Débuts, établissement et apogée des méthodes électorales à l’américaine sous l’ de

Mémoire

Andréanne Cantin

Maîtrise en histoire Maître ès arts (M.A.)

Québec,

© Andréanne Cantin, 2017

Débuts, établissement et apogée des méthodes électorales à l’américaine sous l’Union nationale de Maurice Duplessis

Mémoire

Andréanne Cantin

Sous la direction de :

Martin Pâquet, directeur de recherche Alain Lavigne, codirecteur de recherche

Résumé

Les méthodes électorales à l’américaine ont transformé la façon de faire campagne en temps d’élection et sont maintenant répandues partout en Occident. Les conseillers en image et le recours aux firmes publicitaires font aujourd’hui partie de la donne électorale. Nées aux États-Unis dans la première moitié du XXe siècle, ces méthodes sont les prémisses du marketing électoral actuel. Longtemps avons-nous cru que ce phénomène est apparu dans les années 1960 au Québec, avec l’élection de . Pourtant, près de quinze ans auparavant, un Premier ministre s’entoure d’une équipe pour mieux gagner ses élections. Maurice Duplessis a recours aux services de Joseph- Damase Bégin, ministre unioniste et ancien vendeur d’automobiles, qui se démarque par ses victoires dans son comté. Bégin s’allie à son tour les talents de Paul Bouchard qui devient directeur de la propagande de l’organisation électorale de l’Union nationale en 1946. Au fil des années, leur organisation grandit et permet à Duplessis de remporter parmi les plus grandes majorités parlementaires de l’histoire du Québec. Comment Bégin, Bouchard et leurs collègues y parviennent-ils? En personnalisant les campagnes de l’Union nationale, en recourant aux médias de masse et aux techniques publicitaires réputées performantes, en effectuant des analyses pré- électorales et surtout, en utilisant un budget faramineux. Voilà la recette du succès unioniste, inspiré des méthodes américaines.

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Table des matières RÉSUMÉ ...... III LISTE DES ILLUSTRATIONS ...... VI REMERCIEMENTS ...... VII INTRODUCTION ...... 1 HISTORIOGRAPHIE ...... 4 PROBLÉMATIQUE ...... 11 CADRE CONCEPTUEL ...... 12 CORPUS DE SOURCES ...... 14 MÉTHODOLOGIE ...... 16 HYPOTHÈSE ...... 17 PLAN ...... 17 CHAPITRE 1 ...... 19 1 PRÉSENTATION DES MŒURS ÉLECTORALES AU QUÉBEC AVANT LES ANNÉES 1940 ...... 19 1.1 RETOUR SUR LES DÉBUTS DES CAMPAGNES ÉLECTORALES AU QUÉBEC (1791-1931) ...... 20 1.2 FAIRE CAMPAGNE ...... 20 1.2.1 Plusieurs façons de convaincre ...... 21 1.2.2 Et la violence… ...... 23 1.3 LOIS ET RÈGLEMENTATIONS ...... 24 1.3.1 Un droit de vote pour tous, dans le secret… ...... 24 1.3.2 Et les méthodes publicitaires? ...... 25 2 CONTEXTE POLITIQUE DU DÉBUT DU XXE SIÈCLE ...... 27 2.1 LA PUISSANCE LIBÉRALE ...... 27 2.1.1 La corruption gouvernementale ...... 27 2.1.2 La domination de la presse ...... 28 2.2 L’ÉMERGENCE DE L’UNION NATIONALE ...... 29 2.3 LE PREMIER MANDAT DUPLESSIS ...... 31 2.4 PRÉPARER LE RETOUR ...... 33 2.4.1 Déstabilisés par la défaite ...... 33 2.4.2 Revenir en force ...... 34 3 L’ÉLECTION DE 1944 ...... 36 3.1 CONTEXTE DE L’ÉLECTION ...... 36 3.2 ANALYSE DE L’ÉLECTION DE 1944 ...... 37 3.2.1 Le personnel politique ...... 38 3.2.2 Médiatisation de la campagne et techniques publicitaires ...... 39 3.2.3 La personnalisation de la communication ...... 43 3.2.4 Le budget ...... 44 3.2.5 Les études pré-électorales et les sondages ...... 45 4 CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES ...... 45 CHAPITRE 2 ...... 47 1. CONTEXTE DE L’ÉLECTION DE 1948 ...... 47 1.1 REVENIR POUR DE BON ...... 48 1.2 UN NOUVEAU DRAPEAU POUR LA PROVINCE ...... 49 1.3 UN ENNEMI COMMUN : LE COMMUNISME ...... 51 1.4 LES RELATIONS AVEC L’ÉTAT FÉDÉRAL ...... 51

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1.5 L’ACHAT DU MONTRÉAL-MATIN ...... 52 2. ANALYSE DU DÉPLOIEMENT PUBLICITAIRE DE LA CAMPAGNE UNIONISTE DE 1948 ...... 53 2.1 LE RECOURS AUX PROFESSIONNELS ...... 54 2.1.1 Une élection prévue longtemps d’avance ...... 56 2.1.2 De nouvelles techniques pour les professionnels ...... 58 2.2 MÉDIATISATION DE LA CAMPAGNE ...... 59 2.2.1 La radio ...... 59 2.2.2 Les brochures ...... 60 2.2.3 Les journaux et la publicité ...... 62 2.3 PERSONNALISATION DE LA CAMPAGNE ...... 71 2.4 LES BUDGETS ...... 72 3. CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES ...... 73 CHAPITRE 3 ...... 75 1. SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DANS LE QUÉBEC DES ANNÉES 1950...... 75 1.1 LA CONTINUITÉ ...... 76 1.1.1 Les élections générales provinciales de 1952 ...... 77 1.1.2 Une opposition affaiblie ...... 78 1.1.3 Les contestations ...... 79 1.1.3.1 Les premiers foyers contestataires ...... 80 1.1.3.2 L’ennemi numéro un : Le Devoir ...... 81 1.2 LA STABILITÉ ...... 82 1.3 LE DÉCLENCHEMENT ET LE DÉROULEMENT DES ÉLECTIONS ...... 84 1.3.1 Les thèmes de l’élection ...... 84 1.3.1.1 L’autonomie provinciale ...... 85 1.3.1.2 Toujours la peur des Communistes ...... 85 1.3.1.3 Le développement de l’Ungava ...... 86 1.3.2 Les résultats des élections ...... 87 2. ANALYSE DE LA CAMPAGNE ÉLECTORALE ...... 88 2.1 LE RECOURS AUX PROFESSIONNELS ...... 88 2.1.1 Une organisation bien huilée ...... 88 2.1.2 De plus en plus stratégique et professionnel ...... 90 2.2 MÉDIATISATION ET TECHNIQUES PUBLICITAIRES ...... 91 2.2.1 Encore plus de produits dérivés ...... 91 2.2.2 Apparition d’un nouveau médium : la télévision ...... 92 2.2.3 Les formats ...... 94 2.2.4 De la publicité négative ou comparative ...... 100 2.2.5 Les cibles ...... 102 2.3 LA PERSONNALISATION ...... 103 2.4 LE RECOURS AUX SONDAGES ET AUX AGENCES PUBLICITAIRES ...... 104 2.5 LES BUDGETS ...... 105 3. CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES ...... 106 CONCLUSION ...... 108 BIBLIOGRAPHIE ...... 111

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Liste des illustrations

Figures

1. « L’honorable Maurice Duplessis Chef de l’Union Nationale sollicite votre vote pour son candidat dans votre comté » (1944), Publicité, impression sur papier, Canada, (Image tirée de La Patrie, 6 août 1944 – Édition nationale, p. 55). 2. « Une politique d’équilibre économique et de progrès dans tous les domaines », (1944), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 6 août 1944 – Édition nationale, p. 56). 3. « Quel sera votre avenir ? Votre vote le dira ! », (1944), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée du Montréal-Matin, 5 août 1944, p. 5). 4. « Duplessis donne à sa province. Les libéraux donnent aux étrangers », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 27 juillet 1948, pp. 36-37). 5. « Duplessis oriente sa province vers le progrès », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juillet 1948, p. 41). 6. « Duplessis a donné », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 4 juillet 1948, p. 91). 7. « Le thermomètre de la victoire », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 21 juillet 1948, p. 5). 8. « L’autonomie de notre province sauvegardée », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 18 juin 1956, p. 14-15). 9. « La parade des œufs polonais », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 18 juin 1956, pp. 11-13). 10. « Le scandale des œufs communistes », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 7 juin 1956, pp. 17-18). 11. « Les Québécois forcés de manger des œufs communistes ! », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 4 juin 1956, pp. 96-97). 12. « Monsieur Lapalme devrait être le dernier à parler de chômage dans le Québec », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 13 mai 1956, p. 20). 13. « Pour reconquérir tous nos droits cédés en 1942 par le gouvernement rouge de QUÉBEC, au gouvernement rouge d’OTTAWA », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 6 mai 1956, pp. 84-85). 14. « Duplessis a donné un drapeau à sa province », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 4 mai 1956, pp. 84-85). 15. « Avec Duplessis c’est la survivance et le progrès », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juin 1956, pp. 16-17). 16. « Encore 15 ans à sécher dans l’opposition », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 15 juin 1956, pp. 12-13). 17. « Vous êtes cordialement invité à participer à la campagne électorale qui se tient actuellement dans Québec », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 6 juin 1956, pp. 16-17). 18. « Électeurs de Montréal, envoyons à Québec une députation forte et cohérente capable de servir le mieux possible nos intérêts et ceux de la métropole », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juin 1956, pp. 12-13).

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Remerciements

Cet accomplissement académique et personnel n’aurait pu être réalisé sans l’apport de nombreuses personnes. J’aimerais saisir l’occasion de les remercier ici.

Mes premiers remerciements vont à mon directeur de maîtrise, Martin Pâquet. Sans son soutien constant, ses conseils judicieux et sa grande humanité, ce mémoire n’aurait jamais vu le jour.

Je tiens également à souligner l’apport de mon co-directeur, Alain Lavigne. Sa sagesse et son vif intérêt ont su me guider. Sa passion est contagieuse.

J’exprime ma gratitude à mes parents, Marlène et Christian, pour leur amour et leur appui inconditionnel. Je remercie ma sœur, Sandrine, qui m’a inspiré à chaque jour à me dépasser.

Merci à Sarah, pour la complicité, la compréhension, les encouragements et tellement plus. J’ai également une pensée spéciale pour Krystal, Philippe et Valérie.

Merci à tous les membres de ma famille élargie et à mes amis, pour leur intérêt et les bons moments.

Merci à Didier, pour tout.

Je pense finalement à mon grand-père, Marcel, à qui j’aurais tant aimé pouvoir remettre ce mémoire en mains propres.

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Introduction

[Antonio Élie] C’est ben beau toutes ces patentes là, mais avec tout ça là, on va ti gagner nos élections? [Joseph-Damase Bégin] Ça va être épouvantable! [Antonio Élie] Combien c’est qu’on va prendre de comtés? [Joseph-Damase Bégin] Quatre-vingts, quatre-vingts-deux… Étonnement généralisé dans la salle du conseil des ministres [Antonio Élie] Les Libéraux prendront même pas dix comtés? [Joseph-Damase Bégin] Ils leur restent plus juste que les Anglais de l’ouest de Montréal1.

Scène d’anthologie de la série Duplessis de Denys Arcand, cette interprétation de la préparation des élections de 1948 est évocatrice de l’organisation des campagnes électorales à l’Union nationale, pendant les années Duplessis. Qui plus est, elle en dit long sur le rôle d’un des ministres, aussi membre de l’organisation électorale de l’Union nationale : Joseph-Damase Bégin. Cette scène révèle que Bégin connaît les rouages des élections. Il y va même d’une estimation, qui s’avère assez juste, du nombre de siège que le parti va récolter lors du scrutin. Les victoires électorales successives de Maurice Duplessis à la tête de l’Union nationale fascinent encore aujourd’hui et ont suscité l’ire des détracteurs du « Chef » à l’époque. Du 1er octobre au 7 décembre 1956, Pierre Laporte écrit dans Le Devoir 46 articles d’une série intitulée « Les élections ne se font pas avec des prières ». Le journaliste y s’intéresse d’abord aux dépenses électorales faramineuses de l’Union nationale lors de la dernière élection, mais aussi aux irrégularités et à la corruption du parti de Maurice Duplessis en matière de scrutin. Cependant, Pierre Laporte n’est pas le seul à observer le déploiement publicitaire hors du commun du parti.

En effet, Georges-Émile Lapalme, chef du Parti libéral de la province de Québec de 1950 à 1958, écrit dans ses mémoires cette réflexion sur les façons de faire de l’Union nationale : En transposant ici les méthodes électorales à l’américaine, l’Union nationale produisit une force d’impact à nulle autre pareille : saturation quotidienne de la presse et des ondes par des annonces directes ou des nouvelles tendancieuses, utilisation des artistes du théâtre à la radio, d’énormes panneaux réclames à tous les carrefours ou le long des routes, spectacles de saltimbanques ou de cinéma, d’innombrables objets portant la photo de Duplessis ou du candidat local.2

1 Denys Arcand, Duplessis, épisode 5 : « Le pouvoir », à 40’ 59’’, 1978. 2 Georges-Émile Lapalme, Le bruit des choses réveillées, Mémoires, Montréal, Leméac, 1969, p. 314.

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Ces affirmations ont de quoi surprendre. À quoi Lapalme fait-il ici référence? Quelles sont ces « méthodes électorales à l’américaine » dont il parle?

Les méthodes électorales à l’américaine correspondent à une nouvelle façon de faire campagne qui apparaît aux États-Unis à l’échelle nationale dans les années 19503. Pour plusieurs, comme Serge Albouy, l’élection de Dwight D. Eisenhower à la présidence américaine en 1952, marque un point tournant dans la façon de faire campagne. En fait, « [l]e succès électoral d’Eisenhower sera de ce fait perçu, dès ce moment comme celui des agences de publicité de Madison Avenue et, déjà, on accusera celles-ci « de faire vendre un président comme une savonnette » et de fausser le débat démocratique4 ». L’entourage du futur Président a recours à des études du marché électoral, afin de bâtir un slogan directeur pour la campagne : « I Like Ike5 ». Le rendant familier, impliquant les électeurs émotivement dans leur choix, ce slogan est fort intéressant. Ces méthodes s’apparentent et s’inspirent du marketing commercial, de plus en plus populaires aux États-Unis au cours des années 1950, dont certaines techniques sont appliquées aux politiciens. C’est le marketing politique. Aujourd’hui, l’application de cette nouvelle façon de mener des campagnes et de mettre en marché les politiciens est un phénomène marquant à l’échelle de l’Occident. Toutefois, cette diffusion du marketing politique des États-Unis vers d’autres pays est un processus que l’on pourrait qualifier de plutôt lent à travers les années. En effet, alors que l’élection du président américain Eisenhower en 1952 marque pour plusieurs spécialistes la naissance du marketing politique, il faut attendre 1965 pour voir en France le même genre d’attaque du marché lors d’une campagne présidentielle6. Puis, la Grande-Bretagne emboîte le pas. Qu’en est-il du Canada et du Québec? Bien que relativement peu étudiée chez nous, certains auteurs précisent que la pénétration des méthodes électorales à l’américaine au Québec se serait déployée

3 Serge Albouy, Marketing et communication politique, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 6. Un certain consensus se dégage à ce sujet, bien que certains autres spécialistes situent la première campagne électorale recourant aux méthodes à l’américaine en 1960, lors de l’élection de John F. Kennedy. Il n’en demeure pas moins que certains avancent que les origines de ces méthodes auraient pris place dans les années 1930 en Californie, alors qu’une firme de communication se spécialise dans l’organisation de campagnes électorales. 4 Ibid. 5 Ike était le surnom d’Eisenhower. 6 Philippe J. Maarek, Communication et marketing de l’homme politique, Paris, Litec, 2007, p. 31.

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à partir des années 19607. D’autres avancent que cette influence américaine est déjà bien présente lors des campagnes unionistes de 1948, 1952 et 19568.

Tout comme n’importe quel grand phénomène, le marketing politique n’est pas né du jour au lendemain. Les balbutiements de cette grande tendance apparaissent aux États-Unis dès les années 1930 en Californie. Paru en 2012, l’ouvrage Duplessis. Pièce manquante d’une légende. L’invention du marketing politique, d’Alain Lavigne met en lumière ce qui serait l’amorce de ce phénomène au Québec par l’étude des campagnes électorales de l’Union nationale pendant les années Duplessis. Les témoignages de l’intérieur du parti alimentent cette réflexion. Tour à tour directeur de la propagande, de la publicité, puis publiciste de l’organisation électorale de l’Union nationale, dans le journal Le Temps, Paul Bouchard est explicite à la suite de l’éclatante victoire des troupes unionistes en 1948 :

On peut dire sans exagération qu’aucun parti politique n’a jamais conçu dans notre province une propagande aussi massive et dynamique, aussi simple et aussi complète, aussi efficace que moderne par la technique. Rares sont les électeurs qu’elle n’a pas atteint ou touché quelque fibre. L’Union nationale lui doit une grande part de son éclatante victoire.9

Ce témoignage intrigue, puisqu’il fait état d’éléments qui ne sont pas étrangers aux méthodes électorales à l’américaine, notamment lorsque Paul Bouchard parle de modernité, de dynamisme et d’atteindre une masse impressionnante d’électeurs. Ce témoignage de l’intérieur s’ajoutant à celui de Georges-Émile Lapalme, il y a donc là, une raison de plus de s’intéresser aux campagnes électorales de l’Union nationale sous l’angle des méthodes électorales à l’américaine.

Paul Bouchard devient dès 1946 un acteur important de l’entourage de Maurice Duplessis, à titre de directeur de la propagande. Toutefois, il n’est pas le seul intervenant. En effet,

7 Denis Monière, Votez pour moi : une histoire politique du Québec moderne à travers la publicité électorale, Saint- Laurent, Fides, 1998, 246 p. 8 Jacques Benjamin, Comment on fabrique un Premier ministre québécois : de 1960 à nos jours, Montréal, L’Aurore, 1975, 190 p.; Andréanne Cantin et Alain Lavigne, « Des campagnes électorales à l’américaine sous Duplessis », Montréal, Bulletin d’histoire politique, vol. 24, no. 1, 2015, pp. 30-41. 9 Paul Bouchard, « Publicité et propagande », Le Temps, 29 octobre 1948, p. 5.

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l’organisation centrale de l’Union nationale est dirigée par Joseph-Damase Bégin, ministre unioniste, ancien vendeur d’automobiles. Un personnage crucial, puisqu’il est la tête pensante de cette puissante organisation. Il est aidé de Paul Bouchard, mais aussi d’autres membres, comme Bruno Lafleur, lui aussi publiciste à partir de 1938.

Historiographie

Notre étude s’inscrit certainement en histoire politique et, plus précisément, en histoire des partis politiques. Une littérature abondante existe à ce sujet au Québec, particulièrement en ce qui concerne l’Union nationale et son chef, Maurice Duplessis. D’ailleurs, Xavier Gélinas dans l’ouvrage Duplessis. Son milieu, son époque, dresse un des bilans historiographiques les plus récents et fort étayé au sujet du Duplessisme. Selon X. Gélinas, quatre grandes périodes se distinguent, en débutant d’abord par celle qu’on pourrait qualifier de « Grande Noirceur10 ». Avant même la mort de Duplessis, Pierre Elliott Trudeau et Pierre Laporte produisent des ouvrages marquants, témoin de leur caractère critique du régime en place. Actifs notamment à la revue Cité- libre, ces auteurs se démarquent. Après la publication du collectif La grève de l’amiante11 dirigé par Trudeau, paraît Le vrai visage de Duplessis12. Cet ouvrage signé Pierre Laporte, insiste sur l’obscurantisme des années Duplessis. Ces deux parutions phares de ce mouvement sont, de l’avis de Xavier Gélinas, celles qui donnent le ton aux thèmes des autres écrits qui paraissent au cours de la décennie 1960. Gélinas explique : « Tous les thèmes ne sont pas présents chez tous les auteurs, mais essentiellement l’argumentaire demeure le même13 ». En effet, les auteurs des années 1960 dépeignent Duplessis comme « un être mesquin et retors14 », qui a maintenu le Québec loin du progrès, tout en encourageant la mainmise de l’Église sur l’État et en utilisant l’autonomie provinciale comme cheval de bataille, sans réellement porter d’actions concrètes15 . Bien des critiques peuvent être faites à l’égard des ouvrages parus dans cette décennie, à commencer par le fait que leur contenu n’est pas très objectif. De plus, les auteurs ne reconnaissent aucun bon coup

10 Xavier Gélinas et Lucia Ferretti, dir., Duplessis : son milieu, son époque, Québec, Septentrion, 2010, p. 19. 11 Pierre Elliott Trudeau (dir.), La grève de l’amiante, Montréal, Éditions du Jour, 1970 [1956], 430 p. 12 Pierre Laporte, Le vrai visage de Duplessis, Montréal, Éditions de l’Homme, 1960, 140 p. 13 Gélinas et Ferretti, op. cit., p. 20. 14 Ibid. 15 Ibid.

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au régime Duplessis, ce qui est surprenant, étant donné l’obtention de cinq mandats majoritaires, dont quatre consécutifs, toujours selon Gélinas16.

Fait intéressant, les publications de la décennie suivante, celle des années 1970, sont tout aussi « extrêmes », mais se trouvent plutôt de l’autre côté du spectre. En effet, deux biographies consacrées à Maurice Duplessis sont alors publiées. Robert Rumilly et Conrad Black font paraître respectivement en 1973 et en 1977 deux ouvrages17 qui tentent de réhabiliter « le chef ». Il faut dire qu’il semble être de l’époque de vouloir rappeler l’héritage de l’Union nationale des années 1940 et 1950 ainsi, avec la sortie de la série télévisée de Denys Arcand, Duplessis. Chacun à leur façon, les auteurs des biographies de Maurice Duplessis tentent de minimiser les accusations faites envers ce politicien, tant sur le plan de la censure que de la corruption. Ils mettent aussi de l’avant les mesures économiques de l’Union nationale et leurs effets positifs sur le développement de certaines régions et la prospérité globale du Québec jusqu’à la fin des années 1950. Ils insistent notamment sur la réduction de la dette de la province presqu’à zéro et sur la modernisation « à un rythme régulier et raisonnable18 » de l’État québécois. Nous sommes bien loin des auteurs des années 1960, qui traitent de retard sur le progrès. Par contre, Rumilly et Black ne sont pas plus objectifs que leurs prédécesseurs.

Une troisième phase dans les études relatives au Duplessisme arrive à la fin des années 1970, une phase résolument révisionniste au sens où Ronald Rudin l’entend:

Par « révisionnisme », nous entendons le terme proposé par l’historiographe Ronald Rudin pour désigner cette école de pensée qui insiste sur la « normalité » de l’évolution du Québec depuis la Révolution industrielle, évolution qui à quelques détails près se serait produite en harmonie avec le reste de l’Occident et notamment avec le reste de l’Amérique du Nord19.

16 Ibid., p. 21. 17 Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, deux tomes, Montréal, Fides, 1973, 722 et 750 p. ; Conrad Black, Duplessis, deux tomes, Toronto, McClelland and Stewart, 1977, 743 p. 18 Gélinas et Ferretti, op. cit., p. 22. 19 Gélinas et Ferretti, op. cit., p. 23-24 ; Ronald Rudin, Making History in Twentieth-Century , Toronto, University of Toronto Press, 1997, pp. 171-218.

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Ouvrage marquant de cette période, l’Histoire du Québec contemporain par Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard expose que les racines du Québec contemporain se trouvent bien avant l’an 1960. Les sociologues Gilles Bourque, Jules Duchastel et Jacques Beauchemin s’inscrivent aussi dans cette tendance révisionniste avec Restons traditionnels et progressifs. Pour une nouvelle analyse du discours politique : le cas du régime Duplessis au Québec. Puis, Alain-G. Gagnon et Michel Sarra-Bournet viendront quelques années plus tard, avec Duplessis. Entre la Grande Noirceur et la société libérale, présentant plusieurs communications du colloque sur Duplessis et le Duplessisme tenu à Montréal en 1996. Opposant différents discours sur la question, l’ouvrage se veut l’occasion de débattre des interprétations les plus courantes de l’époque20.

Puis, une quatrième phase de recherche qualifiée de « para-duplessisme » se déploie, selon Xavier Gélinas21. Étudiant toutes sortes d’aspects de l’histoire des années 1940 et 1950, les études du para-duplessisme tournent tout près de Maurice Duplessis, sans nécessairement s’y attarder22. Des sujets comme les intellectuels, l’univers catholique et la jeunesse, sont autant d’occasion d’apporter un éclairage différent sur cette période encore controversée qu’est le duplessisme23. N’oublions pas la parution de Duplessis, son milieu, son époque, dirigé par Xavier Gélinas et Lucia Ferretti en 2010, résultat du colloque du même nom tenu par la Société du patrimoine politique du Québec en 2009, à l’occasion du 50e anniversaire de la mort de Maurice Duplessis24. Plusieurs horizons sont présentés dans cet ouvrage, suscitant souvent l’idée de « réévaluation de cette étiquette [Grande noirceur]25 ». Il s’agit du plus récent ouvrage sur la question.

Mentionnons aussi l’ouvrage d’Alain Lavigne, Duplessis. Pièce manquante d’une légende. L’invention du marketing politique. Dans quelle mesure les questions d’histoire des partis politiques au Québec sont-elles confrontées à la question du marketing politique? D’emblée, le

20 Richard Jones, « Ouvrage recensé : Duplessis. Entre la Grande noirceur et la société libérale », Québec, Politique et société, vol. 17, no. 3, 1998, pp. 196-198. 21 Gélinas et Ferretti, op. cit., p. 25-26. 22 Ibid., p. 26. 23 Ibid., p. 26-27. 24 Matthew Hayday, « Ouvrage recensé : Duplessis, son milieu, son époque », Ottawa, Mens : revue d’histoire intellectuelle et culturelle, vol. 12, no. 1, 2011, p. 143. 25 Ibid., p. 144.

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marketing politique étant peu étudié au Québec, la réponse à cette question serait : très peu. À notre connaissance, seulement quelques ouvrages ont été publiés en lien avec la communication politique au Québec depuis les années 1970. Selon nous, l’ouvrage de Jacques Benjamin, Comment on fabrique un Premier ministre québécois26, est l’un des premiers à traiter de la question. Plusieurs postulats concernant la communication politique au Québec proviennent de cet ouvrage. Entre autres, il y est mentionné que ce phénomène communicationnel serait né en 1960 au sein du Parti libéral de Jean Lesage. Bien que quelques mots sur les années précédant l’arrivée de Lesage au pouvoir ont été glissés dans cet ouvrage, rien ne présente les avancées en termes de marketing politique effectuées par l’Union nationale. Aussi, Robert Bernier et ses ouvrages : Le marketing gouvernemental au Québec 27 et Un siècle de propagande? Information, communication et marketing gouvernemental28, ont marqué le développement des recherches sur le marketing des gouvernements. Plus tard au Québec, Denis Monière publie en 1998 le livre Votez pour moi. Une histoire politique du Québec moderne à travers la publicité électorale29. Encore une fois, les mêmes idées préconçues sur la communication politique ou sur le marketing électoral y sont reprises. Monière y avance que les tactiques d’influences des médias sur le vote sont apparues dans le processus électoral au Québec en 1960, comme si l’histoire de ce phénomène communicationnel était née avec la Révolution tranquille. Néanmoins, cet ouvrage n’est pas inintéressant pour notre étude, à l’instar des sources utilisées par Monière comme les publicités électorales. Notons tout de même la parution de La communication politique : état des savoirs, enjeux et perspectives, d’Anne- Marie Gingras en 2003. Il est l’un des premiers ouvrages du genre au Québec, en regroupant plusieurs spécialistes de chez nous sur les questions entourant la communication politique, qui propose, en quelque sorte, une revue de la littérature en Amérique du Nord.

Si l’étude de l’histoire du marketing politique au Québec s’est faite plutôt rare, il en est tout autrement aux États-Unis, où le concept est né. En fait, les recherches s’amorcent par l’étude du caractère instrumental des médias : ces recherches donneront naissance au champ de la

26 Jacques Benjamin, Comment on fabrique un Premier ministre québécois : de 1960 à nos jours, Montréal, L’Aurore, 1975, 190 p. 27 Robert Bernier, Le marketing gouvernemental au Québec : 1929-1985, Montréal, G. Morin éditeur, 1988, 241 p. 28 Robert Bernier, Un siècle de propagande ? Information, communication et marketing gouvernemental, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2001, 301 p. 29 Denis Monière, Votez pour moi : une histoire politique du Québec moderne à travers la publicité électorale, Saint- Laurent, Fides, 1998, 246 p.

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communication politique. Le XXe siècle est riche en événements rappelant l’importance de la propagande30 politique. Pensons notamment à la Première et à la Deuxième Guerre mondiale31. Au cours de ces années, les liens entre publicité marchande et jeu politique ont commencé à être très grands. Bien que la propagande et la publicité constituent deux champs de recherches différents, ces sujets d’analyse « apparaissent bien souvent, dans l’étude concrète des archives, comme imbriquées et souvent presque indifférenciées32 ». Les deux guerres mondiales sont des périodes où « tous les États sont confrontés aux mêmes impératifs : miner le moral de l’adversaire et forger l’esprit patriotique, en visant en même temps les populations civiles et les forces armées33 ». L’exemple du Président américain Woodrow Wilson en 1916, qui fait basculer l’opinion publique américaine en faveur d’une implication dans le conflit mondial avec l’aide des médias, est marquant dans le développement des tactiques du genre34.

