UNIVERSITE D’ANTANANARIVO

FACULTE DEDESSSS LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT GEOGRAPHIE o0o

LES COMORIENS DE MAJUNGA

A L’HEURE ACTUELLE :

ESSAI D’APPROCHE GEOPOLITIQUE

Présenté par : Mohamed FAHAR-EDDINE MONDY

Sous la direction de : Gabriel RABEARIMANANA

27 Avril 2007 REMERCIEMENTS

Le présent mémoire de maîtrise est le fruit de trois années de recherches effectuées dans les bibliothèques et sur le terrain. Nous n’avons aucunement la prétention d’avoir épuisé le sujet. Nous sommes donc très conscient des insuffisances de ce travail, de ses lacunes, qui ne peuvent être comblées qu’avec d’autres recherches. Nous espérons néanmoins avoir fourni des indications dignes d’intérêt. Ce travail n’aurait pas pu être mené à son terme sans la collaboration de nombreuses personnes. Au Président du Jury, Madame Joselyne RAMAMONJISOA , Professeur Titulaire au Département de Géographie dans la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, qui malgré ses lourdes et multiples tâches, a bien voulu accepter la présidence de ce mémoire, qu’elle trouve ici l’expression de notre reconnaissance. Au Juge, Madame Céline RATOVOSON , Maître de Conférences au Département de Géographie qui nous fait le grand bonheur de bien vouloir juger ce mémoire, qu’il nous soit permis de lui exprimer nos vives et sincères remerciements. Au Directeur de mémoire, Monsieur Gabriel RABEARIMANANA , Maître de Conférences au Département de Géographie, qui a accepté de nous diriger. Ses conseils, ses critiques ainsi que la sympathie qu’il a manifestée à notre égard nous a permis de mener à bien cette étude. Nous tenons à exprimer également notre gratitude à tous les enseignants chercheurs du Département de Géographie, d’Histoire, ainsi que le personnel administratif, qui nous ont permis de découvrir et d’apprécier l’intérêt de la science de recherche. A Majunga, de nombreuses personnes nous ont aidé, ils nous ont fourni des informations précieuses, et une assistance matérielle en nous hébergeant. Nous ne pouvons pas les citer toutes, mais nous devons une reconnaissance particulière à Monsieur Saïd Issa et Madame Saoudat chez qui on a habité à l’Abattoir, à Hadj Soudjay Bachir Adehame qui nous a fait profiter de son expérience et de ses réflexions sur l’histoire et les traditions de Majunga. Nos enquêtes n’auraient pas été possibles sans l’assistance de Monsieur Saïd Salim, qui a joué pour nous le rôle d’interprète. Nous devons encore des remerciements à Monsieur Rabenantoandro Rajakoba qui a bien voulu rechercher pour nous dans ses collections des anciens journaux très difficiles à trouver. Enfin, nous ne pouvons pas oublier la dette de reconnaissance que nous avons envers nos parents, à nos frères et sœurs et à nos amis qui n’ont jamais ménagé leurs efforts pour nous soutenir moralement et financièrement au cours de nos études qu’ils retrouvent tous en ce travail un témoignage de notre reconnaissance. Mohamed Fahar-Eddine

A RESUME

La communauté comorienne de Majunga est actuellement forte de 8 à 10.000 personnes. Elle comprend beaucoup de rescapés des émeutes de décembre 1976, et des étudiants qui, depuis quelques années, sont inscrits dans les grandes écoles Majungaises.

Plus de ¾ d’entres eux habitent les quartiers populaires. Ils se regroupent suivant leur île d’origine. La présence comorienne à Majunga se manifeste aussi à travers les édifices religieux. Car les quartiers à forte minorité comorienne sont tous dotés de mosquée et d’écoles coraniques.

Malgré certaines difficultés, l’intégration des Comoriens se réalise sans trop de problème. Ils ont aussi de bons rapports avec les Indiens à causes de leur affiliation à l’islam. C’est d’ailleurs chez ces Indiens qu’ils exercent des emplois mineurs de domestiques. Par ailleurs, leur intégration se traduit aussi par le métissage culturel, linguistique, social et biologique, qui marque la ville de Majunga.

L’Archipel des Comores théâtre d’une poussée démographique considérable, a une densité élevée atteignant 358 hab./km 2. La population rurale à 65% vit pour l’essentiel de l’agriculture alors que les dimensions du pays sont limitées. De nombreuses difficultés les poussent à prendre le chemin de l’émigration. La côte Nord Ouest de Madagascar, et notamment Majunga constitue une zone de destination privilégiée, de par sa proximité géographique. Du reste, l’imbrication de l’histoire des deux pays est ancienne, et complexe. Aujourd’hui, la présence comorienne est donc un fait historique et à beaucoup d’égards géopolitique.

Mots clefs : Communauté, Comoriens, migration, « zanatany ».

B TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS ...... A RESUME ...... B INTRODUCTION ...... 1 PREMIERE PARTIE : LA DIASPORA COMORIENNE A MAJUNGA :UN FAIT GEOPOLITIQUE ...... 7 CHAPITRE I :UNE PRESENCE COMORIENNE ENCORE SIGNIFICATIVE 8 I. LES COMORIENS DE MAJUNGA ...... 8 1. Leur effectif actuel et passe...... 8 2. Un nouvel aspect de la presence comorienne : les etudiants ...... 12 3. Les « quartiers comoriens » de Majunga ...... 16 II. LES EMPREINTES COMORIENNES A TRAVERS LA VILLE DE MAJUNGA...... 22 1. Les écoles coraniques : fruit d’une forte presense musulmane...... 22 2. Les mosquées a travers le paysage urbain majungais ...... 27 CHAPITRE II : LES COMORIENS ENTRE INTEGRATION ET EXCLUSION ...... 32 I. UNE COHABITATION MALGACHO – COMORIENNE PAISIBLE...... 32 1. Une intégration reelle jusqu’en 1976...... 32 2. Un métissage important...... 34 3. Une place de choix pour les comoriens dans l’economie de Majunga ...... 36 II. L’EXCLUSION IMPREVISIBLE DE 1976 ...... 42 1. Une disposition legislative exclusive ...... 42 2. L’exclusion des comoriens de Majunga en Décembre 1976 ...... 43 DEUXIEME PARTIE : UNE PRESENCE COMORIENNE,FRUIT DE LA GEOGRAPHIE ET DE L’HISTOIRE ...... 47 CHAPITRE III : LES PROBLEMES GEOGRAPHIQUES DES COMORES ET L’ATTRACTION DE MAJUNGA...... 48 I. LA NECESSITE D’EMIGRER POUR LES COMORIENS ...... 48 1. des iles exigues et surpeuplees ...... 48 2. Le contexte démographique difficile...... 50 3. Une économie peu performante ...... 53

C II. LA PROXIMITE DU NORD-NORD-OUEST ET NORD-OUEST MALGACHE : LA PUISSANCE D’ATTRACTION DE MAJUNGA...... 56 1. Le Nord-ouest Malgache et les Comores : une seule région climatique ...... 56 CHAPITRE IV : L’IMBRICATION DE L’HISTOIRE DES DEUX PAYS ...... 63 I.DES RELATIONS ANCIENNES COMPLEXES ET IMPORTANTES ...... 63 1. Des grands courants commerciaux vieux de 3 siecles...... 63 2. Mainmise historique sur les comores au xix siecle...... 64 2.1. Les invasions Malgaches ...... 64 2.2. Du protoctorat à la colonisation française ...... 67 II. LA RUPTURE DE DECEMBRE 1976 ...... 72 1. Contexte politique ...... 72 2. Le déclenchement du massacre ...... 74 2.1. Le déroulement du massacre ...... 76 2.2. Les repercussions politiques sur les massacres de Majunga ...... 79 III. LES IMPACTS DE DECEMBRE 1976 AUX COMORES ...... 81 1. Conséquences économiques - sociales - politiques après le retour des immigrés Comoriens de Majunga ...... 81 2. Raisons de l'implantation à Moroni ...... 82 3. Les apports de rapatriés dans la ville de Moroni ...... 83 4. Les influences régionales ...... 85 CONCLUSION ...... 89 BIBLIOGRAPHIE ...... 93 LISTE DES CROQUIS ...... 99 LISTE DES TABLEAUX ...... 100 LISTE DES ILLUSTRATIONS GRAPHIQUES ...... 101 LISTE DES PHOTOS ...... 102 GLOSSAIRE ...... 103 ANNEXES ......

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INTRODUCTION

Choix du sujet

L’archipel des Comores est situé dans l’Océan Indien, entre le 11°20 et le 13°04 de latitude Sud ; et le 43°11 et le 43°19 de longitude Est. Composé de quatre îles principales et de dix sept îlots, cet ensemble se localise à l’entrée septentrionale du canal de Mozambique. L’ensemble territoire des îles, s’étend sur une distance de 270 kilomètres.

Géographiquement, Madagascar est le pays le plus proche des Comores. Mayotte, l’île la plus méridionale est à 300 kilomètres des côtes majungaises (voir croquis n°1).L’archipel a une superficie de 2034 Km2 et une population estimée à 677800 habitants. Les Comores ont par conséquent une forte densité de 358 habitants au Km 2.

La faible distance qui sépare les deux pays explique certaines similitudes entre eux, comme le cas du climat. Le Nord-Ouest Malgache et l’archipel des Comores ont un climat de type tropical, rythmé par l’alternance des deux saisons : une chaude et humide qui correspond à l’été austral, et une sèche aux températures atténués de mai à Octobre.

La mousson d’été qui engendre la quasi-totalité des pluies annuelles aux Comores est aussi celle qui inonde le Nord-Ouest Malgache. Alors que l’alizé qui traverse l’intérieur de Madagascar depuis le Sud-est, y perd son humidité, et explique la chaleur accablante aussi bien à Moroni qu’à Majunga.

Cette dernière surnommée la « ville des fleurs » a une superficie de 53 Km 2, et une population de 135660 habitants 1.

L’actuelle province autonome de Majunga enregistre la plus faible densité de tout Madagascar ; 12,10 hab. /Km 2 par rapport à la moyenne nationale, qui est de 31,7 hab./Km 2.Majunga est une ville d’accueil des migrants malgaches de toutes les ethnies et de nombreux étrangers. L’arrivée massive de ces nombreux groupes ethniques a entraîné un fort accroissement de la population.

1 Source : projet Madio , juin 2002 Ce chiffre représente uniquement les migrants définitifs dans la ville. Internet , mise à jour 12 Mars 2004 http://www.populationdata.net/pays/afrique/madagascar.htlm

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Croquis n°1 : Croquis de localisation

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La population majungaise augmente vite. Elle était estimée à 50 000 habitants en 1976 et à plus de 135 660 en 2005. Parmi les étrangers, existe une forte communauté comorienne estimée entre 5 à 8%, les Indopakistanais 2 à 3%, et en fin de liste les Européens, les Africains, les Chinois… qui représentent moins de 2% de la population Majungaise.

Cet ancien site du royaume Sakalava est localisé au centre du bassin sédimentaire de Majunga ; sur la côte Nord-ouest Malgache. Majunga qui est à la fois capitale de Province et chef lieu de district Majunga I, fait face aux îles Comores. Elle est le terminus de la RN 4 à environ 570km de la capitale malgache, Antananarivo (voir croquis n°1). Cette ville portuaire est située sur la rive droite de la baie de Bombetoka et dispose de 10km de côtes. Majunga se localise entre la latitude 15’43 Sud et la longitude 46’20 Est. De part sa topographie, la ville de Majunga est renfermée de plateaux de 20m d’altitude en moyenne dans sa partie Est, des pénéplaines inondables allant jusqu’à moins de 5m d’altitude plus au centre, et de zones marécageuses inférieurs même au niveau de la mer comme à Antsahanibingo, le vallon de Metzinger.

La présence comorienne en terre Sakalava qui s’expliquer par la proximité géographique et l’imbrication de l’histoire des deux pays, a entraîné des changements sur le plan de l’urbanisme ; sur les domaines sociale, religieux et culturel de la ville. Les empreintes de cette communauté sont bien visibles dans la ville de Majunga.

Le choix de cette ville comme zone d’étude repose sur deux raisons majeures : d’abord c’est dans cette ville que la communauté comorienne est fortement représentée.

Ensuite, c’est à Majunga qu’ont eu lieu les sanglantes émeutes anti-Comoriens de décembre 1976. Ses deux raisons ont motivé notre choix et nous amène à nous poser quatre questions qui, ensemble constituent notre problématique.

Problématique

Quelle est la situation des Comoriens à Majunga ? Ont ils réussi leur intégration ? Sinon devront –ils repartir un jour ? Comment expliquer leur forte et ancienne présence à Majunga ?

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Démarche de recherche

Notre première approche a été de rechercher les documents se rapportant à notre sujet. Nous avons visité d’abord les bibliothèques de Moroni, durant les mois de janvier à mars 2005, notamment celle du Centre National de Documentation et des Recherches Scientifiques (CNDRS), et de l’Alliance Française. Seulement ces deux principales bibliothèques ne possèdent pas suffisamment de documents intéressant notre sujet.

Nous avons mené par la suite une recherche bibliographique à Antananarivo. C’est qui nous a permis de travailler à la Bibliothèque Nationale d’Ampefiloha, à la Bibliothèque Universitaire ainsi qu’à celles des Départements d’Histoire et de Géographie. Nous avons également travaillé au Centre Culturel Albert Camus à Analakely, à l’Institut Catholique de Madagascar à Ambatoroka ainsi qu’à la Direction Nationale des Archives de Tsaralalana.

Les divers documents que nous avons consultés, nous ont fournis de détails indispensables, affiné nos analyses et nourri nos réflexions.

Notre deuxième approche a consisté à faire de enquêtes sur le terrain. Cette deuxième phase a été la plus cruciale et s’est déroulée en deux phases : La première était de courte durée, neuf jours seulement. Elle s’est déroulée du 10 au 18 février 2006. Nous avons parcouru les 26 fokontany de la ville de Majunga, (voir croquis n°2). Durant ce séjour, quatre de ses 26 fokontany ont été choisis : Antanimalandy, l’Abattoir, Ambalavola et Mahabibokely. Le critère retenu pour les trois premiers a été la forte présence des minorités Comoriens en leur sein. Contrairement aux trois premiers; Mahabibokely a été retenu pour deux raisons : son brassage ethnique d’un côté et la faible présence de Comoriens dans ce Fokotany.

Notre second séjour a été à la fois le plus long et le plus pénible. Il a duré 3 mois, du 5 avril 2006 au 2 juin 2006.Plus de 2/3 des personnes ressources n’étaient pas présents dans leur foyer, nous étions obligés de nous renseigner et d’aller par la suite les enquêter sur leur lieu de travail.

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Croquis n°2 : Localisation des Fokontany étudiés

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17 7 20 6 26 12 15 19 16 13 14 9 4 25 21 8 11 23 24 22 2 1 10 5 3 Vallon de Metzinger BAIE DE BONBETOKA BETSIBOKA

LEGENDE Les 26 Fokontany de la ville de Majunga Arrondissement de Arrondissement de Majunga Mahabibo 1. Abattoir 14. Ambalavato 2. Ambovoalanana 15. Ambalavola 3. Aranta 16. Ambohimandamina 4. Mahabibokely 17. Ambondrona 5. Majunga Be 18. Amborovy 6. Mahavoky Atsimo 19. Anosikely 7. Mahavoky Avaratra 20. Antanimalandy 8. Manga 21. Antanimasaja 9. Mangarivotra 22. Fiofio 10. Manjarisoa 23. Mahajinjo 11. Morafeno 24. Tanambao 12. Tsaramandroso Ambany 25. Tsararano Ambany 13. Tsaramandroso Ambony 26. Tsararano Ambony

Fokontany enquêtés

Source : Fond de carte : Rapport socio-économique (P.A.I.Q)

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En tant que étudiant en géographie humaine, nous nous sommes efforcés de comprendre la société comorienne de Majunga si l’on peut l’appeler ainsi avec sa structure, ses justifications propres en tant que model de vie transmis de génération en génération. Or nos enquêtes auprès de des ménages, comme celles réalisés auprès des responsables administratifs de la ville présentent des lacunes. A cause des surestimations ou de sous-estimations. Voir même des dissimulations de la part des enquêtés et possible aussi la peur née de l’empreinte du phénomène social anti- comoriens en 1976.

Nos enquêtes étaient de deux ordres : Il y a celles menées auprès des responsables administratifs et diplomatiques : Le Maire de Majunga, les Présidents des quatre Fokontany, le Cadi comorien de la mosquée de Marovato et le vice Consul comorien de Majunga.

Et celles menées auprès de la population Majungaise. Cette étape était à la fois la plus importante et la plus pénible. Nos enquêtes ont touchés en tout 43 ménages. Nous avons enquêté 30 ménages Comoriens, repartis ainsi : L’Abattoir 10, Antanimalandy 10, Ambalavola 7 et 3 à Mahabibokely. Nos enquêtes ont touché également 6 ménages Zanatany issus de mariages mixtes Malgacho- Comoriens et 7 ménages Malgaches repartis ainsi : 2 Sakalava, 3 Merina et 2 Antaisaka qu’ont les appellent à Majunga sous le nom de Betsirebaka. Notre taux d’échantillonnage était de 5% pour les trois premiers Fokontany et de 4% pour celui de Mahabibokely.

Pendant nos entretiens, nous avons réussi à maintenir une ambiance attentive et respectueuse. Nous avons remarque que certains de nos interlocuteurs étaient ouverts à nos questions et qu’ils n’ont pas hésité à exprimer leur opinion avec franchise et même parfois avec désinvolture. Nous croyons avoir ressembler suffisamment d’information à la limite de nos moyens.

Enfin pour mener à bien cette étude, nous proposons d’analyser dans une première partie, La diaspora comorienne à Majunga : un fait géopolitique. Cette partie est consacrée aux caractéristiques générales de la population comorienne de Majunga à travers son intégration. Tandis que, la deuxième partie nous allons parler de la présence comorienne à Majunga, fruit de la géographie et de l’histoire.

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PREMIERE PARTIE : LA DIASPORA COMORIENNE A MAJUNGA :UN FAIT GEOPOLITIQUE

PREMIERE PARTIE : LA DIASPORA COMORIENNE A MAJUNGA :UN FAIT GEOPOLITIQUE

Comme la plupart des migrants, les Comoriens ont tendance, une fois fixés à l’extérieur, à se regrouper non seulement entre originaires du pays, mais aussi suivant leurs régions d’origine, les îles de la Grande-Comore ou d’ par exemple. D’autre part, l’immigration comorienne ne s’est pas toujours faite en famille. Les immigrants comoriens ont toujours été en grande majorité des hommes. Beaucoup d’entre eux ont contracté des unions dans le pays et les enfants nés de ces mariages mixtes malgacho-comoriens ont suivi la religion de leur père et ainsi contribuent à accroître le nombre des musulmans Malgaches.

L’islam rythme la vie quotidienne des Comoriens de Majunga. La ferveur religieuse se manifeste par la création de nombreuses écoles coraniques. Les quartiers habités par les Comoriens sont dotés de mosquées : certaines sont construite d’une façon simple, tandisque d’autres constituent des édifices remarquables qui font la fierté de l’islam à Majunga.

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CHAPITRE I :UNE PRESENCE COMORIENNE ENCORE SIGNIFICATIVE

L’Archipel des Comoriens et formé de quatre îles : La Grande-Comore, Anjouan, Mohéli et Mayotte. On trouve les originaires de ces quatre îles dans la communauté comorienne de Majunga. Ils se regroupent au sein d’organisations suivant leurs île d’origine.

I. LES COMORIENS DE MAJUNGA

1. LEUR EFFECTIF ACTUEL ET PASSE.

L’anthropologie désigne l’étude de la société humaine à travers ses coutumes, cultures, moeurs, religions. La société comorienne à Majunga mérite une étude à part. C’est pourquoi nous l’appelons une société dans la société.

Majunga dans le Nord Ouest, est une zone traditionnelle de migrants et des immigrants. Sa population est caractérisée par une grande diversité ethnique. Toutes les ethnies malgaches cohabitent ensemble. On rencontre également des minorités étrangères comme dans toutes les grandes villes du monde. Mais le particularisme de Majunga, est le brassage ethnique qui fait qu’aucun groupe n’est véritablement dominant.

La ville compte à nos jours plus de 135 600 habitants. L’effectif des Comoriens est estimé entre 8 à 10 000 personnes. Cette présence comorienne en terre Sakalava qui reste bien significative, est moins importante en nombre, diffère profondément de ce qu’elle était avant le massacre, au temps où elle représentait plus de la moitié de la ville (voir tableau suivant). Tableau n°1 : Evolution de la population comorienne à Majunga de 1899 à 2006

Année 1899 1904 % 1919 1960 % 1972 1976 % 1993 % 2006 % M/car 1430 49000 43540 Province de 1074 20715 32951 19459 Majunga Ville de 8 Majunga 12 714 7,93% 26000 60,46% 16288 23,4% 4200 4% à 7,37% 10000

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Source : Direction Nationale des Archives(Tsaralanana) Les Comoriens de Majunga devancent de loin plusieurs groupes ethniques malgaches. C’est le cas des Betsimisaraka, des Antakarana, qui représentent respectivement 5 et 4% des Majungais. La Communauté comorienne quand à elle ne représente que 7,37%, comme au tout début du siècle dernier, en 1904.

Majunga qui se situe en quelques kilomètres de Moroni, reste une ville des immigrés comoriens.Déjà en 1960, alors que la ville comptait 43 000 habitants, la communauté comorienne était estimée à 26 000, soit 60,46% des Majungais. De part sa population, Majunga était une ville comorienne en terre malgache. Mais durant la première république (1960-1972) bien que les Comoriens soient bien choyés par le régime Tsiranana, on a enregistré une baisse notaire de cette population comorienne. En l’espace de 16 années, la diaspora comorienne de Majunga a diminué de 10 000 personnes de son effectif. Une chute qui s’explique par le départ des Vazaha d’une part, mais aussi la nationalisation malgache avait laissée beaucoup de Comoriens sans emplois. L’année 1976, alors que la ville comptait 69597 habitants, la communauté comorienne représentait 23,4% des Majungais. Cette même année des émeutes anti- Comoriens ont éclaté et la ville de Majunga fut vidée de ses Comoriens qu’on a dû les rapatrier à Moroni.

Aujourd’hui, 30 ans plus tard, cette présence comorienne qui s’explique par la proximité spatiale et les liens historiques des deux pays reste bien significative. Une présence comorienne caractérisée par une prédominance des hommes. (Voir figure suivante, sur la pyramide des âges)

Figure n°1 : Répartition de la population d’origine comorienne à Majunga

AGE SEXE MASCULIN + SEXE FEMININ

60 50 40

30 20 10 0 600 400 200 200 400 600

Source : Auteur

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Ceci s’explique par le fait qu’aux Comores, les émigrants restent en majorité des hommes. Mais aussi, les hommes séjournent beaucoup plus longtemps à l’étranger par apport aux femmes ; que ce soit pour des raisons économiques ou éducatives. « La cité des fleurs » ne fait plus donc exception. Les immigrants comoriens se marient avec des femmes autochtones, ils ont organisé leur vie dans cette ville. Ils ont même aménagé un cimetière comme si Majunga leur appartient. A l’heure actuelle, les Comoriens de Majunga restent une communauté minoritaire. On les reconnaît facilement dans les rues de Majunga avec leur mode vestimentaire, leur dialecte et le timbre de leurs voix fort. Seulement il faut reconnaître que ceci n’est plus le fuit du hasard. Dans l’ensemble, les Comoriens qui immigrent à Madagascar ; à l’époque coloniale, avaient d’abord le statut « d’indigènes » au même titre que leurs confrères Malgaches. Et plus tard, celui de citoyens français. Cependant, la prise d’indépendance de Madagascar en 1960, suivie de la chute de Philbert Tsiranana en 1972 (où le Comorien joue le rôle de premier plan), mais aussi la prise d’indépendance des Comores en 1975 et surtout les massacres de décembre 1976 ont affecté la position de la communauté comorienne de Majunga. Il y a donc fallu entendre l’année 1986, soit dix ans après la tragédie pour voir se rétablir les relations normales entre les deux pays. On dénombre par conséquent à plus de 3.700 Comoriens qui émigrent chaque année pour la Grande Ile (voir croquis n°3). Et parmi ses Comoriens qui venaient à Majunga, certaines d’entre eux étaient des rescapés du massacre de décembre 1976. Les rescapés étaient essentiellement motivés par le souci de récupérer leurs maisons qu’ils avaient confiées à des connaissances (amis, anciens locataires,…). Mais à peines arrivées à Majunga, certains rechapés étaient surpris de constater que les personnes qui étaient censées veiller à la protection de leurs maisons s’en étaient rendues propriétaires. Les auteurs de ces manœuvres estimaient que les Comoriens étaient partis pour ne plus revenir. De plus, ils étaient obligés de payer des impôts réclamés jadis aux propriétaires comoriens. Ils ont donc interprété cette perception de l’impôt foncier comme une reconnaissance de propriété. En outre,il semble qu’après le passage destructeur du cyclone Kamisy en 1984,un grand nombre d’occupants des maisons comoriens étaient obligé de reconstruire eux même les habitations. Ils ont estimé que cet état de choses légitimait de facto leurs positions de propriétaires.

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Croquis n°3 : La répartition de la mobilité humaine entre Madagascar et les Comores en 2005

Source : Consulat de Madagascar à Moroni Ambassade de Comores à Antananarivo

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Cette communauté comorienne qui renaît de ses cendres est composée de plusieurs groupes distincts. Notamment des commerçants et des hommes d’affaires ; des transitaires qui cherchent à tous prix d’émigrer vers la France .Mais aussi des malades qui débarquent pour se faire soigner à Majunga.

