Standing on a Beach, La New Wave En 100 Disques Essentiels
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SYLVAIN FANET STANDING ON A BEACH LA NEW WAVE EN 100 DISQUES ESSENTIELS LE MOT ET LE RESTE SYLVAIN FANET STANDING ON A BEACH la new wave en 100 disques essentiels le mot et le reste 2019 À Gaspard, « There’s a light that never goes out » INTRODUCTION Été 1980. Dans une lumière aux couleurs solarisées, un David Bowie vêtu d’un costume de Pierrot nous interpelle sur une plage : « Do you remember a guy that’s been in such an early song? »1 Les scènes se succèdent avec diverses incarnations du chanteur anglais. Lorsque le vidéoclip de « Ashes To Ashes », numéro 1 des charts britanniques en une semaine, se répand sur les écrans, le choc est aussi visuel que musical. Il est très symbolique aussi. Car dans ce film réalisé par Bowie et David Mallet, qui a coûté la baga- telle de 250 000 dollars, un record, la nostalgie alterne avec une modernité inquiétante. En convoquant le fantôme de Major Tom, l’astronaute perdu dans l’espace dont on était restés sans nouvelles depuis « Space Oddity », le musicien aux multiples facettes coupe le cordon avec son passé et met pour de bon le pied dans les années quatre-vingt. New wave, Bowie ? Son habileté à se jouer des étiquettes et des courants musicaux est connue. Mais avec ses lignes de basse funky, ses textures synthétiques et son montage vocal complexe, « Ashes To Ashes » sonne new wave dans l’esprit. Et cela n’a rien d’un hasard. Car en observant plus attentivement le clip, on y reconnaît derrière l’icône quelques personnages clés de l’époque : Steve Strange, le chanteur du groupe Visage et plusieurs « Blitz Kids », du nom de ce club londonien d’où émerge une scène musicale, les new romantics, dont la pop synthétique (la synthpop) mais surtout l’imagerie, s’inspirent beaucoup de… David Bowie. Difficile d’accuser une énième fois la rock star d’opportunisme car ces années quatre-vingt qui débutent, Bowie les a pour partie initiées : avec sa trilogie berlinoise (Low, “Heroes”, Lodger, 1977- 1979), aidé des indispensables Brian Eno et Tony Visconti, il préfi- gure un son électronique et minimaliste, parfois sombre, parfois plus lumineux, qui ouvre la porte à la décennie suivante. 1. « Te souviens-tu d’un type qui apparaissait dans une si vieille chanson ? » 7 STANDING ON A BEACH LA NEW WAVE, MODE D’EMPLOI De cette new wave qui émerge à la fin des seventies et va régner sur la première moitié des eighties, on pourrait avancer avec un brin de provocation qu’elle n’existe pas. Née sur les cendres du punk, voire sur ses braises tant elle en est indissociable au départ, elle semble se dérober à mesure qu’on tente de la définir. Est-ce un style musical ? Un mouvement ? Une période ? Une mode ? Une esthé- tique ? La new wave a-t-elle un début, une fin ? À ces questions simples, une nuance permanente s’impose, tellement les contours de ce courant musical restent parmi les plus flous de l’histoire du rock. Et c’est tant mieux. Car en se subdivisant en une myriade de sous-genres (cold wave, synthpop, post-punk, new romantics, gothique, heavenly voices, EBM, dark wave…), clans, tribus, qui eux-mêmes ont évolué avec le temps et ont entretenu la confusion, la new wave offre un champ d’investigation rare et une diversité d’artistes réjouissants. De Blondie à New Order, de Bauhaus à Frankie Goes To Hollywood, de Joy Division à Duran Duran, des B-52’s à Depeche Mode, des Cars à Sisters Of Mercy, de Marquis de Sade à The Cure, on ne sait pas toujours trouver un dénomina- teur commun entre des artistes dont certains ont cultivé l’under- ground et beaucoup d’autres ont tutoyé les charts. C’est parfois aussi n’importe quoi : entre 1978 et 1980, sur la foi d’un opportunisme sans limites, labels et presse musicale n’hésitent pas à estampiller new wave tout ce qui bouge : voir un Tom Petty, rocker sudiste plutôt en concurrence avec Bruce Springsteen et marchant sur les traces de Bob Dylan ou The Band, associé un temps à la new wave en dit long sur le terrain souvent instable de la période. L’ex-Beatles George Harrison, soumis aux débuts des années quatre-vingt à une pression des labels pour s’inscrire davantage dans le son new wave de l’époque, exprime son agace- ment dans la chanson « Blood From A Clone ». Quelques traits quand même : une utilisation récurrente des synthétiseurs, un attrait pour la technologie et l’innovation sonore, 8 LA NEW WAVE EN 100 DISQUES ESSENTIELS une mise en avant de la basse souvent au détriment de la guitare ou du moins dans ses codes rock classiques, une esthétique futu- riste mais qui puise aussi dans des mouvements artistiques passés (le romantisme, l’expressionnisme, le cinéma des années vingt, le Bauhaus, la littérature existentialiste, gothique ou d’anticipa- tion), un goût pour le métissage musical, une fascination pour l’image, le look, que vont exacerber l’apparition de