Maurice CHEVALLIER SOCIOLOGUE

7, rue du Parc 69500 BRON tél/fax 04 78 01 72 37 courriel [email protected]

SIRET 421 094 418 00017 APE 732 Z

Recherche

sur

L’expertise dans

les processus d’étude & de décision dans les transports

Infrastructures routières

(périphériques, rocades & autoroutes)

aéronautiques

&

ferroviaires

en région lyonnaise

pour la

Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques

du

Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement

(programme mobilisateur EVALUATION-DECISION du PREDIT 1996-2000)

lettre de commande N° 99 MT49 du 14/10/1999

RAPPORT FINAL DE LA RECHERCHE

2002 Recherche sur L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports Infrastructures routières (périphériques, rocades & autoroutes) & aéronautiques en région lyonnaise pour la Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques du Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement (programme mobilisateur EVALUATION-DECISION du PREDIT 1996-2000)1

RAPPORT FINAL DE LA RECHERCHE

Présentation de la recherche & du rapport

Ce rapport présente la recherche menée de la rentrée 1999 au printemps 2002, suite à notre réponse à l’appel d’offres du programme mobilisateur EVALUATION-DECISION du PREDIT 1996-2000.

Cette recherche a donné lieu à 2 rendus intermédiaires et une publication : • Note intermédiaire d’avancement, 1ère phase de la recherche, Août 2000 • Note intermédiaire d’avancement, 2ème phase de la recherche, Investigations de terrain, Suivi de concertations & débats sur plusieurs infrastructures ou projets, novembre 2001. • article pour la revue METROPOLIS (N° 108-109 Projets et politiques de transports Expertises en Débat, mars 2002) intitulé « Expertise et décision : le cas des infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise » en octobre 2001.

Cette recherche a permis de suivre « en temps réel » plusieurs projets d’infrastructures autoroutières, ferroviaires et aéronautiques en région lyonnaise, à des degrés divers d’avancement et, pour certaines, de réalisation ou d’exploitation. Nous avions commencé par reprendre notre suivi de l’évolution du Contournement Est de depuis sa mise en service et la concertation avec les élus locaux préalable à l’EUP* sur l’A89, puis cette EUP. * voir plus loin la définition des sigles employés dans ce rapport

Ce suivi s’est étendu sur plus de 2 ans (de 2000 au printemps 2002), bénéficiant d’une opportunité exceptionnelle que nous n’attendions pas : un premier débat « Barnier » sur un nouveau contournement autoroutier de Lyon (mené par le Préfet avec les « grands élus ») avant un grand débat sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon mené par une Commission particulière du Débat Public sous l’égide de la Commission Nationale.

Ce débat marquait un changement dans la façon dont les projets d’infrastructures sont débattus, puisque le principe même des infrastructures était discuté, très en amont des études classiques menant à l’APS, puis à l’EUP. A la différence des débats précédents en région lyonnaise, tous les « acteurs » comme le grand public étaient donc consultés – et plus seulement les « grands élus » ou les institutions. Nous avons également pu suivre le débat DUCSAI dans la mesure où il pouvait concerner la région lyonnaise (l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry).

1 Recherche suivie par Gérard Brun à la DRAST. Directeur scientifique du programme : Jean-Marc Offner au LATTS/ENPC. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 1/167

Ce débat sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon portait, pour la première fois en région lyonnaise, sur un projet ferroviaire et pas seulement sur un projet autoroutier (le grand contournement Ouest de Lyon), posant de nouvelles questions comme la place relative des modes de transport terrestre, donc du transfert du fret de la route vers le fer - souhaité par beaucoup et devenu un objectif de l’Etat comme de l’Union Européenne.

Ce débat public a été une véritable expérimentation « in vivo » révélant les positions ou les attentes des uns et des autres dans leur variété et, souvent, leur caractère plus ou moins conflictuel ; il nous a permis d’observer aussi bien le rôle et les fonctions des divers intervenants de la maîtrise d'ouvrage (l’Etat et ses services de la DRE, de la DDE, du CETE et de la DIREN, RFF) que d’autres « acteurs » (SNCF en tant qu’exploitant du futur contournement ferroviaire de Lyon, collectivités territoriales, éventuel concessionnaire). Bien plus, ce débat a permis d’observer la demande, le besoin éventuel ou la réalisation et l’utilisation d’expertise (ou d’expertises) dans les projets d’infrastructures, en amont (durant les études), lors du débat ou de la concertation, enfin plus en aval – aussi bien pour le projet mis à l’EUP ou le Cahier des Engagements de l’Etat qu’après la mise en service (ex : nuisances ou autres impacts).

Notre recherche a donc connu un double déplacement : • dans le temps (celui de l’observation dans la durée de la concertation, de l’avancement de projets et du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon) • de méthode, passant d’une étude assez classique (travail sur dossiers et documents, entretiens avec les intervenants chargés du dossier ou concernés par l’infrastructure) à l’observation d’une sorte d’expérimentation « en temps réel »

Sur le fond, notre objectif initial était de voir et comprendre la place des experts et de l’expertise dans les projets d’infrastructures. L’opportunité inespérée du débat public nous a permis d’aller plus loin. Le nouveau contexte du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon nous a amené à procéder à une lecture des dossiers et à un « décodage » des débats en cherchant à y repérer quelles questions ou problèmes pourraient éventuellement relever d’une expertise.

Sociologue, le rédacteur n’est évidemment pas compétent, ni encore moins expert dans la plupart des domaines étudiés ici – notamment tout ce qui relève de l’économie des transports, a fortiori de la technique. Il espère seulement que les lecteurs comme les intervenants qu’il a rencontrés voudront bien le considérer comme un « amateur éclairé », bon connaisseur des questions traitées ici.

On pourra lire ce rapport comme une sorte de « recherche de l’expertise » dont on verra qu’elle a été peu fructueuse si on l’entend au des définitions de chercheurs comme Jean-Yves Trépos. Au final, l’expertise qui existe bien et que nous avons observée est surtout celle qui relève de la compétence professionnelle des ingénieurs et BET de la maîtrise d'ouvrage (et de leurs sous-traitants spécialisés). Cette quête assez décevante a néanmoins constaté une attente d’expertises de la « société civile » et de certains intervenants (Commission particulière du Débat Public) en réponse à des questions posées par les dossiers de la maîtrise d'ouvrage.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 2/167

Le travail de terrain pour cette recherche a été mené avec l’appui des divers services de la maîtrise d'ouvrage (MELT/MATE/RFF) qui, à tous les niveaux, ont bien voulu nous ouvrir leurs dossiers et répondre à nos questions – de même que le Président de la Commission particulière et le Président de la Commission Nationale du Débat Public et leurs services. Le Préfet et le DRE nous ont permis de participer comme observateur à des réunions de concertation avec des élus ou associations non ouvertes au grand public. De nombreux élus et représentants d’associations (presque tous opposants, surtout au COL, à l’A89, au Contournement Est de Lyon et à l’extension de l'aéroport de Satolas) nous ont reçus. Nous les remercions tous.

Bien entendu, nous avons gardé toute liberté d’analyse et d’interprétation des informations et points de vue recueillis lors de ces rencontres.

Nos interlocuteurs le comprendront certainement, mais nous les prions d’excuser les facilités de style auxquelles nous avons pu nous laisser aller pour donner une certaine alacrité à une recherche par nature assez ardue. On verra d’ailleurs au cours de ce rapport que la compétence des professionnels de la maîtrise d'ouvrage n’est pas en cause, bien au contraire, puisque l’expertise la plus observée et observable est justement celle-ci.

Nous avons également tiré profit de rencontres avec d’autres chercheurs – notamment avec Jean-Marc Offner (responsable scientifique du programme, professeur à l’ENPC) et, à Lyon, Alain Bonafous et Bruno Faivre d’Arcier (chercheurs en transports au LET et professeurs à l’Université de Lyon 2). Là encore, nous avons tiré parti de leurs connaissances à notre façon, d’autant plus que nous avons quelques divergences avec ces économistes des transports réputés – intervenant également comme experts.

Selon la règle du genre, ce rapport n’engage que son auteur et, en aucune façon, d’autres personnes ou services – surtout pas la maîtrise d'ouvrage ni la Commission particulière du Débat Public qui nous ont aidé à mener à bien cette recherche.

Du point de vue de la présentation, les extraits d’entretiens ou autres citations sont en « italiques » (entre guillemets). Nous avons bien entendu donné la source autant que possible. Pour la presse (au sens large), nous avons considéré que ce qui était rapporté par le journaliste était ce qui avait été dit par la personne citée. Nous n’avons pas mentionné les interlocuteurs auprès desquels nous avons recueilli directement certains points de vue, car nous nous étions engagé à garder l’anonymat de la source – quitte à citer, lorsque c’était possible, leur point de vue rapporté par la presse.

Un sommaire détaillé devrait permettre au lecteur de parcourir rapidement le contenu du rapport et de retrouver facilement les diverses questions traitées. Les titres du sommaire sont volontairement abrupts afin d’animer quelque peu un document peut- être trop volumineux. Mais nous n’avons pas pu nous résoudre à éliminer des observations ou réflexions parfois un peu éloignées de notre sujet : cela aurait fait perdre des matériaux qui pourront être utiles.

La liste des abréviations et sigles est présentée en tête du rapport.

Les schémas des infrastructures étudiées sont présentés dans un dépliant en face de la page 10.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 3/167

Les principales conclusions de la recherche

La problématique de la recherche, initialement centrée sur l’expertise dans les processus de décision dans les transports (au sens d’infrastructures de transport), a été recentrée assez tôt vers l’évolution de l’expertise au regard de la transformation des processus de décision. En effet, ces processus de décision des infrastructures (routières, autoroutières, aéronautiques, ferroviaires maintenant) ont connu ces dernières années plusieurs évolutions :

• l’étude et la décision unilatérales par la maîtrise d'ouvrage (l’Etat et ses services ou la SNCF avant RFF) ne sont plus possibles, ni acceptées. La rationalité technique et économique d’une part, la légitimité de l’Etat en tant que représentant l’intérêt général d’autre part, sont mises en doute, voire en cause par la société civile

• la multiplication des réglementations et contraintes de tous ordres (juridiques notamment) ont rendu les dossiers et leur instruction bien plus complexes

Le débat sur les projets a lui-même connu des changements importants :

• la concertation classique durant la phase d’étude (avec quelques élus) à l’initiative du Préfet et de ses services (DDE le plus souvent) a été remplacée par un débat plus large, maintenant ouvert à tous les acteurs et à la société civile dans le cadre de la loi Barnier et maintenant de la nouvelle loi sur la démocratie de proximité

• le débat sur les projets est remonté vers l’amont, où le principe même du projet est discuté. Il se continuera (sous des formes encore mal définies) en aval jusqu’à une éventuelle EUP, puis lors de la réalisation et après

A toutes ces étapes, il y a (ou il pourrait y avoir) besoin d’experts et d’expertise(s), aux divers sens du terme :

• des professionnels compétents et des compétences spécialisées – que les services de la maîtrise d'ouvrage et leurs sous-traitants ont normalement

• des experts extérieurs à la maîtrise d'ouvrage, supposés indépendants de celle- ci, produisant des avis sur les dossiers ou les questions soulevées par les « acteurs » et, surtout, la société civile dont les opposants aux projets sont les plus critiques à cet égard

Notre recherche a été menée comme une enquête sur l’expertise telle qu’elle existe ou pourrait être soupçonnée d’exister dans les dossiers, dans les débats comme dans les processus de concertation ou de décision. Le fait d’avoir pu suivre certaines concertations (sur l’A89 et l’extension de l'aéroport de Lyon-Satolas) et, surtout, le récent débat public nous a permis une telle quête de l’expertise et des experts.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 4/167

A l’issue de cette enquête (présentée méthodiquement dans ce rapport), l’existence d’une expertise autre que celle de la maîtrise d'ouvrage nous semble à la fois rare et marginale. Elle n’est certainement pas habituelle, encore moins déterminante par rapport aux processus de décision – contrairement à certaines craintes d’un « pouvoir des experts », nouvel avatar du pouvoir occulte supposé des « technocrates ».

La principale conclusion est bien qu’il y a partout (et beaucoup) de l’expertise, mais il s’agit plutôt de compétence professionnelle – notamment celle de la maîtrise d'ouvrage.

Toutefois, il nous est également apparu que la maîtrise d'ouvrage de l’Etat, a fortiori celle des collectivités territoriales, souffraient d’un « déficit » d’expertise dans certains domaines (ex : juridique ou environnement) et pour certaines décisions (ex : préparer et négocier la concession d’une infrastructure).

Un certain nombre de bureaux d’études ont bien des capacités (cette expertise), mais ils sont à la fois peu nombreux et proches de la maîtrise d'ouvrage (Etat, RFF ou autres), mais aussi des entreprises du BTP/génie civil ou encore des exploitants (ex : SNCF pour le ferroviaire).

Il est donc difficile de trouver un organisme « indépendant » qui n’ait pas comme client ou parent un des acteurs des transports (infrastructures, exploitants). Une solution de fortune, très à la mode, consiste à faire appel à des BET ou universitaires étrangers – dont certains (ex : MVA, filiale SNCF/RATP) ne le sont que nominalement, alors que d’autres (ex : l’EPF de Lausanne) peuvent apporter un autre regard..

Il existe évidemment d’autres experts avec leur propre expertise au sein de l’Etat. En particulier des institutions comme le CGPC, le Conseil d’Etat (maintenant « acteur » dans le débat public), la Cour des Comptes ou l’Inspection des Finances. Mais ces experts dont la compétence et la probité sont incontestables et incontestées n’interviennent le plus souvent qu’à la demande de l’Etat ou de collectivités territoriales (exemple de l’expertise demandée par le Grand Lyon pour sortir d’un contentieux avec le concessionnaire du tronçon nord du périphérique de Lyon).

Par contre, les universitaires sont d’emblée considérés comme répondant aux 2 principaux critères de reconnaissance d’un expert (donc de son expertise) qui doit se conformer au critère (ou à la tautologie ?) de « l’expert indépendant » : • la compétence et le savoir d’une part • l’indépendance propre aux universitaires du fait de leur statut et de leur reconnaissance par leurs pairs

Dans le nouveau contexte de débat public ouvert à la société civile, les divers acteurs sont amenés à souhaiter ou demander des avis ou expertises à des universitaires. Toutefois, on retrouve un problème analogue à celui signalé pour les BET : un nombre restreint de laboratoires et chercheurs travaillent dans ces domaines des transports et des infrastructures ; ils sont souvent sollicités pour des commissions ou missions ; ces mêmes laboratoires sont également sous contrat avec des organismes publics (voire des entreprises du secteur). Ce « potentiel » d’experts et d’expertise de l’Université et de la recherche est donc également limité.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 5/167

Il ne serait donc pas facile de développer l’usage de l’expertise « indépendante » dans les débats et les processus de décision des infrastructures de transport, sauf à encourager la constitution de réseaux d’expertise (et d’experts) qui n’existent pas actuellement.

Ce serait pourtant nécessaire si l’on souhaite non seulement trouver des experts (compétents et « indépendants »), mais aussi assurer l’animation et le suivi scientifique et technique de ce réseau et cumuler l’expérience de la commande et de l’exercice de l’expertise.

En effet, le débat public (ou tout simplement la concertation/négociation devenue habituelle dans les projets, à l’exemple de la LGS) a besoin d’expertises, du moins d’avis de personnes compétentes extérieures à la maîtrise d'ouvrage comme aux autres « acteurs » et reconnues par tous – d’abord par les opposants. Cela pose le problème des moyens d’une expertise à la demande de la société civile ou d’autres « acteurs » afin de leur permettre d’être plus en situation d’égalité d’information et d’analyse avec la maîtrise d'ouvrage (ou un concessionnaire) dans un débat qui reste encore très « asymétrique »

Cela suppose des financements. Bien que cela se fasse déjà un peu, le récent débat public de Lyon a bien montré que la part consacrée à cette expertise à la demande de la société civile reste très minime par rapport aux dépenses d’études et, plus encore, de communication.

L’observation montre également que l’apport des divers, acteurs, « riverains » ou « habitants », le plus souvent opposants, n’est pas de l’ordre de l’expertise. Ces « acteurs » peuvent au mieux être des « experts d’en bas » apportant des informations permettant à la maîtrise d'ouvrage de vérifier et compléter l’étude du projet (notamment pour les questions d’environnement et de territoire).

La société civile n’ayant pas de moyens propres, la « contre-expertise » qu’elle produit est quasiment inexistante – sauf lorsque des riverains sont aussi des experts, par exemple en tant que professionnels des études ou de la recherche. Mais des associations (ou plutôt des réseaux ou fédérations) se sont dotées de moyens d’information (utilisant de plus en plus le web) qui leur permettent d’être à peu près aussi bien informés, en « temps réel » que la maîtrise d'ouvrage ou les professionnels.

Nous avons tenté d’analyser en « amateur éclairé » les dossiers et documents produits aussi bien par la maîtrise d'ouvrage que par d’autres « acteurs » (SNCF, élus, etc) et des opposants. Bien que n’ayant pas évidemment les compétences des spécialistes des domaines traités, il nous est apparu que de nombreuses questions auraient pu ou dû être posées, mais ne l’ont pas été.

Il nous semble que la raison principale de cet « oubli » est d’abord que ces questions ne correspondaient pas à des enjeux ou priorités pour les acteurs comme pour la maîtrise d'ouvrage ou que, au contraire, il fallait éviter de poser des « questions qui fâchent » (un bon exemple est celui du coût réel du fret ferroviaire ou des prévisions de report modal).

Cela confirmé a contrario, par le fait que les (rares) expertises demandées et réalisées au cours du récent débat public lyonnais ont été écoutées et accueillies, non pas en fonction de leur qualité intrinsèque (incontestable, les experts étant évidemment compétents), mais de ce qu’elles apportent ou non comme arguments aux opposants aux projets présentés – autoroutier ou ferroviaire. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 6/167

Nous avons donc bien retrouvé le risque (ou la tentation de la part du commanditaire ou des demandeurs) d’une instrumentalisation de l’expertise. Cette instrumentalisation de l’expertise peut prendre différentes figures pour la maîtrise d'ouvrage ou les opposants : • un moyen pour la maîtrise d'ouvrage de montrer qu’elle a tout prévu et qu’elle a entendu toutes les objections (ce qui n’est pas totalement faux) • une façon pour les opposants de conforter leur argumentaire, quitte à rejeter toute expertise paraissant favoriser le projet en jetant le soupçon sur l’indépendance de l’expert

Rappelons pour mémoire le recours à des experts (fonctionnaires de grands corps, hauts magistrats ou autres notabilités) pour trouver une solution technique, juridique et aussi politique à des problèmes plutôt politique – comme celle demandée à Lyon par R. Barre pour sortir du contentieux du tronçon nord du périphérique de Lyon. Ce genre de mission ressemble fort à celle qui serait confiée à un cabinet d’avocats ou de contrôle technique.

La combinaison du débat public et de l’expertise pourrait avoir des effets pervers : favoriser des débats en cascade, avec des expertises et contre-expertises « en abyme ». La préparation et la décision de bien des projets risqueraient de donner lieu à des débats interminables pour des projets toujours différés, dont on connaît des exemples en (la LINO dijonnaise ou la LEO avignonnaise).

L’expertise peut faire problème d’un autre point de vue : certaines questions (légitimes) des opposants ou riverains n’ont pas actuellement de réponse au niveau de l’expertise, faute de connaissances scientifiques ou d’outils (ex : modèles). C’est le cas des nuisances (bruit, pollution locale) subies par les riverains: les meilleurs experts ne disposent pas de modèle vérifié et utilisable. De plus, il existe forcément un écart impossible à combler entre l’approche scientifique ou économique d’une part, le vécu et la souffrance des riverains d’autre part. Cela est comparable aux inquiétudes de riverains à l’encontre d’antennes de téléphonie sceptiques à l’égard des résultats (rassurants) de nombreux travaux scientifiques : ces inquiétudes sont bien réelles, mais ni la science, ni les experts ne rassureront ceux qui les vivent.

L’expertise prend son sens et son usage dans une rationalité d’ordre technique, scientifique et économique tenue pour évidente par la maîtrise d'ouvrage et les institutions – alors qu’elle ne l’est pas (ou plus) pour une partie de la société civile. Mais l’irruption de la société civile, très en amont du débat sur les projets, implique bien une demande et un mode d’intervention d’expertise « publique » au sens où elle serait à la fois indépendante de la maîtrise d'ouvrage comme des opposants – mais acceptée par eux en tant que telle.

Ce n’est donc pas par l’extension (nécessaire et utile cependant) de l’expertise qu’il faut espérer sortir des apories actuelles (mise en doute de la rationalité de la maîtrise d'ouvrage et de sa légitimité à définir l’intérêt public dans un projet). On assiste au contraire à un retour du politique, aussi bien du point de vue de l’Etat (les ministres et les préfets) que des élus – la décision revenant finalement aux représentants du peuple, à défaut d’une décision directe de celui-ci.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 7/167

Recherche sur L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports Infrastructures routières (périphériques, rocades & autoroutes) & aéronautiques en région lyonnaise pour la Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques du Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement (programme mobilisateur EVALUATION-DECISION du PREDIT 1996-2000)

RAPPORT FINAL DE LA RECHERCHE

Sommaire

Présentation de la recherche & du rapport p 1

Les principales conclusions de la recherche p 4

abréviations & sigles

Schémas des infrastructures autoroutières, aéronautiques & ferroviaires en région lyonnaise

voir le dépliant en face de la page 10 Κ

PREMIERE PARTIE : PROBLEMATIQUE, METHODE DE RECHERCHE & INVESTIGATIONS p 8

La problématique de la recherche : l’évolution de l’expertise au regard de la transformation des processus de décision

Les infrastructures & projets en région lyonnaise : situation expérimentale & cas d’école? p 9 Les cas d’infrastructures étudiés

Les projets étudiés : point à l’achèvement de la recherche p 11 L’A89 (Lyon-Balbigny) Réduire la RN7 en attendant l’autoroute A89 L’A45 : un autre projet en attente L’extension de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry L’A432 : raccordement à l’A43 ou amorce de l’A7bis ? Le Tronçon Nord & du tronçon Ouest du périphérique de Lyon Le Contournement Est de Lyon

La réalisation de la recherche : méthodes & investigations p 14 Méthodes de recherche sur les décisions en matière d’infrastructures de transport : observations ou reconstruction a posteriori des processus de débat et décision

Les investigations de la recherche p 15

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports SOMMAIRE DU RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 page i/viii DEUXIEME PARTIE : EXPERTS & EXPERTISE QUELLES DEFINITIONS ? SOCIOLOGIE DES EXPERTS & DE L’EXPERTISE p 17 Experts & expertise : quelles définitions ? Experts & expertise Des Anciens à la Renaissance : l’étymologie Experts & expertise en français & en anglais La science : le doute & la lenteur Expertise & état des connaissances, les experts sont formels Les experts : des savants ou des professionnels ? Un saut de la connaissance scientifique à l’avis de l’expert Sociologie de l’expertise & des experts Tous experts ? de plus en plus d’experts Les pôles de l’expertise : la connaissance, le politique & le réglementaire Des experts reconnus ou « labellisés », des experts & des notables ou des experts notables ? Un milieu ou un réseau d’expertise ou de contre-expertise : informel « à la française » ou organisé dans certains pays Des experts d’experts : de nouveaux aréopages ? La république des experts & celle des élus du peuple, des experts peuvent se tromper

TROISIEME PARTIE : EXPERTS & EXPERTISE OBSERVATIONS & ETUDES DE CAS p 27

Nouveaux problèmes, nouveaux territoires, nouveaux acteurs Un double changement : d’autres infrastructures sur un territoire plus vaste d’autres territoires & d’autres régions Montée en généralité & montée en moralité : déplacer le débat pour le maîtriser quelle place reste-t-il à l’expert ? Déplacement des questions & des sujets : un « karaté » social Montée en généralité & mobilisation territoriale

Infrastructures & territoires : la bonne échelle & le bon moment du débat p 30 Des périmètres à géométrie très variable : d’où parle-t-on & de quel espace ? Echelle du débat & échelles des débats Le COL & la vallée du Rhône : quelle est la bonne échelle territoriale ? D’autres régions concernées, l’échelle pertinente : l’agglomération lyonnaise, la vallée du Rhône ou une partie de l’Europe, de la Suisse & de la Padanie à la Catalogne ? Opposants, territoires & projets d’infrastructures Territoires & espaces de mobilisation territoire de l’expertise & territoires de l’action politique Déplacer le débat & son périmètre territorial L’échelle temporelle des projets & celle du débat, l’horizon du COL : une vingtaine d’années

Des infrastructures en débat : lesquelles ? des projets orphelins & des expertises absentes p 34 Des infrastructures baladeuses ou des « cadavres dans le placard » (administratif) ? des projets ou alternatives sans partisans ni experts Le contournement autoroutier de Lyon par l’Est : une option orpheline l’A7 bis : serpent de mer ou cadavre dans le placard ? Des questions non posées & donc des expertises absentes

Quelles alternatives évaluer ou expertiser ? les oublis du processus de décision p 37

Fabriquer de l’irréversibilité & éliminer des alternatives : l’instrumentalisation des procédures ? Pas de grand contournement autoroutier Est de Lyon, mais le COL, plus court est 4 fois plus cher

La variante retenue : l’optimum & le faisable, le bon projet, le médiocre & le repoussoir p 39

Question réglée ou fausse évidence ? le trafic de transit p 40 Trafic de transit & trafic régional : des infrastructures forcément polyvalentes La répartition du trafic de transit entre route et fer en région lyonnaise : plutôt équilibrée ou non ? ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports SOMMAIRE DU RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 page ii/viii Une question & une problématique absentes ? l’exploitation optimale des infrastructures & du matériel de transport de fret p 42 Le nombre de voies : ce qui est économiquement souhaitable & techniquement possible mais ne l’est pas politiquement Une question peu traitée : la gestion active des infrastructures & du trafic Le grand contournement Ouest de Lyon est-il indispensable ? quel scénario alternatif ? Croissance du trafic ou décroissance économique ? Trop de transports inutiles ?

L’économie des transports : une question trop sérieuse pour être laissée aux économistes? p 46 Calcul économique & infrastructures : rationalité ou semblant de rationalité ? Le coût des transports de marchandises : calcul économique ou barème ? Faire payer plus cher la route pour payer le fer ? des calculs savants mais peu concluants Les coûts supportés par la collectivité pour les différents modes : comment y voir clair ? Quel bilan économique & social global pour la société ?

Expertise & compétence, experts & bureaux d’études p 51 BET & experts : un milieu restreint qui « formate » les problématiques & les réponses ? BET & expertise en France & en Europe Des BET qui savent tout faire, même de l’expertise ? Les modèles & leurs maîtres d’œuvre : plus de technique, de savoir-faire & de tour de main que d’expertise ? Des modèles douteux, pour les experts comme pour les opposants ? des modèles de trafic validés, mais toujours contestés

De plus en plus de débats : débats & transparence, quelle place pour les experts & l’expertise p 55 L’impasse d’une démarche « technocratique », le débat « citoyen » : la solution ?

Rationalité, bien public & intérêt collectif p 57 Le bien public & l’optimum collectif : des illusions de rationalité ? Maîtrise d'ouvrage publique, débat public & décision publique

L’EUP : une procédure sans débat & sans experts? p 59 Des experts ou intervenants plus ou moins professionnels : les commissaires-enquêteurs Des spécialistes en débat public dans la maîtrise d'ouvrage des prestataires de service de communication sur les projets Des professionnels de la communication : plus utiles & plus influents que les experts ?

Concédant & concessionnaire : au moins un absent du débat p 62 Un déficit de compétences des collectivités territoriales : ingénieurs territoriaux & autres spécialistes Des BET qui appuient la maîtrise d'ouvrage ou la remplacent ?

La transformation des processus de décision : nouvelles instances, nouvelles procédures, nouvelles expertises p 63 Toujours plus de débats & donc de démocratie ?

Le débat public & la transparence : principe, bonnes intentions & réalité p 65 La société civile redécouverte ou récupérée ? Le débat public ou la concertation : un processus d’apprentissage plutôt que de contre-expertise ? Un débat public pour s’exprimer, s’informer & proposer Débat & controverse : du « bla bla » ou des résultats ? Un apprentissage & une compétence de la controverse

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports SOMMAIRE DU RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 page iii/viii Le débat public sur les contournements autoroutier & ferroviaire de Lyon la concertation interminable ? grand débat & petits résultats ? p 68 Un débat public après 2 autres débats Un débat public XXL : le mieux ou l’ennemi du bien ? Débat passionné & débat rationnel : un débat pour débattre ou pour combattre ? Le bilan de la Commission particulière du Débat Public : encore bien des questions non traitées & un « déficit » de débat ou d’expertise ? Les conclusions de la Commission particulière du Débat Public : quelle différence avec une EUP ? Un consensus à l’issue du récent débat public ? un accord a minima pour poursuivre la discussion sur le projet Débat public & Commission Particulière du Débat Public négociation de l’amont à l’aval, y compris sur l’opportunité ? Débat & consensus : le « paquet ficelé » des Suisses Un contournement autoroutier à l’Ouest & un contournement ferroviaire de Lyon à l’Est un parti gagnant / gagnant ou perdant / perdant ? La poursuite du projet de contournement ferroviaire de Lyon : une concertation avec des moyens pour les partenaires de RFF Du « grain à moudre » pour la concertation : l’exemple de la LGS Débat public ou négociation le débat sur le contournement ferroviaire de Lyon : vers une négociation Du débat public à la concertation : la négociation entre acteurs après la controverse publique

Commission Nationale du Débat Public & Commission particulière du Débat Public p 78 La Commission Nationale du Débat Public : quelle expertise ? La Commission Nationale du Débat Public : un rejeton ambitieux du MATE La Commission particulière du Débat Public : un ensemble de compétences, d’expériences & de notoriétés Compétences, information & formation de la Commission particulière du Débat Public Experts & présidents de commissions Le Président de la Commission particulière du Débat Public : une notabilité impartiale plutôt qu’un expert Le Président de la Commission particulière du Débat Public : un super-expert ou la magistrature des Conseillers d’Etat ? Une Commission particulière du Débat Public réellement responsable du dossier & du débat ?

Le récent débat public : une société civile & des élus bien informés, plutôt trop que pas assez ? p 81 Des élus & associations bien informés, mais certains peu vigilants Les documents pour le récent débat public : plutôt trop que pas assez d’informations à interpréter & expertiser

Un débat public presque sans expertise ? le débat public sur les contournements autoroutier & ferroviaire de Lyon p 83 Un bon budget pour le débat, mais quasiment rien pour l’expertise expertise & experts : alibi ou mouche du coche ? Quelques expertises complémentaires : éclaircissements, alibis ou hochets ? Des moyens pour la « société civile » : quand la maîtrise d'ouvrage finance ses opposants Un déficit d’expertise de la Commission particulière du Débat Public en amont du débat L’initiative de l’expertise complémentaire : la Commission Nationale du Débat Public & non la Commission particulière Le bon moment du débat ou le bon moment de l’expertise

L’Etat, les élus & la société civile : des opposants experts ou contre-experts ? p 86 Les contributions & avis des « acteurs » dans le récent débat public : tous ont un avis sur tout Des amateurs experts ou des experts amateurs : des connaissances & des compétences dans la « société civile » Les riverains & opposants : de l’amateurisme au savoir, du local & du particulier au général Peu de véritable expertise associative Des riverains experts & des experts riverains ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports SOMMAIRE DU RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 page iv/viii Elus & société civile : des opposants inégaux dans le débat comme dans l’information ? p 92 Nébuleuse d’opposants ou milieu militant ? Des opposants qui ont les moyens du débat public : moyens & compétences de communication et de « lobbying » Nous, le peuple, eux les « technocrates » ou les experts Participer au débat ou y prendre la parole : apporter sa contribution ou défendre son point de vue ? Le débat appartient à ceux qui interviennent tôt & qui savent s’organiser pour le monopoliser ou l’orienter

Débat « asymétrique » & expertise inégale : des experts face aux profanes ? p 95 Société civile : riverains & citoyens La « société civile » & les « experts d’en bas » : pas ou peu de contre-expertise Experts d’en haut & experts d’en bas Profanes & experts, des « amateurs éclairés »

Agora grecque ou assemblée cantonale suisse ? tous les avis sont permis, mais pas équivalents p 97

Elus, riverains & opposants : tous les arguments sont bons pour refuser une infrastructure ou la faire passer ailleurs p 98 Argumenter plutôt qu’expertiser ou argumenter par l’expertise ? Des arguments ad hominem ou ad via autocinetica ? La Commission Européenne à l’aide des opposants au COL : la Commissaire en otage ? Les amis du vignoble & les experts de la viticulture L’impact du COL sur l’arboriculture : les fruits rhôdaniens au péril du tunnel sous le Pilat ou de la concurrence sud-européenne ? Le principal danger pour l’agriculture : moins les nouvelles infrastructures que la péri-urbanisation La traversée du parc naturel régional du Pilat : quel Pilat ?

Des problèmes & questions sans bonne réponse : nuisances & souffrance pour les riverains p 102 Les nuisances pour les riverains ont-elles un prix ? des mesures incommensurables, mais toutes les mesures sont prévues D’inévitables nuisances qui n’ont pas de prix Toutes les précautions sont prises, la maîtrise d'ouvrage n’a pas besoin d’autres expertises Des points de vue incommensurables : l’expert, le « riverain » ou l’« habitant » souffrant Mesurer le bruit des avions ou la souffrance des riverains ? Interdire les vols de nuit ? supprimer les transports pour en éviter les nuisances Le COL & la pollution de l’air à Lyon : des risques analogues à ceux des antennes de téléphonie mobile ou des OGM ? Encore des risques, malgré toutes les études Une nouvelle contrainte : les risques industriels & les tunnels

Des questions auxquelles on aura la réponse trop tard : le temps de l’expertise & celui du débat p 105 Comment mesurer la pollution de l’air avant & après le COL : on ne sait pas faire actuellement, mais on saura après ! La pollution : des réponses peu satisfaisantes à des questions mal posées ? Les effets positifs du COL & du contournement ferroviaire de Lyon sur l’environnement : quelles études ou mesures ?

De plus en plus d’experts & d’expertise : à chaque question, un expert ? p 107 La multiplication des experts, des expertises, des avis & des études Prolifération d’expertises & désignation des experts Les ingénieurs & les économistes concurrencés ? Expertise à répétition & décision impossible : nouvelles questions, nouveaux problèmes ou nouvelles normes

Copernic ne participait pas aux débats : nuisances & mesures des nuisances p 110

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports SOMMAIRE DU RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 page v/viii L’Etat maître d'ouvrage & garant de l’utilité publique, ses spécialistes & ses experts p 111 Préfet, services de l’Etat & concessionnaire : un renouveau du « métier » de Préfet & de Ministre Le Préfet : l’Etat & le gouvernement en province Quelle place pour le Préfet dans le débat public ? Une seule voix de l’Etat ou chacun au nom de l’Etat ? L’Etat maître d'ouvrage & la Commission particulière du Débat Public Les services de l’Etat : le Préfet & ses ingénieurs Des ingénieurs plus polyvalents : management de projet, concertation & communication

Le CETE : des rôles ambigus & contradictoires le bureau d’études de l’Etat & son chargé d’information p 115 Le CETE : compétent ou partisan ? scepticisme ou procès en sorcellerie ? Le CETE : un expert institutionnel ou un représentant de la maîtrise d'ouvrage ? l’ambivalence des ingénieurs du CETE & de ceux qui les critiquent CETE contre CETE : des opposants qui instrumentalisent les services de la maîtrise d'ouvrage

Les services de la maîtrise d'ouvrage : MATE & Ministère de l’Equipement et des Transports p 117 DIREN, DRE & CETE L’instruction conjointe METL/MATE : partenariat, complémentarité ou inégalité d’expertise ? Corps & corps ou corps à corps : METL & MATE DRE & DIREN : l’amie des autoroutes & l’amie de l’environnement ? Trop de fonctions pour une seule DRE ? la DRE : la Direction des routes ou celle des routiers ? La maîtrise d'ouvrage de l’Etat : toutes les compétences requises ? De nouvelles missions pour la Direction des routes & les DRE : éviter de faire des routes ?

Les infrastructures : autant un problème de juristes que d’ingénieurs de la technique à la chicane ? p 121 Des projets à risques : contentieux & expertise juridique

Du projet à la mise en service : quel suivi ? le projet & sa réalité longtemps après p 122 Les engagements de l’Etat & ceux du concessionnaire : des opposants & collectivités territoriales qui exigent tout sans s’engager ?

Des collectivités territoriales en déficit de compétence & d’expertise de maîtrise d'ouvrage p 123 Histoire de Guignols ou concédant incompétent ? le cas d’école du Périphérique Nord de Lyon Une maîtrise d'ouvrage qui doit savoir concéder autrement le nouveau système de concession européenne Un déficit de compétences des collectivités territoriales : ingénieurs territoriaux & autres spécialistes Des BET qui appuient la maîtrise d'ouvrage ou la remplacent ? Experts, commissaires-enquêteurs ou ingénieurs : un cumul d’expérience ?

Infrastructures routières & infrastructures ferroviaires : d’autres acteurs & d’autres experts p 126 des arguments contestables, mais peu contestés Projets d’infrastructures routières & intermodalité : les ingénieurs de la DDE & ceux de RFF Deux acteurs du débat en situation d’oligopole : la « boîte noire » RFF/SNCF argumenter sans être contredit ? Le dossier de la SNCF pour le débat sur le contournement ferroviaire de Lyon : argumentaire, plaidoyer & promesses Les perspectives du fret ferroviaire : des doutes ? le fer est pavé de bonnes intentions Le report modal : 300 trains en plus, 5000 PL en moins ? Le partage modal route/rail, le report modal de la route vers le fer : objectif atteint ? Le dossier du contournement ferroviaire de Lyon : minimaliste, mais laisse la place à une négociation

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports SOMMAIRE DU RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 page vi/viii Le bouchon ferroviaire lyonnais & le contournement ferroviaire de Lyon à l’Est : comment faire financer une infrastructure par l’Etat & la Région Rhône-Alpes Le ferroviaire, nouveau suspect ? les trains aussi gênent les riverains Le contournement ferroviaire de Lyon & l’environnement : le fer est « écologique » pour les « écologistes » non riverains & le « lobby » ferroviaire Les risques d’un contournement ferroviaire de Lyon : le ferroviaire aussi peut être accusé de tous les maux Le contournement ferroviaire de Lyon pose aussi des problèmes aux riverains Peut-on connaître le bruit des trains ? ou pourrait même le réduire, mais ce n’est pas prévu

Des débats interminables & des projets en attente p 135 De plus en plus d’études & expertises Des projets qui seraient impossibles aujourd’hui ? Une procédure toujours plus longue & plus complexe, d’autres procédures ou réglementations

La bonne infrastructure est celle qui ne se fait pas ou se fait ailleurs p 137 A la recherche de l’itinéraire alternatif au COL : de la Saône et Loire à l’Ardèche, en passant par les Hautes-Alpes ou l’Auvergne des RD pour remplacer des autoroutes ? Les riverains du Contournement Est de Lyon : séparer & éloigner le trafic de transit Partager les nuisances & les problèmes de l’agglomération Ouest vert & Ouest riche ? Les opposants de l’Ouest au COL : l’hommage du vice à la vertu des « villageois » qui encombrent & polluent plus que le transit routier ?

Le bon mode, c’est l’autre mode que celui de l’infrastructure projetée p 141 Une autre politique (audacieuse) des transports : les services de l’Etat prisonniers des « lobbies » autoroutiers ? Le fluvial : une alternative pour le trafic transalpin ?

Des questions que personne ne pose ou n’a envie de poser ? des expertises ne sont donc pas nécessaires ! p 142 Le coût du grand contournement autoroutier de Lyon : des calculs « à la louche » plutôt qu’à l’ordinateur Le financement du COL : un péage gratuit pour les Lyonnais payé par le transit européen ?

Des questions ou problèmes sans réponse satisfaisante : p 144 contournement autoroutier & urbanisation Le COL : pas de trafic local ? bonnes intentions & pétition de principe Maîtrise de l’urbanisation & limitation du nombre d’échangeurs : le principe & la réalité Une inconnue : l’utilisation du contournement ferroviaire de Lyon des effets pervers sur la desserte péri-urbaine ?

Les collectivités territoriales & les contournements de Lyon : les partisans, les opposants, les demandeurs, les bénéficiaires & les payeurs p 147 Le Département du Rhône : un département qui ne s’occupe plus des routes puisque personne n’en veut plus La Région Rhône-Alpes pour le contournement ferroviaire de Lyon & le COL même s’il faut les financer sans le Grand Lyon Le Grand Lyon & les nouvelles infrastructures projetées en région lyonnaise : bénéficier des infrastructures sans les financer Le COL : le prix à payer par l’Etat & la Région pour permettre au Grand Lyon de réaliser ses grands projets ? Des préalables à sens unique ? financement national & avantage local DVA & réseau d’agglomération après la réalisation du COL : comment contractualiser les engagements de l’Etat & des collectivités territoriales ? ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports SOMMAIRE DU RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 page vii/viii Experts de la maîtrise d'ouvrage & experts « d’en bas » : contre-experts ou experts « alternatifs » ? p 151 Elus, riverains & opposants, débat public & « experts d’en bas » : la stratégie du soupçon Des réunions publiques où une partie du public conteste la maîtrise d'ouvrage & les experts Légimité & crédibilité de l’expertise : la compétence des experts ou l’intérêt pour les acteurs

Contre-expertise & experts indépendants p 154 L’expertise à la demande : l’Etat, les élus & la société civile D’autres experts que ceux de la maîtrise d'ouvrage : de nouveaux experts issus de la société civile ?

Les usages de l’expertise : une instrumentalisation ? l’expert & son commanditaire p 156 Etudes, expert & « formatage » de la problématique la commande d’expertise : l’expert & son commanditaire Explication des choix publics & politiques publiques l’expertise instrumentalisée ou la contribution des experts ? Etudiez, expertisez, cela gagnera au moins du temps, mais alimentera le doute

Tout est prévu par la maîtrise d'ouvrage : la protection des riverains & des vignerons des chèvres, des chauves-souris & des papillons p 158

Usages & limites de l’expertise p 159 L’instrumentalisation de l’expertise & des experts Multiplication des expertises & pluralité des expertises

Contre-expertise & experts indépendants, expertise & contre-expertise : le contrôle illusoire ? p 160 Expertiser les experts ? Des experts en désaccord Experts « indépendants » & études « indépendantes » ? Des experts indépendants ? Expertise pluraliste ou expertise contradictoire ? la dissymétrie de l’expertise La contre-expertise : de la théorie à la pratique Débat interminable & débats en abyme, des expertises gigognes ?

Des experts étrangers : aussi experts mais plus indépendants ? p 165 Au pays des Allobroges, les Helvètes sont druides: un montagnard suisse expertise le Pilat

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports SOMMAIRE DU RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 page viii/viii Première partie : Problématique, méthode de recherche & investigations

La problématique de la recherche : l’évolution de l’expertise au regard de la transformation des processus de décision

La question de l’expertise en matière de transports terrestres a connu ces dernières années d’importantes évolutions : apparition d’une « contre-expertise » d’origine militante (généralement en opposition à de nouvelles infrastructures ou à leur extension), nouveaux domaines (notamment juridiques) liés le plus souvent à l’irruption des réglementations et politiques européennes. Les contraintes ou effets pris en compte se sont étendus et complexifiés (notamment en matière d’environnement). Les élus et les maîtres d'ouvrage des infrastructures ou devant les approuver doivent affronter des oppositions et interrogations de la part d’une « société civile » plus exigeante quant à la transparence des décisions et à l’information tout au long de procédures de plus en plus longues. Les « métiers » de Maire, Président de Conseil Général ou de Préfet s’en trouvent revalorisés par rapport aux divers « techniciens » (notamment ingénieurs) : ces « politiques » doivent rechercher et porter un consensus sociétal que l’on ne peut plus faire accepter au nom de la seule rationalité technique et économique.

La région lyonnaise constituait de ce point de vue une situation quasi-expérimentale : un ensemble d’infrastructures routières, autoroutières et aéroportuaires ont été (et sont encore) l’occasion de manifester ces déplacements de l’expertise et des changements irréversibles des processus de décision : • après la réalisation d’une rocade dans des conditions assez classiques (au prix de compromis divers, les « techniciens » portant le projet à la place d’élus soucieux de ne pas trop s’engager), une autre rocade urbaine et une autoroute (pourtant acceptée voire attendue par les collectivités) ont été plus ou moins abandonnées sous la pression de coalitions d’opposants mobilisant des « contre-experts » (parfois universitaires) • la concession d’une rocade urbaine à péage a été bloquée en raison d’irrégularités juridiques (notamment du point de vue du droit européen), déclenchant une controverse politique et des procédures relatives à des accusations de corruption (active de la part du futur concessionnaire et passive de la part du Président de l’agglomération) • le schéma d’ensemble du réseau autoroutier de contournement de l’agglomération était l’objet de négociations difficiles – le Préfet et les services de l’Etat cherchant à préserver le long terme et les élus de certaines communes à reporter ailleurs le trafic routier • de même pour l’extension de l’aéroport de Satolas (évidemment source de nuisances ) liée à de nouvelles infrastructures autoroutières. Les opposants utilisant tous les arguments et procédures (notamment contentieuses) pour empêcher cette extension, limiter le trafic et, paradoxalement, permettre la poursuite de la péri-urbanisation autour de cet aéroport • enfin, au cours de notre recherche, la problématique du contournement autoroutier de Lyon s’est trouvée à la fois déplacée dans l’espace (une seule variante à l’Ouest ayant été vraiment présentée et débattue) et complétée par un projet (le contournement ferroviaire de Lyon) apparu tardivement dans les débats comme une alternative ou un simple projet « opportuniste » (au sens d’une affection « opportuniste » en termes médicaux) bien dans l’air du temps du « multimodal » cher aux 2 Ministres concernés

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 1/160

Un grand débat public fin 2001/début 2002 sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon a porté sur le principe même plus encore que le tracé du contournement autoroutier de l’agglomération. Il a bien montré que le débat public change le déroulement classique de l’élaboration des projets et des processus de décision.

Durant toute cette histoire du projet, des coalitions d’opposants de plus en plus « experts » (du moins bien informés) se sont formées sur un territoire de plus en plus vaste (ensemble de la région urbaine de Lyon débordant sur les départements limitrophes). Des demandes ou besoins d’expertise sont apparus, ainsi que des besoins de compétences ou savoir faire de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre. La question du contournement ferroviaire de Lyon en raison du « bouchon » ferroviaire aussi pénalisant que le fameux bouchon du tunnel sous Fourvière a réactualisé les questions de la « multimodalité » et du transfert modal du trafic fret de la route vers le fer.

Notre problématique initiale s’est avérée pertinente et nous avons pu suivre « en temps réel » et « in vivo » (en quelque sorte) l’élaboration des projets, les débats, les interventions et les arguments de la maîtrise d'ouvrage (de l’Etat pour la plupart de ces infrastructures) comme des élus locaux et de la « société civile ».

L’objet de la recherche était de décrire et comprendre ces processus de décision et ces débats afin de repérer et analyser la place des experts et de l’expertise (ou plutôt DES expertises) comme de la « contre-expertise » dans ce nouveau contexte où le débat public, quelles qu’en soient les modalités, est devenu normal et, de toute façon, inévitable.

Sans anticiper sur les conclusions et les observations qui les fondent, on peut déjà dire que si nous avons trouvé de l’expertise (au sens le plus général du terme), nous n’avons guère trouvé d’experts, encore moins d’experts jouant un rôle significatif dans les débats – a fortiori dans les décisions.

Ces débats n’avaient pas débouché concrètement sur des décisions – sinon celles de poursuivre études, information et concertation.

A tel point qu’on pouvait se demander au moment de l’arrêt de la recherche de terrain (1er semestre 2002) si l’on n’allait pas vers une série de débats en abyme se succédant, avec éventuellement quelques expertises plus ou moins instrumentalisées.

Les infrastructures & projets en région lyonnaise : situation expérimentale & cas d’école ?

Les cas d’infrastructures étudiés

La région lyonnaise constituait du point de vue des changements dans les processus de décision et de débat une situation quasi-expérimentale où plusieurs infrastructures (autoroutières, ferroviaire et aéronautique) en étaient à des stades très différents de leur exploitation, de leur réalisation ou, simplement en projet très en amont (comme les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon).

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 2/160

Les cas d’infrastructures étudiés au titre des processus de décision, d’étude ou de débat ont été :

• la rocade Est de Lyon (partie non concédée et A46 sud), alias Contournement Est de Lyon (par opposition au grand contournement Est, alternative au grand contournement Ouest de Lyon)

• les périphériques Nord & Ouest de Lyon (pour les points que l’Etat a eu à connaître) + A45 (partie non concédée)

• l’autoroute A89 (Lyon-Balbigny, y compris le 1er projet mis à EUP, dont Belmont- Quincieux) et liaison A89 (La Tour de Salvagny) A6 via la RD73

• le grand contournement Est (évoqué lors d’un précédent débat) ou Ouest (au récent débat public) de Lyon

• l’extension de l’aéroport de Lyon – Saint-Exupéry & A432 (accessoirement A48)

• le contournement ferroviaire de Lyon (introduit lors du récent débat public)

Ε voir ci-contre le schéma des infrastructures en région lyonnaise

Ces opérations « font système » de divers points de vue :

• évidemment leurs fonctions et les trafics (notamment de transit)

• leur caractère complémentaire (ex : contournement Ouest et rocade Est) ou alternatif (ex : grands contournements Ouest ou Est)

• des collectivités territoriales impliquées dans plusieurs d’entre elles (Grand Lyon, Département du Rhône et départements voisins, Région Rhône-Alpes, autres communes de l’Ain, de l’Isère et du Rhône hors Grand Lyon)

• des services de l’Etat (essentiellement la DDE du Rhône et la DRE de Rhône-Alpes)

• du CETE (assisté de quelques bureaux d’études) chargé de l’élaboration de la plupart des dossiers

• bien entendu du Préfet (Préfet de Région)

• des opposants de plus en plus nombreux et divers qui se sont coalisés à partir des projets les concernant pour intervenir sur l’ensemble (ou la plupart) des projets d’infrastructures et de leur exploitation (cas du Contournement Est de Lyon)

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 3/160

Les projets étudiés : point à l’achèvement de la recherche

Au moment de l’achèvement de la recherche de terrain (1er semestre 2002), les projets étudiés étaient très diversement avancés.

L’A89 (Lyon-Balbigny)

L’autoroute Lyon*-Balbigny, dernier tronçon de l’A89 de Lyon à , avait fait l’objet d’une 1ère EUP en 1997 avait donné lieu à un rapport favorable, mais la DUP n’avait pu être prise du fait du changement du mode de choix du concessionnaire suite à la mise en application de la nouvelle réglementation européenne sur la mise en concurrence remplaçant l’adossement « à la française ». * La Tour de Salvagny

Cet épisode assez cocasse pose la question d’un « déficit » d’expertise (du moins de savoir-faire ou d’organisation), la durée excessive de la préparation du projet et de la concertation avec les élus ayant empêché de profiter (à quelques mois près) de l’adossement auprès du concessionnaire « normal » (ASF, concessionnaire de la plus grande partie de l’A89 en cours de construction entre Bordeaux et Clermont-Ferrand).

Après une nouvelle étude du dossier et une concertation (sans débat public), une EUP a été réalisée en 2001. Les conclusions du commissaire-enquêteur ont bien été favorables à cette liaison Balbigny – Lyon via La Tour de Salvagny sur la bande du tracé proposé, mais demandent la réalisation concomitante de la liaison autoroutière vers l’A6. Le Commissaire- enquêteur a pris la précaution de présenter son avis comme ne valant pas avis favorable au COL qui devait faire l’objet du récent débat public. Des communes du Val d’Azergues avaient obtenu entre le 1er dossier et le dossier soumis à l’enquête que le tracé soit modifié (avec un échangeur en moins) –au grand dam d’autres communes qui espéraient au contraire un accès à l’A89 pour soulager le trafic qu’elles subissent sur des RD assurant la liaison versl’A6..

Cette liaison A89-A6 étant sous maîtrise d'ouvrage de l’Etat, la DDE préparait un dossier pour son Ministre (mais aussi pour le MATE) après l’EUP. Elle devra répondre aux observations du commissaire-enquêteur sur la liaison A89-A6 et sa réalisation par l’Etat concomitante à celle de l’A89.

L’A89 est très attendue (peut-être au-delà du raisonnable) par les élus et « acteurs économiques » du Roannais et de la région de Tarare (en crise urbaine et économique) qui l’ont rappelé lors du récent débat public.

Réduire la RN7 en attendant l’autoroute A89

Le projet d’A89 a donc été fortement décalé dans le temps. Cependant, la DDE a étudié et réalisé des aménagements de la RN7 entre La Tour de Salvagny et l’Arbresle dans la perspective d’un changement futur des fonctions de la RN (destinée à être doublée par l’autoroute) devenant une desserte intra-régionale. Les objectifs de sécurité routière sur cette RN traversant des zones urbanisées ont conduit la DDE à réduire notablement les capacités et la vitesse sur la RN – notamment en créant des tronçons à 2 x 1 voie, y compris hors agglomération et en montée (malgré l’important trafic PL).

Ces travaux ayant été réalisés bien avant la mise en service de l’autoroute, il en résulte que la RN7 offre maintenant une qualité de service réduite (en termes de vitesse moyenne) – au bénéfice d’une meilleure sécurité. Il faut cependant noter que cette RN7 est actuellement le seul accès vers l’agglomération lyonnaise de la région de Tarare et du Roannais, 2 zones en crise économique qui souffrent de leur « enclavement » et attendaient beaucoup (sans doute trop) de l’A89.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 4/160

Sans remettre en cause les objectifs de sécurité routière et de dissuasion du trafic PL à longue distance qui peut emprunter d’autres itinéraires, il nous semble qu’il y a bien un problème : la cohérence, dans le temps comme dans l’espace, entre des projets – surtout si ces projets n’ont pas du tout la même « temporalité ».

Le problème est analogue pour le COL : si le COL n’est réalisé (au mieux) qu’à la fin de la décennie 2010, il faudra bien faire passer le trafic (local, régional et de transit) dans l’agglomération lyonnaise.

Autrement dit : la question pourrait se poser d’augmenter la capacité du contournement actuel (le Contournement Est de Lyon), parallèlement aux mesures d’exploitation de l’existant et de dissuasion du trafic.

Dans de nombreux cas, il y a bien un besoin de savoir prévoir (scénarios alternatifs) et gérer dans la durée les projets, y compris ceux qui sont décalés, bloqués ou réalisés par tronçons tout en assurant la continuité et la cohérence fonctionnelle.

Dans le cas d’espèce de la RN7 en rapport avec la future (ou éventuelle) A89, c’est d’autant plus paradoxal que le même service de la DDE était en charge du projet de l’A89 et des aménagements de la RN7.

L’A45 : un autre projet en attente

Le projet d’A45 (Lyon-St-Etienne) se présente d’une façon différente de l’A89, souhaitée (voire réclamée) par la plupart des communes riveraines. L’A89 a fait l’objet d’une EUP et la DUP était en attente au moment de l’achèvement de nos travaux, alors que l’A45 n’était pas encore parvenue à l’APS. Une décision ministérielle ayant été prise en 1999 sur la bande 1 km, le projet n’était plus « éligible » au récent débat public. Les services de l’Etat réalisaient une étude pour la bande 300 m dont l’achèvement était prévu pour la rentrée 02. Comme pour l’A89, il devrait ensuite y avoir une consultation des élus. L’objectif théorique était un APS à fin 03, avant de passer à l’EUP. Pour l’A45, le CETE assurait à la fois la maîtrise d'ouvrage déléguée pour le compte de la Direction des routes et la maîtrise d’œuvre.

Ce projet n’avait pas provoqué les mêmes oppositions que le COL, sans doute parce qu’il ne passerait pas dans des zones aussi valorisées (vignoble, banlieues « résidentielles »). Mais il a été évoqué lors du débat sur le COL par les opposants de la Loire ainsi que par certains partisans de cette autoroute (élus, milieux économiques). Les communes riveraines sont opposées à l’autoroute avec la plupart des riverains ou agriculteurs. Par contre, le Département, les entreprises et les Maires des villes de la vallée en sont de fermes partisans.

L’extension de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry

Après une période de concertation, le nouvel APPM de l'aéroport de Saint-Exupéry ( Lyon- Satolas) a été défini de façon à permettre à la fois l’ouverture de 1 ou 2 pistes supplémentaires et, à court terme, la réalisation du tronçon de l’autoroute A432 reliant l’A6 (au nord) et le Contournement Est de Lyon (A46 nord) à l’A43 – cette liaison pouvant être une amorce de grand contournement par l’Est, pourtant « tricard* » dans tous les dossiers et débats. *tricard = personnage (ou sujet) dont un journal de parle jamais (argot journalistique)

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 5/160

Les négociations au plus haut niveau entre le Ministre et les locaux (d’abord le Maire de Lyon, Président du Grand Lyon) ont conduit l’Etat à fixer un objectif (ou une limite) de capacité à 18 millions de passagers/an contre 6 millions en 2001. L’Etat a étudié les divers dossiers (PEB notamment) et mené (sous l’autorité directe du Préfet, animant les réunions) une concertation (obligatoire) avec les riverains (élus, associations, professionnels/CCI gestionnaire de l’aéroport) pour permettre cette extension à terme tout en « gelant » les nouvelles constructions, au grand dam de certains « pavillonneurs » et communes.

L’Etat a également décidé d’aider la CCI (exploitant l’aéroport) à développer l’aéroport et s’est engagé auprès du Grand Lyon et du Département du Rhône en faveur d’une liaison ferrée (tram/train) prolongeant la future ligne de tramway de la gare de la Part-Dieu à Meyzieu sur l’emprise de l’actuel CFEL* (propriété du Département du Rhône). * Chemin de Fer (non SNCF) de Lyon, à voie unique, peu utilisé, passant en ville, du quartier de la Part-Dieu à Crémieu

L’A432 : raccordement à l’A43 ou amorce de l’A7bis ?

Ce tronçon d’autoroute (24 km), reliant l’A43 (Lyon-Grenoble/Chambéry) à l’A42 (Lyon/Bourg/Genève) sera mis en service en juin 2003. Il a été étudié et décidé selon une démarche classique et une procédure sans débat public (simple EUP). Il n’a guère été évoqué lors du récent débat public, bien qu’il puisse constituer l’amorce de la partie nord (Satolas-A46) d’un grand contournement autoroutier de Lyon par l’Est – alternative la plus rationnelle* au COL (pas de tunnels, moins coûteux, etc). * du point de vue de certains spécialistes

Le débat sur l’A432 a été en quelque sorte « étouffé » par l’opposition des riverains à l’extension de l'aéroport de Lyon-Satolas et le débat sur le COL (écartant a priori la « variante » est depuis le précédent débat Barnier).

Le Tronçon Nord & du tronçon Ouest du périphérique de Lyon

Le tronçon nord du périphérique de Lyon ayant été réalisé bien avant notre recherche (mise en service en 1999) et le tronçon Ouest du périphérique de Lyon mis quasiment en suspens à la suite de l’expérience malheureuse de cette 1ère infrastructure en concession (confiée depuis à une SEM*, il sera rarement question ici de ces 2 infrastructures (comprenant toutes 2 des tunnels qui en expliquent le coût élevé donc les difficultés de financement).

Ces 2 exemples illustrent notamment des « déficits » de compétences ou d’expertise des collectivités territoriales concédantes face à des groupements concessionnaires disposant à la fois de BET techniques et de professionnels des questions juridiques, réputés pour obtenir des contrats avantageux et des « rallonges » à répétition.

Ce tronçon nord du périphérique de Lyon, très critiqué au départ et dont le péage est toujours mis en cause par certains, est un succès (trafic, nombre d’abonnés, asphyxie du réseau urbain en cas de fermeture) qui a incité le Grand Lyon (devenu seul maître d'ouvrage) à rouvrir le dossier du tronçon Ouest du périphérique de Lyon, sans pour autant savoir comment le financer. * Société d’Economie Mixte

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 6/160

Le Contournement Est de Lyon

Mise en service en 1993, cette rocade (RN346 au nord de l’A43, A46S ASF au sud) a été étudiée et décidée de façon classique, avec seulement une série de réunions publiques d’information préalable à l’EUP que nous avions pu observer à l’époque.1

Ce contournement, réalisé à 2x2 voies est souvent saturé, très accidentogène, mélangeant du trafic local à des trafics de transit. Les nuisances importantes subies par les riverains font l’objet de mesures palliatives d’aménagements (ex : protection anti-bruit) ou d’exploitation (limitations de circulation PL, contrôles de vitesse, etc) qui ne sont évidemment pas suffisantes pour eux. Son élargissement (techniquement possible) à 2x3 voies est plus impossible que jamais du point de vue politique, alors que cela serait rationnel et utile.

Du point de vue de la recherche et des observations, la question du Contournement Est de Lyon a surtout été posée en référence (repoussoir ou contrepartie) au projet de COL présenté au débat – les élus et riverains de l’Est s’estimant défavorisés par les multiples nuisances que les habitants de l’Ouest ne subissent pas.

La réalisation de la recherche : méthodes & investigations

Méthodes de recherche sur les décisions en matière d’infrastructures de transport : observations ou reconstruction a posteriori des processus de débat et décision

Compte tenu de la durée (en partie involontaire) de notre recherche, nous avons pu pratiquer (du moins tenter) les 2 principaux types de méthodes de recherche sur les décisions en matière d’infrastructures. Eu égard à la durée des processus (en fort allongement), ces démarches ne sont pas exclusives et ne peuvent donc être strictement respectées (d’après nous) :

• l’observation « en temps réel » sur plus de 2 ans, profitant de divers débats ou concertations culminant avec le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon

• la reconstruction après-coup d’après des documents et entretiens auprès d’acteurs (ce que nous avons fait pour le tronçon Ouest du périphérique de Lyon). Un sociologue universitaire donnait l’exemple de cette démarche dans le cas de la gare de l'aéroport de Lyon-Satolas.2

Dans ce cas, le chercheur (politologue ou sociologue) est dans une situation voisine de celle de l’historien par rapport aux faits qu’il étudie, a posteriori, à partir de récits rétrospectifs.

1 Notre étude : Suivi des réunions publiques organisées à l'occasion de l'enquête publique relative au contournement Est de Lyon et au boulevard urbain sud, pour la DDE du Rhône, mars 1988. 2 Politique publique et action stratégique en contexte de décentralisation. Aperçus d’un processus décisionnel « après la bataille », P. Corcuff et M. Sanier. Annales Histoires, Sciences Sociales juillet-août 2000, N° 4. Voir également : J-L Marie (dir.), Construction des acteurs, de leurs conflits et de leurs ententes dans les processus décisionnels relatifs aux grandes infrastructures de transport. Quelques terrains rhônalpins, rapport de recherche, CERIEP pour la DATAR, 1995. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 7/160

Les investigations de la recherche

Nous avons mené les investigations sur plusieurs plans :

• contacts suivis avec les divers services et intervenants de la maîtrise d'ouvrage de l’Etat (DDE, DRE et CETE notamment)

• contacts avec les experts et bureaux d’études intervenant sur les divers projets

• contacts avec des personnes ayant tout ou partie de la « mémoire » des projets ou opérations, aussi bien dans les services de l’Etat (ingénieurs et Préfets) que des collectivités territoriales ou de certains bureaux d’études

• travail sur les dossiers des opérations et projets, notamment ceux ayant fait l’objet d’un Dossier des engagements de l’Etat (A432), de divers documents (APPM*, Charte et PEB* pour l'aéroport de Lyon-Satolas), d’une EUP (A89), d’un débat au titre de la CNDDP (débat sur les contournements autoroutier et ferroviaire de l'agglomération lyonnaise et 3ème aéroport pour ce qui concerne l'aéroport de Lyon-Satolas) * Avant-Projet de Plan de Masse ** Plan d’Exposition au Bruit

• suivi de la concertation sur l’APS modificatif pour l’EUP de l’A89 lancée (avec presque 1 an de retard) à la rentrée 2001

• suivi de l’EUP sur l’A89 et ses séquelles (divers recours d’opposants, etc)

• suivi du débat DUCSAI à Lyon et (via le web et la presse) au niveau national

• suivi du débat sur les contournements autoroutier et ferroviaire de l’agglomération lyonnaise (et plus seulement sur le grand contournement Ouest de Lyon comme dans la phase précédente) en 2001/2002

• campagne d’entretiens auprès de services du Ministère (tant au niveau DDE/DRE que Direction des Routes/SETRA) sur les infrastructures étudiées, la pratique des projets et concertation

• entretiens auprès d’élus et d’associations ou groupements (notamment d’opposants) en donnant la priorité à ceux qui se sont exprimés au cours des débats ou concertations que nous avons suivis

L’auteur du rapport a par ailleurs poursuivi son travail de veille sur les questions de la recherche en participant des séminaires ou réunions : • groupe permanent de réflexion sur les véhicules automobiles du futur du Centre de Prospective et de Veille Scientifique de la DRAST3 • séminaire sur « la civilisation de l’automobile » de la Faculté de philosophie4 de Lyon III et du LET • club mobilité du CERTU

3 Séminaire animé par Jacques Theys à la DRAST. 4 Sous la direction de Régis Debray et Marc Guillaume. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 8/160

Nous avions pu faire un premier point de nos observations et analyses dans un article de la revue Métropolis sur l’évolution de l’expertise au regard de la transformation des processus de décisions à partir du cas des infrastructures routières et aéronautiques en région lyonnaise5.