Parmi les immigrants comoriens, on dénombre 59,31 % d’Anjouanais ;38,07% de Grande Comoriens et 2,51% de Mohéliens. Il faut reconnaître également que partout dans les pays de l’Océan Indien, Madagascar est le seul pays qui offre une facilité d’accueil aux émigrants Comoriens. Il suffit d’avoir le billet et le consultant Malgache de Moroni t’offre le Visa d’entrée, même sans aucun motif valable.

Les agences de voyage également proposent aux candidats à l’émigration des billets en aller simple. Majunga est par conséquent la ville portuaire la plus proche des Comores, donc la plus prisée. Et plus de ¾ d’entre eux voyagent en bateau, en raison du moindre coût de transport qui reste quatre fois moins élevé par rapport à l’avion.

Entassés sur des embarcations de fortune, la plupart de ses bateaux qui assurent le trajet Moroni-Majunga sont des boutres, préfabriqué et motorisé. Par conséquent le voyage dure environs 36 heures, pour une distance de 300 kilomètres. Ses « boat people » emportent aussi de nombreux clandestin sur les ports de Moroni et Mutsamudu. Parmi ses immigrants, figurent aussi des jeunes gens à la tranche d’âge de 18 à 30 ans, en majorité des étudiants qui cherchent à s’inscrire dans les grandes écoles Malgaches.

2. UN NOUVEL ASPECT DE LA PRESENCE COMORIENNE : LES ETUDIANTS

Outre le retour à Majunga de certains rescapés du massacre de 1976, le rétablissement des accords de coopération entre Madagascar et les Comores avait permis aux étudiants Comoriens de venir à Madagascar pour poursuivre des études universitaires. Ce mouvement n’est pas entièrement nouveau : car nous savons qu’au temps de la colonisation, quelques élèves et étudiants comoriens ont étudié à Madagascar notamment dans les Ecoles Régionales. L’Ecole Le Myre de Villers, ou l’Ecole de Médecine.

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Les étudiants comoriens de Majunga, à l’instar de leurs collègues dispersés dans les autres universités Malgaches, bénéficiaient à l’origine d’une bourse d’études dont le montant était de 75 000Franc comoriens par trimestre, soit 150 euros. Cette bourse d’étude était perçue régulièrement. Mais sous le régime de Said Mohamed Djohar (1990-1995), cette bourse d’études fut transformée en une aide scolaire d’un montant de 50 000 francs comoriens par an, soit 100 euro. Mais cette aide n’était pas perçue régulièrement et elle a complètement cessé d’exister après la chute du président Djohar.

Comme les étudiants comoriens ne peuvent pas bénéficier d’une bourse, ils ne cherchent pas, quand ils partent à l’étranger, à se faire enregistrer auprès des autorités comoriennes. Il en résulte que le gouvernement comorien n’est pas capable de savoir avec exactitude le nombre d’étudiants partant poursuivre leurs études à l’extérieur. A la fin de l’année 2000, une mission comorienne composée des techniciens du ministère de l’Education nationale séjourna à Madagascar. Cette mission avait pour but de recenser les étudiants comoriens inscrits dans les universités malgaches dans la perspective de leur octroyer des bourses. Le résultat de cette mission est resté jusqu’à présente lettre morte.

Comme ils ne sont pas des boursiers du gouvernement de leur pays, les étudiants comoriens doivent absolument compter sur le concours de leurs familles. Cette bourse familiale ne provient pas forcément des parents. Elle peut provenir d’un membre de la famille (oncle maternel ou paternel, frère,...) Seulement la gestion de la bourse familiale pose souvent des problèmes dans la mesure où aucune part de revenu de l’étudiant n’est réservée à l’imprévu.

D’une manière générale, les étudiants Comoriens reçoivent de l’argent en devise et ils réussissent ainsi à vivre un peu mieux par rapport à leurs collègues Malgaches à cause du flottement de la monnaie malgache. Il reçoivent aussi des denrées de première nécessité (sucre, huile, conserve de tomates, etc.) et des produits de toilette (savonnette dentifrice, etc.). Ces divers produits se trouvent partout à Madagascar, mais ils sont plus chers qu’aux Comores d’autant plus que là-bas on peut se les procurer à crédit.

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Des bateaux, dont le plus grand nombre appartiennent à des Comoriens (île d’Anjouan, ville de Sima I, II, III, Le dauphin, etc.) Facilitent l’acheminement de ces produits et les membres d’équipage en sont les intermédiaires. Ces bateaux jettent régulièrement l’ancre dans le port de Majunga après une traversée de 36 heures. En outre, des vols hebdomadaires de deux heures desservent les Comores. Tous ces moyens de transport bien organisés, facilités par une coopération bilatérale renforcée, permettent aux étudiants comoriens de rester en contact permanent avec leurs familles.

Les étudiants comoriens restent des locataires, dans des logements particuliers. Il existe des ménages individuels (suivant que l’étudiant peut supporter les dépenses) et des ménages collectifs. Ces ménages collectifs regroupent au moins deux étudiants qui s’entend pour mettre en commun leurs moyens de substance. Ils occupent une chambre (le logement est généralement une maison en tôle) et ils participent financièrement aux dépenses communes (nourriture, loyer, électricité, eau) grâce à un système de cotisation mensuelle. Il arrive parfois que l’un des étudiants qui partagent le même ménage couvre de dépenses communes en attendant que son compagnon reçoive la bourse familiale pour payer la somme due. Bref, en partageant le même ménage, ces étudiants sont motivés par le souci d’être ensemble pour faire face aux problèmes de la vie urbaine qui demande plus qu’elle n’offre aux citadins. Il convient de noter que certains étudiants comoriens sont hébergés par des membres de leurs familles installées à Majunga depuis longtemps.

On peut distinguer trois groupes de jeunes comoriens selon leur niveau d’enseignement. Les deux premiers groupes sont constitués suivant le tableau ci- dessous.

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Tableau n°2 : Nombre d’étudiants comoriens dans les établissements d’enseignement supérieur de Majunga (2005-2006)

Formations Nombre d’étudiants Faculté des Sciences (option Sciences naturelles) 82 Faculté des Sciences (unité de formation professionnalisant) 6 Faculté de Médecine (médecine générale) 50 Faculté de Médecine (médecine dentaire 14 Centre régionale de télé-enseignement (option droit) 20 Total (établissements publics) 172 Institut professionnalisant (informatique) 30 Institut professionnalisant (gestion) 13 Institut professionnalisant (études commerciales) 14 Total (établissements privés) 57 Total général 229 Source : Secrétariats des établissements.

Il convient de souligner qu’en Sciences naturelles, le niveau d’étude va jusqu’à la maîtrise. Toutefois, il s’agit d’un diplôme d’enseignement général, et il arrive que certains étudiants comoriens, une fois obtenus leur licence, se rendent dans les autres universités de Madagascar pour se spécialiser dans diverses branches comme la pharmacologie à Antananarivo et les Sciences marines en l’Institut Halieutique à Tuléar. En ce qui concerne la Faculté de Médecine, celle-ci assure une formation de huit ans pour les généralistes et six ans pour les chirurgiens dentistes. Quant à la poignée d’étudiants en UFP (Unité de Formation Professionnalisant), ils deviennent vétérinaires ou agronomes.

Le troisième groupe de jeunes comoriens est constitué par des élèves de l’enseignement secondaire. En 2005, ils étaient 104 dont 62 en classe de terminale. La présence de ces jeunes collégiens et lycéens à Majunga relève que l’enseignement secondaire connaît de sérieux problèmes aux Comores. En effet, l’assassinat du président Ahmed Abdallah Abdérémane le 28 novembre 1989 aboutit à la mise en place du multipartisme et de la liberté d’expression. Les enseignants, qui étaient eux aussi organisés en syndicats, se mettaient souvent en grève pour revendiquer le paiement de arriérés des salaires. La suite laisse à désirer car les Comores connaîtront trois années blanches (1989-1990, 1994, 1997-1998) et des années scolaires de compression (c’est-à- dire réduites à six ou sept mois) à cause surtout des grèves qui affectent surtout l’enseignement public.

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La présence des étudiants Comoriens à Majunga eut comme résultat la création, en 1991, de l’UNECOM (Union des Etudiants Comoriens à Majunga). L’UNECOM tire principalement ses ressources sur l’organisation d’un bal à la fin de chaque année. Les membres de l’association se réunissent aussi un certain jour du mois de ramadan, à l’Ecole régionale de Majunga, pour faire ensemble le repas de la rupture du jeûne.

Il convient, entre autres de souligner que le nombre des élèves comoriens, qui étudiaient dans les lycées de la ville de Majunga, s’est accru sensiblement à partir de 1997, année marquant le déclenchement de la crise séparatiste dans l’île d’Anjouan. En clair, un grand nombre de jeunes anjouanais sont venus à Majunga pour préparer le baccalauréat parce qu’ils savaient que s’ils obtenaient le diplôme délivré par les autorités sécessionnistes, ils ne seraient autorisés à faire des études supérieures nulle part du fait que la communauté internationale ne reconnaissait pas la sécession de leur île. La majorité de ses étudiants se localisent pour la plupart d’entre eux dans le quartier sous intégré d’Antanimalandy., près de l’université.

3. LES « QUARTIERS COMORIENS » DE MAJUNGA

La ville de Majunga est formée de trois grands types de quartiers : quartiers modernes, quartiers populaires et quartiers sous intégrés. (Voir croquis n°4)

Les quartiers modernes se situent à l'ouest, qui est la partie la plus ancienne de la ville. Il s'agit de deux quartiers de Majunga Be et de Mangarivotra. Ces deux quartiers sont marqués par des constructions de style européen (villas et immeubles). Ils sont séparés par deux avenues qui se prolongent : l'Avenue de France à l'ouest et l'Avenue de la libération à l'est. Soulignons que Majunga Be est le plus ancien quartier. Il est situé près du port dans la zone la plus basse de la ville. C'est à la fois un quartier résidentiel pour les Indiens, un quartier des affaires (lieu de concentration des banques, hôtels, agences, etc.) et un quartier commercial (commerce de gros et de détail).

En outre, à Majunga, l'espace urbain est profondément marqué par la présence des quartiers dits populaires, car ils étaient destinés à l'époque coloniale à la grande masse de la population « indigène ». Ces quartiers populaires étaient, à l'origine, laissés à l'initiative individuelle désordonné des « indigènes ». Ils construisaient leur maison sans obéir à une configuration précise.

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Mais à partir de 1930, l'administration coloniale intervenait pour mettre fin au développement anarchique de la ville. En plus, il était interdit de bâtir en végétal (satrana). Devant ce programme d'assainissement, les « indigènes » étaient obligés d'officialiser l'immatriculation de leurs parcelles. Un impôt foncier annuel fut donc instauré et son acquittement demeure obligatoire jusqu'à nos jours. Le lotissement des terrains varie d'un quartier à un autre. Il est de 8m sur 8m à Ambovoalanana et Manga, quartiers situés dans des sites à peu près favorables. Dans les autres quartiers (Abattoir par exemple), le lotissement et de 15m sur 15m.

Les quartiers populaires sont représentés aujourd'hui par dix fokotany (Tsaramandroso Ambany, TsaramadrosoAmbony, Antanabao,Ambalavola, Abattoir, Manjarisoa, Ambovolamena, Amboaboaka, Marovato, Mahabibo Kely, Morafeno, Manga). Ces quartiers populaires sont peuplés de Comoriens ; aussi bien à Tsaramadroso et à Ambalavola ; Tandis qu'ils constituent une colonie à Abattoir.

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Croquis n°4 : Présence comorienne dans les types de quartiers à Majunga

source : V.Ranjarivelo, 1990

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Les quartiers populaires sont largement dominés par des maisons en tôles. Ces maisons en tôles constituent l'essentiel de l'habitat comorien à Majunga. Elles sont pourvues de fondation supportant les murs en tôles. Elles sont constituées de trois ou cinq pièces séparées par les cloisons. Des dépendances servent de cuisine (paya) et de toilette (mshana). Ces habitations comoriennes sont entourées d'une véranda (baraza) donnant d'un côté sur la rue, de l'autre côté d’une cour plantée d'un cocotier (mnazi). (Voir photo n°1).

Ces maisons qui utilisent la tôle à la fois pour le toit les murs semblent n'avoir fait leur apparition aux Comores qu'après le retour des rescapés de 1976. Jusqu'à cette date- charnière de l'histoire de la diaspora comorienne à Madagascar, les Comoriens de l'Archipel habitaient, suivant leur moyen, une maison de pierres, de briques en ciment, de bois ou une maison en raphia ou en feuilles de cocotier tressées.

A l'opposé des quartiers modernes et des quartiers populaires qui constituent la zone urbaine proprement dite, la ville de Majunga est marquée par la présence des quartiers dits sous intégrés car les types d'habitations qui y prédominent ne répondent pas aux normes requises dans la planification urbaine. Il s'agit donc des constructions exiguës à pièce unique ou tout au plus à deux pièces qui sont faites en matériaux de récupération ou en végétal. Ces habitations précaires, qui caractérisent les quartiers sous- intégrés, attestent l'interprétation du rural dans la ville de Majunga. De création relativement récente, ces quartiers sous intégrés sont liés à l'augmentation des taux de croissance urbaine. Ils se situent à la partie est et nord de la ville. Ils correspondent aux quatorze fokontany suivants : Mahavoky Atsimo, Mahavoky Avaratra, Anosikely, Tsararano Ambony, Tsararano Ambany, Mahatsinjo, Antanimasina, Ambohimandamina, Antanimalandy, Ambondrona, Amborovy, Aranta, Fiofio, Tanambao-Sotema. (Voir croquis n°4)

Sur le plan historique notons que Guillain (qui fut un capitaine de corvette ayant effectué en 1842 et 1843, une mission d'exploitation à la côte Ouest de Madagascar) attribue la fondation de la ville de Majunga aux Antalaotra, qui parlaient swahili. De fait, dans les deux mots mentionnés par la tradition rapportée par Guillain, on reconnaît facilement des termes Swahili :mji (ville) et angaya (fleurs).Le sens donné par Guillain correspond donc bien à l'interprétation du nom en Swahili :« ville des fleurs ».C'est cette expression que les autorités ont reprise sous la forme « cité des fleurs »,qui à été gravée sur un panneau à l'entrée de la ville en venant d'Antananarivo(Mr Guillain, 1954, p 362)

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Photo n°1 : Type d’habitation comorienne (Quartier d’Abattoir)

Photo n°2 : Des ressortissants comoriens devant la mosquée de vendredi face à l’avenue des Comores

Source : Clichés : auteur

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C'est d'ailleurs ce même nom que les Comoriens continuent jusqu'à aujourd'hui à utiliser pour désigner la ville ; leur prononciation est Mdjangaya, pratiquement la même que le swahili Mjangaya.

Plus tard, sous la colonisation, le nom a reçu une forme francisée : Majunga. En fin, sous la Deuxième République (1975-1991), Madagascar a connu une politique de malgachisation touchant les noms des lieux. Ainsi donc, Majunga, comme plusieurs autres agglomérations, urbaines, abandonna officiellement son nom français, témoin de la colonisation, pour adopter la forme malgache du nom. Aujourd'hui, le nom de la ville s'orthographie et se prononce Mahajanga, mais beaucoup continuent à employer dans la conversation la forme francisée Majunga.

Majunga est la ville qui abrite une forte communauté comorienne. Mais aussi c’est dans cette ville que l’esprit de régionalisme des Comoriens se répercute le plus à travers le paysage urbain. On voit donc apparaître des quartiers qui n’abritent que des gens d’une même île ; il s’agit du quartier de l’Abattoir pour les Grand Comoriens et celui d’Ambalavola pour les Anjouanais. Ces distinctions ne sont pas passées inaperçues du milieu malgache de Majunga, qui désigne les Comoriens par des noms caractéristiques suivant leur origine, comme Ajojo pour les Grand Comoriens, et Anjoany pour les Anjouanais.

En effet, ce patriotisme insulaire peut s’expliquer par l’histoire politique de l’Archipel. Les Comores n’avaient jamais été unifiés sous une même autorité avant la colonisation française. L’Archipel était divisé en plusieurs sultanats souverains qui se partageaient le territoire sous forme de royaumes correspondant soit à une île entière (Anjouan, Mohéli et Mayotte) ; soit à des cités-Etats (c’était le cas de la Grande- Comore).

En dépit d’un siècle d’administration française et de centralisation de l’autorité politique, la réalité sociologique des anciens sultanats subsiste dans les comportements des Comoriens qui se déterminent d’abord par rapport à leur village, leur région, leur île d’origine, rarement par rapport à l’Archipel.

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IIIIII.II ... LES EMPREINTES COMORIENNCOMORIENNESES A TRAVERS LA VILLVILLEE DE MAJUNGA.

1. LES ECOLES CORANIQUES : FRUIT D’UNE FORTE PRESENSE MUSULMANE.

Les écoles coraniques dispensent une éducation religieuse qui porte essentiellement sur l’enseignement de la lecture du Coran. C’est une formation de base obligatoire pour les enfants issus de parents musulmans. Dès l’âge de 4 ou 5 ans, les petits garçons et petites filles vont chez leurs maîtresses ou maîtres, appelés fundi. L’école coranique est ouverte tous les jours sauf le Vendredi et les jours des grandes fêtes musulmanes depuis le matin jusqu’à 11 heures, et l’après-midi de 14 heures à 17 heures environ. Les élèves sont rassemblés dans une cour, sous une véranda ou dans une pièce d’une maison. Ils sont assis sur des nattes ou par terre.

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Photo n°3 : Type d’école coranique traditionnelle

Photo n°4 : Type d’école coranique moderne

Source : Clichés : auteur

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Les écoles coraniques se répartissent en trois niveaux :

Dans le premier niveau, le fundi enseigne l’alphabet arabe. Les élèves sont munis d’une planchette (ubao) qui est utilisée comme écritoire. On écrit à l’aide du kalamu, bâtonnet taillé à l’une de ses extrémités qu’on trempe dans une encre à base de suie. Un peu de cendre ou d’eau remplace le chiffon pour effacer. Cet apprentissage de l’alphabet arabe permet aussi aux enfants d’écrire le comorien. Leur fournissant ainsi un moyen de communication dans la vie profane.

Après avoir appris à lire et à écrire, l’enfant passe au second niveau pour étudier un livret qu’on appelle kurasa. Ce petit livre imprimé est d’abord un abécédaire, mais il contient aussi des exercices de lecture et quelques sourates du Coran qui s’offre à la mémoire de l’enfant. Les sourates retenues par cœur figurent parmi les textes les plus souvent récités.

Ce sont la fatiha, la première sourate du Coran (répétée à de nombreuses occasions, et en tout cas à chacune des cinq prières de la journée, soit au moins dix-sept fois par jour) et les sourates, toutes très brèves, qui forment la fin du Livre.

Le degré supérieur de l’instruction coranique consiste à lire et à réciter le Coran proprement dit. Autant que possible, chaque enfant doit avoir un volume du Coran (msahafu) qu’il apprend à manier respectueusement : jamais il ne faut le poser par terre, mais toujours sur les genoux ou sur un petit pupitre pliant (mârufa).

Cette forme d’apprentissage correspond aux écoles coraniques de style traditionnel. Actuellement, certaines écoles ont adopté un style pédagogique plus moderne avec cahiers, tableau noir et élève assis sur des bancs devant des tables. On a recensé à Majunga 9 écoles coraniques de style traditionnel avec ubao, et 5 de style moderne avec cahiers.(voir tableau :2et3).

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Tableau n°3 : Ecoles coraniques traditionnelles existant actuellement à Majunga.

Date de Nombre Nom du fundi Lieu création d’élèves Mme Rahadat Ambovoalanana 1977 10 Mme Nema Moussa Manga 1977 80 Mme Zaly Abdallah Ambalavola 1979 20 Mme Latufa Abattoir 1980 20 Mme Hadia Tsararano ambany 1984 30 Mme Saadate Ambovoalanana 1988 64 Mme Echa Abdallah Fiofio 1996 130 Mme Amina Ben Marovato 2001 19 Mohamed

Mr Said Michkaki Aranta 2001 65

TOTAL 438 Source : Enquête personnelle (2006) Tableau n°4 : Ecoles coraniques modernes existant actuellement à Majunga. Date de Nombre Courant religieux dont Nom du fundi Lieu création d’élèves s’inspire le fundi Toailou Mosquée Al- 1980 60 Sunnite Azhar Houssein Abattoir 1989 100 Chiite (soutenu par les Khodja) Abdourahmane Ambalamanga 1994 42 Sunnite Charif Mosquée- 1995 120 Sunnite zanatany Badroudine Mahabibo kely 1999 100 Chiite (soutenu par les Iraniens) TOTAL 422 Source : Enquête personnelle (2006).

Dans les quartiers populaires de Majunga où les Comoriens sont nombreux, on entend, jour après jour, matin et soir, le bourdonnement caractéristique qui s’échappe de la cour ou de la maison où se tient l’école coranique.

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Dès que l’enfant étudie le Coran, son maître l’initie aux notions fondamentales de l’islam. Cet apprentissage se limite à un manuel de rituel (le babu) qui contient les règles de la prière, des ablutions, etc. Le maître donne à l’enfant une traduction mot par mot, ou proposition par proposition, de ce petit livre. Cette explication reste purement orale. En général, les enfants continuent à fréquenter l’école coranique jusqu’à l’âge de 13 ans environ ; Mais on peut boucler l’apprentissage de la lecture du Coran vers l’âge de 10 ans.

Bref, tout dépend de l’assiduité et surtout des aptitudes intellectuelles de l’élève.

Les maîtres ne donnent aucune explication sur le sens des textes sacrés. Ils considèrent que les élèves, vu leur âge, doivent d’abord savoir lire le Coran sans faute. Il faut reconnaître que les maîtres ne sont pas capables non plus de traduire le Coran. Traduction du Coran (le tafsîr) est le domaine des érudits musulmans qui sont aujourd’hui formés dans les universités du monde musulman (Arabie Saoudite, Egypte, Iran, etc.)

Il convient de noter que le Coran est actuellement traduit et publié dans un grand nombre de langues du monde (pas encore en malgache cependant, ni en comorien d’ailleurs). Mais ces traductions ne peuvent jamais remplacer le texte dans la prière, ni dans la lecture publique. Elles doivent servir seulement d’explication, de guide, pour comprendre le texte sacré lui-même L’enseignement coranique est gratuit, mais les parents des élèves aident les maîtres en leur faisant, à certaines occasions, des présents coutumiers. Cela n’est pas une obligation d’autan plus que les maîtres font leur travail en vue du salut dans l’au-delà. Ils sont donc censés recevoir une récompense après leur mort en entrant au paradis. Selon la coutume, les élèves faisant des commissions ou de petits travaux pour leurs maîtres. Ils puisaient de l’eau, pilaient le riz, faisaient la vaisselle ou la lessive, etc.

Il se crée des liens assez étroits entre le maître et ses élèves. Ces relations sont assimilées à celles d’un enfant à son père ou à sa mère. Ainsi, les élèves, une fois dans leur vie active, se font une devoir de pouvoir à certains besoins de leur anciens maîtres. Ils leur offrent des produits de première nécessité (riz, sucre, etc.) ou carrément une enveloppe d’argent.

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On a pu remarquer dans les tableaux 2 et 3 qu’il y a une différence entre les écoles coranique « traditionnelles » et « moderne » en ce qui concerne leurs enseignants : presque tous les enseignants des écoles « traditionnelles » sont des femmes, alors que dans les écoles « moderne » nous ne trouvons que des maître, jamais payées, elles s’occupent en même temps de leur ménage. Les maîtres des écoles de style moderne ont été formés à l’étranger ou dans les madrasa ; ils sont payés grâce à des fonds reçus d’institutions religieuses étrangères. Ils exercent cette fonction à temps complet. Et si tous les Foudi des écoles traditionnelles sont tous d’origines comoriens, ceux de types modernes accueillent à la fois des foudi Malgaches(Housseine et Toailou) et des enfants aux origines divers. Notamment des petits comoriens, malgaches et indopakistanais.

Les écoles coranique, qui occupaient autrefois toute la journée, ne permettaient pas facilement aux enfants comoriens de fréquenter l’école « officielle » que les Comoriens appellent « l’école française » car à leurs yeux, envoyer les enfants à cette école supposait qu’ils suivraient la religion des vazaha (Européens), et abandonneraient celle de leur parents.

L’enseignement coranique est d’autant plus important pour les parents que l’islam les rend responsables des péchés de leurs enfants si ces derniers n’ont pas été éduqués conformément à la région.

Malgré cette influence de l’école coranique, les enfants Comoriens vont aussi à « l’école française ». Ils allaient à l’école coranique très tôt le matin (de 6h à 8h) et le soir après la classe. La construction en 1953, à abattoir d’une école primaire publique avait facilité largement la scolarisation des enfants Comoriens. Cette école, vu qu’elle se trouvait dans un quartier Comoriens, a été appelée « école comorienne » (c’est celle qui porte aujourd’hui officiellement le nom d’école primaire Publique Fanantenana)

2. LES MOSQUEES A TRAVERS LE PAYSAGE URBAIN MAJUNGAIS

En principe, un bâtiment n'est pas nécessaire à l'accomplissement du culte musulman : la prière rituelle peut être célébrée en plein air, dans une demeure privée, etc. Toutefois, la nécessité d'un espace pour le service religieux communautaire conduit partout dans le monde les communautés musulmanes à établir des édifices cultuels connus sous l'appellation de mosquées. Une mosquée est par définition le lieu dévolu à la récitation des cinq prières quotidiennes (et de la prière hebdomadaire du Vendredi

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pour laquelle existe dans chaque localité importante une mosquée spéciale). La mosquée est toujours orientée vers le sanctuaire de la Kaaba, à la Mecque. Cette direction vers laquelle les musulmans se tournent pour accomplir la prière s'appelle qibla.

