Chapitre III. La Tauromachie Sous Le Signe De La Fête
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Jean-Baptiste Maudet Terres de taureaux Les jeux taurins de l'Europe à l'Amérique Casa de Velázquez Chapitre III. La tauromachie sous le signe de la fête Éditeur : Casa de Velázquez Lieu d'édition : Casa de Velázquez Année d'édition : 2010 Date de mise en ligne : 8 juillet 2019 Collection : Bibliothèque de la Casa de Velázquez ISBN électronique : 9788490962459 http://books.openedition.org Référence électronique MAUDET, Jean-Baptiste. Chapitre III. La tauromachie sous le signe de la fête In : Terres de taureaux : Les jeux taurins de l'Europe à l'Amérique [en ligne]. Madrid : Casa de Velázquez, 2010 (généré le 02 février 2021). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/cvz/7714>. ISBN : 9788490962459. chapitre iii LA tauromachie sous le signe de la Fête Reprenons l’axiome des relations entre la fête et la tauromachie dans les régions de tradition taurine tel qu’énoncé en l’introduction de notre travail : peu de tauromachie sans fête, peu de fêtes sans tauromachie. Dans ces régions, il est rare en effet que les jeux taurins ne soient pas parties prenantes des réjouissances festives des calendriers civils ou religieux. Partout la fête et la tau- romachie semblent indissociablement liées au point qu’elles finissent par être assimilées à un seul et même phénomène de société : les fêtes taurines. Derrière cette évidence en trompe-l’œil, se cachent des réalités sociales et géographiques très hétérogènes. Cette hétérogénéité tient d’abord à la nature même des phé- nomènes festifs qui exigent d’être qualifiés pour être significatifs. Les recherches sur les phénomènes festifs montrent qu’il s’agit d’un objet complexe. De quelle fête parle-t-on ? Parle-t-on de ce qui est fêté, de l’objet de la fête ou parle-t-on de faire la fête ? Parle-t-on du jour de fête officiel, déclaré, institué, orchestré ? Parle-t-on de festoyer dans la démesure, l’exubérance et la spontanéité ? Cette hétérogénéité tient aussi, comme toujours, à la diversité des pratiques tauroma- chiques qui ne s’inscrivent pas toutes dans le même rapport à la fête et montrent qu’il existe des formes multiples de l’effervescence festive. La différence entre les spectacles de la tauromachie professionnelle et les jeux de la tauromachie à participation collective prend ici tout son sens. En sciences humaines, les fêtes ont très souvent été reliées au sacré. En effet, la fête est, soit considérée comme un événement qui prend sa source dans le sacré, soit comme un temps social qui, par sa « ritualité », reconstruit une forme de sacralisation. Jean Duvignaud y reconnaît l’influence de l’École française de sociologie selon laquelle « la fête est une manifestation du mana et correspond à la catégorie du sacré, laquelle s’oppose aux moiteurs et aux incertitudes de la vie profane »1. Nous pensons que l’indissociabilité de la fête et de la tauromachie, qui relève d’une construction sociale et sémantique, a en partie contribué à renforcer une lecture religieuse des ritualités taurines. Autrement dit, le regard porté sur la tauromachie, n’est pas le même lorsqu’on en parle comme une fête, 1 J. Duvignaud, Fêtes et civilisations, p. 53. Terre des taureaux.indb 107 16/09/10 08:55 108 jeux taurins d’europe et d’amérique un spectacle, un jeu ou un sport. Si la dimension rituelle des phénomènes festifs est indiscutable, admettons comme point de départ qu’il existe des rites profanes et que la notion de rite est valable dans une acception qui déborde largement le champ religieux. Comme le souligne Claude Rivière : « Entre l’habitude clas- sique de restreindre le rite au domaine du sacré et la tentation de dire rituels tous les comportements routiniers, le spectre du repérage et de l’explication du rite demeure vaste. Les définitions doivent être précisées et nuancées, celle de M. Mauss (acte traditionnel efficace qui renvoie à des choses appelées sacrées) comme celle de J. Beattie (acte social symbolique) »2. I. — Fêtes et tauromachies : une relation À interroger La tauromachie entre fête et spectacle Toutes les pratiques tauromachiques semblent s’inscrire dans une culture de la fête très affirmée. En Espagne, dans l’univers de la corrida, le mot fiesta suffit à désigner la tauromachie. L’histoire de la tauromachie présentée par José María de Cossío dans son ouvrage Los Toros s’intitule : « la Fiesta depuis ses origines jusqu’à nos jours »3. Cette association est reprise par un large champ sémantique où les frontières entre fête et jeu taurin se dissipent : fiesta taurina, festejos tauri- nos, fiesta brava, fiesta de los toros ou tout simplement fiesta. Mieux, en Espagne, l’appellation controversée de fiesta nacional, dans un pays où le concept de nation