Par ailleurs, nous avons bénéficié des autres recherches menées au titre du programme6 et de recherches antérieures pour le PREDIT7. Le recoupement avec la recherche de l’équipe de Jean-Yves répos est d’ailleurs double :

• la thématique (des projets autoroutiers) et la situation (contournement autoroutier, trafic de transit et desserte d’agglomération). Ainsi, le dossier concluant à la nécessité d’une nouvelle infrastructure excluait le passage à 2x3 voies de l’actuelle A31 mélangeant (comme le Contournement Est de Lyon) trafic de transit et trafic local. Ce projet a été rejeté suite à des débats animés faisant d’ailleurs ressortir des dysfonctionnements entre divers services de l’Etat

• l’un des 2 ingénieurs de la DDE du Rhône (responsable de l’extension de l’aéroport de Satolas et de l’A432) vient du CETE de l’Est où il a suivi le projet étudié par l’équipe de Trépos ; cet ingénieur a déjà eu à faire face à l’irruption du « multimodal » dans les projets routiers

Rappelons en référence l’ouvrage de Trépos sur la sociologie de l’expertise8 et le bilan LOTI pour le Contournement Est de Lyon et l’A49.9

5 Voir notre article : Expertise et décision : le cas des infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise, octobre 2001, repris dans METROPOLIS N° 108-109 Projets et politiques de transports Expertises en Débat, mars 2002. 6 Eric Baye et Gérard Debizet : Des nouvelles problématiques urbaines à l’ingénierie de planification des transports (France, Allemagne, Royaume-Uni), Economie et Humanisme & CERAT-CIVIL Expertise de tracés et traçabilité de l’expérience, Jean-Yves Trépos (responsable scientifique), ERASE-Université de 7 Voir : Laurence de Carlo, Alain Pekar Lempereur avec la collaboration de Jean-Pierre Choulet et Julien Marcel, La : programme de recherche en négociation-médiation dans le domaine des grands projets de transport, ESSEC, 1998 Le bruit des avions est-il négociable ? Sens, enjeux et difficultés du passage du régalien au contractuel. Bernard Barraqué, LATTS-ENPC. V. Gamon : La construction politique des conflits. La contestation du Projet autoroutier Balbigny-Lyon (A89), thèse de sciences politiques, Université de Lyon 2, 1998. P-Y Hennebelle & J-M Jarrige (ISIS), avec E. Le Van & V. Gamon, Les bilans de l'article 14 de la LOTI : Raisons d'une mise en œuvre discrète, recherche pour le PREDIT, 1999. Grandes infrastructures routières et territoires. Eléments d’observation et de méthode. CERTU/CETE Méditerranée, août 1999. 8 Jean-Yves Trépos, 1996, La sociologie de l’expertise, PUF (que sais-je ?) 9 LE VAN Elsa, GAMON Véronique ; direction scientifique : BACOT Paul (CERIEP), CROZET YVES (LET) ; coordination générale de la recherche : ISIS, HENNEBELLE Pierre-Yves & JARRIGE Jean-Marie) : Les bilans de l'article 14 de la LOTI : Raisons d'une mise en œuvre discrète, rapport final pour le compte du PREDIT, nov. 1999. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 9/160

Deuxième partie :

Experts & expertise

Quelles définitions ?

Sociologie des experts & de l’expertise

Experts & expertise : quelles définitions ?

Experts & expertise Des Anciens à la Renaissance : l’étymologie

Il semble nécessaire de faire préalablement le point de diverses définitions des termes « expertise » et « expert ».

Dans son « Que Sais-Je ? », J-Y Trépos10 étudie méthodiquement de nombreux auteurs et présente diverses définitions des 2 termes (expertise et expert) le plus souvent liées. Il relève les acceptions différentes, voire contradictoires. Ainsi, un expert est : • tantôt un professionnel (ex : l’expert-comptable) dans son activité habituelle, le terme d’expert est alors quasi-synonyme de « compétent » et « véritable professionnel » • tantôt un intervenant dans des situations inhabituelles que, justement, le « simple professionnel » serait incapable de traiter avec succès

L’étymologie du terme « expert » est à la fois éclairante et trompeuse, puisque : • des auteurs11 se réfèrent à l’étymologie latine : l’ « expertis » serait celui qui a éprouvé des dangers (experiti), supposé capable de surmonter passions et idéologies • alors que d’après les dictionnaires de référence12, il s’agit de l’ « expertus » (ex : « expertus dico ») qui tire son expertise de l’expérience • pire encore, l’ « expers » est un ignorant (ex : « expers ingenii », qui est sans génie)

Il nous semble donc que la seule étymologie recevable soit celle de l’ « expertus », participe passé de « experior », ayant 3 définitions : • qui a essayé, qui a éprouvé, qui a reconnu • qui a l'expérience de • au sens passif, éprouvé, reconnu, constaté.

Ainsi, « expertus dico » (je le dis par expérience) ou « expertus belli » (aguerri)

Le terme latin expertus a donné en ancien français, « espert » (vers 1200) et, en français moderne, « expert », attesté au XVIème siècle, un peu après celui d’expertise, la contre- expertise remontant à 1800.13 L’expression « au dire d’experts » étant attestée au XVIème siècle.

10 Jean-Yves Trépos, 1996, La sociologie de l’expertise, PUF (que sais-je ?) 11 P. Casella, L. Tangy & P. Tripier dans la Revue Française de Sociologie N° XXIX-1, 1988, d’après la citation de Jean-Yves Trépos, 1996, La sociologie de l’expertise, PUF (que sais-je ?). Nous n’avons pas vu l’original. 12 D’après le dictionnaire en ligne : http://perso.wanadoo.fr/prima.elementa/ 13 D’après le Dictionnaire Larousse de la langue française (Lexis), 1988 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 10/160

Experts & expertise en français & en anglais

Les dictionnaires de langue anglaise donnent acte à cette étymologie « expertus » via le français « expert » au sens originel de quelqu’un qui connaît d’expérience. Il est intéressant de noter que les dictionnaires d’anglais montrent bien la polysémie du terme « expertise » et, surtout, le fait qu’elle renvoie d’abord à des compétences et/ou des connaissances.

Les dictionnaires français donnent des définitions se recoupant, mais ne coïncidant pas totalement.

Ainsi, pour le Dictionnaire Larousse de la langue française (Lexis)14, l’expert a bien le double visage repéré par J-Y Trépos : • se dit de quelqu’un (ou de ses actes) qui connaît très bien une chose par la pratique • c’est un spécialiste chargé d’apprécier, de vérifier

Le même dictionnaire donne de l’expertise une définition assez tautologique, mais recouvrant bien ce qu’est effectivement l’expertise : une « constatation ou estimation effectuée par un spécialiste mandaté », la contre-expertise étant elle-même une « expertise ayant pour objet d’en contrôler une autre ».

Le Petit Larousse est paradoxalement plus précis en donnant plusieurs acceptions ou exemples, puisque l’expert est quelqu’un qui : • a une parfaite connaissance d’une chose due à une longue pratique • témoigne d’une telle connaissance ; exercé, habile (ex : un ouvrier expert) • est apte à juger de quelque chose, connaisseur

Enfin, tautologie avérée, l’expert est une personne qui fait une expertise (exemple donné : Expert judiciaire)

L’expertise est définie selon 3 acceptions par ce même Petit Larousse, comme : • la constatation ou estimation effectuée par un expert (exemples données : expertise judiciaire, médicale ou psychiatrique) • le rapport d’un expert • enfin, le fait d’être expert et, également, l’ensemble des connaissances et compétences d’un expert

Les dictionnaires américains de langue anglaise montrent bien la polysémie du terme « expertise » et, surtout, le fait qu’elle renvoie d’abord à des compétences et/ou des connaissances. Ainsi, pour l’encyclopédie Encarta15, l’expert est quelqu’un ayant une spécialité, des connaissances, une expérience, des compétences dans un domaine particulier « skilled or knowledgeable person: somebody with a great deal of knowledge about, or skill, training, or experience in, a particular field or activity) (par exemple) « a medical expert ».

Dans le Webster « expertise » est synonyme de • capacité, compétence ou maîtrise (ability, command, know-how, mastership, mastery, skill, etc) • art ou savoir-faire (craft, know-how, skill, etc)

14 D’après le Dictionnaire Larousse de la langue française (Lexis), 1988 15 Dictionnaire en ligne. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 11/160

De même, l’expertise est aussi ce que font ou disent les experts et aussi leurs compétences. Ainsi, dans l’encyclopédie Encarta, l’expertise est la compétence, le savoir ou l’opinion de l’expert (“the skill, knowledge, or opinion of somebody who is an expert”).

Au final, l’expert doit être compétent et reconnu, mais c’est d’abord quelqu’un qui fait une expertise – l’expertise étant ce que fait l’expert.

Au-delà du caractère tautologique de ces notions, on voit bien que la définition de l’expert n’est pas évidente et ne fait pas l’objet d’un consensus quant au concept.

D’ailleurs, on verra bien que lorsqu’il est question d’experts ou d’expertise dans les projets ou débats étudiés ici, ces termes sont utilisés comme allant de soi, mais sans explicitation : tel expert étranger est expert parce qu’il a été choisi comme tel par le président de la Commission particulière du Débat Public du fait de sa position (bureau d’étude spécialisé) et de sa réputation (il travaille pour des services publics de son pays et d’autres).

Il nous semble finalement que s’il y a expertise dans les projets suivis au cours de cette recherche, c’est plutôt au sens anglo-américain du terme : l’expertise comme compétence.

La science & la connaissance à l’épreuve du débat

Bien que la question ne se soit posée que de façon marginale lors du récent débat public (essentiellement à propos des effets du COL sur la pollution de l’air en région lyonnaise ou du bruit sur les riverains de l’aéroport ou du contournement ferroviaire de Lyon), la relation (rarement explicitée) de l’expertise à la science (du moins à la connaissance éprouvée) renvoie à des attentes ou une « demande sociale » de certitudes scientifiques auxquelles la science, justement, ne peut pas répondre.

Un scientifique en donnait l’exemple à propos de la recherche et de l’expertise sur les OGM16, rappelant que « La science est incapable de prévoir les effets à long terme des OGM ». Suite à des études invalidant des études précédentes sur la toxicité du pollen de maïs OGM à l’égard d’un papillon menacé, il constate que « Comme pour de nombreuses controverses sur les objets techniques, il n’y a pas de clivage entre une science qui serait unanime et la société, mais des divergences au sein même de la communauté scientifique qui sont.. inhérentes au débat scientifique. Sur certains sujets (comme) les OGM, elles peuvent alimenter des controverses publiques qui n’ont pas nécessairement leur origine dans les débats scientifiques »17

16 OGM et agriculture : options pour l'action publique, Bernard Chevassus-au-Louis, Commissariat général du plan, septembre 2001. 17 Citations d’après les Echos du 28/9/01. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 12/160

La science : le doute & la lenteur

Bien que les questions posées lors du récent débat public concernent moins la recherche scientifique avancée que d’autres débats ou controverses (ex : sur les OGM), les spécialistes ou experts sont bien en peine d’y répondre de façon définitive et certaine – par exemple sur les effets du COL sur la pollution atmosphérique localisée.

On retrouve ici les limites de l’« incapacité de la science d’apporter la preuve demandée en temps utile »18. En matière de santé (ex : les OGM ou la « vache folle »), sommée de se prononcer sur l’innocuité d’un produit, « la science n’est pas plus capable de produire définitivement l’absence de dangers que leur existence ».19 C’est bien pourquoi «le doute que la science déclare elle-même sur les résultats de ses recherches.. oblige les décideurs à prendre des mesures sans attendre tous les résultats ».

Les scientifiques (ou même les experts qui ne sont pas eux-mêmes des chercheurs) prennent donc des précautions dans la présentation de leurs conclusions, précautions ou questions utilisées par les opposants, inquiets ou soupçonneux pour conclure que, faute d’avoir prouvé définitivement qu’il n’y a pas de risque, ce risque existe.

Utiliser ou invoquer l’expertise ou la connaissance scientifique & technique ? questions ou inquiétudes collectives

De plus en plus, les opposants font appel à (ou invoquent) des connaissances scientifiques supposées parfaitement établies et certaines (ex : en matière de bruit ou d’effets de la pollution émise par les PL sur la santé des riverains, voire le réchauffement climatique).

Malgré la référence à des travaux scientifiques (le plus souvent de 2de main), cela n’a absolument pas le caractère d’un débat scientifique contradictoire (avec vérification), mais plutôt d’un « déballage » d’arguments à la fois « ad hoc » et parfois « ad via autocinetica ». 20

Les questions posées lors de débats, par exemple lors du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, peuvent être vues comme la manifestation tout à fait compréhensible et respectable d’inquiétudes collectives.

Paradoxalement, malgré (ou à cause) de la rationalité technologique omniprésente, ces inquiétudes collectives foisonnent et résistent à la plupart des démonstrations contraires ou des garanties apportées par les scientifiques et les politiques.21 En prenant garde de ne pas considérer comme des imbéciles ou des malades mentaux les opposants qui s’expriment de façon si véhémente lors des réunions, on voit bien que ces débats mobilisent des affects auxquels aucune démonstration rationnelle technique ou scientifique ne répondra. On connaît l’exemple des 946 études22 concluant à l’absence du danger supposé des antennes de téléphonie mobile qui n’ont jamais rassuré les riverains inquiets dont l’angoisse s’exprime par l’incantation du « principe de précaution ».

18 Science et société, Cahiers Français N° 294, février 2000. 19 Olivier Godard, Projet N° 261, mars 2000. 20 D’après le dictionnaire italien-latin de termes contemporains LEXICON RECENTIORIS LATINITATIS, Università Pontificia Salesiana (Rome), 2000. 21 Vaste est l’empire des inquiétudes collectives, le Monde du 20/1/01. 22 Entretien avec le Professeur Goldberg à Antenne 2 le 12/1/01. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 13/160

Paradoxalement, ces craintes sont renforcées par la prudence des scientifiques qui sont pourtant de plus en plus sommés de donner un avis définitif et univoque.23 Les publications comme les controverses inhérentes à la démarche scientifique peuvent alimenter des controverses publiques qui n’ont pas nécessairement leur origine dans les débats scientifiques.24

En effet, la science se caractérise par le doute et la lenteur, insupportables pour des « décideurs » ou des opposants exigeant des certitudes immédiates – du moins à court terme (une mission d’expert de quelques mois à un an). Elle est le plus souvent dans l’« incapacité .. d’apporter la preuve demandée en temps utile ».25 Ce sont les opposants qui sont en même temps les plus exigeants et les plus soupçonneux (le terme n’est pas trop fort) ) aussi bien à l’égard des conclusions des experts que de leurs doutes ou précautions méthodologiques.

De plus, les experts peuvent se tromper – et même admettre qu’ils se sont trompés ou se le voir reprocher par d’autres experts. Un parlementaire renommé pour sa causticité a pu s’en gausser 26 et presser d’ « en finir avec la république des experts ». Cela renforce un scepticisme de principe à l’égard des experts et de la connaissance scientifique et, réciproquement, conforte dans leurs certitudes du sens commun des acteurs plus « profanes » (élus ou opposants, ces derniers se qualifiant souvent de « riverains », d’habitants, etc).

Dans le récent débat public, les opposants ont souvent fait appel ou invoqué des connaissances scientifiques (ex : en matière de bruit ou d’effets de la pollution émise par les PL sur la santé des riverains, voire le réchauffement climatique) le plus souvent de seconde main (voire beaucoup plus). Bien évidemment, malgré les apparences, le débat avec les experts ou leurs commanditaires (ex : le CETE, chargé d’un APS ou d’un dossier) n’a absolument pas le caractère d’un débat scientifique contradictoire (avec vérification), mais plutôt d’un « déballage » d’arguments à la fois « ad hoc » et parfois « ad hominem » (allant jusqu'aux quolibets voire injures en réunion publique).

En fin de compte, la problématique est ici moins scientifique et rationnelle que philosophique. Non seulement les opposants ont des craintes compréhensibles et légitimes à l’égard de l’impact des projets sur leur vie et leur environnement, mais il s’agit aussi d’ «inquiétudes collectives »27 auxquelles des réponses rationnelles n’apportent pas de démenti.

Expertise & état des connaissances les experts sont formels

L’observation de l’avancement des projets « lyonnais » confirme une nouvelle fois que l’expertise se contente d’utiliser ou rappeler l’état des connaissances plutôt que de promouvoir des études spécialisées ayant trait au projet. Il nous semble que cela est dû : • d’abord à la pratique de l’expertise mobilisée par des experts ou BET du fait de la nature des missions qui leur sont confiées (brèves et ponctuelles en réponse à une question ou relatives à un domaine limité • et, surtout, au fait que l’expertise reste marginale – ce que la part dérisoire des expertises extérieures lors du récent débat public illustre bien

23 Anne Denis, Experts : l’impossible indépendance Collégialité et transparence, gages d’impartialité, les Echos du 12/4/2001. 24 Citations d’après les Echos du 28/9/01. 25 Science et société, Cahiers Français N° 294, février 2000. 26 André Santini, Des vessies et des lanternes Pour en finir avec la république des experts, Hachette, 2001. 27 Vaste est l’empire des inquiétudes collectives, le Monde du 20/1/01. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 14/160

On connaît bien la formule qui a fait fortune « « les experts sont formels »28 ou sa variante « le chercheur doute, l’expert est formel »29.

Les experts : des savants ou des professionnels ?

J-Y Trépos avait observé (dans d’autres contextes) la mise en avant par les experts de valeurs savantes et disciplinaires (ex : « sociologue » ou psychanalyste »). De ce point de vue, la figure de l’expert tient plus du savant que de l’intellectuel, si l’intellectuel est celui qui apporte des questions et des réponses sur la société dans son ensemble. Cela correspond plutôt aux expertises dans des domaines à fort contenu de connaissance (ex : en matière de santé publique).

Nous avons, lors du récent débat public en région lyonnaise, noté que les experts étaient présentés (notamment par le Président de la Commission particulière du Débat Public) et se présentaient d’abord par leur titre et leur appartenance institutionnelle (professeur d’université, chercheur à l’INRETS, etc) censés en garantir à la fois la compétence et l’indépendance à l’égard de la maîtrise d'ouvrage.

Un saut de la connaissance scientifique à l’avis de l’expert

Comme le remarque P. Roqueplo cité par J-Y Trépos30, l’expertise scientifique se réfère à des principes épistémologiques de réfutabilité, mais lorsque la science doit être transformée dans l’expertise qui se fonde sur elle, elle est en quelque sorte mise en demeure de produire une synthèse de connaissances que l’on ne rencontre en fait dans aucun corpus disciplinaire. Qui plus est, cette synthèse suppose un « état du savoir » à un moment donné qui n’existe en fait nulle part – d’où l’hésitation des scientifiques devant l’expertise qui se traduit par un diagnostic univoque, supposant un « saut » par rapport à l’activité scientifique ordinaire.

Les disciplines ou connaissances évoquées (plus que véritablement mises en œuvre) relèvent donc plutôt de l’économie des transports ou de divers domaines relatifs à l’ « environnement » que des sciences sociales (absentes, même au 2ème degré, dans les cas observés).

Sociologie de l’expertise & des experts

Nous partirons ici du petit ouvrage de référence de J-Y Trépos31 que nous lirons à notre façon (n’engageant évidemment pas son auteur) en le citant avec quelques libertés – après lui avoir reconnu notre dû.

28 J. Theys cité par J-Y Trépos. Voir : Theys, J. & Kalaora, B. (sous la direction de) La Terre outragée: les experts sont formels, : Editions Autrement, 1992. 29 formule d’Olivier Godard. 30 Original : article de M. Callon dans La Terre outragée. Les experts sont formels, Autrement, 1992. 31 Jean-Yves Trépos, 1996, La sociologie de l’expertise, PUF (que sais-je ?) ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 15/160

On peut y lire (du moins nous y lisons) le caractère ambivalent ou double (au sens de « double personnalité) de l’expert : • l’expert se définit et est défini par un « système de dispositions » ou « habitus » (au sens de P. Bourdieu) et/ou par un métier ou profession reconnu tant par ses pairs que par ses clients (ou commanditaires dans les cas d’expertise qui nous intéressent ici) • réciproquement, l’expérience et/ou l’épreuve constituent l’expert – ce que l’on retrouve aussi bien dans l’étymologie latine que dans l’usage courant de l’expert « expérimenté »

On reprendra également la distinction entre une pratique professionnelle habituelle (si complexe soit-elle, comme celle de l’expert-comptable) et un pratique liée à des questions ou situations nouvelles ou, du moins, inhabituelles (exemple type : l’expert donnant son avis sur les causes d’un accident industriel).

De ce point de vue, P-Y Trépos explique que l’« expertise serait une situation problématique (une difficulté qui ne peut être surmontée par l’exercice professionnel normal, voire une difficulté que l’on n’arrive pas à localiser), requérant un savoir de spécialiste (mais cette spécialité est-elle celle qui convient ou simplement le plus proche possible decelle qui convient ?) qui se traduira par un avis (le fameux « rapport d’expertise ») donné à un mandant (qui donne le pouvoir à l’expert, éventuellement, de sortir du cadre habituellement autorisé), afin qu’il puisse prendre une décision (parfois pour son propre compte, parfois en vue d’un tiers, le bénéficiaire) ».

Du point de vue de la sociologie de l’expertise, P-Y Trépos distingue 3 types d’approches : • le plus fréquemment, on s’intéresse à la professionnalisation des experts (formation d’une profession, différenciation et concurrence par rapport aux mondes professionnels, interactions avec les publics et avec les politiques) • dans une moindre mesure, c’est la pratique même de l’expertise qui est analysée (nature de la compétence, modalités d’exercice, outils et ressources) • enfin, plus rarement, on cherche à saisir les situations d’expert pour elles-mêmes, car elles ne se réduisent pas à des questions de configuration professionnelle ou d’équipements cognitifs

Deux aspects de la réalité de l’expertise sont en interaction • les discours des experts participent à la définition de ce que l’on croit pourtant mesurer indépendamment de ces discours (les « pratiques objectives ») ; les coordinations de toutes sortes (conventions, disputes, arrangements, etc) qui s’établissent entre ces experts et les non-experts pour permettre la stabilisation de la réalité dans laquelle ils sont (et qu’ils font), ne sont pas joués d’avance • si l’on insiste trop sur le premier aspect, on finit par considérer que l’invention de l’expertise par l’expert est plus ou moins de la supercherie (l’expert trompe son monde et se trompe lui-même). Si l’on insiste trop sur le second aspect, on laisse entendre que l’expertise n’est construite que dans l’interaction

J-Y Trépos rappelle la double légitimité de l’expert qui le constitue comme expert : le fait qu’il n’est pas seulement un professionnel (ou spécialiste), mais qu’il est aussi connu (réputation) et reconnu par ses pairs et les institutions. Bref, un « professionnel repéré ».

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 16/160

Tous experts ? de plus en plus d’experts

Pour J-Y Trépos, il existe une tendance à une « déprofessionnalisation » de l’expertise résultant notamment : • des facteurs démographique (augmentation des professionnels des domaines d’expertise) • la diffusion très large de savoirs professionnels relevant du monopole

La diffusion des technologies de l’information (d’abord le web) est d’ailleurs un facteur important qui est probablement en train de changer radicalement et irréversiblement la distribution sociale de l’expertise et des experts

Les pôles de l’expertise : la connaissance, le politique & le réglementaire

Pour M. Callon (cité par J-Y Trépos)32, l’expertise est un assemblage reposant sur 3 « pôles » • un pôle scientifico-technique (savoirs sur la nature ou sur les artefacts), affecté par les controverses entre spécialistes • un pôle sociopolitique et économique (compétences, projets, intérêts et attentes des acteurs humains), affecté par les conflits entre les acteurs sociaux concernés • un pôle réglementaire (directives et recommandations), concerné par les litiges possibles

Des experts reconnus ou « labellisés » des experts & des notables ou des experts notables ?

Comme le rappelle J-Y Trépos, les experts qui foisonnent maintenant n’ont généralement pas les « équipements d’authentification » d’experts traditionnels (ex : l’avocat, l’expert auprès des tribunaux, le professeur agrégé de médecine ou l’expert-comptable) qui affichent une « plaque » garantissant en principe qu’ils ont suivi un cursus professionnels validé par leurs pairs et par l’Etat et dispense ceux qui peuvent s’en prévaloir de rappeler qu’ils sont autorisés à faire ce qu’ils font.

La reconnaissance de l’expert par ses commanditaires comme par ses pairs et par la société civile est une construction que l’on pourrait analyser comme un « cercle vertueux », où la seule la chaîne des expertises précédentes authentifie de façon durable l’expert qui garde la mémoire des expertises passées.

Il en résulte (comme l’a noté J-Y Trépos) un effet de « reproduction méritocratique » , reposant sur une tautologie : on est membre d’une commission d’experts parce qu’on a déjà été membre d’une autre, certains experts évoluant vers un statut de « sage ».

Ce double phénomène de « reproduction méritocratique » et de renforcement de la légitimité (et sans doute du savoir-faire) de l’expert est essentiel pour garantir au commanditaire la reconnaissance (sinon la validité intrinsèque) de l’expertise. Bref, avoir toujours les mêmes experts reconnus réduit l’incertitude

C’est ce qui explique que l’on retrouve dans des domaines et circonstances très divers un certain nombre d’experts qui sont d’abord des notabilités de l’Université et de la recherche dont la compétence et l’indépendance sont en quelque sorte labellisées par leur statut institutionnel et leur renommée.

Certains des experts (au sens le plus large) qui sont sollicités à divers titres (notamment pour faire partie de diverses commissions) sont souvent autant des notabilités (connues et reconnues) que des spécialistes en tant que tels.

32 Original : article de M. Callon dans La Terre outragée. Les experts sont formels, Autrement, 1992. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 17/160

Un milieu ou un réseau d’expertise ou de contre-expertise : informel « à la française » ou organisé dans certains pays

La mise en œuvre pratique d’expertises ou contre-expertises suppose qu’il existe un milieu ou un réseau d’experts auxquels les parties intéressées pourraient faire appel.

Si ce milieu existe bien en matière technique ou juridique dans certains domaines (ex : les experts en bâtiment en cas de contentieux), il n’existe pas dans les domaines qui nous intéressent ici.

La maîtrise d'ouvrage de l’Etat ne semble pas inquiète, dans la mesure où elle estime que s’il y a une demande et un financement, un milieu professionnel se construira en réponse – à l’instar de ce qui s’est passé pour le contrôle de conformité ou de sécurité dans le bâtiment. Cela ne nous semble pas forcément assuré.

D. Duclos, cité par J-Y Trépos33, fait l’hypothèse que, dans certains secteurs, la « machine administrative » procède à une véritable mise en culture d’experts, constituant à terme un « vivier » d’experts.

Il nous semble au contraire, d’après nos observations et un large travail documentaire, que cette pratique d’« élevage » d’experts est peu développée et certainement pas systématique.

Des experts d’experts : de nouveaux aréopages ?

Bien avant les récents débats publics, on pouvait observer un phénomène de multiplication de commissions et d’experts. D’une certaine façon, il s’agit d’aréopages de spécialistes ou notabilités s’entourant d’avis. Ces dispositifs sont également développés dans d’autres pays européens, comme aux Pays-Bas34

On connaît la double signification du terme « aéropage » et de son étymologie qui n’est pas sans pertinence aujourd’hui à propos de ces commissions plus ou moins spécialisées (la Commission particulière du Débat Public par exemple)35 : • l’Aéropage proprement dit était le conseil politique et tribunal suprême de l'ancienne cité d'Athènes (en quelque sorte notre Conseil Constitutionnel, notre Conseil d’Etat et notre Cour de Cassation réunies) qui avait un droit de veto sur les décisions des assemblées populaires. • une assemblée de juges, de magistrats, de savants, de personnalités compétentes, etc.

Un autre exemple de ce qui nous semble être l’instrumentalisation de l’expertise (du moins la présentation d’une commission à mission très politique comme étant une réflexion d’experts) est la mission confiée à un « collège d’experts » pour sortir de l’impasse à laquelle avait conduit le conflit entre riverains et SNCF (mais aussi entre riverains des divers tracés) de la LGV Méditerranée entre 1990 et 199236

Un haut fonctionnaire de grande renommée, mais pas expert en infrastructures avait été missionné pour « rétablir » le dialogue entre les opposants et le maître d'ouvrage (la SNCF) en s’entourant d’un « collège d’experts » chargé d’une « mission d’expertise et de transparence ». Il savait bien que cette contre-expertise était illusoire face à la SNCF ( « dans le domaine ferroviaire, ce n’est guère facile »).

33 Original : article de D. Duclos La science absorbée par la commande administrative, dans La Terre outragée. Les experts sont formels, Autrement, 1992 34 J-R Barthélémy, De la complicité à la vertu : démocratisation du débat sur les transports France / Pays Bas, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. 35 D’après le dictionnaire Hachette multimédia, en ligne. 36 M. Querrien, Un tournant dans la pratique de la concertation : le TGV-Méditerranée, Annales des Ponts & Chaussées, N° 81/1997 « Dossier décision publique ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 18/160

Dans ce cas de figure, le maître d'ouvrage est en position de force et peut d’autant plus jouer l’ouverture qu’il est le seul à pouvoir faire de l’expertise – d’abord parce qu’il dispose des données nécessaires (d’après son président, la Mission n’a eu qu’à se louer de « la compétence et de la disponibilité de la SNCF chaque fois qu’elle a eu besoin d’une étude technique », ajoutant avec un angélisme touchant ou la naïveté feinte du rapporteur sur l’affaire du Rainbow Warrior : « vers qui aurait-elle pu se tourner qui connût aussi bien les problèmes du chemin de fer ? »).

Ce type de situation, où la maîtrise d'ouvrage et/ou la maîtrise d'oeuvre sont seules à savoir et à savoir faire avec des moyens sans commune mesure avec le public (y compris les élus) que l’on consulte ou avec qui on débat est typiquement un débat « asymétrique », intrinsèquement inégal – dont la seule sortie pour les opposants (ou tout simplement le public qui veut savoir) est l’opposition de principe et la recherche d’arguments en faisant « flèche de tout bois », d’autant plus que dans le projet cité, la rationalité et le débat public n’étaient évidemment pas sur le même plan que le fait du Prince.

Le résultat de la mission a été d’avaliser un tracé dont la sinuosité et la multiplication des ouvrages d’art résultaient en quelque sorte d’un slalom entre des intérêts forts divers de riverains plus ou moins lointains et parfois puissants, comme on sait. Finalement, une commission de 8 « experts indépendants » nommés par le Ministre des Transports de l’époque avait rendu un rapport portant sur une étude entre aménagements de lignes existantes et création d’une ligne nouvelle. Leur verdict préconisait cette dernière solution. Puisque « les experts sont formels », la maîtrise d'ouvrage pouvait conclure avec un « CQFD ».

La république des experts & celle des élus du peuple des experts peuvent se tromper

Le recours aux experts n’est pas nouveau et ne date pas des procédures de débat public. Des polémistes ont pu relever des exemples d’erreurs flagrantes de certains experts (au sens le plus large) qui ont pris (ou fait prendre) « des vessies (pour) des lanternes »37.

En y regardant de plus près, c’est le pouvoir de fait que l’expert enlèverait au politique (seul légitime à décider du fait de son élection) qui est en cause par ce qu’un parlementaire renommé pour sa causticité avait appelé la « république des experts », mettant en cause la multiplication du recours aux experts et le doute sur l’usage que l’on pouvait faire de leur avis.38

Toutefois, l’observation des récents débats (sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon comme le débat DUCSAI sur le 3ème aéroport « parisien ») montre bien que cette crainte d’une confiscation du pouvoir par les experts est aussi exagérée que la rumeur du décès de Mark Twain : o les experts n’ont eu qu’une place forte congrue, ils ont été plus ou moins instrumentalisés ou suspectés lorsque leurs conclusions n’étaient pas celles espérées par les opposants o avec le recul, le souhait du Président de la Commission Nationale du Débat Public de jouer le rôle d’arbitre et d’expert suprême à la fois semble avoir fait long feu

37 André Santini, Des vessies et des lanternes Pour en finir avec la république des experts, Hachette, 2001. 38 Du bon usage des experts, les Echos du 23/3/00. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 19/160

Troisième partie :

Experts & expertise

Observations & études de cas

Nouveaux problèmes, nouveaux territoires, nouveaux acteurs

Un double changement : d’autres infrastructures sur un territoire plus vaste d’autres territoires & d’autres régions

Nous avons vu que notre problématique initiale a changé depuis le début de notre recherche, puisque d’autres infrastructures (dont certaines sont situées hors Rhône-Alpes) et modes ont été intégrés par tous les acteurs, aussi bien l’Etat et le secteur public des transports (SNCF/RFF) que par les élus ou opposants divers.

Lors du récent débat public, le contournement ferroviaire de Lyon a été intégré dans les projets étudiés et débattus publiquement, non seulement comme une simple alternative à des infrastructures autoroutières ( le « ferroutage *» plutôt que le transport par camions), mais comme complémentaire aux grands projets autoroutiers (notamment le grand contournement Ouest de Lyon). * le grand public (dont les opposants à la route) emploie ce terme aussi bien pour le transport de conteneurs ou remorques par fer que pour la « route roulante » ou l’« autoroute ferroviaire »(chargement de camions avec chauffeur)

De plus, les débats ou dossiers des infrastructures de la région lyonnaise font souvent référence à d’autres projets situés en tout ou partie hors Rhône-Alpes, en particulier celles permettant d’éviter que le trafic « de transit » routier (surtout les camions) entre l’Europe du Nord et l’Espagne passe par la vallée du Rhône et la région lyonnaise (de Villefranche sur Saône à Vienne) : • l’itinéraire Macon-Paray le Monial-Roanne-Balbigny vers l’A75 en direction de l’A9 • l’itinéraire Grenoble-Gap (ex-A51, abandonnée par le nouveau gouvernement en 1997) • l’itinéraire par Ambérieu et Bourgoin (A48) vers Valence par l’A49

Enfin, les contestations pour l’extension de l'aéroport de Lyon-Satolas (EUP de l’APPM*, étude du PEB** et concertation sur la Charte) et du débat sur le 3ème aéroport parisien ont déplacé les questions de 2 façons : * Avant-Projet de Plan de Masse ** Plan d’Exposition au Bruit

• la prise en compte d’une « alternative » (pour les opposants aux aéroports et les partisans du ferroviaire) ferroviaire (TGV) au transport aérien • la possibilité (le souhait pour certains) d’une alternative au 3ème aéroport parisien faisant l’objet du débat DUCSAI. Pour le nouveau Maire de Lyon, Président de la Communauté Urbaine de Lyon, l'aéroport de Satolas a vocation à faire fonction d’aéroport international à l’instar des 2 aéroports parisien, évitant ainsi la création controversée d’un 3ème aéroport « parisien » (à plus de 100 km de Paris pour le site finalement retenu par la Commission)

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 20/160

La question des alternatives aux infrastructures autoroutières et au développement des aéroports amène un double élargissement de la problématique : • dans l’espace (itinéraires supposés « alternatifs », du moins complémentaires) en dehors de la région lyonnaise (au sens large) • au ferroviaire, aussi bien en termes d’infrastructures existantes, à aménager ou à créer (donc aussi en termes spatiaux) que de répartition des trafics, donc de leurs conséquences en termes de nuisances, voir de dimensionnement ou, plus encore, de justification même des projets (ex : extension de l'aéroport de Lyon-Satolas ou grand contournement Ouest de Lyon)

L’Etat a été amené à répondre à ces changements en élargissant les concertations ou débats bien au-delà des périmètres et projets initiaux (ex : le seul contournement autoroutier de Lyon). Ainsi, le débat public au titre de la Commission particulière du Débat Public, engagé juste avant la clôture de l’EUP sur l’A89, mené de façon classique dans l’attente de la réforme de l’EUP, comportait une série de réunions publiques sur un très large territoire débordant le périmètre d’étude proposé (réunions à Saint-Etienne, Bourg en Bresse et Ambérieu). C’était également le cas du débat DUCSAI qui a tenu une réunion à Lyon - comme à Bordeaux et à Marseille, bien qu’aucune de ces 2 villes ne puisse prétendre (même avec quelque outrecuidance, comme le Grand Lyon) pouvoir offrir une alternative au 3ème aéroport parisien. Les opposants ou les élus des collectivités territoriales (même bien disposés à l’égard des projets) cherchent d’emblée tous les déplacement possibles de la problématique et du territoire concerné. Par exemple, pour les « alternatives » au grand contournement Ouest de Lyon et, plus généralement, au transit européen par la vallée du Rhône (via la région lyonnaise), comme l’itinéraire dit « Paray le-Monial – Roanne » (voir les cartes en annexe).

De même, la question de la réouverture du tunnel du Mont Blanc après l’accident du Gothard a reposé tout autrement la double question des traversées alpines routières et ferroviaires en relation avec les projets de ferroutage (l’« autoroute ferroviaire » via Modane) et de la liaison nouvelle Lyon-Turin, défendue par la plupart des opposants français et suisses aux infrastructures routières comme LA vraie alternative pour les liaisons transalpines : les Valdotains, très pénalisés par l’enclavement depuis la fermeture du tunnel du Mont Blanc en attendent impatiemment la réouverture (à double sens) alors que les riverains du Val de Suse sont opposés au projet ferroviaire Lyon-Turin qui leur apporterait des nuisances sans contrepartie. Inversement, les Genevois sont alliés aux Chamoniards dans le refus du trafic PL par le tunnel du Mont Blanc. Les futurs débats sur les traversées alpines (y compris leur exploitation) devraient donc également concerner l’Italie et la Suisse – nouvel élargissement du territoire et des infrastructures en jeu.

D’ailleurs, de nombreux projets deviennent de plus en plus européens : • soit par leur caractère transnational (Lyon-Turin) • par leurs fonctions et le fonctionnement des réseaux (ex : reports de trafic entre traversées alpines) • du fait des réglementations européennes et/ou de schémas transeuropéens (ex : les infrastructures prioritaires du Livre Blanc)

L’alternative des uns étant une nuisance chez d’autres, on comprend la position difficile des riverains du Contournement Est de Lyon, fortement touchés par ses nuisances (bruit, encombrements, risques d’accident pour les habitants de l’Est lyonnais qui utilisent cette infrastructure sans péage comme desserte intra-urbaine) ; ils s’affrontent dans le débat en cours avec les opposants au grand contournement Ouest de Lyon pour en demander la réalisation afin de réduire le transit à l’Est. Par contre, ces opposants au contournement Ouest plaident pour la réalisation de la transversale routière de Lyon à Toulouse et des itinéraires « alternatifs » au transit par Lyon du trafic Nord-Sud par le Massif Central et les Alpes.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 21/160

On retrouve ici le phénomène classique du "NIMBY*" (pas chez nous) lorsque les opposants proposent des « alternatives » au COL en reportant le trafic le plus loin possible de la région lyonnaise vers l’Ouest (« axe » Mâcon - Roanne – N9 vers Montpellier ou RN88 vers Toulouse) ou l’Est (via Grenoble et Gap) ou en développant le fret ferroviaire grâce à des aménagements lourds dans l’Est de la grande région lyonnaise (vers l’Ain et l’Isère) dont l’impact environnemental n’est évidemment pas nul, sans oublier, par principe, la ligne nouvelle Lyon-Turin dont les riverains du Val de Suse ne veulent pas. * Not In My Backyard (pas dans mon arrière-cour)

Montée en généralité & montée en moralité : déplacer le débat pour le maîtriser quelle place reste-t-il à l’expert ?

On connaît la classique « montée en généralité » par laquelle les opposants se présentent comme défendant non un intérêt local et particulier (le riverain touché par l’infrastructure qui frôle sa maison), mais un intérêt général (un groupe de gens et un territoire).

Une déclinaison de cette « montée en généralité » est apparue lors du récent débat public, des opposants refusant l’infrastructure proposée au nom de valeurs morales, en diabolisant le projet et les intentions suspectes qui le fonderaient.

Ainsi, le refus de principe de la mise à 2 x 5 voies de l’A7 par ASF (qui peut être discutable par ailleurs) est posé en termes de choix inacceptable entre l’économie d’une part, l’environnement et même la « vie » d’autre part.

Il est évident que le déplacement de la question sur le terrain moral (a fortiori sur celui des valeurs d’une personne ou d’un groupe) déqualifie l’expert (ou tout autre professionnel) a priori suspect de ne prendre en compte que des choses ou des machines, mais pas des êtres humains – à l’exemple de ce qui n’est pas qu’une « incompréhension » dans le cas des nombreuses recherches ou expertises sur les dangers supposés des antennes de téléphonie mobile ou des cultures OGM.*

* pour lesquelles nous considérons d’après les informations dont nous disposons en tant que non spécialiste que l’absence de dangerosité pour l’homme est (en gros) établie

Déplacement des questions & des sujets : un « karaté » social

De façon pas forcément délibérée ou planifiée d’avance, l’interaction entre opposants et maîtrise d'ouvrage provoque (ou se traduit par) une sorte de jeu de déplacements de la problématique, des questions, voire de l’objet du débat ou conflit dans une sorte de « karaté » social.

Il en résulte (par construction en quelque sorte) que le débat et les arguments ou questions sont constamment décalés et déplacés, ce décalage et ce déplacement faisant partie de l’interaction et de la « tactique » plus que de la stratégie des opposants, face à laquelle la maîtrise d'ouvrage est assez démunie.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 22/160

Montée en généralité & mobilisation territoriale

Classiquement, les opposants ne peuvent pas se contenter d’en appeler à leur souffrance en tant que riverains (ou autres), mais ils doivent nécessairement « monter en généralité », d’abord pour des raisons tactiques afin de mobiliser largement (dans l’espace comme dans le champ social) et, surtout, stratégiquement pour se poser eux aussi en défenseurs d’un intérêt général.

Cette montée en généralité se traduit toujours (ex des opposants au COL ou de ceux au contournement ferroviaire de Lyon) par le passage de la défense d’un groupe restreint de riverains à celles des habitants d’une petite région avec, si possible, la mobilisation d’un nouveau territoire comme l’a observé J. Lolive .39

La contestation du principe même de l’infrastructure comme de son tracé étant présentée (et probablement très sincèrement vécue) comme résultant d’une préoccupation d’intérêt général, aussi large que possible (le cas limite fréquent étant l’ «avenir de nos enfants » au niveau de notre pays, voire de l’humanité).

Cette montée en généralité est donc aussi la construction (sociale, politique, géographique) d’un territoire qui, parfois, n’existait pas en tant que tel auparavant (ex : les éventuels riverains du COL ou les riverains du TGV-Méditerranée) : d’une certaine façon, le projet et le débat produisent du territoire.

Ce processus, plus ou moins délibéré et clair pour ses « acteurs » pré-détermine la demande comme le sujet et l’échelle des éventuelles expertises – notamment le champ (les infrastructures étudiées) et l’échelle de l’espace étudié. L’expertise qui en résulte n’est évidemment pas la même selon ce champ et cette échelle.

Infrastructures & territoires : la bonne échelle & le bon moment du débat

Le récent débat public, comme d’autres débats (ex : les 2 débats précédents sur le contournement autoroutier de Lyon) ou concertations, repose d’une certaine façon, sur un malentendu de départ : la maîtrise d'ouvrage travaille et raisonne sur un périmètre d’études (seul arrêté par l’Etat), alors que les opposants (ou les partisans) pensent tracé.

Des périmètres à géométrie très variable : d’où parle-t-on & de quel espace ?

Nous avons remarqué en dépouillant exhaustivement les documents du débat (plus de 40 documents en plus du dossier initial) que les périmètres (territoires ou aires géographiques) et les schémas d’infrastructures présentés dans ces divers documents sont très hétérogène, la référence la plus courante étant celle des sources de la maîtrise d'ouvrage. On en trouvera quelques exemples en annexe.

39 J. Lolive & A. Tricot, La constitution d’un réseau d’expertise environnementale, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 23/160

Compte tenu de la qualité inégale des documents (notamment des cahiers d’acteurs), il est difficile, même pour un bon connaisseur du dossier et des territoires concernés, de mettre en cohérence ces sources.

Cela fait question pour le débat, une référence commune et interactive étant indispensable. Il nous semble que les possibilités d’internet et des progiciels de cartographie n’ont pas été vraiment exploitées. Le débat supposant des outils de collaboration, on pourrait adapter ceux de plus en plus utilisés dans les études d’aménagement ou d’architecture ou encore dans l’industrie.

Le récent débat public (tout comme le débat DUCSAI) a bien utilisé les outils de communication empruntés à la publicité institutionnelle, mais cela ne répond pas au besoin d’outils de « révision / annotation » partagés.

Echelle du débat & échelles des débats

Le récent débat public concernait la grande région lyonnaise au sens le plus large, en incluant : • la partie de la Loire dont le Roannais, concernée essentiellement par les infrastructures autoroutières • une partie de l’Ain concerné par le contournement ferroviaire de Lyon dans son raccordement aux lignes de fret venant du Nord et du futur TGV Rhin-Rhône • la partie rhôdanienne de l’Isère (région de Vienne) concernée surtout par le contournement ferroviaire de Lyon

La mise en cohérence avec le débouché des infrastructures (surtout routières) au sud dans la vallée du Rhône n’a pas été traitée, bien que de nombreux opposants en aient fait un argument contre toute nouvelle infrastructure autoroutière risquant d’engorger encore plus cette vallée et/ou de justifier l’élargissement de l’A7, projet plus ou moins avoué et avouable d’ASF.

Le COL & la vallée du Rhône quelle est la bonne échelle territoriale ?

De très nombreux intervenants ont développé l’argument de bon sens selon lequel le COL ne réduira pas l’engorgement de la vallée du Rhône. De nombreux opposants ont argumenté que la réalisation de nouvelles autoroutes en région lyonnaise (A89, COL, A45), « projets très coûteux », « ne résoudraient aucun des problèmes de trafic et de pollution à Lyon et dans la vallée du Rhône.. ne feraient au contraire que les aggraver ! » comme le note un « collectif » d’opposants au COL et à l’A8940

Pour la maîtrise d'ouvrage (DRE et CETE) représentant le point de vue de l’Etat (objectifs affichés), l’achèvement des itinéraires par le Massif Central (A75) et les Alpes (A48-A49-LGS) absorberont la « quasi-totalité » de la croissance attendue des trafics routiers, « conformément aux schémas de services collectifs et à la priorité au ferroviaire et à la voie d’eau pour les transports de marchandises ».

D’autres régions concernées : l’échelle pertinente l’agglomération lyonnaise, la vallée du Rhône ou une partie de l’Europe, de la Suisse & de la Padanie à la Catalogne ?

Bien que la réalisation du COL et des autres infrastructures autoroutières (A89 et A45 surtout) concerne d’autres régions, surtout si l’on raisonne en terme de système autoroutier et d’axes alternatifs (« axe » Paray-le-Monial à Roanne, LGS, etc), il y a eu peu de réaction des « acteurs » de ces régions.

40 Contribution de la SRG Sauvegarde du Pays Rhône – Gier, Cahier N° 15. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 24/160

Dans tous les cas, on voit bien les enjeux territoriaux et d’abord celui de l’échelle spatiale de l’étude et du débat. De ce point de vue, le récent débat public restait très régional alors que le COL (comme le contournement ferroviaire de Lyon) n’ont de sens que dans un réseau concernant un bon quart de la France.

Les grands projets autoroutiers ou ferroviaires de la région lyonnaise ne concernent donc pas seulement cette « RUL » (grande région urbaine de Lyon incluant Saint-Etienne ou Roanne), mais une partie de l’Europe allant de la Suisse à la Catalogne et à la « Padanie ».41

Opposants, territoires & projets d’infrastructures

J-F Deroubaix et son équipe42 ont observé la construction d’un territoire à travers un conflit d’aménagement, que nous avons constaté à notre tour, non seulement dans les débats successifs sur le grand contournement autoroutier de Lyon (2 variantes Est et Ouest jusqu’au 2ème débat, seulement Ouest lors du récent débat public), mais surtout pour le contournement ferroviaire de Lyon qui a provoqué une prise de conscience aussi tardive que brutale au cours de ce récent débat public. C’est bien l’une des constantes (parallèle à la « montée en généralité) de l’opposition aux projets d’infrastructures.

D’autres l’avaient déjà observé, par exemple dans le cas du canal Rhin-Rhône. Paradoxalement, ce territoire, qui ne correspond pas le plus souvent à un territoire administratif ou politique (commune, agglomération, canton, région) ni à une réalité géographique, humaine et / ou historique (un « pays ») est à la fois « instrument et produit » de la lutte autour d’un projet selon la formule de J-F. Deroubaix. Ce territoire peut être défini a minima par sa « victimisation » ; dans le cas du canal Rhin-Rhône, « ironie de l’histoire » (ou ruse ?), c’est le projet de canal abandonné qui permet de penser désormais le territoire.

Territoires & espaces de mobilisation territoire de l’expertise & territoires de l’action politique

Comme l’observe P. Lascoumes, les débats à propos des grandes infrastructures (il cite le TGV Méditerranée ou le canal Rhin-Rhône), indispensables face aux oppositions pour faire aboutir le projet ou garantir a minima sa réception sociale, ouvrent une véritable " boite de Pandore " permettant à des acteurs et des enjeux jusque là tenus à distance de s’engouffrer dans la dynamique et chercher à tenir un rôle dans le débat.43

Ainsi, les contestations sur les tracés de TGV ont suscité un déplacement des débats sur les problèmes d’impact de l’ouvrage au plan économique, environnemental, politique et culturel. L’occasion a été fournie à des acteurs nouveaux de prendre la parole et d’introduire dans les débats des « informations » jusque là négligées dont la mise en relation aboutit à une réévaluation complète du projet initial.

Nous faisons toutefois une lecture quelque peu différente de celle de P. Lascoumes, de notre point de vue (l’expertise dans les projets d’infrastructures), au moins à 2 titres :

41 Nord de l’Italie (du Piémont à la Vénétie & à la Lombardie, nommé d’après le fleuve Pô. Ce terme étant employé par la Ligue du Nord (mouvement populiste italien), nous l’entendrons ici dans son sens géographique (la partie industrielle Nord de l’Italie, dépendant des relations transalpines avec l’Europe du Sud (France, péninsule ibérique) et du Nord (Allemagne, Benelux). 42 C. Blatrix, J-F Deroubais, A. Jobert & Y. Le Floch, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. 43 La productivité sociale des controverses, Pierre Lascoumes, CNRS, Groupe d'analyse des politiques publiques, ENS Cachan, Intervention au séminaire "Penser les sciences, les techniques et l'expertise aujourd'hui", jeudi 25 janvier 2001, http://www.ehess.fr/centres/koyre/textes/lascoumes.htm ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 25/160

• nous voyons assez peu d’expertise(s) et de connaissances nouvelles apportées par les opposants (et, plus généralement, les « acteurs » extérieurs à la maîtrise d'ouvrage, Etat ou SNCF), mais plutôt des questions ou assertions (plus ou moins fondées et exactes, mais cela est secondaire) auxquelles la maîtrise d'ouvrage est bien obligée de répondre – comme le montre le satisfecit délivré par le Président de la Mission à la SNCF

P. Lascoumes en apporte plusieurs illustrations dans le cas de la LGV Méditerranée et du canal Rhin-Rhône où les riverains défavorables au projet ont « mis en évidence de nouveaux problèmes locaux » qui sont assez limités pour ne pas permettre la mise en cause du principe même de l’infrastructure ni de sa réalisation pratique : construction de remblais massifs, impact environnemental sur milieux naturels sensibles, ignorance des réseaux de transport de proximité.

• les décisions n’ont pas été prises en se basant directement sur les expertises ou les études, mais ont été d’abord politiques, ces expertises ou études servant à justifier la réalisation du projet selon une variante de compromis (les sinuosités de la LGV Méditerranée avec sa profusion d’ouvrages d’arts) ou l’abandon du canal Rhin-Rhône comme « gage » d’un compromis politique au sein de la nouvelle majorité de 1997 – comme l’abandon de l’A51 pour la LGS

Déplacer le débat & son périmètre territorial

Les opposants ont cherché lors du débat à opérer des déplacements, aussi bien quant aux questions posées qu’au périmètre territorial.

Ainsi, les opposants de l’Ouest à l’A89 et au COL ont présenté les projets comme contraires au PDU avec ses objectifs de réduction de la part de la VP en ville au profit des TC. Cela implique également un déplacement du périmètre, réduit à l’agglomération, alors que le périmètre d’étude et de débat du COL est évidemment bien plus vaste.

L’échelle temporelle des projets & celle du débat l’horizon du COL, une vingtaine d’années

Alors que le délai de réalisation du COL était estimé à mi 2001 officiellement à une dizaine d’années d’après le Préfet (exprimant l’optimisme bien connu du Ministre de l’époque)44, nous avons pu estimer (en « cuisinant » quelque peu les divers responsables de la maîtrise d'ouvrage) au moment de l’achèvement de notre recherche au 1er trimestre 2002 que ce délai raisonnable était plutôt d’une vingtaine d’années (un peu moins si tout va très bien, un peu plus autrement, sauf blocages).

Toutefois, le COL ne semble pas pouvoir faire l’objet d’un blocage ou d’un report sine die comme le 3ème aéroport parisien. Autrement dit : le COL ne devrait pas connaître le sort de la LINO* dijonnaise, sous réserve d’en trouver le financement – ce qui ne sera facile ni pour l’Etat, ni pour les collectivités territoriales, préférant jouer au mistigri plutôt que de passer à la caisse. * Liaison Intercommunale Nord ouest de (rocade de liaison entre les autoroutes de Lyon, Dole, Nancy & Paris)

44 Entretien avec Michel Besse, Préfet de la Région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 26/160

Des infrastructures en débat : lesquelles ? des projets orphelins & des expertises absentes

Notre recherche n’avait pas pour objet l’historique des projets que l’on aurait pu faire remonter aux années 30 (1935 pour le plan d’aménagement routier de la région lyonnaise)45 et aux divers schémas successifs depuis le PADOG de 1962 qui comprenait déjà une « rocade Ouest » (à peu près le tronçon Ouest du périphérique de Lyon devenu « bouclage Ouest du périphérique » toujours à réaliser) et déjà ce qui est devenu le BUS (boulevard Urbain Sud).

Plus concrètement, l’historique des projets de contournement devrait au moins reprendre les divers avatars du grand contournement par l’Est (tronçon Nord d’une future A7 bis) depuis une trentaine d’années.

Dans d’autres domaines, un rappel historique ne serait pas inutile. C’est le cas des mirobolants projets de la SNCF des années 80 quant à la croissance du fret (à l’époque où M. Fiterman était Ministre) – époque où des « technocrates » et politiques mettaient en œuvre une relance de l’exploitation du charbon en France qui avait fait … long feu.

Des infrastructures baladeuses ou des « cadavres dans le placard » (administratif) ? des projets ou alternatives sans partisans ni experts

Rappelons qu’initialement, le contournement de Lyon devait se faire plus à l’Est (via l’actuelle A432 et son « barreau nord ») avant que l’Etat réalise l’actuel Contournement Est de Lyon, le Maire de Lyon (M. Noir) ayant saisi l’opportunité de faire financer et réaliser aux frais de l’Etat (et du Département du Rhône) une infrastructure permettant de soulager le trafic passant au centre de Lyon via le tunnel sous Fourvière.46 C’est ce qu’avait fait en son temps son prédécesseur (L. Pradel) en profitant de la traversée A6/A7 par Lyon pour se « faire payer » un tunnel et une autoroute dont il attendait des fonctions de desserte interne de la ville et, assez naïvement, qu’ils incitent les automobilistes à s’arrêter à Lyon – ils ont évidemment fait le contraire (passer le plus vite possible ce fameux « bouchon » lyonnais).47 De même, le Maire actuel souhaitait (sans la financer) la réalisation du COL pour pouvoir récupérer l’actuelle traversée A6/A7 via Fourvière comme voirie du Grand Lyon.

L’hypothèse d’un grand contournement par l’Est avait été évacuée après le 2ème débat, après (ou grâce) à une présentation de ce scénario comme un des 2 « repoussoirs » (l’autre étant de ne pas faire de nouveau contournement et de pérenniser les nuisances et dysfonctionnements de la traversée de Lyon par Fourvière et du Contournement Est de Lyon). Cette alternative n’a JAMAIS* été évoquée lors du dernier débat public. * d’après les documents analysés et notre observation de la majorité des réunions publiques

Cela pose la question d’une approche historique des dossiers leur donnant leur sens dans la durée, aussi bien du point de vue du projet et des débats que du point de vue fonctionnel et de l’aménagement. Les historiens sont d’ailleurs absents des études et expertises, les sciences humaines (notamment les sociologues ou politologues) s’étant joints (ou étant acceptés) aux économistes associés depuis longtemps à ces études ou expertises.

45 Le Rhône, Richesses de France N° 31, Paris, 1957. 46 Entretien avec Bruno Faivre d’Arcier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, chercheur au LET, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». 47 Voir notre étude sur l'image et la pratique de la traversée de Lyon et l'arrêt dans la région lyonnaise par les usagers autoroutiers à longue distance, pour la Direction Départementale de l'Equipement du Rhône et le Département du Rhône, 1989. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 27/160

Le contournement autoroutier de Lyon par l’Est : une option orpheline l’A7 bis : serpent de mer ou cadavre dans le placard ?

Lors de nos investigations, nous avons entendu parler ou lu des documents faisant mention de ce que l’on peut appeler (de son nom officieux) « A7 bis », à savoir une liaison reliant l’A6 au Nord à l’A7 au Sud et constituant le barreau sud du scénario de contournement autoroutier par l’Est rejeté lors du 1er débat.48 Nous en avions entendu parler depuis longtemps sans y prêter attention, ne travaillant pas sur cette question.

Ce dossier est en quelque sorte un « serpent de mer » sans cesse renaissant mais que personne ne connaît bien, sauf quelques initiés en ayant la mémoire dans des services de la maîtrise d'œuvre, de BET ou de collectivités territoriales – par l’intermédiaire desquels nous avons pu éclaircir les avatars du projet. Mais ce projet n’est pas qu’un « serpent de mer », c’est aussi une sorte de « cadavre dans le placard » ou de « projet honteux » comme il y avait autrefois des « parties honteuses ».

Ce projet, succinctement étudié pour le dossier du 2ème débat, n’a pas évidemment fait l’objet d’une expertise. Cela recoupe l’observation de J-Y Trépos pour le débat sur l’A3249 pour lequel il n’y avait pas eu d’expertise de tracé.

Un scénario de grand contournement par l’Est avait pourtant été présenté, plutôt comme scénario repoussoir, lors du débat de 199950. Cette variante utiliserait des infrastructures existantes ou à réaliser (A432 allant de l’A43 à l’A42 via Satolas, et jusqu’à l’A46 aux Echets via La Boisse) pour prolonger l’A432 vers le Sud-Ouest de la jonction avec l’A42 en direction du Sud de Vienne. Elle représenterait un total de 90 km, dont 35 km à réaliser au sud (sans tunnel important). Ce contournement Est pourrait emprunter un tracé reprenant à peu près celui le la LGV Méditerranée (contournement de Lyon vers Valence) ou une variante d’ailleurs prévue au SDAU de Givors-Vienne-Roussillon en 1977.

D’après le dossier de l’Etat en 1999, ses impacts environnementaux et agricoles sont bien plus réduits que pour le grand contournement Ouest de Lyon, puisque « le scénario Est apparaît le plus favorable sur le plan environnemental, car intéressant largement des zones à enjeux faibles et moyens »51 ; il serait toutefois plus gênant pour la partie sud52

Le rejet a priori (cette variante étant présentée négativement par rapport à la variante Ouest) lors du débat « Barnier » était fondé sur des arguments assez spécieux: • la nécessité d’un péage gratuit pour compenser sa longueur (le document public ne permet pas de savoir si les calculs concernent le seul tronçon supplémentaire de 35 km), donc une subvention publique élevée. Pourtant, le coût (1/3 du COL) est très inférieur et la subvention devrait donc être inférieure à celle du COL

• les risques, en cas de financement public, de demandes d’échangeurs. Là encore, on ne voit pas en quoi la part de subvention (son montant étant probablement inférieur à celui du COL) au concessionnaire empêcherait la maîtrise de la réalisation des échangeurs – comme le montre l’évolution historique de l’A6 au nord de Lyon. Inversement, l’absence de subvention des autoroutes réalisées en adossement (ex de l’A46 Nord comme de l’A6) n’empêche pas pour autant la multiplication d’échangeurs.

48 Entretien avec Bruno Faivre d’Arcier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, chercheur au LET, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». 49 J-Y Trépos, V. Bernat & H. Barisel, Expertise de tracé et traçabilité de l’expertise, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. 50 Contournement autoroutier de Lyon, dossier pour le débat, Préfecture de Région Rhône-Alpes, mars 1999, pages 46 à 51. 51 Contournement autoroutier de Lyon, dossier pour le débat, Préfecture de Région Rhône-Alpes, mars 1999, page 53. 52 Contournement autoroutier de Lyon, dossier pour le débat, Préfecture de Région Rhône-Alpes, mars 1999, page 56. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 28/160

• l’effet de rabattement du trafic de transit issu de l’A39 vers le couloir rhôdanien. On note ici l’absence d’étude sur l’exploitation du réseau autoroutier Nord/Sud avec ses divers itinéraires. Les études étaient pourtant en cours au moment de l’élaboration du dossier, permettant d’envisager des scénarios. Ces études soulevaient des questions politiquement sensibles, aussi bien au niveau de l’Etat (divergences entre MELT et MATE sur les projets autoroutiers) et des élus (les élus de la région Grenobloise redoutant un « itinéraire bis » autoroutier Nord-Sud (ou Est-Sud) via l’A49

• le fait de ne pas protéger l’agglomération du trafic de transit venant de l’A45 et de la liaison Roanne-Lyon. Curieusement, l’arrivée de l’A89 à la Tour de Salvagny n’est pas mentionnée. Pourtant, à cette époque, le projet de l’A89 était à peu près arrêté et la liaison avec l’A6 (donc également le Contournement Est de Lyon) prévu.

• le manque de « lisibilité » par rapport au Contournement Est de Lyon et à l’axe A6/A7

• gestion du transit des PL avec des mesures coercitives

Des questions non posées & donc des expertises absentes

Le récent débat public (comme les 2 précédents) a fait apparaître de nombreuses questions, mais également occulté d’autres questions qui, intellectuellement, eussent été pertinentes – voire indispensables.

C’est le cas du scénario consistant à faire passer le trafic routier attendu à l’horizon de réalisation du COL (10 à 15 ans) sur les infrastructures existantes tout en réduisant les nuisances (bruit, pollution) et les accidents d’une part, en améliorant la qualité de service d’autre part (réduction des encombrements, régularité des temps de parcours, etc). D’autres questions sont restées (provisoirement du moins) sans réponse après le récent débat public, par exemple celle du jumelage des infrastructures autoroutières et ferroviaire à l’Est (A46/LGV) pour minimiser le « fuseau » touché par leur impact.

On voit bien que cela ne renvoie pas qu’au caractère technique et économique du projet, mais aussi à des partis plus ou moins explicites. Ainsi, jumeler autoroute et LGV (à l’Est) signifierait amorcer (ou, plus exactement, continuer la partie nord) le contournement autoroutier par l’Est qui a été d’emblée exclu à partir du 2ème débat précédant le récent débat public.

Au total, ce dossier nous semble être un cas d’école, puisque même un « amateur éclairé » comme le rédacteur du présent rapport peut lire des questions, des arguments et même repérer des contradictions flagrantes dans un dossier destiné de facto à éliminer une alternative pourtant crédible et réaliste.

Dans la mesure où aucun expert ne s’est vu demander une contre-expertise sur ces questions, on a bien une preuve expérimentale que l’expertise ne répond pas aux « vraies » questions posées par un dossier, mais seulement à celles posées par les acteurs – et d’abord les opposants à qui l’on « accorde » en quelque sorte une expertise pour les rassurer ou, du moins, montrer qu’on (les « décideurs ») les a entendus.

L’expertise serait-elle le nouveau placebo de la société civile ?

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 29/160

Quelles alternatives évaluer ou expertiser ? les oublis du processus de décision

Fabriquer de l’irréversibilité & éliminer des alternatives : l’instrumentalisation des procédures ?

L’historique du projet de grand contournement autoroutier de Lyon permet de constater que le parti d’un Grand contournement Est a été écarté après le 2ème débat Barnier de 1999 par la DRE Rhône-Alpes53 C’est un exemple classique de « fabrication » par la maîtrise d'ouvrage d’irréversibilité – cette irréversibilité réduisant ici le débat aux modalités de la conception et de l’exploitation du COL ou, au pire, à son blocage ou à son report dans le temps à l’exemple de la fameuse « LINO » dijonnaise.

J. Lolive l’a noté dans sa recherche sur le réseau d’expertise environnementale54 : par définition, la politique autoroutière est une politique de réseau. Son objet est la constitution et la réalisation sur une longue période d’un réseau. Les segments d’infrastructures ou tronçons réalisés selon les opportunités « irréversibilisent » progressivement le projet global de la grande ligne ou du réseau. On peut évidemment faire la même observation pour le réseau ferré, notamment pour le réseau TGV et le réseau « dédié » fret en projet et très partiellement réalisé.

Inversement, la maîtrise d'ouvrage a, plus ou moins délibérément, éliminé ou « placardisé » certains scénarios. Ainsi, depuis le 1er débat Barnier, un certain nombre d’hypothèses ou partis ont été écartés, parfois explicitement, le plus souvent passés sous silence, dans une sorte de consensus inavouable (publiquement) entre l’Etat et les élus.