À cette époque, les premiers grands théoriciens des médias développent leurs écoles de pensée, à l’instar de Walter Lippmann, analyste politique américain des années 1920 aux années 1960. Lippmann est un adepte de la démocratie libérale et prône une société « éclairée » par un petit groupe d’intellectuels. Harold D. Lasswell s’inscrit dans cette mouvance, lui qui fait paraître Propaganda Techniques in the World War35, en 1927. D’ailleurs, Lasswell est un des premiers à créer un modèle de communication, celui des cinq « W » : « Who says What to Whom in Which channel with What effect ». Cette perception de Lippmann et Laswell est celle d’une société dans laquelle « le peuple doit être exclu de la gestion des affaires qui le concernent et les moyens d'information doivent être étroitement et rigoureusement contrôlés36 ». Bref, une société où les citoyens sont des « spectateurs » et non des participants « actifs37 », comme le dit Noam Chomsky, philosophe américain du XXe siècle. Selon lui, à travers cette façon de concevoir la démocratie, les

30 Le terme propagande n’a pas toujours eu une connotation négative. Il a longtemps fait référence aux actes de publicité gouvernementale, promue dans le but de convaincre l’électorat. Au cours des premières décennies du XXe siècle, plusieurs gouvernements ont eu leurs propres institutions consacrées à la propagande (la Grande-Bretagne, par exemple). Irene Di Jorio et Véronique Pouillard, « Le savon, le Président et le dictateur. Publicité et propagande en Europe des années 1920 aux années 1960 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, No 101 (2009), p. 5-7. 31 Ibid., p. 4. 32 Ibid. 33 Ibid., p. 5. 34 Noam Chomsky et Robert W. McChesney, Propagande, médias et démocratie, Montréal, Les éditions Écosociété, 2000, p. 17. 35 Harold D. Lasswell, Propaganda Techniques in the World War, New York, Peter Smith, 1927, 233 p. 36 Ibid., p. 15. 37 Ibid., p. 24.

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médias deviennent un outil de fabrique du consentement dans la société américaine du début du XXe siècle38.

Cette façon de voir le rôle des médias dans la démocratie fait naître bien des débats dans l’historiographie. En effet, le philosophe Noam Chomsky avait une conception bien différente de la fonction des médias au sein de la société américaine. Celui-ci est plutôt de cette école de pensée voulant qu’au sein d’une démocratie, les citoyens doivent disposer de médias indépendants et accessibles, afin de pouvoir participer de façon active à la vie en société39. Cette dichotomie entre Lippmann et Chomsky a inspiré plusieurs recherches à propos des effets des médias sur l’opinion publique et la persuasion en contexte électoral. Deux écoles de pensées – l’école libérale et l’école critique – sont notamment créées par Paul Lazarsfeld en 194140.

Notons aussi l’apport d’Edward Bernays, grand relationniste américain. Plutôt homme de terrain contrairement à Lippmann, il est au cœur de plusieurs révolutions du monde commercial. Nous le percevons comme celui qui met en action les différentes théories de manipulation de l’opinion publique par les médias. Il popularise notamment la consommation de cigarettes chez les femmes aux États-Unis au cours des années 1920 et 193041. Ses idées sont rattachées à la théorie de la « fabrique du consentement42 », comme celles de Walter Lippmann, grand théoricien des médias43.

En bref, une pléiade de recherches est effectuée sur différents thèmes, tant sur le plan de la propagande, de la persuasion, de l’opinion publique, du symbolisme, des relations publiques et de la publicité jusqu’aux années 197044. Puis, des bilans de recherche marquants sont publiés à la fin des années 1970 et au début des années 1980, marquant la consécration de ce nouveau champ

38 Ibid., p. 24-26. 39 Ibid., p. 15. 40 Anne-Marie Gingras, La communication politique : État des savoirs, enjeux et perspectives, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2003, p. 14. 41 Edward Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, Montréal, Lux Éditeur, 2008, p. XIII. 42 La fabrique du consentement est une théorie des médias développée au début du XXe siècle qui met de l’avant l’idée que la masse peut être dirigée par une minorité éclairée, qu’il est possible de manipuler l’opinion publique en la faveur du demandeur. Bref, de fabriquer le consentement populaire. Ibid., p. XIV-XVI. 43 Ibid., p. XVI. 44 Gingras, p. 5.

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d’étude multidisciplinaire de la communication politique. Pensons notamment à celui de Dan Nimmo et Keith Sanders paru en 1981 : Handbook of Politcal Communication45. Depuis, Holli A. Semetko et Margaret Scammel ont revu, corrigé et augmenté le travail de Nimmo et Sanders, dans une édition parue en 2012, toujours chez SAGE Publications 46 . Le champ d’étude de la communication politique est officiellement reconnu en 1973 au sein de l’International Association of Communication et de l’American Association of Political Science47. Par la suite, les champs d’étude de la communication politique se fragmentent. Comme Richard Nadeau et Frédérick C. Bastien le mentionnent, « Les campagnes électorales ont exercé un puissant attrait chez les spécialistes de la communication politique48 », puisqu’« elles constituent un contexte particulier de la vie politique, dans lequel les acteurs poursuivent des objectifs spécifiques à l’aide de moyens tout aussi exceptionnels49 ». Nadeau et Bastien identifient trois principaux courants de recherche : les aspects pratiques des campagnes électorales, la pratique du marketing politique et tout ce qui est relatif aux campagnes électorales50. Champ d’étude encore plus récent, la communication électorale s’intéresse aux moyens de maximiser les appuis des électeurs à un parti ou un autre51. Se définissant par leur courte durée, leur intensité et leur finalité – l’élection d’un nouveau gouvernement –, les campagnes électorales sont un moment fort des démocraties. Parmi les différents spécialistes, il y a consensus pour identifier trois phases dans l’évolution des campagnes électorales52 : une première ayant son apogée entre les années 1945 et 1960, une deuxième marquée par l’arrivée de la télévision et une dernière marquée par le développement rapide des nouvelles technologies, notamment Internet53.

45 Dan Nimmo et Keith Sanders, Handbook of Political Communication, Thousand Oaks, SAGE Publications, 1981, 782 p. 46 Holli A. Semetko et Margaret Scammel, The SAGE Handbook of Political Communication, Thousand Oaks, SAGE Publications, 2012, 544 p. 47 Gingras, loc.cit. 48 Ibid., p. 161. 49 Ibid. 50 Ibid., p. 161-162. 51 Ibid., p. 166. 52 J. G. Blumler et D. Kavanagh, « The Third Age of Political Communication : Influences and Features », Political Communications, vol. 16, no. 3, 1999, pp. 209-230; D. M. Farrell, « Campaigning Strategies and Tactics » dans L. LeDuc, R.G. Niemi et P. Norris (dir.), Comparing Democracies : Elections and voting in Global Perspective, Thousand Oaks, Sage Publications, 1996, pp. 160-183; R. Gibson et A. Römelle, « A Party Centered Theory of Professionnalized Campaigning », The Harvard International Journal of Press/Politics, vol. 6, no. 4, 2001, pp. 31-43. 53 Gingras, op. cit., p. 169-170.

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Une des grandes tendances dans les études récentes est la professionnalisation et l’américanisation des campagnes électorales, c’est-à-dire l’importance de plus en plus grande que prennent les professionnels des campagnes dans l’entourage des politiciens et l’étalement de cette façon de faire partout en Occident.

Problématique

L’émergence de nouvelles pratiques électorales au sein des partis politiques québécois a longtemps été associée à l’élection de Jean Lesage en 1960. Toutefois, à la lumière du bilan historiographique et des témoignages d’acteurs clés de l’époque comme Paul Bouchard et Georges- Émile Lapalme, il apparaît de plus en plus clair que de nouvelles pratiques électorales à l’américaine semblent faire surface sous l’Union nationale de Maurice Duplessis. Alors, comment se manifestent les prémisses d’un nouveau type de campagnes électorales inspiré des méthodes à l’américaine au Québec, par la publicité et le travail des membres de l’organisation centrale de l’Union nationale entre 1944 et 1956?

Plusieurs questionnements découlent de cette problématique. D’abord, quant à la nature de ces nouvelles pratiques, mais aussi quant aux personnes qui les implantent à l’Union nationale. Est- il possible que le chef lui-même soit impliqué dans de tels changements? Ou bien est-ce plutôt l’œuvre de Joseph-Damase Bégin et de Paul Bouchard? Aussi, il est de mise de se demander jusqu’où l’application des méthodes électorales à l’américaine s’est rendue. Est-ce que les campagnes duplessistes sont calquées sur les campagnes de présidents américains? Quelle est la nature des traces pouvant possiblement témoigner de ces changements?

Des quatre campagnes électorales qui ont lieu entre les années 1940 et 1960, trois attirent particulièrement l’attention, soit celles de 1944, 1948 et 1956. D’abord, elles font toutes parties du groupe de quinze années successives où l’Union nationale a été au pouvoir sans interruption. Il nous semble plus logique d’analyser les campagnes dans ce bloc, puisque nous souhaitons montrer la place de plus en plus importante des méthodes électorales à l’américaine dans l’organisation

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électorale de l’Union nationale. Aussi, ces élections se trouvent toutes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale ou dans l’après-guerre, une période marquée par le développement de la société de consommation et de la technologie. C’est au cours de cette période que le marketing politique prend de plus en plus de place. Ces élections représentent également des moments importants pour l’Union nationale. Celle de 1944 marque le retour au pouvoir de Maurice Duplessis, après un premier mandat entre 1936 et 1939. Le scrutin de 1948 marque le succès électoral le plus retentissant de l’Union nationale, avec l’élection d’une des plus grandes majorités en chambre, soit 82 des 92 sièges disponibles. Enfin, l’élection de 1956 est célèbre pour le budget consacré par l’Union nationale. Quant à l’élection de 1952, nous avons choisi de ne pas l’analyser, puisqu’elle s’inscrit dans la continuité de la campagne précédente.

Cadre conceptuel

Les recherches historiographiques montrent l’étendue des appellations et des concepts sous- jacents dans le domaine de la communication politique. Plusieurs termes existent, mais lequel s’applique le mieux à notre situation ? Les concepts de marketing politique, de communication politique et de communication électorale sont nés au cours des dernières décennies. Il nous apparaît donc anachronique d’utiliser ces concepts, alors qu’ils n’existent pas au cours de la période que nous analysons. Pourtant, les assises du marketing politique sont nées dans ces années 1940-1950. Comment appelle-t-on cette nouvelle façon de faire ? Plusieurs les qualifient de « méthodes électorales à l’américaine », faisant ainsi référence au lieu de naissance de ces méthodes. Ce concept de méthodes électorales à l’américaine nous semble donc plus près de ce que nous tentons de montrer, en comparaison avec le concept de marketing politique qui s’applique plutôt à la réalité d’aujourd’hui, avec la télévision, les sondages et les médias sociaux.

Comment peut-on définir ces méthodes électorales à l’américaine ? Nous avons choisi de coller aux caractéristiques présentées par Robert Agranoff54, puis Serge Albouy55, qui ont élaboré et alimenté ce concept. D’abord, ils circonscrivent la période d’action de ces méthodes à la campagne électorale, moment fort de la vie politique, comme il consiste à renouveler les élus. Ces

54 Robert Agranoff, The New Style in Election Campaigns, Boston, Holbrook Press, 1972. 55 Albouy, loc. cit.

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caractéristiques apparaissent à propos, puisque les élections successives de Maurice Duplessis sont au cœur de cette étude. Agranoff identifie donc quatre caractéristiques des campagnes électorales à l’américaine, qui se détaillent ainsi : 1. Les campagnes sont fortement personnalisées 2. Le recours à des professionnels de communication 3. Des décisions stratégiques précédées d’études afin de mieux connaître le marché électoral 4. Le recours aux médias de masse ainsi qu’aux techniques publicitaires réputées les plus performantes

À cela, Albouy ajoute une cinquième caractéristique :

5. Des moyens financiers de plus en plus considérables

Définissons maintenant chacune de ces caractéristiques. D’abord, la personnalisation des campagnes se caractérise par le fait que le candidat devient le centre de la campagne électorale56. Ses idées, ses valeurs éclipsent même le parti qu’il représente. Qui plus est, l’entourage du parti essaie généralement de le mettre en récit et de soigner son image57. Quant à lui, le recours à des professionnels concerne l’influence croissante des spécialistes de la communication, de la publicité et du marketing auprès des politiciens58. Il peut même s’agir de confier une partie de la planification d’une campagne à une agence de marketing. Il est aussi question de professionnaliser une partie de l’équipe électorale d’un chef, notamment en établissant une organisation centrale pour contrôler le message global de la campagne, mais aussi en commençant à organiser les campagnes longtemps à l’avance59. Puis, cernons le recours aux études stratégiques, les sondages, afin de mesurer le « marché » électoral et ainsi, préparer une campagne sur mesure pour mieux influencer l’électorat ciblé par le parti politique60.

Le recours aux médias de masse – soit la presse écrite, la radio et la télévision dans ce cas – mais surtout leur saturation, constituent des éléments fondamentaux des campagnes électorales à

56 Ibid., p. 9. 57 Alain Lavigne, Duplessis. Pièce manquante d’une légende. L’invention du marketing politique, Québec, Septentrion, 2012, p. 14. 58 Albouy, loc. cit. 59 Gingras, op. cit., p. 167. 60 Albouy, op. cit., p. 8

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l’américaine. L’utilisation de publicités, de brochures, d’objets promotionnels et même de vidéos et de spots télévisuels en grand nombre en est le témoin. Outre ces moyens, les techniques publicitaires réputées performantes résident dans la simplification du message, la répétition, le recours aux émotions, au spectaculaire, mais aussi, le respect des règles de typographie61. Le recours à un slogan directeur, martelé et décliné dans les différents produits de publicité électorale, est aussi un indicateur de performance. De plus, l’utilisation de nouveaux formats publicitaires comme la pleine-page, la demie-page et le tiers de page, correspondent plus aux nouvelles méthodes électorales à l’américaine. Enfin, le dernier indicateur, le plus évident diront certains, est la croissance constante des budgets consacrés à la communication pour l’organisation d’une campagne électorale 62 . Lorsque les données manquent, la preuve du recours à ces budgets faramineux réside dans l’accumulation des indicateurs présentés ci-haut, comme il s’agit de mesures nécessitant beaucoup de ressources financières. Ainsi, nous serons à la recherche de ces indicateurs, pour chacune des élections analysées.

Corpus de sources

Le corpus envisagé afin de réaliser cette recherche comprend d’abord trois principaux fonds d’archives. Il s’agit des fonds Joseph-Damase Bégin63, Paul Bouchard64 et Bruno Lafleur65. Ces fonds renferment des données sur la vie personnelle et politique de Bégin, de Bouchard et de Lafleur. Ce sont les sources à caractère politique qui nous intéressent et ces sources sont de types variés. En effet, ces fonds contiennent des films de propagande de l’Union nationale, des discours politiques, des rapports d’élections, des lettres entre les intervenants de l’organisation de l’Union nationale, des relevés de compte de publicité, quelques ordres du jour et procès-verbaux de réunions publicitaires, mais aussi des brochures, des guides pour les orateurs de parti, des signets et des pamphlets électoraux. Voilà une grande diversité de sources témoignant de la préparation en

61 Albouy, op. cit., p. 7. 62 Albouy, op. cit., p. 9. 63 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, fonds Joseph-Damase-Bégin, P343, 1980-98-201. 64 Archives de l’Université Laval, fonds Paul Bouchard, P433/B4/1. 65 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, fonds Bruno Lafleur, P396, 1987- 03-004.

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amont des élections. Aux fins de notre analyse, nous avons retenu neuf brochures électorales, quatre agendas et trois compte-rendu de réunion, de la correspondance intra-ministérielle et personnelle, ainsi que des notes manuscrites. Il s’agit là des sources les plus évocatrices des méthodes électorales à l’américaine.

Toutefois, dans le cas qui nous concerne, le travail de communication se décline en deux éléments mesurables : d’abord, l’élaboration du message, mais aussi la transmission du message. Ce second élément n’est pas assez soutenu par le corpus de sources choisi initialement. En effet, nous souhaitons voir correctement le reflet du travail préparatoire entourant la planification de l’organisation électorale de Bégin. Les témoins de ce travail en amont sont les différents éléments de matériel électoral comme les brochures, les films, les affiches ou les signets distribués dans les foyers canadiens-français au Québec. Bien que les trois fonds choisis comprennent quelques-uns de ces produits, ils ne témoignent pas assez bien de l’importance du travail du publiciste. Cela représente donc une faiblesse de ce corpus de sources. Pour y remédier, une des traces les plus nombreuses et toujours accessibles de l’époque complète la sélection : les publicités électorales de l’Union nationale parues dans les journaux de l’époque. Nous aurions pu nous intéresser aux films de propagande, aux panneaux-réclames, aux affiches, aux objets publicitaires, mais ces traces sont plus difficiles d’accès, vu leurs supports respectifs. Les publicités électorales parues dans les journaux demeurent simples à identifier et nous permettent de nous assurer du même coup d’avoir un portrait global de la production de l’organisation électorale de l’Union nationale. Une grande place est faite à la publicité selon les caractéristiques retenues d’Agranoff et d’Albouy.

Les publicités électorales parues entre l’émission du bref d’élection et le jour du scrutin, lors des élections de 1944, 1948 et 1956 sont ciblées. Initialiement, cinq différents journaux ont été consultés : Le Soleil, L’Action catholique, The Gazette, La Patrie et Le Montréal-Matin. Ces organes de presse permettent d’obtenir un reflet varié de la société du Québec au cours de la période étudiée : Le Soleil et L’Action catholique représentant une partie du milieu rural et de Québec, The Gazette représentant une partie de la presse anglo-montréalaise, puis La Patrie et le Montréal- Matin représentant la presse populaire de Montréal. Néanmoins, après une première recension dans ces journaux, force est de constater que Le Soleil et The Gazette sont la source de peu de publicités

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électorales unionistes, probablement à cause de leurs affiliations politiques66. Par contre, L’Action catholique, La Patrie et le Montréal-Matin se révèlent d’excellents témoins des produits électoraux de l’Union nationale. Dans sa thèse de doctorat, l’historien Mathieu Noël explique ainsi que le Montréal-Matin et La Patrie sont en 1944 les journaux qui reçoivent le plus d’argent en publicité de l’Union nationale à Montréal67. Même chose pour L’Action catholique, mais à l’échelle de tout le Québec68. Maurice Duplessis se porte lui-même acquéreur du Montréal-Matin, en 194769. Pour ces raisons, nous avons finalement limité notre corpus de journaux à ces trois organes de presse. Plus de trente types de publicités électorales ont pu être analysées grâce à cette recension, ce qui incite à peaufiner l’analyse sous l’angle des méthodes électorales à l’américaine, et, ce faisant, d’enrichir les connaissances historiques au sujet des pratiques électorales de l’Union nationale.

Méthodologie

La méthodologie de cette étude est développée en fonction de notre problématique, mais aussi en fonction de notre corpus de sources disparates. Une grille d’analyse adaptée aux sources utilisées dans le cadre de ce mémoire a été développée. D’ailleurs, la création de cette grille d’analyse a représenté un grand défi.

Le corpus de sources est très éclectique. Les documents ne forment pas de séries bien cadrées, ils sont de toute nature. Alors, comment être certaine de la pertinence de chacun des critères d’analyse lorsqu’appliqué à une lettre entre deux organisateurs électoraux, à un procès- verbal de réunion, à une brochure ou une publicité électorale ? Comment analyser de façon uniforme ces sources variées ? Nous avons donc créé un fichier FileMaker permettant de répertorier

66 Le sénateur Jacob Nicol, bras droit de l’ancien premier ministre libéral Taschereau, fait en sorte que ses journaux, dont Le Soleil, deviennent « des organes libéraux d’une sympathique neutralité à l’égard du gouvernement » suite à l’élection de Maurice Duplessis. Malgré cela, cette soi-disant neutralité semble affecter l’achat de publicité dans Le Soleil au cours de la période étudiée, puisque peu de publicités électorales unionistes y ont été retrouvées. Jean Hamelin et André Beaulieu, « Aperçu du journalisme québécois d’expression française », Recherches sociographiques, vol. 7, no 3, 1966, p. 329. 67 Mathieu Noël, « Le Montréal-Matin (1930-1978). Un journal d’information populaire », Thèse de doctorat, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2014, p. 107. 68 Ibid. 69 Ibid, p. 110-111.

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les cinq caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine et leurs manifestations. Certaines sources traduisent parfois une seule caractéristique, d’autres en montrent plusieurs à la fois.

L’analyse du corpus de sources relève de deux éléments : la production et le contenu. En effet, lors de la conception de la grille d’analyse des sources, nous avons noté les éléments relatifs à la production du document. L’analyse cherche à répondre à une première série de questions sur la forme du document : « Qui est l’auteur? », « Qui est le destinataire? », « Quel est le contexte de production? », « Quelle est la date de production? ». Par la suite, l’analyse pose une seconde série des questions plus précises sur le fond de la source, reprenant les cinq caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine.

Hypothèse

Les élections de 1944, 1948 et 1956 forment une période de transition vers ce que nous appelons aujourd’hui le marketing politique. En effet, il semble que la mouvance s’est effectuée pas à pas, en intégrant toujours un peu plus les méthodes à l’américaine au fil des élections victorieuses de l’Union nationale. Chacune de ces campagnes électorales représente un jalon de plus vers l’intégration de tous les indicateurs des méthodes électorales à l’américaine. Ainsi, nous posons comme hypothèse que les trois campagnes électorales de 1944, 1948 et 1956 représentent dans l’ordre les débuts, le moment de l’établissement et l’apogée des méthodes électorales à l’américaine au Québec. De plus, il semble que cette transition soit opérée par les acteurs clé de l’organisation électorale de l’Union nationale, soit Joseph-Damase Bégin et Paul Bouchard, aidés de Bruno Lafleur. Ces hommes modifient leurs pratiques et adoptent de nouvelles techniques, afin de convaincre les électeurs de voter pour le chef de leur parti. Par leurs produits électoraux et les traces de leurs façons de travailler, il est possible de mesurer l’implantation des méthodes électorales à l’américaine au Québec.

Plan

Dans cette perspective, le mémoire est structuré autour de ces trois campagnes électorales. Un premier chapitre fait l’analyse de l’élection de 1944. Pour ce faire, il importe de cerner au

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préalable les mœurs électorales au Québec des premières campagnes électorales jusqu’aux années 1940. Un deuxième chapitre traite de la campagne électorale de 1948. Ce chapitre montre le tournant avec le recours aux méthodes électorales à l’américaine. Enfin, un dernier chapitre montre l’apogée avec l’analyse de la campagne de 1956, la dernière à être remportée par Maurice Duplessis.

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« Moi, j'ai trouvé ça bien important la première fois que je m'en suis servi. Il ne s'était pas fait beaucoup de publicité dans les journaux jusqu'au moment où on a commencé ça en 1941. Moi, je m'étais dit : on peut vendre n'importe quelle commodité aux consommateurs avec la publicité ; il se vend toutes sortes de savons, ils abandonnent une marque, ils en reprennent une autre et ils l’introduisent70 » - Joseph-Damase Bégin

CHAPITRE 1

Situation initiale : retour sur les mœurs électorales, le contexte politique du XXe siècle et l’élection générale provinciale de 1944

L’arrivée des campagnes électorales au XVIIIe siècle au Bas-Canada ne se fait pas dans l’harmonie. À cette époque, la tenue d’élections rime avec beuveries et violence. Avec les années, divers règlements sont institués, afin de calmer les mœurs électorales. Par exemple, le vote secret est adopté, puis le suffrage universel est accordé aux femmes en 1940. Cette nouvelle donne politique entraîne des changements dans la façon de faire campagne. Au milieu des années 1930 se dessine aussi la création d’un nouveau parti politique : l’Union nationale. Cette formation et son chef, Maurice Duplessis, voient leur popularité croître rapidement. Fort des scandales de corruption qui touchent le Parti libéral, Duplessis est bien en selle pour prendre le pouvoir. Son parti est élu en 1936. C’est le début de nouvelles pratiques électorales.

1 Présentation des mœurs électorales au Québec avant les années 1940

Les mœurs électorales au Québec ont bien changé depuis l’institutionnalisation du parlementarisme au Bas-Canada. Si aujourd’hui les campagnes électorales sont bien encadrées par la loi et la plupart du temps, civilisées, elles ne le sont pas toujours à l’époque. En effet, la corruption et la violence font ouvertement partie du jeu politique. Grâce à une série de lois adoptées au XIXe siècle, les élections prennent, lentement la forme qu’elles ont durant le Duplessisme. Pour bien comprendre pourquoi l’Union nationale en vient à se doter de nouvelles façons de mener une campagne électorale, il faut d’abord saisir le fonctionnement des campagnes avant cette période.

70 Mario Cardinal, Vincent Lemieux et Florian Sauvageau, Si l’Union nationale m’était contée… Montréal, Éditions du Boréal Express, 1978, p. 179.

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Quels sont les facteurs qui forgent les mœurs électorales des années 1940 et 1950? Faisons un retour sur les premières décennies de l’organisation de campagnes électorales au Québec, une période qui établit le cadre de travail de Joseph-Damase Bégin, Paul Bouchard et Bruno Lafleur.

1.1 Retour sur les débuts des campagnes électorales au Québec (1791-1931)

La première campagne électorale de la province se déroule en 1792 71. Elle s’inscrit dans la foulée de l’Acte constitutionnel de 1791 qui établit les assises du système parlementaire du Bas- Canada. Les mœurs et la législation encadrant le déroulement du scrutin, à cette époque, sont fortement inspirées de la Grande-Bretagne. En fait, les principes régissant les processus électoraux sont enchâssés dans la constitution de 1792 72. Puis, les députés de la Chambre d’assemblée adoptent une première véritable loi électorale en 1800 73. Ces premières élections connues par les Canadiens ne sont pas de tout repos. En effet, le vote n’est alors pas secret : il se fait devant un public. L’Encyclopédie du parlementarisme québécois signale que : « L'absence du secret du vote colore tout le processus électoral de cette époque et ouvre toute grande la porte à des gestes d'intimidation et de violence74 ». De plus, les élections ne se produisent pas toutes au même moment dans tous les comtés et peuvent durer plusieurs semaines, ce qui mène à une certaine désorganisation du scrutin et un délai dans l’attente des résultats 75 . Ces conditions de vote engendrent une façon particulière de faire campagne.

1.2 Faire campagne

Une campagne électorale débute toujours par l’émission d’un bref d’élection par le gouverneur76, soit un « document officiel ordonnant la tenue d'élections dans une ou l'ensemble

71 Jean Hamelin et Marcel Hamelin, Les mœurs électorales dans le Québec : de 1791 à nos jours, Montréal, Éditions du jour, 1962, p. 24. 72 « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois [en ligne], Assemblée nationale du Québec, 2013, http://www.assnat.qc.ca/en/patrimoine/lexique/loi-electorale.html, consulté le 10 septembre 2013. 73 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 24. 74 « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne]. 75 Ibid.; Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 26. 76 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 26.

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des circonscriptions77 ». Puis, lors de la journée de l’élection, un officier-rapporteur se rend au poll pour accueillir les électeurs. Le vote se fait en public. Les électeurs désignent les candidats. Si un seul candidat se présente, il est systématiquement déclaré élu. Si plusieurs candidats se présentent, l’officier-rapporteur compte à vue d’œil les appuis pour les candidats en lice. Si l’appui ne semble pas clair envers l’un ou l’autre des candidats, un scrutin est déclenché. Les personnes habilitées à voter peuvent donc se rendre sur le husting, une plate-forme montée à la hâte par les électeurs, pour donner leur nom, leur occupation et leur vote à l’officier-rapporteur. Ainsi, après la votation, un vainqueur est désigné78.

Cette façon de faire demeure en vigueur, jusqu’en 1875, année où le vote secret est instauré

à la suite de violences importantes.

1.2.1 Plusieurs façons de convaincre

Depuis 1792, la campagne ne se déroule pas uniquement lors de la journée du scrutin. Entre l’émission des brefs et la votation, les candidats se déplacent pour parler d’eux et de leurs programmes. Pour faire campagne, l’aspirant et ses supporteurs font souvent ce qui est appelé la cabale, c’est-à-dire du porte-à-porte, où « tous les moyens sont bons pour s’assurer la victoire79 ». En effet, « Les cabaleurs se rendent au domicile des électeurs pour discuter de politique et distribuent alcool et argent à profusion. On assiste à des intrigues de toutes sortes, à des propos mensongers tenus contre l'adversaire80 ». Dans leur ouvrage Les mœurs électorales dans le Québec de 1791 à nos jours81, les historiens Jean Hamelin et Marcel Hamelin ajoutent que « Certains candidats distribuent du rhum et du porter à leurs électeurs pendant la campagne; d’autres, des

77 « Décret d’élection », Encyclopédie du parlementarisme québécois [en ligne], Assemblée nationale du Québec, 2013, http://www.assnat.qc.ca/en/patrimoine/lexique/loi-electorale.html, consulté le 2 octobre 2013. 78 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 26. ; « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne]. 79 Suzelle Blais, « Le vocabulaire des élections », Québec français, no. 121, 2001, p.103. 80 Ibid. 81 « Les mœurs électorales dans le Québec de 1791 à nos jours de Jean et Marcel Hamelin est encore aujourd’hui considéré comme « la seule étude spécifiquement consacrée aux « mœurs électorales » québécoises des origines jusqu’aux années 1960 ». Renaud Séguin, « Pour une nouvelle synthèse sur les processus électoraux du XIXe siècle québécois », Journal of the Canadian Historical Association/Revue de la Société historique du Canada, vol. 16, no. 1, 2005, p. 77.

