Les apports techniques de Mikinosuke Kawaishi et d’Ichirō Abe dans le .

Matthieu Chavatte & Loïc Finkelstein

Table des matières

Un peu d’histoire 3

Les apports techniques de Mikinosuke Kawaishi : l’arrivée du judo en France 6

La méthode Kawaishi, le terreau du judo français 7 Enseignement de Mikinosuke Kawaishi 7 Le judo Kawaishi 8 Possibles raisons de divergence 9

Les apports techniques de Ichirō Abe, le développement du judo traditionnel 10 L’arrivée de la méthode Kodokan 10 Les fondamentaux du Judo selon Ishiro Abe 11 Une différence fondamentale entre les deux méthodes : les entrées 12

Conclusion 13

1. Un peu d’histoire

Le Ju-Jutsu est une technique de combat à mains nues utilisé par les samouraïs sur le champ de bataille, ayant pour vocation de mettre un attaquant hors d’état de nuire, avec rapidité et dans les règles de l’art. A la du 19ème siècle, Jigorō Kanō souhaite transformer cet art martial en une école de vie avec comme moyen l’éducation de l’esprit et du corps "adaptée à toute une nation", et désir l’adapter à la nouvelle ère. Kanō décida de renommer le Ju-Jutsu (Ju "souple ou céder" ; "Jutsu" est un art ou un procédé technique) en Judo (Ju "souple ou céder" ; do "voie, chemin"), c’est ainsi qu’il fonda le premier judo moderne. D'autres Maîtres suivront en effet son exemple, transformant leur art de "technique" en "voie".

Jigorō Kanō

Voici une chronologie des évènements marquants dans le parcours des trois hommes sur laquelle porte notre étude : Jigorō Kanō, fondateur du judo ; Mikinosuke Kawaishi, instigateur du judo français ou “Judo Mikinosuke Kawaishi” ; Ishiro Abe, Maître de judo à l’origine du “Judo Kodokan” comme furent les appellations données dans les années 1950.