Avant la colonisation française, les différents groupes islamisés habitant la ville de Majunga possédaient déjà leurs propres mosquées comme le signale G. Ferrand :

Les voyageurs européens qui ont décrit Mojanga mentionnent l'existence de mosquées (…) Mais il y a lieu d’ajouter que la mosquée chiite est esclusivement fréquentée par des les commerçants hindous, la mosquée sunnite par les gens de Mascate, Zanzibar et des Comores .(G. Ferrand, 1902, p. 70)

Pendant la période coloniale, les immigrations successives des Comoriens ont eu pour résultat la construction de nouvelles mosquées. Jusqu'en 1950, trois mosquées rythmaient la vie religieuse des Comoriens de Majunga ; il s'agit, par ordre d'ancienneté, de la mosquée de la confrérie shadhuli, de la mosquée du Vendredi et de celle de la confrérie rifaî. Les deux premières se situent dans le quartier d'Ambovoalanana, tandis que la troisième se trouve à Marovato.

Cependant, au fur et à mesure que les Comoriens sont devenus plus nombreux dans la ville, on a vu apparaître d'autres mosquées. Avant le massacre de 1976, Majunga comptait 14 mosquées comoriennes dont seules 8 existent encore actuellement. Leur répartition correspond aux fokontany suivants : Ambovoalanana (2) ; Abattoir-Marovato (2) ; Fiofio (1) ; Ambalavola (1) ; Tanambao-Ambalavato (1) ; Tsaramandroso Ambany (1).

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Tableau n°5 : Indications générales sur les mosquées majungaises classées par ordre d'ancienneté

Nom de la Capacité Fréquentation Lieu mosquée d'accueil Vendredi Majunga Be 170 100 Shadhuly Ambovoalanana 170 * Vendredi Ambovoalanana 1200 800 Rifaî Marovato 400 280 Tsaramandroso Tsaramandroso Ambany 350 70 Amboaboaka Amboaboaka 100 * Bambao Ambalavola 250 * Mbadjini Abattoir 270 * Ambalavato Ambalavato 250 * Al-Azhar Fiofio 170 * Source : Enquête personnelle ( mars 2006)

* Mosquée où la prière du Vendredi n'est pas célébrée actuellement.

Ces mosquées révèlent que la communauté comorienne était suffisamment étoffée. Elles témoignent d'une grande ferveur religieuse. La fréquentation des mosquées était, et est toujours, plus importante pour la prière hebdomadaire du Vendredi ainsi que pour les prières des deux grandes fêtes musulmanes à savoir l'id alfitr 2 et l'id al kabir 3. La plus grande mosquée comorienne de la ville, connue sous le nom de Mosquée du Vendredi 4, est située dans le quartier d'Ambovoalanana à la bordure de l'une des grandes artères de la ville de Majunga, qui porte justement le nom d'Avenue des Comores. Cette mosquée était, à l'origine, construite en terre avec un toit en végétal. La mosquée devint, en 1930, un ouvrage en pierre doté d'un toit en tôle. L'augmentation du nombre de fidèles, issus surtouts de l'immigration, avait

2 L'id al fitr, que les Comoriens appellent indi ya tsumu "fête du jeûne", est la fête la plus importante du calendrier musulman. Elle marque la fin du jeûne du mois de ramadan, à l'occasion de laquelle on échange vœux et visites. 3 L'id al kabir, que les Comoriens appellent indi ya hedji "fête du pèlerinage" est célébrée au moment où les pèlerins sont à la Mecque, plus précisément le 10e jour du pèlerinage. Chaque pèlerin doit obligatoirement sacrifier, après la prière de Yid, un mouton. Pour les musulmans qui ne font pas le pèlerinage, le sacrifice d'un animal a la valeur d'une obligation. 4 Ce nom est justifié par le fait que c'est la plus importante mosquée de la ville. Cependant, on doit remarquer que la prière du Vendredi est célébrée en fait dans presque toutes les mosquées de la ville, contrairement au principe qui voudrait que tous les croyants d'une localité se réunissent le vendredi dans le même lieu. (Cette division entre plusieurs mosquées du vendredi s'observe aussi fréquemment dans les autres villes de Madagascar.)

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naturellement nécessité l'extension de la mosquée. L'acquisition de nouvelles parcelles a été faite par voie de négociation avec les voisins.5

Les travaux d'agrandissement de la mosquée commencèrent en 1958. Au bout de deux ans, en 1960, la mosquée est devenue un édifice remarquable qui fait la fierté de l'islam à Majunga. Cette mosquée comorienne, qui est l'une des plus grandes de Madagascar, comporte un minaret construit en 1967. Ce minaret, qui est plus frappant pour la vue, surplombe l'Avenue des Comores.

Cette grande mosquée de vendredi a une capacité d’accueil de 1200 personnes. Elle accueille de nombreux fidèles aux origines divers, surtout durant la grande prière de vendredi, notamment des Arabes, des indopakistanais, des Malgaches et des Comoriens. On remarque également une cohabitation Malgacho-Comoriens à travers les mosquées de Fiofio, Marovato et Abattoir. On note aussi la présence des mosquées exclusivement Comoriens, c’est le cas de celle d’Ambalavato, Ambalavola et Ambovoalanana(Shadhuly), tan disque celle de Tsaramandroso Ambany est la seule qui accueille des fidèles exclusivement Malgaches. Il convient aussi de souligner que les Indiens sunnites se sont appropriés la mosquée mahoraise, laissé à l’abandon après l’exode des Comoriens en 1977. Elle constitue le deuxième lieu de prière des indiens. Elle se trouve dans le quartier de Amboaboaka près de l’aéroport. L’autre est habituellement fréquentée par les chiites, c’est d’ailleurs une des plus vielles existantes à Majunga, elle se trouve à Majunga Be ;

Depuis le rapatriement massif des Comoriens en janvier 1977, la grande mosquée comorienne est devenue l'enjeu d'un conflit opposant les musulmans Comoriens et Malgaches. Ce conflit a pris sa source au moment de la création du F.S.M. (Fikambana'ny Silamo Malagasy ou "Association des Musulmans Malgaches"), le 18 juin 1977. En effet, les dirigeants du F.S.M. avaient pris la décision de faire de la grande mosquée comorienne de Majunga le siège de leur association.

5Source : enquêtes orales.

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Le conflit opposant les Comoriens et leurs coreligionnaires Malgaches a rebondi en 1998. En effet, les Malgaches, fidèles de la grande mosquée comorienne de Majunga, ne voulaient plus que les imams soient nécessairement des Comoriens, mais qu'ils soient choisis par un vote de l'assemblée des fidèles. Ils voulaient aussi que le Vendredi, le khutba soit prononcé en malgache et que les femmes aient la permission de participer à la prière du Vendredi, ce qui impliquait qu'une salle (précédemment utilisée pour les repas communautaires) soit réservée aux femmes (puisque selon les règles rituelles, le lieu de prière des femmes doit être séparé de celui des hommes).

Devant l'intransigeance des Comoriens, il s'était créé un climat de tension et il fut un moment où la prière solennelle du Vendredi fut sérieusement perturbée. On entendait de part et d'autre des paroles violentes et il arrivait souvent qu'un imam 6 soit empêché de monter sur le minbar ("chaire") pour prononcer le khutba 7 parce qu'il était de telle origine (Comorien ou Malgache).

Le conflit opposant les Comoriens et les musulmans malgache se manifeste aussi les jours de fêtes, notamment celle qui marque la fin de jeûne du mois de ramadan. Comme cette fête est célébrée en fonction de l’apparition du croissant lunaire, les Comoriens et leurs coreligionnaires malgaches trouvent toujours un prétexte pour ne pas célébrer la fête le même jour. Les Malgaches suivent les indications des radios et ils célèbrent la fête le même jour que la Mecque. C’est seulement le lendemain que les Comoriens, apprenant par téléphone, célèbrent leur fête en suivant leur pays d’origine.

6 En principe, l'imam n'occupe pas une fonction cléricale, comme le prêtre catholique par exemple. Il est simplement le guide, l'ordonnateur de la prière. Selon l'usage comorien, c'est un homme honorable, choisi par la communauté pour ses connaissances religieuses, qui assure cette fonction, mais il peut être remplacé par d'autres en cas d'absence. En pratique, la désignation de l'imam est une question de prestige et souvent aux Comores elle suppose que le candidat appartienne à une famille noble 7 Le khutba, ou prédication, particulier à la prière du Vendredi consiste généralement aux Comores en une simple lecture d'un texte traditionnel (en arabe). Une tendance plus moderne exige que le texte soit adapté aux circonstances, et certains veulent en outre qu'il soit prononcé dans la langue comprise par les fidèles.

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CHAPITRE II : LES COMORIENS ENTRE INTEGRATION ET EXCLUSION

Il convient de rappeler que pendant 34 ans c'est-à-dire de 1912 à 1946, l’Archipel des Comores a été juridiquement rattaché à la colonie de Madagascar. De ce fait, les Comoriens de Madagascar étaient soumis au même statut que les Malgaches, celui d’indigènes Situation que P Vérin8 résume par l’expression paradoxale de « colonie d’une colonie ». Et effectivement, dans la réalité, une cohabitation sereine a toujours existé entre Malgaches et comoriens. Un métissage important s’est opéré’ et une place de choix a été occupée par les Comoriens dans la vie économique de Majunga.

I. UNE COHABITATION MALGACHMALGACHOO ––– COMORIENNE PAISIBLE.

Les Comoriens vivaient en bons termes avec les Malgaches. Il en résulte même des mariages mixtes entre Comoriens et Sakalava. En revanche, en 1976 les relations étaient très tendues avec les Antaisaka, migrants originaires du sud-est, qui à Majunga sont connus sous le nom de Betsirebaka

1. UNE INTEGRATION REELLE JUSQUA’EN 1976.

Les Comoriens ont de bons rapports avec les Indiens. Ces relations sont facilitées par leur appartenance commune à l'islam. Les Comoriens exercent des emplois mineurs de domestiques, d'employés de commerce chez les Indiens, surtout les chiites (Bohra et Khodja) qui possèdent les plus grosses fortunes à Madagascar. Les Indiens sunnites sont encore plus proches des Comoriens ; d'ailleurs leur, situation sociale généralement peu élevée favorise les rapprochements.

Quant aux relations avec les Malgaches, les Comoriens ont fait preuve d'un attachement certain à l’égard des autorités de la première République.. Ils s'estimaient très choyés par le président Philibert Tsiranana qui disait souvent que les Comoriens constituaient "la 19 e tribu malgache". Ce sentiment d'attachement des Comoriens de Majunga à la République est révélé par une anecdote significative, remontant dans les années 1960, racontée par un ancien élève comorien des écoles de la ville : pour les fêtes officielles, les maîtres comoriens avaient composé et faisaient chanter aux enfants

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une version en comorien de l'hymne national malgache « Ry tanindrazanay malala ô ». Ce témoin se souvient encore très bien des paroles qu'il chante sur l'air des paroles de l'hymne national malgache.

Les vieux Comoriens de Majunga reconnaissent encore aujourd'hui plusieurs faveurs que Tsiranana leur avait octroyées. Comme par exemple, le droit à un billet d'avion offert chaque année à un notable comorien pour effectuer le pèlerinage à La Mecque. Tsiranana avait également contribué au financement des travaux d'agrandissement de la mosquée du Vendredi.

La sympathie de Tsiranana envers les Comoriens peut s'expliquer par les liens d'amitié qu'il entretenait avec son homologue comorien, le docteur Said Mohamed Cheikh. En effet, ces deux personnages avaient longtemps partagé un destin commun. Ils étaient des représentants de leur pays à l'Assemblée de l'Union française. Etant des députés francophiles, Tsiranana et le docteur Cheikh ont travaillé ensemble pour l'évolution de Madagascar et des Comores dans l'amitié avec la France. Une fois qu'ils sont devenus des dirigeants de leur pays, les deux anciens parlementaires ont réussi à conserver leur amitié. Ainsi, Madagascar (dont l'indépendance fut solennellement proclamée le dimanche 26 juin 1960 au stade de Mahamasina) entretenait de bonnes relations avec les Comores qui demeuraient un territoire d'outre-mer français mais doté de l'autonomie.

Tsiranana s'est rendu en visite officielle aux Comores en mai '1965 et y est resté une semaine.

Le cabinet du Président de la République comporte un conseiller pour les affaires comoriennes et musulmanes, attentif à ce qui touche la "19 e tribu' '/Le président (...)

(C. Rabenoro, 1986, p. 217)

Le slogan de la "19 e tribu malgache" cache en fait aussi des arrière-pensées politiques. En effet, les Comoriens, comme tous les nationaux français, étaient autorisés, sitôt l'indépendance de Madagascar acquise, à participer aux élections municipales. Représentant plus de la moitié de la population majungaise dans les années 60, les Comoriens constituaient un élément avec lequel il fallait compter sur le plan politique. Tsiranana tenait à recevoir le soutien des Comoriens qui constituaient un électorat

8 P. Vérin, 1994, P.6

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important à Majunga, son fief politique. Les voix comoriennes avaient permis au P.S.D. (Parti Social Démocrate, formation gouvernementale du président Tsiranana) de conserver la municipalité de Majunga contre l'A.K.F.M. 9 Cette adhésion des Comoriens à la politique de Tsiranana est soulignée par J. Guérin de la manière suivante :

Les Comoriens ont voté " oui " à l'unanimité au référendum du 28 septembre 1958.(…)Le conseil municipal de Majunga compte 14 Comoriens sur 33 membres, dont le premier adjoint au Maire.

(J. Guérin, 1961, pp. 110-111)

II y a lieu d'ajouter qu'un Comorien de Majunga connu sous le nom de Maindjee Mohamed fut parmi les quatre conseillers élus à l'issue du premier congrès ordinaire du P.S.D. qui eut lieu à Majunga, du 2 au 4 août 1957. Le parti fut créé effectivement à Majunga le 28 décembre 1956 par Tsiranana et son état-major constitué de MM Resampa, Botokeky, Aridy, etc

Cette intégration qui a été remise en cause par les événements de décembre 1976, se reconstitue petit à petit actuellement.

2. UN METISSAGE IMPORTANT.

Bon nombre de Comoriens ont contracté des alliances matrimoniales avec des femmes Malgaches, notamment des Sakalava. Les enfants issus de ces mariages mixtes malgacho – comoriens ont été élevé dans la religion musulmane. Ils parlent à la fois le malgache et le comorien.

Le parler comorien est surtout appris par les gens de la rue lorsque l’enfant habite dans un quartier comorien. L’enfant trouve toujours l’occasion de parfaire la langue comorienne à l’école coranique où le maître (ou la maîtresse) utilisait le comorien comme langue d’enseignement. Le comorien, qui demeure une marque d’identité ethnique est également parlé lors des discours inaugurant les cérémonies religieuses.

9 Sigle de l’Antokon’ny Kogresin’ny Fahaleovantenan’i Madagasikara ou Parti du Congrès de l’Indépendance de Madagascar, fondé en 1958 par la fusion de trois partis. A la différence du PSD, l’AKFM, parti d’opposition de tendance marxiste, adopte des positions dures à l’égard de la France, exigeant une indépendance « pure et limpide, non assortie d’accords de coopération avec l’ancienne puissance coloniale » (C. Rabenoro, 1986, p.90).

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Bien qu'ils soient imprégnés par la culture comorienne, les enfants nés des unions malgacho- comoriennes ont le sentiment d’appartenir beaucoup plus à la société malgache qu'au pays d'origine de leur parent comorien qu'ils ne connaissent pratiquement pas. Mais leur affiliation à l'islam, religion considérée par l'opinion publique malgache comme appartenant à des étrangers, les rapproche autant des Comoriens au point qu'ils sont eux-mêmes considérés comme des étrangers. Ces stéréotypes ethniques provoquent un tiraillement chez ces enfants. Ils constituent par conséquent un groupe particulier : ce sont les zanatany 10 . Au cours de l’histoire, le brassage d’ethnie malgacho-comorienne a engendré et développé l’identité zanatany qui se caractérise par sa religion (l’islam) et par sa langue (le malgache).De même son dialecte diffère légerment du dialecte sakalava, la conception comprenant de nombreux mots d’emprunts comoriens.11

On avait vu naître leur association sportive qui était connue sous l’appellation de jeunesse musulmane. Ils étaient suffisamment nombreux pour se réunir au sein d’un organisme officiellement reconnu en 1946 sous la dénomination d’Association des Zanatany Majungais. Cette association se donnait pour l’objectif de renforcer les relations d’amitié entre ses membres et de s’entraider. L’association avait réussi à construire une maison en guise de club où ses membres pouvaient se réunir pour causer et jouer. Le bâtiment, qui fut construit en 1954, se trouve dans le quartier de l’Abattoir, en bordure de l’Avenue des Comores. Mais il est loué depuis 1989 par des Indiens Khodja. Ces derniers l’ont transformé en un madrasa qui reçoit les enfants malgaches pour apprendre l’islam chiite 12 Le bâtiment comporte actuellement un étage dont la construction fut financée par les Indien Khodja. Cet étage sert de logement au directeur de cette madrasa. Ces Comoriens, bien que établis à Majunga ; arrivent aussi à s’insérer petit à petit dans le secteur économique de la ville.

10 Emploi pour désigner des gens qui sont du pays (les autochtones), plus précisément le natif d’une région de Madagascar. Mais sur la côte occidentale de Madagascar, le terme s’applique couramment pour désigner des gens dont l’origine étrangère et ancienne, plus ou moins effacée. Ils se considèrent donc comme des enfants du pays » décidées à y mourir. A Majunga, le mot Zanatany est souvent employé spécialement pour désigner les descendants des Comoriens nés et vivant à Madagascar, et en particulier les personnes nées des mariages mixtes malgacho-comoriens. 11 Sur cette question, voir les travaux de M.Y. Tovoarimino, 1994 et 2001 12 Il s’agit d’une mission islamique qui est une extension de celle qui existe dans d’autres localités de Madagascar comme Morondava depuis 1982. Cet esprit d’ouverture des Khodja est un lointain conséquence du prosélytisme chiite impulsée depuis l’Iran. En d’autres termes, les Khodja reçoivent des prédications formées en Iran qui leur ont rappelé leur devoir, jusque là bien oublié, de rependre l’islam

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3. UNE PLACE DE CHOIX POUR LES COMORIENS DANS L’ECONOMIE DE MAJUNGA

Plus de la moitié des Comoriens de Majunga n’ont pas appris un métier. Cette absence de qualification professionnelle les oblige d’exercer des emplois subalternes. Les Comoriens sont donc prêt à travailler à n’importe quelle condition, acceptant toutes sortes de petits métiers, pourvu qu’il y ait gain, si minime soit-il. De plus, ils sont recherchés grâce à la confiance qu’on peut leur accorder.

Cette présence comorienne dans le secteur économique et si frappant. Il y à Majunga des Comoriens qui sont bouchers. On a besoin d’eux pour égorger les animaux selon le rituel musulman. Ainsi, toute la viande de bœuf vendue sur le marché peut être achetée sans réticence par la clientèle musulmane (Comoriens, Indiens, Arabes) qui sont nombreux à Majunga, d’autant plus que Majunga est une ville traditionnellement musulmane. En plus, les Malgaches non musulmans ne font pas de problème à consommer les animaux abattus selon le rituel musulman. Ce n’est pas le fruit du hasard si l’établissement où l’on abat et où on prépare les animaux destinés à la consommation se trouve dans un quartier Comoriens qui reçoit même l’appellation d’Abattoir.

Les Comoriens occupent aussi d’autres emplois mineurs de domestiques, boys, cuisiniers, gardiens, employés de commerce, plantons, chauffeurs… (Voir tableau suivant) :

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Tableau n°6 : La répartition professionnelle actuelle des Comoriens de Majunga Vendeurs de rue Employer Administrateurs et Marins Gardiens (gargotiers et brochettiers et Chauffeurs de Profession de Bouchers maîtres d’écoles de et sur les marchés taxi et autres commerce et boutiquiers coraniques boutres ouvriers majungaises) Pourcentage 25% 20% 15% 15% 10% 10% 5% Source : Enquête personnelle (Mars –Avril 2006)

Ils ne rechignent pas devant les petits métiers qui paraissent dégradants et méprisables. D’autres sont établis à leur propre compte. Ils sont boutiquiers, gargotiers, vendeurs de rue et sur les marchés, chauffeurs de taxi, patrons de boutres.

Les Comoriens ont trouvé une stratégie pour améliorer leurs conditions de vie au prix de lourdes privations. Ils constituent de petits groupes (jamais plus de 12) d'hommes (ou de femmes) qui conviennent de verser chacun (ou chacune) une somme fixe chaque mois. Le capital réuni étant versé à tour de rôle à l'un (ou à l'une) des épargnants. Cette institution porte en comorien le nom de shikoa ("tontine"). Le bénéficiaire peut utiliser le capital pour acheter des tôles et d'autres matériaux de construction, et au bout de quelques années, réussir à construire une maison dont certaines pièces sont mises en location.

Cette place de choix dans le secteur économique majungais ne date pas de nos jours ; durant les années coloniales comme les années Tsiranana : Les Comoriens représentaient plus de la moitié de la main d'œuvre à la FITIM (société des filatures et tissage de Madagascar). L'installation de la FITIM, qui était la seule usine de sacherie de Madagascar, entraînait la formation des cités ouvrières. Un peu plus tard, vers 1960, la FITIM avait aménagé une place pour la construction d'une mosquée, ce qui prouve encore plus que l'usine comptait beaucoup d'ouvriers Comoriens.

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Les Comoriens constituaient également une part importante de la main d'œuvre dans les grandes compagnies européennes en l'occurrence la Marseillaise, la Lyonnaise et l'Emyrne. Ces sociétés, qui possédaient des comptoirs dans certains endroits de Madagascar, se chargeaient de l'import-export principalement réorienté vers l'Europe et la France prioritairement.

Les Comoriens fournissaient une main-d'œuvre importante dans la compagnie Barday (du nom de son propriétaire indien) qui était une usine d'huilerie et de savonnerie. Sa production était entièrement utilisée par la consommation locale. Ils travaillaient également dans les usines de rizeries (rizerie Costa, rizerie Djiva, rizerie Meraly, rizerie Barday, etc.).

Les Comoriens travaillaient sans complexe à la voirie. Ils débouchaient les canaux d’évacuation d’eau, évacuaient les boues résiduaires et balayaient les rues de la ville de Majunga. L’assurance permanente de ces travaux qui s’effectuaient sous la surveillance d’Ahmed Ali, un comorien exerçant la fonction d’inspecteur de la voirie, faisait de Majunga une ville propre.

Il convient de souligner que beaucoup de Malgaches, à cause de leurs traditions, n’acceptent pas facilement d’exercer des métiers qui peuvent provoquer des souillures (tiva) sous peine de ne plus recevoir la bénédiction des ancêtres.

Les besoins du port de Majunga ont entraîné la création d'une compagnie de batelage. Cette compagnie maritime de Majunga embauchait des Comoriens pour travailler comme dockers. Les équipes de dockers comoriens constituaient presque la moitié de l'effectif. Le reste des employés était constitué par des Malgaches et des Arabes originaires du Yémen.

Arrivés comme immigrants pauvres, les Comoriens ont donc progressivement connu une certaine ascension économique. On peut penser que cette réussite économique a suscité des jalousies qui ont joué un rôle dans le déclenchement du massacre de 1976 ;

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Photo n°5 :

Photo n°6 : Des marchands d’huile de caïman dans le bazar d’Analakely (Majunga)

Photo n°7 : Un Comorien, vendeur de riz par kapoaka dans le bazar de Marovato

Source : Clichés : auteur

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Photo n°8 : Des ressortissants comoriens vendeurs de brochettes

Source : Clichés : auteur

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Photo n°9 : Un Comorien tenant une épicerie

Photo n°10 : Une Comorienne dans ses pratiques divinatoires

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II. L’EXCLUSION IMPREVISIBLE DE 1976

1. UNE DISPOSITION LEGISLATIVE EXCLUSIVE

Depuis l’avènement de Ravalomanana au pouvoir (en 2002), la situation des Majungais d’origines Comoriens s’avère très délicate. On reproche aux immigrants comoriens d’avoir été des pro-Ratsiraka. Les autorités les soumettent dans des casses têtes chinois pour des papiers d’identités ; des cartes de séjour, des visas… pour qu’ils puissent séjourner en terre Sakalava.

Les lois sur l’immigration marginalisant catégoriquement les étrangers de prendre part à la vie politique du pays.

L’article n°9, alinéa 1° de l’Ordonnance n°60-064 du 22 juillet 1960 portant en code la nationalité Malgache et par la loi n°95-0212 du 18 Septembre 1995, l’atteste. « Est Malgache : l’enfant légitime né d’un père Malgache ». En d’autre terme, l’enfant de parents étranger ou d’un père étranger et d’une mère malgache né en terre Malgache n’est pas reconnu par la loi comme étant malgache. Et comme les Comoriens restent les plus nombreux, mais aussi les plus pauvres ; ses lois semble faites pour eux.

A Majunga, comme partout ailleurs à Madagascar ; il n’existe pas de droit du sol. Même si une famille réside à Madagascar depuis la troisième génération, elle se voit refuser l’obtention de la nationalité malgache. Un comorien qui se marie avec une femme malgache se voit aussi refuser cette nationalité.

