessité d’un soutien du gouvernement concernant toutes ces solutions. Malgré la conscientisation progressive des politiciens burundais face à ce problème, l’élite politique et les ministères concernés (surtout les ministères des Finances et de la planification économique, de Gouvernements locaux, de Genre et de la Promotion Familiale) n’ont toujours pas pris entièrement conscience de l’ampleur ni de la sévérité de la situation. Ainsi, en plus des solutions proposées ci-dessous pour freiner cette croissance inquiétante, l’une des étapes indispensables pour résoudre ce problème au Burundi sera de conscientiser et au final d’obtenir un sérieux soutien de son

174 gouvernement. Nous avons vu que cet aspect fut en effet primordial au Rwanda pour arriver à des résultats positifs. Il faut que le gouvernement lui-même soit convaincu par la nécessité d’agir et que le moteur des initiatives proviennent de l’intérieur du pays et non pas de pressions extérieures. Afin de sensibiliser le gouvernement l’on pourrait représenter le modèle RAPID (Ressource pour l’Analyse de la Population et son impact sur le Développement) par le groupe « Futures International » comme au Rwanda. Cela pourrait aider le gouvernement à mieux comprendre des conséquences à long-terme d’un accroissement de la population. Ces efforts devraient être destinés au Ministère des Finances car d’importantes implications fiscales sont en jeu.

A cet égard, le tableau suivant relatif à la comparaison du Rwanda et du Burundi est frappant.

http://rachelstrohm.com/category/2-places/rwanda/page/2/

175 4. Conclusion

Il est difficile pour des jeunes européennes de conclure sur un sujet touchant aussi intimement au cœur et aux valeurs d'un pays qu'elles n’ont pu que visiter brièvement sans y vivre.

Il est important de rappeler que la famille en Afrique garde un rôle primordial, c'est toujours l'agent social principal. De la famille dépend la formation de l'enfant et son futur qui est encore très conditionné par le niveau socio-économique de sa famille. L’unité familiale a aussi connu des évolutions, comme dans le reste du monde, tiraillée entre tradition et modernité. La coopération naturelle entre membres de la famille est aujourd'hui fragilisée par les migrations, l'urbanisation et la modernisation.

Il faut aussi prendre conscience de l'histoire de ces deux pays. Après tant de conflits tragiques, les gens aspirent à apporter la vie. Cela transparait dans le témoignage d'un membre de l'agence américaine USAID8 , nous citons: “ The government was shy to talk about family planning because so many families had lost loved ones ”. De plus, la culture a toujours été pro-nataliste. Le traditionnel toast lors du mariage encourage le jeune couple :“ Soyez féconds et ayez beaucoup de garçons et de filles”. De plus, l’Église catholique est une voix critique et une barrière au planning familial.

Malgré ce contexte, il est reconnu que la diminution de la démographie est capitale. Il s’agit d’une priorité nationale. La planification familiale permet le développement du pays ainsi que la réduction de la pauvreté.

Tous les acteurs doivent être impliqués, non seulement les gouvernements, mais aussi les administrations compétentes, les églises, les ONG et tous les corps intermédiaires. Cette diversité est souhaitable mais nécessite une réelle vie démocratique. De plus, il faut instaurer entre les différents acteurs une coordination. Ces programmes doivent conjuguer de façon cohérente les moyens directs et indirects. L'offre des services est certes indispensable mais l’élévation du niveau d'éducation de la population et ses conditions de vie le sont aussi. En particulier, il faut insister sur les campagnes d'information, de sensibilisation et d’éducation en particulier.

8 United States Agency for International Development

176 L'évolution du rôle de la femme est nécessaire. Elle doit passer d’un statut où elles n'étaient reconnues que selon leur capacité à fournir une famille et à prendre soin de la maison, où elles n'étaient connues que comme « mère de », « femme de » vers une émancipation. La place de l’enfant se verra aussi modifié en améliorant la politique de santé et en diminuant le nombre d'enfant par famille. A terme, la politique de population modifiera les conditions de vie des ménages.

Conclusie

Het is moeilijk voor jonge Europeanen om een conclusie te brengen over een onderwerp dat zo nauw verbonden is met het hart en de waarden van een land dat ze konden alleen maar bezoeken.

Het is belangrijk te onthouden dat de familie in Afrika een centrale rol behoudt, het is nog steeds de belangrijkste sociaalagent. De vorming van het kind is sterk afhankelijk van de familie en zijn toekomst is nog steeds bepaald door het sociaaleconomisch niveau van de familie. De familie-eenheid heeft ook veranderingen ondergaan, zoals in de rest van de wereld, verscheurd tussen traditie en moderniteit. Natuurlijke samenwerking tussen familieleden wordt nu verzwakt door migratie, verstedelijking en modernisering.

We moeten ook bewust zijn van de geschiedenis van deze twee landen. Na zoveel tragische conflicten, willen mensen opnieuw leven geven. Dat blijkt uit het getuigenis van een lid van het agentschap USAID: “The government was shy to talk about family planning because so many families had lost loved ones”. Daarnaast, is de cultuur altijd pronatalist geweest. De traditionele toast op de bruiloft moedigt het jonge paar, als volgt: 'Wees vruchtbaar en heb veel jongens en meisjes. "Bovendien, is de katholieke kerk een kritische stem en een hinderpaal voor gezinsplanning.

Een afnemende bevolking is een absoluut prioriteit. De familie planning leidt tot de ontwikkeling van het land en de vermindering van de armoede.

Alle spelers moeten betrokken worden, niet alleen de overheid, maar ook de bevoegde autoriteiten, kerken, NGO's en alle tussenliggende personen. Deze diversiteit is wenselijk, maar vereist een echte democratie. Bovendien, een coördinatie moet vastgesteld worden

177 tussen de verschillende actoren. Deze programma’s moeten directe en indirecte middelen combineren op een coherente manier. Het aanbod van diensten is zeker noodzakelijk, maar de stijging van het opleidingsniveau van de bevolking en hun levensomstandigheden zijn een prioriteit. We moeten bijzonderlijk de nadruk op voorlichtingscampagnes, onderwijs en bewustzijn plaatsen.

Een verandering in de rol van de vrouw is nodig. De toestand van de vrouw, waar ze alleen erkend werden door hun vermogen om een gezin te voorzien en om te zorgen voor het huis en waar ze bekend werden slechts als "moeder", "vrouw van", moet evolueren tot emancipatie. De plaats van het kind zal ook worden aangepast door het verbeteren van het gezondheidsbeleid en door het verminderen van het aantal kinderen per gezin. Uiteindelijk zal de bevolkingspolitiek de levensomstandigheden van het huishouden verbeteren.

Conclusion (EN)

It is difficult for young Europeans to make a conclusion on a subject so intimately related to the heart and values of a country they could only briefly visit.

It is important to remember that the family in Africa plays a key role and is still the primary social agent. The formation of the child and its future depends entirely upon the family. It is still very much conditioned by the socio-economic level of the family. The family unit has also undergone major changes, as in the rest of the world, torn between tradition and modernity. Natural cooperation between family members is now weakened by migration, urbanization and modernization.

We must also be aware of the history of these two countries. After so many tragic conflicts, people aspire to bring life. This transpires in the testimony of a member of the USAID "The government was shy to talk about family planning because so many families lost loved ones." In addition, culture has always been pro-natalist. The traditional toast at the wedding encourages young couple "Be fruitful and have a lot of boys and girls." In addition, the Catholic Church is a critical voice and a barrier to family planning.

178 Even within that context, it is common accepted that the demography must decrease, it is a national priority. The national planning leads to the country development and a decrease of poverty.

Everybody must be involved, not just the government, but also administrations, churches, NGOs and all intermediate bodies. This diversity is desirable but requires a real democratic dynamic. In addition, coordination must be established between the different actors. These programs must combine coherently direct and indirect means. The rise of the educational level of the population and their living conditions are essential. In particular, emphasis should be put on information campaigns, awareness and education.

The changing role of women is needed. It must evolve from a status where they were recognized only by their ability to provide a family and take care of the house, where they were known only as "mother", and «woman" to emancipation. The status of the child will also change by improving health policy and reducing the number of children per family. Finally and ultimately the overall population policy will change the living conditions of households.

179 Bibliographie

– A. ADEPOJU, Family, population & development in Africa, Zed books, London, 1997

– GENDREAU F, La population de l’Afrique, Manuel de démographie, Karthala, Paris, 1993.

– Ministère du Plan, Enquête démographique et de santé du Congo, 2003, Brazzaville

– MAY J.F. & KAMURASEA., “Demographic Growth and Development prospects in Rwanda: Implications for the World Bank”, Kigali, June 2009. – MAY J.F., “Rapid Population Growth in Burundi: Implications for the World Bank”, Washington, October 2009. – MAY J.F. & GUENGAN J.P., “Africa’s greatest challenge is to reduce fertility”, in : The Financial Times. March 13, 2008.

– THIBION C., Histoire démographique du Burundi, Karthala, 2004.

– THIERRY A.F., “ Burundi : quand la sécurité alimentaire se heurte à l’élan démographique”, dans : NESE, n° 37, Janvier-Juin 2013, pp. 233-255

– 28 Septembre 2013, http://spip.idecburundi.org/IMG/pdf/note_de_veille_2.pdf, “ POPULATION, SECURITE ALIMENTAIRE ET ENVIRONNEMENT AU BURUNDI.

– 28 Septembre 2013, http://memenvi.ulb.ac.be/Memoires_en_pdf/MFE_02_03/MFE_Kayigamba_02_03.pdf, “IMPACTS DE LA CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE SUR LES RESSOURCES NATURELLES DU RWANDA : CAS DES MARAIS ET BAS-FONDS”.

– 15 Septembre 2013, http://www.afhdr.org/AfHDR/documents/HDR_FR.pdf, “ Rapport sur le développement humain en Afrique – 2012”.

– 27 Septembre 2013, www.prb.org, “World populations, trends”

– 15 Septembre 2013, http://www.bi.undp.org/index.php?option=com_content&view=article&id=529:quand-la- demographie-menace-la-securite-alimentaire-et-le développement&catid=39:actualités&Itemid=296, “Quand la démographie menace la sécurité alimentaire et le développement”..

180

La vie culturelle au Burundi et au Rwanda

Anne-Cécile Joris

Jean-Bruno van der Straeten

181

182 TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ...... 184 1. LA VIE CULTURELLE AU BURUNDI ...... 186 1.1. LES TAMBOURS ...... 186 1.2.1 Histoire ...... 186 1.2.2.Fabrication ...... 187 1.2.3. Représentation de l’anatomie féminine ...... 188 1.2.4.Rythme et chorégraphie ...... 188 1.2.5. Ce que nous avons vu ...... 188 1.2. LA RELIGION ...... 189

1.3. LE MARIAGE...... 189 1.3.1. Le déroulement ...... 189 1.3.2. La dot ...... 190 1.3.3. Les mariages clandestins ...... 190 1.4. LE MUSEE NATIONAL DE GITEGA ...... 191

1.5. LE DEFILE MILITAIRE ET CIVIL DE LA FETE DE L’INDEPENDANCE ...... 191

1.6. LA NOURRITURE ...... 192 1.6.1. Les boissons...... 192 1.7. CONCLUSION ...... 193 2. LA POLITIQUE CULTURELLE ...... 194 2.1. L'OFFRE CULTURELLE ...... 194 2.1.1. Le patrimoine immatériel ...... 195 2.1.2 Le patrimoine matériel ...... 195 2.1.3. L’industrie culturelle ...... 196 2.2. INTERVENTIONS PUBLIQUES ...... 197 2.2.1. Fondement ...... 197 2.2.2 La situation en Afrique ...... 199 2.2.3 Le cas du Burundi ...... 199 2.2.4 Le cas du Rwanda...... 200 2.3. VISION A LONG TERME ...... 202 3. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS ...... 204 4. BIBLIOGRAPHIE ...... 205

183 Introduction

“Une tradition culturelle ne disparaît pas, elle renaît sous d’autres formes. Les civilisations durent des millénaires, toujours.”

Francesco Alberoni

Avant d’entrer dans le vif du sujet, la culture au Burundi et au Rwanda, il convient de définir la notion culture en termes généraux. Ce concept est exceptionnellement vaste, il en existe pratiquement autant de définitions que d’auteurs qui ont travaillé sur ce sujet. Dans un souci de neutralité et d’objectivité au niveau de ce travail, il est sans doute approprié de se référer à la définition de l’UNESCO. La culture, “dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances”1.

Lors de notre session d’étude au Burundi et au Rwanda, nous avons pu percevoir rapidement les principaux points communs ainsi que les divergences majeures des cultures burundaise et rwandaise. Il a été rapidement évident que ces cultures se distinguent très nettement de notre vision “occidentale” des choses. Nous avons eu la chance de pouvoir le constater dans de nombreux domaines tels que les traditions, les relations sociales, les arts; c’est aussi le cas des moyens d’accès et de diffusion de la culture par exemple avec l’importance de la transmission orale en Afrique centrale.

La culture peut être vue comme une caractéristique fondamentale de chaque société. Si celle- ci rencontre une grande épreuve, la culture est aussi une base sur laquelle s’appuyer afin de se reconstruire et de renforcer l’identité nationale. Ainsi, la remise à l’honneur de la culture et des pratiques traditionnelles a joué un grand rôle dans l’instauration et le développement du Burundi et du Rwanda indépendant.

1 Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet – 6 août 1982.

184

Il est dès lors dommage qu’un patrimoine culturel riche et varié, ne puisse bénéficier des interventions publiques autant qu’il serait souhaitable dans divers domaines. C’est le cas des professions artistiques, généralement peu accessibles et parfois même ignorées. L’industrie culturelle non plus, n’est pas soutenue aussi intensément qu’il le faudrait alors qu’elle est un vecteur de développement à long terme.

Dans un premier temps, cette étude abordera le thème de la vie culturelle au Burundi (point 1.). Il faut préciser ici que, fort malheureusement, le Rwanda ne sera pas analysé dans cette partie du fait que la rédactrice de ce chapitre n’a malencontreusement pas pu accompagner la Conférence Olivaint au Rwanda. Dans un second temps, les politiques culturelles menées par le Burundi et le Rwanda seront décrites et analysées (point 2.). Enfin, dans un troisième temps, on conclura et formulera diverses recommandations (point 3).

185 1. La vie culturelle au Burundi

1.1. Les tambours

Les tambours du Burundi sont mondialement connus; c’est aussi sans doute, l’aspect culturel du pays le plus connu. Avant ils représentaient la légitimité royale et la pérennité de la nation. Ils ne sont donc pas que de simples instruments de musique, mais ils sont considérés comme des objets sacrés.

Dans le temps, ils n’étaient battus que pour le roi ou lors d’évènements importants du pays comme l’intronisation ou l’enterrement du souverain. Depuis l’indépendance du pays en 1962, les tambours résonnent pour des mariages, pour l’accueil d’autorités publiques, ou encore lors de la fête nationale.

1.2.1 Histoire

La légende du pays raconte ce qui suit2 : « Le roi fuyait: ses ennemis étaient à sa poursuite. Dans sa fuite il trouva un homme qui gardait ses vaches. Et toi, l’ami, lui dit-il, ne pourrais-tu pas m’aider à me cacher? L’homme accepta et appela son frère, ils vidèrent chez eux un grenier de sorgho et y cachèrent le roi. Bientôt les poursuivants survinrent. Et toi l’homme, demandèrent-ils, n’aurais-tu pas vu quelqu’un qui courait ? Je n’ai vu personne, répondit-il. Les poursuivants continuèrent leur chemin à la recherche du fuyard. Le roi alors sortit de sa cachette et on lui construisit un petit palais dans l’arrière-cour de l’enclos. Si vous voyez une femme qui me cherche, dites-lui où je suis. La reine en effet était à la recherche du roi. Elle rencontra ceux qui gardaient les vaches qui lui indiquèrent où se trouvait le roi. Elle était accompagnée de deux suivantes et de deux cuisiniers. C’est bien, dit le roi. Et elle s’installa. Alors arriva le tambour, celui qui accompagnait toujours le roi! Ses batteurs l’avaient recouvert d’une natte. A minuit, le tambour gronda et tous ceux qui étaient là poussèrent des cris de joie. Alors les princes de sang entendirent de quel côté résonnait le tambour. Les princes accoururent : le roi était là ! Le roi était vainqueur ! Le tambour résonnait ! On poussait des cris de joie ! Les princes pénétrèrent dans le palais et offrirent au roi des vaches

2 « L’origine du tambour », 23/10/2010, http://bujachangement.mondoblog.org/2010/10/23/l%E2%80%99origine-du-tambour-au-pays-des-tambours- sacres/

186 en hommage. Le roi dit : allez chercher des tambours et qu’ils battent ! » Fin de citation. Il existe différents types de tambours qui avaient tous une signification différente :

• Nyabuhoro : Ce tambour assurait la sécurité de tout le pays. Il était placé à la Cour Royale caché avec le plus de discrétion possible. Même celui qui veillait sur lui devait d’abord prêter serment pour sa fidélité, plutôt mourir que de le livrer ou de le montrer à qui que se soit, même au prince de sang et surtout à l’ennemi du pays. Le tambour était battu 3 fois par le roi lui-même la veille des semailles, pour donner un coup d’envoi aux autres tambours annonçant l’année agricole. Ce tambour sacré avait à ses côtés 6 petits tambours qui veillaient sur lui. Entre autre tâche, ce tambour devait annoncer la mort du roi. • Ruciteme : il assurait la protection du bétail à partir de la Cour Royale. • Murimirwa : il assurait la protection de l’abondance des récoltes. • Rukinzo : il accompagnait le roi lors de ses déplacements et servait à réveiller le roi ; et • Inajurwe et Inakigabiro : Ces tambours assuraient la protection du pays contre les maux de toutes natures. Il était le pilier de la Nation.

1.2.2.Fabrication

Le tambour se compose de deux éléments distincts: la caisse de résonnance et la peau sur laquelle le tambourinaire tape avec ses bouts de bois.

La caisse de résonnance est taillée dans un arbre spécial, l’Umuvugangoma cordia-africana, qui doit être âgé de 30 à 40 ans. Il est creusé jusqu’à la profondeur désirée, puis la caisse est polie. Ensuite, le tambour pourra être décoré. Un bandeau sera d’abord tracé au fer chaud sur la partie inférieure de la caisse et peut être la seule décoration du tambour; néanmoins, des couleurs sont souvent utilisées pour le décorer. Les couleurs sont le rouge, vert et blanc qui sont les couleurs du drapeau burundais. Pour mettre la peau, on perce une série de trous à intervalles réguliers dans lesquels on enfonce les chevilles taillées. On dispose la peau sur l’ouverture de la caisse après l’avoir découpée à une dizaine de centimètres du bord. On pratique à distance régulière trois incisions

187 qui forment une sorte de boutonnière, les chevilles étant placées dans celle-ci afin de tendre la peau au maximum. Deux lanières préalablement découpées dans la peau mais sans être détachées, contribuent à maintenir tendue la surface de frappe permettant une qualité sonore remarquable.

1.2.3. Représentation de l’anatomie féminine

Seuls les hommes ont le droit de battre le tambour.

Cependant, la femme est plus que représentée dans la culture du tambour. En effet, chaque partie du tambour représente une partie de l’anatomie féminine. Ainsi, les chevilles qui servent à tenir la peau sur le tambour représentent les seins, la caisse représente le ventre, le bandeau au fer chaud représente le cordon ombilical et le pied du tambour représente le pied féminin.

1.2.4. Rythme et chorégraphie

Les tambours ont des rythmes spécifiques: certains sont battus pour le rythme continu, d’autres pour suivre la cadence donnée par le tambour central. Le soliste utilise le tambour pour lancer un appel en direction des autres batteurs; les tambourinaires succèdent au tambour central.

Certains rythmes ont gardé leur signification traditionnelle. Plusieurs ont un rapport avec la vie rurale, celle des récoltes, hommage à la vache ou aux oiseaux. Les batteurs miment véritablement des scènes d’oiseaux, de récolte, etc.

Dans certains rythmes guerriers, le danseur, utilisant ses baguettes, fait le geste de se trancher la gorge ce qui atteste d’un dévouement absolu envers son pays. D’autres appellent à la reconnaissance de personnes importantes, louent la paix, ou l’unité nationale.

1.2.5. Ce que nous avons vu

Nous avons pu nous rendre compte que les tambours sont extrêmement présents au Burundi. Lors du défilé, du jour de l’indépendance auquel nous avons assisté, chaque fois qu’une personnalité importante arrivait, les tambours résonnaient. Ce jour-là, un des étudiants a parlé

188 avec un tambourinaire et celui-ci lui a confié avoir été en Afrique du Sud lors de la coupe du monde de football pour y battre le tambour. Ceci démontre bien à quel point les tambours du Burundi sont mondialement connus et reconnus.

Lors de notre trajet vers Gitega, nous nous sommes arrêtés dans un village réputé pour ses tambours; nous avons ainsi pu assister à un show de tambours d’une vingtaine de minutes.

1.2. La religion

Il y a plusieurs religions au Burundi: le catholicisme, le protestantisme et l’islam lesquelles représentent respectivement 60%, 5% et 10% de la population. Une petite minorité de la population pratique d’autres religions dites indigènes. Les droits de l’homme burundais laissent la liberté de choix d’une religion et l’abus est considéré comme une offense par le gouvernement Burundais.

Il y a plusieurs genres de messe au Burundi. A côté des offices classiques et sobres comme en Belgique, nous avons rencontré, lors de la marche avec les « Amis de la Montagne », des messes plus africaines comme nous l’imaginions. En effet, lors de cette marche, nous sommes passés à côté d’une église très simple dans un village, en bois. Cependant, l’architecture simple de l’édifice ne reflétait en rien l’ambiance qui régnait à l’intérieur: cela respirait la bonne humeur, avec des chants en Kirundi (langue bantoue parlée au Burundi) assortis d’applaudissements.

Nous sommes repassés 2 heures plus tard à côté de l’église, et la messe était toujours en cours.

1.3. Le mariage

La loi prévoit que seuls les époux âgés de 18 ans pour la femme et 21 ans pour l’homme peuvent se marier. Beaucoup de familles exigent que le couple provienne de la même ethnie. La famille tient aussi compte de la situation financière de l’homme.

1.3.1. Le déroulement

Les mariages au Burundi ont tous une tradition.

189 Tout d’abord lorsque deux personnes décident de se marier, la future mariée va en parler à sa famille en expliquant qu’elle a rencontré quelqu’un et qu’elle voudrait l’épouser. Elle aimerait, par ailleurs, que les familles puissent se rencontrer. Lorsque la famille de la fiancée accueille l’autre famille, le patriarche exprime, lors de son discours, qu’il ne connaît pas l’objet de la visite de l’autre famille. Cela a pour but d’inciter le futur marié à officialiser sa demande. Une fois, la demande faite, les discussions concernant la dot peuvent commencer. Une fois que cette dernière est fixée, les deux familles décident d’une date.

Le mariage se fait généralement dans la famille du gendre. Les familles accompagnent les mariés à la Mairie puis à la messe pour recevoir la bénédiction.

1.3.2. La dot

La dot est considérée comme un honneur pour ceux qui la reçoivent et comme une fierté pour ceux qui la donnent. La valeur de celle-ci n’est pas fixée et dépend essentiellement de la classe sociale de la famille du marié. Quelle que soit sa valeur, la communauté burundaise accorde une certaine considération à une femme dont la famille reçoit une dot ainsi qu’au mari dont la famille parvient à la payer. En échange de la dot, la famille qui la reçoit s’engage à offrir des cadeaux à l’autre famille.

La dot concernait auparavant des vaches: de 2 pour une famille normale à 10 pour un chef. Aujourd’hui, la dot se compte en argent.

De plus, aujourd’hui encore beaucoup de Burundais exigent que leurs filles soient dotées avant le mariage. Ils considèrent en effet la dot comme une “matérialisation de l’union établie entre deux familles alliées”. La négociation de cette dot incombe au père peu importe si c’est le garçon lui-même ou le père qui réunit l’argent.

On le comprend, le mariage n’est pas qu’une union entre deux êtres, mais aussi une union entre deux familles.

1.3.3. Les mariages clandestins

Malgré le fait que la dot soit ancrée dans la culture burundaise, beaucoup de couples se marient clandestinement afin d’éviter de devoir la payer car soit le marié ne sait pas la payer,

190 soit il considère la dot comme un achat.

1.4. Le musée national de Gitega

Le musée national qui se trouve à Gitega -une grande ville à quelques heures de route de Bujumbura- conserve les meilleures archives concernant l’histoire du pays. Le bâtiment est assez étonnant et le musée national fort petit pour ce qui est présenté comme le plus grand musée du Burundi ! Cependant, l’intérieur bien que petit, est assez complet et intéressant.

La première pièce abrite le sanctuaire du tambour burundais. Tant la création que la signification du tambour y sont expliqués. La deuxième pièce est le réel musée : toute la culture et l’histoire du pays y sont détaillées. De la présentation des animaux vivant sur le territoire à celle des différentes tribus en passant par l’exposition des instruments tant culinaires que militaires, le tout agrémenté de nombreuses photos destinées à donner une image plus précise du pays.

Ce musée est complet et riche mais fort modeste comparé à ce que nous verrions dans les pays occidentaux. Sa taille est pourtant cohérente : pour un pays si pauvre, avoir un très grand musée n’aurait pas cadré.

De plus, la culture en Afrique n’est pas la même qu’en Europe car elle se vit beaucoup plus en plein air comme la peinture et les sculptures qui chez nous prennent place dans de grands musées.

1.5. Le défilé militaire et civil de la fête de l’indépendance

Interminable, tel est le qualificatif donné par la RTBF sur le défilé militaire et civil qui avait lieu en 2012 pour fêter les 50 ans d’indépendance du pays. Que nos lecteurs se rassurent, cette année fut pareille…Présentée comme la délégation des étudiants belges, nous avons eu l’honneur de pouvoir assister au défilé à moins de 100 mètres du Président du Burundi Monsieur Pierre Nkurunziza.

Nous pensions que cela prendrait la matinée, pensant à notre cher défilé du 21 juillet. Cependant, au Burundi, il n’y a pas que les militaires qui défilent, il y a aussi toutes les

191 agences publiques : des balayeurs de rue aux banquiers en passant par les étudiants, tous les groupes de personnes ayant une relation quelconque avec l’administration publique défilaient devant des milliers de personnes. Leur but : montrer l’unité et la grandeur de ce pays. La journée fût aussi rythmée par les discours en langue Kirundi du président Burundais, un des vice-présidents ainsi que de ses homologues invités, à savoir le président du Rwanda, Monsieur Paul Kagamé, le premier secrétaire d’Etat de l’Angola et du président du Kenya, Uhuru Kenyatta.

1.6. La nourriture

Le premier contact que l’on a avec la nourriture burundaise se fait directement en rue. En effet, dans les grandes villes, on rencontre beaucoup de jeunes garçons ou de jeunes filles vendant des arachides (cacahuètes non salées) dans des petits sachets en plastique.

La nourriture consistante n’est pas des plus variée. Pour notre part, nous avons presque eu tous les jours du riz, des haricots, des frites et des bananes frites. Ce sont les mets les plus répandus dans le pays. Cependant, il y a beaucoup de plats typiques au Burundi, tels que : l’isombe (feuilles de manioc séchées) et les ilengalenga (sortes d’épinards). Ces mets typiques se retrouvent aisément dans tous les petits restaurants qui parsèment la ville. D’ailleurs ceux- ci fonctionnent généralement comme cantines.

En matière de viande, nous ne verrons jamais de viandes rouges dans ce pays qui la plupart du temps la saigne. Nous avons eu beaucoup à faire à de la chèvre, du bœuf et du poulet. Les brochettes grillées font aussi partie intégrante de la gastronomie burundaise : qu’elles soient à base de chèvre, de bœuf ou de poulet, il y en a dans presque tous les restaurants.

1.6.1. Les boissons

Ce n’est plus un secret pour personne ayant déjà été en Afrique. Les africains petits et grands en raffolent de tous les produits Coca-Cola Company, que ce soit du Coca-Cola ou du Fanta,. Cependant, la boisson la plus consommée au Burundi est la bière. Celle-ci se retrouve un peu partout et quand on la commande il y a toujours l’inévitable question « Votre bière, la voulez- vous chaude ou froide ? », et oui dans ce pays, la bière est davantage consommée à température ambiante (chaude) que froide comme chez nous.

192 1.7. Conclusion

La culture d’un pays ne se limite pas à de l’art théâtral ou musical. Elle est présente à travers les activités de tous les jours et traditions relatives à certaines étapes importantes de la vie.

Chaque jour lors de notre voyage nous avons été confrontés à un aspect culturel cité précédemment. Ce fut assez intéressant de voir la différence qu’il y avait entre la culture africaine et la culture belge.

193 2. La politique culturelle

Comme on a pu le constater dans la première partie de l’exposé, la vie culturelle a toujours compté beaucoup, tant au Burundi qu’au Rwanda. Historiquement, la culture, ses traditions et ses institutions remplissent une fonction essentielle. En effet, dans les sociétés traditionnelles, la culture d’un groupe joue nécessairement un rôle majeur, car elle est la structure de référence pour ses membres. La culture traditionnelle a été profondément bouleversée par la colonisation ; elle est vue à présent comme un moyen de lutter contre la crise de valeurs et d’identité que connaissent les Rwandais et les Burundais3. De plus, la culture est considérée au comme un vecteur d’émancipation vis-à-vis des influences externes, qui sont de plus en plus nombreuses à l’heure de la mondialisation.

Dans ce chapitre, nous allons procéder à une analyse politique et économique du secteur de la culture. Dans un premier temps, nous décrivons les différents secteurs culturels présents au Burundi et au Rwanda (section 2.1). On passe ensuite à une analyse des politiques culturelles de ces deux pays en les comparant et en les mettant en perspective dans le temps (section 2.2). Leurs gouvernements respectifs mènent des politiques particulières en la matière ; leurs visions à long terme sont enfin décrites (section 2.3).

2.1. L'offre culturelle

Outre la dimension globale de la vie en société que l’on retrouve dans la notion de culture, ce concept comprend aussi les différents secteurs de la vie culturelle. Limitons-nous aux plus importants d'entre eux. Avant tout, il convient de rappeler que les cultures burundaise et rwandaise sont très proches et toutes deux de tradition orale. Néanmoins il faudra tenir compte de leurs orientations propres.

Nous décrivons successivement la situation des patrimoines immatériels (2.1.1.) et matériels (2.1.2.) ainsi que le secteur de l’industrie culturelle (2.1.3.).

3 Edwige GBAGUIDI, Culture et gouvernance in Présence africaine, 2007/1-2 – 2008/1, n° 175-176-177, p. 502.

194 2.1.1. Le patrimoine immatériel

Le patrimoine immatériel est défini en ces termes par la convention de Paris relative à la sauvegarde du patrimoine immatériel, à savoir : « les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel; les arts du spectacle; les pratiques sociales, rituels et événements festifs; les connaissances et pratiques concernant la nature et l'univers; les savoir-faire liés à l'artisanat traditionnel. »4.

Les traditions et expressions orales occupent une place essentielle dans les deux pays. Au Burundi, les langues officielles sont le kirundi et le français. Au Rwanda se parlent l'anglais, le français et le kinyarwanda, langue bantoue L’on constate malheureusement un abandon progressif des langues traditionnelles au profit du français au Burundi ; cela s’explique notamment par l’influence importante de l’Organisation internationale de la Francophonie. Au Rwanda, le bouleversement est même plus intense vu l’ouverture du pays au Commonwealth.

Les arts du spectacle sont très populaires et largement développés dans ces pays. Il suffit de rappeler les tambourinaires (cfr supra) ou encore le festival Panafricain de la danse qui se tient à Kigali chaque année.

Il ressort d'études historiques que les traditions des pratiques sociales, des évènements festifs et de l’artisanat ont été profondément meurtries par la colonisation, le génocide, et actuellement par la mondialisation5.

2.1.2 Le patrimoine matériel

Par opposition au patrimoine immatériel, le patrimoine matériel « inclut les bâtiments et lieux historiques, les monuments et objets considérés comme valant la peine d’être préservés pour le futur. »6.

4 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Paris, 17 octobre 2003. 5 Julius ADEKUNLE, Culture and customs of Rwanda, Greenwood Press, Westport, 2007, pp. 6-10. 6 Delecia FORBES, Adapter la roue ; des politiques culturelles pour l’Afrique, Arterial Network, Le Cap, 2010, p.10.

195 Quant à la conservation du patrimoine archéologique et historique, l’offre reste relativement modeste. Au Burundi se trouve un nombre limité de sites tels que la résidence royale de Gishora, la pierre commémorant la rencontre entre le Docteur David Livingstone et Henri Morton Stanley, et les deux musées nationaux du Burundi, le Musée national à Gitega et le Musée du Vivant à Bujumbra. Au Rwanda, l’offre est plus étendue. Ainsi, les musées sont plus nombreux avec les musées national, d’histoire précoloniale, du génocide, des arts. Divers sites historiques sont aménagés pour les visites, surtout en commémoration du génocide. La question de la conservation du patrimoine architectural et urbanistique est bien entendu envisagée par les autorités publiques. Par exemple, diverses reconstitutions de sites traditionnels ont été réalisées (à Gishroa, Nyanza, etc.).

2.1.3. L’industrie culturelle

Ce secteur se définit par le fait que « d’un point de vue industriel, les activités culturelles sont des activités économiques à part entière, créatrices d’emploi et de valeur ajoutée, productrices de biens et de services »7.

Au Burundi, le secteur de l’industrie culturelle en est malheureusement toujours à un stade limité. Au Rwanda, la situation va un peu plus loin, notamment dans le domaine touristique. Même si ce secteur est depuis longtemps la cible d’interventions publiques, il existe également un certain nombre d 'acteurs privés. On les retrouve surtout dans la littérature et les arts plastiques, et en outre certains dans l’audiovisuel. Cependant, la production cinématographique n'est pas encore pratiquée à une échelle perceptible au Burundi, et il n’existe d'ailleurs pas de cinéma à Bujumbura. C’est la radio qui occupe la majeure partie du champ audiovisuel dans les deux pays.

7 X, Symposium sur les politiques, les stratégies et les expériences de financement de la Culture en Afrique, RAP/F.C/006 Rev. 1, 2000, Organisation de l’Unité africaine, p. 11.

196 2.2. Interventions publiques Les interventions publiques en matière culturelles s’avèrent dans de nombreux cas nécessaires ; elles se justifient pour différentes raisons (2.2.1.). Ensuite nous décrivons la situation générale sur le continent africain en ce qui concerne les politiques culturelles (2.2.2.). Troisièmement, nous analysons le cas du Burundi (2.2.3.) et enfin celui du Rwanda (2.2.4).

2.2.1. Fondement

L’Afrique est sens cesse confrontée à de nouveaux défis économiques, ethniques, religieux, démographiques, sociaux et autres. La culture a été de tout temps une source de solutions et un vecteur d’émancipation par rapport à ces problèmes.

Il y a un peu plus de 30 ans, à la conférence mondiale de Mexico sur les politiques culturelles, il y avait été notamment affirmé que « la culture constitue une dimension fondamentale du processus de développement et contribue à renforcer l’indépendance, la souveraineté et l’identité des nations (…) La culture est le fondement nécessaire de tout développement authentique. »8.

Ce constat se vérifie dans de nombreux pays émergents, même au niveau avancé atteint déjà par les membres du groupe dit des « BRIC ». En effet, ceux-ci ont utilisé leur culture non seulement pour déterminer une ligne de conduite dans leur progression économique et politique mais aussi pour favoriser le développement humain. En outre, il est de première importance de s'appuyer sur la culture afin de provoquer dans une société une évolution des mentalités effective, durable et adaptée. Le travail à fournir en ce sens est une condition essentielle pour qu’un pays passe du statut «tiers-mondiste » au statut de pays développé. Il apparait dès lors tout à fait nécessaire qu’un état souverain détermine une politique culturelle et se donne les moyens d’agir dans ce domaine afin de pouvoir réaliser ses objectifs même principalement socio-économiques. Il existe de nombreux arguments de nature politique,

8 U N E S C O, Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, Conférence Mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet – 6 août 1982, p. 1.

197 économique et sociale en faveur de l’intervention gouvernementale dans le secteur dans la culture. En voici quelques-uns.

Premièrement, on peut citer l’importance pour l’état de lutter contre les monopoles et oligopoles en matière de distribution culturelle. En effet, une situation monopolistique, même de la part des pouvoirs publics, serait de nature à limiter les possibilités d’accès en termes de quantité et aussi en termes de variété, donc de qualité.

Deuxièmement, l'absence d’intérêt et de soutien des pouvoirs publics est nuisible à l’innovation culturelle. Le risque est grand que les consommateurs réagissent d’une manière inappropriée, favorable superficiellement face aux produits avant-gardistes. Seuls seraient alors viables les produits culturels dont la rentabilité économique est avérée.

Troisièmement, il est inévitable que le patrimoine culturel se détériore au cours des générations. Si l’une d’entre elle ne prend pas le soin de le sauvegarder, c’est l’ensemble de la société future qui en pâtit. C’est pourquoi une intervention publique est nécessaire, non seulement pour débloquer les moyens matériels nécessaires mais aussi pour travailler à une prise de conscience dans la population.

Quatrièmement, l’absence d’un accès à la culture subventionné par la collectivité comporte un double risque. D’une part, à long terme, la culture ne serait ouverte qu’à une frange de la population favorisée, ayant déjà les moyens de se l’offrir. D’autre part, une telle fermeture ou manque de stimulation limitera ou inhibera la créativité de tout un chacun , ce qui est fort négatif pour la société dans son ensemble.

Enfin et cinquièmement, il est important que l’état mette en place des structures permettant d’initier la population à la culture et à l’art dans leurs aspects les plus divers. L’industrie culturelle en bénéficiera en retour puisque cela contribuera à créer un marché dans ces domaines.

Il faut évidemment nuancer ce propos dans la mesure où l’intervention publique emporte avec elle les inconvénients inhérents à l’exercice de la puissance étatique : corruption, politisation de la culture et de l’art, bureaucratie, etc. C’est pourquoi il faut prévoir une intervention, certes, mais en même temps l’encadrement et les garanties nécessaires à son bon déroulement.

198 2.2.2 La situation en Afrique

Malgré ces multiples raisons de grande portée, on constate qu'en général les politiques publiques en matière culturelle sont limitées en Afrique et les budgets alloués à celles-ci sont très faibles. Lors de leur indépendance, les pays africains ont fortement prôné la culture en tant que principe différenciateur par rapport aux colonisateurs. En dehors de ce contexte spécifique, la culture y est restée trop souvent marginalisée car, avec le temps, ce thème devient de moins en moins porteur politiquement. Le secteur de la culture passe donc très souvent au second plan. En Afrique, les budgets consacrés à la culture sont inférieurs à 1% du budget total9. Cela reste bien entendu très faible dans la mesure où beaucoup reste à faire. pour l'avenir.

Cette inadéquation touche aussi la répartition des compétences entre différents ministères concernés. Il est très rare qu’un ministère soit consacré spécifiquement à la culture. En règle générale, ces compétences sont rattachées à d’autres ministères déjà chargés du tourisme, de l’enseignement ou encore la jeunesse et les sports. Cela montre que la gestion et le développement de la culture ne sont pas envisagés comme des priorités.

Mais le Rwanda10 et le Burundi11 ont ratifié, eux, la convention de l’UNESCO relative à la sauvegarde du patrimoine immatériel. Cela prouve que leurs gouvernements respectifs accordent de l’importance à la culture et s’estiment concernés par la préservation et la mise en valeur de celle-ci.

2.2.3 Le cas du Burundi

C’est en 1976 que l’état burundais a créé un portefeuille ministériel spécifique à la culture. Actuellement, ces compétences sont gérées au sein du ministère des sports, de la jeunesse et de la culture. Concernant le budget consacré au poste de la culture, le Burundi se situe en

9 X, Symposium sur les politiques, les stratégies et les expériences de financement de la Culture en Afrique, RAP/F.C/006 Rev. 1, 2000, Organisation de l’Unité africaine, p. 16.

10Cfr supra, ratifiée le 21 janvier 2013 par le Rwanda, ratifiée le 25 août 2006 par le Burundi.

11

199 bonne position en comparaison avec les autres pays africains. Le budget alloué s’est toujours situé aux alentours de 1% du budget total de l’état.

Il faut souligner le rôle qu’a joué le génocide dans la politique culturelle définie par le gouvernement de ce pays. En effet, après 1994, les dirigeants burundais ont compris l’importance d’un retour aux valeurs culturelles traditionnelles. Ils ont alloué des ressources permettant d’organiser des cérémonies de commémoration et la mise sur pied d’institutions à même d'assurer le devoir de mémoire. En effet, depuis les accords d’Arusha en 2000, de nombreuses initiatives ont été prises par les autorités publiques pour aller vers une réconciliation plus profonde, vers, plus d’entente, plus de compréhension entre les différentes tendances.

Il faut souligner aussi les efforts récemment fournis par le gouvernement au point de vue de l’enseignement. Toutefois, ces actions paraissent rester trop limitées quant à la pratique du kirundi, tant écrite qu’orale. A titre indicatif, la production d’ouvrages en langue kirundi reste très faible.

2.2.4 Le cas du Rwanda

Avant le génocide en 1994, il n’existait pas, à proprement parler, de ministère rwandais ayant pour objet de gérer la culture. Celle-ci était à l’époque malheureusement victime d’une image négative : le régime politique en place l’assimilait historiquement à la monarchie, qui était elle-même très mal considérée. Le ministère qui s’occupait des affaires culturelles était alors le ministère de la Jeunesse et des Mouvements Associatifs.

Après le génocide, diverses compétences supplémentaires furent attribuées aux responsables des questions culturelles comme l’organisation des cérémonies concernant le génocide, les activités impliquées par le devoir de mémoire, ou encore la création et l’entretien des mémoriaux. C’est dans ce cadre qu’il fut décidé de transférer les compétences en matière de culture au ministère de la Jeunesse en 1997. Ce même ministère, qui avait été investi entretemps des compétences relatives au sport, fut scindé en 200812. Actuellement, le Ministère du Sport et de la Culture supervise 5 agences13 différentes qui appliquent sa

12 http://minispoc.gov.rw/index.php?id=8 (dans le site officiel du gouvernement rwandais) 13 1) L’institut des Musées Nationaux du Rwanda ; 2) La Bibliothèque et les Archives Nationales ; 3) La

200 politique culturelle. Comme au Burundi donc, il n’existe pas un Ministère de la culture à part entière.

Le Rwanda est en phase de reconstruction suite notamment à la forte régression économique. causée par le génocide . Cet évènement explique aussi en partie pourquoi le budget alloué à la culture est fort marqué par les dépenses visant à la réconciliation nationale. L’objectif est de lancer un mouvement culturel qui tende vers des valeurs universalistes mais surtout vers l’unité nationale. De même, les « gacaca », les juridictions mises en place pour juger les crimes commis pendant le génocide, ont été créées en tenant compte des particularités culturelles du Rwanda. C’est pourquoi leur fonctionnement se fonde sur le droit coutumier traditionnel.

A titre d’exemple, en 2000, la somme allouée à la culture représentait 0,2% du budget national14. Cette somme est confiée à la Direction de la Culture et des Arts, qui dépend du Ministère de la Jeunesse. Il y a lieu de préciser que ces 0,2% ne comprennent pas le montant octroyé au Musée National, qui fonctionne sous la forme d’une régie indépendante. Le tableau ci-dessous présente les postes principaux des dépenses budgétaires en matière culturelle.

Tableau 1 : Répartition du budget alloué au ministère rwandais de la culture en 2000

Arts plastiques (préfectures) 40 % Patrimoine 17 % Mise en place et organisation du Festival Panafricain de la Danse 10,6 % Promotion des activités du Folklore et du Ballet National 10,6 % Salaires du personnel administratif (sous statut et sous [?]contrat) 9 % Protection et mise en valeur du patrimoine culturel 4% Journée nationale de la commémoration du génocide 3% Académie Rwandaise pour la Langue et la Culture [cf note 11...] 3%

Commission Nationale pour la Lutte Contre le Génocide ; 4) L’Académie Rwandaise pour la langue et la culture ; 5) La Chancellerie des Héros, des Ordres Nationaux et des Décorations honorifiques. 14 X, Symposium sur les politiques, les stratégies et les expériences de financement de la Culture en Afrique, RAP/F.C/006 Rev. 1, 2000, Organisation de l’Unité africaine, p. 22.

201 Achats d’ouvrages 1% Appui à la recherche scientifique 0,5% Frais de mission à l’intérieur du pays 0,2% Autres : Commission du Mémorial du Génocide et des Massacres. Montants for- Mémoire du [?]Génocide [ce dernier mot seul ne va pas] faitaires en plus Source : Organisation de l’Unité africaine.

2.3. Vision à long terme

Au Burundi, les dirigeants politiques affirment leur volonté d’accroître la place de la culture. Dans son projet « Burundi 2025 »15, le ministère du Plan et du Développement Communal envisage la politique culturelle selon plusieurs axes principaux. Le premier met l’accent sur le changement des mentalités, qui est considéré par les Burundais comme une condition essentielle au succès de cette politique. Le second axe est le développement du secteur de l’industrie culturelle. Le troisième concerne la valorisation du patrimoine culturel. Cela passe notamment par une politique de promotion du kirundi, langue fortement marquée par une tradition orale mais trop souvent absente de l’expression écrite. Le tableau suivant contient les estimations des financements impliqués par la réalisation de la politique culturelle du Burundi selon les axes exposés ci-dessus pour les années comprises entre 2012 et 2015.

