L´Organisation Des États Américains Et Le Droit
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L´ORGANISATION DES ÉTATS AMÉRICAINS ET LE DROIT INTERNATIONAL par Jean Michel ARRIGHI INTRODUCTION 1. L´Organisation des États Américains (OEA), créée en 1948, n´est qu´un maillon d´une longue chaîne d´institutions interaméricaines qui voient le jour à partir de la première Conférence américaine réunie à Washington en 18891. Mais c´est l´OEA qui sera le cœur politique et le centre d´élaboration des instruments juridiques du système. Ce système réunit aujourd´hui les trente-cinq États indépendants des Amériques, du Canada à l´Argentine en passant par la Caraïbe et l´Amérique centrale et il couvre une étendue de quarante-deux millions de kilomètres carrés et une population de plus de neuf cent millions d´habitants. Les plus grands pays de la planète coexistent avec les plus petits, les plus riches avec les plus pauvres, les plus puissants avec les plus faibles. 2. Je propose de retenir 1889 comme point de départ du système juridique interaméricain, date de la première rencontre des pays américains pour tenter de construire un véritable tissu de règles de droit et d´institutions communes, sur la base de principes partagés : l´égalité souveraine des États, le principe de non-intervention, le non-recours à la force et le règlement pacifique des différends. Cette première conférence sera suivie par d´autres qui seront convoquées périodiquement; elles approuveront une importante série de traités tant de droit international public que de droit international privé et de nombreuses institutions seront créées dès les premières années du siècle dernier pour se consacrer à la coopération en matière de santé, de l´enfance, de la défense des droits de la femme, de questions juridiques, de l´agriculture, etc. 3. C´est donc une longue histoire, vieille de plus de cent vingt ans, pleine d´espoirs et de déceptions, de succès et d´échecs. Elle a connu des antécédents, des efforts et des rêves antérieurs, pour construire un continent, si non uni, du moins intégré autour de principes communs. En 1815, de Kingston, Simon Bolivar écrira sa fameuse « Lettre de la Jamaïque » dans laquelle, après une description de la situation des nouveaux États 1 « C´est en Amérique que se constitua, dès la fin du XIXème siècle, la première organisation internationale regroupant tous les États d´un même continent. Tandis que l´Europe cherchait en vain à édifier un système permettant une collaboration des États en matière politique, les jeunes Républiques américaines échafaudaient lentement, mais non sans courage, une structure intergouvernementale dont allait naître, en 1948, l´Organisation des États Américains », écrivait François JULIEN-LAFERRIERE, L´Organisation des États américains, coll. Dossiers Thémis, P.U.F., Paris, 1972, p.5. indépendants de l´Amérique, région que l´on nomme aujourd´hui Amérique Latine2, il va avancer sa conception d´une union des nouvelles nations3. Quelques années plus tard, Bolivar essaiera de concrétiser son idée en invitant à Panama les représentants de ces pays. Ce sera le « Congrès Amphictyonique de Panama » qui approuvera le « Traité d´union, de ligue et de confédération », signé le 15 juillet 1826. Mais ce traité ne fut ratifié que par la Grande Colombie (aujourd´hui : la Colombie, l´Équateur, le Panama et le Venezuela)4. À cette réunion n´avaient assisté que les représentants de la Grande Colombie, du Mexique, de l´Amérique centrale et du Pérou. Le Brésil et l´Argentine n´avaient envoyé aucun représentant; ceux des États-Unis n´étaient pas arrivés à temps et la République d´Haïti n´avait pas été invitée5. 4. D´autres initiatives furent lancées entre États américains, à savoir, par exemple les efforts d´intégration des pays andins lors des congrès de Lima de 1847 et de 1864. Les pays du Sud avaient, de leur côté, recherché l´adoption de traités de coopération juridique en matière pénale, civile et commerciale, à Montevideo en 18886. 5. Les États-Unis, unilatéralement, à travers la Doctrine Monroe, exposée par le Président américain en 1823, déclaraient leur désir de préserver le continent américain libre de toute intrusion extracontinentale, lisons européenne. Malheureusement l´interprétation donnée postérieurement par les successives administrations américaines à cette doctrine tout au long du XIXème siècle et d´une bonne partie du XXème l´avait transformée en un instrument justifiant l´intervention unilatérale américaine, sous divers prétextes, dans les affaires intérieures de nombreux pays, surtout dans ceux de l´Amérique centrale7. 2 Pour une étude de l´histoire du nom « Amérique Latine » qui n´apparaît que vers la moitié du XIXème siècle, voir Arturo ARDAO, Génesis de la idea y el nombre de América Latina, Centro de Estudios Rómulo Gallegos, Caracas, 1980. Il fallait donner un nom à cette autre Amérique dont n´avait pas parlé Tocqueville. 3 Voir son texte dans Simon BOLIVAR, Doctrina del Libertador, Biblioteca Ayacucho, Caracas, 3°éd. 1985, p.55. 