MTV et l’essor des clips vidéo. Mais l’explosion de la new wave, histo- riquement très ancrée en Grande-Bretagne et dans une moindre mesure outre- atlantique, coïncide avec une certaine réalité sociale et géopolitique : en Angleterre et aux États-Unis, le conservatisme l’emporte au tournant de l’année 1980, avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. La guerre froide est plus que jamais d’actualité et l’économie des puissances occiden- tales se trouve dans une phase de mutation douloureuse, avec des industries traditionnelles (automobile, sidérurgie…) en crise, des taux de chômage qui grimpent inexorablement et une bascule vers des sociétés tertiaires, informatisées, qui n’en est qu’à ses balbu- tiements. La modernité fascine, avec en ligne de mire l’an 2000 qui alimente bien des fantasmes, mais elle inquiète aussi. Ce n’est sûrement pas un hasard si nombre de groupes qui émergent à cette époque viennent de cités industrielles dont l’âge d’or est passé, comme Manchester (Joy Division, The Chameleons), Sheffield (Cabaret Voltaire, The Human League) Düsseldorf (D.A.F., Propaganda) ou encore Cleveland (Pere Ubu). PUNK, NEW WAVE, MÊME COMBAT ? Sans s’aventurer dans un travail historiographique périlleux, on peut situer l’apparition du terme « new wave » autour des années 1977-1978, lorsque la déferlante punk commence à s’essouffler et montre ses limites tant artistiques que commerciales. C’est sous l’impulsion à la fois des maisons de disques et de certains jour- nalistes que le qualificatif new wave commence à être employé, désignant au départ des groupes qui ne sont pas tout à fait punk 9 STANDING ON A BEACH mais proviennent de la même scène musicale. Certes, la nuance est subtile, mais elle va faire son chemin. Des artistes comme Siouxsie And The Banshees ou Television, d’abord étiquetés punk, se voient soudain classés post-punk, new wave, voire gothiques. John Lydon, en quittant les Sex Pistols pour former Public Image Limited, sera l’une des incarnations majeures de cette mutation. Quant au clin d’œil à la nouvelle vague du cinéma français des années soixante (Jean-Luc Godard, François Truffaut, Jacques Rivette, Claude Chabrol, Agnès Varda…), il semble surtout faire écho au côté rupturiste de ces réalisateurs, qui ont redéfini les règles de leur expression artistique sur des bases nouvelles, parfois expérimentales. À la fin des années cinquante, l’apparition d’une technologie plus moderne dans le matériel de tournage favorise une approche cinématographique novatrice. C’est sous l’impulsion d’un collectif de cinéastes, plus ou moins homogène, que table rase a pu être faite du passé. Mais le punk, qui voulait détruire l’establishment et vomissait l’« old wave » (le rock progressif des seventies, mais aussi les dinosaures de l’époque comme Led Zeppelin ou Pink Floyd), s’est vite trouvé dans une impasse, reproduisant plus qu’il ne les ensevelissait les vieilles ficelles rock des sixties. C’est paradoxa- lement toute la génération new wave et post-punk qui va pour- suivre et peaufiner le travail, tournant le dos aux racines rock blues du passé pour défricher des formats alternatifs de chansons, explorer de nouvelles textures sonores et oser des associations que le mouvement punk, plus limité musicalement, aurait été bien en peine d’imaginer. Dans son ouvrage Rip It Up And Start Again, le journaliste et critique rock Simon Reynolds pose parfaitement les bases de cette nouvelle vague, en écartant certaines idées reçues : « Les documentaires historiques sur le rock sous-entendent que rien d’important n’aurait eu lieu entre Never Mind The Bollocks et Nevermind, entre le punk et le grunge. Même après l’explosion du revival des années quatre-vingt, celles-ci continuent d’être considé- rées comme un désert artistique […]. Le début de la décennie, en 10 LA NEW WAVE EN 100 DISQUES ESSENTIELS particulier, reste toujours perçu comme une période kitsch bonne qu’à n’être parodiée, connue seulement pour ses tentatives aussi gauches que prétentieuses de faire du clip une œuvre d’art et pour ses dandys anglais férus de synthétiseurs, d’eye-liners et de coupes de cheveux ridicules. […] Il me semble que ce long “après-coup” du punk qui a duré jusqu’en 1984 s’avéra musicalement beaucoup plus intéressant que ce qui s’était passé en 1976-1977, au moment où le punk ressuscitait le rock’n’roll de base. On peut avancer que le punk a engendré ses effets les plus marquants bien après sa soi- disant disparition. » Sombre, mélancolique, dépressive ou au contraire enjouée, dansante et festive – deux axes contradictoires qui pourraient grossièrement dessiner la période –, la new wave n’est donc pas cette planète superficielle à laquelle on l’a parfois réduite, mais un dépassement du punk et de (presque) tout ce qui précède, vrai moment de rupture et champ d’exploration sonore tous azimuts, dont les déflagrations diverses retentissent encore en 2019.