Tableau 2 : Répartition du budget burundais alloué au développement culturel (2012 - 2015)

15 Ministère du Plan et du Développement Communal, Programme des Nations Unies pour le Développement au Burundi, Juin 2011, p. 20.

202

Notons que les financements prévus dans ce tableau restent encore à trouver dans leur majorité. Au Rwanda, la vision à long terme de la politique culturelle du gouvernement a été décrite en 2008 dans un document intitulé « Policy on Cultural Heritage »16. La vision décrite dans celui-ci ne diffère pas tellement de celle du Burundi. Le Rwanda a pour ambition de promouvoir la culture et l’héritage culturel afin de créer une identité nationale et des valeurs fondamentales propres au Rwanda. Par-là, le gouvernement rwandais espère contribuer à la réduction de la pauvreté, notamment par un changement des mentalités et un développement de l’industrie de la culture.

16 Ministry of Sport and Culture, Policy on Cultural Heritage, Rwanda, September 2008.

203 3. Conclusions et recommandations

Lors de la session d’étude de la conférence Olivaint de juillet 2013, les participants ont pu constater que, dans ces deux pays, les réalités culturelles tiennent énormément à cœur à la population. Les Burundais et les Rwandais sont généralement très fiers de leurs traditions.

Nous avons aussi pu constater que les dirigeants se montrent le plus souvent très désireux de soutenir fortement le développement culturel de leur pays. Mais malheureusement, les fonds manquent qui sont nécessaires d’une part à l’accès de l’ensemble de la population à la culture et d’autre part au développement de celle-ci. En général, la moitié de ces fonds doivent être trouvés à l’étranger, comme par exemple dans la coopération multilatérale. On constate néanmoins une amélioration sensible de la situation au Rwanda alors qu’au Burundi le développement culturel progresse à un rythme nettement plus lent.

Les défis restent donc considérables. Il faudra les relever en passant par une revalorisation et un développement du patrimoine. Il sera essentiel de travailler sur une meilleure gestion et redistribution des fonds publics en faveur d’une diversification des activités culturelles et de sa promotion à l’étranger, dont le financement pourrait devenir plus important de ce fait. De plus, la promotion de l’industrie culturelle permettra de contribuer à la diminution de la pauvreté dans le pays, en augmentant la création d’emploi dans ce domaine. Par ailleurs, pour préserver l’originalité de ces cultures, il semble nécessaire de promouvoir activement les langues traditionnelles qui, à l’époque de la mondialisation, sont trop souvent marginalisées par rapport au français et à l’anglais.

Conclusies en aanbevelingen

Tijdens de studiereis van de Olivaint Genootschap in juli 2013 mochten de deelnemers vaststellen dat in beide landen de culturele werkelijkheid erg veel van harte zijn bij de bevolking. Burundesen en Rwandesen zijn in het algemeen heel trots op hun tradities.

Wij konden ook vaststellen dat de regerende kringen zeer dikwijls voordelig blijken te zijn om de culturele ontwikkeling sterk te ondersteunen. Maar heel spijtig ontbreken de financiële middelen die nodig zijn enerzijds voor de toegang van de bevolking tot de cultuur en anderzijds voor de ontwikkeling ervan. In het algemeen moet de helfte van deze middelen in

204 het buitenland worden gevonden, bv. bij de multilaterale samenwerking. Men stelt niettemin een gevoelige verbetering van de toestand in Rwanda vast terwijl de culturele ontwikkeling in Burundi op een duidelijk langzamer tempo naar voren treedt.

De uitdagingen blijven dus omvangrijk. Men zal ze moeten weer tot bloei brengen via een herwaardering en ontwikkeling van het erfgoed. Het zal fundamenteel zijn een beter beheer en herverdeling van de openbare fondsen te bewerken ten voordele van een diversificatie van de culturele activiteiten en van de promotie in het buitenland waaruit de financiële tussenkomst daardoor belangrijker zouden kunnen worden.

Bovendien, zal de bevordering van de culturele nijverheid kunnen meewerken aan de vermindering van de armoede binnen het land met een stijging in het scheppen van banen in dat domein. Anders, om de eigenheid van deze culturen te beschermen, blijkt het noodzakelijk te zijn actief de traditionele talen te ondersteunen; in onze tijdperk van globalisering, zijn ze immers te dikwijls op zijde gezet t.o.v. het Frans en het Engels.

Conclusion and recommendations

During the Study Session of the Olivaint Conference in July 2013, participants noticed that in both countries cultural realities are important for populations. Burundians and Rwandans are very proud of their own typical traditions.

Moreover we have noticed that leaders are more and more willing to help the cultural development of their country. Unfortunately, funds are still crucially lacking .We notice nevertheless a sensible amelioration of the situation in Rwanda whereas in Burundi the cultural development progresses at a slower pace.

Challenges are still big. It will be essential to work on better management and redistribution of the public money in favor of a diversification of the cultural activities and its promotion abroad. Moreover, promoting the cultural industries will contribute to the decreasing of the poverty in the country by raising the employment in this field.

To preserve the originality of those cultures, it seems necessary to actively promote traditional languages which, at the time of globalization, are too often seen as marginalized compared to French and English.4. Bibliographie

205 4. Bibliographie

Première partie :

Image de la femme au Burundi ,Gad Ndayiragije, https://www.duo.uio.no/bitstream/handle/10852/24422/Gad-master-30-08-11.pdf?sequence=1 Le mariage traditionnel au Burundi, Heliane Niteka (2013) http://travail02.wikispaces.com/Heliane+Niteka Le Burundi fait étalage de son unité et de la force militaire, RTBF, 2012, http://www.rtbf.be/info/monde/detail_le-burundi-fait-etalage-de-son-unite-et-de-la-force- militaire?id=7798078 Le mariage civil, coutumier ou religieux, http://familleafricaine.over-blog.com/article- 6221504.html Les tambourinaires au Burundi, http://voyage.e-monsite.com/pages/au-burundi/les- tambourinaires-du-burundi.html Population, Langue et Religion au Burundi, http://diakadi.com/afriquedelest/pays/burundi/infos/pop.htm

Deuxième partie :

Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Paris, 17 octobre 2003. Delecia FORBES, Adapter la roue ; des politiques culturelles pour l’Afrique, Arterial Network, Le Cap, 2010, p.10.

Edwige GBAGUIDI, Culture et gouvernance in Présence africaine, 2007/1-2 – 2008/1, n° 175-176-177, p. 502.

Etounga MANGOUEELLE, L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ?, Editions Nouvelles du Sud, Paris 1990.

Julius ADEKUNLE, Culture and customs of Rwanda, Greenwood Press, Westport, 2007, pp. 6-10. Historique du ministère des Sports et de la Culture disponibles sur le site http://minispoc.gov.rw/index.php?id=8 (site officiel du gouvernement rwandais) Ministère du Plan et du Développement Communal, Programme des Nations Unies pour le Développement au Burundi, Juin 2011, p. 20.

Ministry of Sport and Culture, Policy on Cultural Heritage, Rwanda, September 2008.

206 Philippe NTAHOMBAYE, Gaspard NDUWAYO, Identity and Cultural Diversity in Conflict Resolution and Democratization for the African Renaissance: The Case of Burundi, African Journal on Conflict Resolution 7, no. 2 (2007). U N E S C O, Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, Conférence Mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet – 6 août 1982, p. 1. • X, Symposium sur les politiques, les stratégies et les expériences de financement de la Culture en Afrique, RAP/F.C/006 Rev. 1, 2000, Organisation de l’Unité africaine, p. 11.

207

208

Le voisinage de pays turbulents et déstabilisateurs (RDC, Rwanda)

Bernard Morlet

209

210 TABLE DES MATIERES

Introduction 213 Partie 1 : Les acteurs de la région 215 Section 1 : La République démocratique du Congo 215 Section 2 : Les Forces armées de la République démocratique du Congo 216 Section 3 : Le Rwanda 216 Section 4 : Les Forces démocratiques de libération du Rwanda 217 Section 5 : Les milices Maï-Maï 217 Section 6 : Le Mouvement du 23-Mars 218 Section 7 : L’Angola 218 Section 8 : La MONUSCO 219 Partie 2 : Les raisons de la guerre 220 Section 1 : Les raisons historiques 220 §1 : De l’indépendance au années 90 220 §2 : Ethnicisme et territoires 221 §3 : La démocratisation du Rwanda 221 §4 : Les conséquences du génocide du Rwanda 222 §5 : La première guerre du Congo (1996-1998) 222 §6 : La deuxième guerre du Congo (1998-2002) 223 §7 : Conflits récents 224 Section 2 : La recherche de la sécurité 224 Partie 3 : L’action du Rwanda en République démocratique du Congo 226 Section 1 : Les liens entre le Rwanda et le M23 226 §1. Soutien logistique 226 §2. Soutien matériel 226 §3. Apport de nouvelles recrues 226 Section 2 : La position officielle du Rwanda 227 Section 3 : Les crimes du M23 228 §1. Recrutements forcés 228 §2. Intimidations et menaces 228 §3. Exécutions sommaires et mauvais traitements des recrues 229 §4. Meurtres et viols 229 §5. Travaux forcés, pillages, et extorsions 229

211 Partie 4 : Les ressources naturelles congolaises 231 Section 1 : La situation politique 231 §1. La corruption 231 §2. Le Rwanda 231 Section 2 : L’implication des grandes puissances dans le conflit 232 §1. Le coltan 232 §2. L’implication des multinationales 233 §3. La législation américaine 233 §4. Le Rwanda : un Etat criminel ? 233 Partie 5 : L’action de l’ONU au Kivu 234 Section 1 : Compétences et législations internationales 234 Section 2 : Bilan de la MONUSCO 234 Partie 6 : Développements récents 236 Section 1 : Vers un accord de paix ? 236 Section 2 : Scission du M23 236 Conclusion 238 Conclusie (NL) 239 Conclusion (UK) 240

Bibliographie 241

212 Introduction

S’il existe bien une région du monde où la mort et la désolation règnent depuis des décennies, c’est la République démocratique du Congo, et plus particulièrement le Nord-Kivu. Contrairement à d’autres évènements spectaculaires ou à des guerres suscitant l’intérêt et la compassion de l’opinion publique, mais bien plus limités en terme de coût humain, les crimes commis au Congo ne suscitent que peu d’indignation et ne font pas l’objet d’une couverture médiatique très importante. Les grilles de lecture et les catégories à appliquer au conflit en République démocratique du Congo sont à ce point différentes de celles auxquelles nous sommes habitués en Europe que la compréhension est considérablement compliquée pour les profanes. Il en résulte une méconnaissance importante de l’opinion sur les tenants et aboutissants de cette guerre complexe à laquelle ni les Etats africains, ni les puissances occidentales, ni mêmes les organisations internationales n’arrivent à mettre un terme ou influencer sensiblement le cours. Quelles sont causes de ce conflit qui pousse les Africains à s’embourber dans une guerre atroce dont personne n’entrevoit la fin ? C’est à cette question que nous essaierons de répondre en passant en revue différents aspects de la question qui combinés permettent les tenants et aboutissants de la situation. Dans un premier temps, nous passerons en revue tous les acteurs jouant un rôle dans le conflit actuel. Acteurs étatiques, armées étatiques, groupes rebelles, influences extra-africaines, il est important de connaître leur histoire et leur poids dans la région pour considérer le rôle réel qu’ils jouent et de quelle manière. Dans un deuxième temps, nous analyserons les raisons de la guerre. D’abord en faisant un bref mais utile rappel historique, expliquant l’enchainement des évènements qui a conduit aux évènements que nous connaissons aujourd’hui. Ensuite, nous aborderons la question de la recherche de la sécurité entre pays Africains qui conduit parfois ceux-ci à mener des actions violentes contre des Etats qu’ils considèrent comme constituant de potentiels adversaires. Dans une troisième partie, nous nous pencherons sur l’action du Rwanda en République démocratique du Congo. Le Rwanda est souvent stigmatisé comme étant le pays responsable du conflit du Kivu. Nous verrons dans quelle mesure cela peut lui être attribué et dans l’affirmative, quelles en sont les causes. Quatrièmement, nous analyserons l’action de l’ONU en Afrique. Expression de la

213 communauté internationale, nous examinerons l’impact de la MONUSCO en République démocratique du Congo. Dans une dernière partie, nous examinerons les évènements les plus récents concernant le M23 et quelles sont les perspectives pour cette région.

214 Partie 1 : Les acteurs de la région

L’appréhension de ce type de conflit est complexe pour les occidentaux habitués à des guerres d’Etat à Etat. Le conflit dont il est question diffère de ce à quoi nous sommes habitués en ce qu’il comporte en plus des puissances étatiques, des groupes armés rebelles qui ne se revendiquent pas d’un Etat ou d’une idéologie particulière. Les groupes rebelles, dont le plus influent est le M23, sont souvent manipulés quand ils ne sont pas totalement contrôlés par des Etats étrangers. La dimension ethnique joue également un rôle non négligeable dans le déroulement des évènements, les querelles passées et les différends non résolus sont des moyens efficaces pour les monter les uns contre les autres. Un dernier élément à prendre en considération, est la présence de la MONUSCO, mission de l’ONU dans la région, présente depuis un grand nombre d’années. Il est donc nécessaire de commencer par une présentation sommaire des différents acteurs de la région pour comprendre la dynamique du conflit.

Section 1 : La République démocratique du Congo

La République démocratique du Congo (RDC) a obtenu son indépendance en 1960. Elle est composée de 65,71 millions d’habitants et de plus de 200 groupes ethniques, majoritairement bantous. 50% de la population est catholique, 20% est protestante, 10% kimbanguiste, 10% est musulmane, et les 10% restants sont composés d’autres groupes religieux plus petits. Le PIB par habitant est de 271,97 US $. La République démocratique du Congo est le quatrième pays d’Afrique le plus peuplé et le premier pays francophone africain1. Le pays est dirigé par Joseph Kabila, ayant succédé à son père suite à son assassinat. La République démocratique du Congo est un des pays les plus pauvres du monde. Malgré l’augmentation de l’espérance de vie, l’amélioration de l’enseignement et l’augmentation du revenu par habitant, il reste le dernier pays du monde avec le Niger au classement de développement humain publié par l’ONU2. Le pays est en guerre depuis de nombreuses années, l’autorité de l’Etat est en déliquescence

1 http://data.worldbank.org/country/congo-dem-rep 2 http://data.worldbank.org/country/congo-dem-rep; M. DUFOUR, « Le génocide Rwandais, un facteur d’instabilité au Congo », Fundação Getulio Vargas, 2010, p. 18.

215 totale dans certaines parties du pays et l’économie est largement criminalisée3.

Section 2 : Les Forces armées de la République démocratique du Congo

Les Forces armées de la République démocratique du Congo, ou FARDC, constituent l’armée officielle de la République démocratique du Congo. Elle compte 129 000 hommes. Elle combat le M23 et tente de faire respecter l’autorité de l’Etat congolais dans la région où il sévit. Elles sont soupçonnées par certains d’être infiltrées par des agents Rwandais4. Elles contrôlent certaines exploitations de minerais dans la région du Kivu5. Le mode de vie des soldats et le fonctionnement de l’armée rend celle-ci très inefficace. Les soldats vivent dans de très mauvaises conditions et leur solde est peu élevée (38 US € par mois) quand elle n’est pas détournée par les officiers. Lorsque l’armée congolaise part en mission, elle se déplace avec les familles des militaires. Une tradition qui n’a plus cour en Europe depuis l’armée gauloise. Manquant d’espace, les familles s’entassent dans des camps surpeuplés où pullulent les maladies6. Composée d’anciens bandits désœuvrés et d’individus souvent cassés par l’alcool, l’armée congolaise est incapable d’assurer la sécurité de la population. Elle s’est rendue coupable de nombreuses exactions à l’encontre des civils congolais, commettant pillages et viols sans jamais en être inquiétés7.

Section 3 : Le Rwanda

Le Rwanda a obtenu son indépendance en 1962. Le pays est composé de 11 millions d’habitants et est divisé essentiellement entre deux groupes ethniques : les Hutus et les Tutsis. Malgré le développement récent des services financiers, le Rwanda reste un pays pauvre : le PIB par habitant est de 584 US $ (la moyenne en Afrique sub-saharienne était de 1,345 US $

3 M. DUFOUR, ibidem, p. 19. 4 B. MUSAVULI, « Guerre RD Congo – Rwanda : A qui la faute? », 26 août 2013, http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/guerre-rd-congo-rwanda-a-qui-la-140018 5 R. POURTIER, “Le Kivu dans la guerre : acteurs et enjeux”, EchoGéo, 3 novembre 2013, p.5. 6 T. COLOMA, “Vestiges de guerre”, Le Monde, 30 novembre 2012, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/11/30/congo-rdc-vestiges-de-guerre_1797395_3212.html 7 T. COLOMA, ibidem.

216 en 2012)8. Le Rwanda est actuellement dirigé par le FPR, Front patriotique rwandais et présidé par Paul Kagamé. Le Rwanda est un petit pays relativement peu développé ne disposant pas des ressources naturelles considérables mais a néanmoins une visibilité internationale9.

Section 4 : Les Forces démocratiques de libération du Rwanda

Les Forces démocratiques de libération du Rwanda ou FDLR sont un groupe armé issu des Forces Armées Rwandaises et des miliciens interahamwe, deux groupes armés hutus qui participèrent activement au génocide de 1994. Ayant fui le Rwanda après le génocide, ils s’installèrent dans des forêts du Kivu sans que les autorités congolaises ne cherchent à les déloger. Ils ont plusieurs fois servi de prétexte au Rwanda pour intervenir en République démocratique du Congo lorsque cela lui paraissait nécessaire. Ces anciens militaires sont alors devenus les FDLR en 2000 et ont prêté plusieurs fois main fort aux forces armées congolaises lorsque celles-ci combattaient le CNDP de Laurent Nkunda10. Les FDLR sont approvisionnés en armes et en munitions par l’armée congolaise et se financent par le contrôle des ressources minières du Kivu. Bien qu’il ait souvent été question de désarmer et de rapatrier les militaires des FDLR, cela n’a jamais abouti à rien de concret, leur présence servant aux différents belligérants comme alibi11.

Section 5 : Les milices Maï-Maï

Les milices Maï-Maï sont des groupes d’autodéfense apparus en 1964 et resurgis dans les années 1990 à cause de la situation chaotique du pays. Ils sont indépendants à l’origine, mais facilement instrumentalisés. Ils ont combattu aux côtés de plusieurs groupes armés, ils sont pour l’instant alliés au FARDC12.

8 http://data.worldbank.org/country/rwanda 9 R. POURTIER, op. cit., p. 6. 10 R. POURTIER, ibidem, p. 5. 11 R. POURTIER, ibidem, p. 5. 12 R. POURTIER, ibidem, p. 5.

217 Section 6 : Le Mouvement du 23-Mars

Le Mouvement du 23-Mars, plus connu sous le nom de M23 est une milice rebelle composée de mutins de l’armée congolaise. Leur nom provient des accords du 23 mars 2009 qui est un accord de paix signé entre le CNDP et la République démocratique du Congo. Le général dirigeant le CNDP fut arrêté quelques mois plus tôt et le mouvement fut transformé en parti politique. Le militaires composant le CNDP rejoignirent l’armée congolaise, mais furent rapidement soupçonnés de contrôler le trafic de minerai dans la région du Kivu. Ils furent alors mutés dans d’autres régions. Ces derniers, estimant que les accords du 23 mars 2009 n’étaient pas respectés se mutinèrent et formèrent ainsi le M2313. Sont également à prendre en compte la volonté du Rwanda à garder le contrôle sur la région du Kivu dans la création du M23 ainsi que la décision de la Cour pénale internationale d’extrader Bosco Ntaganda. Accusé de nombreux crimes de guerre il s’est finalement rendu aux autorités le 18 mars 2013.14

Section 7 : L’Angola

Parmi les voisins de la République démocratique du Congo et du Rwanda se trouve l’Angola. Ce pays où les Tutsis trouvèrent fréquemment refuge et dont ils se servirent comme point d’appui est aujourd’hui un des adversaires du Rwanda dans la région15. L’Angola, économique plus importante que ses voisins due à ses richesses pétrolières, peut se permettre de soutenir la République démocratique du Congo à qui elle fournit des avantages économiques. Il apparaitrait également que des militaires Angolais soient présents au Kivu. Il s’agit d’un moyen pour l’Angola de mettre un frein aux ambitions du Rwanda et de maintenir son influence dans la région16.

13 http://www.globalwitness.org/node/8139 14 http://www.opendemocracy.net/opensecurity/michel-thill/la-crise-du-m23-et-lhistoire-de-la-violence-dans- lest-du-congo 15 R. POURTIER, op. cit., p. 6. 16 R. POURTIER, ibidem, p. 6.

218 Section 8 : La MONUSCO

La MONUSCO est la Mission de l’Organisation de Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo. Elle a succédé à la MONUC et est composée de plus de 20 000 hommes17. Par la résolution 1925 (2010), l’ONU a renouvelé la mission qui avait été confiée à la MONUC. Selon l’ONU, « La MONUSCO est autorisée à recourir à tous les moyens nécessaires pour mener à bien son mandat concernant, entre autres, la protection des civils, du personnel humanitaire et des défenseurs des droits de l’homme immédiatement menacés de violence physique, ainsi que le soutien du Gouvernement de la République démocratique du Congo dans ses efforts de stabilisation et de consolidation de la paix »18. Elle est la plus importante mission qu’ait faite l’ONU19.

17 http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/monusco/background.shtml 18 http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/monusco/mandate.shtml 19 R. POURTIER, op. cit., p. 5.

219 Partie 2 : Les raisons de la guerre

Chercher le casus belli pour comprendre la guerre du Kivu comme on le ferait traditionnellement pour appréhender un évènement historique est une mauvaise approche. Les causes de la guerre sont multiples et demandent de prendre en considération les différents acteurs présentés plus haut.

Section 1 : Les raisons historiques

Parmi les nombreuses raisons du conflit, se trouvent des raisons qui tiennent à l’histoire partagée du Congo et du Rwanda. Des effets tantôt voulus, tantôt le fait du hasard ont mené les deux pays voisins à connaitre les conflits que nous connaissons aujourd’hui.

§1 : De l’indépendance aux années 90 Suite à l’indépendance du Congo en 1960, le pays connut une longue période d’instabilité au cours de laquelle, notamment, la région minière du Katanga (avec l’appui de la Belgique) ainsi que celle du Sud Kasaï firent sécession. Les puissances occidentales appuyèrent les mouvements sécessionnistes dans le but de défendre leurs intérêts dans les régions minières. En 1965, lorsque le risque apparut que le pays ne tombe dans la sphère d’influence de l’URSS, les puissances occidentales aidèrent Joseph Mobutu à accéder au pouvoir. Le régime kleptomane maintint la stabilité du pays jusqu’au début des années 9020. A la fin de la guerre froide, le Congo perdit son intérêt pour les puissances occidentales. Ils incitèrent alors le Congo à réformer ses institutions politiques et à se démocratiser. Mobutu, ne voulant pas perdre le pouvoir, eut l’idée de jouer sur les antagonismes ethniques, de diviser pour régner, dans le but de se maintenir au pouvoir21. Dans l’est du pays, dans la région limitrophe du Rwanda, des tensions éclatèrent entre les habitants parlant le kinyarwanda et les autres Congolais. Les évènements tragiques de 1994 eurent pour conséquence l’arrivée massive de réfugiés hutus, ce qui ne fit qu’aggraver les antagonismes ethniques préexistant22.

20 M. DUFOUR, op. cit., p. 14. 21 M. DUFOUR, ibidem, p. 14. 22 M. DUFOUR, ibidem, p. 16

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§2 : Ethnicisme et territoires Avec la colonisation belge du Congo, deux systèmes parallèles de gestion des terres apparurent. Le premier était le système traditionnel basé sur les liens existant entre un territoire et une ethnie. Le deuxième, qui fut apporté par les belges, prévoyait que les terres non exploitées revenaient à l’Etat et pouvaient être vendues aux particuliers. Les colonisateurs belges instaurèrent un statut traditionnel pour les Banyarwandas, ayant fui le Rwanda. Après l’indépendance, les statuts traditionnels disparurent et le Banyarwandas achetèrent les propriétés qu’ils possédaient en vertu du second système. En 1981, Mobutu les déchut de leur nationalité ce qui les mit dans une situation délicate où ils furent propriétaires au Congo alors qu’ils n’avaient même plus la nationalité. Les terres devinrent alors un enjeu politique et une radicalisation ethnique apparut. En 1993, un climat de violence émergeât, des milices apparentées à chaque clan s’affrontant. Le clivage ethnique entamât même les Banyarwandas lors du génocide de 199423.

§3 La démocratisation du Rwanda Aussi contradictoire que cela puisse paraître, le passage vers la démocratie voulu par les colonisateurs peu avant leur départ fut l’un des éléments qui contribua à causer le génocide de 199424. En Afrique, les peuples sont constitués d’ethnies, parmi lesquelles se trouvent des peuples moteurs qui a travers constituent une élite. Ce n’est donc pas la logique démocratique qui amène les individus au pouvoir, mais la puissance d’un groupe ethnique. Au Rwanda, c’est l’ethnie Tutsie qui a fondé et maintenu le Rwanda. Il constituait l’élite dirigeante et lorsque les Hutus prirent le pouvoir, les Tutsis furent de plus en plus considérés comme des étrangers et des envahisseurs. C’est là que les persécutions commencèrent pour les Tutsis. Ce mouvement encouragea les dirigeants hutus congolais à échauffer les esprits des Hutus contre les Tutsis dans le but de les exclure du pouvoir. La fracture ethnique du Rwanda qui conduit au génocide eut entre autre pour conséquence qu’un afflux massif de Hutus rwandais craignant des représailles s’enfuirent vers le Kivu25.

23 M. DUFOUR, ibidem, p. 24 M. DUFOUR, ibidem, p. 25 M. DUFOUR, ibidem, p. 15.

221

§4 : Les conséquences du génocide du Rwanda Des milliers d’Hutus arrivèrent au Congo grâce à l’opération Turquoise qui mit en place un corridor humanitaire pour mettre un terme au génocide. Ceci permit également aux génocidaires de s’enfuir du Rwanda. Après le génocide, d’importantes sommes d’argent affluèrent en provenance de la communauté internationale. Une partie de l’argent servit aux extrémistes hutus qui l’utilisèrent pour renforcer leur autorité sur les populations civiles. Avec la collaboration des Forces Armées Zaïroises, ils utilisèrent aussi cet argent pour armer les milices et former les anciens génocidaires. L’aide qui devait être distribué aux personnes déplacées passait d’abord dans les mains d’anciens cadres du régime qui l’amputaient partiellement à des fins militaires26. Des alliances se mirent alors en place entre les groupes ethniques préexistant au Congo et les réfugiés rwandais. Ainsi, les Hutus rwandais s’allièrent avec les autres Hutus vivant déjà surplace. Ceux-ci étant en conflit avec les Maï-Maï Hunde et Nyanga, furent plus en capacité de se défendre. Les Hutus et les groupes ethniques adverses se mirent à s’attaquer aux Tutsis dans le but d’accaparer leurs terres et leur bétail27.

§5 : La première guerre du Congo (1996-1998) Depuis l’arrivée de réfugiés hutus, un climat de tension régnait au Congo. Les camps de réfugiés étaient contrôlés par les extrémistes hutus et les groupes armés. Celles-ci, en plus de s’attaquer aux populations tutsies, commentaient des attaques au Rwanda dans le but, à terme, de le reconquérir28. Avec la montée en puissance des groupes hutus au Congo, le Rwanda et le Burundi prirent peur. Les extrémistes hutus se mirent alors à attaquer l’ethnie des Banyamulenges. En 1996, ceux-ci contrattaquèrent les camps hutus avec l’aide du Rwanda et du Burundi. Le Rwanda se servit de cette occasion pour intervenir directement en territoire congolais. Les buts poursuivis par le Rwanda au travers de cette intervention étaient multiples. Ils voulaient notamment empêcher un nettoyage ethnique, réintégrer les hutus déplacés au Rwanda, affaiblir les groupes armés hutus, et contrôler le territoire congolais29.

26 M. DUFOUR, ibidem, p. 16. 27 M. DUFOUR, ibidem, p. 16. 28 M. DUFOUR, ibidem, p. 17. 29 M. DUFOUR, ibidem, p. 16.

222 Le Rwanda et l’Ouganda, dans un but de sécurité, mirent en place un mouvement rebelle au Kivu. Elle fut rapidement perçue comme étant un mouvement impérialiste tutsi par les populations congolaises. Le mouvement rebelle dut donc s’appuyer sur des groupes congolais existant pour se rendre légitime. Ils agglomérèrent différents groupes et ils firent un mouvement : l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération du Congo-Zaïre (AFDL) et qui fut présidé par Laurent Désiré Kabila30. Huit mois seulement après le début de la guerre, Kabila prit le pouvoir, sans qu’un grand nombre d’exactions soient commises par les deux parties belligérantes. Il n’est pas établi que le changement de pouvoir fut l’objectif recherché par le Rwanda et l’Ouganda en créant la rébellion au Congo31.

§6 : La deuxième guerre du Congo (1998-2002) La deuxième guerre du Congo éclata pour des raisons essentiellement ethniques comme ce fut déjà le cas lors de la première guerre du Congo. La nationalité congolaise de l’ethnie Banyamulenges était contesté et la sécurité de celle-ci, menacée par des groupes armés constitués d’anciens génocidaires. Le Rwanda se sentait également menacé et les Rwandais furent exclus de l’armée congolaise. Le Rwanda diligenta une opération militaire au Congo composée de combattant rwandais, banyamulenge et ougandais32. Ce conflit fut également l’occasion pour d’autres puissances africaines de prendre part dans le conflit. Le Soudan, le Tchad, la Lybie, l’Angola, le Zimbabwe, et la Namibie prirent part en faveur du Congo33. Finalement, le Congo fut partitionné en trois parties, chacune ayant son propre gouvernement. Les accords de Lusaka furent signés dans le but d’instaurer la paix, mais ils ne furent pas respectés. Il s’établit une situation où toutes les parties au conflit exploitaient les richesses du sous-sol. Les ressources naturelles du Congo servirent donc à financer la guerre qui sévissait sur son territoire ainsi qu’à enrichir les pays voisins belligérants34.

30 M. DUFOUR, ibidem, p. 16. 31 M. DUFOUR, ibidem, p. 17. 32 M. DUFOUR, ibidem, p. 18. 33 M. DUFOUR, ibidem, p. 18. 34 M. DUFOUR, ibidem, p. 19.

223 §7 : Conflits récents Ces événements ont débouché sur les conflits d’aujourd’hui en Ituri et surtout au Kivu. En 2006, Laurent Nkunda général dissident créa le CNDP, groupe armé rebelle s’opposant aux FARDC. Il fut arrêté lors d’une opération conjointe entre la République démocratique du Congo et le Rwanda et son mouvement fut intégré aux FARDC35.

Section 2 : La recherche de la sécurité

Les pays de la région des grands lacs sont entrés dans une dynamique semblable à celle qui amena en Europe la première Guerre mondiale. Les Etats préfèreraient vivre en paix mais craignent que leurs voisins ne les attaquent. Une compétition s’installe, et les Etats se sentant menacés, s’allient les uns avec les autres et accumulent les armes et les moyens de défense. En théorie, les Etats pourraient se contenter d’anticiper la guerre et de mettre au point des moyens de défense leur assurant la paix. L’adage « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » prend une propension importante et d’importants jeux d’alliance se développent et conduisent à des situations tendues qui engendrent la guerre36. Deux variables sont à prendre en considération dans le cas où des puissances veulent se défendre. La situation géographique, premièrement, fera qu’un pays sera plutôt enclin à se défendre ou à attaquer. S’il dispose de frontières naturelles comme un fleuve ou une chaine de montagne, il pourra opter pour une position défensive. Au contraire, s’il ne dispose pas de tels obstacles, il craindra plus de se faire envahir et aura une attitude plus agressive. Deuxièmement, le développement technologique des armées de la région fait qu’il sera plus facile pour un Etat d’attaquer ou de se défendre. Une armée qui dispose d’une aviation développée, par exemple, aura plus intérêt à déclarer la guerre pour les utiliser plutôt que de courir le risque de la voir détruite en cas d’invasion ennemie. Si un pays dispose de mitrailleuses, il aura tendance à opter pour une position défensive, de telles armes étant plus utiles pour défendre des positions que pour attaquer37. Dans le cas qui nous intéresse, le Rwanda et la République démocratique du Congo sont pour une grande partie séparés par le lac Kivu, mais il existe plusieurs dizaines de kilomètres de

35 M. DUFOUR, ibidem, p. 19. 36 C. WILLAMS, « Explaining the Great War in Africa: How Conflict in the Congo Became a Continental Crisis », The Fletcher Forum of World Affairs, 2013, p. 83. 37 C. WILLIAMS, ibidem, p. 84.

224 frontières terrestres, facilement franchissables, et dont le gouvernement congolais n’est pas capable d’assurer le contrôle. Dans ce cas-ci, également, il est plus facile pour le Rwanda d’attaquer que de se défendre38.

38 C. WILLIAMS, ibidem, p. 84.

225

Partie 3 : L’action du Rwanda en République démocratique du Congo

Section 1 : Les liens entre le Rwanda et le M23

Dans ce rapport, le M23 est souvent associé au Rwanda. Dans l’opinion publique, il est fréquent que les deux soient associés. Il convient de démontrer si cette affirmation est établie et quels éléments viennent la démontrer39.

§1. Soutien logistique Il a été observé par des officiers de l’ONU présents en RDC qu’à chaque fois que le M23 s’empare d’une ville, il dispose de forces d’appoint. Lors d’affrontement entre l’armée congolaise et le M23, des Casques bleus de l’ONU ont vu l’appui qui était fourni par l’armée rwandaise. Contrairement aux militaires congolais, les assaillants du M23 parlent anglais et étaient bien équipés. De nombreux citoyens congolais affirment avoir vu à plusieurs reprises des convois militaires rwandais passer la frontière pour entrer ou sortir de la RDC. Certains ont reconnu des figures de proue de l’armée où constataient l’état de fatigue des soldats qui passaient40.

§2. Soutien matériel Des civils ont témoigné à Human Rights Watch, témoignant qu’ils ont été obligés par l’armée rwandaise de porter du matériel militaire aux combattant du M23. D’autres témoins affirment que le Rwanda assiste le M23 en lui fournissant des munitions, des armes, et forment les soldats du M2341.

§3. Apport de nouvelles recrues De nombreux témoignages et preuves tendent à démontrer que les autorités rwandaises, pour soutenir leur allié, leur apportent de nouvelles recrues qu’ils obtiennent en utilisant des

39 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 40 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 41 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre

226 moyens similaires à ceux du M23, à savoir par la force ou par des prétextes fallacieux. Ils expliquent également aux jeunes hommes que le Kivu devrait appartenir au Rwanda pour les inciter à rejoindre le M23. Il est à noter que le Rwanda dispose de plus de soldats susceptibles de combattre que n’en dispose la RDC42. La plupart d’entre eux sont des réfugiés tutsis congolais, des jeunes sans formation militaire ou encore des militaires démobilisés de l’armée rwandaise, du CNDP, ou des FDLR. Certaines recrues sont âgées de moins de 15 ans, les autorités rwandaises se rendent donc coupables de crimes de guerre43.

Section 2 : La position officielle du Rwanda

Sans grand étonnement, les officiels rwandais ont toujours nié toute implication de l’Etat rwandais dans la guerre du Kivu ainsi que tout soutien au M2344. Dans un entretien au journal Le Soir daté du 29 août 2012, le ministre rwandais de la défense, James Kabarebe, a affirmé que toutes les accusations émises à l’égard du Rwanda étaient infondées. Il explique : « Toute cette histoire de soutien que le Rwanda aurait apporté est une manipulation. Mais une manipulation très compliquée. Elle implique le gouvernement congolais désireux de sauver la face après sa défaite militaire et sommé d’expliquer pourquoi ses soldats n’ont pas combattu (…). Tout le monde sait que le Rwanda n’a pas un seul soldat au sein du M23, ne lui donne aucun soutien. Même les Congolais savent cela, ils nous le disaient à titre individuel, mais ils devaient sauver la face… »45. Aucune preuve solide ne vient affirmer ses allégations46. En aout 2013, lorsque Goma fut bombardée par des obus tirés à partir du Rwanda, les autorités rwandaises prétendirent que c’était le Rwanda qui fut attaqué et mis en les autorités congolaises. Cherchant à inverser les rôles, le Rwanda se fait passer pour la victime la RDC pour l’agresseur47.

42 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 43 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 44 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 45 C. BREACKMAN, « Cartes sur table: les quatre vérités du général James Kabarebe », Le Soir. 46 C. BREACKMAN, ibidem 47 C. BRAECKMAN, ibidem

227

Section 3 : Les crimes du M23

S’il est utile d’analyser les causes et les origines historiques du conflit se déroulant en République démocratique du Congo, il est aussi nécessaire d’indiquer quels sont les crimes qui y sont commis et en quoi consiste la vie au jour le jour de ceux qui ont à les subir48.

§1. Recrutements forcés Le M23 menant une guerre contre les FARDC, il a constamment besoin de nouvelles recrues. A l’origine, lorsque le M23 prenait le contrôle de nouvelles villes, ses dirigeants tenaient des réunions pour convaincre la population de les soutenir en leur fournissant de la nourriture ou en s’enrôlant dans leurs troupes. Etant donné le faible nombre d’individus prêts à les rejoindre, le M23 se mit alors à recruter de jeunes hommes de force. S’ajoute à cela le fait que lorsque le M23 recourt à des recrutements forcés, une proportion de ceux-ci est toujours composée de mineurs, dont l’âge est parfois inférieur à 15 ans49. Les nouvelles recrues sont alors emmenées dans des centres d’entrainement militaire ou ils sont fournis en uniformes militaires et formés aux techniques militaires de base. Certains d’entre eux sont parfois embrigadés à l’aide de moyens fallacieux. Les soldats du M23 demandent à de jeunes hommes de les aider pour transporter des affaires ou ramasser du bois, qu’ils doivent apporter au camp du M23. Les individus sont en fait conduits dans des centres d’entrainement militaire et formés à combattre les FARDC50. Il est également à noter que le recrutement d’enfants de moins de 18 ans est interdit par le Protocole optionnel de la Convention sur les droits de l’enfant concernant l’engagement d’enfants dans des conflits armés. Il a été ratifié par la RDC et le Rwanda51.

§2. Intimidations et menaces Le M23, pour se faire respecter et faire régner la terreur a également recours à l’intimidation et aux menaces. Il est courant que des chefs coutumiers ainsi que des journalistes ou des défenseurs des droits de l’homme contestent les crimes commis par le M23. Le M23 leur

48 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 49 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 50 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 51 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre

228 adresse alors des menaces de mort, ce qui les incite à prendre la fuite vers les territoires contrôlés par les FARDC. Lors de certaines prises de contrôle de territoire par le M23, il s’est déjà produit que celui-ci mette sur pied un des comités de sécurités dont le but officiel est de servir d’unité de liaison avec les communautés locales sur les questions de sécurité. En pratique, ils servent à recruter de nouvelles recrues et à dénoncer à la hiérarchie les opposants au M2352.

§3. Exécutions sommaires et mauvais traitements des recrues Afin de durcir et de préparer les nouvelles recrues aux combats à mener, les soldats du M23 infligent des traitements cruels et dégradants aux nouvelles recrues. Certains sont passés à tabac ou battus à mort, d’autres sont enfermés dans des trous creusés dans le sol et remplis d’eau pour les « habituer au froid »53. Le M23 punit très sévèrement les recrues désobéissantes et les déserteurs. Ces derniers sont soit exécutés sommairement ou battus à mort devant les autres nouvelles recrues en guise de mise en garde. Les soldats désobéissants sont quant à eux battus et détenus dans des conditions de fortune. Il est à noter que le M23 envoie souvent les nouvelles recrues en première ligne, lesquelles sont souvent tuées en premier lieu. Etant les moins formées et les moins expérimentées, elles envoient directement celles-ci pour se faire tuer ne pas perdre des soldats mieux entrainés.

§4. Meurtres et viols Les soldats du M23 commettent des viols et des crimes dans les zones qu’ils occupent. Viols dont les victimes sont aussi des enfants. De tels crimes sont parfois commis en guise de représailles contre des refus de rejoindre leur rang, de leur fournir de la nourriture ou pour le fait d’avoir fui un zone dont ils avaient pris le contrôle54.

§5. Travaux forcés, pillages, et extorsions Il est monnaie courante dans les zones où sévit le M23 que les soldats menacent de mort les

52 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre 53 http://www.hrw.org/fr/news/2013/07/23/rd-congo-les-rebelles-du-m23-tuent-des-civils-et-commettent-des- viols 54 http://www.hrw.org/fr/news/2013/07/23/rd-congo-les-rebelles-du-m23-tuent-des-civils-et-commettent-des- viols

229 civils pour les forcer à leur rendre des services. Il peut s’agir de travaux forcés ponctuels, d’extorsion de nourriture ou d’argent et parfois d’enlèvements. Ils commettent des pillages chez des civils et les menaçant ou en les attaquant. Ils lèvent de lourdes taxes sur les axes d’approvisionnement qu’ils contrôlent55.

55 http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent-des-crimes-de-guerre

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Partie 4 : Les ressources naturelles congolaises

Section 1 : La situation politique

Comme expliqué par le lieutenant-colonel Luc Arnould lors de sa conférence à l’ambassade de Belgique au Burundi, la RDC contient une concentration impressionnante de ressources dans son sous-sol, qualifiée de « scandale géologique ». La RDC n’est pas en mesure de les exploiter et d’en tirer profit pour une grande partie.

§1. La corruption L’exploitation de ces richesses représente l’une des dimensions qui permettent de comprendre les raisons de la guerre au Kivu. Le M23 est essentiellement présent dans les villes avoisinant Goma où il contrôle des postes de commerce. Plusieurs villes stratégiques sont sous le joug du M23, mais ont dû quitter Goma face à une offensive de l’armée congolaise. Il est également présent sur le territoire de Masisi, une région riche en minerais, ce qui était déjà le cas de son prédécesseur, le CNDP. Le général Ntaganda et ses collaborateurs, qui étaient encore en exercice dans l’armée congolaise, se servaient de leur position pour prendre le contrôle de zones minières particulièrement riches et firent des profits considérables, estimés à plusieurs millions de dollars par an. Les minerais de contrebande passaient alors au Rwanda où Ntaganda est propriétaire de terrains à la frontière du Rwanda et de la RDC56.

§2. Le Rwanda En dehors de la corruption d’individus particuliers, il est fort probable qu’une partie des revenus générés par ce trafic soit utilisé pour financer la guerre menée par le M23. Mais plus important encore, certains n’hésitent pas à dire que le régime de Kigali est « allaité » par les ressources minières de la RDC57. Pour vivre dans de meilleures conditions économiques, il lui faudrait envahir la RDC pour y avoir un accès direct. Il faut également noter qu’un rapport d’experts de l’ONU de 2001 avait établi que les armées des différents pays belligérants se

56B. MUSAVULI, op. cit. 57 B. MUSAVULI, ibidem

231 finançaient sur le commerce de minerais et de diamant58. Ceci explique donc pourquoi le Rwanda fait régner le chaos au Kivu. Le Rwanda ne dispose d’aucune ressource dont il pourrait tirer des profits. Le pillage des ressources congolaises lui permet de devenir une plaque tournante des mafias opérant dans l’approvisionnement en minerais aux origines douteuses59. Il en découle que le Rwanda doit continuer à faire durer la guerre au Kivu, et ce pour deux raisons. Premièrement, le Rwanda doit s’assurer d’avoir accès à ces ressources pour les revendre sur son territoire, et deuxièmement, il doit s’assurer que la région soit instable et dangereuse pour éviter que les acheteurs de minerais n’aillent se fournir en RDC plutôt que de l’autre côté de la frontière60.

Section 2 : L’implication des grandes puissances dans le conflit

Comme il nous avait été expliqué au ministère de la défense rwandais, les grandes puissances interviennent dans les conflits africains, et notamment par les Nations Unies. En effet, les opérations des Nations Unies faites sur place sont dirigées par des Etats membres de l’ONU. Voyons maintenant dans quelle mesure la guerre en RDC intéresse les puissances occidentales.

§1. Le coltan Quel est l’intérêt du coltan ? Le coltan est un minerai dont peut être extrait un métal lourd, le tantale. On estime que 60 à 80% des réserves mondiales de tantales se trouvent en RDC. Les puissances occidentales ne disposent de réserves de ce métal et dépendent donc des importations. Le tantale est indispensable pour différents secteurs industriels de pointe : aéronautique, aérospatiale, militaire, etc. Traditionnellement, seules les puissances européennes étaient présentes en RDC pour exploiter le coltan. Aujourd’hui, les Etats-Unis, et plus récemment la Chine y ont fait leur apparition61.

58 Letter dated 12 April 2001 from the Secretary-General to the President of the Security Council, S/2001//357, p. 112. 59 B. MUSAVULI, op. cit. 60 B. MUSAVULI, ibidem 61 Ch. HARBULOT, « La Guerre du coltan en RDC. Repositionner le jeu des acteurs dans le paradigme des

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§2. L’implication des multinationales Les sociétés multinationales d’extraction de minerai contribuent indirectement à financer la guerre. Les mines du Kivu étant contrôlées par les groupes rebelles, les sociétés leur paient des taxes pour y avoir accès. Une guerre économique et diplomatique y est menée par les Etats voulant défendre les intérêts de leurs entreprises. Cela les amène à soutenir les groupes armés sécessionnistes et pro-rwandais62.

