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Ciné-Bulles Le cinéma d’auteur avant tout

Perspective : cinéma iranien Après la révolution : le cinéma iranien aujourd’hui Miriam Rosen

Volume 13, numéro 4, automne 1994

URI : https://id.erudit.org/iderudit/33869ac

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Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique)

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Citer cet article Rosen, M. (1994). Perspective : cinéma iranien : après la révolution : le cinéma iranien aujourd’hui. Ciné-Bulles, 13(4), 20–25.

Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 1994 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

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pense que Sabzian est un escroc, un charlatan, etc. Après la révolution: Mais cadré en gros plan, on s'aperçoit que ce n'est pas vrai. J'ai placé une caméra, visible pour le le cinéma iranien spectateur, à 1 ' avant de la cour pour filmertou t ce que aujourd'hui Sabzian pouvait vouloir dire; c'est la caméra de l'art, celle qui permet aux gens de parler de leurs problèmes personnels car c'est ce qui est important.» Dans la par Miriam Rosen vingtaine de films que Kiarostami a réalisés — courts métrages éducatifs, longs métrages docu­ mentaires, films de fiction — la caméra scrute les aspects extraordinaires de la vie quotidienne. Cela est vrai aussi pour plusieurs films iraniens actuels; comme si l'écran était le miroir de la société, les cinéastes examinent les détails du présent et du passé, exorcisent les cauchemars collectifs de la n octobre 1989, un certain Hossein Sabzian, domination européenne, du règne du shah, de la chômeur, profitant d'une confusion d'iden­ guerre -Irak, et expriment les angoisses indi­ E tité, se fit passer auprès d'une riche famille viduelles, qui se révèlent tout aussi universelles que de Téhéran pour le réputé cinéaste Mohsen Makh- spécifiquement iraniennes. malbaf. Il fut rapidement démasqué, et l'histoire de son usurpation d'identité manquée et de son arres­ Si Close-up pousse à la limite le mélange du docu­ tation fut publiée dans un hebdomadaire à grand mentaire et de la fiction, le cinéma iranien, et l'art tirage; elle y attira l'attention d'un autre cinéaste persan en général, ne sépare pas le vécu de l'imaginé, connu, , qui décida d'en faire un les événements réels et les apparences subjectives. film. Cettejuxtapositiondesfaitsetde la fiction implique une technique souple, qui laisse tant de place à Kiarostami allait commencer un autre tournage, mais l'improvisation que le tournage finit souvent par il réussit à convaincre son producteur d'envoyer faire partie du film. C'est ainsi qu'à la fin de Close- l'équipe du film à la prison où Sabzian était détenu, up, le vrai accueille Sabzian à et les autorités judicaires, y compris le juge religieux sa sortie de prison et l'emmène, à sa demande, rendre commis à l'affaire, de le laisser filmer le procès, une visite à la famille auprès de laquelle Sabzian s'était première en Iran; enfin, il persuada tous les intéressés, fait passer pour lui. La caméra les suit, on perd le son accusé, victimes, policiers et journalistes de participer — «c'est la seule prise» se lamente Kiarostami — à la reconstitution de ce qui s'était passé au procès. remplacé par de la musique pendant le reste de la séquence. Ce véritable «passage à travers le miroir» devint Close-up (Nema-ye nazdik, 1990), un film où il est Dans le Mariage des élus (Arusi-e khuban, 1989) impossible de distinguer le documentaire de la fiction, de Makhmalbaf, on voit lors d'une scène de rue en grande partie grâce à l'extraordinaire capacité de nocturne de vrais agents de police attaquer les acteurs, Kiarostami de plier la réalité à ce qu'elle devrait être ! puis le caméraman et le metteur en scène. Dans les trois sketches du Colporteur (Dastforoush, 1987), D'abord présenté au Festival du film «Fajr» (qui certains personnages, assumant une existence signifie «l'aube») de Téhéran en 1990, où il obtient autonome, reviennent d'un sketch à l'autre comme Filmographie le Prix du jury, Close-up fit ensuite la tournée des dans le Décalogue de Kieslowski. Cette conception d'Abbas Kiarostami: festivals européens et nord-américains, gagnant no­ de F art comme spectacle et comme artifice fait partie tamment le Grand Prix à Montréal en 1990 et à de la culture traditionnelle de l'Iran, des farces 1973: A Dress For the Dunkerqueen 1991. populaires appelées siah-bazi, des pièces tazaiyeh Wedding Ceremony 1974: The Passenger qui mettent en scène le martyre de l'iman shiite 1978: The Report Bien qu'il soit un film inclassable, Close-up est Hussien comme des contes inspirés par l'épopée pré­ 1987: Où est la maison de mon pourtant caractéristique à maints égards du cinéma islamique du Livre des rois (Shah-named). À vrai ami? iranien d'aujourd'hui, ne serait-ce que par son utili­ dire, l'esthétique très élaborée et la composition très 1989: Homework structurée de ces films montrent bien que même si le 1990: Close-up sation du gros plan. Selon Kiarostami, «le gros plan 1992: Et la vie continue implique qu'on s'approche le plus possible de quel­ tournage a comporté une grande part d'improvisation, 1994: A travers les oliviers qu'un. Si l'on considère l'affaire Sabzian de loin, on l'œuvre achevée est rien moins qu'improvisée. Ainsi,