Par conséquent ; ses Comoriens sont contraints de vivre clandestinement dans leur pays d’adoption voir même de naissance pour certains d’entre eux.

De ce fait, à nos jour, sur les grandes villes Malgaches ; un phénomène nouveau apparaît : ses sont les apatrides. C'est-à-dire, des personnes nées en terre Malgache et qui ne peuvent pas avoir la nationalité Malagasy. De même, ses personnes éprouvent des énormes difficultés du moment qu’ils ne peuvent non plus obtenir la nationalité du pays de leur père qu’ils ignorent.

Ces apatrides restent malgré tout des étrangers, aussi bien dans leur pays d’accueil, comme dans leur pays d’origine. Ils sont à la recherche perpétuelle d’identité. D’un côté, les Comoriens les désignent comme étant des Malgaches à cause de leurs mœurs. Et vu leur religion (l’islam) : les Malgaches les indexent comme étant des

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Comoriens. Du moment que l’islam reste une religion que l’opinion malgache le considère comme appartenant à des étrangers.

Nos enquêtes ont montré qu’à Majunga, actuellement les églises poussent comme des champignons. Car les autorités n’acceptent plus que la deuxième ville de Madagascar soit un lieu islamisé. De même, la municipalité continue d’ignorer les mariages traités par le cadi. Or chez les musulmans, les mariages se traitent impérativement à la mosquée sous l’autorité du cadi. Dans le cas contraire, le mariage devient néfaste et tabou. Le régime d’exclusion continue à Majunga :nous nous appuyons en particulier sur une tactique du pouvoir local, en ce sens que l’appel du Muzin est interdit le matin par le motif qu’il produit une pollution sonore, trop bruyant. C’est donc qu’il n’existe pas de conciliation entre les libertés comoriennes et l’autorité des gouvernements locaux.

Ce manque d’orientation de la part des autorités politiques ; locales et nationales, faites que l’on n’a jamais vu un député, un maire, voire même un président de fokotany d’origine comorien. Le comorien reste en fin de compte un étranger dans sa ville d’adoption ; voir même de naissance pour la plupart d’entre eux.

2. L’EXCLUSION DES COMORIENS DE MAJUNGA EN DECEMBRE 1976

Particulièrement nombreux, les Comoriens représentaient à eux seuls, plus du tiers de la population de Majunga. Les Comoriens, vu leur importance numérique, étaient accusés de ne pas s’intégrer aux populations locales.

On reprochait donc aux Comoriens de vouloir transporter leur société originelle et exercer une domination sociale dans la ville de Majunga comme s’ils avaient le sentiment d’être chez eux. D’après mes informateurs Malgaches et Comoriens, tous les samedis et dimanche les rues des quartiers populaires de la ville de Majunga étaient animées par des danses comoriennes. De plus, les différentes fêtes musulmanes étaient habituellement aménagés en pleine air avec tribunes, estrades, lampions et haut parleurs diffusant les prédilections, les prières, les chants religieux , ou des chants arabes enregistrés.

On a pu entendre souvent des réactions de l’opinion malgache reprochant aux Comoriens de se retrouver volontiers entre eux dans des nombreuses associations et de

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continuer à parler le comorien. On y ajoute aussi que les Comoriens parlent trop fort si bien qu’ils ont entretenu une certaine effervescence, phénomène que l’on rencontre partout où existe une colonie comorienne.

Il convient cependant de noter que ce phénomène des associations des originaires est une caractéristique générale des villes malgaches, où il concerne les originaires des différentes régions du pays. Mais cela n’empêche pas qu’il ait été interprété par l’opinion hostile comme un signe de refus d’intégration.

Les reproches faits aux Comoriens sont évoqués par le journal Lakroan'i Madagasikara dans son article du 16 janvier 1977, de la manière suivante : Du temps de la colonisation et du temps du régime Tsiranana, les Comoriens jouissaient de certains privilèges. Est-ce du fait de leur docilité au régime en place ? Est-ce pour humilier les Malgaches (durant la colonisation) ? Est-ce parce que pour le régime Tsiranana, ils constituaient un réservoir de " bénis-oui-oui " lors des élections ? [...]

(R. Ralibera, et autres, 1977, texte en annexe VI, p. 45)

Depuis l'indépendance de Madagascar en 1960, les Comoriens se prévalaient de leur qualité des ressortissants français et aux yeux des Malgaches des quartiers populaires, les Comoriens passaient pour des gens supérieurs sans qu'aucun niveau de culture, ni un certain degré d'instruction ne permettent à la rigueur de le justifier.

On rapprochait également aux Comoriens d'exiger des locataire; Malgaches de leurs maisons qu'ils respectent l'interdit de la viande de porc, ce qui exaspérait surtout les migrants originaires des Hautes Terres (régions de Tananarive et de Fianarantsoa) qui passent pour avoir une véritable prédilection pour la viande de cet animal. On doit remarquer que ce type de conflit, provoqué par l'incompatibilité des interdits alimentaires, n'est nullement particulier aux relations entre Comoriens et Malgaches. Il est souvent mentionné dans les régions de la côte ouest à propos des relations entre Malgaches originaires et mpiavy (immigrés).

Sur cette question rituelle, il convient de souligner que les Betsirebaka, et les Comoriens s'accusaient mutuellement, selon le mécanisme des stéréotypes ethniques, d'être sales, impurs. Pour le Betsirebaka, le Comorien est sale parce qu’il tolère les excréments auprès de son habitation (dans le fosses des cabinets). Pour le Comorien, le Betsirebaka est sale parce qu’il répand des excréments sur la voie publique.

En outre, les Comoriens fournissaient les principales recrues pour les emplois

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subalternes. Ils se trouvaient donc en compétition sur le marché du travail avec les Betsirebaka. Ces Betsirebaka, dont la grande masse était généralement sans aucune instruction et sans connaissance particulière, étaient presque réduits à faire le métier peu reluisant de tireur de pousse-pousse. Ils supportaient mal que des étrangers soient au fond mieux intégrés dans la ville de Majunga qu'ils ne pouvaient l'être eux-mêmes.

Sur cette question économique, il faut insister sur le fait qu'aux yeux d'un grand nombre de Malgaches habitant les quartiers populaires de la ville de Majunga, les Comoriens apparaissaient comme des gens qui possédaient une certaine fortune. Ils avaient réussi à se faire construire des maisons louées à des Malgaches. Ils ont pu acheter des meubles, des bijoux d'or (bagues, boucles d'oreilles, colliers) pour leurs femmes (malgaches ou comoriennes). Les mariages donnaient lieu à de grandes cérémonies, où en particulier on offrait de manière ostentatoire des billets aux musiciens. Cette réussite économique des Comoriens, selon toute apparence, les a potentiellement désignés, en cas de crise, à devenir ‘l’out group".

Le père Ralibera, après avoir analysé les causes de tension, montre bien la gravité de la situation ainsi créée. Pour lui, tous ces griefs expliquent certes le déclenchement des émeutes, mais ne les excuse en rien :

[...] quoi que nous puissions dire pour expliquer ce que représentaient les Comoriens à Majunga, rien, absolument rien ne peut justifier ni excuser la tuerie qui a eu lieu. Nous ne pouvons pas être fiers de ce que nos compatriotes des quartiers populaires de Majunga ont fait. Il est vrai que quand la furie populaire se déchaîne, les atrocités les plus innommables ont toujours lieu ; ceci est vrai de tout temps et en tous lieux. Mais ceci n'est pas une excuse, encore moins une justification.

(R. Ralibera, et autres, 1977, texte en annexe VI, p. 46)

Tous les reproches faits aux Comoriens révèlent le contexte de tension plus ou moins latente qui régnait depuis longtemps entre Comoriens et Malgaches, surtout ceux originaire de la côte sud-est, appelés Betsirebaka. Des échauffourées ont éclaté à plusieurs reprises mais elles n'avaient jamais encore dégénéré en règlement de compte collectif. Il faut noter toutefois qu'en janvier 1971, une rixe avait failli tourner à l'émeute générale mais qu'elle avait été rapidement maîtrisée par la Force Républicaine de Sécurité (F.R.S.) dépêchée de Tananarive. L'année suivante, c'est-à-dire en mai 1972, le président Tsiranana fut contraint de démissionner sous la pression de la rue. Les gouvernements qui se succédèrent se soucièrent peu de protéger les étrangers. Il suffit

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alors d'allumer la mèche pour voir le feu se répandre rapidement dans des conditions affreuses. C'est donc dans des telles circonstances que se sont déclenchées les violences meurtrières contre la communauté comorienne de Majunga en décembre 1976.

Les quartiers populaires comportent de forte minorité de Comoriens. Ils se regroupent suivant leurs îles d’origines. Les Grand-Comoriens, à l’Abattoir., les Anjouanais à Ambalavola. Les étudiants quant à eux habitent surtout le quartier sous intégré d’Antanimalandy.

Le tiers de ses Comoriens ont épousé des femmes Malgaches. Il en résulte par conséquent un métissage biologique, culturel et linguistique. Malgré, ce métissage important, les Comoriens n’ont pas réussi à s’intégrer totalement dans la communauté majungaise par le fait qu’ils rencontrent beaucoup de difficulté surtout dans le domaine politique.

L’opinion malgache continue d’accuser les Comoriens de ne pas s’intégrer aux populations locales, il n’est pas rare d’entendre dans la rue des propos du genre ; un tel parle avec un accent « ajojo », un tel s’habille comme un « ajojo ». Mais aussi, la difficulté de rompre avec les habitudes comoriennes, constitue l’obstacle auquel se heurtent jusqu’à lors les Comoriens de Majunga. Seulement, sur ce point ; il faut reconnaître comme l’a écrit Yves Lacoste : que « les musulmans, conservent plus ou moins longtemps nombre de traits de leur culture d’origine […] ce qui entraîne des réactions xénophobes à leur égard ». Quoiqu’il en soit, pour bien comprendre l’importance des migrations Comoriennes à Madagascar et particulièrement à Majunga, il est nécessaire d’évoquer d’une part les facteurs géographiques, c'est-à-dire la proximité entre les deux pays aussi que les difficultés des Comores et d’autre part l’histoire caractérisée par une forte imbrication des deux sociétés.

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DEUXIEME PARTIE : UNE PRESENCE COMORIENNE,FRUIT DE LAGEOGRAPHIE ET DE L’HISTOIRE

DEUXIEME PARTIE : UNE PRESENCE COMORIENNE,FRUIT DE LA GEOGRAPHIE ET DE L’HISTOIRE

Les quatre îles qui constituent les Comores, sont jetées comme un pont entre l'Afrique et Madagascar.

Cet archipel, que les géographes Arabes du Moyen-Âge, tels Al-Massoud et Idris, dénommaient « Djazair Al-Kamar » (îles de la lune) inspirant le nom des Comores. Géographiquement, Madagascar est le pays le plus proche des Comores. La côte nord-ouest malgache représente un choix privilégié, une localisation préférentielle des Comoriens. Puisque dans cette région, les Comoriens ont trouvés les éléments les plus favorables à leur installation.

Il convient de noter que cette sédentarisation des Comoriens fut d'abord facilitée par l'administration coloniale lorsqu'elle avait, pendant 32 ans, rattaché juridiquement les Comores à Madagascar. Les Comoriens, qui vivaient à Madagascar, avaient le statut « d'indigène » au même titre que les Malgaches. Ils avaient donc l'impression que Madagascar était leur propre pays. Lorsque Madagascar accéda à son indépendance le 26 juin 1960, la France négocia .un statut particulier pour les Comoriens auprès des autorités malgaches. Etant nationaux français, les Comoriens bénéficiaient à ce titre des privilèges des accords découlant de la signature d'une convention d'établissement définissant en principe leur entrée, leur circulation et leur installation libre à Madagascar.

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CHAPITRE III : LES PROBLEMES GEOGRAPHIQUES DES COMORES ET L’ATTRACTION DE MAJUNGA.

L’exiguïté territoriale faite que la densité reste élevée. Elle est de l’ordre de 358hab/km2, et elle dépasse largement ce chiffre dans certaines zones rurales. Le principal élément d’unité dans cette Afrique insulaire est d’ordre agricole, l’agriculture est partout l’activité prépondérante, sinon exclusive. La population de Madagascar est rurale à 72% celle des Comores est de l’ordre de 65%.

Outre sa situation géographique de proximité par rapport l’Archipel, le climat de la bordure nord-ouest Malgache est identique à celui des Comores. Climat de type tropical rythmé par l’alternance de deux saisons : une saison chaude et humide (novembre à avril) et une saison fraîche et sèche (mai à octobre). La côte nord-ouest malgache est également une région d’accueil et les Comoriens s’intègrent sans peine dans cette société de migrants et d’immigrants.

I. LA NECESNECESSITESITE D’ED’EMIGRERMIGRER POUR LES COMOCOMORIENSRIENS

1. DES ILES EXIGUES ET SURPEUPLEES

La superficie totale de l'Archipel est de 2034 km 2. Les îles sont proches les unes des autres, et chacune des îles possèdent sa propre topographie (voir croquis n°5) Composé de quatre îles, Mohéli est la plus petite île de l'Archipel de part sa superficie. Elle enregistre aussi la plus faible densité de l’archipel (170,5 hab. /km2).

Avec une superficie de 211 km 2, l’île s'allonge sur 50 kilomètres de l'Est à l'Ouest, avec 20 km de plus grande largeur. Elle distance seulement de 28 kilomètres de Ngazidja. Le plus haut sommet est le Mzé Kukulé (790m). Elle dispose d'un plateau de 350m d'altitude (le plateau de Djando).

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Croquis n°5 : L’archipel des Comores : surpopulation relative

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Quant à Anjouan, avec ses 424 km 2, Anjouan demeure la deuxième île de part sa superficie ; derrière la Grande-Comore (1148km 2). Sous forme d'un triangle : l'île présente un relief accidenté étalé par des grandes cirques. Le plus haut sommet est le Mont Tringui (1595km 2) ; situé à 17km de la mer. L’île d’ Anjouan enregistre la plus forte densité de tout l’archipel, elle est de l’ordre de 604 hab./km 2.

« Anjouan montre un modelé disséqué et un relief très accidenté à crêtes aiguës et flancs abrupts ».Les plaines sont rares et étroites. Au niveau des trois extrémités de l'île, on trouve des falaises dominant le littoral et un récif frangeant qui par endroit se détache des côtes, pouvant indiquer un début de phénomène de subsidence.

La Grande-Comore demeure plus vaste que les trois autres réunies. Le point culminant de l'Archipel se situe sur cette île. Elle est dominée au centre Sud par le cratère Karthala (2361m) d'altitude et 20kilomètres de diamètre.

Le Karthala est entouré par deux massifs : le massif de la Grille, située au Nord (1087) qui lui est relié par le plateau de Diboini. Et le massif de Mbadjini au sud de petite taille (650m). L’île de la Grande-Comore est caractérisée par ses grandes superficies de coulées noires provenant d'éruptions récentes et non encore colonisées. Le relief est moins marqué par les phénomènes d'érosion, sauf au niveau du Badjini (Sud- Est de l'île), les côtes sont peu élevées et le plus souvent rocheuses. L’île a une densité de300hab/km2 et se situe à 120km seulement de Dzaoudzi, la capitale de Mayotte.

De part sa situation géographique : Maoré reste de loin l'île de l'Archipel le plus proche de Madagascar, seulement 300 kilomètres la sépare de la Grande-Ile (voir croquis n°1). L’exiguïté territoriale des Comores et la surpopulation ont poussé de nombreux comoriens à prendre le chemin de l’émigration.

2. LE CONTEXTE DEMOGRAPHIQUE DIFFICILE.

Comme il n'y a jamais aux Comores de véritable état civil, jusqu'à ce dernier temps, l'établissement des statistiques fiables sur la population était tâche difficile. La plupart du temps, les études sur la population étaient basées sur des données approximatives.

Ainsi Gevrey pouvait estimer qu'en 1866 la population des Comores était composée de 65 000 habitants.

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En 1935, cette population tournait autour de 124000 habitants d'après les estimations de Manicacci.

Les recensements INSEE de 1958 et 1966 ont permis d'obtenir des chiffres moins contestables de 192 000 et 246 000 respectivement les recensements de 1991 qui n'ont tenu compte que la population des trois îles sans l'île de Mayotte, ont estimé l'effectif de la population à 446 817 habitants. Ces chiffres représentent un taux de croissance annuel de 2,7%. En suivant cette même logique et en tenant compte du fait qu'avec un tel taux de croissance, la population double son effectif tous les 26 ans. La population totale des trois îles de Comores qui en 1980 était de 380000 habitants. S'envoisinerait à 677 800 habitants en 2001.

Ceci sans prendre en compte les Comoriens de la diaspora qui en grande partie se trouve en Afrique oriental, Madagascar, la Réunion et en France.

Etant donné que 65% de la population vivent en milieu rural dépendent directement de la terre et de la pêche pour subvenir à leurs besoins quotidiens.

La croissance démographique rapide ne fait que peser de plus en plus lourdement sur la densité de la population ; qui en 2006 s'élevait à 358 habitants au km 2. La situation est encore plus grave si l'on compare la densité par rapport à la surface agricole utile (terres cultivables plus pâturages).

Seulement 41,5% de la superficie totale des îles sont des terres cultivables, ce qui donne une très forte densité de 947 hab./km de terre arable.

Pendant très longtemps, l'exode à l'intérieur du pays n'était pas un phénomène courant. Ceux qui quittaient leur région d'origine à la recherche d'un travail se dirigeaient souvent à l'étranger dans les pays de la diaspora. Aujourd'hui, la tendance commence à changer et les projections prévoient une augmentation rapide de la population urbaine, dépassant 40%.

La population de Ndzuwani vit généralement dans des villages de plus de 1000 habitants. Dans les trois autres îles, plus de 50% vit dans des villages de moins de 1000 habitants. Ce trait est très important à noter car plus le village est petit et plus les traditions coutumières telles que le « grand mariage » sont importantes et significatives.

Les jeunes de moins de 15 ans représentent 40% de la population totale, les adultes de 15 à 64 ans représentent la moitié alors que les plus de 65 ans ne représentent

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que 5%. La prépondérance des jeunes dans la population Comorienne s'explique par la conjonction de plusieurs facteurs.

Notamment, une forte natalité et une mortalité très élevée. Le taux global de natalité est de l'ordre de 4,4%.Tandis que celui de mortalité avoisine 1,7%. L'enfant comorien reste encore soumis à des risques de mortalité élevés : le taux de la mortalité sur mille enfants nés vivants au cours de l'année, 59 décèdent avant leur premier anniversaire.

L'espérance de vie se limite à 49 ans pour les hommes et 52 ans chez les femmes et 42% des adultes sont analphabètes.

Outre le poids de la colonisation, qui faisait des Comores (pays sans ressource) une colonie négligée, il faut souligner que les problèmes démographiques de l'Archipel avaient accentué le mouvement migratoire. En effet, après la seconde guerre mondiale, la population comorienne a connu un rythme de croissance que les spécialistes appellent le régime démographique naturel. La fécondité était élevée mais la mortalité était très forte. Les raisons qui expliquent cet accroissement du taux de fécondité sont d'ordre traditionnel, économique, social et religieux.

A titre d'exemple, de nombreuses familles comoriennes ont beaucoup d'enfants car elles ne savent pas combien survivront, ensuite, plus les enfants sont nombreux, plus il est probable que l'un d'entre eux consolera la famille et améliorera le sort du charge ; c'est même un don du ciel, et Dieu lui a affecté à la naissance les ressources nécessaires à sa subsistance. Une famille nombreuse est du reste prestigieux.

L'introduction dans l'Archipel, à partir de 1960, des méthodes de traitement des maladies endémiques a permis de diminuer la mortalité infantile. Il n'est donc plus aussi nécessaire qu'autrefois d'avoir de nombreux enfants pour être sur d'en garder quelques uns en vie.

Malgré cela, l'idée d'une limitation des naissances suscite une forte résistance, due à la persistance mentalités traditionnelles et des tabous religieux. Cette résistance entraîne un boom démographique, caractérisé par un taux de natalité élevé et un taux de mortalité relativement faible. Cette pression démographique, particulièrement grave à Anjouan et en Grande-Comore, réduit considérablement le pourcentage des surfaces cultivables, accentue la déforestation et l'érosion, deux phénomènes qui détruisent la couverture végétale provoquant une perte rapide de la fertilité du sol. Or depuis son

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annexion par la France, l'archipel était confronté à un problème majeur, celui de la pénurie des terres cultivables. Madagascar, pays étendu et sous-peuplé, constituait donc un exutoire pour le trop-plein des populations des îles.

Cependant, les dirigeants de Moroni se gardent bien de légiférer sur la planification des naissances estimant que c'est l'affaire exclusive des couples ; ces derniers devront décider librement d'espacer les naissances en tenant compte de leurs conditions socio-économiques et de l'état de santé de la mère.

(A. Djabir, 1993, pp. 34-35)

Les conséquences démographiques de cet état de choses sont décrites par un rapport de l'UNESCO :

Avec un taux d'accroissement naturel de 2,7% par année, la population comorienne, en comptant l'île de Mayotte sous administration française, a atteint en 1990 plus de 630.000 habitants.

Ce taux actuel d'accroissement de 2,7% est évidemment préoccupant dans un pays au territoire restreint et aux ressources limitées, dont les trois quarts de la population vit d'une agriculture et d'une pêche peu rentables.

3. UNE ECONOMIE PEU PERFORMANTE

Si la culture vivrière couvre relativement les besoins alimentaires à Madagascar (malgré un certain déficit de riz de consommation depuis 1990).

Elle demeure très insuffisante aux îles Comores, en raison à la fois du surpeuplement et de la priorité donnée aux cultures industrielles. Les Comores doivent donc importer de grandes quantités de produits alimentaires, de Madagascar, d'Asie et d'Afrique oriental. Notamment en riz et en zébus.

La contribution de l'agriculture à l'économie comorienne est significative en terme de formation du PIB, d'emploies, de satisfaction des besoins de base et de recettes d'exportations.

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« Les écarts de prix des produits agricoles entre les îles de nature à favoriser les échanges et la spécialisation. Sans entrave au commerce, cette situation devrait bénéficier aux consommateurs ».Le pays dispose d'une stratégie agricole opérationnelle. On dénombre entre 40 000 et 50 000 exploitation agricoles inégalement reparties (voir figure suivant).

Figure n°2 : Les exploitations agricoles en union des Comores

Source : Ministère du plan et de l'aménagement du Territoire. Moroni 2005.

Etant donné que 65% de la population vivent en milieu rural ; dépendent directement de la terre et de la pêche pour subvenir à leurs besoins quotidiens. La croissance démographique ne fait que peser de plus en plus lourdement sur la densité de la population, qui en 2006 s'élevait à 358 hab. / km 2.

La situation est encore plus grave si l'on compare la densité par rapport à la surface agricole utile (terres cultivables, plus pâturages). Seulement 41,5% de la superficie totale des îles sont des terres cultivables. Ce qui donne une très forte densité de 947 hab. / km 2 de terre arable. Tableau n°7 : Importance du secteur primaire dans la population active

Population Population active Population secteur 1 er Pourcentage Grande Comores 351 808 89348 36025 40,31% Anjouan 275 377 75674 44 146 58,33% Mohéli 36628 9308 5318 57,13% Total 663 813 174331 85 488 49% Source : profil environnemental de l'Union des Comores Année: 1996.

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Les principales cultures vivrières restent : le manioc, le maïs, la patate douce, la banane, les légumineuses et les noix de coco. Tandis que les principales cultures de rapport sont : la vanille, les clous de girofle, l'ylang-ylang et la basilic. L'élevage est quasi-inexistant.

La pêche reste artisanale, en raison de 13 000 tonnes (estimation 2000).

L'économie comorienne est très fragile. II est basé essentiellement l'exploitation sur les produits de rentes (vanille, girofle, ylang-ylang). Environs 95% de la valeur des exportations nationales sont générés par ces trois produits. Or la production de ces cultures fluctue d'une année à une autre, en raison des techniques de production et des cours mondiaux.

Cela a des répercussions sur les recettes d'exportation, la balance commerciale et les revenus des producteurs.

Entre 2001 et 2003, la part des produits agricoles (essentiellement les produits de rente) dans les exportations a varié entre 91 et 96% en volume et entre 97 et 98% en valeur. La vanille dont le volume des exportations varie entre 9 et 3% des exportations dans la même période représente une proposition en valeur variant entre 59 et 78% des exportations.

Le tableau ci-dessus présente des précisions : Tableau n°8 : Part respective des produits agricoles et non agricoles dans les exportations en million de FC et en %

1999 2000 2001 2002 2003

MFC % MFC % MFC % MFC % MFC %

Total production 38971 41% 42029 41% 44511 41% 54047 41% 53758 41% agricole

Production non 56333 59% 60752 59% 64340 59% 77776 59% 77359 59% agricole

TOTAL 95304 100% 102781 100% 108851 100% 131823 100% 131117 100%

Source : profil environnemental de l'Union des Comores

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Le secteur agricole des Comores représente 41% du taux intérieur brut (PIB) ; fournit plus de 95% des recettes d'exportation, occupe 71% de la population active et couvre 60% des besoins énergétiques.

C'est donc de l'agriculture que dépend la réduction du déficit de la balance commerciale qui s'est aggravé de manière permanente depuis les années soixante.

C'est d'elle que dépend la réduction de la pauvreté et la sécurité alimentaire.

L'agriculture avec le tourisme reste les principaux leviers du développement économique des Comores.