● Juin 1882, Jigorō Kanō alors âgé de 22 ans crée le Judo Kodokan. A ses débuts il n’y avait que 9 élèves. Le jeune professeur était sans argent et le tatami mesurait à peine 20 m². ● En 1887 une école nationale de tous les arts martiaux est créée par le gouvernement japonais, c'est le Butokukai. Bien que placée sous l'égide de Jigorō Kanō cette école ne tardera pas à devenir rivale du Kōdōkan. ● A partir de 1889, Mikinosuke Kawaishi étudie le Ju-Jutsu au Butokukai jusqu’en 1920. ● En 1889 la première démonstration de judo est faite en France, à Marseille par Jigorō Kanō lui- même au cours d'un voyage en Europe mais elle passa inaperçue. ● En 1904 Ie célèbre lutteur Français Guy de Montgailhard, dit Ré-Nié, ouvrit à son tour une salle à après avoir participé à de nombreux cours auprès de Maîtres japonais en Angleterre. On trouva intérêt à ses démonstrations de Jiu-jitsu jusqu'au jour où il succomba devant un imposant lutteur russe. ● En 1911 la seconde tentative d'implantation d'un Judo, cette fois plus orthodoxe puisque étudié à la source même du Kodokan, fut due à Le Prieur (première ceinture noire française), mais de retour en France, il ne persévère pas au-delà de quelques démonstrations publiques. ● A partir de 1920, Mikinosuke Kawaishi enseigne dans plusieurs pays. Tout d’abord aux USA, puis en Angleterre où il ouvre un club de Ju-Jutsu à Liverpool et à Oxford de 1920 à 1935. ● En 1924 nouveau départ manqué avec Keihichi Ishiguro, du Kodokan, qui enseigne dans plusieurs Dojo à Paris mais ne laisse rien derrière lui. ● En 1931, Mikinosuke Kawaishi retourne au Japon et reçoit de Jigorō Kanō le 3ème Dan Judo Kodokan. ● En octobre 1935, Mikinosuke Kawaishi arrive en France sur l’invitation de Moshe Feldenkrais animateur du Ju Jutsu Club de France. Ce dernier a rencontré Jigorō Kanō en 1933 et 1934 lors de plusieurs conférences et a étudié le judo avant l’arrivée de Mikinosuke Kawaishi en France. ● Juillet 1936, Mikinosuke Kawaishi créé le Club Franco-Japonais et recevra les premiers Judoka français. ● Fin 1937, le Club Franco-Japonais ferme ses portes et intègre le Jiu-Jitsu Club de France fondé un an plus tôt par Moshe Feldenkrais (Jigorō Kanō a accepté la présidence d'honneur). Ce club est l'émanation de la section judo-jiu-jitsu de l'École Spéciale des Travaux Publics de la Ville de Paris initiée par Feldenkrais vers 1929. Mikinosuke Kawaishi assure ainsi la direction technique du JJCF qui devient la première structure permanente du judo français. ● En 1938, Mikinosuke Kawaishi reçoit de Jigorō Kanō le 5ème Dan de Judo. ● Le 4 mai 1938, décès de Jigorō Kanō, sur un bateau qui le ramène au Japon. ● Le 20 avril 1939, Mikinosuke Kawaishi fait passer la première ceinture noire de judo en France à l’un de ses élèves français Maurice Cottreau qui ne pourra terminer sa formation à cause du conflit qui se profile en 1939. C'est à Jean de Herdt (élève français de Kawaishi) que sera remise la première ceinture noire le 12 juin 1940. ● En 1939 Mikinosuke Kawaishi quitte la France pour le Japon à la suite de l’entrée en guerre du Japon aux côtés des forces de l’Axe. ● Le 31 mai 1943 se déroulent les premiers championnats de France à Paris à la salle Wagram. Ces derniers ont lieu en l’absence de Mikinosuke Kawaishi et sont organisés sous la responsabilité de la Fédération française de lutte, sous la section de Ju-Jutsu nouvellement créée. Le premier champion de France " toutes catégories " sera Jean de Herdt. ● Le 9 novembre 1947, Mikinosuke Kawaishi met en place le futur Collège des Ceintures Noires avec Jean de Herdt et dont le premier président est Jean Andrivet (élève de Kawaishi en 1938). ● Le 30 novembre 1948, Mikinosuke Kawaishi revient en France. Il est accueilli à Marseille par les pionniers du judo et le président du CCN. Il reprend l'enseignement de sa méthode. ● Le 5 juillet 1950, Shozo Awazu est envoyé en France par le Kōdōkan pour devenir l'assistant de Mikinosuke Kawaishi. Il deviendra un grand fondateur du judo français. Il rencontrera et battra le 21 octobre 1950 les champions de l’équipe de France de l'époque (Levannier, Martel, Belaud, Verrier, Roussel, Cauquil, Pelletier, Laglaine, Zin), à l'exception de Jean de Herdt qui obtiendra le nul. Il devient leur entraîneur sous la responsabilité de Maître Mikinosuke Kawaishi. ● Le 28 novembre 1951, Ichirō Abe (6ème Dan) est accueilli au port de Marseille suite à la demande du club de judo de Toulouse, le Shudokan. Plusieurs fois finaliste du championnat du Japon, il a été spécialement choisi par les dirigeants du Kodokan pour enseigner. Une véritable révélation a lieu à Toulouse, avec la rencontre d’Ichirō Abe, de Luc Levannier et de Jacques Belaud (CN n°36 et n°42). Ils étudient et se lient d’amitié avec le maître qui leur fait redécouvrir un judo fait d'enchaînements, de déplacements, de confusions, et d’esquives. ● En octobre 1954 l’Union Fédérale Française d’Amateur de Judo Kodokan en France est créée par Ichirō Abe, Guy Pelletier (CN n°7) et Pierre Roussel (CN n°45) pour diffuser l’enseignement de Maître Abe. Mais ce mouvement ne s’imposera pas en France et Ichirō Abe décide d’enseigner en Belgique. ● Avril 1956, création de la Fédération Française de Judo et Disciplines Assimilées. Cette dernière permet une première réunification du judo français entre le Collège des Ceintures Noires et la Fédération Française de Judo. Cette union marque l’intégration de la méthode Kodokan dans le judo français et la perte d’influence de Mikinosuke Kawaishi. Parallèlement, des Français élaborent aussi de nouvelles démarches pédagogiques. Une autre scission aura lieu par la suite, menée par Awazu, sur des désaccords forts concernant l’utilisation du judo en compétition notamment via les catégories de poids et de couleurs. ● Le 30 janvier 1969 Mikinosuke Kawaishi meurt à l’âge de 69 ans, enterré dans un relatif anonymat au cimetière du Plessis-Robinson. ● En octobre 1985, Luc Levannier avec l’aide d’un groupe de passionnés et d’amis fonde l’Ecole Française de Judo/Ju-Jutsu Traditionnel (EFJJT).