apparaît comme éminemment problématique, est encore couramment employée pour évoquer les corridas et pour ce qui relèverait d’une relation identitaire par- ticulièrement intense entre les Espagnols et la tauromachie. Notons d’emblée que cet emploi relève aujourd’hui davantage d’une formule héritée de l’histoire que d’un label officiel à caractère idéologique. Il n’en demeure pas moins qu’une relation forte unit la fête et la tauromachie, dans les mots et dans les faits. Le Diccionario de la Real Academia Española donne comme définition à l’expression « corrida de toros » : « une fête qui consiste à combattre un certain nombre de taureaux sur une place fermée »4. D’un point de vue strictement définitionnel, il est symptomatique que le terme de jeu ou de spectacle ne lui ait pas été préféré. De même, la loi taurine du 4 avril 1991 sur les compétences administratives en matière de spectacles taurins parle, dès la première phrase, du régime juridique de la Fiesta de Toros et entend instaurer les meilleures conditions pour garantir « la pureté de la fête »5. Il apparaît clairement que la fête taurine n’est pas un spec- tacle comme les autres et a fait l’objet d’une certaine codification d’État. 2 C. Rivière, Les rites profanes, p. 10. 3 J.-M. de Cossío, Los Toros, t. I, p. 17. 4 « Corrida de toros », dans Diccionario de la Real Academia Española. Disponible sur le site Internet : www.http://buscon.rae.es/draeI. 5 Loi 10/1991 sur le règlement des spectacles taurins. Exposé des motifs, article 1 et 2. Terre des taureaux.indb 108 16/09/10 08:55 la tauromachie sous le signe de la fête 109 En Espagne, le temps long de la tauromachie aurait-il fini par amalgamer les distinctions conceptuelles entre rite, fête, cérémonie officielle, spectacle et jeu ? Comment expliquer que la fiesta (taurine) tende à les réunir dans un fait social qui semble ne pas tenir compte de ces distinctions conceptuelles. On sait qu’à partir du xie siècle, la noblesse espagnole prend l’habitude de donner des courses de taureaux en place publique pour célébrer les naissances, les baptêmes, les mariages princiers ou la canonisation d’un saint. Les autorités locales des villas financent également des corridas votives pour que les saints intercèdent en leur faveur à l’occasion d’une épidémie6. La Renaissance entretient à merveille une ambiguïté baroque où la fête est un spectacle et le spectacle une fête. Certains défunts ordonnent sur leur testament que l’on donne une course de taureaux au bénéfice de leur âme7. Le peuple possède aussi ses propres jeux où l’on court les taureaux à l’occasion des noces8. Les marchés médiévaux avaient déjà rapproché les activités commerciales, les foires, les fêtes municipales et le divertissement des foules. Au xixe siècle, les spectacles taurins se greffent aux foires commerciales, les ferias. Les foires aux bestiaux des régions d’élevage ne sont-elles pas alors des occasions idéales, comme la célèbre feria de Séville officialisée en 1846 ? Quoi qu’il en soit de ce processus sur lequel les historiens n’ont pas encore fait toute la lumière, le divertissement taurin, parmi les événements programmés de la fête officielle et parmi les distractions de la foire commerciale, apparaît bien comme le grand moment d’effervescence communautaire au point qu’il accapare et cris- tallise les attributs de la fête : le temps et le lieu d’exception, le rassemblement, le tumulte et l’enthousiasme. Les fêtes taurines résulteraient-elles d’une fusion lente du rite, de la fête, de la foire, du spectacle et du jeu taurin, dans le moule de la représentation où s’amalgament le fond, le prétexte et la forme ? On aurait pu croire cet effet réservé à l’Espagne et aux corridas. En réalité, cet amalgame se retrouve dans l’immense majorité des pratiques tauromachiques et bien au-delà des frontières espagnoles, comme si la tauromachie était prédis- posée en terres taurines à occuper une place à part dans les phénomènes festifs, aussi sûrement que le font universellement la musique, la danse, la gastronomie et l’ivresse des sens. En Amérique latine, l’univers de la corrida s’inscrit aussi dans une égale intimité avec la fête faisant des courses taurines plus qu’un simple spectacle. L’exemple du Pérou est très significatif. Dans ce pays, l’article 5 de la loi taurine précise que « l’État pourra adopter des mesures destinées à promouvoir et protéger les activités auxquelles se réfère la présente loi, pour garantir le maintien de la tradition et de la culture de la fiesta de los toros »9. Dans le texte introduc- 6 A. García-Baquero González et alii, Sevilla y la fiesta de los toros, p. 17. 7 Ibid., p. 18. 8 Á. Álvarez de Miranda, Le taureau. Rites et jeux, pp. 89-96. 9 Loi taurine du 27 juillet 2001, article 5 (mesures de promotion) alinéa a.