Bien que l'agriculture soit l'unique ressource économique du pays : plus de la moitié de nourriture des Comores doit être importé. L’Archipel ne survit que grâce à une aide internationale de plus en plus réticente et aux envois d'une diaspora ; importante à la Réunion, en France, et à Madagascar.

II. LA PROXIMITE DU NORDNORD----NORDNORDNORD----OUESTOUEST ET NORDNORD----OUESTOUEST MALGACHE : LA PUISSANCE D’ATTD’ATTRACTIONRACTION DE MAJUNGMAJUNGA.A.A.A.

1. LE NORD-OUEST MALGACHE ET LES COMORES : UNE SEULE REGION CLIMATIQUE

La proximité géographique a engendrée de part et d'autre un climat presque semblable (voir graphique n°2) . Madagascar et les Comores, se localisent sur la même zone climatique. Ils ont tous les deux un climat tropical humide ; caractérisé par deux grandes saisons : une saison chaude et humide (été austral) et une saison sèche et fraîche (hiver austral). Pour les Comores : le climat est sous influence océanique. Tandis que Madagascar, vu sa continentalité ; plusieurs microclimats le distingue : - Au sud, le tropique de capricorne qui passe au niveau de la ville de Tuléar ; engendre sur cette région un climat sub- désertique. - A l'Ouest, vu l'abondance pluviométrique ; on rencontre un climat de type sub- équatorial. - Tandis que au centre, sur les hautes terres ; le climat est tempéré. L'influence du relief fait que la région connaît un climat tropical d'altitude. - C'est seulement dans le Nord- Ouest Malgache qu'on retrouve un climat tropical typique comme aux îles Comores.

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Figure n°3 : Diagramme ombothérmique de Wani (Aéroport d’Anjouan). Selon la formule de Gaussen P=2T.

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Figure n°4 : Diagramme ombothérmique de la station de Majunga en 1999 (selon la Formule de Gaussen P = 2T)

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A Majunga comme aux Comores ; le climat est caractérisé par de grandes variations locales en relation avec l'exposition aux vents dominants et l'altitude.

Pendant l'été austral, de novembre à avril : La saison est chaude et humide. La pluviométrie est importante, maximale de décembre à mars. Les températures moyennes variant entre 25 et 27,8°C et des vents de mousson de secteur Nord à Nord- Ouest Variables et faibles en général mais plus fort en janvier et février, mois le plus chaud (voir croquis suivant)

La pluviométrie moyenne est comprise entre 1500 et 3000 mm. Aussi bien à Majunga comme aux Comores.

Croquis n°6 : Un exemple de type de temps de saison chaude

Source : Géographie des Comores (p.31)

Le C.I.T (zone de convergence intertropicale) est légèrement au sud des Comores. L’archipel est exposé à la mousson vent du Nord-Ouest à Sud-est.

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La masse d’air équatorial est constituée par un air chaud et très humide (entre 75 et 80% d’humidité relative) qui engendre durant l’été austral la mousson sur l’archipel et le nord-ouest malgache

Le contact entre l'air tropical maritime indien et l'air équatorial est marqué par le front intertropical, appelé aussi « zone de convergence intertropicale », ou C.I.T. Durant l'hiver austral (de mai à octobre), la C.I.T. se place très au nord, au-delà de l'équateur. Par contre, durant l'été austral (de novembre à avril), elle peut traverser les Comores, ou même se situer momentanément plus au sud, créant un temps instable et pluvieux. C'est le long de la zone de convergence intertropicale que prennent naissance les dépressions intertropicales ou cyclones qui, se dirigeant d'est en ouest, peuvent atteindre en cette saison les Comores.

Pendant l’hiver austral, mai à octobre, on remarque une remontée vers le nord de la zone de convergence intertropicale. Et tout le Nord-Ouest Malgache ainsi que l'archipel des Comores sont sous l'influence de l'alizé. Lorsque l'alizé souffle du sud-est (fréquent surtout en juillet, août et septembre), l’air frais, en partie assécher par le passage sur Madagascar, donne un beau temps avec faible instabilité orageuse. Par alizé de secteur sud (fréquent surtout en mai, juin et juillet), il peut se produire une baisse notable de la température et quelques pluies car il s'agit d'air demeuré relativement humide sur le sud du Canal de Mozambique. Un troisième type de temps hivernal est caractérisé par des hautes pressions sur Madagascar et les Comores, donnant un régime de vent faible et un beau temps peu nuageux.

Le temps est déterminé par la position de la zone de convergence intertropicale (C.I.T.). Si la C.I.T. se maintient au nord de l'archipel, le régime d'alizé peut s'étendre jusque sur les Comores comme en saison fraîche. Mais, en général, la descente de la C.I.T; sur l'archipel ou plus au sud expose les îles Comores et le Nord-Ouest Malgaches à la mousson.

Pendant l’hiver austral (mai à octobre), la saison est sèche et fraîche. Les températures moyennes varient entre 23 et 25°C, des vents ( alizés) de Sud- Est soufflent, renforcés de mai à Août (mois le plus frais) par des courants locaux de secteur Sud- Ouest qui viennent du canal de Mozambique.

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D'une manière générale, il existe peu d'écarts de température dans les moyennes observées entre le mois le plus chaud et le mois le plus frais (de 3 à 4°C). Il faut cependant prendre en considération la diminution de température en fonction de l'altitude. Il est généralement admis que les diminutions sont de l'ordre de 0,6°C en moyenne par 100m.

De ce fait : en hiver austral ; les températures peuvent descendre jusqu'à 14 et 15°C sur les hauteurs.

Ses vents (la mousson et l’alizé) qui ont toujours facilités la navigation sur cette bande étroite du Canal de Mozambique ; sont aussi renforcés par deux grands courant locaux. (Voir croquis n°7) D’un coté on a les courants chauds des Aiguilles qui se déplacent à moins d’un demi- mille marin à l’heure. Ont les appellent plutôt « des dérivés », à cause de la déviation de son trajectoire.

Ils sont de direction Nord-Sud en passant par le canal de Mozambique. Ses courants partent de l’équateur vers le pôle Sud. De l’autre, on a les courants des Açores, qui sont des courants froids et qui partent du pôle Sud vers l’équateur. C’est d’ailleurs en faisant allusion à ses deux courants que Hubert Deschamps à écrit : « Avec l’Afrique voisine de 400 km en moyenne, avec le relais des îles Comores, les communications ne présentent pas de difficultés. Les courants sont variables sans doute, mais trop faible pour s’opposer à la navigation ». Mais comme ses courants sont « trop faibles », en s’affrontant sur la pointe Nord – Ouest Malgache et au niveau des îles Comores : Ses courants favorisent bien le trafic maritime au lieu de la contraindre. La mer est donc belle, sur cette partie Nord – Ouest Malgache où se situent justement les îles Comores. Ses courants permanents continuent d’exercer une très grande influence sur la navigation. Les marins comoriens et malgaches connaissent bien l’existence de ses deux courants. Les boutres comoriens continuent de suivrent la trajectoire de ses courants pour relier la Grande île. On peut imaginer également que dans le temps, les incursions Malgaches aux Comores ont été facilitées par ses grands courants permanents.

Tous ses analogies : le climat commun, la proximité spatiale… vont influencer beaucoup de Comoriens d’émigrer à Madagascar. Majunga avec ses terres vierges, ses baiboho, sa faible densité et ses potentialités économiques font de ce pays un « Far West »qui attire de nombreux migrants et des immigrants aux nationalités diverses.

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Croquis n°7 : Courants marins permanents du Sud-ouest de l’Océan Indien

Majunga

Courants marins chauds des Aiguilles

ECHELLECourants marins froids des Açores Source : Auteur 0 300Km Echelle :

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CHAPITRE IV : L’IMBRICATION DE L’HISTOIRE DES DEUX PAYS

A partir du IX ème siècle, dans le cadre de la civilisation swahili, les Comores servaient d’escale et il y a peuplement à la fois des Comores et du Nord de Madagascar. Les relations entre les Comores et Madagascar sont donc très anciennes.

I.I.I.DESI. DES RELATIONS ANCIENANCIENNESNES COMPLEXES ET IMPIMPORTANTESORTANTES

1. DES GRANDS COURANTS COMMERCIAUX VIEUX DE 3 SIECLES.

Vers le XVIII – XIX ème siècle, quatre grands courants commerciaux s'établirent :

- Avec l'Afrique de l'est, les Comores vendaient des noix de coco, du coprah préparé, de l'huile, du bétail (cabris), des armes (et de la poudre) ; des écailles de tortue, des toileries, de la mousseline d'Inde. Ils importaient des perles, de la nacre, de l'ivoire, des peaux de rhinocéros, des épices (poivre), du café, du savon.

- Avec l'Inde, surtout avec Mascate, les boutes comoriens exportaient armes, esclaves et ramenaient dattes, de l'eau de la source Zem-Zem et surtout du sel qui allait servir comme monnaie d'échange jusqu'en 1890.

- Avec les Malgaches, des relations privilégiées existaient entre les ports Antalaotra de Madagascar et les Comores, en particulier dans la baie de Boeni (le vieux Mahajanga). Les Comores exportaient des effets de traite et importaient de bétails, du riz, des peaux et des petites chaînes en or et en argent fabriquées par les Hova.

Le développement de la communauté Comorienne se fera surtout à partir de la création de la ligne de navigation des Messageries maritimes qui avait pour escale Tamatave -Diego - Majunga puis les Comores ; vice-versa. Les Comoriens s'établirent dans la grande Ile et se mêlèrent aux Malgaches.

Déjà tout au début de la colonisation, quelques Comoriens étaient enregistrés par l'administration française de Majunga. La notice sur Majunga de l'Annuaire de Madagascar et dépendances pour l'année 1899 donne, après la liste des fonctionnaires, une «liste des colons », classés par origines, avec indication de leur profession, la liste énumère, dans l'ordre les Français (123), Allemand (1), Anglais (1), Autrichien (1), Italien (1), Hollandais (2), Mauricien (1), Grecs (17), Egyptien (1), Indiens (50), Chinois (2), puis, enfin de liste, les Anjouanais (12), et les «Africains» (7). A cette

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époque, en effet, les Anjouanais et les Africains n'étaient pas encore pour l'administration coloniale des « indigènes », mais ils étaient assimilés (quoiqu'on dernière position) aux « colons ».

Anjouanais: Abdallah Alana, bijoutier ; Ali Mafota, commerçant ; Allaou Cheïr, boucher ; Amady Moussa, transports par mer ; Amadi Soali, commerçant ; Amady Oussem, commerçant ; Chaibou, marchand de bois ; Dahodo, marchad de bœufs ; Djamadary, marchad de bœufs ; Fondy Amissi, bijoutier ; Mary Oussemy, épicier ; Salmon, transports par mer.

2. MAINMISE HISTORIQUE SUR LES COMORES AU XIX SIECLE.

Le XIX ème siècle ne fut pas favorable aux Comoriens, puisqu'ils subirent deux agressions extérieures, les invasions Malgaches (1790), puis le protectorat (1886).

2.1. LES INVASIONS MALGACHES

Entre 1790 et 1810, les invasions Malgaches déstabilisèrent les échanges commerciaux. Celle-ci fut une conséquence du système de la traite des esclaves demandés pour les plantations de Mascareignes. Ces invasions malgaches, beaucoup plus dévastatrices que les guerres épisodiques entre les Sultans, poussaient ces derniers à rechercher la protection des grandes puissances. En avril 1804, le sultan d'Anjouan, Abdallah, vint lui-même à Bombay pour obtenir des Anglais des armes et des munitions. Quelques années plus tard, Sir Farquhar, gouverneur de Maurice, intervint auprès de Radama I er , pour qu’ils fissent cesser les actes de pirateries en vertu du traité du 23 octobre dont l'article 4 stipule : Les parties contractantes conviennent de protéger mutuellement le roi d'Anjouan(…). (R. Decary, 1951, p. 22) En même temps, Radama Ier fit la déclaration suivante à ses sujets : Habitants de Madagascar, on a coutume chaque année d'attaquer le Sultan d'Anjouan et les îles Comores (...).Nous nous joignons aujourd’hui à notre excellent ami, le Gouverneur de Maurice pour défendre toute inimitié contre le roi ou les habitants de l’archipel des Comores. (Ibid)

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Mais ces dispositions demeurèrent lettre morte car à cette époque Radama, malgré le titre de "roi de Madagascar" que lui accordaient officiellement les Anglais en échange de sa renonciation à la traite des esclaves, n'exerce de pouvoir effectif ni sur les Sakalava contre lesquels il envisageait d'entreprendre une guerre, ni sur les Betsimisaraka de la côte orientale d'où partaient essentiellement les pirates. Donc, les razzias des Malgaches aux Comores se faisaient sentir encore longtemps. Les anciennes relations entre Madagascar et les Comores furent aussi marquées par l'installation de nombreux Malgaches, notamment des Sakalava dans l'archipel comme le souligne A. Gevrey : A plusieurs reprises, on notait des migrations pacifiques en provenance de la Grande Ile vers les Comores. Mais une des premières connues remonte au début du XVI e siècle(…) D'autres vagues, plus ou moins importantes, déferlaient maintes fois au cours des siècles suivants, on peut les attribuer aux guerres incessantes et sans merci que se faisaient les peuplades de Madagascar. (A. Gevrey, 1870, p. 80) Ces migrations sont les conséquences des guerres internes aux Malgaches et ce sont les vaincus qui sont allées se réfugier aux Comores.L'histoire de l’archipel a gardé le souvenir précis de deux noms, ceux du prince Ramanetaka et du roi Andriantsoly qui ont pris respectivement le pouvoir à Mohéli et à Mayotte, îles qu'ils ont tenues sous leur domination pendant plusieurs années. Le prince Ramanetaka était apparu sur la scène politique malgache en 1824 quand son cousin, Radama Ier , poursuivant son œuvre d'unification de la Grande Ile, lui avait confié le commandement d'un contingent engagé dans la conquête du Boina. Ramanetaka, en compagnie du sergent britannique James Hastie, avait pris possession de Majunga au nom de Radama. Ramanetaka devint donc gouverneur de Majunga et du district de Bombetoka. Le 28 Juillet 1828, Radama s'éteignit dans son palais de Tananarive. Les intrigues de la Cour se déchaînèrent et l'héritier présomptif, le prince Rakotobe, neveu du roi défunt, fut évincé de la succession au profit de la première femme de Radama, Ramavo, qui prit le nom de Ranavalona I ere . La nouvelle reine de l'Imerina organisa aussitôt le massacre systématique de la parentèle du souverain défunt dans le but de consolider son pouvoir. Ramanetaka savait qu'il était désigné à la vindicte de la reine et de ses comparses. Ayant compris le sort qui l'attendait, Ramanetaka, maître d'une importante province côtière, fit embarquer sa famille, son entourage et ses biens à bord d'un boutre et fit voile vers les Comores. En septembre 1828, Ramanetaka débarqua à Mutsamudu et sollicita l'hospitalité

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du sultan d'Anjouan, Abdallah. Ramanetaka et sa suite ont été autorisés à s'établir à Mohéli qui demeurait sous la souveraineté du Sultan d'Anjouan. Mais l'ancien gouverneur de Bombetoka ne se comportait pas avec la discrétion qui sied à un réfugié politique. Ramanetaka tira profit de son séjour pour provoquer une insurrection contre la tutelle anjouanaise, insurrection au cours de laquelle il se proclama roi de Mohéli en février 1832. Pour rallier à sa cause la partie des habitants demeurés réfractaires, Ramanetaka se convertit à l'islam prenant le nom de sultan Abderrahman. Il mourut en mars 1841. Au sultan Aberrahman succéda sa fille Djoumbe Fatima(1841-1878) 13 . En juillet 1822, Tsolovola (Andriantsoly), âgé de 23 ans, accéda au trône du royaume sakalava du Boina. Inquiet du progrès du roi merina, Radama Ier , qui convoitait un accès à la mer, Tsolovola songeait à se ménager une terre d'asile en cas de défaite. Aussitôt après, Tsolovola signa avec Amadi, sultan de Mayotte, un pacte d'assistance mutuelle aux termes duquel ils s'engageaient, dans le cas où l'un de leurs royaumes serait envahi, à partager équitablement les territoires qui auraient été préservés. De plus, ils décidèrent que si l'un d'eux mourrait sans descendance, ses Etats reviendraient en totalité au survivant. En 1823, Tsolovola se convertit à l'islam sous l'influence des Antalaotra et prit le nom d'Andriantsoly (Le Converti) 14 Cette conversion avait eu pour effet d'améliorer les relations commerciales de son royaume avec les marchands arabes et de renforcer ses liens avec les Sultans des Comores, plus particulièrement celui de Mayotte. Battu à deux reprises (1824 et 1825) par le roi merina Radama Ier , Andriantsoly s'embarqua en avril 1826 pour se rendre à Mayotte, mais son boutre manqua l'île comorienne et ne reconnut la terre qu'à la côte orientale d'Afrique. Andriantsoly se réfugia alors à Zanzibar et lorsqu'il a pris connaissance du décès de Radama Ier survenu en 1828, il revint aussitôt à Madagascar pour entreprendre la reconstitution du royaume Boina. Mais l'esprit belliqueux d'Andriantsoly et surtout sa conversion à l'islam, qui faisait de lui roi des Antalaotra plutôt que des Sakalava, le rendait très impopulaire. Les principaux chefs sakalava furent ainsi amener à prononcer sa déchéance et à élire sa sœur Oantitsy sur le trône du Boina. Le roi déchu, réduit à quelques centaines de partisans, partit avec eux pour Mayotte où il arriva le 15 juillet 1832. 15

13 J.Martin, 1983, t. l,pp. 126-131 et 265. 14 M. Rasoamiaramanana, 1984, p. 41. 15 Martin, 1983, t. 1, pp. 132-134. Cet auteur donne pour premier nom au roi sakalava : Tse Levalou (alors que M. Rasoamiaramanana l'écrit Tsolovola).

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Le jeune sultan Boina Combo, fidèle aux accords signés entre son père Amadi et Andriantsoly, abandonna à ce dernier la partie sud de son île. Mais l’entente entre ces deux personnages n'avait pas duré longtemps. Les habitants de Mayotte supportaient mal les excès et les vexations des guerriers qu'Andriantsoly avait amenés avec lui. De plus, les Mahorais ne pouvaient pas oublier que ces mêmes guerriers étaient les habituels envahisseurs de leur île. Profitant de ces querelles et de l'avantage que lui donnaient des troupes exercées à la guerre, Andriantsoly eut tôt fait de chasser Boina Combo (celui-ci se réfugia à Mohéli où régnait l'Andriana Ramanetaka, ennemi juré d'Andriantsoly) et de se proclamer sultan de Mayotte. Le 25 avril 1841, le sultan Andriantsoly vendit l'île de Mayotte au commandant Passot de la marine française contre une rente viagère de 1000 piastres. Andriantsoly, dernier sultan d'une île sur laquelle il n'avait, en somme, aucun droit légitime, mourut le 26 septembre 1845 en laissant treize enfants. Son tombeau se trouve à la pointe Mahabou, à Mayotte, face à l'îlot de Dzaoudzi. Bref, les Malgaches, plus particulièrement les Sakalava qui se sont installés jadis à Mayotte ont contribué à la formation de la population de l'île. A. Gevrey écrit qu'à la fin de 1843, l'île comorienne de Mayotte comptait 600 Sakalava sur une population totale estimée à 3300 habitants dont 700 Arabes, 500 Mahorais et 1500 esclaves 1. La langue locale, le shimaore, comporte aussi de nombreux mots sakalava, un témoignage de l'installation ancienne d'une population malgache.. Ses invasions se traduisirent par le repli des villes sur elles-mêmes. Les îles ravagées et dépeuplées acceptent la tutelle coloniale française installée dès 1841 à Maoré, puis après 1886, dans les trois autres îles.

2.2. DU PROTOCTORAT A LA COLONISATION FRANÇAISE

Parlant du protectorat, J. Martin a écrit : « l'installation de ces agents peut être menée à bien sans grande difficulté à la grande Comores et à Mohéli. Les princes régnants sur ces deux îles n'étaient que trop heureux de voir un représentant de la France venir cautionner en quelque sorte leur pouvoir chancelant ». En 1912, l'Archipel a été rattaché totalement à Madagascar. Situation que P.Vérin résume par l’expression paradoxale de « colonie d’une colonie » Ainsi entre 1912 à 1946, les Comores étaient administrés comme une province éloignée et difficile d'accès.

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Le choix des Comoriens en faveur de Madagascar n'est pas un fruit du hasard. En dépit de la faiblesse et l'insuffisance des ressources des Comoriens, le prix du voyage, entre les deux pays, était peu élevé, ce qui incitait les immigrés à y affluer.

De plus, la politique menée par la France pour empêcher les nombreux Comoriens qui partaient pour Zanzibar a été significative.

Au début de la colonisation jusqu'à la deuxième décennies du XX ème siècle (1912). « Les Comoriens ont bénéficié des avantages sociaux, économiques et politiques … ». Quatre ans après l'annexion, les Comoriens sont très actifs dans le secteur tertiaire.

Il est utile de préciser que cette population se concentre essentiellement dans la province de Nosy-be avec un mouvement migratoire du Nord vers la plaine côtière de Mahajanga et Soalala.

Les tableaux suivants, présentent l'évolution démographique des Comoriens des provinces de Nosy-be et Mahajanga (1900-1910). Tableau n°9 : Les Comoriens entre la Grande Terre et Nosy Be Année Territoire militaire Effectifs des Comoriens 1900 Cercle de la grande terre 33 192 1904 Grande terre + Nosy Be 300 108 1910 Grande terre + Nosy Be 1430 Source : « liste des colons » in guide Annuaire de Madagascar ; 1900, P352 ; 1905, P 425 ; 1911, P 345. Tableau n°10 : Les Comoriens dans trois centres urbains de la province de Majunga

Effectifs des La population totale Proportion (%) Année Province de Majunga Comoriens (indigène2) des Comoriens

1904 Majunga 714 8998 7,93% Soalala 160 18 174 0,88% Marovoay 200 12156 1,64% TOTAL 1074 39328 2,73% Source : tableau des « 11 races ou tribus de la province de Majunga » in guide annuaire de Madagascar, 1905, P 442, archives nationales, Antananarivo.

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Tableau n°11 : Les étrangers et le Commerce local (Analalava et grande Ile)

Les étrangers commerçants Effectifs Proportion (%) Indiens 98 52,1%

Comoriens 67 35,65% Africains 07 3,75% Français 06 3,2% Egyptiens 05 2,7% Grecs 04 2,1% Chinois 01 0,5% Totaux 188 100% Source : « liste des colons » in guide Annuaire de Madagascar, 1900 Analalava, P 361 ; Grande Terre, P.364.

Pour donner une image de l'accroissement démographique des Comoriens du Nord-Ouest au début de la deuxième décennie du XXeme siècle, nous procédons à une étude quantitative, fondée sur la confrontation des sources. Selon H. Descamphs (1961, P 299) ; le nord ouest de Madagascar est peuplé par 6300 Comoriens en 1921, puis 14 000 en 1934. Ces chiffres montrent que dans un intervalle de 13 ans, la population comorienne a connue une croissance de 7700 âmes ; soit un accroissement de 122,2%.

Mais le tableau suivant nous indique que H. Descamps était loin de la réalité. Il y avait déjà 24 177 Comoriens en 1919 repartirent sur les trois provinces du Nord Ouest au lieu de 6300. Avec une proportion de plus de 85% pour la seule province de Majunga. Tableau n°12 : Les Comoriens dans trois provinces du Nord et Nord Ouest Provinces Comoriens Proportion (%) par rapport au total

Majunga 20715 85,7% Diégo-Suarez 2314 9,6%

Nosy Be 1148 4,7% Total 24177 100%

Source : Erreur ! Tableau récapitulatif de la population étrangère en 1919, Comoriens, folio (00039), Archives Nationales, Antananarivo.

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Les immigrés Comoriens se sont dispersés dans la grande Ile. Mais ils se sont concentrés principalement dans six villes qui rassemblaient à elles seules 82,3% de ces immigrés : Tamatave, Ambilobe, Diego Suarez, Tananarive, Nosy Be et Majunga. Sur cette population, 75% étaient installés à Majunga. Ces villes constituaient les zones de refuge des Comoriens, car ces immigrés recherchaient du travail, à l'exception d'un certain nombre qui faisaient leurs études dans les différentes établissements (publics ou privés) de Madagascar dans les années 1960.(voir croquis n°8) Tableau n°13 : Répartition des Comoriens par provinces à Madagascar en 1960

Province Nombre %

Majunga 32 951 66,84%

Diégo Suarez 13 250 26,87%

Tananarive 1045 2,11%

Tamatave 1024 2,07%

Tuléar 899 1,82%

Fianarantsoa 125 0,25%

TOTAL 49 298 100%

Source : J. GUERIN, 1961, P. 83

Les deux provinces du nord-ouest groupaient ensemble 46 199 Comoriens, soit 92% des Comoriens de Madagascar. Cette population comorienne était largement concentrée dans les grands centres urbains. Les villes préférées sont Majunga, Diégo- Suarez et Nosy Be. La ville de Majunga avait joué un rôle primordial. La primauté de Majunga tenait sans doute au fait que son port (qui est d'ailleurs le plus grand port du nord-ouest, donc le deuxième port de Madagascar après celui de Tamatave dans le côte est) fut longtemps le premier point d'arrivée des Comoriens.

Au recensement de 1959, les Comoriens constituaient déjà plus du tiers de la population majungaise, alors chiffrée à 34 119 habitants. En 1964, alors que la ville comptait 43 000 habitants, les responsables municipaux estimaient les Comoriens à 26 000.