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pour Close-up, non seulement Kiarostami a-t-il fait Ces antécédents très variés expliquent chez les Filmographie de avancer la date du procès, mais il a passé dix heures cinéastes une conception peu spécialisée, sinon arti­ Bahram Beizai: à filmer une procédure qui prend normalement une sanale, de la production, l'utilisation fréquente d'ac­ 1970: Uncle With a heure, après quoi il a encore tourné du métrage teurs non professionnels, une grande part de souplesse Moustache supplémentaire, notamment de l'accusé s'adressant et d'improvisation. Beaucoup écrivent leurs propres 1971: Downpour directement à la caméra installée juste devant lui. scénarios, plusieurs, notamment Beizai, Kiarostami, 1972: The Journey Naderi et Ayyari, font le montage de leurs films, et 1973: Stranger and Fog 1976: The Crow Quelques réalisateurs Makhmalbaf apparaît au générique de ses derniers 1978: The Legend of Tara films non seulement comme réalisateur, scénariste et 1981: The Death of Abbas Kiarostami a étudié les beaux-arts; il a été monteur mais aussi comme décorateur! En outre les Yazdgerd affichiste, illustrateurdelivresd'enfantsetréalisateur cinéastes, en particulier ceux qui sont associés à 1985-1989: Bashu the Little l'Institut, collaborent les uns avec les autres: Naderi Stranger de films publicitaires avant de devenircinéaste à part 1988: Maybe Some Other entière. En 1989, il fut chargé de mettre sur pied une a écrit le scénario du court métrage de Kiarostami Time équipe de production à l'Institut pour le dévelop­ l'Expérience (Tajrobe, 1975), Kiarostami celui de 1992: Travellers pement intellectuel des enfants et adolescents, qui la Clé (Kelid, 1989) d'Ibrahim Foruzesh, tandis que est resté sa base. Beizai a monté plusieurs films de Naderi. C'est le film de Naderi le Coureur (Devandeh, 1985) qui a Comme lui, beaucoup de cinéastes iraniens sont des fait connaître à l'étranger le «nouveau cinéma autodidactes ou viennent d'un autre métier. Bahram iranien»; il a été sélectionné aux festivals de Venise, Beizai qui, à 54 ans, peut être considéré comme le Londres, Nantes, Tokyo, Hong Kong, San Francisco doyen des cinéastes actuels, fut critique de théâtre et et Sydney, et a connu une distribution commerciale de cinéma dans les années 50; il est l'auteur d'une aux États-Unis et en Europe. Naderi lui-même s'était vingtaine de pièces et d'essais sur le théâtre indien, déjà exilé à New York où il a réalisé Manhattan By chinois et japonais qui font autorité. Lui aussi a Numbers. réalisé ses premiers films à l'Institut pour le dévelop­ pement intellectuel. Le Coureur est l'histoire d'un enfant qui grandi dans les rues d'Abadan, la ville natale de Naderi; Massoud Kimiai (1943) et Amir Naderi (1945) sont c'est à la fois une autobiographie néoréaliste et un tous deux autodidactes. Orphelin, Naderi grandit récit allégorique sur la recherche de la liberté qui se dans les Abadan, port du sud du pays où il a tourné situe dans le prolongement des films précédents de plusieurs de ses films; il n'alla pas plus loin que Naderi. l'école primaire et fit toutes sortes de métiers, de concierge à projectionniste, avant de devenir photo­ De même si son dernier film,l a Vie continue (Zendeji graphe de plateau, assistant-monteur, assistant- va digar hich, 1992) a gagné le Prix Rossellini à réalisateur, et de réaliser, pour l'Institut, son premier Cannes et fait «découvrir» Kiarostami, celui-ci, à 52 court métrage en 1971. Mais les cinéastes plus jeunes ans, a derrière lui 20 ans de production régulière. La ne sont pas nécessairement les produits d'une école continuité est en fait un aspect essentiel du «nouveau de cinéma. Certains, comme Kayanoush Ayyari et cinéma» iranien, qui n'est pas sorti tout armé de la Abolfazl Jalili, viennent du mouvement super 8 cuisse de la révolution, même si c'est l'impression «cinéma libre»; d'autres, comme SayedEbrahimitar, qu'on en a en Occident. Comme le souligne Varouzh Karim-Masihi et Kambouzia Partoui ont Kiarostami, «les vrais cinéastes ont les mêmes Filmographie de d'abord été assistants ou scénaristes. Mohsen préoccupations après qu'avant; réaliser des films est Massoud Kimiai: Makhmalbaf est venu au cinéma... par la prison; il a une entreprise personnelle, et s'ils la prennent au en effet été emprisonné quatre ans au milieu des 1968: Come sérieux, ils vont faire la même chose qu'ils faisaient 1969: Gheysar années 70 pour activités anti-gouvernementales en avant. Ce sont ceux qui n' avaient pas une vision, des 1970: Reza, the Motorcyclist tant que membre de l'opposition religieuse. Après la préoccupations personnelles qui ont changé.» 1971: Dash Akol révolution et une brève période au comité central des 1972: The Balouch 1973: Soil moujahidines, il commença à écrire pour la radio, Un retour en arrière puis pour le théâtre et le cinéma. En 1981, il fonda le 1975: The Deer 1978: Journey of The Stone bureau des arts de l'organisation pour la propagation Le cinéma a été amené en Iran au début du siècle non 1982. The Red Une de la pensée islamique, et tourna l'année suivante le par des réprésentants d'Edison ou des frères Lumière, 1986: Blade and Silk premier de ses dix films à ce jour, le Repentir de mais par le shan Mozaffareddine, qui avait découvert 1989: The Lead 1991: The Sergeant Nassouh (Tobe-ye Nassoh) qui traite du péché et de le cinématographe Gaumont en Europe lors d'une la rédemption dans l'Islam. 1991: Snake Fang première visite en 1900. Des salles ouvrirent peu 1993: Wolf Trace