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cocardes et divers insignes de ralliement82 ». Les pratiques de corruption du vote, ainsi que de distribution d’alcool et d’argent, deviennent plus fréquentes au cours des années. De l’avis de Jean et Marcel Hamelin, « Tenir bar ouvert devient le lot de tout candidat sérieux à la chambre d’assemblée83 ». Le titre du deuxième chapitre de l’ouvrage des auteurs est sur ce point évocateur: « L’or et le rhum valent autant que vingt orateurs. 1806-1840 ». Ainsi, lors de l’élection de 1818, un témoin de la corruption signale que :

Il me dit que les personnes qui recevaient des « argents s'en vantaient » : qu'un était venu aux Hustings pour y donner son vote, que l'Officier Rapporteur lui ayant demandé pour qui il donnait son vote, il avait tiré une piastre de sa poche et l'avait montrée, en disant : « Voici une piastre que j'ai reçue du parti de Mr. Lee, mais en voici deux autres que j'ai reçues du parti de Mr. McCullum, et par conséquent je vote pour lui84.

Des tracts sont aussi distribués, mais en petit nombre, puisque la quantité d’électeurs lettrés est alors limitée. En fait, Hamelin et Hamelin notent que : « La propagande se fait surtout par circulaires qu’on distribue aux personnes influentes85 ». Elle comprend aussi les bons mots envoyés aux électeurs par les candidats, les sourires, les poignées de mains chaleureuses, mais aussi les dîners, les assemblées de cuisine et l’offre de services personnels 86 . Toutes les campagnes électorales se déroulent avec une assemblée contradictoire87. Première forme des débats des chefs actuels, ces réunions politiques se tiennent lors des mises en nomination des candidats, mais aussi tout au long de la campagne88. D’autres pratiques électorales sont aussi parfois organisées par certains candidats et leur entourage lors des mises en nominations. « On utilise certaines d’entre elles [les pratiques électorales] dans un but psychologique : tels les cortèges qui accompagnent les candidats le jour de la mise en nomination et qui doivent être pompeux et impressionnants89 ».

82 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 32. 83 Ibid, p. 47. 84 Journaux de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, session 1818, appendice C ; « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne]. 85 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 31. 86 Ibid, p. 44. 87 Blais, loc. cit., p. 102; Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 60. 88 Blais, loc. cit., p. 102 ; Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 60 ; « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne]. 89 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 63.

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1.2.2 Et la violence…

Ce mode de scrutin ouvert engendre toutes sortes de situations disgracieuses. Pour faire campagne, il n’y a pas que les poignées de mains chaleureuses et la distribution d’alcool qui influencent les décisions des électeurs. Usant du recours à la force, des moyens plus contraignants deviennent la norme surtout après l’Acte d’Union en 1840. Jean et Marcel Hamelin analysent : « Si la lutte s’annonce serrée, le candidat se résigne à faire circuler de l’argent; s’il craint la défaite, il recourt à l’intimidation90 ». L’intimidation des fiers à bras ou des bullies lors du scrutin est monnaie courante à cette époque. Bien souvent, le candidat ayant le plus de bullies a le plus de chances de gagner sur le husting au jour de la votation. Par contre, les choses se passent différemment lorsque les candidats possèdent autant de fiers à bras l’un que l’autre. « En fait, il semble que l'exercice du droit de vote soit plus aisé lorsque les forces intimidatrices des candidats sont équilibrées91 ». En effet, dans la situation où l’un des candidats possède plus de bullies que son adversaire, l’électeur qui se présente au poll est fortement porté à voter pour le candidat ayant le plus de « bras », s’il ne veut pas être tabassé. Si les deux candidats ont le même nombre de fiers à bras, il y a alors moins de risque à voter pour le candidat de son choix.

Ce climat de chantage est présent lors de la votation, vu l’absence du vote secret, mais aussi tout au long de la campagne lors des assemblées contradictoires. Ces réunions politiques finissent bien souvent « dans la bagarre générale entre partisans92 ». Il va sans dire que tout l’alcool qui circule lors de ces assemblées politiques et lors de la cabale n’aide certainement pas à calmer les esprits. Au contraire, la consommation de l’alcool fait dégénérer les réunions politiques en beuveries93. L’historien Renaud Séguin, auteur de l’article « Pour une nouvelle synthèse sur les processus électoraux du XIXe siècle québécois », ajoute que cette pratique s’accompagne de « l’ignorance politique de la plupart des électeurs ». Ce phénomène contribue « à entacher les jours de scrutin de nombreuses irrégularités, particulièrement après l’Union de 184094 ».

90 Ibid., p. 44. 91 « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne]. 92 Blais, loc. cit., p.102. 93 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 47. 94 Séguin, loc. cit., p. 77.

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Face à ce climat de violence, d’intimidation et de corruption, une réforme des lois encadrant les mœurs électorales est mise en place. « La barbarie dans laquelle se déroulaient les élections provinciales suscita, à travers la province, un mouvement de réprobation. Après les élections de 1871, journaux, brochures et lettres pastorales dénoncèrent la corruption électorale 95 ». La solution germe : celle de tenir un vote secret.

1.3 Lois et réglementations

L’avènement du vote secret modifie considérablement les mœurs politiques dans le Québec contemporain. De plus, d’autres changements reliés à l’élargissement du droit de vote, ainsi que des modifications aux législations entourant le financement des partis politiques voient le jour. À travers cette évolution, nous pouvons mieux comprendre pourquoi l’équipe politique de Maurice Duplessis en vient à recourir aux méthodes électorales américaines.

1.3.1 Un droit de vote pour tous, dans le secret…

« Le changement le plus draconien dans la loi électorale 96 » s’opère en 1875 avec l’implantation du vote secret97. La loi98 change toute la donne politique99. En effet, cette loi « inspirée des lois anglaises, avec l'introduction de règles permettant aux électeurs d'exercer leur droit de vote librement et à l'abri de l'intimidation100 » vient changer le rite de la votation. La loi permet un certain élargissement du droit de vote, à commencer par les hommes rencontrant les critères de propriété. Puis, au cours d’un long processus qui s’étend de 1875 à 1940, le suffrage

95 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 79. 96 Ibid., p. 83. 97 Michel Morin, « L’évolution du mode de scrutin dans les colonies et les provinces de l’Amérique du Nord britannique, de 1758 à nos jours ». Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, no. 39, 2009, p. 208. 98 S.P.Q. 1875, 38 Vict. chap. 7. Sanctionnée le 23 février 1875. 99 Francine Bordeleau, Le financement politique et le contrôle des dépenses électorales au Québec – D’hier à aujourd’hui, Sainte-Foy, Directeur général des élections, 2003, p. 5 ; Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 80. 100 Il faut tout de même ajouter que l’intimidation ne cesse pas du jour au lendemain avec l’apparition du vote secret. Certes, cette pratique perd de l’importance, mais de là à dire qu’elle disparait, il faut nuancer. « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne].

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universel est accordé finalement à tous, soit aux hommes et femmes âgés de plus de 21 ans101. Ainsi, le nombre d’électeurs double en accordant le droit de vote aux femmes. De plus, les jours de scrutin sont uniformisés dans tous les comtés de la province.

De toute évidence, ces amendements changent les façons de faire campagne. Ces nouvelles méthodes sont adaptées à un électorat plus grand et hétérogène qui peut, s’il le veut bien102, voter comme bon lui semble, en privé.

1.3.2 Et les méthodes publicitaires?

Depuis le vote secret, il est nécessaire pour les membres des partis politiques de convaincre les électeurs, afin qu’ils votent pour eux dans leur intimité. Bien sûr, les grandes démonstrations publiques et les assemblées ont toujours lieu, mais dorénavant, le choix de l’électeur peut se faire à la maison. Pour les partis politiques, il faut dès lors trouver un moyen de rejoindre l’électorat chez lui, soit là où une partie de la campagne se joue. Le recours aux médias qui touche l’électeur à son domicile103 devient donc un incontournable dans les années 1930 et 1940. En bref, devant l’obligation de séduire un électorat plus nombreux et dans l’impossibilité d’imposer des bullies lors du vote, les partis sont contraints d’innover pour gagner l’électorat. « Désormais, le candidat devra gagner la sympathie de l’électeur qui s’abrite derrière le secret du vote et la réprobation de l’opinion publique. Cependant, la sympathie des gens coûte cher! Il fallait donc organiser d’une façon rationnelle la caisse électorale104 ». Un dicton attribué à Joseph-Israël Tarte, organisateur politique du parti conservateur dans les années 1880-1890, devient alors plus populaire: « les élections ne se font pas avec des prières105 ».

101 Sanctionnée le 25 avril 1940, la loi 18 accorde aux femmes le droit de vote dans la province de Québec. D’ailleurs, à ce moment, Maurice Duplessis est contre cette mesure. 102Même si l’intimidation directe par les fiers à bras sur les hustings diminue avec l’implantation du vote secret, d’autres moyens de frauder le scrutin sont mis en place. Par exemple, la pratique du télégraphe est une façon pour les électeurs de vendre leur vote à un candidat, en échangeant des bulletins de vote falsifiés. Il s'agit « d'une fraude électorale qui consiste à remettre un faux bulletin fait au nom d'une personne qui n'est pas en mesure de voter. Il s'applique aussi à une personne qui vote sous le nom de quelqu'un d'autre ». Blais, loc. cit., p.103; « Loi électorale », Encyclopédie du parlementarisme québécois, op. cit., [en ligne]; Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 108. 103 Nous entendons par « médias qui pénètrent plus facilement le domicile de l’électeur » les journaux et la radio. 104 Hamelin et Hamelin, op. cit., p. 92. 105 Ibid., p. 95.

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Les caisses électorales des partis tiennent un rôle de plus en plus central dans la réussite ou l’échec d’une campagne électorale. Plus le choix de l’électorat se fait dans l’intimité, plus les partis doivent avoir recours à davantage de moyens pour rejoindre cet électorat.

L’élargissement du droit de vote au suffrage universel en 1940 change considérablement la donne en ce qui concerne la façon de faire campagne. Comme Hamelin et Hamelin le mentionnent : « à une époque de suffrage universel, on ne saurait acheter à l’encan les votes un à un. Il en coûterait une fortune inouïe. L’extension du suffrage a donc contribué à réorienter les pratiques électorales106 ». Ils enchaînent:

Au lieu de s’attacher uniquement à l’individu, les partis vont s’intéresser davantage aux groupes. À partir de ce moment-là, les pratiques électorales deviennent quelque chose de complexe et diriger une campagne électorale exige de grandes qualités intuitives, beaucoup d’endurance physique et morale107

Ce ne sont plus les seuls propriétaires terriens que les candidats doivent convaincre. Dorénavant, les ouvriers et ouvrières, les agriculteurs, les bourgeois et bourgeoises doivent être persuadés de voter pour un parti ou pour un autre. Les partis politiques doivent alors obtenir l’appui de la majorité des citoyens du Québec des années 1940 et 1950, ce corps de citoyens ayant des disparités ethnique, linguistique, socioéconomique et genré. Avec cette nouvelle masse de gens à convaincre – dans le secret, faut-il le rappeler – le recours à ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de médias de masse108, s’impose. De plus, cette nouvelle communication de masse doit être plus segmentée. En effet, chacun des regroupements de personnes a ses propres préoccupations, ses propres demandes qui doivent être comblées par les partis qui souhaitent prendre le pouvoir. Suscités par le suffrage secret et universel, tous ces changements dans les pratiques électorales contribuent à l’avènement des méthodes électorales à l’américaine au Québec pendant les années Duplessis. Par la nécessité d’avoir recours aux médias de masse, de segmenter la communication pour s’adresser de mieux en mieux à chacun des « publics » de l’Union nationale, puis d’employer des techniques publicitaires pour accroître son impact sur les électeurs,

106 Ibid., p. 108. 107 Ibid. 108 Ceux des années 1940 sont la presse et la radio. La télévision s’est ajoutée au cours des années 1950 au Québec.

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le parti doit disposer dès lors d’un budget faramineux et l’intervention d’une équipe de professionnels.

2 Contexte politique du début du XXe siècle

Après la formation de la province de Québec en 1867, un ordre politique bien défini se met en place. En effet, deux partis politiques se partagent les banquettes de l’Assemblée législative : le Parti conservateur et le Parti libéral. Après des années de grands succès électoraux pour les conservateurs, les libéraux dominent à leur tour les trois premières décennies de la politique québécoise au XXe siècle à partir de 1897. Fort de sa proximité avec le Parti libéral fédéral, les libéraux du Québec possèdent la majorité parlementaire. Cette puissance libérale favorise le développement d’une opposition farouche dans les années trente.

2.1 La puissance libérale

2.1.1 La corruption gouvernementale

La puissance libérale se fait sentir au début du XXe siècle sur le plan de la corruption gouvernementale et de la presse. Après quarante années à former le gouvernement, le Parti libéral réussit à s’implanter dans plusieurs sphères de l’appareil politique au Québec. Louis-Alexandre Taschereau est d’ailleurs demeuré un peu plus de 15 ans au pouvoir. Au cours de cette période, le système de patronage ou de favoritisme politique s’est implanté dans l’administration de la province109. Cet échange de services entre les membres du gouvernement et les fonctionnaires fait en sorte que les libéraux s’assurent un certain appui pour leurs militants lors des élections. Le patronage n’est ni plus ni moins qu’une des façons de gagner les élections. Cependant, après

109 Vincent Lemieux, Raymond Hudon et Nicole Aubé, Patronage et politique au Québec, 1944-1972, Sillery, Éditions du Boréal Express, 1975, p. 29

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quarante années de telles pratiques, le parti « apparaît de plus en plus comme une formation sclérosée et vieillie, incapable d’adapter ses politiques aux difficultés du temps110 ». Néanmoins, l’importance de ce phénomène est énorme et contribue à la puissance de ce parti durant plusieurs années.

2.1.2 La domination de la presse

Du côté de la presse, la mainmise libérale est également impressionnante. En fait, l’historien Michel Lévesque qualifie les années 1896 à 1936 d’« âge d’or de la presse libérale111 ». Toujours selon Lévesque, lors de l’élection du parti en 1897, « la grande majorité des journaux au Québec leur sont alors favorables112 ». Après s’être emparés du pouvoir, les membres des gouvernements libéraux financent à même la caisse du parti plusieurs journaux, que ce soit par l’entremise d’achat d’espaces publicitaires ou par l’octroi de contrats d’impression113. Le cas du Soleil de Québec, qui s’affiche d’ailleurs comme l’« organe du Parti libéral » dès le moment de sa création en 1896, est un bel exemple du soutien financier aux médias.

En effet, un tableau de compilation pour l’année 1931 créé par Le Devoir montre que le gouvernement de L.-A. Taschereau a versé 450 000$ en publicité et en impression à des journaux libéraux. De ce montant, un peu plus de la moitié est accordée au Soleil à Québec114. Au début du siècle, l’implication de l’aile fédérale du Parti libéral va jusqu’à la rémunération de certains membres du personnel du quotidien. Michel Lévesque explique : « joue un grand rôle dans la direction du journal. C’est lui qui engage ou congédie le personnel de la direction. C’est lui qui paie, par chèques, une partie du salaire de son rédacteur en chef, Henri d’Hellencourt115 ». Cet exemple en dit long sur l’influence politique que le parti doit avoir sur les

110 Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain, Nouvelle édition révisée, Tome II : Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal, 1989 (1979), p. 131. 111 Michel Lévesque, Histoire du Parti libéral du Québec. La nébuleuse politique. 1867-1960, Québec, Septentrion, 2013, p. 570. 112 Ibid. 113 Jean De Bonville, La presse québécoise de 1884 à 1914 : genèse d’un média de masse, Québec, Presses de l’Université Laval, 1988, p.131. 114 Lévesque, op. cit., p. 576. 115 Ibid., p. 580.

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positions éditoriales du périodique et sur sa publicité, mais aussi sur tous les autres journaux qui appartiennent ou qui gravitent dans son entourage. Nous pouvons également cerner la force de persuasion que le parti possède sur l’électorat lors des scrutins, que ce soit par la couverture partisane des campagnes électorales ou bien par la publicité.

La puissance libérale, tant au gouvernement que dans les médias, en l’occurrence la presse écrite, favorise l’émergence d’une opposition farouche. Cette opposition s’engage à trouver de nouvelles manières de vaincre la puissance libérale, à l’occasion des campagnes électorales.

2.2 L’émergence de l’Union nationale

Des forces contestataires s’organisent au milieu des années 1930 en réaction à l’usure du pouvoir du Parti libéral et à sa gestion de la crise économique. D’abord, au sein même du Parti libéral, en 1934, des jeunes députés cherchent à faire adopter des éléments du Programme de restauration sociale – comme l’importance de la colonisation et de l’agriculture –, ainsi que la lutte aux « trusts », surtout celui de l’électricité116. Ces mesures visent à sortir le Québec des problèmes économiques qui perdurent depuis le krach de 1929. Ces jeunes libéraux créent donc un nouveau parti indépendant du Parti libéral : l’Action libérale nationale (ALN), dirigée par Paul Gouin.

D’un autre côté, l’autre grand joueur politique de l’époque, le Parti conservateur du Québec dirigé par Maurice Duplessis, doit rattraper un retard dans les intentions de vote. Ce parti n’a plus la cote depuis plusieurs décennies, puisqu’il est associé aux conservateurs d’Ottawa. Ces derniers ont mauvaise presse au Québec depuis la Première Guerre mondiale, en raison de l’imposition de la conscription117. Deux formations politiques se retrouvent donc face à l’imposante machine électorale du Parti libéral du Québec qui est appuyé par son homologue fédéral. L’idée d’une alliance entre l’ALN et le Parti conservateur nait donc lors de l’élection provinciale de 1935. En

116 L’idée étant la nationalisation de l’électricité. Stéphane Savard, « Retour sur un projet du siècle : Hydro-Québec comme vecteur des représentations symboliques et identitaires du Québec, 1944 à 2005 », Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2010, p. 37 ; Vincent Lemieux, Les partis générationnels au Québec. Passé, présent, avenir, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011, p. 51. 117 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 131.

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effet, l’Alliance Gouin-Duplessis stipule que dans chaque comté, un seul candidat des deux partis se présente contre le candidat libéral. Les termes de cette entente établissent que Maurice Duplessis deviendrait le premier ministre, vu sa grande expérience parlementaire. En échange, Paul Gouin nommerait les ministres du cabinet coalisé.

Cette tactique s’avère bien profitable à l’Alliance Gouin-Duplessis, puisqu’elle permet enfin à Maurice Duplessis de se détacher complètement de son homologue fédéral impopulaire en créant un parti complètement canadien-français118. Bien que le Parti libéral remporte l’élection, il s’agit d’une victoire morale pour les forces de la coalition. En effet, les libéraux n’ont qu’une très faible majorité, soit 48 députés élus contre 42 pour les forces de Gouin et de Duplessis. L’opposition au Parti libéral est dirigée par le député de Trois-Rivières qui a bien l’intention de s’attaquer à la faible majorité libérale. Maurice Duplessis réussit durant cette période à convoquer le Comité des comptes publics119, qui révèle aux citoyens les grands scandales de corruption dans lequel est impliqué le premier ministre L.-A. Taschereau lui-même, son frère et le ministre de la colonisation Irénée Vautrin. Ces révélations rendues publiques grâce à M. Duplessis provoquent la démission du premier ministre et plongent le Parti libéral dans une profonde désorganisation. Adélard Godbout est alors nommé pour remplacer L.-A. Taschereau. Il déclenche en juillet 1936 des élections hâtives, neuf mois seulement après la tenue du scrutin précédent en novembre 1935.

Fort de son rôle au Comité des comptes publics, Maurice Duplessis se présente comme le principal chef de ce nouveau parti nommé Union nationale lors de l’élection générale québécoise de 1936. Embourbé dans les scandales, le Parti libéral n’apparait plus comme une option sérieuse aux problèmes économiques liés à la crise qui frappe le Québec. De plus, l’Union nationale utilise beaucoup les ondes de la radio, ce qui permet au parti de rejoindre une grande partie des électeurs au sein même de leur domicile. De plus, Maurice Duplessis a l’occasion de se forger une bonne réputation de batailleur, ce qui ne manque pas de consolider son vedettariat. Afin de maximiser ses chances au cours de l’élection, l’Union nationale publie le Catéchisme des électeurs. Ce document

118 Lemieux, Les partis générationnels au Québec, op. cit., p. 49. 119 Le Comité des comptes publics est une instance parlementaire qui permet d’examiner les crédits votés par la législature. Grâce à Duplessis, ce comité est convoqué en 1935 pour la première fois en plus de dix ans. Christian Blais, « Introduction historique – 19e législature, 1ère session », op. cit., [en ligne].

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dénonce les « abus du gouvernement libéral, ses acoquinements avec les puissances d’argent – les trusts. Il fait la nomenclature des 111 taxes provinciales en vigueur. Le catéchisme révèle qu’une quarantaine d’individus appartenant à la famille Taschereau travaillent dans la fonction publique120 ». Conforme au format des populaires catéchismes canadien-français, ce document présenté sous la forme question-réponse s’impose comme un outil de sensibilisation idéal pour rejoindre l’électorat francophone du Québec. Ces éléments favorisent la victoire éclatante de l’Union nationale. En effet, cette nouvelle formation remporte 76 sièges sur 90, laissant seulement 14 élus au Parti libéral, malgré la force de l’organisation électorale de leur aile fédérale. L’Union nationale apparait donc comme un parti de son temps, près des intérêts et des préoccupations des Canadiens français, en se présentant comme la solution à la corruption avec un nouveau programme, emprunté à celui de l’ALN, qui semble être la solution à la crise économique de l’heure.

2.3 Le premier mandat Duplessis

Après une campagne « efficace et intensive », Maurice Duplessis prend le pouvoir au Québec le 17 août 1936. La débandade du Parti libéral y est aussi pour quelque chose. Duplessis s’est imposé rapidement comme le leader de la formation. Il fait également quelques remous en écartant des membres influents de l’ALN de son premier cabinet, notamment les hommes politiques Philippe Hamel, Ernest Lacroix et Ernest Ouellet. Dès l’assermentation des ministres, la dissension s’installe entre les membres du Parti conservateur et ceux de l’Action libérale nationale. Cette disssension s’accentue aussi lorsque des éléments importants de la plateforme de l’ALN sont mis de côté par Duplessis, comme la question de l’électricité si chère à certains députés actionnistes comme Philippe Hamel.

Certaines valeurs de l’Union nationale sont mises en place, à l’instar de la promotion de l’autonomie provinciale, du progrès, de la tradition, du libre-marché pour les entreprises privées, du retour à la terre, de l’importance du monde rural, de la survivance canadienne-française et de la

120 Christian Blais, « Introduction historique – 19e législature, 1ère session », Débats de l’Assemblée législative [en ligne], Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2008, consulté le 5 décembre 2013. http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/introduction-historique.html

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lutte aux groupes subversifs comme les communistes ou les Témoins de Jéhovah121. Ces valeurs implantées dans le discours gouvernemental, mais aussi dans la plate-forme électorale du parti, sont cruciales 122 . Elles constituent les assises du discours de Duplessis jusqu’à sa mort et cristallisent le caractère populiste de son action123. En fait, ces valeurs de l’Union nationale permettent de « renier » le programme de l’ALN selon l’historien Christian Blais124. Cette situation incite des députés à quitter les rangs de l’Union nationale, créant ainsi le Parti national le 26 juin 1937. Ce premier mandat de Duplessis laisse donc plusieurs électeurs sur leur faim. Certains en viennent d’ailleurs à dire que le patronage libéral a changé de couleur125. Dès lors, les critiques se multiplient face au gouvernement unioniste qui ne rencontre pas ses promesses électorales.

L’éclatement de la Seconde Guerre mondiale ne change pas la donne. Le spectre de la Conscription de 1917 plane dans l’opinion publique, dans les débats politiques et dans les positions du gouvernement d’Ottawa également126. Le premier ministre réagit :

Duplessis se méfie par-dessus tout [sic] des libéraux d’Ottawa, qui peuvent gêner ses emprunts sur le marché américain et profiter du contexte de la guerre pour centraliser les pouvoirs au gouvernement fédéral. Il sent la nécessité d’agir vite, de surprendre ses adversaires et d’aller chercher un mandat « de guerre » pour protéger l’autonomie provinciale contre les appétits d’Ottawa. Le 24 septembre 1939, le Parlement québécois est dissout et on appelle des élections générales pour le 25 octobre 1939127.

Lors du déclenchement de cette élection, les libéraux fédéraux sautent dans l’arène tête première. Avec leur machine électorale puissante et leurs arguments anti-conscriptionnistes, les

121 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 362 ; Christian Blais, « Introduction historique – 20e législature, 2e session », Débats de l’Assemblée législative [en ligne], Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2009, consulté le 5 décembre 2013. http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/introduction-historique.html; Jacques Beauchemin, Gilles Bourque et Jules Duchastel, La société libérale duplessiste, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1994, p. 60. 122 Beauchemin, Bourque et Duchastel, op. cit., p. 71. 123 Frédéric Boily, « Le style populiste de Maurice Duplessis : le début des années 1930 », Xavier Gélinas et Lucia Ferretti, dir. Duplessis. Son milieu, son époque, Québec, Septentrion, 2010, p. 79-80. 124 Christian Blais, « Introduction historique – 20e législature, 2e session », op. cit., [en ligne]. 125 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 135. 126 Ibid., p. 141. 127 Christian Blais, « Introduction historique – 21e législature, 1ère session », Débats de l’Assemblée législative [en ligne], Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2009, consulté le 5 décembre 2013. http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/introduction-historique.html

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libéraux forment une opposition de taille à l’Union nationale, qui souffre du faible bilan de son premier mandat128. Les libéraux établissent un rapprochement entre l’Union nationale, formée d’anciens conservateurs, et le Parti conservateur fédéral. L’argument est martelé très rapidement durant la campagne, faisant passer les unionistes, pourtant défenseurs de l’autonomie provinciale, comme étant favorables à la conscription. Les libéraux fédéraux jouent également un rôle lors de cette campagne électorale. En se présentant comme « le rempart contre la conscription129 », les ministres fédéraux Pierre-Joseph-, Charles Gavan Power et menacent de démissionner si l’Union nationale est élue, et ainsi de laisser toute la place aux conscriptionnistes à Ottawa130. Notons que l’Union nationale ne fait pas usage de la radio, le médium de l’heure en 1939, celui qui lui permet de remporter la victoire en 1936. Ç’en est alors fait131 le 25 octobre 1939 : l’Union nationale perd l’élection générale132.

2.4 Préparer le retour

Élu en 1939, le gouvernement d’Adélard Godbout comprend 70 députés libéraux, contre lesquels 15 unionistes et un indépendant s’opposent. L’Union nationale doit dès lors être réorganisée. Déjà parmi les unionistes, l’espoir de former à nouveau le gouvernement est palpable. Le parti s’engage durant la Seconde Guerre mondiale à préparer le retour.

2.4.1 Déstabilisés par la défaite

C’est une défaite écrasante pour l’Union nationale et son chef. Une défaite si écrasante que certains éléments du parti commencent même à mettre en doute le leadership de Maurice Duplessis.

128 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 135. 129 Jean Hamelin, Marcel Hamelin et Jacques Letarte, « Première partie : Représentation graphique du résultat de chacune des campagnes dans la province de Québec, 1867-1956 », Cahiers de géographie du Québec, vol. 4 no. 7, 1959, p. 45. 130 Ibid. 131 Christian Blais, « Introduction historique – 21e législature, 1ère session », op. cit., [en ligne] ; Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 38. 132 Christian Blais, « Introduction historique – 21e législature, 1ère session », op. cit., [en ligne].

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À la suite de l’élection, des membres faisant une introspection sur le parti souhaitent un rapprochement avec le Parti conservateur fédéral. D’autres veulent qu’Onésime Gagnon, second du parti, prenne la direction de l’Union nationale. Bref, cette défaite en est une de remise en question. Néanmoins, des députés élus comme Joseph-Damase Bégin, et Paul Sauvé gardent confiance à l’endroit de Maurice Duplessis. Dès 1940, Duplessis amorce alors une campagne de séduction, afin de réaffirmer son autorité au sein du parti. En organisant une réunion présidée par l’historien et homme politique Thomas Chapais, il « rappela qu’il était le seul bleu qui avait défait les libéraux en presque un demi-siècle et il réitéra ses prédictions concernant la conscription et la soumission du Parti libéral aux demandes du fédéral133 ». Ainsi, il prend déjà position comme l’ardent défenseur de l’autonomie provinciale, position qui l’aide à reconquérir les électeurs quatre ans plus tard.

2.4.2 Revenir en force

Maurice Duplessis prépare assez tôt son retour. À l’origine, il ne désire pas une organisation partisane trop solide, ayant peur « qu'il se fasse un mouvement trop fort auquel il aurait été indirectement soumis comme chef134 ». De plus en plus, il se fait à l’idée qu’il lui faut une vraie organisation électorale, dotée d’une direction rationnelle. L’organisateur du temps, Hortensius Béique, perd de façon notoire son élection en 1939, alors que Joseph-Damase Bégin, du comté de Dorchester, remporte « facilement » la sienne. Selon l’historien Robert Rumilly :

Duplessis lui [Joseph-Damase Bégin] demande : Comment as-tu fait ? » Bégin explique sa méthode : « Je me suis occupé de mon affaire toute l’année. J’ai dirigé moi- même ma publicité. Pendant la campagne, j’ai lancé une publicité complète, par lettres, prospectus, etc135.