§3. La législation américaine Le Congrès américain a publié une loi datant de 2010 concernant le coltan. En vertu de la loi Dodd Franck, les entreprises cotées en bourses et fabriquant de GSM et d’ordinateurs doivent prouver que le coltan des batteries qu’ils fabriquent ne proviennent pas d’une zone de conflit. Cette loi constituait directement une difficulté pour le Rwanda, parce qu’elle inciterait les fabricants à s’approvisionner en République démocratique du Congo où les matériaux sont accompagnés de certificats de traçabilité. Cette loi n’a néanmoins pas fait cesser le conflit au Nord-Kivu63.

§4. Le Rwanda : un Etat criminel ? On peut parler de criminalisation de l’Etat lorsque deux conditions sont rencontrées. Premièrement, il faut que les actes criminels commis aient pour but l’enrichissement personnel. Deuxièmement, il faut que les actes commis aient pour conséquence des violences subies par la population ainsi que son appauvrissement. L’intervention systématique et illicite des militaires et des autorités et des hommes politiques dans le but d’engendrer un enrichissement personnel, ce qui est manifestement le cas vu la différence entre les gains issus des ressources congolaises et le niveau économique du pays64. Il apparait également que l’accaparement des richesses du Kivu constitue un pillage. Les matières premières extraites ne sont pas reproductibles et leur extraction n’a pas pour conséquence l’importation d’autres biens grâce aux bénéfices. De plus, ils ne sont pas taxés

stratégies de puissances », AEGE, p.2. 62 Ph. DE DORLODOT, « Le pillage des ressources naturelles et la guerre au Congo », Pax Christi Wallonie- Bruxelles, 2005, p. 6-7. 63 http://www.sec.gov/spotlight/dodd-frank/speccorpdisclosure.shtml 64 S. MARYSSE et C. ANDRE, « Guerre et pillage économique en République démocratique du Congo », L’Afrique des Grands lacs. Annuaire 2000-2001.

233 par l’Etat dont sont issus les richesses65. Partie 5 : L’action de l’ONU au Kivu

Section 1 : Compétences et législations internationales

Des résolutions sont venues définir la sphère de compétence de la MONUSCO et l’élargir à des domaines particuliers. Les résolutions 1856 et 1857 ont pris pour cible le trafic illégal de ressources naturelles, dont la communauté internationale n’ignore pas qu’elle se trouve au centre des enjeux de la guerre en RDC. La première résolution engage les Etats à prendre des mesures contre le commerce des ressources naturelles. La deuxième résolution a permis de prendre des sanctions à l’égard des individus appuyant les groupes armés aux moyens du commerce illicite de ressources naturelles. L’identification des causes de la guerre et la volonté de mettre un terme au conflit sont clairement présentes, mais les mots ne laissent pas encore place aux actes et la perspective d’une solution n’est pas encore en vue66. La résolution 1807 de 2008 est venue interdire la vente d’armes aux entités non gouvernementales en RDC, dont elle note par ailleurs que le financement se fait en grande partie sur l’exploitation des ressources naturelles. Cette résolution a le mérite de mettre en avant les causes du problème, mais comme les autres, n’a absolument pas été suivie d’effet, le Rwanda armant les groupes armés rebelles de la RDC clandestinement67.

Section 2 : Bilan de la MONUSCO

La MONUSCO qui agit en RDC depuis 2010, après avoir succédé à la MONUC coute plus d’un milliard de dollars US par an et mobilise plus de 20 000 hommes. Elle est décriée par certains pour son incapacité à mettre un terme au conflit ou à changer substantiellement la situation. A part à servir de force d’interposition et à assurer sa propre protection, la MONUSCO ne joue pas un rôle concret. Si les Etats voulaient améliorer réellement la

65 S. MARYSSE et C. ANDRE, ibidem. 66 http://www.globalwitness.org/fr/library/les-r%C3%A9solutions-du-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-de- lonu-relatives-au-commerce-des-ressources 67 http://www.un.org/News/Press/docs/2008/sc9289.doc.htm

234 situation, il faudrait que la MONUSCO soit plus active et s’engage concrètement dans les conflits, ce qui n’irait pas sans faire des pertes dans ses rangs. C’est justement cela que les Etats veulent éviter, on voit mal quel pays accepterait que ses soldats meurent dans un conflit dont les intérêts sont tellement éloignés des siens68. Malgré l’importance des moyens financiers et humains investis par la communauté internationale dans cette mission pour pacifier le Congo et mettre un terme au conflit, ni même à changer sensiblement le cours des évènements69. La MONUSCO, en plus de son bilan pratiquement nul, est décriée pour ne pas servir les intérêts des Congolais sur un plan économique. La quasi-totalité des approvisionnements étant importés, la MONUSCO ne fait pas tourner l’économie locale70.

68 R. POURTIER, op. cit., p. 4. 69 R. POURTIER, ibidem, p. 5. 70 R. POURTIER, ibidem, p.6.

235

Partie 6 : Développements récents

Section 1 : Vers un accord de paix ?

Le mois de novembre 2013 a vu des rapprochements s’opérer entre le M23 et Kinshasa lors des pourparlers de Kampala. Il est question de signer des accords de paix entre les deux parties. L’accord n’est pas encore signé pour des questions de sémantique déplaisant aux dirigeants de la République du Congo. Forte de sa victoire sur le terrain, l’armée congolaise préfère les termes de « conclusion » ou de « déclaration » que « d’accord de paix »71. La République démocratique du Congo a par ailleurs fait savoir que les anciens combattants du M23 ne seraient pas réintégrés massivement dans l’armée congolaise ni amnistiés. On peut présager les conséquences qu’aura la démobilisation de milliers soldats72. L’ONG Oxfam note les dangers que pose la négociation de la paix avec le M23 sans l’accompagner de programme de démobilisation et d’offrir une alternative à la guerre pour les soldats qui souhaitent déposer les armes. D’autres programmes notamment relatifs au contrôle des ressources, à la représentation des communautés et aux moyens de subsistance sont indispensables pour établir une paix durable73.

Section 2 : Scission du M23

Suite au processus de paix entre Kinshasa et le M23, l’aile dite « réaliste » du M23 s’est dite prête à signer l’accord qui résulterait des pourparlers de Kampala. Alors que le mouvement connait d’importantes fractures et est au bord de l’implosion depuis des mois, une autre partie du M23 est quant à elle résolue à continuer le combat. Le M23 a annoncé publiquement sa

71 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/11/11/la-signature-de-l-accord-de-paix-reportee-entre-rdc-et- m23_3512012_3212.html 72 http://radiookapi.net/actualite/2013/11/15/la-rdc-ne-va-pas-integrer-les-rebelles-du-m23-dans-larmee/ 73 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/11/11/rdc-l-accord-avec-le-m23-ne-resoudra-pas-le-conflit- previent-oxfam_3511568_3212.html

236 scission en deux branches distinctes74.

L’obstination de certains à continuer la guerre et à maintenir le conflit au Nord-Kivu confirme que le but du M23 est de causer des troubles en République démocratique du Congo. De même que le M23 émergea du CNDP après l’arrestation de Laurent Nkunda et l’intégration des rebelles dans l’armée congolaise. La signature d’une déclaration ou d’un accord de paix ne saurait suffire à rétablir l’ordre au Nord-Kivu.

74 http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20131113191632/kinshasa-rdc-ouganda-bertrand-bisimwa- crise-dans-le-kivu-rdc-apres-sa-defaite-militaire-le-m23-se-scinde-en-deux-branches-distinctes.html

237 Conclusion

Issu d’une histoire complexe, le conflit mené par le Rwanda, par l’intermédiaire du M23 parait être sans solutions et les crimes atroces commis dans cette région du monde ne vont probablement pas s’arrêter à court ou à moyen terme. L’étude de ce cas nous a permis de comprendre que ce type de conflit est d’une complexité telle qu’il n’est pas possible de le résumer en un affrontement traditionnel entre deux puissances dû à un quelconque casus belli. Dans ce conflit s’entremêlent des intérêts financiers, la prédation de ressources naturelles, les conflits ethniques, un passé historique lourd et une méfiance entre les Etats qui pousse quelques acteurs à semer le chaos. Il est évident qu’il n’y a pas de solution simple à la résolution d’un tel bourbier. Il ressort de l’analyse du conflit que le facteur ethnique joue un rôle important. Néanmoins, il faut noter que ces tensions sont manipulées pour déclencher des conflits ou pour monter des groupes ethniques les contre les autres. Il constitue une cause importante du conflit mais secondaire en comparaison aux intérêts qui motivent les acteurs politiques de la région. Sans les autres facteurs, les tensions ethniques seraient mineures et plus faciles à gérer. La prédation des ressources naturelles constitue le facteur majeur de la guerre au Kivu. Tous les groupes armés essaient de contrôler les gisements miniers et se financent grâce à l’exploitation illégale de coltan. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que le Rwanda manipule et contrôle le M23, et qu’il est donc responsable des crimes contre l’humanité qui sont commis depuis des années en République démocratique du Congo. Quant au rôle de la communauté internationale via l’ONU pour mettre un terme au conflit, le bilan de la MONUSCO en dit long sur ce qu’il faut en attendre. L’intervention dans la région n’a porté aucun fruit principalement parce qu’une résolution du conflit nécessiterait que les armées étrangères faisant partie de la MONUSCO mènent une guerre contre le M23. La disparition des mouvements rebelles financés par le Rwanda est la condition sine qua non pour que le Nord-Kivu retrouve la tranquillité. Les évolutions récentes du conflit pourraient laisser croire à une amélioration de la situation. Une connaissance plus approfondie de la région et du conflit laissent présager que la situation de guerre larvée et de tensions permanentes va continuer.

238 Conclusie (NL)

Van een complexe historie, het conflict in Congo door de M23 schijnt zonder oplossingen en zonder korte termijn op te lossen te zijn. De studie van deze zaak heeft ons geleerd dat dit conflict begrepen moet worden van zo een complexiteit dat het niet mogelijk is samen te vatten als een traditionele clash tussen twee machten die tegen elkaar vechten. In dit conflict verbinden zich financiële belangen, het stelen van natuurlijke bronnen en etnische conflicten, een zware geschiedenis en een wantrouwen tussen staten die bepaalde politici er toe leiden tot het creëren van een chaos. Het is overduidelijk dat er geen simpele oplossing is voor zulk een smerig conflict. De analyse van dit conflict laat zien dat de etnische factor een belangrijke rol speelt. Ondanks dat, moet het gezegd worden dat de tensies gemanipuleerd worden voor het creëren van conflicten of het opnemen van groepen tegen anderen. Dit vormt een belangrijke oorzaak van het conflict, maar er zijn ook secondaire redenen te vinden die zich verhouden tot de belangen van belangrijke actoren in de regio. Zonder de andere factoren zijn de etnische tensies minder en makkelijker te beheersen. Het stelen van natuurlijke hulpbronnen vormt een factor voor de oorlog in Kivu. Alle gewapende groepen proberen mijnen te controleren en zich te financieren via de illegale exploitatie van coltan. Het is duidelijk dat Rwanda M23 controleert en manipuleert, waardoor het verantwoordelijk is voor de misdadigheden tegen de mensheid die vervuld zijn tijdens de jaren van Congo. Gezien het feit dat de internationale gemeenschap via de VN een einde wilde maken aan het conflict, het resultaat van MONUSCO laat zien dat het nog teleurstellend is. De interventie in de regio heeft tot niets geleid tot nu toe, omdat een resolutie van het conflict zich noodzaakte tot het deelnemen van een buitenlands leger aan MONUSCO die een oorlog voert tegen M23. De verdwijning van de rebellen bewegingen, gefinancierd door de rebellen van Rwanda, is een conditie sine qua non voor Noord-Kivu om de rust weder te vinden. De recentelijke ontwikkelingen van het conflict zouden ons kunnen doen geloven dat er een verbetering van de situatie op gang was. Een beter begrip van de regio en het conflict zou zich waarschijnlijk uiten in een oorlog waarin de tensies zich voortborduren.

239 Conclusion (UK)

With a complex historical background, the conflict led by Rwanda through the M23 seems unsolvable. The atrocious crimes committed in this region of the world will probably not stop in the short term. The analysis of this case made us understand that this type of conflict is too complex in order to be resumed as a simple struggle between two powers, being the consequence of a casus belli. In this conflict, financial interests, predation of natural resources, ethnical conflicts, a heavy historical past and a shared distrust between the states lead some actors to create a total chaos. It is obvious that there is no simple solution to solve this mess. The analysis of the conflict shows us that the ethnical factor plays an important role. However, it must be noted that the tensions are manipulated in order to trigger conflicts or to put ethnical groups against each other. It constitutes an important cause of the conflict but it is secondary in comparison to the interests that motivate political actors in the region. Without the other causes, the ethnical tensions would be minor and easier to handle. The predation of the natural resources constitutes the major cause of the war in Kivu. All the armed groups try to control the mines and to finance themselves with the illegal exploitation of the coltan. There is no doubt that Rwanda manipulates and controls the M23. By doing so, Rwanda is responsible of the crimes against humanity committed for years in the Democratic republic of Congo. The results of the MONUSCO are so weak that the UN is not to be accounted on to put an end to the conflict. The military intervention in the region had no tangible result. The major reason is that a true war is needed in order to defeat the M23. The disappearance of the rebel movements financed by Rwanda is the condition needed in order to make North-Kivu a peaceful place to live. The recent evolution of the conflict could let us think that the situation is going to get better. A better knowledge of the region and of the conflict let guess that the situation of latent war and of permanent tensions is definitely going to continue.

240 Bibliographie

Sources officielles - http://data.worldbank.org/country/congo-dem-rep - http://data.worldbank.org/country/rwanda - http://www.un.org/News/Press/docs/2008/sc9289.doc.htm - http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/monusco/background.shtml - http://www.un.org/fr/peacekeeping/missions/monusco/mandate.shtml - Letter dated 12 April 2001 from the Secretary-General to the President of the Security Council, S/2001//357. Articles - BREACKMAN (C.), « Cartes sur table: les quatre vérités du général James Kabarebe », Le Soir. - COLOMA (T.), “Vestiges de guerre”, Le Monde, 30 novembre 2012, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/11/30/congo-rdc-vestiges-de- guerre_1797395_3212.html - de DORLODOT (Ph.), « Le pillage des ressources naturelles et la guerre au Congo », Pax Christi Wallonie-Bruxelles, 2005. - DUFOUR (M.), « Le génocide Rwandais, un facteur d’instabilité au Congo », Fundação Getulio Vargas, 2010. - HARBULOT (Ch.), « La Guerre du coltan en RDC. Repositionner le jeu des acteurs dans le paradigme des stratégies de puissances », AEGE. - S. MARYSSE et C. ANDRE, « Guerre et pillage économique en République démocratique du Congo », L’Afrique des Grands lacs. Annuaire 2000-2001. - MUSAVULI (B.), « Guerre RD Congo – Rwanda : A qui la faute? », 26 août 2013, http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/guerre-rd-congo-rwanda-a-qui- la-140018. - POURTIER (R.), “Le Kivu dans la guerre : acteurs et enjeux”, EchoGéo, 3 novembre 2013. - WILLAMS (C.), « Explaining the Great War in Africa: How Conflict in the Congo Became a Continental Crisis », The Fletcher Forum of World Affairs, 2013.

- http://www.globalwitness.org/node/8139

241 - http://www.globalwitness.org/fr/library/les-r%C3%A9solutions-du-conseil-de- s%C3%A9curit%C3%A9-de-lonu-relatives-au-commerce-des-ressources - http://www.hrw.org/fr/news/2012/09/10/rd-congo-les-rebelles-du-m23-commettent- des-crimes-de-guerre - http://www.hrw.org/fr/news/2013/07/23/rd-congo-les-rebelles-du-m23-tuent-des- civils-et-commettent-des-viols - http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20131113191632/kinshasa-rdc- ouganda-bertrand-bisimwa-crise-dans-le-kivu-rdc-apres-sa-defaite-militaire-le-m23- se-scinde-en-deux-branches-distinctes.html - http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/11/11/la-signature-de-l-accord-de-paix- reportee-entre-rdc-et-m23_3512012_3212.html - http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/11/11/rdc-l-accord-avec-le-m23-ne- resoudra-pas-le-conflit-previent-oxfam_3511568_3212.html - http://www.opendemocracy.net/opensecurity/michel-thill/la-crise-du-m23-et-lhistoire- de-la-violence-dans-lest-du-congo http://radiookapi.net/actualite/2013/11/15/la-rdc-ne-va-pas-integrer-les-rebelles-du-m23-dans- larmee/

242

Agriculture dans la région des Grands Lacs : souveraineté alimentaire et pratiques agroécologiques

Samuel Sonck

243

244 TABLE DES MATIERES

TABLE DES MATIERES ...... 245 1. INTRODUCTION ...... 246 2. SOUVERAINETE ALIMENTAIRE...... 248 2.1. DEFINITIONS ...... 248

2.2. PERILS AU SUD ...... 248 2.2.1. Spéculation sur les produits agricoles ...... 248 2.2.2. Dumping sur les marchés agricoles internationaux ...... 249 2.2.3. Accaparement de terres et problèmes fonciers...... 249 3. AGRO-ECOLOGIE...... 250 3.1. DEFINITION ...... 252

3.2. APPORTS ...... 255 3.2.1. Disponibilité ...... 256 3.2.2. Accessibilité ...... 257 3.2.3. Adéquation ...... 258 3.3. OBSTACLES ...... 259

3.4. POLITIQUES PUBLIQUES ...... 261 4. LA SITUATION AU RWANDA ET AU BURUNDI ...... 265 4.1. DONNEES GEOGRAPHIQUES ET AGRO-ECOLOGIQUES ...... 265

4.2. VISITE D'UNE COOPÉRATIVE DE BANANES À GATORE (RWANDA)...... 266 5. CONCLUSION FR / CONCLUSIE NL / CONCLUSION GB ...... 269 BIBLIOGRAPHIE ...... 270

245 1. Introduction

Depuis la crise alimentaire survenue en 2007-2008 et l'atteinte d'un pic d'un milliard d'être humains souffrant de sous-alimentation1, la question de la faim dans le monde est revenue à l'avant-plan. A l'annonce de ce constat, les premiers éléments de solution venant à l'esprit de ceux qui considèrent cet état des choses inadmissible est qu'il faut revoir à la hausse les stocks distribuables par le Programme Alimentaire Mondial (PAM), accroitre la productivité du secteur agricole ou encore améliorer l'accès et l'ouverture des marchés.

Est-ce vraiment la quantité de nourriture disponible qui fait défaut? Il est permis d'en douter. Selon une étude publiée dans la revue PLoS ONE [2.1], il semblerait que le coût annuel du gaspillage alimentaire soit de l'ordre de 48.3 milliards de dollars rien qu'aux Etats- Unis, alors la FAO de son côté demande 30 milliards par an pour mettre fin durablement à la malnutrition. Récipiendaire du prix de la Banque royale de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel en 1998, Amartya Sen ne dit rien de moins : ses travaux ont montré que la famine découle plus de problèmes institutionnels que productifs [1.1].

Qui a faim? Ceux qui n'ont pas accès aux produits alimentaires? Pas vraiment : 80% d'entre eux sont des paysans [3.1]! Une ouverture plus importante des marchés résoudrait leurs problèmes? C'est peu probable : dans la foulée des plans d'ajustement structurels promus par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale (BM) à travers le Consensus de Washington, s'est opéré le passage d'une agriculture vivrière (production de biens alimentaires consommés localement) à une agriculture de rente (production de cultures à haute valeur ajoutée vouées à l'exportation, telle que : café, coton, cacao, etc.) sur base de la théorie de l'avantage comparatif, en vue de faire rentrer des devises pour rembourser la dette extérieure. Cela a amené les paysans du Sud à subir de plein fouet la volatilité des cours boursiers et ce, à deux titres.

D'une part via des chocs exogènes liés par exemple aux aléas climatiques ou à la demande de produits agricoles pour la fabrication d'agro-carburants en réponse à la hausse des cours pétroliers. Amplifiée par l'inflation de produits dérivés, cette volatilité a conduit entre 2006 et 2008 à une hausse de 71% de l'indice des prix des produits alimentaires établi par la FAO, les prix des céréales du riz augmentant de 126%.

1 Retombé aujourd'hui aux alentours de 870 millions de personnes

246 D'autre part, la mise en concurrence internationale d'agriculteurs ayant des écarts de productivité pouvant dépassée un rapport de 1 à 100 [1.2] n'est pas sans poser des problèmes aux paysans du Sud. Problèmes qui seront encore accentués par l'inondation des marchés locaux par des produits importés d'Europe et vendus à un prix inférieur à leur coût de production par le biais des subsides de la Politique Agricole Commune (PAC). Faudrait-il dès lors que le Nord productif envoie gracieusement les excès de ses supermarchés au Sud pour assurer sa sécurité alimentaire, en profitant de l'aubaine pour réduire les problèmes de suralimentation et d'obésité qui se posent dans nos contrées ? L'idée est difficilement défendable à deux titres, qui font l'objet de ce rapport. Le premier d'entre eux est que toute autonomie sur le plan agro-alimentaire serait de facto retirée aux pays du Sud. Le second que dans un contexte de raréfaction des ressources énergétiques et de nécessité de limitation d'émissions de gaz à effet de serre, un paradigme agricole fondé sur le pétrole (pour la mécanisation, mais aussi la confection d'intrants agricoles comme les engrais ou les pesticides) n'est plus tenable. Les deux réponses qui seront développées ici et particularisées au Burundi et au Rwanda sont la souveraineté alimentaire et l'agro-écologie. La première a été présentée pour la première fois en 1996 par l'association Via Campesina2 au Sommet de l'alimentation organisé par la FAO. Elle consiste en un droit international accordé aux populations, états, et groupes d'états et leur laissant la possibilité de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leur population sans nuire aux populations d'autres pays. La seconde consiste en un mouvement à trois facettes regroupant chercheurs, agriculteurs et mouvement sociaux, initié en 1983 par Miguel Altieri mais dont les précurseurs remontent à bien plus loin, des écrits René Dumont dans la seconde moitié du 20ème siècle aux pratiques millénaires des agriculteurs de tous horizons. Elle constitue le coeur de ce rapport.

Enfin, le lien avec la session d'étude sera opéré à travers la description des réalités agricoles rwandaise et burundaise, ainsi qu'une visite dans une coopérative bananière de Gatore, dans la province de l'Est du Rwanda.

2 Coordonnant au niveau international des organisations de petits et moyens paysans, travailleurs agricoles, femmes rurales, communautés indigènes d'Asie, Amérique, Europe et Afrique

247 2. Souveraineté alimentaire

2.1. Définitions

Comme présentée plus haut, la souveraineté alimentaire consiste en un droit international qui laisse la possibilité aux populations, aux Etats ou aux groupes d'Etats de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations sans qu'elles puissent avoir un effet négatif sur les populations d'autres pays. La souveraineté alimentaire se place donc en rupture de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), laquelle vise à libéraliser les marchés agricoles avec plus ou moins de succès. Au niveau local, la souveraineté alimentaire tend à favoriser l'agriculture vivrière et paysanne, alimentant les marchés régionaux ou nationaux et plus efficace sur les plan économique, social et environnemental, en prônant entre autres un accès à la terre plus équitable pour les paysans [3.9].

La sécurité alimentaire un concept moins englobant et davantage mis en avant par les gouvernements des pays du Sud. Elle porte sur la quantité d'aliments disponibles et leur accessibilité à la population.

2.2. Périls au Sud

Au-delà de la volonté politique nécessaire à l'acceptation des principes sous-jacents à la souveraineté alimentaire, trois grands périls la menacent : (i) spéculation sur les produits agricoles, (ii) dumping sur les marchés agricoles internationaux ; et (iii) l'accaparement de terres. Comme on va le voir, ces trois facteurs cultivent une certaine interdépendance entre eux.

2.2.1. Spéculation sur les produits agricoles

A l'origine, l'emploi des produits dérivés employés sur les marchés agricoles comme les futures servaient à lisser les chocs pour les producteurs et consommateurs de produits agricoles. La dérégulation de la finance (et l'effondrement du marché immobilier) a contribué à introduire un grand nombre d'agents économiques non directement liés à l'activité économique afférente, comme les fonds d'investissement et les banques. Au Etats-Unis, la proportion de producteurs et consommateurs présents sur les marchés agricoles est passée de 39% en 2000 à 15% en 2008. D'un rôle stabilisateur, les produits dérivés agricoles sont devenus des amplificateurs des chocs. De 11 contrats par unité de blé produite en 2002, on

248 est passé à 30 contrats en 2007. Si au Nord, les fluctuations des prix des produits agricoles ont relativement peu d'effet sur notre pouvoir d'achat, la situation est autrement plus dramatique au Sud, où la nourriture correspond à 50 à 60% des dépenses faites par un ménage [3.12].

2.2.2. Dumping sur les marchés agricoles internationaux

L'effet conjugué des écarts de productivité entre agriculteurs du Sud et du Nord, de la libéralisation des marchés agricoles et de certaines subventions a pour effet de pousser les prix au plancher sur les marchés agricoles internationaux et par extension, sur les marchés nationaux et régionaux des pays du Sud. Les agriculteurs du Sud deviennent dès lors incapables de trouver des débouchés pour leur production.

2.2.3. Accaparement de terres et problèmes fonciers

A la suite des chocs sur les marchés agricoles, de la hausse des cours pétroliers (et par ricochet, d'intérêt accru porté aux agro-carburants), de la possibilité d'acquisition de crédits carbone, des états et des grandes entreprises vont chercher à se mettre en sécurité en acquérant des baux à longue durée (25 à 99 ans) sur de grandes étendues de terres arables (plus de 80 millions d'hectares, d'une taille moyenne de 40 000 hectares), particulièrement en Afrique sub-saharienne. Ces cultures sont dédiées approximativement à 37% aux cultures alimentaires, à 21% aux agro-carburants, et à 21% aux autres cultures commerciales (coton, etc.). Vu l'absence générale de systèmes fonciers formalisés, les transactions sont conclues avec l'état-hôte et les petits exploitants historiquement présents refoulés [3.13].

249 3. Agro-écologie

Avec en toile de fond des enjeux alimentaires (émeutes de la faim de 2008), climatiques (part de l'agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi effet du climat sur la production), énergétiques (importance du pétrole au niveau dans les chaines de production et d'utilisation des intrants) et environnementaux (contribution du système agro-alimentaire global à la dégradation des forêts, sols, réserves piscicoles et d'eau) déjà évoqués, on voit actuellement se confronter deux modèles, l'un biotechnologique, l'autre agro écologique, se donnant chacun pour but ultime de nourrir l'humanité.

Le premier a pour objet d'accroître la production alimentaire en répondant aux demandes de qualité et de sécurité sanitaire sur les marchés globaux, en s'appuyant sur les capacités biotechnologiques selon une logique de croissance de la productivité. Le second s'appuie quant à lui sur les capacités socio-environnementales à ré-naturaliser les systèmes alimentaires, en y intensifiant l'emploi, à travers une logique de suffisance [2.2]. Selon Marsden [2.3], la controverse découlant de la remise en cause du productivisme aboutit à un des présupposés fondamentaux de l'agro écologie3 : le déplacement de la question de la sphère technico-économique ("Comment augmenter la productivité pour répondre aux demandes croissantes du marché planétaire?") vers la sphère socio-technique ("Comment organiser autrement les systèmes alimentaires face à la diversité et à la multiplicité des enjeux et objectifs alimentaires, environnementaux et sociaux?").

Le contexte ambiant incite donc à penser qu'est périmé le cadre épistémologique du modèle biotechnologique. Ce modèle reste néanmoins prédominant au sein des hautes sphères, qu'elles soient académiques, politiques ou surtout économiques, qui ne veulent pour rien au monde renoncer aux acquis de la Révolution Verte, ni à ce qui en a découlé. On remarque cependant que la recherche et l'enseignement de l'agro écologie commence à prendre son envol, entre autres avec, en Belgique, la création d'un groupe de recherche financé par le FNRS en 2012 et l'ouverture d'un programme de formation interuniversitaire, et à l'international, la sortie en 2008 du rapport IAASTD4 ayant mobilisé 400 experts internationaux et dont les deux grands enseignements sont qu'une réorientation des sciences agronomiques et du développement agricole vers des approches plus holistique est nécessaire

3 Qui tient donc de la seconde logique, celle de la suffisance. 4 International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development

250 et qu'un modèle d'agriculture "biologique" était parfaitement à même de pourvoir aux besoins alimentaires de l'humanité [3.2]. Qu'au niveau politique, si elle reste encore à l'écart des agendas de l'Union Européenne, des Etats-Unis, des grandes agences onusiennes, et a fortiori des pays émergents, le plaidoyer mené en sa faveur par Olivier de Schutter (rapporteur spécial au droit à l'alimentation à l'ONU) commence à percoler, comme en témoignent les orientations prises par Stéphane Le Foll, Ministre français de l'Agriculture (PS) ayant élaboré un projet agro écologique pour la France[3.3].

Fig. 3.1 : La plupart des marques de produits alimentaires disponibles en supermarché sont contrôlées par dix entreprises. (Source : [3.4])

Que sur le plan économique, si le marché mondial est cadenassé tant en amont (semences, engrais de synthèse, pesticides) qu'en aval (groupes agro-alimentaires, voir Fig. 3.1) par une poignée d'acteurs dominants dotés de relais politiques efficaces, différents scandales secouent de façon de plus en plus marquée la société civile, de l'histoire de Percy Schmeiser, cet agriculteur canadien aux champs contaminés par des plants de colza Roundup Ready et condamné en 2001 pour viol de brevet dans un procès l'opposant à la firme Monsanto [3.5] aux lasagnes au cheval et tartes fécales ayant défrayé la chronique en 2013, en passant par le

251 règlement européen 2013/0262 sur les semences5, restreignant l'ouverture du marché aux semences brevetées au détriments des variétés locales ou traditionnelles, interdisant aux agriculteurs et jardiniers l'autoconsommation et l'échange de leurs semences et permettant aux semenciers d'effecteur des contrôles d'usage chez leurs clients [3.6,3.7].

3.1. Définition

Prenant acte des insuffisances du modèle actuel, mais aussi des verrous qui le maintiennent en place, attardons nous maintenant sur les définitions et principes structurant le champ de l'agro écologie.

Dans [2.2], les chercheurs du groupe GIRAF6 identifient trois étapes au cours desquelles s'est structurée l'agro écologie. Dans un premier temps, l'agro écologie a consisté à intégrer les principes de l'écologie dans une redéfinition de l'agriculture, en dépassant l'échelle de la parcelle pour s'intéresser à l'agro système productif dans son ensemble (farming systems), en vue de produire des connaissances et pratiques permettant de rendre l'agriculture plus durable. Paru en 1983, c'est l'ouvrage de Miguel Altieri, « Agroecology, the scientific basis of alternative agriculure » qui fait office de référence. En amont d'une grande diversité de pratiques et afin de préserver les agro systèmes paysans des conséquences néfastes de la révolution verte (dépendance aux intrants externes) et de favoriser des dynamiques endogènes de développement, cinq principes balisent alors l'agro écologie : 1. Permettre le recyclage de la biomasse, optimiser la disponibilité des nutriments et équilibrer les flux de nutriments. Ex : culture sur la même parcelle d'haricot et de maïs, le premier fournissant de l'azote au second, et le second faisant office de tuteur pour le premier 2. Minimiser l'usage des ressources externes non-renouvelables (engrais, pesticides, carburants) et garantir les conditions de sol favorables à la croissance des plantes, en gérant en particulier la matière organique et en améliorant l'activité biotique du sol. Ex : fertilisation à l'aide du fumier produit par le bétail

5 Adopté le 6 mai 2013 par la Commission Européenne, pas encore par le Parlement Européen ni le Conseil Européen.

6 Groupe Interdisciplinaire de Recherche en Agro écologie FNRS

252 3. Optimiser l'usage des ressources renouvelables (solaires, organiques et hydriques) par le biais de la gestion microclimatique, la collecte d'eau, la gestion du sol à travers l'accroissement de la couverture du sol et le jeu des complémentarités territoriales entre différentes orientation technico-économiques (notamment élevage-culture). Ex : ombrage du sol par des arbres, inhibant la croissance d'adventices (mauvaises herbes) 4. Favoriser la diversification génétique et d'espèces de l'agro écosystème dans l'espace et le temps. Ex : culture de plusieurs variétés d'une même espèce, améliorant sa résistance aux parasites et maladies ; et 5. Permettre les interactions et les synergies biologiques bénéfiques entre les composantes de l'agro biodiversité de manière à promouvoir les processus et services écologiques clefs. Ex : culture de plantes à réseau de racines important, augmentant la résistance du sol à l'érosion

Dans un second temps, le champ de l'agro écologie dépasse l'agro-écosystème pour s'élargir aux systèmes alimentaires, comprenant en plus de la dimension productive les dimensions d'organisation de filière et de consommation. Cette transition se fait en 2003, à la publication de l'article "Agroecology: The ecology of food systems" par des auteurs nord-américains et scandinaves. Cette extension rend explicite la contribution des sciences sociales dans l'étude des questions agro écologiques, en y intégrant les aspects socio-économiques et politiques, ce qui permet entre autres d'analyser la construction de verrouillages socio-techniques et de risques d'irréversibilités et questionne la formation des scientifiques travaillant sur les systèmes agricoles et alimentaires.

Enfin, la troisième mouture de l'agro écologie se fait en prenant en compte des rapports entre sciences et société : les citoyens, consommateurs, praticiens, mouvement sociaux peuvent accepter mais aussi refuser les diagnostics d'experts, adopter, adapter ou ignorer les innovations produites par les chercheurs. Ils peuvent aussi construire la recherche elle-même en apportant de l'eau à son moulin par le biais de savoirs et pratiques profanes (locaux, citoyens, traditionnels), attenants aux savoirs savants, menant ainsi à la transformation des problématiques et des méthodologies.

Ces deux prolongements de l'agro écologie, élargissement au système alimentaire dans son

253 ensemble et prise en compte des interactions entre science et société, enrichissent les principes jalonnant son action [2.2] :

6. Valoriser l'agro-biodiversité, comme point d'entrée de la ré-conception de systèmes assurant l'autonomie des agriculteurs et la souveraineté alimentaire. Ex : développement de l'activité microbiologique dans le sol pour l'apport et le traitement des nutriments vers les plantes.

Principes méthodologiques

7. Favoriser et équiper le pilotage multicritère des agro écosystèmes dans une perspective de transition sur le long terme en intégrant des arbitrages entre temps courts et temps longs et accordant de l'importance aux propriétés de résilience et d'adaptabilité. Ex : stratégies de fertilisation ménageant les sols tout en améliorant les rendements 8. Valoriser la variabilité (diversité et complémentarité) spatio-temporelle des ressources, i.e. exploiter les ressources et les caractéristiques locales et faire avec la diversité et la variété plutôt que de chercher à s'en affranchir. Ex : rotation des cultures sur une parcelle, plutôt que monoculture ininterrompue intensive en intrants agricoles 9. Stimuler l'exploration de situation éloignées des optima locaux déjà connus, e.g. des systèmes "extrêmes" à très faibles niveaux d'intrants et/ou biologique, aussi bien en élevage qu'en production végétale. Ex : augmentation du rendement d'une parcelle lors du passage d'une monoculture à la culture associée de différentes espèces complémentaires 10. Favoriser la construction de dispositifs de recherche participatifs qui permettent le développement de recherche "finalisée" tout en garantissant la scientificité des démarches. La conception de systèmes durables est en effet complexe et implique la prise en compte de l'interdépendance des acteurs, de leurs ambigüités, ainsi que de l'incertitude des impacts socio-économiques des innovations techniques. Ex : focus group réunissant chercheurs et agriculteurs enclins au test d'innovations échangeant sur les résultats et problèmes constatés

Principes socio-économiques

11. Créer des connaissances et des capacités collectives d'adaptation à travers des réseaux impliquant producteurs, citoyens-consommateurs, chercheurs et conseillers

254 techniques des pouvoirs publics qui favorisent les forums délibératifs, la mise en débat public et la dissémination des connaissances. Ex : échange sur les moyens mis en place dans une région pour lutter contre la contamination des cultures ou du bétail par une maladie. 12. Favoriser les possibilités de choix d'autonomie par rapport aux marchés globaux par la création d'un environnement favorable aux biens publics et au développement de pratiques et modèles socio-économiques qui renforcent la gouvernance démocratique des systèmes alimentaires, notamment via des systèmes cogérés par des producteurs et des citoyens-consommateurs, et via des systèmes (ré)territorialisés à haute intensité en main d'œuvre. Ex : regroupement des producteurs et/ou des consommateurs en coopératives 13. Valoriser la diversité des savoirs à prendre en compte : savoirs et pratiques locaux ou traditionnels et savoirs ordinaires, aussi bien dans la formalisation des problèmes et la construction des publics concernés par ces problèmes que dans la recherche de solutions. Ex : programmes d'éducation et d'organisation mis en place par des mouvements sociaux comme le Mouvement des sans-terres (MST) au Brésil.

A ce stade, quels sont donc les grands messages qui ressortent de cette première excursion dans les territoires de l'agro écologie? Sans se ramener à une discipline scientifique particulière, pas plus qu'à une idéologie, l'agro écologie a, au cours de son développement, à la fois pioché dans la recherche scientifique (en agronomie, mais aussi en sciences sociales), dans les pratiques parfois millénaires des agriculteurs (à travers des savoirs profanes, locaux, traditionnels) et dans le déploiement de mouvements sociaux, cherchant à restaurer une autonomie par rapport au diktat des marchés globaux. En termes d'objectifs, l'agro écologie vise à franchir un cap d'une logique de la productivité à une logique de la suffisance, tout en ménageant l'environnement et la santé des différentes parties prenantes, du producteur au consommateur final. Au-delà des intentions, en quoi et comment contribue-t-elle à l'accomplissement de ces objectifs? C'est l'objet du point suivant.

3.2. Apports

Dans [2.4], Olivier de Schutter, rapporteur spécial au droit à l'alimentation à l'ONU, énonce trois principes permettant d'assurer la réalisation du droit à l'alimentation : la nourriture doit être : (i) disponible (il y a suffisamment de nourriture produite pour rencontrer les besoins),

255 (ii) accessible (la nourriture est physiquement et économiquement accessible à tous, en ce compris les publics plus vulnérables) ; et (iii) adéquate (la nourriture répond aux besoins alimentaires, liés à l'âge, aux conditions de vie, à l'état de santé, au métier, au sexe, etc.). Voyons comment l'agro écologie peut contribuer à l'implémentation de ces principes, en créant des interactions et synergies imitant les processus naturels à l'échelle de l'agro système, et en s'appuyant sur des techniques mises au point à partir des connaissances et de l'expérience des agriculteurs.

3.2.1. Disponibilité

En contrepoint par rapport aux chiffres portant sur le gaspillage alimentaire donnés dans l'introduction, on entend souvent que la production agricole doit augmenter pour satisfaire les besoins alimentaires de tous, l'estimation la plus couramment citée étant une augmentation de 70% de la production d'ici 2050, chiffre tenant compte des évolutions de la démographie et de la consommation (liée à la progression de l'urbanisation et des revenus). Il est important de garder à l'esprit que ce chiffre s'inscrit dans un certain cadre, avec notamment un statu quo au niveau de la consommation de viande, nécessitant 50% de la production céréalière mondiale (ce qui équivaut aux besoins annuels en calorie de 3.5 milliards de personne) et engendrant des problèmes de santé publique croissants dans les pays du Nord. En plus du gaspillage des produits finis, il faut savoir que les pertes sont de l'ordre de 20 à 40% entre la plantation et la récolte (parasites et pathogènes) et de 12 à 50% après cette dernière (mauvaises conditions de stockage).

Dans une étude systématique et à grande échelle des impacts de l'utilisation de techniques agro écologiques [2.5], Pretty compare les résultats de 286 projets, couvrant 37 millions d'hectares dans 57 pays pauvres. Il en ressort que la productivité a augmenté en moyenne de 79% dans 12.6 millions d'exploitations, chiffre qui monte à 128% en Afrique Orientale, et ce en augmentant l'offre de services environnementaux essentiels et en utilisant pas ou peu d'intrants externes.

De quelles techniques parlons-nous? D'agroforesterie introduisant des arbres multifonctionnels dans un système agricole (fixation d'azote pour la fertilisation, résistance du sol à l'érosion, gestion de l'humidité et l'ensoleillement, etc.). D'intégration du bétail dans les systèmes agricoles (traction animale, source de protéines, fertilisation, lutte contre les parasites). De systèmes de récolte d'eau en zone aride (barrières de pierres en Afrique occidentale améliorant l'humidité du sol, reconstituant les nappes phréatiques et réduisant

256 l'érosion). De systèmes « push-pull » au Kenya intégrant conjointement des Desmodium (plantes répulsives, aussi utilisables pour le fourrage) entre les plants de maïs et des carrés d'herbes Napier (produisant une substance gluante piégeant les insectes), doublant les rendements du maïs et la production de lait tout en améliorant le sol, adoptée par plus de 10000 ménages en ayant pris connaissance par des réunions d'informations, des bulletins diffusés à la radio ou des fermes-écoles. D'intégration de canards et de poissons dans les rizières en Asie, mangeant les mauvaises herbes, leurs graines et les insectes, fertilisant et diversifiant les sources de protéines, tout en se substituant aux pesticides ou à une partie du travail manuel, améliorant les rendements au Bangladesh de 20%, et les revenus nets de 80%, coûts nominaux déduits [1.2,1.3,2.4,2.7].

Sur le plan de la durabilité, l'agro écologie permet d'assurer davantage les besoins des générations futures en regard avec les problèmes relatifs aux changements climatiques (augmentation de la fréquence de phénomènes météorologiques extrêmes), à la disponibilité et la pollution des sols et de l'eau ainsi qu'à la biodiversité [2.4]. Ainsi, une étude portant sur 180 communautés de petits exploitants nicaraguayens, réalisée à la suite du passage de l'ouragan Mitch en 1998 montre que les parcelles cultivées selon des méthodes agro écologiques obtiennent en moyenne une augmentation de 40% de l'épaisseur de la couche arable, un degré d'humidité accru des terrains, une diminution de l'érosion et des pertes économiques réduites par rapport aux parcelles conventionnelles, la résilience accrue des parcelles agro écologiques permettant une perte de couche arable inférieure de 18% et une érosion ravinante inférieure à 69% suite aux glissements de terrain [2.11]. Un effet indirect des évènements météorologiques extrêmes est la prolifération soudaine de parasites et maladies. La diversification génétique amenée par le mélange de variétés accroit ici la résistance des cultures. Ainsi, le mélange de variétés de riz vulnérables et résistantes aux maladies a permis d'augmenter les rendements de 89%, de diminuer la prévalence de la pyriculariose du riz (Pyricularia oryzae Cav.Magnaporthe grisea), maladie fongique des organes aériens du riz (feuilles, tiges et panicules) de 94% et d'abandonner l'usage des sprays fongicides dans la province du Yunnan en Chine [2.12].

3.2.2. Accessibilité

Le manque de disponibilité de l'alimentation est un problème se posant principalement à l'échelle des ménages dont les revenus sont insuffisants, plus qu'à celle du niveau des stocks ou de l'offre mondiale. Selon un rapport publié en 2008 par la Banque Mondiale [2.8], une

257 augmentation du PIB dans le secteur agricole est deux fois plus efficace que dans un autre secteur pour réduire de la pauvreté. Les effets multiplicateurs sont par ailleurs d'autant plus élevés lorsque la croissance vient de l'augmentation des revenus des petits exploitants : il en résulte une demande accrue auprès des vendeurs et prestataires locaux, alors que l'accroissement de rentrées dans une grande exploitation va se traduire par une augmentation d'importations (intrants et machines). Le cercle vicieux de la pauvreté rurale -dont les effets débordent vers l'extension des taudis urbains- est par conséquent d'autant mieux réduit par un soutien aux petits producteurs.

Une des principales contributions de l'agro écologie à la lutte contre la pauvreté réside dans l'organisation de la fertilisation à l'échelle de l'exploitation agricole, par le biais des effluents d'élevage et de culture, de l'agroforesterie ou de l'utilisation de légumineuses de couverture (capables de remplacer le volume d'engrais de synthèse actuellement utilisé [2.9]), productrices d'azote. L'utilisation d'engrais organiques réduit la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des prêteurs, commerçants locaux et subventions de l'Etat, et ce d'autant plus que le prix des engrais de synthèse est élevé et instable. L'impact est majoré d'autant pour les agriculteurs les plus pauvres et/ou situés dans les zones les plus reculées, pour lesquels le secteur privé comme l'Etat sont peu enclins à investir.

En termes d'emploi, l'intensité en main-d’œuvre de l'agro écologie (gestion des différents animaux et plantes de l'exploitation, mise en place des systèmes de recyclage des déchets produits, mais aussi secteur manufacturier local pour la fabrication d'outils), particulièrement au moment du lancement, permet de générer et d'augmenter les revenus en zone rurale, a fortiori lorsque le chômage et la croissance démographique y demeurent importants. En outre, le coût de la création d'emploi est généralement plus réduit dans l'agriculture que dans les autres secteurs (au Brésil, le coût du travail est plus élevé de 128% dans l'industrie, 190% dans le commerce, 240% dans les services [1.4]). En termes de qualité des conditions de travail, l'effet positif de l'ombre des feuillages et l'absence d'odeurs ou d'émanations toxiques habituellement véhiculées par les engrais et pesticides de synthèse est également à prendre en compte. Enfin, des groupes d'hommes spécialisés dans les méthodes traditionnelles de réhabilitation des terres se déplacent de village en village au Burkina Faso pour proposer leurs services aux agriculteurs [2.4].