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Guv (la Vache) de , 1969 après, mais les films étaient tous importés; à part les d'action, tant iraniens (environ 60 films par an au bandes d'actualités, il n'y eut de production locale début des années 70) qu'importés, de Hollywood, de qu ' à partir des années 30, encore fut-elle interrompue Rome, de Bombay et de Hong Kong. par la guerre de 1939. Une production commerciale se développa à partir des années 50, et un mouvement Avec la détérioration de la situation économique d'avant-garde vit le jour en 1958 avec Centre-ville vers le milieu des années 70, la production cinémato­ (Jonub-e shahr), un film de Farrokh Gaffary. Mais graphique chuta dramatiquement: en 1978, un an c'est vers la fin des années 60 que deux films, la avant la chute du shah, elle était tombée à 20 films. Vache (Gav, 1969) de Dariush Mehrjui, et César Le cinéma n' en demeurait pas moins pour l'opposition (Qaysar, 1969) de Massoud Kimiai, signalèrent la religieuse le symbole des valeurs anti-islamiques et naissance de ce qu'on allait appeler le «nouveau de l'intrusion étrangère. En 1978, l'incendie du cinéma iranien». Les cinq années suivantes virent cinéma Rex à Abadan fit près de 400 victimes. Le fleurir une activité très productive, qui demeurait gouvernement en accusa aussitôt les fondamen­ cependant marginale et restait soumise aux fluctua­ talistes, mais l'opinion publique y vit plutôt une tions de la politique du régime Pahlavi, qui tantôt provocation anti-religieuse de la police secrète, la subventionnait les cinéastes de talent pour se donner redoutable Savak. De toute façon, le sens de l'attentat une image libérale à l'étranger, tantôt les censurait était clair pour tout le monde, et les cinémas devinrent Filmographie de: pour des raisons de politique intérieure. Le ministre une des cibles favorites de la violence anti-gouver­ Kianush Ayyari: de la Culture, beau-frère du shah, n'expliquait-il pas nementale; près de 180 d'entre eux furent brûlés ou 1985: The Monster en 1964: «L'armée défend les frontières du pays, et fermés pendant la révolution. Le jour où les troupes 1986: The Specter of Scorpion le gouvernement celles de la pensée.» de Khomeiny prirent le pouvoir, le New York Times 1988: Beyond the Flames annonçait que le plus grand cinéma de Téhéran allait 1989: The Magnificent Day 1992: Two Halves of an Apple Les salles commerciales, elles, programmaient tou­ rouvrir «mais ne montrerait que des films non im­ 1993: TheAbadanies jours des mélos, des comédies musicales et des films moraux.»