Il n’en fallait pas plus pour que J.-D. Bégin attire l’attention par ses méthodes. Il est rapidement nommé organisateur général pour le district de Québec136. L’avènement de J.-D. Bégin

133 Conrad Black, Duplessis, Tome I : L’ascension, Montréal, Éditions de l’Homme, 1977, p. 369. 134 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 175. 135 Robert Rumilly, Maurice Duplessis et son temps, tome 1: 1890-1944, Montréal, Fides, 1973, p. 557. 136 Lavigne, op. cit., p. 66.

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marque un point tournant dans l’histoire de l’organisation des campagnes électorales. Son expérience de la vente lui permet de s’inspirer des méthodes qui se démarquent à l’époque. Dès lors, le terme « publicité » commence à être utilisé par l’organisateur. J.-D. Bégin explique :

Moi, j'ai trouvé ça bien important la première fois que je m'en suis servi [la publicité]. Il ne s'était pas fait beaucoup de publicité dans les journaux jusqu'au moment où on a commencé ça en 1941. Moi, je m'étais dit : on peut vendre n'importe quelle commodité aux consommateurs avec la publicité ; il se vend toutes sortes de savons, ils abandonnent une marque, ils en reprennent une autre et ils l’introduisent137 .

Il ajoute que les dirigeants des grandes marques de voitures américaines utilisent abondamment la publicité, en consacrant à l’époque des sommes faramineuses. Cette pratique se poursuit même en temps de crise et elle assure leur succès. J.-D. Bégin montre ainsi sa connaissance des nouvelles pratiques utilisées aux États-Unis en matière électorale.

J.-D. Bégin est également persuadé de la puissance des journaux dans le processus de conviction des électeurs. Il préfère les journaux parce que « Les gens qui reçoivent les hebdomadaires lisent ça de la première à la dernière ligne ; c'est leur affaire, c'est les nouvelles de leur région, et tout ça passe avec. Et ça reste sur la table une semaine138 ». Le journal Le Temps devient donc un atout intéressant pour le parti. Cet hebdomadaire est rédigé à ses premières heures par Bruno Lafleur, un homme impliqué depuis les débuts dans l’organisation de l’Union nationale. Sans surprise, ses articles sont partisans. Cette stratégie n’est pas garante de succès : dans un Québec où la majorité des contrats d’impression sont donnés par le gouvernement libéral, le reste de la presse n’est pas favorable à l’Union nationale. De l’avis des unionistes, il faut posséder au moins un quotidien pour tenter de contrebalancer cette domination libérale dans les médias.

De plus, afin de mieux préparer le retour de l’Union nationale, Joseph-Damase Bégin, avec Onésime Gagnon et Bruno Lafleur, commencent dès le début des années 1940 à recruter les futurs candidats en vue des élections de 1944. Ils sont d’avis que :

137 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 179. 138 Ibid., p. 180-181.

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Il [le candidat] est intéressé puisqu'il est choisi ; il connaît d'abord déjà un grand nombre d'organisateurs de paroisses ; il n'a pas de patronage à distribuer à qui que ce soit, par conséquent il ne peut pas se faire d'ennemis, donc il n'y a pas de raison pour ne pas le choisir quelques années avant la prochaine élection. Ça lui permet d'aller dans des réunions, dans des mariages, parce que c'est de même qu'on se fait des amis ; aller à des sépultures ; aller dans différentes organisations sociales où il se fait connaître, où il se fait des amis139.

Nous le constatons : les membres de l’organisation dans les années 1940 voient toujours la cabale comme une façon de gagner des élections. Bien que cette méthode nous apparaisse « traditionnelle », l’arrivée de Jos.-D. Bégin favorise des idées nouvelles, entre autres celle de la publicité. Qui plus est, ces idées proviennent des États-Unis, berceau d’une nouvelle façon de faire campagne, s’inspirant du marketing commercial. Dès le début des années 1940, Duplessis se dote ainsi de nouveaux outils pour mieux s’armer contre la nouvelle lutte à venir, celle de 1944.

3 L’élection de 1944

Première élection de cette analyse, la campagne électorale de 1944 est le point de départ de notre étude. À ce moment, des changements inspirés des méthodes américaines apparaissent dans les campagnes électorales au Québec et, plus particulièrement, au sein de l’organisation électorale de l’Union nationale. Cette élection nous sert de mesure-étalon, afin de montrer une progression, voire un raffinement des cinq caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine. Avant de poursuivre, opérons un retour sur le contexte de cette campagne électorale.

3.1 Contexte de l’élection

L’État canadien dépêche en 1944 ses premiers soldats conscrits pour la première fois au cours du conflit140. Après le plébiscite de 1942, le premier ministre du Canada, William Lyon Mackenzie

139 Ibid., p. 175. 140 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 155.

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King, se libère de sa promesse de ne pas imposer la conscription. Son cabinet adopte la mesure en 1944. Dès lors, le gouvernement King voit sa cote de popularité descendre en flèche au Québec, où l’opposition à la conscription demeure virulente 141 . Par la même occasion, les libéraux provinciaux, fortement associés aux libéraux fédéraux, sont eux aussi de plus en plus impopulaires.

L’Union nationale comprend que la grogne anticonscriptionniste fournit un beau tremplin pour les ferveurs autonomistes au Québec. Son discours de défense des droits des Canadiens français se colle au mécontentement populaire. Cependant, un autre parti politique apparaît dans la foulée de la crise de la conscription : le Bloc populaire. La campagne de 1944 est donc celle d’une lutte à trois.

Les trois formations qui s’affrontent ont des équipes électorales bien différentes. Ayant l’appui de son homologue fédéral, le Parti libéral est certainement, le mieux établi sur le plan financier. Quant à elle, la jeune formation du Bloc populaire a définitivement les reins moins solides. Enfin, l’Union nationale sort d’une période de réorganisation. Le parti ne dispose pas de l’avantage financier du pouvoir et ne peut donc bénéficier du patronage. De plus, l’économie de guerre pèse sur leurs finances, à l’instar de la société à cette époque. La campagne électorale de 1944 se déroule donc dans ce contexte politique et financier.

3.2 Analyse de l’élection de 1944

Cette élection est la première de l’Union nationale où une équipe d’organisateurs électoraux la gère142. Le contexte de la guerre joue un rôle : les finances des acheteurs de publicité sont en mauvais état. De plus, les finances du parti de Maurice Duplessis laissent à désirer, à cause de la réorganisation des troupes au cours du mandat libéral, mais aussi parce qu’il ne bénéficie plus du patronage. Les contributions à la caisse du parti sont aussi moins élevées au cours de cette période. Pour toutes ces raisons, les traces laissées par cette campagne, tant sur le plan publicitaire

141 Ibid., p. 155. 142 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 175.

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qu’organisationnel, sont peu présentes. Néanmoins, il est possible d’observer que les fondements de l’organisation sont jetés au cours de cette campagne électorale.

3.2.1 Le personnel politique

La campagne de 1944 s’organise autour de Joseph-Damase Bégin et d’une petite équipe formée de sept ou huit personnes 143. Depuis 1940, ce comité travaille à mettre en place un programme d’organisation politique 144 . Selon ce que J.-D. Bégin rapporte dans l’ouvrage Si l’Union nationale m’était contée…, ce programme d’organisation politique consiste à recruter très tôt pendant le mandat libéral, les futurs candidats pour l’élection à venir. De leur côté, ces candidats doivent aussitôt travailler à se faire connaître dans leur circonscription. L’organisation centrale leur indique alors quelles démarches ils doivent entreprendre.

Puis, pour tout comté donné, chaque paroisse possède un comité électoral. Les membres de ce comité nomment un organisateur, celui qui détient les contacts avec le candidat dudit comté. Pour sa part, le candidat doit maintenir le contact avec l’organisation centrale de l’Union nationale. La campagne de 1944 est donc décentralisée. Elle se déroule sur deux plans : le local – par comtés, puis par paroisses – et le régional – les districts de Québec et de Montréal. Comme un nombre important de sous-organisations sont mises sur pied dans chaque paroisse, il est donc très difficile d’estimer exactement le nombre de personnes qui travaillent à l’organisation de l’élection de 1944. Toutefois, sur le plan de l’organisation nationale, en plus de Joseph-Damase Bégin, un autre personnage d’importance commence déjà à jouer un rôle prépondérant dans l’organisation. Il s’agit de Bruno Lafleur, qui en est le publiciste depuis 1938145. Cependant, à la fondation du journal Le Temps en 1941146, Maurice Duplessis lui confie le poste de rédacteur en chef, poste qu’il occupe jusqu’en 1945. Ses fonctions l’empêchent de s’occuper directement de de l’organisation électorale.

143 Lavigne, op. cit., p. 66 ; Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 169-170. 144 Ibid. 145 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, Fonds Bruno-Lafleur, P396, 2005- 01-005/4, Journal personnel dactylographié de Bruno Lafleur en quatre volumes. 146 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 181 ; Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, fonds Bruno-Lafleur, P396 - 1987-03-004/3, Correspondance, 1938-1945 - « Le Temps ».

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Même si les quelques informations au sujet du personnel de l’organisation électorale de 1944 sont sommaires, elles montrent que l’Union nationale se dote d’une structure permanente dès quatre ans avant l’élection. Un personnel politique travaille donc en permanence à la préparation des élections, ce qui est un trait caractéristique des méthodes électorales à l’américaine. L’organisateur en chef, Joseph-Damase Bégin, possède une perspective du travail à long terme et accorde une importance à la préparation d’une élection, au contraire des organisations plus « traditionnelles » qui se mettent ponctuellement en place lors d’un scrutin précis.

Bruno Lafleur à la rédaction du Temps, J.-D. Bégin en tant qu’organisateur en chef du district de Québec, et tous les candidats choisis dès 1940, assurent la bonne marche du parti tout au long du mandat libéral. D’ailleurs, le fait que J.-D. Bégin et B. Lafleur aient des postes permanents, montre aussi une certaine reconnaissance de la spécialisation de la tâche et de l’expertise de ces hommes dans leurs fonctions. Notons toutefois le fait que l’organisation de la campagne de 1944, étant décentralisée, n’est pas un indicateur typique des méthodes électorales à l’américaine. Passons maintenant à un autre critère important de la professionnalisation : le recours aux médias de masse et aux techniques publicitaires réputées les plus performants.

3.2.2 Médiatisation de la campagne et techniques publicitaires

Au-delà des causeries prononcées à la radio par des orateurs, les assemblées politiques tenues par des membres d’organisations locales paroissiales ainsi que par l’organisation centrale du parti constituent la majeure partie des activités de communication des unionistes durant l’élection de 1944. Plutôt « traditionnelles » selon nos critères d’analyse, ces activités se trouvent au fondement de cette campagne.

Toutefois, des structures importantes pour les prochaines élections sont mises en place sur le plan de la médiatisation, lors de cette élection. Ces structures de médiatisation se rapprochent davantage des activités d’une communication politique professionnalisée. Entre autres, le journal Le Temps, organe du parti, devient un outil de communication de masse. Avec un rayonnement

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plus régional, Le Temps compte 30 000 abonnés payés lors de l’élection de 1944147. Joseph-Damase Bégin explique également dans Si l’Union nationale m’était contée… que son équipe imprime des numéros spéciaux à un tirage de 500 000 à 600 000 exemplaires. Le journal est un organe de communication partisan, tant sur le plan des articles et des éditoriaux de Bruno Lafleur, que du côté des publicités qui y sont publiées. De même, soulignons que, avec la portée de son tirage lors de la publication de numéros spéciaux, le périodique peut être qualifié de moyen de communication de masse.

Sur le plan des autres journaux publiés au Québec, la partisannerie libérale est toujours présente. Il est difficile d’acheter de la publicité dans plusieurs journaux comme Le Soleil et La Presse, pour ne nommer que ceux-là, qui sont des médias possédés par des intérêts libéraux. En faisant une recension des publicités de l’Union nationale, il est possible de faire ressortir plus aisément les autres techniques publicitaires mises de l’avant par l’organisation du parti dans la médiatisation de la campagne. Selon J.-D. Bégin, la publicité politique publiée dans les journaux commence à faire son apparition de façon plus systématique trois ans avant l’élection148.

Pour l’élection de 1944, deux types de publicités sont recensées. D’abord, les petits encadrés textuels invitant les lecteurs du journal à écouter une causerie radiophonique avec des orateurs de l’Union nationale, ou bien les invitant à se rendre à une assemblée publique, à des allocutions de membres du parti. Semblables à des petites annonces, ces publicités sont loin d’être complexes. Elles affichent rarement des illustrations et servent surtout à annoncer d’autres moyens de persuasion politique à l’instar des assemblées ou des causeries radiophoniques. En fait, ces annonces ne permettent pas d’atteindre un des objectifs principaux de la publicité, soit celui de convaincre. Il s’agit de publicités dites informatives. Pour ces raisons, nous accordons peu d’importance à ces traces, sauf si ce n’est pour montrer le peu d’avancement dans le recours à la publicité dite performante. Au total, vingt-cinq de ces encadrés sont recensés.

147 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 180-181. 148 Ibid., p. 179.

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En ce qui concerne les publicités visant la persuasion, nous avons recensé plusieurs affiches de candidats de l’Union nationale où il est simplement écrit : « Votez pour X candidat » ou, en anglais, « Vote for X candidate », ce qui se rapproche d’une façon plus classique d’affichage publicitaire. Treize de ces affiches ont été recensées. La majorité des publicités retenues se composent de cette façon. Les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale ont plutôt recours à des techniques de persuasion plus classiques qu’avant-gardistes. Nous avons ainsi trouvé une demie-page et trois pleines pages différentes parues dans Le Montréal-Matin et La Patrie. Ces quatre traces constituent notre corpus de publicités pour l’élection de 1944. Notons que nous avons recensé trois pleines pages libérales, identiques cette fois, à l’intérieur du journal La Patrie et Le Soleil pour la même période (figures 1, 2 et 3).

Lors de la recension de ces publicités pour l’élection de 1944, la première observation touche à l’équilibre dans les forces en présence. Nous avons été frappée par la présence publicitaire libérale qui, à notre avis, peut se comparer à celle de l’Union nationale. L’écart entre les deux partis se creuse réellement à partir de l’élection de 1948.

Bien que ces publicités de l’Union nationale149 ont toutes en commun le rappel de voter pour l’Union nationale, il est difficile de les qualifier comme des publicités performantes. En effet, une des règles d’or, la simplicité, n’est pas respectée. Ces publicités ne sont pas facilement lisibles. Ce qui frappe l’œil, c’est la quantité de texte. D’ailleurs, les textes sont parfois écrits en tout petits caractères, ce qui ne les rend pas accessibles à tous. Même si ces publicités remplissent leur fonction, soit de rendre accessible l’information concernant un parti, leur efficacité s’éclipse devant la difficulté d’assimilation du contenu.

149 Ibid.

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Figure 1 : « L’honorable Maurice Figure 2 : « Une politique Figure 3 : « Quel sera votre avenir ? Duplessis Chef de l’Union Nationale d’équilibre économique et de Votre vote le dira ! », (1944), sollicite votre vote pour son candidat progrès dans tous les domaines », Publicité, impression sur papier, dans votre comté » (1944), Publicité, (1944), Publicité, impression sur Montréal, (Image tirée du Montréal- impression sur papier, Canada, papier, Montréal, (Image tirée de La Matin, 5 août 1944, p. 5). (Image tirée de La Patrie, 6 août Patrie, 6 août 1944 – Édition 1944 – Édition nationale, p. 55). nationale, p. 56).

Outre le recours à de petits caractères d’imprimerie, l’utilisation de plusieurs types de typographie confond l’œil lors du regard. Dans la publicité « Quel sera votre avenir ? », nous retrouvons cinq caractères différents, ce qui contribue à distraire l’attention du lecteur du message transmis. Dans « Une politique d’équilibre économique et de progrès dans tous les domaines », nous retrouvons également quatre caractères différents. Selon Luc Dupont, spécialiste en communication, d’après les normes actuelles, « Une publicité comportant trop de caractères différents oblige l’œil à de nombreuses accommodations qui ont pour effet de repousser le lecteur150 ». De plus, les trois publicités recensées présentent une lourdeur par leur fort contenu textuel. Même si la présence de texte peut servir à faire passer un message comme étant plus sérieux151, la lisibilité de la publicité est compromise dans les cas identifiés.

Toutefois, certains procédés typographiques intéressants sont utilisés par l’organisation de l’Union nationale dans la composition de leurs publicités. En effet, dans « Quel sera votre avenir

150 Luc Dupont, 1001 trucs publicitaires, Montréal, Éditions Transcontinentales, 1993, p. 181. 151 Ibid., p. 163.

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? », le recours aux caractères gras met en évidence des groupes de mots essentiels. Ainsi, dans toutes ces informations qui lui sont transmises, le lecteur peut d’abord retenir que l’Union nationale investit dans le « système routier » et dans les « travaux publics » et que s’il est porté au pouvoir à nouveau, les membres du parti vont travailler pour le « crédit agricole » et les « salaires des ouvriers ». Ces mots clés accrochent évidemment le regard des électeurs de l’Union nationale : les agriculteurs et les ouvriers. Aussi, la photo du chef, Maurice Duplessis, est apposée en haut, à droite de la publicité. Il s’agit d’un point positif, puisque les figures humaines attirent l’attention du lecteur152. Dans la publicité « Une politique d’équilibre économique et de progrès dans tous les domaines », la photo de M. Duplessis est mise en évidence avec l’encadré situé dessous. Le texte rappelle qu’il est « le véritable champion de l’autonomie provinciale », un clin d’œil fort important vu un des enjeux de cette campagne électorale : la conscription imposée par Ottawa. Autre élément, il semble que l’organisation utilise un slogan pour l’élection : « Ne prenez plus de chance! Votez pour l’Union nationale et ses candidats! ». La présence d’un slogan correspond clairement à une des techniques publicitaires réputées comme étant performantes. Cependant, ce slogan est long : nous ne l’avons pas retrouvé dans les autres publicités. Un slogan efficace est généralement court pour être martelé lors d’une campagne, afin qu’il soit assimilé par l’électorat153.

3.2.3 La personnalisation de la communication

Lors de l’élection de 1944, un plan rapproché de la photo de fonction de Maurice Duplessis prise en 1936 lors de son ascension au pouvoir fait office de photo officielle de la campagne électorale de 1944154. Nous la retrouvons sur quelques publicités et quelques brochures155. Dans son ouvrage Duplessis. Pièce manquante d’une légende. L’invention du marketing politique, Alain Lavigne montre également que même des bustes en plâtre de Duplessis ont été produits à coup de 5 000 exemplaires156. Au-delà de cette présence, le nom du parti politique et les idées de ce dernier

152 Ibid., p. 136. 153 Ibid., p. 249-250. 154 Lavigne, op. cit., p.78. 155 Ibid. 156 Ibid.

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sont toujours mises de l’avant dans les publicités recensées. Nous n’assistons pas tout à fait au phénomène où la personne efface le parti et les idées, phénomène constituant une caractéristique identifiée par Agranoff et Albouy. Sur la demie-page présentée dans La Patrie, le nom de Maurice M. Duplessis est mis en évidence. Toutefois le parti n’est pas éclipsé par la personne. La personnalisation de cette campagne n’est pas complète. Toutefois, quelques caractéristiques flatteuses sont attribuées à M. Duplessis dans certaines publicités. Il est caractérisé de « champion » de l’autonomie. Ce qualificatif est repris de manière récurrente par l’organisation électorale de l’Union nationale au cours des élections subséquentes. Il contribue certainement à construire l’image de Maurice Duplessis pour les campagnes à venir.

3.2.4 Le budget

En ce qui concerne les sommes utilisées pour l’organisation de cette campagne, nous estimons qu’elles ne sont pas été très élevées. Certes, l’organisation électorale a acheté de l’espace publicitaire dans des journaux comme le Montréal-Matin et La Patrie. Néanmoins, nous supputons que les budgets de l’Union nationale ne dépassent pas ceux du Parti libéral de la province, puisque ce dernier peut avoir recours aux caisses du Parti libéral fédéral. L’absence de sources probantes nous interdit de se prononcer davantage sur ce sujet.

Par contre, il ne faut pas négliger l’importance du journal Le Temps et de sa production. En effet, l’Union nationale possède une petite presse sur laquelle il peut imprimer son journal et d’autres brochures. Cet apport en ressources matérielles n’est pas négligeable lorsque les coûts d’impression sont considérés. Les ressources internes du parti jouent donc aussi un rôle considérable dans l’organisation de cette campagne. Cependant, faute de sources, il est difficile de déterminer les dépenses de façon précise.

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3.2.5 Les études pré-électorales et les sondages

Enfin, nos recherches ne nous permettent pas de déceler de traces très précises de travaux préalables qui auraient pu être effectuées par les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale. En effet, outre le témoignage de Jos.-D. Bégin sur le travail sur le terrain débutant avant l’élection de 1944, rien ne nous indique que les organisateurs cherchent à cibler l’électorat de façon précise et entre autres, à développer un slogan des mois avant le scrutin. Toutefois, les sondages Gallup sont publiés à l’époque. Au début de la campagne, ces sondages donnent la victoire aux libéraux et placent l’Union nationale loin derrière le Bloc populaire. Encore une fois, l’absence de sources ne nous permet pas d’affirmer que les membres de l’organisation utilisent ce système de pointage pour concerter leur campagne, aspect qui relève des nouvelles méthodes électorales à l’américaine.

4 Conclusions préliminaires

Depuis l’implantation du système parlementaire au Bas-Canada jusqu’aux années 1940, les mœurs électorales changent au Québec. Souvent violentes, les campagnes électorales, où la cabale et les assemblées contradictoires forment l’essentiel des activités de persuasion, laissent place à une volonté d’assainir le processus électoral, pour donner préséance au vote secret, sans conteste l’une des plus grandes réformes de la loi électorale. L’avènement du vote secret et l’élargissement du droit de vote aux femmes dans les années 1940, sont autant de facteurs qui rendent nécessaire l’objectif de convaincre autrement l’électorat. À partir de ces changements sur le plan de la loi électorale, la volonté de convaincre l’électeur dans l’intimité et non en public, suscite l’avènement de nouveaux joueurs et le recours à de nouvelles façons de faire. Comme parti d’action répondant aux critiques du temps, l’Union nationale doit user de ces nouveaux moyens. Nous sommes d’avis que ces changements du paysage politique québécois, liés à la réforme de la loi électorale et à l’apparition de l’Union nationale, sont autant de facteurs qui contribuent au recours à certaines méthodes américaines. Toutefois, la composition du parti, ses finances et la volonté du chef font en sorte qu’en 1944, dans un contexte de reconquête du pouvoir après une cuisante défaite, seulement deux caractéristiques de ces méthodes – le recours à des professionnels et à des

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publicités plus étoffées – se manifestent dans la première campagne analysée. L’année 1944 représente alors notre mesure-étalon, soit une élection semblable à plusieurs égards pour l’Union nationale à celle de leurs opposants. Toutefois, des éléments importants sont mis en place à cette élection. Les nominations de Joseph-Damase Bégin à titre d’organisateur pour le district de Québec et celle de Bruno Lafleur à la tête du journal Le Temps, montrent l’entrée en scène de professionnels, qui vont continuer à servir les intérêts électoraux de l’Union nationale. Ainsi, l’organisation électorale commence à travailler dans une perspective à long terme, avec des professionnels et des publicités de plus en plus étoffées – deux des cinq caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine, rappelons-le. Bref, ce sont les premières manifestations des débuts d’une élection à l’américaine, mais avec encore plusieurs pratiques propres aux élections traditionnelles de l’époque.

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CHAPITRE 2

L’établissement : Contexte politique de l’élection de 1948 et analyse de la campagne électorale

Au lendemain des élections provinciales de 1944, le gouvernement de Maurice Duplessis prend le pouvoir. Malgré un pourcentage de vote inférieur à celui du Parti libéral, l’Union nationale fait élire onze députés de plus. Le parti de Maurice Duplessis détient donc une faible majorité. Par contre, les résultats de la campagne électorale font ressortir le talent de Joseph-Damase Bégin, qui se fait alors remarquer par Duplessis. Pour l’appuyer dans ses nouvelles fonctions, Bégin nomme un nouvel allié dans son organisation : Paul Bouchard. Ce dernier reçoit le titre de directeur de la propagande en 1946157. Cette nouvelle fonction de l’organisation électorale de l’Union nationale va dans le sens de la professionnalisation, un des éléments des campagnes électorales à l’américaine, avec la création d’un poste de publiciste. À partir de ce moment, Paul Bouchard commence à gérer les communications entre les différents ministres et l’organisation centrale de l’Union nationale. Les membres de l’organisation centrale disposent ainsi d’un quartier général, le Club Renaissance, situé sur la Grande-Allée, à Québec158. Bref, l’équipe électorale possède tous ses piliers au déclenchement de l’élection provinciale de 1948.

1. Contexte de l’élection de 1948

Cette élection est le point tournant de notre analyse. Dans notre démarche visant à montrer l’évolution des nouvelles méthodes électorales à l’américaine, nous avons d’abord analysé l’an zéro de la professionnalisation, soit l’élection de 1944. Avec peu de moyens financiers, peu

157 Ibid., p. 23-24. 158 Ibid., p. 22.

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d’influence partisane sur le plan de la presse et le contexte d’une économie de guerre, cette campagne ne se distingue pas du style habituel de l’époque. Autrement dit, il y a peu d’éléments se rattachant aux cinq caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine. Toutefois, les éléments stratégiques placés au lendemain de cette campagne favorisent un développement accéléré d’un nouveau style de campagnes électorales au Québec. De plus, étant une élection stratégique pour l’Union nationale, la campagne de 1948 est centrale pour notre analyse. En effet, toutes les caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine sont présentes pour la première fois. De plus, signe de son importance, l’élection de l’Union nationale en 1948 voit l’une des plus substantielles majorités jamais remportées par un parti dans toute l’histoire du parlementarisme au Québec.

1.1 Revenir pour de bon

L’élection de 1948 prend place dans un contexte où les unionistes ne possèdent pas une légitimité forte en chambre. En effet, le résultat des élections de 1944 leur octroie moins de suffrages que les libéraux. Même si, sur le plan des sièges, ils ont un plus grand nombre de députés, leur majorité est mince et leur mandat est contesté par certains159. Pour dissiper ces contestations et montrer que l’Union nationale obtient la faveur claire de l’électorat, il faut ancrer le parti au pouvoir et de façon solide. Un mandat fort est une façon de déterminer clairement face aux autres formations politiques, qu’elles soient fédérales ou provinciales, que le parti a reçu un appui massif des citoyens. Mu de ce mandat et élu à forte majorité, le parti possède la légitimité pour gouverner. Ainsi, il est plus aisé d’accélérer la mise en place de son programme. L’enjeu de l’élection de 1948 est grand : revenir pour de bon, avec un mandat fort.

Au cours de ce mandat, la faveur populaire envers l’Union nationale se fait déjà sentir. Quatre élections partielles ont lieu et se soldent par quatre victoires unionistes160. À la dissolution de la chambre à l’été 1948, l’Union nationale possède ainsi 52 sièges, le Parti libéral en possède

159 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 207. 160 Christian Blais, « Introduction historique – 22e législature, 4e session », Débats de l’Assemblée législative [en ligne], Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2008, consulté le 4 mai 2014. http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/introduction-historique.html

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33, le Bloc populaire en possède deux, le CCF en possède un seul et deux sont indépendants161. De plus, la défaveur de l’électorat envers le Parti libéral provincial se fait toujours sentir. En effet, lors de la conférence fédérale-provinciale de 1945-1946, le gouvernement libéral canadien tente de mettre en application certains éléments du rapport Rowell-Sirois, visant à centraliser des compétences provinciales à l’échelon fédéral 162 . Maurice Duplessis dénonce ce projet en se présentant comme un ardent défenseur de l’autonomie de la province de Québec. Par le fait même, Duplessis écorche au passage le Parti libéral provincial et son chef, Adélard Godbout, en le décrivant comme « à la remorque163 » de son homologue fédéral. Il n’en faut pas moins pour ternir l’image de Godbout comme défenseur des droits des Canadiens français.

Bref, l’Union nationale et son chef possèdent une cote enviable chez une grande partie de l’électorat, grâce au contexte économique d’après-guerre favorable et au discours autonomiste de Duplessis164.

1.2 Un nouveau drapeau pour la province

Outre ce contexte, Maurice Duplessis multiplie les mesures populaires au cours du mandat de 1944. Une des plus marquantes, encore aujourd’hui, est certainement la création du fleurdelisé, le drapeau de la province. Dans la foulée de la victoire des alliés en Europe, une certaine faveur populaire souhaite voir émerger un drapeau canadien. Toutefois, les différents partis n’arrivent pas à s’entendre. Enfin, le gouvernement de William Lyon Mackenzie king décide d’adopter le Red Ensign, emblème de la marine britannique, à titre de drapeau canadien en 1946165. Au Québec, cette décision n’est pas très populaire, puisque le Red Ensign n’est pas jugé représentatif de la société canadienne-française. Il n’en faut pas plus pour que des militants initient une démarche afin de doter la province de Québec d’un drapeau représentatif de sa nation et de son territoire. Le député indépendant de Québec René Chaloult dépose en décembre 1947, une motion en faveur de

161 Ibid. 162 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p.160. 163 Christian Blais, op. cit., [en ligne]. 164 Ibid. 165 Bernard Veyron, Les 50 ans du fleurdelisé : les origines mystérieuses de la fleur de lys, Montréal, Ministère des relations avec les citoyens et de l’immigration, p. 6.