C’est le cas de l’élargissement à 2 x 3 voies du Contournement Est de Lyon pourtant possible (ouvrages d’art et emprise) qui, dès le projet présenté au public et aux élus, avait été par une sorte d’ « autocensure » de l’Etat, figé à 2 voies seulement. Le dossier du 2ème débat de 1999 précisait explicitement qu’il n’était pas question d’augmenter la capacité de la rocade Est en la portant à 2x3 voies comme cela avait été envisagé initialement.55 Ce principe était présenté comme une sorte de contrepartie de la réduction de capacités de voirie sur l’axe A6/A7 par Fourvière qui n’était pas envisageable tant qu’une solution alternative pour le transit ne serait pas mise en œuvre.56

L’exemple du parti (explicite et implicite) grand contournement autoroutier de Lyon par l’Ouest et non par l’Est montre bien comment une option ou un « choix » devient irréversible (le COL ou rien dans le récent débat public) et se transforme en quelque sorte en un cercle vertueux (pour la maîtrise d'ouvrage) : le parti de contournement Ouest et l’abandon (ou, plus exactement, la disparition) de l’option Est ont été « actés » dans la DTA alors en cours d’élaboration. Les opposants pourront donc se baser sur cette DTA pour refuser la réapparition (pas invraisemblable, nous semble-t-il) d’un Grand contournement Est.

53 Nos entretiens et les dossiers pour ce 2ème débat et sur le récent débat public sur le COL. 54 J. Lolive & A. Tricot, La constitution d’un réseau d’expertise environnementale, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. 55 Contournement autoroutier de Lyon, dossier pour le débat, Préfecture de Région Rhône-Alpes, mars 1999, page 11. 56 Contournement autoroutier de Lyon, dossier pour le débat, Préfecture de Région Rhône-Alpes, mars 1999, page 11. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 30/160

Pas de grand contournement autoroutier Est de Lyon mais le COL, plus court est 4 fois plus cher

Suivant l’adage selon lequel quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage, le dossier du grand contournement autoroutier de Lyon par l’Est avait été présenté de façon à éliminer ce scénario au profit de celui choisi par la DRE.

Le dossier du 2ème débat de 1999 présentait les 2 options de grand contournement autoroutier par l’Ouest ou par l’Est57, le contournement Ouest représentant 70 km et celui à l’Est 90 km - différence de longueur qui avait été jugée défavorable à son attractivité lors du 1er débat en 1997.

Sans avoir les compétences nécessaires pour évaluer les 2 options, il nous semble que la présentation des 2 options est quelque peu tendancieuse. Ainsi, le dossier mentionne les inconnues sur la répartition du trafic dans le cas du contournement Est entre ce nouvel itinéraire, l’actuel Contournement Est de Lyon et le futur tronçon Ouest du périphérique de Lyon. L’attractivité de ce Grand contournement Est étant largement déterminée par le coût relatif du péage par rapport à la distance plus longue. Le dossier évoque bien, pour la rejeter en raison de son coût, l’hypothèse d’un péage gratuit en supposant (dans cette hypothèse quelque peu simpliste) un financement public à 100 % de ce nouveau contournement.

Cette façon de poser la question paraît caricaturale. En particulier : • la modulation des péages sur les divers itinéraires et autres mesures d’exploitation (ex : restrictions de circulation des PL, réductions de voirie avec déclassement en boulevard urbain à faible vitesse et capacité sur l’actuel itinéraire par Fourvière, etc) n’ont pas été évoquées • et, surtout, le coût restant à financer pour la partie nouvelle du Grand contournement Est (35 km pratiquement sans tunnels) étant le 1/3 du COL, la part de subvention pour la concession du Grand contournement Est serait forcément inférieure à celle nécessaire pour le COL.

Sans avoir la compétence pour faire la critique du dossier et des options présentées, nous voyons ici 2 questions qui ont à voir avec de l’expertise : • à un 1er niveau, un dossier peut sur tel ou tel point être d’une faiblesse assez surprenante, même s’il s’agit en fait (« tout se passe comme si » aurait dit Pierre Bourdieu) de présenter (négativement, CQFD) une hypothèse repoussoir • à un 2ème niveau, il est symptomatique que personne n’ait pointé ces faiblesses (à de rares exception comme celle d’un universitaire lyonnais58), probablement parce qu’aucun acteur (élus, associations, services de l’Etat) n’était porteur de cette variante – les opposants de l’Ouest rejetant tout grand contournement autoroutier de Lyon et ceux de l’Est ne voulant pas de nouvelles nuisances, comme le montre la mobilisation contre le contournement ferroviaire de Lyon à l’Est

Autrement dit, des questions ou projets ou variantes peuvent être en quelque sorte « orphelins », quelles qu’en soient la pertinence et l’importance.

57 Contournement autoroutier de Lyon, dossier pour le débat, Préfecture de Région Rhône-Alpes, mars 1999, pages 38 & 39. 58 Entretien avec Bruno Faivre d’Arcier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, chercheur au LET, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 31/160

La variante retenue : l’optimum & le faisable le bon projet, le médiocre & le repoussoir

Nous avons observé une nouvelle fois59 ce qui n’est évidemment pas une découverte : l’APS présenté à l’EUP n’est pas forcément l’optimum technique et/ou économique, mais d’abord une solution acceptable par les financeurs, les élus et les riverains et réalisable techniquement et économiquement.

Même si c’est trivial, il faut rappeler qu’une infrastructure, comme tout produit technique est aussi (ou d’abord) un objet social dans un contexte historique et local donné.

L’ingénieur en charge du projet (sous la responsabilité du DDE, du DRE et du Préfet), « cornaqué » par les services de la Direction des routes, doit donc produire un projet répondant à un ensemble de critères dont la simultanéité et la cohérence ne sont pas évidentes. Une fois ce projet défini (ou au stade de l’étude), il doit être capable de le justifier. La présentation classique est celle de scénarios* avec, si possible, un « bon » scénario et au moins 1 ou 2 variantes (dont, si possible, une « repoussoir »). * nous choisissons cette orthographe

Le projet de contournement autoroutier de Lyon présenté au débat Barnier (avant le récent débat public) est un exemple de dossier « politiquement correct » typiquement issu d’une « boîte de comm » qui a réécrit la copie des services de la maîtrise d'ouvrage.

Ce dossier présentait à la fin « les attentes et les positions » de certains intervenants ou « acteurs » tellement euphémisées qu’elles sont à peine reconnaissables, de « certains acteurs concernés par la réalisation d’un* contournement Ouest de Lyon »60 : • la CCI souhaitant « dévier les trafics de transit » (alors qu’elle donne plutôt la priorité à la réalisation de toutes les infrastructures prévues)** • l’Etat qui doit « assurer la fluidité du trafic national*** » • la Communauté Urbaine de Lyon qui veut « requalifier l’agglomération » • les communes de l’Ouest lyonnais voulant « préserver l’identité de leur territoire » • le Département du Rhône souhaitant « favoriser l’ensemble du département » (figure de rhétorique de formuler la priorité à la desserte de l’Ouest lyonnais hors Grand Lyon) • le monde agricole voulant « éviter toute destabilisation » (la présentation de ses positions frise la dénaturation et l’opposition des viticulteurs n’est pas explicitement mentionnée) • enfin, le Département de la Loire qui veut « améliorer la liaison avec la vallée du Rhône » * « un » et non « le » ** notre interprétation *** le problème principal pour les opposants est le trafic international

Suivant le modèle canonique, le document présentait un scénario repoussoir61, consistant à « ne pas réaliser de nouveau contournement autoroutier Nord-Sud* de Lyon » dont les conséquences seraient inacceptables : * « Nord-Sud » et non « le grand contournement Ouest de Lyon »

59 Etudes de cas de rocades (Cognac, Colmar, Montauban, Roanne et ) pour le CETUR et l'INRETS, 1984. En association avec B. Faivre d’Arcier (alors à l’INRETS) qui avait étudié d’autres cas (Annecy, Orange et Arles). 60 dossier pour le débat d'opportunité du Contournement Ouest de Lyon, sans date (1999), pages 46-47 61 dossier pour le débat d'opportunité du Contournement Ouest de Lyon, sans date (1999), pages 48-49 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 32/160

• 50000 véhicules en transit par jour dans l’agglomération, dont 12000 PL, des pointes saisonnières de 70000 • un transit venant aussi charger le tronçon Ouest du périphérique de Lyon • l’axe A6-A7 par Fourvière maintenu avec ses caractéristiques autoroutières • aménagement de la rocade Est à 2 x 3 voies* * prévu dès l’origine, notamment pour les emprises et les OA, mais non réalisé pour ne pas provoquer les riverains et élus des communes traversées

Après avoir examiné la variante du grand contournement Est, le parti proposé par l’Etat est donc, sinon l’optimum, du moins une bonne solution indispensable (« créer un contournement Ouest de Lyon entre l’A6 et l’A7 » aurait bien des avantages62 ) : • 20000 véhicules en transit par jour (contre 50000), dont 5000 PL (contre 12000)* • « possibilité d’interdire » les PL « en transit » sur A6-tronçon Ouest du périphérique de Lyon-A7 et sur la rocade est • requalification en boulevard urbain de l’axe A6-A7 par Fourvière, à l’intérieur du périphérique • la rocade Est peut « retrouver une fonction plus** urbaine » • la traversée de Givors est « encore allégée*** » du transit de St-Etienne vers le sud *aucune mention des pointes saisonnières (contrairement au scénario repoussoir) ** elle n’est évidemment pas du tout urbaine (2x2 voies, souvent en tranchée, avec des entrées et sorties nombreuses) *** Givors est traversée et coupée (centre-ville) par l’A47 avec un trafic important, ayant encore augmenté depuis la mise en service du Contournement Est de Lyon63

Ce genre de présentation assez idéalisée risque d’être mal reçue par les opposants. Cela fait question à 2 titres : • la nature et le contenu du débat (information ou véritable débat ?) • la présentation et la communication sur les projets, frisant ici la communication au sens publicitaire du terme

Question réglée ou fausse évidence ? le trafic de transit

Les débats comme les dossiers font sans cesse référence au trafic « de transit ». Pourtant, la mesure et la définition de ce « transit » ne sont pas aussi univoques et évidentes qu’il n’y paraît pourtant à la maîtrise d'ouvrage comme aux nombreux opposants. Cela nous semble mettre en évidence un double « déficit » : • de méthodologie et de conceptualisation d’une part • de « communication » et d’explication de l’autre

La question du « trafic de transit » PL via Lyon a fait problème depuis les 2 premiers débats et naturellement lors du récent débat public. Dans le dossier du récent débat public, un chapitre traitait évidemment de la question « D’où viennent les poids lourds qui traversent Lyon ? ».

62 dossier pour le débat d'opportunité du Contournement Ouest de Lyon, sans date (1999), pages 52-53 63 Bilan LOTI, page 33 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 33/160

La maîtrise d'ouvrage s’est trouvée en quelque sorte prise à son propre piège. En effet, la DRE synthétisait la réponse en donnant des nombres qui ont pu ensuite servir d’argumentaire aux opposants au COL.

Aux questions posées lors des réunions, la DRE expliquait que les comptages de trafics indiquent qu’environ 9 000 poids lourds circulent tous les jours dans le tunnel de Fourvière. 14 000 sont sur la rocade Est. Soit, un total de 23 000 poids lourds par jour dont « les poids lourds en transit, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas besoin de passer par l’agglomération lyonnaise et pourraient utiliser un autre itinéraire ». Les enquêtes réalisées en 1999 aux frontières indiquent qu’environ 2300 poids lourds “internationaux” (qui traversent la France sans avoir besoin de s’y arrêter) passent tous les jours par l’agglomération lyonnaise. En effet, cet itinéraire n’est pas le seul à supporter un trafic international : l’arc atlantique (A10, RN10 en Nord-Sud) et l’arc méditerranéen (A9-A8 entre l’Espagne et l’Italie), en particulier, sont également utilisés par une partie des 5950 poids lourds qui traversent la France chaque jour en franchisant la frontière espagnole.

La DRE se référait au transit dans l’aire d’étude du contournement (Villefranche-sur- Saône-Sud de Vienne). D’où l’estimation que 8000 poids lourds traversent chaque jour l’aire d’étude du contournement, entre Villefranche et le Sud de Vienne.

Des opposants ont utilisé des arguments fondés sur le futur élargissement de l’Union qui a prévu une aide aux nouveaux pour leurs infrastructures permettant à des hordes de camions ou même des touristes Polonais ou Tchèques de transiter par la France pour aller en Espagne. D’autres ont tiré d’une étude du CETE Méditerranée des nombres de camions passant par la région lyonnaise à faire peur à tout riverain actuel ou futur d’un quelconque contournement autoroutier, jouant en quelque sorte le CETE d’AIX contre celui de l’Isle d’Abeau.

C’est d’ailleurs un bon exemple d’instrumentalisation des études, la bonne étude étant celle qui apporte des arguments contre le projet de la maîtrise d'ouvrage.

Trafic de transit & trafic régional : des infrastructures forcément polyvalentes

Après coup, la maîtrise d'ouvrage s’est rendue compte qu’elle avait mal présenté les fonctions de transit du COL (comme du Contournement Est de Lyon existant).

La plupart des opposants comme des partisans du COL ont surestimé la part du « grand transit » ou du transit « européen » (sous-entendu : des camions immatriculés à l’étranger), alors que la majorité de ce « transit » a une origine ou destination quelque part entre Dijon et le nord d’Avignon. De même pour l’A89, présentée comme Genève- Bordeaux, alors qu’elle sera d’abord une liaison entre l’agglomération lyonnaise et la Loire. Ce n’est pas propre au contournement autoroutier de Lyon, puisque lors du débat sur le contournement de , le CETE avait dû expliquer que les camions « belges » ont pour la plupart comme origine et destination l’agglomération ou le département du nord – contre des opposants prêts à croire à toute histoire « belge » leur apportant des arguments.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 34/160

La répartition du trafic de transit entre route et fer en région lyonnaise : plutôt équilibrée ou non ?

Le cahier des charges64 issu des débats de 1997 et 1998 formalisait des objectifs en matière d’approche multimodale qui ont amené au double débat sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.

L’argument était assez paradoxal, puisque le débat d’opportunité sur le contournement autoroutier de Lyon avait permis de constater que les trafics de voyageurs et de marchandises en transit à Lyon étaient, en 1998, répartis à hauteur de respectivement 55% et 56% sur la route et 45% et 42% sur le fer, ce qui « peut être considéré comme déjà satisfaisant compte tenu des parts de marché du fer au niveau national, tous types de trafics confondus ».

Le contournement ferroviaire de Lyon était donc justifié, moins par le rééquilibrage entre modes pour le transit par la région lyonnaise que par le « bouchon » ferroviaire lyonnais. Ce double argument (ou double langage ?) avait conduit le CIADT du 23 juillet 1999 (sous « double commande » METL/MATE) à décider d’engager sans délais les études relatives à un contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise, afin de « favoriser le développement du trafic ferroviaire de marchandises et de répondre à la saturation du noeud ferroviaire lyonnais ».

On voit à nouveau les nombreuses ambiguïtés de la notion de « transit » et, ici, de partage modal, qui ont traversé aussi bien le dossier que les débats successifs, entretenant une confusion constante aussi bien pour la maîtrise d'ouvrage que pour les opposants et les autres acteurs intéressés.

Une question & une problématique absentes ? l’exploitation optimale des infrastructures & du matériel de transport de fret

Des questions ou alternatives n’ont guère été évoquées (voire pas du tout) durant le récent débat public comme dans les dossiers. Il s’agit en particulier de 2 facettes de la même problématique : • la gestion des infrastructures pour mieux en tirer parti (maximiser capacités, débits, fluidité, sécurité, etc) et minimiser les nuisances (question qui n’est traitée que par des mesures palliatives : limitations de vitesse, interdictions diverses, protections) • la possibilité de faire avec l’existant et d’éviter la réalisation de nouvelles infrastructures (forcément nuisantes et coûteuses)

Le nombre de voies : ce qui est économiquement souhaitable & techniquement possible mais ne l’est pas politiquement

D’après le cahier des charges65, le futur COL ne devrait avoir que 2 voies, comme le précédent Contournement Est de Lyon. De même, l’emprise et les ouvrages d’art seront réalisés à 2 x 3 voies – sauf les tunnels.

64 Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, Direction des Routes CONTOURNEMENT AUTOROUTIER OUEST DE LYON, cahier des charges. www.rhone-alpes.equipement.gouv.fr/route/COL/col.htm 65 Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, Direction des Routes CONTOURNEMENT AUTOROUTIER OUEST DE LYON, cahier des charges. www.rhone-alpes.equipement.gouv.fr/route/COL/col.htm ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 35/160

Là encore, la maîtrise d'ouvrage tient en quelque sorte un double langage : • celui du réalisme (une infrastructure à 2x2 voies considérée à tort ou à raison comme le maximum acceptable par les riverains et leurs élus) • celui des ingénieurs des Ponts et des Chaussées (plutôt, ici, celui des tunnels et autres ouvrages d’art) qui conçoivent une infrastructure selon les règles de l’art et la bonne rationalité technique

Ce dimensionnement limité à 2x2 voies implique donc de limiter le trafic, en donnant la priorité au transit et oblige donc à minimiser le trafic local (au niveau de l’aire urbaine s’entend) : CQFD. La cohérence est évidemment incontestable, mais laisse quand même ouverte la question de savoir si c’est un optimum collectif (ou une séries d’optimums* partiels) par rapport à une infrastructure « normale » (à 2x3 voies). * orthographe préférée à optima

Là encore, il est intéressant (mais pas surprenant !) de noter que personne n’a posé la question de la variante 2x3 voies et de ses conditions de bon fonctionnement.

L’expérience du Contournement Est de Lyon est pourtant une expérimentation « in vivo » et « en temps réel » qui nous semble montrer qu’un contournement en milieu péri-urbain à 2x2 voies peut être plus nuisant (bruit, accidents) et moins fonctionnel (y compris pour les secteurs proches et l’agglomération) qu’un contournement à 3 voies en attendant un futur grand contournement.. par l’Est.

Une question peu traitée : la gestion active des infrastructures & du trafic

Le cahier des charges du COL66 reste allusif à l’égard des moyens et mesures de gestion active du trafic et des infrastructures. Il se borne à expliquer que, compte tenu de la capacité limitée du COL à 2x2 voies, en cas de pointes exceptionnelles de trafic dépassant cette capacité, « des mesures de régulation équilibreront la charge de trafic sur les différents axes de transit existant au droit de Lyon ».

Ce n’est pourtant pas faute de compétences et d’outils, puisque la DDE du Rhône est particulièrement avancée en matière de gestion de trafic, notamment pour les contournements de l’agglomération.

La question de l’exploitation des infrastructures n’a guère été traitée lors du débat et le document ne la mentionnait que de façon allusive. La contribution la plus importante a été celle du Directeur du LET qui rappelait que le débit maximal de l’A7 au nord de Valence est obtenu pour une vitesse de 70 kph67. Il allait plus loin dans une note jointe aux contributions : “D’ici à dix ans.. un changement culturel assez fort va se produire, à travers la dégradation de la vitesse. Le trafic local va rester, car la motorisation augmente. On va donc perdre de plus en plus de temps dans les transports. Il s’agira de rendre la vie moins infernale aux automobilistes. On va ralentir les autoroutes, à l’américaine, pour obtenir une fluidité plus grande, avec une vitesse plus faible. Et en plus, ce sera plus cher.”68

On voit bien ici la question posée : l’optimisation de l’utilisation des infrastructures qui doit évidemment commencer par l’existant avant de décider s’il faut ou non réaliser de nouvelles infrastructures forcément nuisantes et dont le financement sera problématique.

66 Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, Direction des Routes CONTOURNEMENT AUTOROUTIER OUEST DE LYON, cahier des charges. Voir : www.rhone-alpes.equipement.gouv.fr/route/COL/col.htm 67 Trois questions à Yves Crouzet, Lettre du Débat N° 3, décembre 2001. 68 Extrait du compte-rendu de la table ronde de la dernière réunion publique du débat, lettre du Débat Public n° 7, 14 février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 36/160

Le grand contournement Ouest de Lyon est-il indispensable ? quel scénario alternatif ?

Alors qu’une partie des opposants au COL sont des partisans du « pas d’autoroute » (quelqu’un demandant « peut-on parler de développement durable quand on construit une autoroute ? »), le Préfet défendait la nécessité du COL pour le développement de la région lyonnaise dans un tout autre sens « Le développement durable n’est pas l’arrêt du développement de la région lyonnaise. Il doit préserver la capacité de croissance des générations futures », car « « la situation actuelle .. (est) déjà problématique (et) deviendra vite inacceptable si nous ne faisons rien »

Un des paradoxes (ou non-dits) du récent débat public est l’absence d’un scénario alternatif (pas de grand contournement autoroutier de Lyon), non seulement dans les documents du débat (sinon par défaut, l’absence d’un tel grand contournement étant présentée comme un repoussoir), mais aussi dans les études et réflexions de la maîtrise d'ouvrage.

Après le récent débat public et nos divers entretiens recoupant le travail sur documents, il nous semble que, compte tenu du coût du COL (sans adossement) et de l’apport qui serait demandé aux collectivités territoriales également « taxées » pour le contournement ferroviaire de Lyon, il n’est pas évident que les 2 infrastructures soient finançables durant la décennie en cours. Lors d’une session du Conseil Régional, un des chefs de file des « Verts » a défendu le choix du seul contournement ferroviaire de Lyon, reprochant à la majorité « plurielle » à laquelle il appartient de ne pas être réaliste – ce qui paraît évident.

Croissance du trafic ou décroissance économique ?

Lors du récent débat public, de nombreux opposants ont mis en doute les prévisions de trafic et, souvent, reproché à la maîtrise d'ouvrage (donc au CETE qui a fait les études) de prolonger les tendances regrettables de croissance excessive du trafic routier – alors que ces prévisions résultent d’arbitrages gouvernementaux (d’abord entre les « routiers » du MELT et les « anti-routiers » du MATE). En tout état de cause, elles sont conformes (de façon plus ou moins bien démontrée) aux divers engagements ou objectifs européens (Livre Blanc) ou mondiaux (accord de Kyoto).

Quelques intervenants lors du récent débat public sont allés bien plus loin, en prenant position pour une diminution du trafic (fer ou route) qui suppose (et se justifie par) une politique de décroissance : il faudrait produire moins de produits inutiles voire nocifs et le bien-être collectif ne dépend pas du PIB. Ces nouveaux disciples de Ghandi n’ont guère été entendus.

Par contre, de nombreux opposants ont critiqué les transports « inutiles » dont la raison d’être serait la recherche du profit (produire là où c’est moins cher, vendre là où c’est plus cher) « libérale » dans cette période de « mondialisation » (nouvel euphémisme pour désigner le « capitalisme »). Des participants ont formulé des exemples bien connus : les voitures fabriquées en Espagne avec des moteurs allemands qui traversent la France (générant des flux dans les 2 sens) ou les fruits ou légumes espagnols produits par des immigrés extra- européens venant concurrencer les produits français et condamner à la disparition leurs producteurs. Dans la même veine, un candidat aux présidentielles de mai 2002 avait sorti une pomme de terre lors d’un entretien télévisé en expliquant que des camions transportent en Italie ces « patates » pour les faire transformer en frites qui reviennent ensuite, toujours en camion (par le tunnel du Mont Blanc ?) pour être vendues aux Pays-Bas.

On retrouve bien là les arguments (pas infondés) sur le transit ou le transport « inutile » et/ou le « bon » transport opposé au « mauvais » transport.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 37/160

Trop de transports inutiles ?

Les réunions du récent débat public ont fait une nouvelle fois ressortir beaucoup de fausses évidences du sens commun comme celles des transports « inutiles ».

L’exemple souvent donné étant celui de l’industrie automobile dont les composants et les voitures finies se « promèneraient » d’un bout à l’autre de l’Europe, encombrant les autoroutes, gênant les riverains, polluant, provoquant des accidents, etc dans ce qui serait un gaspillage irrationnel justifié par la seule recherche du profit.

Bien que cela ne soit pas faux, il nous semble qu’il y a là au moins 2 erreurs fondamentales :

• même si les transporteurs ou logisticiens peuvent y trouver leur compte, les chargeurs (entreprises clientes) cherchent à optimiser leurs flux de production et à en limiter à la fois le coût et les aléas. Cela va dans le sens d’une réduction de ces transports « inutiles » ou de transferts modaux (vers le ferroviaire si l’offre existe et la qualité de service est assurée, par hypothèse). De plus, les transporteurs et chargeurs se heurtent à d’autres limites (coût des encombrements, législation sociale, pénurie de chauffeurs) et ne recherchent plus seulement à faire rouler le plus grand nombre possible de camions le plus loin possible

• la production comme la logistique évoluent rapidement pour répondre à ces contraintes. Ainsi, l’industrie automobile tend maintenant vers un nouveau modèle d’organisation, avec des parcs d’activité de fournisseurs proches des usines pour les approvisionner en « flux tendus » avec le minimum d’aléas et de transports (distance/volume)69

Les arguments (souvent de bonne foi) reposent donc largement sur une phase de l’organisation de la production et de la logistique en cours de dépassement.

Mais personne (même les universitaires spécialistes des transports ou les ingénieurs de la maîtrise d'ouvrage) ne l’ont signalé.

Lors du récent débat public, un représentant de TLF* avait d’ailleurs rappelé que les entreprises de la logistique sont favorables à tout moyen éviter au maximum le trafic par camion, coûteux, avec ses effets en termes de pollution et d’atteintes à l’environnement, à condition d’avoir « un bon service SNCF » et « pas de grèves ».

* TLF = Fédération des Entreprises de Transport & Logistique de France

69 Le juste-à-temps en question, l’Usine Nouvelle du 28/2/02. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 38/160

L’économie des transports : une question trop sérieuse pour être laissée aux économistes ?

Calcul économique & infrastructures : rationalité ou semblant de rationalité ?

La rationalité s’est longtemps appuyée sur le calcul économique – à côté évidemment de l’étude proprement technique des projets.

Dans la logique de la rationalité et de l’intérêt public, les concepteurs (surtout des ingénieurs des ponts et des chaussées) s’appuyaient sur des modèles de calcul économique permettant à la fois de rechercher l’optimum collectif et de le justifier. L’exemple classique, pour la période récente, est le rapport Boiteux de 1995, permettant de calculer le coût global et le coût budgétaire des projets en même temps que leurs effets pour en tirer un bilan. De ce point de vue, il nous semble que la « mouture » 2001 du « Boiteux » de change pas substantiellement sa validité et ses fonctions : le fait d’avoir révisé à la hausse le « prix du mort* » (en prenant tout simplement le « tarif » européen ») n’est certes pas une « révolution copernicienne » en la matière. * plus exactement, l’équivalent monétaire d’une vie humaine en cas de décès

Le coût des transports de marchandises : calcul économique ou barème ?

Lors du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, le coût comparé (et global, en tenant compte des coûts externes monétisés ou non) a fait l’objet d’une note de synthèse de la DRE70

Il s’agissait d’une question sur laquelle la Commission Nationale du Débat Public, en réponse au Président de la Commission particulière du Débat Public, n’avait pas jugé nécessaire de demander une expertise, mais simplement un état des connaissances.

Cette note est d’ailleurs fort succincte (moins de 5 pages + 2 pages de références bibliographiques, pour la plupart accessibles par internet). Elle rappelle des « coûts de référence » qui sont, en pratique, une sorte de « tarif » ou « barème » utilisables ensuite, quelle qu’en soit la valeur scientifique intrinsèque, pour les calculs économiques relatifs aux infrastructures projetées. Ce sont bien des « barèmes » et non des valeurs résultant d’un calcul scientifique – l’exemple canonique étant celui du coût de la vie humaine, le « prix du mort » ayant finalement été établi dans le rapport Boiteux, après des débats d’experts pratiquement superflus, au niveau admis par consensus dans la plupart des pays de l’Union, à 1,5 M . Là encore : CQFD.

On sait que l’intérêt pratique concernant les infrastructures et les transports routiers est de rendre rentable des investissements et d’autres dépenses publiques de sécurité (ex : mesures de répression contre les infractions). Cela peut avoir plus d’effets concrets que bien des arguments d’opposants sur les dangers des routes ou autoroutes.

70 Note de synthèse sur la question du coût des transports de marchandises, DRE, 21 janvier 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 39/160

Faire payer plus cher la route pour payer le fer ? des calculs savants mais peu concluants

La note sur les coûts relatifs des divers modes établie par la DRE à partir des travaux et publications officiels présente également l’implication d’un calcul économique sur l’ajustement nécessaire pour « rééquilibrer » la concurrence rail-route pour le fret. Dans cette démarche de réponse économétrique à la question « Quelles évolutions des coûts pour quels objectifs ? », il en résulte que les objectifs du gouvernement pour 2020 (résultant des schémas de services collectifs ) « pourraient être atteints avec une hausse des coûts routiers de 15 % et une baisse des coûts ferroviaires de 17 à 30 % (pour le transport combiné) ».

La note de la DRE rappelle que, pour le ferroviaire, il faudrait un accroissement de la productivité et, au contraire, sa baisse pour la route – passant notamment par les taxes et péages (les contraintes d’horaires de conduite n’étant pas citées ici).

Le document rappelle que « l’Europe » (l’Union) préconise de faire payer les km parcourus pour les camions, y compris hors autoroutes en donnant l’exemple suisse. Cet argument réjouira évidemment les ennemis des PL. Toutefois, on sait bien que ni la Suisse, ni l’Allemagne n’ont de péage autoroutier à la française (pas encore de péage en Allemagne, vignette annuelle forfaitaire en Suisse) et que la taxe pour les PL en cours de mise en place en Suisse comme le futur péage en Allemagne ne se rajouteront pas à un péage autoroutier de type français.

Bien évidemment, la DRE pose le principe d’internaliser les effets externes en faisant payer pour le bruit, la pollution, la production de gaz à effet de serre ou les effets des accidents non couverts par les assurances.

Pour le transport ferroviaire (fret), la DRE calcule un coût global en rapportant le CA fret rapporté au trafic en tonnes-km, en moyenne de 0,236 Frs*/t-km (0,04 ) - mélangeant des tonnes-km de minerai en vrac par train entier avec des conteneurs ou wagons à l’unité plus ou moins remplis. De plus, ces chiffres émanant de la SNCF, personne ne semble savoir ou s’être demandé d’où viennent ces statistiques « soviétiques »**. * bien que le débat ait eu lieu en 2001, la DRE utilisait encore le Franc ** Il paraîtrait qu’en URSS, les chemins de fer remplissaient leur plan en faisant « balader » (ex : de Biélorussie à Vladivostok) des convois composés de citernes remplies d’eau ou de wagons faisant des allers et retours avec de la terre ou des cailloux

Pour le transport routier, la DRE va au plus simple en indiquant un coût allant de 0,35 Frs (0,05 ) à 0,50 Frs (0,08 ) par t-km selon les sources (Transporteurs ou compte transports du SES pour 1996).

Paradoxalement, il saute aux yeux du profane que le ferroviaire serait déjà moins cher en moyenne et que, par conséquent, la question n’est pas d’égaliser les coûts. D’ailleurs, les transporteurs routiers comme les chargeurs (logistique) admettent que pour le transport d’un conteneur, la route est moins chère en deçà de 500 km et le fer moins cher au- delà, sous réserve de la qualité de service.

Les transporteurs justifient la part du trafic fret par la route en l’estimant relativement incompressible, au moins pour 2 raisons71 : • la tendance au transport de marchandises par plus petits tonnages et unités, de plus en plus vite grâce au temps de réaction rapide que le camion permet • les problèmes d’infrastructure ferroviaire (« c’est un peu comme si on voulait faire circuler les poids lourds d’aujourd’hui sur le réseau routier de 1935 ») et de fonctionnement de la SNCF

A cet égard, le contournement ferroviaire de Lyon ne répond qu’à la 2ème raison, mais pas du tout à la 1ère.

71 Comment le camion a gagné la bataille du rail, Auto-Moto, mars 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 40/160

Les mesures éventuelles visant à faire payer à la route tous les coûts (y compris externes) afin de compenser la différence avec le rail suscitent une opposition catégorique des transporteurs, la FNTR refusant qu’un « alourdissement de charges ne soit imposé aux entreprises de transport routier aux seules fins de financer, par exemple, l’improductivité, la non-qualité ou les interruptions de service du chemin de fer, et encore moins (sa) réduction de la durée de travail »72 Les transporteurs craignaient des distorsions de concurrence européenne « si nous sommes les seuls en Europe à taxer le camion, le transport routier français sera défavorisé par rapport aux camions bulgares ou portugais »73

La SNCF a admis (avec RFF) lors du récent débat public que la part du fret routier restera importante et que le ferroviaire ne pourrait être compétitif qu’au delà de 200 km. 74 C’est bien plus que la distance du « transit » Vienne/Villefranche ou même Chalons/Valence que rejettent les opposants au COL et les riverains du Contournement Est de Lyon. La Commissaire européenne n’a« aucune intention de prendre des mesures contre le transport routier, mais.. tout faire pour que sa croissance ne s’accélère pas ». Il s’agit d’« améliorer la compétitivité du transport ferroviaire », de « mettre à plat la question du coût des transports et parvenir à une tarification des infrastructures plus claire et plus équitable ». Contrairement aux craintes des opposants au COL, « les réseaux transeuropéens doivent être développés avec une priorité forte au rail ». Pour le transport routier, il faudra « que les mêmes normes sociales puissent s’appliquer ». Enfin la Commissaire met en garde contre une crainte exagérée du « dumping » des PECOs candidats à l’entrée dans l’Union qui possèdent un réseau ferroviaire très important qui contribuera au rééquilibrage des transports75 * Pays d’Europe Centrale et Orientale (ex - Europe de l’Est)

Les coûts supportés par la collectivité pour les différents modes : comment y voir clair ?

La note de la DRE utilise les méthodes « réglementaires » des services de l’Etat pour calculer les coûts supportés par la collectivité. Ces méthodes viennent d’ailleurs d’être réactualisées dans le véritable « manuel » de référence qu’est le dernier rapport Boiteux.

Il est toutefois moins évident d’intégrer les aides de l’Etat à la SNCF et à RFF pour les infrastructures et l’exploitation « délicates à reventiler entre les différentes activités ». On peut se demander si, en bon français, cela ne veut pas dire tout simplement que : • la SNCF en est bien incapable • ce n’est pas son problème • elle ne tient pas forcément à faire toute la clarté sur ce point comme sur le reste de sa gestion

Cherchant à comprendre la note de la DRE (i.e. la vulgate ou la « doctrine » des « X- Ponts » et « X-Mines » du Plan et du CGP), nous avons (en amateur) tenté d’y voir plus clair. Le ferroviaire aurait reçu en 2000 de l’ordre de 66 GF (10,06 G ) de contributions publiques (d’après RFF) pour 56 GF (8,54 G ) de recettes, dont 13 GF (1,98 ) pour le fret, bien que le financement par les régions, devenu très important (près de 243 M par an pour la Région Rhône-Alpes) ne semble pas pris en compte – a fortiori les retraites des cheminots (4,8 G en 200076), alors que les retraites du personnel des entreprises du transport routier sont payées par les entreprises et leurs salariés. On peut également estimer que la SNCF paie moins de la moitié du coût d’utilisation du réseau RFF (après travaux réalisés par la SNCF pour RFF).77

72 Comment le camion a gagné la bataille du rail, Auto-Moto, mars 2002. 73 « Affecter les budgets publics des autoroutes au ferroutage », entretien avec Jean-Luc Bennahmias, directeur de campagne de Noël Mamère, Auto-Moto, mars 2002. 74 « Faire payer au transport routier son vrai coût », entretien avec Francis Rol-Tanguy, directeur du fret SNCF, Auto- Moto, mars 2002. 75 « Il faut libéraliser le rail », entretien avec Loyola de Palacio, Commissaire européenne aux transports, Auto-Moto, mars 2002. 76 Les Echos du 20/9/01. 77 Estimation d’après les données de RFF pour 2001. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 41/160

Pour la route, le SES conclut que les PL (marchandises) paient à peu près leurs coûts, alors que les VP (voyageurs) payent nettement plus, sans tenir compte des coûts externes. Pour les coûts externes, il faudrait des approches « complexes, en raison des problèmes de ventilation des coûts entre voyageurs et marchandises, par exemple pour la congestion routière ou pour le bruit ». D’ailleurs, « les valeurs unitaires sont aussi sujettes à caution ». Au total, chiffrés par le SES, l’ensemble des coûts environnementaux et d’effet de serre de la route s’élève à 63,6 GF/an (9,7 G ) dont 16,7 GF (2,55 G ) pour les PL. S’y ajoutent les coûts d’accidents (7,49 G ) et de congestion (5,9 G ). Là encore, on pourrait observer que les coûts de congestion pour la route ont un équivalent pour le ferroviaire (le coût des grèves et autres incidents de transport : retards de livraisons, etc) qui n’est pas pris en compte ici. Partant du fait que ces coûts sont plus importants pour la route (plus de pollution, plus d’accidents), « leur internalisation ira dans le bon sens*, c’est à dire une hausse sensible des coûts routiers par rapport aux coûts ferroviaires ». CQFD.

Le rapport Boiteux définit des valeurs à prendre en compte que l’on peut considérer comme une sorte de « barème » pas très loin du « barème » des sanctions pour les infractions routières. Cela n’est pas sans faire question. Ainsi, pour la traction électrique, le rapport Boiteux prend un coût de pollution nul. Pourtant, au-delà de ce que peuvent en penser les anti-nucléaires, cela suppose que le tarif auquel la SNCF achète son courant à EDF couvre totalement le coût global (incluant, pour le nucléaire, le traitement des déchets et le démantèlement des centrales et leur remplacement par des capacités de production identiques).

En pratique, ces « coûts » (qui nous semblent plutôt être des prix, ce qui, même pour un sociologue, n’est pas du tout la même chose) « permettent de juger de l’intérêt qu’il peut y avoir à transférer les transports de marchandises sur le fer ou à écarter les trafics automobiles des zones d’urbanisation dense ». Ces coûts (ces « barèmes » d’après nous) sont donc pertinents par rapport aux objectifs recherchés et décidés par le pouvoir politique (national ou européen) : • l’augmentation du « prix du mort » va rendre maintenant rentables (au sens du calcul économique) des aménagements de points noirs ou le financement d’une police routière • ce « barème » des coûts externes de la route va permettre de taxer le transport routier et de rééquilibrer la concurrence avec le ferroviaire (sous réserve d’éviter les distorsions de concurrence et.. les « manifs » de routiers)

La politique définie, s’appuyant sur le rapport Boiteux*, permettrait de faire payer l’usager pour tous les coûts externes, par des taxes ou redevances, politique « encouragée par l’UE ». Toutefois, cela nécessite des lois ou décrets spécifiques pour chaque pays dans un cadre communautaire, ne serait-ce que pour éviter des distorsions de concurrence dont les entreprises françaises pourraient d’ailleurs être les premières victimes. * nous n’avons pas ici la prétention de critiquer la démarche et les conclusions de ce rapport, utile comme « barème » ou manuel de calcul des projets d’infrastructures ou politiques publiques de transports

Au total, ces analyses et conclusions nous semblent moins évidentes que leur présentation typiquement économétrique (économie d’ingénieurs) le ferait penser et de nombreuses questions restent posées.

Il est remarquable qu’elles ne l’aient pas été, probablement parce que tout ce qui fait argument pour le fer contre la route bénéficie d’un a priori favorable, les seuls sceptiques étant les « routiers » (au sens large : transporteurs, chargeurs, logisticiens) a priori suspects de défendre leurs intérêts privés – comme s’il n’existait pas d’intérêts corporatistes du côté du ferroviaire et de ses défenseurs. Mais les « routiers » seront écoutés au niveau central.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 42/160

Quel bilan économique & social global pour la société ?

La démarche économétrique de calcul du coût global des divers modes et de leur répartition pose enfin la question du bilan économique et social global pour la société – notamment dans l’hypothèse où, par taxation ou autres mesures (ex : sévérisation des normes d’émissions polluantes et sonores ou de sécurité passive des camions à l’égard des VP), la route serait fortement pénalisée alors que le ferroviaire serait (encore plus) aidé, au besoin par transfert de recettes du routier vers le ferroviaire.

Pour résumer de façon simpliste la question qu’il reviendrait aux économistes des transports de trancher, imaginons le scénario (« environnementalement correct ») où « On » taxe les transports routiers à longue distance (plus de 200 ou 300 km) à hauteur des 15 % envisagés, cette taxe servant, comme en Suisse à subventionner le transport ferroviaire (notamment combiné).

Supposons (hypothèse pas totalement exclue) que la qualité de service et les performances de l’exploitant ferroviaire (monopole aujourd’hui, opérateur historique dominant demain) ne permettent qu’un transfert modal plus limité que prévu par les économistes dans leur laboratoire. Il pourrait bien en découler quelques conséquences. Par exemple : • les chargeurs seraient obligés de continuer à recourir au transport routier • les industriels et producteurs accélèreraient leurs mesures pour réduire les transports à longue distance (ex : rapprochement des sous-traitants, achats à des fournisseurs proches)

Au final, le résultat pourrait être notablement différent de celui recherché : • le trafic routier baisserait peu ou augmenterait seulement un peu moins vite • le trafic ferroviaire augmenterait un peu, avec un surcoût marginal très élevé, creusant le déficit de l’exploitant et sa famine d’argent public • les infrastructures ferroviaires seraient encore plus sous-utilisées qu’actuellement

Du point de vue de l’économie nationale : • les prix des transports augmenteraient, au détriment d’entreprises françaises, d’abord des transporteurs • les consommateurs paieraient plus cher, les intermédiaires et distributeurs gardant leurs marges • les contribuables devraient financer plus pour le ferroviaire

Bref, un cas d’école où le PIB augmenterait (ainsi que le déficit public) alors que l’efficacité économique (productivité, prix, services) se dégraderait au détriment de l’environnement (autant de camions, plus d’encombrements, impact des nouvelles infrastructures ferroviaires) – exactement ce que les opposants aux « transports inutiles » critiquent.

Bien que ce genre de scénario ou de question émane d’un sociologue, il nous semble bien que les évidences et certitudes affichées par la maîtrise d'ouvrage sont simplistes ou, pire, résultent d’une opération de type « CQFD » (la rationalité et la rentabilité du transfert massif vers le ferroviaire).

De façon sans doute provocatrice, ne pourrait-on pas paraphraser une boutade célèbre de Clemenceau sur la guerre, à savoir que les évaluations économiques sont trop sérieuses pour les laisser aux économistes et aux ingénieurs ? Là encore, il y a probablement un réel « déficit » d’expertise et/ou de recherche posant autrement les questions et cherchant d’autres réponses.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 43/160

Expertise & compétence experts & bureaux d’études

BET & experts : un milieu restreint qui « formate » les problématiques & les réponses ?

Le milieu des transports en général et celui des infrastructures en particulier est caractérisé par des BET spécialisés de grande taille (par rapport aux BET d’autres domaines comme le BTP), le marché des études étant à la fois exigeant et important – probablement un des principaux marché public ou para-public d’études après la défense.

La comparaison avec d’autres pays européens est éclairante. Ainsi, dans le cas des Pays- Bas, J-R Barthélémy78 observe un système de coproduction des innovations et des décisions en matière de transports avec un milieu professionnel très compétent et structuré. Les bureaux d’études du secteur des transports et de l’aménagement ont joué un rôle très important dans l’avancée des idées à travers de grands programmes de recherche et dans l’élaboration de projets ou normes et de politiques

BET & expertise en France & en Europe

Bien qu’il se réfèrent aux BET spécialisés en transports urbains, E. Baye et G. Debizet observent dans leur recherche comparative en Allemagne, en France et Grande-Bretagne79 que ces BET de transports des 3 pays partagent une nouvelle préoccupation : développer un savoir-faire en communication, de l’explicitation et de la justification des projets, sur la base évidemment d’une expertise technique solide.

Du point de vue du débat public et de l’expertise, nous y lisons une réponse à une nouvelle demande (et commande) des maîtres d'ouvrage pour préparer des projets ou dossiers « prêts à débattre » en quelque sorte et, pourquoi pas « consensus en main » .

Par rapport à la France, E. Baye et G. Debizet font ressortir une organisation plus structurée et plus institutionnalisée des BET et experts en transports (assez analogue finalement aux Ordres de type experts-comptables) : • en Grande-Bretagne, les BET sont organisés dans le cadre d’ordres professionnels (ex : Chartered Institute of Transport) • en Allemagne, les BET et divers consultants sont représentés dans les commissions techniques de la FGSV* qui produisent des recommandations et dans des sortes de sociétés savantes (ou d’ingénieurs) comme la DVWG** * Forschungs Gesellschaft für Straßen- und Verkehrswesen ** Deutsche Verkehrs Wissenschaftliche Gesellschaft

Alors qu’en France, en raison du rôle traditionnellement essentiel de l’expertise du réseau technique de l’Etat et du petit nombre de grands BET très proches de l’Etat (ex : les divers rejetons de l’ex-SCET), l’expertise non-étatique n’est pas organisée (en dehors de syndicats essentiellement corporatistes de défense d’intérêts) et, paradoxalement, très concentrée en un petit nombre de grands BET très proches des services de l’Etat et des concessionnaires au plus haut niveau – les uns et les autres s’alimentant aux mêmes grands corps ou écoles d’ingénieurs).

78 J-R Barthélémy, De la complicité à la vertu : démocratisation du débat sur les transports France / Pays Bas, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. 79 E. Baye & G. Debizet, Innovation et bureaux d’études dans la planification des transports urbains, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 44/160

Au total, il ne nous semble pas y avoir quelque part de l’expertise à la fois indépendante par rapport à la maîtrise d'ouvrage et aux grands exploitants (sociétés d’autoroutes, SNCF ou Air France) ou aux groupes du BTP/génie civil.

Les seules capacités d’expertise institutionnellement indépendantes le sont du fait de leur statut : • d’une part des organismes comme le CGPC (où l’indépendance résulte de la position du Corps des Ponts) • d’autre part, des universitaires, notamment les professeurs (en économie essentiellement), doublement indépendants de la maîtrise d'ouvrage publique ou privée par leur statut (dont l’inamovibilité à vie) et leur loyauté à l’égard de leurs pairs

Mais ces experts doivent être saisis (cas du CGPC, bien qu’il puisse s’autosaisir) d’une question ou y porter intérêt dans le cadre de leur spécialité ou université (cas des universitaires).

C’est sans doute ce qui explique la solution de facilité qui tend à devenir l’habitude : le recours à des experts étrangers censés être à la fois experts et indépendants. C’est d’ailleurs ce que l’on a pu observer lors du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.

Des BET qui savent tout faire, même de l’expertise ?

On sait qu’il existe un petit nombre de grands BET couvrant à peu près la totalité des domaines d’études des infrastructures routières voire aéroportuaires ou ferroviaires. Certains sont en quelque sorte des « Bechtel » français. Ces BET travaillent aussi bien pour la maîtrise d'ouvrage (Etat, collectivités territoriales, mais aussi RFF/SNCF) comme en sous-traitance de la maîtrise d'oeuvre (ex : des CETE) ou des concessionnaires.

Ils auraient probablement la capacité de produire de l’expertise (et ils le font parfois), mais leur position de sous-traitants oligopolistiques et leur « consanguinité » avec leurs commanditaires (itinéraires de formation ou professionnels communs ou proches, passage du secteur public aux BET et vice versa) les rendent doublement illégitimes voire suspects au regard des opposants ou des acteurs extérieurs à la maîtrise d'ouvrage : ils sont trop proches et fonctionnellement liés à la maîtrise d'ouvrage.

La seule réponse pratique est le recours à un BET (équivalent ou plus petit) ou éventuellement, à d’autres experts vus comme plus indépendants (ex : universitaires) ou étrangers. Les exemples récents d’experts suisses et italiens sollicités lors du récent débat public lyonnais seraient-ils le début d’une nouvelle industrie exportatrice de pays à ingénierie plutôt faible par rapport à l’ingénierie française ?

Les modèles & leurs maîtres d’œuvre plus de technique, de savoir-faire & de tour de main que d’expertise ?

Nous avons à plusieurs reprises rencontré des questions posées à propos des modèles de trafic utilisés, en particulier à propos des estimations de reports entre itinéraires (ex : entre l’axe A6/A7 via la vallée du Rhône) et les « axes alternatifs » (LGS, Paray le Monial - Roanne et itinéraire A20/A75). Les spécialistes reconnus du CETE admettent eux-mêmes que les modèles rendent assez mal compte de la répartition de trafic dans des cas complexes comme ceux du futur « plat de spaghetti » du réseau routier autour de Lyon après réalisation du grand contournement autoroutier de Lyon et du tronçon Ouest du périphérique de Lyon. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 45/160

Cela pose une question au regard des outils, sinon de l’expertise, puisqu’il n’existe qu’un petit nombre de modèles, compte tenu de l’investissement (coût + « matière grise ») de l’élaboration d’un modèle qui n’est utilisable qu’avec des bases de données et (ce sur quoi les BET sont aussi discrets que les instituts de sondage) un « tour de main » que seules l’expérience et la continuité donnent.

E. Baye et G. Debizet ont rappelé dans leur recherche qu’en raison de ces investissements et de la nécessité de bases de données, la plupart des grands modèles (en transports urbains) sont les versions plus récentes d’outils conçus 10, 20 voire 30 ans auparavant – d’où une concentration de l’offre.

En pratique, seuls quelques BET plus ou moins « privés » et le réseau CETE ont ces modèles, ces bases de données et le « tour de main » indispensables.

Il en découle que la contre-expertise par rapport à la mise en œuvre d’un modèle est difficile et limitée pour des raisons évidentes : • chaque modèle reste une « boîte noire » pour les meilleurs professionnels extérieurs au BET qui l’a mis au point et le met en œuvre • les données et hypothèses font également problème et peuvent laisser une large marge d’appréciation

Le récent débat public en a apporté une belle démonstration à travers l’expertise par un expert (universitaire italien) des prévisions de trafic du CETE pour le projet de COL.

Il est également significatif que les prévisions (comme les données sur le trafic actuel) de la SNCF et RFF n’aient fait l’objet d’aucune expertise, puisque (selon nous), le phénomène « boîte noire » y est à son paroxysme. Ce n’est peut être pas par hasard que MVA (rejeton « britannique » de la SNCF et de la RATP) ait été appelé à faire une étude complémentaire dans le récent débat DUCSAI – alors que ce même BET s’était distingué à Lyon par des études discutables lors du projet TEO.80

Des modèles douteux, pour les experts comme pour les opposants ? des modèles de trafic validés, mais toujours contestés

Les bons connaisseurs de la question savent bien que les modèles de trafic ne prennent pas en compte certaines variables. Par exemple, la conception et l’aménagement des échanges aux 2 extrémités du COL - a fortiori la gestion des infrastructures et l’information aux usagers pour les inciter (voire leur interdire).

Les modèles de trafic utilisés ayant été contestés par certains opposants, une expertise avait été demandée à un expert italien. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’un avis que d’une expertise81, établi sur la base des documents et études de la maîtrise d'ouvrage (en fait, du CETE). Cette vérification du modèle utilisé et de sa mise en œuvre est analogue (faisant probablement double emploi) à celle que le SETRA fait habituellement.

Professionnel méthodique, l’expert italien observait que, bien que l’approche utilisée soit « correcte », il se doit de faire des remarques sur le caractère empirique du calcul du report sur l’A75, non modélisé directement. Le résultat est jugé toutefois « acceptable », de même, pour le report spécifique au corridor Rhône-Saône.

80 Nos entretiens avec des « techniciens » qui ont suivi ces études pour le compte de l’Etat. 81 Avis sur les méthodes, la qualité des données, notamment le comptage, ainsi que sur les hypothèses figurant dans les modèles de prévision de trafic des maîtres d’ouvrages, rendu par Enrico Musso, professeur d’Economie des Transports à l’Université de Gênes, rapport final, 30 janvier 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 46/160

L’universitaire italien faisait d’autres remarques de détail, comme la divergences entre les études et modélisations du CETE et celles de RFF (réalisées par un BET filiale de la SNCF avec un partenaire allemand), faisant apparaître un écart de l’ordre de 20 % qui « ne fait quand même pas perdre le sens aux.. études ». Au final, il concluait que, malgré un certain nombre d‘« imperfections méthodologiques », les études DRE/CETE « paraissent bien aller dans la direction (d’) un scénario réaliste du trafic qui pourra être absorbé par le COL ».

L’expert italien a procédé aussi à un examen de l’étude MVA - Kassel & Partners pour RFF sur la modélisation multimodale à l’échelle européenne. Il a noté des points de détails qui auraient pu échapper aux ingénieurs « routiers » du CETE ou de la DRE, par exemple, sur le rapport entre nombre de « sillons » et nombre de trains, dépendant fortement d’hypothèses sur la « productivité » de l’exploitant ferroviaire -(autrement dit : de son bon fonctionnement). Le ratio retenu dans la modélisation comme les autres hypothèses sur les gains de temps réalisables semblent (pour autant que nous sachions lire cette expertise) indiquer un niveau faible d’utilisation de la nouvelle infrastructure projetée.

Cela pose évidemment la question récurrente de la capacité de la SNCF à utiliser au mieux les nouveaux moyens (locomotives et infrastructures dédiées) mis à sa disposition, donc de la rentabilité réelle des investissements publics destinés au fameux « rééquilibrage modal ».

Plus en amont, l’expert italien mettait en question l’étude MVA qui affirmait «il est évident que le nœud de Lyon est un goulot d’étranglement particulier », ce qui n’est pas justifiée par des données sur le trafic passagers. Ayant obtenu des données (actuelles et horizon 2010), l’expert estime que « la source de ces données n’est toutefois pas claire ». Cet expert est peut-être un innocent mal informé des réalités françaises ou, plus probablement, trop bien au courant de la pratique de secret de la SNCF auquel se heurtent aussi bien les services de la DTT ou d’autres, comme les évaluateurs de la LOTI.

Au final, l’expert italien a donné cependant « quitus » aux études de trafic : « En conclusion, on peut donc affirmer que, bien que comportant un certain nombre d’imperfections méthodologiques, la qualité et le contenu des études présentées par les maîtres d’ouvrages vont bien dans le sens de la construction d’un scénario réaliste du trafic qui pourra être absorbé par les contournements autoroutier et ferroviaire de l’agglomération lyonnaise ».

Il remarquait enfin que la modélisation (routière) CETE rend mieux compte du trafic local en contournement de l’agglomération, alors que la modélisation MVA sous-estime le trafic local et/ou à courte distance (notamment par les sources utilisées : enquêtes auprès des chargeurs). Bien que cela ne change pas globalement les ordres de grandeur fondant le projet de COL, il peut y avoir de grandes différences sur le volume (et donc l’impact) du trafic local et régional par rapport au trafic de grand transit.

Ayant ici dépassé notre niveau d’incompétence, il nous semble cependant que, même pour lire un avis sur des études, il faut une certaine compétence et, en quelque sorte, une contre-expertise au 2ème degré.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 47/160

De plus en plus de débats : débats & transparence quelle place pour les experts & l’expertise

L’impasse d’une démarche « technocratique » le débat « citoyen » : la solution ?

Au-delà du qualificatif quelque peu excessif (laissant entendre que les techniciens et hauts fonctionnaires décideraient ou prépareraient les décisions de l’Etat et d’un petit nombre de « notables »82), il n’en reste pas moins que jusqu’aux années 80, l’étude des projets et le processus de décision restait très « technocratique ». Cela, malgré les nombreuses mesures élargissant l’information et le débat public (loi Bouchardeau sur les enquêtes publiques, circulaire Bianco de 1992, loi Barnier de 1995 sur le débat public) de plus en plus en amont de la seule EUP jusqu’à devenir la règle maintenant dès le stade des schémas routiers d’agglomération ou régionaux et des études d’opportunité.

Rappelons le changement introduit lors du passage du débat « Bianco » au débat « Barnier ».

La circulaire Bianco introduisait • un débat avec les responsables politiques, sociaux, économiques et associatifs, et le maître d'ouvrage, sous la responsabilité d'un préfet coordonnateur • une Commission de suivi du débat et des expertises externes • un Cahier des charges publié par le gouvernement

La Loi Barnier créait : • la Commission nationale du débat public (CNDP), avec une « large représentativité » (parlementaires, élus locaux, associations, membres du Conseil d'Etat et des juridictions de l'ordre administratif et judiciaire). Les associations ont donc leur place « officielle » • un débat sur les grandes opérations d'aménagement d'intérêt national (décret du 10 mai 1996) sur les enjeux socio-économiques et leurs impacts significatifs sur l'environnement. Ce débat n’est plus de la responsabilité du Préfet, mais d’un Président de Commission particulière du Débat Public

De ce point de vue, la rocade Est de Lyon était à la charnière de ce « changement de phase » ou de « période » (au sens des historiens) : le projet a été élaboré au mieux par la DDE avec le CETE, puis présenté et défendu par eux, sans opposition insurmontable. Cela n’est plus guère possible que pour des autoroutes de rase campagne (comme l’A39)83 . Cela vaut d’ailleurs pour d’autres infrastructures (ex : TGV, canal Rhin-Rhône)84.Dans le cas du grand contournement Ouest de Lyon, il y a eu un premier débat avant que le dispositif du débat public ne soit constitué, précédant un débat public au titre de la Commission particulière du Débat Public; si la décision de principe de la réalisation et du tracé (périmètre d’étude) est « actée », il y aura évidemment concertation lors de l’étude de l’APS, puis EUP, puis élaboration d’un Dossier des Engagements de l’Etat pouvant déboucher sur un dispositif d’information et de suivi de leur mise en œuvre.

82 Au sens de l’ouvrage de J. Rondin, « Le sacre des notables », 1985. 83 Y. Gras, « Naissance d’une autoroute, A39 Dole-Bourg en Bresse », 1998 84 Cf Dossier « Projets d’infrastructures et débat public. Technique Territoires et Société N° 31, mai 1996 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 48/160

On sait que la concertation, l’information du public et le débat ont beaucoup évolué depuis quelques années85, d’abord par la multiplication des débats et des étapes au cours de la vie d’un projet depuis l’extrême amont (le principe même de l’infrastructure) jusqu’à l’extrême aval (après la mise en service, comme pour le Contournement Est de Lyon ou le tunnel du Mont Blanc après sa réouverture). La multiplication des débats conduit parfois à un certain chevauchement. Ainsi, le MATE tenait à Lyon une de ses réunions sur les risques industriels à la veille d’une réunion de la Commission du Débat Public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.

Ces dernières années, l’Etat et le Parlement ont ajouté et instauré des procédures de concertation et de consultation. Ainsi, pour les projets aéroportuaires (comme à l'aéroport de Lyon-Satolas), l’ACNUSA* doit prendre l’avis de la Commission consultative de l'Environnement où les riverains (presque tous opposants) sont bien présents (quoique sans pouvoir réel). * Autorité de Contrôle des Nuisances Sonores Aéroportuaires

La nouvelle loi sur la démocratie de proximité prévoit encore plus de débats (dont la réforme de l’EUP) qui va obliger à une concertation publique étendue : • élargissement des compétences de la Commission Nationale du Débat Public érigée en autorité administrative indépendante (comme l’ACNUSA) • modalités de concertation collectivités territoriales/Etat « pour les projets de travaux publics » des collectivités territoriales et au sein de l’administration pour les projets de l’Etat (instruction conjointe) • amélioration de la procédure d’enquête publique • instauration d’une déclaration de projet par laquelle une collectivité territoriale reconnaît à l’issue de l’enquête publique le caractère d’intérêt général de son projet

Ce développement tous azimuts des consultations et débats peut donner l’illusion de la transparence des décisions et de leur caractère totalement démocratique, à l’instar de la démocratie directe de la bourgade puritaine du Nord-Est des Etats-Unis ou de l’assemblée d’un canton de la « Suisse profonde » où le « Souverain » (les électeurs, voire les électrices86) discute et décide de tout, sans intermédiaires.

Dans cette perspective, des opposants (nous n’avons jamais vu de partisans d’une infrastructure le faire) demandent toujours plus d’informations et de transparence, quitte à faire à nouveau flèche de tout bois en instrumentalisant des recommandations ou conventions françaises, européennes ou internationales.

Ainsi, des opposants réclamaient un droit à l’information totale au titre de la convention d’Aahrus « garantissant désormais » (d’après une agence de presse) « l’accès à l’information sur l’environnement, la participation du public aux décisions et le recours à la justice » afin de « protéger le droit de vivre dans un environnement sain »87. Cela démontre par l’absurde que le droit à la transparence (si transparence effective et totale il y a) n’est pas une garantie d’un processus participatif et démocratique : cette convention, signée par la France le 25/6/1998 n’avait été ratifié que par 2 pays de l’Union (Danemark et Italie) et, surtout, certains signataires des PECOs* n’étaient guère des modèles démocratiques. * PECOs = Pays d’Europe Centrale et Orientale

85 Cf le N° spécial des Annales des Ponts & Chaussées, N° 92/1999 sur « Débat public et projets d’infrastructures ». 86 On sait qu’un canton suisse célèbre pour ses assemblées cantonales n’a accordé que récemment le droit de votes aux femmes. 87 Voir http://www.alsapresse.com/jdj/98/06/26/IGF/article_3.html ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 49/160

Sous sa forme actuelle (les débats sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon ou le 3ème aéroport parisien), l’accès au Débat Public reste encore limité. Ainsi, la Commission nationale du Débat Public avait rejeté la demande des opposants d’un tel débat pour plusieurs projets en région lyonnaise : o pour le projet d’extension de l’aéroport de Lyon-Satolas (saisine par l’Union française contre les nuisances des aéronefs et par le conseil régional de Rhône-Alpes). La saisine n’a pas été jugée recevable en raison de la publication au Journal officiel de la décision ministérielle de prise en considération. La Commission a cependant recommandé au maître d’ouvrage de mener une concertation approfondie o pour le projet de TGV Lyon-Turin (saisine par France nature environnement). La saisine n’a pas été jugée recevable en raison de la publication au Journal officiel de la décision ministérielle de prise en considération o pour les autoroutes A45 et A89, la CNDP, « en regrettant de devoir prendre acte de la caducité des saisines concernant A45 et A89 par intervention de décisions ministérielles, souhaite que la mise en œuvre de ces projets tienne compte des enseignements du débat public ».

Par contre, pour le projet de contournement autoroutier de Lyon (saisine parlementaire), la Commission du Débat Public a au contraire élargi le débat aux infrastructures ferroviaires, mais en maintenant son refus d’un débat sur l’A45 et l’A89. La Commission « a considéré que, dans ces circonstances, un débat limité au seul projet autoroutier serait l’objet d’incompréhension de la part du public. Elle a donc décidé de demander au Ministre de l’Equipement de proposer, pour le débat retenu, un dossier présentant une approche d’ensemble du contournement de l’agglomération lyonnaise par les différents modes de transports, eu égard au flux de transit locaux, nationaux et internationaux de la vallée du Rhône ».

En tout état de cause, comme le débat DUCSAI l’a bien montré, débat ne veut pas dire décision. Il s’agit d’expliquer et de faire accepter une décision en prenant en compte les oppositions. En pratique, tout le monde peut s’exprimer, même si cela ne sert à rien : tous ceux qui voulaient ont pu venir et s’exprimer, dire ce qu’ils voulaient et pensaient (voire n’importe quoi), ils ont été écoutés plus qu’entendus (au sens de : leur avis a été pris en compte ). Les comptes-rendus ressemblent parfois à des comptes-rendus de conseils municipaux où les opposants font à chaque fois ce que certains considèrent comme « leur numéro », dûment inscrit au PV, mais sans le moindre effet.

Rationalité, bien public & intérêt collectif

Comme l’avait rappelé J-M Fourniau88 et comme l’ont confirmé le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon ou, auparavant, les conflits sur le projet de TGV Méditerranée ou Rhin-Rhône, la rationalité et l’intérêt public ne sont plus évidents ni incontestés.

Les contestations de plus en plus vives dont sont l’objet les grands projets d’infrastructure sont révélatrices d’une remise en cause du régime de la décision sur lequel repose habituellement l’intervention de l’Etat en matière d’aménagement :

88 J-M Fourniau, régimes de la décision et participation des citoyens, Annales des Ponts & Chaussées, N° 81/1997 « Dossier décision publique ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 50/160

• la légitimité de l’opposition classique entre l’intérêt général et les intérêts particuliers s’épuise quand s’élargissent les préoccupations des citoyens en matière d’aménagement du territoire, d’environnement et de participation à la « chose publique » • le « régime du commandement » forgé dans les années 50 et années 60 au cours du processus de modernisation du corps des Ponts et Chaussées est depuis longtemps périmé – le corps comme la Direction des routes ayant plutôt anticipé que suivi cette révolution des modes de décision, grâce à un certain nombre de grands personnages que nous ne citerons pas ici

L’expertise supposée « indépendante » et objective peut être un moyen pour la maîtrise d'ouvrage de sortir de cette impasse dans le cadre plus ou moins formalisé d’un débat et d’une négociation.

Le bien public & l’optimum collectif : des illusions de rationalité ?

Le fondement implicite (rarement explicité) des débats est l’existence d’UN bien public et/ou d’UN optimum (ou proche de l’optimum) collectif.

Dans la mesure où la collectivité en tant que telle peut définir un bien collectif à créer ou sauvegarder (ex : espaces naturels, « qualité de l’air », etc) et un optimum eu égard à certaines contraintes (ex : les échanges indispensables à l’activité économique), il est normal (et classique) de faire une analyse coûts/avantages ou, plus qualitativement, de type « multicritères » pour déterminer les gains pour la collectivité et, le cas échéant, choisir entre des options envisageables.

On connaît bien les limites et apories de l’analyse coûts-avantages (étudiées par B. Roy & S. Damart89). Cette recherche d’une rationalité et d’un optimum collectif, partagé si possible par les « acteurs » s’avère inatteignable, tant sur le plan méthodologique que sociétal. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau pour ceux qui ont connu la tentative de RCB* à la fin des années 60 au Ministère de l’Equipement. * Rationalisation des Choix Budgétaires

L’apparente rationalité de l’analyse, surtout si elle est quantitative comme c’est généralement le cas (cf les calculs de « rentabilité » des nouvelles infrastructures ) se prête à des biais, voire à des manipulations.