2. Les apports techniques de Mikinosuke Kawaishi : l’arrivée du judo en France A son arrivée en France Mikinosuke Kawaishi sait, par son expérience acquise à l’étranger, que la culture européenne n’est pas prête à assimiler le judo des japonais. Il décide alors de créer une méthode différente de l’enseignement des japonais adaptée pour les français. Pour cela, il reprend le système des ceintures de couleur introduit par en Angleterre et y associe un programme d’enseignement décliné dans une méthode. Au Japon, les ceintures intermédiaires n’existent pas entre les ceintures blanches et les ceintures noires.

Mikinosuke Kawaishi (gauche) et Shozo Awazu (droite), vers 1950

Pour chaque technique de judo, il donne un nom en français et un numéro pour les rendre plus rationnelles tout en supprimant la barrière de la langue. Certains exercices de Jigorō Kanō seront modifiés pour créer par exemple les " Randori Kawaishi " ou " Randori Compétition ". Il laisse une place importante au Ju-Jutsu et à la compétition, choses recherchées par les français.

Afin de mieux ancrer le judo dans les habitudes françaises, il vend le judo comme “l’art de vaincre le grand” ou comme self-défense, tendances alors populaires et exacerbées par l’attrait de l’exotisme du judo à l’époque. Le “Kiai” par exemple a longtemps été enseigné comme un cri presque magique, capable de vaincre sans toucher ou de réanimer une personne assommée.

Mikinosuke Kawaishi promeut aussi la compétition autour du judo afin de répondre aux besoins des français de s’affronter et de marquer des victoires.

La méthode Kawaishi est un succès national et international, issue du fruit d’un travail conjoint avec Moshe Feldenkrais. Cette méthode, déclinée pour les formes des techniques (et non pas par l’enseignement), sera éditée en 3 ouvrages constituant la bible de nombreux Judoka.

La transformation du judo japonais devient alors une pratique accessible aux occidentaux grâce à la vision moderne de Mikinosuke Kawaishi. Il est devenu un véritable entrepreneur en organisant l’enseignement du judo sur une base professionnelle et commerciale, tout en lui donnant une cohérence et une qualité parfois décriée mais toujours enviée.

3. La méthode Kawaishi, le terreau du judo français Mikinosuke Kawaishi s’est déplacé dans plusieurs pays notamment les Etats-Unis, l’Angleterre et la France. Durant ses voyages, il s’est aperçu que l’enseignement japonais ne pouvait être appliqué tel quel pour développer le judo en France. Il met donc au point une méthode qu’il décrit dans son ouvrage phare Ma méthode de Judo.

3.1. Enseignement de Mikinosuke Kawaishi

● Les techniques de judo suivent le Gokyo qui est décomposé en 5 séries de mouvements selon le niveau du Judoka. Le Gokyo est créé par Jigorō Kanō en 1895 et suit une progression pédagogique. On y apprend par exemple en premier les techniques qui ne nécessitent aucune force et dont la projection est facile pour le partenaire : De-Ashi-Barai et Hiza-Guruma. Mikinosuke Kawaishi ne s’appuie pas sur ce dernier. Par souci de simplification, l’ensemble des techniques de judo au sol comme debout est décomposé en familles de mouvements : on compte debout les mouvements de jambes, de hanches, d’épaules, de bras, ainsi que les sacrifices, et les immobilisations. ● Par souci de compréhension occidentale, les techniques reçoivent des noms français ainsi qu’un numéro. O-Soto-Gari devient par exemple le 1er lancement de jambe. ● La mentalité occidentale s'accommode mal d’une progression non palpable, les occidentaux doivent pouvoir se rendre compte matériellement de leur progression. Mikinosuke Kawaishi reprend donc le système de ceintures de couleurs utilisé en Angleterre et crée les ceintures jaune, orange, verte et bleue (les ceintures composées et la ceinture violette sont des créations ultérieures). ● Les occidentaux cherchent davantage la quantité que la qualité : là où un japonais va effectuer de multiples fois un même mouvement avant de passer au suivant, les occidentaux ont besoin de tous les toucher du doigt avant de commencer à en maîtriser un seul. Mikinosuke Kawaishi multiplie alors les techniques en autant de variantes et de mouvements alors non enseignés en tant que mouvements fondamentaux au Japon. ● Mikinosuke Kawaishi indique dans son livre que " l’exécution de chaque prise est indiquée, strictement […] mais sans aucune indication d’enchaînements, de manière de résister ou d’esquiver, ni de contre-prise, ces questions faisant l’objet, à partir de la ceinture noire, de mon enseignement au Collège, et supposant la parfaite connaissance préalable de tous les fondamentaux. ". ● Dans les années 1960, le clivage Kodokan / Kawaishi disparaît pour laisser place à un enseignement plus homogène. On comptait dans les années 1950 environ un cinquième des clubs qui ne pratiquaient que la méthode Kodokan. Cette proportion a grandement diminué au profit d’un judo Kodokan, basé sur l’ordre des techniques de Mikinosuke Kawaishi, avec leur nom japonais et l’ajout des variantes Kodokan et de mouvements non classiques. C’est ainsi que naît réellement “le judo français”.