3.2.3. Adéquation

En plus d'être disponible et accessible, il est nécessaire que la nourriture soit à même de

258 satisfaire congrûment les besoins nutritifs de tous, en termes d'apport calorique (lipides, glucides, protéines) mais aussi de micronutriments (vitamines, sels minéraux, etc.). Pour y parvenir, le maître-mot est la diversité des sources d'alimentation au niveau de l'agro système, et est repris de façon croissante par les nutritionnistes [1.5]. Dans [2.10], Campbell et al. mettent en avant le fait qu'en Afrique australe, les fruits locaux constituent selon leur estimation 42% du panier alimentaire naturel que consomment les ménages ruraux. En plus de former une source importante de vitamines et autres micronutriments, cela représente un tampon déterminant lors des saisons maigres. A l'inverse, la révolution verte peut être vue comme un contre-exemple édifiant : si sur le plan macro, ses résultats en termes d'amélioration de la productivité sont indéniables, il faut garder à l'esprit qu'elle a principalement été dirigée vers l'amélioration de cultures céréalières, comme le blé, le maïs et le riz, au contenu insuffisant en protéines et en micronutriments pour assurer à eux seuls une alimentation adéquate [2.4]. En se gardant cet élément dans un coin de la tête, il est piquant de réexaminer la controverse soulevée par le refus de la culture du riz doré (espèce transgénique enrichie en vitamine A) dans des zones où une carence en vitamine A est prégnante, refus apposé par des ONG environnementales comme Greenpeace, accusées pour le coup d'entraver la réponse aux famines [3.8].

L'agro écologie semble donc être une technique particulièrement percutante pour assurer le droit à l'alimentation pour tous, et ce de façon durable. Malgré les différents succès à relativement petite échelle rapportés ci-dessus, on ne peut pas dire qu'elle constitue à l'heure actuelle une lame de fond dans l'élaboration des programmes agricoles. Quels obstacles en sont à la source? C'est l'objet de la section suivante.

3.3. Obstacles

Dans [2.7], de Schutter et Van Loqueren, les auteurs listent sept obstacles s'auto-amplifiant d'eux-mêmes pour l'expansion de l'agro écologie :

1. Confusion entre productivité et compétitivité :

Alors que les exploitations agricoles de petite taille utilisent de façon plus efficace l'eau et la terre et que les économistes ont montré de longue date la relation inverse liant la taille de l'exploitation et sa productivité (loi des rendements décroissants), les exploitations plus importantes s'imposent naturellement sur les marchés agricoles. Cette divergence entre productivité et compétitivité s'explique par plusieurs facteurs :

259 les plus grandes exploitations bénéficient d'un accès facilité au crédit, d'une meilleure prise en compte lors de l'élaboration des politiques publiques, d'une intégration verticale facilitée dans les chaines alimentaires globales, d'une meilleure aptitude à répondre aux standards industriels, sanitaires et de qualité mais parfois aussi sociaux et environnementaux, d'innovations techniques plus faciles à intégrer (cultures transgéniques, mécanisation), alors que les plus petites exploitations doivent faire face à des coûts de transaction et problèmes d'agence souvent sous-estimés. Il est à noter qu'on parle bien ici de productivité par rapport aux ressources naturelles employées, l'emploi étant un facteur pouvant être accru par l'agro écologie et l'intensité capitalistique (mécanisation, intrants externes) inabordable économiquement à court terme, intenable environnementalement à long terme.

2. Rareté des politiques publiques soutenant l'agro écologie :

La libéralisation de l'agriculture, due d'une part aux programmes d'ajustement structurels provenant du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, d'autre part aux règlements de l'Organisation mondiale du commerce, enraye un investissement conséquent des états dans les politiques agricoles, la panacée proposée consistant en la mise au point de monocultures d'exportation vouées à ramener des devises, la plupart du temps au détriment d'objectifs de souveraineté ou de sécurité alimentaire. Ce second facteur accentue d'autant la position fragile des petits exploitants face aux grandes entreprises agricoles.

3. Absence de sécurisation des titres de propriétés des petits exploitants :

L'absence d'un régime de propriété clair et stable au niveau des petits exploitants dissuade ces derniers d'adopter des approches à long terme, comme la préservation des sols, des ressources aquifères ou encore la plantation d'arbres (agro-forestrie). De façon aggravante, les phénomènes récents d'accaparement de terres par des acteurs économiques importants fragilisent d'autant l'accès à la terre pour les petits exploitants.

4. Révolution génétique comme prolongement de la révolution verte habituellement prônée face aux problèmes de famine :

La croyance commune selon laquelle les problèmes de famine seront résolus par un

260 accroissement de la production grâce à l'utilisation de semences transgéniques (OGM) et l'usage massif d'intrants externes détourne l'attention d'une exploration plus globale des moyens assurant le développement agricole, générant au passage des effets de verrouillage technologique, comme en atteste l'évolution en cours de la législation européenne sur les semences décrite ci-dessus.

5. Perception de l'agro écologie comme un retour en arrière :

Si l'agro écologie permet de concevoir des systèmes fonctionnant sans mécanisation ni intrants externes, l'intégration graduelle de ces derniers n'est en rien impossible si le contexte s'y prête. Il est par contre pertinent de s'interroger sur leur valeur ajoutée : si l'approvisionnement en carburant n'est pas assuré ou que le remplacement de 20 agriculteurs sans terre par un tracteur accentuera l'exode rural plutôt qu'il ne permettra 19 créations d'emploi dans les secteurs secondaires ou tertiaires, il est étrange de considérer la mécanisation forcée comme un progrès. A l'inverse, la production d'équipement mécanique simple adapté aux nécessités des agriculteurs et à leurs techniques culturales accentue la création d'emploi dans le secteur manufacturier dans le même contexte.

6. Non-internalisation des coûts sociaux et environnementaux :

L'absence de prise en compte des externalités sociales et environnementales a facilité l'expansion de l'agriculture industrielle. Dans le même temps, la focalisation quasi- exclusive sur les aspects économiques occulte l'optimisation multicritère découlant d'une approche agro écologique.

7. Ignorance ou résistance face à l'agro écologie de la part d'organismes bénéficiant du statu quo.

L'inventaire des obstacles étant dressé, quelles politiques publiques sont nécessaires à mettre en place pour permettre une transition plus aidée vers l'agro écologie?

3.4. Politiques publiques

Dans [2.4] et [2.7], de Schutter propose un faisceau de politiques publiques visant à mettre en place une agriculture agro écologique. La focale retenue est celle d'un développement vertical, assurant un cadre propice dépassant la simple fourniture d'un accès à l'eau, la terre et

261 les semences et à mettre en œuvre de façon souple, permettant une réévaluation menée de concert avec les bénéficiaires et la mise en place d'un processus d'apprentissage social s'affranchissant des habituelles logiques top-down.

1. Priorité mise sur les biens publics :

L'investissement dans des biens publics tels que : installations de stockage, infrastructures rurales facilitant l'accès aux marchés locaux et régionaux (routes, électricité, technologie d'information et de communication), systèmes de crédit et d'assurance contre les aléas météorologiques, recherche et développement en agriculture et enfin formation et soutien des agriculteurs et coopératives est préférable à l'investissement dans des biens privés, comme la subsidiation d'engrais et de pesticides, ne portant ses fruits que jusqu'à ce qu'elle s'interrompue. Une étude menée sur 15 pays latino-américains sur la période 1985-2001 a montré qu'une réallocation des dépenses publiques augmentant de 10% la part allouée aux biens publics accroit le revenu agricole par habitant de 5%, alors que cet accroissement tombe à 2% si la réallocation est remplacée par une augmentation de 10% du budget alloué à l'agriculture [2.13].

2. Investissement dans le savoir

La forte intensité en connaissances de l'agro écologie exige des communautés d'agriculteurs l'acquisition de compétences tant sur le plan technique qu'organisationnel. Un investissement important des pouvoirs publics dans la dissémination des savoirs et la recherche agricole est donc rendu nécessaire. En Chine et en Inde, la recherche agricole est le premier facteur favorisant la production agricole, le second permettant la réduction de la pauvreté [2.14]. Riches d'un potentiel considérable, les recherches en agro écologie doivent d'autant plus être soutenues par les pouvoirs publics que leur non-brevetabilité éloigne le secteur privé.

3. Renforcement de la cohésion sociale par co-construction

Les services de vulgarisation jouent un rôle fondamental pour permettre une co- construction du savoir entre agriculteurs et entre agriculteurs et experts (a fortiori pour les agriculteurs vivant dans petites exploitations situées dans zones reculées). Quatre raisons motivent la co-construction des savoirs et des politiques pour la réalisation du

262 droit à l'alimentation : (i) les pouvoirs publics tirent parti de l'expérience et la contribution des agriculteurs, vus comme experts dont les connaissances complètent les compétences formelles, ce qui facilite la créations d'innovations et de nouveaux savoirs (ii) la participation des agriculteurs permet de s'assurer que les réponses proposées aux problèmes se posant chez groupes vulnérables soient efficaces, sans quoi, elles seraient immédiatement mises en cause par les concernés (iii) la co- construction renforce l'autonomisation des plus pauvres : le manque de pouvoir est un facteur auto-amplificateur de la pauvreté, les communautés marginalisées recevant moins d'appui que celles qui ont les moyens de se faire entendre (iv) la co-construction des politiques publiques avec agriculteurs lui donne de facto une légitimité accrue. En plus des services de recherche et de vulgarisation, le développement d'espaces d'apprentissage peut se faire au sein des ministères, des organismes éducatifs et des institutions financières. En Afrique de l'Ouest, des agriculteurs ont ainsi formulé 100 recommandations après avoir écouté des experts en matière de modèles d'agriculture, d'utilisation des sols, de droits fonciers, de questions macro économiques et de gouvernance de la recherche agricole [1.6].

4. Organisation des marchés

Améliorer l'accès aux marchés des petits exploitants passe par plusieurs mesures. Le développement de voies de communications secondaires en zone rurale est ainsi 3 à 4 fois plus important en termes de rendement marginal que celui de routes en asphalte [2.15]. La mise en place de systèmes de marchés publics, d'incitants fiscaux, de dispositifs de crédit et de politiques d'occupation sols peut favoriser la transition vers une agriculture à faibles émissions de carbone et usage réduits d'intrants externes. La création de coopératives leur amène la possibilité de réaliser des économies d'échelle, un pouvoir politique et économique accru et l'opportunité de remonter dans la chaine de valeurs en prenant en charge les tâches liées à l'emballage, au traitement et à la commercialisation. La protection contre la volatilité des prix et le dumping de produits subventionnés sur les marchés locaux est toutefois indispensable pour que le soutien aux pratiques agro écologiques fonctionne à plein.

5. Evaluation multicritère des performances

L'évaluation des projets agro écologiques doit aller plus loin que dans le seul

263 monitoring des rendements et mesures économiques comme la productivité du travail, en tenant également compte de la productivité liée à l'utilisation de facteurs de production comme la terre et l'eau -indispensable dans un monde de ressources finies-, l'impact sur la nutrition, la santé, les écosystèmes, l'émancipation sociale. De manière à surveiller l'évolution des groupes vulnérables, les données gagnent à être traitées de façon non-agrégée.

264 4. La situation au Rwanda et au Burundi

4.1. Données géographiques et agro-écologiques

La part de la région des grands lacs où s'étendent le Rwanda et le Burundi est caractérisée par un paysage de collines dont l'altitude varie de 800 mètres avec les plaines de l'Imbo au Burundi et celles de la Rusizi au Sud-ouest du Rwanda à plus de 4000 m dans la chaîne des Virunga. Les surfaces cultivées sont à peu près équivalentes (1 475 000 ha au Rwanda, 1 345 000 ha au Burundi). La population rurale y est largement majoritaire (82% au Rwanda, 90% au Burundi) [1.7]. D'après un rapport publié par OXFAM en janvier 2014, le Burundi est le pays où les problèmes de malnutrition sont les plus graves : 67% de la population burundaise est sous-alimentée [3.10]. Le problème est relativement moins prégnant au Rwanda ou la sous-alimentation en touche qu'un peu moins de 30% de la population [3.11].

Le climat est de type tropical tempéré par l'altitude. Les précipitations moyennes sont de l'ordre de 1100 mm/an, elles s'étendent de 800 mm/an dans les plaines de l'Imbo, la Rusizi ainsi qu'au Nord-Ouest du Rwanda à 1500 mm/an dans les chaînes montagneuses. La température moyenne annuelle régionale se situe autour de 19°C, elle peut osciller entre 15°C et 29°C en fonction de l'altitude. Une petite saison des pluies (en termes de pluviométrie, pas de durée) prend place de la mi-septembre à la fin décembre, une grande saison des pluies entre février et mai. Elles sont entrecoupées d'une petite puis d'une grande saison sèche. Ces conditions permettent deux à trois récoltes annuelles, ce qui assure une certaine complémentarité des productions culturales. Des petites exploitations familiales s'étendant sur une superficie moyenne d'un hectare, sur des pentes allant jusque 20%. On y trouve généralement une bananeraie dense à proximité des habitations, associée à des cultures d'ombrage comme le taro (Colocasia esculenta), une tubercule alimentaire. A la périphérie de la parcelle, on trouve des cultures vivrières (haricot, maïs, sorgho) en association complexe, accompagnées de quelques bananiers épars. Dans les marais, on retrouve des systèmes de culture diversifiés : rotation haricot-maïs ou patate douce avec du riz, herbe à fourrage, légumes, etc. Le bananier produit une biomasse importante (plus que les pâturages, boisements et céréales) grâce à sa grande capacité photosynthétique. La bananeraie fait l'objet d'une attention spéciale de l'agriculteur, qui s'y rend régulièrement pour l'entretenir : fertilisation (déchets ménagers, fumures), paillage (rétention de l'humidité, inhibition de la croissance des mauvaises herbes), sarclage (arrachage des mauvaises herbes), œilletonnage (sélection des rejets pour optimiser les performances du plant). La banane joue un rôle

265 prépondérant sur le plan alimentaire et peut être consommée de différentes manières, toute l'année : les bananes à cuire sont sources de féculents, les bananes dessert se mangent comme fruits et les bananes à bière servent à faire du jus ...et de la bière après fermentation ; cette dernière ayant un rôle social fort en plus de ses qualités nutritionnelles. En outre, la banane représente souvent une des seules sources de revenu des ménages ruraux, via la vente de régime, ou de produits transformés (jus et bière) sur les marchés locaux [1.7].

4.2. Visite d'une coopérative de bananes à Gatore (Rwanda)

Sur base d'une préparation avec J. Van Damme (groupe de recherche Genetics, Reproduction and Population de l'institut ELI à l'Université catholique de Louvain) a été réalisée la visite de la coopérative Camara à Gatore, à une trentaine de kilomètres de la ville de Kibungo, dans la Province de l'Est, dans le but d'y examiner les problèmes rencontrés et les stratégies mobilisées pour y faire face.

Les cultures de la coopérative se répartissent en bananes à bière (15%, variétés Intuntu, Ingrimba, Kahinja, FIA25 et Poyo), bananes à cuire (75%, variétés Injagi, Mujiba, Inkazikamura, Ibyerua) et bananes dessert (10%, variétés Kamaramasenge, Gros Michel, Gisukari et FIA17). Sans que les proportions n'aient pu être obtenues, une partie de la production sert à l'auto consommation, l'autre est écoulée sur les marchés.

Sur le plan institutionnel, la gestion quotidienne de la coopérative est faite par un comité élu pour un mandat de trois ans. Quelques uns de ses membres se forment à la ferme-école de Rwamagana (chef-lieu de la Province de l'Est), qui accueille 250 agriculteurs chaque trimestre, après quoi la dissémination des connaissances (lutte contre les maladies, utilisation des engrais organiques, luttes contre les ravageurs) est réalisée au sein de la coopérative. La coopérative est également en relation avec l'Institut des sciences agronomiques du Rwanda (ISAR) et le Consortium for Improving Agriculture-based Livelihoods in Central Africa (CIALCA) à des fins de recherche, le National Agriculture and Export Board (NAEB) le Rwanda Agricultural Board (RAB) à des fins commerciales. Elle dispose depuis 2006 d'une certification d'agriculture biologique l'autorisant à exporter vers l'Union Européenne, sans que ses pratiques culturales ne s'en soient trouvées changées. En interne, les membres s'entraident au travers d'une mutuelle (aidant à financer la scolarité et les soins en cas de maladie) et la reproduction du bétail. Grâce à un outillage rudimentaire, les pseudo-troncs de bananiers abattus sont réduits en filaments puis séchés à des fins textiles (Fig. 4.1).

266

Fig. 4.1. Réutilisation des pseudo-troncs

Lors de la visite d'une bananeraie, différents dispositifs culturaux ont été présentés.

Au niveau des facteurs abiotiques, la gestion de l'humidité est assurée par le paillage du sol, et les bananiers portant un régime suffisamment imposant sont stabilisés avec des pieux en cas de grand vent (Fig. 4.2).

Fig. 4.2. : Paillage du sol et soutien des bananiers

Au niveau des facteurs biotiques, la fertilisation est faite à l'aide de compost et de fumures de bœufs, porcs et chèvres enfouies dans des trous de 60 cm de rayon au dessus desquelles est planté un rejet de bananier. La lutte contre les ravageurs se fait principalement en les piégeant

267 dans un morceau de pseudo-tronc posé à côté du bananier. Les adventices sont retirés à la main. Leur pousse est toutefois inhibée par le paillage. Lorsqu'un bananier produit des rejets, il est œilletonné et les rejets replantés à un autre endroit, de manière à assurer une bonne taille des régimes. Il n'y a pas de cultures associées à proprement parler dans la bananeraie ; il y pousse toutefois de l'herbe Elephantis qui sert pour le fourrage du bétail. Les deux maladies dont pâtissent le plus les cultures sont la fusariose, maladie courante des végétaux (champignon ; symptômes : jaunissement et régression des feuilles des plus anciennes aux plus jeunes, fentes longitudinales dans le pseudo-tronc, décoloration vasculaire) et le flétrissement bactérien du bananier (bactérie ; flétrissement et jaunissement des feuilles, murissement prématuré du régime, exsudat bactérien).

268 5. Conclusion FR / Conclusie NL / Conclusion GB

En s'attaquant à la question de la faim, premier risque sanitaire dans le monde, tuant plus de personnes que le SIDA, le paludisme et la tuberculose réunis, ce rapport de session prend délibérément le pli d'un apport théorique conséquent, ne se retrouvant pas de façon directe dans la session d'étude. Le pont n'est évidemment pas simple à réaliser entre les concepts très élégants sur une feuille de papier et le temps brièvement passé sur un terrain découvert au moment même. J'espère néanmoins qu'il contribuera à susciter la discussion au sein de la Conférence Olivaint de Belgique (COB/OGB).

While tackling the issue of hunger, first sanitary risk in the world, killing more people than AIDS, malaria and tuberculosis put together, this session report gets deliberately into the habit of bringing a substantial theoretical contribution, which wasn't directly observed during the study session. The gap is indeed not easy to close between very handsome concepts put on paper and brief periods spent on the field, which was simultaneously discovered. Nevertheless, I hope that this report will contribute to raise up discussions with the Olivaint Conference of Belgium.

Bij het aanpakken van het probleem van de honger, het eerste gezondheidsrisico in de wereld, dat meer doden dan aids, malaria en tuberculose samen maakt, dit sessie verslag wordt een bewust vouw theoretische bijdrage daarom niet aanwezig direct in de studie sessie. De brug is natuurlijk niet eenvoudig te realiseren tussen zeer stijlvolle ontwerpen op een stuk papier en een korte tijd doorgebracht op open terrein op hetzelfde moment. Maar ik hoop dat het zal helpen om de discussie binnen de Olivaint Genootschap van België te stimuleren.

269 Bibliographie

Ouvrages cités :

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[1.3] Mazoyer M., Roudart L., "Histoire des agricultures du monde", Paris, Editions Points, 2002, 705 p.

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Articles repris en référence:

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274

La lutte contre la pauvreté au Burundi et au Rwanda

Céline Saelens

Stéphanie-Victoire Haine

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION - INLEIDING ...... 278 I. LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ AU BURUNDI ...... 280 II. ARMOEDEBESTRIJDING IN RWANDA ...... 291 A. INLEIDING ...... 291

B. EEN KORTE SCHETS VAN DE ECONOMISCHE EN DEMOGRAFISCHE SITUATIE ...... 292 1. Inleiding ...... 292 2. Rwanda, economische mogendheid van de toekomst? ...... 292 3. Een demografische schets ...... 293 C. DE STRIJD TEGEN ARMOEDE ...... 294 1. Inleiding ...... 294 2. De strijd tegen armoede “op papier” ...... 294 3. De strijd tegen armoede op het terrein ...... 297 4. De uitdagingen van de toekomst ...... 297 D. CONCLUSIE – CONCLUSION ...... 303

E. BIBLIOGRAPHIE...... 305

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Introduction - Inleiding

Burundi en Rwanda, gelegen in het hart van Centraal-Afrika, zijn omringd door grote landen zoals Congo en Tanzania. Het zijn ingesloten landen die geen directe toegang tot de zee hebben. In beide landen is de armoede heel hoog. Een groot deel van de bevolking leeft onder de armoedegrens. In het jaarlijks rapport over de competitiviteit van het Wereld Economisch Forum staat Burundi op de derde laatste plaats (van de 148 landen), en Rwanda op de 66ste plaats. De reden voor de hogere ranking van Rwanda ligt grotendeels bij de lage corruptie en de goedwerkende instellingen. Ook in andere rankings doet Burundi het niet goed. Er zijn dan ook niet veel meer cijfers nodig om tot de vaststelling te komen dat Burundi één van ’s werelds armste landen is. Rwanda daarentegen kan beschouwd worden als een economisch relatief welvarend jaar. Althans ten opzichte van Burundi. In dit studierapport, gebaseerd op onze persoonlijke ervaringen in beide landen en de informatie die we op het web vonden, maken we een schets van de armoede en de armoedebestrijding in beide landen. We stellen ons de vraag hoe de actoren omgaan met de armoede, wat er (op het terrein) gebeurt om de armoede in te perken, en hoe efficiënt deze bestrijding is.

Le Burundi et le Rwanda, situés au cœur de l’Afrique centrale, sont entourés de pays géants comme la République démocratique du Congo à l’ouest, et la Tanzanie à l’est. Ce sont donc, ce qu’on appelle couramment, des pays enclavés, c’est-à-dire des pays n’ayant pas d’accès direct à la mer. Ces petits pays africains de la région des Grands Lacs sont actuellement les pays les plus pauvres au monde, avec plus de 70% de la population vivant sous le seuil de la pauvreté. Dans le rapport annuel sur la compétitivité des pays de 2013 du World Economic Forum, le Burundi est le troisième pays le moins performant au monde. Par rapport au rapport de 2012, il a reculé de deux places dans ce classement qui prend en compte 148 pays. Le Rwanda, par contre, se trouve à la 66ième place. Ceci est en partie dû aux institutions publiques efficaces et à la corruption en baisse. Dans le rapport sur le développement humain 2013 des Nations Unies, le Burundi est classé 178 sur 186 pays. D’autres chiffres pourraient encore être cités, mais cela ne contribuerait qu’à rendre la lecture de ce compte-rendu assez rébarbatif, et n’illustrerait pas mieux le constat suivant. On peut affirmer que le Burundi est actuellement un des pays les plus pauvres au monde. Le Rwanda, quant à lui, a beaucoup avancé cette dernière décennie, et se trouve dans une position économique plus favorable. Dans ce rapport, nous nous pencherons donc sur la question suivante : comment les différents

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acteurs de la société luttent-ils contre cette pauvreté ? Sur base de notre expérience personnelle vécue pendant le voyage, et sur base des données fournies sur place et retrouvées sur le web, nous nous demanderons comment la pauvreté est-elle gérée dans les deux pays.

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I. La lutte contre la pauvreté au Burundi

1.1. La BTC/CTB

1.1.1. Introduction La CTB est l’agence belge de développement. L’organisation fait partie des acteurs importants luttant contre la pauvreté au Burundi ainsi qu’au Rwanda. De façon générale, elle mobilise ses ressources financières et humaines, ainsi que son expertise pour éliminer la pauvreté dans le monde. Contribuant aux efforts de la Communauté internationale, la CTB agit pour une société qui donne aux générations actuelles et futures les moyens de construire un monde durable et équitable. Ses collaborateurs à Bruxelles et à l’étranger concrétisent l’engagement de l’Etat belge et d’autres partenaires au développement pour la solidarité internationale. Plus concrètement, sur le terrain, son but est d’appuyer et d’encadrer des programmes locaux de développement pour le compte de l’Etat belge et d’autres donneurs d’ordre. Chaque activité est entreprise avec transparence et intégrité. De nombreuses règles et méthodes sont ainsi appliquées rigoureusement afin de lutter contre la corruption et les fraudes; principaux freins à la lutte contre la pauvreté. La CTB est présente dans une vingtaine de pays en Asie et en Afrique dont le Burundi et le Rwanda.222

1.1.2. CTB Burundi

1.1.2.1. Situation générale Hormis durant l’embargo imposé par la communauté internationale durant les années 90, la Burundi est, depuis son indépendance en 1962, un pays partenaire de la Belgique. Les institutions publiques burundaises ont beaucoup souffert des quinze ans de crise qu’a traversé le pays. Cette dernière a eu pour conséquences les plus importantes le gel des investissements,

222 CTB Burundi (éd.), Brochure – le Partenariat Burundi-Belgique 2010-2013. Et http://www.btcctb.org/fr/profil-ctb-mission-vision-valeurs, consulté le 20 octobre 2013.

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la suspension des programmes de coopération, la dispersion des ressources humaines, et la dégradation des infrastructures. Au Burundi, où l’indice de pauvreté est de 36,4%223, le secteur agricole couvre 95% des besoins alimentaires et emploie près de 90% de la population active. Mais la faible productivité, l’atomisation des terres, la faible maîtrise de la gestion de l’eau et les problèmes de transformation et conservation représentent des contraintes structurelles à la croissance agricole. Dans le domaine de l’éducation comme dans celui de la santé, la surcharge des établissements et le manque de personnel compétent représentent deux défis majeurs.

1.1.2.2. Partenariat Burundi-Belgique Le programme de Coopération 2007-2009, d’un montant de 60 millions d’euros, accordait déjà une place de choix aux secteurs de l’éducation, de l’agriculture et de la santé, un vaste programme de pavage en milieu urbain, tout en développant un programme d’appui à la bonne gouvernance qui englobe la justice, la police, le parlement, et la décentralisation. Nombre de ces interventions sont poursuivie jusqu’en 2012 ou en 2013. Le Programme de Coopération 2010-2013 est, quant à lui, axé essentiellement sur les secteurs de l’agriculture, la santé et l’éducation avec une ouverture toutefois sur la justice et la réforme de la Fonction Publique, de concret avec d’autres bailleurs. Les premiers projets de ce Programme ont démarré en 2011 ; les derniers se termineront vraisemblablement en 2017. Un budget de 150 millions d’euro est alloué pour leur réalisation.224

1.1.2.3. Stratégie 2010-2013 : 3 secteurs prioritaires Afin de lutter le plus efficacement contre la pauvreté, la CTB a pris la décision de se focaliser sur certains secteurs uniquement. Les trois secteurs sélectionnés sont : Agriculture, Santé et Education et formation. En ce qui concerne l’Agriculture, toute aide est la bienvenue car le secteur agricole burundais contribue à environ 50% du PIB et 85% des recettes d’exportations (café, thé, coton). Comme dis précédemment, il occupe environ 92% de la population active. Il s’agit donc tout naturellement du secteur d’intervention le plus important en terme de volume d’aide de la

223 Soit 116ème sur un total de 135 pays. Données provenant du Rapport mondial sur le développement humain en 2009 – PNUD (chiffres 2007) & de The Economist Intelligence Unit – Country report Burundi 2009. 224 Source : le Programme Indicatif de Coopération 2010-2013.

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coopération belgo-burundaise. Le nouveau Programme d’Appui Institutionnel et Opérationnel au Secteur Agricole (PAIOSA) a été mis en marche le 12 juin 2012. Ce programme agricole belge stimule une croissance économique durable en soutenant la mise en œuvre de la Stratégie Agricole Nationale 2008-2015 et ce, à travers deux composantes : l’augmentation et la meilleure valorisation des productions agricoles et d’élevages, ainsi que la promotion d’un environnement institutionnel favorable au déploiement des activités agricoles durables. L’année 2013 a également vu se développer des appuis au secteur privé semencier, ainsi qu’aux acteurs des filières lait, maïs, banane et riz dans les régions d’interventions. Pour ce qui est de la Santé, l’offre des services de santé au Burundi compte parmi les plus précaires au monde. Le taux de mortalité maternelle figure parmi les plus élevés et le nombre de médecins par habitant parmi les plus faibles.225 80% des médecins exercent dans la capitale, où vit seulement 8% de la population. Depuis 2008 la Belgique soutient la mise en œuvre de la Politique Nationale Sanitaire 2005-2015, à travers le Programme d’Appui Institutionnel au Secteur de la Santé au Burundi (PAISS) démarré en 2011, afin d’améliorer la gouvernance du secteur grâce à un programme « Appui institutionnel au secteur de la santé publique » visant à renforcer la performance du système de santé et la qualité des soins de santé. L’élaboration de normes sanitaires a également été réalisée, afin de connaître les besoins en personnel et en matériel dans le secteur. Enfin, les écoles paramédicales, qui forment les infirmiers, ont été renforcées et l’ensemble pédagogique a été revu. Comme le Burundi ne dispose que de ressources naturelles limitées, l’éducation et la formation revêtent un caractère primordial pour le devenir du pays. L’offre de l’enseignement primaire ne permet cependant pas encore de répondre à la demande accrue née de la gratuité de l’enseignement promulgué en 2005. L’enseignement secondaire technique et professionnel a bien du mal à répondre aux demandes d’un secteur privé encore peu développé. Le secteur de l’éducation dans son ensemble connait une réelle désorganisation. La coopération belgo- burundaise a pour objectif d’appuyer l’enseignement des métiers et la formation professionnelle à travers le projet Appui à l’Enseignement Professionnel (AEP) et le projet Appui à la Formation Professionnelle et Technique (AFPT). Un autre secteur sur lequel la CTB travaille est la formation des enseignants. 4 centres régionaux de référence assurant la formation des enseignants du primaire ont été identifiés. Ceux-ci vont dès lors bénéficier d’un

225 Soit 1 pour 23 000 personnes.

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appui pédagogique, et seront réhabilités et équipés. Enfin, l’appui à l’éducation se fait aussi via un Fond Commun de l’Education dont une deuxième phase débutée en 2013 prévoit de récolter 8,8 millions d’euro. Enfin, la CTB effectue également certaines Interventions Multisectorielles. Afin de contribuer au renforcement des capacités des fonctionnaires, des bourses d’études et de stages sont disponibles chaque année et deux fonds peuvent être actionnés par les ministères qui en font la demande. Des subventions sont octroyées chaque année aux associations locales pour le développement de microprojets. Différentes initiatives peuvent enfin être appuyées par la coopération déléguée, notamment dans la lutte contre la corruption, la promotion de l’égalité des sexes, la mitigation des effets du changement climatique, la réinsertion des anciens combattants ou le développement de nouvelles capacités de productions énergétique. Bien que toutes les provinces du pays connaissent des taux de pauvreté significatifs, des zones d’intervention prioritaires comme la province de Cibitoke, Gitega, Kirundo et de Ruygi ont été désignées. Ces provinces d’intervention connaissent des incidences de pauvreté particulièrement élevées.

1.1.3.4. Programme Pavage Le Programme Pavage, que nous avons eu l’occasion de visiter dans les rues de Bujumbura lors de notre séjour sur place, et déjà débuté durant le Programme de coopération de 2007- 2009, a atteint sa vitesse de croisière en 2012. En effet, 11,6 kilomètres de route ont été pavés dans les communes de Kinama, Kamenge et Cibitoke, ce qui représente un total de 12,8 kilomètres de routes pavées. En 2013, ce sont encore 14 kilomètres de routes qui seront pavées. En 2012, 969 personnes ont terminé le cycle d’apprentissage du Programme Pavage. Celles-ci, majoritairement des femmes, ont bénéficié de formations humaines sur la gestion des conflits, l’hygiène, le civisme et le planning familial-VIH/Sida. Elles ont également suivi des formations professionnelles dans toute une série de domaines (couture, électricité, menuiserie, etc.), sans oublier l’apprentissage des techniques de pavage sur le chantier. Elles ont perçu des bourses d’apprentissage pour un montant total de 679.527.596 BIF, soit près de 274.175 euro. A la fin du chantier-école, les lauréats ont également reçu une bourse d’installation pour un montant total de 179.009.700 BIF, soit près de 84 680 euro. Ces bourses ont pour but de faciliter la création d’une activité génératrice de revenus. Une quarantaine d’ex-apprenants se sont lancés dans l’aventure et ont bénéficié pour cela du

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soutien du partenaire ADISCO via des formations en éveil entrepreneurial et des conseils personnalisés. Depuis le début du programme pavage, 1117 personnes tirées au sort ont déjà participé au chantier-école et 784 sont en cours de formation. A la fin de l’année 2013, ce sont environ 3000 habitants des trois communes qui devraient bénéficié des opportunités de formation du programme. 2012 a aussi été l’année de la mise en place des activités en matière d’hygiène et d’assainissement. Un système de gestion des déchets solides (collecte et de recyclage) se met progressivement en place dans les trois communes. Les activités de pavage se sont également étendues à Kirundo. Des études techniques ont été réalisées, les carrières ont été ouvertes et des tailleurs de Bujumbura sont venus renforcer les équipes locales. Le pavage effectif commencera en mai 2013.

1.2. BNUB – Bureau des Nations Unies au Burundi

Lors de notre passage à Bujumbura, nous avons eu le privilège de visiter les locaux du Bureau des Nations Unies au Burundi dans lesquels nous avons assîté à une présentation des projets entrepris par l’organisation au Burundi.

1.2.1. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) Présent depuis 1975 au Burundi, le PNUD a apporté son assistance au pays dans divers domaines de développement socio-économiques. Récemment, il a été très proche du gouvernement et du peuple burundais par l’accompagnement du processus de paix aussi bien interne qu’externe, l’assistance aux communautés de base en vue d’assurer la transition de l’urgence au développement, la mobilisation de la communauté internationale, la coordination de l’aide et l’appui au processus électoral.226 Il apporte son expertise au gouvernement en vue de venir au bout de nombreux défis de développement. C’est dans ce cadre qu’il appuie la mise sur pied des outils de programmation gouvernementaux tels que le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté et l’étude prospective Burundi 2025. Dans le domaine de la

226 http://www.bi.undp.org/index.php?option=com_content&view=article&id=109&Itemid=141, consulté le 31 octobre 2013.

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mobilisation des fonds, le PNUD apporte son appui à travers le groupe de coordination des partenaires auquel participent les bailleurs de fonds qu’il copréside avec le gouvernement. Depuis 2007, le PNUD a revu son programme axé sur la bonne gouvernance, la lutte contre le VIH/SIDA, le genre, les droits de l’homme et l’environnement. Cette révision avait pour but de permettre au PNUD de participer davantage au processus de consolidation de la paix avec la mise en place, à partir de 2007, d’un bureau intégré des Nations Unies au Burundi (BINUB) qui s’occupe de ces sujets. Son but est de continuer d’aider le Gouvernement burundais à consolider la paix en renforçant les capacités nationales nécessaires pour s’attaquer aux causes profondes du conflit.

1.3. L’état burundais – Ministère des finances et de la planification économique

1.1.3. L’état burundais – Ministère des finances et de la planification économique

Les instances internationales et les organisations étrangères ne sont pas les seules à œuvrer dans la lutte contre la pauvreté. L’état burundais, à travers le Ministère des finances et de la planification économique a engagé en 2011 le second Cadre stratégique de la Lutte contre la Pauvreté (CSLP II) qui se poursuit encore en 2013. Comme le premier institué en 2005, il s’agit d’un vaste programme de développement qui a pour but de mettre l’accent sur les secteurs clés porteurs de croissance que sont l’agriculture, l’énergie, le secteur privé, le tourisme et les infrastructures. Il permet également d’identifier et de faire connaître aux bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux du pays ce qui manque pour sortir le Burundi de la pauvreté. Lors de notre passage à Bujumbura, nous avons eu l’occasion de rencontrer des membres du Ministère des finances et de la planification économique qui nous ont expliqué dans les moindres détails ce dont il s’agissait. Le CSLP II se concentre principalement sur la modernisation du secteur primaire, dont 90% de la population dépend, et le développement du secteur secondaire et tertiaire, tous deux extrêmement sous-développé au Burundi.

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Quatre axes centraux structurent le CSLP II. Le premier est le renforcement de l’Etat de droit, consolidation de la Bonne Gouvernance, et promotion de l’égalité des genres ; le deuxième : la transformation de l’Economie burundaise pour une croissance soutenue et créatrice d’emplois ; le troisième : l’Amélioration de l’accessibilité et de la qualité des services sociaux de base et renforcement du socle de la protection sociale ; et enfin, la Gestion de l’espace et de l’environnement pour un développement durable. Le programme s’articule donc autour de plusieurs sujets prioritaires comme le transport et les technologies, le secteur privé, l’éducation et la santé, l’eau, l’assainissement ou encore l’environnement. La Bonne gouvernance, la sécurité, les droits humains et l’intégration régionale sont autant d’autres axes prioritaires dans ce vaste programme de lutte contre la pauvreté, dont souffrent près de 70% de la population burundaise, surtout à cause de plusieurs années passées de guerre civile qui ont mis au rouge pratiquement tous les indicateurs socio-économiques nationaux, au point de faire reculer le pays de 20 ans sur son développement, dit-on dans les milieux économiques à la capitale, Bujumbura.

Un autre signe de l’enlisement économique dans lequel continue à se débattre le pays est que le budget de fonctionnement de l'Etat burundais n'en finit pas d'être soutenu à plus de 52% par les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux traditionnels. Le gouvernement compte également sur l’adhésion du pays au East African Community pour améliorer son développement économique. 227

1.4. La Maison Shalom

1.4.1. Objectifs

Depuis sa création en 1993 par Marguerite Barankiste, la Maison Shalom s’est investi dans l’aide aux orphelins de guerres, du SIDA, aux enfants de la rue, aux enfants mineurs et aux bébés en prison (nourrissons avec leurs mamans), et à ceux issus des parents indigents.

227 http://www.un.org/en/peacebuilding/pdf/Burundi_CSLP_II.pdf, consulté le 26 octobre 2013. Et Conférence d’un membre du Ministère du Finances et de la planification économique le 2/07/2013 à Bujumbura.

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Depuis la prise en charge en 1993 de 25 orphelins de la guerre, la Maison Shalom a assisté à ce jour plus de 20000 orphelins et autres enfants défavorisés. Depuis la fin des troubles, la Maison Shalom a graduellement changé d’objectifs. L’organisation n’attend désormais plus que les enfants ayant des besoins d’assistance viennent vers elle, elle va à leur encontre. La Maison Shalom a dès lors adopté une approche communautaire. De par leur 20 ans d’expérience dans le domaine d’assistance aux enfants vulnérables, Marguerite Barankiste s’est rendue compte que la solution pour aider l’enfant défavorisé d’une manière efficace et durable, c’est de développer la communauté dans laquelle il grandit. En plus des enfants, d’autres catégories de personnes, telles que les mamans avec des problèmes d'allaitement suite à la malnutrition et les malades indigents sollicitent et bénéficient de l’assistance de la Maison Shalom. La cause de tous ces problèmes est l’extrême pauvreté dans laquelle vivent les familles. C’est donc tout naturellement que l’approche de l’organisation est devenue communautaire : aller vers les familles pour les aider à se développer et à atteindre l’autosuffisance.

1.4.2. Maggy Marguerite Barankitse, plus connue par son diminutif de « Maggy » est née à Ruyigi et a grandi dans une famille élargie par l’adoption par sa mère de 8 enfants. C’est cette éducation d’amour et de partage qui a renforcé l'importance de l'amour du prochain et de la fraternité dans la vie de Maggy. Enseignante à Rusengo, elle poursuit ensuite ses études par trois ans de séminaire à Lourdes en France. À son retour au Burundi, elle débute son activité professionnelle. Professeur de français à l'école secondaire de Ruyigi, elle encadre aussi les jeunes en dehors des heures de classe. Durant cette période d'enseignement, Maggy «adopte» une de ses élèves, Chloé, qui, déjà orpheline de son père, venait aussi de perdre sa mère. Mais la démarche qui interpelle, Maggy est tutsie catholique, Chloé est Hutue et protestante : le rapprochement est plutôt inhabituel. Mais le 24 octobre 1993, les choses basculent à Ruygi. Pour se venger des tueries contre leur ethnie, des Tutsis cherchent les Hutus de la ville. Maggy tente de raisonner le groupe des Tutsis enragés par la haine. Pour la punir de ce qu’ils considèrent comme une trahison de la part de leur « sœur » tutsie, ils décident de la déshabiller, puis l'attachent sur une chaise, et la forcer à regarder le massacre de ses amis. Quelques heures après les massacres, de nombreux enfants se retrouvent désemparés sans parents et donc vulnérables. Maggy réalise alors quelle

287

sera sa mission ; lutter contre la violence et donner à ces enfants, puis aux 20 000 qui suivront, un foyer, une maison où ils se sentiront en sécurité. C’est dans cet environnement que nait ainsi la Maison Shalom.

1.4.3. Activités 1.4.3.1. Axe socio-éducatif Concrètement, la Maison Shalom travaille sur plusieurs fronts. Au niveau de l’éducation, plusieurs projets ont été fondés. En 2005, il y a eu lancement de la garderie communautaire, espace de jeu et de loisir pour les enfants dont la tranche d’âge variait entre 1 et 5 ans de parents paysans n’ayant pas les moyens de garder leurs enfants en bas âge tout en effectuant leur travail dans les champs. La sensibilisation par les éducatrices et les assistantes sociales à la prise en charge communautaire des orphelins à grande échelle a permis de réinsérer le maximum possible d’enfants dans leurs communautés respectives d’origine. La réussite de ce programme a laissé les bâtiments de la garderie communautaire de Nyamutobo presque vides. Inspirés par l’esprit rassembleur de Maggy, ces parents ont proposé de lancer l’initiative d’ouvrir une école internationale dans les bâtiments de la garderie communautaire. En commun accord avec ces parents, groupés au sein de l’association « Pépinière de l’Avenir » qui incluent actuellement d’autres membres qui n’ont pas d’enfants à l’Ecole Internationale, la Maison Shalom a appuyé cette initiative. La Maison Shalom a initié également un programme d'enseignement des métiers en vue de répondre au besoin de formation professionnelle d’un nombre élevé d’enfants soldats démobilisés, d’enfants de la rue, de personnes rapatriées, d’orphelins de guerre et d’autres enfants défavorisés. C’est dans cette optique que le Centre d’enseignement des métiers a été créé. Son impact a été très positif, grâce à lui le nombre d’enfants de la rue a drastiquement diminué à Ruyigi. Enfin, un autre projet, « Main tendue aux enfants », est lancé en janvier 2010 par la Maison Shalom. Sa mission est de favoriser la libération, puis la réinsertion dans la communauté des enfants mineurs ayant été incarcérés au Burundi.228

1.4.3.2. Axe socio-médical

228 http://www.maisonshalom.org, consulté le 29 octobre 2013.

288

Dans le secteur de la santé, la Maison Shalom a créé trois établissements. Le premier est l’hôpital REMA. Inauguré le 22 janvier 2008 et joue un rôle essentiel au cœur du système de santé du Burundi. En plus de la province de Ruyigi, l'Hôpital REMA accueille de nombreux patients provenant d'autres provinces du centre-est du Burundi. Son objectif est de prodiguer des soins de santé de qualité accessibles à tous, de contribuer à l’amélioration de la santé de la communauté, et d’offrir un cadre de développement humain et de formation. Etant donné que la grande majorité des patients de REMA vivent dans une extrême pauvreté, ces gens ne peuvent logiquement pas payer les coûts des soins reçus. L'Hôpital REMA a donc mis en place un système qui permet à ces personnes de contribuer au développement de l'établissement. Une fois guéris, ces anciens patients reviennent s'occuper du jardin potager de l'Hôpital ou amènent du bois de chauffage pour préparer la nourriture des malades. Ce travail permet d'approvisionner la cantine de REMA, d'améliorer l'alimentation des patients et des enfants qui la fréquentent. Le second établissement est le Centre de protection maternelle et infantile. Sa Mission est de promouvoir la santé de la Mère et de l’Enfant et améliorer les capacités de la communauté à dispenser les premiers soins à domicile. Mais d’également fournir une gamme d'activités complémentaires à l’Hôpital REMA. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’établissement se trouve à l’entrée de l’hôpital. Jusqu’en 2008, aucune école d’enseignement médical n’existait dans l’Est du Burundi. Cette situation a eu pour conséquence immédiate un faible accès de la jeunesse de la région aux formations paramédicales. Pire encore, certains d’entre eux, qui avaient eu la chance de décrocher une place, ont été obligés de renoncer par manque de moyens. Pourtant, les besoins en personnel médical au Burundi, et à l’Est en particulier, sont considérables. La carence en personnel médical peut potentiellement devenir une menace pour la santé de la population. C’est dans ce contexte que la Maison Shalom a entrepris de créer une école technique médicale secondaire donnant accès à une formation de qualité. Le cursus mis en place dure quatre ans et forme un personnel paramédical compétent pour l’Hôpital REMA et les autres centres sanitaires du pays. 229

1.4.3.3. Axe socio-économique et culturel

229 http://www.maisonshalom.org, consulté le 29 octobre 2013.

