Renseignements généraux JE T’AIME MOI NON PLUS

Arlette Chabot « Il est arrivé plusieurs fois qu’on demande ma tête. » Elle assure avoir un « physique de radio », mais cela ne l’a pas empêchée de présenter les « Soirées politiques » de 2 pendant quinze ans, arbitrant même le duel Royal-Sarkozy en 2007. La radio, Arlette Chabot y a aussi touché au début de sa carrière, à France Inter, et de nouveau aujourd’hui, à Europe 1. Elle garde un souvenir contrasté des politiques qui se sont présentés face à elle. À 62 ans, elle n’oublie pas la lâcheté de certains, ni la générosité des autres. Propos recueillis par Olivier Faye portraits Tom Buisseret

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Quand France Inter Chirac roulait pour Giscard le garagiste

L’élection présidentielle de 1981 a représenté ma première états-majors PS et RPR. Un directeur déboule au studio incursion en politique. J’étais une jeune journaliste à et me dit : « C’est un scandale ! Vous allez dire que Jacques France Inter, tout juste trentenaire. J’avais commencé Chirac appelle à voter pour Giscard ! » J’ai refusé. « C’est un tueur en politique, à suivre le Parti socialiste, mais quand la campagne est La fin de campagne a été compliquée. Le soir de la victoire arrivée, on m’a collée derrière Jacques Chirac. Il était de Mitterrand, le 10 mai, à Radio France, beaucoup de vous pouvez trouver ses idées alors le véritable ennemi de Valéry Giscard d’Estaing, gens se sont sentis de gauche tout d’un coup. Il y a eu des détestables, mais le type est bien plus que François Mitterrand. Tous les journa- vocations soudaines. Au milieu de ce foutoir, mon patron, toujours humain et sympa. listes qui suivaient Chirac à l’époque avaient très peu de dont je tairai le nom, m’explique : « Arlette, vous avez débouchés à l’antenne, car l’Élysée avait décidé d’occulter beaucoup de chance. Si François Mitterrand n’avait pas été C’est ça que les gens aiment sa campagne. Quand j’envoyais un papier le soir, il n’était élu, je vous aurais mis à la porte. » Il a démissionné dans la chez lui. Il connaît les gens, pas diffusé le lendemain. On nous expliquait qu’il n’y avait foulée, et j’ai eu après ça d’excellentes relations avec lui. pas de place. C’était comme ça dans toutes les radios et Comme avec Giscard d’ailleurs. il les aime. » télés. Charles Pasqua et les responsables du RPR faisaient le tour des rédactions pour se plaindre de leur sort. Mes chefs disaient à propos de moi : « Elle est jeune, elle ne fait pas bien son travail… » Quelqu’un a fini par me dire la vérité : « Quand tu envoies tes papiers à minuit, le directeur, qui sort tous les soirs son chien pour qu’il fasse pipi, monte à la rédaction, récupère les bobinos sur Chirac et les fout à la poubelle. » Après avoir appris cela, j’ai décidé de venir moi-même déposer mon papier vers 1h15. Le voleur de bobinos était couché à cette heure-là, il ne pouvait plus sévir. Ils ne pouvaient plus se cacher derrière la prétendue disparation de mes papiers et devaient donc assumer le fait de ne pas les diffuser. Chirac a toujours été un type très sympa. Le grand truc qu’il eut beaucoup neigé. Chirac me demande si j’ai une L’entre-deux-tours a été terrible. Jacques Chirac de Giscard, c’était de demander (Elle l’imite, la bouche en voiture. Je lui dis que oui. « Je veux savoir si elle démarre, je fait une conférence de presse en disant : « À cul de poule.) : « Vous êtes venue comment ? » Chirac, lui, viens avec vous. » Un peu gênée, je lui explique que ce n’est titre personnel, je ne puis que voter pour monsieur s’inquiétait : « Comment est-ce que vous rentrez ? Vous avez pas la peine, que j’allais me débrouiller. Il a fini par m’ac- Giscard d’Estaing. » Je fais donc un papier dans des voitures ? » Sa méthode consistait à chouchouter les compagner. Il a toujours été attentif aux autres. J’avais un lequel j’explique que ce n’est pas un désistement, journalistes, même s’il savait que ça n’allait pas changer copain dont la femme avait fait une tentative de suicide. qu’il n’appelle pas ses électeurs à voter Giscard. nos papiers. Il y avait beaucoup de moyens investis dans Chirac s’en était occupé, l’avait fait hospitaliser, l’appelait Il était sûr que les gaullistes allaient voter Mit- sa campagne de 81, des avions privés, etc. C’était l’époque tous les jours pour lui dire : « Quand on est mère de famille terrand, c’était l’époque où il y avait des ren- où personne ne se posait de question à ce sujet. On faisait on a une responsabilité », etc. C’est un tueur en politique, contres secrètes chez Édith Cresson entre les un déplacement par jour, avec en général un départ à vous pouvez trouver ses idées détestables, mais le type 9 heures le matin et le retour à 1 heure le jour suivant. est toujours humain et sympa. C’est ça que les gens

illustrations Benoît Carbonnel © benoî t C arbonnel pour harles Un soir, nous avions atterri à l’aéroport du Bourget après aiment chez lui. Il connaît les gens, il les aime.