(P. Le Bourdiec, p.44)

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La ville de Majunga constituait une étape intermédiaire pour bon nombre de Comoriens qui venaient chercher du travail à Madagascar :

En 1962, G. Donque signalait déjà que 25% des Comoriens de Tananarive avaient vécu en moyenne quatre années à Majunga avant de s'installer dans la capitale.

(Ibid, p.46)

Les chiffres de Le Bourdiec, une décennie plus tard, montrent une certaine évolution : Tableau n°14 : Répartition des Comoriens par province à Madagascar en 1972 Province Nombre % Majunga 19459 44,69 Diégo-Suarez 18393 42,24 Tananarive 3297 7,5 Tamatave 901 2 Fianarantsoa 380 0,87 Tuléar 1180 2,7 Total 43540 100% Source : P. Le Bourdiec, 1978, p. 45.

Entre ces deux dates, la population comorienne à Madagascar a diminué de 5 889 personnes, mais c'est la province de Majunga qui a perdu le plus grand nombre d'habitants comoriens (13.492), alors que toutes les autres provinces ont vu augmenter, modérément ou fortement leur population comorienne. On peut se demander ce qui explique une telle évolution. La tension entre Comoriens et Malgaches, perceptible dans la ville, et qui a mené à un incident (dont je reparlerai) en 1971, a-t-elle pu encourager déjà des départs ? Certains témoins parlent de problèmes d'emploi, ou du départ des Vazaha (les Européens, souvent employeurs). Les chiffres ne portent pas sur la ville de Majunga, mais sur la province entière, et selon certains, c'est dans les petites villes de l'intérieur, plutôt qu'à Majunga, que la population comorienne a commencé à diminuer. Pour répondre à cette régression de la population comorienne à Madagascar, nous allons essayer d’analyser le phénomène de leur baissement en décembre 1976.

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II. LA RUPTURE DE DEDECEMBRECEMBRE 1976

1. CONTEXTE POLITIQUE

Il convient de rappeler que pendant 34 ans, c'est-à-dire de 19l2 à 1946, l'archipel des Comores a été juridiquement rattaché à la colonie de Madagascar dont il était une dépendance. De ce fait, les Comoriens de Madagascar étaient soumis au même statut que les Malgaches, celui d'indigène. Durant l’insurrection de 1947. L’administration française recruta des Comoriens, sur le loyalisme desquels elle comptait, pour assurer les services de police et de sécurité. D'après les mêmes sources, il s'avère que l'opinion malgache avait sévèrement condamné l'attitude des agents de police Comoriens, qui se sont faits les exécutants ou complices, parfois contre leur gré, de la répression sanglante du colonialisme qui a fait périr beaucoup de Malgaches. Il semble que la dégradation des rapports entre les Malgaches et les Comoriens date de cette époque de nationalisme malgache, et pourtant la colonie comorienne est restée très importante à Madagascar, notamment à Majunga.

Cependant, on doit noter que certains Comoriens ont milité au sein du M.D.R.M. (Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache), parti créé à Paris le 2 janvier 1946 par les députés Ravoahangy, Rabemananjara et Raseta, et _même se sont ralliés aux insurgés. Nous citerons, entre autres, Mongomory Ben Mohossini. En effet, Mongomory Ben Mohossini est né vers 1901 à Ntsaoueni dans la sous-préfecture de (au nord de la Grande-Comore). Il est venu à Madagascar vers 1920. Il s'installa d'abord à Soalala (dans la province de Majunga) où il exerça la fonction de commerçant. A partir de 1929, Mongomory résidait à Mananjary, dans le sud-est de Madagascar. A Mananjary, Mongomory était à la fois concessionnaire et maître coranique. Mongomory était un membre dirigeant du M.D.R.M. dans le sud-est et lors de l'insurrection de 1947, il a été considéré comme le chef de file des insurgés dans cette région. Mongomory fut incarcéré en avril 1947. Il a été libéré à la fin de l'année 1949. Mongomory fut par la suite un membre fondateur de l'A.K.F.M. ("Parti du Congrès de l'Indépendance de Madagascar"). Mongomory est décédé le 25 mai 1960 à Majunga laissant 7 enfants qu'il avait eus avec une femme antaimoro de Vohipeno. (Source : enquête faite à Majunga, le 10 mars 2006 auprès de son fils, cadre dans une Banque.)

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Il convient d'ajouter que, sans avoir nullement participé à l'insurrection elle- même, d'autres Comoriens, qui résidaient dans diverses régions de Madagascar, furent arrêtés et persécutés pour leur appartenance au parti M.D.R.M. (Sur cette question, v. N. J. Gueunier et F. Fanony, 1997.)

« C’est lorsque le corps social se trouve en difficulté qu’il rejette ».A partir du 24 octobre 1958, les relations d'entente et de bon voisinage qui entretenaient les deux pays prirent un autre aspect. Les immigrés Comoriens étaient considérés comme des étrangers. Mais grâce au statut de TOM (Territoire d'Outre Mer) des Comores, ils bénéficiaient certains privilèges dans la grande Ile.

Le 27 Juin 1960, Madagascar et la France avaient signé des accords lesquels attribuaient aux Comoriens des droits comparables à ceux des Malgaches. Ainsi participaient-ils à la vie politique. A Majunga, la communauté Comorienne constituait une clientèle électorale importante. Mais, conscientes du danger que pouvait présenter la participation des Comoriens aux élections Malgaches, les autorités prirent des mesures selon lesquelles les nationaux français n'avaient accès qu'aux élections municipales.

C'est ainsi que le PSD (Parti Social Démocrate) de Philibert Tsiranana, remporte les élections municipales de Majunga, contre le parti d'opposition « AKFM » de tendance marxiste. Philibert Tsiranana reconnaissait la présence des Comoriens dans la République Malgache par le fait qu'il gardait les meilleures relations avec la France. Il aimait souvent à dire que la communauté comorienne à Madagascar représentait «la dix neuvième tribu malgache ».

Jusqu'à sa chute, les Comoriens ont soutenu le président Tsiranana. Il n'y eut d'ailleurs, pendant la Première République malgache, aucun affrontement vraiment sérieux entre les deux communautés (malgré les incidents significatifs de certaines tensions, dont nous allons en parler un peu plus loin). Cependant, un sentiment d'insécurité s'est installé chez les Comoriens (à l'instar des autres minorités étrangères résidant à Madagascar) à la suite des événements de mai 1972 qui ont provoqué le changement du gouvernement malgache avec une orientation socialiste du régime. De plus, il s'en est suivi des mesures de malgachisation des emplois qui ont créé un clivage profond entre les Comoriens et les Malgaches.

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2. LE DECLENCHEMENT DU MASSACRE

Le déclenchement du massacre, le lundi 20 décembre 1976, est bien caractéristique des incompréhensions et des préjugés entre ethnies. D'après les sources orales, le récit entendu est pratiquement toujours le même, avec toutefois des variantes notables. Selon une première version, dans le quartier de Fifio où cohabitaient Malgaches et Comoriens, un petit garçon Betsirebaka aurait fait ses besoins dans la cour, ou devant la porte, de ses voisins Comoriens. Un membre de la famille comorienne se serait saisi de l'enfant et lui aurait barbouillé la figure de ses excréments. Une seconde version relate au contraire les faits d'une manière atténuée : le comorien aurait, obligé l'enfant malgache à enlever sa saleté. Enfin, il a été avancé (troisième version) que le comorien aurait pris les excréments de l'enfant malgache pour les jeter dans la cour de ses voisins Malgaches. Compte tenu de l'antagonisme malgacho-comorien qui couvait depuis longtemps, il nous a paru nécessaire de mettre en exergue autant que possible toutes les versions qu’on a recueillies sur le terrain, car la récupération et l'exploitation d'un malheureux fait divers peuvent aussi servir de courroie de transmission pour exacerber une antipathie déjà à fleur de peau. Ces trois versions (à notre connaissance il n'en existe pas d'autres) mettent en scène une dispute - bien caractéristique de l'atmosphère urbaine décrite plus haut - entre deux familles, l'une malgache et l'autre comorienne, dispute qui porte précisément sur des souillures ayant entraîné la cause immédiate du massacre. Il faut souligner que chez les Betsirebaka, la souillure constitue une atteinte grave à leur groupe mais aussi aux razana (ancêtres). En d'autres termes, la souillure exclut du cimetière ancestral la victime et ses descendants. Comme cette souillure n'est pas anodine, il faut sacrifier un ou plusieurs zébus en guise de réparation. Il faut aussi recourir à un rituel de purification compliqué comportant un bain avec de l'eau dans laquelle on doit plonger un objet en or ou en argent (liquide qui est censé posséder des vertus puissantes, et qu'on n'utilise que dans des circonstances exceptionnelles). Faute d'entente, les deux familles en conflit se sont rendues au commissariat de police de Mahabibo, pour se plaindre toutes les deux. La famille malgache voulait naturellement obtenir une réparation de l'outrage subi, conformément aux traditions. En revanche, la plainte du comorien peut avoir une double signification. Tout d'abord, il se pourrait que le plaignant comorien était financièrement incapable de payer la

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purification estimant que les prétentions étaient exorbitantes. Ou bien, le plaignant comorien pouvait se targuer d'avoir raison pour avoir répondu au mépris par le mépris. Cette triste affaire se répandit à travers toute la ville comme une traînée de poudre, attisant le courroux des Betsirebaka qui nourrissaient déjà une antipathie envers les Comoriens. Les Betsirebaka ont alors investi le commissariat de police de Mahabibo. Ils exigeaient, vainement, qu'on leur livre le comorien fautif que la police avait gardé sous sa protection. Dans ce climat d'incompréhension, les Betsirebaka ont spontanément manifesté leur fureur en se mettant à jeter des pierres sur le commissariat ; ensuite ils se sont dirigés vers l'Avenue des Comores, à côté de laquelle s'élève la grande mosquée comorienne du Vendredi. Pour se venger, les Betsirebaka ont jeté des morceaux de viande de porc dans la mosquée. Ce sacrilège est une riposte à l'affront fait à l'enfant, perçu comme une insulte infamante à l'honneur et à la mémoire sacrée des ancêtres des Betsirebaka. Devant cette profanation d'un lieu sacré, leur principal lieu de culte, les Comoriens ont réagi en lançant à leur tour des pierres contre les Betsirebaka. Ainsi, des échauffourées ont éclaté et elles ont marqué le début de l'émeute "inter-ethnique". Les services de maintien de l'ordre ont réussi, un temps, à séparer les deux groupes qui s'affrontaient, en usant des grenades lacrymogènes. On déplorait une centaine de blessés de part et d'autre. Les ambulances ont évacué les victimes à l'hôpital situé dans le quartier d'Androva. Il convient de souligner que la souillure, devenue ici la goutte qui fait déborder le vase, se règle normalement par une négociation où les notables de chaque communauté font office de médiateurs. Mais comme les deux protagonistes c'est-à-dire les Comoriens et les Betsirebaka se regardaient, depuis longtemps en chiens de faïence, il était extrêmement difficile de trouver un terrain d'entente. Seule une autorité d'envergure régionale, à savoir le préfet voire le chef du faritany, était habilitée à intervenir pour désamorcer les ardeurs de part et d'autre. Mais la suite de cette affaire de Majunga révélera qu'une solution négociée de ce type n'était même pas envisageable puisque les Betsirebaka bénéficieront de la complicité ou au moins de la passivité des services chargés du maintien de l'ordre.

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A l'issue de cette première journée d'affrontement, les autorités Malgaches semblent pourtant avoir pris leurs responsabilités pour circonscrire le danger. A cet effet, vers la fin de la journée, une voiture avec haut parleur avait circulé à travers la ville pour annoncer l'instauration du couvre-feu et la proclamation de l'état de siège sur toute l'étendue de la sous-préfecture de Majunga.

2.1. LE DEROULEMENT DU MASSACRE

Néanmoins, ces sommations se sont révélées sans effet et durant la nuit, les Betsirebaka attaquaient les quartiers où habitaient de nombreux Comoriens. Dès le lendemain matin, plus précisément le mardi 21 décembre, les meurtres des Comoriens se poursuivaient. Armés de haches, de coupe-coupe, de sagaies, de barres de fer, de frondes, les bourreaux pourchassaient les Comoriens dans les rues et dans leurs maisons. Ces bandes de tueurs circulaient, par groupe de 15 ou 20 parfois davantage le torse nu portant comme signe de reconnaissance un bandeau rouge autour de leur tête et criant : O mena ! O mena ! ("Oh rouge ! Oh rouge !"), suivis par les femmes portant des cailloux. Sous la menace ("Ou tu marches avec nous ou on te tue !"), ils embrigadaient des Malgaches appartenant à d'autres ethnies. Ces groupes déchaînés ont commis des exactions inouïes. Outre les exécutions sommaires (coup de hache que la victime reçoit mortellement sur la tête, etc.), des femmes ont été violées. Sous l'emprise de la violence, parfois ils faisaient souffrir leurs victimes en amputant progressivement leurs organes avant de les tuer. Ils tuaient aussi les Comoriens sous les yeux de leurs enfants, n'hésitant même pas à tuer les femmes enceintes. Le père Ralibera, recule devant l'idée de raconter le détail de ces actes : [...] hélas ! il n'est que trop vrai qu'il y a eu des actes de barbarie, et le simple récit de ces actes est effroyable. Nous nous interdirions de les rapporter ici, même s'il n'y avait pas de censure. (R. Ralibera, et autres, 1977, texte en annexe VI, p. 43) Dans son rapport fait en 1977, Amnesty International a vivement condamné cette tragédie de Majunga de la façon suivante : Les droits de l'homme ont été bafoués pendant une période, en décembre 1976, (…) Le gouvernement malgache avance le chiffre de 120 morts, alors que les Comoriens annoncent officiellement 1.400 morts. (Amnesty International, rapport 1977, p. 62)

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Dans les différents quartiers de Majunga, les Malgaches avaient reçu l'instruction de marquer de leurs maisons d'un signe de reconnaissance (feuilles vertes accrochées à l'extérieur ou inscription indiquant sur les maisons l'appartenance ethnique de leurs occupants : Trano malagasy, ou aussi, selon les informations recueillies par Ralibera : Gasy, ou : Makoa) pour qu'elles ne soient pas confondues avec les maisons comoriennes. Certains Comoriens usant de ce subterfuge ont été dénoncés et tués froidement. Les bandes de tueurs ont parcouru systématiquement la ville de Majunga pour débusquer les Comoriens. Beaucoup de vieux qui ne pouvaient pas fuir ont été abattus. Continuant leur progression, ces commandos organisés ont débouché à Marolaka, quartier du port. Ils y ont surpris plusieurs Comoriens qui tentaient désespérément de s'embarquer dans un boutre pour trouver refuge à Katsepe, village de l'estuaire de la Betsiboka. Ils ont été tués et leurs corps ont été jetés à l'eau. En revanche, certains rescapés nous ont parlé avec émotion de leurs voisins qui les ont cachés le temps que passait la violence meurtrière. Ces Malgaches, au péril de leur vie, feignaient l'indifférence au passage des tueurs et, par leur sang froid, déjouaient leurs soupçons. Ce comportement courageux est loué comme celui du vrai djirani (malg. jirany), une notion bien caractéristique de la sociabilité de ces milieux urbains où se côtoient des gens d'origine différentes. Il eut aussi de nombreux actes de courage pour tenter de sauver les Comoriens ; c'était le cas de quelques familles indiennes et européennes qui tenaient en cachette dans leurs villas, au risque bien entendu de leur vie, leurs employés. Il convient, entre autres, de souligner que la traque des Comoriens avait entraîné des bavures. Certains Sakalava musulmans, pris à tort pour des Comoriens, furent massacrés. Cet amalgame résulte du fait que l'opinion publique malgache considérait et continue de .considérer l'islam comme étant une religion des étrangers. Le vocable silamo (musulman) était même utilisé pour désigner collectivement les Comoriens qui constituaient l'élément prédominant de la ville de Majunga. Ce stéréotype ethnique avait placé les musulmans malgaches qui côtoyaient les Comoriens dans une situation inextricable. C'est ainsi qu'un Malgache musulman devenait suspect du seul fait qu'il portait, évidemment, un nom musulman. Certains signes particuliers nourrissaient aussi le sentiment de suspicion : c'est le cas d'un musulman malgache dont le front laissait apparaître le cal indélébile sidjida, que les pieux musulmans acquièrent à force de se prosterner en posant le front sur le sol. Nombreux étaient les Sakalava musulmans qui

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ont fui de leurs maisons de peur d'être assimilés aux Comoriens ; ce fut le cas du dénommé Soyade 16 qui découvrit malencontreusement que la porte de la pièce où il couchait portait l'inscription suivante en dialecte majungais : Misy riziky anao Soyade anao tsy tojinay teto ("Tu as eu de la chance Soyade qu'on ne t'ait pas trouvé ici"). Ce fut également une chance pour d'autres musulmans malgaches qui s'étaient terrés chez eux d'avoir pu échapper de justesse à la mort après avoir été obligés d'exhiber leurs cartes d'identité malgaches en se justifiant comme suit : "II est tout à fait normal qu'un Silamo malagasy porte un nom musulman tout comme nos compatriotes chrétiens ont des noms bibliques." Au massacre s'ajoutèrent le pillage et l'incendie. Les habitations des Comoriens ont été systématiquement incendiées après les pillages. Le pétrole et l'essence, pris naturellement aux stations-service ont servi à embraser en grande partie les quartiers populaires. Plusieurs familles périrent brûlées vives au milieu des flammes. Parallèlement la plupart des mosquées comoriennes ont été souillées et profanées. Les témoins nous ont cité entre autres la mosquée de Tsaramandroso où on avait jeté un chien abattu dans le bassin des ablutions. Ensuite, le Coran était piétiné, profanation révoltante de la parole de Dieu. Il s'en est suivi une destruction de certaines mosquées, surtout celles qui étaient construites en tôles. Les émeutiers avaient emporté tout ce qui était récupérable (tôles, tapis-, pendules, etc.). Parmi les mosquées saccagées, au nombre de cinq, quatre se trouvaient à Tsararano. Offrant un spectacle de désolation, ce quartier si sinistré est pratiquement le seul où on ne trouve pas des Comoriens actuellement. Face à cette calamité, le gouvernement de Moroni a rapatrié les Comoriens de Majunga. Le premier contingent de rescapés (500 environ) venait de débarquer à Moroni le 7 Janvier 1977 par le bateau « ville de Tuléar », relayé ensuite par la « ville de Manakara ». voyant la lenteur, alors que les survivants souffraient énormément dans des camps militaires où ils étaient entassé, le gouvernement comorien affréta un Boeing 707 de la compagnie Belge Sabena 17 , pour accélérer le rapatriement. (Du 14 janvier 1977 à mi février, soit 700 personnes par jour et 50 voyages au total).

16 Voir mémoire de maîtrise :Les émeutes anti-comoriennes de Majunga,du 20 au 23 décembre 1976 17 Depuis cette date charnière de l’histoire des Comores ; les rescapés de Majunga aux Comores ont les appellent les « Sabena »

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2.2. LES REPERCUSSIONS POLITIQUES SUR LES MASSACRES DE MAJUNGA

Le massacre des Comoriens de Majunga avait naturellement suscité la réaction du président de la République de Madagascar et de son homologue comorien, Ali Soilihi. Pour Ratsiraka, l'explication est simple : les sanglants événements de Majunga constituaient une manœuvre de provocation de l'impérialisme et ses valets de l'intérieur de quelque nationalité qu'ils soient en vue de : Primo : semer définitivement la division entre Comoriens de Mayotte et ceux des autres îles ; Secundo : saboter les relations d'amitié et de coopération entre les Comores et Madagascar ; Tertio : provoquer des troubles à Madagascar ; Quarto : discréditer Madagascar et sa politique révolutionnaire et anti-apartheid. (Madagascar Matin, 3 janvier 1977, p. 8) Ensuite, le président Ratsiraka a lancé un appel au peuple comorien et aux pays membres de l'OUA de rester solidaire "pour ne pas tomber dans le piège des impérialistes", et il a invité le ministre des Affaires étrangères des Comores à venir à Madagascar "pour trouver une solution de ce grave problème et ramener le calme à Majunga". Il a terminé son message en déclarant que "le gouvernement malgache reste fidèle à ses principes révolutionnaires et pacifiques". Le message de Ratsiraka a été envoyé au chef de l'Etat comorien et au premier ministre de l'Ile Maurice, président en exercice de l'OUA pour lui demander d'en assurer une diffusion auprès des Etats membres de cette organisation africaine. En revanche, le président Ali Soilihi, en s'adressant à ses compatriotes le 28 décembre 1976, soit une semaine après le début du massacre a fait une description particulièrement pathétique des événements. Il a, entre autres, dénoncé la complicité des forces de l'ordre locales qui avaient livré les Comoriens à leurs massacreurs. Néanmoins, Ali Soilihi avait adopté une position ambiguë en considérant lui aussi le drame des Comoriens de Majunga comme étant l'enjeu de rivalités internationales et il l'avait expliqué ainsi à ses compatriotes :

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Camarades, lorsque l'on rassemble tous ces éléments, ne pressent-on pas à l'amont un complot préparé de main de maître ? Mais par qui ? Et au nom de quel intérêt ?(…) dans cette zone, de grands appétits s'exacerbent et des géants s'affrontent. (E.N. Vérin, 1988, p. 117) II faut voir dans cette accusation une dénonciation de l'impérialisme américain et occidental, supposé être le principal commanditaire des sanglants événements de Majunga. Cela tenait évidemment compte de l'environnement géopolitique qui prévalait à l'époque. En effet, dans un monde où la guerre froide représentait une donnée permanente, l'Océan Indien, proclamé "zone de paix" par les régimes progressistes, demeurait l'enjeu de l'affrontement idéologique Est-Ouest. De plus, l'installation de la base américaine de Diego-Garcia, la présence militaire française à la Réunion et la question de Mayotte (île comorienne sous administration française) constituaient autant de préoccupations pour les régimes révolutionnaires de Didier Ratsiraka et de Ali Soilihi, qui avaient fait de la lutte contre l'impérialisme américain et occidental leur cheval de bataille. C'est donc dans cette optique que Ratsiraka et Ali Soilihi entendaient exploiter l'affaire de Majunga pour éclairer l'opinion internationale et la mettre en garde contre les manœuvres téléguidées de l'extérieur pour déstabiliser leurs régimes. On peut aussi se demander si cette accusation contre l'impérialisme ne relève pas plutôt de la rhétorique de Didier Ratsiraka et d'Ali Soilihi, qui cherchaient à expliquer leurs difficultés intérieures par des causes extérieures. A la suite de l'hécatombe des Comoriens de Majunga, les relations entre Moroni et Antananarivo sont longtemps restées au point mort. L'origine de cette brouille diplomatique semble être la prise de position du gouvernement comorien ayant reproché les autorités malgaches de n'avoir pas pris leurs responsabilités pour arrêter le massacre. Selon le président Ali Soilihi, le couvre-feu n'a fait qu'aggraver la situation, et les forces de l'ordre malgaches ne sont pas intervenues. Ensuite, comme nous l'avons vu, une polémique s'était engagée au sujet du nombre des victimes comoriennes, dans laquelle le gouvernement malgache avait avancé un chiffre 10 fois moins élevé que celui annoncé par le gouvernement comorien. A propos de l'opération de rapatriement, le chef de la diplomatie malgache, M. Bruno Rakotomavo avait fait la déclaration suivante :

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La République Démocratique de Madagascar ne reconnaît qu'un seul régime pour l'ensemble de l'archipel des Comores : celui de Moroni. C'est la raison pour laquelle nous avons rejeté la proposition française concernant le rapatriement des Mahorais à Mayotte. (Madagascar Renouveau, 1er trim. 1977, p. 19) Mais cette déclaration faite par le chef de la diplomatie malgache ne s'était pas traduite dans les faits puisqu'il s'était avéré que finalement les autorités malgaches avaient accordé des facilités au Consulat et à l'Ambassade de France pour rapatrier les rescapés mahorais dans leur île d'origine. Cette prise en charge des réfugiés mahorais par les autorités consulaires françaises fut considérée par les autorités de Moroni comme étant une reconnaissance par les autorités malgaches de la présence française à Mayotte. On peut penser que cet incident diplomatique avait alimenté la discorde entre les Comores et Madagascar. Le gouvernement comorien n'avait curieusement formulé aucune plainte qui aurait pu mettre en difficulté le régime malgache sur le plan international. Cela aurait pu se traduire concrètement par la mise en place d'une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur l'affaire de Majunga. Cette attitude de réserve de la diplomatie comorienne s'expliquait non seulement par le souci d'éviter d'aggraver la situation des nombreux Comoriens vivant encore à Madagascar, mais aussi par l'espoir de voir les relations entre deux pays voisins, partageant une idéologie révolutionnaire, se normaliser. Sur cette attitude de réserve du gouvernement comorien, J.-L. Calvet ajoute : Des techniciens malgaches continuent de travailler aux Comores, que Madagascar ravitaillait toujours en carburant et en vivres.

(J.-L. Calvet, 1976, p. 365)

L’influence des résultats reproduits de l’enquête effectuée sur le plan économique, social et politique va se faire sentir dans la société de la ville de Majunga et surtout aux Comores.