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l’adoption d’un drapeau de la province de Québec166. D’ailleurs, le fleurdelisé, un drapeau avec croix blanche sur champ azur et quatre fleurs de lis aux coins flotte déjà sur la propriété de ce dernier167. L’origine de ce drapeau remonte au début des années 1900, lorsque le curé Elphège Filiatrault hisse sur le toit de son presbytère un drapeau nommé Carillon, soit un drapeau bleu, avec croix blanche et fleurs de lis orientées vers le centre168. Ce drapeau est déjà passablement populaire parmi les nationalistes169. En effet, les Canadiens français par dizaines de milliers envoient des demandes au gouvernement afin d’adopter le fleurdelisé170. En bref, une certaine faveur populaire nourrit le projet de faire de ce drapeau, l’emblème de la province.

Après consultation, après avoir été modifié pour respecter les règles de l’héraldique171, le fleurdelisé est adopté par les parlementaires et hissé au-dessus de la tour de l’Assemblée législative de la province le 21 janvier 1948. Moment de fierté autonomiste, l’adoption du drapeau de la province marque un point fort dans l’affirmation des valeurs de l’Union nationale et de son chef. Il s’agit aussi d’un argument de poids face aux détracteurs de Maurice Duplessis, une façon d’exacerber le sentiment d’appartenance canadienne-française. Au cours des élections provinciales qui sont déclenchées plus tard dans l’année, ce drapeau devient un argument électoral, vu l’émotivité engendrée par ce nouveau symbole identitaire. L’impact de cette émotivité sera d’ailleurs souligné dans la série Duplessis de Denys Arcand. Le personnage de Joseph-Damase Bégin évoque cette manœuvre électorale, en regardant le fleurdelisé flotter au ciel : « Ça, c’est 100,000 votes de plus aux prochaines élections172 ».

166 Robert Rumilly, tome 2, op. cit., p. 208. 167 Ibid., p. 211. 168 Bernard Veyron, op. cit., p. 6. 169 Ibid. 170 Ibid. 171 Il s’agissait de redresser les fleurs de lys. Ibid. 172 Évidemment, il s’agit d’une fiction. Denys Arcand, Duplessis, Société Radio-Canada, 1978. Épisode : Le Pouvoir.

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1.3 Un ennemi commun : le communisme

Le drapeau contribue à cimenter les citoyens autour d’un très grand sentiment de fierté. Les citoyens s’unissent aussi contre un ennemi commun : le communisme. Comme partout en Occident avant la guerre, la peur du communisme fait son entrée au Québec. Adoptée en 1937 lors de son premier mandat, la fameuse « loi du cadenas » de Duplessis en est une manifestation173. Toutefois, les lendemains de la guerre engendrent une résurgence, voire une intensification de ce sentiment, et les partis politiques en font leur cheval de bataille. L’Union nationale utilise cette peur. Avec son programme et ses actions, le parti semble se démarquer des autres formations politiques sur ce point. Maurice Duplessis table sur ses qualités de défenseur contre l’avancée communiste au Québec avec ses réalisations passées. Pour lui, aucun autre parti que l’Union nationale ne protège aussi bien les Canadiens français de ce mal. Appuyée par l’Église catholique, l’Union nationale mène une chasse « aux agents de Moscou174 » 175. Cette chasse aux sorcières se répand partout en Occident et dont Duplessis se présente en ardent promoteur, ce qui rallie derrière lui une grande proportion des citoyens. Selon l’Histoire du Québec contemporain, Duplessis utilise « l’anticommunisme pour flétrir ses adversaires 176 », notamment les Partis libéral provincial et fédéral.

1.4 Les relations avec l’État fédéral

Outre les accusations de laisser-aller face à la menace communiste, l’Union nationale profite des années de son mandat pour accuser sur plusieurs points le gouvernement de Mackenzie King. Il insiste notamment sur la nature des liens entre le Parti libéral fédéral et celui de la province de Québec. Ce dernier semble encore inféodé à son homologue fédéral et devient, en quelque sorte, le porte-parole des visées centralisatrices d’Ottawa. Pour l’Union nationale, l’entité libérale dans la province constitue deux ennemis en un.

173 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 113. 174 Ibid., p. 358. 175 Ibid. 176 Ibid., p. 368.

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Pour Maurice Duplessis, non seulement les efforts des libéraux d’Ottawa pour lutter contre le communisme ne sont pas suffisants, mais en plus, ils utilisent les fonds publics canadiens pour soutenir la reconstruction de l’Europe. Pour Duplessis, au sortir de la guerre, cet argent doit demeurer ici et soutenir les citoyens du pays. Le premier ministre dénonce vigoureusement l’aide à la reconstruction de l’Europe. Il table ainsi sur la défense des droits de la province de Québec, ce qui est toujours en accord avec ses principes autonomistes. « Celle-ci [l’autonomie provinciale] justifie une opposition systématique aux politiques d’Ottawa, dont le centralisme est vu comme contraire aux droits constitutionnels du Québec, et le caractère néo-libéral, comme une menace aux valeurs de la société canadienne-française177 ». Cette critique véhémente de Duplessis envers le gouvernement Mackenzie King constitue un épisode marquant de la campagne électorale de 1948. En fait, les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale s’en inspirent pour le slogan de leur campagne « Les Libéraux donnent aux étrangers, Duplessis donne à sa province ».

1.5 L’achat du Montréal-Matin

Une corde s’ajoute à l’arc de l’organisation électorale de l’Union nationale. Quelques mois avant l’élection de 1948, le parti acquiert le Montréal-Matin, une des publications les plus lues dans la région métropolitaine, ayant un tirage de plus de 20 000 exemplaires178. Des proches de Maurice Duplessis ont déjà tenté en vain de se procurer ce journal en vue de la campagne électorale de 1944179. Avec l’acquisition de ce quotidien, l’Union nationale possède désormais une couverture de masse sur le plan des médias. En achetant le Montréal-Matin, le parti finit par faire son entrée dans le monde de la grande presse au Québec. Certes, les unionistes possèdent déjà Le Temps. Bien qu’il rayonne sur le plan régional, cet hebdomadaire ne constitue pas à lui seul une véritable porte d’entrée sur le marché de la grande presse québécoise. Avec le Montréal-Matin, l’Union nationale change la donne. Le Parti libéral a déjà la main mise sur des grands quotidiens dans les régions de Québec et de Montréal, notamment avec Le Soleil et Le Canada180. Maintenant, le parti de Maurice Duplessis peut rivaliser avec cette grande puissance, ce qu’il ne pouvait pas faire auparavant.

177 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 363. 178 André Beaulieu et Jean Hamelin, La presse québécoise : des origines à nos jours, Tome VI, Québec, Presses de l’Université Laval, 1973, p. 214. 179 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 40. 180 Lévesque, op. cit., p. 579 et 589.

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L’historien Michel Lévesque relève une diminution de la partisannerie dans la presse dans la province après la guerre. Étant donné que le conflit mondial a passablement affecté les finances des grands journaux de la province, les propriétaires de ces journaux sont apparemment de moins en moins pointilleux sur la provenance de leurs revenus de publicité. Toujours selon Michel Lévesque, les allégeances politiques soutenues par la presse québécoise sont de moins en moins défendues avec vigueur par les différents journaux. Ceux-ci tendent de plus en plus vers une certaine neutralité. Ainsi, un journal libéral comme Le Soleil commence à diffuser de la publicité de l’Union nationale après la guerre. Nous estimons néanmoins que cette tendance peut se corroborer dans le cas de certains journaux. Cependant, nous jugeons que ce phénomène s’observe réellement un peu plus tard dans l’après-guerre. Lors de l’élection de 1948, les grands journaux du Québec affichent leur partisannerie. Dans cette perspective, l’achat du Montréal-Matin constitue un pas en avant pour l’organisation électorale de l’Union nationale en 1948. Cette percée dans les médias leur est d’une grande utilité, notamment pour rejoindre l’électorat ouvrier de Montréal.

2. Analyse du déploiement publicitaire de la campagne unioniste de 1948

Dans ce contexte politique, l’Union nationale remporte une victoire éclatante le 28 juillet 1948. Avec 51% du suffrage et 82 des 92 sièges disponibles en chambre, il s’agit d’une des plus grandes majorités parlementaires jamais remportées dans toute l’histoire du Québec. La campagne est organisée autour du slogan révélateur du contexte politique de l’époque : « Les Libéraux donnent aux étrangers, Duplessis donne à sa province ». Le gouvernement de Duplessis est alors engagé dans un bras de fer avec Ottawa au sujet des fonds fédéraux envoyés en Europe pour aider à la reconstruction. Au nom de l’autonomie et des droits de la province de Québec, Duplessis s’y oppose. La référence aux libéraux dans le slogan fait écho à ceux du fédéral, mais elle n’est pas spécifiée. Il est donc possible de l’associer facilement aux libéraux de Québec, le principal adversaire de l’Union nationale lors de cette élection. L’amalgame est probablement souhaité par les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale.

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Le travail des membres de l’organisation électorale de l’Union nationale donne naissance à ce slogan tapageur, utilisé comme axe de communication de toute la campagne. Le travail de ces hommes est essentiel dans le déroulement de cette élection.

2.1 Le recours aux professionnels

Maurice Duplessis complète son organisation à la suite de l’élection. Joseph-Damase Bégin est désormais l’organisateur en chef de l’Union nationale pour l’ensemble de la province. Ce dernier s’illustre lors de la campagne électorale de 1944 à titre d’organisateur du district de Québec. Cette nouvelle fonction, qu’il cumule avec celles de député de Dorchester et de ministre de la Colonisation, l’incite à se nommer un bras droit, Paul Bouchard181. Il devient en 1946 directeur de la propagande de l’Union nationale182. D’ailleurs, ce titre de Paul Bouchard change parfois selon la période ou l’interlocuteur. Il est tantôt directeur de la propagande, tantôt directeur de la publicité de l’Union nationale ou bien tout simplement publiciste. Selon toute évidence, le mot propagande résonne puisqu’il possède un caractère très négatif dans l’après-guerre, ce qui peut aussi expliquer le changement de dénomination un peu plus tard.

Paul Bouchard possède des responsabilités importantes dans l’organisation électorale de l’Union nationale. Il rédige des discours, des brochures et des livres, mais aussi il participe activement à la planification stratégique des élections de l’Union nationale183. Dans Duplessis. Pièce manquante d’une légende. Le marketing politique, Alain Lavigne le présente ni plus, ni moins, comme le professionnel du marketing politique dans l’organisation. Il rédige également des articles teintés d’une couleur unioniste dans le journal Le Temps et dans Cité Libre. Il prononce aussi des causeries au Club Renaissance, le quartier général de l’Union nationale, ce qui reflète sa grande implication au sein du mouvement prônant une plus grande autonomie pour la province de Québec184. Comme Paul Bouchard le dit lui-même: « Mon rôle à l’Union nationale […] ne se

181 Lavigne, op. cit., p. 23-24. 182 Ibid. 183 Ibid., p. 24. 184 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B2/2 (1/6), L’engagement politique – Les écrits politiques.

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bornait pas à écrire des brochurettes mais à expliquer, à enseigner, à répandre l’idée sur de nombreuses tribunes, que seule une autonomie de plus en plus grande permettrait aux Canadiens français de vivre normalement sur le sol natal185 ». Bref, vu ses convictions et son talent, cet homme est un bel atout pour l’organisation, ce qui incite certainement Bégin à lui donner une position aussi intéressante dans l’organisation. Bouchard est convaincu des idées autonomistes de l’Union nationale : il est donc dévoué à la cause de ce parti.

Bruno Lafleur fait aussi partie des membres de l’organisation électorale du parti en 1944. Cependant, son rôle se précise lors de l’élection de 1948. Alors qu’au scrutin précédent, il participe au recrutement des candidats, il chausse désormais les souliers de publiciste de l’Union nationale. Il entre au cœur de l’organisation du parti en 1945, soit un an après la réélection de l’Union nationale. En début de mandat, il semble s’occuper de communication gouvernementale. Il note que :

Mes fonctions consistaient surtout à rédiger des textes de discours pour les ministres qui étaient invités à des fêtes, célébrations ou autres cérémonies où ils avaient à parler au nom du Gouvernement, mais sans faire de la politique, par exemple à des sacres d'évêques, des bénédictions de ponts, d'hôpitaux, etc. Tout travail pour lequel leurs secrétaires n'étaient pas préparés186

Il est définitivement un des hommes de confiance de l’entourage du parti. Lors d’une des quatre élections partielles de ce mandat, , ministre de la Voirie, lui confie la tâche d’accompagner Jean-Noël Tremblay dans sa campagne électorale pour l’Union nationale en 1945187. De plus, il s’occupe au cours du mandat, de colliger les documents en vue de la préparation des prochaines élections. Il ajoute : « En 1948, j'ai beaucoup travaillé pour les élections, mais sans faire de discours. J'étais plutôt à la disposition d'un peu tout le monde188 ». En bref, il est l’homme à tout faire à qui l’on peut faire confiance, vu son expérience du monde politique et électoral. Fait intéressant, Bouchard et Lafleur ont des occupations similaires, mais tout de même bien définies,

185 Jean Côté, Paul Bouchard. Flamboyante figure de notre époque. 1908-1997, Outremont, Québécor, 1998, p. 162. 186 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, fonds Bruno-Lafleur, P396 - 1987- 03-004\4. Correspondance spéciale, Bruno Lafleur, note manuscrite. 187 Ibid. 188 Ibid.

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ce qui dénote d’une relative spécialisation des deux hommes dans l’organisation. Le premier est entre autres responsable des discours politiques, alors que le second veille aux discours qui ne concernent pas le politique. Une division du travail de ce genre montre une certaine professionnalisation au sein de l’organisation, une des caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine.

2.1.1 Une élection prévue longtemps d’avance

Une des caractéristiques des partis ayant recours aux nouvelles méthodes électorales à l’américaine est la présence d’une organisation électorale s’activant bien avant le déclanchement des élections. Au cours du premier tiers du XXe siècle au Québec, les partis politiques voient souvent leurs organisations électorales se former au moment de l’annonce d’un scrutin. Selon les nouvelles méthodes américaines, les organisations électorales voient dorénavant leurs spécialistes se réunir longtemps à l’avance, afin de prendre le pouls de la société et ainsi regrouper les données nécessaires pour développer une campagne et des outils les plus performants possibles189.

Déjà, lors de l’élection de 1944, nous avons montré que l’organisation électorale s’est préparée et remise sur pied de la défaite de 1939, en recrutant et en formant les futurs candidats dès 1940. Cette recette est employée de nouveau en vue de l’élection de 1948190. À titre de directeur de la propagande, Paul Bouchard demande en 1947 et au début de 1948, à différents ministres de lui fournir de la documentation sur les sommes investies et les réalisations engendrées par l’Union nationale au cours du dernier mandat, mais aussi au cours du mandat 1936-1939191. P. Bouchard spécifie que les renseignements fournis seront utilisés à des fins électorales192. L’organisation prépare ainsi un bilan des accomplissements du parti en vue de la campagne qui approche.

189 Lévesque, op. cit., p. 138. 190 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 175. 191 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,4 (1/3), Union nationale - Correspondance politique. 192 Ibid.

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La documentation est révélatrice du travail des professionnels de l’Union nationale qui conçoivent le fameux slogan de l’élection « Duplessis donne à sa province ». Dans une lettre du 16 septembre 1947, Antonio Barrette, ministre du Travail, s’adresse à Paul Bouchard. Le ministre fait référence à une brochure nommée « Duplessis donne à sa province » - ce qui indique que le slogan de 1948 est déjà connu par les membres influents du parti. Il suggère d’ajouter la construction d’un pont dans son comté, afin de compléter la liste des réalisations de l’Union nationale pour sa circonscription. On comprend également qu’Antonio Barrette jette un œil à une brochure présentant le slogan tronqué. Ce qui veut dire qu’une maquette de cette publicité existe déjà en septembre 1947.

Ce qui attire encore plus notre attention sur cette lettre est la présence d’une note manuscrite signée par Antonio Barrette qui se lit comme suit : « À mon point cette publicité est insurpassable et donnera des résultats concluants193 ». Ce qui est révélateur dans cette note manuscrite est d’abord le recours au terme publicité, ce qui relève du champ lexical des campagnes électorales à l’américaine. Puis, autre fait intéressant, nous remarquons que Barrette fait déjà référence à l’efficacité potentielle du document publicitaire et de facto du slogan. Alors, nous pouvons supposer que l’équipe électorale de l’Union nationale a préparé les grandes lignes de la documentation publicitaire du parti plusieurs mois avant le scrutin. Il est certain que dans le cadre d’un gouvernement majoritaire à Québec, Maurice Duplessis décide ultimement de la date du scrutin. Il est ainsi plus facile de prévoir et d’organiser à l’avance une campagne que dans un contexte minoritaire. En 1947, après trois ans à former le gouvernement, les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale savent qu’une élection approche. Il s’agit visiblement du contexte dans lequel le slogan est développé, ce qui dénote d’une planification stratégique à long terme et développée par les membres de l’organisation en vue de l’élection.

Toujours dans cette conception à long terme, la biographie du chef paraît dès 1945 et est distribuée dans toute la province. À l’origine, il s’agit probablement d’un acte de communication gouvernementale, afin d’entretenir le contact entre le pouvoir et les citoyens. Publiée à chaque année après 1945, cette biographie devient un des produits partisans pour le scrutin de 1948. À la

193 Ibid.

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toute fin du document, un supplément est ajouté en 1948. Il est titré : « Duplessis donne à sa province ». Reprenant du coup le slogan de l’élection et la formule de présentation des accomplissements du parti. Cette biographie, développée dès les premières années du mandat de 1944, semble être envoyée dans les foyers canadiens-français. En effet, nous avons retrouvé sur une biographie de Maurice Duplessis de 1948 un timbre marqué du sceau de la poste194. La lettre d’Antonio Barrette et la biographie de Maurice Duplessis montrent que Paul Bouchard travaille longtemps à l’avance pour se préparer à cette élection. L’organisation unioniste est bien rodée pour le scrutin de 1948.

2.1.2 De nouvelles techniques pour les professionnels

Un autre indice de l’application de méthodes électorales à l’américaine, se trouve dans le document « Quelques lois de l’Union Nationale adoptées en 1945, 1946, 1947 et 1948195 ». Il contient une des premières formes de segmentation de l’électorat avec, en note, la mention : « (N.B. «x» indique les lois favorisant particulièrement les campagnes. «xx» celles favorisant autant les campagnes que les villes196 ». Ce document de quatre pages de format 8 ½ X 14 comprend une énumération des lois concrétisées de l’Union nationale et des sommes engagées par le gouvernement au cours des quatre dernières années du mandat de Duplessis. D’ailleurs, des marques indiquent quelles zones sont favorisées – les villes ou les campagnes – juste devant le détail de la loi. Les membres de l’organisation politique de l’Union nationale ont ciblé clairement leurs électorats : celui des premiers sympathisants provenant des « campagnes » et celui à conquérir, ceux des « villes ». Ainsi, ce document de travail devient un outil pour les membres de l’organisation, afin de préparer la publicité et les discours des politiciens et des autres orateurs du parti. Il laisse paraître que les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale pratiquent la segmentation de l’électorat 197 . Les membres de la machine électorale se servent de ces informations, favorables aux villes et aux campagnes, afin de développer des produits électoraux différents pour ces deux groupes.

194 « Maurice Duplessis Grand Canadien. Biographie du Premier ministre de la Province de Québec », 1948. Collection personnelle d’Alain Lavigne. 195 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (2/3), Union nationale – organisation centrale. 196 Ibid. 197 Jean et Marcel Hamelin, op. cit., p. 108.

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Une autre méthode des campagnes à l’américaine relève du recours aux sondages afin de mesurer les grandes tendances de l’opinion publique. Toutefois, comme lors de l’élection de 1944, cette méthode ne semble pas avoir été utilisée de façon systématique à des fins partisanes. Paul Bouchard glisse un mot sur le recours aux sondages Gallup, dans un article du journal Le Temps, un article au titre révélateur : « Publicité et propagande198 ». Bien qu’il précise connaître leur existence, il ne les utilise pas encore dans sa démarche intégrée. Autrement dit, ces sondages ne sont probablement pas utilisés pour pointer. En fait, il est avancé par Alain Lavigne, que Joseph- Damase Bégin a sa façon personnelle de pointer lors des élections de l’Union nationale. Cette façon de faire est utilisée au sein de l’organisation électorale de l’Union nationale199.

2.2 Médiatisation de la campagne

La médiatisation de masse est certainement l’élément clé de ce nouveau type de campagne électorale qui fait son apparition au Québec dans les années 1940. De nombreux médias sont utilisés lors de cette élection pour décliner les messages de l’Union nationale, la transformant en une campagne de masse. Présent autant à la radio et dans les journaux, la campagne électorale de l’Union nationale pénètre réellement les foyers canadiens-français en 1948, grâce à la présence de brochures, d’objets publicitaires comme des cartons d’allumettes et même de films de propagande, réalisés par Joseph-Damase Bégin, entre autres. Retenons avant toute chose que le déploiement dans tous ces médias s’est fait sous le signe du slogan directeur de cette campagne : « Les Libéraux donnent aux étrangers, Duplessis donne à sa province », qui est littéralement martelé partout. Pour cette section de notre analyse, le déploiement radiophonique, les brochures, ainsi que le déploiement publicitaire effectué dans la presse écrite sont mis de l’avant.

2.2.1 La radio

La radio est le média qui permet à l’Union nationale de percer dans les années 1930. D’ailleurs, il s’agit toujours d’un média de masse fort important dans les années 1940 au Québec.

198 Paul Bouchard, « Publicité et propagande », Le Temps, 29 octobre 1948, p. 5. 199 Lavigne, op. cit., p. 24.

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Toutefois, il est difficile de retrouver des traces audio des minutes, voire des heures de diffusion partisane des partis politiques dans les années 1940 et 1950. Cependant, il est possible d’avoir un aperçu des plages horaires réservées par le parti à la radio, puisque les heures des causeries des orateurs de l’Union nationale sont publiées dans les journaux. À chaque jour dans La Patrie, l’Union nationale annonce ses causeries pour les jours à venir. Ils ont leur signature, de sorte qu’ils sont facilement reconnaissables. Il s’agit d’un encadré avec un micro de radio entouré d’éclairs. Le titre suivant complète l’encadré : « L’Union Nationale à la radio ! ».

Nous remarquons une grande présence d’orateurs à de nombreux postes, tout au long de la campagne. Plus nous approchons de la date du scrutin, plus ces présences s’intensifient. Pour les journées des 21 et 22 juillet 1948, nous avons identifié seize orateurs différents sur trois postes de radio, orateurs qui sont prévus sur 28 plages horaires différentes. Le temps d’antenne variant de 5 à 30 minutes à chaque fois, ce qui représente un temps important d’antenne pour le parti. À noter que des femmes se trouvent parmi les seize orateurs. Après tout, une voix féminine appuyant l’Union nationale peut persuader davantage de femmes de voter pour le parti de Maurice Duplessis. Après une mention au ministre Omer Côté, il est écrit « en italien ». Encore une fois, les membres de l’organisation ont le souci de rejoindre plusieurs groupes d’électeurs potentiels, soit, dans le cas présent, la communauté italienne de Montréal. Les organisateurs opèrent ainsi un travail de ciblage de l’électorat.

2.2.2 Les brochures

Outre la biographie du chef diffusée dans les foyers canadiens-français lors de l’élection de 1948, plusieurs autres brochures électorales sont aussi distribuées aux électeurs, notamment avec la série « Duplessis donne à sa province ». Bien que le cœur de cette analyse du déploiement publicitaire de l’Union nationale tourne autour de la publicité dans les journaux, cette série de brochures offre l’occasion d’une courte analyse. D’abord, cette série montre le martèlement du slogan de la campagne, une des caractéristiques des campagnes électorales à l’américaine. En effet, les titres des brochures commencent toujours par : « Duplessis donne à sa province… », puis sont complétés par la thématique du document: « Duplessis donne à sa province l’électrification rurale

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», « Duplessis donne à sa province une Saine Législation Agricole », « Duplessis donne à sa province une législation sociale200 ». Nous retrouvons encore le slogan en quatrième de couverture de certaines brochures, mais sous cette forme : « Le drapeau du Québec que Duplessis donne à sa Province ». La technique de la répétition est ici bien présente.

La répétition donne un ton persuasif à ces publications, ce qui s’éloigne du traditionnel dépliant électoral utilisé depuis des lustres, qui possède des visées plutôt informatives. Bien sûr, ces publications contiennent des informations quant aux réalisations de Duplessis en une foule de domaines : électrification rurale, législation agricole, législation sociale, politiques ouvrières, etc. Toutefois, en plus de ces informations, des procédés typographiques et de caractères sont utilisés, afin de rendre claire et simple la lecture des arguments mis de l’avant. Les phrases clés sont mises en caractères gras, les accomplissements sont énumérés, on utilise les majuscules pour faire ressortir les noms de Duplessis et de l’Union nationale. Bref, il y a une volonté de convaincre dans ces documents. Ces publications possèdent des illustrations, qui sont un élément accrocheur. Des familles heureuses, des usines en production, des ponts en construction, des lampadaires et des lumières, en passant par les politiques familiales et ouvrières, la construction d’infrastructures ou l’électrification rurale : toutes ces illustrations rappellent des mesures mises en place par le gouvernement Duplessis. Ce procédé de recours aux illustrations rend certainement plus facile et simple la compréhension des arguments par un plus grand nombre de gens, même les moins lettrés.

Le choix des mots est également intéressant. Dans « Duplessis donne à sa province une saine législation agricole [sic] », il est écrit : « Ce que les cultivateurs doivent au gouvernement DUPLESSIS201 ». Cette formulation incite les cultivateurs à remercier Duplessis de l’amélioration de leur qualité de vie dans le monde rural et ce, en votant pour son parti. Les politiques unionistes sont d’ailleurs présentées avec des qualificatifs très positifs, qu’il s’agisse de « généreuses » et de « profitables » mesures ou bien de « grandes lois salvatrices202 ».

200 « Duplessis donne à sa province l’électrification rurale », « Duplessis donne à sa province une Saine Législation Agricole », « Duplessis donne à sa province une législation sociale », 1948, collection personnelle d’Alain Lavigne. 201 « Duplessis donne à sa province Une Saine Législation Agricole [sic] », 1948, collection personnelle d’Alain Lavigne. 202 « Duplessis donne à sa province l’électrification rurale », 1948, collection personnelle d’Alain Lavigne.

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Nous réalisons également grâce aux brochures « Duplessis donne à sa Province l’Union Nationale dans Matapédia203 » et « Duplessis gives to his province Rural Electrification204 », qu’il y a un souci de s’adapter aux électeurs ciblés par la brochure. Encore une fois, un début de segmentation de l’électorat y est effectué. La première brochure cible les électeurs d’un comté, Matapédia : elle adapte son contenu aux électeurs de cette circonscription, en énumérant les mesures spécialement prises par l’Union nationale. Elle présente le candidat unioniste et rappelle son état de cultivateur, puisque Matapédia est un comté rural : l’objectif étant que les gens se reconnaissent en Tancrède Labbé, le candidat. Dans la même idée, l’Union nationale produit également des copies en anglais, pour l’électorat anglophone.

2.2.3 Les journaux et la publicité

La partisannerie politique de la presse change après la guerre. Avec le retour en force des unionistes, les différents journaux libéraux ne peuvent plus se permettre de s’aliéner le parti au pouvoir. En effet, ce même parti au pouvoir octroie les contrats d’impression gouvernementaux205. Dès lors, l’Union nationale peut espérer percer dans la grande presse des années 1940. Certes, les journaux continuent de s’afficher sur le plan éditorial 206 . Néanmoins, une certaine neutralité commence à se faire sentir à d’autres plans, notamment celui de l’information207. Fait intéressant, dans Si l’Union Nationale m’était contée, Paul Bouchard raconte que Joseph-Damase Bégin utilise une ruse en 1948 pour déjouer les journaux les plus réfractaires à la publicité électorale de l’Union nationale. Il explique : Et précisément une de nos réussites en 1948, et nous avons pris les libéraux au dépourvu, ce fut la location de pages complètes dans les journaux libéraux, par l'intermédiaire d'une agence commerciale. Ces journaux ne savaient pas ce qui allait être placé dans leurs pages. Nous nous sommes servis des journaux libéraux pour faire connaître au peuple de la province de Québec les réalisations de l'Union nationale et les idées nationalistes qu'elle défendait208

203 « Duplessis donne à sa Province l’Union Nationale dans Matapédia », 1948, collection personnelle d’Alain Lavigne. 204 « Duplessis gives to his province Rural Electrification », 1948, collection personnelle d’Alain Lavigne. 205 Lévesque, op. cit., p. 612. 206 Ibid., p. 613. 207 Ibid. 208 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 39-40.

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Ce subterfuge orchestré par Bégin permet toute une percée en 1948, assurant à l’Union nationale ce qui lui manque en 1944 pour prétendre faire de la véritable communication de masse. Cela permet également au parti de développer un déploiement publicitaire hors du commun lors du scrutin de 1948.