4 En 1976 l´Assemblée générale des Nations-Unies tint une séance plénière pour rendre hommage à Bolivar à l´occasion du cent cinquantième anniversaire du Congrès de Panama, voir Résolution 31/142 de l´AG ONU. 5 John LYNCH, Simon Bolivar, Yale University Press, 2006, p.212. 6 F.V.GARCIA-AMADOR, Sistema Interamericano, ed.OEA, Washington DC, 1981, p.18. Edition en anglais: The Inter-american system, vol.1, Oceana Publications, 1983, p.19. 7 Simon PLANAS-SUAREZ, L´extension de la Doctrine de Monroe en Amérique du Sud, 5 RCADI (1924), p.328, Camilo BARCIA TRELLES, La doctrine de Monroe dans son développement historique, 32 RCADI (1930), Charles ROUSSEAU, Droit International Public, t.IV, ed.Sirey, Paris, 1980, p.53 à p.108, et pour son histoire plus récente: Gaddis SMITH, The last years of the Monroe Doctrine, Hill L´excuse la plus utilisée peut être résumée ainsi : pour éviter une intervention européenne dans un pays américain, ou plus tard sa mainmise par des idéologies venues de l´autre bloc idéologique –le bloc communiste- pendant la Guerre Froide, la meilleure manière était de « contrôler » ce pays et de remplacer les autorités nationales jugées dangereuses par d´autres plus fidèles à la puissance du Nord. 6. Les États-Unis, qui avaient eu du mal tout d´abord à reconnaître l´indépendance des anciennes colonies espagnoles, puis avaient longuement débattu leur participation à des rencontres auxquelles ils avaient été invités, décidèrent finalement de promouvoir le commerce régional et de prendre l´initiative de convoquer une conférence régionale. Après de longues démarches nécessaires pour obtenir l´autorisation du Congrès nord- américain, car il souhaitait pouvoir signer un traité d´arbitrage, le Secrétaire d´État américain invita les pays du continent à Washington pour examiner des mesures à prendre pour promouvoir le commerce à travers des règles douanières communes, de meilleures communications et, surtout, pour établir des mécanismes d´arbitrage qui puissent assurer un règlement pacifique de tout différend susceptible de surgir entre eux8. C´est à partir de cette première conférence que commence un parcours commun pour tenter de mettre en place un système interaméricain permettant d´assurer la coopération en paix entre les pays américains. Nous ferons un survol de cette histoire dans le premier chapitre de ce cours, pour décrire en détail ensuite dans les chapitres suivants les développements les plus récents. 7. Ce chemin ne fut pas sans déboires et malentendus. Comme l´avait déjà prévu Bolivar en 1815, les guerres civiles, les luttes pour le pouvoir, les ambitions personnelles des chefs politiques et militaires locaux, les « caudillos », empêchèrent bien souvent l´aboutissement de ces projets. La lente formation d´États modernes, la création souvent difficile de systèmes politiques solides et d´institutions démocratiques stables, les immenses inégalités sociales et le besoin d´atteindre une meilleure distribution des richesses sont encore de lourdes entraves au progrès de bon nombre de nos pays. Il faut toutefois marquer des différences importantes entre les divers États suite à leur accession and Wang, New York, 1994. Pour une étude des origines de la doctrine, Jay SEXTON, The Monroe Doctrine : empire and nation in nineteenth-century America, Hill and Wang, New York, 2011. 8 voir le texte de cette lettre d´invitation dans James BROWN SCOTT (éditeur), The international conferences of American States 1889-1928, Oxford University Press, 1931, p.5. à l´indépendance. Les anciennes colonies britanniques et portugaises préservèrent l´unité territoriale de l´ancien empire colonial, ce qui ne fut pas le cas pour les territoires de l´ancien empire espagnol. Les États-Unis purent ainsi obtenir l´union des divers États sous une seule bannière, même au prix d´une guerre civile sanglante. L´ancien empire portugais, en transportant la capitale et la cour impériale de Lisbonne à Rio de Janeiro, empêcha les séparatismes locaux lors de son indépendance et réussit à maintenir l´unité du Brésil. Et l´un comme l´autre augmentèrent en plus leur territoire aux dépens de l´ancien empire espagnol. Celui-ci, à son tour, ne réussit pas à maintenir son unité comme ce fut le cas des deux autres anciens empires. Avec l´indépendance ce fut le morcellement, la division et la multiplication d´États indépendants que l´on connaît depuis, dix-neuf en tout actuellement du Mexique à l´Argentine. 8. Les critiques adressées au système puis, plus particulièrement, à l´Organisation des États Américains, ont été et sont nombreuses. De tout bord et de tout genre. Soit parce qu´on accusait l´organisation d´être au service des intérêts nord-américains, soit parce que l´on voyait en elle un forum anti-américain9. Ou bien on l´accusait de faire trop grand cas du principe de non-intervention, ou bien de n´en pas tenir suffisamment compte et de permettre des actions prises en contradiction avec ce principe.