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En fait, les quelques mois qui suivirent la chute du de le faire. Il en fut ainsi jusqu'au début des années shah furent une période de libéralisation sinon de 80, mais les films, souvent la version «révolution­ libération du cinéma et des autres arts. La disparition naire» de projets antérieurs à la révolution, bourrés de la censure du régime Pahalavi a permis l'impor­ d'action et de violence pour pallier l'absence de tation de fruits naguère défendus du cinéma politique, vedettes et de sexe, n'offraient pas ce que le public des classiques soviétiques à la Bataille d'Alger, à Z était disposé à consommer, et le gouvernement com­ et à Mahomet le messager de Moustapha Akkad. prit — assez vite, rétrospectivement — que cette Les cinéastes, le public, le nouveau gouvernement politique n'allait pas fonctionner. Un ex-membre du étaient tous optimistes, mais peut-être pas pour les Conseil d'inspection des scénarios et des films, mêmes raisons: les cinéastes espéraient voir s'ouvrir l'hajjatoleslam Golmochammadi, observa que «ce une nouvelle ère de liberté, le public attendait de n'est pas parce qu'un scénario ne contient rien qui nouveaux films,tandisqu e le gouvernement se rendait offense l'Islam qu'il fera un bon film.» En 1983, le compte que dans un pays où le taux d'analphabétisme ministère de la Culture et de l'Orientation islamique, dépasse 80 p. 100, le cinéma serait un excellent dont l'industrie cinématographique dépendait depuis véhicule des idées de la révolution. «Nous ne sommes un an, élabora un plan triennal destiné à hausser le pas contre le cinéma, la radioou la télévision, déclarait niveau de la production, à régénérer le marché local, l'Ayatollah Khomeiny dans son premier discours à et à rendre les films iraniens compétitifs avec ceux son retour d'exil en 1979. Le cinémaest une invention des grands pays producteurs. La fondation Farabi moderne qui devrait servir à éduquer le peuple, mais pour le cinéma, qui distribuait les fonds de l'État aux comme vous le savez, il a servi à corrompre notre producteurs privés, reçut le monopole de l'impor­ jeunesse. Nous sommes contre le mauvais usage tation et de l'exportation des films.L e prix des billets qu'ont fait du cinéma des dirigeants traîtres aux fut augmenté et les taxes municipales diminuées et la intérêts du peuple iranien.» production put bénéficier de prêts à long terme. Des fonds en devises permirent l'achat d'équipement et Ce fut évidemment le point de vue du gouvernement de matériel et une nouvelle classification des films qui l'emporta, encore qu'il ne fut pas toujours clair; favorisa la distribution des films de qualité. Fondé en Amir Naderi déclarait vers la finde s années 80: «Les 1983, le Festival du film «Fajr» se tient chaque année slogans changent constamment, les dirigeants aussi; pour commémorer l'anniversaire de la révolution. les intellectuels et les cinéastes ne savent pas ce qui Ses ambitions internationales furent quelque peu leur est permis.» contrecarrées par les exigences de la censure — les cinéastes étrangers n'avaient évidemment aucune Afin d'orienter le cinéma vers «les objectifs et les raison d'exposer leurs films à ses ciseaux — et les valeurs islamiques», une véritable chaîne de censure organisateurs s'aperçurent rapidement que le cinéma fut établie pour contrôler la production aux stades du iranien n'était pas encore en mesure de soutenir la synopsis, du scénario, du choix des acteurs et des comparaison, et moins encore d'entreren compétition techniciens, du film terminé et de sa cote. Les films avec le reste du monde, et les sections étrangères du antérieurs à la révolution qu'on avait pu modifier festival furent supprimées. pour qu'ils s'accordent à la nouvelle conjoncture furent distribués. «Nous devons montrer des films Elles furent rétablies en 1986, quand le cinéma post­ conformes aux valeurs islamiques», expliquait un révolutionnaire a commencé à trouver ses assises. En 1985, les recettes des films iraniens (lourdement exploitant de Téhéran; «quand le crayon-feutre ne Filmographie suffit pas, on coupe.» Mais les films commerciaux subventionnés) avaient dépassé celles des films d'Am r Naderi: du temps du shah étaient irrécupérables, et leurs étrangers sur le marché national. À l'étranger, ils commençaient, grâce aux effors de la fondation 1970. Goodbye, Friend réalisateurs, scénaristes et vedettes se retrouvèrent 1971. Impasse sur la liste noire. Dariush Mehrjui lui-même, pourtant Farabi et à la décision du gouvernement en 1986 de soutenir le cinéma de qualité, à être présentés dans 1973. Tangsir catapulté vers le succès par l'admiration déclarée de 1974. Waiting Khomeiny pour la Vache, vit son film la Cour de les festivals. En 1990, les films iraniens totalisèrent 1974. Harmonica l'école (Hayat-e poshte madraseh, 1980) bloqué 330 sélections, des programmes spéciaux leur furent 1975. An Elegy par le censure; il choisit de quitter le pays. consacrés aux festivals de Pesaro, de San Sébastien, 1976. Requiem de Nantes au Festival de films pour enfants de 1976. Made in Iran, Made in America Giffoni et une série de 17 films, la plus importante à 1980. Search One (t.v.) Dans ces conditions, 1 'année 1979 fut, selon l'expres- ce jour, fut présentée à UCLA. sion du critique Houshang Golmakani, «l'année des 1981. Search Two (t.v.) 1985. The Runner opportunistes». Les cinéastes qui étaient disposés à Ces cinq dernières années, la production a de nouveau 1985. Water, wind and sand suivre la ligne révolutionnaire reçurent les moyens atteint le chiffre de 80 films, et fait notable, surtout 1993: Manhattan by Numbers