3.2. Le Judo Kawaishi

● Chaque technique demande une position ou une réaction précise de l’adversaire pour engager. Ainsi pour projeter, la technique doit être parfaite. Il n’y a pas d’adaptation au partenaire sensible dans les ouvrages de Mikinosuke Kawaishi. ● Les descriptions de ses techniques sont succinctes et généralement expliquées sur une ou deux positions de Uke maximum (Uke avance le pied droit, Uke a déjà son pied droit avancé, etc.). ● Peu de techniques de Nage-Waza indiquent de faire réagir Uke ou de provoquer tel ou tel déplacement. L’entrée des techniques demandent à Tori de provoquer le déplacement d’Uke par l’action de tout son corps. Là où la méthode Kawaishi indique des positions imposées d’Uke, la méthode Kodokan permet de les créer. ● Il n’y a pas de situation de travail proposée dans ses ouvrages (mais certaines interviews mentionnent des Randori de différents types comme le Randori Kawaishi). ● Plusieurs techniques de la méthode Kawaishi n’existent pas au Kodokan. C’est le cas debout de Ko- Tsuri-Goshi, Obi-Otoshi, Yoko-Tomoe, Kami-Basami ou au sol de Mune-Gatame, Ura-Gatame. Ces techniques sont soit considérées comme des variantes de techniques fondamentales, soit des mouvements uniquement liés à la méthode Kawaishi. On les retrouve dans les ouvrages du Kodokan.

Les trois livres de Mikinosuke Kawaishi, “bible” du judo de l’époque (1952-1967)

3.3. Possibles raisons de divergence

La question se pose aujourd’hui : Mikinosuke Kawaishi aurait-il proposé un “faux” judo ?

Le besoin de simplification et d’adaptation du judo aux Français a été un facteur clé. Commencer le judo par De Ashi Barai comme le Gokyo l’indique aurait été difficile, sachant que les Judoka de l’époque n’avait aucune base de judo. Mikinosuke Kawaishi a donc proposé probablement un judo plus “brut” pour qu’une majorité de Judoka le comprenne. Dans le livre Méthodes Comparées de Claude Thibault, Mikinosuke Kawaishi explique que l’aspect dépouillé des explications est voulu et permettait aux Judoka de travailler leur mental. Il indique que son objectif était “emploi intelligent de toute énergie” plutôt que “minimum d’effort pour maximum d’efficacité”. Mikinosuke Kawaishi souligne ainsi habilement que la méthode seule ne suffit pas et qu’il faut y appliquer le mental et les préceptes d’un professeur qui sera à même d’inculquer le “vrai” judo aux élèves.

Contrairement à Shozo Awazu ou Ichirō Abe, Mikinosuke Kawaishi n’est pas un enfant issu du judo. Il n’a pas de palmarès de compétiteur et sa formation initiale est celle du Ju-Jutsu. Pendant quelques temps, il a même travaillé en tant que lutteur en Angleterre sous le nom de scène “Matsuda”. Cela ne l’a pas empêché d’être un remarquable Judoka mais il ne s’est jamais illustré en tant que compétiteur. L’arrivée de l’enseignement d’Ishiro Abe dans le terreau fertile qu’a permis Mikinosuke Kawaishi a été naturellement une opportunité : un nouveau judo germe à Toulouse, des élèves, en plein développement, découvrent une nouvelle façon de faire, plus efficace et plus subtile.