2.2.3.1 La nouveauté

La publicité dans les journaux s’organise sous le signe de la nouveauté en 1948. Nous remarquons que certaines techniques appartenant au milieu publicitaire commercial sont reprises par les publicistes du parti, à l’instar des campagnes électorales américaines de cette période. Ces techniques traduisent clairement un élément de nouveauté.

D’abord, nous observons un éclatement des façons de faire sur le plan des formats. Si en 1944 nous avons été étonné de voir trois pleines pages, en 1948, force est de constater que cela constitue désormais la norme. Plus encore, nous voyons apparaître la double-page horizontale209 et même la verticale qui fait tourner le journal au lecteur, ce qui est encore plus efficace pour attirer l’attention. Le tiers de page se fait apercevoir, comme les bandeaux qui se multiplient. Toutefois, il n’y a pas que les formes des annonces qui changent : leur contenu, mais surtout la façon de le présenter, se modifient également.

Sur le plan typographique, nous remarquons également un souci de limiter le nombre de typographies différentes dans une même publicité. Le choix des caractères gras, italiques ou même soulignés, sont autant de procédés qui permettent de mieux lire l’affiche, mais aussi de frapper l’imaginaire du lecteur rapidement. Ces éléments de la composition publicitaire servent encore plus le but des publicistes de convaincre en donnant tantôt un style moderne à une publicité, tantôt un style plus recherché. Le jeu des caractères aide à la lisibilité du message qui est transmis210. Ce

209 Annexes C, D et E. 210 C.R. Haas, Pratique de la publicité, Paris, Dunod,1988, p. 296.

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dernier point est important, puisque la publicité représente une des façons dont dispose un parti politique pour entrer directement en contact avec ses électeurs, sans l’intermédiaire du journaliste, du caricaturiste ou de l’éditorialiste211. En effet, les membres de l’organisation d’un parti contrôlent étroitement la teneur du message qu’ils transmettent. Pour cette raison, il est souhaitable pour eux que ce message soit assimilé rapidement, facilement et surtout clairement.

Une autre façon d’attirer le regard de l’électeur est de présenter des visages humains dans la composition de la publicité212. L’ajout de photographies est un autre élément accrocheur qui humanise davantage la publication 213 . De ce fait, ces procédés suscitent le renforcement du sentiment positif engendré par l’annonce. Ces sentiments positifs sont recherchés dans le but de marquer l’imaginaire et de faire bonne impression parmi l’électorat, puisque cela suscite un changement dans les choix de l’électeur.

Un exemple est éloquent : celui d’une publicité double-page recensée à quelques reprises dans les journaux analysés. L’annonce présente entièrement la photo officielle du chef de l’Union nationale, du haut au bas de la page (figure 4). L’œil est attiré immédiatement vers la publicité, puisque sa composition tranche clairement du reste de la composition du journal. Dans sa photo officielle, Duplessis a un air solennel, sûr de lui. Il donne l’impression de savoir où il va, il est sérieux, a l’air convaincu et convaincant. De plus, un petit montage est effectué sur la photo du chef. Il s’agit d’une main qui marque d’une croix un bulletin de vote. Logique après tout, il y a des élections dans l’air. Sur ce bulletin de vote, deux options. En haut : « Duplessis donne à sa province ». En bas : « Les Libéraux donnent aux étrangers ». La main marque d’une croix l’option qui se trouve en haut, celle concernant Duplessis, pour indiquer à l’électeur la marche à suivre. De plus, la publicité est d’une compréhension aisée. Maurice Duplessis est seul à être représenté : il est donc facile à reconnaître, puisque l’option « Duplessis donne à sa province » est cochée sur le bulletin de vote collé sur la photo. L’annonce associe donc le visage sur la photographie au choix du bulletin de vote. Reste l’autre option de vote, implicite : qui voudrait voter pour un groupe de personnes

211 André Gosselin, « La publicité électorale », Les Études de communication publique, cahier numéro 11, Québec, Université Laval, 1997, p. 6. 212 James J. Mullen, « Newspaper Advertising in the Kennedy-Nixon Campaign », Journalism Quarterly, vol. 40, no. 1, 1963, p. 5. 213 Ibid.

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qui donnent à d’autres? Le choix est donc clair : les électeurs doivent voter pour Maurice Duplessis. Il s’agit d’ailleurs d’un élément relevant la forte personnalisation de cette campagne. Nous en reparlerons plus tard.

Figure 4 : « Duplessis donne à sa province. Les libéraux donnent aux étrangers », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 27 juillet 1948, pp. 36-37).

Cette publicité est fort habile et claire. Elle possède peu de mots; elle est imagée, simple à comprendre et elle présente en double-page l’homme de la situation : le chef de l’Union nationale. Elle rencontre ainsi plusieurs de nos indicateurs des méthodes électorales à l’américaine. Parue dans tous les journaux analysés, la publicité « Duplessis oriente sa province » (figure 5) est aussi évocatrice. D’abord, son format pleine page impressionne, mais sa composition marque davantage. Un peu dans le même esprit que la publicité précédente, elle est facile à comprendre. L’œil est attiré immédiatement vers la photo de Duplessis, une fois de plus, se trouvant dans une rose des vents. Il s’agit d’un signe qu’il sait où il se dirige : vers le progrès! L’œil remarque aussi

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un deuxième élément : les mots « DUPLESSIS » et « PROGRÈS », mis en caractère gras et majuscules. Ensuite, nous remarquons en bandeau dans le bas de la page le slogan tronqué de l’élection : « DUPLESSIS donne à sa PROVINCE ». Enfin, plusieurs inscriptions se trouvent autour du montage de la photo officielle de Duplessis. Il s’agit d’une énumération plus traditionnelle de réalisations accordées à Maurice Duplessis. Ces réalisations sont associées directement à l’idée du progrès, ce que laisse comprendre la composition de l’image. De plus, la publicité est facile à comprendre : elle ne comprend pas plus que trois typographies différentes214. Bref, plusieurs techniques publicitaires réputées performantes identifiées plus tôt se retrouvent ici, participant à la simplicité de lecture, soit l’une des caractéristiques des publicités des campagnes électorales à l’américaine.

2.2.3.2 L’abondance et la cohérence

L’abondance de publicités est marquante lors de cette campagne électorale de l’Union nationale en 1948. La veille de l’élection, trois pleines pages sont recensées dans La Patrie seulement, soit autant que dans toute la campagne de l’élection précédente. Certes, le contexte n’est pas le même. Il n’en demeure pas moins que cette journée qui précède le suffrage nous donne une idée du reste de la campagne. L’abondance dans cette campagne publicitaire s’observe également dans le contenu qui est transmis. En effet, l’équipe de l’Union nationale utilise souvent à profusion l’énumération d’accomplissements ou de promesses dans ses publicités.

214 Comme nous l’avons vu plus tôt, les publicitaires commerciaux ont établi des règles quant à l’utilisation des typographies, notamment en les limitant à trois dans une même annonce.

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Figure 5 : « Duplessis oriente sa province vers le progrès », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juillet 1948, p. 41).

De plus, on ne peut reprocher à l’équipe publicitaire de l’Union nationale de ne pas manquer de cohérence. En effet, les thèmes centraux du discours de Maurice Duplessis dans cette campagne électorale, sont bien exploités par les annonces créées pour l’occasion. D’ailleurs, le slogan de la campagne incarne les politiques du parti et les valeurs du chef. Il s’agit du point central de la communication du parti lors de l’élection de 1948, un peu à l’image de la campagne d’Eisenhower en 1952215. Comme aux États-Unis, l’idée est de transmettre un message simple. Tel que mentionné plus tôt, certains procédés typographiques nouveaux peuvent permettre la clarification d’une annonce. Toutefois, le message doit lui aussi être simple pour la compréhension. Le slogan « Les Libéraux donnent aux étrangers; Duplessis donne à sa province » le laisse ainsi entendre. Ce slogan incarne le message de cette campagne : les Canadiens français obtiennent plus avec l’Union nationale que sous les libéraux fédéraux comme provinciaux. Ce slogan relève aussi de la promesse électorale. Il rappelle toutes les réalisations de Maurice Duplessis dans ses derniers mandats, mais aussi la continuité de son action pour les années à venir. Il évoque quelque peu le slogan

215 Lavigne et Cantin, loc. cit., p. 33.

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d’Eisenhower en 1952 aux États-Unis : « It’s time for a change! ». Toutefois, ce dernier promet du changement au lieu de la continuité 216.

La cohérence de la campagne de l’Union nationale réside aussi dans le fait que ce message transmis par le slogan de l’organisation est répété de nombreuses fois dans les annonces du parti. Le message est alors le pivot des communications. La répétition, un de nos indicateurs des techniques publicitaires réputées performantes, est un des points marquants de cette campagne. Nous l’avons vu, le slogan fait partie de la composition des publicités analysées ci-haut. La récurrence de cette formule est très grande. En fait, elle se trouve partout. Dans sa forme complète, mais surtout dans sa forme tronquée, à l’instar des brochures.

De plus, il n’y a pas que le slogan qui est répété, mais aussi les thèmes, les promesses et les réalisations. D’abord, relevons la série « Duplessis a donné » (figure 6). De nombreuses publicités de la sorte sont parues dans les journaux analysés au cours de la campagne de 1948. Ces publicités sont sous la forme du quart de page et sont toujours composées de la même façon. Dans le coin supérieur gauche nous retrouvons le slogan complet de l’élection. Puis, en caractères gras, la phrase suivante : « DUPLESSIS a donné ». Le nom de Duplessis est en majuscule, ce qui le fait ressortir aux côtés des autres informations de la publicité. Ce qui intéresse, ce sont les réalisations quantifiées de l’Union nationale qui sont présentées tout de suite après « DUPLESSIS a donné ». Un exemple : « DUPLESSIS a donné $5,428,554.08 depuis 1944 ». Après le slogan, un texte suit avec des caractères plus petits : « pour construire, agrandir et réaménager des écoles primaires dans la Province ». Puis, il y a un autre texte si petit qu’on peine à le lire. Il est alors mention que Duplessis est conscient de l’importance de l’éducation au Québec pour les générations à venir. Une énumération décline les diverses mesures adoptées grâce à cet investissement : « édifices modernes », « innovation dans les méthodes d’enseignement », etc. La publicité se termine par une phrase qui fait écho au slogan : « Les Libéraux donnent des milliards de notre argent aux étrangers ». L’œil retient de tout ce texte trois informations clé : Duplessis a donné plus de cinq millions de dollars depuis 1944. En plus de quantifier des actions concrètes de l’Union nationale, le fait d’insister sur un montant aussi précis – 5 428 554.08 $ - procure une impression de contrôle des

216 Ibid.

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finances publiques. Il engendre également l’impression que Duplessis maîtrise bien ses dossiers. Cette fois encore, le message est simple à comprendre : nul besoin de lire toute l’annonce pour en saisir l’essentiel. .

Figure 6 : « Duplessis a donné », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 4 juillet 1948, p. 91).

Parue dans de nombreux journaux, la série « Le thermomètre de la victoire » consiste en un bandeau vertical où les degrés d’un thermomètre sont remplacés par des réalisations de l’Union nationale (figure 7). Plus les réalisations s’accumulent, plus le mercure monte, plus le parti s’approche de la victoire. Cette publicité reprend la technique très connue de l’énumération, pour donner une impression d’abondance. Cependant, la présentation innove. L’idée du thermomètre, le choix de la police de caractère, la reprise du slogan, en bref, la forme de cette publicité modernisent la technique de l’énumération, puisque la forme de la publicité a été pensée pour convaincre. « Le Thermomètre de la victoire » présente aussi une utilisation de la technique de la répétition, puisqu’il

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a été utilisé de façon très fréquente pendant toute la campagne électorale217. À chaque fois que la publicité est présentée, une réalisation s’ajoute jour après jour, au rythme d’un degré supplémentaire, et le mercure monte de plus en plus. D’ailleurs, au fil de la campagne, le thermomètre s’allonge jusqu’à ce que le bandeau prenne toute la longueur de la page. Selon toute évidence, la journée précédant le scrutin le thermomètre atteint le sommet, « la victoire », avec la dernière réalisation de l’Union nationale qui est énumérée : « UN DRAPEAU », en caractère gras et majuscule. Le drapeau est sans conteste la dernière mesure présentée, il s’agit certainement de l’une des thématiques qui revient le plus pendant cette campagne.

Figure 7 : « Le thermomètre de la victoire », (1948), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 21 juillet 1948, p. 5).

217 Nous ne pouvons pas dresser un schème de répétition précis, puisque les publicités ne reviennent pas nécessairement toujours à la même fréquence dans les journaux analysés. Cependant, nous avons remarqué que cette publicité revient plusieurs fois par semaine dans les journaux francophones dépouillés.

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Force est de constater que plusieurs méthodes publicitaires identifiées se retrouvent dans la campagne de l’Union nationale en 1948. En effet, cette campagne électorale, point tournant de notre analyse, permet de montrer les éléments de la recette unioniste en termes publicitaire : innovation, répétition, simplicité et abondance. De plus, ces quatre éléments se rattachent au nouveau style de campagne électorale à l’américaine qui se développe alors.

2.3 Personnalisation de la campagne

La personnalisation d’une campagne est certainement un des points les plus importants des méthodes électorales à l’américaine. Elle s’observe notamment lorsqu’un parti politique est éclipsé par une personnalité politique, souvent le chef. Elle se remarque également lorsqu’un effort de construction d’une image se fait pour mieux « vendre » ledit chef218. Lors de l’élection de 1948, Maurice Duplessis incarne carrément sa formation politique. En fait, le slogan de campagne « Les Libéraux donnent aux étrangers, Duplessis donne à sa province » en dit long. Bien que le slogan évoque la principale formation politique adverse de l’Union nationale, elle est mise sur le même pied que le chef du parti. Autrement dit, le slogan compare le Parti libéral à Maurice Duplessis et non à l’Union nationale, ce qui aurait été tout à fait juste dans une logique de comparaison entre partis politiques.

De plus, le slogan se décline de nombreuses fois sous une forme tronquée lors de cette campagne électorale. À chaque fois, le nom du chef du parti est accolé à une action ou à un fait : « Duplessis donne … », « Duplessis oriente … », « Duplessis l’ami de … ». Le nom de Duplessis est mis également en surbrillance dans certaines affiches et dans les brochures. Le nom de l’Union nationale apparaît seulement dans l’un des coins inférieurs des publicités où il est possible de lire en tout petit le nom du commanditaire de l’annonce : « Organisation de l’Union Nationale ». De toute évidence, il arrive d’apercevoir plus clairement le nom du parti mais, règle générale, Maurice Duplessis fait définitivement l’objet central de la promotion.

218 Christian Delporte, « De la propagande à la communication politique. Le cas français », Le Débat, 2006, 1, 138, p. 42.

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Au-delà du nom, c’est un véritable personnage qui se construit autour de Duplessis. D’abord, une nouvelle photo officielle du Premier ministre est publiée en 1948. Elle est réutilisée constamment dans la communication du parti. Sur cette photo, il apparaît debout et regarde droit devant, ce qui laisse l’impression qu’il sait où il s’en va. Aussi, il tient une paire de lunettes dans une de ses mains, ce qui suscite une impression de sérieux : Maurice Duplessis dégage ainsi une image de chef d’État. Dans une série de publicités, Duplessis est présenté comme l’ami des humbles, puis des colons et des ouvriers. Le mot « ami » en dit long sur la façon dont l’organisation électorale veut dépeindre l’homme politique. Il s’agit d’un terme familier, qui évoque un lien privilégié de l’électeur avec Duplessis : l’évocation de l’amitié implique une relation de confiance. Dans le texte de la publicité « Duplessis ami des ouvriers », on peut lire la phrase suivante : «Sécurité syndicale, augmentations de salaires, meilleures conditions de travail, voilà les trois principales réalisations de ce grand chef en qui l'ouvrier reconnaît UN AMI sincère, loyal et dévoué219 ». Ce texte accole trois qualificatifs qui contribuent à la construction d’une personnalité politique « Maurice Duplessis », ce qui peaufine davantage son image de politicien responsable, généreux, compatissant et défenseur des droits des Canadiens français. Ainsi, cette personnalité politique est plus à même d’attirer la sympathie de l’électorat.

En bref, la personnalisation de la communication électorale de l’Union nationale passe par l’éclipse du parti au profit de son chef, Duplessis, et de son image construite de politicien : un homme de confiance, près des gens, responsable et dévoué à son rôle de Premier ministre.

2.4 Les budgets

De toute évidence, de grands budgets sont consacrés étant donné l’importance de la campagne publicitaire de l’Union nationale. Les espaces de publicité dans les journaux étudiés et les plages horaires à la radio abondent, sans compter tous les produits publicitaires créés par l’Union nationale: les films de propagande, les objets promotionnels, les panneaux-réclame, les

219 La Patrie, 16 juillet 1948, p. 14-15.

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défilés et autres assemblées220. Bien qu’il demeure difficile de se prononcer exactement sur les montants impliqués dans cette élection, plusieurs intervenants insistent sur le caractère inédit de cette campagne, tant sur le plan financier que communicationnel221. En fait, en se fondant sur les écrits de Denys Arcand, Lavigne avance le chiffre de trois millions de dollars222. Bien qu’il faille rester prudent avec ces données, cette estimation effarante pour le Québec de cette époque, semble coller aux résultats de cette campagne. De plus, ces sommes sont similaires à celles investies par le Parti républicain aux États-Unis lors de la campagne de 1952, soit 3,4 millions de dollars223. L’argent devient le nerf de la guerre.

3. Conclusions préliminaires

À bien des égards, la campagne électorale de l’Union nationale de 1948 est un point tournant dans l’utilisation des méthodes électorales à l’américaine. Déjà, la campagne se termine avec l’élection d’une des majorités parlementaires les plus écrasantes remportées par un parti politique au Québec. Plus encore, il s’agit de la première campagne méthodique jamais organisée dans la province. La plupart des caractéristiques des campagnes électorales à l’américaine se déploient lors de l’élection de 1948, qu’il s’agisse du recours aux professionnels, de l’utilisation des médias de masse et de techniques publicitaires réputées performantes, de la personnalisation de la communication et des budgets considérables.

La campagne unioniste débute avec la nomination de Joseph-Damase Bégin comme organisateur en chef pour l’ensemble de la province. Après avoir été chargé de quelques

220 Voir l’ouvrage d’Alain Lavigne, op.cit., pp. 84 à 104 pour un recensement des produits électoraux de l’Union nationale lors de l’élection de 1948. 221 Arcand, op cit., p. 406; Lavigne, op cit., p. 84; Marc-André Robert, « Introduction historique – 23e législature, 1ère session », Débats de l’Assemblée législative [en ligne], Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2008, consulté le 4 mai 2014. http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/introduction-historique.html 222 Lavigne, op. cit., p. 84. 223 L’élection présidentielle de 1952 aux États-Unis est considérée comme la première à rencontrer les cinq caractéristiques des nouvelles méthodes électorales à l’américaine. Kathleen Hall Jamieson, Packaging the Presidency. A history and criticism of presidential campaings adverstising, New York Oxford, Oxford University Press, 1984, p.44; Melvyn H. Bloom, Public Relations and Presidential Campaigns : A Crisis in Democracy, New York, Crowell, 1973, p.45.

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responsabilités au cours de l’élection précédente, il prend la tête de l’organisation électorale pour toute la province. Quelques temps plus tard, il nomme Paul Bouchard comme directeur de la propagande. Bouchard devient ainsi le bras droit de Bégin. Ainsi, ces responsables se constituent en professionnels de la communication en temps d’élection pour leur parti, orchestrant les slogans, le développement publicitaire et toute une équipe de candidats. Cette organisation centralisée avec les responsabilités de Bégin et les tâches accomplies par son équipe, correspondent au recours à des professionnels, soit l’un des indicateurs des campagnes électorales à l’américaine. Un autre élément ressortit aux efforts de segmentation et de ciblage de certains publics. Plus encore, le slogan de cette organisation électorale en 1948 est en soi un élément typique des campagnes américaines. En effet, cette phrase : « Les Libéraux donnent aux étrangers, Duplessis donne à sa province », s’inscrit dans le contexte politique de l’époque. Elle identifie Duplessis tel un bienfaiteur pour sa province. Sa forme tronquée, « Duplessis donne à sa province », est martelée littéralement dans la campagne de l’Union nationale, la phrase apparaissant dans presque tous les produits publicitaires recensés. Elle est même déclinée dans de nombreux types de communications. Encore une fois, ce martèlement nous rappelle les nouvelles campagnes électorales aux États-Unis.

Nous avons également remarqué une abondance de publicités publiées et de la nouveauté dans les techniques publicitaires utilisées, qui s’apparentent à celles en usage aux États-Unis. Parmi ces techniques, relevons la simplification des messages, la répétition et les procédés typographiques. Cette saturation des médias de masse est également révélatrice d’un budget de campagne imposant en comparaison à celui de leurs adversaires libéraux. Enfin, le dernier élément de nos éléments de comparaison avec les publicitaires américains, mais non le moindre, est la personnalisation de la communication. Sans aucun doute, Duplessis éclipse sa formation politique lors de cette élection. Nous assistons ainsi en 1948 à la construction d’un personnage avec la mise en valeur de certaines qualités propres aux valeurs de Duplessis. L’organisation unioniste offre donc une image de bon père de famille, responsable, généreux et protecteur entre autres, image qui est mise de l’avant par une foule de procédés. Une seule lacune se dégage au tableau comparatif : le recours aux sondages et aux études pré-électorales ne semble pas avoir été utilisé, même si les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale travaillent à l’élaboration du slogan du parti dès 1947.

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CHAPITRE 3

De la continuité à l’apogée : les élections générales provinciales de 1952 et de 1956

Les élections générales provinciales de 1956 sont les dernières remportées par Maurice Duplessis. À plusieurs égards, cette campagne a marqué les observateurs de l’époque, et marque encore les historiens d’aujourd’hui par sa démesure. Après le scrutin, Pierre Laporte fait paraître dans le journal Le Devoir « Les élections ne se font pas avec des prières », une enquête approfondie au sujet des dépenses électorales de l’Union nationale lors des dernières élections224. Les budgets faramineux mobilisés à l’occasion par les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale dérangent. Toutefois, l’investissement apporte des gains significatifs. Les méthodes électorales à l’américaine permettent de porter le parti à des sommets qui n’ont encore jamais été atteints. Parcourons le chemin qui mène à cette apogée, en jetant un regard sur les élections de 1952, puis en analysant les élections de 1956.

1. Situation politique et économique dans le Québec des années 1950

Fort d’une situation économique stable et favorable au gouvernement, « le Chef » est bien en selle depuis 1948. Cependant, les contestations apparaissent après trois élections victorieuses. La popularité de Maurice Duplessis fluctue d’un groupe social à l’autre, d’une année à l’autre. De

224 Pierre Laporte, « Les élections ne se font pas avec des prières », Recueil d’articles publiés entre le 1er octobre et le 7 décembre dans Le Devoir, Montréal, 1956, 46 p.

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plus, les libéraux provinciaux forment une opposition affaiblie, qui peine à se remettre de ses échecs des scrutins précédents. Cette situation pénible se reflète dans la campagne électorale qu’ils mènent au printemps et à l’été 1956. Leurs budgets sont maigres, alors que du côté unioniste, ils sont plus imposants que jamais. Encore une fois, les thèmes abordés par l’Union nationale ont tôt fait de rallier l’électorat, que l’on pense au scandale des œufs communistes ou au développement de l’Ungava. Dans le contexte de méfiance de la Guerre Froide, les unionistes remportent les élections de 1952 et de 1956. Le scrutin se déroule donc sous le signe de la continuité et des contestations.

1.1 La continuité

Ces années constituent véritablement une période de continuité pour Maurice Duplessis. Après douze années consécutives à former le gouvernement, les ramifications de son organisation sont bien établies. René Chaloult, député indépendant, perçoit même de l’arrogance dans la façon de gouverner de Duplessis225. « Il exerce un contrôle rigide sur son parti226 » et laisse le soin aux députés de distribuer « les faveurs publiques », soit les postes dans l’administration publique, et les contrats gouvernementaux227. La victoire convaincante de 1948 consolide les acquis de 1944 et affecte grandement l’opposition libérale. En réaction à leur cuisante défaite, les libéraux se dotent d’un nouveau chef en 1950 : Georges-Émile Lapalme. Force est de constater que ce nouveau chef n’est pas capable de rallier l’électorat, puisque deux ans après sa nomination, il perd les élections de 1952. Les résultats du scrutin laissent le Parti libéral dans un état lamentable, mais ils assurent la mainmise continue des rênes du gouvernement aux troupes de Maurice Duplessis.

225 René Chaloult, Mémoires politiques, Montréal, Éditions du jour, 1969, p. 182. 226 Olivier Côté, « Introduction historique – 23e législature, 4e session », Débats de l’Assemblée législative [en ligne], Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2009, consulté le 12 janvier 2015. 227 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., pp. 362-363.

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1.1.1 Les élections générales provinciales de 1952

Les élections générales provinciales se déroulent le 16 juillet 1952. Ces élections se tiennent dans le contexte de l’accélération de l’industrialisation228. En effet, le développement industriel suscite une série de conflits de travail entre 1948 et 1952, conflits qui mettent le gouvernement unioniste dans l’eau chaude. Bien que les deux grandes centrales syndicales de l’époque, la Confédération des travailleurs catholiques (CTCC) et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), donnent la consigne à leurs membres de ne pas voter pour l’Union nationale, Duplessis réussit à détourner le regard de ces problèmes sociaux en revenant sur le thème de l’autonomie provinciale 229 . De plus, des candidats unionistes et libéraux fédéraux dans plusieurs circonscriptions concluent des pactes de non-agression 230. Enfin, « l’organisation ministérielle expérimente une arme qui sera employée sur une grande échelle à l’élection suivante : l’accusation de communisme porté [sic] contre certains libéraux en vue 231 ». La campagne se déroule relativement bien pour le parti de Maurice Duplessis. Les députés unionistes présentent aux électeurs une liste de réalisations considérables, alors qu’il n’en est rien pour le Parti libéral232. Le slogan électoral créé pour l’occasion en dit long : « Laissons Duplessis continuer son œuvre233 ». De nouveau, Maurice Duplessis remporte une majorité. Toutefois, elle est moins imposante. En effet, le parti perd quatorze sièges par rapport à l’élection précédente234. Néanmoins, l’élection consacre la continuité pour un cavalier bien en selle, tout comme pour le Parti libéral, relégué à nouveau au rang d’opposition officielle.

228 Paul Cliche, Les élections provinciales dans la province de Québec, 1927-1956, mémoire (sciences politiques), Université Laval, 1960, p. 93. 229 Cliche, op. cit., p. 93-94. 230 Lévesque, op. cit., p. 113. 231 Cliche, op. cit.,p. 94. 232 Ibid. 233 Lavigne, op. cit., p. 106. 234 Cliche, op. cit., p. 95.

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1.1.2 Une opposition affaiblie

La défaite des Libéraux en 1952 correspond au troisième échec de leur formation politique. Le Parti libéral ne réussit pas depuis 1944 à rallier la majorité des suffrages électoraux. Plusieurs facteurs internes et externes au parti, justifient cette série de revers.

À la suite de l’élection de 1948 au cours de laquelle Adélard Godbout, chef de la formation politique n’est même pas élu, les troupes libérales connaissent un état important de désorganisation. Michel Lévesque note que, « avec seulement huit députés, des relations tendues avec l’aile fédérale et un adversaire politique bien en selle pour les quatre prochaines années, ceux- ci [les libéraux], vont devoir s’atteler à la difficile tâche de reconstruire leur parti s’ils veulent espérer reprendre le pouvoir à Québec235 ». Le parti doit se reconstruire après la défaite de 1948236. D’abord, Adélard Godbout quitte la chefferie du parti dans la foulée de la victoire de l’Union nationale. Après son départ, un congrès est organisé en mai 1950 afin de nommer son remplaçant. Vu les tensions présentes entre libéraux provinciaux et fédéraux, l’establishment du parti décide de placer à la tête de l’aile provinciale un des leurs, soit, au dire de Michel Lévesque, quelqu’un de plus « malléable237 ». Le député fédéral Georges-Émile Lapalme est donc désigné par l’équipe libérale. La nomination de Lapalme au congrès semble être une formalité, mais la tâche s’annonce plus difficile à accomplir.

En effet, il y a de l’opposition parmi certains libéraux provinciaux qui regimbent de voir un chef leur être encore imposé, sans pouvoir dire un mot. Pour plusieurs militants, la nomination offre flanc aux critiques de Maurice Duplessis, « qui ne cesse de qualifier les libéraux provinciaux de « valets d’Ottawa238 ». De plus, l’autonomie du parti au Québec est compromise aux yeux de ces réfractaires 239. Le congrès de nomination devait unir les forces libérales : il sème plutôt la division240. Après plusieurs tractations et compromis, l’aile fédérale convainc certains militants

235 Lévesque, op. cit., p. 107. 236 Ibid. 237 Ibid. 238 Ibid., p. 108. 239 Ibid. 240 Ibid., p. 111.

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dissidents d’élire Lapalme, avec la promesse de la création de la Fédération libérale du Québec (FLQ), dans le but de montrer une certaine indépendance à l’endroit d’Ottawa241. À la suite de son élection, Georges-Émile Lapalme met effectivement en place la FLQ et apporte des modifications à l’organisation libérale, notamment à Montréal 242 . Cependant, le parti traverse une période difficile. Sa reconstruction est une lourde entreprise pour le peu de temps qu’il reste avant les élections générales provinciales de 1952243, d’autant plus que Lapalme découvre que l’organisation est « à toutes fins utiles, inexistante244 ». Même si un nouveau programme fondé sur le thème de la justice sociale est réfigé pour ces élections, une autre défaite attend les troupes libérales en juin 1952. Seuls vingt-trois candidats sont élus245.