Comme le rappellent B. Roy & S. Damart, on peut ainsi : • surévaluer, délibérément ou non la rentabilité d’un projet (par exemple, en jouant sur la situation de référence) • ignorer des coûts, notamment parce qu’on ne sait pas les mesurer ou les comptabiliser

Maîtrise d'ouvrage publique, débat public & décision publique

Le débat public dans sa forme récente (débat Barnier ou récent débat public) constitue évidemment une nette rupture avec le cheminement classique des projets d’infrastructures, même avec la concertation (avec les élus et un petit nombre d’acteurs) pour élaborer l’APS avant l’EUP – qui n’est d’ailleurs pas un débat à proprement parler dans ses modalités.

89 B. Roy & S. Damart, L’analyse Coûts-Avantages, outil de concertation et de légitimation, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 51/160

Historiquement, les services de l’Etat (essentiellement la Direction des routes et le SETRA pour les projets routiers), doublement légitimes du fait de leur compétence (à peu près totalement indiscutée jusqu’à une période récente) et de leur statut de fonctionnaires chargés de l’intérêt général.

On renverra sur ce point au N° spécial des Annales des Ponts & Chaussées dont le thème était justement « Débat public et projets d’infrastructures » que nous reprendrons à notre façon ici. 90

L’EUP : une procédure sans débat & sans experts ?

Bien que l’extension et la remontée vers l’amont du débat remette en cause l’EUP comme seul point de passage obligé et décisif pour l’opération, l’EUP conserve son statut réglementaire et sa fonction.

On sait que les commissaires enquêteurs (souvent ITPE retraités) sont désignés par le Président du Tribunal Administratif après vérification de la recevabilité des candidatures par la préfecture, le commissaire étant choisi et désigné à chaque EUP par le Tribunal Administratif. Ces commissaires sont paradoxalement plutôt des « experts » amateurs (au sens où ils ne sont pas forcément des spécialistes ni compétents dans toutes les questions soulevées).

Il nous semble que l’EUP reste une procédure sans débat (du moins au sens du « débat public ») et sans experts. Mais le commissaire fait bien fonction d’expert se formant un jugement (comme le ferait un juge assisté d’un jury) à partir d’un dossier et de témoignages.

Des experts ou intervenants plus ou moins professionnels les commissaires-enquêteurs

Parmi les experts ou intervenants au cours des projets d’infrastructures figurent évidemment les commissaires-enquêteurs dont la fonction est d’assurer la synthèse des points de vue et observations des parties concernées et, le cas échéant, de conclure sur la bien-fondé ou non du projet.

On sait que cette fonction fait question à divers titres. Notamment : • l’indépendance des commissaires • les moyens (généralement dérisoires) dont ils disposent • l’absence d’experts à leur demande • le manque de compétences (notamment juridiques) de la plupart des commissaires (généralement retraités du secteur public)

Plus généralement, c’est la professionnalisation des commissaires qui fait question, autant que leur statut (entre décideurs et grand public) et les moyens dont ils disposent.

Les commissaires-enquêteurs, compte tenu de leur volonté d’élargir leur mission (et l’EUP en tant que telle) sont amenés à se former et à s’organiser eux aussi en experts de la concertation – avec cette particularité de leur position réglementaire du fait même de leur fonction.91

90 Annales des Ponts & Chaussées, N° 92/1999 « Débat public et projets d’infrastructures ». 91 PIECHACZYK (Xavier). - Les commissaires enquêteurs et la fabrique de l'intérêt général. Éléments pour une sociologie politique des enquêtes publiques. - Thèse de Doctorat "Science Politique" de l'Université Pierre Mendès France, Grenoble 2, mai 2000. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 52/160

Maîtrise d'ouvrage & débat public : comment « communiquer » la communication : du savoir-faire plus que de l’expertise

Dans la mesure où non seulement les débats publics vont devenir la règle, mais où les concertations tout au long de la vie d’un projet (à l’exemple précurseur de la LGS) vont se multiplier, les services de la maîtrise d'ouvrage, à tous les niveaux (du chargé d’étude du CETE au DRE en passant par l’Ingénieur Grands Travaux) ont développé leur capacité à « communiquer », indispensable pour faire aboutir le dossier dont ils sont chargés.

Ils ont dû sortir (ou dépasser, sans évidemment l’abandonner) de leur compétence de base - faire de bons projets, techniquement irréprochables, répondant aux arbitrages gouvernementaux.

Des spécialistes en débat public dans la maîtrise d'ouvrage des prestataires de service de communication sur les projets

Le récent débat public a été préparé par les services de l’Etat (DRE/DDE, DIREN) avec l’appui d’un Chargé de Mission de la Direction des routes qui, après avoir fait une thèse sur la question, est devenu le consultant interne de la Direction des routes en matière de concertation. Il avait suivi l’élaboration du dossier, aussi bien au niveau déconcentré qu’au niveau central.

La multiplication et la généralisation des débats suscitent ou nécessitent des compétences (du moins des savoir-faire) pour organiser le débat, l’animer et, tout aussi important, y participer. L’enjeu est vital pour la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre publique (Direction des routes/SETRA/DRE/DDE/CETE). On observe d’ailleurs que les divers services ou institutions se dotent de telles compétences : • en formant de façon plus ou moins organisée et empirique (apprentissage « sur le tas », mais aussi « clubs » de maîtrise d'ouvrage, sessions de formations, etc) leurs « techniciens » • en recrutant ou en produisant en interne un ou des spécialistes du débat et de la concertation • enfin, en sous-traitant largement la partie communication / animation du débat à des intervenants spécialisés

Un des responsables de la Direction des routes qui représente bien la 2ème modalité posait la question de savoir si quelqu’un peut être un « expert en débat public » dont le métier ou la compétence serait l’«expertise en concertation ». 92

Maintenant que la mise en débat (probablement à plusieurs reprises au cours de la vie d’un projet, y compris après sa mise en service) est un moment (dans tous les sens du terme) de l’ élaboration et de l’avancement des projets, on voit apparaître des experts ou des professionnels du débat. Nous en avons vu plusieurs types lors des débats et concertations suivis lors de la recherche : • des cabinets spécialisés dans l’organisation et l’animation des débats • un Chargé de Mission de la Direction des routes devenu, comme son analogue à RFF, le spécialiste « maison » de la concertation et des débats

Remarquons que ces 2 spécialistes ou experts (quel est le bon terme ?) de la concertation sont un peu atypiques dans leur institution, puisque ce sont 2 anciens chercheurs (après une thèse) de formation économiste ou sciences politiques dans un univers d’ingénieurs (à dominante IPC et ITPE).

92 X. Piechaczyk, Peut-on être un expert en débat public ? Annales des Ponts & Chaussées, N° 92/1999 « Débat public et projets d’infrastructures ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 53/160

On reste toutefois dans la logique des grands services de la maîtrise d'ouvrage (SETRA, CERTU, SNCF puis RFF) qui ont toujours eu le souci d’avoir leur propre expertise intégrée, pour une double raison : • avoir la capacité de produire des projets dans les règles de l’art au meilleur niveau du moment • et, moins explicitement, garder pour soi un avantage sur toute contestation extérieure - une supériorité d’initié en quelque sorte

Des professionnels de la communication : plus utiles & plus influents que les experts ?

Les débats récents ont été largement pris en charge au niveau de la communication (documents publiés, régie audio/vidéo, etc) par des entreprises plus ou moins spécialisées dans ce type de débat.

Ainsi, dans le cas du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, 2 des principaux sous-traitants de la maîtrise d'ouvrage ont été : • une société de communication qui avait déjà travaillé aux réunions publiques pour le Contournement Est de Lyon en 1988 et, par ailleurs, intervient auprès de la plupart des grandes collectivités territoriales régionales • un groupe de consultants parisiens, plus spécialisés dans les débats publics. Ce groupe, animé par une intervenante en sciences sociales appliquées travaillait d’ailleurs parallèlement au débat sur l’extension du port de Nice se tenant à peu près en même temps que le débat lyonnais

On peut y voir un nouveau type de BET ou intervenant auprès de la maîtrise d'ouvrage et de la maître d'oeuvre en complément des grands BET polyvalents d’une part, de BET spécialisés (ex : environnement / nature) d’autre part.

Des « communicants » trop dépendants des maîtres d'ouvrage & des concessionnaires ?

Sur un autre plan, des opposants signalent93 leurs difficulté à trouver une société de communication pour préparer et éditer leur documentation « anti-COL » en raison du petit nombre de société spécialisées dans ce type de document et leur clientèle de collectivités territoriales, de maîtres d'ouvrage (Etat, SNCF, etc) ou d’autres institutions.

On observe en effet que : • la société de « comm» qui a produit le dossier du récent débat public était déjà intervenue dans d’autres opérations analogues (déjà lors des réunions publiques sur le Contournement Est de Lyon) • celle qui a animé ce débat sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon a également (quasiment en même temps) animé celui sur l’extension du port de Nice. Des opposants très « remontés » peuvent y voir un sorte de « complot* », du moins de « manœuvre » de la part de la maîtrise d'ouvrage redoutant la contestation. * terme jamais employé lors des entretiens, ni dans les réunions

93 Nos entretiens. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 54/160

Concédant & concessionnaire : au moins un absent du débat

Le futur concessionnaire du COL (si le COL est construit) n’était évidemment pas présent au récent débat public, alors que RFF y était – ce qui le place dans une position analogue à celle d’un concessionnaire, comme si ASF était dès l’amont maître d’ouvrage de la future infrastructure.

On peut cependant penser que le concessionnaire reprendra une place plus en amont dans le processus d’étude.

En effet : • la procédure d’appels d'offres sans adossement et conforme aux règles européennes de la mise en concurrence laissera plus de place aux variantes • la nécessité de limiter le coût des infrastructures pour la puissance publique qui devra financer une partie du coût total impliquera la recherche de solutions plus économiques (ce qui se fait déjà couramment pour des ouvrages d’art hors réseau concédé) que le concessionnaire et ses partenaires (entreprises du génie civil d’abord) sont bien placés pour proposer

Avec la suppression de l’adossement qui garantissait de façon quasi-automatique la concession autoroutière à la société d’autoroute sur le territoire de laquelle se trouvait la future infrastructure, le nouveau système d’appel d’offres européen introduit des modifications importantes pour le maître d'ouvrage comme pour le concessionnaire : • le concessionnaire intéressé n’est en principe pas consulté, puisqu’il n’est pas censé être connu avant l’appel d’offres, donc très tard • le concédant doit donc aller bien plus loin dans son dossier sous peine de ne pas avoir de réponse (ou de réponse réaliste) aux conditions prévues

Pour prendre le cas des contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, ces questions sont apparues de façon très indirecte et n’étaient pas directement lisibles par le grand public :

• lors d’une réunion publique, un élu avait signalé qu’un éventuel concessionnaire (très probablement ASF, déjà concessionnaire de l’A89 de Bordeaux à Clermont-Ferrand) prenait contact avec les communes pour leur montrer les avantages qu’elles pourraient retirer de la réalisation de l’A89. Cette information avait suscité un tollé d’une partie du public qui avait cru à la tentative de corruption d’élus que l’intervenant avait évidemment exclue. Il est donc probable, et assez naturel, qu’un concessionnaire déjà en charge de la plus grande partie d’une autoroute fasse tout pour préparer une nouvelle concession

• le dossier de la DRE reste très imprécis quant au coût total du COL (estimé « à la louche ») et, encore plus, à la part de financement public. C’est compréhensible pour un projet dont le fuseau et certaines caractéristiques (passage en tunnel) ne sont pas arrêtés. Mais on voit bien que le maître d'ouvrage (Etat, même si les collectivités territoriales seront probablement amenées à payer la majorité de la subvention au concessionnaire) ne pourra pas se contenter d’une évaluation approximative.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 55/160

Un déficit de compétences des collectivités territoriales : ingénieurs territoriaux & autres spécialistes

Bien que la décentralisation soit déjà ancienne, les services de voirie des départements ou grandes villes sont encore largement insuffisants malgré les nombreux passages des ingénieurs des corps de l’Etat (surtout ITPE, plus rarement IPC) vers ces collectivités territoriales. On le constate d’ailleurs dans divers cas, comme le tronçon nord du périphérique de Lyon (où le Grand Lyon était sans défense face au concessionnaire) ou du projet de « shunt* » (liaison directe en tunnel à péage de l’échangeur du Valvert** à l’A7 par la Mulatière) dont une version étudiée pour le tronçon Ouest du périphérique de Lyon par un BET débouchait en pleine zone classée Seveso.***

* ce « shunt » ne figurait pas sur les schémas du dossier du débat présentés plus haut * *sortie Nord du tronçon nord du périphérique de Lyon vers l’entrée Nord du tunnel sous Fourvière *** zone de danger d’accident chimique

Des BET qui appuient la maîtrise d'ouvrage ou la remplacent ?

Rappelons enfin qu’un petit nombre de bureaux d’études, souvent issus de l’ancienne nébuleuse SCET/CDC, employant également des ingénieurs (plutôt INSA ou autres) sont sollicités aussi bien par l’Etat (DDE ou CETE) que par les concessionnaires et, plus rarement, les collectivités territoriales.

Cela produit donc à la fois un milieu professionnel assez restreint et homogène, en interaction constante et un corpus de connaissances et de solutions du type « bonne pratique » professionnelle. Tout ceci semble relativement étanche à une remise en question extérieure par des individus, institutions ou associations n’appartenant pas au système – sauf à faire, non une « montée en généralité », mais une « montée en politique » en déplaçant la problématique et les arguments sur d’autres plans (les souffrances des riverains, la remise en cause de leur mode de vie, etc).

La transformation des processus de décision : nouvelles instances, nouvelles procédures, nouvelles expertises

Toujours plus de débats & donc de démocratie ?

La nouvelle loi sur la démocratie de proximité apparaît à première vue comme une sorte de « fourre-tout » comprenant 167 articles dont un seul (article 134) concerne directement notre champ de recherche, définissant les missions et le fonctionnement de la Commission Nationale du Débat Public, autorité administrative (chapitre inclus dans le code de l’environnement). ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 56/160

Dans une logique en quelque sorte « quantitativiste », la nouvelle loi sur la démocratie de proximité prévoit et formalise plus d’occasions et instances de débat :

• l’élargissement des compétences de la Commission Nationale du Débat Public érigée en autorité administrative indépendante (comme l’ACNUSA)

• les modalités de concertation collectivités territoriales/Etat « pour les projets de travaux publics » des collectivités territoriales et au sein de l’administration pour les projets de l’Etat (instruction conjointe)

• l’amélioration de la procédure d’enquête publique

• l’instauration d’une déclaration de projet par laquelle une collectivité territoriale reconnaît à l’issue de l’enquête publique le caractère d’intérêt général de son projet

Les projets d’infrastructures sont également concernés par la création de nouvelles instances et de nouvelles procédures impliquant de nouvelles expertises relevant parfois de domaines peu défrichés. Cela concerne aussi bien des projets que des infrastructures existantes et, de plus en plus, leur utilisation et plus seulement leur réalisation. Ainsi, le Ministre des transports vient d’annoncer la création d’une telle instance pour suivre la réouverture du TMB (notamment la répartition du trafic avec le tunnel du Fréjus et la vallée de la Maurienne). De même, une instance a été créée pour suivre l’application de la Charte de l'aéroport de Satolas (essentiellement du point de vue du bruit).

On sait que l’Etat (parfois à l’initiative de l’Union) crée par sédimentation de nouvelles instances, réglementations ou procédures (ex : PDU, PRQA, etc) auxquelles les projets et procédures doivent se conformer et de nouvelles autorités de régulation pouvant être saisies (notamment par les opposants), comme le nouveau Conseil national du bruit ou l’ACNUSA*. Parallèlement se sont mis en place des organismes divers de type « observatoire ». Le Ministre des transports vient ainsi d’annoncer la création d’une telle instance pour suivre la réouverture du Tunnel du Mont Blanc et tout ce qui en découle (notamment sur la répartition du trafic avec le tunnel du Fréjus et la vallée de la Maurienne).

* Autorité de Contrôle des Nuisances Sonores Aéroportuaires

Le Conseil d’Etat s’était inquiété d’une inflation des autorités administratives indépendantes, une trentaine déjà.94 D’aucuns voient dans ces diverses autorités un risque de « dictature des sages »95 - crainte qui nous paraît pour l’instant quelque peu exagérée.

94 Voir les Echos du 14/3/01 et la synthèse de cette partie du rapport 2000 du Conseil d’Etat : http://www.conseil-etat.fr/ce-data/actus/etudes/rp011.htm 95 Voir l’article d’Erik Izraelwicz « Que reste-t-il à la politique ? » Les Echos du 16/7/2000. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 57/160

Le débat public & la transparence : principe, bonnes intentions & réalité

La société civile redécouverte ou récupérée ?

Il est maintenant « incontournable » de faire mention de la « société civile », officiellement conviée au débat depuis la loi Barnier et, encore plus, avec la nouvelle loi sur la démocratie de proximité.

Il nous semble nécessaire de préciser la définition donnée à cette expression. L’Union96 en donne ainsi une acception très large : « La société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les «partenaires sociaux»), les organisations non gouvernementales, les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des églises et communautés religieuses* » dont le critère implicite est de ne pas être une institution étatique ou une collectivité territoriale, tout en limitant paradoxalement cette société civile aux organisations. C’est plus ou moins la définition implicite dans les débats actuels - à la réserve près que les églises et communautés religieuses seraient actuellement mal venues en France de se mêler à la plupart des débats publics au sens où on l’entend ici. * on sait que les églises et communautés religieuses sont financées par les Etats dans plusieurs pays

Le sociologue sera plus proche de la définition classique de la science politique (héritage de celle de Hegel) comme « l’ensemble des rapports interindividuels, des structures familiales, sociales, économiques, culturelles, religieuses, qui se déploient dans une société donnée, en dehors du cadre et de l'intervention de l'État »97. La société civile étant la société sans l’Etat en quelque sorte.

L’usage actuel évolue dans le flou existant entre ces 2 définitions. En pratique, il s’agit de groupes ou de personnes ou personnalités qui sont censés (ou acceptés comme) représenter la société, car extérieurs à l’Etat et aux institutions.

Cette « société civile » est largement composée de groupes ou personnes qui ne sont pas vraiment indépendants de l’Etat, ou d’autres « pouvoirs » (collectivités territoriales, etc) et dont certains n’existent que par la reconnaissance et, souvent, le financement par ces institutions. Mais la logique du débat public suppose des représentants de la société civile que l’on prend où et comme on les trouve. A défaut, on les suscite. Cela vaut tout autant pour la version européenne de la « société civile ».

De ce point de vue, ce sont bien les opposants qui illustrent le mieux la société civile, « société sans l’Etat ». Ces opposants se sont constitués en groupes plus ou moins organisés (presque toujours avec une ou des associations se voulant leur représentante) à l’occasion du projet ou en raison des nuisances de l’infrastructure. Ils sont « sans l’Etat » du fait même qu’ils n’acceptent pas le projet ou ne supportent pas l’infrastructure et qu’ils ne font pas confiance à l’Etat et aux institutions pour répondre à leurs craintes ou demandes.

96 Demain l’Europe – juillet 2002 – n° 8. 97 Jean-Louis Quermonne. Les régimes politiques occidentaux. Paris, Seuil, 1986, p. 187. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 58/160

Le débat public ou la concertation : un processus d’apprentissage plutôt que de contre-expertise ?

Nos observations sur le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon et, auparavant, sur le Contournement Est de Lyon, l’A89 et l’extension de l'aéroport de Satolas confirment les conclusions de J. Lolive et A. Tricot98 : le débat et la recherche d’arguments pour contester le projet dans son principe comme dans ses détails ne se traduit pas par une accumulation organisée de contre-expertise – bien qu’un certain nombre d’opposants aient acquis un très bon niveau de connaissance en quelque sorte par autodidaxie, d’ailleurs pas très différente de celle d’un non-spécialiste comme le rédacteur du présent rapport.

J. Lolive observait un « effet de mémoire » qui commençait à se mettre en place d’un projet à l’autre. J-F Deroubaix avait observé une sorte de « transfert d’expérience » entre les opposants au TGV Méditerranée et ceux du TGV Rhin-Rhône.99

C’est bien ce que nous avons observé, notre recherche de terrain s’étant déroulée du 1er trimestre 2000 (concertation sur l’APS de l’A89) à la fin du 1er trimestre 2002 (fin du débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon). Des associations (ou plus exactement quelques membres de ces associations) ont effectivement accumulé et structuré leurs infirmations et leur connaissances des projets, des études et.. de leurs faiblesses. Mais il s’agit essentiellement d’une accumulation de type rhétorique pour constituer et « bétonner » un argumentaire.

Un débat public pour s’exprimer, s’informer & proposer

Pour le Ministre de l’Equipement, le débat public devait permettre à tous les intéressés de faire connaître leur point de vue, leurs craintes et, si possible, leurs propositions : « Nous souhaitons que les élus locaux, les habitants, les associations, les milieux économiques et professionnels, fassent part de leurs interrogations, leurs éventuelles inquiétudes, leurs propositions ». Ces points de vue pourront alors être repris par la maîtrise d'ouvrage qui en fera évidemment le meilleur usage et informera les intéressés : « Ce débat public éclairera le gouvernement dans ses étapes de décisions successives nécessaires pour réaliser ces grands équipements. Il contribuera à ce que les maîtres d’ouvrage responsables des projets connaissent mieux les problèmes et les demandes des Lyonnais et des Rhônalpins, et il contribuera à ce que les Lyonnais et les Rhônalpins soient mieux associés à la politique engagée par le gouvernement et à toutes les opportunités que représentent ces projets ».

Dans cette logique, le récent débat public reste en quelque sorte une pré-EUP plus qu’une négociation ou une élaboration conjointe maîtrise d'ouvrage / « société civile » que la concertation LGS (que nous n’avons pas suivie et que nous ne connaissons qu’indirectement par certains de ses acteurs) ou la concertation / négociation classique SNCF/RFF (que nous ne connaissons également que de façon indirecte) peuvent préfigurer.

Le principal intérêt, mais aussi la plus grande faiblesse du débat public est que tout le monde peut s’exprimer, même si cela ne sert à rien et si l’on n’a rien à dire ou que l’ on y raconte n’importe quoi.

98 J. Lolive & A. Tricot, La constitution d’un réseau d’expertise environnementale, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. 99 C. Blatrix, J-F Deroubais, A. Jobert & Y. Le Floch, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 59/160

Débat & controverse : du « bla bla » ou des résultats ?

Si, à un premier niveau, le débat consiste à « échanger » des points de vue en « écoutant l’autre » (comme l’a souvent demandé le Président de la Commission particulière du Débat Public à Lyon), il ne peut produire des questions, de la connaissance et de la décision ou des choix qu’en devenant ce que l’on nommait autrefois « dispute » ou « controverse ».

La controverse de Valladolid n’était-elle pas un débat entre experts sur une question importante à propos de laquelle les commanditaires attendaient justement une expertise ?

Une nouvelle fois, l’étymologie latine nous semble éclairante à plusieurs titres : • sur le sujet de la discussion et sa problématique (disputabilis = qui fait question, problématique, discutable) • sur le débat (disputatio = discussion, controverse, débat) • sur les échanges d’arguments, points de vue ou connaissances (disputo = débattre, discuter, discourir, disserter, raisonner, soutenir une thèse ; disputare = soutenir que) • sur les participants au débat (disputativus = qui argumente ; disputator = argumentateur, dialecticien; celui qui raisonne)

Un apprentissage & une compétence de la controverse

Bien que les débats ou concertations en matière d’infrastructures que nous avons observés ne soient justement pas de véritables controverses, il convient de rappeler que la controverse, pour être productive (de connaissance et de proposition de décision en direction des «décideurs ») doive être organisée et qu’elle implique également un apprentissage, comme l’a noté P. Lascoumes à propos de débats scientifiques.100

Le préalable est la rupture avec une conception négative de la controverse. Il faut que la controverse ait pu être développée, c’est à dire organisée et menée jusqu’à son terme. Pour P. Lascoumes, le déroulement d’une controverse est productif s’il parvient à stabiliser un réseau d’acteurs porteur d’un ensemble de connaissances et d’un projet d’action. Le processus délibératif qui l’a structuré et a soutenu son développement peut être analysé comme une activité de "construction d’une volonté politique".

Le suivi des projets en région lyonnaise et du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon ne nous ont pas permis d’observer concrètement un tel exercice de la controverse.

Nous avons plutôt constaté des échanges d’argumentaires à partir de position de principe pré-établies (pour les opposants) ou d’explication du projet de la part de la maîtrise d'ouvrage.

100 La productivité sociale des controverses, Pierre Lascoumes, CNRS, Groupe d'analyse des politiques publiques, ENS Cachan, Intervention au séminaire "Penser les sciences, les techniques et l'expertise aujourd'hui", jeudi 25 janvier 2001, http://www.ehess.fr/centres/koyre/textes/lascoumes.htm ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 60/160

Le débat public sur les contournements autoroutier & ferroviaire de Lyon la concertation interminable ? grand débat & petits résultats ?

Ce récent débat public a fait l’objet d’un bilan public le 28 mars 2002, le débat ayant été clos le 15 février 2002 après une dernière réunion publique le 24 janvier 2002.101

Le document remis au public pour ce débat était d’une grande qualité et d’une bonne lisibilité. Il avait été réalisé par un prestataire en communication institutionnelle de grande réputation qui, parallèlement, menait une mission analogue pour le débat public sur l’extension du port de Nice.

La préparation du débat et la mis en place de la Commission particulière du Débat Public a rencontré des problèmes de fonctionnement – à commencer par les difficultés à constituer une équipe autour du Président de la commission. Le Président a dû s’appuyer sur 2 secrétaires généraux, faute de trouver un secrétaire général disponible à plein temps. De même, il n’a pu trouver comme il l’aurait souhaité des collaborateurs de haut niveau, les membres de la commission étant peu disponibles. Bien qu’un site web (fort bien fait) ait été ouvert avec l’aide d’un prestataire de service, la Commission était également mal lotie en matière de « NTIC » ; ainsi, elle n’avait pu obtenir un accès internet à haut débit.

Cette Commission particulière du Débat Public a visiblement souffert d’un certain déficit en capacités d’expertise propre.

Un débat public après 2 autres débats

La Commission Nationale du débat public (CNDP) avait été saisie le 7 juin 1999 par vingt parlementaires du projet de contournement autoroutier de Lyon par l’Ouest. Au premier rang de ces élus, le député de la circonscription située au débouché sud du COL et une élue européenne très active en matière d’environnement.

Deux débats sur le contournement autoroutier avaient déjà eu lieu en 1997 et 1999 dans le cadre de la circulaire du 15 décembre 1992. Ces débats « Bianco » avaient été conduits par le préfet de la région Rhône-Alpes.

Le premier portait sur l’intérêt et les enjeux du projet, et le second avait pour objectif d’approfondir l’étude de ses variantes Est et Ouest. Ces débats associaient les acteurs institutionnels, les élus et les experts mais n’étaient pas ouverts au public.

C’est après ce second débat que la CNDP a été saisie dans le cadre de la loi « Barnier » du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement et de son décret d’application du 10 mai 1996. A la suite de cette saisine parlementaire, la CNDP a envisagé dès le 16 décembre 1999 d’ouvrir rapidement le débat public demandé mais la décision n’est finalement intervenue qu’en 2001, d’une part en raison de décisions affectant le projet, notamment les CIADT du 23 juillet 1999 et du 18 mai 2000, la définition du cahier des charges du COL (Contournement Ouest de Lyon) en juin 2000 et d’autre part compte tenu des élections municipales de mars 2001 qui ont conduit à repousser le débat (tout comme l’EUP sur l’A89).

101 Débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de l’agglomération lyonnaise. Compte rendu établi par le président de la commission particulière du débat public, 14 mars 2002. Voir sur le site du débat lyonnais : http://www.lyondebatpublic.org/dossierdudebat/CR_25_03.pdf ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 61/160

La CNDP avait été saisie des projets concernant l’A45 et l’A89 mais elle n’a pu que prendre acte de la caducité de ces saisines par la publication des décisions ministérielles fixant les principales caractéristiques de ces projets.

La CNDP a considéré que, dans ces circonstances, « un débat limité au seul projet autoroutier serait l’objet d’incompréhension de la part du public ». Elle a donc décidé de demander au ministre de l’Équipement de proposer, pour le débat retenu, un dossier présentant " une approche d’ensemble du contournement de l’agglomération lyonnaise par les différents modes de transport, eu égard aux flux de transit locaux, nationaux et internationaux de la vallée du Rhône." Ce débat a été confirmé par une lettre du 22 août 2001 des 2 Ministres (Equipement, Transports et MATE).

Ce débat public a donc été lancé avant la promulgation de la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité.

Un débat public XXL : le mieux ou l’ennemi du bien ?

Le récent débat public a pu être qualifié avec une certaine emphase par un magazine distribué à l’entrée de la salle (édition spéciale d’un hebdomadaire lyonnais publié par le groupe de presse local ayant pratiquement le monopole de l’information locale en dehors des chroniques de quelques journaux ou magazines nationaux) comme « Le premier grand débat citoyen du siècle ».102

En effet, le bilan du Président de la Commission particulière du Débat Public, titré « Mission accomplie »103 fait penser à un livre des records (ou à un concours avec d’autres débats – le débat DUCSAI en particulier).

La Commission a : • mené 11 réunions publiques auxquelles « plus de 6000 personnes ont assisté » • publié 7 Lettres du Débat Public à des milliers d’exemplaires (15000 pour la plupart avec des routages aux communes et d’autres « acteurs », 400000 pour la 1ère distribuée avec le quotidien régional sous ses divers titres) • diffusé une vingtaine de cahiers d’acteurs, • « enregistré de nombreuses propositions » • répondu à environ 1500 demandes d’informations et questions • enregistré plus de 8000 connexions au site internet

Malgré les doubles comptes (les mêmes participants, notamment les opposants au COL, ayant suivi toutes les réunions ou un grand nombre venaient en car affrétés), on peut considérer que tous les « experts de terrain » ont pu s’exprimer ou, du moins, être présents, face aux experts de la maîtrise d'ouvrage.

Débat passionné & débat rationnel : un débat pour débattre ou pour combattre ?

Le récent débat public a fait apparaître des passions dès la 1ère réunion – ce que constatait le Président de la Commission particulière du Débat Public « la passion l’emportant parfois sur une défense d’opinions académiques, les quolibets se substituant à des prises de positions explicites »104.

102 Lyon Capitale du 16 au 22 janvier 2002. 103 éditorial d’André Oriol, président de la commission particulière du débat public, lettre du Débat Public n° 7, 14 février 2002. 104 Contournement : un débat pour éclairer le gouvernement, Le Progrès du 26 octobre 2001. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 62/160

En tirant les enseignements du récent débat public, le Président de la Commission particulière du Débat Public se demandait s’il ne faudrait pas prévoir 2 vitesses ou 2 niveaux de débat : • l’un plus technique et constructif sur les dossiers • l’autre plus ouvert pouvant être plus ou moins une sorte de « défoulement collectif* » des opposants formulant autant leurs inquiétudes que leurs critiques souvent mal ou peu fondées d’un point de vue strictement rationnel. * terme qui n’a pas été employé par le Président dans ses écrits

Il propose donc de prévoir un autre niveau et une autre organisation du débat, très proche d’une concertation comme celle menée pour la LGS, car « le débat public.. doit servir à l’information la plus large possible du public, doit aussi permettre de développer et enrichir les réflexions sur la problématique en cause et les solutions possibles »

A l’expérience, le Président est « conduit ainsi à préconiser d’alterner deux types différents de réunions, les unes sous forme de tables rondes destinées à un public averti - notamment des milieux associatifs et professionnels - afin de faire utilement dialoguer partisans et adversaires du projet, et les autres pour le grand public afin de lui rendre compte de ce dialogue et permettre la plus large expression des opinions, et des passions. »

Cette double démarche suppose une durée et un mode d’action de la Commission particulière du Débat Public qui n’ont pas été assurés dans le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon (pas plus d’ailleurs que pour le débat DUCSAI) : « Une telle organisation du débat public suppose cependant, pour qu’elle soit comprise et acceptée par la population, que la commission dispose avant l’ouverture du débat, d’un temps suffisant pour nouer des relations de confiance, avec les autorités locales, les milieux associatifs et professionnels et les différents groupes de pression. »

Le bilan de la Commission particulière du Débat Public : encore bien des questions non traitées & un « déficit » de débat ou d’expertise ?

Les conclusions de la Commission Nationale du Débat Public105 ont été assez décevantes pour certains participants, d’abord parce que les opposants n’y ont évidemment pas trouvé la mise en cause de l’opportunité, encore moins du projet, du moins de ses principes (secteur d’étude, passage en tunnel sous le Pilat, etc).

Pour le Président de la Commission Nationale, ce double débat (grand contournement autoroutier de Lyon et contournement ferroviaire de Lyon) par la « prise en considération délibérée de l’intermodalité », aura bénéficié de « l’éclairage et de l’enrichissement réciproques des deux dossiers ». Les enjeux, objectifs communs et cohérence sont mis en évidence dans plus de la moitié du dossier publié, notamment quant aux « efforts conjugués pour éviter que Lyon ne soit asphyxié par les trafics de transit et meilleures contributions spécifiques du rail et de la route ». Bref, tout le monde était content (et d’abord le Président de la Commission Nationale du Débat Public et le Ministre).

Le débat public a été « instruit contradictoirement » si l’on observe la production « remarquable » de 23 contributions également publiées, sous la forme de cahiers d’acteurs.

Ce débat sur documents « ne doit pas être occulté par le caractère plus spectaculaire et mieux médiatisé des onze réunions publiques » qui ont été très fréquentées, ont « autorisé des échanges directs, extrêmement nourris, inévitablement vifs, voire violents et appauvris, surtout lorsqu’ils ont pu être le théâtre de comportements quelquefois systématiques de préemption de la parole ».

105 Débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de l’agglomération lyonnaise. Bilan établi par le président de la commission nationale du débat public, 25 mars 2002. Voir sur le site du débat lyonnais : http://www.lyondebatpublic.org/dossierdudebat/BILAN%2025_3.pdf ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 63/160

Pour la Commission Nationale du Débat Public ; l’ouverture du débat public a incité à la proposition et à la formulation de compléments sur ce dossier, parfois avec une certaine urgence pour respecter le calendrier du débat, de la part • des deux maîtres d’ouvrage, DRE autoroutier, RFF ferroviaire • des nombreux acteurs, par leurs propres contributions ou par l’intervention des expertises complémentaires.

La Commission Nationale du Débat Public se félicitait d’avoir ordonné 2 expertises : • d’une part, sur les hypothèses, les méthodes et la qualité des données concourant aux prévisions de trafic avancées par les maîtres d'ouvrage • d’autre part,sur les impacts de la traversée en tunnel éventuelle du nord-est du parc du Pilat du projet autoroutier, ainsi que sur les pollutions gazeuses, sonores induites et les équilibres biologiques, hydrologiques et viticoles

La Commission Nationale du Débat Public regrettait toutefois (en termes courtois) de ne pas avoir « suffisamment sollicité les maîtres d’ouvrage quant à la transparence nécessaire tant de leurs certitudes que de leurs hésitations sur de nombreux points : • l’insertion environnementale du projet autoroutier, sur le respect des coteaux lyonnais et de l’agriculture • sur les avantages et inconvénients des tracés autoroutiers plus ou moins éloignés de Lyon • sur l'économie générale du développement ferroviaire non seulement en contournement par l'Est de l'axe nord-sud mais aussi en irrigation vers l'Est alpin de Lyon • sur la relation des projets avec d'autres orientations d'aménagement telles que celle du développement de la plate-forme multimodale de Saint-Exupéry, dont l'intérêt a été retenu, notamment à l'issue du débat public DUCSAI (Démarche d'Utilité Concertée pour un Site Aéroportuaire International, menée par le président de la CNDP) • en fonction de la liaison ferrée Lyon-Turin, qui correspond à des engagements internationaux et qui a fait l'objet de concertations, mais dont l'articulation avec le contournement ferroviaire Est de Lyon attend d'être précise justement dans la zone d'étude de ce projet »

Diplomate, le Président de la Commission Nationale du Débat Public notait que « par ailleurs », le débat n'a pas manqué de « s'interroger sur la préparation de la SNCF aux évolutions nécessaires pour aborder la concurrence modale ». Enfin, il notait qu’a été « abordée » l'imbrication des objectifs et des fonctions du COL et du TOP (tronçon ouest du périphérique) relevant de la compétence de la Communauté urbaine de Lyon. En effet « le champ d'un débat public est difficilement clos » et, outre des « projets adjacents » concernaient la politique de « certains acteurs ».

Comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, le Président de la Commission Nationale du Débat Public se félicitait que le récent débat public, comme pour ceux dont bénéficient tous les projets soumis à un débat public, ait permis de « marquer la suite des études et décisions du sceau de la concertation ». Cela devrait être durable, car « l’habitude de la transparence et du dialogue se prend facilement » et « ne peut être passagère ».

Le Président de la Commission particulière du Débat Public estimait (par courtoisie plus que par naïveté sans doute) que la place et le rôle de la maîtrise d'ouvrage n’ont pas posé de problème majeur. En effet, les maîtres d'ouvrage, RFF « avec réactivité » et la DRE « avec patience », s’étaient « soumis » aux règles « parfois ingrates » de la « concertation ».

Enfin, Il déplorait que les élus aient « parfois » hésité entre leur fonction « tribunicienne » auprès des opposants et un rôle critique, mais constructif, dans les processus de consultation et de décision.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 64/160

Les conclusions de la Commission particulière du Débat Public : quelle différence avec une EUP ?

Le Président de la Commission particulière du Débat Public pour les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon a établi un bilan des principales questions posées par le public, notant au passage que peu de questions écrites ont été posées concernant le débat public en tant que tel – hormis l’absence des projets A89 et A45 dans le débat.

Le relevé des questions posées par le public ne nous paraît pas notablement différent de ce qu’aurait pu noter le Commissaire Enquêteur lors d’une EUP, bien que le niveau de détail ne puisse évidemment pas être le même, puisque l’on débattait du principe et de l’aire d’étude des 2 projets de contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.

Pour les questions sur le projet ferroviaire, le Président de la Commission notait qu’une grande partie des questions portaient sur le tracé et l’échéancier de réalisation du projet. Elles émanaient principalement de particuliers souhaitant savoir s’il existait un tracé précis et si leur maison ou projet de construction ou d’achat était concerné. Les maîtres d'ouvrage ont d’ailleurs dû éditer en cours de débat une carte du périmètre d’étude sur un fond de plan cartographique permettant de localiser les communes concernées. Cette carte faisait partie de l’exposition présentée à l’accueil des réunions publiques. D’ « autres questions portaient sur :

• le raccordement du projet de contournement fret ferroviaire aux projets Lyon Turin et LGV Rhin-Rhône, la desserte des plateformes logistiques ou de l’aéroport Lyon - Saint Exupéry, et la mixité fret-voyageurs de la ligne

• les nuisances et l’insertion dans l’environnement, notamment le bruit et le rappel des ouvrages préexistants tels que gazoduc ou oléoduc

• les itinéraires alternatifs pour le fret, en demandant si toutes les améliorations possibles de l’existant avaient bien été envisagées, notamment en ce qui concerne des lignes situées à l’Ouest de Lyon

• la demande de développement des relations voyageurs entre les villes de la région Rhône Alpes, et entre celles-ci et Lyon ainsi que l’aéroport Lyon Saint-Exupéry

• la productivité du transport ferroviaire, notamment du fait des nombreuses grèves de la SNCF »

Pour les questions sur le projet autoroutier, le Président de la Commission notait que « de nombreuses questions portaient sur :

• le tracé du projet, l’échéancier de réalisation et le financement

• la sécurité dans le tunnel sous le Pilat suite aux récents accidents des tunnels du Mont Blanc et du Gothard

• les impacts sur l’agriculture, les espaces naturels, la pollution

• la maîtrise de l’étalement urbain et notamment le risque de création d’échangeurs »

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 65/160

Il avait également noté des questions concernant les deux projets (ferroviaire et autoroutier) globalement et « une grande partie des questions portant sur • la congestion du trafic dans la vallée du Rhône, et la nécessité d’axes alternatifs, • la gestion des trafics urbains dans l’agglomération lyonnaise, • le report du trafic routier vers le fer et la voie d’eau, • les coûts externes des trafics routiers, • le lien entre création d’autoroute et développement du trafic routier »

Un consensus à l’issue du récent débat public ? un accord a minima pour poursuivre la discussion sur le projet

Dans son bilan, résolument optimiste, le Président de la Commission particulière du Débat Public concluait qu’ « un consensus a été dégagé ou pourrait l’être sur de nombreux points, puisque le débat a fait apparaître.. un très large consensus sur trois de ses éléments : • la réalité de l’encombrement du nœud lyonnais, routier et ferroviaire, n’est contestée par personne. Pas plus que ses conséquences négatives sur la sécurité et la qualité de vie de la population concernée. • l’impérieuse nécessité de parvenir à transférer une part importante des déplacements de voyageurs et de marchandises de la route sur la voie ferrée et la voie d’eau, est unanimement reconnue.Les seules critiques exprimées sur ce point à l’encontre du dossier présenté par les maîtres d’ouvrage, porte sur le caractère insuffisamment ambitieux, selon certains, du report modal envisagé. • la nécessité de parvenir à maîtriser les déplacements dans l’agglomération lyonnaise est aussi admise par tous. De même est-il unanimement considéré que la seule extraction des trafics de transit de l’agglomération, ne peut suffire à obtenir ce résultat »

Une autre lecture, plus critique, de ces points de consensus fait au contraire apparaître qu’ils tournent autour du report modal de la route (fret) vers le ferroviaire.

Autrement dit, qu’ils vont tous à l’encontre de tout nouveau projet autoroutier.

De façon plus elliptique (et irénique), le Président prend acte « des opinions favorables aux enjeux et objectifs retenus par les maîtres d’ouvrage, les grandes collectivités territoriales et les milieux économiques à l’exception toutefois des exploitants agricoles, (qui) partagent globalement l’analyse des maîtres d’ouvrage quant aux enjeux et objectifs des projets soumis aux débats ».

Cette conclusion nous paraît peu fondée sur les débats publics que nous avons suivi, ni sur les très nombreuses contributions des « acteurs », en grande majorité critiques ou totalement opposés au principe même du contournement autoroutier et favorables seulement au principe du report du fret vers le ferroviaire, mais pas au projet proposé par RFF.

Débat public & Commission Particulière du Débat Public négociation de l’amont à l’aval, y compris sur l’opportunité ?

Les projets d’infrastructures doivent maintenant se conformer non seulement aux diverses modalités de concertation qui ont été progressivement mises en place (loi Bouchardeau, circulaire Bianco, puis loi Barnier), mais prendre en compte l’existence de la Commission du Débat Public et la possibilité pour cette autorité indépendante de l’Etat de constituer une Commission particulière du Débat Public, éventuellement à la demande de tiers (élus, associations).

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 66/160

D’ailleurs, des associations (ex : riverains de l’aéroport de Satolas) avaient saisi la Commission du Débat Public (sans résultat) ; des élus (aussi bien de la majorité gouvernementale de 1997 que de la majorité présidentielle de 1995) opposés au grand contournement Ouest de Lyon l’ont également saisie - sans résultat non plus.

Il y a bien rupture par rapport au schéma précédent où le seul point de passage susceptible de bloquer un projet était l’EUP (sauf opposition nombreuse, bien organisée et influente à certains projets comme dans le cas du TGV Méditerranée). On sait que l’EUP (comme le remarquait le Président de la Commission Nationale du Débat Public), permettant de formuler des avis sur un APS « bouclé » et, dans la meilleure (ou la pire) hypothèse d’obtenir un avis négatif du Commissaire enquêteur (suivi généralement par l’Etat), « est perçue et organisée comme une modalité d’exécution du projet et non comme une interrogation sur sa finalité » si bien que « l’opinion a le sentiment qu’au stade où lui est présenté un projet n’est plus réversible ni profondément amendable. D’où la tentation, pour se faire entendre, d’aller à la contestation radicale »106

Parallèlement, d’autres instances ont été mises en place, par exemple : • pour suivre le Dossier des Engagements de l'Etat (exemple de l’A432) • pour informer les riverains de mesures ou aménagements d’infrastructures existantes (ex : rocade Est de Lyon)

Le débat, du moins une information et une réponse aux questions posées, est donc non seulement systématisé, mais imposé aux services (Préfet et DDE107 dans les cas observés) bien plus en amont, au stade du débat sur l’opportunité même de la nouvelle infrastructure (cf le contournement autoroutier de Lyon : en faut-il un autre en plus du Contournement Est de Lyon ?) et son périmètre d’étude (où se situera la bande des 300 m du futur APS ?).

On sait qu’une Commission particulière du débat avait déjà fonctionné pour le TGV Rhin- Rhône, plusieurs réunions publique s’étant tenues en Rhône-Alpes. Dans ce cas, le principe de l’infrastructure était partagé par l’Etat, RFF et les régions concernées. Mais, après l’expérience malheureuse de l’A35 en Alsace (débat trop en amont), dans le cas du grand contournement Ouest de Lyon, l’Etat (au niveau du Ministre et du Préfet) n’a pas voulu engager trop vite un débat au niveau d ‘une Commission particulière du Débat Public, le principe même du grand contournement Ouest de Lyon (parti retenu d’emblée par l’Etat) et son tracé étant l’objet à la fois d’oppositions multiples (élus, riverains, agriculteurs, vignerons, éleveurs, etc) et ne faisant pas consensus (du moins majorité) parmi les collectivités territoriales (la Région Rhône-Alpes n’étant même pas arrivée à formuler un avis pour le premier débat !).

Dans le cas du COL, on a donc rajouté non pas 1, mais 2 étapes de débat : • un premier « débat public »108 au titre de circulaire Bianco sur le contournement autoroutier de Lyon (avec des variantes : grand contournement Ouest de Lyon, grand Contournement Est de Lyon, statu quo) qui a permis à l’Etat de considérer comme validé le principe et le périmètre d’étude du grand contournement Ouest de Lyon – bien que cela soit quelque peu optimiste, comme le récent débat public l’a bien montré • un débat public au titre de la loi Barnier (que nous avons pu suivre)

106 H. Blanc, cité par Equipement Magazine d’avril 2000 107 La DIREN est consultée et associée en tant que de besoin aux projets routiers et aéroportuaires par la DDE qui en reste maître d'ouvrage (par délégation) pour le compte de l’Etat. 108 dossier pour le débat sur le Contournement autoroutier de Lyon, mars 1999 (introduction du Préfet, non paginée) ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 67/160

Si le principe du COL est retenu, il devrait y avoir ensuite : • concertation selon les étapes109 et formes habituelles durant l’élaboratuon de l’APS • EUP • puis, après DUP et concession (sur appel d’offre européen, sans adossement), une commission de suivi du Dossier des Engagements de l'Etat

On voit que tout cela nécessite tout un savoir faire : • d’organisation (quasiment de logistique de production de projet !) • d’animation et de négociation (rôle essentiel du Préfet assisté du DRE et du Directeur de la DDE, les ingénieurs de la DDE y étant plus ou moins associés) • juridique et réglementaire pour assurer la « sécurité juridique » des dossiers • technique (OA/génie civil, environnement, bruit, etc) – le mieux maîtrisé par les DDE et le CETE

La pratique du Préfet et des services de l’Etat est donc plus encadrée que jamais et plus continue, puisqu’elle va de : • l’extrême amont (la décision d’opportunité et l’aire d’étude préalable au choix de la bande des 300 m pour l’étude d’APS) • à l’extrême aval (exploitation, aménagements après mise en service)

Débat & consensus : le « paquet ficelé » des Suisses

Comme le remarquait un consultant lors d’une rencontre de chercheurs et praticiens des transports au CERTU, la Suisse a, contrairement à la France et de façon assez analogue au Japon, une culture du consensus que certains nomment le « paquet ficelé », compromis d’ensemble issu d’une négociation constructive que tous les « acteurs » peuvent accepter et défendre (y compris, en Suisse, en cas de votation). Par contre, en France, les « acteurs » ont une culture fondamentalement polémique et ne cherchent pas a priori à se réconcilier ou à se convaincre. Au contraire, pour être reconnu dans le débat ou les médias, « il faut avoir une position ultra ».110

Un contournement autoroutier à l’Ouest & un contournement ferroviaire de Lyon à l’Est un parti gagnant / gagnant ou perdant / perdant ?

De nombreux maires de l’Est lyonnais se sont prononcés à la fois pour un contournement autoroutier Ouest de l’agglomération lyonnaise et un contournement fret ferroviaire par l’Est de Lyon.”111 Cette position relève plutôt d’un « marchandage » politique classique.

109 Voir sur le site du Ministère : http://www.route.equipement.gouv.fr/RoutesEnFrance/etapes/SOM2.HTM 110 Intervention de R. Ribi (Ingénieur conseil à Lausanne) au séminaire CERTU du 9 mars 2001. 111 lettre du Débat Public n° 7, 14 février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 68/160

La poursuite du projet de contournement ferroviaire de Lyon : une concertation avec des moyens pour les partenaires de RFF

Le projet de contournement ferroviaire de Lyon devrait se poursuivre après le décision ministérielle suivant le récent débat public, avec un cahier des charges qui était prévu pour fin 2002, des études se poursuivant en « temps masqué ».

Il devrait ensuite y avoir une phase d’étude avec concertation, suivie d’une 3ème étape menant à l’EUP.

Reprenant la pratique classique de la SNCF, RFF est décidé à jouer le jeu d’une concertation/négociation avec les riverains et autres « acteurs ». Les expériences précédentes (TGV Nord, LGV Paris-Méditerranée) ayant démontré l’efficacité de cette méthode pour faire « passer » un projet avec le minimum de blocages.

C’est bien pourquoi RFF est prêt à financer des études à la demande des riverains , opposants ou élus - à condition qu’il y ait une demande, du moins un accord, de la part des élus.

On voit bien le pragmatisme de RFF, y compris pour éviter d’apparaître comme mettant en cause la légitimité des élus – ce qu’a fait dans une large mesure le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon comme le débat DUCSAI.

De ce point de vue, RFF et la Direction des routes tendent vers des démarches analogues, comme le montre la concertation menée pour la LGS.

Il existe toutefois une différence pratique importante : RFF a une beaucoup plus grande marge de manœuvre pour financer des études ou d’autres marchés (ex : communication, réunions, visites, etc) que la Direction des routes ou une DRE ayant la maîtrise d'ouvrage déléguée d’une infrastructure routière.

Comme pour le COL, l’horizon de mise en service du contournement ferroviaire de Lyon est à moyen terme. Annoncé à 2010 lors du débat112, il nous semble plutôt mener à 2012 au mieux, voire 2015 d’après nos entretiens. Cela veut dire que la négociation du projet et la « maturation » de la décision s’étendra sur la décennie en cours.

Du « grain à moudre » pour la concertation : l’exemple de la LGS

La concertation mise en place pour la LGS (Liaison Grenoble-Sisteron, remplaçant l’A51 abandonnée en 1997) est bien différente du récent débat public, sur plusieurs plans : • elle est prévue pour durer toute la vie du projet, alors qu’un débat (de type contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon ou DUCSAI) est UNE étape unique en principe, en amont du projet • elle laisse une large marge de négociation, le projet n’étant pas « ficelé » comme le serait un APS et laissant ouverte la possibilité de variantes sur divers points (pour la LGS : nationale aménagée à chaussées séparées ou à chaussée unique, voie express, déviations à définir, etc) • elle prévoit en principe des moyens de financement d’études à la demande des partenaires, bien que ces financements risquent paradoxalement d’être réduits avec la mise en place de la Commission Nationale du Débat Public devenant gestionnaire de ce type de financement

112 Entretien avec Jean-Marie Larose, chef de la Mission Infrastructures nouvelles rhônalpines, Lettre du Débat N° 2, novembre 2001 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 69/160

Débat public ou négociation le débat sur le contournement ferroviaire de Lyon : vers une négociation

Classiquement (comme cela s’était passé pour la LGV Paris-Méditerranée), le débat sur le contournement ferroviaire de Lyon a été d’emblée ouvert sur une négociation très pragmatique entre RFF et les riverains ou opposants. Au début du débat, les riverains et leurs élus avaient regretté de ne pas pouvoir discuter sur un projet suffisamment détaillé (d’abord pour le tracé). C’était évidemment inévitable puisque ce projet n’était pas encore très avancé, mais c’est aussi que la pratique classique de RFF (comme de la SNCF auparavant) consiste à négocier aussi en amont que possible en laissant la porte ouverte à une diversité de solutions en fonction des réactions des élus et des riverains.

Dans cette démarche, il vaut mieux commencer par ouvrir le débat sur le principe d’un projet, puisque c’est bien là le problème essentiel et le préalable. La négociation qui suit permet de faire accepter ce principe en « monnayant » les conditions concrètes sur le terrain.

Le représentant de RFF l’avait bien expliqué lors d’une réunion, rappelant que « De nombreux participants ont demandé que soient présentés le plus vite possible les fuseaux envisageables, en particulier dans le Sud-Est lyonnais.. la limitation des nuisances sonores a été unanimement réclamée.. nous allons poursuivre les études et les simulations acoustiques, afin de proposer des mesures adéquates aux élus et aux associations. Nous attendons désormais les décisions du ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement, après l’édition par la Commission nationale du compte rendu et du bilan du débat. Mais, dès à présent, nous sommes mobilisés pour aller à la rencontre des élus locaux et des associations, afin d’approfondir avec eux les sujets évoqués durant ce débat ».113

Du débat public à la concertation : la négociation entre acteurs après la controverse publique

Les diverses modalités de discussion et de négociation des projets étant imbriquées de façon pas toujours très claire pour le public et de nombreux acteurs, il faut rappeler, comme le faisait un Ingénieur de la DDE du Rhône auparavant en charge du projet de l’A32 au CETE de l’Est que le débat public n’est pas une concertation.114

Les riverains du Contournement Est de Lyon ont été les plus explicites dans leur demande de concertation et de négociation tout au long de l’élaboration d’un projet. C’est d’abord qu’ils ont eu l’expérience finalement positive d’une concertation (sans cadre réglementaire à proprement parler) pour la partie Nord du Contournement Est de Lyon (RN346) avec les services de l’Etat. C’est aussi parce qu’ils souhaitent la réalisation du COL afin de soulager le transit par l’Est malgré leur différent avec les opposants de l’Ouest : • ces derniers s’opposent au COL en arguant de l’expérience négative du Contournement Est de Lyon (compatissant avec ses riverains), ce qui aurait pour conséquence concrète la pérennisation du passage du trafic par l’Est (et par Fourvière) • les riverains de l’Est demandent que le futur COL soit étudié en concertation avec ses riverains « au-delà des confrontations entre opposants et partisans du C.O.L., on peut constater certaines convergences intéressantes : le refus des nuisances et de la dégradation de la qualité de vie est tout à fait légitime.. les décideurs, et surtout les pouvoirs publics, doivent absolument les prendre en compte, s’ils veulent, comme ils l’affirment (afin de) pouvoir intégrer harmonieusement les infrastructures dans l’environnement humain”

113 Intervention de J-M Larose, chef de la Mission infrastructures nouvelle rhonalpines de RFF, d’après le compte- rendu de la table ronde de la dernière réunion du débat le 24 janvier 2002 à Lyon, lettre du Débat Public n° 7, 14 février 2002. 114 Le débat public n’est pas la concertation. L’expérience de l’A32. Entretien avec Michel Deffayet et Christine Lefèvre (CETE), par J-M Fourniau, Annales des Ponts & Chaussées, N° 92/1999 « Débat public et projets d’infrastructures ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 70/160

Au stade du récent débat public, les opposants au COL n’étaient évidemment pas près à s’engager dans cette démarche – quitte à passer à la négociation une fois le COL irrévocablement décidé.

N’ayant comme mode d’action pertinent que la participation à une pratique de concertation/négociation « le Collectif des Riverains et Usagers de la Rocade Est demande que soit institutionnalisé le droit de tous les riverains de toute grande infrastructure, à être partie prenante de sa mise en œuvre tout au long de sa réalisation puis de son exploitation. »

Cette demande peut être interprétée comme la recherche d’une négociation pour limiter les nuisances du contournement ferroviaire de Lyon et de ses effets indirects sur le trafic PL.

Commission Nationale du Débat Public & Commission particulière du Débat Public

La Commission Nationale du Débat Public : quelle expertise ?

La Commission Nationale du Débat Public : un rejeton ambitieux du MATE

La Commission Nationale du Débat Public semble être une sorte de « corps étranger » par rapport au MATE – bien que le MATE en soit le créateur. Le nouveau Président de la Commission Nationale du Débat Public avait dû faire quasiment un « chantage » auprès du MATE pour obtenir un budget satisfaisant, après le départ de son prédécesseur, très mécontent de son budget insuffisant.115

La Commission particulière du Débat Public : un ensemble de compétences, d’expériences & de notoriétés

Le Président de la Commission particulière, choisi « intuitu personae » par le Président de la Commission Nationale du Débat Public et le Préfet voulait des membres à la fois compétents, impartiaux et.. disponibles. Cette dernière condition s’est avérée la plus difficile à remplir.

Il a finalement pu obtenir la participation plus ou moins active de membres assez différents supposés avoir des compétences diverses mais reconnues : • un IGPC à le retraite (suspect en tant qu’IPC par les opposants au COL) • un ancien Directeur régional de la SNCF, supposé compétent en matière ferroviaire • des universitaires, dont une professeure dans un institut d’environnement • une personnalité lyonnaise du journalisme et de la vie locale (que nous n’avons pas vu lors des nombreuses réunions publiques que nous avons suivies) • un ancien Directeur de CCI (également suspect à ce titre pour certains)

115 Divers entretiens pour lesquels nous ne pouvons pas nommer les personnes rencontrées. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 71/160

Le Président de la Commission particulière aurait voulu s’attacher la collaboration d’un économiste des transports. Il s’était adressé à un laboratoire universitaire lyonnais de réputation internationale qui lui avait proposé un chercheur habitant malheureusement sur le tracé qui risquait d’être considéré comme « non objectif ». Il a finalement pu obtenir la collaboration d’une ingénieure INSA ayant travaillé sur les transports.

Compétences, information & formation de la Commission particulière du Débat Public

La Commission particulière du Débat Public lyonnaise étant l’une des premières, elle a dû trouver des façons de s’informer et de former ses membres, venus d’horizons divers et pas forcément spécialistes des infrastructures étudiées.

En pratique, le responsable de la commission lyonnaise étant membre de la Commission Nationale du Débat Public à titre exceptionnel a pu suivre les débats de cette Commission et rencontrer régulièrement son Président, aussi bien pour s’informer que pour débattre des problèmes posés tout au long du récent débat public. Le Président de la commission lyonnaise a pu participer à quelques réunions d’échange entre Présidents et proches collaborateurs à la Commission Nationale du Débat Public. Bien évidemment, le Président de la Commission Nationale ne pourrait pas suivre ainsi de nombreux débats. Ce serait bien trop de travail et peut-être trop de pouvoir, même pour un Conseiller d’Etat réputé et respecté.

Les membres des futures Commissions particulières étant également choisis intuitu personae au 2ème degré (par chaque Président de commission particulière), le problème devrait se reposer à chaque fois : • soit ces membres sont spécialistes (du moins bons connaisseurs) de ce type d’infrastructure et, si possible du territoire, mais leur recrutement devrait se faire dans un « vivier » restreint (ex : IPC ou autres à la retraite, universitaires) dont les membres seront contestés et/ou débordés et, probablement, peu à même d’apporter des vues neuves • soit ils sont recrutés bien plus largement dans la « société civile » et ils auront généralement besoin d’information et de formation, alors que la durée de préparation des débats est actuellement trop réduite

La différence est frappante avec les ingénieurs des DRE ou DDE qui appartiennent aux mêmes milieux professionnels et aux même corps, qui se rencontrent dans des « clubs » ad hoc où ils échangent leurs expériences – par exemple sur les débats ou la concertation.

Dans le récent débat public, le Président s’est trouvé dans la situation d’un Commissaire-enquêteur non spécialiste (un grand nombre étant d’anciens TPE ou équivalents), découvrant un dossier et faisant au mieux.

Toutefois, le rôle de la Commission particulière du Débat Public, comme celui des Commissaires-enquêteurs n’est pas de refaire le dossier ni de l’expertiser, mais de faire exprimer les questions posées par la « société civile » et d’en rendre compte. Le Président et sa commission ont pourtant à déterminer les points et questions importants.

Il nous semble qu’il faudrait que la Commission particulière du Débat Public puisse faire faire expertises sur les points problématiques - mais cela supposerait que cette commission puisse elle-même expertiser le dossier et donc soit aidée pour le faire.

Une solution envisageable avec la multiplication des débats serait la possibilité de détachement ou mise à disposition de spécialistes dans un « pool » (CETE, universités, bureaux d’études, etc) auprès des présidents de commission particulière.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 72/160

Experts & présidents de commissions

Pour P. Deroubaix116, du point de vue de l’organisation des procédures de participation du public, les experts des commissions de suivi se réapproprient de manières très différentes les procédures en fonction • d’une capacité plus ou moins grande à endosser le rôle d’expert en « médiation sociale », capacité liée à la fois à leurs « capacités sociales » • et à la marge de manœuvre qui leur est octroyée par les services de l’Etat instructeurs des procédures

Le Président de la Commission particulière du Débat Public : une notabilité impartiale plutôt qu’un expert

Les présidents des récentes Commissions particulières du Débat Public ont été choisis (en petit comité, par le Président de la Commission Nationale du Débat Public en accord avec le Préfet et les 2 Ministère) parmi des notabilités donnant a priori toute garantie d’impartialité et de capacités à faire débattre : • ainsi, le président de la Commission particulière du Débat Public pour la ligne THT Boutre-Carros (juste avant le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon) était un Professeur émérite des Universités, ancien doyen de Faculté de Droit et de Sciences économiques qui n’était pas vraiment un spécialiste de l’infrastructure en débat • de même, le président de la Commission particulière du Débat Public des contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon est un Président honoraire (à la retraite) de Cour d’Appel (civiliste) • dernier exemple : le président de la commission du débat sur l’extension du port de Nice est également un ancien magistrat, auparavant Président de Cour d’Appel Administrative

Le Président de la Commission particulière du Débat Public nous semble avoir minimisé son rôle : « Nous sommes ici des arbitres. Comme dans un match de football, la qualité du jeu dépend du joueur, dans le débat, elle dépendra des participants »117. Mais il ne s’agissait peut- être que d’une figure de style pour rappeler aux opposants que sa fonction était de faire débattre et non de se prononcer sur le dossier de la maîtrise d'ouvrage.

Le Président de la Commission particulière du Débat Public : un super-expert ou la magistrature des Conseillers d’Etat ?

L’exemple du débat DUCSAI (mené directement par le Président de la Commission Nationale du Débat Public) amène à se demander si le Président de la Commission particulière du Débat Public ne risque pas de devenir, nolens volens, un sorte de super-expert ou un juge du projet établissant sa propre doctrine, malgré une absence de légitimité réglementaire dans l’attente de la loi et (une fois la loi édictée) le risque d’un pouvoir d’un Conseiller d’Etat – la menace d’un pouvoir des juges « à l’américaine » qui fait horreur aux politiques français.

Une Commission particulière du Débat Public réellement responsable du dossier & du débat ?

Le Président de la Commission particulière du Débat Public des contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon observe avec force et pertinence qu’« il paraît indispensable que la CNDP accorde aux commissions particulières qu’elle constitue un temps de préparation suffisamment long pour que celles-ci puissent :

116 C. Blatrix, J-F Deroubais, A. Jobert & Y. Le Floch, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. 117 Contournement de Lyon : la parole au grand public, Le Progrès du 24 septembre 2001. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 73/160

• assurer leur cohésion interne et une utilisation optimale tant des compétences et relations de chacun de leurs membres que de celles du prestataire externe, • donner à ceux de leurs membres qui le souhaiteraient, un minimum de formation à la direction et l’animation de débat conflictuel, • arrêter une stratégie de communication, pour déterminer les thèmes et les axes d’information les plus aptes à retenir l’attention des médias, • procéder à l’étude critique du dossier du maître d’ouvrage, en proposer les améliorations nécessaires à sa parfaite compréhension par le plus large public et veiller à ce qu’y soient suffisamment précisées les mesures envisagées pour limiter les nuisances que peut provoquer l’ouvrage envisagé. • anticiper les demandes d’expertise complémentaires que le dossier pourrait appeler » . Il rappelait que le temps de préparation doit tenir compte en effet des délais incompressibles des procédures de marché public et donc de l’impossible prise en charge de prestations non prévues suffisamment à l’avance. En l’espèce la Commission particulière du Débat Public n’a pu remplir sa mission dans le délai imparti que grâce à la prise en charge par RFF (dont les procédures d’engagement de dépenses sont plus simples) de certaines prestations que la DRE n’aurait pu financer.

On voit bien que la Commission particulière n’est pas une instance de plein exercice, aussi bien par manque de temps, de moyens et de compétences que du fait de sa subordination à la Commission Nationale du Débat Public et à son Président.

Le récent débat public : une société civile & des élus bien informés plutôt trop que pas assez ?

Des élus & associations bien informés mais certains peu vigilants

La Commission particulière du Débat Public a cherché et obtenu facilement une couverture de la presse. Elle avait organisé 3 conférences de presse et relevé plus de 60 articles consacrés au débat public dans la presse régionale et nationale. Les télévisions locales (FR3 et chaîne locale contrôlée par le groupe de presse oligopolistique régional, filiale d’un des grands groupes de presse nationaux) ont consacré plusieurs émissions au débat public et le Président a été reçu à plusieurs journaux télévisés ou émissions thématiques.

La Commission particulière du Débat Public avait diffusé le dossier du débat à l’ensemble des maires de la zone concernée par le débat public, soit 1185 communes. Ces élus ont également reçu les lettres du débat. Elus ou non, les riverains du contournement ferroviaire de Lyon n’ont découvert que tardivement au cours du débat (après plusieurs réunions) qu’ils ne devaient pas laisser le débat être littéralement « pris en otage » par les opposants au COL de l’Ouest Lyonnais. La contribution écrite au débat des opposants au contournement ferroviaire de Lyon est d’ailleurs l’une des dernières118. Les élus concernés n’avaient peut- être pas réalisé les enjeux de ce projet dont ils se sont vraiment aperçus lorsque le débat a été monopolisé (au début) par les opposants de l’Ouest au COL.