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Travellers de Bahram Beizai pour un pays du tiers-monde, ce sont en majorité des donnent un rôle dominant. Deux femmes, Rakhshan films bien accueillis par le public, tant en Iran qu'à Bani Etemad ( 1954) et Puran Derakhshandeh ( 1951 ), l'étranger. Ils sont aussi très différents les uns des figurent depuis la fin des années 80 dans le peloton autres, non seulement par les situations et les thèmes, de tête des cinéastes; toutes deux viennent de la ce qui est normal dans un pays aussi varié géographi- télévision. Derakhshandeh en particulier aborde les quement, ethniquement, économiquement et socia­ problèmes les plus actuels des femmes, dans une lement, que par les genres — films d'époque, poli­ perspective strictement sociale plutôt que politico- ciers, comédies de mœurs. Le nombre de films suret religieuse. pour les enfants s'explique en partie — les cinéastes le reconnaissent — par les contraintes de la censure, En Iran comme ailleurs, la télévision a exercé une mais il reflète aussi la tradition littéraire et cinémato­ forte influence esthétique: intérieurs trop éclairés, graphique iranienne, et le fait que 45 p. 100 de la travail de la caméra simplifié, montage rapide. Qui­ population a moins de 18 ans. conque se souvient des premiers films de Mehrjui, la Vache et le Cycle, du noir et blanc granuleux de l'un Les filmshistoriques—l e Lion de pierre de Massoud et des couleurs agressivement symboliques de l'autre, Jafari Jozani et le Navire Angelica de Mohammad sera frappé dans H anion n par l'aspect plus évidem­ Reza Bozorghia — tentent de décoloniser l'histoire ment spectaculaire, et dans son film précédent, les de l'Iran. Les films de guerre, qui fleurirent pendant Locataires (1987) par le style téléromanesque. On la longue guerre avec l'Irak, ont fait place à une trouvera toujours cependant la beauté de la lumière réflexion plus nuancée, souvent anti-militariste, sur et du paysage, les couleurs vives, la texture des ses lendemains, comme en font foi le Mariage des vêtements et des objets traditionnels, avec en plus élus de Mohsen Makhmalbaf ou Dans les chemins aujourd'hui les sombres couleurs de la ville, qui de l'amour de Khosrow Sinai. s'imposent en conséquence de l'industrialisation d'un côté, du code islamique du vêtement de l'autre. En dépit d'une censure qui interdit de montrer les Le gros plan comme choix social et psychologique se cheveux ou toute autre partie du corps des femmes traduit par une immédiateté visuelle obtenue par la susceptible d'éveiller le désir des hommes, beaucoup concentration de 1 ' action au premier plan ou dans des de films abordent la question des femmes ou leur espaces clos, et par une interprétation très gestuelle