4. Les apports techniques de Ichirō Abe, le développement du judo traditionnel

4.1. L’arrivée de la méthode Kodokan Ichirō Abe a été choisi par le Kodokan pour enseigner le judo en France sur l’invitation du Shudokan à Toulouse. Avec son esprit et sa technique, il va constituer une véritable révélation pour certains Judoka qu’il forma comme Jacques Belaud, Luc Levannier et Guy Pelletier. Son judo apporte la finesse, la technique, la rapidité, la pureté des mouvements ainsi que le style, l’élégance et l’efficacité. Pour cela, son judo se différencie de Mikinosuke Kawaishi qui enseignait un judo plus statique et sans le souci des enchaînements.

Ichirō Abe, vers 1950 Ichirō Abe demande dès son arrivée aux enseignants qui le suivent d’oublier ce qu’ils ont appris pour leur permettre de s’imprégner de sa méthode, dite “méthode Kodokan” et leur donne l’autorisation de divulguer cette méthode. Abe se base sur le Gokyo (ensemble des techniques décomposées en 5 séries selon le niveau) de Jigorō Kanō créé en 1895 en suivant une progression pédagogique. Cette méthode se développe sur les bases fondamentales que Kanō a fondées en insistant sur l’apprentissage, on retrouve la posture (naturelle et défensive) souple et l’attitude ainsi que le déplacement, constituant les bases essentielles du judo. A noter qu’à la différence de Mikinosuke Kawaishi, Ichirō Abe n’a écrit un livre sur le judo qu’en 1969. Mikinosuke Kawaishi a su profiter de ses talents de commercial pour faire de ses livres des ouvrages de référence. Grâce à cela, il a permis aussi la diffusion du judo sur un support écrit plutôt que purement oral, simplifiant le travail des nouveaux professeurs de judo.

4.2. Les fondamentaux du Judo selon Ichirō Abe I - Les postures ● Shizen-hontai : posture naturelle neutre. ● Migi-shizentai : posture naturelle droite. ● Hidari-shizentai : posture naturelle gauche. ● Jigo-hontai : position défensive neutre. ● Migi-jigotai : position défensive droite. ● Hidari-jigotai : position défensive gauche. II - Les déplacements (dans toutes les directions) :

● Ayumi-ashi : déplacement avant et arrière, en marche naturelle (un pied dépassant l’autre), le corps reste en position naturelle, les jambes sont légèrement écartées. ● Tsugi-ashi : permet les déplacements dans toutes les directions (les pieds se rapprochant l’un de l’autre), tout en gardant la position naturelle des jambes, ne jamais joindre les pieds. ● Suri-ashi : tous les déplacements s’effectuent en suri ashi (marche en glissant), c’est-à-dire que les pieds glissent sur le tatami, les talons restent libres et le poids du corps est réparti sur les deux pieds. III - L’esquive du corps, ou Tai-Sabaki : contrôle du corps en un mouvement de rotation rapide et fluide tout en gardant l'équilibre. Ceci est indispensable pour avoir une bonne exécution des techniques.

IV - Les Ukemi, ou brise-chute : technique qui permet de chuter en toute sécurité, avant de pratiquer les Nage-Waza, les Randori et les Kata. Il s’agit des Ukemi arrière, latéral et avant.

V- La progression dans l’apprentissage Pour apprendre une technique, le travail se fait d’abord sur l’avancée ou le recul du partenaire d’un pas. Puis il se fait en déplacement libre afin de mieux cerner les opportunités d’attaque. Arrivent enfin les exercices de Kakari-Geiko (un seul partenaire attaque, l’autre défend), de Yaku-Soku-Geiko (les deux partenaires attaquent sans se soucier des chutes) puis du Randori et enfin du Shiai. Ichirō Abe insista sur le développement autour des réactions du partenaire et de la façon de contrer Uke permettant les enchaînements sur le principe des directions.