118 Contribution de l’association Le Fer Autrement au débat public, cahier N° 23. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 74/160

Les documents pour le récent débat public : plutôt trop que pas assez d’informations à interpréter & expertiser

Lors du débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, la Commission particulière a non seulement publié un dossier présentant les 2 projets en débat, mais, conformément au principe même du débat public ouvert, où rien n’est caché, la Commission a systématiquement publié (sous forme de documents imprimés, mis à disposition du public lors des réunions) et mis sur son site web119 un grand nombre de documents.

On peut d’ailleurs estimer qu’il y avait plutôt trop de documents que pas assez. En pratique, prendre connaissance de tous ces documents nécessitait un temps très important (comme le rédacteur du présent rapport peut en témoigner à son grand dam). Les analyser et les évaluer supposait des connaissances préalables que ne possède probablement pas la majorité du grand public – des spécialistes (ou des praticiens bien informés) ayant eux-mêmes des difficultés compte tenu de la diversité des documents et de questions parfois « pointues ».

Cela faisait d’autant plus problème que la Commission renvoyait également à des documents disponibles sur internet* où à des dossiers disponibles au siège de la Commission. Par exemple : • Directive territoriale d'aménagement de l'aire urbaine de Lyon et études préalables, Schémas multimodaux de services collectifs de transport de voyageurs et de transport de marchandises • Schéma de cohérence de la logistique en région urbaine de Lyon • Plan de déplacements urbains de l'agglomération lyonnaise • Enquête de déplacements auprès des ménages de l'agglomération lyonnaise • Livre Blanc de la Commission des communautés européennes sur la politique européenne des transports à l'horizon 2010 * ou « web »

En matière de ferroviaire, les personnes intéressés pouvaient accéder à des documents divers, émanant majoritairement de la SNCF et de RFF, y compris des études sur le TGV Rhin Rhône Sud et la Ligne nouvelle Languedoc-Roussillon.

Concernant le Contournement autoroutier de Lyon, on pouvait consulter les divers dossiers d’étape du projet : • Bilan complet des débats 1997 et 1999 • dossier du Contournement Ouest de Lyon (Cahier des Charges et périmètre de la zone d'étude)

La Commission particulière du Débat Public, respectant à la lettre sa mission, a recueilli tous les avis, contributions ou questions (1500 questions) qui ont été édités (avis et contributions) dans les lettres du débat ou jointes (questions) aux archives du débat. Le rédacteur du présent rapport a pu vérifier à ses dépens l’énorme volume représenté par ces matériaux.

Au total, il y a eu plutôt surabondance (voire excès) que « déficit » ou a fortiori rétention d’informations et d’avis.

A tel point que la question la plus importante n’est peut-être pas la « transparence » du dossier, mais la capacité de la « société civile » à les analyser et en quelque sorte, à les expertiser.

119 Page sur les documents de référence (souvent avec un lien vers une page web) sur le site de la Commission particulière du Débat Public : http://www.lyondebatpublic.org/index1.htm ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 75/160

Un débat public presque sans expertise ? le débat public sur les contournements autoroutier & ferroviaire de Lyon

Un bon budget pour le débat, mais quasiment rien pour l’expertise expertise & experts : alibi ou mouche du coche ?

La Commission particulière du Débat Public a bénéficié d’un budget confortable qui n’a pas limité son activité, puisqu’elle a pu largement produire et diffuser des documents en cours de débat et organiser plus de réunions qu’initialement prévu, tout en de dépensant pas la totalité de son budget. La dépense totale a été de 1,113 M sur une enveloppe budgétaire prévue par la Commission Nationale de « 8 MF » (1,219 ), hors coûts internes pour la maîtrise d'ouvrage (Equipement et RFF)120 qui a financé des études (en sous-traitance) ou autres dépenses (conception/édition de documents) en plus de la valeur de leur propre production et de leur intervention dans la préparation du débat.

Ce qui nous paraît le plus significatif est la part dérisoire de l’expertise à l’initiative de la Commission particulière du Débat Public dans ces dépenses dont la ventilation est la suivante : • la documentation (dossiers, lettres, etc) pour 35 % • les réunions publiques pour 24 % • la « communication » (relations avec la presse et site web) pour 19 % • la « logistique » (locaux, équipements, personnel) pour 17 %

Les expertises complémentaires ne représentent qu’un montant dérisoire de 15392 , soit 1,38%. La Commission particulière du Débat Public avait encore 106 K à dépenser sur le budget alloué par la Commission Nationale – ce qui représente 5 à 6 expertises (au sens des « avis d’experts » rendus au titre des 2 expertises complémentaires). Les sujets ne manquaient pourtant pas, pour ne prendre que les questions notées par le Président de cette Commission : possibilités et conditions du développement du fret ferroviaire par la SNCF et d’autres opérateurs sur le réseau RFF, etc.

On voit bien ici que ce débat public a surtout été une opération de « comm*» et (pour parler crûment) de « défoulement collectif **» des opposants.

* communication dans le jargon des « communiquants » (noter l’orthographe «communiquants » et non « communicants ») ** terme qui n’a été employé par aucun de nos interlocuteurs ni aucun intervenant en réunion

Quelques expertises complémentaires : éclaircissements, alibis ou hochets ?

Le Président de la Commission particulière du Débat Public avait fait le bilan des expertises complémentaires demandées par les participants au débat et dont il avait plaidé la réalisation devant la Commission Nationale du Débat Public (seule habilitée à en décider, ce qui est une conception assez… particulière de l’indépendance de la Commission particulière du Débat Public) :

120 Compte rendu final, page 11. Voir : http://www.lyondebatpublic.org/dossierdudebat/CR_25_03.pdf ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 76/160

• une expertise demandée par le Collectif Rhodanien (collectif d’opposants au COL) ayant pour objet : o « déterminer le coût véritable de la tonne transportée propre à chaque mode de transport (ferroviaire, routier, fluvial) tenant compte des divers coûts externes induits par chacun. Déterminer le montant du péage à partir duquel le coût du transport routier et celui de fret ferroviaire s’égaliseront » o « quelle est la fiabilité des modèles de comptage et simulation utilisés par les services de l’Equipement pour appréhender les évolutions de trafic en fonction des diverses hypothèses envisagées ? »

Cet expert choisi par la Commission particulière du Débat Public (un Professeur en économie des transports à l’université de Gênes) avait conclu, dans le très bref délai qui lui était imparti (à peine plus d’un mois) que « En conclusion, on peut donc affirmer que, bien que comportant un certain nombre d’imperfections méthodologiques, la qualité et le contenu des études présentées par les maîtres d'ouvrage vont bien dans le sens de la construction d’un scénario réaliste du trafic qui pourra être absorbé par les contournements autoroutier et ferroviaire de l’agglomération lyonnaise ". On remarque que ce « quitus » de l’universitaire italien était présenté de façon prudente par la Commission particulière du Débat Public – probablement parce qu’il avait suscité un rejet massif de la part des opposants à qui il n’apportait pas d’arguments contre le COL.

La Commission Nationale « a estimé, en revanche, que “la connaissance des coûts externes induits par les différents modes de transport relève d’une présentation simplifiée des diverses études qui ont pu être faites dans ce domaine et qui sera demandée au maître d’ouvrage”. En pratique, un Directeur adjoint de la DRE a produit une note de synthèse n’apportant pas vraiment de réponse (de notre point de vue) aux questions posées. La Commission Nationale a donc jugé que la question était réglée et que la maîtrise d'ouvrage avait toutes les réponses nécessaires et qu’aucune expertise complémentaire n’était nécessaire.

• une autre expertise demandée par le conseil syndical du Parc du Pilat plus tardivement sur les impacts environnementaux du projet de contournement autoroutier de l’ouest lyonnais sur le territoire du Parc du Pilat* * Parc naturel régional à cheval sur la Loire & le Rhône

Encore plus rapide que son confrère italien, l’expert suisse a remis un rapport qui comportait une synthèse des principaux impacts potentiels d’où il résulte que ceux-ci pourraient principalement concerner les ravins en amont du Rhône, la qualité et le débit des eaux des ruisseaux de ces ravins ainsi que la qualité de l’air à proximité des portails des tunnels. Il formule des recommandations de nature à éviter ou réduire ces impacts. En ce qui concerne le plateau Mornantais il en soulignait la valeur écologique et recommande notamment d’éviter de traverser plusieurs zones : les landes de Montagny, le bocage de Berthoud ainsi que les prairies et landes de la Pyramide. Remarquons que, la traversée du Pilat devant se faire en tunnel(s), la question ne se poserait que si des parties à ciel ouvert étaient envisagées (par exemple, par le concessionnaire lors de l’étude du projet définitif après concession).

Le Président notait que, bien que mis en ligne sur le site du débat, ces deux rapports d’expertise complémentaires « n’ont fait l’objet d’aucune observation ». Bien que le Président de la Commission particulière du Débat Public n’en fasse pas explicitement mention, nous avons pu observer lors des réunions publiques des réactions à l’égard de ces 2 expertises : • l’une de rejet a priori à l’encontre de l’expert italien, d’abord parce qu’il semblait cautionner les études de trafic du CETE et donc le projet présenté • l’autre d’intérêt poli à l’égard de l’expert suisse - surtout parce qu’il insiste sur des problèmes d’environnement en tant que tels, sans pour autant apporter des arguments directement instrumentalisables par les opposants au passage du COL « dans » (en fait, sous) le Pilat.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 77/160

Des moyens pour la « société civile » : quand la maîtrise d'ouvrage finance ses opposants

Jusqu’à une date récente, des études complémentaires ou expertises étaient occasionnellement financées, en fonction du bon vouloir de la maîtrise d'ouvrage (Direction des routes ou RFF) ou, le cas échéant, de collectivités territoriales concernées faisant faire leurs propres études.

Cela devrait changer avec la nouvelle loi sur la démocratie de proximité, le financement des expertises relèverait de la Commission du Débat Public qui disposerait d’un budget spécifique émanant du MATE. Cela pose une double question : • les financements dépendraient du budget du MATE et pourraient être notablement inférieurs aux moyens de la Direction des routes • la décision de faire faire une expertise dépendrait de la Commission Nationale du Débat Public

Le MATE ayant peu de moyens propres (même en tirant parti de sa collaboration avec la DRAF et les DDAF) s’appuie sur la « société civile » et notamment sur divers mouvements d’origine le plus souvent militante. Ainsi, il finance le permanent régional de la FRAPNA. Les associations sont de plus en plus demandeuses d’études ou expertises complémentaires. De ce point de vue, la concertation pour la LGS semble exemplaire : un budget de l’ordre de 80 à 100 K est prévu à cet effet. C’est évidemment très faible au regard du coût des études menant à un APS.

Il est d’autant plus intéressant de noter que lors du récent débat public, seulement 2 expertises (avis d’experts) ont été financées pour un montant dérisoire de 15 K , alors qu’il eût été possible d’en commander pour 106 K de plus (soit 5 à 6 études ou expertises légères, ordre de grandeur prévu pour la LGS sur une période évidemment bien plus longue).

Nos remarques au cours de ce rapport montrent qu’à l’évidence, il y avait largement matière à d’autres expertises.

Mais on a vu que c’est d’abord faute de demandes des opposants et de la « société civile » au sens large que de nombreuses questions n’ont pas été posées : • certaines ne l’étaient pas en raison de positions de principe (d’abord le refus de toute nouvelle infrastructure) • d’autres impliquaient une sorte d’expertise pour formuler ces questions ou en déplacer la problématique – ce que nous avons tenté d’esquisser au long de ce rapport.

Un déficit d’expertise de la Commission particulière du Débat Public en amont du débat

Un autre facteur a contribué au « déficit » d’expertise interne de la Commissions Particulière en amont du débat public proprement dit, déficit aggravé par le manque de temps entre la mise en place de la Commission et l’ouverture du débat sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon. 121

De notre point de vue, il eût fallu que la Commission particulière du Débat Public détermine en amont une série d’expertises sur le dossier présenté par la maîtrise d'ouvrage au moment où les prestataires mettaient en forme le dossier du débat.

121 Débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de l’agglomération lyonnaise. Compte rendu établi par le président de la commission particulière du débat public, 14 mars 2002. Voir sur le site du débat lyonnais : http://www.lyondebatpublic.org/dossierdudebat/CR_25_03.pdf ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 78/160

L’initiative de l’expertise complémentaire : la Commission Nationale du Débat Public & non la Commission Particulière

Si une expertise complémentaire peut bien être demandée par la Commission particulière du Débat Public (le plus souvent suite à la requête d’une association ou autre « acteur » du débat), la décision en appartient à la Commission Nationale du Débat Public (de facto à son Président pour le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon). 122 Déjà, la circulaire Bianco123 de 1992, la loi Barnier124 de 1995 et l’article 6 du décret n° 96-388 du 10 mai 1996 ouvraient la possibilité d’expertises à la demande des associations ou élus.

Le bon moment du débat ou le bon moment de l’expertise

Nous avons retrouvé les réactions des opposants (mais aussi de nombreux élus pas forcément hostiles aux projets) pour qui le débat (ou la concertation) n’est pas au bon moment : la plupart estiment qu’il aurait fallu le faire plus tôt, mais beaucoup (souvent les mêmes) déplorent d’avoir à discuter sur un projet encore imprécis (ex : quant au tracé précis de l’autoroute envisagée).

M. Ollivier-Trigalo avait déjà noté que (dans le cas de commissaires enquêteurs et membres de commissions de suivi comme pour les associations), pour tous les protagonistes, le débat ne se déroulerait jamais au bon moment, jamais sur le bon projet, jamais selon la bonne forme et jamais avec les bons intervenants125

L’Etat, les élus & la société civile des opposants experts ou contre-experts ?

Les projets de la région lyonnaise sont « systémiquement » liés dans leur fonctions comme dans les débats et tout le processus de décisions. Ils précipitent (au sens de la chimie) des coalitions d’oppositions apparemment disparates qui se dotent ou, du moins, se servent d’une contre-expertise face à celle du maître d'ouvrage (l’Etat, comme pour la plupart des grandes infrastructures ).

Ces dernières années, les associations d’opposants se sont données une connaissance des dossiers et des possibilités de contestation, d’autant plus qu’il existe de nombreux professionnels ou spécialistes de formation universitaire (ex : tous les DESS ou DEA d’aménagement/transports ou en droit public) qui sont, le cas échéant, des opposants de même niveau (et de même culture) que les services de l’Etat ou des collectivités territoriales – c’est le cas d’un chercheur (devenu également élu) dans un laboratoire d’économie des transports opposé au péage sur le tronçon nord du périphérique de Lyon ou d’un élu cadre de l’ADEME, opposant à l’A89 .

122 lettre du Débat Public, n° 5, janvier 2002. 123 Circulaire Bianco de décembre 1992. 124 Loi Barnier sur le renforcement de la protection de l'environnement, loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement. 125 M. Ollivier-Trigalo & S. Rui, L’expertise comme outil d’évaluation et de communication, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 79/160

De plus, certaines associations sont affiliées à des regroupements dotés d’une réelle expertise (du moins d’une excellente information) ou en sont des rejetons – parfois de véritables « agences » ou « bureaux » locaux. Dans le premier cas de figure, on peut ranger les associations de riverains d’aéroports regroupés dans l’UFCNA* ; dans le second, Greenpeace, ONG à la mode onusienne, avec ses permanents et des moyens très importants aussi bien en termes de communication que de contre-expertise et de documentation. * Union Française Contre les Nuisances Aériennes

Leur rapport aux pouvoirs publics sont d’ailleurs ambigus, puisqu’ils sont systématiquement sollicités pour participer à la myriade de commissions et organismes divers en même temps qu’ils y viennent en position d’opposants la plupart du temps – contestant souvent l’objet même des débats et/ou le projet sur lesquels ils sont consultés. C’était récemment le cas de Greenpeace lors du débat à Lyon avec le Ministre sur la réouverture du tunnel du Mont Blanc.

Les nouveaux moyens de communication (NTIC* ) permettent aux opposants non seulement de se faire entendre, mais de se documenter (parfois mieux que les services de l’Etat) et d’utiliser tous les arguments « ad hoc » (parfois hors contexte et/ou à contresens). Certains opposants sont d’ailleurs des utilisateurs experts des technologies de l’information126. Grâce à ces associations, tous les textes réglementaires et autres informations sont devenus accessibles en temps réel, parfois en même temps ou avant que les services des administrations n’en aient pris connaissance. C’est le cas du remarquable site de UNCFA. * Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. Ces « Technologies de l’Information » ne sont plus « nouvelles » depuis longtemps, sauf en France

La société civile (cf supra) a donc certains moyens et certaines compétences – du moins informations qui n’étaient guère disponibles avant les controverses de la denière décennie sur la LGV Méditerranée ou le projet de canal Rhin-Rhône.

Il y a bien eu rupture avec l’époque des grands projets gaulliens (programmes autoroutier et nucléaire), menés par l’Etat dans la grande tradition du Prince* éclairé.

* Prince est évidemment pris ici au sens figuré

Les contributions & avis des « acteurs » dans le récent débat public : tous ont un avis sur tout

La Commission particulière du Débat Public a sollicité et publié au fur et à mesure les « contributions » ou avis de nombreux « acteurs » présentés dans des « Cahiers d’acteurs » diffusés par voie postale à 2500 destinataires ou disponibles au siège de la Commission ou encore téléchargeables sur son site internet : • N° 1 Collectif rhodanien (regroupement d’opposants de l’Ouest lyonnais au COL) • N° 2 Chambre régionale de commerce et d’industrie Rhône-Alpes. • N° 3 Chambre de commerce et d’industrie de Lyon. • N° 4 SNCF. • N° 5 Collectif des riverains et des usagers de la rocade Est.

126 Voir l’appel d’offre de recherches du MATE au titre du programme Concertation, décision et environnement sur le thème « Quelles places et quels impacts pour les NTIC ? ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 80/160

• N° 6 Comité fédéral pour l’aménagement routier du Nord-Ouest Lyonnais (partisans de l’aménagement du raccordement de l’A89 à l’A6) • N° 7 Collectif associatif (associations d’ « écologistes », « Verts » et partisans des TC : DARLY, FNAUT, FNE/FRAPNA, WWF France, MNLE, UFCR) • N° 8 LASAIRE ET ADTLS. • N° 9 GIL-MEDEF. • N° 10 Association Déplacements citoyens. • N° 11 Grand Roanne. • N° 12 Conseil économique et social. • N° 13 Grand Lyon. • N° 14 ARDEN. • N° 15 SRG (Sauvegarde du Pays Rhône-Gier) • N° 16 Chambre d’agriculture du Rhône. • N° 17 ARCO-Grand Angle. • N° 18 APAM Nature. • N° 19 Transalpine Lyon-Turin. • N° 20 ALTRO (Association Logistique Transport Ouest) • N° 21 Les Verts • N° 22 Fédération des producteurs de fruits du Rhône. • N° 23 Association Le Fer autrement

Les partisans de la liaison transalpine127 étaient représentés par une multitude d’« acteurs » : • Conseil Régional Rhône-Alpes • Conseils Généraux de l’Ain, de l’Isère, de la Loire, du Rhône, de Savoie • Communauté Urbaine de Lyon • villes de Rhône-Alpes : Bourg-en-Bresse, Grenoble, Saint-Étienne, Villeurbanne, Chambéry, Chamonix, Annecy, Annemasse • Chambre Régionale de Commerce et d’Industrie de Rhône-Alpes • CCI de l’Ain, du Nord-Isère, de Lyon, de Savoie, de Haute-Savoie • GIL MEDEF Lyon Rhône et MEDEF Rhône-Alpes • Alliance Logistique de Lyon • Fédération Régionale des travaux publics Rhône-Alpes, • entreprises : SIPAREX, Aventis, CIBA, la Caisse des Dépôts et Consignations, Renault Véhicules Industriels • membres individuels (notabilités diverses)

S’y sont ajoutés d’autres « contributions » ou avis : • Fédération des Associations du Plateau • coût des transports de marchandises (DRE Rhône-Alpes) • délibération du Conseil régional • amendement présenté par Jean-Louis Bellaton, Christophe Guilloteau et Thierry Kovacs, Groupe RPR et Apparentés, Conseil Régional Rhône-Alpes • Rémy Petiot, Président de l'association Val d'Ozon Environnement • Chambre d'Agriculture de l'Ain • Aimé Dormois (Stéphanois en faveur des trains) • SATIN (Syndicat de collectivités territoriales du Nord-Isère) • Association Chante-Ruisseau • Professionnels de la Construction (Fédération Régionale des TP Rhône-Alpes) • Aéroport Lyon - Saint Exupéry • Association de Défense des Ripagériens et des Habitants de la Vallée du Gier • Association de Défense de l'Environnement de Chaponnay • Yves Crozet Professeur à l'Université Lyon 2, Directeur du laboratoire d'économie des transports • Association d'Intérêt Local de Manissieux - Mi-Plaine - La Fouillouse • Association des Commerçants, Artisans, PME-PMI et Professions Libérales de VAUGNERAY • Jean Louis Gagnaire, Conseiller Général de la Loire et Conseiller Régional

127 Contribution du Comité pour la Transalpine, cahier d’acteurs n°19. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 81/160

• Région Franche-Comté • contribution et délibération de la Mairie de Toussieu • Association Observatoire du TGV Lyon Turin • délibération du Conseil Général de l'Isère

Il n’est pas étonnant que dans un tel débat public (donc devant le « grand public » et des électeurs ou mandants), tous les acteurs (élus, responsables d’organismes ou institutions, associations, etc) aient tenu à s’exprimer, au moins par principe et pour leur public (sinon pour le « grand public » et les « décideurs »).

De même, on retrouve les pratiques habituelles des personnes intervenant sous diverses « casquettes » ou d’organisations proches qui reprennent les mêmes arguments et se soutiennent de façon plus ou moins « incestueuse ». Comme d’habitude, on retrouve des organisations dont la représentativité locale est douteuse (parfois quelques personnes dont un chef de file que l’on voit et entend partout) et la compétence peut faire question.

D’autres études ont par ailleurs été réalisées pour d’autres « acteurs », notamment pour la Région Rhône-Alpes qui a fait faire une étude pour le schéma de transports régional afin de préparer le Contrat de Plan Etat-Région et une convention avec la SNCF. Cette étude a été réalisée par un BET filiale de la SNCF, auquel étaient associés d’autres grands BET.

A première vue, tous les points de vue ont pu s’exprimer et l’ont été. En particulier, toutes les institutions, organisations ou associations l’ont bien fait, par principe.

Sans conclure quant à la qualité et à la pertinence (très inégales) de ces « contributions », il nous semble que l’on peut au moins observer que : • ces avis, critiques voire propositions (parfois assez irréalistes, voire fantaisistes) ont « balayé » toutes les questions ou problèmes en jeu dans le débat, toutes les « alternatives » possibles, etc. On devrait au moins éviter que la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d’œuvre ait oublié quelque problème que ce soit • leur abondance et leur diversité sont telles qu’on ne voit pas comment en tirer des conclusions ou une synthèse – sauf à recourir à un expert ou au puissant esprit de synthèse du rapporteur (le Président de la Commission particulière ou de la Commission Nationale du Débat Public)

Des amateurs experts ou des expérimentations amateurs : des connaissances & des compétences dans la « société civile »

Bien que cela ne soit pas une nouveauté, on constate que de nombreux élus (notamment le petit nombre qui joue un rôle de décision) se sont informés et formés au contact des services de l’Etat et de leurs services. Ils sont souvent devenus au moins des « amateurs éclairés » (comme on parlait de despotes éclairés), parfois quasiment des contre-experts.

N’oublions pas que certains d’entre eux sont des professionnels de l’aménagement et peuvent se positionner en égaux par rapport aux ingénieurs ou aux fonctionnaires d’autorité, même si leur spécialité n’est pas la même (ex : élu architecte-urbaniste, ingénieur ou encore professeur de droit public à l’université comme un Président de Conseil Général ou le 1er adjoint d’une grande collectivité rhônalpine).

A un tout autre niveau, les infrastructures routières étudiées traversant le milieu rural, de nombreux élus des petites communes connaissent dans le détail les plus petits problèmes posés par le projet et questionnent la DDE ou le CETE – par exemple pour le passage de telle catégorie de gibier, la protection de la source des plus petits ruisseaux ou la possibilité d’obtenir le départ de tel occupant d’une bâtisse mal située sur le tracé. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 82/160

Cela garantit que les spécialistes (ceux du CETE notamment) de la maîtrise d'ouvrage n’oublieront rien et pourront valider leurs solutions.128 Le spécialiste ou l’expert étant en quelque sorte expertisé par les détenteurs de la connaissance empirique.

Les élus, habitués et « pros » du débat plus ou moins public, peuvent mettre les représentants de l’Etat en difficulté en cherchant à transformer une réunion de concertation ou d’information en controverse publique. Nous avons ainsi observé une véritable « embuscade » préparée à l’intention du Directeur de la DDE par un élu, opposant au COL, sortant (avec rétroprojecteur) dans une réunion avec la DDE et le CETE son schéma pour prouver que l’Etat a un projet d’ensemble dépassant la seule A89 dont l’APS était discuté.

Sur ce point, les ingénieurs, le CETE et même le Directeur de la DDE ou de la DRE sont doublement en position de défense : • ils n’ont pas qualité pour engager l’Etat au-delà des positions prises par le Préfet • ils ne sont pas des professionnels du débat politique

Dans les projets d’infrastructure comme dans d’autres domaines (ex : santé publique, sécurité alimentaire), les services de l’Etat sont de plus en plus souvent pris à parti par des opposants qui déplacent d’emblée le débat. Il faut donc que les ingénieurs ou cadres ayant à mener ces concertations sachent comment maîtriser ce nouveau type de situation.

Les riverains & opposants : de l’amateurisme au savoir du local & du particulier au général

Comme on l’a noté, les divers projets « font système », notamment par le regroupement des opposants de divers territoires (riverains proches ou lointains, actuels ou éventuels) des divers projets ou infrastructures. L’extension dans l’espace des éventuels projets d’infrastructure (voir les schémas) font que des élus et riverains de plus en plus lointains de l’agglomération lyonnaise se sentent concernés (ex : toutes les balmes viennoises*). De même, les riverains (et opposants) de l’aéroport de Lyon-Satolas sont regroupés avec d’autres riverains d’aéroports (Roissy, Nice, etc). * collines au sud-est de Lyon vers Vienne

Ces divers opposants ont (ou se sont donnés) une réelle compétence, du moins une connaissance des dossiers et des possibilités de contestation. D’autant plus que certains portent « plusieurs casquettes » - comme un élu (adjoint à l’urbanisme) d’une commune concernée par l’A89, également animateur d’une association d’opposants au grand contournement Ouest de Lyon et (dans une moindre mesure) au tronçon Ouest du périphérique de Lyon. Cela leur permet de participer à divers titres aux réunions et d’avoir une connaissance approfondie des projets, mais surtout du contexte (environnement, insertion).

N’oublions pas enfin que l’enseignement supérieur de masse a produit de nombreux professionnels de haut niveau de formation (ex : tous les DESS ou DEA d’aménagement/transports ou en droit public) qui font, le cas échéant, des opposants de même niveau (et de même culture) que les services de l’Etat ou des collectivités territoriales – c’est le cas d’un Opposant Chercheur (économiste chercheur dans un laboratoire public d’économie des transports qui s’est opposé (et continue à le faire) au péage sur le tronçon nord du périphérique de Lyon.

128 Nos observations lors des réunions de concertation Etat/élus pour l’APS de l’A89. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 83/160

Tout cela garantit une circulation des informations (mais aussi des rumeurs), exactes ou non, bien interprétées ou non (ex : sur des incidents de vol à l’aéroport de Lyon-Satolas) et rend impossible la maîtrise de l’information par l’Etat et les collectivités territoriales en tant qu’institutions.

Ces opposants, en quelque sorte « professionnalisés », typiques du militantisme du XXIème siècle, savent bien jouer des médias et de la communication – au détriment de l’Etat et de ses ingénieurs, tenus à la fois à une réserve et à la prudence (ne rien affirmer qui ne soit validé et argumenté). Ils (souvent elles) savent également utiliser tous les chiffres ou arguments tirés (souvent hors contexte et à contresens) d’études ou d’autres sources. Les ingénieurs (ou les fonctionnaires d’autorité) sont démunis face à des affirmations invérifiables (ou à vérifier).

La connaissance du spécialiste est relativisée et dévalorisée du fait même de ces « savoirs » (un savoir étant ce qu’on sait, pas forcément vrai, vérifiable et vérifié) – comme le seraient des arguments de l’ordre de la foi par rapport à une approche scientifique.

Il nous semble qu’il y a, de plus en plus avec l’extension du débat (cf supra) un déplacement de la discussion sur des terrains où la connaissance des spécialistes n’est plus opératoire et, de toute façon, a priori suspecte.

Un autre enjeu de légitimité se pose évidemment entre élus (que l’Etat considère comme responsables dans le cadre de leurs compétences, clairement définies) et divers opposants défendant une légitimité directe à titre personnel et collectif du fait même d’être riverain. La compétence de ces « amateurs » est probablement très inégale. On y trouve des autodidactes devenus aptes à tenir tête à des spécialistes comme l’"opposant Vert" (médecin de formation) qui avait mené la contestation, essentiellement sur le terrain juridique, contre TEO (depuis Périphérique Nord de Lyon), tant que sur la concession que sur le péage (principe et montant).

Mais on trouve aussi des amateurs (généralement de bonne foi et dévoués à leur cause) quelque peu « folkloriques » (quoique écoutés), comme l’association de riverains de l’aéroport de Satolas qui assurait que des avions auraient frôlé la cime des arbres dans leur approche129. Dans une autre réunion, une association avait affirmé qu’une étude néerlandaise prouvait que le bruit des avions est dangereux pour la santé (avec des pourcentages de maladies provoquées) – alors qu’il s’agissait d’études sur les effets du bruit des infrastructures de transport en général, l’association ayant de plus confondu l’estimation de l’aggravation (quelques %) avec le niveau des effets.

Les ingénieurs et spécialistes de l’environnement des DDE et des CETE sont démunis face à de telles assertions :

• ils peuvent difficilement, en situation de concertation, renvoyer les opposants à leur incompétence ou à une erreur d’interprétation

• ils ne peuvent répondre sans avoir vérifié la source et les données, donc bien plus tard

129 Cela tient de l’apparition mystique, puisque des riverains de l’aéroport de Nice sont certains que de nombreux avions passent à la verticale du Cap d’Antibes – alors que les enregistrements radar transmis aux associations de riverains montrent que c’est rare. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 84/160

Peu de véritable expertise associative

Nos observations recoupent les conclusions de J-Y Trépos130 sur la faiblesse de l’expertise associative. Il conviendrait toutefois de nuancer cette appréciation, car plusieurs exemples d’expertise associative (ou, plus exactement, dans et pour le compte d’associations) existent : • les associations d’opposants aux aéroports mettent en commun, sinon de l’expertise, du moins une information et des argumentations (via leur réseau de sites web) • des militants d’associations ou des élus sont parfois eux-mêmes de bon connaisseurs, voire de véritables experts dans certains domaines (comme le cas cité d’un chercheur en économie des transports ou d’un cadre de l’ADEME) • enfin, certaines associations se sont construites autant comme expertes que comme militantes – c’est le cas, en dehors du cas bien connu de Greenpeace, d’une association rhônalpine qui se présente (et parvient à être présentée) comme un organisme d’expert(s) « indépendants »

Des riverains experts & des experts riverains

Il existe enfin un dernier cas de figure de l’expertise ou de la connaissance des riverains ou opposants (les 2 termes renvoyant le plus souvent aux mêmes personnes et associations) : celle du spécialiste des transports et/ou de l’environnement, riverain de l’infrastructure contestée. On connaît le cas célèbre du Maire, par ailleurs ingénieur d’un service de l’Etat, opposant à la LGV Méditerranée. L’équivalent existait lors du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon : un riverain (pas très proche) du COL et critique pour des raisons (très argumentées) tirées de sa compétence et de ses informations de chercheur et de consultant ou expert en transports auprès des plus hautes instances du MELT. Cet universitaire et un autre chercheur du même laboratoire sont intervenus lors de réunions où ils ont apporté des éléments sur des points peu ou mal traités dans le dossier (notamment sur la relation entre fonction de transit et fonction locale de la nouvelle infrastructure).

Comme on l’a constaté pour d’autres intervenants, leurs apports ont été très écoutés et bien reçus par le public (en majorité d’opposants) – non pas pour leur valeur intrinsèque, mais en tant qu’arguments d’autorité (au sens de l’auctoritas) incontestable par les ingénieurs de la maîtrise d'ouvrage.

Elus & société civile : des opposants inégaux dans le débat comme dans l’information ?

Nébuleuse d’opposants ou milieu militant ?

Le récent débat public a permis à une nébuleuse d’opposants d’intervenir, autant en réunion publique malgré le « kidnapping » du débat par les opposants de l’Ouest, très organisés et massivement présents.

130 J-Y Trépos, V. Bernat & H. Barisel, Expertise de tracé et traçabilité de l’expertise, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 85/160

La principale nébuleuse regroupe dans une « usine à gaz » des associations, fédérations ou confédérations plus ou moins reliées les unes aux autres avec, souvent, les mêmes personnes connues ou porte-parole (probablement assez peu nombreux en fin de compte) des « écologistes », partisans des TC, associations ou mouvements de défense des « consommateurs ». Ces associations (dont la base et la représentativité ne sont pas connues et ne semblent d’ailleurs faire problème à personne) sont parfois locales (DARLY*) et surtout nationales ou des antennes régionales d’organisations nationales (FNE**- FRAPNA***, MNLE****, UFCR*****) voire internationales (WWF France) *pour se Déplacer Autrement en Région LYonnaise, association de militants pour les TC ** France Nature Environnement *** Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature **** Mouvement National de Lutte pour l’Environnement ***** Union Fédérale des Consommateurs

Ces mouvements ont pour l’essentiel répété leurs positions de principe (pour les TC, contre les infrastructures routières et la VP) et leurs propositions (notamment en matière de TC) comme ils le font à toute occasion pour « proposer une alternative à un mauvais projet, en se basant sur une saine conception du “développement durable ».

Ces contributions et le rôle de ces associations dans le récent débat public nous semblent faire problème à plusieurs titre : • elles pourraient être, paradoxalement, instrumentées par la maîtrise d'ouvrage ou les « décideurs » qui, dès lors qu’ils ont compris qu’il faut maintenant passer par un débat et une négociation avec la « société civile » pour tout projet d’infrastructure, ont besoin de personnes et, si possible, de « mouvements » pour figurer cette « société civile » assez insaisissable • leur apport en matière d’expertise ou connaissances est limitée ; il se fonde sur la compétence personnelle de quelques représentants (à titre professionnel ou à l’expérience)

Des opposants qui ont les moyens du débat public : moyens & compétences de communication et de « lobbying »

Durant le récent débat public, le principal « collectif » d’opposants de l’Ouest au COL, disposant de moyens financiers (du fait du regroupement de collectivités territoriales concernées) avait affrété des cars pour amener par centaines ses adhérents à toutes les réunions publiques. Il avait également fait faire et éditer une brochure par une société de communication.

Ce type d’opposants regroupés autour de collectivités territoriales dispose en pratique de moyens importants qui lui permettraient d’ailleurs de financer des études et expertises selon leur propre cahier des charges, en choisissant le prestataire – bien que l’ « offre » en la matière soit certainement trop restreinte.

Nous, le peuple eux les « technocrates » ou les experts

Un des enjeux de tout débat, qu’il s’agisse de s’opposer ou d’« exiger » ou demander, est de savoir qui représente qui. C’est bien pourquoi les intervenants citent souvent le nombre de personnes ou de communes pour montrer qu’ils représentent bien des « habitants » et un territoire aussi nombreux et vaste que possible.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 86/160

Ainsi : • les opposants de l’Ouest au COL. Le porte-parole des opposants au COL (appuyés par un parterre d’élus avec leur écharpe aux premiers rangs face à la tribune) se scandalisait que l’« on ne donne pas la parole aux élus », alors que la CCI participait à la table ronde. Pourtant, ces élus représentent « 105 communes, 1500 élus et 260000 habitants ». • les riverains et élus du contournement ferroviaire de Lyon, où « 300000 habitants » sont « bâillonnés » puisqu’ils ont appris tardivement l’existence du projet • encore plus nombreux (de ce point de vue), les partisans de l’ « alternative » routière via Paray le Monial – Roanne et de la route Centre Europe-Atlantique qu’« 1 millions de personnes et 1000 communes demandent »

Participer au débat ou y prendre la parole : apporter sa contribution ou défendre son point de vue ?

Lors de la dernière réunion publique du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, qualifiée de « folle soirée » par un journaliste local131, le président de la Chambre d’Agriculture du Rhône avait pris la parole malgré l’opposition du meneur de jeu et du Président de la Commission particulière du Débat Public. Il s’était emparé du micro sur scène pour dénoncer le « mépris » dans lequel le monde agricole était traité les agriculteurs avait déjà été « trahis» dans le passé. Ces agriculteurs (petite polyculture/élevage et production de fruits dans l’Ouest du département) sont opposés au COL, comme les viticulteurs, mais sur un registre différent. Toutefois ces agriculteurs ne sont pas opposés à l’A89 (assez longuement et finement négociée avec les élus locaux, dont beaucoup sont eux-mêmes agriculteurs), à l’A45 (encore à l’étude et de toute façon concernant plutôt la Loire) ni au tronçon Ouest du périphérique de Lyon (interne à l’agglomération lyonnaise et ne concernant presque aucun agriculteur).

Le principe même du débat qui place sur le même plan tous les « acteurs » quels que soient leur représentativité et, surtout, les enjeux les concernant, fait problème. Si les agriculteurs ont pu s’exprimer par leur contribution écrite ou en réunion, ils ont pu avoir le sentiment que le débat était en quelque sorte monopolisé par les opposants bien organisés de l’Ouest lyonnais d’une part, les « techniciens » d’autre part. Durant plusieurs réunions, seuls quelques énergumènes s’étaient manifestés en lançant des quolibets et des insultes aux malheureux représentants de la maîtrise d'ouvrage (CETE, DRE), voire à l’expert italien.* * qui n’était pas présent (vidéo)

Le débat appartient à ceux qui interviennent tôt & qui savent s’organiser pour le monopoliser ou l’orienter

Les opposants au ferroviaire ont manifesté (bruyamment) leur sentiment de n’avoir pas pu s’exprimer. Ces opposants étaient venus à l’une des réunions publiques avec une pancarte « 300000 habitants bâillonnés » - on peut remarquer comment la « montée en généralité » peut se traduire par une certaine surestimation du nombre de personnes au nom de qui on parle.

Ils ont réclamé un 2ème débat portant seulement sur le contournement ferroviaire de Lyon.

C’est d’abord que le débat public a été « phagocyté » par l’autre dossier sur le contournement autoroutier132 et que, durant toute la 1ère partie des réunions, les opposants de l’Ouest au COL ont quasiment monopolisé le débat par leur nombre et par leurs interventions très bien organisées et très « professionnelles » (de la prise de parole publique).

131 Le Progrès du 2/2/02. 132 Contournement ferroviaire : l’opposition s’organise, Le Progrès du 16/2/02. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 87/160

Débat « asymétrique » & expertise inégale des experts face aux profanes ?

Des chercheurs (ex : J. Defrance cité par J-Y Trépos133) ont déjà noté que le débat en France (y compris dans les récents débats publics) est « asymétrique », contrairement à d’autres pays européens où la « société civile » a plus de moyens – y compris de contre-expertise.

On peut le constater à un premier degré : les spécialistes sont sur la scène et tous les autres dans la salle. Le débat consiste alors à « donner la parole » à la salle (au « public ») et, pour la salle (généralement les opposants) à « prendre la parole » - selon le modèle du militant ou de l’élu prenant la parole.

La primauté est alors à la technique et à l’expérience de la prise de parole d’une part, à la légitimité et à l’appui d’un groupe et du public d’autre part.

Dans ce cadre, l’expertise n’a pas de place – du moins de place définie, consensuelle et productive.

Société civile riverains & citoyens

Bien que le terme n’ait pas été employé dans le récent débat public, le débat (parfois qualifié de « débat citoyen » pour éviter l’emploi du terme « politique » probablement jugé dévalorisé) fait souvent référence à l’apport et à l’expression de la « société civile » (cf supra).

En pratique, la société civile qui s’exprime dans les débats est d’abord formée de groupes de « riverains » ou de porteurs de préoccupations ou valeurs spécifiques (ex : la défense de l’environnement) qui, par obligation autant que par stratégie, vont « monter en généralité » pour devenir « acteurs » d’une société civile d’abord définie négativement (ceux qui ne sont pas au pouvoir, ni « technocrates », ni « grands élus », etc).

La « société civile » & les « experts d’en bas » pas ou peu de contre-expertise ?

Nous avons évidemment rencontré à diverses reprises les notions (jamais définies et employées comme allant de soi) de « société civile » et d’ « experts d’en bas (ou de terrain) ».

Pour certains, le recours (en recevant ou même en suscitant les avis ou contributions en dehors des services de l’Etat et des « grands élus ») à ces contributions, voire à une participation active au débat et à l’élaboration des projets prendrait la figure plus ou moins nouvelle de la « co-production » d’un projet (ou d’une politique). Cette « co-élaboration » est supposé être un moyen pour les décideurs de limiter les obstacles lors de la réalisation – du fait même d’avoir repéré et laissé s’exprimer les problèmes posés.Elle peut éventuellement améliorer et « enrichir » le projet – ce qui ne nous semble pas l’objectif principal recherché, du moins une condition sine qua non. Dans sa recherche sur l’ingénierie en Europe, J-R Barthélémy estime que la richesse d’idées venues de la diversité des partenaires peut améliorer nettement la qualité et la diversité des solutions. 134

133 J-Y Trépos, V. Bernat & H. Barisel, Expertise de tracé et traçabilité de l’expertise, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. 134 J-R Barthélémy, De la complicité à la vertu : démocratisation du débat sur les transports France / Pays Bas, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 88/160

Experts d’en haut & experts d’en bas

Reprenant une formule déjà employée par la maîtrise d'ouvrage et ses BET (CETE ou autres), le Ministre des Transports marquait qu’il « attache une importance particulière aux processus de participation des citoyens aux grands choix d'aménagement, qui sont un complément indispensable aux expertises techniques et socio-économiques. Je l’ai déjà dit à de nombreuses reprises : les experts “d’en haut” doivent croiser leurs analyses avec les experts d’en bas, qui connaissent le terrain ».

Au-delà de l’intention du Ministre, nous avons effectivement observé de rares cas d’experts « d’en bas » apportant des informations à la maîtrise d'ouvrage. Par exemple (cf supra) quant au passage de lapins ou de tracteurs ou encore la localisation d’un vallon où nichent des chauves-souris. Sans doute utile, cette expertise d’en bas ne bouleverse pas vraiment l’étude du projet menée par le CETE avec toute son expertise interne et externe (sous- traitants).

Profanes & experts des « amateurs éclairés »

Le rapport entre experts (compétents, indépendants, etc) et les profanes « usagers » de l’expertise et de l’information sur les projets fait toujours problème. Pour J-Y Trépos, la représentation habituelle est un stéréotype qui oppose :

• un usager de l’expertise est supposé n’avoir d’autre savoir en la matière que celui de l’usage, un « profane » par définition

Notons que le dictionnaire donne du profane une définition assez péjorative, puisque c’est quelqu’un « qui n’est pas initié à quelque chose ou qui l’ignore », en quelque sorte un Béotien ou un Philistin, le terme étant synonyme d’incompétent.135 Dans un autre sens, le profane est opposé au sacré ; il peut même être sacrilège ou impie dans la langue classique !

• une représentation théâtrale de l’expert, en opposition au « sacré » du savoir de l’expert

L’expert est censé posséder un savoir spécialisé et une capacité de générer ou reconnaître des propositions vraies dans un certain domaine, tandis chez que le profane, la part de la croyance est a priori plus forte.

Il nous semble toutefois illusoire de vouloir distinguer de façon univoque les experts (ou autres spécialistes compétents) d’une part, le grand public et les divers « amateurs » ou « connaisseurs » des questions ou sujets en débat d’autre part. Il y aurait plutôt un continuum qui va du profane à l’expert, de nombreux « acteurs » ou observateurs étant de « bons connaisseurs » ou « amateurs éclairés » (comme, au XVIIIème siècle les « amateurs » de curiosité scientifiques).

Le terme peut être pris dans l’acception la plus flatteuse du dictionnaire comme quelqu’un qui « s’intéresse à un art ou une science pour son plaisir », risquant toutefois de « manque de zèle ou de compétence » dans ce qu’il fait, s’exposant à l’accusation (de la part du professionnel compétent) d’être un « dilettante » et de faire preuve d’ « amateurisme ».

135 D’après le Lexis. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 89/160

Agora grecque ou assemblée cantonale suisse ? tous les avis sont permis, mais pas équivalents

L’extension du débat et de la concertation est telle que tous les avis (ou presque) peuvent s’exprimer, la plupart étant écoutés – mais évidemment pas forcément pris en compte. Dans ces dispositifs assez lâches, une grande variété de groupes, voire d’individualités, peuvent « prendre la parole » (capacité inégalement répartie et exercée, comme on sait). Tout « riverain », « habitant », ou autre personne concernée en tant qu’appartenant à un groupe (ex : éleveur de chèvres ou viticulteur) peut trouver un moyen de s’exprimer, souvent en se présentant comme porte-parole ou représentant d’un groupe ou collectivité.

On est ici dans l’ordre de l’agora grecque ou de l’assemblée cantonale suisse : tous ont droit à donner leur avis, a priori considéré comme respectable et recevable. Le partisan ou (le plus souvent) l’opposant recourant à un argumentaire quelque peu « schizophrénique » :

• il s’exprime en tant que personnellement (lui et son groupe) concerné (impact de l’infrastructure) et, fondamentalement, en tant qu’homme du terroir. Ainsi, un éleveur des Monts du Lyonnais, opposant au COL formulait le vœu que les ingénieurs et les décideurs du s’inspirent « du bon sens paysan », laissant entendre que le grand contournement Ouest de Lyon est un « projet Barre-Mercier » et que « Le microcosme lyonnais n’a que faire du bons sens paysan » 136

• mais il fait également appel à des arguments tirés d’informations produites par des professionnels (ou les permanents ou animateurs d’associations ou groupements professionnels). Ainsi, dans une réunion d’opposants au grand contournement Ouest de Lyon, un agriculteur ardéchois formulait ses craintes quant aux teneurs en plomb, zinc et « autres hydrocarbures (sic) » des productions agricoles cultivées « en bordure d’une autoroute dont le trafic est de 25000 véhicules/jour »137

Même si ces « savoirs » sont aussi approximatifs (voire totalement erronés) que certaines assertions sur les vertus des plantes, les porteurs des projets d’infrastructure ne peuvent pas refuser de les écouter et d’y répondre – mais ils ne peuvent le faire qu’en réfutant ces éventuelles erreurs, sans pour autant apaiser des craintes ou oppositions qui trouveront toujours d’autres arguments tout aussi ambigus.

Concertation et débat devraient donc nécessairement produire ce double flux d’arguments de type moral (les riverains, etc) et de type para-rationnels (éventuellement tout à fait justifiés), menant à une aporie : • les « ingénieurs » (ou le Préfet, le Ministre) peuvent réfuter les erreurs et tenir compte des vérités, mais on pourra leur reprocher de n’avoir pas pris toutes les précautions ou envisagé toutes les hypothèses ou, tout simplement, d’avoir décidé d’avance et de justifier cette décision • il est évidemment exclu (et il serait aberrant, y compris d’un point de vue démocratique), de recevoir comme égaux tous les points de vue et arguments. En tout état de cause, aucune décision ne serait alors possible

136 Reprtage et entretien dans Le Progrès du 2/2/1999 137 Le Progrès du 27/2/2000 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 90/160

Ce n’est pas un faux problème, puisque les débats et contestations font flèche de tout bois et profit de tout argument (voire rumeur).

Ainsi, les opposants à l’extension de l’aéroport Satolas ont rappelé à l’occasion de l’accident récent de Concorde que « cela peut se passer à Saint-Exupéry»138, car un autre avion avait « failli s’écraser » au début de cette année 2000. Dans la même veine, le présentateur d’une chaîne de télévision annonçait qu’on avait « frôlé la catastrophe » dans le Tunnel du Fréjus, un camion ayant pris feu comme dans le Tunnel du Mont Blanc et… tout s’étant parfaitement passé comme prévu (intervention des secours, etc). Dans leur zèle à trouver des arguments, certains frôlent la mauvaise foi. Ainsi, une opposante à l'aéroport de Lyon-Satolas avait affirmé dans une réunion comme à la télévision locale* qu’aucune sanction n’existait à l’encontre d’avions ne respectant pas la trajectoire prévue – alors que le Préfet avait informé quelques jours auparavant la Commission consultative (à laquelle assistait cette personne)** des sanctions prises et du dispositif mis en place pour vérifier le respect de ces règles. De même, un élu « leader » d’opposants au COL prétendait en réunion publique n’avoir jamais été informé du dossier de l’A89, alors qu’une réunion de concertation s’était tenue dans sa mairie avec la DRE, la DDE et le CETE.** * émission sur TLM (chaîne locale) ** le rédacteur du présent rapport y était présent comme observateur

Dans ce genre de débat, certains ont toujours tort, les absents. Ainsi, dans la concertation sur l’APS de l’A89, les randonneurs n’ont pas fait l’objet des mêmes préoccupations par rapport à la priorité de rétablissement des voiries à usage agricole et, a fortiori, tout empiètement sur des vignobles (quasiment sacrés en région lyonnaise : Beaujolais et Côtes- du-Rhône).

L’analogie avec l’agora athénienne ou l’assemblée cantonale suisse est évidemment fausse du point de vue du processus de décision, puisque les citoyens y votent après avoir débattu – alors que nos débats publics ne débouchent pas sur une décision du « peuple », même quand on les qualifie (dans la « novlangue » du moment) de débat « citoyen ».

Elus, riverains & opposants : tous les arguments sont bons pour refuser une infrastructure ou la faire passer ailleurs

Argumenter plutôt qu’expertiser ou argumenter par l’expertise ?

Des arguments ad hominem ou ad via autocinetica ?

On connaît l’expression « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » : de nombreux arguments utilisés par les opposants sont, de fait, des arguments parfois ad hominem (mettant en cause un acteur, un expert ou une institution), mais plus souvent dirigés contre l’infrastructure elle-même (et son principe), en quelque sorte des arguments « ad via autocinetica »139.

138 Le Progrès du 27/7/2000 139 D’après le dictionnaire italien-latin de termes contemporains LEXICON RECENTIORIS LATINITATIS, Università Pontificia Salesiana (Rome), 2000. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 91/160

La Commission Européenne à l’aide des opposants au COL la Commissaire en otage ?

Lors du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, une élue au Parlement Européen, Présidente du Parc du Pilat, avait affirmé que le projet de COL était en contradiction avec le Livre Blanc, citant le nom de la Commissaire pour appuyer ses dires. Cette façon de citer ses puissantes relations et d’affirmer sa propre interprétation des positions de la Commission Européenne est évidemment abusive, mais elle renvoie à un usage classique de l’ « autorité ».

C’est un cas d’école d’instrumentalisation d’un document public (ici : européen) de référence fixant une sorte de « doctrine » s’imposant à toute étude ou tout projet – des « Tables de la Loi » en quelque sorte.

Sur le fond, il s’agissait pourtant d’une contre-vérité flagrante : le Livre Blanc fixe comme objectif la maîtrise du trafic routier et un rééquilibrage modal vers le ferroviaire. De ce point de vue, le double projet présenté au débat (les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon) se situe parfaitement dans ce cadre : le COL n’est pas destiné à augmenter le trafic de transit (ne serait-ce qu’en raison du déclassement de l’actuelle traversée A6-A7 par Fourvière) et le contournement ferroviaire de Lyon est évidemment un moyen important de report modal de la route vers le fer.

Ce genre d’assertion, exprimée et écoutée en raison de la représentativité de l’élu(e), montre bien que n’importe quoi peut être dit lors d’un débat, soit en raison de la fonction du locuteur, soit de son appartenance ou de son statut de « citoyen », « habitant » ou « riverain » (surtout s’il se présente comme victime).

Le Président de la Commission particulière du Débat Public avait demandé à un représentant de la Commission Européenne de venir présenter le livre Blanc sur la future politique commune des transports140

Comme on le sait, ce Livre Blanc part de prévisions inquiétantes sur l’accroissement du trafic (d’abord du fret) et la prééminence croissante de la route. La Commission préconise une augmentation aussi limitée que possible du trafic (la « maîtrise de la mobilité » et surtout « un rééquilibrage substantiel du transport en faveur du rail, des voies navigables et des transports publics de passagers.. afin de stabiliser la part du routier en 2010 à son niveau de 1998 ».

Ces objectifs justifient au moins le principe de nouvelles infrastructures permettant l’accroissement du trafic de fret ferroviaire que les infrastructures actuelles ne permettent pas dans de bonnes conditions. D’où une priorité dans les financements au niveau européen comme au niveau des Etats.

Au niveau de l’exploitation de ces infrastructures ferroviaires, la Commission préconise à la fois : • des mesures contre l’expansion illimitée du trafic routier « en particulier, l’assainissement du secteur routier de transport de marchandises (et) l’harmonisation et l’application des sanctions contre les comportements qui mettent en danger les autres usagers de la route ou faussent la concurrence ». Le Livre Blanc reprend surtout le principe d’une « vérité des coûts » (globaux) qui rétablirait l’égalité entre route et fer (à un niveau plus élevé évidemment, mais ceci n’est jamais vraiment explicité) • l’ouverture à la concurrence des infrastructures ferroviaires et le développement de l’intermodalité

140 « interview » d’Alain Baron, administrateur auprès de la Commission européenne, lettre du Débat Public n° 4, janvier 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 92/160

Dans un argumentaire parfaitement circulaire, ces positions de la Commission (« actées » en tant que politiques communautaires) justifient et nécessitent impérativement les infrastructures ferroviaires projetées et la « discrimination positive* » en faveur du fret ferroviaire par rapport au mode routier. * terme non employé par la Commission

A la limite (c’est ce qui s’est passé lors du récent débat public), le mérite intrinsèque du ferroviaire par rapport au routier est tellement évident qu’il est indiscutable. Ne reste plus à débattre que de ses modalités, presque uniquement d’ailleurs au seul niveau qui intéresse les « acteurs » locaux, l’infrastructure et ses impacts ou inconvénients.

Les amis du vignoble & les experts de la viticulture

Le COL devrait passer (de façon très marginale, puisqu’en tunnel sur la plus grande partie) par le vignoble des Côtes Rôties – tout comme le premier projet de l’A89 passait en territoire beaujolais. De ce fait, le projet de COL avait été soumis par le Préfet (responsable des 2 premiers débats) à l’avis de l’INAO, obligatoire pour tout projet « ayant une emprise » dans une zone AOC de vignobles. Un représentant de l’INAO participant (à l’invitation de la Commission particulière du Débat Public) à l’une des réunions publiques avait donné 3 exemples pour lesquels l’intervention de l’INAO avait permis de « préserver des vignobles » : la ligne TGV dans la vallée du Rhône, la ligne TGV Paris-Bordeaux (les rails ont été montés sur des supports en caoutchouc pour éviter les vibrations dans les caves des producteurs) et l’interdiction d’un projet d’usine de stockage de gaz en Corse.

On peut remarquer qu’il n’aurait pas été aberrant d’étudier l’économie viticole et son rapport au territoire concerné, ce qui aurait peut-être amené à relativiser le danger du passage en tunnel du COL pour la viticulture régionale par rapport à d’autres (surproduction, déficit de qualité, manque de compétitivité, pollutions d’origine viticole, etc). 141

Mais il est évident qu’une telle proposition n’avait aucune chance d’être évoquée lors du débat ni suivie par la Commission particulière du Débat Public.

L’impact du COL sur l’arboriculture : les fruits rhôdaniens au péril du tunnel sous le Pilat ou de la concurrence sud-européenne ?

Les producteurs de fruits des Coteaux du lyonnais (territoire d’une arboriculture productive et moderne, source d’emplois) ont exprimé leurs craintes de perte de terrains et destruction de vergers irremplaçables d’une part, de difficultés d’accès à certaines parcelles ou pour l’irrigation d’autre part.142 On sait pourtant que les rétablissements de réseaux agricoles sont systématiquement assurés lors des projets autoroutiers – les agriculteurs étant prioritaires par rapport à d’autres « usagers » comme les randonneurs.

Ces arboriculteurs craignaient également que, malgré les restrictions des POS, les effets du COL sur la « pression foncière » rendent impossible l’installation de jeunes arboriculteurs. Il nous semble cependant que, même sans COL, cette pression est déjà très forte et connaît maintenant une nouvelle extension en 2ème couronne de l’agglomération lyonnaise. Ils argumentaient sur les effets négatifs du COL et des infrastructures autoroutières, notamment quant aux exigences des cahiers des charges de certains clients (ex : fabricants d’aliments pour bébé) qui imposeraient une distance minimale des vergers par rapport aux grandes voies de circulation. Ils y voyaient le risque de faire « disparaître 80% de la production fruitière du département du Rhône » menacée par la concurrence espagnole.. Rappelons cependant que le COL sera en grande partie en tunnel.

141 Etude de l’Agence de Bassin Rhône-Mediterranée-Corse de juin à août 2000, d’après Le Progrès du 28 juin 2001. 142 Contribution de la fédération des Producteurs de Fruits du Rhône, cahier N° 22. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 93/160

Le principal danger pour l’agriculture : moins les nouvelles infrastructures que la péri-urbanisation

Au questions ou objections concernant la menace que feraient peser sur l’agriculture les infrastructures projetées, le CETE rappelait que la consommation d’espace par la péri- urbanisation est bien plus forte que celle due aux infrastructures, des zones constructibles nouvelles étant d’ailleurs prévues dans le PLU d’une commune citée en exemple143. C’est l’analogue des opposants à l’extension de l'aéroport de Lyon-Satolas qui sont par ailleurs plus ou moins favorables (voire acteurs) de la poursuite de la péri- urbanisation dans ce secteur. En réponse à des allégations d’opposants selon lesquelles 300 ha seraient pris par le COL au détriment de l’agriculture, la DRE avait rappelé qu’en moins de 20 ans, la surface urbanisée de la région lyonnaise est passée de 28447 ha à 35821 ha, soit 7373* ha consommés ; le COL ne représenterait que 1 an de consommation par l’urbanisation. * données DRE (sans doute arrondies)

Cette consommation par l’urbanisation n’a pas été l’objet de questions de la part des opposants, sans doute ambivalents à divers titres : • les agriculteurs sont souvent également des vendeurs de terrains à construire (des pavillons) • les résidents, surtout les nouveaux, qui ont « choisi » l’Ouest lyonnais ont bénéficié de cette péri-urbanisation

La traversée du parc naturel régional du Pilat : quel Pilat ?

Le projet de COL comporte une traversée en tunnel (plus ou moins longue et continue) sous le Pilat. Cette traversée n’avait pas été évoquée lors du précédent débat « Barnier ». La DIREN avait porté à l’attention du Préfet la nécessité d’inclure dans la DTA la protection du parc du Pilat. Notons que le responsable de cette proposition est depuis devenu responsable du dossier du COL à la DDE.

Mais la définition de ce territoire pouvait être entendue comme le périmètre administratif des communes associées dans le parc ou comme le territoire naturel à protéger. L’expert suisse a bien pointé le caractère peu pertinent (du point de vue des espaces naturels nécessitant une protection) du périmètre (administratif) du parc, puisque des zones fragiles de grand intérêt sont en dehors de ce parc.

On voit bien que, à chaque moment et sur chaque point, il faut faire une lecture nécessitant une bonne connaissance du projet et du territoire, au moins pour formuler les bonnes questions ou comprendre les implications des décisions prises.

143 Contournement autoroutier et agriculture (article du responsable des études d’environnement au CETE de Lyon), lettre du Débat Public, n° 5, janvier 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 94/160

Des problèmes & questions sans bonne réponse : nuisances & souffrance pour les riverains

les nuisances pour les riverains ont-elles un prix ? des mesures incommensurables mais toutes les mesures sont prévues

D’inévitables nuisances qui n’ont pas de prix

Les infrastructures (y compris ferroviaires) provoquent d’inévitables nuisances qui, pour une proportion importante (ou la quasi-totalité) de ceux qui les subissent, n’ont pas de prix – même s’ils acceptent ensuite une sorte de pretium doloris en compensation.

B. Faivre d’Arcier se demande comment faire accepter aux habitants les dégradations de l’environnement et du cadre de vie. Sachant que l’on ne trouvera jamais de solution satisfaisant tout le monde, il faudrait prendre en compte les gagnants, mais aussi les perdants en mettant en œuvre une stratégie d’accompagnement et en expliquant en quoi consiste l’intérêt général de l’opération.144

Toutes les précautions sont prises la maîtrise d'ouvrage n’a pas besoin d’autres expertises

La réponse (anticipée) de la maîtrise d'ouvrage aux opposants (aux riverains d’abord) est de rappeler qu’à l’égard des inévitables nuisances, toutes les précautions ont été prises et seront prises puis contrôlées – d’abord par le Cahier des charges qui « impose.. de remplir les obligations fixées par le Gouvernement par rapport à l’objectif et aux contraintes d’environnement ». Cela permet aux services de l’Etat d’affirmer en toute bonne foi (mais là n’est pas la question) que « Jamais un dossier d’infrastructure n’a été abordé dès le départ avec de telles précautions »

Des points de vue incommensurables : l’expert, le « riverain » ou l’« habitant » souffrant

Les réunions publiques ont été l’occasion pour les riverains de crier leur inquiétude et leur souffrance auxquelles la maîtrise d'ouvrage ne peut répondre, mais qu’elle ne peut refuser d’entendre, sauf à se montrer inhumaine (en quelque sorte). Ainsi, lors du débat déconcentré DUCSAI à Lyon en juin 2001, « Une habitante d’une commune située à proximité de l’aéroport.. évoque les perturbations occasionnées par le survol des avions sur le rythme biologique des enfants scolarisés dans une école située à proximité de l’aéroport de Lyon- Saint-Exupéry » selon le compte-rendu en « langue de bois » du Président de la CNDP.145

Mesurer le bruit des avions ou la souffrance des riverains ?

Les processus d’étude et de consultation préalables ou parallèles aux décisions impliquent de plus en plus de consultations avec des organismes divers. Ainsi, l’ACNUSA doit prendre l’avis Commission consultative de l'Environnement de l'aéroport de Satolas.

144 Entretien avec Bruno Faivre d’Arcier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, chercheur au LET, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». 145 Chargable sur le site DUCSAI http://www.ducsai.org. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 95/160

Les études ou modélisations dont sont issus l’IP et son futur remplaçant, le LDEN mesurent (indirectement, par reconstruction) les nuisances subies par les riverains. Mais ces indicateurs ne mesurent pas forcément leur vécu et, surtout, leur souffrance qui est certainement réelle comme l’illustrent de temps à autres des reportages télévisés auprès de riverains du TGV Méditerranée ou des aéroports (Satolas, Orly ou CDG*).146 * Charles de Gaulle(Roissy)

Un chercheur spécialisé dans ces questions qui avait réalisé une recherche sur l’évaluation « psycho-acoustique » de la gêne des riverains d’aéroports concluait que « la gêne due au bruit des avions ne s’épuise pas dans l’acoustique.. Pour une bonne part, elle est due au sentiment des riverains d’avoir affaire à une politique d’expansion des aéroports qui ne tient aucun compte réel de leur souffrance, ni de la dégradation de la qualité de vie ».147

De ce point de vue, il n’y a pas de commune mesure entre le bruit tel qu’il peut être évalué ou mesuré par la maîtrise d'ouvrage ou les exploitants (aéroports ou compagnies aériennes) et les riverains. Aucun « technicien », chercheur ou expert ne peut évaluer « objectivement » des nuisances – du moins sans être soupçonné de faire le jeu de la maîtrise d'ouvrage au détriment de la réalité vécue par les riverains.

Interdire les vols de nuit ? supprimer les transports pour en éviter les nuisances

Les opposants à l'aéroport de Lyon-Satolas ont constamment demandé la restriction, voire l’interdiction des vols de nuit.

L’ACNUSA leur a apporté des arguments, puisque « Considérant que la gêne la plus forte est celle qui trouble le sommeil et empêche le repos, l’ACNUSA aurait pu recommander l’arrêt des vols de nuit ». Elle admettait toutefois que « cette préconisation n’apparaît pas plausible à l’heure actuelle de façon unique au sein de la communauté européenne (sic) et uniforme sur tout le territoire national ». L’ACNUSA a donc défini un maximum équivalent à 85 dBA en dehors des zones A et B des actuels PEB qui « sera progressivement abaissé dans les années futures pour tendre vers une nuisance zéro , voire vers l’interdiction totale (sic) ».148

On comprend que les riverains de l'aéroport de Satolas comme les nombreuses associations de riverains instrumentalisent ce genre de position, bien qu’elle ne fût pas encore entérinée par une loi ou une réglementation, malgré des projets de loi présentés durant la réalisation de la présente recherche.

Le COL & la pollution de l’air à Lyon : des risques analogues à ceux des antennes de téléphonie mobile ou des OGM ?

Les opposants au COL ont évoqué les effets du COL sur la pollution de l’agglomération lyonnaise avec des arguments n’allant guère au-delà de lapalissades (si des camions passent sur une autoroute, cela produit de la pollution autour). Ainsi, les vents soufflant d’Ouest en Est et rabattant la pollution du COL vers l’agglomération. Le Président de la Commission particulière du Débat Public avait proposé de demander à un spécialiste de la météo de venir, ce qui n’a pas été fait. Mais, d’après la COPARLY, il n’y aurait que 15% de vents d’Ouest en région lyonnaise - d’ailleurs relativement peu touchée par la pollution atmosphérique en raison de vents forts et fréquents.