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Mitterrand, c’est le contraire Une pomme de Hollande de discorde

Début janvier 1995, j’ai posé une question à Jacques Chirac qui est restée dans les bêtisiers pendant des années. Il est alors candidat à la présidentielle et placé assez bas dans les sondages derrière Édouard Balladur. Nous l’interviewons sur avec Alain Duhamel. Alain lui demande pourquoi un pommier est dessiné sur la couver- ture de son dernier livre, et là, Chirac fait sa fameuse réponse sur les pommes qui sera moquée ensuite par les Guignols (« J’aime beaucoup les pommes. Je suis un mangeur de pommes » − NDLR). C’était la dernière question, je me suis dit qu’il n’était pas possible de finir sur ça. Je lui demande donc s’il compte aller jusqu’au bout de sa can- didature, ce qui était un vrai sujet de débat à l’époque. Il me regarde, un peu surpris, et me demande si je fais Mitterrand se méfiait beaucoup des Quand il a été opéré pour la première de l’humour. Le lendemain, tous les journaux titraient : journalistes plus âgés, ceux qui avaient fois de son cancer, et que cela s’est su « Chirac ira jusqu’au bout. » C’était assez positif, les connu la ivème République. Il était très marqué publiquement, en septembre 1992, l’Élysée chiraquiens étaient ravis. par le faux attentat de l’Observatoire en 1959, avait imaginé une sortie d’hôpital avec caméras Je pars quelques jours en vacances, et à mon retour il pensait que tous les journalistes de l’époque le et micros. Je travaillais pour Antenne 2, nous étions quelqu’un me dit qu’il y a un problème avec Chirac, détestaient. Ce n’était pas complètement faux. Nous, là avec Jean-Luc Mano, par hasard bien entendu… Il sort, qu’il ne veut plus me voir de toute la campagne. J’ai jeunes journalistes, avions donc un accès à lui plus facile s’avance vers nous et s’arrête spontanément. C’était la mis des mois à comprendre ce qu’il s’était passé. On pendant sa campagne de 1981. J’ai découvert un homme première fois qu’un président de la République s’expri- m’a finalement expliqué que quelqu’un était allé le extrêmement intimidant. Quand on faisait une interview, mait après une intervention chirurgicale ! On était noués voir en lui disant que ma question avait été posée à la « Je pars quelques jours j’avais l’impression qu’un bloc de glace se mettait entre à mort, on se demandait quelle question lui poser qui demande de , à l’époque directeur de en vacances, et à mon retour nous. Il n’y avait pas de chaleur, pas de familiarité. C’est le ne soit pas trop idiote. On a dû dire un truc con du type : campagne de Balladur. Ce n’était bien sûr pas le cas ! quelqu’un me dit qu’il y a un contraire de François Hollande, il n’aurait pas répondu par « Comment allez-vous ? » Il avait mauvaise mine mais Je reconnais simplement qu’elle avait été maladroite- SMS si cela avait existé à l’époque. C’était un type d’une affichait dans le même temps un sourire radieux. Il nous ment formulée. Je n’ai pas vu Chirac pendant des mois, problème avec Chirac, immense culture, vous vous disiez avant de le voir que s’il parlait du ciel qu’il voyait au travers de la fenêtre de sa sauf pour une émission durant laquelle il a passé son qu’il ne veut plus me voir de toute la vous interrogeait sur Gide ou un autre, vous ne sauriez chambre d’hôpital, des nuages, du temps qui passe… temps à me regarder avec des yeux de haine. Pour lui, pas quoi dire. Pendant la cohabitation, les ministres de Nous n’étions pas avec le président de la République, mais c’était une trahison, le truc le plus épouvantable qu’on campagne. J’ai mis des mois à com- droite étaient intimidés à l’idée de parler avec lui. avec un vieil homme qui essayait de s’en tirer. Ça a été le puisse faire quand on est journaliste. Je n’en ai jamais prendre ce qu’il s’était passé. »

moment le plus émouvant de ma carrière. © benoî t C arbonnel pour harles parlé avec lui par la suite.