III. LES IMPACTS DE DECEMBRE 1976 AUX COMORES

1. CONSEQUENCES ECONOMIQUES - SOCIALES - POLITIQUES APRES LE RETOUR DES IMMIGRES COMORIENS DE MAJUNGA

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Le départ des Comoriens de Majunga va à court terme, désorganiser complètement la vie quotidienne et l'économie de la ville. Certaines entreprises avaient des perturbations dans leur fonctionnement. Selon une documentation prise dans le témoignage dem. Jean Marc Devillard qu'il adressé au journal Le Monde de 16 Janvier 1977, «Les Indiens de Majunga qui représentent un cinquième de la population, sont visiblement inquiets ». Socialement, le retrait des Comoriens de la Grande Ile a été encore marqué par le développement de la délinquance. Le divorce des femmes malgaches qui avaient été épousés par les Comoriens, a favorisé le développement de la prostitution. Depuis les événements de Majunga les rapports entre Comoriens et Malgaches sont encore difficiles. L'insécurité est permanente dans la ville où tout le monde a peur de sortir seul dans la rue à partir d'une certaine heure à cause des agressions. Aux Comores : les rapatriés sont devenus une charge pour la collectivité Comorienne. Pendant des mois et des mois, ils demeuraient chez eux, dans leurs villages. Les réfugiés, parfois abandonnés à leur triste sort, se sont débrouillés pour construire des paillotes. Plus de 90% de la population Comorienne vit dans l'agriculture, malgré la faiblesse des rendements. Dans les villages, les activités économiques sont très limitées et la grande majorité des Comoriens sont contraints de travailler la terre ou pratiquer la pêche. Ce phénomène apparaît aux rapatriés Comoriens de Madagascar comme une punition. Il était difficile pour eux de cultiver la terre parce qu'ils n'y étaient pas habitués. Des conflits familiaux surgirent. Les plus malheureux étaient ceux qui avaient longtemps coupé toutes les relations, toutes les correspondances avec la famille mère résident aux Comores, prétendant rester à perpétuité à Madagascar. Toutefois, les Sabena cherchent à s'intégrer dans la société comorienne. Ces réfugiés se retirent des villages pour s'implanter ailleurs. Moroni, à elle seule, abrite la quasi-totalité de ces rescapés.

2. RAISONS DE L'IMPLANTATION A MORONI

Madagascar est incontestablement un grand pays qui avait connu avant l'arrivée des socialistes au pouvoir, un développement incomparable avec celui des Comores. Les Sabena étaient habitués à la vie de « Luxe » qu'ils menaient dans la Grande Ile. Les rescapés sont à la recherche d'une vie moderne. Pourtant, dans les villages Comoriens, les habitants n'ont accès ni à l'électricité, ni à l'eau courante.

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En outre, les activités para professionnelles sont très restreintes. Ce n'est d'ailleurs qu'à Moroni qu'ils pourront fréquenter les boîtes de nuits, aller au cinéma tous les jours ; c'est une ville où le nécessaire vital existe : électricité, eau de robinet, ....pour ne citer que cela. La recherche du travail pour ceux qui ont une spécialité dans un métier désire tenter leur chance au ministère des travaux publics et sur les quelques ateliers de la ville. En outre, on aperçoit certaines femmes Sabena installées à Moroni qui font le tout pour le tout afin de gagner leur pain quotidien, on les surnomment les voleuses de maris. Ces femmes Sabena veulent toujours se faire les modèles de la société féminine. D'autre part, les Comoriens, sans spécialité viennent gonfler le nombre des sans emplois. En l’espace d’une année, la ville de Moroni avait doublée ses effectifs. Passant de 15 000 habitants à plus de 30 000 habitants. Bon nombre des Comoriens vivant à Moroni, sont accompagnés de leurs femmes, voire de leurs enfants dont plusieurs fréquentent les établissements scolaires de la ville.

3. LES APPORTS DE RAPATRIES DANS LA VILLE DE MORONI

Les Sabena ont apporté une énergie nouvelle. Ils ont introduit une culture nouvelle aux Comores. Du point de vue linguistique, les Sabena ont répandu, partout la langue malgache. Ils se font souvent un point d'honneur à ne parler que Malagasy. Depuis trois décennies ; « Sabena, Mafana, Zanatany et le mot mikarakara» (qui signifie la débrouillardise) font fortune dans le vocabulaire comorien. Les femmes ont introduisent des danses folkloriques nouvelles. Comme le cas du « Kawitry » importé directement en terre sakalava. De même, du côté vestimentaire. L'apport du « Salova » généralise jusqu'à nos jours. Du côté gastronomique : le riz et le mofo gasy ont remplacés les tubercules et la banane des Comoriens ; aussi bien en ville qu'à la campagne. Tout de même, malgré ses multiples apports : les Sabena sont mal vus partout. Le taux de criminalité a pris des proportions sans précèdent. Comme le montre le tableau n°15, provenant des archives du palais de justice de Moroni, lesquelles nous permettront d'appuyer cette opinion.

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Tableau n°15 : Proportion des inculpes natifs de Madagascar

Nombre d'inculpés Nombre d’inculpés Total Année Pourcentage Pourcentage natifs de Comores natifs de Madagascar

16 1978 16 100 283 1979 258 91,17 25 8,83 242 1980 209 86,37 33 13,63 381 1981 345 90,56 36 9,44 367 1982 326 88,83 41 11,17 441 1983 408 92,52 33 7,48 290 1984 264 92,07 23 7,93 207 1985 183 88,41 24 11,59 335 1986 327 97,62 8 2,38 299 1987 299 100 Source : Archives palais de justice de Moroni Selon ce tableau, les chiffres donnés en ce qui concerne les inculpés, natifs de Madagascar, semblent imprécis, seulement cette 2eme colonne, met en lumière l'effectif des « Zanatany » inculpés. Toutefois, nous constatons, que parmi les Sabena, il existe une bonne partie d'entre eux qui sont nés aux Comores ; et qui la méthode de travail du parquet tient compte de l'âge, du lieu de naissance, profession et du nom. Il est probable que des éléments Sabena jugés au cours de cette décennie, sont glissés dans la 3eme colonne. Autre remarque : de 1978 à 1982, l'effectif de la 2eme colonne a connu une augmentation. Donc, tous ces renseignements permettent d'affirmer que les rapatriés contribuent à la montée de la délinquance. Le coup d'Etat renversant le président Ali Soilihi, le samedi 13 mai 1978, remit tout en question. Outre, le fait que Moroni était aux antipodes de Tananarive pour avoir opté pour un régime pro-occidental avec le soutien de la France, le nouveau régime comorien (baptisé République Fédérale Islamique des Comores) était entaché d'une tare qui le frappait d'ostracisme, celui d'avoir été établi par des mercenaires européens conduits par le Français Bob Denard. Le régime progressiste de Tananarive ne pouvait donc traiter avec un tel régime, qui constituait une menace pour la sécurité et la révolution de Madagascar. Jusqu'en 1984, lors de l'accord cadre de coopération bilatérale : Madagascar va redevenir une destination importante de nombreux jeunes étudiants Comoriens. Mais aussi et surtout les anciens rescapés de 1976 qui vont renaître de leurs cendres.

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Aussi cette situation post Décembre 1976 va-t-elle nous conduire au système régional dans lequel s’intègrent les Comores ou C.O.I (Commission des îles de l’Océan Indien).

4. LES INFLUENCES REGIONALES

La notion de région est floue. Tantôt ce terme désigne un espace vaste englobant plusieurs Etats sans pour ôtant atteindre l'étendu d'un continent. Tantôt ce terme désigne un espace restreint caractérisé par son originalité. De ce fait, on peut raconter plusieurs types de régions. Une région peut être climatique, agricole, industrielle, écologique, culturelle... Comme l'a définie le Petit Robert : « la région est un territoire relativement étendu, possédant des caractères physiques et humains qui en font une unité distincte des régions voisines au sein d'un ensemble qui l'englobe ». Compte tenu de se définition : on peut affirmer que la Grande Ile et les Comores se situent sur la même région. Non seulement les Comores et l'Ile rouge sont proches de part et d'autre. Mais aussi et surtout ils ont en commun une population hétérogène, une histoire commune, l'insularité et ils ont en partage le français dans un environnement anglophone. Toutes leurs analogies vont inciter Madagascar et les Comores à se rapprocher de plus en plus dans la coopération régionale. D'autres pays Insulaires vont rejoindre ces deux derniers pour former la COI (Commission des îles de l'Océan Indien). Seulement la COI ne ni géographiquement, ni historiquement le Sud Ouest de l'Océan Indien. Sinon, les îles glorieuses, Diego Garcia, Pemba, Zanzibar,.... Et un peu plus au Nord : Socotra, les Maldives, Sry-Lanka, Chagos auraient du faire partie. Mais la COI est une entité géopolitique qui regroupe uniquement quatre pays souverains et un département français d'outre mer. Ses Etat membres sont : Les Comores (1975), Madagascar (1960), Ile Maurice (1968), les Seychelles (1978) et la France en qualité de la Réunion (voir croquis n°7). L’équilibre des forces dans le système C.O.I demande réalisme et prudence. Aussi cela ne nous surprend pas que le Président de l’ Union des Comores Ahmed abdallah Saambi fût invité par son homologue Malgache Marc Ravalomanana. Il a dit qu’on doit s’assoire sur une même table pour parler des relations entre les Comores et Madagascar.

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Croquis n°8 : Les Comores dans leur région

Source : Géographie des Comores, p. 120

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Bien que les Comores soient pour cet Afrique insulaire ; le pays le plus proche de Madagascar. La proximité géographique a imposée le rapprochement entre les deux pays. C'est ainsi que fut crée en 1984 la Commission de l'Océan Indien (COI). Cet organisme a pour objectif de resserrer les liens d'amitié et de solidarité existant entre les peuples et de rehausser le niveau de vie des populations en développant la coopération régionale pour une meilleure circulation des hommes, des capitaux, des biens et des services. Le fruit de cette coopération régionale fut l'invitation à Tananarive du président Ahmed Abdallah, par Didier Ratsiraka, pour assister à la fête de l'indépendance, le 26 juin 1985. Cette visite officielle du président Abdallah lui donna l'occasion de passer l'éponge sur les contentieux malgacho- comorien. A la suite de cette activité diplomatique, les accords de coopération entre les Comores et Madagascar, gelés sans avoir été dénoncés, ont été relancés pour régir le courant des échanges entre les deux pays. Les accords de coopération entre les Comores et Madagascar se manifestent dans trois volets comme le souligne A. Djabir : « Le 18 novembre 1986, une délégation comorienne très étoffée s'est rendue à Madagascar. La coopération entre les deux pays a été d'abord rétablie dans le domaine des transports aériens, du commerce, de la formation universitaire et professionnelle. Un accord de coopération bilatérale a été signé le 10 février 1987 entre les deux pays » (A. Djabir, 1993, p.20). Les Comoriens ont saisi les opportunités émanant de ses accords bilatéraux pour importer à fois des zébus, du riz, des légumineuses, des planches et des meubles. Mais aussi c’est travers cette coopération que les Comores tentent de rattraper leur retard.

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Outre le poids de la colonisation, qui faisait des Comores (pays sans ressource) une colonie négligée. Il faut aussi souligner que la proximité géographique, le climat commun, l’usage d’une langue commune et surtout les problèmes démographiques de l’Archipel avaient accentué le mouvement migratoire. Et si le comoriens, surtout les jeunes, immigraient à Madagascar ; c’est parce qu’ils étaient pauvres et qu’ils désiraient tirer parti de leur force physique pour gagner des salaires rémunérateurs et regagner leur pays d’origine.

Cette immigration comorienne c’est faite traditionnellement dans les côtes nord- ouest malgache, qui était une région de grande potentialité économique mais à densité faible de population. Majunga, demeurait, avant le massacre de décembre 1976, la plus importante agglomération comorienne, dépassant Moroni, la capitale des Comores. Cette présence massive des Comoriens à Majunga, qui était même une ville en majorité comorienne, avait laissé des traces si profondes.

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CONCLUSION

Il est évident que ce sont les liens historiques et la proximité géographique entre les deux pays, mais aussi et surtout les problèmes économiques et démographiques de l’archipel, qui avaient poussé les Comoriens à prendre le chemin de l’émigration. Ses immigrés comoriens à Madagascar étaient naturellement motivés par le désir de rechercher un emploi rémunérateur. Les Comoriens, une fois à l’étranger, restent en contact permanent avec leur pays d’origine et ils n’abandonnent par leur particularisme. Ce phénomène est souvent interprété par l’opinion malgache comme étant un signe de refus d’intégration. Dans l’ensemble, les Comoriens qui ont immigré à Madagascar à l’époque coloniale avaient d’abord le statut d’« indigènes », et plus tard celui de citoyens français. Ces statuts juridiques avaient encouragé beaucoup de Comoriens à rester longtemps à Madagascar. Ainsi, la migration comorienne, qui était à l’origine temporaire, est-elle devenue pour beaucoup quasi définitive. C’est la raison pour laquelle depuis la colonisation jusqu’à la chute du président Tsiranana en 1972, Madagascar a été la terre d’émigration préféré des Comoriens. Majunga, qui était alors devenue une ville en majorité comorienne, était la principale porte d’entrée à Madagascar. R. Battistini et P. Vérin soulignent cet exode des Comoriens vers l’étranger, notamment à Madagascar quand ils écrivent : « L’émigration vers l’étranger a offert la possibilité dans les années 60 à un Comorien sur trois de vivre à Madagascar, à Zanzibar ou en France. Lorsque la population de l’archipel atteignait 200 000 habitants, 100 000 émigrants environ vivaient au dehors 55 000 à Madagascar, 30 000 à zanzibar et 15 000 en France.18 »

Le flux migratoire était dominé par des jeunes âgés de 18 à 25 ans. Une immigration de ce type peut s’expliquer par le fait que ce sont les jeunes qui ont une propension plus grande à émigrer parce que les personnes les plus âgées sont plus attachées à leur terre. Comme ces jeunes comoriens venaient à Majunga pour fournir une main-d’oeuvre non spécialisée, on peut dorénavant affirmer qu’une telle immigration était dominée par une forte prépondérance des hommes. Les femmes venaient dans le cadre du regroupement familial.

18 R. Battistini, et P. Vérin, 1984, p. 77

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Quant aux Grand-Comoriens, ils étaient organisés en trois groupes qui correspondent aux différentes régions de leur île d’origine. Chaque groupe s’occupait de l’accueil de ceux qui à la recherche du travail étaient attirés par Madagascar. Dans ce sens, les nouveaux partants ne craignaient pas de se trouver étrangers une fois arrivés à. destination. Ils se faisaient loger et nourrir jusqu’à ce qu’ils obtiennent du travail. Il résulte de cette solidarité des Grand- Comoriens que ce sont eux qui étaient particulièrement nombreux à Majunga voire dans l’ensemble du territoire national malgache, devançant les originaires des autres îles, parmi lesquels les Anjouanais qui venaient en tête.

La grande majorité des Comoriens installés à Madagascar entendaient regagner leur pays une fois réalisé un pécule jugé suffisant. Ils étaient motivés surtout par le désir de gagner l’argent du “grand mariage”, sans lequel ils ne peuvent pas changer de statut dans leur pays d’origine 19 . Mais comme le temps de réunir les économies indispensables à la célébration d’un grand mariage nécessitait plusieurs années (dix ans, vingt ans, voire plus) de dure besogne, beaucoup de Comoriens se marient avec des femmes malgaches. Ces alliances matrimoniales facilitent leur “sédentarisation”.

Il convient de noter que cette sédentarisation des Comoriens fut d’abord facilitée par l’administration co1oniale lorsqu’elle avait, pendant 32 ans, rattaché juridiquement les Comores à Madagascar. Les Comoriens, qui vivaient à Madagascar, avaient le statut “indigène” au même titre que les Malgaches. Ils avaient donc l’impression que Madagascar était leur propre pays. Lorsque Madagascar accéda à son indépendance le 26 Juin 1960, la France négocia un statut particulier pour les Comoriens auprès des autorités malgaches. Etant nationaux français, les Comoriens bénéficiaient à ce titre des privilèges des accords découlant de la signature convention d’établissement définissant en principe leur entrée, leur circulation et leur installation libres à Madagascar.

19 Le grand mariage (ndola nkuu) ou mariage coutumier (nda na mita, harusi ya anda) est une cérémonie de noces traditionnelles caractérisée par des dépenses ostentatoires. L’homme qui accomplit le grand mariage devient un notable jouissant du droit à la parole en public. Lors de la célébration du grand mariage, le mari qui souvent est déjà un père de famille doit offrir de l’or (par exemple de deux à quatre kilos), des vêtements, des chaussures et des produits de beauté à la mariée. Il doit aussi offrir à la mariée une dot ou don matrimonial (mahari) pouvant atteindre plusieurs millions de francs comoriens. En contrepartie, la famille de la mariée assure la construction d’une maison qui demeure le centre de la vie conjugale.

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Cette fameuse convention dispensait les Comoriens du paiement d’un droit de séjour. Elle accorde aussi aux Comoriens la possibilité d’accéder aux activités professionnelles comme les Malgaches et la reconnaissance de leurs droits (liberté de culte, de pensée, d’opinion, d’expression, de réunion, …)

Jusqu’à sa chute, les Comoriens ont soutenu le président Tsiranana. 11 n’y eut d’ailleurs, pendant la Première République malgache, aucun affrontement vraiment sérieux entre les deux communautés.

Cependant, un sentiment d’insécurité s’est installé chez les Comoriens (à l’instar des autres minorités étrangères résidant à Madagascar) à la suite des événements de mai 1972 qui ont provoqué le changement du gouvernement avec une orientation socialiste du régime. De plus. Il s’en est suivi de malgachisation des emplois qui ont créé un clivage profond entre les Comoriens et les Malgaches.

Malgré le rapatriement massif de 1977, la présence comorienne à Majunga reste remarquable. « L’Abattoir » est toujours considéré comme un quartier comorien. En effet, ce quartier est marqué par la présence d’une mosquée qui porte le nom de la région d’origine de ceux que l’ont construite ; il s’agit de la mosquée de Mbadjini. Par ailleurs il faut souligne que les Comoriens ont aussi marqué leur empreinte dans ce quartier par la construction d’une école « française » qui est aujourd’hui l’Ecole Primaire Publique Firaisana. Elle symbolise non seulement les bonnes relations qui unissaient les Comoriens avec les autorités de la Première République, mais aussi leur installation quasi définitive, dans une ville qu’ils ont considérée comme la leur. La présence comorienne à Majunga est aussi matérialisée par l’Avenue des Comores. Il s’agit d’une grande voie, qui coupe diagonalement l’Avenue du Général de Gaulle disposée en médiane, et qui descend tout a fait droit vers le sud en séparant le quartier d’Ambovoalanana à droite et celui de l’Abattoir à gauche. Les Comoriens de Majunga ont apporté de même, leur contribution à l’urbanisation de la ville en construisant beaucoup de maisons, même si la plupart d’entre elles sont, comme c’est la norme dans cette ville, de simples constructions en tôles. Sur un autre plan, il est clair que le développement de l’islam à Majunga est dû en grande partie à la présence des Comoriens. Nous savons en effet qu’ici, beaucoup de musulmans malgaches sont nés de parents, grands-parents où arrière grands-parents comoriens. Ces Zanatany, comme on les appelle, très nombreux sont à la recherche

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perpétuelle d’identité. En bref, on doit noter combien la position de l’actuelle communauté comorienne à Majunga, moins importante en nombre , diffère profondément de ce qu’elle était avant le massacre, au temps où elle représentait plus de la moitié de la ville. A part les étudiants, qui constituent un élément nouveau, c’est une communauté qui ne se régénère guère. Elle est composée en partie de vieilles personnes qui restent à Majunga en raison de liens anciens, ou parce qu’ils n’ont pas fait suffisamment fortune pour retourner dans de bonnes conditions au pays. On dénombre également des milliers de jeunes clandestins en quête du bonheur dans cet « eldorado » majungais. En contraste avec la situation ancienne où les Comoriens jouaient un rôle public de premier plan, cette minorité se sent aujourd’hui obligée d’adopter un comportement discret. Se sentant marginalisée, cette communauté entretient la nostalgie des époques, celle de la colonisation, et celle du régime Tsiranana où elle jouait un rôle de premier plan. Cependant, on peut penser que le massacre de 1976 n’a pas été la seule cause des changements qui ont affecté la position de la communauté comorienne à Majunga. Même sans cette rupture brutale, les Comoriens devaient de toute façon, après l’indépendance de Madagascar, puis celle de leur propre pays en 1975, changer de statut : ils sont devenus pleinement étrangers, et l’importance éventuelle de leur rôle tiendra désormais surtout à la proximité des deux pays.

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50-ZAMANY,Loetitia Ambininjara, 2004 Migrations, groupes ethniques et espace urbain à Majunga . Mémoire de Maîtrise de Géographie, Antananarivo, … p.

4. ARTICLES 51-[Anonyme], 1977 "Les Evénements de Majunga: ... "Une manœuvre de provocation impérialiste"... Madagascar s'explique" , Madagascar-Renouveau, 1 er trim. 1977, pp. 17- 19, phot. 52-ALLIBERT, Claude, 1991-1992 "Cités-Etats et têtes de pont dans l'Archipel des Comores" , Omaly sy Anio, 33-36, pp. 115-132. 53-ANDRIAMIRADO, Sennen, 1977 "Un banal fait divers (incident comoro-malgache de décembre 1976)" , Madagascar-Matin, 1450, 12 mars 1977, p. 8. [Article paru dans Afrique-Asie. ] 54-DANDOUAU, André, 1933 "La fondation de Majunga, légende sakalava" , Bulletin de Madagascar, pp. 94. 55-DECARY, Raymond, 1951 "Malgaches et Comoriens aux temps passés" . Bulletin de Madagascar, 41, pp. 18-25. 56-DEVILLARD, Jean-Marc, 1977 "Un témoignage sur le massacre de Majunga" , Le Monde, 16-17 janvier. [Cité par Ali Mohamed Gou, 2001-2002.] 57-DONQUE, Gérald, 1965 "Le contexte océanique des anciennes migrations : vents et courants dans l'Océan Indien" , Taloha, 1, pp. 43-69. 58-FREMIGACCI, Jean, 1984 "Autocratie administrative et société coloniale dans la région de Majunga (1900-1940). Les dominants : appareil administratif, colons français et minorités étrangères" , Omaly sy Anio, 17, pp. 393-433. 59-HEBERT, Jean-Claude, 1984 "Documents sur les razzias malgaches aux Iles Comores et sur la côte orientale africaine (1790-1820). I ère partie : Les invasions à Mayotte et Anjouan jusqu'en 1807" , Etudes Océan Indien, 3, pp. 5-60. 60-ISNARD, Hildebert, 1953 "L'Archipel des Comores" , Cahiers d'Outre-Mer, 2, pp. 1-22. 61-JULLY, A., 1974 "Les immigrations arabes à Madagascar" , Taloha, 6, pp. 143-149.

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62-MANTAUX, C., "La Baie de Bombetoka et Majunga en 1852, d'après un rapport du commandant Fournier" , Bulletin de Madagascar, 300, pp. 393-404. 63-RALIBERA, Rémy, et autres, 1977 "Fanampiana ny mpamaky hahafantatra bébé kokoa ny momba ny raharaha nitranga tany Mojanga. Akon'ny dian'i Mompera Rémy Ralibera sy ny ekipany tany Mojanga 5-7 zanvie 1977" , Lakroan'i Madagasikara, 16 janvier 1977, pp. 1 & 8. (Texte reproduit et traduit en annexe.) 64-RANTOANDRO, Gabriel, 1981 "Une communauté mercantile du nord-ouest, les Antalaotra" , Omaly syAnio, 17-20, pp. 195-209. 65-ROBINEAU, Claude, 1966 "L'Islam aux Comores, une étude d'histoire culturelle de l'île d'Anjouan" , Revue de Madagascar, 35, pp. 39-56. 66-ROMBI, Marie-Françoise, 1990 "Comores" , in : Encyclopaedia Universalis, vol. 6, pp. 220-224. 67-SOILIHI, Ali, 1999 "Pour mémoire. Comores-Madagascar : les retrouvailles, extrait de l'interview du Président de la République [Ahmed Abdallah] de retour d'Antananarivo" , Al-Watwan, 594, 12-18 novembre 1999, p. 2. 68-URBAIN-FAUREC, 1942 "Histoire de l'île Mayotte dans l'Archipel des Comores" , in : Amicale des Journalistes et Ecrivains Français de Madagascar, Cahiers Malgaches 1941. Centenaire du rattachement à la France des Iles Nossi-Bé et Mayotte, pp. 141- 170.