146 Nos archives vidéo. 147 voir : hhtp://ufcna.com/BernardBarraqueDOC.html 148 Communiqué ACNUSA du 18/4/2001. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 96/160

Encore des risques, malgré toutes les études

L’exemple des dangers supposés des antennes de téléphonie mobile montre bien qu’aucune preuve ou étude sur le seul plan rationnel ne répond à des craintes irrationnelles.

D’après un spécialiste149, 946 études auraient été réalisées (à fin 2000), permettant de conclure, dans l’état actuel de la science, qu’il n’y a aucun danger pour la santé des riverains. Pourtant de nombreux élus (ex : le Maire de Dijon) ont pris des mesures d’interdiction d’installation d’antennes aux abords de certains lieux supposés à risque (écoles, etc).

C’est un bon exemple du fait qu’ aucune étude ou expertise n’est de nature à rassurer des opposants de bonne foi inquiets (de façon plus ou moins diffuse ou précise) – encore moins de faire taire ou reculer des opposants qui sont opposés par principe ou pour des raisons plus ou moins avouables à un projet.

Une nouvelle contrainte : les risques industriels & les tunnels

Les opposants font « flèche de tout risque » en tirant parti du climat d’inquiétude généralisé. Ainsi, lors du récent débat public, 2 catastrophes récentes ont été évoquées : • l’explosion d’AZF à Toulouse, pour argumenter du risque du passage de l’A7 par la « vallée de la chimie » au sud de Lyon, donc de la nécessité de déclasser cette liaison en tant qu’autoroute de transit, même si l’étude montre que la nouvelle infrastructure réduit le risque par rapport à l’A7 actuelle empruntant cette zone de la chimie • les catastrophes (incendies) du tunnel du Mont Blanc et du Gothard, argumentant le refus du COL prévu en tunnel sous le Pilat

Le récent débat public ayant eu lieu alors que les catastrophes du Gothard et du tunnel du Mont Blanc était évidemment dans toutes les mémoires (sa réouverture contestée étant imminente), quelques participants aux réunions ont manifesté leurs craintes à l’égard de la construction d’un tunnel routier sous le Pilat. La maîtrise d’ouvrage (DRE et CETE) avait assuré le public que « toutes les précautions seront prises, après l’expérience du tunnel du Mont Blanc ». 150

Pourtant, les services de l’Equipement semblent avoir des difficultés à traiter les problèmes relatifs aux risques industriels pour les infrastructures passant par des zones SEVESO ou autres zones de risque industriel. Ces problèmes font apparaître quelques différences d’appréciation entre services de l’Etat. Ainsi, DRE et DDE regrettent parfois les « exigences excessives » du MATE. De plus, la DRE et la DDE n’ont pas en interne toutes les compétences dans des domaines qui relèvent de la DRIRE et qui touchent des disciplines (ex : chimie) assez étrangères aux IPC ou ITPE.151

Le récent débat public (comme le débat du MATE) a d’ailleurs montré que d’autres experts ou services (Coparly, Institut de Veille Sanitaire) sont écoutés lorsqu’ils traitent de ces risques, alors que la DDE ou le CETE ne le sont pas, étant a priori perçus comme suspects et partisans.

Un débat sur les risques industriels avait par ailleurs été lancé par le MATE et s’était déroulé (sous la forme de réunions avec des élus, associations et industriels) au 4ème trimestre 2001, au moment du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.

149 Entretien avec le Professeur Goldberg à Antenne 2 le 12/1/01. 150 Lettre du Débat N° 2, novembre 2001. 151 Nos entretiens. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 97/160

Des questions auxquelles on aura la réponse trop tard : le temps de l’expertise & celui du débat

Comment mesurer la pollution de l’air avant & après le COL : on ne sait pas faire actuellement, mais on saura après !

Des opposants ont évidemment questionné la maîtrise d'ouvrage sur les effets du COL en termes de pollution de l’air.

La réponse apportée par le Directeur de la COPARLY* n’a pu les satisfaire, puisque la COPARLY ne procède à des mesures sur la qualité de l’air que depuis 1996, sur un nombre de stations encore limité. La base de données sur l’existant (avec le recul nécessaire pour tenir compte des phénomènes déterminant cette pollution : trafic, conditions météo) est insuffisante et peu pertinente, car elle ne couvre pas bien le périmètre du COL. De plus, la pollution se déplace par rapport à son lieu d’émission et que l’on n’a pas actuellement de modèle satisfaisant de simulation. COmité pour le contrôle de la Pollution Atmosphérique dans la Rrégion LYonnaise (gérant les stations de mesure de la pollution dans l’agglomération)

C’est un bon exemple du décalage entre les attentes (compréhensibles et justifiées) des riverains ou opposants d’une part, la maîtrise d'ouvrage et ses spécialistes d’autre part : • les premiers veulent une réponse immédiate et précise (par exemple : quelle « qualité de l’air » avant / après COL dans telle zone ?) • les seconds ne peuvent pas répondre actuellement s‘ils veulent (c’est le cas) être rigoureux quant à leurs méthodes et honnêtes à l’égard du public

Le temps de la connaissance scientifique et de la mise au point de modèles n’est évidemment pas du tout le même que celui du grand public qui veut avoir « hic et nunc » (au sens littéral du terme : ici, à cet endroit, chez nous et maintenant, tout de suite, à cette réunion) une réponse à ses inquiétudes.

Sur un autre plan, ces incertitudes et la prudence même de la maîtrise d'ouvrage (ou, ici, de l’organisme public responsable du suivi de la pollution atmosphérique au niveau de l’agglomération) laissent la place, dans le contexte de réunions publiques ouvertes, à des affirmations fantaisistes, de bonne ou de mauvaise foi. Ainsi, un opposant affirmait que le COL irait à l’encontre du protocole de Kyoto, ce qui est évidemment faux au moins de 2 points de vue : • les engagements de Kyoto sont pris au niveau national et non local, ce qui n’aurait aucun sens et serait invérifiable • le COL en tant que tel n’augmenterait pas le trafic, mais répartirait autrement un trafic en augmentation supposée maîtrisée. Il devrait en principe réduire la pollution en réduisant les encombrements actuels

La référence aux engagements de Kyoto est d’autant plus tendancieuse que la France est en avance sur ses engagements, grâce au nucléaire et à une croissance relativement économe en énergie fossile.152

Sur un registre analogue, les opposants de l’Ouest au COL (parmi lesquels un élu par ailleurs cadre de l’ADEME Rhône-Alpes) utilisent des arguments analogues. Le COL (ou l’A89, aboutissant dans l’agglomération) serait en contradiction avec : • le PDU (prévoyant une répartition modale plus favorable aux TC, sans garantir explicitement la réduction du trafic VP dans l’agglomération) • le PRQA (relevant de la DRIRE censée collaborer avec la DIREN)

152 D’après les Echos du 4/3/02, l’évolution des émissions de gaz à effet serre a été en France de – 0,2 % de 90 à 99, en avance sur nos engagements de 2008 à 2021. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 98/160

La pollution : des réponses peu satisfaisantes à des questions mal posées ?

Les questions sur la pollution résultant du grand contournement autoroutier de Lyon avaient été sommairement évoquées dans le dossier du 2ème débat « Barnier » en 1999. Ses rédacteurs estimaient que les émissions de NOx et de particules augmenteraient en 2015 (date alors prévue pour la mise en service) : • de 4 % et 5 % dans le scénario Ouest • de 6 % et 4 % dans le scénario Est

Les dossier rappelait l’évidence : ces augmentations seraient « secondaires au regard de la diminution globale prévisible du fait de l’amélioration du parc automobile » 153

Ces estimations étaient présentées sans détail des méthodes de calcul et des hypothèses – contrairement à l’expertise réalisée au cours du récent débat public sur l’impact du passage sous le Pilat, qui explicitait la méthode et les paramètres.

Même s’il y a une différence normale entre des résultats présentés dans un dossier (plus léger que le dossier du récent débat public et ses nombreuses annexes), on voit bien un changement de niveau dans le traitement des questions : le récent débat public, répondant à des interrogations (ou accusations) des opposants au COL a nécessité au moins une réponse plus précise.

Du point de vue des opposants (ou, tout simplement, de tout ceux qui sont concernés par un projet), il existait bien un certain « déficit » d’expertise en matière d’environnement – ce que confirmait la maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d’œuvre.

Les effets positifs du COL & du contournement ferroviaire de Lyon sur l’environnement : quelles études ou mesures ?

En charge des questions d’environnement, la DIREN attendait, après examen du dossier (élaboré en commun avec la DRE) des effets positifs du COL et du contournement ferroviaire de Lyon154

Pour le DIREN, le COL pourrait voir « un certain nombre d’effets positifs, en réduisant le volume de population exposée au trafic de transit - et donc en diminuant des nuisances et des pollutions ». Toutefois « cela suppose que l’on maîtrise bien le développement urbain le long de l’axe que l’on va créer et que la voirie libérée sur les pénétrantes autoroutières (A6 et A7) soit mobilisée pour améliorer les transports collectifs urbains ». Le DIREN renvoyait à la « maîtrise de l’étalement urbain.. facteur de succès essentiel à la réussite du contournement autoroutier » - d’où le parti de limitation drastique du nombre de diffuseurs. Bien évidemment, le DIREN était favorable par principe au ferroviaire en raison de sa contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

On en reste ici à des objectifs louables mais dont le réalisme et les conditions de réalisation ne sont pas ou mal explicitées.

Il nous semble notamment que la logique actuelle poursuite de la péri-urbanisation autour de Lyon, à des distances de plus en plus grandes, n’est pas vraiment évoquée ici, alors qu’elle est l’un des principaux problèmes posés par le COL et ses conséquences (déclassement de la traversée autoroutière de Lyon).

153 Contournement autoroutier de Lyon, dossier pour le débat, Préfecture de Région Rhône-Alpes, mars 1999, page 55. 154 intervention de François Duval, adjoint au DIREN, cahier du Débat Public n° 6, janvier 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 99/160

De plus en plus d’experts & d’expertise : à chaque question, un expert ?

Les projets d’infrastructures donnant maintenant lieu à débat (parfois à 2 débats successifs, comme le nouveau contournement autoroutier de Lyon) mobilisent des experts de plus en plus nombreux et divers.

La multiplication des experts des expertises, des avis & des études

Ces dernières années, on observe à propos des projets d’infrastructures de tous types (autoroutes, mais aussi lignes THT, extensions d’aéroports, etc), une multiplication des expertises et/ou des avis ou études. On peut y voir plusieurs raisons. Notamment :

• les problèmes sont « complexifiés », tant par les réglementations que par l’extension des domaines pris en compte, souvent à l’initiative des divers services de l’Etat – parfois en situation concurrentielle entre les MELT et MATE, le second voulant faire prendre en compte non seulement les problèmes relevant de ses compétences, mais aussi faire passer ses positions nettement plus défavorables aux grandes infrastructures routières et aéronautiques

• les multiples demandes, critiques ou craintes de la « société civile » (plus que des élus ou services de l’Etat) exigent des réponses irréfutables (ex : la protection d’un papillon rare, du vignoble des Côtes rôties, la réduction du nombre d’accidents sur la rocade Est ou la trajectoire des avions à Satolas dans le cas lyonnais)

• une logique de « sécurité », non seulement juridique (contre d’éventuels recours, se multipliant actuellement), mais à la fois institutionnelle (précaution et responsabilité en cas de problème ultérieur, même imprévisible) et politique (acceptabilité par la « société civile »). En répondant à toute question par une expertise (du moins une étude) et, si possible, une mesure, les porteurs du projet (Préfet et services, mais aussi Ministre) montrent au moins que toutes les objections ou questions ont été entendues et que tous les problèmes connus ont bien été vus

• de même, la multiplication des exigences et réglementations (selon le processus classique de stratification et de complexification réglementaire) produit inévitablement des études et dossiers de plus en plus complexes – donc de moins en moins compréhensibles et de plus en plus difficiles à évaluer. Paradoxalement, cela implique de nouveaux médiateurs ou experts – voire des professionnels de la communication (exemple des expositions ou réunions publiques pour la rocade Est155 ou l’A89)

• les études nécessaires (obligations réglementaires, pas toujours parfaitement claires) se multiplient : étude socio-économique prévue par la LOTI de 1982 avec laquelle l’étude d’impact au titre de la loi sur l’Air de 1996 ne devrait pas faire double emploi. Mais les modalités d’application de cette « étude d’impact des coûts collectifs des pollutions et nuisances et autres effets sur la santé » n’ont été définies qu’à mi-98 (les coûts devant être chiffrés s’ils sont quantifiables par une évaluation monétaire)

155 Cf , notre étude sur le suivi des réunions publiques organisées à l'occasion de l'enquête publique relative au contournement Est de Lyon et au boulevard urbain sud, pour la DDE du Rhône, 1988. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 100/160

D’autres questions se posent – notamment les difficultés à évaluer et quantifier certains phénomènes : l’escalade réglementaire amène à définir des exigences alors que l’on ne sait pas forcément mesurer des effets.

Cela ouvre à chaque fois de nouveaux champs d’expertise, donc le recours à de nouveaux experts – ainsi des épidémiologues (cf les récentes recherches sur la surmortalité supposée lors des pics de pollution). Mais l’expertise est parfois encore incertaine, les experts étant eux-mêmes divisés, alors que l’expertise liée à une décision doit être autant que possible univoque (exemple : quand et où faut-il limiter ou interdire tout ou partie de la circulation des voitures et poids lourds en cas de pollution ?).

Prolifération d’expertises & désignation des experts

Une autre question se pose, la distinction entre • des experts (supposés connaître parfaitement un domaine plus ou moins étendu et pouvoir formuler un avis aussi incontestable que démontré) • et les nombreux « acteurs », aussi bien parmi les élus que parmi les opposants qui sont à des degrés divers de bons connaisseurs des questions discutées et, parfois, d’un niveau de connaissance ou d’expertise équivalent aux hommes d’études (ingénieurs ou autres) ou experts intervenant pour le compte de l’Etat et de ses partenaires (RFF, SNCF, concessionnaires).

L’expert ne se définissant pas seulement par ses connaissances scientifiques ou professionnelles, mais d’abord par sa légitimité qui devrait faire accepter par tous son avis, le « recrutement » de ces experts se fait en pratique dans des milieux assez restreints et dans des catégories de professionnels qui offrent divers « labels » qui en garantissent en quelque sorte la compétence, l’indépendance et la sagesse (au sens de « sage »).

On retrouve ainsi un certain nombre de personnalités de la recherche ou de certaines institutions dans un nombre important d’instances. Même si leurs qualités sont réelles, cela renvoie bien au critère principal : leur crédibilité et leur légitimité. Les universitaires et chercheurs des grands laboratoires publics (ex : INRETS, CNRS, etc) sont les plus sollicités. Les grands corps de l’Etat (Conseil Général des Ponts, Conseil d’Etat, etc) sont également « sur-représentés », leurs membres devenant souvent experts en fin de carrière. Les cas de figure courants sont ceux de l’IGPC honoraire (ou du TPE à la retraite, à un niveau plus modeste et plus local), du Préfet ou du magistrat à la retraite.

La prolifération des expertises pose des questions quant à la reconnaissance des experts, qui est bien un enjeu aussi bien pour le commanditaire (l’exemple le plus cocasse étant le choix de 3 experts successifs pour donner un avis sur le financement des retraites) que pour les candidats potentiels (les « nominés » en franglais à la mode).

Là encore, la reconnaissance et la renommée priment sur la compétence et la « valeur » au sens de l’évaluation d’un chercheur par ses pairs de la même discipline. Une bonne illustration en a été donnée lorsque le Conseil de Paris avait désigné comme expert un des siens, professeur en médecine réputé, afin de savoir ce que Paris devait faire devant la crise de la « vache folle » (servir ou non du bœuf, même « français » aux enfants des cantines scolaires): que ce célèbre professeur fût un cardiologue ne semble pas avoir entraîné des doutes sur son expertise.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 101/160

Enfin, la composition des diverses commissions, aussi bien de réflexion et de recherche (ex : la commission « Boiteux » du Plan) que pour les débats (ex : la Commission du Débat Public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon) répond non seulement à critères de compétence reconnue, mais aussi à des principes plus « politiques » d’équilibre et de diversité, ainsi que de réputation ou de notoriété.

Ainsi, la Commission particulière du Débat Public à Lyon comprenait : • un Président ex Président de la Cour d’Appel de Lyon • un IGPC • une universitaire, Directrice d’un Institut de recherche sur l’environnement d’une université lyonnaise • un ancien responsable régional de la SNCF (maintenant à la retraite) • une personnalité lyonnaise plus connue pour son implication dans la vie lyonnaise et les quartiers de la Renaissance que dans le domaine des transports, sans doute désigné pour figurer la « société civile »

Plusieurs de ces personnalités pourraient être des experts, bien que cela ne fût pas leur mission dans le cadre de la Commission du Débat Public, puisque c’est à son Président que revenait la rédaction du rapport en fin de débat, le Président de la Commission Nationale (conseiller d’Etat) y ajoutant sa synthèse personnelle.

Les ingénieurs & les économistes concurrencés ?

Jusqu’à la période actuelle, on sait que les professionnels et experts intervenant dès l’amont dans les projets d’infrastructures (notamment routières et autoroutières) appartenaient à un milieu restreint de disciplines, corps ou métiers. C’est évident (et compréhensible) pour les ingénieurs (une infrastructure routière comprend des ponts et des chaussées !), mais joue aussi pour d’autres fonctions ou tâches (évaluation économique notamment). On constate toujours la prédominance (voire l’hégémonie) des ingénieurs et des économistes (au sens de praticiens du calcul économique partagé entre ingénieurs et « vrais » économistes) - il est d’ailleurs significatif que certains des experts soient des ingénieurs de formation, venus à l’économie par le calcul.

Expertise à répétition & décision impossible : nouvelles questions, nouveaux problèmes ou nouvelles normes

Les projets concernant les infrastructures de transport se développent dans un contexte en évolution – notamment du point de vue réglementaire. Ainsi, l’élaboration du PEP de l'aéroport de Lyon-Satolas (en 2001) avait failli être remis en cause par l’ACNUSA en raison de la mise au point en cours d’un nouvel indicateur des nuisances sonores en remplacement de l’indice psophique.

La maîtrise d'ouvrage (ici : la DDE en collaboration avec la DGAC) était exposée au risque de devoir refaire le PEB si la loi prévue est rapidement adoptée et promulguée (arrêtés et circulaires d’application). Toutefois, dans le cas de l'aéroport de Lyon-Satolas, il devrait y avoir peu d’incidences, alors que l’éventuelle (voire probable) nouvelle norme serait très contraignante pour d’autres aéroports comme Toulouse où des quartiers entiers, relevant de la politique des la ville, seraient classées en zone de bruit.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 102/160

Ce nouvel indicateur (LDEN) permet de comparer le bruit autour d’un aéroport avec celui d’autres infrastructures (y compris ferroviaires). Plus proche de la réalité des nuisances subies, il pondère plus fortement le bruit en fin journée/début soirée (« Evening » du LDEN) particulièrement pénible pour les riverains. Ce nouvel indice pourrait avoir des incidences complexes pour les services de la maîtrise d'ouvrage (DDE/DGAC). Ainsi, lors de l’étude du PEB de l’aéroport de Lyon-Satolas, l’ACNUSA recommandait que la zone C soit définie par un IP de 73 comme Paris Charles de Gaulle contre 78 ailleurs et la zone D (en attente d’un décret) par un IP entre 69 et 73 pour aéroport de Lyon-Satolas et Roissy (78 ailleurs).

Copernic ne participait pas aux débats : nuisances & mesures des nuisances

Il est remarquable que la question du bruit ait été traitée d’un point de vue essentiellement technique et réglementaire, à travers des modèles de calcul de nuisances rendant mal compte des nuisances ressenties subjectivement, mais aussi de la réalité du bruit – par exemple celui des trains ou des avions dont on calcule un « indice » ou un équivalent journalier (LDEN maintenant) sans rapport démontré avec la perception des riverains.

Plus fondamentalement, il y a un hiatus entre 2 approches : • une approche des bruits émis (ex : normes de bruits des VP), basée sur des mesures (forcément arbitraires, puisqu’il faut bien un protocole). Il n’existe pas de norme pour le fer, sous divers prétextes • une approche normative qui fixe un plafond et un indice calculé du cumul quotidien du bruit auquel sont soumis les riverains

La référence à Copernic n’est ici qu’une façon de se demander s’il ne serait pas possible de renverser la question des nuisances, en fixant des plafonds et en les sévérisant. Par exemple : • des normes de bruit et de pollution très sévères pour le PL • des normes de bruit mesuré au sol pour les avions • des normes de bruit roue/rail pour le fer

Il en découlerait une autre problématique à l’égard des inévitables nuisances des infrastructures et des modes utilisateurs. Notamment la fixation d’ « enveloppes » (de bruit, d’émissions, voire d’accidents) imposées à une infrastructure et à un mode.

Cette problématique avait été évoquée lors du débat DUCSAI : certains proposaient de fixer un nombre de mouvements en référence au bruit des avions, en forte diminution avec les générations récentes d’avions. Cela pourrait valoir pour le bruit des trains (susceptible de très fortes réductions que la SNCF n’a guère d’incitations à exiger des fabricants de matériel et de RFF).

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 103/160

L’Etat maître d'ouvrage & garant de l’utilité publique ses spécialistes & ses experts

Pour l’Etat, d’abord pour le Préfet, puis les fonctionnaires responsables des services déconcentrés (notamment DRE), enfin pour les services chargés des projets (Ingénieur grands travaux et Ingénieur d’arrondissement urbain), l’étude et le débat sur les projets dès l’amont exige plus que jamais des compétences ou savoir-faire (plutôt que de l’expertise) pour faire face à l’évolution de leurs missions de maîtrise d'ouvrage et de définition ou défense de l’« intérêt public » au sens positif (ex : une extension d’aéroport à préserver) ou négatif (ex : protéger les riverains de cette extension et empêcher des constructions pourtant souhaitées par des communes).

Cela fait apparaître de nouveaux manques, notamment en matière d’environnement : non seulement le MATE (et les opposants, riverains ou non) exige plus d’études, mais la capacité d’expertise (ou tout simplement la capacité d’études) disponible est insuffisante – le maître d'ouvrage ou maître d’œuvre (ex : CETE) trouve difficilement des organismes et professionnels compétents et reconnus ; de plus, ces spécialistes sont parfois jugés trop chercheurs et/ou militants.

Préfet, services de l’Etat & concessionnaire un renouveau du « métier » de Préfet & de Ministre

L’autre nouveauté (qui n’en est évidemment pas une) est la redécouverte (quelque peu forcée dans le cas des divers contournements de Lyon) du rôle, de la place et en fin de compte du « métier » de Préfet – notamment de l’animation d’une négociation plus ou moins diffuse entre une multitude d’acteurs et intérêts contradictoires –voire inconciliables s’ils s’exprimaient sous la forme d’une variante (projet ou contre-projet) répondant à leurs critères. On retrouve le rôle traditionnel du Préfet de faire avancer des décisions, du moins de laisser des options.

Nous avons évidemment constaté (comme indiqué dans le projet de recherche) que le cheminement des projets d’infrastructures (débat, processus de décision), mais aussi l’exploitation et les aménagements d’infrastructures existantes (comme la rocade Est) ont fait l’objet d’une sorte de « montée en politique » (au sens de : au-delà du niveau technique ou économique du projet proprement dit) parallèle à la « montée en généralité » des opposants ou intervenants : débat et décision sont (re ?)devenus politiques.

En témoigne d’ailleurs le fait que le débat et la négociation, puis la décision de la part de l’Etat ont été nettement repris par le Préfet (au niveau régional) et le (ou les) Ministre(s). C’est flagrant dans des opérations comme le grand contournement Ouest de Lyon (le principe de ce contournement, à l’Ouest et non à l’Est, est une décision d’Etat) ou l’extension de l’aéroport de Satolas à préserver.

Cela ne dépend pas simplement de la personnalité du Préfet (d’autant que plusieurs « grands Préfets » se sont succédés à Lyon), ni de Ministre (même si le Ministre des transports au moment du débat d’était engagé fortement et surtout clairement), mais du contexte – notamment le passage par le débat public très en amont du stade de l’APS (autoroutes) et de l’EUP ou de l’APPM* (aéroport de Saint Exupéry). * Avant-Projet de Plan de Masse

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 104/160

Cela ne joue pas que pour les infrastructures, mais pour tous les projets ou mesures engageant la responsabilité de l’Etat. Ainsi, le Préfet de Rhône-Alpes a eu à traiter parallèlement au débat sur le grand contournement Ouest de Lyon et l’A89 d’autres problèmes analogues (notamment par leurs implications en termes de rapport décision publique /expertise) renvoyant à des notions de risques et de « principe de précaution » : • les épisodes à rebondissement de l’ouverture d’un laboratoire de recherche sur les germes dangereux ont probablement autant occupé (ou préoccupé) le Préfet que le débat d’opportunité sur le grand contournement Ouest de Lyon (débat Barnier) • la mise en service d’un « pipeline » passant près de l’aéroport de Lyon-Satolas et de l’A46 sud • l’ouverture d’une nouvelle unité chimique dans une usine (depuis longtemps) en ville, à Lyon

Le Préfet, agissant sur instruction du (ou des) Ministre(s) et s’y référant, doit prendre ou appliquer des décisions au nom de l’Etat et de l’intérêt général (à la fois au sens politique, au sens géographique et pour les générations futures) à partir de connaissances ou expertises produites par ses services ou par d’autres. Le Préfet, tel un des missi dominici de Charlemagne doit trouver si possible « intérêt général » faisant consensus ou, à défaut de la solution miracle satisfaisant tout le monde, un « juste équilibre ».

Néanmoins, si le Préfet est bien un haut fonctionnaire d’autorité, il doit bien avoir tous les moyens d’étude et d’expertise pour éviter des problèmes – notamment tout contentieux ou tout blocage juridique. Ainsi, dans le cas de l’APPM de l’aéroport de Lyon-Satolas, des incertitudes juridiques sur son application (notamment pour la limitation des zones constructibles) font que le Préfet ne peut passer en force sans un arrêté ministériel après d’autres expériences malheureuses (notamment l’interdiction du trafic PL sous Fourvière, cassée parce que le Préfet n’avait pas de pouvoir de police à ce moment-là). Le Préfet est tributaire de la compétence et de la qualité de ses services. D’autant plus que le risque de contestation (notamment juridique) est accru, les avis de spécialistes ou experts étant parfois contestés ou mis en cause par d’autres spécialistes ou « contre-experts ».

Le Préfet : l’Etat & le gouvernement en province

Durant toute l’histoire du projet de grand contournement autoroutier de Lyon et de ses divers avatars (2 débats Barnier et récent débat public), le Préfet n’a cessé de remplir sa double fonction156 de : • responsable de la coordination des services de l’Etat • porteur du point de vue de l’Etat (notamment de « son » Ministre en charge du projet)

Le Préfet est le garant de la continuité des actions et des positions de l’Etat et de leur cohérence – donc leur crédibilité. Cela n’est pas évident, les gouvernements et ministres s’étant succédés au long de la longue vie de certains projets comme le contournement autoroutier de Lyon. Ainsi, un précédent Ministre* avait promis un contournement autoroutier par l’Ouest. Dès le 2ème débat Barnier, le principe avait été décidé, sur proposition des services de la DRE et de la DDE, d’un COL, excluant donc une variante par l’Est évoquée lors du 1er débat et étudiée pour l’éliminer lors du dernier débat Barnier. * avant J-C Gayssot, Ministre au moment du récent débat public et de l’achèvement de notre recherche

Ce parti a été depuis constamment défendu par les 2 « grands Préfets» successifs restés 6 et 5 ans (avec un court intermède d’un préfet de passage en attente d’une sinécure*) avant l’actuel préfet (au moment du débat). Le même DRE a suivi les 3 débats pour le COL avant de prendre des fonctions de Directeur d’administration centrale. * présidence d’une société d’autoroute

156 Entretien avec Michel Besse, Préfet de la Région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 105/160

NOUS NOUS PERMETTONS D’UTILISER L’EXPRESSION DE « GRAND PREFET » SANS PRETENDRE EVIDEMMENT LES JUGER. IL S’AGIT ICI DE CARACTERISER DES PREFETS REMARQUABLES ET/OU EXEMPLAIRES PAR LA FAÇON DONT ILS ASSURENT LEURS FONCTIONS, DANS LA PREMIERE REGION DE PROVINCE, OU LES ENJEUX POLITIQUES SONT IMPORTANTS A TOUS LES NIVEAUX (GRANDES AGGLOMERATIONS, CONSEILS GENERAUX ET REGION RHONE-ALPES).

Ces « grands préfets » sont d’ailleurs reconnus par leurs pairs et l’Etat, puisque : • l’un d’eux est devenu Conseiller d’Etat et s’est vu confier des missions délicates à ce titre. Il fait en quelque sorte partie des experts de l’Etat (au même titre que les ICPC du CGPC) • l’autre est devenu responsable de l’association du corps préfectoral, responsable du corps et de sa représentation par rapport à l’Etat

Quelle place pour le Préfet dans le débat public ?

Les 2 débats « Barnier » sur le grand contournement autoroutier de Lyon et la concertation sur l’A89 (avant EUP) ou l’extension de l'aéroport de Lyon-Satolas ont illustré concrètement ce qui pourrait être qualifié de savoir-faire ou métier de Préfet (et non d’expertise), en particulier : • ouvrir le débat ou, du moins, la concertation, tout en représentant le point de vue et les priorités de l’Etat (maintenant : de « ses » 2 Ministres) • savoir gérer et garder la cohérence entre plusieurs niveaux et types de débats ou concertations : o celle entre services de l’Etat o celle avec les « grands élus » et leurs services o celle avec les élus « ordinaires » o celle avec les opposants et le « grand public »

Mais le Préfet est d’abord l’interface entre l’Etat (et ses décisions ou positions) d’une part, les « grands élus » et la « société civile » d’autre part. Cela suppose une capacité de négocier et expliquer sans renoncer à l’autorité tenue de l’Etat. Le Préfet de Rhône-Alpes l’expliquait ainsi à l’occasion des débats sur le COL : « je ne crois pas qu’il soit bon de situer ce projet dans un rapport de force. Je ferai tout… pour éviter de.. situer (le débat) dans le cadre d’un rapport de force, dans une confrontation Est-Ouest ou un affrontement politique ».157

La priorité pour l’Etat, maître d’ouvrage est d’assurer la « sécurité juridique » des projets.

Le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon s’est tenu sans la présence du Préfet qui, au contraire, avait personnellement mené les 2 débats précédents avec les seuls (« grands ») élus et autres forces ou institutions.

Le Préfet était bien présent, au 1er rang de la salle, lors de la 1ère réunion. L’animateur lui avait donné la parole. Le Préfet avait simplement expliqué le principe du débat public et rappelé qu’il y avait eu déjà 2 « consultations ». Il attendait de ce « débat contradictoire » et de cet « échange » une solution sortir d’une situation (encombrements, nuisances, accidents, freins au développement de l’agglomération) qui « n’est pas tenable ». La responsabilité de l’Etat étant d’éviter les « blocages » et de traiter les « questions de sécurité » en réservant le Contournement Est de Lyon pour la « desserte de l’agglomération », car le COL n’aura qu’une « fonction de transit ».

157 Entretien avec Michel Besse, Préfet de la Région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 106/160

Une seule voix de l’Etat ou chacun au nom de l’Etat ?

Comme auparavant des réunions de concertation ou des réunions publiques d’information, le débat public risque de faire apparaître des dissonances entre services de l’Etat. Ainsi, lors d’une réunion du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, un chercheur « public » de l’INRETS était intervenu dans salle lors débat ; il avait mis en cause les risques et les problèmes d’environnement posés par le COL. Ce genre d’intervention peut être mal reçu par la maîtrise d'ouvrage. Pour un ingénieur de l’Equipement, cela « décrédibilise l’Etat » - ce qu’il avait vécu lors de la concertation pour un autre projet autoroutier dans une autre région, un Préfet de département ayant contredit publiquement le Préfet de Région.

L’Etat maître d'ouvrage & la Commission particulière du Débat Public

Lors de la préparation du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, le dossier a été préparé par la DDE et la DRE assistées du CETE. Mais il y a eu en quelque sorte une « double commande » avec la Commission particulière du Débat Public qui voulait à la fois valider les documents pour le débat et, si nécessaire, les questions posées.

Par ailleurs, à la différence des 2 débats précédents sur le contournement autoroutier de Lyon, c’est le DRE (ou un Directeur délégué) et non le Préfet qui a représenté la maîtrise d'ouvrage de l’Etat.

La distinction entre le maître d'ouvrage et la Commission particulière du Débat Public permet paradoxalement à l’Etat de garder une marge de manœuvre pour défendre le projet et/ou l’infléchir - d’autant plus que les demandes ou critiques exprimées lors du débat public n’engagent que ceux qui les expriment.

Les services de l’Etat le Préfet & ses ingénieurs

Parmi les services de l’Etat, c’est essentiellement la DDE qui est « en première ligne » dans l’élaboration des projets d’infrastructures , la DIREN étant associée (d’une façon qui semble encore relativement floue, bien qu’obligatoire en principe) et la DRE intervenant à certains niveaux géographiques (ex : DTA) ou politiques (négociations avec les collectivités territoriales). Dans les cas étudiés, 3 autres DDE (Ain, Isère et Loire) sont concernées pour certaines infrastructures (A432 et A45) et associées en tant que de besoin ou en ont la charge (DDE de l’Isère pour l’A48).

Compte tenu de la forte homogénéité des formations (Ponts et Chaussées ou TPE) et de l’existence de corps (IPC et ITPE, en cours d’intégration) entre lesquels il existe une mobilité (ITPE devenus IPC) complétant la circulation entre services de DDE, CETE et services de la Direction des Routes et du SETRA, on peut considérer qu’il y a plus qu’un corpus de connaissances ou de techniques, mais aussi un corpus de savoir-faire, voire une culture.

Cela garantit un très bon niveau des projets et des pratiques difficilement contestable ou égalables par d’autres, a fortiori par les riverains ou opposants, sauf lorsqu’ils sont, comme dans le cas du TGV Méditerranée, de la maison (un ITPE) ou d’un autre grand corps avec sa légitimité et ses connaissances ou savoir-faire.

Dans les conditions actuelles, ces ingénieurs ont dû élargir le recours à d’autres spécialistes sur certains points (ex : études d’environnement) et donner plus de place qu’autrefois à tout ce qui relève de l’information et de la concertation – voire de la communication. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 107/160

Des ingénieurs plus polyvalents : management de projet, concertation & communication

L’expérience de la rocade Est montre bien l’émergence de nouveaux métiers ou de la « polyvalence » - notamment pour les « techniciens » (au premier chef les Ingénieurs « Grands Travaux ») qui ont dû développer leurs « savoir-faire » et pratiques dans le domaine du « relationnel » et de la « communication ».

Le difficile cheminement de l’EUP de la rocade Est l’avait bien illustré, l’Ingénieur de la DDE et (dans une moindre mesure), le chargé d’études du CETE ayant joué volens nolens le rôle d’avocats du projet et de cible des critiques que les élus partisans du projet (ou, du moins, résignés) souhaitaient s’éviter.158

Le CETE : des rôles ambigus & contradictoires le bureau d’études de l’Etat & son chargé d’information

Dans la plupart des infrastructures étudiées ici, le CETE avait élaboré le dossier avec, le cas échéant, des BET sous-traitants. Le CETE est de plus souvent amené à défendre – où, plus précisément, à expliquer et argumenter le parti retenu : l’ingénieur de l’arrondissement urbain de la DDE69 était bien placé pour le constater, puisqu’il avait réalisé le dossier de l’A31 (nouveau contournement de Metz, étudié par J-Y Trépos). Nous l’avions d’ailleurs observé à propos du Contournement Est de Lyon.159

De même, le CETE est amené à réaliser des bilans LOTI pour le concessionnaire, alors que ce même CETE en avait étudié (parfois défendu) l’APS et l’avait éventuellement suivi jusqu’à la DUP et au Dossier des Engagements de l'Etat.

Il y a donc bien une certaine confusion des rôles qui place parfois le CETE en position difficile – surtout lorsqu’il doit défendre un projet que la DDE (par exemple, le Directeur, suivant d’assez loin l’opération) ne maîtrise pas dans le détail (ex : environnement) ou que les élus ne veulent pas assumer publiquement (cas de nombreux élus pour le Contournement Est de Lyon).

Le CETE : compétent ou partisan ? scepticisme ou procès en sorcellerie ?

On sait que les CETE font de plus en plus de maîtrise d'ouvrage dans le cadre de la maîtrise d'ouvrage déléguée aux DRE par la Direction des routes.

Le rôle du CETE a parfois fait l’objet de questions de la part d’opposants, certains suspectant son indépendance, compte tendu de son statut de service de l’Equipement. Un représentant du CETE déplorait l’accusation « injuste » d’un élu lors d’une réunion du récent débat public de ne pas être indépendant de la maîtrise d'ouvrage. Il répondait que les chargés d’étude du CETE sont très indépendants et soucieux de déontologie. Nous pourrions en témoigner après une longue fréquentation du CETE de Lyon – ainsi une étude du CETE en 1985 sur les questions posées par le projet « TEO » à Lyon qui avait mis en doute la conception et la rentabilité du projet et de la concession décidés par le Maire de Lyon et que le Préfet de l’époque n’avait pas pu empêcher.

158 Cf , notre étude sur le suivi des réunions publiques organisées à l'occasion de l'enquête publique relative au contournement Est de Lyon et au boulevard urbain sud, pour la DDE du Rhône, 1988. 159 Notre étude de suivi des réunions publiques organisées à l'occasion de l'enquête publique relative au contournement Est de Lyon et au boulevard urbain sud, pour la DDE du Rhône, 1988. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 108/160

Des opposants considèrent que la maîtrise d'ouvrage et le CETE ne sont pas « objectifs » et renvoient au MATE et à la DIREN tout ce qui est environnement.

On peut se demander si les CETE ne pourraient pas devenir un réseau dans le cadre d’un établissement public indépendant auquel la maîtrise d'ouvrage de l’Etat ou des collectivités territoriales, mais aussi la Commission Nationale du Débat Public ou les « acteurs » pourraient demander études et expertises.

Toutefois, une telle évolution semblait rejetée par la Direction des routes dont les CETE sont le principal prestataire d’études.

Le CETE : un expert institutionnel ou un représentant de la maîtrise d'ouvrage ? l’ambivalence des ingénieurs du CETE & de ceux qui les critiquent

Le rôle des CETE dans l’élaboration des projets est connu, d’autant plus que les CETE font de plus en plus de la maîtrise d'ouvrage déléguée pour le compte des DRE ou DDE auxquelles la Direction des routes a confié le pilotage d’un nombre croissant de projets.

Mais les CETE ont aussi une fonction ambiguë d’expertise, au moins à 2 titres : • ils sont experts et font des études pouvant être qualifiées d’expertise, au besoin en faisant intervenir des sous-traitants (ou, plus exactement, leurs sous-traitants habituels) • ils font des expertises complémentaires ou interviennent comme experts auprès de la maîtrise d'ouvrage, notamment lors des débats ou procédures de concertation ou de suivi

A partir de son observation du projet de l’A32 (prévue pour doubler l’A31), J-Y Trépos160 classe le CETE comme « expert institutionnel », car, dans ce processus d’étude du projet, le CETE n’est pas un acteur comme les autres puisque : • en même temps qu’il répond à une demande, il met en œuvre une procédure, des pratiques, des choix politiques et techniques émanant de l’Etat et qui s’imposent à tous les autres acteurs. • par ailleurs, il détient en exclusivité la plupart des données (études de trafic, etc)

C’est pourquoi J-Y Trépos classe l’intervention du CETE dans la catégorie « expertise d’aide à la décision », par opposition à «l’expertise participante », rappelant que le CETE est généralement le seul « expert » présent et accompagnant l’ensemble du processus d’étude et de décision. Nous avions observé en 1988 lors des réunions publiques sur le projet de Contournement Est de Lyon161 et lors du récent débat public, que le CETE a été interpelé comme un expert parmi les experts.

CETE contre CETE : des opposants qui instrumentalisent les services de la maîtrise d'ouvrage

Un des exemples d’ instrumentalisation de l’expertise et/ou des études est celui du principal regroupement d’opposants au COL.

160 J-Y Trépos, V. Bernat & H. Barisel, Expertise de tracé et traçabilité de l’expertise, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. 161 Notre étude : Suivi des réunions publiques organisées à l'occasion de l'enquête publique relative au contournement Est de Lyon et au boulevard urbain sud, pour la DDE du Rhône, mars 1988. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 109/160

Ces opposants avaient tiré argument d’une étude du CETE Méditerranée sur le « transit international » par la route (enquête aux frontières en 1993), contestaient les données sur le nombre de PL en transit par la région lyonnaise (10000 / jour dont seulement 2300 PL « internationaux ») – données issues des études du CETE de Lyon et présentées par la DRE de Rhône-Alpes lors du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.

Les services de la maîtrise d'ouvrage : MATE & Ministère de l’Equipement et des Transports DIREN, DRE & CETE

Lors du récent débat public (dès sa préparation et des études en amont du dossier présenté), le MATE s’est à la fois associé et distingué du Ministère de l’Equipement et des Transports.

Pour le (nouveau) Ministre de l’Environnement au moment du récent débat public « aucune question n’est taboue »162. La précédente Ministre (depuis 1997) aurait d’ailleurs souhaité que le débat soit l’occasion d’un « examen d’ensemble des grands aménagements prévus dans l’Ouest lyonnais » - y compris le projet de l’A89 (EUP finie), de la liaison A6-A7 et de l’A45 (projets à l’étude), que la Commission Nationale du Débat Public n’avait pas considérée éligibles au débat public pour des raisons réglementaires (cf supra).

Le MATE avait marqué son souci de ne pas traiter seulement des modalités des projets, mais leur opportunité même, puisque le Ministre attendait du débat « qu’il éclaire le gouvernement sur l’opportunité de ces projets et sur les préoccupations à prendre en compte dans leur conception et au moment de leur réalisation »163. Le MATE « a donc souhaité » avec son collègue de l’Equipement et des Transports que « le débat initialement prévu sur le seul contournement autoroutier porte également sur le projet de contournement ferroviaire.. car une approche multimodale paraît nécessaire pour bien traiter les questions de transport dans l’esprit des schémas de service collectifs. ». On peut interpréter ce point de vue comme une sorte de compromis entre « routiers » et partisans du ferroviaire : le projet de contournement ferroviaire de Lyon apparaissant alors comme le « prix à payer » pour accepter le principe du COL – au moins au niveau de l’étude.

Le Ministre de l’Environnement formulait d’ailleurs ses craintes « que la capacité routière supplémentaire résultant du COL.. risque.. de déplacer les bouchons au sud de Lyon et de justifier ainsi la poursuite d’un aménagement autoroutier*, à l’encontre de la priorité accordée au fret ferroviaire dans les schémas de services collectifs ? »164 * élargissement ou doublement de l’A7 dans la vallée du Rhône

L’instruction conjointe METL/MATE partenariat, complémentarité ou inégalité d’expertise ?

En Rhône-Alpes, l’instruction conjointe semble bien fonctionner, à la satisfaction des parties prenantes165. La DRE et les DDE concernées tiennent une commission tous les 2 à 3 mois, associant la DRAF et ses DDAF avec le CETE. Cette pratique va déjà bien au-delà de la circulaire ministérielle n’obligeant qu’à la saisine DIREN à certaines étapes du dossier.

162 « Interview » d’Yves Cochet, Lettre du Débat N° 2, novembre 2001. 163 « Interview » d’Yves Cochet, Lettre du Débat N° 2, novembre 2001. 164 « Interview » d’Yves Cochet, Lettre du Débat N° 2, novembre 2001. 165 Nos divers entretiens. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 110/160

Compte tenu de l’inégalité des moyens déconcentrés du MATE (les DIREN n’ont pas les moyens des DRE, il n’y a pas l’équivalent des DDE au MATE) et du MELT, de nombreuses questions remontent à la centrale et sont traités entre les directions du METL (Direction des routes et DTT) et les directions du MATE en charge des dossiers. Cela peut poser problème pour des débats ou concertations menés au niveau régional.

NB : POUR TOUT CE CHAPITRE, NOUS PRESENTONS NOS ANALYSES A PARTIR D’ENTRETIENS AVEC DES RESPONSABLES DE TOUS NIVEAUX RENCONTRES AU NIVEAU REGIONAL ET CENTRAL. CES POINTS DE VUE N’ENGAGENT QUE L’AUTEUR DU RAPPORT ET N’ONT PAS ETE SOUMIS A LA VALIDATION DES SERVICES DE L’ETAT CONCERNES

Il n’est ni surprenant, ni anormal que nos observations (en réunion publique notamment) comme les documents ou nos entretiens confirment que le MATE se fait d’abord l’avocat du fer contre la route par rapport à laquelle il est a priori très réservé – bien que les opposants aux projets autoroutiers accusent parfois la DIREN de ne pas s’opposer suffisamment à la maîtrise d'ouvrage « routière » de la DRE (perçue comme une sorte de Direction des routes régionale), comme durant le récent débat public.*

Pour certains dossiers, la « double commande » (METL/MATE) devient plus ou moins une « triple commande », la DTT pouvant s’appuyer sur le MATE pour défendre un projet ferroviaire contre un projet ou routier ou faire en sorte que le projet ferroviaire soit en quelque sorte avantagé, comme cela a été le cas dans le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.* * nos observations et nos analyses (pas forcément partagées par ces services), cf supra

Corps & corps ou corps à corps : METL & MATE

La collaboration METL et MATE, maintenant obligatoire et organisée dans le cadre de l’élaboration conjointe, semble bien se passer pour les infrastructures lyonnaises étudiées. Cela paraît être également le cas dans d’autres grands projets comme la LGS.

Un facteur favorable est probablement le fait que les 2 ministères recrutent dans les mêmes corps (IPC et ITPE), les ingénieurs passant du METL au MATE et réciproquement. Ainsi, l’Ingénieur grands projets de la DDE du Rhône vient de la DIREN où il a eu à connaître du COL à un stade antérieur, alors que le DIREN était auparavant DDE dans un département du Massif Central où il a eu à suivre le passage de l’A75. Le MATE n’ayant pas les moyens de constituer un ou des corps qui lui seraient spécifiques doit puiser dans les corps existants et entrer en symbiose avec d’autres ministères ou organismes (ex : avec l’INRA ou l’ADEME). Les DIREN étant moins étoffées que les DRE (s’appuyant sur les DDE, les CETE et le SETRA) doivent trouver des moyens de collaborer d’égal à égal. Ainsi, pour la LGS, concernant 2 DIREN et 2 DRE, le MATE voulait avoir un seul interlocuteur qui a été la DRE PACA représentant le MELT.

L’élaboration conjointe n’exclut pas des divergences entre MATE et MELT qu’elle permet justement de régler ou, du moins, de chercher un compromis. Les services de chaque ministère ont plus que jamais besoin de compétences non seulement dans le champ relevant directement de leurs attributions (faire des projets routiers pour le MELT, veiller à l’environnement pour le MATE), mais aussi dans toutes les « interfaces » avec les compétences du partenaire – aussi bien pour repérer les problèmes posés que pour y chercher des solutions et (selon nous) éviter de se voir imposer des contraintes, des choix ou des solutions.

Avec l’instruction conjointe (qui formalise une pratique antérieure laissant plus de responsabilités au MELT), cela pose également la question du champ des problèmes relevant de chaque ministère, donc des compétences requises.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 111/160

Cela n’est pas forcément évident pour des questions aussi essentielles que les enjeux économiques et/ou d’aménagement du territoire dans les projets ou les évaluations des infrastructures. Par contre, les questions de paysages et d’environnement (au sens de milieux « naturels ») relèvent d’abord de façon plus évidente du MATE.

Mais chaque ministère a son histoire qui fait que les services de l’Equipement raisonnent d’abord dans une logique de conception d’infrastructures, alors que ceux du MATE se sentent encore les défenseurs du paysage et de la « nature ». Les 2 ministères (ici : leurs services extérieurs : DRE/DDE/CETE, DIREN) ont à faire une sorte de « révolution culturelle » qui peut trouver un dénominateur commun dans le « développement durable » - dont la définition et le contenu concrets ne sont pas aussi simple qu’il y paraît.

Ddans le cas du MATE, ses attributions et ses moyens sont bornés par ceux d’autres ministères ou organismes. Ainsi, la DRAF et les DDAF sont des relais naturels des DIREN (disposant de faibles effectifs et de très peu de présence sur le terrain). Mais DRAF et DDAF sont largement exclues de la politique de l’agriculture pour ce qui concerne les effets sur le paysage et la nature, ces questions étant directement prises en charges par les Chambres d’agriculture. Cela offre d’ailleurs une possibilité d’alliance autant que de collaboration entre les DIREN et les DRAF/DDAF qui ne veulent pas se voir cantonnées à des guichets de formalités administratives et de subventions. Cette « alliance » permet au MATE de renforcer son poids et d’élargir ses compétences face aux « routiers » des DRE/DDE.

Sans pouvoir aller plus loin ici, on voit bien que tout ce qui concerne les impacts de l’agriculture sur l’environnement, s’ils sont laissés aux professions (agriculture/IAA) concernées, risquent d’être pris en compte de façon aussi « biaisée » que si l’impact des infrastructures routières était laissé aux professions de transport (ce que certains nomment le « lobby routier »).

DRE & DIREN : l’amie des autoroutes & l’amie de l’environnement ?

On sait qu’au niveau de l’Union, certains font la distinction entre les « amis des poissons » (certains Etats sans pêcheurs) et les « amis des pêcheurs » (les Etats qui, comme la France ou l’Espagne, ont de nombreux pêcheurs).

De la même façon, au cours du récent débat public, certains opposants ont opposé la DRE supposée être a priori favorable aux infrastructures routières qui seraient SA mission (bien que la DRE soit normalement en charge de tous les modes) et la DIREN qui devrait être plus activement la défenseure de l’environnement. Ainsi, pour un groupement d’opposants au COL et à l’A45 dans le Pilat et la région de Givors, « Nous attendons que s'expriment au cours du débat public des personnes compétentes et responsables en matière d'environnement (DIREN, Associations de protection de l'environnement…) .. « Nous refusons que ce soit la Direction Régionale de l'Équipement qui réponde aux questions légitimes des citoyens de l'Est et de l'Ouest, en matière d'environnement”166

Trop de fonctions pour une seule DRE ? la DRE : la Direction des routes ou celle des routiers ?

La DRE est placée dans une position assez « schizophrénique », puisqu’elle est à la fois garante de l’aménagement du territoire et maître d’ouvrage des infrastructures (autoroutières et routières surtout), le CETE faisant fonction de maître d'œuvre - alors que RFF est seulement maître d'ouvrage de l’infrastructure ferroviaire. De plus, la DRE est en charge du multimodal, donc du ferroviaire.

166 Contribution de la SRG Sauvegarde du Pays Rhône – Gier, Cahier N° 15. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 112/160

Toutefois, les opposants sont sceptiques devant cette double responsabilité. Des opposants font à l’Etat (Ministre ou services) une sorte de procès en suspicion. Ainsi, un représentant d’une association de défense du Mont Blanc qualifiait le Ministre de « Ministre des Transporteurs ».167 C’était évidemment excessif, ce ministre étant un fervent partisan du transfert modal vers le ferroviaire et ayant tout fait pour retarder la réouverture du tunnel.

La maîtrise d'ouvrage de l’Etat : toutes les compétences requises ?

Le Directeur des routes168 rappelait que l’action de l’Etat a longtemps bénéficié d’une légitimité rationnelle liée au postulat selon lequel c’était l’intérêt général et le bien commun qui motivaient cette action. La mission de la Direction des routes et des services déconcentrés s’inscrivait de façon évidente dans la recherche « logique et rationnelle » du « meilleur projet ».

Le projet présenté par l’administration représentait la solution au problème de transport auquel l’expertise du maître d'ouvrage permettait d’apporter la meilleure réponse et c’est donc la rationalité technique qui était mobilisée à ce moment là. Cette rationalité technique s’exprimait dans un contexte réglementaire qui était lui-même accepté comme évident, car produit par l’Etat au nom de la protection de l’ensemble des citoyens.

Le Directeur des routes reconnaissait que l’administration a longtemps été réticente à soumettre au débat des décisions qu’elle considérait comme logiques et légitimes, convaincue de concevoir pour l’intérêt général des projets rationnels approuvés par la légitimité élective des représentants des citoyens. Depuis la décennie 80 (voyez les conflits et débats à propos de Rhin-Rhône ou de la LGV Méditerranée), l’affirmation de l’utilité publique ne suffit plus. La définition même de l’utilité publique ne fait plus l’unanimité aujourd’hui.

La maîtrise d'ouvrage de l’Etat considère (d’après tous nos entretiens avec des personnes de position hiérarchique ou fonctionnelle ou de métiers très divers) qu’elle dispose en interne (en incluant le SETRA et les CETE) de toutes les compétences requises, y compris : • pour traiter du multimodal avec RFF et la SNCF • pour collaborer d’égal à égal avec le MATE

Nous n’avons évidemment aucune raison de mettre en cause cette appréciation.

De nouvelles missions pour la Direction des routes & les DRE : éviter de faire des routes ?

La mission classique de la Direction des routes (et des DRE qui ont de plus en plus délégation de la maîtrise d'ouvrage d’Etat) est évidemment d’étudier des projets routiers et de les faire aboutir.

Toutefois, le récent débat public et les questions posées à cette occasion amènent à se demander si la Direction des routes ne devrait pas aussi chercher à éviter de construire des routes ou autoroutes – d’abord en donnant la priorité à l’optimisation de l’exploitation du réseau existant et aussi en partant d’une sorte de renversement « copernicien » de la problématique (plafonds de nuisances par mode et/ou itinéraire, avec ou sans tarification).

167 Reportage de FR3 Rhône-Alpes le 26/9/01. 168 C. Leyrit, Directeur des routes, dans la table ronde des Annales des Ponts & Chaussées, N° 92/1999 « Débat public et projets d’infrastructures ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 113/160

Le changement serait moins révolutionnaire qu’on pourrait le penser, puisque la Direction des routes procède bien ainsi dans le classement relatif des très nombreux projets aux divers stades (études en amont, DPC, APS, EUP, etc), d’abord parce que l’Etat serait bien incapable de financer tous ces projets – il n’arrive que difficilement à tenir ses engagements comme le montrent les cas de l’A75 ou de l’aménagement de la RN7 (promise à 2 fois voies depuis 20 ans).

On sait également que l’exploitation routière est en constante modernisation, la région lyonnaise étant d’ailleurs en pointe en ce domaine.

Les infrastructures : autant un problème de juristes que d’ingénieurs de la technique à la chicane ?

Le débat public et ses modalités telles qu’elles sont prévues dans la nouvelle loi pourraient multiplier les occasions et les fondements de blocages avec des recours contentieux, malgré les précautions prises lors de sa rédaction par la Direction des routes. Un des risques, qui existe déjà, est la forclusion de délais – par exemple, pour obtenir la DUP après une EUP.

Avancer un projet selon toutes les exigences réglementaires (le respect des contraintes techniques étant paradoxalement plus simple pour des ingénieurs pouvant s’appuyer sur des BET le cas échéant) est devenu un des principaux enjeux. Les responsables de projets d’infrastructure doivent donc être des chefs de projets.

Des projets à risques : contentieux & expertise juridique

Les projets sont maintenant de plus en plus contestés sur le plan juridique, la moindre erreur ou omission pouvant donner lieu à une procédure susceptible de retarder un projet, voire la réalisation d’une infrastructure (comme dans le cas célèbre du pique-prune, le scarabée qui serait menacé par l’A28 dans la Sarthe). Les riverains de l'aéroport de Satolas n’ont cessé de mener une véritable « guerilla » juridique, prenant tous les prétextes possibles ; sans parvenir à bloquer le nouvel APPM, ils ont ralenti toutes les procédures et pourraient à l’occasion obtenir un blocage sur un point « mal ficelé » du dossier. La priorité pour l’Etat, maître d’ouvrage est donc d’ assurer la « sécurité juridique » des projets.

Cela concerne aussi bien le BET (généralement le CETE avec d’éventuels sous-traitants) que l’ingénieur de la DDE chargé du dossier ou l’IGPC de la Mission d’inspection territoriale qui vérifie le dossier avec la Direction des routes. La maîtrise d'ouvrage de l’Etat s’est d’ailleurs dotée d’une organisation spécifique : dans le Rhône (comme d’autres départements), un pôle juridique de la Préfecture coordonne les juristes de l’administration, la DDE ayant déjà son service en interne. L’administration a bien ses experts face à d’autres (avocats des opposants en 1er lieu).

Le récent débat public a permis à quelques opposants peu compétents du point de vue juridique, d’argumenter contre le projet pour des motifs juridiques. Ainsi, l’argument contre l’EUP et la DUP de l’A89 disjointes du récent débat public parce que « la loi l’interdit ! », ce qui est évidemment erroné. De même, des références au « droit », à « la loi », à la « circulaire européenne » ou au Livre Blanc –qui, selon une élue européenne, ne permettrait pas la réalisation du COL. A noter également de nombreuses références à « la loi » (sur la démocratie de proximité) pas encore votée au moment du débat.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 114/160

Au total, il nous semble que les risques juridiques, accrus par les débats publics et l’activisme de la société civile, vont croissant avec les nouvelles législations et réglementations produites à jet continu par le Législateur (français et européen, voire mondial, comme le protocole de Kyoto ou d’autres traités « Onusiens »).

La maîtrise d'ouvrage comme la maîtrise d’œuvre ou le concessionnaire devront se doter des compétences et procédures nécessaires – ce que l’Etat commence à faire avec la mis en place de pôles juridiques déconcentrés (la Préfecture de la Région Rhône-Alpes étant une des premières à en être dotée).

Il pourrait s’en suivre un changement notable dans le rôle et le poids relatifs des divers services et « métiers » de la maîtrise d'ouvrage comme de la maîtrise d’œuvre, les ingénieurs faisant une place plus importante aux juristes (au sens large, en incluant les spécialistes des procédures).

Du projet à la mise en service : quel suivi ? le projet & sa réalité longtemps après

Les engagements de l’Etat & ceux du concessionnaire : des opposants & collectivités territoriales qui exigent tout sans s’engager ?

L’Etat maître d'ouvrage est tenu de prendre des engagements – de la DUP au Cahier des Engagements de l’Etat. De plus, les ministres successifs sont prennent parfois des engagements moins formalisés qui seront rappelés ou opposés à leur(s) successeur(s).

Encore une fois, les infrastructures lyonnaises en sont un exemple. Ainsi, d’après des élus169, lors du débat de 1999, l’Etat aurait pris l’engagement de ne pas dépasser 7% de trafic de transit PL par le Contournement Est de Lyon. C’est bien pourquoi, d’après les élus de l’Est, « il faut le COL ». De même, il est également certain qu’au moins un Ministre de l’Equipement avait donné son accord de principe au tronçon Ouest du périphérique de Lyon.

Dans l’exemple du Contournement Est de Lyon, d’après le CETE, cet objectif ne prenait pas en compte le trafic vers les Alpes. Concrètement, il subsisterait plus de 7% de ce trafic de transit PL sur la partie Nord du Contournement Est de Lyon. encore une fois, « le diable est dans les détails » et il faut savoir et vouloir rechercher ce que signifient des chiffres apparemment sans ambiguïté.

Dans le cas des projets de contournement autoroutier de Lyon, les objectifs de l’Etat, maître d'ouvrage ont été définis, classiquement, dans le cahier des charges issu des débats de 1997 et 1998 et approuvé en juin 2000 par le Ministre de l’Equipement, du Logement et des Transports.170

Le projet de contournement autoroutier Ouest de Lyon devrait répondre aux objectifs suivants:

169 Nos entretiens. 170 Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, Direction des Routes CONTOURNEMENT AUTOROUTIER OUEST DE LYON, cahier des charges. Voir : www.rhone-alpes.equipement.gouv.fr/route/COL/col.htm ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 115/160

• assurer la fluidité du trafic de transit au droit de Lyon par une infrastructure autoroutière concédée, branchée sur A6 au Nord de Lyon et sur A7 au Sud de Vienne, passant à l’Ouest de l’agglomération lyonnaise et affectée essentiellement au transit ; • contribuer aux objectifs du PDU de l’agglomération lyonnaise en permettant de déclasser les autoroutes A6 et A7 à l’intérieur du périphérique lyonnais et de supprimer, dès la mise en service du contournement, la continuité autoroutière dans l’agglomération ; • favoriser le désenclavement de l'ouest de la région Rhône-Alpes en facilitant l’accès de Saint Etienne et de Roanne à l’axe Saône - Rhône.

Des collectivités territoriales en déficit de compétence & expertise de maîtrise d'ouvrage

Histoire de Guignols ou concédant incompétent ? le cas d’école du Périphérique Nord de Lyon

Bien que cet exemple nous ait servi à formuler notre projet de recherche, nous n’avons pas étudié ici le cas du Périphérique Nord de Lyon - tronçon Nord-Est du périphérique de Lyon qui devrait être ultérieurement « bouclé » par le tronçon Ouest du périphérique de Lyon.

Cet ouvrage (comportant 1 pont et 2 tunnels) avait été décidé durant la mandature du Maire de Lyon (Michel Noir) qui en avait confié la concession à un groupement emmené par des grands groupes du BTP/génie civil associés à des banques. Bien que le Département du Rhône fût co-financeur et décideur, il en avait en pratique laissé l’entière responsabilité au Grand Lyon, le Département du Rhône prenant par contre la responsabilité du tronçon Ouest du périphérique de Lyon projeté à la même époque.

Cette concession avait été accordée dans des conditions peu transparentes qui avaient fait suspecter des faits de corruption. Des opposants avaient engagé des recours juridiques qui ont conduit à des procédures (au civil et au pénal) à la suite desquelles le Président du Grand Lyon a été condamné. Le nouveau Maire (R. Barre), reprenant une affaire mal engagée, s’en était sorti en demandant une expertise pour définir les conditions de règlement du contentieux entre le groupement concessionnaire et le concédant.

Finalement, la concession ayant été annulée, le Grand Lyon en a repris la responsabilité (via une SEM), en maintenant un péage qui avait soulevé de fortes oppositions. La réussite de cette infrastructure est maintenant vérifiée, puisque le trafic y augmente (malgré un péage significatif de l’ordre de 1,6 au passage, hors abonnements) et que le fonctionnement du réseau routier de l’agglomération est bloqué lorsque ce tronçon nord du périphérique de Lyon est fermé (accident*, etc). * en tunnel sur une grande partie, il n’est pas possible de le laisser ouvert en cas d’accident ou bouchon

Dans le cadre d’une recherche relevant de la sociologie de la décision et de l’expertise et non du journalisme d’investigation, l’explication par la corruption (active et/ou passive) comme par le poids excessif de grands groupes du BTP/génie civil nous semble erronée :

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 116/160

• le projet réalisé était utile et indispensable, parfaitement fonctionnel (voir son trafic) et techniquement de très bon niveau (tunnel aux normes les plus récentes) • le manque de compétences (au sens d’organisation des services et de compétences disponibles) d’un maître d’ouvrage souhaitant concéder était plus déterminant que des versements à des «comptes suisses » (à des fins politiques et/ou personnelles*)

* des procédures étant encore en cours, il n’est pas possible de savoir à quelles fins les « comptes suisses » ont été utilisés par M. Noir et son ex-gendre : M. Noir a déjà été condamné (après pourvoi en cassation) pour recel d'abus de biens sociaux à une peine d’emprisonnement avec sursis et à l’inéligibilité pour 5 ans

Toutefois, s’il y avait effectivement un réel déficit de compétences dans les services du Grand Lyon, de nombreux professionnels du Grand Lyon (notamment dans l’Agence d’urbanisme) et du CETE avaient signalé les problèmes à leur hiérarchie (jusqu'au Préfet et au Ministre) et en avaient informé aussi bien le concédant que le candidat concessionnaire.171

Il est hors de doute que le Président du Grand Lyon et quelques élus avaient choisi a priori à la fois la concession et le concessionnaire pour des raisons plus politiques que techniques et économiques. Cela n’est pas forcément exceptionnel (voyez les curieuses sinuosités de la LGV Méditerranée).

La nouveauté de l’affaire du Périphérique Nord de Lyon a bien été l’intrusion imprévue des juristes et du droit (administratif et européen) – en l’espèce par un « amateur », autodidacte en la matière (l’"opposant Vert"*). * élu militant « écologiste » qui a mené le contentieux contre le concédant du Périphérique Nord de Lyon

C’est d’autant plus étonnant que le concessionnaire du Périphérique Nord de Lyon (dont le chef de file est un grand groupe du BTP/génie civil), réputé pour ses contrats juridiquement très étudiés (permettant d’ouvrir largement la possibilité d’avenants et de dépassement des coûts prévus au moment de la réponse à l’appel d’offres) s’est trouvé pris de court, n’ayant pas envisagé la possibilité d’une annulation de la concession motivée par une irrégularité au regard d’une directive européenne.

L’« insécurité juridique » devient maintenant, pour les infrastructures routières comme pour bien d’autres domaines, un réel problème pour les divers acteurs (Etat, collectivités locales, concessionnaires). Tous doivent se doter de moyens et compétences qu’ils n’avaient pas forcément. Ainsi, dans le cas de « TEO », les services du Préfet n’avaient pas « porté à connaissance » du Grand Lyon les risques de nullité découlant de la non transposition par la France de la directive, peut-être parce que le gouvernement de l’époque avait sous-estimé (voire méconnu) la prééminence du droit européen.