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héritée du théâtre, autant que par les gros plans une tradition d'une société qui n'a jamais connu au Cet article doit beaucoup à proprement dits. Une telle technique n'autorise guère long de son histoire une véritable liberté politique. MamadHaghigha qui. pendant l'idéalisation: si, comme l'explique Kiarostami, le les années où il a présenté le «Nous devons, affirme Bahram Beizai, faire des Festival de films iraniens à gros plan révèle les difficultés des gens, il révèle films que le public interprétera comme il l'entend... Paris, m'a permis, comme à aussi leurs faiblesses. La caméra ne recule ni devant et l'État aussi.» bien d'autres, de voir des films la cruauté ni devant la souffrance, et si les histoires et de rencontrer des cinéastes: d'enfants se prêtent souvent à une innocence rédemp­ La censure iranienne a pour mission, en principe, de il a mis à ma disposition sa vaste documentation, et m'a trice, celles qui mettent en scène des adultes, singu­ protéger la religion, le chef de l'État et le bien des prodigué explications, traduc­ lièrement dans les films de Makhmalba, ont rarement citoyens; en pratique, elle affecte surtout la repré­ tions et encouragements avec des fins heureuses. sentation de la femme. On a donc le choix soit une inépuisable générosité. d'éviter entièrement les histoires comportant des La culture cinématographique qui les accompagne femmes, soit de situer l'action dans le passé ou à la est tout aussi importante pour le cinéma que les films campagne, parce que le costume traditionnel permet, eux-mêmes, et c'est sans doute la caractéristique la comme l'exige la censure, de cacher les cheveux et plus remarquable du cinéma post-révolutionnaire: il de dissimuler le corps des femmes, et qu'elles soient y avait de bons films et de bons cinéastes sous le dehors ou dans la maison, parmi les étrangers, des règne du shah, mais pas l'intérêt populaire d'aujour­ amis, avec leur famille ou même seules — puis­ d'hui. Le festival s'est tenu en 1992 dans 14sallesde qu'elles sont de toute façon toujours devant les yeux Téhéran, et les dix premières journées à elles seules des spectateurs. ont attiré 420 000 spectateurs, et il n'est pas le seul; il y a des festivals du film éducatif, du 8 et du 16 mm, En général, le tchador témoigne continuellement du court métrage et même, depuis 1987, du film d'une réalité imposée; au demeurant ces contraintes rural. Les quelques 300 cinémas du pays sont tout à font probablement la force du cinéma iranien, post fait insuffisants et le gouvernement a entrepris d'en comme prérévolutionnaire, parce que la réalité doubler le nombre. Seulement à Téhéran, il y a imposée, et la nécessité de la surmonter, sont le environ 500 000 propriétaires de magnétoscopes, terrain sur lequel se rencontrent forcément les 5000 clubs vidéo (et un marché noir florissant de cinéastes et le public. «La censure est partout, observe cassettes pornographiques). L'édition de livres sur le Ebrahim Golestan, écrivain et cinéaste en exil, la cinéma se porte bien, la télévision a programmé une tâche de l'artiste est de la contourner.» • histoire du cinéma iranien en 28 parties, et l'émission le Calendrier des images présente des entrevues avec des cinéastes et des critiques. Les 60 000 exemplaires de la revue Film Monthly ne suffisent pas à la demande, c'est la pénurie de papier qui Solution des mots croisés empêche d'augmenter le tirage. de la page 8

Le cinéma reste la forme la plus populaire de V N n 1 | | N 3 y O 1 01 distraction de masse parce qu'il est bon marché, que les programmes de télévision sont très mauvais et n V 3 H | n V i j | a 11 6 qu'il n'y a plus de boîtes de nuit. L'analphabétisme reste élevé, et «peut-être cela tient-il aussi, note • N I V S Kiarostami, à la répression politique; les gens sont V 1 L démoralisés et se réfugient au cinéma.» Au-delà de * ces raisons négatives, cependant, il n'y a pas de doute „ 9 que les films réalisés aujourd'hui en Iran éveillent un • î ? • • écho dans le public. Il est significatif que Hossein V 3 d 0 d V o Ç Sabzian, le héros de Close-up, ait cru trouver la clé • a IAI n 1 s O D du succès non dans la personnalité d'une vedette de • l'écran, encore moins d'un athlète ou d'un homme i V S s 3 1 V 1 y V politique, mais dans celle d'un cinéaste. Le cinéma semble représenter en Iran, plus que dans d'autres N i il IN il 1 3 y pays, une forme d'expression culturelle véritablement O V 3 y 3 H D enracinée dans l'expérience collective; il perpétue D I In non seulement la culture pré-révolutionnaire, mais 01

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