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L’inexcusable Les pressions Sarkozy Quand Bayrou monsieur Peillon de Bérégovoy et son stylo accuse Cohn-Bendit

Je ne suis fâchée qu’avec une seule personne en politique : C’est arrivé plusieurs fois que l’on réclame ma tête. Pierre J’ai eu la chance d’animer le débat d’entre-deux-tours de J’ai fait un débat pour les européennes en 2009 qui a été Vincent Peillon. Il n’est pas venu sur le plateau d’« À vous Bérégovoy l’avait fait quand il était à Matignon. J’avais dit la présidentielle 2007 avec Patrick Poivre d’Arvor. Pour terrifiant. C’est celui où François Bayrou ressort à Daniel de juger » en 2010 pour un débat sur l’identité nationale que son discours de politique générale était extrêmement un journaliste télé, c’est censé être le summum d’une Cohn-Bendit les accusations de prétendue pédophilie (« Je dans lequel intervenaient Éric Besson et . laborieux. Cela a été un drame pas possible, un scandale, carrière, même si en réalité l’exercice est assez frustrant. trouve ignoble d’avoir poussé et justifié des actes à l’égard Je l’avais eu au téléphone le midi, nous nous étions dit : « À avec coups de fils courroucés au patron, etc. Je suis fina- Vous vous apercevez que vous ne servez à rien et que des enfants que je ne peux pas accepter », avait lancé Bayrou ce soir. » Le moment venu, il a fait faux bond. Je l’appris en lement restée. Quand Chirac était Premier ministre, en tout vous sera reproché. Michèle Cotta, qui en a fait deux, – NDLR). Ce soir-là, l’idée était de faire débattre des gens direct, alors que l’émission avait déjà commencé. On me 1986, son entourage avait aussi tenté de m’évincer. Ils m’avait dit : « Tu verras, c’est le truc le plus frustrant que tu qui sont en rivalité : Martine Aubry et Xavier Bertrand dit dans l’oreillette : « Il y a une dépêche AFP, Peillon vient trouvaient que j’avais fait un papier désagréable, ça a feras dans ta carrière. » Et c’est vrai. pour les deux partis censés arriver en tête ; Olivier Besan- de publier un communiqué pour dire qu’il ne participera été compliqué pendant un temps avec le RPR. J’ai eu des À l’époque, tout le monde pensait que Nicolas Sarkozy cenot et Jean-Luc Mélenchon pour l’extrême gauche ; pas à l’émission, que son principe même est un scandale. » problèmes avec tout le monde, à droite comme à gauche, allait se mettre en colère. Ségolène Royal a essayé de Marine Le Pen et Philippe de Villiers pour la droite ; et Il réclamait ma démission, celle de Patrick de Carolis, de donc je me dis que je n’ai pas dû trop mal faire mon boulot. l’énerver, de le pousser dans ses retranchements, mais de donc la compétition entre les « européens », Bayrou et Patrice Duhamel... C’était une opération montée, il n’y son côté c’était la zénitude absolue. Il ne bronchait pas. Cohn-Bendit. C’était le débat le plus épouvantable que avait bien sûr que moi qui n’étais pas au courant. On ne On se demandait s’il n’avait pas pris un truc. Dans ces j’ai eu à faire. Ils étaient tous sidérés sur le plateau après peut pas faire pire, c’est scandaleux. Il aurait pu me dire, débats, les plans de coupe ne sont pas autorisés, donc l’attaque de Bayrou. L’ambiance était pesante à la suite même une heure avant, qu’il ne voulait pas faire cette quand Ségolène Royal parlait, les téléspectateurs ne de cet échange. Après ça, le débat est parti en foutoir. émission. Nous ne nous en sommes jamais expliqués. Je voyaient pas ce que Sarkozy faisait. Il avait un stylo entre Mélenchon, frustré, voulait la parole et a fini par me crier ne lui reparlerai jamais, tant qu’il ne se sera pas excusé. les doigts qu’il tournait, retournait, observait, triturait. On dessus : « Allez au diable ! » s’est dit qu’il allait finir par le casser. Il ne regardait jamais Je leur en veux beaucoup, à tous. Les politiques demandent Royal, mais au contraire nous fixait sans cesse du regard, toujours des débats, mais avoir huit personnes en plateau, Patrick et moi. Cela donnait le sentiment qu’il recherchait c’est extrêmement compliqué. Donc, quand on le fait, il une forme de complicité. Nous nous efforcions donc de ne faut que tout le monde joue le jeu, sinon c’est épouvan- pas lui retourner son regard, sinon cela aurait donné l’im- table. Là, c’est parti dans tous les sens. Ce truc m’a laissée pression que Ségolène Royal parlait toute seule. Elle, pour KO. — « J’ai eu des problèmes avec le coup, n’avait d’yeux que pour lui. On pouvait lui dire un truc, elle n’en avait rien à foutre, elle ne nous écoutait pas. tout le monde, à droite comme à gauche, donc je me dis que je n’ai « J’ai eu la chance d’animer pas dû trop mal faire mon boulot » le débat d’entre-deux-tours de la présidentielle 2007. Michèle Cotta, qui en a fait deux, m’avait dit : « Tu verras, c’est le truc le plus frustrant que tu feras dans ta carrière. » © benoî t C arbonnel pour harles

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