289

La maison Shalom a également œuvré sur le plan économique et culturel. L’organisation a créé la Cité des Anges, un centre de récréation et des activités générant de revenu. Il a été construit pendant les premières années de la Maison Shalom et comprend une salle de cinéma, une bibliothèque, une piscine et une salle polyvalente. De nombreuses activités culturelles très diverses y sont organisées régulièrement. Ce centre, que nous avons eu l’occasion de visiter, est pour le moins interpellant. En effet, il est unique en son genre au Burundi, très peu d’infrastructures à visée culturelle existent à travers le pays. Une autre création de l’organisation est la ferme de la Maison Shalom. Ce centre d’agriculture est un lieu de formation et de production dans lequel les jeunes reçoivent la possibilité de se perfectionner en agri-élevage. Afin de générer d’avantage de bénéfices, la maison Shalom a également créé la Guest house Frieden. Celle-ci emploie 23 jeunes qui s’aguerrissent ainsi aux activités de l’hôtellerie et la restauration. 230

230 http://www.maisonshalom.org, consulté le 29 octobre 2013.

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II. Armoedebestrijding in Rwanda

A. Inleiding

Rwanda behoort tot werelds armste landen. Zowel van buitenaf als vanuit de overheid worden veel initiatieven genomen om de armoede te doen afnemen. Deze bewonderenswaardige pogingen werpen hun vruchten af, hoewel 44.9 % van de bevolking nog steeds als “arm” kan worden beschouwd.231

In dit onderzoeksrapport gaan we na hoe de projecten geconcretiseerd worden, wat de rol is van de buitenlandse organisaties en hoe de overheid een halt probeert toe te roepen aan armoede. Alvorens zich in de kern van het onderzoek te verdiepen maken we kort een schets van de economische en demografische situatie van het land. Deze elementen zijn immers onmisbaar de uitdagingen waar Rwanda mee kampt te begrijpen.

231 http://www.sida.se/English/current-topics-archive/2012/Successful-development-policy-reduces-poverty-in- Rwanda/, geconsulteerd op 15 oktober 2013.

291

B. Een korte schets van de economische en demografische situatie

1. Inleiding

Hoewel andere rapporten hier veel dieper en uitgebreider op ingaan, lijkt het ons toch onmisbaar om de economische en demografische situatie van Rwanda te bekijken. Armoede hangt immers grotendeels af van de economische welvaart en demografische toestand van een land

2. Rwanda, economische mogendheid van de toekomst?

Op economisch vlak is Rwanda zeker niet de slechtste leerling van de klas. Samen met andere Afrikaanse mogendheden zoals Kenia en Tanzania scoort Rwanda redelijk goed wat betreft economische groei. Landbouw is de ruggengraat van de economie. Het draagt bij tot een groot deel van het BBP, en meer dan 80% van de bevolking is afhankelijk van landbouw.1

De landbouwsector is heel fragiel. Ruw terrein, erosie en klimaatveranderingen in combinatie met een gebrek aan moderne technologie zorgt ervoor dat de landbouw niet goed kan ontwikkelen.

Het landbouwsysteem is gekenmerkt door kleinschalige familieproductie, waar één gezin het vaak moet doen met minder dan 1 hectare grond.

Maar er lijkt beterschap in zicht. In de gegevens gepubliceerd in 2011 lijkt er een verbetering qua levensstandaard, en een verbetering in functie van de Millennium Development Goals (MDGs). Tussen 2006 en 2011 heeft Rwanda een gemiddelde jaarlijkse groei van het BBP van 8,4%.2 Deze groei is voornamelijk afkomstig door een hogere productiviteit in de landbouw- en industriële sector. De armen zouden het meest geprofiteerd hebben van deze groei. De overheid heeft eigen initiatieven ontwikkeld om zo de armoede aan te pakken op een zo lokaal mogelijk niveau. Het “één-koe-per-familie” programma, bijvoorbeeld, geeft families melk voor consumptie, en als er iets overschiet kunnen ze het verkopen. Dit programma bevordert de voeding en het inkomen op het niveau van het huishouden.3

1 http://en.wikipedia.org/wiki/Economy_of_Rwanda, geconsulteerd op 18 oktober 2013. 2 http://www.statistics.gov.rw/publications/article/rwanda-continues-achieve-mdgs, geconsulteerd op 15 oktober 2013. 3 http://www.minagri.gov.rw/index.php?id=28, geconsulteerd op 15 oktober 2013.

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Als resultaat daalde de armoedegraad van 56.7 % in 2006 naar 44.9 % in 2011.4 Indien het zou kunnen volgehouden worden op lange termijn, zou het jaarlijks de armoede doen dalen met 2,4 %. Een mix van politieke wil en economische groei helpt Rwanda’s succes in armoedebestrijding, ondanks uitdagingen zoals hun ingeslotenheid, hoge bevolkingsaantal en gebrek aan natuurlijke grondstoffen.5 Ondanks de kritiek op het beleid van Kagame moet gezegd worden dat het leiderschap van het land een duidelijke visie heeft. Het cultiveert een eenheid onder de overheid en de bevolking. Het lijkt alsof, in tegenstelling tot andere Afrikaanse landen, dat de ontwikkeling van de natie eerst komt. Hieronder verstaat men onder andere de gelijkheid tussen man en vrouw, de corruptie naar beneden halen en bureaucratie doen dalen.6 Deze maatregelen hebben ervoor gezorgd dat er buitenlandse investeringen komen. Maar het is geen uitsluitend rooskleurig verhaal. De begroting blijft tekorten tonen, en de handelsbalans is zelden positief. De export (voornamelijk koffie en thee) blijft ondermaats. Ook scheert de werkloosheid hoge toppen.7

3. Een demografische schets8

Het land strekt zich uit over 26.338 km² en telt 11,46 miljoen inwoners, van wie 87 % van de landbouw leven. 44,9 % van de bevolking leeft onder de armoedegrens.9 De demografische druk leidt tot een grote versnippering van de gronden en maakt de armoedeproblemen op het platteland, waar de meerderheid van de bevolking leeft, alleen maar erger. De verwachte levensduur van een Rwandees is 63 jaar.

Wat ons persoonlijk opviel in Rwanda (en ook in Burundi), was het grote aantal jonge kinderen. Deze kinderen waren vaak alleen, of in groepjes, maar zonder ouders of toezichthouders. Het zijn deze kinderen die het meest risico hebben op armoede en honger.

4 http://www.undp.org/content/rwanda/en/home/ourperspective/ourperspectivearticles/2012/10/15/rwanda-gains- made-against-poverty-a-lesson-for-others-.html, geconsulteerd op 75 oktober 2013. 5 http://en.wikipedia.org/wiki/Economy_of_Rwanda, geconsulteerd op 15 oktober 2013. 6 http://www.u4.no/publications/overview-of-corruption-in-rwanda/, geconsulteerd op 15 oktober 2013. 7 Ministerie van Financiën en economische planning, Rwanda vision 2020, Kigali, 2000 (http://www.gesci.org/assets/files/Rwanda_Vision_2020.pdf) , geconsulteerd op 30 oktober 2013. 8 http://en.wikipedia.org/wiki/Demographics_of_Rwanda, geconsulteerd op 15 oktober 2013. 9 http://data.worldbank.org/country/rwanda

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Men verwacht dat er in 2020 zo’n 16 miljoen Rwandezen zullen zijn.10 Dit is ongeveer het dubbele van de actuele bevolking. Uiteraard brengt deze bevolkingsgroei meerdere uitdagingen met zich mee. Niet alleen op gebied van huisvesting en onderwijs zal er een tekort aan plaats komen, maar ook qua voedselvoorziening en jobs op de arbeidsmarkt. De Rwandese overheid maakt wel middelen vrij voor geboortebeperking. Zo voerde men in het Strafwetboek een bepaling in die geweld tegen een vrouw die voor anticonceptie of geboortebeperking kiest, strafbaar.11

C. De strijd tegen armoede

1. Inleiding

De strijd tegen de armoede in Rwanda speelt zich af op twee niveaus. Men legt de basis van de armoedebestrijding “op papier”, om nadien tot concrete acties en resultaten te komen in de praktijk. Het leek ons leerrijk om de projecten “op papier” te vergelijken met de praktijk. Hoewel het onmogelijk is om alle projecten in het land onder de loep te nemen, hebben we er de – naar ons inziens- meest relevante uitgenomen. Uiteraard is de ontwikkelingshulp in Rwanda niet beperkt tot de domeinen landbouw en onderwijs. Er wordt, zowel vanuit regeringshoek als vanuit de NGO’s een hevige strijd gestreden tegen de “ziekte” die Afrika al zo lang teistert: armoede. De resultaten van deze strijd zijn hoopgevend, maar helaas is het einde nog niet in zicht.

2. De strijd tegen armoede “op papier”

Rwanda Vision 202012

Deze Vision is het resultaat van een nationaal consultatief proces dat plaatsvond in 1998- 1999. Rwanda Vision 2020 heeft als hoofddoel economische groei door de maatschappij te

10 Ministerie van Financiën en economische planning, Rwanda vision 2020, Kigali, 2000 (http://www.gesci.org/assets/files/Rwanda_Vision_2020.pdf), geconsulteerd op 1 november 2013. 11 http://allafrica.com/stories/201207030125.html, geconsulteerd op 1 november 2013. 12 Ministerie van Financiën en economische planning, Rwanda vision 2020, Kigali, 2000 (http://www.gesci.org/assets/files/Rwanda_Vision_2020.pdf), geconsulteerd op 1 november 2013.

294 om te vormen in een kenniseconomie met geschoolde werkkrachten. Er zijn zo’n acht doelstellingen die de armoede moeten laten dalen. Zowel het onderwijs, de gezondheid, gelijkheid tussen man en vrouw en ecologische duurzaamheid bevorderen.13

Om deze doelstellingen te bereiken is er een executief orgaan, Workforce Development Authority (WDA), dat een strategisch antwoord moet geven voor deze uitdaging door Technical Vocational Education and Training (TVET) te verbeteren.14

De Visie 2020 steunt op zes pijlers die we kort overlopen.

1° Goed bestuur en een bekwame staat

Rwanda zou een moderne, verenigde en welvarende natie worden, gebaseerd op de positieve waarden van haar cultuur. In dit opzicht moeten de rechtsregels alle burgers beschermen en steunen zonder discriminatie. De staat moet een goed bestuur garanderen. Dit goed bestuur uit zich in verantwoording transparantie en efficiëntie wat betreft de zeldzame rijkdommen en grondstoffen van het land. Ook moet de staat demografische structuren respecteren en mensenrechten tot uiting laten komen. Er moet niet alleen op centraal vlak gehandeld worden, maar men moet via decentralisatie, op lokaal niveau, zoveel mogelijk betrokken worden bij het wetgevend proces.

2° Ontwikkeling van Human Resource en een kenniseconomie door verbeteringen in het onderwijs en gezondheidsdiensten

De bedoeling van deze pijler is om productievere en efficiëntere arbeidskrachten te vormen. De focus ligt op onderwijs enerzijds, en gezondheidszorg anderzijds.

Op het gebied van het onderwijs neemt Rwanda deel aan de “Universal Education for All”, één van de belangrijkste millenniumdoelstellingen. Zoals we met onze eigen ogen hebben kunnen aanschouwen, kan het onderwijs is Rwanda nog veel verbeterd worden. Gezien het grote aantal jonge kinderen op het platteland, is het hoogst noodzakelijk dat de overheid hier veel aandacht aan schenkt. Maar ook de kwaliteit van de leerkrachten moet omhoog.

13 Ministerie van Financiën en economische planning, Rwanda vision 2020, Kigali, 2000 (http://www.gesci.org/assets/files/Rwanda_Vision_2020.pdf), geconsulteerd op 1 november 2013. 14 http://www.minecofin.gov.rw/fileadmin/General/EDPRS_2/EDPRS_2_FINAL1.pdf, geconsulteerd op 1 november 2013.

295 Leerkrachten moeten getraind worden in materies zoals technologie, ICT, engineering en management.

Ook wat de gezondheid en de demografie betreft zou Rwanda Vision 2020 een impact moeten hebben. Zoals hierboven reeds werd vermeld, kampt Rwanda met een overbevolking. Enkele redenen hiervoor zijn de hoge vruchtbaarheidsgraad van vrouwen, dat gelinkt is aan een pro- geboorte cultuur en een lage kindersterftegraad. In het algemeen is de sterftegraad in het land relatief laag, dankzij het klimaat en de topografie. Een belangrijke doelstelling is om de vruchtbaarheidscijfers naar beneden te halen om zo meer middelen vrij te hebben voor de bestaande bevolking wat medische zorg betreft.

3° Een ontwikkeling geleid door de private sector

Deze doelstelling valt samen met de ontwikkeling van een begoede middenklasse. De overheid zou zich moeten onthouden van de economische activiteit die evengoed door de privésector kan gedaan worden. Een ontwikkeling van de formele sector zal ook een positieve weerslag hebben op de informele sector, wat de werkgelegenheid ten goede komt.

4° De ontwikkeling van infrastructuur

Rwanda heeft economisch gezien potentieel, maar het kampt met één nadeel: het zit volledig ingesloten door buurlanden en heeft geen rechtstreekse toegang tot de zee. Hierdoor is het moeilijk om handel te drijven. Om de handel te vergemakkelijken moet er geïnvesteerd worden in de logistieke infrastructuur van het land. Spoorwegen moeten aangelegd worden, wegen moeten gelegd (of herlegd) worden, enzovoort.

5° Productieve meerwaarde en marktgeoriënteerde landbouw

Hoewel landbouw de voornaamste bron van economische groei is, presteert de sector niet goed (genoeg), en is de productie veel te laag. Een grote rol speelt de traditionele landbouw waarbij men uitsluitend aan de eigen noden denkt. Landbouwers produceren vaak enkel wat zij (en hun familie) nodig hebben om te overleven, en niet meer of niet minder. Hierop probeert de BTC in te spelen (zie infra).

6° Regionale en internationale integratie

Regionale economische integratie is een belangrijke hoeksteen van Vision 2020. Om dit te

296 bekomen moet het een open, liberaal handelsregime hanteren en de grenzen zo minimaal mogelijk houden. Investeringen van buitenaf moeten aangetrokken worden. Hiervoor werd Rwanda Development Board gecreëerd.

Deze “goede voornemens” van de overheid werpen hun vruchten af. Rwanda staat momenteel op de 66ste plaats in het Global Competitiveness Report van het Wereld Economisch Forum. Deze plaats heeft ze voornamelijk te danken aan de lage corrupte, de stabiele sociale instellingen, de efficiënte werkkrachten, enz.15

3. De strijd tegen armoede op het terrein

3.1.1. Het werk van de Belgische Technische Coöperatie (BTC)

1) BTC in Rwanda16

De Belgische Technische Coöperatie is sinds 1962, bij de onafhankelijkheid van het land, in Rwanda aanwezig. België is één van de drie grootste spelers op het niveau van bilaterale ontwikkelingspartners. Wat betreft het Belgische ontwikkelingsbudget is Rwanda de tweede grootste ontvanger van Belgische ontwikkelingshulp.

Sinds 1994 zijn heel wat inspanningen geleverd voor de socio-economische ontwikkeling van het land. Maar met meer dan de helft van de bevolking die onder de armoedegrens leeft, blijft Rwanda toch een van de armste landen in de wereld. Minder dan drie vierde van de bevolking heeft toegang tot drinkwater en bijna de helft beschikt niet over hygiënische en sanitaire voorzieningen. Met een arts voor 18.000 inwoners en een verpleegkundige voor 1690 inwoners ligt de gebruiksgraad van de gezondheidsdiensten op 70 %.

Sinds 2000 heeft de BTC, in naam van de Belgische overheid, meer dan 200 miljoen euro in ontwikkelingshulpactiviteiten gepompt. De voornaamste domeinen zijn gezondheid, justitie, onderwijs en landelijke ontwikkeling (waaronder landbouw, bosbouw, energie, water en sanitair).

15 http://www3.weforum.org/docs/WEF_GlobalCompetitivenessReport_2013-14.pdf, geconsulteerd op 10 november 2013. 16 http://www.btcctb.org/en/node/29, geconsulteerd op 7 november 2013.

297 België en Rwanda sloten in 2011 een Indicatief Samenwerkingsprogramma (ISP) af voor de periode 2011-2014. De totale enveloppe voor deze periode bedraagt 160 miljoen euro. Het ISP focust op gezondheid, energie en decentralisering. In andere domeinen biedt België ondersteuning aan andere partners in de ontwikkelingshulp. Voor dit Ontwikkelingsprogramma steunt de BTC zoveel mogelijk op het nationale onderwijssysteem.

De BTC werkt aan een betere toegang tot de basisgezondheidszorg, via de bouw en de rehabilitatie van de voorzieningen en via institutionele versterking op nationaal en regionaal vlak. Diverse Belgische projecten op het gebied van landbouw, water en sanitair en landelijke energie moeten de plattelandsontwikkeling versnellen. Ook de Rwandese justitie wordt met steun van BTC hervormd en institutioneel versterkt.

Ook andere donoren doen een beroep op de expertise van BTC. Een voorbeeld daarvan is het programma ter ondersteuning van de herbebossing in 9 districten in het noorden en oosten van Rwanda, dat BTC uitvoert voor rekening van de Nederlandse ambassade in Rwanda. Via het partnerschap met de Europese Unie voert BTC dan weer een programma voor water en sanitair uit in het zuiden van het land.

2) Projecten

Tijdens de studiereis hebben we meerdere projecten van de BTC bezocht. Ook kregen we een zeer interessante uiteenzetting in het hoofdkwartier van de BTC in Kigali.

Op de website van de BTC staan verschillende projecten. Omdat het te uitgebreid zou zijn deze allen te behandelen, hebben we er enkele uitgekozen. We zullen de projecten bespreken die we zelf hebben bezocht en enkele bijzondere projecten.

1° Landbouw- en plattelandsontwikkeling (2011-2016)17

CTB ondersteunt het ministerie van landbouw en dierlijke rijkdommen (MINAGRI) om zo de doelstellingen van het “Strategic Plan for Agricultural Transformation” (SPAT II, ontwikkeld

17http://www.btcctb.org/files/web/project/flyer/Market%20Oriented%20Advisory%20Services%20and%20Quali ty%20Seeds.pdf, geconsulteerd op 7 november 2013.

298 in 2008), te bereiken. Dit programma concentreert zich op twee domeinen: de zaadsector en landbouw-adviesdiensten.

De specifieke doelen van het programma zijn een verbeterde toegang en gebruik van kwalitatief zaad en adviesdiensten. Indien deze doelstellingen bereikt worden, zal de productie stijgen voor alle groepen landbouwers. Op deze manier wordt de voedseltoegang min of meer verzekerd. Gezien het grote aantal inwoners dat afhankelijk is van de landbouw, zijn de projecten van de BTC in dit domein zeer belangrijk.

Zowel België als Rwanda zijn partners, en het gaat om een budget van 18.620.000 euro.

BTC houdt enkele hoeksteken voor ogen, namelijk een hogere productiviteit garanderen op een duurzame manier, betere markttoegang en capaciteitsversterking en betere bestuur.

De nadruk op duurzaamheid en productiviteit komt tot uiting in de investeringen in kleinschalige irrigatie en goed waterbeheer, het versterken van systemen waardoor de kleine producent toegang krijgt tot beter zaaigoed, meststoffen en bestrijdingsmiddelen, het introduceren van kleinveeteelt in de productiesystemen… Deze acties dragen bij tot grotere voedselopbrengsten en hogere inkomsten voor de landbouwers.

Om een betere markttoegang te garanderen steunt de BTC de kleine producenten zodat deze efficiënte en betrouwbare leveranciers kunnen worden. Investeringen in kleine verwerkingsbedrijven, waardoor een meerwaarde voor de producten wordt gecreëerd, kunnen het inkomen van de armen op het platteland verhogen.

Wat de capaciteitsversterking en beter bestuur betreft, ondersteunt de BTC landbouwministeries en -instellingen op nationaal en lokaal niveau om participatieve beleidsprocessen te formuleren en te implementeren, om te reguleren en te coördineren. De civiele maatschappij en de privésector moeten bij het landbouwbeleid worden betrokken. Niet alleen de coördinatie tussen de privésector, de civiele maatschappij en de overheid is van belang, maar ook de coördinatie tussen de verschillende ministeries die een rol spelen in landbouw- en plattelandsontwikkeling, zoals de ministeries van handel, milieu, economie...

Ook lokale overheden, die door de decentralisatieprocessen een belangrijke rol krijgen toebedeeld in het creëren van een gunstig klimaat voor lokale economische ontwikkeling en landbouw, worden in hun rol ondersteund.

299 Ten slotte worden ook de producentenorganisaties versterkt, onder andere in hun rol van dienst- en adviesverleners aan hun leden en in het beheer van economische infrastructuur, zoals irrigatienetwerken en opslagplaatsen.

Het programma betreffende de “Marktgeoriënteerde adviesdiensten en kwalitatieve zaden” (MASS) trad in werking sinds juli 2011, voor een duurtijd van 5 jaar. Rwanda droeg 620.000 euro bij en België (via het BTC) 18 miljoen euro. De specifieke doelstellingen van het programma zijn een bevorderde toegang en gebruik van kwalitatieve zaden en adviesdiensten.18

Toen we in Rwanda waren, hebben we een concreet project van de BTC bezocht. Het betrof een aardappelveld waar men landbouwers van de omringende dorpen uitnodigde om een training te komen volgen. Tijdens de training leerden ze technieken om beter te planten en zo meer te oogsten. De resultaten waren verbluffend. De aardappelen die zonder de verbeterde technieken gepland werden, waren beduidend kleiner dan de aardappelen met de “BTC- techniek”.

18 http://www.btcctb.org/en/country/17/projects-list, geconsulteerd op 7 november 2013.

300

Foto’s van een aardappelveld, genomen door C. Saelens

2° Ondersteuningsprogramma voor beroepsopleidingen (2010-2015)19

Voor dit programma schenkt Rwanda 150,000 euro en België ongeveer 10 miljoen euro.

Het programma heeft als doelgroep de armen op het platteland. Het verbetert de competenties van de mensen om zo meer in lijn te liggen met de arbeidsmarktvereisten. De nadruk ligt op bouw, toerisme, landbouw, dieren en bosbouw. Het project werkt met “test” scholen in de Zuiderse provincies. De bedoeling is om na 5 jaar bepaalde resultaten behaald te hebben, waaronder de verbetering van de levenskwaliteit van arme mensen op het platteland.

19 http://www.btcctb.org/files/web/project/flyer/Support%20Programme%20for%20Vocational%20Training.pdf, geconsulteerd op 8 november 2013.

301 4. Uitdagingen voor de toekomst

Verschillende internationale donoren schrapten vorig jaar een deel of alles van hun hulp aan Rwanda. De reden hiervoor is de vermoedelijke steun aan de rebellen in het buurland Congo.

Het probleem is dat zo’n 40 % van het totale Rwandese overheidsbudget rechtstreeks komt van externe gelden. Dit komt overeen met een bedrag van zo’n 2.6 miljard dollar. Moest de steun van buitenlandse weldoeners wegvallen, zou dit een catastrofe kunnen betekenen voor Rwanda.

Maar in juli van 2013 hebben de Verenigde Naties zo’n 400 miljoen dollar uitgetrokken om de komende vijf jaar Rwanda te helpen in haar strijd tegen armoede, honger en ziekte. Van de 400 miljoen dollar zal zo’n 276 miljoen naar ontwikkeling gaan (inclusief gezondheid, voeding, onderwijs en milieu), terwijl de rest van het budget naar economische en overheidsprojecten gaat.20 Voorlopig zal de steun voor Rwanda dus niet volledig smelten als sneeuw voor de zon.

20 http://www.undp.org/content/rwanda/en/home/presscenter/articles/2013/07/24/one-un-and-government-of- rwanda-sign-a-new-5-year-us-400-million-programme-/, geconsulteerd op 12 november, geconsulteerd op 13 november.

302 D. Conclusie – Conclusion

Om de armoede te lijf te gaan worden zowel in Rwanda als in Burundi immens veel materiële, financiële en humanitaire middelen ingezet. Maar als men ter plaatse gaat, kan men met eigen ogen vaststellen dat er toch veel energie, tijd en geld verloren gaat in de strijd tegen armoede. In Burundi zijn vaak niet de instellingen zoals die van de overheid en de VN die het efficiëntst werken. De corruptie in het land zorgt ervoor dat veel van de middelen “blijft kleven” aan bepaalde handen. Wat de VN betreft, en dit geldt voor elke grote organisatie, wordt veel tijd verloren aan de bureaucratie en protocollen. Het is niet altijd duidelijk of de investeringen wel écht efficiënt zijn. De communicatie tussen de grote spelers op het gebied van armoedebestrijding en de lokale bevolking loopt niet altijd heel vlot. Het zijn de kleinere spelers, zoals Maison Shalom en de BTC met zijn lokale projecten, die het meest vruchten lijken af te werpen. In Rwanda lijkt de armoedebestrijding beter te werken, maar bepaalde factoren zoals de hoge geboortecijfers zouden daar wel een stokje voor kunnen steken. De Rwandese bevolking lijkt althans meer vooruit te willen dan de Burundese. Wat er ook van zij, het is in ons inziens vooral op het communautair vlak dat de strijd moet gestreden worden. Niet meer grootse projecten die vaak uitsluitend de aanwezigheid van bepaalde (politieke) actoren willen bevestigen, maar met kleinschalige, productieve projecten waar de mensen (voornamelijk landbouwers) écht iets aan hebben.

Afin de contrer la pauvreté au Burundi et au Rwanda, des moyens financiers, matériels et humains énormes sont mis en œuvre. Pourtant, après s’être rendu sur la place, on est forcé de constater à contre cœur qu’en fin de compte beaucoup d’énergie, de temps ainsi que d’argent sont perdus dans cette lutte contre la pauvreté. Ce ne sont pas des instances comme celles du gouvernement burundais ou des organisations internationales comme l’ONU qui semblent acter le plus efficacement. Dans le cas de l’Etat burundais, c’est surtout de l’argent qui est perdu, car malheureusement la corruption est encore fortement présente. Dans le cas de l’ONU, ce n’est pas un manque de bonne volonté, mais beaucoup de temps est gaspillé car le protocol et les procédures qui s’y rattachent doivent être respectés. Les meilleurs résultats sont obtenus par les projets établis par avec la communauté locale. Des organisations telles que la CTB/BTC, ou la Maison Shalom, présentes sur le terrain, se rendent ainsi mieux compte directement des besoins et des manquements sur la place. Il semble que la communication entre les grosses organisations avec la population locale ne va pas toujours de soi. Suite à nos visites et nos rencontres effectuées tout au long de notre voyage d’étude au Burundi et au Rwanda, nous sommes convaincus que la stratégie communautaire de la lutte

303 contre la pauvreté est celle à privilégier.

Many resources as well as financial and humanitarian efforts are made in order to combat poverty in Rwanda and Burundi. Yet, when visiting those countries, you quickly get the impression that much energy is wasted in that battle. Especially in Burundi, we got the impression that governmental institutions aren’t always as efficient as they are supposed to be. The widespread corruption in the country avoids that money is ending into the right pockets and spent for the right goals. The United Nations, as every other large organization, isn’t very efficient either, because much time is wasted on protocols and bureaucracy. So it wasn’t always very clear whether the investments made were really efficient. Unfortunately, the communication between those big players in the field and the local population isn’t as smooth as it should be. There are especially some smaller players, such as Maison Shalom and the Belgian Technical Cooperation (BTC) with its local projects that are most successful. During the trip, we had the impression that Rwanda was slightly better off, but certain factors such as the high birth rate could challenge that positive situation. What was also visible is that the Rwandese population seems to progress more quickly than the population of Burundi (some people link this to the very long civil war Burundi has endured). It seems that the battle has to be fought on the local field. No longer should the emphasis be on ambitious large projects, that want to put into place the big (political) players, but rather on the small- scale projects on which the people (and in particular the farmers) can further build their future on.

304 E. Bibliographie

Partie sur le Burundi:

CTB Burundi (éd.), Brochure – le Partenariat Burundi-Belgique 2010-2013. http://www.btcctb.org/fr/profil-ctb-mission-vision-valeurs, consulté le 20 octobre 2013. Rapport mondial sur le développement humain en 2009 – PNUD (chiffres 2007), http://www.dj.undp.org/pages/Off_Doc_Agr/HDR_2009_FR_Complete.pdf. The Economist Intelligence Unit – Country report Burundi 2009. Coopération Belgo-burundaise, Programme Indicatif de Coopération 2010-2013 (PIC), http://diplomatie.belgium.be/en/binaries/pic_burundi_2010-2013_tcm312-158657.pdf. http://www.bi.undp.org/index.php?option=com_content&view=article&id=109&Itemid=141, consulté le 31 octobre 2013. http://www.un.org/en/peacebuilding/pdf/Burundi_CSLP_II.pdf, consulté le 26 octobre 2013. Conférence d’un membre du Ministère du Finances et de la planification économique le 2/07/2013 à Bujumbura http://www.maisonshalom.org, consulté le 29 octobre 2013.

Deel over Rwanda: http://www.sida.se/English/current-topics-archive/2012/Successful-development-policy- reduces-poverty-in-Rwanda/, geconsulteerd op 15 oktober 2013. http://en.wikipedia.org/wiki/Economy_of_Rwanda, geconsulteerd op 15 en 18 oktober 2013. http://www.statiwstics.gov.rw/publications/article/rwanda-continues-achieve-mdgs, geconsulteerd op 15 oktober 2013. http://www.minagri.gov.rw/index.php?id=28, geconsulteerd op 15 oktober 2013. http://www.undp.org/content/rwanda/en/home/ourperspective/ourperspectivearticles/2012/10/ 15/rwanda-gains-made-against-poverty-a-lesson-for-others-.html, geconsulteerd op 75 oktober 2013. http://www.u4.no/publications/overview-of-corruption-in-rwanda/, geconsulteerd op 15 oktober 2013. Ministerie van Financiën en economische planning, Rwanda vision 2020, Kigali, 2000 (http://www.gesci.org/assets/files/Rwanda_Vision_2020.pdf) , geconsulteerd op 30 oktober 2013. http://en.wikipedia.org/wiki/Demographics_of_Rwanda, geconsulteerd op 15 oktober 2013.

305 http://allafrica.com/stories/201207030125.html, geconsulteerd op 1 november 2013. http://www.minecofin.gov.rw/fileadmin/General/EDPRS_2/EDPRS_2_FINAL1.pdf, geconsulteerd op 1 november 2013. http://www.btcctb.org/en/node/29, geconsulteerd op 7 november 2013. http://www.btcctb.org/files/web/project/flyer/Market%20Oriented%20Advisory%20Services %20and%20Quality%20Seeds.pdf, geconsulteerd op 7 november 2013. http://www.btcctb.org/en/country/17/projects-list, geconsulteerd op 7 november 2013. http://www.btcctb.org/files/web/project/flyer/Support%20Programme%20for%20Vocational %20Training.pdf, geconsulteerd op 8 november 2013. http://www.undp.org/content/rwanda/en/home/presscenter/articles/2013/07/24/one-un-and- government-of-rwanda-sign-a-new-5-year-us-400-million-programme-/, geconsulteerd op 12 november, geconsulteerd op 13 november.

306

L’exercice de la démocratie et

des droits de l’Homme

au Burundi & au Rwanda

Maxime de Cordes Arthur Ghins Alexandre Tangton

307

308 TABLE DES MATIÈRES / INHOUDSTAFEL

TABLE DES MATIÈRES / INHOUDSTAFEL ...... 309

1. INTRODUCTION ...... 311 2. DÉMOCRATIE AU BURUNDI ...... 312 2.1. REGIME MILITAIRE A PARTI UNIQUE (1966 – 1992) ...... 312 2.1.1.Les prémices ...... 312 2.1.2.L’apologie du parti unique ...... 313

2.2. OUVERTURE DEMOCRATIQUE ET GUERRE CIVILE (1988 – 1993) ...... 314 2.2.1.Un vent de démocratisation...... 314 2.2.2.Vers la guerre civile ...... 315

2.3. NEGOCIATIONS DE PAIX : ACCORD D’ARUSHA (1996 – 2005) ...... 318 2.3.1.La signature de l’accord d’Arusha ...... 318 2.3.2.La mise en application de l’accord d’Arusha ...... 319

2.4. DEMOCRATIE MULTIPARTITE ET DEMOCRATIE MONOPARTITE DE FACTO (2005 A

AUJOURD’HUI) ...... 321 2.4.1.Démocratie multipartite : les élections de 2005 ...... 321 2.4.2.Démocratie monopartite de facto : les élections de 2010 ...... 322 3. DROITS DE L’HOMME AU BURUNDI ...... 325 3.1. REGIME JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL DES DROITS DE L’HOMME...... 326

3.2. RESPECT DES OBLIGATIONS EN MATIERE DE DROITS FONDAMENTAUX ...... 328 3.2.1.Respect de l’intégrité de la personne ...... 329 3.2.1.1.Privation arbitraire de la vie (droit à la vie) ...... 329 3.2.1.2.Torture, traitements cruels inhumains et dégradants (droit à l’intégrité physique) ...... 331 3.2.1.3.Arrestation et détention arbitraires (droit à la liberté) ...... 333 3.2.2. Administration de la justice et droit à un procès équitable ...... 334 3.2.3.Liberté d’expression – défenseurs des droits humains et journalistes ...... 336

3.3. CONCLUSION ...... 339 4. DÉMOCRATIE AU RWANDA ...... 341 4.1. HISTOIRE DU RWANDA ET SON REGIME POLITIQUE ...... 341 4.1.1.Apparition du Rwanda et premiers régimes politiques ...... 341 4.1.2.Arrivée des missionnaires et période coloniale ...... 342

309 4.1.3.Indépendance et naissance de la République ...... 343 4.1.4.De la fin des années 60 au génocide de 1994 ...... 344

4.2. REGIME ACTUEL ...... 346 4.2.1.La Constitution et les élections de 2003...... 346 4.2.2Evolution du régime à nos jours ...... 347 4.2.3Avenir du régime ...... 347 5. DROITS DE L’HOMME AU RWANDA ...... 349 5.1. SITUATION JURIDIQUE ...... 349

5.2. EFFECTIVITE DES DROITS DE L’HOMME AU RWANDA ...... 349 5.2.1.Liberté d’expression ...... 350 5.2.2.Liberté d’association ...... 351 5.2.3.Justice : accès, procès équitable, impunité et conditions de détention ...... 351 5.2.4.Implication de l’armée rwandaise en RDC et soutien au M23 ...... 352

5.3. CONCLUSION ...... 352 6. CONCLUSION FR / CONCLUSIE NL / CONCLUSION GB ...... 354 7. BIBLIOGRAPHIE / BIBLIOGRAFIE ...... 360

310 1. Introduction / Inleiding

« J’aimerais attirer votre attention sur la jeunesse de notre démocratie ». C’est par ces mots que le chef du Protocole du Parlement Burundais nous recevait, le 10 juillet 2013 à Bujumbura. Cette déclaration pourrait également valoir, malgré la différence de contexte, pour le Rwanda. Ces deux pays divergent autant du point de vue culturel et économique qu’ils sont proches géographiquement. La lutte fratricide entre les Hutus et les Tutsis, elle, n’a pas connu de frontières. C’est pour cette raison que le problème politique, tant au Rwanda qu’au Burundi, a été pendant des décennies de résoudre l’équation ethnique afin d’atteindre un équilibre sur lequel construire une société réconciliée. Mettre en place une société apaisée est une œuvre de longue haleine, c’est pourquoi un embryon de démocratie n’a pu se développer dans ces deux pays voisins que récemment.

Certes, cette démocratie comporte encore dans les deux cas bien des zones d’ombre. Le monopartisme ne constitue pas un exemple de pluralisme politique. Le respect des droits de l’homme, corollaire indispensable de tout régime politique basé sur la représentativité et articulé autour d’élections libres, n’est pas assuré - bien qu’en des termes différents -, ni au Rwanda, ni au Burundi. Si l’on ne peut s’empêcher d’être critique, c’est bien parce que notre conception occidentale de la démocratie est exigeante. Mais encore faut-il bien comprendre le contexte dans lequel ces démocraties, encore jeunes, sont nées. On ne se débarasse pas des vieux démons du colonialisme et du génocide en quelques années, au détour de quelques arrangements constitutionnels.

Le présent rapport a pour objet de contribuer à la compréhension que l’on peut avoir de la démocratie au Burundi et au Rwanda, et de dessiner les lignes de fond de la problématique des droits de l’homme dans ces deux Etats. Il n’a pas prétention à l’exhaustivité, tant les thématiques qui y sont abordées sont vastes et complexes Il s’efforce de retracer la genèse des régimes démocratiques dans ces deux pays que nous avons visité en juillet, en essayant de dégager la responsabilité des différents acteurs politiques qui les ont façonné. Il essaye également de rendre compte de la situation inquiétante que connaissent les droits humains dans ces deux pays, sans verser dans la caricature. Ce faisant, il espère rendre justice au burundais(es) et aux rwandais(es) qui ont œuvré et œuvrent encore aujourd’hui pour que la démocratie et le respect des droits fondamentaux deviennent une réalité, permettant en cela de dépasser les violences du passé.

311 2. Démocratie au Burundi

L’évolution politique au Burundi, des années 1960 à nos jours, se caractérise par l’avènement du partage du pouvoir avec l’ethnie Hutu longtemps accaparé par les régimes Tutsi jusqu’à l’élection d’un président Hutu à la tête du pays. C’est pourquoi de nombreux politiciens voient la « démocratie multipartite » comme le seul moyen pour les Hutu d’accéder correctement au pouvoir. A l’inverse elle serait néfaste pour les Tutsi puisqu’elle les a privés de leur pouvoir, monopolisé durant trois décennies. Dès lors, certains partis représentatifs de la minorité Tutsi préfèrent évoquer une « démocratie participative », dans la mesure où celle-ci leur permettrait de rester dans les sphères du pouvoir1.

2.1. Régime militaire à parti unique (1966 – 1992)

2.1.1. Les prémices

Au lendemain de l’Indépendance du BURUNDI, la Commission des Nations Unies pour le Ruanda-Urundi (CNURU) est chargée de superviser le déroulement et l’organisation des élections législatives prévues en septembre 1961, au terme desquelles seront choisis les futurs représentants du BURUNDI indépendant. Le parti politique nationaliste du BURUNDI à prédominance Tutsi, l’Union pour le progrès national (ci-après l’UPRONA), sort largement vainqueur de cette intense compétition électorale en remportant 90% des sièges à l’Assemblée nationale. Son fondateur et leader charismatique, le prince Louis Rwagasore, fils du mwami Mwambutsa IV, occupe alors brièvement le poste de Premier ministre du 29 septembre jusqu’à son assassinat le 13 octobre 1961. Engagée avant même l’Indépendance, la lutte pour la succession à la tête du parti UPRONA s’intensifie après l’assassinat de Rwagasore jusqu’à la scission de la direction du parti en deux groupements distincts et rivaux : celui de « Casablanca » et celui de « Monrovia ». Ce clivage au Parlement prend rapidement une lourde connotation ethnique.

1 A. A. NYAMITWE, « Démocratie et ethnicité au Burundi », Essai sur des mots et des acteurs autour d’un enjeu de justice et de pouvoir (1962-2005), Paris, Parole et Silence, 2009, p. 98.

312 Le parti UPRONA est également supporté par des Hutu jusqu’à la l’assassinat, le 15 janvier 1965, d’un de ses membres Hutu, le Premier ministre Pierre Ngendandumwe. Après sa mort, le conflit ethnique s’aggrave tandis que le roi décide la dissolution de l’Assemblée nationale le 3 mars 1965 en vue de la renouveler en sa faveur. Toutefois, bien que l’UPRONA reste le premier parti avec 21 sièges, les élections législatives au suffrage universel révèlent le regain d’intérêt pour le Parti du peuple (PP) qui gagne 10 sièges sur les 33 de l’Assemblée nationale. Ainsi, la coalition Hutu sort majoritaire des élections législatives dans un contexte ethnique conflictuel mais le roi Ntare V nie ces résultats, refuse d’instituer la nouvelle Assemblée nationale et nomme son cousin, un gwana, au poste de Premier ministre, en méconnaissance du choix posé sur Gervais Nyangoma par la majorité parlementaire. L’ethnicisation des partis politiques burundais est alors bien réelle et donne lieu à des massacres ethniques.

Quelques mois plus tard, le 28 novembre 1966, le capitaine Michel Micombero, d’origine Tutsi, renverse le roi à la suite d’un coup d’Etat, prend la tête de l’UPRONA et proclame la république dont il devient le premier président. Il instaure alors une dictature militaire qu’il dirige jusqu’à sa destitution par le colonel Jean-Baptiste Bagaza en 19762.

2.1.2. L’apologie du parti unique

Le régime militaire à parti unique sévit au BURUNDI pratiquement de 1966 avec l’arrivée au pouvoir de Michel Micombero jusqu’en 1992. Le parti unique monopolise tous les pouvoirs de sorte que tout projet doit émaner de l’Etat qui n’accepte aucune opinion alternative issue de la société civile. Cet état de fait explique principalement pourquoi les partis politiques Hutu tels que le Parti pour la libération du peuple Hutu, le PALIPEHUTU, le Parti des travailleurs du BURUNDI (UBU), le Front pour la démocratie au BURUNDI (FRODEBU), notamment, sont nés dans la clandestinité. Ces partis, s’ils abordent chacun la question ethnique de manière singulière, s’opposent tous au monolithisme du parti UPRONA3.

2 H. NGENDAKUMANA, « Le Burundi face à la civilisation électorale » (Disponible sur http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=6395). 3 A. A. NYAMITWE, op. cit., pp. 169 et 170.

313 Défendant la position de son parti, Nicolas Mayugi, président de l’UPRONA de fin 1990 à 1994, considérait la démocratie multipartite comme « l’errance de la démocratie ». En accord avec les autres partis, il considère que le peuple constitue le fondement du pouvoir politique. Ainsi, la démocratie serait « le mode de gouvernement que se donne un peuple qui a pris conscience de son importance en tant que détenteur d’un pouvoir » qu’il délègue aux représentants politiques agissant dans l’intérêt de la communauté. Dès lors, suivant le raisonnement de Nicolas Mayugi, le cadre d’expression du pouvoir politique ne saurait être multiple « car cela signifierait l’éclatement du peuple et […] de la communauté d’intérêts ». C’est pourquoi le seul cadre politique possible, garant d’une véritable démocratie et de l’exercice ordonné du pouvoir du peuple dans son intérêt, revêt la forme du parti unique et non celle du multipartisme en proie, lui, à des préoccupations tierces à celles du peuple et de la nation4.

2.2. Ouverture démocratique et guerre civile (1988 – 1993)

2.2.1. Un vent de démocratisation

A la fin des années 80, un « vent de démocratisation » souffle sur l’Afrique subsaharienne et ouvre les portes de la sphère politique au multipartisme. Au BURUNDI cependant, le processus d’ouverture démocratique démarre dans un contexte particulier5. Dans un premier temps, le régime en place durcit les conditions de création d’associations dissidentes. C’est dans ce contexte que nait, dans la clandestinité, l’association et futur parti FRODEBU, issue du monde paysan, opposée au monolithisme politique et déjà dirigée par Melchior Ndadaye et Pontien Karibwami6.

Mais en août 1988, au nord du pays, les communes de Ntega et Marangara connaissent des massacres à caractère ethnique dont sont victimes près de 5000 (chiffre du gouvernement) et 20 000 (autres sources) victimes, principalement des Hutu, et qui obligent 60 000 autres Hutu à se réfugier au Rwanda. Sous la pression des organisations internationales, le major

4 A. A. NYAMITWE, ibidem, pp. 99, 100 et 102. 5 F. REYNTJENS, « Les transitions politiques au Rwanda et au Burundi », L’Afrique des Grands Lacs. Dix ans de transitions conflictuelles, sous la dir. de F. Reyntjens et S. Marysse, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 10. 6 A. A. NYAMITWE, op. cit., pp. 172 et 173.

314 Pierre Buyoya (UPRONA), arrivé au pouvoir en 1987, entame alors une dynamique de « réconciliation nationale » inédite, en rupture avec l’insensibilité historique du régime face à de tels événements. Une Commission nationale chargée d’étudier la question de l’unité nationale associant autant de Tutsi que de Hutu est d’abord mise sur pied en octobre 1988. Ensuite, le président Buyoya institue le 19 octobre un Hutu, Adrien Sibomana, aux fonctions de Premier ministre du gouvernement qu’il recompose de façon paritaire7. La dite commission nationale rend un rapport en avril 1989 selon lequel « le BURUNDI avec son homogénéité multidimensionnelle ne constitue en fait qu’une ethnie »8. Par ailleurs, poursuivant son objectif d’intégrer les Hutu dans la vie politique, le major Buyoya procède en février 1991 à l’adoption par référendum d’une Charte de l’unité nationale élaborée sur base des travaux de la Commission ainsi que d’une nouvelle Constitution en mars 1992 qui légalise entre autres le multipartisme et la « liberté d’expression dans le respect de l’ordre public et de la loi ». Autrefois non agréé en tant qu’association car connu pour son opposition au régime, le FRODEBU acquiert finalement le statut de parti politique en 1992, en vertu de l’article 26 de cette nouvelle Constitution.

Le pluralisme politique devient donc inévitable, malgré le pessimisme de Buyoya. Celui-ci estimait en effet, seulement un an auparavant, que le multipartisme « [s’était soldé] par le passé par le tribalisme, le régionalisme et tous les maux que le pays ait connus ». En outre, les élites Tutsi craignent que cette ouverture démocratique ne débouche à l’avenir sur un parallélisme entre majorité ethnique et majorité politique. Elles analysent dès lors cette évolution de la réconciliation nationale vers une démocratie majoritaire comme une atteinte à l’unité nationale9.