De plus en plus, les recours et le contentieux tendent à se multiplier, dans une logique sociétale de « judiciarisation » (voire de « pénalisation) de la vie publique – notamment pour la responsabilité des élus et des fonctionnaires d’autorité. Au total , cela accroît la place du juridique et des juristes, aussi bien au stade des études que des expertises.

171 Nous avons pu consulter des dossiers plus ou moins confidentiels de l’époque, des publications ou délibération des 2 collectivités territoriales (Département du Rhône et Grand Lyon) et rencontrer des « techniciens » ayant suivi le dossier. L’expertise demandée par R. Barre retrace très bien cette histoire. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 117/160

Une maîtrise d'ouvrage qui doit savoir concéder autrement le nouveau système de concession européenne

Avec la suppression de l’adossement qui garantissait de façon quasi-automatique la concession autoroutière à la société d’autoroute sur le territoire de laquelle se trouvait la future infrastructure, le nouveau système d’appel d’offre européen introduit des modifications importantes pour le maîtrise d'ouvrage comme pour le concessionnaire : • le concessionnaire intéressé n’est en principe pas consulté, puisqu’il n’est pas censé être connu avant l’appel d’offres, donc très tard • le concédant doit donc aller bien plus loin dans son dossier sous peine de ne pas avoir de réponse (ou de réponse réaliste) aux conditions prévues

Pour prendre le cas des contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon, ces questions sont apparues de façon très indirecte et n’étaient pas directement lisibles par le grand public. Le dossier de la DRE reste très imprécis quant au coût total du COL (estimé « à la louche ») et, encore plus, à la part de financement public.

C’est compréhensible pour une projet dont le fuseau et certaines caractéristiques (passage en tunnel) ne sont pas arrêtés, mais on voit bien que la maîtrise d'ouvrage (Etat, même si les collectivités territoriales seront probablement amenées à payer la majorité de la subvention au concessionnaire) ne pourra pas se contenter d’une évaluation approximative

Un déficit de compétences des collectivités territoriales : ingénieurs territoriaux & autres spécialistes

Bien que la décentralisation soit déjà ancienne, les services de voirie des départements ou des villes sont encore largement insuffisants malgré le passage d’ingénieurs des corps de l’Etat (surtout ITPE, plus rarement IPC) vers ces collectivités territoriales.

On le constate d’ailleurs dans divers cas, comme le tronçon nord du périphérique de Lyon (où le Grand Lyon était sans défense face au concessionnaire) ou le projet de « shunt » (liaison directe en tunnel à péage de l’échangeur du Valvert* à l’A7 par la Mulatière) dont une version étudiée pour le tronçon Ouest du périphérique de Lyon par un BET débouchait en pleine zone classée Seveso.*** * ce shunt ne figurait pas sur les schémas du dossier du débat « Barnier » **sortie Nord du tronçon nord du périphérique de Lyon vers l’entrée Nord du tunnel sous Fourvière *** zone de danger d’accident chimique

Des BET qui appuient la maîtrise d'ouvrage ou la remplacent ?

Un petit nombre de bureaux d’études, souvent issus de l’ancienne nébuleuse SCET/CDC, employant également des ingénieurs (plutôt INSA ou autres) sont sollicités aussi bien par l’Etat (DDE ou CETE) que par les concessionnaires et, plus rarement, les collectivités territoriales. Cela produit donc à la fois un milieu professionnel assez restreint et homogène, en interaction constante et un corpus de connaissances et de solutions du type « bonne pratique » professionnelle.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 118/160

Tout ceci semble relativement étanche à une remise en question extérieure par des individus, institutions ou associations n’appartenant pas au système – sauf à faire, non une « montée en généralité », mais une « montée en politique » en déplaçant la problématique et les arguments sur d’autres plans (les souffrances des riverains, la remise en cause de leur mode de vie, etc).

Experts, commissaires-enquêteurs ou ingénieurs : un cumul d’expérience ?

La multiplication des concertations ou débats pose la question d’une accumulation de l’expérience en tant que telle, de son partage et de sa diffusion, d’un apprentissage des intervenants enfin. Ainsi, à propos des commissaires-enquêteurs (des EUP) et des membres de commissions de suivi (des engagements de l’Etat), M. Ollivier-Trigalo172 relate l’expérience des « ateliers du débat public » réunissant des aménageurs, des associations, des élus et des « médiateurs » (commissaires enquêteurs et membres de commissions de suivi).

A l’expérience des nombreux débats ou concertations, les services des DDE/DRE et des CETE ont mis en place des modalités d’échange d’expérience. Par exemple, un club d’ingénieurs de la maîtrise d'ouvrage de l’Etat où des responsables de projets mettent en commun leur expérience.

Infrastructures routières & infrastructures ferroviaires : d’autres acteurs & d’autres experts des arguments contestables, mais peu contestés

Les projets autoroutiers en région lyonnaise (notamment le grand contournement autoroutier de Lyon) incluent maintenant, à la demande des opposants comme du MATE, l’intermodalité – au moins comme hypothèse de réduction du trafic routier, voire comme alternative. Cela permet de constater que les ingénieurs de la DDE ou du CETE sont assez désarmés face aux ingénieurs du RFF ou de la SNCF qui peuvent produire des données, des études ou des solutions invérifiables par les autres services, malgré une origine commune (anciens « X » pour la plupart). Il risque d’y avoir conflit de spécialistes sans modalités (actuellement) de vérification croisée et de débat scientifique (au sens de disciplines) – la seule « régulation » étant celle du CGP*. On sait que le problème est analogue pour les bilans LOTI concernant la SNCF ou la RATP, les évaluateurs ayant les pires difficultés à obtenir les données et ne pouvant pas les vérifier. * Conseil Général des Ponts et Chaussées

NB : PLUSIEURS INTERLOCUTEURS DU MELT COMME DU MATE SE JUGENT PARFAITEMENT A EGALITE DE COMPETENCES ET DE CONNAISSANCES PAR RAPPORT A LEURS PARTENAIRES DE LA SNCF OU DE RFF, MEME S’ILS RECONNAISSENT LA DIFFICULTE D’OBTENIR DES DONNEES DE LA SNCF (PLUS QUE DE RFF). L’ANALYSE PRESENTEE DANS CE CHAPITRE N’ENGAGE DONC QUE L’AUTEUR DU RAPPORT.

De plus, les opposants aux infrastructures routières sont (pour l’instant) par principe favorables au fer (dès lors que cela ne passe pas chez eux) et les études ou expertises SNCF/RFF servent maintenant l’argumentaire de ces opposants – tant qu’ils ne se voient pas menacés de devenir des riverains d’infrastructures ferroviaires nouvelles du moins !

172 M. Ollivier-Trigalo & S. Rui, L’expertise comme outil d’évaluation et de communication, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat », paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 119/160

Projets d’infrastructures routières & intermodalité les ingénieurs de la DDE & ceux de RFF

Un autre changement est intervenu ces dernières années, avec des implications sur les projets d’infrastructures autoroutières : la question (l’alternative pour certains) du transport par voie ferrée au trafic PL routier de transit.

Les arguments pour l’« intermodalité » (concrètement : l’amélioration des infrastructures et des services ferroviaires, surtout pour les marchandises) sont portés et repris par des opposants en tant qu’« alternative » au trafic de transit routier et autoroutier. Les plus « fondamentalistes » (comme la coalition d’associations alpines faisant l’objet d’une recherche de l’équipe SET avec Olive173) allant même (en Suisse plutôt qu’en Savoie) jusqu’à un parti de « pas de transport ». Plus réalistes et moins doctrinaires, les Verts du Rhône ont défendu (comme on s’y attendait) l’alternative ferroviaire au grand contournement Ouest de Lyon et au développement du trafic routier, proposant de « promouvoir le ferroutage entre Dijon et Avignon »174. On peut évidemment être perplexe, même si le financement en est trouvé (« en demandant l’aide de l’Union Européenne »), quant à la faisabilité d’un double transfert route/rail pour le trafic PL européen (ex : d’Espagne et Allemagne).

Le dossier pour le débat sur le grand contournement Ouest de Lyon estimait que les reports de trafic suite à la mise en service en juin 2001 du TGV Méditerranée et à l’amélioration du réseau TER Rhône-Alpes (déjà de bonne qualité) resteraient très limités et « pas suffisants pour résoudre les problèmes de saturation en heure de pointe »175, sauf à engager « un programme ambitieux de développement des transports combinés, comportant.. un 3ème point nodal de correspondance rail-rail et un contournement fret de Lyon ». Il mentionnait bien les projets d’autoroute ferroviaire (Ambérieu-Valence), nécessitant des investissements importants, mais « Ces projet, dont les échéances de réalisation ne sont pas connues, seront examinées dans le cadre de l’élaboration du schéma ferroviaire national »176

Le « système » des infrastructures autoroutières et aéronautiques s’élargit donc à d’autres infrastructures et à d’autres procédures ou schéma (le schéma ferroviaire national, en plus du schéma directeur routier).

Deux acteurs du débat en situation d’oligopole : la « boîte noire » RFF/SNCF argumenter sans être contredit ?

Le récent débat public a montré une nouvelle fois que tout ce qui concerne le ferroviaire du point de vue de l’exploitation et du trafic est une « boîte noire » dont seule la SNCF a la clé et connaît le contenu (peut-être bien plus pauvre et « pifométrique » qu’on ne le pense généralement).

Ainsi, en matière de trafic ferroviaire, RFF a utilisé les données SNCF pour vérifier la cohérence du projet avec les objectifs volontaristes des SDS. Personne n’a remis en cause au cours du récent débat public ces études, les opposants (ou d’autres) se contentant de manifester (parfois de façon véhémente) leur scepticisme à l’égard de la capacité de la SNCF à réaliser ces objectifs.

173 D’après sa présentation à la réunion PREDIT du 30/5/2000. 174 Le Progrès du 1/6/2000 175 dossier pour le débat d'opportunité du Contournement Ouest de Lyon, sans date (1999), pages 12-13 176 dossier pour le débat d'opportunité du Contournement Ouest de Lyon, sans date (1999), pages 12-13 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 120/160

Toutefois, l’expert italien a bien repéré des points faisant question – notamment une sous- utilisation flagrante des infrastructures ferroviaires en région lyonnaise après réalisation du contournement ferroviaire de Lyon, comme si RFF avait pris une marge de sécurité pour tenir compte des difficultés probables de la SNCF pour améliorer son service et sa productivité.

Le dossier de la SNCF pour le débat sur le contournement ferroviaire de Lyon : argumentaire, plaidoyer & promesses

Le document établi par RFF/SNCF* pour le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon nous semble un cas d’école de dossier à peu près invérifiable et impossible à apprécier. * on peut considérer que ce document, élaboré par RFF, reflète les positions de la SNCF et découle de ses données ou prévisions

Bien évidemment, la SNCF arguait des nuisances du transport routier pour la collectivité177 en s’appuyant sur les politiques européenne et nationale de « rééquilibrage très volontariste entre les modes routier, ferroviaire et fluvial ».

Un point de cet argumentaire était évidemment la distorsion des coûts imputable non à la faible productivité de la SNCF, mais aux avantages anormaux des transporteurs routiers : « Le marché du transport de marchandises, largement dominé par le mode routier, a subi depuis 1985 des baisses de prix importantes résultant d'une concurrence aiguë et d'une productivité accrue. Les prix pratiqués aujourd'hui ne reflètent pas la totalité des coûts internes et externes (conséquences pour la collectivité), ce qui a encouragé une croissance forte (environ le double de la croissance de la production) et parfois désordonnée des déplacements de marchandises. Cette situation a de plus réduit les marges des exploitants ferroviaires, ce qui freine leurs investissements pourtant nécessaires pour endiguer l'augmentation des flux routiers. ». La SNCF rappelait que cette nouvelle politique s’exprime dans le Livre Blanc sur la politique des transports de la Commission Européenne et les Schémas de services. Pour ces derniers, l’objectif retenu vise à porter le trafic ferroviaire de 50 Gtk* aujourd’hui à 100 Gtk dans 10 ans puis 150 Gtk dans 20 ans. Un triplement que tout le monde (SNCF et Ministre en premier), s’accordait à trouver ambitieux et « volontariste ».

Ces objectifs ont suscité le scepticisme de nombreux participants au récent débat public : à la fin des années 60, alors que le trafic de la SNCF était inférieur à 70 Gtk* et que les prévisions pour 1985 dépassaient les 80 Gtk, la SNCF a transporté à peine plus de 57 Gtk en 1983.178

* Gtk = gigatonnes/km

Ces objectifs de croissance du ferroviaire étant supposés fixés et entérinés par l’Union européenne comme par la France, il en découlerait la mise en place des moyens et mesures nécessaires (et suffisantes ?) : • une évolution de la réglementation, de la fiscalité, du financement des infrastructures • et une affectation à chaque mode de transport de la totalité de ses coûts (autrement dit : faire payer plus la route et transférer des ressources vers le ferroviaire) • un développement des infrastructures ferroviaires (comme le contournement ferroviaire de Lyon) • une amélioration des performances et de la qualité des services des exploitants ferroviaires

177 Contribution de la Société Nationale des Chemins de Fer Français, Cahier N° 4. 178 P. Gobbi (responsable du département marketing marchandises à la SNCF), dans un article de la Revue Générale des Chemins de Fer (date inconnue), d’après le N° spécial de Science et vie « L’AVENIR DU RAIL », mars 1986. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 121/160

Dans sa contribution, l’actuel monopole ferroviaire concluaitt évidemment que « la SNCF a donc besoin de cette infrastructure ». CQFD.

La SNCF citait ses actions pour « rehausser » la qualité du service offert, notamment par des « moyens de production » dédiés au fret (nouvelles locomotives et wagons), mais garde un silence total sur les problèmes de fonctionnement de l’entreprise qui sont probablement la principale inconnue pour la réalisation de tout ou partie de l’objectif de « rehaussement » de la qualité de service - ce qui pourrait laisser supposer que ce service est déjà à un haut niveau. La SNCF réaffirmait son objectif d’accroître sensiblement la compétitivité du transport ferroviaire de fret et d’assurer le développement du trafic international en citant l’exemple de l’expérimentation de services d’autoroute ferroviaire prévue en 2002 entre la Savoie et Turin.

On relève un autre « non-dit » parmi bien d’autres dans la contribution de la SNCF, celui concernant l’ouverture de l’infrastructure ferroviaire (RFF) à tous les exploitants de l’Union. A cet égard, une des réunions du récent débat public laisse perplexe : les professionnels de la logistique ont demandé la possibilité de mener en partenariat avec la SNCF une expérimentation à bref délai de chargement de semi-remorques sur wagons à petites roues (utilisés en Autriche, en Italie et en Suisse), la SNCF avait opposé des objections techniques (homologation de ce matériel, coûts d’exploitation) pour évacuer cette proposition en concurrence avec sa propre expérimentation d’« autouroute ferroviaire » par le Mont-Cenis.

Là encore, même un non-spécialiste peut relever une certaine mauvaise foi de l’argumentaire de la SNCF : les wagons à petites roues sont utilisés en trafic international, les nouveaux wagons multimodaux Lohr*/SNCF n’étaient pas encore homologués, la solution Lohr/SNCF nécessite des aménagements lourds de terminaux, etc. * fabricant des wagons sur lesquels seront chargés les camions

Les perspectives du fret ferroviaire : des doutes ? le fer est pavé de bonnes intentions

Le Président de la Commission particulière du Débat Public notait les doutes apparus de façon récurrente dans le débat sur les perspectives de transfert du fret vers le ferroviaire : « Quant au réalisme de l’objectif du triplement d’ici 2020 du volume du fret ferroviaire.. un sentiment de fort scepticisme est apparu, de la part de tous les intervenants (institutionnels, associatifs ou particuliers) quant à la capacité de la SNCF à relever le défi que lui pose cet objectif, en raison principalement de sa culture non commerciale et de l’état des relations sociales dans l’entreprise, accessoirement de l’importance des investissements nécessaires en matériels roulants». En effet, de nombreux participants avaient exprimé des doutes à l’égard de la capacité de la SNCF de rendre un service fret attractif et fiable.. La SNCF avait fait valoir les mesures qu’elle était en train de prendre : • priorité au fret sur certaines lignes (d’où le projet de contournement ferroviaire de Lyon) • efforts de productivité grâce à des livraisons massives de locomotives neuves (600) et de wagons (4000)

Ces réponses ont rencontré en réunion un scepticisme assez général qui nous semble justifié par l’expérience passée – la SNCF ayant déjà dans le passé annoncé de tels objectifs. 179

Remarquons que ces questions n’ont fait l’objet d’aucune demande d’expertise complémentaire de la part des participants au débat, ni de la Commission particulière du Débat Public pourtant consciente du problème. Cela ne peut s’expliquer par le manque de moyens financiers, puisque la Commission n’avait pas dépensé la totalité de son budget.

179 P. Gobbi (responsable du département marketing marchandises à la SNCF), dans un article de la Revue Générale des Chemins de Fer (date inconnue), d’après le N° spécial de Science et vie « L’AVENIR DU RAIL », mars 1986. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 122/160

Le report modal : 300 trains en plus, 5000 PL en moins ?

Pour RFF, partant sans doute d’un calcul optimal (donc optimiste), le contournement ferroviaire de Lyon permettrait la circulation de 300 trains (supplémentaires) quotidiens, soit « 5000 poids lourds en moins par jour sur les routes de l’agglomération lyonnaise »180. Il en résulterait évidemment une « amélioration sensible en matière de pollution, de sécurité routière et de consommation d’énergie ».

Il est pourtant évident que ces 300 trains supplémentaires ne remplaceraient pas tous des PL passant actuellement par l’agglomération lyonnaise. Là encore, personne n’a soulevé la question alors qu’elle l’eût sans doute été si le report modal avait concerné la route.

RFF argumentait en faveur du contournement ferroviaire de Lyon (faisant sauter le « bouchon » ferroviaire de Lyon) qui « constitue, enfin, un maillon essentiel de l’axe majeur de fret ferroviaire nécessaire pour pouvoir tripler le trafic ferroviaire d’ici 2020 ». Cet axe « relierait Rhône-Alpes aux grandes régions économiques européennes et valoriserait ainsi la position de notre Région comme « grand carrefour d’échanges en Europe, tout en minimisant les impacts environnementaux ».

Cet argumentaire expliquait bien la fonction réelle du contournement ferroviaire de Lyon qui n’a pas du tout une logique d’amélioration des conditions du transit (comme le COL), mais de développer le trafic ferroviaire de fret à grande distance au niveau européen – ce que la SNCF sait déjà bien faire, par exemple, en desservant mieux Anvers (le port de Lyon, comme on sait) que Marseille (port fonctionnant moins bien).

De ce point de vue, faire disparaître le « bouchon » ferroviaire lyonnais est doublement nécessaire pour faire passer la magistrale Nord-Sud* et le futur trafic transalpin et pour répondre à la demande de TER pour la Région Rhône-Alpes. Au total, ce projet n’est finalement guère plus « lyonnais » que le bouclage de l’Ile-de-France par des autoroutes de contournement pour faire passer le trafic de transit européen. Il est pourtant présenté comme rhônalpin (en invoquant la liaison Lyon-Turin), justifiant donc un financement de la Région Rhône-Alpes – dont le fret ferroviaire n’est aucunement la responsabilité. * grand itinéraire ferroviaire européen

Le partage modal route/rail le report modal de la route vers le fer : objectif atteint ?

Le dossier et les informations présentées par la maîtrise d'ouvrage (DRE et RFF) sur le report modal une fois le COL et le contournement ferroviaire de Lyon réalisés semblent conclure (garantir ?) une part élevée du ferroviaire, tout à fait conforme aux objectifs des SDS, puisque, au droit de Lyon, la part du ferroviaire serait de 40 %.

180 Entretien avec Jean-Marie Larose, chef de la Mission Infrastructures nouvelles rhônalpines, Lettre du Débat N° 2, novembre 2001 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 123/160

En y regardant de plus près, cette répartition n’a pas du tout le sens qu’elle paraît avoir à première vue : c’est un artefact issu d’un calcul sans grande signification, puisque cela veut simplement dire qu’un énorme trafic Nord-Sud et vers l’Italie passerait bien par le contournement ferroviaire de Lyon remplaçant l’actuel « bouchon » ferroviaire lyonnais.

Ce trafic serait bien plus important que maintenant avec le développement des « magistrales » fret et dans la perspective de la future liaison transalpine.

Ce trafic ferroviaire ne peut être comparé au trafic routier (fret) de transit passant en région lyonnaise avant et après COL, car l’augmentation de la part relative du passage de fret ferroviaire par Lyon ne résulte pas seulement (les données ne permettent pas de le calculer) d’un report modal du trafic routier passant par Lyon actuellement (ou sans contournement ferroviaire de Lyon).

Du point de vue de notre recherche, il ne s’agissait pas ici d’expertiser en quelque sorte le dossier SNCF/RFF, mais de montrer par des exemples concrets que l’analyse d’un dossier suppose des compétences et, au moins, une démarche cartésienne de doute systématique.

Cela nécessiterait des compétences que nous n’avons pas, peut-être des expertises.

Le plus significatif ici est que, sauf l’avis de l’expert Italien, personne n’a posé lors du récent débat public d’autre question ou objection que le scepticisme à l’égard de la capacité de la SNCF à accomplir les miracles (le terme n’est pas trop fort) promis.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 124/160

Le dossier du contournement ferroviaire de Lyon : minimaliste mais laisse la place à une négociation

Les riverains du contournement ferroviaire de Lyon constatent (à juste titre) que le dossier public est « extrêmement pauvre » pour ce qui concerne les objectifs du projet ferroviaire et n’apporte guère de démonstration de son « efficacité économique et sociale ». Ils concluent qu’il leur est « difficile de contribuer à un débat public dont le sujet n’est pas défini ».

Ce n’est pas seulement parce que le projet de contournement ferroviaire de Lyon était moins avancé que celui du COL (après 2 débats antérieurs et de nombreuses études), mais aussi parce que la démarche RFF/SNCF dans ce cas est engagée plus en amont sur un avant- projet plus « négociable » ; cette démarche est plus « interactive » - du moins « consultative » par rapport aux riverains et autres « acteurs ».

Le bouchon ferroviaire lyonnais & le contournement ferroviaire de Lyon à l’Est : comment faire financer une infrastructure par l’Etat & la Région Rhône-Alpes

Après le récent débat public et nos divers entretiens recoupant le travail sur documents, il nous semble que, compte tenu du coût du COL (sans adossement) et de l’apport qui serait demandé aux collectivités territoriales également « taxées » pour le contournement ferroviaire de Lyon, il n’est pas évident que les 2 infrastructures soient finançables durant la décennie en cours.

L’estimation par RFF du coût du contournement ferroviaire de Lyon était de l’ordre de 1,5 G à 2,5 G * selon la définition. * montant exprimé en Frs comme tous les documents pourtant destinés à un débat se terminant en 2002

Ce coût a été contesté par les riverains qui ne comprennent pas comment « une ligne de 60 km, sans gare, coûterait 1,5 milliards d’euro, soit seulement deux fois moins que la 1ère phase du .. TGV Est long de 30 km doté de 3 gares ». Il semble effectivement qu’il y ait eu confusion entre le seul contournement ferroviaire de Lyon (pour faire sauter le « bouchon » ferroviaire de Lyon) et l’ensemble du projet allant d’Ambérieu à St Rambert d’Albon qui seul donne son sens au contournement ferroviaire de Lyon

La vraie question est évidemment de savoir comment financer cette infrastructure : • il faudrait que d’autres que RFF (sur son propre budget, déjà très subventionné) participent. Cela concerne d’abord la Région Rhône-Alpes, au motif que ce contournement ferroviaire de Lyon (fret) libère des capacités pour le TER, justifiant donc que la Région Rhône-Alpes paye pour une infrastructure destinée au fret alors que ce n’est pas sa compétence • les capacités d’ « auto-financement » (incluant les subventions directes à RFF) de RFF permettront-elles de financer (pour la plus grande partie) le contournement ferroviaire de Lyon en même temps que d’autres infrastructures (liaison Nîmes-Espagne, contournement ferroviaire de Bordeaux, etc) ?

Cela aurait évidemment mérité une expertise, au moins pour éclaircir ces questions.

Mais tout s’est passé comme si le ferroviaire bénéficiait d’un a priori favorable, les seuls doutes concernant l’exploitation (donc la SNCF) et non l’infrastructure.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 125/160

Le ferroviaire, nouveau suspect ? les trains aussi gênent les riverains

Le contournement ferroviaire de Lyon & l’environnement le fer est « écologique » pour les « écologistes » non riverains & le « lobby » ferroviaire

Les riverains du contournement ferroviaire de Lyon ont regretté l’absence d’étude d’impact sur l’environnement (risques, bruits) et sur les « projets locaux dans une zone péri-urbaine où l’équilibre entre l’urbanisation et le maintien de zone agricoles bien structurées a été trouvé malgré un fort accroissement de la densité ». Il a là évidemment une incompréhension sur le projet présenté qui n’en est qu’à un stade préparatoire, le fuseau de passage n’étant pas défini, puisque l’objet même du débat était seulement le principe de la réalisation de ce contournement et l’ouverture à négociation ultérieure, y compris sur la définition du fuseau d’étude.

Les riverains et élus avaient demandé que ce projet d’infrastructure ferroviaire dédiée au fret prenne en compte « les mêmes contraintes de limitation de l’impact sur l’environnement et le population que pour les lignes TGV », compte tenu du trafic prévu et surtout de « la toxicité des produits transportés » et des horaires de circulation.

On remarquera que les arguments utilisés par la maîtrise d'ouvrage (Etat et RFF) pour argumenter en faveur du contournement ferroviaire de Lyon (report modal massif de la route vers le fer, ne plus faire passer du trafic de produits dangereux en pleine ville comme actuellement) sont au contraire source d’inquiétude pour les futurs riverains de cette infrastructure ferroviaire.

Ces riverains et élus avaient demandé (sans l’obtenir) qu’une « expertise complète » de ces questions soit réalisée. Cette expertise n’a pas été faite.

Les risques d’un contournement ferroviaire de Lyon : le ferroviaire aussi peut être accusé de tous les maux

Les riverains du contournement ferroviaire de Lyon ont argumenté des nuisances ou des risques de cette infrastructure, compte tenu du territoire concerné, sur 2 plans quelque peu contradictoires : • le caractère urbanisé et industriel du secteur • son caractère naturel à préserver

Ils ont signalé des points ou zones à problèmes : • atteintes au vallon d’une rivière • zone à risque « peu commune » du point de vue des installations industrielles (évoquant évidemment l’accident récent d’AZF à Toulouse) • des galeries de mines, • une nappe phréatique peu profonde, • des « pipelines » • des décharges « très sensibles »

Certaines de ces informations pourraient être utiles à l’étude du projet, comme l’exemple du TGV Nord l’avait montré (nombreuses galeries ayant provoqué des affaissements et au moins un accident). De ce point de vue, on aurait ici une véritable expertise de terrain (ou « d’en bas ») comme celle des riverains de l’A89 signalant un passage de lapins ou un vallon à chauve-souris.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 126/160

Le contournement ferroviaire de Lyon pose aussi des problèmes aux riverains

Les riverains du contournement ferroviaire de Lyon avaient eu le « sentiment d’un projet sorti d’un chapeau » et d’un « ajout tardif » du « 2ème projet » dans la procédure de débat public lié au COL, motivé par une « approche multimodale ».

Ils concédaient que, comme les communes et les associations de l’Ouest lyonnais qui s’opposent au COL et « la plupart des citoyens, nous sommes partisans d’une limitation du fret routier en développant notamment le fret ferroviaire ainsi que le fret fluvial », mais ils rejettaient « leur implantation en zone fortement urbanisée » et leur « manque de prise en compte globale du projet.. en aval, dans la vallée du Rhône »

Ces élus et riverains du contournement ferroviaire de Lyon avaient une position tout à fait analogue à celle des riverains du COL en reprenant le classique "NIMBY" (pas chez nous), à la grande différence près qu’ ils acceptent le principe du développement du ferroviaire. Dans ce cas, il reste 2 positions possibles : • faire passer ailleurs (plus loin) l’infrastructure • négocier finement son tracé, ses aménagements et les compensations correspondantes, comme pour la LGV Méditerranée

Peut-on connaître le bruit des trains ? ou pourrait même le réduire, mais ce n’est pas prévu

Au stade du récent débat public, les nuisances sonores des trains n’ont été évoquées (souvent) que de façon générale par les opposants et par RFF.

Lors d’une réunion, le représentant de RFF avait donné quelques explications qui n’ont pas rassuré les riverains du contournement ferroviaire de Lyon. En particulier : • le fait que le bruit d’un train, augmentant et descendant plus progressivement que le bruit de la circulation routière serait moins nuisant pour ceux qui le subissent • les normes (plafond) de nuisances sonores sont plus élevées que pour la route

RFF a par ailleurs signalé les difficultés à calculer et « faire entendre » le bruit qui sera effectivement perçu par les riverains, faute d’instruments de modélisation et compte tenu de la complexité de cet impact sonore. De plus, il reste de nombreuses inconnues sur le bruit émis par les nouveaux wagons ou locomotives ou les rails utilisés lorsque ce contournement ferroviaire de Lyon sera réalisé.

RFF a également expliqué que les mesures et les normes utilisées en termes de LEQ équivalents sur la journée de 6 à 22 heures. Comme les riverains de la LGV Paris- Méditerranée le proclament, cet indicateur n’a guère de rapport avec le vécu des victimes de ce bruit : la réalité sensorielle (un bruit augmentant et descendant de courte durée au passage de chaque train, puis un silence total avant le suivant) est bien différente et perturbante par rapport à la vie de ces riverains.

On sait d’autre part, comme l’a indiqué le représentant de RFF, que de nouvelles normes (LDEN) et indicateurs applicables à tous les modes étaient en cours d’élaboration.

Pourtant, il est possible de réduire de 7 à 8 dbA le bruit émis par le système roue-rail181. Pour rendre cette réduction obligatoire, il faudrait mettre au point des normes d’émission du bruit (réel) à la source au lieu d’indicateurs (calculés) qui n’ont qu’une relation indirecte avec les nuisances reçues par les riverains et encore moins avec celles qu’ils perçoivent subjectivement. Il est significatif que ces questions n’aient pas été posées lors du débat et qu’ aucune expertise n’ait été demandée. Personne n’a posé en réunion ces questions auxquelles le rédacteur (évidemment très « amateur » en ce domaine) vient de faire allusion.

181 Ferroviaire Traquer le bruit, du rail au pantographe, Usine Nouvelle, N° spécial, novembre 2001. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 127/160

Des débats interminables & des projets en attente

La multiplication des concertations et débats est une tendance certainement irréversible, l’Etat et les élus ne voulant et ne pouvant plus risquer de décider en petit comité avec leurs ingénieurs, comme auparavant182. La « société civile » ou, du moins, les opposants ont pris goût à ce débat qui permet maintenant de mettre en question l’opportunité même du projet, très en amont de celui-ci.

Cela risque de conduire à l’allongement de la durée de maturation des projets (à l’exemple suisse) et une plus forte proportion d’abandons de projets et/ou de non- réalisation bien que la décision soit « actée ».

On peut se demander si cela ne nous rapprochera pas de l’exemple suisse (où le « Souverain », c’est à dire le Peuple, peut trancher par référendum) ou britannique (où une loi votée par le Parlement décide un projet au lieu d’une DUP ministérielle à la française) avec d’autres procédures pour décider de façon légitime quel est l’intérêt général supérieur aux intérêts ou points de vue particuliers.

Cela ne permet pas pour autant d’être certains que la décision par le vote direct ou représentatif sera optimale et acceptée par les opposants.

De plus en plus d’études & expertises

La prolifération potentielle (mais déjà bien engagée) des expertises ou missions devrait perdurer : les assemblées (Sénat et Assemblée Nationale) constituent des commissions ou missionnent des parlementaires, les Cours des Comptes régionales sont amenées à traiter de leur point de vue certaines opérations (ex : le tronçon nord du périphérique de Lyon). Dans quelques cas, les interférences de la politique politicienne et du financement politique ont conduit les tribunaux à connaître de certains aspects (assez marginaux) d’opérations, comme l’annulation de la concession du tronçon nord du périphérique de Lyon.

Bien entendu, une expertise tend naturellement à susciter une demande de « contre- expertise » comme un jugement mène souvent à un appel. Ainsi, l’"opposant Vert"183 au tronçon nord du périphérique de Lyon avait mis en cause les calculs des « experts indépendants » de la somme restant à payer à l’ancien concessionnaire déchu.

D’ailleurs, la Commission du Débat Public, « totalement indépendante du maître d'ouvrage » d’après son Président184, formulant son avis à partir du dossier établi par le maître d'ouvrage « dont elle contrôle l’accessibilité, la lisibilité et la loyauté » pour assurer un « débat impartial, clair et complet » n’a pas forcément été considérée comme telle par tous les opposants aux projets présentés.

182 Cf nos observations de 1984, citées plus haut. 183 Conseiller communautaire et régional qui a été à l’origine des controverses ayant mené à l’annulation de la concession de TEO (ancien nom du tronçon nord du périphérique de Lyon) 184 D’après un entretien paru dans le Moniteur du 28/4/02000. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 128/160

C’est que des experts, même « indépendants » et parfaitement compétents et reconnus peuvent s’opposer à d’autres tout aussi compétents (y compris dans le même domaine : voirie, environnement ou économie) faisant une autre analyse à partir du même dossier et du même corpus de connaissances.

Un exemple « en temps réel » a été donné lorsque des divergences ont été rendues publiques (ou, plus exactement, que le public a été pris à témoin par une des parties) dans la préparation du CIADT sur le programme autoroutier, de « fuites » (provenant probablement du Ministère de l’Environnement*) mettant en cause le parti du « tout autoroute »185 préparé par le Ministère des Transports. * notre hypothèse

Au final, on peut se demander si (comme pour les études d’infrastructures), ces expertises foisonnantes ne conduisent pas à une aporie :

• de plus en plus nombreuses et pas forcément articulées, éventuellement contradictoires, elles auraient comme fonction essentielle de fournir des arguments aux « non-experts » (élus, associations, mais aussi Préfet ou Ministre) sans pour autant conduire directement à UNE décision, encore moins à LA (seule et bonne) solution

• leur usage systématique par l’Etat (voire par le concessionnaire) est aussi une façon de procéder à une sorte de « tir de barrage » préventif, les opposants ne pouvant trouver de faille dans le dossier, puisqu à toute question, on aura répondu (si possible d’avance) par une étude et/ou une expertise.

Des projets qui seraient impossibles aujourd’hui ?

En tout état de cause, le principal résultat pratique serait l’allongement de la durée de maturation des projets (à l’exemple suisse) et une plus forte proportion d’abandons de projets.

La mise en cause de la notion d’un intérêt public univoque et d’une rationalité technique et économique rendrait probablement à peu près impossible (du moins extrêmement long et difficile) la réalisation de grands programmes comme ceux de l’après-guerre (barrages alpins) ou de la période de modernisation gaullienne (réseau autoroutier et programme nucléaire).

Une procédure toujours plus longue & plus complexe d’autres procédures ou réglementations

Comme dans la plupart des autres opérations d’aménagement, les infrastructures doivent répondre ou se référer à une multitude de procédures et règlements, inégalement contraignants. Les services de l’Etat (au besoin assisté par des spécialistes extérieurs ou d’autres administrations) doivent donc constamment se « remettre à niveau » et actualiser leurs procédures.

185 Cf : L’Etat tenté par le «tout-autoroute », Libération du 6/4/2000. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 129/160

Ainsi, dans le cas des infrastructures étudiées ici, les projets interfèrent avec : • le DVA*, de responsabilité d’Etat, mais obligatoirement en concertation avec le Grand Lyon pour qui ce n’était pas une priorité au moment de notre recherche • le PRQA** qui n’a pas force réglementaire comme un SDAU, un POS ou un APPM, mais doit être décliné en mesures • les DTA*** (ex : aéroport de Lyon-Satolas) qui permettent aux services de l’Etat d’intervenir dans un cadre réglementaire sûr au lieu de laisser à d’autres (le Tribunal Administratif dans certains cas de lacune réglementaire) la décision en dernier ressort • le PDU**** (réalisé en pratique par l’Autorité organisatrice des transports) * Dossier de Voirie d’Agglomération ** Plan Régional pour la Qualité de l’Air *** Directive Territoriale d’Aménagement **** Plan de déplacements urbains

Cette multiplicité de références peut se traduire par une conformité totalement formelle ou par une instrumentalisation au service de l’argumentaire pour le projet d’infrastructure.

Ainsi, dans le cas du grand contournement Ouest de Lyon, la maîtrise d'ouvrage expliquait « il n’est pas envisageable de réduire la capacité des voies comme le demande le PDU, notamment celle de l’axe A6/A7 par Fourvière, tant qu’une solution alternative pour le transit ne sera pas mise en œuvre »186. De plus, « il n’est pas question d’augmenter la capacité de la rocade Est en la portant à 2x3 voies, comme cela avait été envisagé initialement. En effet, cette mesure pérenniserait le mélange de fonctions de la rocade Est, augmenterait les nuisances et ne répondrait pas aux objectifs du PDU ». De même, la fermeture aux PL de plus de 7,5 tonnes en transit avait en son temps été décidée (ou justifiée ?) « en application de la nouvelle loi sur l’air »187

La bonne infrastructure est celle qui ne se fait pas ou se fait ailleurs

Sans vouloir être trop simpliste, on peut cependant se poser la question de savoir si, finalement, pour les opposants (ou tout simplement des élus et autres « acteurs » pour qui le projet n’est pas au contraire un véritable enjeu politique), un bon projet n’est pas un projet abandonné ou qui se fait ailleurs : on connaît le classique "NIMBY" (pas chez nous).

En effet, pour les opposants, la question de savoir s’il existe un « meilleur projet » (parmi des variantes) ou même un « bon » projet n’a pas de sens, puisqu’ils ne veulent pas de cette infrastructure (du moins chez eux).

Un dessin dans le N° spécial de Métropolis résume parfaitement cette réaction : un personnage à la tribune s’exclame « que le meilleur projet gagne ! », le public dans la salle, horrifié, lui répondant « tout mais pas çà ! »188. C’est une bonne illustration des limites de la rationalité dans le processus de décision et le débat, y compris de l’expertise mobilisée à cette occasion.

186 dossier pour le débat sur le Contournement autoroutier de Lyon, mars 1999, page 11 187 Magazine municipal de Lyon (date inconnue, probablement février 1996) 188 Page 57 de Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 130/160

De même, les riverains du Contournement Est de Lyon illustraient leur « contribution » par un schéma représentant les « axes » alternatifs passant évidemment ailleurs (donc près d’autres riverains) : • la « RCEA » (Chalon – Paray le Monial, mais pas jusqu’à Roanne) destinée à écarter le « transit européen » qui n’a « rien à faire sur l’axe Rhône-Saône » et devra être « écarté sur les grandes autoroutes.. alternatives » • l’« axe » Paris- Clermont Ferrand – Montpellier • l’« axe » Dole – Besançon (sic) – Bourgoin – Grenoble, l’A51 étant amorcée comme la suite de ce 2ème axe « alternatif »

A la recherche de l’itinéraire alternatif au COL : de la Saône et Loire à l’Ardèche, en passant par les Hautes-Alpes ou l’Auvergne des RD pour remplacer des autoroutes ?

Le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon a donné lieu à un foisonnement d’« alternatives » pour éviter la réalisation du COL. Il ne s’agit pas ici à proprement parler d’expertise, mais d’une des nombreuses manifestations de la production à jet continu de propositions plus ou moins saugrenues dans tout débat « grand public », assez analogue à une sorte de « café du commerce » ou de « concours Lépine » dont les forums internet sont maintenant un des lieux et médias favoris.

Lors du récent débat public, de nombreux opposants (voire des partisans) au COL ont mis l’accent sur les itinéraires alternatifs et/ou complémentaires au COL. De même, pour le contournement ferroviaire de Lyon, les riverains ont proposé un passage suivant la LGV Méditerranée, alors que les pentes de cette LGV (3%) ne sont pas compatibles avec une ligne dédiée au fret. Des participants ont même proposé un contournement ferroviaire par l’Ouest lyonnais où des voies ferrées (parfois désaffectées) existent, mais dont le profil et le tracé ne permettent pas de les considérer comme une « alternative » d’après RFF.

La CRCI Rhône-Alpes a même découvert une nouvelle autoroute189, l’A79 Valence-Nîmes : il s’agit d’un projet des départements en difficulté de Rhône-Alpes (Ardèche) et de Languedoc-Roussillon (Gard) ; bien que qualifiée d’« autoroute », il s’agit tronçons de RN et RD via Privas, Aubenas et Alès dont une partie est déjà un itinéraire bis.

Cela pose une vraie question qui n’a guère été évoquée lors du récent débat public, l’intérêt, non pas d’autoroutes, mais de liaisons de qualité (aussi souvent que possible à 2 chaussées, avec des déviations d’agglomérations) répondant à 2 fonctions : • le désenclavement et l’aménagement du territoire • une alternative ou un complément de capacité pour certains trafics et à certains moments

Seul un universitaire (le Professeur A. Bonafous) avait soulevé cette question lors d’une des réunions publiques du récent débat public.

Les riverains du Contournement Est de Lyon : séparer & éloigner le trafic de transit

Les riverains des infrastructures autoroutières ont évidemment comme première préoccupation la limitation (à défaut de réduction) du trafic, surtout des PL en « transit », source supposée de tous les maux. Ainsi, les associations de riverains du Contournement Est de Lyon190, se plaignaient de supporter les nuisances d’un trafic de « plus de 16000 Poids Lourds par jour » équivalent à « près de 4 fois le nombre de camions attendus sous le tunnel du Mont Blanc ».

189 Contribution de la Chambre Régionale de Commerce et d’Industrie Rhône-Alpes, Cahier N° 2. 190 Contribution du Collectif des Riverains et Usagers de la Rocade Est, Cahier N° 5. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 131/160

Ces chiffres confondent le trafic de transit passant par l’Est lyonnais (transit dont le volume dépend de la définition de l’aire d’étude : Villefranche-Vienne ou Mâcon – Valence/Montélimar) et le trafic ayant pour origine ou destinations la région lyonnaise (y compris le secteur Isle d’Abeau / Satolas, faisant partie de la RUL*) – dont un important trafic local interne à l’Est lyonnais et à la RUL ou, maintenant, au périmètre du SCOT de la région lyonnaise. * Région Urbaine de Lyon (zone réunissant la région lyonnaise, stéphanoise et la partie Ouest de l’Isère

Ces riverains en concluent qu’il faut donc un « contournement autoroutier exclusivement réservé au trafic de transit afin de le séparer de la circulation locale » qui « soulagera non seulement la Rocade, mais aussi la traversée de Lyon par le tunnel de Fourvière ». Séparer le trafic de transit et, a fortiori, lui réserver une infrastructure « dédiée » est évidemment irréalisable.

Partager les nuisances & les problèmes de l’agglomération

Pour les riverains du Contournement Est de Lyon (qui ont déjà « donné » en quelque sorte), il n’y a pas d’autre solution pour ce contournement que le passage à l’Ouest, dans le périmètre proposé. Se présentant comme soucieux des inconvénients du COL pour ses futurs riverains, les opposants de l’Est demandent à l’Etat de « tout faire pour que se réalise au plus vite le COL dans les meilleures conditions de protection de l’environnement humain et naturel ».

Des groupes de riverains se sont opposés au COL bien qu’ils ne soient pas directement concernés, au motif que leur territoire est déjà victime de nuisances. C’est le cas de Givors, ville est « déjà coupée en 2 » par l’A47 et traversée par la RN86. Elus et associations craignent pour le « développement durable » de Givors, ville en crise économique et urbaine : « le COL met en cause le Droit* d’habiter sur un vaste territoire » * en majuscule dans le texte original

L’affrontement entre élus de l’Ouest (contre le COL et pour le contournement ferroviaire de Lyon à l’Est) et de l’Est (pour le COL et le contournement ferroviaire de Lyon à certaines conditions) a bien montré d’autres enjeux de partage des nuisances (ici : bruit, pollution, consommation d’espace) et des problèmes (logement social, nomades) de l’agglomération lyonnaise que l’Ouest (favorisé) et l’Est (défavorisé) devraient partager plus équitablement.

Ouest vert & Ouest riche ?

Les opposants de l’Ouest au COL sont bien conscients de l’image (globalement justifiée) de l’Ouest lyonnais comme un territoire relativement privilégié (relief, paysages, « verdure », etc) habité par des ménages également privilégiés (cadres supérieurs ou autres). Ces opposants se sont donc attachés à esquiver les inévitables critiques sur leur « égoïsme* » social et résidentiel, de 3 façons : * terme jamais employé

• en marquant leur solidarité de principe à l’égard des pauvres (dans tous les sens du terme) résidents de l’Est lyonnais subissant les nuisances des infrastructures (Contournement Est de Lyon, nuisances de l'aéroport de Lyon-Satolas)

• en présentant les sites dont ils jouissent comme un « poumon vert » de l’agglomération qu’il faudrait préserver pour tous les lyonnais

C’est un bel exemple de « montée en moralité » où des opposants savent bien qu’ils ne pourront s’opposer qu’au nom de valeurs autres que locales et intéressées, en se positionnant en défenseurs d’intérêts généraux à long terme (comme « l’avenir de nos enfants », le monde « laissé aux générations futures» ou le « développent durable » qui justifient tout et n’importe quoi – bien que les problèmes posés soient réels..

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 132/160

• un universitaire, chercheur reconnu en matière de transports (par ailleurs résident du périmètre d’étude du COL) avait proposé une formulation originale, l’« adossement vert » de l’agglomération191 pour justifier le parti de ne pas faire d’infrastructure à l’Ouest (sauf pour faciliter l’accès à l’agglomération). Cet « adossement vert » étant la zone d’accueil d’activités de haut niveau (tertiaires ou scientifiques) et de quartiers résidentiels pour leur personnel (français ou étranger, mais exigeant) indispensable à une agglomération à vocation internationale comme Lyon (dont les élus et les élites se fixent comme modèles quelque peu ambitieux Barcelone).

On peut s’interroger sur les implications de cette analyse et de la politique d’aménagement qui en découle. Si elles nous semblent parfaitement fondées et réalistes, cela signifie, à terme assez court, des modalités nouvelles de développement de la région lyonnaise. En particulier : • une nouvelle étape de la « fracture spatiale » entre l’Ouest et l’Est lyonnais • une nouvelle phase et de nouvelles formes de péri-urbain, plus semblable aux « edge cities » d’Amérique du Nord qu’au péri-urbain qui s’est développé depuis 30 ans dans l’Ouest lyonnais • la poursuite (qui se produit de toute façon) de l’extension de l’aire du péri-urbain sur les pénétrantes (et leurs raccordements aux rocades) routières (ex : RN7, RD42, RD11) et autoroutières (ex : A450)

Bien que cela ne fût pas le sujet du récent débat public, on voit bien que les divers points de vue ou partis posent la question des scénarios et politiques d’aménagement qui en découlent.

Au final, il nous semble qu’il y a eu un réel « déficit » d’études et d’expertise (qui aurait pu combler pour partie ce déficit) en matière de politique territoriale de développement et d’aménagement lors du récent débat public.

La DTA n’avait en effet pas la même fonction, puisqu’elle a pour objet de constituer le cadre de référence (dans une démarche finalement analogue à celles des schémas OREAM ou autres des années 70 ou 80) pour l’Etat dans ses relations avec les collectivités territoriales concernées.

Les opposants de l’Ouest au COL : l’hommage du vice à la vertu des « villageois » qui encombrent & polluent plus que le transit routier ?

Les opposants de l’Ouest au COL sont souvent d’anciens « lyonnais » venant du centre de l’agglomération et partis chercher la verdure et la tranquillité à l’Ouest. Ainsi, un élu argumentait que « les gens ont choisi » de venir vivre à la campagne à l’Ouest ; un opposant véhément au COL, « habitant un village » expliquait avec une naïveté évidente qu’il était venu il y a 20 ans de l’Est pour chercher le « calme » et qu’il ne voulait pas que ce calme soit mis en péril par une autoroute.

Il est très probable que ces « périurbains » ou nouveaux « villageois » vont à Lyon en voiture et contribuent aussi bien à l’encombrement des accès de Lyon (ex : du tunnel sous Fourvière) qu’à la pollution de l’air et aux nuisances des riverains des routes utilisées.

191 A. Bonafous, Professeur à Lyon II, ancien Directeur du LET, cité par le Comité Fédéral pour l’Aménagement Routier du Nord Ouest Lyonnais, Cahier N° 6. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 133/160

Le bon mode, c’est l’autre mode que celui de l’infrastructure projetée

Une autre politique (audacieuse) des transports : les services de l’Etat prisonniers des « lobbies » autoroutiers ?

Plusieurs groupes d’opposants au COL ont repris le thème qui est maintenant dans l’air du temps depuis qu’il a été en quelque sorte érigé en doctrine aussi bien par l’Etat (notamment les 2 Ministères concernés) que par l’Union - à travers le Livre Blanc.

Ainsi, pour un « collectif », « tout appelle un développement audacieux de l'intermodalité, du transport public, du ferroutage et du fluvial.. la solution passe par une autre politique des transports »192. Le terme « audacieux » n’est sans doute pas là par hasard, c’est une sorte de mot codé pour désigner une « grande politique » de financement public en faveur du ferroviaire et des autres modes que la route.

Bien évidemment, cela pose de nombreuses questions pour savoir si en dépensant beaucoup plus pour le ferroviaire (infrastructures, aides à l’exploitant), on obtiendra bien le résultat cherché (un transfert modal important) et, si ce n’est pas le cas, quel en sera le coût marginal pour la collectivité.

On peut remarquer qu’il y a peut-être là un autre « conformisme » que celui reproché par ces opposants aux autoroutes et partisans du ferroviaire aux services de l’Etat – à savoir la croyance (c’est bien une croyance, puisque ce n’est pas démontré et que le passé fait douter d’une solution aussi simple) que la dépense publique garantirait la réussite de la politique proposée.

Le fluvial : une alternative pour le trafic transalpin ?

Durant le récent débat public, d’assez nombreux intervenants ont regretté que le transport fluvial ne soit pas plus mis en évidence, comme alternative à la route (surtout), voire au ferroviaire.

La maîtrise d'ouvrage (DRE) ayant expliqué que le fluvial était bien pris en compte, mais que sa contribution ne pouvait être que faible sur l’axe de transit Nord-Sud. Pour d’autres trafics de transit, il est évidemment difficile de faire passer du trafic France-Italie par voie fluviale, même si (comme l’a noté le représentant des entreprises de logistique), le mode fluvio- maritime est réaliste pour l’exportation.

On pourrait aussi remarquer que, si le fluvial est sous-utilisé sur l’axe nord-sud via la vallée du Rhône, c’est aussi parce que le port principal de la région Rhône-Alpes n’est pas Marseille, mais Anvers (plus performant et de mieux en mieux desservi par la SNCF).

Là encore, cela pose la question de l’exploitation des infrastructures existantes ou prévues, donc des performances des exploitants – questions qui auraient également mérité une ou des études ou expertises, que pourtant personne n’a demandées.

192 Contribution de la SRG Sauvegarde du Pays Rhône – Gier, Cahier N° 15. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 134/160

Des questions que personne ne pose ou n’a envie de poser ? des expertises ne sont donc pas nécessaires !

Le coût du grand contournement autoroutier de Lyon des calculs « à la louche » plutôt qu’à l’ordinateur

La question du coût du grand contournement autoroutier de Lyon a été posée de façon récurrente par les opposants au COL qui y trouvent un argument évident contre cette infrastructure, son coût (prévisionnel) effectivement très important.

Paradoxalement, la variante « tricarde » du grand contournement Est, utilisant des infrastructures déjà réalisées ou en cours de réalisation, serait bien moins coûteuse, le coût du tronçon manquant du Grand contournement Est (35 km sur un total de 90 km) étant de l’ordre de 1/3 du coût du grand contournement Ouest de Lyon (70 km, dont une dizaine en tunnel) – soit 3,8 GF (580 M ) contre 12 GF (1,83 G ), une partie du Grand contournement Est étant déjà réalisée ou en en cours (donc financée).

Dans la mesure où la concession du contournement autoroutier de Lyon nécessitera une part importante de financement public (l’adossement n’existant plus), même un économiste amateur (comme le rédacteur) peut estimer que la subvention pour ces derniers 35 km de Grand contournement Est serait moins élevée, même dans l’hypothèse d’un péage réduit (sur l’ensemble A432/tronçon sud du Grand contournement Est).

S’y ajoute un élément fonctionnel tenant à la desserte des zones logistiques de la grande région lyonnaise (situées dans une couronne allant de la 1ère couronne de l’agglomération desservie par le Contournement Est de Lyon jusqu’au delà de l'aéroport de Lyon-Satolas). Comme le rappelle un universitaire, « En termes purement économiques, entre 70 km à 20 GF (plus de 3 G ) à l’Ouest et 30 km à 5 GF (760 M ) à l’Est, le choix est vite fait.. d’autant plus que les entreprises de logistique sont à l’Est ».193

Le financement COL a fait l’objet de critiques ou assertions de valeur inégale, concernant 3 points : • le coût prévisible de la nouvelle infrastructure • la part de financement public versée au concessionnaire • le péage et ses modalités

Le coût du COL avait été évalué avant le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon par les services de l’Etat, avec une très large fourchette, d’après ratios, à environ 11 à 14 GF (1,68 à 2,13 G ). Ce calcul était « à la louche », à partir de ratios (longueur / coûts connus d’infrastructures analogues) et ne pouvait constituer qu’un ordre de grandeur.

Cette estimation était déjà mise en doute par les chercheurs du LET qui l’estimaient plutôt à 2,3 G au moins. Le montant de la subvention publique (qui est une différence avec le coût acceptable par le concessionnaire pour son équilibre) augmenterait donc très fortement.

193 Entretien avec Bruno Faivre d’Arcier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, chercheur au LET, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 135/160

La part de subvention a été souvent présentée par les opposants pour montrer que l’infrastructure ne peut être réalisée et/ou qu’elle constitue une aide scandaleuse à une société privée avide de profits. Ainsi, la nébuleuse d’« écologistes », de partisans des TC, et de défense des « consommateurs » affirme que l’A89 sera « financée à 90 % par l’Etat et les collectivités territoriales et 10 % par les concessionnaires qui se remboursent par ailleurs par les péages »194 alors que l’appel d’offres n’a pas encore été lancé et que la part de subvention était inconnue.

Un chercheur du LET estimait qu’en raison de sa longueur (70 km, dont une partie en tunnel), le COL n’aura qu’une rentabilité très faible, d’où la nécessité d’une subvention de l’ordre de 80% (« évaluation non validée ») de financement public dont l’Etat demandera probablement 50% aux collectivités territoriales.195

L’évaluation de la part de subvention était donc floue et discutable, même lorsque des estimations ont été faites par des spécialistes, puisque de nombreux facteurs déterminent le coût pour le concessionnaire, en particulier :

• la conception et la réalisation après concession, le concessionnaire pouvant (selon le Cahier des Engagements de l’Etat) chercher des solutions plus économiques (ex : moins de tronçons en tunnel sous le Pilat, vitesse réduite et profil moins contraignant)

• la durée de la concession. Ainsi, le tunnel de l’A86 (à plus petit gabarit) dont le coût prévisionnel de 1,6 G (environ 1/8 du COL complet) a été entièrement à la charge du concessionnaire, moyennant une concession de 70 ans, bien plus longue que les anciennes concessions par adossement.

On voit que cela supposerait:

• que l’appel d’offre de concession laisse une large marge de proposition au candidat concessionnaire, notamment pour proposer des solutions plus économiques

• et, donc, que le cahier des charges et le futur Dossier des engagements de l’Etat soit moins irréaliste (ex : obligation de passage en tunnel ou tranchée, vitesse de base, etc) que celui initialement prévu

Ces questions n’ont pas vraiment fait l’objet d’un débat lors du récent débat public, le débat public ayant plutôt porté sur le principe même du COL, les uns s’y opposant totalement, les autres (ex : riverains du Contournement Est de Lyon et élus de l’Est lyonnais) se contentant de l’ordre de grandeur du coût estimé par la maîtrise d'ouvrage.

194 Contribution du Collectif Associatif, Cahier N° 7. 195 Entretien avec Bruno Faivre d’Arcier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, chercheur au LET, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 136/160

Le financement COL : un péage gratuit pour les Lyonnais payé par le transit européen ?

Plusieurs « acteurs » ou opposants ont marqué leur refus d’une infrastructure à péage pour le trafic local, puisque l’objectif est de dissuader le transit d’une part, d’éloigner le trafic régional de la ville d’autre part. L’argument avait déjà été employé contre le péage sur le Périphérique Nord de Lyon (très utilisé et très pratique pour les cadres de l’Ouest travaillant à l’Est).

Il nous paraît à l’évidence spécieux, puisque des automobilistes qui en ont largement les moyens payent un service (temps de parcours réduit malgré l’encombrement aux heures de pointe) pour dissocier leur domicile (à l’Ouest) et leur lieu d’emploi (à l’Est) ou contourner la ville.

Plusieurs associations favorables aux TC (donc « anti-voiture » en ville) s’accordaient avec le Maire de Lyon et Président du Grand Lyon pour proposer une solution de type « péage d’agglomération » ou de modulation de péage (analogue à la tarification sur le Contournement Est de Lyon au Nord et au Sud qui permet au trafic local de l’utiliser gratuitement).

En y regardant de plus près, il s’agit de faire payer par d’autres (idéalement : les camionneurs étrangers) ces nouvelles infrastructures utilisables gratuitement par les lyonnais (comme la partie Nord du Contournement Est de Lyon)

Le Grand Lyon a d’ailleurs fait étudier des solutions, compte tenu des nombreuses contraintes réglementaires - on ne peut évidemment « surtaxer » les camions espagnols ou les caravaniers néerlandais en tant que tels. Dans un bel exercice de « comptabilité (publique) créatrice », les responsables politiques lyonnais étaient toujours à la recherche de solutions permettant de ne pas faire payer les lyonnais en faisant payer les autres (les camionneurs ou automobilistes en « transit européen » ou le Département du Rhône).

Pour le financement COL, un Maire de l’Est partageait la sérénité du Président du Grand Lyon, puisque « c’est l’Etat. Si les 16 milliards de F nécessaires sont débloqués (sic), ça peut se faire en 5 ans »196. Un tel optimisme laisse évidemment pantois. Il illustre bien le fait que l’on peut affirmer n’importe quoi et son contraire dans un tel débat.

Des questions ou problèmes sans réponse satisfaisante : contournement autoroutier & urbanisation

Le COL : pas de trafic local ? bonnes intentions & pétition de principe

Le dossier du COL et les débats ont quelque peu occulté ou simplifié, voire exclu par principe, la question du trafic local.

Pourtant, le Directeur du LET l’avait rappelé dans une note pour la Commission particulière (jointe aux dossiers du débat).197 Il remarquait que le rôle du COL sur la circulation locale avait été largement occulté dans les discussions comme dans le dossier distribué aux participants. Tout s’est passé en effet comme si les maîtres d’ouvrage comme les opposants au projet avaient décidé de focaliser l’attention sur le trafic de transit.

196 Lyon Mag, octobre 2001. 197 Débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon. Quelques remarques, Yves Crozet, Professeur à l’Université Lyon 2, Directeur du laboratoire d’économie des transports, s.d. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 137/160

Il rappelait que le transport routier va continuer à se développer et pas seulement sur les très grandes distances de type Espagne – Nord de l’Europe. Paradoxalement, en se polarisant sur ce type de liaison, on oublie une donnée simple : la moitié des poids lourds qui passent dans la région lyonnaise s’y arrêtent pour des raisons de chargement ou de déchargement. Quand bien même on réussirait à détourner vers d’autres itinéraires une partie significative du grand transit, il resterait encore un trafic PL important et croissant, lié directement à l’attractivité économique de l’agglomération.

Y. Crozet rappelait également qu’à l’exception des jours de grands départs en vacances (Noël, Hiver, Printemps, Pentecôte, début juillet et début août), c’est le trafic automobile local qui représente la majeure partie des flux sur les autoroutes et rocades de la région lyonnaise.

Il en concluait donc que c’est aussi en raisonnant sur le trafic local que l’on doit poser le problème du COL, en relation avec d’autres infrastructures prévues, notamment le bouclage ouest du périphérique (TOP), mais aussi en lien avec les tendances générales de la politique urbaine en matière de circulation et de localisation des activités

Pour Y. Crozet, « l’agglomération lyonnaise est complètement déséquilibrée ». Elle possède à l’Est le double périphérique et on envisage même d’en développer un troisième à hauteur de l’aéroport de Saint Exupéry (A432 et l’éventuelle A7 bis). A l’Ouest au contraire, le premier périphérique est le tunnel sous Fourvière (d’après Y. Crozet, ce qui nous semble quelque peu inexact) et le second (le 2ème périphérique symétrique au Contournement Est de Lyon) est absent. C’est pourquoi le COL constituerait un second périphérique qui aurait forcément une fonction pour le trafic local, et pas seulement pour le grand transit, car il n’est pas très éloigné de l’agglomération.

Maîtrise de l’urbanisation & limitation du nombre d’échangeurs : le principe & la réalité

Les services de l’Etat rappellent en principe, en le présentant comme une évidence indiscutable, la nécessité de limiter le nombre de diffuseurs afin de « maîtriser le développement en périphérie de l’agglomération ».

Le parti de limitation du nombre d’échangeurs et l’objectif de maîtrise de la péri-urbanisation autour du COL (et dont le COL risquerait d’être l’instrument) ont été constamment affichés et réaffirmés par l’Etat, d’abord de Préfet pour qui « la présence de cet ouvrage devrait ralentir le phénomène de grignotage (de l’espace) et nous permettre de mieux gérer l’urbanisation de l’espace.. Si nous ne faisons rien, dans vingt ans, il n’y aurait plus d’espace disponible dans l’Ouest lyonnais ».198

Selon la double logique d’un grand contournement Ouest de Lyon ayant pour objectifs de faciliter l’écoulement du trafic de transit (mal défini, comme on l’a vu) et de soulager les infrastructures existantes (Contournement Est de Lyon et passage A6/A7 via Fourvière), l’Etat avait décidé dès le 1er débat avec les « grands élus » une limitation du nombre d’échangeurs199 (hormis évidemment le raccordement au Nord à l’A6 et au Sud à l’A7) : • avec l’A89 et éventuellement la RN7 à l’Ouest • avec l’A45 et éventuellement l’A47 et la RD42 • avec l’Isère rhodanienne au Sud de Lyon • avec le bassin annonéen (Nord Ardèche) à partir de l’autoroute A 7, par la RN 82

198 Entretien avec Michel Besse, Préfet de la Région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». 199 Ministère de l’Equipement, des Transports et du Logement, Direction des Routes CONTOURNEMENT AUTOROUTIER OUEST DE LYON, cahier des charges. Voir : www.rhone-alpes.equipement.gouv.fr/route/COL/col.htm ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 138/160

Il n’y aurait donc que 2 échangeurs à l’Ouest de Lyon. Cela devrait être garanti par le Cahier des engagements de l’Etat recoupé par la DTA, les futurs SCOT et autres PDU. Reprenant la position de l’Etat traduite dans le dossier préparé par la maîtrise d'ouvrage, la Région Rhône-Alpes « prend acte » du projet de COL et insiste pour qu’il soit « effectivement dédié au seul trafic de transit et ne permettre ni favoriser l’étalement urbain ni d’accroître les capacités routières pour le trafic local »200

On peut toutefois se demander si on n’est pas ici devant une pétition de principe sur le registre des promesses qui n’engagent que ceux qui les reçoivent.

Au cours du débat, plusieurs participants (notamment des chercheurs) ont rappelé le risque que le COL favorise l’étalement urbain et se sont demandé comment résister à la demande d’échangeurs supplémentaires.

Pourtant, on sait d’expérience que toute autoroute suscite une forte demande d’échangeurs, d’abord de la part des collectivités territoriales intéressées (accès à l’agglomération, desserte des ZA ou zones commerciales), des milieux économiques (industriels, grand commerce, etc), du secteur de l’immobilier et, bien entendu, des transporteurs.

La région lyonnaise en offre la démonstration sur longue période. Ainsi : • sur l’A6 (autoroute ancienne), un échangeur est aménagé au nord de Villefranche (comme d’autres tout au long de cette infrastructure) • sur le Contournement Est de Lyon, 2 nouveaux échangeurs étaient à l’étude (à la demande des élus)

Cette réalisation de 2 nouveaux échangeurs sur l’A46 Nord, demandée par les collectivités territoriales concernées, suscitait des craintes de la part des services de l’Etat qui redoutaient des effets d’urbanisation à partir de ces échangeurs, malgré les PLU (ex POS) ou autres SCOT. Les effets de frontière départementale (Ain/Rhône) rendent d’ailleurs plus difficile l’encadrement de ces phénomènes.

On peut légitimement avoir les pires doute sur la possibilité de tenir sur le long terme ce principe de limitation du nombre d’échangeurs du COL – toutefois « protégé » par son passage en tunnel sur une grande partie de son tracé.

Toutefois tout échangeur supplémentaire ne serait pas forcément aberrant. Ainsi, un échangeur avait été suggéré pour « désenclaver » les Monts du Lyonnais (partie montagneuse du Rhône entre l’agglomération lyonnaise et la Loire). Un tel échangeur aurait un objectif d’aménagement du territoire. Il est toutefois évident que le risque de « péri- urbanisation » est réel. Dans tous les cas, cela pose la question de la « maîtrise » de l’urbanisation (en y incluant les zones d’activité industrielle, commerciale ou tertiaire qui se multiplient déjà dans l’Ouest lyonnais bien avant le COL ou le tronçon Ouest du périphérique de Lyon).