« Après trois défaites électorales consécutives, 1944, 1948 et maintenant celle de 1952, la capacité du Parti libéral provincial à remporter les élections est de plus en plus mise en doute246 », constate l’historien Michel Lévesque. La situation n’est pas rose avec les difficultés financières, le manque de personnel politique, le problème des « collabos247 » qui persiste et le sabotage des campagnes de certains candidats par des libéraux fédéraux248. Sous ces auspices, la campagne de 1956 ne s’annonce guère profitable pour Lapalme249. Pourtant, malgré la zizanie qui règne au sein du Parti libéral, Maurice Duplessis ne recueille pas un appui unanime au Québec. Le vent des contestations se lève et souffle de plus en plus depuis quelques années.

1.1.3 Les contestations

En dépit de la popularité certaine de Maurice Duplessis et ses réélections successives, tous les citoyens du Québec ne sont pas en accord avec les mesures prises par son gouvernement. En effet, un mouvement de contestation naît dès la fin des années 1940, et augmente tout au long des

241 Ibid., p. 112. 242 Vincent Lemieux, Quatre élections provinciales au Québec, 1956-1966, Québec, Presses de l’Université Laval, 1969, p. 8. 243 Lemieux, op. cit., p. 8; Lévesque, op. cit., p. 112-113. 244 Lévesque, op. cit., p. 114. 245 Lévesque op. cit., p. 115. 246 Ibid., p. 117. 247 Ibid., p. 113. La question des « collabos », c’est-à-dire celle engendrée par des pactes de « non-agression » entre des candidats libéraux et unionistes d’une même circonscription électorale est un des grands enjeux. 248 Ibid., p. 128. 249 Genest, op. cit., p. 194.

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années 1950. Ce mouvement ne conteste pas uniquement le Premier ministre, mais aussi de façon plus générale, « les valeurs du nationalisme traditionnaliste ainsi que l’état général de la société québécoise250 ».

1.1.3.1 Les premiers foyers contestataires

Ces foyers contestataires se retrouvent au sein de petits groupes communistes, socialistes et progressistes du côté anglophone251. Parmi les francophones, les foyers se développent plutôt au sein de la communauté artistique, ainsi que chez les écrivains et les enseignants. Pensons au Refus global, paru en 1948, qui exprime l’impatience et la volonté de changement au Québec252. En fait, les positions idéologiques fusent de partout au cours de cette période. Signalons le foyer de Cité- libre, une revue mettant de l’avant des idées du courant libéraliste réformiste. Mentionnons aussi le journaliste André Laurendeau, l’un des principaux porte-parole du courant néo-nationaliste253. Au-delà de ces mouvements plus marginaux, certains groupes constituent une opposition bien établie face au gouvernement en place.

La grève de l’amiante en 1949 est un moment important de cette contestation254. Certains groupes syndicaux comme la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) deviennent les porte-étendards des revendications liées au milieu du travail. Les mouvements syndicaux prennent parti afin de revendiquer de meilleures conditions de travail pour la main d’œuvre. Toutefois, le quotidien Le Devoir fournit l’opposition la plus farouche à Maurice Duplessis.

250 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 349. 251 Ibid. 252 Ibid. 253 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 350. 254 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 349.

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1.1.3.2 L’ennemi numéro un : Le Devoir

Bien que Le Devoir appuie l’Union nationale en 1944, puis incline vers des positions plus neutres au tournant des années 1940, le quotidien adopte en 1956 une attitude anti-duplessiste. La question de l’autonomie provinciale étant au cœur des préoccupations de l’équipe éditoriale du journal, le soutien à l’Union nationale apparaît logique auparavant. Cependant, les éditeurs du Devoir amorcent la couverture des élections de 1956 par la publication d’un dossier nommé « L’Union nationale telle qu’elle est » sur les années Duplessis. En couverture, on retrouve une caricature de Duplessis sous forme de pieuvre qui étouffe la province de Québec personnifiée par une jeune fille255. Ce dossier est qualifié de « dévastateur » par Alain-G. Gagnon et Michel Sarra- Bournet256 : « Le quotidien ne néglige aucun aspect : que ce soit dans le domaine de l'éducation, de l'habitation ou du développement économique, que ce soit sur le plan de la qualité de la vie démocratique ou des revendications autonomistes, l'administration Duplessis est passée au crible et en ressort passablement amochée257 ». Cette conclusion est aussi partagée par les contemporains de la période. Connu pour son appui fervent à l’Union nationale, Robert Rumilly qualifie cette sortie du Devoir de « violente258 ». Éditeur en chef du Devoir au moment de l’élection de 1956, Gérard Filion écrit, nullement repentant, les lignes suivantes :

Mais nous estimons qu'après douze ans d'administration ininterrompue un gouvernement doit rendre des comptes au peuple. Car c'est bien là le fait capital : M. Duplessis est le premier ministre depuis 1944 : il a dirigé les destinées de la province dans des conditions extrêmement favorables : période d'expansion économique, absence d'opposition parlementaire. Sur le plan purement administratif, il ne peut plaider circonstances atténuantes. Nous avons donc le droit de lui demander un compte strict de ses actes administratifs sous le rapport de l'efficacité et de l'honnêteté. A-t-il donné à la province de Québec une administration progressive et honnête ?259

255 Rumilly, op. cit., p. 565. 256 Alain-Gustave Gagnon et Michel Sarra-Bournet, Duplessis : entre la grande noirceur et la société libérale, Montréal, Québec/Amérique, 1997, p. 69 ; Rumilly, ibid. 257 Gagnon et Sarra-Bournet, loc. cit. 258 Rumilly, loc. cit. 259 Gagnon et Sarra-Bournet, op. cit., p. 70.

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Ces critiques du Devoir envers le régime Duplessis se développent après la parution du rapport de la Commission Tremblay. Créée en 1953 dans la foulée de l’instauration d’un impôt québécois sur le revenu, cette commission vise à « faire le point dans les relations fédérales-provinciales260 » et à « essayer de bâtir une argumentation et un dossier cohérent en faveur de la thèse autonomiste261 ». Trois ans après sa création, le commissaire Thomas Tremblay dépose son rapport en 1956. Un rapport attendu, surtout en ces temps où la question de l’autonomie provinciale intéresse plusieurs acteurs politiques de la province. Maurice Duplessis ne répond pourtant pas comme on aurait pu s’attendre aux conclusions du rapport. En effet, il retient le rapport pendant près d’un mois après sa sortie. Puis, lorsqu’il le rend public, il le remet à certains médias spécifiques262. Le Devoir ne fait pas partie de ces journaux qui peuvent mettre la main sur une copie. La relation entre l’équipe de rédaction du quotidien et Duplessis est donc mise à mal, à cause de la remise de ce rapport gardé « quasi-clandestin »263 et ce, quelques mois seulement avant les élections.

Après toutes ces années au pouvoir et plusieurs événements ayant miné la confiance, les foyers de contestations face à Duplessis sont de plus en plus nombreux. Certes, l’Union nationale possède toujours certains acquis comme le Montréal-Matin, mais la perte de l’appui du Devoir, n’est tout de même pas négligeable. Néanmoins, l’influence du parti de Maurice Duplessis demeure grande surtout considérant que le contexte économique est plutôt favorable.

1.2 La stabilité

Au déclenchement des élections, la province de Québec est en pleine période de prospérité économique, une prospérité qui nourrit la popularité politique. Le Québec connaît alors une croissance économique quasi-ininterrompue au cours des années 1950. « Le peuple est de bonne humeur » disent les organisateurs [électoraux]264 », selon Jean Hamelin et André Garon dans

260 René Durocher et Michèle Jean, « Duplessis et la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, 1953-1956 », Revue d’Histoire de l’Amérique française, vol. 25, no. 3, 1971, p. 339. 261 Ibid. 262 Ibid., p. 358-359. 263 Ibid., p. 360. 264 Jean Hamelin et André Garon, « La vie politique au Québec de 1956 à 1966 », dans Vincent Lemieux (dir.), Quatre élections provinciales au Québec : 1956-1966, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1969, p. 6.

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Quatre élections provinciales au Québec. Le taux de chômage est à son plus bas à 2,9% en 1951; il se maintient autour de 4 à 5% jusqu’en 1956, année électorale265. De toute évidence, le taux d’emploi satisfait les citoyens au Québec, ce qui garantit des gains sur le plan politique pour un gouvernement au pouvoir. Duplessis bénéficie donc d’un contexte économique favorable au développement d’emplois au Québec. Selon les historiens John Dickinson et Brian Young, « l’avènement de la société de consommation au Canada, la reconstruction de l’après-guerre en Europe et la demande américaine d’acier pendant la guerre de Corée créèrent d’excellents débouchés pour certaines ressources du Québec : minerai de fer, aluminium et amiante266 ». En bref, le climat est favorable au gouvernement267.

Sans affirmer que la situation est semblable pour tous les groupes de la société, « les conditions de vie, même pour les plus démunis, sont nettement meilleures que celles qui prévalaient pendant les années 1930268 ». En fait, une amélioration générale de la qualité de vie s’observe dans les années 1950 au Québec269. Elle se reflète dans plusieurs aspects : l’habitation, l’accès aux services et le pouvoir d’achat, pour ne nommer que ceux là270. De plus, le pouvoir d’achat des Canadiens français augmente avec une hausse générale des revenus271. Le pouvoir d’achat « permet en outre un accroissement généralisé de la consommation, stimulée par un appareil publicitaire de plus en plus présent, auquel l’expansion de la radio et de la télévision ouvre des avenues nouvelles 272 ». En bref, les années 1950 représentent un terreau fertile pour l’administration Duplessis, grâce à la stabilité sociale et au progrès économique.

265 John A. Dickinson, Brian Young, Brève histoire socio-économique du Québec, Québec, Septentrion, 2003, p. 314. 266 Dickinson et Young, op. cit., p. 313. 267 Linteau, Durocher et Robert, op. cit.,p. 320; Lemieux, op. cit., p. 6; Cardinal, Lemieux et Sauvageau op. cit., p. 43. 268 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 319. 269 Ibid., p. 320. 270 Ibid., p. 319-320. 271 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 319. 272 Ibid., p. 320.

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1.3 Le déclenchement et le déroulement des élections

Les élections générales provinciales sont déclenchées au printemps 1956 dans ce contexte. Les libéraux débutent l’organisation de leurs troupes un peu avant le déclenchement, afin de s’assurer d’avoir une longueur d’avance sur « la machine » unioniste273. À cet effet, le politologue Paul Cliche note qu’« il est encore trop tôt pour que l’attention de la majorité des électeurs soit dirigée sur la campagne qui ne fait que s’amorcer274 ». Cependant, le ton de la campagne change au fur et à mesure que l’Union nationale accélère le rythme de ses communications. À partir de ce moment, « les libéraux perdent contenance275 », selon Paul Cliche : « Ils cessent d’exposer leur programme et attaquent furieusement la « dictature duplessiste » et les « scandales du régime ». La campagne se poursuit sur ce ton jusqu’à la dernière journée276 ».

L’opposition libérale et les créditistes sont désemparés devant la puissance de la machine unioniste. Cette dernière multiplie non seulement la publicité, mais aussi les interventions et les manifestations. Le constat des analystes est le suivant au moment des élections: « les libéraux ne sont pas prêts277 ».

1.3.1 Les thèmes de l’élection

Selon toute vraisemblance, les élections se suivent et se ressemblent pour l’Union nationale. En effet, plusieurs thèmes exploités par le parti de Maurice Duplessis, reviennent constamment depuis 1944. Le politologue Vincent Lemieux souligne que, « En 56, on parle beaucoup des réalisations du gouvernement, mais on exploite beaucoup l'anticommunisme aussi278 ». En plus de ces thèmes, le développement de l’Ungava et la question de l’autonomie provinciale restent populaires.

273 Cliche, op. cit., p. 103. 274 Ibid., p. 104. 275 Ibid. 276 Ibid. 277 Lemieux, op. cit., p. 8. 278 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 43.

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1.3.1.1 L’autonomie provinciale

D’abord, l’autonomie provinciale. Cheval de bataille incontesté du Premier ministre du Québec, ce thème est utilisé de nouveau et à profusion. L’autonomie provinciale est dans l’air du temps avec la publication du rapport de la Commission Tremblay en février 1956 279 . Cette commission, mise sur pied par Duplessis en 1955, « part du principe qu’il y a problèmes constitutionnels et invite la Commission à soumettre des recommandations pour la «sauvegarde des droits» de l’État du Québec et des gouvernements locaux qui sont sous sa juridiction280 ». En retardant sa diffusion, Duplessis laisse croire à certains analystes de l’époque que ses positions autonomistes ne sont peut-être qu’une façade. Son attitude lui vaut plusieurs critiques dans les années 1950. Le politologue Paul Cliche explique même, dans son ouvrage Les élections provinciales dans la province de Québec, 1927-1956, qu’il «« s’agit d’un autonomisme plus verbal que réel, plus propice à susciter des pièces d’éloquence grandiloquentes qu’une discussion apte à jeter de la lumière sur les problèmes soulevés par les relations fédérales-provinciales 281 ». Intentions réelles ou fictives, il n’en demeure pas moins que l’autonomie provinciale est un des thèmes les plus martelés dans la publicité de l’Union nationale lors des élections de 1956. Cependant, les membres de l’organisation électorale de l’Union nationale se réfèrent aussi à d’autres thèmes importants notamment celui du communisme.

1.3.1.2 Toujours la peur des Communistes

En pleine Guerre Froide, la peur du communisme est présente dans les discours des hommes politiques du temps. Depuis quelques élections déjà, Duplessis utilise ce thème faisant appel aux sentiments des électeurs. La peur des Communistes est grande. Pour rallier un plus grand nombre

279 Marc-André Robert, « Introduction historique – 24e législature, 4e session », Débats de l’Assemblée législative [en ligne], Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2009, consulté le 15 février 2015. 280 Gérard Boismenu, « Politique constitutionnelle et fédéralisme canadien : la vision de la Commission Tremblay », Bulletin d’histoire politique, [en ligne], http://www.bulletinhistoirepolitique.org/le-bulletin/numeros- precedents/volume-16-numero-1/politique-constitutionnelle-et-federalisme-canadien-la-vision-de-la-commission- tremblay/ 281 Cliche, op. cit., p. 105.

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de personnes, Duplessis se présente comme le meilleur rempart face à cet ennemi. De plus, pour mieux se parer de la vigueur de ses convictions, Duplessis identifie l’opposition provinciale et fédérale comme sympathisantes au bolchévisme. Nous l’avons vu lors d’élections précédemment analysées. Toutefois, lors de l’élection de 1956, où les accusations s’intensifient et fusent de toute part, le Premier ministre resserre et précise ses attaques. Il vise particulièrement certaines figures libérales, notamment Lapalme et les libéraux d’Ottawa. Les attaques sont formulées en lien avec la question des œufs polonais, 300 000 œufs apparemment importés par Ottawa de Pologne, pays situé derrière le rideau de fer, « dont on dit que les Québécois sont forcés d'en manger282 ». Une autre ligne est martelée à ce sujet par l’Union nationale, celle de la concurrence déloyale faite aux agriculteurs du Québec avec ces œufs. Duplessis en profite donc pour attaquer non seulement les membres de l’organisation libérale, mais aussi leur politique agricole283. Bien qu’Ottawa n’a rien à voir avec l’importation de ces œufs, le mal est fait. Conrad Black, biographe de Maurice Duplessis, écrit que l’Union nationale «avait déjà saturé la province de brochures et de publicités évoquant l’arrivée imminente d’une nouvelle armada communiste…284 » Les termes choisis par Black évoquent bien l’objectif de jouer sur le sentiment de peur pour susciter un changement dans l’attitude des électeurs.

1.3.1.3 Le développement de l’Ungava

Au cours des années 1950, le progrès de l’industrie minière, la Guerre Froide, et la Guerre Corée, suscitent une demande de plus en plus forte en matières premières, créant ainsi un intérêt grandissant de la part d’investisseurs étrangers à l’endroit de l’Ungava, une région du Québec qui recèle de richesses naturelles. Aussi appelé Nouveau-Québec à l’époque, l’Ungava devient un grand producteur de minérai de fer, notamment, avec ses réserves que la compagnie Iron Ore commence à exploiter en 1954285. D’ailleurs, la compagnie effectue depuis 1951 des travaux d’exploitation, notamment avec la construction d’un tronçon de chemin de fer de 574 kilomètres

282 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 43. 283 Marc-André Robert, « Introduction historique – 25e législature, 1ère session », Débats de l’Assemblée législative [en ligne], Québec, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2009, consulté le 15 février 2015. 284 Conrad Black, op. cit., p. 291. 285 Linteau, Durocher et Robert, op. cit., p. 245.

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reliant la nouvelle ville de Schefferville à Sept-Îles286. L’avènement de l’industrie de l’exploitation du fer au Québec engendre ensuite un développement remarquable puisque la production est inexistante avant 1954287. Le Premier ministre se présente comme l’homme qui a invité les grandes compagnies minières à développer l’Ungava. Il prend tout le crédit de cette initiative et se vante de l’absence de coûts pour la province288. Ces avancées industrielles profitent à Duplessis qui les insère dans l’énumération de ses nombreuses réalisations dans son discours électoral. En outre, elles lui permettent de tabler sur la modernité, ce qui est certainement profitable à son image politique. Nous y reviendrons plus loin.

1.3.2 Les résultats des élections

Fort de ses trois premiers mandats et de ses réalisations comme Premier ministre, Maurice Duplessis remporte une quatrième élection successive à la tête de l’Union nationale. Toutefois, les votes des différents milieux semblent bouger. « Alors qu’en 1952 l’Union nationale et le parti libéral remportaient un nombre égal de sièges dans les circonscriptions urbaines et à majorité urbaines, l’Union Nationale en remporte 11 de plus en 1956289 ». À Montréal, en particulier, le parti de Duplessis fait des gains de près d’un pourcent 290. Quant à lui, le Parti libéral perd évidemment sur le plan du suffrage, ce qui se traduit par une perte de sièges. La députation passe donc de 23 à 20 sièges, ce qui surprend certains analystes de l’époque qui souhaitent plutôt des gains libéraux291. Bref, Maurice Duplessis est bien en selle pour son cinquième et dernier mandat comme Premier ministre du Québec.

286 Ibid. 287 Ibid. 288 « Avenir fantastique du Nouveau-Québec », La Patrie, Montréal, 17 juin 1956, pp. 108-109. 289 Cliche, op. cit., p. 107. 290 Ibid. 291 Ibid., p. 105.

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2. Analyse de la campagne électorale

Qualifiant l’organisation électorale de l’Union nationale de « machine infernale292 », les paroles de Jean Lesage prennent tout leur sens en 1956. Pour la période étudiée, il s’agit définitivement de l’élection où le parti a déployé le plus d’efforts, mais aussi le plus d’argent. Nous le constatons bien avec la quantité de produits électoraux mis sur le marché à l’occasion des élections générales provinciales de 1956. Au-delà, il s’agit aussi de la campagne où la plupart des caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine sont visibles, ce qui traduit la transformation graduelle des pratiques de l’Union nationale au Québec.

2.1 Le recours aux professionnels

L’équipe de l’organisation électorale de l’Union nationale est la véritable locomotive de la campagne de 1956. La division du travail, les méthodes utilisées par les membres de l’organisation et le temps consacré à l’élaboration de la campagne montrent que la démarche pratiquée depuis des années est de plus en plus intégrée et normée. À nos personnages connus, Joseph-Damase Bégin, Paul Bouchard et Bruno Lafleur, d’autres intervenants s’ajoutent encore plus nombreux dans une structure encore plus ramifiée. Quant aux titres donnés aux membres de l’organisation, ils sont de plus en plus à résonnance professionelle.

2.1.1 Une organisation bien huilée

D’abord, les structures de l’organisation sont à leur apogée, à leur degré le plus complexe de la période étudiée. Il y a d’abord l’organisation centrale, située à Québec. Bégin en est le chef incontesté. Le rôle de l’organisation centrale est bien défini. Dans le Rapport de la quatrième réunion de l’organisation centrale, le secrétaire de la réunion rapporte les propos suivants :

292 Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 174.

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L’honorable J.D. Bégin explique le but de la réunion et insiste sur le fait que l’Organisation centrale de Québec va tout faire dans le domaine de la publicité et de la propagande pour venir en aide à chaque comté et pour gagner les élections. Toutefois, dans les comtés, il y a des problèmes locaux et chaque député demeure l’organisateur en chef qui décide des meilleures dispositions à prendre pour remporter la victoire293.

En 1956, la charge de travail publicitaire qui pèse sur l’organisation électorale est si importante, que ses membres ne peuvent plus se permettre de gérer les enjeux sur le plan local. L’organisation s’occupe donc de coordonner les efforts publicitaires, tant à la radio, dans les journaux et dans ce nouveau médium de la télévision, afin d’assurer la diffusion d’un message unique. De plus, ce sont les membres de l’organisation centrale qui veillent à la production des brochures et des dépliants, à l’impression des « portraits » du Premier ministre et des députés, à la commande des produits dérivés – carton d’allumettes, insignes, drapeaux, panneaux-réclames – et évidemment, au développement du slogan294. En fait, toutes ces sphères de la publicité reposent toutes entre les mains d’un responsable. De nouveaux noms apparaissent, dont ceux des publicistes Lévis Lorrain et Jean Dionne. Enfin, l’organisation centrale laisse donc la coordination des assemblées, des défilés et autres manifestations locales entre les mains des candidats. Bégin insiste sur ce fait à chaque réunion préparatoire, en faisant inscrire à chaque fois à l’agenda que le candidat « doit s’occuper de son affaire295 ».

Cette division des tâches permet d’avoir une approche qui colle davantage à chaque circonscription et à ses besoins. Elle laisse aussi libre l’organisation centrale de penser et de mettre en place la campagne du parti, et du chef, sur le plan national, afin d’assurer une certaine uniformité. Bien qu’une certaine division du travail s’observe dès 1948, ces tâches sont bien définies lors de l’élection de 1956. D’ailleurs, l’organisation de Montréal, toujours présente, apporte un appui important aux candidats qui partagent certaines réalités sur le plan local. Nous y retrouvons donc une tête dirigeante qui coordonne ces équipes locales296.

293Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B2/2 (2/6), L’engagement politique – les écrits politiques. 294 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (2/3), Union nationale – organisation centrale 295 Ibid. 296 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale.

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2.1.2 De plus en plus stratégique et professionnel

Nous remarquons aussi un comportement de plus en plus professionnel au sein de l’organisation centrale, avec l’octroi de tâches spécifiques à plusieurs de ses membres. Pensons aux publicistes, au directeur de la publicité, aux responsables des comités de la télévision, de la radio, etc. La création de ces tâches rappelle en partie le processus de professionnalisation des campagnes électorales, processus typique de la communication politique. D’ailleurs, un autre trait du recours aux professionnels dans les méthodes électorales à l’américaine est le fait de prévoir longtemps à l’avance une campagne. Ce qui est le cas en 1956 comme en 1948297. Nous pouvons donc imaginer que la première et la deuxième réunion ont eu lieu plus tôt à l’automne 1955. D’ailleurs, les réunions de ces professionnels témoignent d’une planification bien rodée, avec des comités récurrents, correspondant à chacun des champs de la publicité de l’Union nationale.

De plus, les termes utilisés par les membres de l’équipe de l’organisation centrale sont révélateurs d’une connaissance encore plus grande du domaine publicitaire. En effet, il est discuté des « spots », des « flashs » et même carrément de « techniques publicitaires »298. D’ailleurs, la terminologie devient de plus en plus stratégique. Cette tendance se reflète en 1956 avec les discussions et les études des membres de l’organisation, afin de déterminer le meilleur moment pour déclencher les élections. Plusieurs scénarios semblent être à l’étude, mais finalement, ils optent alors pour le 20 juin étant donné la tenue des élections des commissaires d’écoles le premier lundi de juillet299.

En relation avec leurs conceptions stratégiques, mais en ce qui concerne plus spécifiquement la construction publicitaire, tous s’entendent pour publier une brochure d’une centaine de pages « qui comprendrait beaucoup de portraits et peu de texte300 ». Encore une fois, cette réflexion révèle leur connaissance des visées publicitaires : rendre simple la lecture du

297 De nombreux procès-verbaux et ordres du jour de réunions préparatoires ont été retrouvés dans le fonds d’archives de Paul Bouchard qui remontent jusqu’au début du mois de janvier. Cependant, à ce moment, il ne s’agit que de la troisième réunion. 298 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale. 299 Ibid. 300 Ibid.

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message de la publicité pour qu’il pénètre mieux l’esprit du lecteur. L’élaboration du slogan de cette élection renvoie à la même démarche professionnelle : « Avec Duplessis, c’est la survivance et le progrès ». Autre caractéristique des méthodes électorales à l’américaine, ce slogan est réfléchi, court et simple. Dès les premières rencontres, Bégin est conscient de son importance : il devra être « simples[sic] et en même temps vrais[sic] qui pourraient[sic] servir la publicité de l’Union Nationale301 ». Ce faisant, l’organisateur idique les lignes directrices de toute la publicité de l’organisation centrale. Bégin dit aussi que le slogan doit être « trouver[sic] le plus tôt possible pour le faire pénétrer dans l’esprit de l’électorat302 ». Encore une fois, Joseph-Damase Bégin montre sa connaissance des réflexes du monde publicitaire en pleine ébullition, notamment aux États-Unis.

2.2 Médiatisation et techniques publicitaires

Aux États-Unis, le monde publicitaire est définitivement en effervescence. Avec la campagne électorale unioniste de 1956, force est de constater que ce mouvement l’est ici également, puisque les médias de masse sont complètement saturés de publicités. C’est la démesure qui se constate avec un nombre d’annonces recensées dans les journaux qui surpasse ceux des élections analysées précédemment, en plus d’une plus grande modernité dans la facture des publicités,303.

2.2.1 Encore plus de produits dérivés

Une des caractéristiques des campagnes électorales à l’américaine est certainement l’apparition et la multiplication de produits dérivés des partis politiques en lice lors d’une élection. L’Union nationale commande et distribue quelques produits dérivés, comme des cartons d’allumettes. Cependant, la tendance va en s’accroissant avec l’élection de 1952 et davantage en

301 Ibid. 302 Ibid. 303 Selon le dépouillement de journaux effectué aux fins de cette recherche, nous avons recensé le plus de publicités au cours de l’élection de 1956, mais, aussi, la plus grande variété de publicités. À titre d’exemple, nous avons recensé quinze types de publicités différentes en 1948 contre trente en 1956. Il s’agit du double.

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1956. En effet, il n’y a pas de limite à l’imagination des membres de l’organisation du parti. Calendrier, « stickers », « puzzle », ce sont les candidats et les organisateurs eux-mêmes qui en demandent encore plus, prétextant que ces objets sont bien efficaces dans leurs campagnes respectives comme le compte-rendu de la réunion des organisateurs du 21 mars 1956 le souligne304. Une semaine plus tard, le 27 mars 1956, le publiciste Lévis Lorrain envoie une lettre à Paul Bouchard, afin d’obtenir pour la prochaine réunion conjointe des organisateurs le 2 avril, des photos d’écoles, d’hôpitaux et d’autres constructions réalisées par l’Union nationale. Il veut également d’autres photos « représentant un couple âgé, [une] mère nécessiteuse et ses enfants, un ou deux aveugles, et un ou deux infirmes ou invalides305 ». En témoignant des politiques du ministère du Bien-être social, ces demandes montrent que le directeur de la publicité est soucieux de bien illustrer les réalisations de l’Union nationale. Ainsi, quiconque consulte le produit publicitaire dont il est ici question – un calendrier – trouve un message à la lecture aisée. Le choix est judicieux comme produit dérivé du parti, puisqu’un calendrier reste sur les murs toute l’année et qu’il est consulté régulièrement, voire à tous les jours, pour se situer dans le temps.

De plus, les demandes de Lévis Lorrain montrent aussi que la conception des produits dérivés n’est pas laissée au hasard. Des membres de l’organisation s’impliquent directement dans leur conception, ainsi que pour un nouveau médium : la télévision.

2.2.2 Apparition d’un nouveau médium : la télévision

À l'élection de 1956, le paysage médiatique est en plein changement au Québec. En effet, un nouveau médium, la télévision, devient de plus en plus présent dans les foyers canadiens- français. L'équipe électorale de l'Union nationale se questionne sur la pertinence d'étendre sa publicité à ce nouveau média de masse, ainsi que sur sa valeur306. Un comité est donc formé avec un responsable. Ce comité étudie différents scénarios de déploiement. Nous avons d’ailleurs retrouvé un rapport du Bureau of Broadcasting Mesurement (BBM) dans le fonds Lafleur, qui

304 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale. 305 Archives de l’Univeristé Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,4 (1/3), Correspondance politique – Union nationale. 306 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale.