2.2.2. Vers une guerre civile

Bien que l’UPRONA reste l’auteur de la Charte de l’unité nationale, de la Constitution

7 F. REYNTJENS, op. cit., p. 10. 8 S. VANDEGINSTE, « Théorie consociative et partage du pouvoir au Burundi », L’Afrique des Grands Lacs. Dix ans de transitions conflictuelles, sous la dir. de F. Reyntjens et S. Marysse, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 181. 9 E. PALMANS, « L’évolution de la société civile au Burundi », L’Afrique des Grands Lacs. Dix ans de transitions conflictuelles, sous la dir. de F. Reyntjens et S. Marysse, Paris, L’Harmattan, 2006, pp. 212 et

213 ; F. REYNTJENS, op. cit., p. 11.

315 et de la loi fixant l’agrément de partis politiques, de nouveaux acteurs politiques concurrents de l’UPRONA entrent dans l’arène politique dès la mi-1992 en même temps que la presse et la société civile se libèrent. Parmi les partis d’opposition, le FRODEBU en particulier enregistre un grand nombre d’adhésions dès l’automne 1992 et connaît un vif succès lors de ses meetings auprès de ses sympathisants10.

Le 1er juin 1993, au terme d’une campagne pour l’élection présidentielle sereine mais largement ethnicisée opposant l’UPRONA, le FRODEBU et le Parti pour la réconciliation du peuple (PRP), les résultats du scrutin annoncent, à la surprise du clan UPRONA, la victoire du candidat FRODEBU, Melchior Ndadaye, à 65,68 % des suffrages exprimés contre 32,86 % en faveur du candidat UPRONA, le major Buyoya, et 1,46 % pour Pierre-Claver Sendegeya représentant le PRP. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un président Hutu est élu démocratiquement. Lors de ces élections, l’emprunte ethnique s’est considérablement approfondie dans la conscience collective et les stratégies électorales ont instrumentalisé ouvertement cette idéologie, soit pour conserver le pouvoir, soit pour le conquérir. L’UPRONA tenta en effet de discréditer le FRODEBU en le comparant au parti à visé ethnique PALIPEHUTU en ce qu’il serait « un parti divisionniste et tribal [recrutant] sur des bases ethniques ». Le FRODEBU, lui, désigna l’UPRONA seul responsable des massacres ethniques et de tous les maux apparus au BURUNDI depuis l’Indépendance afin de gagner le vote des électeurs11.

Suivent peu après, le 29 juin 1993, les élections législatives qui viennent confirmer et renforcer l’assise du parti FRODEBU. Il obtient en effet 71,40 % des voix, disposant ainsi de 65 sièges sur 81 à l’Assemblée nationale, soit plus que le seuil nécessaire pour amender la Constitution, tandis que l’UPRONA chute à 21,43 %. L’Assemblée nationale compte désormais environ 85 % de Hutu et 15 % de Tutsi, ce qui correspond à la proportion démographique reconnue habituellement à ces deux ethnies. La crainte des élites Tutsi

10 F. REYNTJENS, ibidem, p. 12. 11 H. NGENDAKUMANA, « Le Burundi face à la civilisation électorale » (Disponible sur

http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=6395) ; J. NIMUBONA, « De l’accord d’Arusha aux élections de 2005 : le processus de paix au Burundi. Entre espoirs et inquiétudes », L’Afrique des Grands Lacs. Des conflits à la paix ?, sous la dir. de E. Remacle et V. Rosoux, Bruxelles, Peter Lang, 2007, p. 63.

316 qu’une majorité ethnique se mue en une majorité politique se confirme alors12.

Le parti déchu de son pouvoir analyse ces résultats comme un vote ethnique et tentent sur cette base, en vain, de les faire annuler par la Cour Constitutionnelle. Par ailleurs, des premières contestations de la part du milieu estudiantin Tutsi s’étaient déjà élevées dans les rues de BUJUMBURA au lendemain des élections présidentielles. Puis, dans la nuit du 2 au 3 juillet, soit une semaine avant la prise des fonctions du nouveau représentant de la nation, un groupe de militaires Tutsi tente un coup d’Etat, sans succès.

Le 10 juillet, le président Hutu Melchior Ndadaye arrive ainsi à la tête d’un Etat déchiré ethniquement et dirigé depuis une quarantaine d’années par une armée et une formation politique Tutsi13. Prudent, le président fraichement investi accorde une large place aux autres partis, y compris l’UPRONA, au sein de son gouvernement, de sorte que ce dernier se compose de près d’un tiers de Tutsi et que le premier ministre Sylvie Kinigi est une Tutsi de l’UPRONA. Cependant, il remplace tous les gouverneurs de province ainsi que les chefs d’état-major de l’armée et de la gendarmerie. La nouvelle équipe dirigeante se heurte rapidement à l’hostilité et à la méfiance de l’armée, d’une grande partie de la fonction publique et de la presse privée, toutes loyales à l’ancien régime. Et, parallèlement, les agissements d’un nouveau personnel politique et administratif parfois incompétent mènent à des bévues qui inquiètent les élites Tutsi toujours soutenues par la force armée.

Finalement, dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, le président Melchior Ndadaye et ses proches collaborateurs issus du FRODEBU sont assassinés au cours d’un coup d’Etat monté par un groupe de mutins de l’armée nationale. A l’annonce de ce coup de force militaire et des assassinats de BUJUMBURA, les provinces s’embrasent. Des militants « radicaux » Hutu organisent des massacres à caractère génocidaire de Tutsi et de Hutu « modérés » « pour venger leur président » tandis que l’armée et des civils Tutsi ripostent en tuant des Hutu et des membres du FRODEBU. Ainsi, le pays sombre dans une crise généralisée conduisant à des massacres dont sont victimes des milliers de personnes, autant Tutsi que Hutu, en raison de leur appartenance ethnique ou de leur tendance politique.

12 F. REYNTJENS, op. cit., p. 12; E. PALMANS, op. cit., p. 212. 13 A. A. NYAMITWE, op. cit., p. 175 ; H. NGENDAKUMANA, « Le Burundi face à la civilisation électorale » (Disponible sur http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=6395).

317

Un marasme politique et institutionnel s’ensuit. Une coalition de l’armée et des forces politiques de l’opposition porte la responsabilité d’un génocide planifié des Tutsi sur le FRODEBU pour infirmer leur légitimité, pose des obstacles à la gestion de l’Etat et instaure « un ordre constitutionnel de fait qui consolide les acquis du coup d’Etat ». Le conflit s’intensifie lorsque des rébellions représentant les Hutu se constituent à travers tout le pays sous l’impulsion de certains leaders du FRODEBU. Le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) et sa branche armée, les Forces pour la défense de la démocratie (FDD) voient ainsi le jour le 24 septembre 1994 à l’initiative du ministre de l’Intérieur Léonard Nyangoma. De même, deux groupements plus anciens, les Forces nationales de libération (FNL – une aile armée du Parti pour la libération du peuple Hutu) et le Front pour la libération nationale (Frolina) renaissent. Le BURUNDI connaît alors un état de guerre civile qui perdurera pendant dix ans et causera la mort, le déplacement ou l’exil de centaines de milliers de burundais. En même temps, le régime de la « Convention de gouvernement » conclue en septembre 1994 entre le FRODEBU et l’UPRONA est un échec, tant ces partis sont incapables de s’unir au sein d’un gouvernement pour formuler et appliquer une politique cohérente. Ces événements dramatiques de 1993 ont donc achevé « l’ethnicisation » croissante de la scène politique et avorté le processus de démocratisation14.

2.3. Négociations de paix : Accord d’Arusha (1996 – 2005)

2.3.1. La signature de l’Accord d’Arusha

Dans l’intention de résoudre ce conflit généralisé, de nombreuses négociations de paix entre les gouvernements successifs et les oppositions armées ou non, menant à la signature de conventions et d’accords de gouvernement, n’ont pas pour autant aboutit à la fin des violences et de la guerre civile. En juin 1996, les premières négociations d’une longue série ont lieu dans la ville d’Arusha. La crise s’intensifiant, l’armée opère un nouveau coup d’Etat le 25 juillet 1996 pour porter le major Pierre Buyoya au pouvoir. En réaction à cette manœuvre politique, les pays de la région, soutenu par la communauté internationale, imposent un

14 F. REYNTJENS, op. cit., pp. 13 et 14 ; J. NIMUBONA, op. cit., p. 63 ; E. PALMANS, op. cit., p. 213.

318 embargo contre le BURUNDI « pour obliger le président Buyoya à négocier avec l’opposition politique et la rébellion Hutu ».

Ainsi, les négociations de paix reprennent effectivement en juin 1998 à Arusha sous la médiation de l’ancien président tanzanien Julius Nyerere. Dix-sept partis burundais y participent, rangés en deux grandes familles politiques, à savoir le G7, rassemblant les sept partis à dominantes Hutu, et le G10, regroupant les dix partis politiques d’obédience Tutsi. Suite au décès du président tanzanien en octobre 1999, l’ancien président sud-africain Nelson Mandela prend la relève de la médiation dans ce processus difficile et fragile. Grâce à son approche plus volontariste et à l’appui tant de personnalités extérieures à la région, africaines ou non, que de la Médiation et de la communauté internationale, en particulier l’ONU, l’Union Africaine et la Communauté des bailleurs, Mandela convainc le G7 et le G10, le gouvernement et l’Assemblée nationale, à signer le 28 août 2000 l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au BURUNDI sur le principe des équilibres ethniques. Mais, obtenu sans la participation des groupes rebelles tels que le CNDD-FDD ou le FNL, opposés aux négociations, et avec des réticences de plusieurs partis Tutsi sur des dispositions essentielles, cet accord de paix ne remplit pas tout de suite son objectif15.

2.3.2. La mise en application de l’Accord d’Arusha

La mise en application de l’Accord d’Arusha ne commence que trois ans plus tard, le 1er novembre 2001, par l’installation d’un gouvernement de transition convenu en juillet 2001 pour une durée de 36 mois sous la présidence successivement de Pierre Buyoya (UPRONA) et de Domitien Ndayizeye (FRODEBU). Sous les auspices du vice-président sud-africain Jacob Zuma, successeur de Mandela dans le rôle de facilitateur, ce gouvernement de transition engage des négociations avec les groupes armés radicaux qui donnent lieu à deux accords de cessez-le-feu les 7 octobre 2002 et 2 décembre 2002. Non sans hésitation et sous la pression interne et régionale, le major Buyoya cède effectivement son mandat de président à Ndayizeye, le 30 avril 2003, pour les 18 mois restant de la période de transition.

15 J. NIMUBONA, op. cit., p. 64; F. REYNTJENS, op. cit., p. 14; S. VANDEGINSTE, op. cit., p. 184; E. PALMANS, op. cit., p. 213.

319 Sous sa présidence et grâce aux efforts de médiation déployés par le vice-président sud-africain Jacob Zuma, les Protocoles de Prétoria sur le partage du pouvoir politique, de défense et de sécurité sont signés les 8 octobre 2003 et 2 novembre 2003 entre le gouvernement de transition et le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza et apportent enfin l’espoir de paix souhaitée lors de l’Accord d’Arusha. En même temps, le CNDD-FDD intègre les institutions de transition, dont le gouvernement et l’armée, le 23 octobre 2003 et son président devient ministre d’Etat chargé de la Bonne Gouvernance et de l’Inspection générale de l’Etat. Ces différents Protocoles amènent finalement à la conclusion à Dar es-Salaam, le 16 novembre 2003, d’un Accord global de cessez-le-feu entre les deux parties.

Il est convenu selon l’Accord d’Arusha que le processus de transition prenne fin le 1er novembre 2004 et que des élections générales aient lieu pour éviter un vide constitutionnel. Mais les tensions autour de la nouvelle constitution permettant d’entrer dans la période post- transition ont retardé le calendrier des élections au cours de l’année 2005. Finalement le gouvernement de transition propose un projet de constitution basé sur l’Accord d’Arusha que reconnaît une grande majorité de partis Tutsi le 20 octobre 2004 et ce, suite à des pressions tant de la communauté internationale et régionale que de mouvements Hutu comme le CNDD-FDD. La Constitution « intérimaire » s’applique dès le 1er novembre 2004 et est définitivement approuvée lors du référendum du 28 février 2005. Son objectif consiste à résolument concilier le principe majoritaire et la protection des minorités en accordant une surreprésentation, des quotas et un véto aux minorités. Le gouvernement, le parlement, les institutions locales et les services de défense et de sécurité comprennent désormais autant des Hutu que des Tutsi selon des proportions fixes, valorisées pour ces derniers par rapport à leur poids démographique. Le Sénat se compose lui paritairement sur le plan ethnique et « possède des pouvoirs considérables tant dans le domaine législatif que dans celui du contrôle de l’action gouvernementale »16.

16 J. NIMUBONA, op. cit., p. 64; F. REYNTJENS, op. cit., p. 15 ; E. PALMANS, op. cit., p. 214.

320 2.4. Démocratie multipartite et démocratie monopartite de facto (2005 – aujourd’hui)

2.4.1. Démocratie multipartite : les élections de 2005

Le 26 avril 2005, l’agenda électoral annonce un remaniement complet de la scène politique suite à des élections communales, législatives, sénatoriales, présidentielles et collinaires entre juin et septembre de la même année. Ce processus électoral sur un temps réduit permet de concentrer les risques de violence post-électorale sur une courte période et ainsi de mieux les contrôler. Le contexte politique reste en effet belliqueux avec la présence de la rébellion du FNL-PALIPEHUTU toujours hostile au gouvernement burundais et une population bien armée. Cependant, les circonstances de 2005 diffèrent fortement de la situation connue en 1993. A l’époque, la bipolarité du paysage politique se reflétait tant dans l’opposition de deux partis (UPRONA et FRODEBU) que dans l’opposition de deux ethnies (Hutu et Tutsi). En 2005 par contre, il devient « multipolaire » et donc plus facile à gérer dans la mesure où les deux principaux partis Hutu (CNDD-FDD et FRODEBU) se disputent l’électorat Hutu tandis que l’UPRONA doit partager son hégémonie avec d’autres partis comme le Parena et le MRC qui tentent aussi de séduire les Tutsi. Au total, pas moins de trente-cinq partis politiques entrent officiellement dans la compétition électorale. Par ailleurs, « tant la classe politique que la société civile adoptent une attitude plus constructive et moins radicale ». En outre, une Commission électorale nationale indépendante (CENI), constituée de cinq personnes indépendantes issues de la société civile, est chargée de superviser le processus électoral. Son indépendance la distingue favorablement de la Commission électorale nationale (CEN), composée des représentants de tous les partis politiques agréés, active lors des élections de 1993.

Ainsi, malgré les accusations et intimidations que s’envoient mutuellement le FRODEBU et le CNDD-FDD, les élections communales du 3 juin se déroulent plutôt dans le calme et dans un esprit de liberté et d’honnêteté. La CENI confirme la victoire du CNDD- FDD à près de 60 % des suffrages exprimés, lesquels lui octroient environ 55 % des sièges, devant le FRODEBU, l’UPRONA, le CNDD, le MRC et le Parena. Après sa défaite, le président du FRODEBU incite ses sympathisants à résister et à se révolter contre le CNDD- FDD et menace de « déployer ses jeunes à travers le pays afin de protéger la population contre les pressions et agressions commises par le CNDD-FDD ». Les élections législatives du 4 juillet n’en seront cependant pas impactées et le premier parti Hutu confirme sa position

321 dans l’électorat burundais ainsi qu’aux élections sénatoriales du 29 juillet. Le CNDD-FDD contrôle ainsi près de 58 % des 166 sièges du congrès réunissant l’Assemblée nationale et le Sénat. Or, selon la nouvelle Constitution, le premier président de la période post-transition est élu à la majorité des deux tiers des membres de ce congrès. Pierre Nkurunziza, leader du parti majoritaire et seul candidat en lice pour les élections présidentielles du 19 août, les remporte donc sans surprise. Il est élu au premier tour par 151 voix pour, neuf contre, une abstention et un vote nul, ce qui démontre un soutien au-delà des clivages politiques et ethniques. Il se protège de toute tentative de coup d’Etat par l’intégration des anciens combattants du CNDD-FDD dans les nouvelles Forces de défense nationale (FDN) et qui les composent à près de 40 %.

En outre, les résultats des élections en 2005 sont mieux acceptés par l’UPRONA et les élites Tutsi car celles-ci s’y attendaient, contrairement à leur mauvaise surprise en 1993. Seul le parti FRODEBU digère mal ces résultats mais il ne dispose pas de la capacité de nuisance nécessaire pour renverser la situation17.

2.4.2. Démocratie monopartite de facto : les élections de 2010

Comme le processus électoral de 2005, tous les citoyens burundais sont appelés à voter pour leurs représentants politiques au niveau communal, parlementaire, sénatorial et collinaire entre mai et septembre 2010. Mais pour la première fois en 17 ans au BURUNDI, l’élection du président, dernièrement choisi par le parlement, se fait au suffrage universel direct. Ces élections sont aussi les premières depuis la fin de la guerre en 2007 entre le FNL- PALIPEHUTU et le gouvernement burundais et représentent donc une étape décisive dans le processus de paix et le maintien des instances démocratiques au BURUNDI.

Le mouvement FNL entre officiellement dans la sphère politique et juridique et s’érige comme le principal parti d’opposition au CNDD-FDD dans la course à la présidence. Mais suite à une campagne d’intimidation de ce dernier ainsi qu’à des allégations de fraudes lors des élections communales, les différents candidats à l’élection présidentielle, y compris le leader du FNL Agathon Rwasa, se retirent définitivement du processus électoral et laissent la

17 F. REYNTJENS, op. cit., pp. 16 à 18 ; E. PALMANS, op. cit., pp. 215 et 216 ; S. VANDEGINSTE, op. cit., p. 184 ; J.

NIMUBONA, op. cit., p. 64.

322 voie libre au président Pierre Nkurunziza et à son parti pour les scrutins ultérieurs. Les résultats l’annoncent vainqueur de la présidentielle à près de 91,62 % des suffrages exprimés. Cependant, une dizaine de partis de l’opposition regroupés au sein de l’Alliance Démocratique pour le Changement dénoncent « une mascarade électorale dont le taux [de participation] atteint à peine les 30 % », signe selon eux que le peuple burundais se rebelle contre la « dictature » en place. Mais faute d’élément probant de cette « mascarade » apporté à la CENI, la société civile et la communauté internationale acceptent globalement ces résultats. Au terme des différentes élections, le parti dispose en outre d’une confortable assise au sein de toutes les assemblées du pays18.

La situation politique au BURUNDI depuis 2010 inquiète quant à l’avenir du débat démocratique et contradictoire du pays. La place prépondérante qu’occupe désormais le CNDD-FDD dans le paysage politique le dresse en effet au rang de parti unique de fait qui détient tous les pouvoirs. A ce titre, faute d’opposition conséquente, il peut décider de tout au risque d’ébranler les acquis sociaux de ces dernières années au BURUNDI19.

La menace sur ces acquis démocratiques pèse d’autant plus que le leader actuel du CNDD-FDD, Pascal Nyabenda, a insisté à nouveau le 7 septembre 2013 à l’occasion des festivités organisées pour fêter le troisième anniversaire du second mandat du président Pierre Nkurunziza, que ce dernier, au pouvoir depuis huit ans, pouvait légitimement briguer un troisième mandat. La Constitution n’autorise que deux mandats, mais il se justifie en précisant que le chef de l’Etat n’a en fait été élu qu’une seule fois au suffrage universel, lors des élections de 2010, puisqu’en 2005 il avait été choisi par le Parlement burundais ; ce premier mandat ne comptant donc pas aux yeux de la Constitution. Par ces propos, Pascal Nyabenda laisse ainsi entendre les ambitions électorales du président Pierre Nkurunziza, à la grande insurrection des partis de l’opposition. Les prochaines élections prévues en 2015 s’annoncent dès lors à la fois mouvementées et cruciales pour le maintien de la paix et de la

18 H. NGENDAKUMANA, « Le Burundi face à la civilisation électorale » (Disponible sur

http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=6395) ; RADIO FRANCE

INTERNATIONALE, « Burundi : l’opposition conteste le taux de participation à la présidentielle » (Disponible sur http://www.rfi.fr/afrique/20100629-burundi-opposition-conteste-le-taux-participation-presidentielle 19 S. PIERREt, « Élections 2010 : quel impact pour le Burundi ? », Analyse 2010, Bruxelles, Commission Justice et Paix belge francophone, 2010, pp. 2 et 3.

323 démocratie au BURUNDI20.

Par Maxime de Cordes

20 L. SIKUYAVUGA et al., « Élections 2015 : le mandat oubliée… », in IWACU Les voix du Burundi, 16 septembre 2013 (Disponible sur http://www.iwacu-burundi.org/index.php/elections-2015-le-mandat-oublie/).

324 3. Droits de l’Homme au Burundi

En janvier 2013, Human Rights Watch déclarait en introduction de son rapport annuel sur la situation des droits de l’homme au Burundi que celle-ci présentait « à la fois des progrès et des sources de graves préoccupations21 ». Cette affirmation illustre de manière assez adéquate le sort que connaissent les droits fondamentaux au fil des ans au Burundi : chaque année apporte son lot d’avancées encourageantes dans différents domaines, et un certain nombre de reculs appuyés dans d’autres. La complexité du contexte burundais semble en effet livrer le respect des droits de l’homme aux aléas de l’actualité politique. En 2010, lorsque le pays connait une évolution positive du processus de paix à l’issue d’élections dont les observateurs internationaux se sont accordés pour dire qu’elles s’étaient correctement déroulées22, la mise en place des cinq scrutins est en même temps marquée par plusieurs assassinats à caractère politique et nombre de violations du droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion23. Stabilisation politique d’un côté, violation allant s’aggravant des libertés fondamentales de l’autre.

Afin de comprendre au mieux la situation que connaissent les droits de l’homme au Burundi, nous aimerions procéder en deux temps. Dans un premier temps, nous nous attacherons à retracer les grandes lignes du régime juridique et institutionnel qui encadre les droits humains au Burundi – quels sont les textes, de droit interne et de droit international, que les individus peuvent faire valoir devant les tribunaux afin de défendre leurs prérogatives dans ce domaine ? Quelles instances ont été mises en place afin d’assurer le respect de celles-ci ? Dans un deuxième temps, nous évaluerons dans quelle mesure le Burundi s’acquitte de ses obligations en matière de droits fondamentaux, en passant en revue pour se faire les différents droits civils et politiques que nous aurons retenus.

21 HUMAN RIGHTS WATCH, Résumé Burundi, janvier 2013, p. 1 (Disponible sur http://www.hrw.org/sites/default/files/related_material/burundi_fr_4.pdf). 22 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundi, Fatsah Ouguergouz, Conseil des droits de l’homme, dix-septième session, 31 mai 2011, p. 5, pt. 9. 23 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat au Burundi, Conseil des droits de l’homme, douzième session, 31 août 2009, p. 4, pt. 4.

325 3.1. Régime juridique et institutionnel des droits de l’Homme

La nouvelle constitution burundaise, élaborée et adoptée par référendum en 2005 dans la foulée des accords d’Arusha, garantit le respect des droits de la personne humaine à tous les Burundais24, tout en exigeant de citoyens un certain nombre de devoirs ou d’obligations25. En droit interne burundais, le dernier épisode marquant en matière de droits fondamentaux consiste en l’adoption, en 2009, d’un nouveau Code pénal26 qui contient, aux yeux des instances onusiennes, un certain nombre d’améliorations significatives. On retiendra au rang de celles-ci l’abolition la peine de mort ; l’incrimination du génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ; l’augmentation de l’âge de la majorité pénale ; l’aggravation des peines prévues en cas de violences à l’égard des femmes et des enfants ; une nouvelle définition satisfaisante du viol et l’incrimination du harcèlement sexuel27. Notons enfin qu’un projet de Code de procédure pénal est sur la table. L’agenda du Conseil des ministres semble toutefois bouder la discussion de ce texte, rédigé en 2007 avec l’aide de l’ONU. Celui-ci devrait prévoir entre autres la possibilité d’assistance d’un avocat et d’un médecin dès les premières heures de garde à vue28.

Qu’en est-il du droit international ? En son article 19, le texte constitutionnel stipule

24 Le préambule de la Constitution burundaise adoptée le 18 mars 2005 (ci-dessous Const.) rappelle « l’attachement du Burundi au respect des droits fondamentaux de la personne humaine ». La liste des droits fondamentaux qui y sont consacrés est reprise aux articles 21 à 61 du texte. Notons qu’aux articles 13 à 18, la Constitution reprend ce qu’elle désigne sous le nom de « valeurs fondamentales » dont le contenu recoupe en partie celui de la liste des droits de la personne humaine. Ces « valeurs fondamentales » nous semblent plutôt constituer des repères destinés à guider l’action collective que de véritables droits fondamentaux sensu stricto. 25 Art. 62-74 Const. 26 Loi n°1/05 du 22 avril 2009 portant révision du Code pénal. 27 La Haut-Commissaire aux droits de l’homme avait toutefois regretté à l’époque le fait que le nouveau Code incriminait toujours, en son article 567, l’homosexualité, et avait appelé à une révision de cette disposition. Voy. ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Compilation établie par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi, Conseil des droits de l’homme, Groupe de travail sur l’Examen périodique universel, quinzième session, 12 novembre 2012, p. 4. 28 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat au Burundi, op. cit., p. 5, pt. 9.

326 que les instruments juridiques régionaux et internationaux assurant la protection des Droits de l’homme font partie intégrante de la Constitution burundaise. Par le prisme de cette disposition, les droits fondamentaux consacrés dans des traités internationaux ratifiés par le Burundi doivent ainsi être considéré comme du droit interne, au même titre que les articles du texte constitutionnel. Dans son rapport de 2009, la Haut-commissaire aux droits de l’homme notait cependant que même si le droit international des droits de l’homme faisait partie, par le truchement de l’article 19, de la législation interne, dans la pratique celui-ci n’était guère mentionné devant les tribunaux burundais29.

Nous n’établirons pas ici une liste détaillée des conventions, pactes et traités qui engagent le Burundi sur la scène internationale en matière de droits de l’homme, mais nous contenterons de relever que le Burundi a ratifié les plus emblématiques d’entre eux, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUH), les deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques (PIDCP) et aux droits sociaux, économiques et culturels (PIDSEC), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDF) et la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE)30.

Au niveau du contexte institutionnel, retenons deux éléments31. Le premier concerne les mécanismes de justice transitionnelle. La mise en place d’une justice de transition destinée à réconcilier la société burundaise divisée par 30 ans de conflit ethnique faisait partie intégrante des Accords d’Arusha signé le 28 aout 2000. A la suite des négociations avec le Secrétaire général des Nations-Unies entre mars 2006 et mars 2007, le Gouvernement burundais s’était engagé à œuvrer à l’élaboration d’une commission vérité et réconciliation (CVS) ainsi que d’un tribunal spécial (TS) chargé de poursuivre les auteurs de violations

29 Idem. 30 Pour une liste détaillée du droit international relatif aux droits de l’homme qui engage le Burundi, voy. l’inventaire dressé le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations-Unies à l’occasion du dernier examen périodique universel. ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Compilation établie par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi, op. cit., p. 2-3. 31 On ne détaillera pas ici, même si elles le mériteraient, les missions déployées par les Nations-Unies au Burundi, notamment à travers le Bureau des Nations Unies au Burundi (BNUB) qui cherche à soutenir les projets engrangés par le pays en matière de démocratie et de développement, et que nous avons eu l’occasion de visiter lors de notre session d’études, le 10 juillet 2013 à Bujumbura.

327 graves des droits de l’homme commises au cours des différents conflits au Burundi. Après consultation, de juillet à décembre 2009, de la population burundaise, le gouvernement s’est contenté de publier en 2010 un rapport officiel. Depuis lors, mis à part quelques avancées mineures, le processus est au point mort. Et ce malgré les déclarations du président de la République, lequel avait promis à l’époque que les mécanismes seraient mis en place avant la fin 201232.

Le deuxième élément d’importance dans le paysage institutionnel en charge des droits de l’homme au Burundi est la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH). Cette commission, régie par la loi n°1/04 du 5 janvier 2011 et fonctionnelle depuis le 7 juin 2011, a issu son premier rapport sur la situation des droits de l’homme au Burundi en mai 2013. Malgré le fait que la CNIDH n’ait été dotée que d’une partie des fonds pour son fonctionnement, celle-ci fonctionne, de l’accord des observateurs, de manière efficace et indépendante33. Cette commission joue un rôle clé dans l’appréciation de la situation des droits de la personne humaine au Burundi, en ce qu’elle a été mise en place par les autorités burundaises elles-mêmes. Elle diffère en cela des institutions internationales en charge de l’observation du respect des droits humains. Celles-ci peinent effectivement à faire oublier qu’elles interviennent de l’extérieur, et ne parviennent que maladroitement à dissiper le parfum d’ingérence qui flotte, aux yeux du gouvernement burundais, autour de leur action.

3.2. Respect des obligations en matière de droits fondamentaux

La présente section n’a pas pour ambition de brosser un portrait exhaustif de la situation des droits de l’homme au Burundi. L’entreprise serait trop vaste pour une contribution qui se veut concise, et ne ferait que répéter de manière ennuyeuse les multiples

32 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Résumé établi par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi, Conseil des droits de l’homme, Groupe de travail sur l’Examen périodique universel, quinzième session, 8 novembre 2012, p. 7-8. 33 OFFICE OF THE HIGH COMMISIONNER FOR HUMAN RIGHTS, OHCHR Report, 2012, p. 199. (Disponible sur http://www2.ohchr.org/english/ohchrreport2012/web_en/allegati/downloads/1_Whole_OHCHR_Report_201 2.pdf).

328 rapports publiés sur le sujet. Notre but ici est d’essayer d’esquisser certains des enjeux relatifs à un nombre limité de droits fondamentaux au Burundi. Nous avons ainsi pris le parti de sélectionner certains droits civils ou politiques particulièrement emblématiques, au rang desquels nous retrouverons les droits à la vie, à la sécurité, à la liberté, le droit à un procès juste et équitable et la liberté d’expression. Ce n’est pas là, on le devine, un inventaire exhaustif – il y aurait lieu également de faire droit aux graves violences dont les femmes, les enfants, les albinos et les personnes appartenant à la minorité des batwas - autant de « groupes à risques34 » - sont trop souvent les victimes. Le choix des violations étudiées se justifie toutefois par le sujet de cette étude, laquelle est consacrée aux droits de l’homme, mais aussi à la démocratie au Burundi. Analyser les droits qui collent au plus près de la réalité politique et du système institutionnel nous est donc apparu comme prioritaire.

3.2.1. Respect de l’intégrité de la personne

Sous ce titre volontairement généraliste, nous entendons analyser les atteintes au droit à la vie, au droit à l’intégrité physique et au droit à la liberté qui ont été commises au Burundi au cours des années précédentes. Autrement dit, nous reprenons ici, en les mettant en perspective, les cas de privation arbitraire de la vie, de tortures ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et enfin d’arrestation illégales et de détention arbitraire.

3.2.1.1. Privation arbitraire de la vie (droit à la vie)

L’article 24 de la Constitution burundaise stipule que « Toute femme, tout homme a droit à la vie », tandis que le Code pénal d’avril 2009 réprime toute atteinte à ce droit. Nombre de textes internationaux qui engagent la responsabilité du Burundi reprennent en outre ce droit fondamental. On le retrouve ainsi aux articles 3 de la DUH, aux articles 4 et 6 PIDCP et à l’article 4 de la CADH.

34 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat au Burundi, op. cit., pp. 12-14.

329 De l’avis de plusieurs observateurs internationaux, de nombreux cas de privation arbitraire de la vie documentés au Burundi sont le fait des pouvoirs publics et de leurs agents. En 2012, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDC) a recensé 30 cas d’exécutions sommaires commises par des membres de la Police Nationale du Burundi (PNB), des Forces de la Défense nationale (FDN) et des autorités locales au cours de l’année. Des milices de jeunes armés par le pouvoir en place (les Imbonerakure, « ceux qui voient loin » en Kirundi) auraient également été impliqués dans diverses violations du droit à la vie. Les assassinats revêtent le plus souvent le caractère de règlements de compte : la grande majorité des victimes étaient connues pour avoir été membres d’un parti politique, principalement du Front national de libération (FNL) et d’autres partis d’opposition. En 2011, le HCDH avait documenté 61 cas d’exécutions d’opposants politiques. Cette diminution peut trouver une part d’explication dans le contexte politique burundais : à mesure que l’on s’éloigne des scrutins controversés de 2010, la violence politique qui caractérisait l’après- élection tend à diminuer. Un élément explicatif à prendre avec des pincettes toutefois, vu la difficulté d’assurer la vérification systématique des allégations d’assassinats politiques et la variation des critères de sélection retenus pour établir les statistiques35.

Si la tendance est à la baisse, d’aucuns dénoncent l’impunité générale qui règne, en particulier pour les membres des forces de sécurité et de la ligue des jeunes du CNDD-FDD. Sur les 61 affaires relatives à des exécutions extrajudiciaires en 2011, les responsables n’ont été jugés et condamnés que dans huit cas36. Le 19 mai 2012, le gouvernement avait mis sur pied une commission ad hoc, sous la juridiction du procureur général, pour enquêter sur les cas présumés d’exécution judiciaire entre janvier 2011 et juin 2012. Malgré les documents

35 Voy. les chiffres avancés par le département d’Etat américain, le HCDH et le CNIDH. DEPARTEMENT D’ETAT DES ETATS-UNIS, Rapports 2012 sur les pratiques des pays en matière des droits de l’homme. Burundi. Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail, p. 2-3 (Disponible sur http://photos.state.gov/libraries/burundi/231771/PDFs/2012-rapport-sur-les-droits-de-lhomme.pdf); ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Compilation établie par le Haut-Commisaire aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi, op. cit., p. 8 ; COMMISSION NATIONALE INDEPENDANTE DES DROITS DE L’HOMME, Rapport annuel, mai 2012, Bujumbura, p. 61. (Disponible sur http://www.cnidh.bi/sites/default/files/RAPPORT%202012%20 VERSION%20FINALE.pdf). 36 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Compilation établie par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi,op. cit., p. 10.

330 avancés par des ONG locales et le HCDH, le rapport se bornait à constater que, si des meurtres pouvaient avoir été commis, ceux-ci ne sauraient toutefois être qualifiés d’exécutions sommaires dans la mesure où aucune preuve de l’implication du gouvernement ne pouvait être rapportée37.

En règle générale, lorsque des enquêtes sont ouvertes par le parquet sur des assassinats à caractère politique, celles-ci ne débouchent que rarement sur des arrestations. Lorsqu’en septembre 2011 un bar de Gatumba est pris d’assaut, entraînant la mort de 39 personnes – l’évènement le plus meurtrier cette année là – le procès des auteurs présumés de cette attaque est entaché de graves irrégularités38. Tout se passe comme si l’impunité régnait pour ceux qui éliminent les opposants politiques d’un régime qui n’en a pas dans l’hémicycle.

3.2.1.2. Torture, traitements cruels inhumains et dégradants (droit à l’intégrité physique)

La législation burundaise reprend le droit indérogeable à ne pas être soumis à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants consacré dans les textes internationaux39. Tandis que le texte constitutionnel interdit expressément la torture en son article 25, le Code pénal prohibe également depuis 2009 le recours à celle-ci en ses articles 205 à 208. Cette récente incrimination ne signifie pas pour autant que toute forme de torture a disparue dans les faits, loin s’en faut.

Dans son rapport de 2010, l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundi notait de manière intéressante que pratiquement aucun cas de torture n’avait été rapporté au cours des deux années qui ont précédé le processus électoral de 2010. Depuis lors, le Burundi a connu une recrudescence des cas de torture, généralement à des fins d’intimidation. Une information corroborée par les dernières statistiques livrées par l’HCDH : en 2011, on dénombre 17 personnes qui ont été torturées par des membres du personnel de sécurité, à côté de 59 cas de châtiments ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

37 DEPARTEMENT D’ETAT DES ETATS-UNIS, op. cit., p. 3. 38 HUMAN RIGHTS WATCH, op. cit., p. 1. 39 Voy. Art 1, 2, al. 2 et 3 de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, art. 7 du PIDCP, art. 5 de la DUDH, art. 5 de la CADHP, art. 37, al. 1 de la CDE.

331 infligés pour la majorité par la police nationale. Selon l’expert indépendant, une telle augmentation s’explique notamment par le fait que les auteurs d’actes de tortures dans le passé sont restés impunis. Il pointe par ailleurs le fait que « la majorité des victimes de mauvais traitements ou actes de torture craignent de dénoncer les agissements dont elles auraient fait l’objet ou de porter plainte devant les juridictions compétentes » en expliquant que leur crainte serait due aux menaces des agents des services de police et de sécurité40.

Plusieurs ONG et institutions en charge de l’examen de la situation des droits de l’homme dénoncent par ailleurs les traitements inhumains et dégradants découlant des conditions d’incarcération. Elles pointent du doigt la surpopulation des prisons, l’état d’insalubrité dans lequel elles se trouvent et rapportent des cas de violence physique et de longues réclusions en isolement cellulaire41.

Le 25 juin 2012, le président Nkurunziza a promulgué un décret de grâce destiné à désengorger les prisons42. Celui-ci a attaqué le problème de front, en suspendant les peines de certaines catégories de détenus43 tout en réduisant de moitié toutes les autres peines d’emprisonnements. Les chiffres sont éloquents : en avril, 10 567 personnes étaient détenues dans les 11 prisons du Burundi. Fin décembre, on dénombrait 6581 prisonniers44. Reste que les établissements pénitenciers, construits avant 1965, avaient été conçus à l’époque pour héberger 4050 détenus.

Dans chacun de ceux-ci, il existe un quartier séparé pour les femmes. Tel n’est toutefois pas le cas pour les mineurs qui sont détenus dans les mêmes établissements que les

40 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundi, Fatsah Ouguergouz, op. cit., p. 12-13. 41 DEPARTEMENT D’ETAT DES ETATS-UNIS, op. cit., p. 5 ; COMMISSION NATIONALE INDEPENDANTE DES DROITS DE L’HOMME, op. cit., p. 77-80. 42 Décret n°10/183 du 25 juin 2012 portant des mesures de grâces.

43 Les prisonniers qui ont pu bénéficier de cette grâce présidentielle étaient les suivants : ceux purgeant une peine inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement (à l’exception des personnes condamnées pour viol, vol à main armée ou en bande organisée, détention illégale d’armes à feu ou atteinte à la sûreté de l’Etat), les femmes enceintes ou allaitantes, les détenus âgés de 60 ans et plus, les mineurs de moins de 18 ans n’ayant pas encore été jugés et les malades en phase terminale. 44 AMNESTY INTERNATIONAL, Rapport 2013. La situation des droits humains dans le monde, p. 53 (Disponible sur http://www.amnesty.be/doc/IMG/pdf/ra2013.pdf).

332 adultes. Au niveau administratif, si la tenue des registres est généralement adéquate et que des médiateurs sont disponibles pour répondre aux plaintes des prisonniers, l’insuffisance des moyens humains, matériels et financiers se fait ressentir45.

3.2.1.3. Arrestation et détention arbitraires (droit à la liberté)

Dans la même disposition que celle prohibant le recours à la torture, la Constitution Burundaise affirme que « toute femme, tout homme a droit à la liberté46 ». L’article 39 de la loi fondamentale Burundaise indique quant à lui que « nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est conformément à la loi », reprenant de ce fait l’idée exprimée entre autres aux articles 3 et 9 de la DUDH, 9 du PIDCP et 6, al. 3 de la CADHP.

Selon le HCHD, pas moins de 566 arrestations arbitraires auraient été effectuées pendant l’année 2011, dont 10 pour des motifs politiques. Celles-ci auraient été menées par la police et des membres du Service National de Renseignements (SNR) qui rend directement compte au président et a des pouvoirs d’arrestation et de détention. Des actes qui choquent de par la qualité de leurs auteurs, lesquels n’ont généralement reçu que très peu de formation. Dans son rapport sur la situation des droits de l’homme au Burundi pour l’année 2011, le Département d’Etat des Etats-Unis rapporte qu’en règle générale, les policiers sont mal entraînés, mal équipés, mal payés et font montre de peu de conscience professionnelle. Ils sont considérés par la population locale comme étant corrompus, au service du CNDD-FDD et comme bénéficiant d’une impunité totale pour les activités criminelles qu’ils perpétuent. Toujours aux dires du département d’Etat, environ 75% des policiers étaient d’anciens rebelles en 2011, 85% avaient reçu une formation rudimentaire à leur recrutement sans aucune formation ultérieure pendant les cinq dernières années, et 15% n’avaient pas reçu de formation du tout. Les mêmes soupçons de politisation pèsent sur le SNR qui compte 200 personnes en charge de la sécurité extérieure et intérieure. En 2011, des responsables de ce service ont été impliquées dans des cas de torture et d’exécutions sommaires47.

45 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Compilation établie par le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi,op. cit., p. 9. 46 Art. 25 Const. 47 DEPARTEMENT D’ETAT DES ETATS-UNIS, op. cit., pp. 6-9.

333

En ce qui concerne les détentions arbitraires, la loi spécifie qu’une personne ne peut être détenue plus de 14 jours si elle n’a pas été inculpée48. En décembre 2011, 62% des détenus étaient toutefois toujours en attente de leur procès, tandis que la durée moyenne de la détention provisoire s’élevait à près d’un an – une période qui pouvait durer jusqu’à cinq ans dans certains cas. Il semblerait que la corruption et l’inefficacité de la police, des procureurs et du système judiciaire aient contribué au problème, même si de timides initiatives ont été prises afin de libérer provisoirement ou définitivement les personnes se trouvant en détention préventive49.

3.2.2. Administration de la justice et droit à un procès équitable

Selon l’article 209 de la Constitution burundaise, « le pouvoir judiciaire est impartial et indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ». Dans un rapport datant de 2009, la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme fait toutefois valoir que « le secteur de la justice n’est guère indépendant50 ». A l’encontre du prescrit constitutionnel, la sélection des magistrats est pilotée par l’exécutif, sans consultation du Conseil supérieur de la magistrature, en dehors de tout concours et sans aucune transparence. Les allégations d’ingérences dans le fonctionnement du pouvoir judicaire se multiplient : des menaces parviennent aux juges en charge d’affaires politiquement sensibles, tandis que d’autres magistrats ont été mutés dans d’autres régions « sous prétexte qu’ils ne comprenaient pas bien le fonctionnement de l’administration publique51 ».

48 Sur les procédures de rétentions et la détention préventive, voy. la loi n°1/015 du 20 juillet 1999 portant réforme du code de procédure pénale, art. 60, 67-73 et les explications sur cette phase pré-juridictionnelle données par le CNIDH dans son rapport de 2012. COMMISSION NATIONALE INDEPENDANTE DES DROITS DE L’HOMME, op. cit., p. 71-74. 49 DEPARTEMENT D’ETAT DES ETATS-UNIS, op. cit., p. 9. 50 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat au Burundi, op. cit., p. 8, pt. 24. 51 Idem.

334 L’indépendance du système judiciaire n’est pas seule en cause. Les crises qui ont secoués celui-ci trouvent également leur origine dans le manque de personnel qualifié et l’absence de moyens matériels, financiers et logistiques. A ceci viennent s’ajouter un déséquilibre ethnique chronique dans les nominations de même qu’une méconnaissance du droit international et national dans le chef des fonctionnaires chargés de rendre justice52. Peu de progrès ont été fait dans le sens d’une indépendance accrue du pouvoir judiciaire ces dernières années. Et pour cause : depuis 2010, la part de budget de l’Etat allouée au secteur de la justice n’a cessé de diminuer53.

La première victime de cet état de fait est le justiciable. Souvent, les garanties d’un procès équitable ne sont pas respectées. A titre d’exemple, en 2011, dans l’affaire du massacre de Gatumba où 39 personnes ont été tuées, certains accusés avaient été condamnés sur base de leurs aveux, alors même qu’ils soutenaient avoir été torturés54. L’aide juridictionnelle est quant à elle quasiment inexistante, même si dans certains cas des ONG locales et internationales fournissent les services d’un avocat. Lorsque celles-ci n’ont pas les moyens pour ce faire, les défenseurs se défendent eux-mêmes, même dans les affaires pénales55. Le droit d’interjeter appel auprès de la Cour suprême est ouvert à tous les accusés, à l’exception de ceux jugés par des tribunaux militaires. Mais la lenteur et l’inefficacité de l’arsenal judiciaire ont déjà fait durer la procédure d’appel pendant plus d’an un dans certains cas56.

L’affaire Ernest Manirumva, un militant anticorruption tué en 2009 alors qu’il enquêtait sur des allégations de corruption policière à grande échelle57, est particulièrement

52 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundi, Fatsah Ouguergouz, op. cit., p. 16. 53 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Compilation établie par le Haut-Commisaire aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi, op. cit., p. 10, pt. 38. 54 Idem, p. 10, pt. 35. 55 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat au Burundi, op. cit., p. 9, pt. 29. 56 DEPARTEMENT D’ETAT DES ETATS-UNIS, op. cit., p. 12. 57 Ernest Manirumva était Vice-Président d’une ONG anticorruption, l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), dont nous avons rencontré le président, Gabriel Rufyiri, lors de notre session d’études, le mercredi 3 juillet 2013 à Bujumbura.

335 emblématique de la volonté du Gouvernement de combattre l’impunité des auteurs de crimes graves. Lors du procès des assassins présumés d’Ernest Manirumva, le parquet a obstinément refusé de prendre en considération les appels l’exhortant à enquêter sur de hauts responsables des services de sécurité et de la police nationale. Plusieurs preuves qui auraient pu permettre de disculper certains des accusés ont été déclarées irrecevables58. Les ONG ont dénoncé « une occasion manquée de rendre justice » et ont déploré un « sérieux revers pour la société civile ». Pour Amnesty International, justice n’a pas été rendue. Fin 2012, l’affaire était en instance devant la Cour d’appel de Bujumbura59.