Extrait de l’article de l’Esprit du Judo avec Ichirō Abe : “ Une part essentielle de l’art du judo est dans le tsukuri, c’est-à-dire la maîtrise de la préparation par le déplacement. Quand on apprend une technique statique ce n’est pas suffisant, mais ce n’est pas suffisant non plus d’apprendre la technique sur un déplacement complètement libre. En shiai, l’adversaire ne se déplace pas beaucoup. Il faut savoir créer l’opportunité nous-même, sans attendre qu’il se déplace tout seul. Il faut l’obliger à un déplacement, à une réaction, ça c’est le tsukuri, et c’est le judo. “

4.3. Une différence fondamentale entre les deux méthodes : les entrées

Une différence classique entre la méthode Kawaishi et la méthode Kodokan est visible dans la façon d’engager les techniques :

● Méthode Kawaishi : les mouvements sont entrés “en cercle”. Pour une attaque à droite, on avance le pied gauche devant le pied gauche de l’adversaire et on engage le pied droit devant le pied droit de l’adversaire en passant entre le pied gauche et celui de Uke. Cette entrée a longtemps été la seule entrée possible selon l’enseignement de l’époque. ● Méthode Kodokan : les techniques sont entrées “en direct”. Pour une attaque à droite, on engage d’abord le pied droit.

L’ancienne méthode demandait un positionnement précis de Uke (position des pieds, poids du corps) pour pouvoir effectuer une technique correctement.

Aujourd’hui, après que les deux méthodes se soient confondues en un judo moderne, on ne parle plus d’entrée Kodokan ou Kawaishi mais d’entrée “directe” ou “en cercle” et on utilise les entrées en cercle sur les réactions d’un partenaire alors que l’on privilégie les entrées directes lorsque le déséquilibre du partenaire peut être maintenu. L’entrée directe reste la façon la plus rapide et la plus puissante d’engager une technique, bien que le déséquilibre doit être constant pour que l’adversaire ne réagisse pas. A noter que les entrées en cercle s’en retrouvent alors parfaitement exploitables si le déséquilibre exercé sur le partenaire ne suffit pas et que ce dernier réagit dans une direction opposée, etc. s’ouvrant ainsi pour une autre technique.

5. Conclusion

Après plusieurs échecs d’importation du judo en France, Mikinosuke Kawaishi est parvenu à l’implanter définitivement en l’adaptant aux normes de pensées européennes. Les français ont été attirés par le judo qui permettait au petit de vaincre le grand, à la clarté de la méthode Kawaishi rendue lisible par des noms de techniques françaises et à l’attrait du Ju-Jutsu que comprenait le judo. Sa méthode, même si critiquée comme trop statique, a permis au judo de traverser la seconde guerre mondiale sans s’éteindre et malgré les positions d’ennemis entre les français et les japonais.

En 1954, Ichirō Abe profite de ce terreau fertile pour y implanter une méthode plus proche de celle de Kanō, la méthode Kodokan. Il propose un judo plus dynamique, basé sur les réactions du partenaire, les enchaînements, les coentreprises ainsi qu’une méthode portant sur les aspects fondamentaux du judo : les positions, des déplacements, le déséquilibre. Ce “beau” judo, jugé plus proche du judo japonais originel a été très apprécié par bien des élèves. Plus tard Ichirō Abe tentera de créer une Fédération indépendante de judo, qui ne s’imposera pas et qui verra le départ du Maître en Belgique.

L’EFJJT est créée sur l’impulsion de cette méthode en 1985. Entre temps, le judo est devenu discipline olympique et s’oriente davantage vers une forme compétitive ancrée dans un règlement et où des catégories de poids vont se greffer. Ceci constitue une source majeure de conflits entre la Fédération Française de Judo et le Collège des Ceintures Noires.

Gardons à l’esprit que nous ne faisons aujourd’hui qu’un seul judo. Ichirō Abe a d'ailleurs affirmé "il y a eu une sorte de rivalité entre la "méthode Kawaishi" et ce que je représentais, c’est-à-dire le judo du Kodokan. Mais, forcément, il n’y avait pas une grande différence puisqu’au Japon, nous n’avons qu’un seul judo. Si Monsieur Kawaishi venait de l’Université de Waseda, c’était tout de même bien du judo " Kodokan " qu’il faisait. Je n’ai d’ailleurs pas vu beaucoup de différence, même si j’avais été un peu étonné par quelques détails techniques, comme certaines formes d’immobilisations ou de projections. Et si on disait que son enseignement était moins détaillé et plus statique, en fait je n’en sais rien ".

Reste aujourd’hui à analyser ce qu’il est resté de ce “beau” judo, aujourd’hui influencé par la compétition mondiale et par d’autres arts martiaux ou sports de combats.

A nous Judoka de défendre ce judo traditionnel et de le faire vivre.