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LISTE DES CROQUIS

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Croquis n°1 : Croquis de localisation ...... 2

Croquis n°2 : Localisation des Fokontany étudiés ...... 5

Croquis n°3 : La répartition de la mobilité humaine entre Madagascar et les Comores en 2005 ...... 11

Croquis n°4 : Présence comorienne dans les types de quartiers à Majunga ...... 18

Croquis n°5 : L’archipel des Comores : surpopulation relative ...... 49

Croquis n°6 : Un exemple de type de temps de saison chaude ...... 59

Croquis n°7 : Courants marins permanents du Sud-ouest de l’Océan Indien ...... 62

Croquis n°8 : Les Comores dans leur région ...... 86

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LISTE DES TABLEAUX

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Tableau n°1 : Evolution de la population comorienne à Majunga de 1899 à 2006 ...... 8

Tableau n°2 : Nombre d’étudiants comoriens dans les établissements d’enseignement supérieur de Majunga (2005-2006) ...... 15

Tableau n°3 : Ecoles coraniques traditionnelles existant actuellement à Majunga...... 25

Tableau n°4 : Ecoles coraniques modernes existant actuellement à Majunga...... 25

Tableau n°5 : Indications générales sur les mosquées majungaises classées par ordre d'ancienneté ...... 29

Tableau n°6 : La répartition professionnelle actuelle des Comoriens de Majunga ...... 37

Tableau n°7 : Importance du secteur primaire dans la population active ...... 54

Tableau n°8 : Part respective des produits agricoles et non agricoles dans les exportations en million de FC et en % ...... 55

Tableau n°9 : Les Comoriens entre la Grande Terre et Nosy Be ...... 68

Tableau n°10 : Les Comoriens dans trois centres urbains de la province de ...... 68

Tableau n°11 : Les étrangers et le Commerce local (Analalava et grande Ile) ...... 69

Tableau n°12 : Les Comoriens dans trois provinces du Nord et Nord Ouest ...... 69

Tableau n°13 : Répartition des Comoriens par provinces à Madagascar en 1960 ...... 70

Tableau n°14 : Répartition des Comoriens par province à Madagascar en 1972 ...... 71

Tableau n°15 : Proportion des inculpes natifs de Madagascar ...... 84

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LISTE DES ILLUSTRATIONS GRAPHIQUES

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Figure n°1 : Répartition de la population d’origine comorienne à Majunga ...... 9

Figure n°2 : Les exploitations agricoles en union des Comores ...... 54

Figure n°3 : Diagramme ombothérmique de Wani (Aéroport d’Anjouan ...... 57

Figure n°4 : Diagramme ombothérmique de la station de Majunga en 1999 (selon la Formule de Gaussen P = 2T) ...... 58

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LISTE DES PHOTOS

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Photo n°1 : Type d’habitation comorienne (Quartier d’Abattoir) ...... 20

Photo n°2 : Des ressortissants comoriens devant la mosquée de vendredi face à l’avenue des Comores ...... 20

Photo n°3 : Type d’école coranique traditionnelle ...... 23

Photo n°4 : Type d’école coranique moderne ...... 23

Photo n°5 : Des marchands d’huile de caïman dans la bazar d’Analakely (Majunga) .. 39

Photo n°6 : Un Comorien, vendeur de riz par kapoaka dans le bazar de Marovato ..... 39

Photo n°7 : Des ressortissants comoriens vendeurs de brochettes ...... 40

Photo n°8 : Un Comorien tenant une épicerie ...... 41

Photo n°9 : Une Comorienne dans ses pratiques divinatoires ...... 41

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GLOSSAIRE

Ajojo : Cf. Grande-Comore. Anjoany : Cf. Anjouan Anjouan : L'une des quatre îles constituant l'archipel des Comores, en comorien Ndzuani. Habitants : Anjouanais. (com. Wandzuani, malg. Anjoany ). Antaisaka : L'une des ethnies de la côte sud-est de Madagascar, v. Betsirebaka. Antalaotra ou Antalaotsy (mot malgache signifiant étymologiquement ("gens de la mer"). La population des petites villes commerçantes échelonnées autrefois le long de la côte nord-ouest de Madagascar. Les Antalaotra étaient musulmans mais ils ne semblent guère avoir eu d'influence religieuse sur les gens de l'intérieur avant le XIX e siècle. Ils étaient bilingues, parlant à la fois le swahili et le malgache. Antankarana ou Antakaraña (mot malgache signifiant "gens des rochers"). Ethnie de l'extrême nord de Madagascar, qui a constitué au XVII e siècle un royaume (Ankarana). Une grande partie des Antakarana ont adhéré à l'islam à la suite de la prédication (qui a commencé dans les toutes dernières années du XIX e siècle) de la confrérie shadhuli venue des Comores. Babu (com.). Manuel de rituel qui contient les règles de la prière, des ablutions, etc. Betsirebaka. Sobriquet donné à Majunga et dans la région aux Antaisaka (v. ce mot) qui sont réputés disposés à accepter les travaux les plus durs, (sens littéral "Nombreux qui ne sont pas vaincus" ou "Nombreux qui ne sont pas fatigués"). Borozano : Cf. Merina. Chiites : L'une des deux grandes branches de l'islam, constituée historiquement à partir de la faction de Ali, le gendre du prophète, qu'ils considèrent comme son légitime successeur. Ils sont représentés à Madagascar par des communautés d'origine indienne et depuis peu par une mission islamique chiite, fondée par des prédicateurs Khodja qui s'adressent à des prosélytes malgaches. Etym. Mot arabe shi'a signifiant "partition". Djirani : (com.) Voisin. Les djirani se doivent secours et entraide mutuels. Sw.jirani, malg.jirany. Fatiha : Le premier chapitre (sourate) du Coran, la prière la plus souvent répétée par les musulmans. Faritany : La plus grande circonscription administrative malgache, en vigueur de 1975 à 1994 ; aujourd'hui : province. Fokontany : Circonscription administrative de base, en vigueur de 1975 à 1994, constituée par un ou plusieurs villages ou hameaux, ou en ville par un ou plusieurs quartiers. Fundi (com.) : Maître. Le mot s'applique aussi bien au maître artisan que religieux. Mais on l'attend surtout pour désigner le maître (ou la maîtresse) de l'école coranique. Grande-Comore : La plus grande île de l'archipel des Comores. Habitants : Grand- Comoriens. (com. Wangazidja, malg. Ajojo. Mais ce mot est péjoratif.) Grand mariage : Noces traditionnelles caractérisées par des dépenses ostentatoires. (En com. harusiya âda ou âda na mila.) Hadj : Le pèlerinage de La Mecque, qui est l'un des cinq piliers de l'islam. Chaque musulman, s'il en a les moyens, se doit de l'effectuer au moins une fois dans sa vie. C'est aussi le titre honorifique que portent ceux qui sont revenus de ce pèlerinage.

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Hova (malg.) : Terme qu'on trouve dans les textes anciens pour désigner les Merina. (En Imerina, il désigne le second des ordres hiérarchiques traditionnels, qui vient après celui des Andriana.) 'Id. : Mot arabe signifiant "fête". Désigne surtout la fête marquant la fin du jeûne du mois de ramadan, à l'occasion de laquelle on échange vœux et visites. Imam : Le guide pour la prière ; celui qui se place devant les autres fidèles, disposés en rangs, pour diriger les cinq prières du jour. Indigène : Dans la situation coloniale, ce mot a pris un sens particulier : il désigne les originaires de la colonie, par opposition aux ressortissants de la métropole (et aux étrangers). Dans le régime colonial, les "indigènes" ont des droits inférieurs à ceux des ressortissants de la métropole et sont soumis à des obligations spéciales (impôts, corvée). Ils sont soumis à un régime juridique différent et plus sévère (l'indigénat). Ils peuvent être punis d'amende ou emprisonnés sur simple décision de l'administrateur. Jirany : Cf. Djirani . Karany ou Karana. Nom donné à Madagascar aux originaires des Indes, qui font généralement métiers de commerçants. Au sens strict, Les Karany sont les Indiens musulmans, tandis que les Indiens hindouistes, moins nombreux dans le pays, sont appelés Baniany. Mais en pratique tous sont souvent confondus sous le nom Karany. Khutba : Le prône solennel de la grande prière du Vendredi. Etym. Mot arabe khutba "discours". Le prédicateur s'appelle khatib. Kilabu (com.). Lieu de réunion et d'animation d'activités culturelles. Etym. de l'anglais club. Kurasa (com.) : Le premier livre utilisé dans les écoles coraniques. Il contient l'alphabet arabe avec les vocalisations, puis des exercices de lecture, et quelques sourates du Coran, les plus courtes. Etym. Mot arabe kurâsa "livret, cahier". Madrasa (Mot arabe signifiant "école") : Etablissement d'enseignement religieux d'un niveau supérieur. Le madrasa constitue, après l'école coranique où vont en principe tous les enfants à partir de quatre ans environ, le deuxième niveau de l'enseignement religieux. Assistent aux leçons non seulement des jeunes élèves (par exemple à partir de dix ans) mais aussi des adultes qui veulent approfondir leurs connaissances. Mahari (com.) : Dot ou don matrimonial. Mahorais : Cf. Mayotte. Makoa : Désigne les descendants des esclaves importés du Mozambique jusqu'au XIX e siècle. Etym. Le nom d'une ethnie importante de ce pays. Maore : Cf. Mayotte. Mayotte : L'une des quatre îles constituant l'archipel des Comores, mais ayant le statut de collectivité territoriale française. Habitants : Mahorais, com. Wamaore. malg. Antimahôry. Merina : Nom d'une ethnie qui occupe le centre des Hautes Terres. A Majunga, on les appelle généralement Borozano. Mais ce terme est péjoratif. Cf. aussi Hova. Minbar (ar. et com.) : Chaire souvent en bois sur les premiers degrés de laquelle monte l'imam pour prononcer le khutba (V. ce mot). Mohéli : La plus petite île de l'archipel des Comores. Habitants. Mohéliens. com. Wamwali, malg. Antimoaly. Moskiriny : Cf. Mosquée. Mosquée : (de l'ar. masdjid « Lieu de prosternation »). Le lieu de culte musulman. Com. msihiri, malg. moskiriny.

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Mpanjaka (malg.) : Roi(s). Dans la situation politique moderne, les chefs traditionnels de différentes régions, auxquels les autorités peuvent avoir recours pour résoudre certains conflits. Msahafu : Le volume du Coran. Msihiri. : Cf. Mosquée. Mwali : Cf. Mohéli. Mzungu : Cf. Wazungu. Ndzuani : Cf. Anjouan Ngome (com.) : Fortification. Qibla (ar. et com.) : Direction de La Mecque vers laquelle les musulmans se tournent pour accomplir la prière. C'est le sanctuaire de la kaaba qui matérialise la qibla. Razana (malg.) : Désigne les ancêtres ainsi que le respect et la vénération qu'on leur accorde. Sabena : Nom donné aux rescapés de Majunga en souvenir du Boeing de la compagnie belge Sabena qui a assuré leur rapatriement. Ce mot est péjoratif. Shiyoni (com.). Ecole coranique. Sunnite : Branche majoritaire de l'islam, à laquelle appartiennent les Comoriens, reconnaissant les quatre califes successeurs du prophète, en l'occurrence Abu Bakr (632-634), Uthman (634-644), Umar (644-656) et Ali (656-661), qui ont été élus par la communauté des croyants (V. Chiite). Swala (com.) : La prière canonique qui appartient aux cinq obligations fondamentales de l'Islam (V. Pilier de l'islam). Elle a lieu cinq fois par jour, à l'aurore asubwihi (ar. al-fajr), à midi adhuhuri (ar. al-zuhr), l'après-midi alasri (ar. al-maghrib), et la nuit alesha (ar. al-isha) Etym. Mot arabe salât " prière" Tafsîr : (Mot arabe signifiant "explication"). Interprétation et commentaire du Coran. Tiva (malg.) : Souillure. Tsumu : Cf. Ramadan. Ubao (com.) : Planchette qui est utilisée comme écritoire dans les écoles coraniques traditionnelles. Vazaha : Cf. Wazungu. Wazungu (com.) : Désigne les Européens, plus particulièrement les Français. Singulier Mzungu. Correspond au malg. Vazaha. Yâ-Sin (ar.). C'est la sourate 36 du Coran que les musulmans ont pris l'habitude de lire pour les morts. Zanatany (malg.) : Litt. "fils de la terre" ou "enfant du pays''. Dans le nord de Madagascar, le teme de Zanatany désigne plus particulièrement les gens issus des mariages mixtes malgacho-comoriens.

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ANNEXES

ANNEXE I : CESSION DE L’ILE DE MAYOTTE A LA FRANCE (1841)

TRAITE DU 25 AVRIL 1841. PORTANT CESSION DE L'ILE MAYOTTE A LA FRANCE ∗∗∗ Au nom de Dieu clément et miséricordieux, c'est en Lui que nous mettons notre confiance. Le traité suivant, négocié par le capitaine Passot, envoyé de M. de Hell, contre-amiral, gouverneur de Bourbon, a été conclu entre S. S. Andrian-Souli, fils d'Oura, ancien roi des Sakalaves, aujourd'hui Sultan de Mayotte, et le Gouvernement français, sauf approbation de S. M. Louis-Philippe I er , Roi des Français, ou de son représentant, le gouverneur de Bourbon. ARTICLE PREMIER Le Sultan Andrian-Souli cède à la France, en toute propriété, l'île de Mayotte, qu'il possède par droit de conquête et par convention et sur laquelle il règne depuis treize ans. ART. 2. Ln retour de la présente cession, le Gouvernement français fera au Sultan Andrian-Souli une rente annuelle et viagère de mille piastres. Cette rente, qui sera payée par trimestre, ne sera pas réversible sur les enfants du Sultan Andrian-Souli, mais deux de ses fils pourront être envoyés à Bourbon pour y être élevés aux frais du Gouvernement. ART. 3. Le Sultan Andrian-Souli pourra continuer à habiter Mayotte ; il conservera la jouissance de toutes ses propriétés particulières, mais il ne devra, en aucune manière s'opposer aux ordres donnés par le représentant à Mayotte du Roi des Français. Il devra, au contraire, faire tout ce qui dépendra de lui pour en assurer l'exécution. ART. 4. Si le Sultan Andrian-Souli voulait retourner à Madagascar, la terre de ses ancêtres, le Gouvernement français s'engage à le déposer, lui et ceux de ses gens qui désireraient le faire, au point qu'il désignera, sans autre condition, mais alors la pension de mille piastres qui lui est allouée cesserait à compter du jour de son départ de Mayotte. ART. 5. Les propriétés de Mayotte sont inviolables. Ainsi, les terres cultivées, soit par les Sakalaves, soit par les habitants de l'Ile, continuent à leur appartenir ; cependant, si pour la défense de l'Ile, il était nécessaire d'occuper un terrain habité par un individu quelconque, celui- ci devrait aller s'établir sur une autre partie de l'Ile inoccupée et à son choix, mais sans être en droit d'exiger une indemnité. ART. 6. Les terres non reconnues propriétés particulières appartiennent de droit au Gouvernement français, qui seul pourra en disposer. ART. 7. Les discussions, disputes ou différends quelconques qui s'élèveraient entre les Français et les anciens habitants de Mayotte, seront jugés par des hommes sages et éclairés, choisi par les deux populations et désignés par S. M. le Roi des Français ou par son représentant à Mayotte. ART. 8. En considération des liens de parenté et d'amitié qui unissent le Sultan Andrian-Souli au Sultan Allaouy, si ce dernier vient résider à Bourbon, Mayotte ou Nossi-Bé, il sera traité de la manière la plus favorable par tout commandant pour le Roi des Français.

∗ Texte reproduit dans Urbain-Faurec, 1942, pp. 159-160

ANNEXE II : RATTACHEMENT DES COMORES A LA COLONIE DE MADAGASCAR (1914)

LOI DECLARANT LES ILES D'ANJOUAN, DE MOHELI ET DE LA GRANDE COMORE COLONIE FRANÇAISE *

Le Sénat et la Chambre des Députés ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

ARTICLE 1 er

Sont déclarées colonies françaises les îles d'Anjouan, de Mohéli et de la Grande Comore.

ARTICLE 2.

Les îles de Mayotte, Anjouan, Mohéli, la Grande Comore et leurs dépendances sont rattachées au Gouvernement Général de Madagascar dans les conditions qui seront prescrites par un règlement d'administration publique.[...]

ARTICLE 6.

Il sera statué sur tout ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement de la Justice européenne et indigène par un décret rendu sur le rapport du Ministère des colonies et du Garde des Sceaux [...]. Fait à Paris, le 25 février 1914. Signé : Poincaré.

* Texte reproduit dans Ali Saadi, 1988, p. 32.

ANNEXE III : DISCOURS D’ALI SOILIHI SUR LE MASSACRE DE MAJUNGA (28 DECEMBRE 1976)

ALLOCUTION D'ALI SOILIHI, MARDI 28 DÉCEMBRE 1976 †

« Peuple Comorien »

Il y a des fois où ce que l'on programme diffère de ce que l'on réalise effectivement. Et ceci n'est dû ni au manque du savoir faire politique, ni à une insuffisance de foi dans l'action. C'est que, dans le monde et dans divers points du globe, existent encore des hommes, des nations et des États qui poursuivent des objectifs criminels et maintiennent des systèmes politiques incohérents ; les retombées de leurs agissements là-bas nous atteignent au moment où, hélas, on s'y attend le moins et perturbent ainsi nos programmes et notre action. Ainsi je me proposais pour le début du mois de janvier de m'adresser à vous pour vous parler de deux aspects essentiels liés à la poursuite de l'édification de la Nation ; te premier aspect étant, vous le savez, la phase de la révolution économique que nous allons aborder sous peu, j'envisagerai de vous en exposer les objectifs, la stratégie et l'élan qui nous y conduit à partir de l'actuelle phase anti-féodale, Le second aspect est bien entendu le problème de l'île comorienne de Mayotte au sujet de laquelle depuis quelques semaines la France et ses alliés locaux semblent plutôt préoccupés de trouver l'équipe providentielle de dirigeants à quoi serait confié le destin des quatre îles comoriennes réconciliées. A ce propos, je dois dire que si le problème «est posé aujourd'hui effectivement en ces termes, mettant ainsi fin au mythe de Mayotte française, alors nous ne nous disputerons pas ; car partisans de l’actuel régime comme ses adversaires savent pertinemment qu'aucun d'entre nous n'est guidé par un intérêt personnel. Je dis simplement que le niveau de conscience et de maturité aujourd'hui atteint par notre peuple rend vaine toute tentative d'instauration d'un régime téléguidé de l'extérieur. Mais de tout cela nous parlerons plus tard. Pour l'heure, il y a plus grave. Là-bas à Majunga, notre sang a coulé beaucoup, beaucoup, beaucoup. Les mosquées ont été soufflées, profanées et détruites. Les habitations ont été saccagées, pillées, incendiées. Nos morts, eux, ont été empilés dans des camions à destination des fosses communes creusées pour les circonstances à l'aide de pelles mécaniques. Aucune des victimes n'a bénéficié de l'application des préceptes islamiques de l’enterrement. Nos blessés s'y trouvent éparpillés dans divers hôpitaux tandis que tous les survivants sont entassés dans les camps militaires et subissent quotidiennement les intempéries. Face à une telle calamité, y a-t-il plusieurs solutions ? Non ! Il n'y en a même pas deux. Une seule ; c'est celle qui consiste à faire revenir immédiatement parmi nous tous nos frères qui ont survécu au massacre afin que, dans notre pays, ensemble, nous pleurions nos morts, nous priions ensemble pour eux et que nous édifiions ensemble un nouvel avenir commun. Cette solution est au demeurant celle que ces mêmes survivants ont choisie et fait connaître à notre délégation lors de son passage à Majunga. Camarades, peut-être certains d'entre vous se posent la question de savoir ça qui est réellement à l'origine de Cette catastrophe, Pour le moment si j'avais à y répondre je risquerais d'avancer des conclusions hâtives. Je possède, certes, des éléments mais en mon âme et conscience ils ne me permettent pas encore d'étayer une conviction. Par contre ce qui est révélé au grand jour, c'est te prétexte qui a déclenché les hostilités. Deux familles voisines, dit- on, l'une comorienne, l'autre de l'ethnie Antaisaka. Un enfant de la famille malgache vient faire ses besoins dans la cour de la famille comorienne. Un membre de la famille comorienne a réagi en barbouillant l'enfant de ses immondices... et tout se précipite de sorte qu'en S'espace de quarante-huit heures le cataclysme fut consommé. Tel qu'exposé officiellement, voilà le motif. Mats camarades, vous devez savoir certaines choses ; en premier lieu, l'enfant malgache était venu à plusieurs reprises chez le Comorien, En second lieu pour l'ethnie Antaisaka tout membre souillé par de tels immondices ne peut être purifié par l'immolation d'un être humain ou

† Texte reproduit dans E. N. Vérin, Î988, pp. 115-118.

bien par l'offrande de trois bœufs et de l'or fondu. A la demande de Chefs de cette ethnie, la communauté comorienne de Majunga a accepté d'offrir immédiatement les bœufs et l'or. Mais pendant que cet arrangement intervenait [p. 117] entre les délégués des deux communautés au poste de police de Mahabibo où était gardé a vue le Comorien fautif, plus de vingt-cinq Comoriens avaient déjà été massacrés. Alors camarades, compte tenu de ces précisions faites-vous votre propre opinion. Camarades, vous devez sans doute aussi vous demander pourquoi durant ces événements il y a eu autant de morts du seul côté de la communauté comorienne. Sachez donc que dans l'agglomération de Mahabibo où vit le quasi totalité des Comoriens, ces derniers ont rigoureusement respecté le couvre-feu instauré dès le lundi soir par les autorités malgaches. Les Comoriens sont restés dans leurs domiciles pendant que les assaillants organisés en commandos avec le renfort des localités périphériques jouissaient d'une totale mobilité. Camarades, lorsque l'on rassemble tous ces éléments ne pressent-on pas à l'amont un complot préparé de main de maître ? Mais par qui ? Et au nom de quel intérêt ? Encore une fois je ne peux guère m'avancer. Vous savez cependant que nous sommes dans l'océan indien et dans cette zone de grands appétits s'exacerbent et des géants s'affrontent. Camarades, vous devez aussi vous demander comment allons-nous faire pour accueillir effectivement nos frères ; qui sont quelque 16 000 à Majunga seulement. Trois conditions doivent être remplies a cet effet : votre union camarades, votre cohésion et votre détermination. Je sais que cette première condition est d'ores et déjà remplie. Il faut aussi tout te savoir effi- cient nécessaire pour accueillir, installer et mettre au travail un effectif aussi considérable. Sur te plan, de toute évidence, il y a des carences mais l'action révolutionnaire nous a déjà appris que la pratique est la mère du savoir. Lorsque il y a un an, nous avons été amenés à rompre brusquement avec l'État français qui auparavant et durant plus d'un siècle assumait les besoins vitaux du pays personne ne nous avait appris comment conduire un pays placé dans de telles conditions. Nous nous sommes attelés à la lâche et au fil des jours le savoir naît et se développe parmi nous de sorte qu’aujourd'hui nous nous sentons tous suffisamment avertis dans ce domaine précis. Aujourd'hui encore nous nous engageons dans l'action pour accueillir nos frères en provenance de Madagascar et !e savoir efficient viendra j'en suis convaincu, II y a enfin le problème des finances. De toute évidence nous n'en avons pas. Mais là encore l'action révolutionnaire que nous avons menée depuis un an nous a appris en toutes circonstances à compter d'abord sur notre propre force. De ceci nous avons fait le fondement de notre philosophie et de notre action. C'est pourquoi cet obstacle-là nous le vaincrons aussi, j'en suis convaincu. Et maintenant, camarades, je vais faire quelques recommandations : - Dans notre pays, aux responsables de divers niveaux, tant du pouvoir populaire que de l'administration, je demande de renforcer la sécurité. Il importe qu'à partir de maintenant vous connaissiez le maximum de ce qui se passe entre notre pays et l'extérieur. [p.118] - Aux Comoriens résidant à Madagascar, /«f tire particulièrement votre attention sur le fait que l'ennemi déforme systématiquement les réalités de votre pays dans le but de vous égarer. Contrairement à l'intoxication dont vous êtes victimes, j'affirme solennellement que les Comores ont radicalement changé depuis un an et continuent à progresser. Les coutumes nocives avec leur cortège de dépenses sociales négatives qui étouffaient la jeunesse et paralysaient le pays n'existent plus. La sorcellerie sous toutes ses formes, les superstitions et les incarnations mystificatrices ont disparu. L'hypocrisie, l'égoïsme et l'esprit de lucre cèdent la place à une plus grande simplicité, à plus de fraternité et la solidarité révolutionnaire se développe de plus en plus. N'ayez nulle inquiétude, vous trouverez ici la sérénité et les conditions de votre participation à te construction du pays. Aux Comores, grâce à la volonté créatrice et au travail soutenu de vos frères le coût de la vie a considérablement baissé et les denrées alimentaires abondantes. La nation a relevé le défi. Alors que, au début de Tannée, l'ancienne puissance coloniale rompant brusquement avec un pays qu'elle a, plus d'un siècle durant, habitué à l'oisiveté, à la mendicité, à l'hypocrisie, aux discriminations de toute nature allais s'installer à l'île comorienne de Mayotte attendant la faillite imminente, le peuple comorien a, an un temps record réalisé sa cohésion, consolidé l'Etat, aboli le féodalisme et organisé sa révolution économique. Les Moudirias construisent et s'équipent activement. Les routes s'ouvrent partout, bref, notre pays est aujourd'hui un immense chantier. Si je me hasardais à vous donner un terme de comparaison, je vous dirais que l'année 1976 équivaut du point de vue des investissements à quinze années de colonisation. Alors nous vous attendons. — Aux Comoriens résidant à travers le monde et plus particulièrement dans l’Océan

Indien, je vous demande de prendre conscience de ce que certains parmi vous sont utilisés par l'ennemi dans le but de nuira à la patrie. Ouvrez bien les yeux, par exemple, pour voir que vous êtes partout exhortés à adopter une nationalité étrangère. Je vous dis solennellement qu'il s'agit là de manoeuvres apparemment éparses mais qui en réalité s'intègrent dans un plan d'ensemble visant à saper la nation. Alors, camarades, à nous tous, il reste maintenant que nous nous préparions pour accueillir, installer, orienter tous nos frères qui vont venir de Madagascar et, après tout, ne serait-ce pas là une occasion pour nous de bénéficier de ce surcroît d'énergie pour accélérer le processus de développement de notre pays ? En tout cas de cette épreuve, je sais que nous sortirons grandis et que Dieu nous aide.

ANNEXE IV : L’AFFAIRE DE MAJUNGA

ANNEXE V : UNE CHANSON POPULAIRE COMORIENNE SUR LE MASSACRE DE MAJUNGA