L’impunité grandissante ne diminue pas seulement le crédit que porte la population à l’administration de la justice, mais a des conséquences encore plus dramatiques. Devant l’incapacité des tribunaux à faire appliquer les jugements qu’ils prononcent, une tendance grandissante à vouloir obtenir dans la rue la justice qui n’a pas été rendue par les magistrats fait jour60, contribuant du même fait à la montée d’une insécurité que la police et l’appareil judiciaire sont censés réguler.

3.2.3. Liberté d’expression – défenseurs des droits humains et journalistes

La liberté d’expression est garantie par l’article 31 de la Constitution Burundaise61. Dans les faits, la perception des acteurs en charge de la question diverge. Les autorités politiques du CNDD-FDD estiment que la liberté d’expression est garantie et effective dans tout le pays et se félicitent de cette avancée par rapport aux autres pays de la région. Elles avancent dans ce sens le nombre élevé de journaux et de radios, en particulier à Bujumbura. Les autorités soulignent toutefois que l’exercice de la liberté d’expression engage la responsabilité de ceux qui en font usage et ne saurait être abusif. Elles regrettent à cet égard que certains membres de la société civile « abusent parfois de cette liberté d’expression,

58 Ibidem, p. 10. 59 AMNESTY INTERNATIONAL, op. cit., p. 52 ; HUMAN RIGHTS WATCH, op. cit., p. 4. 60 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat au Burundi, op. cit., p. 17, pt. 68. 61 De même que par les articles 19 du PIDCP, 19 de la DUDH et 9 de la CADHP.

336 souvent par ignorance des règles d’éthique et de déontologie62 ». L’expert indépendant des Nations Unies rapporte par ailleurs que le pouvoir en place affirme que certains journalistes et défenseurs des droits de l’homme sont en réalité des membres de l’opposition63. Au jour de la rédaction de ce rapport, l’Etat était propriétaire du seul journal publié régulièrement, Le Renouveau, et de la Radio Télévision Nationale du Burundi, seul opérateur diffusant sur l’entièreté du territoire nationale64.

Le Conseil National de Communication (CNC), organisme public en charge de la supervision de la loi sur les médias, a quant à lui fait le constat que les organes d’expression publique n’ont pas tendance à relayer les opinions de l’opposition et de la société civile, là où les organismes privés s’intéressent d’avantage à ces derniers. Le CNC, dont nous avons rencontré le président Pierre Bambasi le mercredi 3 juillet à Bujumbura, estime que la liberté d’expression est garantie, mais pointe un certain nombres d’écarts aux normes règlementaires dont il assure le respect, en imposant des sanctions ou en suspendant les médias si besoin. Le CNC a déclaré aux agents de la CNIDH gérer ces écarts « conformément à la loi et en toute indépendance65 », tout en déplorant le manque de moyens mis à sa disposition.

La position des membres de la société civile tranche avec les déclarations officielles. Ceux-ci considèrent que les libertés publiques sont régulièrement violées par les pouvoirs publics et font état de convocations intempestives en justice, d’emprisonnement, d’intimidations et de menaces de morts professées à l’encontre des militants des droits de l’homme66. Le 7 février 2012, Faustin Ndikumana, président de l’ONG Parole et Action pour le réveil des Consciences et l’Evolution des Mentalités (PARCEM), a été arrêté après avoir pointé du doigt la corruption présumée qui gangrenait la procédure de sélection des

62 COMMISSION NATIONALE INDEPENDANTE DES DROITS DE L’HOMME, op. cit., p. 69. 63 ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundi, Fatsah Ouguergouz, op. cit., p. 14, pt. 47. 64 Nous avons rencontré le Directeur Général de la RTNB, Chanel Nsabimbona, lors de notre session d’études, le mercredi 3 juillet à Bujumbura. Le président de l’ONG Force pour le renforcement de la société civile (FORSC), Vital Nshimirimana, à l’issue d’un exposé qu’il nous a donné le même jour, nous a fait comprendre que la RTNB et son directeur général étaient les pantins du gouvernement et ne donnaient que très peu la parole à la société civile. 65 COMMISSION NATIONALE INDEPENDANTE DES DROITS DE L’HOMME, op. cit., p. 69-70. 66 Idem, p. 70 ; ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundi, Fatsah Ouguergouz, op. cit., p. 14, pt. 48-49.

337 magistrats. Détenu pendant deux semaines, jugé par la Cour anti-corruption et condamné en juillet à cinq ans d’emprisonnement pour fausses déclarations, il reste pour l’instant en liberté en attendant son appel, rapporte Human Rights Watch67. « La majorité politique confond les acteurs de la société civile avec l’opposition, sommée de jouer le rôle de contre-pouvoir pour faire entendre une autre voix que celle du gouvernement » nous rapportait Vital Nshimirimana, président du FORSC, le 3 juillet 2013 à Bujumbura68. En l’absence de réelle opposition au sein du Parlement, le CNDD-FDD considère ainsi ceux qui critiquent le pouvoir en place comme des ennemis politiques à museler, voire à abattre.

Au rang de ces ennemis politiques du gouvernement, on retrouve aussi les journalistes qui se plaignent de même d’immixtions répétées dans leurs activités, surtout lorsqu’ils enquêtent sur des sujets controversés comme la corruption ou la violation des droits de l’homme69. Le 20 juin 2011, Hassan Ruvakuki, correspondant pour Radio France Internationale et Bonesha FM, a été condamné à la prison à perpétuité pour « actes de terrorismes », parce qu’il avait interviewé un nouveau groupe rebelle dans la province orientale de Cankunzo fin 2011. Cette peine a été réduite en appel en janvier 2013 et Hassan Ruvakuki a finalement pu sortir de prison le 6 mars 2013, après y avoir passé plus d’un an70.

Le 4 juin 2013, le Président a promulgué la très controversée loi n° 1/11 régissant la presse au Burundi. Celle-ci a été qualifiée de « liberticide » par l’ensemble des médias Burundais, qui ont dénoncé une dérive autoritaire d’un « Etat martial ». De l’avis des observateurs internationaux, cette loi vient considérablement réduire la liberté d’expression. Dans une section consacrée aux « devoirs des journalistes », la loi vient effectivement cadenasser la marge de manœuvre dont ceux-ci bénéficient. Les journalistes sont ainsi tenus de ne « diffuser que des informations équilibrées et dont les sources sont rigoureusement vérifiées » (article 17 de la loi) et de s’abstenir de publier des informations susceptibles de porter atteinte notamment à la sécurité de l’Etat ou à l’ordre public (article 18). La loi prévoit

67 HUMAN RIGHTS WATCH, op. cit., p. 4. 68 Une information corroborée par plusieurs rapports sur la situation des droits de l’homme au Burundi. Voy. COMMISSION NATIONALE INDEPENDANTE DES DROITS DE L’HOMME, op. cit., p. 70 ; HUMAN RIGHTS WATCH, ibidem, p. 4. 69 DEPARTEMENT D’ETAT DES ETATS-UNIS, op. cit., p. 14. 70 HUMAN RIGHTS WATCH, op. cit., p. 5; RADIO FRANCE INTERNATIONALE, “Burundi: le journaliste Hassan Ruvakuki est libre”, publié en ligne le 6 mars 2013 (disponible sur http://www.rfi.fr).

338 par ailleurs l’obligation pour les journalistes de révéler leurs sources dans les affaires ayant trait à la sécurité de l’Etat ou à l’ordre public (article 20 de la loi) et confère au CNC – nommé par l’exécutif – le pouvoir d'accorder ou de retirer la carte de presse nécessaire pour l’exercice du métier de journaliste (article 5). Si les peines d’emprisonnements jusqu’alors appliquées en cas de délit de presse ont disparues du texte, le montant des amendes reste particulièrement répressif (cfr. article 61), limitant du même fait la capacité des organisations médiatiques à fonctionner71.

Cette nouvelle loi sur la régulation de la presse s’inscrit dans un contexte plus vaste de répression destiné à faire taire les opposants politiques et la société civile à l’approche des élections de 2015. Une dérive autoritaire qui étonne dans le chef du CNDD-FDD, puisque celui-ci, seul parti actuellement au pouvoir, est quasiment assuré de sa réélection en l’absence de partis d’oppositions crédibles. Comme nous le faisait remarquer une responsable de Trade Mark East Africa le 2 juillet 2013 à Bujumbura, ce rétrécissement de l’espace politique ne s’explique effectivement pas, même pour des raisons politiciennes, dans la mesure où le pouvoir en place ne souffre pas de facto de contestations à même de remettre en cause sa réélection. Vital Nshimirimana voit quant à lui dans ce mouvement liberticide, incarné par l’adoption en juin de la loi régulant la presse, une volonté du pouvoir en place de tourner le dos à l’aide occidentale au développement en froissant délibérément les valeurs auxquelles celle-ci est conditionnée. Ceci afin de pouvoir coopérer les mains libres avec la Chine notamment, moins regardante sur le respect des droits de l’homme.

3.3. Conclusion

L’histoire se répète. A l’approche des élections de 2010, les observateurs internationaux tiraient la sonnette d’alarme devant la montée des violences et le rétrécissement de l’espace politique. Finalement, les élections elles-mêmes s’étaient déroulées dans un calme relatif – le fait que seul le CNDD-FDD ait été en lice n’y était pas étranger. Dans la foulée des scrutins, les cas d’atteintes à la vie, de tortures et d’arrestations avaient augmenté en 2011, avant de légèrement retomber en 2012. Tout se passe comme si, à mesure que l’on s’éloigne des élections, la tension post-électorale retombe progressivement.

71 HUMAN RIGHTS WATCH, ibidem, p. 5.

339

Mais les prochaines élections sont déjà en 2015, et l’agitation commence à nouveau à se faire sentir. Le gouvernement cherche à asseoir une légitimité qui ne tient qu’à peu de chose, en légiférant à coup de textes liberticides dans le but de museler une société civile déjà exsangue. La nouvelle loi sur la presse, couplée au manque de volonté politique pour punir les exactions commises par les agents de l’Etat, font peu à peu oublier les quelques avancées qui avaient été enregistrées en matière de droit de l’homme.

Le nouveau Code pénal de 2009 était pourtant des plus encourageants ; les promesses de la mise en place d’une justice transitionnelle au cours de l’année 2012 l’étaient tout autant. Mais l’actualité politique est venue dicter sa loi et le pouvoir en place réfléchit déjà aux prochaines élections. Son action s’en ressent. Tant que la volatilité continuera de caractériser la scène politique burundaise, les progrès en termes de droits de l’homme risquent d’être décevants.

Reste à espérer que le scrutin de 2015 ne verra pas la même montée de violences qui avait accompagné les élections de 2010, et prendra plutôt la forme d’un bel évènement démocratique. Les acteurs de la société civile, eux, veulent y croire sur le long terme. « Dans dix, quinze ans, les régimes finiront par tomber » lançait le président du FORSC, Vital Nshimiriman, en juillet 2013 à Bujumbura.

Par Arthur Ghins

340 4. Démocratie au Rwanda

4.1. Histoire du Rwanda et son régime politique

Avant d’aborder le régime politique actuel du Rwanda et les défis auxquels il fait face sur le plan démocratique, il convient de retracer son histoire politique afin de comprendre ce qui nous mène à sa situation actuelle.

4.1.1. Apparition du Rwanda et premiers régimes politiques72

Le nom « Rwanda » proviendrait du verbe « Kwanda » signifiant « avoir la vocation de s’élargir, d’être grand » et aurait été imposé par les Tutsis. Ceux-ci furent apparemment les premiers à organiser le Rwanda d’un point de vue politique aux alentours du 15ème siècle. Bien que le mot « Rwanda » traduise les prétentions guerrières et expansionnistes de la monarchie Tutsie à la base de la formation du pays, celui-ci ne faisait pas plus de deux milles kilomètres carrés. Comme ce fût le cas dans les principautés Hutus alentours, le pouvoir se transmettait au Rwanda par le sang, réel ou supposé, et par la possession d’un territoire. Forte de ses prétentions conquérantes, la petite monarchie Tutsie conquiert petit à petit toutes les principautés Hutus environnantes et met en place un système de clientélisme qui permet de perpétuer le système politique en place. Les tributs qui refusent de se soumettre sont tout simplement vaincues par les armes.

La domination du « Rwanda » par la royauté Tutsie s’observe notamment par les éléments suivants : • Annexion et dénomination du territoire nouvellement conquis sous le nom de Rwanda; • Appropriation des éléments culturels qui régissent la société conquise, mais en revanche, création d'une mythologie qui explique l'origine divine des nouveaux arrivants en soulignant le caractère "providentiel" de leur arrivée73; • Appropriation du système de gouvernement local conquis et dans le cas, exceptionnel où l'Umwami Hutu n'a pas été tué, maintien de son autorité même s'il doit se subordonner

72 C. NKURUNZIZA (Ministre Rwandais de la Justice de 1977 à 1984), « Le conflit rwandais », http://jkanya.free.fr/nkurunziza1.html. 73 Il s’agit en quelque sorte d’imposer un régime « monarchique de droit divin ».

341 en abandonnant au nouveau conquérant le titre d'Umwami tandis que lui devenait un simple Umuhinza74 "celui qui fait gronder le tonnerre", s'occupant des tâches traditionnelle ; • gestion politique et économique du pays par un système de clientèle où les hutus deviennent taillables et corvéables à merci.

Le système politique de l’époque était donc aux antipodes de ce que l’on pourrait aujourd’hui appeler une démocratie et il n’y a pas de trace dans cette région de prémisses d’un quelconque système démocratique. Au contraire, au fur et à mesure des conquêtes, la royauté Tutsie impose un régime basé sur un « code ésotérique », constitué par un ensemble de mythes, de légendes et de prescriptions rituelles.

Ce code couvrait tous les domaines de la vie sociale et se transmettait de père en fils, de génération en génération. Il constituait l’âme du système politique de l’époque et plaçait le pouvoir de la royauté au-dessus de tout, y compris la vie. En ce qu’il conférait tout pouvoir au roi Tutsi, en ce compris un droit absolu sur les vies des sujets, certains affirme que ce code ésotérique pourrait être à la base du conflit Rwandais entre Hutus et Tutsis.

4.1.2. Arrivée des missionnaires et période coloniale75

Les premiers écrits européens évoquant le Rwanda datent du milieu du 19ème siècle. Envahi par les Allemands au tout début du 20ème siècle, le Rwanda est l’un des dernier pays africain à être colonisé. En 1907, le Rwanda est entièrement sous le controle de l’Allemagne, avant d’être mis sous le protectorat et l’administration de la Belgique, suite à la défaite de l’Allemagne à l’issue de la première guerre mondiale.

C’est durant cette période que les premières revendications démocratiques apparaissent au sein du peuple Rwandais devenant de plus en plus scolarisé. Cette évolution des mentalités donne également naissance à des revendications de plus en plus fréquentes de souveraineté et à un désir de plus en plus grand de s’affranchir de la domination belge.

74 À l’inverse de l’Umwami, les pouvoirs de l’Humuhinza ne proviennent pas du divin mais son des pouvoirs terrestres. 75 E. NKUNZUMWAMI, « La tragédie Rwandaise : historique et perspective », L’harmattan, 1996, p.21 et s.

342

Les Hutus sont également très conscients de l’inégalité qui règne dans la société Rwandaise et sont demandeurs d’une plus grande justice sociale. Ces désirs sont compilés dans « les doléances pour plus d’équité, de justice sociale, de participation au pouvoir pour le menu peuple », plus connu sous le nom de « Manifeste des Bahutus » publié en mars 195776.

On constate donc déjà à cette époque que la question politique et démocratique est indissociable de la question ethnique, étant donné la superposition des groupes sociaux et ethniques ; les Tutsis possédant le pouvoir77 mais étant moins nombreux que les hutus, moins éduqués mais formant une majorité écrasante. Ce clivage est accentué par le soutient belge à la Royauté Tutsi et l’instauration en 1933 de la « carte d’identité ethnique », spécifiant l’origine ethnique du porteur.

4.1.3. Indépendance et naissance de la République78

En 1959, le roi Tutsi Mutara Rudahigwa décède subitement. La Belgique, avec le soutien de l’église, place son fils à la tête du pays. Cela ne sera pas accepté par la majorité Hutu et cet événement donnera lieu à ce que les Rwandais appellent la « révolution sociale de 1959 »79. Au même moment, le roi Tutsi se sent pousser des ailes et manifeste son désir de rendre le Rwanda indépendant, ce qui aura pour effet de lui faire perdre le soutien que les Belges lui accordaient. Ceux-ci vont alors ouvertement soutenir les Hutus, lesquels pourront alors renverser la royauté Tutsie. C’est à la suite de cet événement que les premiers massacres de Tutsis auront lieux, et qu’il apparait que la république Rwandaise naissaite sera résolument ethnique.

76 S. TOTTEN, Paul Robert BARTROP et Steven L. JACOBS, « Bahutu Manifesto », Dictionary of Genocide: A-L, 2008, p. 33-34. 77 « Rwanda : a brielf history of the country », United Nations Outreach Programme on the Rwanda Genocide, http://www.un.org/en/preventgenocide/rwanda/education/rwandagenocide.shtml 78 E. NKUNZUMWAMI, ibid., p.21 et s. 79 « Rwanda : a brielf history of the country », United Nations Outreach Programme on the Rwanda Genocide, http://www.un.org/en/preventgenocide/rwanda/education/rwandagenocide.shtml

343 En 1960, des élections sont organisées, à la suite desquelles les élus proclament la République du Rwanda en janvier 1961. Parmi les élus, tous sont issus de l’ethnie Hutu et les royalistes Tutsis auront beau tenter d’invalider les élections, rien n’y fera. Le 25 septembre 1961, un référendum est organisé sous l’égide des Nations Unies, au cour duquel 80% des Rwandais se prononcent en faveur d’une république. Le régime féodal et monarchique est donc aboli et, le 26 octobre 1961, est élu Grégoire Kayibanda, premier Président de la République Démocratique Rwandaise.

Fondé sur le multipartisme qui avait d’ailleurs rendu possible l’avènement de la République, le changement de régime marque un pas qui aurait pu être positif pour la démocratie. Le Gouvernement et l’assemblée générale sont en effet mis en place en respectant le résultat des élections du 25 septembre 1961. Toutefois, deux problèmes majeurs ne peuvent être masqués derrière le discours de l’époque. D’une part la persécution des Tutsis, poussés à l’exil dans le Burundi voisin et d’autre part le nouveau système clientéliste qui se met en place à l’époque et qui renforce le parti au pouvoir. A tel point qu’en 1968, le Parmehutu, qui change son nom en « Parti National du Rwanda » fait disparaître toute opposition et devient ainsi le seul parti du pays, installant de fait un système de monopartisme.

4.1.4. De la fin des années 60 au génocide de 1994

En 1973, le Rwanda connaît un coup d’état présenté comme une « révolution morale », à la suite duquel toutes les institutions gouvernementales furent suspendues. Un « Comité de Salut National » composé de militaires et sensé moraliser le politique est mis en place. Ce comité se charge en réalité notamment de persécuter les tutsi, entre autres dans le secteur de l’enseignement. Ce coup d’Etat amène également au pouvoir Juvénal Habyarimana en 1973. Il restera au pouvoir durant 20 ans, jusqu’à son assassinat en 1994.

La période qui est l’objet de ce paragraphe ne marque aucun progrès pour la démocratie. Au contraire, à la suite de la révolution de 1973, nait le Mouvement Révolutionnaire National Pour le Développement (MRND), qui deviendra de facto le nouveau parti unique. En 1978, suite à un referendum sur une nouvelle constitution, le parti MRND sera même institutionnalisé en tant que parti unique lorsqu’il est inscrit à l’article 7 de la nouvelle constitution qui stipule que « le peuple rwandais est organisé au sein du Mouvement Révolutionnaire pour le Développement, formation politique unique hors du cadre de laquelle

344 nulle activité politique ne peut s'exercer ». Chaque citoyen était donc désormais membre du parti dès sa naissance.

À la fin des années 80, les Tutsis qui se sont exilés avec les opposants Hutus en Ouganda commencent à s’organiser autour du « Front Patriotique Rwandais » (FPR), parti qui dispose d’une branche armée qui attaquera le Rwanda en octobre 1990.

Se sentant menacé, le Président Habyarimana demande un soutien militaire à ses alliés, notamment la France, laquelle répond positivement en envoyant des troupes. Des troupes belges et Zaïroises se joindront à l’aide accordé au Rwanda.

La France, sous la houlette du Président Mitterrand lance un appel ferme au Président Rwandais Habyarimana pour que ce dernier mette rapidement en place des réformes pour moderniser et démocratiser le pays, sans quoi la France suspendra son aide militaire. Comprenant l’importance de cet avertissement, le président entame ces réformes en juillet 1990. En juin 1990, un amendement à la Constitution Rwandaise aboli le monopartisme et plus de 15 partis politiques sont créés en moins d’un mois.

Alors que la guerre entre le FPR et les forces du Président Habyarimana continue, les pressions sur ce dernier et son gouvernement sont de plus en plus fortes pour qu’il entame des négociations internes avec l’opposition et externes avec le FPR qui, pour beaucoup, devrait être légalisé comme un parti normal.

C’est dans ce contexte que commencent en 1992 les négociations de paix entre le FPR et le gouvernement Habyarimana à Arusha, en Tanzanie. Ceux-ci débouchent sur un accord signé en aout 1993 et a pour but de l’intégration politique militaire des différentes composantes internes et externes du Rwanda. L’implémentation de cet accord sera fortement retardée d’une part par les attaques du FPR et d’autre part par la branche extrémiste du gouvernement Habyarimana. Toutefois, l'armée française se retire fin 1993, conformément aux négociations d'Arusha, pour laisser l'ONU déployer au Rwanda une mission de paix, la MINUAR.

Finalement, alors que cet accord laissait présager un espoir pour la démocratie et la cohabitation des Hutus et des Tutsis au Rwanda, l’assassinat du Président Hutu Habyarimana déclenchera le tristement célèbre génocide des Tutsis, anéantissant tout espoir de paix et de

345 démocratie à court terme. L’histoire nous apprendra par ailleurs que ce génocide avait en réalité été préparé longtemps à l’avance, malgré les apparences de l’accord de paix d’Arusha.

Ce génocide, qui ne pourra faire l’objet de développements plus étendus dans la présente section, coûtera la vie à plus de 800.000 personnes. A l’issue de celui-ci, le FPR, composé d’opposants Tutsis et de Hutus réfugiés au Rwanda, sort vainqueur.

Le régime politique actuel du Rwanda, qui fait l’objet de la section suivante, est le résultat de cette histoire, d’où l’importance de la rappeler.

4.2. Régime actuel

4.2.1. La Constitution et les élections de 2003

A la suite du génocide, le FPR reste au pouvoir et instaure un gouvernement de transition à la tête duquel se trouve un homme fort : le Général Paul Kagame, même si celui- ci n’occupe que le poste de vice-président. Le 5 mai 1995, l'Assemblée nationale transitoire adopte une nouvelle constitution qui inclut des dispositions de la constitution du 18 juin 1991 et des éléments issus des Accords d'Arusha ainsi que du protocole de novembre 1994 introduisant le multipartisme. Il n’y a toujours pas de signe d’éclaircie démocratique.

Le 26 mai 2003, une nouvelle constitution est établie par referendum pour en finir avec le régime post-génocidaire. Le Rwanda devient alors une République à régime présidentiel, officiellement démocratique, dans laquelle le Président est à la fois le Chef de l’Etat et du Gouvernement. Il y existe, officiellement, une vraie séparation des pouvoirs, où le pouvoir exécutif est aux mains du gouvernement et le pouvoir législatif revient aux deux chambres du parlement. Le multipartisme est, une fois de plus officiellement, de rigueur.

Les élections présidentielles et législatives sous cette nouvelle constitution ont lieu pour la première fois en aout 2003 et amènent Paul Kagame à la tête du pays, bien qu’il l’ait déjà été officieusement depuis déjà plusieurs années.

Cette nouvelle constitution reste toutefois profondément marquée par le génocide et on peut facilement lire entre les lignes la peur que de tels événements se reproduisent. Ainsi,

346 l’article 54 de cette Constitution interdit toute forme d’organisation politique basée sur la race, le groupe ethnique, la tribu, le clan, la région, le sexe, la religion, ou tout autre division qui pourrait donner naissance à des discriminations. Cette clause, lue en combinaison avec d’autres textes de lois plus récents a en réalité pour effet de limiter drastiquement l’exercice de la démocratie, étant donné que la moindre dissension, ou le moindre désaccord qui caractérise généralement la débat démocratique peuvent être vus comme une contravention à cet article 54. Human Rights Watch affirme ainsi que cet article a en réalité pour effet de faire du Rwanda une république avec un parti unique, permettant au gouvernement, « sous couvert d’empêcher un nouveau génocide, de faire montre d’une intolérance totale face au moindre désaccord ».

4.2.2. Evolution du régime jusqu’à nos jours

La constitution votée en 2003 est toujours en vigueur aujourd’hui. Et la majorité des observateurs politiques s’accordent aujourd’hui pour dire que la démocratie n’est qu’une façade au Rwanda, cachant tant bien que mal la marque d’un régime autoritaire.

Au cours de la dernière décennie, la majorité des opposants politiques de Kagame ont été éliminé, soit car ils ont été condamnés à des peines de prisons pour diverse raisons, soit parce qu’ils ont choisi de fuir le pays. C’est le notamment de Faustin Twargiramungu, ou encore de Théonneste Niyitegeka. Les seuls partis politiques subsistant encore sont en réalité des partis politiques satellites du FPR au pouvoir, évoluant au sein du Forum Politique contrôlé par le même parti. Ils n’ont par ailleurs pas le droit de s’établir à une adresse et de fonder des institutions dont seul le FPR jouit actuellement.

En 2010, los des deuxièmes élections présidentielles sous la nouvelle constitution, le Général Kagame a, sans surprise, remporté une majorité écrasante des suffrages (93%), étant donné que l’opposition politique est inexistante. Chaque année, la majorité des ONG présentes au Rwanda appelle à une démocratisation et dénoncent la situation actuelle.

4.2.3. Avenir du régime

A l’issue du génocide de 1993, un consensus régnait pour dire qu’il fallait un homme

347 fort à la tête du Rwanda pour redresser le pays. Ce rôle a jusqu’à présent été rempli par le général Kagame. Malgré le manque de démocratie, il jouit d’une forte popularité dans le pays pour plusieurs raisons. Tout d’abord il a fourni au Rwanda une croissance galopante et le niveau de vie y a augmenté drastiquement depuis son arrivée au pouvoir. Ensuite, il est parvenu, dans une société décimée par un génocide, à conserver une stabilité politique impressionnante, bien que cela ait aussi été obtenu par la peur et le respect de l’autorité qu’il impose.

Beaucoup d’observateurs s’accordent aujourd’hui pour dire que le Rwanda est à un tournant. En effet, le Rwanda est actuellement sous la pression des pays occidentaux, et notamment de ses principaux alliés Anglais et Américains pour démocratiser le régime. Ceux- ci ont notamment décidé de diminuer leurs aides financiers, dont le pays est grandement dépendant, jusqu’à ce que certaines mesures soient prises pour assouplir le régime. Cette diminution de l’aide extérieure est en réalité généralisée dans toute la communauté internationale et le Rwanda souffre récemment de nombreux revers diplomatiques. Dans ce contexte, les élections présidentielles de 2017 seront cruciales pour observer l’évolution du régime. Kagame s’en ira-t-il comme la Constitution du Rwanda le lui demande ? Assistera-t- on à une démocratisation sous la pression de la communauté internationale ? Personne ne le sait, mais il est certain que les prochaines années seront déterminantes pour le régime politique du Rwanda.

348 5. Droits de l’Homme au Rwanda

La question des Droits de l’homme est à l’évidence intimement liée à celle de la démocratie, l’un n’allant pas sans l’autre. Il va donc de soi que la problématique des droits de l’homme est toute aussi compliquée que celle de la démocratie dans ce pays marqué par de nombreux conflits sanglants. Plutôt que de reprendre l’histoire tourmentée du Rwanda dont on sait qu’elle empêcha pendant longtemps l’émergence des droits de l’homme, nous nous concentrerons sur la situation actuelle de ceux-ci.

5.1. Situation juridique

Le Rwanda a signé et ratifié la majorité des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, tels que celui relatif aux Droits Civils et Politiques ou encore le pacte international relatif au Droits Économiques, Sociaux et Culturels.

Sur le plan interne, sa Constitution reconnaît les principaux droits de l’homme, bien que l’article 54 limite fortement le droit d’association et d’expression. Sur le plan formel donc, les droits de l’homme doivent être respectés.

En janvier 2012, le Rwanda a toutefois accepté de se soumettre à l’exercice périlleux de l’examen périodique universel des Nations Unies. À la suite de celui-ci, le Rwanda a accepté la majorité des recommandations qui lui ont été adressées, notamment en ce qui concerne les lois sur la liberté d’expression.

En réalité, l’effectivité des droits de l’homme au Rwanda est à nuancer.

5.2. Effectivité des Droits de l’Homme au Rwanda

Chaque année, nombreuses sont les organisations internationales et les ONGs qui pointent du doigt le non-respect des droits de l’homme par les autorités rwandaises. Comme nous l’avons souligné dans le chapitre précédent, l’autoritarisme du régime a fini par avoir un impact néfaste sur l’image du pouvoir en place, à tel point que de nombreux alliés dans la communauté internationale diminuent actuellement leur soutien au gouvernement Rwandais,

349 le mettant sous pression pour qu’il entame des réformes politiques allant dans le sens d’un plus grand respect des droits de l’homme et de la démocratie. Cette section examine l’effectivité concrète des droits de l’homme au Rwanda.

5.2.1. Liberté d’expression

Bien que la liberté d’expression soit en principe garantie au Rwanda, dans les limites qu’impose sa constitution, des restrictions sévères pèsent toujours sur ce droit fondamental. Ainsi, Amnesty International affirme que chaque année, sous couvert de représenter une « menace pour la sécurité nationale », un nombre croissant de personnes se fait condamner. Ces condamnations arbitraires sont facilitées par le fait que les lois encadrant la liberté d’expression sont souvent rédigés en des termes vagues, laissant une grande marge de manœuvre au juge, bien souvent acquis à la cause du régime. Ainsi la célèbre loi interdisant l’idéologie du génocide et le sectarisme, sensé interdire les appels à la haine, a en réalité érigé en infraction pénale toute critique du gouvernement.

Les journalistes sont également soumis à un fort contrôle de l’état. Cela a été justifié par le rôle important que les médias ont joué dans la propagation de l’idéologie du génocide avant 1993, mais ces restrictions n’ont aujourd’hui plus lieu d’être pour de nombreux observateurs. La diffamation continue par ailleurs à être une infraction pénale, ce qui a permis au gouvernement de condamner au silence bon nombre de journalistes et médias qui leurs étaient défavorables.

Malgré ce tableau plutôt sombre, il faut noter des évolutions positives. Tout d’abord le Rwanda s’est engagé, en avril 2010 à revoir sa loi interdisant l’idéologie du génocide et le sectarisme, afin de la rendre plus propice à une réelle liberté d’expression. Cette réforme est actuellement en cours et débattue au parlement Rwandais. Fin 2012, des réformes ont été votés au Parlement pour accroitre la liberté de la presse, et on observe actuellement un retour prudent de la presse critique. Finalement, on observe un assouplissement de la jurisprudence Rwandaise qui est pour le moins encourageant, en ce que la cour pénale a récemment réduite les peines de prisons de plusieurs journalistes influent et les a même acquitté pour certains chefs d’accusation.

350 5.2.2. Liberté d’association

La liberté d’association est l’un des droits le plus bafoué au Rwanda, notamment à cause de l’article 54 de la constitution qui empêche clairement la création de partis politiques qui serait un tant soit peu en désaccord avec le régime80. En 2012, de nombreux responsable de partis d’oppositions, et autres opposants politiques ont été condamné pour avoir tenté d’organiser des manifestations non autorisées. La majorité des partis politiques n’arrivent d’ailleurs toujours pas à se faire reconnaître officiellement, et ne sont en tous les cas pas autorisés à posséder leurs propres institutions. L’intimidation et le harcèlement seraient une pratique courante pour empêcher l’émergence de réels partis d’oppositions.

Sur le plan purement associatif, le nombre d’organisation indépendante est également resté très faible au Rwanda, et peu d’organisations osent aujourd’hui dénoncer la violation de droits humains. Selon Human Rights Whatch, les intimidations et l’espionnage sont une fois de plus monnaie courante dans le domaine et les organisations internationales n’ont pas été mieux accueillies que les organisations locales. Les médias pro-gouvernementaux ont par ailleurs réagi de manière très hostile au travail de ces ONG internationales, essayant à tout prix de discréditer leur travail.

5.2.3. Justice : accès, procès équitable, impunité et conditions de détention

Le droit à une justice équitable est également sensé être l’un des droits les plus fondamentaux et le Rwanda fait montre de nombreux efforts pour donner l’image d’une justice efficace et équitable. Il poursuit par exemple ses efforts pour obtenir le transfert ou l’extradition de protagonistes du génocide afin de pouvoir les juger.

Toutefois, il semble clair qu’une fois de plus, les efforts de communication du gouvernement ne peuvent masquer efficacement les problèmes auxquels fait face le pays. Le principal étant que la séparation sensée exister entre les pouvoirs exécutifs et judiciaire est en réalité très poreuse, tant il est clair que la justice est arbitraire. On constate par exemple qu’aucune poursuite n’a été engagée concernant les détentions arbitraires, les cas de tortures

80 Constitution de la Républic du Rwanda, 26 mai 2003, http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/--- ed_protect/---protrav/---ilo_aids/documents/legaldocument/wcms_127576.pdf.

351 mettant en cause les services de renseignements du gouvernement81. A l’inverse, les cours et tribunaux interprètent très extensivement les lois limitant la liberté d’expression et d’association82, ce qui a permis la condamnation de nombreux opposants politiques et autres journalistes opposés au régime de Kagame.

Finalement, aucune ONG locale ou internationale n’a été autorisée à accéder aux établissements pénitentiaires pour examiner les conditions de détention ou encore l’effectivité du droit à un avocat.

5.2.4. Implication de l’armée rwandaise en RDC et soutien au M23

Finalement, on ne peut aborder la question des droits de l’homme au Rwanda sans évoquer son soutien au M23. Selon Human Rights Whatch83, l’armée Rwandais aurait fourni un soutien à ce groupe de rebelles responsable de nombreuses « exactions, dans l’est du Congo, notamment des meurtres de civils, des exécutions sommaires, des viols et du recrutement forcé »84. Le Rwanda viole donc ainsi lourdement l’embargo mis en place par les Nations Unies et a donc soutenu, même indirectement, un groupe n’aillant guère de respect pour les droits de l’homme.

5.3. Conclusion

Alors que l’on ne peut qu’applaudir les progrès économiques le développement du Rwanda, on ne peut que constater que les progrès en matières de démocratie et de droits de l’homme n’ont pas suivi. Alors qu’un régime fort semblait se justifier à la suite du génocide pour reconstruire le pays, la communauté internationale voit d’un mauvais œil le manque de

81 « Rapport 2013 : La situation des droits humains dans le monde », 2013, p.250, http://files.amnesty.org/air13/AmnestyInternational_AnnualReport2013_complete_en.pdf 82 « Rapport 2013 : La situation des droits humains dans le monde », 2013, p.251. 83 « DR Congo: M23 Rebels Kill, Rape Civilians », 22 July 2013, http://www.hrw.org/news/2013/07/22/dr- congo-m23-rebels-kill-rape-civilians 84 « DR Congo: M23 Rebels Kill, Rape Civilians », 22 July 2013, http://www.hrw.org/news/2013/07/22/dr- congo-m23-rebels-kill-rape-civilians

352 réformes au niveau politique qui irait dans le sens de la démocratie et des droits de l’homme. Le développement économique brandi en étendard par le général Kagame ne suffit plus pour justifier la dureté de son régime : des réformes sont nécessaires s’il veut conserver sa popularité interne et sa crédibilité sur la scène internationale. Il est à espérer que la pression internationale, ainsi que la demande claire de la population pour plus de liberté et de justice se fassent entendre, afin que le Rwanda puisse être aussi fier de son régime qu’il ne l’est de son développement économique.

Par Alexandre Tangton

353 6. Conclusion FR / Conclusie NL / Conclusion GB

« La démocratie au Burundi, c’est une réalité » a-t-on entendu au Ministère des relations extérieures, le 9 juillet à Bujumbura. Le message est le même du côté des officiels rwandais. Pourtant, même si certaines avancées démocratiques ont été enregistrées ces dernières années, la route vers le pluralisme politique est encore longue.

Les deux Etats sont aujourd’hui à la croisée des chemins. Tant dans le chef du Burundi que celui du Rwanda, les années à venir vont s’avérer déterminantes. Pour des raisons diverses, mais similaires dans le fond. Dans chacun des deux pays, il s’agit en effet à présent de transformer l’essai démocratique : après avoir réussi à pacifier le conflit ethnique - du moins suffisamment que pour obtenir une certaine stabilité politique - la classe dirigeante doit désormais réussir à maintenir cette dernière tout en s’ouvrant à ses opposants politiques. La pacification ne peut plus être le résultat d’une absence de contestation. La démocratie ne peut plus se contenter du monopartisme, et doit se nourrir d’un débat public animé par différents partis et relayé par une société civile dynamique. « Nos dirigeants n’ont toujours pas compris la démocratie » nous indiquait le 3 juillet 2013 à Bujumbura un responsable de l’ONG PARCEM. « Ils n’ont toujours pas compris que chaque citoyen a droit au chapitre en démocratie ». Il s’agit à présent de donner réellement la parole aux citoyens, aussi éloignées soient leur opinions de la doxa du pouvoir en place.

Les différences entre le Rwanda et le Burundi sont légion, mais leur configuration historico-politique actuelle est dans le fond comparable. Tous deux sont tournés à la fois vers le passé et l’avenir ; vers les prochaines élections - 2015 pour le Burundi, 2017 pour le Rwanda -, et vers les anciens conflits dont les blessures restent encore vivaces. Tous deux ont à leur tête pour l’instant des hommes ambitieux qui, à force d’être resté trop longtemps au pouvoir, ont créé le sentiment d’être irremplaçables. Tandis que Nkurunziza se rend aux côtés de la population lors des travaux communautaires tous les samedis et met la main à la pâte pour faire oublier son bilan auprès des burundais qui voient en lui un des leurs, Kagamé met en avant son bilan économique, et s’entoure d’une aura fascinante et effrayante à la fois. On qualifie le premier président de « pantin », le second « d’homme fort ». Mais tout porte à croire que tant l’un que l’autre vont se porter candidat à leur ré-election au scrutin à venir. Ceci constituerait un véritable camouflet à la démocratie, laquelle souffre de voire toujours les même visages à la tête de l’édifice politique. L’ouverture à une variété de d’idées et d’opinions ne pourra se faire tant que le pouvoir est étouffé par un homme et ses fidèles,

354 soucieux de leur survie politique.

La situation des droits de l’homme est, tant au Burundi qu’au Rwanda, inquiétante, mais la conjoncture est dans les deux cas différente. Le Burundi a connu, depuis les élections de 2010, une certaine accalmie des violences politiques. Depuis quelques années, le gouvernement avait légiféré dans un sens favorable au droit de l’homme, puis a soudainement fait volte-face au courant de l’année 2013. Alors que les observateurs internationaux voyaient d’un œil positif l’évolution du respect des droits humains au Burundi, ils ont commencé à déchanter devant la vague répressive qui s’abat à nouveau depuis peu sur le pays, à mesure que les élections se rapprochent. Le mouvement semble exactement inverse au Rwanda : tandis que le régime exerçait une main de fer sur la société jusqu’à récemment, certains signaux positifs commencent à laisser espérer des améliorations, dans les domaines de la liberté d’expression notamment. Quoi qu’il en soi, aucune avancée tangible en matière de droits fondamentaux ne pourra se faire tant qu’aucun des deux gouvernements ne prend la mesure des responsabilités qui sont les siennes. La reconnaissance - plutôt que le déni actuel - par les pouvoirs en place des violations qui ont été commises constituent en effet le premier pas vers un respect accru des droits de la personne humaine dans des sociétés encore marquées par le spectre des violences d’hier.

Les enjeux sont de taille : il s’agit désormais pour le Rwanda et le Burundi de faire droit au passé tout en se tournant vers l’avenir. Construire le futur requiert dans les deux cas un changement de mentalité dans le chef des acteurs politiques. Il s’agit en effet de passer d’une mentalité revancharde à une mentalité de coopération, d’une logique de règlements de compte à une logique de solidarité. Reconnaître les erreurs commises pour pouvoir écrire une nouvelle page, démocratique, ensemble. Dépasser les divergences tout en n’oubliant rien de leur histoire commune : tel est le défi qui attend les Hutus et les Tutsis au Rwanda et au Burundi.

355 « De democratie in Burundi is een realiteit », hoorden we op 9 Juli in Bujumbura, op het Ministerie van Buitenlandse Zaken. De boodschap is dezelfde langs de officiële Rwandese kant. Maar ondanks het feit dat er de laatste jaren een zekere vooruitgang is geboekt wat de democratie betreft, is er nog een lange weg af te leggen naar een politiek pluralisme.

De twee staten staan nu op een kruispunt. De komende jaren zullen, om verschillende redenen, maar die in de grond zeer gelijkend zijn, bepalend zijn zowel voor Rwanda als voor Burundi. In beide landen moet nu een beginnende democratie zich aanpassen : na het etnisch conflict opgelost te hebben-tenminste voldoende om een zekere politieke stabiliteit te bekomen-moet de heersende klasse er nu in slagen om deze stabiliteit te behouden na het toelaten van een politieke oppositie. Democratie kan niet uit één enkele partij bestaan, maar moet een publiek debat toelaten, waar alle verschillende partijen vertegenwoordigd zijn en waar de burgermaatschappij deel van uitmaakt. Onze leiders hebben nog steeds de democratie niet begrepen, vertelde ons op 3 Juli 2013 in Bujumbura een vertegenwoordiger van de NGO PARCEM. “Ze hebben nog niet door dat elke burger in een democratie dezelfde burgerrechten heeft”. Nu moeten de burgers hun stem kunnen uitbrengen, zelfs als ze niet akkoord gaan met de politiek van hun leiders.

Er zijn veel verschillen tussen Rwanda en Burundi, maar hun historische-politieke achtergrond is zeer vergelijkbaar. Ze richten zich allebei tegelijkertijd naar het verleden en naar de toekomst; naar de volgende verkiezingen, in 2015 voor Burundi en in 2017 voor Rwanda en ze hebben ook nog beiden hun oude conflicten vers in het geheugen. De twee landen worden tegenwoordig geregeerd door zeer ambitieuze mannen die lang aan de macht zijn en onvervangbaar lijken. Nkurunziza verricht elke zaterdag met de bevolking communautair werk om de Burundesen zijn slechte resultaten te doen vergeten. Kagame is fier op zijn economische resultaten en wikkelt zich in een fascinerend maar angstwekkend aura. De Burundese president wordt als een “marionet” beschouwd en de Rwandese als “de sterke man”. Maar beide zullen zich waarschijnlijk opnieuw kandidaat stellen voor de herverkiezing van het presidentschap. Dit zou een klap betekenen voor de democratie, die nog steeds lijdt onder het feit dat dezelfde mensen steeds weer aan het hoofd van het land staan. Nieuwe ideeën en opinies kunnen zich niet ontplooien zolang de macht in handen blijft van steeds dezelfde mensen en hun handlangers die er voornamelijk op uit zijn om hun politieke loopbaan te behouden.

356 De toestand van de mensenrechten, zowel in Burundi als in Rwanda, is onrustwekkend, maar de toestand in beide landen is niet dezelfde. In Burundi zag men sinds de verkiezingen van 2010 een zekere vermindering van de politieke gewelddadigheden. Sinds enkele jaren kwam een wetgeving tot stand die meer rekening hield met de mensenrechten, maar dit veranderde plots in 2013. De internationale waarnemers zagen een gunstige wending van het respect van de mensenrechten in Burundi, maar sinds kort, sinds de nadering van de verkiezingen, is er opnieuw een golf van hardhandig optreden waargenomen. Het omgekeerde gebeurt in Rwanda: tot voor kort had het regime een ijzeren greep op de samenleving, terwijl er nu positieve tekenen opdagen die ons toelaten te denken dat er verbeteringen aan de hand zijn, o.a. op het gebied van de vrije meningsuiting. Wat er ook van zij, geen echte vooruitgang op het gebied van de fundamentele rechten zal mogelijk zijn zolang de twee regeringen hun verantwoordelijkheid niet opnemen. Het erkennen, in plaats van de ontkenning van de overtredingen die begaan worden, zou een eerste stap zijn voor een verbetering van het respect van de mensenrechten in een samenleving die nog gebukt gaat onder het recente geweld.

De inzet is hoog : Rwanda en Burundi moeten nu rekening houden met het verleden met de ogen gericht op de toekomst. Bouwen aan de toekomst vereist in beide gevallen een verandering in de geestesgesteldheid van de politieke gezagvoerders. Ze moeten overschakelen van wraakgevoelens op samenwerking en solidariteit. Ze moeten hun fouten kunnen erkennen om samen een nieuwe, democratische bladzijde te schrijven. Hun verschillen opzij schuiven en tezelfdertijd niets uit hun gezamenlijke geschiedenis te vergeten: dit is de uitdaging die de Hutus en de Tutsis te wachten staat in Rwanda en Burundi.