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témoigne de cette analyse de la présence de la télévision dans les foyers de la grande région de Québec 307 . Munis de ce rapport et se servant de l’analyse personnelle des membres de l’organisation centrale, les membres du comité ont pu développer une programmation, en tenant compte des heures les plus susceptibles de toucher un plus grand nombre de téléspectateurs et des régions où la télévision est présente. Le rapport de la troisième réunion des représentants de l’organisation centrale signale que : « Avec la télévision qui est répandue aujourd’hui dans de nombreux foyers, il est inutile d’essayer de donner des causeries à la radio à partir de six heures jusqu’à onze heures le soir. Il faut donc réserver du temps à la radio aux heures où la plupart des gens écoutent308 ». Puis, après avoir étudié les habitudes télévisuelles et radiophoniques, le comité décide d'une programmation. Un vocabulaire encore plus spécialisé fait d'ailleurs son apparition : il est alors question de « spots » et de « flash » publicitaires 309 . Toujours impliqué dans l’organisation lors de l’élection de 1956, Bruno Lafleur explique ce qu'il connaît des spots publicitaires :

Les « spots » ce sont des annonces de 20 secondes à une minute qui passent à différents moments de la journée et en soirée. L’agence Payeur en avait retenu un nombre considérable. J’avais donc à les rédiger: audio et vidéo. L’audio, c’est ce que lit l’annonceur pendant que passe l’image, ce que l’on appelle des « slides » ou, en français, des diapositives. Que d’heures j’ai passées la soirée à rédiger mes chers « spots »310.

Vincent Lemieux et Mario Cardinal reviennent tous les deux dans leur ouvrage sur le fait que la télévision rend craintifs les chefs de l'Union nationale et du Parti libéral, car ils ne veulent pas y apparaître. Pour ce motif, une partie de leur stratégie publicitaire télévisuelle repose sur des entrevues, des « spots » et des conversations entre autres, pour montrer les réalisations des partis, nécessairement mettre à l’écran les deux chefs311.

307 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, Fonds Bruno-Lafleur, P396, 1987- 03-004/8, Cahier de réflexions 1956, op. cit, p. 44. 308 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale. 309 Ibid. 310 Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec, Fonds Bruno-Lafleur, P396, 1987- 03-004/8, Cahier de réflexions 1956, op. cit, p. 44. 311 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale; Lemieux, op. cit., p. 8-9 ; Cardinal, Lemieux et Sauvageau, op. cit., p. 179.

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En bref, l’arrivée de la télévision dans les plans communicationnels des membres de l’organisation centrale de l’Union nationale se fait sentir. Elle engendre des changements pour l’organisation. Cette dernière se dote d’un comité pour bien intégrer cette nouvelle tendance, un peu à l’image des organisations électorales présidentielles aux États-Unis qui s’adaptent à ce médium déterminant dans l’élaboration des premières définitions du marketing politique.

2.2.3 Les formats

Inspirés directement de publicités américaines, de nouveaux formats publicitaires font leur apparition pendant l’élection de 1948 puis lors des campagnes électorales suivantes. Les années 1950 sont riches en développements publicitaires aux États-Unis, tant du côté commercial que du côté des élections. Cette influence se fait ressentir jusqu’ici. Alors que l’arrivée des pleines pages et des double-pages étonne en 1948, force est de constater qu’elles sont la norme en 1956. L’élément de nouveauté lors de cette élection, se retrouve plutôt dans la création de sections spéciales, insérées dans les journaux.

2.2.3.1 Les sections spéciales

Deux sections spéciales paraissent lors de cette élection provinciale. De 12 pages chacune, elles reprennent les principaux thèmes des communications de l’Union nationale. De plus, elles intègrent à elles seules plusieurs méthodes des campagnes électorales à l’américaine comme la personnalisation et le recours aux procédés typographiques et de caractères. Conçues avec somme toute peu de texte et beaucoup de photographies, ces documents sont d’une compréhension assez simple.

Avec ces documents publiés respectivement à dix jours, puis à trois jours de l’élection, l’équipe de publicistes donne une signature particulière au slogan de la campagne : « Avec Duplessis, c’est la survivance et le progrès ». En effet, deux polices de caractère sont utilisées dans la composition visuelle de cette formule : une seule, plutôt carrée, pour tous les mots, sauf le nom

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de Duplessis, qui est écrit d’une police plus ronde, avec une ligne faisant un peu penser à une vague. Ce style donne du mouvement au nom de Duplessis, ce qui nous rappelle le progrès, axe de communication de l’équipe électorale. Ce changement de police met également en lumière le nom du premier ministre, ce qui accentue l’efficacité.

D’ailleurs, cette technique pour faciliter la lecture se retrouve ailleurs dans les sections spéciales. Elle cherche toujours l’objectif de donner du mouvement à certains mots. Elle rappelle le progrès. Une page publicitaire traite ainsi du sujet de l’Ungava, où l’on rappelle l’implication de l’Union nationale en parlant du développement du territoire. Dans un intertitre « Sous l’Union Nationale Développement gigantesque », le mot « développement » est écrit sur une ligne diagonale vers le haut. Le procédé donne une impression de modernité et de progrès.

2.2.3.2 L’usage des techniques publicitaires

La répétition, la typographie, les caractères, l’appel aux sentiments, la simplicité du message sont des techniques qui se remarquent lors de l’élection de 1956, même en dehors des sections spéciales.

« L’autonomie de notre province sauvegardée » brille par sa simplicité pour la lecture (figure 8). Un peu comme dans les brochures de l’élection de 1948, il est facile de comprendre le message de la publicité en regardant les mots mis en évidence par la surbrillance et un changement de police. Déjà, la publicité contient peu de mots, mais il est possible de se limiter à la lecture des mots mis en gras pour comprendre : « l’autonomie », « sauvegardée », « Duplessis ». Notons que la même signature du nom de Duplessis figure sur toutes les sections spéciales.

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Figure 8 : « L’autonomie de notre province sauvegardée », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 18 juin 1956, p. 14-15).

La technique de la répétition est reprise par trois publicités axées sur le même thème : les œufs polonais. Dans « La parade des œufs polonais » (figure 9), « Le scandale des œufs communistes » (figure 10) et « Les Québécois forcés de manger des œufs communistes! » (figure 11), un même message est transmis à l’électeur : peu importe qu’ils soient du fédéral ou du provincial, les libéraux forcent les Québécois à manger des œufs communistes. Ici, la répétition s’effectue puisque le même thème, les mêmes idées sont martelées. Toutefois, elles le sont à chaque fois sous une forme un peu différente. La publicité se fait parfois plus informative, avec « Les Québecois[sic] forcés de manger des œufs communistes! » où beaucoup de texte est présenté, expliquant plus en détails la preuve de culpabilité de Georges-Émile Lapalme dans ce scandale. La publicité relève aussi de l’ordre de la satire, avec l’illustration d’une parade militaire d’œufs, portant un drapeau avec le marteau et la faucille : cette double-page possède que peu de texte, puisque le dessin parle par lui-même. En haut à droite de la publicité, une illustration montre une confrontation : un œuf portant le marteau et la faucille versus un œuf portant la fleur de lys. Fait

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intéressant, cette parade militaire d’œufs insinue aussi l’idée d’une invasion possible de communistes. Dans le contexte de la Guerre Froide, cette illustration est d’autant plus marquante et parlante : elle s’adresse d’ailleurs à une plus grande masse d’électeurs, par la simplicité de sa lecture. Cette publicité appelle le plus aux sentiments, un autre élément des campagnes électorales à l’américaine. L’idée de faire passer un message par des compositions différentes, afin de mieux pénétrer l’électorat, rend nouvelle et moderne cette série publicitaire. Elle est un excellent exemple de composition qui sert le message. Avec ces illustrations, son montage et ses procédés typographiques, le message est encore plus fort. De plus, elle montre une réflexion communicationnelle poussée. Très inscrite dans son temps, cette publicité rappelle la peur du communisme en pleine Guerre Froide, mais aussi l’inquiétude vis-à-vis d’un possible conflit ouvert et, surtout, la propagande soviétique avec l’image de la parade militaire.

Figure 9 : « La parade des œufs Figure 10 : « Le scandale des Figure 11 : « Les Québécois forcés de manger polonais », (1956), Publicité, œufs communistes », (1956), des œufs communistes ! », (1956), Publicité, impression sur papier, Publicité, impression sur papier, impression sur papier, Montréal, (Image tirée Montréal, (Image tirée de La Montréal, (Image tirée de La de La Patrie, 4 juin 1956, pp. 96-97). Patrie, 18 juin 2956, pp. 11- Patrie, 7 juin 1956, pp. 17-18). 13).

Enfin, pensons aussi à la série de questions. Il s’agit d’une série de publicités qui reprend la même trame de fond : huit questions différentes posées à Georges-Émile Lapalme sur les principaux thèmes de la campagne. Centré souvent sur la comparaison entre les actions, réelles ou présumées des libéraux, et les actions du gouvernement Duplessis, l’encadré se termine toujours

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par une question : « OTTAWA est-il dans la lutte pour empêcher Duplessis de reconquérir la balance de nos droits? », « Pourquoi refusez-vous toujours de doter notre pays d’un DRAPEAU canadien distinctif? » ou bien « Pourquoi avez-vous décidé de porter à 150,000 [sic] le nombre d’immigrants qui entreront au pays, chaque année ? » (figures 12, 13 et 14). De toute évidence, la publicité laisse entendre que Lapalme est incapable de répondre à ces questions sensibles. Cette stratégie rejoint bien la volonté de Joseph-Damase Bégin de montrer que les Libéraux n’ont que des promesses à offrir312.

Figure 12 : « Monsieur Lapalme devrait être le dernier à Figure 13 : « Pour reconquérir tous nos droits cédés en parler de chômage dans le Québec », (1956), Publicité, 1942 par le gouvernement rouge de QUÉBEC, au impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La gouvernement rouge d’OTTAWA », (1956), Publicité, Patrie, 13 mai 1956, p. 20). impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 6 mai 1956, pp. 84-85).

Figure 14 : « Duplessis a donné un drapeau à sa province », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 4 mai 1956, pp. 84-85).

312 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale.

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Fait intéressant, ces deux publicités se distinguent par leur polyvalence et s’adressent à des publics variés. La parade ayant besoin de peu de mots pour faire passer son message fait appel à un plus grand éventail d’électeurs, qu’ils soient éduqués ou analphabètes. Le même constat peut être établi avec « Avec Duplessis, c’est la survivance et le progrès » (figure 15), une publicité à mi-chemin entre l’illustration et la photographie qui met en image le slogan de l’élection, mais aussi plusieurs des réalisations de Duplessis depuis son arrivée.

Figure 15 : « Avec Duplessis c’est la survivance et le progrès », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juin 1956, pp. 16-17).

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2.2.4 De la publicité négative ou comparative

Les premières versions de ce qui est qualifié de publicité négative aujourd’hui apparaissent pendant les années 1950. Elles cherchent à refléter les faiblesses d’un adversaire politique313. Lors de l’élection de 1956, plusieurs publicités relèvent de ce type en attaquant directement le chef du Parti libéral, Georges-Émile Lapalme. D’abord, ce dernier est qualifié de « valet d’Ottawa » et de « chef d’opposition à perpétuité » dans différentes publicités de l’Union nationale, qui lui accolent ainsi une image plutôt réduite comme leader politique. Publiée le 15 juin 1956, une publicité révèle l’extrait d’un manifeste où des militants libéraux expriment leur ennui de se trouver dans l’opposition et critiquent le leadership de Lapalme. Le titre est évocateur : « Encore 15 ans à sécher dans l’opposition » (figure 16), qui sont présumément des paroles extraites dudit manifeste. Se référant à des voix de son propre parti, le procédé constitue une belle façon de miner la crédibilité de Lapalme.

Figure 16 : « Encore 15 ans à sécher dans l’opposition », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 15 juin 1956, pp. 12-13).

313 Richard Nadeau et Frédérick C. Bastien, « La communication électorale », Anne-Marie Gingras, dir., La communication politique : État des savoirs, enjeux et perspectives, Québec, Les Presses de l’Université du Québec, 2000, p. 179.

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Peu importe le thème de la publicité, le but de discréditer l’adversaire politique demeure. Une publicité compare le bilan de l’Union nationale aux agissements des libéraux d’Ottawa, notamment en insistant sur la question du drapeau. Cette publicité comparative lance plusieurs accusations contre plusieurs ministres fédéraux (figure 17). Lester Bowles Pearson est présenté ainsi:

Il y a longtemps qu’on en entend parler mais on ne le voit pas souvent dans notre Province. Et nos gens seraient désireux de l’entendre parler de ses relations diplomatiques avec Moscou et aussi énumérer les raisons qui le justifient de refuser de nommer un ambassadeur canadien au Vatican.

Figure 17 : « Vous êtes cordialement invité à participer à la campagne électorale qui se tient actuellement dans Québec », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 6 juin 1956, pp. 16-17).

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Ce genre d’attaques plus ou moins sournoises vise dix autres importants ministres fédéraux. Elles relèvent visiblement de la publicité négative. Bien que ses effets soient contestés aujourd’hui, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un autre élément inspiré des méthodes à l’américaine.

2.2.5 Les cibles

Depuis l’élection de 1944, l’organisation unioniste fait des efforts pour identifier des cibles électorales, ce qui constitue une des grandes tendances au sein des méthodes électorales à l’américaine. Cette élection ne fait pas exception. Dans l’Agenda de la réunion des organisateurs du 23 février 1956, un des points à l’ordre du jour concerne l’importance de la création de publicité bilingue pour Montréal314. Au-delà de la simple traduction des publicités déjà existantes de l’Union nationale, il y a un réel désir de s’intéresser à une tranche de l’électorat. Il nous est donc même possible de voir le fruit de cette réflexion en préparation de campagne avec cette annonce plutôt claire « Électeurs de Montréal, envoyons à Québec une députation forte et cohérente capable de servir le mieux possible nos intérêts et ceux de la métropole » (figure 18). Ici, la campagne vise Montréal. Les électeurs de cette ville ne répondent pas de la même façon que ceux d’un milieu rural ou de Québec, par exemple. De plus, cette publicité aurait peu d’échos si elle était présentée ailleurs.

Figure 18 : « Électeurs de Montréal », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 19 juin 1956, pp. 12-13).

314 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale.

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L’intérêt pour le monde rural est aussi manifeste. La publicité « Ottawa est seul responsable » est plutôt claire dans la détermination de sa cible (figure 19). Elle titre « Cultivateurs du Québec ». Elle traite uniquement de sujets relatifs au monde agricole, en se penchant notamment sur la question du prix du blé de l’ouest canadien, production agricole qui entre alors en féroce compétition avec celui du Québec.

Figure 19 : « Ottawa est seul responsable », (1956), Publicité, impression sur papier, Montréal, (Image tirée de La Patrie, 9 juin 1956, p. 48)

2.3 La personnalisation

Lors de l’élection de 1956, Maurice Duplessis est au centre de la campagne : il est présent dans presque toutes les publicités recensées315. De toute évidence, le parti, c’est Duplessis. Le slogan de la campagne « Avec Duplessis, c’est le progrès » dénote cette personnification. Déjà, ce n’est pas avec l’Union nationale que le Québec progresse, mais bien grâce au chef du parti lui- même. Ce procédé innove peu avec celui des campagnes précédentes, puisque les slogans de 1948 et de 1952 mettent aussi Duplessis de l’avant : « Duplessis donne à sa province » et « Laissons Duplessis poursuivre son œuvre ». Par contre, il confirme l’image de bon père de famille qui est construite depuis déjà près d’une décennie par les membres de l’équipe électorale de l’Union nationale. La série de publicités promouvant l’œuvre de Duplessis ressortit à cet objectif : tantôt le

315 Sur 18 types de publicités différentes, nous retrouvons une allusion à Maurice Duplessis dans 15 publicités.

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Premier ministre a « contribué à », « a sauvé », « a développé » ou « a amélioré »316. Tous ces verbes d’action montrent son implication dans l’avancement de la province. Ils lui confèrent aussi une image de bienfaiteur, comme si les citoyens du Québec lui devaient quelque chose. La promotion de son image politique et paternaliste est donc à son apogée.

L’équipe électorale assure également un plus grand contrôle de l’image du premier ministre. Elle cherche ainsi à empêcher qu’une photo de Duplessis déguisé en pape ne soit pas publiée dans un journal de Granby. Pour ce faire, elle s’interroge sur les coûts de pareille opération317. Enfin, l’organisation diffuse une nouvelle photo officielle du chef. Elle le présente debout, le regard tourné vers l’avenir, ce qui rappelle le thème de l’élection : le progrès. Il paraît aussi déterminé, avec une main appuyée sur un dossier de chaise. Avec tous ces efforts de construction de l’image, la personnalisation est donc achevée. Le chef éclipse sa formation politique.

2.4 Le recours aux sondages et aux agences publicitaires

Encore une fois, les membres de l’organisation de l’Union nationale n’ont pas recours explicitement aux sondages d’opinion, ni à de grandes maisons de publicité. Toutefois, en plus d’avoir recours à des compagnies professionnelles d’impression, Bégin utilise sa propre méthode de pointage. Cette dernière semble se préciser lors de cette élection, grâce à deux documents retrouvés. En effet, Bégin fait littéralement le détail des comtés assurés, ceux à travailler et ceux qui sont peine perdue dans l’« Agenda de la réunion des organisateurs » du 23 février 1956. Puis, il adopte visiblement une stratégie différente pour chacun de ces types de comtés318. Aussi, bien qu’ils n’aient pas recours aux sondages Gallup qui sont de plus en plus répandus à l’époque aux États-Unis, les membres de l’organisation électorale font tout de même preuve d’une certaine étude de l’électorat et de la recherche des meilleures stratégies pour l’atteindre.

316 Parutions successives le 14 mai (pp. 12-13, La Patrie), le 27 mai (p. 65, Montréal-Matin), le 5 juin (pp. 12-13, Montréal-Matin), le 8 juin (pp. 12-13, Montréal-Matin), le 16 juin (pp. 62-63, La Patrie) et le 17 juin (p. 114, Montréal- Matin). 317 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,4 (1/3), Union nationale – correspondance politique. 318 Archives de l’Université Laval, Fonds Paul Bouchard, P433, B4/1,1 (1/3), Union nationale – organisation centrale.

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Ainsi, il existe une volonté de bien rejoindre tout le monde, tout en ayant le souci de s’adapter à cette nouvelle réalité de la pénétration des téléviseurs dans les foyers du Québec. Cette étude détermine les régions où la télévision est la plus présente, afin de cibler et de personnaliser à chaque réalité régionale. Au cours de la réunion de janvier 1956, il est précisé que « Dans le comté de Gaspé-Nord, étant donné qu’il n’y a pas de télévision dans le district, il faudrait donner plus d’importance aux programmes et causeries radiophoniques 319 ». Il est intéressant de voir la réflexion des membres de ce comité, par rapport au choix du medium pour les différentes régions du Québec, mais aussi par rapport au choix des heures de diffusion. Tout est réfléchi, rien n’est laissé au hasard : ce qui montre les prémisses d’une étude pré-électorale, comme aux États-Unis. Le sondage BBM retrouvé dans le fonds Lafleur n’est certainement pas étranger à toutes ces réflexions sur le recours à la télévision. Il indique le pourcentage de foyers possédant un téléviseur, ainsi que la couverture des ondes offertes.

En somme, bien que l’équipe électorale de Maurice Duplessis n’utilise pas les outils classiques de mesures de l’opinion développés aux États-Unis, les membres de l’organisation électorale sont portés à étudier leur électorat avant la campagne électorale, afin de mieux atteindre les électeurs. Cette démarche s’apparente au recours aux sondages dans les méthodes électorales à l’américaine.

2.5 Les budgets

De nouveau, il y a peu de surprise en ce qui concerne les budgets de cette campagne électorale de l’Union nationale. Bien que Denys Arcand y va d’une estimation de neuf millions de dollars320, il demeure difficile d’avoir la certitude des montants dépensés par le parti de Maurice Duplessis, les dépenses électorales n’étant pas relevées en 1956 comme elles le sont aujourd’hui. Toutefois, le degré de saturation, l’étendue, la quantité de produits publicitaires publiés et leur variété puis, le recours aux double-pages sont tous des témoignages dans les journaux, des sommes investies lors de cette campagne électorale. Il est possible de constater l’importance des budgets

319 Ibid. 320 Denys Arcand, Duplessis, Montréal, VLB éditeur, 1978, p. 406.

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publicitaires avec l’étalage des produits à la télévision, à la radio, de la publicité par l’objet, de l’affichage dans les rues, etc. Il est même question de panneaux-réclames le long des routes321. D’ailleurs, les sommes engagées par l’Union nationale font réagir après les élections. Pierre Laporte publie dans Le Devoir une série d’articles nommés « Les élections ne se font pas avec des prières, où il évalue les dépenses électorales du parti de Maurice Duplessis à 2 016 500 $.

3. Conclusions préliminaires

L’élection de 1956 se déroule dans un contexte de réorganisation du parti chez les libéraux et de prospérité économique au Québec. Malgré des contestations, l’Union nationale représente la continuité, la défense de l’autonomie provinciale et le meilleur rempart contre le communisme. L’élection de 1956 voit certainement l’apogée de l’intégration des méthodes électorales à l’américaine au Québec sous Duplessis. Le phénomène se constate d’abord avec la division du travail de plus en plus systématique par secteurs publicitaires, mais aussi avec l’instauration de postes comme celui de directeur de la publicité, postes attribués à certains membres de l’organisation électorale. En plus de travailler en amont de l’élection près de six mois avant son déclenchement, les membres de l’organisation sont aussi stratégiques dans le choix de la date du scrutin, soit en plein été. Sur le plan des techniques publicitaires, le recours à plus d’objets publicitaires que jamais marque nettement, comme le calendrier « Votre gouvernement », produit à 250 000 exemplaires322. Aussi, le recours à la télévision, nouveau medium de plus en plus répandu au Québec, commence à modifier les approches. L’usage de formats comme la double-page, qui a fait son apparition en 1948, est maintenant la norme plus que l’exception. Les procédés font toujours recours aux sentiments, à la répétition, à la simplicité du message et l’usage de la typographie pour concevoir des publicités efficaces, ce qui répond à plusieurs critères des grandes firmes américaines publicitaires de l’époque.

321 Lapalme, op. cit., p. 314. 322 Lavigne, op. cit., p. 143.

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Enfin, la communication de l’Union nationale est fortement personnalisée : elle oublie presque le parti au profit de son chef, Maurice Duplessis. Nous assistons à une véritable construction du personnage de Duplessis, présenté plus que jamais sous une image fortement paternaliste, celle du bienfaiteur des Canadiens français. De plus, cet étalement publicitaire nous laisse comprendre que le parti a eu recours à des budgets inédits à l’époque pour l’organisation d’une campagne électorale. En bref, quatre des cinq caractéristiques des campagnes électorales à l’américaine sont présentes en 1956 : seul le recours aux sondages fait son apparition plus tardivement dans l’histoire des campagnes électorales au Québec. Néanmoins, l’influence de l’étude de l’opinion perce avec le sondage BBM, mais aussi avec la méthode de pointage de Joseph- Damase Bégin, toujours mise à l’épreuve.

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Conclusion

Apparues au cours des années 1940-1950, les méthodes électorales à l’américaine ont transformé la vie politique et se sont répandues partout en Occident. Les responsables politiques et leurs conseillers ne font désormais plus campagne de la même manière. L’influence de cette période s’étend jusqu’à nos jours. Les plus récentes campagnes électorales montrent des acteurs politiques mis en récit et ayant une image publique soignée, grâce à des conseillers de plus en plus nombreux et influents.

Rappelons que selon Robert Agranoff et de Serge Albouy, les méthodes électorales américaines comportent cinq caractéristiques :

1. Les campagnes sont fortement personnalisées 2. Le recours à des professionnels de communication 3. Des décisions stratégiques précédées d’études afin de mieux connaître le marché électoral 4. Le recours aux médias de masse ainsi qu’aux techniques publicitaires réputées les plus performantes 5. Des moyens financiers de plus en plus considérables

Sous les mandats de Maurice Duplessis, les élections québécoises s’inspirent partiellement des caractéristiques d’Agranoff et d’Albouy. Trois scrutins ont particulièrement attiré notre attention, soit ceux de 1944, 1948 et 1956. Chacun de ces scrutins montre un moment de la progression des méthodes électorales à l’américaine, soit leurs débuts, leur établissement partiel et leur apogée. Chacune de ces élections comprend des caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine qui se manifestent au cours de la préparation aux élections et du travail de l’organisation électorale comprenant Paul Bouchard et Bruno Lafleur, chapeautés par Joseph- Damase Bégin. L’analyse a pu ainsi cerner les méthodes de travail de Bégin, Bouchard et Lafleur, mais aussi mesurer la pénétration des méthodes électorales à l’américaine.

Dans ce mémoire, nous avons d’abord voulu montrer les mœurs électorales au Québec depuis l’implantation du parlementarisme, afin d’avoir une mesure pour comparer le changement

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avec les méthodes électorales à l’américaine. Première constatation : ces mœurs étaient violentes et plutôt axées sur le contact direct avec l’électeur, soit par la cabale ou les assemblées contradictoires. Cependant, une interprétation relative au recours aux nouvelles façons de convaincre l’électorat se dégage. En effet, l’instauration du vote secret et du scrutin universel apparaissent comme des facteurs importants pour modifier le comportement d’électeurs beaucoup plus nombreux. Bien que l’élection de 1944 montre peu de correspondances avec les caractéristiques identifiées pour l’analyse, elle est le théâtre de banc d’essai pour les campagnes électorales à venir. Comme nous l’avons vu, cette élection voit l’entrée en scène de Joseph-Damase Bégin comme organisateur du district de Québec. Elle témoigne aussi de la volonté de roder la machine électorale du parti pour le long terme, en gardant certains éléments de l’organisation présents tout au long du mandat.

Lors de l’élection de 1948, les éléments mis en place lors du scrutin précédent sont gages de succès. Déjà, les résultats de l’élection sont époustouflants, avec une des majorités parlementaires les plus impressionnantes jamais remportée au Québec. Joseph-Damase Bégin devient l’organisateur en chef pour l’ensemble de la province; Paul Bouchard et Bruno Lafleur assument toujours leurs responsabilités respectives de directeur de la propagande et de rédacteur. La publicité est abondante : elle utilise des formats nouveaux et modernes comme la pleine page et même la double-page. De plus, la majeure partie des communications est organisée autour d’un slogan central et décliné dans toute la documentation. « Les Libéraux donnent aux étrangers ; Duplessis donne à sa province » devient le principal axe de communication du parti. D’ailleurs, ce slogan montre bien la prépondérance de la place du chef de l’Union nationale. La personnalisation de la campagne et le contrôle de l’image de Maurice Duplessis prennent déjà beaucoup de place. En fait, le parti est pratiquement éclipsé par la mise en récit du Premier ministre, un phénomène cerné par Agranoff et Albouy. Néanmoins, l’élection de 1948 ne révèle pas les indicateurs du recours à des études de marché. Malgré tout, la recette est établie : la vraie machine électorale infernale, celle décrite par Georges-Émile Lapalme dans ses mémoires, se déploie alors.

L’élection de 1956 voit l’apogée de l’intégration des méthodes électorales à l’américaine dans les pratiques de l’Union nationale sous Duplessis. La campagne publicitaire se déroule tous azimuts et est fortement intégrée à l’organisation électorale. Elle ne manque pas d’attirer l’attention

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des critiques du parti au pouvoir et des journalistes. C’est le cas notamment de Pierre Laporte qui publie quelques mois après l’élection une série nommée « Les élections ne se font pas avec des prières ». Cette série d’articles souligne les incongruités et les sommes mirobolantes investies par l’Union nationale pour remporter les élections de 1956. Encore une fois, l’abondance des publicités est impressionnante. Martelant un message simple faisant appel aux sentiments, étant organisée autour d’un slogan central, cette campagne rencontre encore plus les caractéristiques des méthodes électorales à l’américaine. Deux indices sont particulièrement révélateurs de cet état de fait : le recours aux agences publicitaires qui apparaît avoir été employée par les membres de l’organisation électorale; l’usage de la télévision, le pivot de la communication politique pour de nombreux chercheurs.

Après cette analyse, nous constatons que les méthodes électorales de l’Union nationale engendrent une période de transition dans la transformation des façons de faire des élections au Québec. Ces méthodes comprennent plusieurs caractéristiques d’Agranoff et d’Albouy. Certes, elles ne sont pas toutes présentes. Sans s’inspirer seulement des méthodes traditionnelles, l’organisation électorale de l’Union nationale ne se conforme pas exactement à la campagne électorale d’Eisenhower aux États-Unis en 1952, la mesure-étalon des méthodes électorales à l’américaine. Toutefois, il est aussi possible de constater l’américanisation des campagnes électorales au Québec et l’émergence avant la lettre du marketing politique. Par exemple, en marge de l’élection de 1960, le Parti libéral voit le premier consultant en image et en communication se joindre aux côtés d’un premier ministrable, Jean Lesage. Le résultat est concluant pour ce parti, comme le montre Alain Lavigne323. Notre analyse ouvre ainsi de nouvelles pistes de recherche. Ainsi, une analyse comparative entre les méthodes électorales du Parti libéral et de l’Union nationale au cours des années 1940 et 1950 pourrait révéler des tendances plus fines. Plus encore, des études comparatives entre les partis politiques du Québec au tournant des années 1960 jusqu’aux années 2000, ou avec les partis démocrates et républicains aux États-Unis pourraient former des sujets pertinents pour les études doctorales, ce qui enrichirait d’autant l’historiographie québécoise.

323 Alain Lavigne, Lesage, le chef télégénique. Le marketing politique de "l’équipe du tonnerre", Québec, 2014, Septentrion.

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