357 “Democracy in Burundi is real! have we repeatedly heard at the Ministry of Foreign Affairs of Burundi in Bujumbura on the 9th of July 2013. The message conveyed by Rwandese officials is exactly the same. Yet, even if certain democratic achievements have been recorded during the past years; the road towards true political pluralism still seems to be long.

The two states are today standing at a crossroads. Equally for both countries, the coming years are going to be crucial, and although the reasons seem different, the bottom line seems to be the same. In each of these two countries, it is now time to transform the democratic test: after succeeding in the task of putting an end to the ethnic conflict – at least sufficiently to obtain a relative political stability – the governing class now needs to succeed in maintaining this fragile peace while at the same time opening up to political opposition. Pacification can indeed not forever stay the result of the absence of contestation. Neither can democracy be achieved with monopartism: it needs to be nourished by public debate animated by different parties and relayed by a dynamic civil society. “Our leaders still don’t understand democracy” is what we heard on the 3rd of July 2013 at Bujumbura, as we were interviewing a member of the PARCEM NGO. “They still don’t get that each citizen have the right to a say in democracy”. The question at hand is now to give a real say to these citizens, as opposing as their positions might be regarding the government in place.

The differences between Rwanda and Burundi are numerous, but their current historical and political configuration is in the end quite comparable. They are both looking at the same to the past and towards the future, towards coming elections – 2015 for Burundi and 2017 for Rwanda” – and towards the ancient conflicts, of which the wounds are still bleeding. Both of them have ambitious man governing them whom, by holding on to power for too long, have created a feeling of irreplaceability. While Nkurunziza travels across the country to see his population and help them in community work every Saturdays and helps them to make them forget his mediocre results, Kagame prefers to put forward his economic progress and likes to surround himself with a fascinating aura. We like to call the former “the puppet president” and the latter the “powerful man”. In any case, everything leads us to the certainty that they will be candidate to their own succession at the end of their current terms. This would undoubtedly constitute a serious step backwards for democracy. The opening up to different ideas and opinions will not happen as long as all powers are held entirely in the hands of one man and his crooners, caring only about their political survival.

358 The Human Rights situation in both countries is troubling but the situation in both countries is different. Since 2010, Burundi has known a relative decline in political violence. For the past years, the government has enacted laws going towards the direction of Human Rights, and suddenly started a U-turn in 2013. While international observers saw positively the evolution regarding the respect of Human Rights in Burundi, they have started to change their minds in light of the repressive wave the country is again facing, as the elections are closing up. The movement seems exactly opposite as the one observed in Rwanda, where the regime used an iron fist to control Rwanda’s society until recently. We are indeed seeing positive signals letting us hope that things are getting better regarding freedom of speech, for instance. In any case, no tangible progress in the field of fundamental rights will be possible as long as none of the two governments take the measure of their responsibilities. Recognition – rather than denial as it is currently the case – of proven violations of Human Rights constitute indeed the first step towards a stronger respect of human person and dignity in societies that are still marked by the shadow of yesterday’s violence.

The stakes are high: the point is now for Rwanda and Burundi to give rights to the past while at the same time being focused on the future. Building this future will require in both cases a change in the mentality of political players. Indeed, it is now needed to switch from an avenging mentality to a spirit of cooperation, from logic of conflict to logic of solidarity. Recognizing the mistakes of the past in order to write a new democratic page. Overcome differences while not forgetting common history, which are the challenges that Hutus and Tutsis are facing in Rwanda and Burundi, respectively.

359 7. Bibliographie / Bibliografie

LÉGISLATION ! Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990. ! Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée le 10 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987. ! Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981, entrée en vigueur le 21 octobre 1986. ! Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée le 18 décembre 1979, entrée en vigueur le 3 septembre 1981. ! Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté le 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23 mars 1976. ! Pacte international relatif aux droits sociaux, économiques et culturels, adopté le 16 décembre 1966, entré en vigueur le 3 janvier 1976. ! Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948. ! Constitution burundaise, adoptée le 18 mars 2005. ! Loi n° 1/11 du 4 juin 2013 régissant la presse au Burundi. ! Loi n°1/04 du 5 janvier 2011 portant création d’une Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme. ! Loi n°1/05 du 22 avril 2009 portant révision du Code pénal. ! Décret n°10/183 du 25 juin 2012 portant des mesures de grâces.

DOCTRINE ! AMNESTY INTERNATIONAL, Rapport 2013. La situation des droits humains dans le monde, (Disponible sur http://www.amnesty.be/doc/IMG/pdf/ra2013.pdf) ! ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Compilation établie par le Haut- Commissaire aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi, Conseil des droits de l’homme, Groupe de travail sur l’Examen périodique universel, quinzième session, 12 novembre 2012, p. 4.

360 ! ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Résumé établi par le Haut- Commissariat aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du Conseil des droits de l’homme. Burundi, Conseil des droits de l’homme, Groupe de travail sur l’Examen périodique universel, quinzième session, 8 novembre 2012, p. 7-8. ! ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de l’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Burundi, Fatsah Ouguergouz, Conseil des droits de l’homme, dix-septième session, 31 mai 2011. ! ASSEMBLEE GENERALE DES NATIONS UNIES, Rapport de la Haut- Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme et les activités du Haut-Commissariat au Burundi, Conseil des droits de l’homme, douzième session, 31 août 2009. ! COMMISSION NATIONALE INDEPENDANTE DES DROITS DE L’HOMME, Rapport annuel, mai 2012, Bujumbura. (Disponible sur http://www.cnidh.bi/sites/default/files/RAPPORT%202012%20 VERSION%20FINALE.pdf)

! DEPARTEMENT D’ETAT DES ETATS-UNIS, Rapports 2012 sur les pratiques des pays en matière des droits de l’homme. Burundi. Bureau de la démocratie, des droits de l’homme et du travail. (Disponible sur http://photos.state.gov/libraries/burundi/231771/PDFs/2012-rapport-sur-les-droits-de- lhomme.pdf);

! HUMAN RIGHTS WATCH, Résumé Burundi, janvier 2013. (Disponible sur http://www.hrw.org/sites/default/files/related_material/burundi_fr_4.pdf)

! NGENDAKUMANA (H.), « Le Burundi face à la civilisation électorale », http://www.arib.info/index.php?option=com_content&task=view&id=6395

! NIMUBONA (J.), « De l’accord d’Arusha aux élections de 2005 : le processus de paix au Burundi. Entre espoirs et inquiétudes », L’Afrique des Grands Lacs. Des conflits à la paix ?, sous la dir. de E. Remacle et V. Rosoux, Bruxelles, Peter Lang, 2007.

! NYAMITWE (A. A.), « Démocratie et ethnicité au Burundi », Essai sur des mots et des acteurs autour d’un enjeu de justice et de pouvoir (1962-2005), Paris, Parole et Silence, 2009.

361 ! OFFICE OF THE HIGH COMMISIONNER FOR HUMAN RIGHTS, OHCHR Report, 2012. (Disponible sur http://www2.ohchr.org/english/ohchrreport2012/web_en/allegati/downloads/1_Whole _OHCHR_Report_2012.pdf)

! PALMANS (E.), « L’évolution de la société civile au Burundi », L’Afrique des Grands Lacs. Dix ans de transitions conflictuelles, sous la dir. de F. Reyntjens et S. Marysse, Paris, L’Harmattan, 2006.

! PIERREt (S.), « Élections 2010 : quel impact pour le Burundi ? », Analyse 2010, Bruxelles, Commission Justice et Paix belge francophone, 2010.

! RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Burundi: le journaliste Hassan Ruvakuki est libre », publié en ligne le 6 mars 2013 (Disponible sur http://www.rfi.fr).

! RADIO FRANCE INTERNATIONALE, « Burundi : l’opposition conteste le taux de participation à la présidentielle » (Disponible sur http://www.rfi.fr/afrique/20100629- burundi-opposition-conteste-le-taux-participation-presidentielle).

! REYNTJENS (F.), « Les transitions politiques au Rwanda et au Burundi », L’Afrique des Grands Lacs. Dix ans de transitions conflictuelles, sous la dir. de F. Reyntjens et S. Marysse, Paris, L’Harmattan, 2006.

! SIKUYAVUGA (L.) et al., « Élections 2015 : le mandat oubliée… », in IWACU Les voix du Burundi, 16 septembre 2013 (Disponible sur http://www.iwacu- burundi.org/index.php/elections-2015-le-mandat-oublie/)

VANDEGINSTE (S.), « Théorie consociative et partage du pouvoir au Burundi », L’Afrique des Grands Lacs. Dix ans de transitions conflictuelles, sous la dir. de F. Reyntjens et S. Marysse, Paris, L’Harmattan, 2006.

362

A close look to Economy in Burundi and Rwanda

Joris Broodcoorens Nicolas Denoël Anaïs Mattez

363

364

TABLE OF CONTENT Avant Propos Remerciements ...... 366

1. Burundi 1.1. INTRODUCTION ...... 369 1.2. ANALYSE MACRO ECONOMIQUE ...... 371 1.2.1. L’ECONOMIE BURUNDAISE EN QUELQUES CHIFFRES ...... 371

1.2.2. POLITIQUE FISCALE ...... 371

1.2.3. POLITIQUE MONETAIRE ...... 371

1.2.4. COMMERCE ET INTEGRATION REGIONALE ...... 372 1.3. MARCHE ET COMPETITION ...... 373 1.4. L’AGRICULTURE ...... 376 1.4.1. DIAGNOSTIC GENERAL DU SECTEUR AGRICOLE ...... 376

1.4.2 PRODUCTION / PRODUCTIVITE ...... 377 1.5. LES COOPERATIVES AGRICOLES ...... 380 A. Les caféiculteurs ...... 381 B. Les coopératives agricoles de Ngozi en partenariat avec le projet Louvain Développement ...... 381 1.6. CONCLUSION ...... 383

2. Rwanda 2.1. INTRODUCTIE ...... 384 2.2.MACRO-ECONOMISCHE ANALYSE ...... 384 2.2.1.RWANDESE ECONOMIE IN ENKELE CIJFERS ...... 384

2.2.2.RWANDESE FISCALE POLITIEK ...... 385

2.2.3. ECONOMISCHE POLITIEK ...... 386 2.1.3.1 Natuurlijke barrières om te handelen ...... 386 2.1.3.2. export ...... 386 2.1.3.3. Geschikt personeel ...... 387 2.1.3.4. Toerisme ...... 387 2.2.4. VISION 2020 ...... 388

2.2.5. OP MIDDELLANGE TERMIJN ...... 388

2.3.6. OP LANGE TERMIJN ...... 388 2.4. EAST-AFRICAN COMMUNITY ...... 389 2.5. HET BELANG VAN DE PRIVATE SECTOR ...... 389 2.6. UITDAGINGEN VOOR DE TOEKOMST ...... 390 2.7. CONCLUSIE ...... 390

General Conclusion

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Remerciements

A tous les membres de la Conférence qui ont participé au voyage et contribué à la richesse intellectuelle et humaine de la Conférence Olivaint ; A toutes les personnes qui nous ont reçu et nous ont permis de collecter des informations précieuses ; A Idelphonse sans qui nous n’aurions pas vu défilé des kilomètres de collines, de lacs et de plaines ; A toutes les personnes grâce auxquelles l’Afrique restera pour nous une terre accueillante et chaleureuse ; Aux Ambassades de Belgique au Burundi et au Rwanda sans lesquelles notre programme de visite n’aurait pas été possible ; A Jean Marsia, Président de la Conférence Olivaint et à Marc Tonnon notre aimable accompagnateur.

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Avant Propos

Our grandparents were often telling us stories about Africa. In the middle of the last century, many Belgians went to make a living in Congo, Burundi and Rwanda. These tales were full of adventure and stereotypes, just like Tintin in Congo. These stereotypes were then fed within the medias with the comments such as: how poor and underdeveloped countries of central Africa were. Television and newspapers told us about the civil wars, the genocide and challenges of Africa. We were told about the gap between these countries’ economy and the rest of the world. The false image of Africa’s poverty may now cease to exist in our minds, at least for Burundi and Rwanda. We were lucky to go and explore the truth about what is lying there. We have done our best to wipe out the premade images and to keep an open minded view on this very unknown world.

Burundian and Rwandan economical structures are both very alike but they also differ on a considerable amount of points. Both countries are similar enough to be studied together. As a matter of fact, their unique structure and political regimes help to put each other into perspective and comparison. These central African countries share the same kind of development challenges. Among these: a past marked with a strong European presence, ethnical problems, absences of access to sea, a violent post independence history and same hilly geography and low productivity. They also share the same culture and language as well as an agricultural based market.

But these former kingdoms of central Africa have made different choices about their futures. Rwanda has decided to take a different path. The international scene could not avoid noticing Kagamé’s will to make his country an economical and political actor accepted by the rest of the world. And thus the government has a more active role to play inside and outside of Rwanda. Meanwhile, Burundi has chosen other options in development. The government might be recognized by other nations to be less of a dictatorial state than its northern twin but one who has visited Kigali after Bujumbura is inevitably and objectively stroke by how Kigali has achieved such a development when we could not even find a single supermarket in Bujumbura!

This session report will try to enlighten different aspects of the economical systems of these countries of the Great lakes. It will include a macro economical analysis. We will then look to market and competition potential of Burundi and Rwanda. Finally, we will take a

367 look at the agricultural development. Indeed, dealing with the subject of agriculture is unavoidable as the work on the land is so tightly linked with the economy of both countries.

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1. Burundi

1.1. INTRODUCTION

Les accords d’Arusha de l’an 2000 ont mis fin à une période d’instabilité politique et de guerre civile (qui éclata en 1993) au Burundi. Ce pays a radicalement changé ses structures et institutions suite à l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2005 (Bertelsmann Transformation Index, 2012) en témoignent la création du Bureau de l’Ombudsman et la Commission des Droits Humains ; organes tous deux salués par la Commission de consolidation de la paix des Nations-Unis (International Monetary Fund, 2012).

Photo: The geography is at the same time in favour and against the economy in Burundi. The country is landlocked have any but is very resourceful in fresh water. Lake Tanganyika, at 772 meters (2,533 ft) is the lowest level while with the highest point being Mount Heha, at 2,684 meters. Due to its altitude, the climate in Burundi is pleasant all year round. Flooding and landslides occur in the hills.

Ainsi, le pays jouit actuellement d’une des plus longues périodes de stabilité politique.Mais attention, cette paix reste fragile. Le boycott des élections de 2010 par l’opposition a remis en exergue les tensions politiques. Des inquiétudes persistent quant au retour éventuel d’une rébellion (African Economic Outlook, 2012).

Le Burundi est l’un des pays les plus pauvres au monde, en se classant en 2010, 166ème (sur 169) dans l’indice de développement humain.93% de la population vit avec moins de deux dollar par jour.Le pays dispose d’importantes ressources naturelles, notamment des gisements miniers, mais souffre de son enclavement, du manque d’infrastructures, d’un climat des affaires peu attractif, d’une main d’œuvre peu qualifiée et d’une mauvaise adéquation de

369 l’offre et de la demande en matière de compétence1. De plus, la forte densité de population (300 hab/km) associée à une croissance démographique rapide (2,6% en 2010) engendre une forte pression sur les ressources naturelles (Banque Africaine de Développement - Fonds Africain de Développement, 2011).

L’économie burundaise est fortement dépendante de l’agriculture (café et thé principalement) qui représente un peu moins de 40% de son PIB. Ce secteur emploie près de 90% de la population, fournit 95% de l’offre alimentaire et représente 90% des recettes d’exportation. Mais ce secteur est fortement volatil et est largement dépendant des prix internationaux des denrées alimentaires couplés à des conditions météorologiques très variables (San Pedro, 2012).

Photo: Children are often left to themselves in the countryside of Burundi. Half of the population is younger than fourteen. The students of the Olivaint Conference all agree that they had never seen as many children around.

1 Banque Africaine de Développement - Fonds Africain de Développement, 2011, Burundi – Document de Stratégie Pays 2012-2016, p. 2.

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1.2. ANALYSE MACRO- ECONOMIQUE

1.2.1. L’économie Burundaise en quelques chiffres

Le Burundi est l’un des pays les moins développés au monde avec un PIB de 170 US $ dollars par habitant en 2011 (contre 286 US $ dollars en 1993) (Banque Africaine de Développement - Fonds Africain de Développement, 2011). Pour cette même année 2011, la croissance du PIB a été de 4% alors que l’inflation s’est élevée à 8,3% (African Economic Outlook, 2012). Plusieurs causes sont invoquées pour justifier cette faible croissance, telles que : manque d’électricité et baisse de la demande agrégée des biens et services suite à un choc du prix des matières premières et du pétrole (International Monetary Fund, 2012).

1.2.2. Politique fiscale

Les recettes fiscales ont graduellement augmenté ces dernières années grâce à la croissance des impôts sur les revenus et les biens et services. Cette augmentation est en partie du à un vaste programme de modernisation de l’administration des recettes fiscales (avec la création de l’Office Burundais des Recettes) et l’introduction de la TVA (Banque Africaine de Développement - Fonds Africain de Développement, 2011).

1.2.3. Politique monétaire

Actuellement, le pays mène sa propre politique monétaire (certes, fortement influencée par les injonctions du Fond Monétaire International) avec pour objectif ultime la stabilité des prix. La marge de manœuvre reste néanmoins très limitée étant donné la forte influence des prix à l’importation sur le niveau général des prix (Banque Africaine de Développement - Fonds Africain de Développement, 2011).

Le cours du franc burundais reste relativement stable d’année en année. Dans les années à venir, le gouvernement burundais souhaiterait prendre des mesures visant à donner plus de flexibilité à la monnaie locale pour s’adapter rapidement aux changements des prix du pétrole et des produits agricoles.

Enfin, le Burundi est membre de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Des négociations

371 ont été entreprises afin d’aboutir dans le futur à la création d’une union monétaire. La date initialement prévue était l’année 2012 mais elle a été repoussée (African Economic Outlook, 2012).

1.2.4. Commerce et Intégration régionale

La balance commerciale est déficitaire chaque année. Le montant des importations n’a de cesse d’augmenter alors que les exportations continuent à être peu diversifiées et sont principalement constituées de produits primaires à faible valeur ajoutée. Ainsi, en 2010, 69% des recettes d’exportation provenaient du café, 18% du thé, 3% du secteur minier, et le reste de l’horticulture, du coton, et de l’or.

Le Burundi a adhéré à la Communauté d’Afrique de l’Est en 2007. Cette adhésion pourrait avoir un impact important dans les années à venir pour l’économie de ce pays. Il s’ouvre les portes d’un marché commun de 133 millions de personnes. Pour tirer profit de cette adhésion, la priorité doit être donnée au développement des infrastructures régionales, notamment dans le transport et l’énergie, mais également aux investissements dans les infrastructures immatérielles2.

Néanmoins, cette intégration n’est pas parfaite. Le 25 juin 2013, le Burundi (ainsi que la Tanzanie) n’a pas été invité au sommet qui réunissait le Rwanda, le Kenya et l’Ouganda. La cause du problème serait due au fait que le Burundi appartient à d’autres ensembles régionaux tels que le « Common Market for Eastern and (COMESA) », « Economic Community of Central African States (ECCAS) », la Communauté économique des Grands Lacs. Or l’appartenance à la Communauté d’Afrique de l’Est exigerait un engagement singulier (Madirisha E., Sahabo N., 2013).

2 Banque Africaine de Développement – Fonds Africain de Développement, 2011, Burundi: document de stratégie pays 2012-2016, p. 10.

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1.3. MARCHE ET COMPETITION

Beaucoup de facteurs entravent le développement d’une économie de marché concurrentielle au Burundi : un secteur agricole informel, une corruption généralisée, une administration publique lente et inefficace. Il n’est pas rare de voir les politiciens intervenir dans la sphère économique (Bertelsmann Transformation Index, 2012).

Ce n’est donc pas un hasard si, en 2010, le pays se classe en 170ème position sur 178 en matière de corruption (Indice de Perception de la corruption de l’ONG Transparency International). Le gouvernement va très prochainement lancer la Stratégie Nationale de Bonne Gouvernance et de Lutte contre la Corruption avec un plan d’action très détaillé. Mais, il y a toutefois un risque que les efforts des différentes institutions impliquées dans la lutte contre la corruption soient restreints dans leurs marges de manœuvre en raison notamment de textes réglementaires inadaptés (Banque Africaine de Développement - Fonds Africain de Développement, 2011).

Néanmoins, des progrès substantiels ont été réalisés pour attirer des investisseurs. Le pays a été classé parmi les pays ayant entrepris le plus de réformes dans le rapport 2012 “Doing Business” par la Banque Mondiale. Les autorités burundaises ont identifié, avec cette dernière les différentes réformes-clé, pour améliorer l’attractivité du pays et protéger les investisseurs. L’objectif va être de simplifier les procédures administratives pour obtenir un permis de bâtir, pour opérer un transfert de propriété, ou encore créer une entreprise (International Monetary Fund, 2012). Mais attention, malgré toutes ces avancées et ces concertations avec la Banque Mondiale, investir au Burundi reste un véritable parcours du combattant pour les investisseurs.

Pendant la session d’étude, les membres de la Conférence Olivaint de Belgique ont eut l’occasion de visiter la société de prospection géologique “Flemish Investment”, située à Muyinga. Son manager nous a confié que le gouvernement burundais comptait changer, dans les mois qui viennent, le code relatif à l’exploitation minière. Ce changement pourrait permettre au gouvernement de s’accaparer les gisements sans concertation avec l’entreprise qui l’exploite.

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Photo: Bruce, the manager of Flemish Investment showing the zone in which gold is extracted. The Burundian government tries to take its part of the deal and makes the business situation somehow uncertain. Photo: The exploitation is literally a goldmine. This picture shows how gold is extracted. Peak of violence are frequently generated by the search for gold.

En ce qui concerne la concurrence entre les entreprises, l’économie burundaise étant relativement peu importante, la lutte contre les monopoles et les oligopoles n’est pas la priorité du gouvernement. Mais la récente accession à la Communauté d’Afrique de l’Est risque d’avoir pour conséquence d’obliger les entreprises burundaises à s’adapter et à faire face à une concurrence plus intense émanant de pays plus développés.

En ce qui concerne le système financier, ce dernier est peu développé. Il est presque exclusivement concentré dans la capitale Bujumbura. Seul 2% de la population possède un compte bancaire. Le monde rural n’a pas vraiment accès aux services bancaires (Bertelsmann Transformation Index, 2012), ce qui entraîne un non-financement du secteur agricole, pourtant, pierre angulaire de l’économie burundaise. Ainsi, les taux d’intérêt sont exorbitants et les produits financiers sont inadaptés aux besoins des agriculteurs (Fonds de Microcrédit agricole).

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Pour palier à un secteur bancaire mal développé, de nombreuses initiatives de microfinance ont vu le jour. Au Burundi, ce secteur regroupe plusieurs intervenants opérant soit dans le secteur informel, soit dans le secteur formel (structuré).

Au niveau du secteur informel, des pratiques endogènes d’épargne et de crédit existent tout aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. Ces pratiques existent essentiellement sous forme d’entraides et de tontines (système d’épargne solidaire). Elles sont généralement mises en œuvre par des ONG. En ce qui concerne le secteur formel, il convient de distinguer les organisations de microfinance en trois groupes:

1- Les coopératives d’épargne et de crédit qui sont des expériences basées sur le rôle central de l’épargne pour alimenter le crédit3. L’épargne est généralement le préalable au crédit en raison d’un mode de fonctionnement de type mutualiste.

2- Les entreprises de microfinance qui sont des sociétés à but lucratif autorisées à octroyer un crédit après avoir collecté l’épargne du public.

3- Les programmes de microcrédit. Il s’agit d’organisations qui ne sont pas autorisées à collecter l’épargne du public mais qui peuvent faire uniquement du microcrédit. Des chiffres datant du 31 décembre 2011, tendent à démontrer qu’il y aurait au Burundi plus de 500 000 clients de la micro finance (CGAP Portail Micro fiance, 2011).

3 http://www.lamicrofinance.org/resource_centers/Profilburundi/profilburundi1 Portail Microfinance, consulté le 29 juillet 2013.

375

1.4. L’AGRICULTURE

1.4.1. Diagnostic général du secteur agricole

Le secteur agricole est la pierre angulaire de l’économie burundaise. L’économie burundaise est fortement dépendante de l’agriculture (café et thé principalement) qui représente un peu moins de 40% de son PIB. Ce secteur emploie 90% de la population, fournit 95% de l’offre alimentaire et représente 90% des recettes d’exportation. (San Pedro, 2011)Néanmoins, il convient de préciser que la contribution de l’agriculture dans le PIB n’a cessé de baisser ces dernières années (Gimbare, 2011).

85% du territoire représente des terres potentiellement agricoles. Le pays fait face à un climat tropical accompagné de deux saisons des pluies. Ces deux caractéristiques font de l’agriculture un secteur à fort potentiel (San Pedro, 2011).

Photo: Woman harvesting in a tea plantation in Teza

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L’agriculture au Burundi est à un stade relativement élémentaire. L’accès aux intrants (engrais, semences, produits fito-sanitaires) est limité, l’outil agricole est rudimentaire et l’agriculture reste majoritairement une agriculture de subsistance menée par des ménages ruraux à très faible revenu (République Burundi, 2012). A cela, il convient d’ajouter un sol de moins en moins fertile, une propriété de la terre morcelée, la difficulté d’accès au crédit et un taux élevé de pauvreté au sein de la population rurale. Dans ce contexte, non seulement la production agricole n’a pu augmenter suffisamment pour générer des excédents mais elle est également restée insuffisante pour répondre aux demandes alimentaires essentielles de la population4. Avant la crise de 1993, le Burundi possédait l’autosuffisance alimentaire. Depuis, l’insécurité alimentaire touche près de 70% de la population ce qui fait du Burundi, l’un des trois pays avec le plus fort taux d’insécurité alimentaire du monde (Programme alimentaire mondial (PAM), 2010).

D’après une étude menée par le Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage (MINAGRIE), l’agriculture n’est toujours pas une priorité du gouvernement.

Dans le budget 2010, le Ministère de la Sécurité Publique et de la Défense a reçu plus de 20% du budget total alors que le secteur de l’agriculture n’a reçu que 3,7%.

1.4.2 Production / productivité

La production agricole est très faible, elle n’a toujours pas retrouvé ses niveaux d’avant 1993. La production des principales cultures a chuté au cours de ses quinze dernières années, malgré sur la même période, une augmentation de 37% des terres cultivables (Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, 2008). Selon des études menées par la FAO, il est peu probable que la production s’améliore à court terme.

Malgré cette réduction, l’agriculture reste le moteur de l’économie burundaise et continuera à le rester pour les prochaines décennies. C’est une des raisons pour laquelle l’économie burundaise est difficile à prévoir vu qu’elle est guidée par un secteur primaire largement dépendant de facteurs exogènes tels que la variabilité climatique et les prix internationaux.

4 SAN PEDRO Paula, 2011, Investir dans l’agriculture au Burundi: indispensable pour combattre l’insécurité alimentaire et améliorer les conditions de vie des femmes paysannes, Rapports de recherche Oxfam, p. 6.

377

Il convient d’ajouter à la faible production, la faible productivité de la terre agricole: une des plus faibles de la région. Différentes causes sont mises en évidence pour justifier cette faible productivité: incapacité de laisser la terre en jachère, techniques agricoles rudimentaires (utilisation d’intrants non modernes et d’outils essentiellement manuels), érosion et chute de la fertilité des sols (San Pedro, 2011).

Photo: Shopping in Burundi is quite a challenging activity. There are no supermarkets. The main market of Bujumbura was burned a few weeks before our arrival. The shops are difficult to find. . The goods are also present in small quantities, which put prices relatively high, for the average consumer and unaffordable for the poor.

1.4.3. Situation nutritionnelle

Le faible niveau de production et de productivité de l’agriculture burundaise entraînent le pays dans une insécurité alimentaire structurelle. Le pays est ainsi largement dépendant des importations et de l’aide extérieure pour subvenir à ses besoins alimentaires. Par conséquent, la malnutrition est un véritable problème de santé publique au Burundi (République du Burundi, 2011).

Depuis la décennie 1990, l’insécurité alimentaire s’est progressivement aggravée jusqu’à atteindre des niveaux sans précédents. Les niveaux de sous- alimentation ont doublé au cours

378 des vingt dernières années. L’indice de la Faim dans le Monde de 2010 place le Burundi à l’avant dernier rang du classement mondial juste devant la République Démocratique du Congo5.

5 SAN PEDRO Paula, 2011, Investir dans l’agriculture au Burundi: indispensable pour combattre l’insécurité alimentaire et améliorer les conditions de vie des femmes paysannes, Rapports de recherche Oxfam, p 14.

379

1.5. Les coopératives agricoles

De nombreux spécialistes et agronomes étrangers ont mis en exergue l’importance capitale des coopératives agricoles pour améliorer l’agriculture burundaise. Les Nations-Unies elles- mêmes reconnaissent que les coopératives agricoles contribuent énormément à la création d’emplois et favorisent la sécurité alimentaire (Mbonabuca D., Uwizera J., 2013).

Mais malheureusement, les organisations de producteurs ne sont pas reconnues par les institutions publiques comme étant des interlocuteurs pertinents pour l’élaboration de politiques agricoles : elles sont très peu souvent consultées, il n’existe pas de cadre de concertation et les rares appuis qu’elles reçoivent sont régis par des approches dirigistes6. (San Pedro, 2011)D’après le Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté de 2011, il apparaît que le gouvernement reconnaît l’importance des organisations de producteurs pour le développement agricole du pays. Mais les politiciens semblent considérer que ces organisations disposent de faibles capacités organisationnelles, managériales et peu de moyens financiers pour participer à la modernisation du secteur agricole (Gimbare A., 2011).

Néanmoins, le nouveau contexte politique a favorisé l’émergence d’une dynamique associative dans le monde rural. Des groupes possédant des objectifs communs commencent à naître. Ces organisations seraient d’ailleurs beaucoup plus professionnelles. Des initiatives intéressantes commencent à émerger telles que le Forum National des Organisations de Producteurs Agricoles en novembre 2009 (San Pedro 2011). Cette organisation a adressé une liste de recommandations au gouvernement. Cinq préoccupations majeures ont été identifiées telles que : l’accès aux intrants, la sécurisation foncière, l’accompagnement technique et le renforcement des organisations de producteurs, le financement agricole, le rôle et la place du mouvement paysan dans le développement (Nzosaba J., 2009).

6 op. cit.

380

EXEMPLES DE COOPERATIVES

A. Les caféiculteurs

Il s’agit d’un bon exemple pour les autres producteurs. La première organisation a été crée en 1997 ; leur nombre et leur taille a progressivement augmenté avec pour aboutissement, en 2004, la création de la Confédération Nationale des Associations des Caféiculteurs du Burundi (CNAC). Cette structure est présente dans environ 30% des instances de négociation. Depuis 2007, la Confédération Nationale participe à la négociation du prix du café. Les organisations de producteur de café sont identifiées comme le type d’association que devraient imiter les autres organisations car elles ont obtenu des avancées importantes en termes de production et de bénéfices7 (San Pedro, 2011).

B. Les coopératives agricoles de Ngozi en partenariat avec le projet Louvain Développement Photo : Les étudiants de la COB rencontrant les agriculteurs ayant bénéficié du programme Louvain développement. Nous avons pu observer même sans connaissance poussée en agronomie, une nette augmentation de la production chez ces agriculteurs en comparaison aux plantations moyennes. La production de cette ferme faisait un rendement de 600% par rapport aux récoltes antérieures grâce à la collaboration avec Louvain développement. La stratégie consistait principalement dans l’introduction de techniques telles que : le paillage, la sélection de meilleures variétés de bananes, haricots, tomates et autres produits agricoles.

Les membres de la Conférence Olivaint de Belgique ont eu l’occasion de rencontrer les membres des coopératives agricoles de Ngozi, chapeautées par l’organisation Louvain Coopération au Développement. L’ONG belge y a lancé en 2004 un projet de lutte contre la pauvreté en milieu rural (organiser et soutenir le développement agricole local) avec la fédération paysanne UCODE (Union pour la Coopération et le Développement).

7 SAN PEDRO Paula, 2011, Investir dans l’agriculture au Burundi: indispensable pour combattre l’insécurité alimentaire et améliorer les conditions de vie des femmes paysannes, Rapports de recherche Oxfam, p 27.

381

La fédération UCODE a de nouveau lancé un nouveau projet en partenariat avec Louvain Coopération au Développement afin d’établir une structure de micro-finance coopérative. Cette structure vise environ 6000 ménages (Louvain Coopération au Développement, 2012).

382

1.6. CONCLUSION

L’objectif du présent rapport de session était de dresser un panorama de l’économie burundaise. Diverses thématiques ont été présentées : politique fiscale, monétaire, la structure des marchés, l’agriculture.

Les documents et les conférences données par les représentants du gouvernement lors de la session d’étude nous laissent penser que le Burundi a entrepris une série de mesures pour favoriser son développement économique.

Malgré cela, ce pays reste encore fort à la traine. Des progrès substantiels doivent être réalisés pour améliorer l’agriculture afin d’améliorer la sécurité alimentaire.

Pour les années à venir, il nous semble que le développement économique de ce pays sera essentiellement fonction de deux éléments : son intégration au sein de l’East African Community (les relations que le Burundi va pouvoir nouer avec des pays plus développés tels que le Rwanda) et le travail des organisations gouvernementales et non gouvernementales des pays du nord.

383

2. Rwanda

2.1. Introductie

Na het geweld tussen Hutu’s en Tutsi’s in de jaren negentig van de vorige eeuw, behoort Rwanda sinds 2000 tot één van de snelst groeiende economieën op het Afrikaanse continent. Onder leiding van president Paul Kagamé zijn er economische hervormingen doorgevoerd om het land aantrekkelijker te maken voor het Rwandese en internationale bedrijfsleven.1

2.2.Macro-Economische Analyse

2.2.1.Rwandese economie in enkele cijfers

Het bruto binnenlands product van Rwanda was 6.3 miljard US $ in 2012 en een inkomen per inwoner van 644 US $. In 2011 werd 90 % van het BBP mogelijk gemaakt dankzij de landbouw. De Wereldbank voorziet een groei van 7 % in 2013 en 7.5% in 2014.2

384

Photo (left): Students of the Olivaint Conference in the hills of Rwandan countryside.

Photo (right): Visiting a cooperative of famers where locals are trained in improving their production of potatoes. Poor quality of agricultural technology is an obstacle to a better economy in Rwanda.

2.2.2.Rwandese fiscale politiek

De Volkerenmoord van 1994 was het hoogtepunt van decennia van jaren etnisch wantrouwen en haat onder de Rwandese bevolking. Deze genocide zorgde voor een totale vernieling van het sociale en economische weefsel. De ene bevolkingsgroep had geen vertrouwen in de andere bevolkingsgroep. De strijd om te overleven weerhoudt burgers om handel te drijven. Tegelijkertijd zorgde het gebrek aan economische activiteit voor een cultuur waar geen belastingen werden betaald. Na de genocide is er een tal van fiscale hervormingen doorgevoerd. Bij de eerste hervorming werd de ‘Rwanda Revenue Authority” (RRA) opgericht. Vervolgens was er een verbreding van belastbare handelingen met als hoogtepunt: de invoering van belasting op de toegevoegde waarde. Derde hervorming was een efficiëntie- verhoging door bevoegdheden van 'Rwanda Revenue Authority' uit te breiden. Vervolgens kwam er een invoering van een nieuwe inkomstenbelasting; gericht op het promoten van dienstverlening en aantrekking van buitenlands kapitaal. Laatste hervorming dateert van 2009 en 2010 in het bijzonder de harmonisatie van het Rwandees belastingstelsel met de “East- African Community” (EAC). 34

385

Volgens het ‘Doing Business Report’ van de Wereld Bank betaalt een gemiddelde Rwandese firma 17 keer per jaar belastingen en spendeert de onderneming 134 uur per jaar aan belastingsadministratie. De gemiddelde belastingdruk per Rwandese firma is 31.3% van de winst. Rwanda heeft vooruitgang geboekt bij het vergemakkelijken voor bedrijven bij betalen van belastingen. Tijdens onze studiereis stelde men wel vast dat informele economie een probleem blijft in Rwanda.5

2.2.3. Economische politiek

Rwanda komt uit een zware crisis tijdens de Volkerenmoord van 1994. Het blijft een op landbouw gerichte economie met ongeveer 60% van de bevolking in armoede. Uit onze bezoeken aan agrarische gebieden in Rwanda kwamen we tot de vaststelling dat veel landbouwfamilies in armoede leven. Verder wordt de economie van Rwanda gekenmerkt door economische on-evenwichten zoals de handelsbalans, lage spaartegoeden en weinig investeringen en hoge werkloosheid. De export in 2000 was vooral gericht op thee en koffie. Verder vormen de volgende onderwerpen struikelblokken voor een welvarende economische politiek.6

2.2.3.1 Natuurlijke barrières om te handelen

Rwanda heeft geen rechtstreekse toegang tot de zee: er zijn lange afstanden af te leggen om tot aan de zee te komen en het land heeft geen verbinding met een spoorwegnetwerk. Daarbovenop zorgt de slechte staat van de wegen voor een hoge prijs aan transport. Deze natuurlijke barrières hinderen industriële ontwikkeling. Tijdens onze studiereis sprak een ondernemer over de kost van een container van Dar-Es-Salaam, haven in Tanzania tot Antwerpen aan $1800 voor 10.389km. Vervolgens is de prijs om diezelfde container van Dar- Es-Salaam tot in Rwanda te brengen $1750 voor allen maar 1.441 km.7

2.2.3.2. export

Een exportverhoging van koffie en thee is niet voldoende voor de handelsbalans in evenwicht

386 te brengen: er moeten meer producten worden uitgevoerd. Er zijn verschillende mineralen aanwezig in Rwanda, maar de kwantitatieve hoeveelheid is niet voldoende om deze mineralen te exploiteren en te exporteren. Er is wel mogelijkheid om gas te exploiteren onder het Kivu- meer, maar er zijn geen investeringen voor exploitatie.

2.2.3.3. Geschikt personeel

Een acuut gebrek aan geschikt personeel is een obstakel voor verdere economische ontwikkeling in Centraal Afrika. Zo heeft de landbouwsector nood aan opgeleide mensen die de productiviteit verhogen. Ongeletterdheid teistert de helft van de bevolking. Tijdens de studiesessie van het Olivaint genootschap in Rwanda stelden we vast dat professoren spraken over een leegloop “young potentials” naar het buitenland. Immers, vele Rwandese afgestudeerden hopen op een beter professioneel leven in Europa.

2.2.3.4. Toerisme

Een troef die Rwanda in de toekomst verder kan uitbouwen is de grote aanwezigheid van berggorilla’s in het Virunga-gebergte. Rwanda herbergt een imposante groep van gorilla’s en kan dit uitspelen als een troef om het toerisme uit te bouwen.

Photo: Dian Fossey (1932 –1985) famous American zoologist who undertook an extensive study of gorilla in the mountain forests of Rwanda.

387

2.3.4. Vision 2020

Vision 2020 zoekt een fundamentele hervorming van Rwanda naar een gemiddeld inkomen van 900 US $ per inwoner waar het in 2000 nog 200 US $ was. Men heeft in 2012 de doelstelling verhoogd naar 1240 US$, in 2013 bedroeg het inkomen per inwoner ongeveer 600 US $. In 2000 was de bedoeling om een stabiele economische politiek uit te bouwen na de genocide. Zoals eerder geschreven: de genocide maakte handel onmogelijk in Rwanda. Inwoners dachten in de eerste plaats aan overleven, alvorens te handelen. Op korte termijn is het Rwandese regime geslaagd een stabiele economische politiek te creëren. Uit onze gesprekken met de lokale bevolking stelden we een stabiele vrede onder de bevolking vast wat een klimaat voor handelen schept.

2.3.5. Op middellange termijn

Op middellange termijn wil VISION 2020 de omschakeling teweegbrengen van een landbouwsamenleving naar een dienstenverlening. Tijdens onze studiereis kwamen we tot de vaststelling dat het nog een hele tijd zal duren vooraleer men de omschakeling kan maken. De landbouwsamenleving is uitermate ingebed in de Rwandese bevolking. Uit onze gesprekken en onze bezoeken ter plaatse blijkt dat de omschakeling van een landbouwsamenleving naar een dienstensamenleving in 2020 niet zal gehaald worden.

De elementen in Rwanda zijn wel aanwezig om een omschakeling te maken: zo is er een goedkope kost van arbeid, een meertalige Rwandese bevolking, de ligging van het land als verbinding tussen Oost-Afrika en Centraal-Afrika en de beperkte grootte van Rwanda.

2.3.6. Op lange termijn

De overheid beseft dat lokale ondernemingen uiteindelijk voor welvaart in een land zorgen. Rwandese regering beseft dat er geschikte financiële producten voor handen moeten zijn om burgers te stimuleren om een bedrijf te starten. Verder is degelijk technisch onderwijs mogelijk maken de cruciale stap naar meer technologische bedrijven en hoogwaardige sectoren in Rwanda.

388

2.4. East-African Community

Tijdens onze studiereis kwamen we in contact met Anthe Vrijlandt: medewerkster bij de ‘East African Community”. The East African Community (hierna EAC) heeft als doel om vrij verkeer van goederen en diensten mogelijk te maken in Kenya, Uganda, Tanzania, Burundi en Rwanda. Het makkelijk transporteren van goederen en diensten over de landen heen betekent een stimulans voor de nationale economieën. Tevens zorgt deze bundeling dat deelnemende landen kunnen meespelen in een geglobaliseerde wereld. De ‘East-African community’ geeft een sterkere onderhandelingspositie aan de lidstaten om handelsakkoorden te sluiten. Tevens houdt een interstatelijke handel de inflatie onder controle. Verder zorgt ‘EAC’ er eveneens voor dat de doelmarkten voor Afrikaanse landen niet louter lidstaten van Europa zijn, maar dat men eveneens afzet kan vinden in de buurlanden. De kracht van de East-African Community hangt eveneens af van een verdere groei; hetzelfde geldt voor Europa: Europa haar belang neemt toe naarmate meer landen tot de Europese Unie toetreden.9

2.5. Het belang van de private sector

De sleutel voor Rwanda om te groeien is de ontwikkeling van een private sector. Buitenlandse investeringen zijn daarbij gewenst, zonder de aandacht verliezen naar lokale ondernemers. Op heden worden bedrijven geremd in hun ontwikkeling door het huidige aanbod van economische producten zoals leningen en verzekeringen. Immers, noodzakelijk ter stimulering van economische groei bij lokale Rwandese bedrijven zijn o.a. leningen en kredieten om te investeren. Professionalisering van de financiële sector is van belang om een hogere productie tot stand te brengen. De overheid doet er wel alles aan om het klimaat voor ondernemen mogelijk te maken

Zoals we in bovenvermelde grafiek kunnen aflezen: heeft de Regering het zaken doen in Rwanda vergemakkelijkt. In 2010 werd de opstart vergemakkelijkt door de afschaffing van administratieve maatregelen, de invoering van een standaardvennootschap en een vereenvoudiging van aangifte bij het oprichten van een commerciële vennootschap.10

389

2.6. Uitdagingen voor de toekomst

Er zijn tal van redenen die het moeilijk maken om zaken te doen in Rwanda. Een belangrijke hindernis is de staat van de wegen. In België kan men 120km op 1 uur afleggen; in Rwanda laat de staat van de wegen dat niet toe. Daarenboven zijn de wegen kwetsbaar voor regen. Zo is tijdens het regenseizoen in Rwanda veel moeilijker om goederen te transporteren doordat verschillende wegen onderbroken zijn. De staat van de wegen op heden verhoogt de kostprijs om zaken te doen in Rwanda. Een ander belangrijk knelpunt is het gebrek aan voldoende stroom voor bedrijven.11 Tijdens onze studiereis naar Afrika constateerden we dat vele bedrijven voor eigen energievoorziening zorgden omdat het huidige energienet niet voldoende was. Voor bedrijven zorgt dat voor een extra kost wanneer men zelf voor energie moet voorzien. Zo bezochten we in ‘Burundi Flemish Investment’ die zelf stroomgeneratoren hadden. Op heden is hout de belangrijkste energievorm van de bevolking wat leid tot massale ontbossing en bodemvervuiling. Geïmporteerde olie voor auto zorgt voor meer dan 40% van buitenlandse uitwisseling. 12

2.7. Conclusie

Rwanda heeft een mini-Wirtschaftswunder gekend na de volkerenmoord van 1994. Verschillende doelen van het VISION 2020 zijn reeds bereikt, maar de omschakeling van een landbouweconomie naar een diensteneconomie is een werk van lange adem.

390

Conclusion

After this incredible journey to the middle of the continent that had welcomed our first ancestors, we had a lot of new material for new reflexions. First, we made obvious observations.

Although Africa was populated before the rest of the world, it was noticeable that the continent did not make use of this start. A specialist of African’s economy, Jared Diamond, says rightly: “In effect, Africans enjoyed not just one but three huge head starts over humans on other continents. That makes Africa's economic struggles today, compared with the successes of other continents, particularly puzzling. It's the opposite of what one would expect from the runner first off the block.”8

The information we reviewed in the sections above helped us building up our opinion about the reality of this struggling. Although everything seems to be lost or abandoned s we still believe in a brighter future. We definitely hope that these countries with such beautiful nature, lakes, savannah and landscapes will realise the potential they do have. We can only trust a regain of productivity in Burundi and Rwanda.

8 DIAMOND, J., “The shape of Africa”, National geographic Magazine, 2005. (http://ngm.nationalgeographic.com/ngm/0509/resources_geo2.html)

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