La demande de nouveaux échangeurs répond aussi, paradoxalement, à la protestation à l’égard des nuisances de l’infrastructure : les élus placés devant le fait accompli (l’autoroute et ses nuisances) demandent alors des « compensations », en particulier un échangeur (et, si possible, un péage) qui permet d’espérer des retombées (ex : implantation d’hôtels, activités, etc).

200 Contournement de Lyon : la région s’en mêle, Le Progrès du 25 janvier 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 139/160

Une inconnue : l’utilisation du contournement ferroviaire de Lyon des effets pervers sur la desserte péri-urbaine ?

Une question a été quasiment évacuée des dossiers présentés par les maîtrises d'ouvrage (Etat et RFF) sur le contournement ferroviaire de Lyon, celle de l’utilisation des nouvelles infrastructures (grandes « magistrales » fret comme aménagements pour résorber les « bouchons ferroviaires de Lyon, Bordeaux ou autres).

Le maîtrise d'ouvrage ferroviaire (RFF) a rappelé que le développement du fret ferroviaire trouvera toute sa pertinence sur de longues distances. En particulier, sur les grands axes européens qui tendent à se dessiner et relient d’une part, la Grande-Bretagne et l’Italie, et, d’autre part, l’Allemagne à l’Espagne.

RFF a également rappelé que la SNCF ne sera pas le seul exploitant de ces nouvelles infrastructures de fret qui seront en principe ouvertes (selon des conditions encore indéterminées) à d’autres exploitants en partenariat ou en concurrence avec la SNCF. L’affirmation que « cette concurrence devrait être bénéfique au développement du fret » est plus une pétition de principe ou un objectif qu’une certitude.

Le Directeur du LET avait expliqué lors d’un entretien que le contournement ferroviaire de Lyon serait de toute façon nécessaire pour permettre au rail de « fonctionner confortablement dans l’agglomération lyonnaise pour permettre aux TER de mieux circuler » 201

On pourrait faire observer que faire ainsi mieux « fonctionner » l’agglomération lyonnaise et soulager sa saturation entraîne des risques d’effets pervers sur la poursuite et l’extension de la péri-urbanisation dans une sorte de grande aire urbaine dont les TER autant que les RD et les pénétrantes sont les instruments.

Les collectivités territoriales & les contournements de Lyon : les partisans, les opposants, les demandeurs, les bénéficiaires & les payeurs

Le Département du Rhône : un département qui ne s’occupe plus des routes puisque personne n’en veut plus

Le Département du Rhône s’était quasiment désengagé des dossiers d’infrastructures comme le COL ou le bouclage du périphérique de Lyon (ex tronçon Ouest du périphérique de Lyon). Le DVA est, en pratique, une affaire entre la DDE et le Grand Lyon. Bien plus, le Département du Rhône avait décidé (à l’initiative de son Président) de .. supprimer le budget des routes du département, le Directeur des routes au Département du Rhône (ancien ingénieur de l’Equipement) n’ayant d’ailleurs pas été remplacé. Le Président du Conseil Général du Rhône ne veut pas participer au financement du COL dont les élus de l’Ouest ne veulent pas (en public s’entend) :« comme plus personne ne veut de routes dans ce pays.. on supprime le budget des routes et on fait autre chose. Je vais d’ailleurs annoncer la suppression du budget des routes du département… On est en train d’organiser un développement complètement déséquilibré de l’Ouest et de l’Est de la région lyonnaise.. L’Ouest est oublié, à sa demande d’ailleurs. Les élus locaux ne veulent pas d’infrastructures (donc) .. ils n’en auront pas. Sauf si l’Etat l’impose à travers la définition de l’intérêt général »202. Affaire à suivre…

201 Entretien avec Yves Crozet, directeur du LET, Lyon Capitale du 16 au 23 janvier 2002 . 202 Entretien avec Michel Mercier, Sénateur, Président (UDF) du Conseil Général du Rhône, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 140/160

La Région Rhône-Alpes pour le contournement ferroviaire de Lyon & le COL même s’il faut les financer sans le Grand Lyon

La plupart des opposants ont déploré que la Région Rhône-Alpes (comme le Grand Lyon) ne participe pas vraiment au récent débat public. Le Président de la Commission particulière regrettait la « discrétion.. jusqu’ici » (fin janvier 2002, après 3 mois de débat) des exécutifs de la Région Rhône-Alpes et du Grand Lyon203 qui ne s’étaient pas prononcés et n’étaient pas intervenus en réunion.

Dans les 2 cas, tout s’est passé comme si les 2 collectivités territoriales voulaient à la fois soutenir la réalisation du COL et (pour la Région) du contournement ferroviaire de Lyon tout en évitant des débats internes (les opposants et les partisans du COL étant représentés dans la majorité de chacune des assemblées) et (selon nous), sans s’engager d’avance dans une quelconque participation au financement du COL.

Autrement dit, pour le Grand Lyon, il s’agissait en quelque sorte d avoir le COL sans donner d’argent pour le COL.

Finalement, le Conseil Régional a émis un avis favorable unanime pour le contournement ferroviaire de Lyon, mais une courte majorité (77 pour, 59 contre) en faveur du contournement autoroutier à l’Ouest en raison de l’opposition (de principe) des « Verts » d’une part, des « millonistes* » et du Front National d’autre part (pour des raisons plus « politiciennes). Dans un contexte assez particulier (présidence et exécutif de centre-droit s’appuyant sur la « majorité plurielle » de gauche, faute de majorité à droite sans alliance avec le FN), les élus régionaux PS et PCF ont été « favorables au COL, à condition qu’il soit payé par les usagers, le financement public doit aller exclusivement au ferroviaire »204.

* groupe d’élus autour de Charles Millon, dissident RPR

Le Grand Lyon & les nouvelles infrastructures projetées en région lyonnaise : bénéficier des infrastructures sans les financer

Le Grand Lyon, dont la non-participation aux réunions a été critiquée, a clairement pris position pour la « nécessité » du « contournement autoroutier ouest »205

Pour le Grand Lyon (ou, plus exactement, pour le Maire de Lyon), la réalisation (souhaitée) du COL ne prend son sens que par rapport à des projets de l’agglomération et de la Ville de Lyon : • le Confluent (réaménagement du confluent Rhône-Saône actuellement occupé par le marché-gare et d’autres bâtiments à désaffecter) où Lyon veut construire un musée (financé par le Département du Rhône) et réaliser un quartier nouveau, principal projet du mandat en cours et des suivants (si la majorité actuelle est reconduite) • le tronçon Ouest du périphérique de Lyon, renommé récemment « bouclage du périphérique » • la réduction de capacité et la « requalification » de la traversée A6-A7 (via Fourvière) en « boulevard urbain »

Autrement dit, le COL donnerait à Lyon (ville-centre) de nouvelles possibilités d’opérations d’aménagement, en particulier de zones de constructions nouvelles intra- muros dont seul le quartier de la Part-Dieu sur la rive gauche (en voie de remplissage final) avait offert autant de foncier bien placé et bien desservi alors que la demande de foncier explose.

203 Contournement Ouest : André Oriol dénonce la discrétion de la Région et du Grand Lyon, Le Progrès du 22/1/02. 204 B. Soulage, porte-parole du groupe PS et apparentés au Conseil Régional, Le Progrès du 26/1/02. 205 Contribution du Grand Lyon, Cahier d’acteurs N° 13. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 141/160

Le Grand Lyon était également favorable au contournement ferroviaire de Lyon, mais il est significatif que le Président du Grand Lyon soit venue en personne à la seule réunion DUCSAI de Lyon pour défendre l’extension de l'aéroport, alors qu’il n’a pas participé au récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.

Là encore, le Grand Lyon avait pris position en fonction de ses priorités et de sa politique. Son Président pouvait être satisfait des promesses du Ministre pour favoriser la nouvelle ligne Lyon Part-Dieu – aéroport, en complément des décisions déjà prises en faveur de l’aéroport après le débat DUCSAI sur le 3ème aéroport parisien.

Le Président du Grand Lyon a probablement voulu éviter toute controverse sur le COL, compte tenu des différents points de vue dans sa majorité. Comme l’a noté un observateur : « Après le maire de Lyon*, le président du Grand Lyon* s’est.. exprimé.. exercice délicat tant les avis sont divergents, de l’est à l’ouest de l’agglomération »206 * il s’agit de la même personne

La priorité du Grand Lyon était en quelque sorte de « découpler » les infrastructures de transit ou de contournement des infrastructures internes à l’agglomération : « Il faut.. détourner au maximum le trafic de transit qui doit passer plus à l’écart, qu’on ait le COL, et que le tronçon Ouest du périphérique de Lyon prenne une circulation plus réduite. Il faut éviter que le tunnel sous Fourvière ou le boulevard scientifique de Gerland servent de petit contournement de Lyon ». Le COL est donc « indispensable à la poursuite du dynamisme de l’agglomération » et il « conditionne la réalisation du tronçon Ouest du périphérique de Lyon car celui-ci n’a pas vocation à servir d’axe de transit »207

Fidèle à sa stratégie, le Président du Grand Lyon et Maire de Lyon cherchait comment tirer parti de la réalisation d’infrastructures extérieures au Grand Lyon, financées par d’autres (Etat, Région, etc). Il s’appuyait sur la promesse d’un lointain prédécesseur (de bord politique opposé) du Ministre de réaliser le COL pour donner sa vocation d’agglomération au tronçon Ouest du périphérique de Lyon, principe confirmé par l’actuel Ministre, puisque « Gayssot ne (nous) a jamais demandé (de financer le COL), cela relève de la décision de l’Etat »208

Le COL : le prix à payer par l’Etat & la Région pour permettre au Grand Lyon de réaliser ses grands projets ?

La réalisation du COL permettant au Grand Lyon de récupérer l’axe A6-A7 par Fourvière et de desservir le Confluent serait en quelque sorte le prix à payer par l’Etat et les collectivités territoriales (Région, peut-être Département du Rhône) qui le financeront avec le concessionnaire pour que le Grand Lyon puisse réaliser ses grands projets.

Ces grands projets (surtout le confluent, énorme réserve foncière dont la position dans l’agglomération vaut celle de la ZAC rive gauche à Paris) donneront au Grand Lyon et à la ville de Lyon une formidable marge de négociation avec les promoteurs. Si la conjoncture s’y prête (comme à Paris, depuis la sortie de la crise immobilière de la 1ère partie des années 90), le Grand Lyon et Lyon pourront largement autofinancer leur politique ambitieuse (réalisation de bureaux, logements) et même leur politique de la ville (logements sociaux par péréquation de charge foncière).

De ce point de vue, la réalisation du COL aurait un effet d’aubaine pour le Grand Lyon et pour Lyon – ce qui justifierait à première vue que ces collectivités participent au financement du COL dont ils bénéficieront bien plus que d’autres. Mais le Maire de Lyon et Président du Grand Lyon a tout fait jusqu’à présent pour faire avancer le projet de COL en évitant de s’y impliquer pour ne pas être mis en demeure de le financer.

206 Le Progrès du 6/2/02. 207 Gérard Collomb, d’après Le Progrès du 6/2/02. 208 Le Progrès (date inconnue, probablement le 6 février 2002) ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 142/160

Il nous semble probable que le Grand Lyon aura tout au plus à prendre quelques engagements (peu coûteux) de réduction des capacités de voirie sur l’axe A6-A7 dans le cadre du DVA, du PDU et de la future convention de transfert.

Des préalables à sens unique ? financement national & avantage local

En effet, la réalisation du COL permettrait de déclasser la traversée autoroutière actuelle de Lyon (A6/A7 par Fourvière), pour le plus grand bénéfice de Lyon et, dans une moindre mesure, de communes au Nord et au Sud de Fourvière.

Bien que personne (même pas les universitaires spécialisés dans les transports) ne l’ait signalé lors des tables rondes alors que leurs avis étaient sollicités, il est évident que la quasi-suppression du transit libèrera des capacités pour le trafic local, même si les collectivités territoriales (ici, le Grand Lyon, en charge de la voirie) réduisent ces capacités par un nouveau partage de voirie (ex : en réservant des voies aux TC) en réduisant le nombre de voies par des aménagements de type « boulevard urbain » et en jouant sur le débit et la vitesse.

Concrètement, il nous semble qu’il y a un risque réel de remplacer le trafic dit « de transit » par un trafic d’accès au centre de l’agglomération, d’abord pour les péri- urbains de plus en plus éloignés qui y gagneront une bien meilleure accessibilité à la ville – quitte à utiliser ensuite les TC pour accéder à l’hypercentre ou se déplacer dans le centre. 209

Le bouclage du périphérique de Lyon (ex "TOP") complèterait cet « aspirateur » à voitures de péri-urbains en leur permettant d’accéder plus facilement à n’importe quel point de la 1ère couronne de l’agglomération.

De ce point de vue, le risque principal d’effets pervers du COL ne nous paraît donc pas être le nombre d’échangeurs du COL, mais la facilité d’accès à l’agglomération par les voies libérées directement (A7 au nord de Fourvière et A6/berges du Rhône au Sud) et indirectement (ex : accès à Lyon depuis les Monts du Lyonnais via l’A450 raccordée à l’A7, à la RN383 (périphérique Est de Lyon) ou au BUS* grâce auxquelles les amateurs de pavillonnaire péri-urbain pourront aller de plus en plus loin. * Boulevard Urbain Sud, intérieur à l’agglomération (relie l’A7 à l’A46 Sud)

Il y a bien un problème : comment l’Etat (maître d'ouvrage et probablement premier financeur du COL) peut-il être assuré que la contrepartie des fameux « engagements de l’Etat » concernant cette infrastructure auront leur réciproque ?

Cela ne nous semble nullement assuré, car les moyens dont l’Etat dispose et en lesquels il paraît être confiant (DTA encadrant les POS, PDU, DVA à élaborer) ne sont probablement pas suffisamment précis et contraignants : il faudra probablement qu’en échange de la réalisation du COL les collectivités territoriales (le Grand Lyon au premier chef) prennent également des engagements précis qui relèvent d’ailleurs du DVA plus ou moins en suspends actuellement.

209 Nos interventions sur ce point (effets pervers et illusions sur les fonctions des TC, notamment des TCSP) à diverses réunions ou journées d’études (CETUR, DRAST, etc). ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 143/160

La question de ces outils et procédures est donc essentielle pour les services de l’Etat qui disposent normalement des compétences nécessaires. Ce sont plutôt les réglementations et procédures qui font défaut ou sont peu contraignantes – voire incohérentes.

DVA & réseau d’agglomération après la réalisation du COL comment contractualiser les engagements de l’Etat & des collectivités territoriales ?

L’Etat dispose en principe d’outils qui encadrent à la fois les divers projets dont il est maître d'ouvrage et ceux des collectivités territoriales.

Le principal outil est bien la DTA qui encadre aussi bien les SCOTs à élaborer que des opérations comme l’extension l'aéroport de Satolas qui a, par ailleurs, fait l’objet d’un PIG. Du fait de sa décision en CIAT et de l’aval obligatoire du Conseil d’Etat, la DTA peut être modifié, mais difficilement.

En matière de voirie (comme dans le cas lyonnais où la réalisation et le bon fonctionnement du COL supposent une politique et des aménagements sur l’itinéraire A7/A6 par Fourvière et la réalisation concomitante du tronçon Ouest du périphérique de Lyon), le DVA est le cadre naturel, bien que son caractère contraignant et irrévocable semble problématique.

Dans le cas lyonnais, le DVA avait été reporté après le PDU. Une sorte de « quasi-DVA » de fait a conduit le Grand Lyon, suite au PDU de 1997, à faire une étude sur la hiérarchisation du réseau voirie en concertation avec l’Etat et le Département du Rhône (certaines voiries étant des RD). Cette hiérarchie a été décliné en 6 plans de déplacements de secteur servant de référence aux aménagements de voirie (notamment les nombreuses restrictions de la capacité des voies pour le trafic VP). Cette hiérarchisation du réseau et les principes retenus par le Grand Lyon ont simplement fait l’objet d’un avis, valant accord de l’Etat sur les plans de déplacements de secteur.

Experts de la maîtrise d'ouvrage & experts « d’en bas » contre-experts ou experts « alternatifs » ?

Elus, riverains & opposants la stratégie du soupçon

Nous avons à nouveau observé une certaine suspicion ou des soupçons à l’égard de la maîtrise d'ouvrage et du CETE. Ainsi, pour l’A89, du fait que cet APS était logiquement distinct d’autres projets (grand contournement Ouest de Lyon, Liaison A89-A6 via RD73, tronçon Ouest du périphérique de Lyon), des élus et opposants y voyaient une façon de « saucissonner » le projet pour le faire passer contre les opposants de façon plus ou moins subreptice.

Cette procédure est évidemment strictement réglementaire et pratique, les divers projets n’ayant pas le même maître d'ouvrage ni le même échéancier – d’où des protestations de sincérité (bien acceptées) du représentant de l’Etat (se présentant comme « honnête » et de « bonne foi »). Mais il peut y avoir 2 façons de voir :

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 144/160

• l’Etat doit veiller à la cohérence à terme des projets et donc les articuler les uns aux autres et, si nécessaire, les préfigurer • pour les élus, riverains ou opposants, il n’est pas pertinent (ni démocratique) de débattre de tronçons qui n’ont de sens qu’en tant que système.

Paradoxalement, la concertation (notamment durant l’élaboration de l’APS) peut être reçue comme le contraire des intentions affichées par l’Etat (ou un autre maître d'ouvrage). Cela devrait encore s’aggraver avec le débat public, puisque ce débat ne portait que sur l’opportunité de l’infrastructure (que l’Etat avait déjà retenu, puisqu’il a pris le risque d’un débat) et le périmètre d’étude (également déterminé).

Des opposants sont allés (au moins à titre de la polémique publique) jusqu’au soupçon affiché. Ainsi, dans le cas du grand contournement Ouest de Lyon, le porte-parole d’un collectif d’élus affirmait qu’« On nous ment depuis le début.. la préfecture nous envoie des communiqués très polis sur l’avance du projet. Mais le préfet de région… refuse une vraie concertation ! Nos projets n’ont jamais été étudiés. Les procédures de concertation ne sont qu’un habillage légal, tout simplement parce que la loi l’oblige ». 210 De même, un Maire (opposant au débouché de l’A89 dans sa commune et au grand contournement Ouest de Lyon) qualifiait le dossier du débat d’opportunité « présentant la solution par l’Ouest comme une évidence » de « manipulation d’opinion »211. Un autre élu (conseiller général) reprochait à l’Etat de « saucissonner »212 ces opérations (A89, Liaison A89-A6 via RD73, etc). Ils avaient pourtant participé au débat, d’ailleurs prolongé par le Préfet. Mais s’exprimer et être écouté n’est pas forcément satisfaisant quand on refuse un projet.

Ces points de vues ne sont pas totalement dénués de fondement, le Préfet ayant constamment œuvré pour que le projet présenté (le COL et non le grand contournement par l’Est) soit présenté et argumenté de façon à ne pouvoir être contesté, ni dans son principe, ni dans son périmètre d’étude.

Débat public & « experts d’en bas »

Lors d’une réunion publique, un représentant du CETE avait rappelé que la loi de 1976 rendait déjà obligatoire l’étude d’impact des infrastructures autoroutières et que la pratique constante (que nous avons pu observer pour l’A89) est de consulter les « experts d’en bas » (élus, riverains), le récent débat public ayant obligé à geler les contacts de terrain et la concertation. La réaction des opposants au COL a été significative : • un scepticisme (voire une suspicion) à l’égard du CETE (en tant que « représentant » de la maîtrise d'ouvrage) • un refus de cette consultation (donc d’être éventuellement des « experts d’en bas ») puisque l’on refuse a priori le projet

Ainsi, lorsqu’un représentant du CETE avait rappelé qu’une étude d’impact sur le Pilat avait été réalisée (conformément à la circulaire de 1998) par des spécialistes extérieurs, ces explications avaient rencontré l’incrédulité du public, voire le mépris de certains énergumènes ( « ils ne méritent pas leur salaire » « du pipeau » « arrête ! »213).

210 Objectif Lyon de juin 2000. 211 Le Progrès du 23/4/1999 212 Expression employée par un élu (également animateur d’un groupement d’opposants au grand contournement Ouest de Lyon) lors des réunions élus/DDE sur l’APS de l’A89 au 2ème trimestre 2000 (nos observations). 213 Quolibets dans la salle en réunion publique. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 145/160

Des réunions publiques où une partie du public conteste la maîtrise d'ouvrage & les experts

Lors du récent débat public, des groupes d’opposants sont venus en nombre pour occuper la salle et plus ou moins tenter de dominer le débat, aussi bien par le nombre et la durée des interventions que par le volume sonore touchant parfois au chahut ou à la « manif ». Une (petite) partie du public est même allée jusqu’aux quolibets et aux injures, souvent « ad hominem » - visant personnellement tel ou tel intervenant de la maîtrise d'ouvrage ou (dans une réunion) un syndicaliste de la SNCF. Quelques exemples : « ta gueule » « bon à rien » (visant un des ingénieurs de l’Etat) « menteur ! » « faux ! » « vendu !! » « truqué ! », « voyou » « pourquoi on les paye ? ». Un expert étranger, dont la présentation (vidéo) avait été qualifiée de « technique » (façon polie de prévenir de son caractère ardu) par le Président de la Commission particulière du Débat Public avait été également injurié « ils sont allés le chercher où çui là ?!! » « parler pour ne rien dire » « il est payé ce type ? » « y sont allés le chercher en Italie çui là !! », etc.

Au-delà des comportements caractériels qu’une réunion publique tend à faciliter du fait de la fameuse « psychologie des foules », on peut y voir 2 questions pour un débat public : • des opposants viennent avec leur culture et leurs pratiques dans l’espace du politique. Nous avons été frappés par des comportements de groupe que l’on pourrait observer dans n’importe quelle manifestation d’agriculteurs ou d’artisans « en colère » devant une DDA, une perception ou une sous-Préfecture • de nombreux opposants sont totalement et viscéralement hostiles au projet, quel qu’il soit, venant modifier leur cadre de vie et leur situation économique, d’autant plus qu’ils se sentent déjà menacés par ailleurs (ex ; par la concurrence étrangère pour les producteurs de fruits) et craignent de sombrer individuellement et collectivement

De nombreux opposants (dont certains à un niveau élevé de responsabilité) ont mis en cause l’impartialité de membres de la Commission particulière du Débat Public, (ex : un ancien Directeur régional de la SNCF ou un IGPC), seuls les universitaires étant d’emblée considérés comme impartiaux ou indépendants.

Légimité & crédibilité de l’expertise : la compétence des experts ou l’intérêt pour les acteurs

Les réunions publiques ont bien fait apparaître que l’écoute de la part du public et sa confiance en la crédibilité de l’intervenant dépend plus de sa position que de sa compétence intrinsèque. Ainsi : • un fonctionnaire de l’Union Européenne, présentant le Livre Blanc (qui conclut à un « rééquilibrage » modal en faveur du fer) a été très écouté et applaudi • inversement, le responsable du CETE, a priori soupçonné d’être le porte-parole (voire le serviteur) de la Direction des routes, a été plus ou moins chahuté lorsqu’il rappelait que tout projet fait l’objet d’une convention avec le concessionnaire au titre des engagements de l’Etat (notamment sur les mesures de protection de l’environnement ou de gestion du trafic)

De même, l’UFCNA (qui regroupe les riverains d’aéroports, généralement opposés à toute extension et partisans d’une limitation du trafic), présentait le rapport d’un parlementaire qui a ensuite présenté un projet de loi limitant les vols de nuit comme « honnête, objectif et clair ».

Les conclusions des experts ou autres intervenants sont d’abord jugées en fonction de leur apport à l’ argumentaire des opposants.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 146/160

Contre-expertise & experts indépendants

L’expertise à la demande l’Etat, les élus & la société civile

Rappelons que les tiers (notamment les associations reconnues par l’Etat) peuvent demander une expertise à la Commission du Débat Public. Elles pouvaient théoriquement le faire depuis la loi Bouchardeau en 1985 et la circulaire Bianco du 15/12/1992. Cette possibilité semble très rarement utilisée214. Une des raisons est sans doute que, comme le notait Dominique Dron, se pose la question de l’incompatibilité entre les principes de la représentativité et de la participation.215

Le « serpent de mer » des expertises ou études complémentaires « indépendantes » est revenu d’actualité avec la réforme de l’EUP216. Cette réforme prévoit une concertation publique étendue. Mais elle prévoit aussi la possibilité pour l’Etat (représenté par le Préfet) de faire une simple « déclaration de projet » lorsqu’il n’y a pas nécessité d’exproprier. La possibilité (semble-t-il jamais utilisée) d’une contre-expertise217 en cas d’EUP était prévue par la circulaire Bianco du 15/12/1992218

D’autres experts que ceux de la maîtrise d'ouvrage de nouveaux experts issus de la société civile ?

Le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon a produit des contributions nombreuses et diverses exprimant presque uniquement des points de vue ou des revendications. Ainsi : • une association stéphanoise219 « dont les membres sont issus des milieux socio- professionnels ou universitaires » plaidait pour l’amélioration de l’A47 (autoroute existante entre Lyon et Saint-Etienne) parallèlement à l’avancement du projet d’A45 (nouvelle autoroute Lyon Saint-Etienne) et à l’amélioration de la liaison SNCF (voyageurs) Lyon - Saint-Etienne • le MEDEF220, déjà favorable au projet de COL, appuyant également le contournement ferroviaire de Lyon en profitait pour formuler un véritable cahier de revendications tous azimuts pour le « maillage » de « toutes les infrastructures et modes de transport » • une association de militants des TC221 exige le « rééquilibrage » en faveur du rail et des TC « Pour sauvegarder à terme la qualité de l’air et la qualité de vie dans notre agglomération et sur notre planète ».

Ce genre de catalogue « tous azimuts » traitant de tous les problèmes à toutes les échelles est un bel exemple de « montée en généralité dont l’apport au débat n’est guère opérationnel – en supposant qu’il ne comporte par des assertions erronées.

214 Voir http://www.environnement.gouv.fr/actua/cominfos/dosdir/DIRGAD/transdeb.htm 215 Rapport de la cellule de prospective du ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, Documentation Française, juillet 1996. 216 Rapport du groupe Questiaux au Conseil d’Etat du 25/11/1999. 217 Voir http://www.environnement.gouv.fr/actua/cominfos/dosdir/DIRGAD/transdeb.htm 218 Voir http://www.environnement.gouv.fr/actua/cominfos/dosdir/DIRGAD/transdeb.htm 219 Contribution de l’association ARCO, Cahier N° 17. 220 Contribution du GIL MEDEF, Cahier N° 9 221 Contribution de l’Association déplacements Citoyens, Cahier N° 10. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 147/160

• une association de la vallée du Rhône (au sud de Lyon)222 représentant l’Isère rhodanienne qui subit déjà de nombreuses infrastructures (A7, RN7, voies ferrées sur les 2 rives du Rhône, aménagements du fleuve, etc) auxquelles s’ajoute « la ligne TGV Méditerranée à quelques kilomètres à l’Est » faisait un catalogue des souffrances de cette « vallée du Rhône gaspillée.. habitants saturés », refusant une nouvelle autoroute « tapis rouge (sic) pour les oranges espagnoles ». L’association proposait de mieux utiliser l’existant et de favoriser le ferroviaire, y compris par une politique tarifaire et sociale (horaires des conducteurs). Elle proposait également l’achèvement des « axes alternatifs » dans le Massif Central et dans les Alpes (A39, axe alpin basé sur un aménagement sur place de la RN51) – ce que les riverains concernés risquent de ne pas forcément apprécier sans réserves ni conditions (cf supra)

• la communauté d’agglomération du Grand Roanne223 militait pour l’A89 Bordeaux – Lyon –Genève pour « désenclaver l’Ouest de Rhône-Alpes ». Concernant le ferroviaire, les Roannais plaidaient pour « optimiser l’existant avant d’envisager la création d’infrastructures nouvelles ». En effet, oubliés par le « tout TGV » (les Roannais doivent aller prendre le TGV à Lyon ou au Creusot), les Ligériens* demandaient (toutes tendances politiques confondues) de « moderniser l’axe complémentaire » Paris/Roanne**/Rive droite du Rhône*** (via Saint-Etienne)/Nîmes • ici : habitants du département de la Loire (autre sens : le long du fleuve Loire)** via ** réservée actuellement au fret ou, éventuellement à quelques délestages de trains de voyageurs

• le Lasaire224 (sorte de bureau d’étude fondé par des syndicalistes CFDT et des universitaires, financé par des contrats publics et subventions) avait réalisé une « étude approfondie » sur la région « connectée » autour de la « plate-forme » de l'aéroport de Lyon-Satolas (qualifiée de « hub » intermodal, ce qui est assez flatteur au regard de sa fonction actuelle) et proposait un contournement « mixte » permettant un accès vers l’Ouest. Ce « club » de réflexion stéphanois proposait schéma de réseau ferroviaire « maillé » avec la magistrale nord Sud via Dijon et la région lyonnaise et des « affluents » - dont la liaison Saint-Etienne – Roanne – Nevers – Paris vers Le Havre et Calais. On retrouve là une des craintes des Ligériens de se voir exclus du futur maillage de fret ferroviaire européen.

Au total, on ces divers « acteurs » ou groupes de la « société civile » n’ont guère produit de connaissance ou proposition nouvelle –encore moins un autre regard ou une autre problématique qui n’aurait pas été mentionnée dans les dossiers établis par la maîtrise d'ouvrage.

Ces exemples montrent bien que l’apport d’ une éventuelle « expertise » (au sens plus large) reste hypothétique et que cette « expertise d’en bas » n’est produite que lorsque des professionnels vont la chercher.

222 Contribution d’ARDEN, Cahier N° 14. 223 Contribution de la Communauté d’agglomération du Grand Roanne, Cahier N° 11. 224 Contribution de LASAIRE et de l’ADTSL, Cahier N° 8. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 148/160

Les usages de l’expertise : une instrumentalisation ? l’expert & son commanditaire

L’observation de l’avancement des projets d’infrastructures en région lyonnaise et des débats à leur sujet a évidemment fait apparaître à nouveau la question de l’instrumentalisation de l’expertise ou des études réalisées, aussi bien en amont (dans les dossiers présentés à la concertation ou au débat) qu’en aval (à la suite de concertation ou débat).

On pense évidemment à l’instrumentalisation de la part de la maîtrise d'ouvrage (l’Etat dans la plupart des cas étudiés), de la maîtrise d'oeuvre (concessionnaire) ou de l’exploitant (SNCF). Bien que le terme d’instrumentalisation soit quelque peu excessif, on peut classer ainsi des études ou (plus rarement) expertises incluses dans les dossiers de type APS (ex : pour l’A89) ou pour le débat (ex : sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon).

C’est le cas des études fouillées sur les impacts environnementaux des projets ou encore sur les alternatives au projet présenté. Il s’agit non seulement de répondre aux exigences réglementaires, mais aussi de montrer que tous les problèmes ont été vus, évalués, et qu’une réponse y est apportée ou y sera apportée (par exemple à l’occasion du Dossier des Engagements de l'Etat et de la convention de concession). De plus en plus souvent, une étude ou expertise (la distinction n’étant pas évidente) est commanditée par l’Etat (pour les projets étudiés) en réponse à des objections ou questions anticipées ou soulevées lors du débat. C’était le cas déjà de l’étude sur l’impact du grand contournement Ouest de Lyon sur le vignoble et les mesures à prévoir dans cette hypothèse.

Etudes, expert & « formatage » de la problématique La commande d’expertise : l’expert & son commanditaire

La « qualité » de l’expert comme celle de son expertise ne dépendent pas que de lui, mais aussi (ou d’abord ?) de celle du commanditaire qui doit avoir une compétence (ne l’appelons pas expertise) pour savoir où et quand poser une question et, à la fin, comment analyser et utiliser l’expertise .. ou l’expert.

J . Gagneur225 remarquait très justement que la qualité des apports de l’expertise est d’autant plus élevée que les 2 partenaires (commanditaire et expert) ont un plus haut niveau de compétence et une pratique significative de coopération. Il avait pu observer lors de l’élaboration des PDU que la recherche d’un « diagnostic partagé » (autrement dit : d’études dont le rendu est validé par les divers « acteurs » concernés) requiert souvent, pour l’expert en charge d’une mission, de combiner un apport technique avec un rôle plus ou moins poussé de « catalyseur » et de « rassembleur » d’un tiers extérieur au « jeu local ».

Autrement dit : cet « expert » (qui, dans ce cas, est généralement un responsable d’études de BET ou organisme de type Agence d’urbanisme ou d’un CETE) est utile et utilisé d’abord par ses compétences de communication et de relations et non pour son expertise « technique » - évidemment indispensable et fondant sa crédibilité. J. Gagneur renvoie d’ailleurs au triptyque bien connu des DRH « savoir, savoir faire, savoir être ».

225 J. Gagneur, Un point de vue sur l’expertise et la recherche, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 149/160

Explication des choix publics & politiques publiques : l’expertise instrumentalisée ou la contribution des experts ?

Il est maintenant évident que les politiques publiques en général, encore moins les projets d’infrastructures, ne peuvent plus être décidées unilatéralement par l’Etat (ou les collectivités territoriales) en tant que détenteur de la légitimité de l’intérêt général d’une part, des compétences et de la rationalité économique et technique d’autre part.

Un professeur d’université, chercheur en transports, rappelait que l’acceptation des politiques au nom de l’utilité publique et de la rationalité technique n’est plus admise a priori par la société civile et ses corps intermédiaires (élus notamment) : « aujourd’hui..il n’y a plus de justification a priori des politiques publiques. Nous sommes renvoyés à la nécessité de construire un argumentaire pour expliquer les politiques publiques. Nous avons (longtemps) eu.. une.. vision selon laquelle l’Etat était le garant de l ‘« utilité publique ». Aujourd’hui, cette évidence d’un « Etat garant » ne va pas de soi, les gens se rendent compte que les décisions de l’Etat ont un impact direct sur leur environnement. Si on ne leur explique pas le pourquoi et le comment des ces décisions, ils réagissent parfois violemment. Il y a donc un besoin d’expliquer les choix publics. On ne sait pas bien faire ». 226 En, tout état de cause, on ne peut plus faire passer ce type de décision en force. Les moyens de blocage et les procédures de recours sont connus.

Paradoxalement, cette démarche d’explication pour prévenir les contestations ou blocages quasiment inévitables pourrait conduire à une instrumentalisation de l’expertise, le recours à des experts extérieurs à la maîtrise d'ouvrage, supposés « indépendants » ou « objectifs » (a fortiori si ce sont des « scientifiques ») servant à la maîtrise d'ouvrage à préciser et améliorer le dossier initial, de plus en plus mis en cause a priori – à la question en quelque sorte.

La multiplication de débats et de concertations pourrait bien conduire à une instrumentalisation des études ou expertises au nom d’une sorte de « principe de précaution » de la maîtrise d'ouvrage ou des concessionnaires.

Etudiez, expertisez, cela gagnera au moins du temps mais alimentera le doute

L’un des effets pervers de la demande d’expertise lors des débats risque d’être doublement en défaveur de l’avancement des projets : • allonger débats ou concertations • alimenter paradoxalement le doute ou, du moins donner des arguments aux opposants puisque toute infrastructure routière a nécessairement des effets indésirables

L’expérience d’autres pays européens où le débat public est formalisé permet de penser que la multiplication (voire la seule introduction) d’expertises « indépendantes » a des effets directs sur l’allongement des délais et la possibilité de blocage des décisions par des associations227.

226 Entretien avec Bruno Faivre d’Arcier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, chercheur au LET, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». 227 J-R Barthélémy, De la complicité à la vertu : démocratisation du débat sur les transports France / Pays Bas, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 150/160

Ne pourrait-on pas résumer cette logique assez perverse par une formule évidemment simpliste «étudiez, expertisez, cela gagnera au moins du temps, mais alimentera le doute » ?

Tout est prévu par la maîtrise d'ouvrage : la protection des riverains & des vignerons des chèvres, des chauves-souris & des papillons

L’étude aussi complète que possible lors de la préparation des dossiers (aussi bien pour l’EUP que pour un débat public), faisant éventuellement appel à des experts (ou BET) extérieurs à la maîtrise d'ouvrage, produit normalement un dossier assez inattaquable – ce que l’on peut constater en examinant un dossier d’EUP. Il reste bien quelques points faibles, mais ils servent plutôt à donner au Commissaire (cas d’une EUP) ou au Président de la Commission particulière du Débat Public une marge de critique et de demande de compléments qu’à donner des arguments aux opposants.

Rappelons qu’un dossier autoroutier, établi par les professionnels de la DDE et du CETE, est suivi et vérifié par le SETRA et « revérifié » par l’Inspection territoriale (un IGPC chevronné). Il est normalement aussi près que possible de la perfection, au sens d’un produit de professionnels et spécialistes.

La maîtrise d'ouvrage a maintenant de plus en plus recours à des études de spécialistes extérieurs, devançant ainsi les questions et critiques des opposants. Les projets d’infrastructures posent souvent des problèmes environnementaux. Comme dans d’autres projets (bloqués en raison de la présence de telle ou telle espèce animale rare ou de personnalités influentes). C’était le cas de l’A89 (traversant des zones d’habitat de chauve- souris) et du grand contournement Ouest de Lyon. Dans ce dernier cas, parmi les options envisagées : • l’un d’elle passe (en tunnel) sous le Pilat, mais débouche en viaduc pour franchir le Rhône dans la zone viticole des Côtes Rôties • une autre débouche (toujours en viaduc) dans une zone protégée du Rhône (faune préservée) • plus au nord, le grand contournement Ouest de Lyon passerait dans un secteur (les landes de Montagny), constituant un biotope à protéger, notamment « le fameux cuivré des marais », un papillon « protégé par l’Europe »228.

Les services de l’Etat répondent, préventivement ou lors de la concertation, en faisant réaliser des expertises ou études débouchant sur des mesures préventives ou compensatoires. Ainsi : • dans l’hypothèse où le grand contournement Ouest de Lyon passerait par la zone à papillons, l’Etat (par la voix du Préfet) avait promis qu’il serait en tunnel ou en tranchée couverte (promesse qui pourrait gêner un de ses successeurs) • pour répondre aux craintes des viticulteurs, le Préfet avait demandé à l’INAO une étude des nuisances afin de s’assurer que « le contournement ne devra pas produire de résidus détectables supérieurs à ceux constatés »229

228 Libération du 29/5/2000 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 151/160

Un « bon »projet, en tant que produit sociétal (d’un processus de négociation) est d’abord un projet où tout est prévu et où toutes les craintes sont entendues – celle de Mélodie (la chèvre d’un éleveur des Monts du Lyonnais qui ouvrait une marche d’opposants) comme celles des papillons (représentés par divers porte-parole) ou des viticulteurs et de leur vin dont l’histoire remonte à leurs ancêtres Gallo-Romains.

La compétence et l’expertise requise des concepteurs est d’abord « sociétale » (ou politique, au sens large), secondairement technique (il y a toujours une solution technique et ces compétences existent bien).

Usages & limites de l’expertise

Malgré les attentes (irréalistes) des « décideurs » et des « techniciens » étudiant ou portant les projets, a fortiori celle de la « société civile », il faut rappeler les limites de l’expertise – d’abord le fait qu’elle se fonde sur les connaissances (théoriques et empiriques) des experts et des milieux scientifiques ou professionnels auxquels ils appartiennent et dont ils tirent à la fois compétence et légitimité. C’est notamment le cas de l’environnement et de l’impact des infrastructures.

Cette illusion d’une expertise « pure » et définitive sans controverse est par essence contradictoire avec la démarche de connaissance scientifique ou technique : les connaissances comme l’« état de l’art » sont intrinsèquement partiels, provisoires, conditionnels, ouverts au questionnement et à la remise en cause (la « falsification » en franglais)

L’instrumentalisation de l’expertise & des experts

La logique de décision des principaux acteurs (notamment élus et Etat) se traduit souvent par une demande de solution (ou, pire, de justification d’une solution pas forcément la meilleure) – pouvant mener à une instrumentalisation de l’expertise et de l’expert.

Cela se manifeste par le choix des experts en fonction de la question posée, pas forcément problématisée. Ainsi, le Président de la Communauté Urbaine de Lyon (R. Barre) avait demandé (implicitement) à 3 experts comment se tirer de l’impasse de l’annulation de la concession du Périphérique Nord de Lyon et des oppositions au péage urbain. De même, le Ministre de l’Equipement avait consulté des experts pour trouver une réponse à la demande des élus de Millau de permettre aux Millavois d’utiliser gratuitement l’A75 tout en maintenant le péage sur le viaduc.

229 Libération du 29/5/2000 ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 152/160

Multiplication des expertises & pluralité des expertises

Une expertise pouvant en appeler une autre pour la compléter, voire pour la vérifier, on peut se demander s’il n’y aurait pas un risque de multiplication des expertises dont le résultat serait nul ou négatif du point de vue des questions posées. Au sein des services de l’Etat, certains ont pourtant plaidé pour une « expertise plurielle » garante de la « confrontation de connaissances et points de vue différents », estimant que « la pluralité de l’expertise est souvent une condition nécessaire au dialogue et à la décision finale ».230

Contre-expertise & experts indépendants expertise & contre-expertise : le contrôle illusoire ?

La multiplication des débats publics et les exigences des opposants posent plus que jamais la question d’une expertise en réponse à des demandes ou inquiétudes des opposants (ou du grand public au sens large), mais aussi celle de l’initiative de cette expertise et du choix des experts.

Ainsi, lors du débat DUCSAI, en réponse à des doutes sur les prévisions de trafic aérien et donc la nécessité même d’un 3ème aéroport, une étude a été demandée à un BET « britannique »… filiale de la SNCF et de la RATP qui a conclu (en gros) que ce 3ème aéroport n’est pas indispensable : CQFD.

L’expertise à la demande ou la contre-expertise sont inhérentes au développement du débat public qui se traduit maintenant par une « culture du débat public » qui eût été impensable il y a 25 ans.231

L’irruption d’une véritable « contre-expertise » (et pas seulement d’une opposition militante et plus ou moins idéologique) est une question récente et nouvelle. La question reste posée (moins d’un point de vue académique que dans la pratique) de l’émergence d’une contre-expertise en un double sens : • demande de contre-expertise pour analyser et évaluer les expertises et, plus généralement, les dossiers techniques et économiques • surtout, apparition d’une contre-expertise de la part d’opposants divers (notamment les « écologistes* ») de « qualité » parfois égale à celle des professionnels de l’Etat (notamment des ingénieurs), des collectivités locales et des entreprises (concessionnaires, groupes du BTP, etc) * nous employons des « », les groupes ou personnes (souvent des opposants aux infrastructures) se qualifiant eux-mêmes d’écologistes étant fort divers et presque jamais dans une organisation unique s’exprimant par un responsable

230 Rapport de la cellule de prospective du ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, Documentation Française, juillet 1996. 231 Ce que nous avions observé dans nos études de cas de rocades (Cognac, Colmar, Montauban, Roanne et Troyes) pour le CETUR (maintenant CERTU) et l'INRETS, 1984. En association avec B. Faivre d’Arcier (maintenant à l’Université de Lyon II) qui avait étudié d’autres cas (Annecy, Orange et Arles). ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 153/160

Au terme de notre recherche, contrairement à ce que nous supposions au départ, il nous semble qu’il n’y a pas (ou peu) de contre-expertise militante ou venant de la « société civile » et que cela constitue un réel problème si le débat public devient la norme du cheminement et de la décision des projets ou des politiques publiques en général – le débat démocratique classique des assemblées ou avec les élus de tous niveaux (collectivités territoriales, Parlement) étant évidemment prééminent.

Expertiser les experts ? Des experts en désaccord

On observe assez souvent que des experts n’étaient pas d’accord entre eux ou, du moins, que leurs expertises n’étaient pas opposables. Ainsi dans le cas d’école du canal Rhin- Rhône, si les expertises sur la rentabilité du canal étaient opposables, les calculs économiques n’étaient évidemment pas opposables aux arguments ou analyses concernant l’impact sur l’environnement (notamment en Franche-Comté). Certaines expertises n’ont pas été utilisées ou suivies.

Un Professeur d’économie des transports de notoriété internationale (intervenu lors du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon) n’avait cessé de critiquer les hypothèses et estimations de rentabilité de la CNR et le CGP avait rendu en 1996 un avis émettant des doutes sur la rentabilité du canal annoncée par la CNR. On sait que ce n’est pas cette expertise (recoupant l’avis de la majorité des experts en socio-économie), mais un changement de contexte politique qui a motivé l’abandon du projet.

Experts « indépendants » & études « indépendantes » ?

La question qui revient constamment, de façon implicite ou explicite, mais toujours comme une évidence jamais remise en question est celle de l’ « indépendance » des experts et des expertises :

• d’une part, l’expert dont on demande ou présente l’expertise est supposé « indépendant » sans que les critères de cette indépendance soient rigoureusement définis

• inversement, une expertise ou un expert peuvent être rejetés a priori (lorsqu’il s’agit de choisir un expert) ou a posteriori (lors du rendu de l’expertise)

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 154/160

Commanditaires d’expertise comme opposants ont en pratique des critères assez variables et totalement empiriques de choix d’experts dits « indépendants » :

• A un premier niveau, il faut évidemment que l’expert le soit. Au-delà de la définition tautologique (un expert est quelqu’un qui fait des expertises) ou de la définition de type administratif ou réglementaire (l’expert-comptable ou l’expert près les tribunaux), l’expert doit disposer de compétences et d’expérience avérées par rapport à la question posée.

Il est habituel de recourir à des professionnels « reconnus » du domaine à traiter – mais cela renvoie à une définition tautologique de l’expert : un expert reconnu comme compétent l’est parce qu’il fait des expertises que ses commanditaires lui confient et que ses pairs considèrent comme tel.

• à un deuxième niveau, l’expert que l’on souhaite « indépendant » doit avoir des attributs supposés garantir cette indépendance

Les critères classiques, communément admis, sont un statut et/ou une appartenance à un corps ou institution – c’est notamment le cas des universitaires supposés guidés par la recherche désintéressée et indépendants du fait de leur statut (inamovibilité à partir d’un certain niveau).

Lors des récents débats publics, une solution (de facilité ?) a été utilisée : aller chercher à l’étranger (Suisse et Italie) des experts répondant par ailleurs aux autres critères de compétence reconnue. Cela peut conduire à des choix contestables, par exemple lorsque la commission DUCSAI avait demandé une expertise à BET « britannique » filiale de la SNCF et de la RATP dont l’indépendance n’est pas d’emblée évidente – même si les professionnels de ce BET font leur mission « en professionnels », car ils ne peuvent pas se déconsidérer par rapport à leurs pairs et à leurs divers commanditaires et aux destinataires des expertises.

Des experts indépendants ?

Le processus de décision et de discussion des projets amène de plus en plus souvent les « décideurs » (Etat, collectivités territoriales, en pratique les grands élus et les Préfets ou Ministres) à demander des expertises à des experts « indépendants » - façon de désigner des professionnels ayant une reconnaissance par leurs pairs (à titre académique ou du « corps » auquel ils appartiennent) et par le plus grand nombre possible des acteurs et opposants.

Ainsi, dans le cas du viaduc de Millau, les élus locaux réclamaient la gratuité pour les riverains, rappelant les engagements de divers gouvernements sur la gratuité complète de l’A75 de Clermont-Ferrand à Béziers ; le Ministre avait demandé une mission d’expertise et les experts ont trouvé une implantation des échangeurs par rapport à la gare de péage permettant aux habitants de la ville d’accéder à l’autoroute au Nord et au Sud (mais pas au viaduc). Leur mission a été parfaitement accomplie (répondre à la demande des élus sans mettre en cause le péage pour le viaduc). Autre exemple : le recours de Raymond Barre à des experts pour sortir de l’impasse de la résiliation de la concession du Périphérique Nord de Lyon : il cherchait comment se donner du temps et renégocier avec l’ex-concessionnaire (réclamant un dédommagement), maintenir un niveau de péage acceptable (politiquement) et optimal (quant au trafic), etc.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 155/160

Dans tous ces exemples, les experts sont d’abord des praticiens qui trouvent la solution pour sortir d’une impasse. Il est bien qu’ils soient par ailleurs membres éminents de grands corps dont l’appartenance les « crédibilise » , quelles sue soient leur compétences proprement dites (incontestables dans tous cas).

A première vue cette notion d’« experts indépendants » est un pléonasme – à moins qu’elle ne soit un oxymore. En effet, la plupart des experts appartiennent à des institutions et/ou à des corps ou des milieux (le « corps » des Ponts ou les économistes universitaires), ils ont à travailler d’une façon ou d’une autre avec (souvent pour) les divers « techniciens* » et décideurs. L’expert « indépendant » est donc difficile à trouver : le critère semble d’abord sa reconnaissance comme telle par les acteurs et opposants d’une part, sa technicité validée par les institutions et « décideurs » d’autre part – d’où le recours à des universitaires de renom (tel professeur d’économie des transports, internationalement réputé, donc supposé compétent)232 * au sens de professionnels mettant en œuvre des techniques (ex : ingénieurs ouvrages d’art)

Ces « experts » étaient chargés de trouver une solution politiquement, réglementairement, économiquement, techniquement acceptable et non de faire une étude du problème posé, encore moins d’en déplacer la problématique. Bref, un rôle assez proche de ce que l’on attend d’un expert-comptable ou d’un expert en construction.

Expertise pluraliste ou expertise contradictoire ? la dissymétrie de l’expertise

On s’accorde à considérer maintenant que la rationalité fondée (ou prétendant l’être) sur les connaissances et un intérêt général univoque ne sont plus acceptés et acceptables – non seulement politiquement, mais aussi en raison de la complexité des problèmes et des incertitudes, voire des contradictions au niveau des connaissances et/ou entre spécialistes.

Une des façons de dépasser cette aporie pourrait être celle que propose P. Lascoumes à partir de ses recherches sur les cas de la LGV Paris-Méditerranée et du canal Rhin-Rhône, par des « expertises pluralistes »233 impliquant un mouvement d’ouverture aux avis des non- experts en préalable à des décisions publiques sur des sujets controversés.

P. Lascoumes notait la forte dissymétrie entre les ressources dont disposent les différents acteurs, en termes d'accès à l'expertise, d'autorité juridique à se faire entendre, d'autant plus qu'il n'existe pas de recours extérieurs pour trancher les litiges de fonctionnement. Pour ce chercheur, ces facteurs maintiennent les profanes dans une forte situation de dépendance à l’égard de la maîtrise d'ouvrage et de ses BET ou experts.

232 Nous pensons à un expert de haut niveau dont les compétences et l’indépendance nous semblent incontestables. Comme pour tout chercheur, ses méthodes ou conclusions peuvent être soumises au débat scientifique par d’autres chercheurs (experts ou non) de sa discipline ou d’autres disciplines. 233 La productivité sociale des controverses, Pierre Lascoumes, CNRS, Groupe d'analyse des politiques publiques, ENS Cachan, Intervention au séminaire "Penser les sciences, les techniques et l'expertise aujourd'hui", jeudi 25 janvier 2001, http://www.ehess.fr/centres/koyre/textes/lascoumes.htm ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 156/160

La contre-expertise : de la théorie à la pratique

Pour mémoire, J-Y. Trépos définit la contre-expertise comme, à la fois : • la continuation de l’expertise (le monde des experts se reproduisant en miroir : plus il y a d’expertise, plus l’expertise paraît irremplaçable • et sa négation : la contre-expertise contredit l’indiscutabilité dont se prévaut le jugement de l’expert (plus il y a d’expertises, moins l’expertise est fiable)

A l’expertise répond assez logiquement une contre – expertise. Ainsi, la Région Rhône-Alpes avait tenté, à la demande d’un élu « écologiste » de prendre en compte le coût d’une procédure à l’encontre d’une infrastructure en votant un ligne budgétaire pour financer les études et demandes d’expertises provenant de groupements d’associations ou d’élus. Cette démarche d’aide à l’expertise, courante aux Pays-Bas et au Canada ne l’est par encore en France, bien au contraire.

Pour B. Faivre d’Arcier, avec la transparence et le dialogue, c’est le prix à payer pour parvenir à justifier les choix d’intérêt public qui seront toujours problématiques, car des arbitrages seront toujours nécessaires234

Débat interminable & débats en abyme des expertises gigognes ?

Faisant peut-être contre mauvaise fortune bon cœur, les maîtres d'ouvrage et les politiques s’accommodent maintenant du débat comme un point de passage inévitable, la « société civile » (et les « petits élus ») n’étant plus prête à accepter d’être placée devant un projet quasiment figé (au stade de l’EUP).

Le débat et les expertises ou études qui l’alimentent peuvent être recherchés par principe démocratique, mais aussi par souci d’efficacité de la maîtrise d'ouvrage (efficacité « technocratique » diraient certains). Les services du Plan avaient diagnostiqué que « si le débat public en amont ne permet pas toujours de parvenir à un consensus ni de supprimer toutes les insatisfactions.. son apport est autre et apparaît fondamental sous deux aspects : • il permet, sur le plan technique, d'améliorer le projet par la prise en compte d'expertises et de logiques complémentaires à celles du maître d'ouvrage ; • mais surtout, il peut, s'il est correctement mené, permettre de construire l'utilité publique du projet, pour qu'elle soit reconnue par la plus grande partie de la population (y compris ceux qui n'en bénéficient pas directement ). Ceci devrait notablement réduire les oppositions et les blocages en aval ». 235

La maîtrise d'ouvrage et les « décideurs » (dont le niveau peut varier selon l’infrastructure), mais aussi des participants ou des observateurs plaident pour ces débats censé permettre d’améliorer les projets. Plusieurs représentants de la maîtrise d'ouvrage (DRE, RFF, CETE, etc) l’ont affirmé avec une conviction qui ne sous a pas semblé feinte lors du récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon.

Il ne nous semble pas toutefois, à l’observation du cheminement et des débats sur les dossiers suivis lors de notre recherche (A89, extension de l'aéroport de Lyon-Satolas, projets de grand contournement autoroutier de Lyon) que cette plus-value soit évidente.

234 Entretien avec Bruno Faivre d’Arcier, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2, chercheur au LET, dans le N° spécial de Prospective Rhône-Alpes du 30 juin 2001 sur les « incontournables contournements de Lyon ». 235 Rapport de la cellule de prospective du Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, Documentation Française, juillet 1996. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 157/160

L’un des effets de cette mise en débat et d’élargissement des avis est d’allonger l’élaboration des projets et leur « finalisation ». Des exemples anciens (la LINO dijonnaise), actuels (le débat sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon) ou récents (le débat DUCSAI, assez mal engagé il est vrai) font craindre non seulement des débats interminables, mais des débats « en abyme », chaque débat en suscitant un autre – ce que demandent les opposants au contournement ferroviaire de Lyon à l’issue du récent débat public.

Cet allongement de débats ou concertations interminables se produit ailleurs en Europe ou aux Etats-Unis. J-R Barthélémy236 donne l’exemple d’un débat sur une ligne ferroviaire entre le port de Rotterdam et l’Allemagne. Plus de 140 études avaient été réalisées par les diverses parties (maîtrise d'ouvrage, collectivités territoriales, associations) sans accumulation des connaissances ni progrès vers un compromis après 10 ans de débats.

Ce cas illustre à la fois l’impossibilité de sortir d’oppositions diverses qui ne se situent pas au même niveau selon une rationalité partagée dont une méthode d’évaluation coûts- avantages serait l’outil. Dans le cas des Pays-Bas, cela renvoie à une culture du consensus de l’ensemble de la vie politique (on sait que jusqu’à une date récente, il fallait plusieurs mois pour constituer un gouvernement de coalition après chaque élection)

On peut se demander si on ne va pas, dans certains cas, vers des expertises et des contre-expertises interminables, les unes succédant aux autres.

Mais, après tout, faire des études complémentaires ou des expertises ne coûte pas très cher par rapport à une infrastructure que l’on ne sait pas forcément financer ou décider.

Un bon exemple est la liaison ferroviaire Lyon-Turin faisant l’objet d’un programme d’études et de sondages (géologiques) permettant de faire comme si la réalisation de cette coûteuse infrastructure était acquise et faisait l’objet d’un parfait consensus entre la France et l’Italie. Paraphrasant la formule « faire et défaire, c’est toujours travailler », ne pourrait-on écrire « étudier, expertiser et creuser*, c’est toujours avancer » en direction du tunnel.

* des galeries de reconnaissance géologique

Des experts étrangers : aussi experts mais plus indépendants ?

Les récents débats ont fait appel à diverses reprises aux « britanniques » de MVA (filiale SNCF/RATP), aux allemands Kassel ou à des Suisses – BET ou, souvent, universitaires (ex : EPF de Lausanne).

L’EPF de Lausanne « fournit » d’ailleurs de plus en plus souvent des experts aux « décideurs » français (Etat, mais aussi collectivités territoriales). De réputation internationale, polytechnique (ingénieurs, économistes, etc), cette Grande Ecole présente tous les avantages et critères : des universitaires, réputés et francophones.

236 J-R Barthélémy, De la complicité à la vertu : démocratisation du débat sur les transports France / Pays Bas, Métropolis N° 108/109 « Projets et politiques de transport Expertises en débat, paru en février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 158/160

En matière de transports, les experts et BET suisses jouent sur la réputation de leur pays quant au ferroviaire, à l’intermodal et à la maîtrise du trafic fret PL – les Français étant assez mal informés des conditions économiques de ces réussites (notamment des énormes subventions fédérales et des prix très élevés pour les usagers).

Les experts étrangers peuvent également jouer leur crédibilité (du moins l’écoute de la part du public et/ou des associations) de façon plus informelle. Ainsi, un expert suisse jouant avec un art consommé son personnage de Suisse de bon sens et sérieux (on sait que les Suisses sont sérieux), une sorte de paysan de Neuchâtel venant voir ce qui se passe dans le Pilat, tel le Persan de Montesquieu venant à Versailles.

Au-delà de l’anecdote, on voit bien que l’expert, pour être entendu doit être écouté et qu’il doit donc remplir 2 conditions préalables :

• savoir se faire entendre (être en quelque sorte « communiquant » selon le jargon « tendance ») • apporter des éléments qui peuvent être entendus, d’abord parce qu’ils ne vont pas contre les positions des « acteurs » - notamment des opposants.

Au pays des Allobroges, les Helvètes sont druides: un montagnard suisse expertise le Pilat

A la demande des opposants du Pilat (associations, Parc du Pilat et élus), la Commission avait demandé une expertise à un expert suisse sur la traversée du Pilat par le COL – prévue pour tout ou partie en tunnel.

Cet expert237 avait formulé lui-même 2 hypothèses à cet égard : un tunnel de 12,5 km ou de 6 km qui n’ont pas été étudiées en tant que telles du point de vue de leur faisabilité technique ou économique. On peut pourtant penser que la variante retenue (qui devrait être arrêtée, normalement, au moment de la concession) aurait un impact important sur le coût du COL et son impact dans la traversée du Pilat. Inversement, le passage tout en tunnel, en évitant la traversée de ravins à ciel ouvert, minimiserait l’impact, rejeté aux sorties.

Pour autant que nous puissions en juger, le rapport rendu se caractérise par une démarche et une présentation à la fois rigoureuses et claires. Cet expert utilise pour l’estimation des émissions de NO2 et particules une norme suisse. Son expertise sur la pollution porte sur le NO2 - alors que l’ozone n’est formé que secondairement. Le niveau calculé de NO2 est donc un indicateur pour une pollution qui n’est actuellement pas calculable : on sait que les spécialistes n’ont pas actuellement de modèles satisfaisants, malgré les demandes des riverains (comme on l’a constaté lors du récent débat public, cf supra).

D’après l’expert suisse, les émissions de NOx et particules seraient proportionnelles à la longueur du tunnel (6 km ou 12,5 km), ce qui ne semble pas surprenant dans la mesure où les polluants sont évacués aux extrémités ! Les émissions aux portes du tunnel sont estimées à des niveaux inférieurs à l’objectif de qualité pour le NO2 (30 g/m3 aux environs immédiats, < de 4 g/m3 à 300 m. pour le NO2) et pour les poussières fines. Cela permet à l’expert de conclure que l’impact en termes de qualité de l’air est réel, mais acceptable. Il ajoute que ce faible impact des émissions polluantes aux environs des portes des tunnels serait compensé par la réduction des émissions avec les nouvelles normes et le renouvellement du parc automobile. L’expert recommandait toutefois une étude « plus en détail » du niveau de pollution actuel et potentiel avant de définir la localisation des portes des tunnels et des exutoires de ventilation.

237 Contournement autoroutier Ouest de Lyon. Expertise environnementale sur le Parc naturel régional du Pilat et sur le Plateau mornantais, Biol Conseil, Neuchâtel, février 2002. ______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 159/160

L’expert suisse traitait brièvement de l’agriculture du Pilat, notant la présence d’élevages de caprins (dont la célèbre Mélodie, citée plus haut) avec une double filière artisanale en cours de labellisation et une filière industrielle de production de formage. Cet élevage nécessitant beaucoup de terrain est donc sensible à la pression foncière. Remarquons que la pression foncière est probablement assez faible sur le Pilat, assez éloigné de Saint-Etienne et de Lyon, donc bien moins menacé que l’agriculture de l’Ouest lyonnais proche.

Concernant la viticulture (moins de 200 ha d’AOC Côte Rôtie), il ne relevait aucune prescription AOC sur la pollution ou la proximité d’infrastructures. L’expert neuchâtelois conclut donc que dans les 2 cas, le passage en tunnel (même avec l’option du tunnel court) n’aurait aucun impact direct sur l’agriculture et le vignoble, malgré le risque d’un impact indirect en termes de pression foncière du fait de l’accessibilité par les échangeurs du COL. On comprend que cette expertise n’ait guère enthousiasmé les viticulteurs.

C’est une nouvelle démonstration expérimentale que l’accueil de l’expertise et l’écoute de l’expert dépendent d’abord de ce qu’il apporte comme arguments aux « acteurs » et non de la valeur intrinsèque de l’expertise – telle qu’elle pourrait être évaluée par les pairs de ce professionnel.

Par contre, de sa propre initiative, l’expert suisse s’est préoccupé de l’impact du COL sur le Plateau de Mornant où se trouvent plusieurs espaces naturels sensibles, zone de nidification protégée par un APPB (Arrêté préfectoral de Protection de Biotope), site et paysage remarquable de la Région Rhône-Alpes, nombreuses ZNIEFF. Il notait une augmentation de la pression foncière poussant vers une réduction de la culture extensive au détriment de la faune et de la flore. Il constatait que ce secteur est fragilisé par plusieurs facteurs, notamment les modifications de pratiques agricoles (remembrements, drainages, destruction de haies, augmentation des terres labourées), l’intensification de la pression foncière et l’exploitation du milieu pour les pratiques ludiques, malgré des actions de gestion et de conservation des collectivités territoriales (Communauté de Communes), de la Fédération des Chasseurs et du Conservatoire Rhône-Alpes des Espaces Naturels. Ces impacts sont au moins aussi importants que les impacts potentiels du COL sur les milieux naturels (ex : échanges entre zones naturelles). Au final, il proposait que le cahier des charges précise que « l’ensemble patrimonial important que constituent les landes de Montagny devra être préservé », ce qui met à l’abri cette partie du plateau de tout « impact direct » de l’autoroute.

On peut lire, malgré ces précautions diplomatiques que la question principale est celle de la maîtrise de l’urbanisation, mais aussi des effets destructeurs de l’agriculture (culture intensive, etc). Bref, ce que l’on peut facilement constater : la marée pavillonnaire et l’agriculture intensive font déjà plus de dégâts sur l’environnement qu’un COL passant en tunnel.

Encore une (dernière) fois, on voit bien que l’expertise est d’abord un « produit (ou objet) sociétal » dont la finalité comme l’usage ou la fonction n’est pas intrinsèque (sa valeur du point de vue de la connaissance), mais extrinsèque : à qui répond-elle ? qu’apporte-t-elle à la maîtrise d'ouvrage et/ou aux opposants ou autres acteurs ?

Sous réserve de la double condition de recevabilité et de crédibilité (la compétence et l’indépendance supposée de l’expert), une expertise ne peut être entendue et utilisée que si elle apporte quelque chose aux « acteurs ».

Si ce n’est pas le cas, l’expertise n’est pas écoutée, voire rejetée à partir d’une suspicion de l’indépendance de l’expert, plus rarement de sa compétence.

En amont, la commande d’expertise anticipe ces critères, puisque certains problèmes ne font l’objet ni de questions, ni d’expertise – comme si les « acteurs » évitaient d’avance de solliciter une expertise dont ils n’envisagent pas l’utilité ou la fonction ou, pire, dont ils redoutent les conclusions.

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE 2002 p 160/160

Abréviations & sigles

ACNUSA Autorité de Contrôle des NUisances Sonores Aéroportuaires ADEME Agence De l'Environnement & de la Maîtrise de l'Energie APPM Avant-Projet de Plan de Masse (extension de l'aéroport de Lyon-Satolas) APS Avant-Projet Sommaire (en amont du dossier d’EUP) BET Bureau(x) d’études BUS Boulevard urbain sud (RD de liaison A7-A43 interne à l’agglo) CEL Contournement Est de Lyon (rocade autoroutière RN346/A46Sud) souvent nommée « rocade Est » avait été appelée « rocade des villages » lors des 1ères études CERTU Centre d’Etudes sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme & les constructions publiques CETE Centre d'Études Techniques de l'Équipement (en général, celui de Lyon) CGPC Conseil Général des Ponts & Chaussées CIADT Comité Interministériel pour l'Aménagement & le Développement du Territoire CIAT Comité Interministériel à l'Aménagement du Territoire CNDP Commission Nationale du Débat Public La Commission particulière du Débat Public de Lyon avait en charge le récent débat public sur les contournements autoroutier et ferroviaire de Lyon COL grand Contournement autoroutier Ouest de Lyon (en projet) COURLY Communauté Urbaine de Lyon (regroupe 55 communes de l’agglomération) COPARLY COmité pour le contrôle de la Pollution Atmosphérique dans la Région LYonnaise DDAF Direction Départementale de l'Agriculture & de la Forêt DDE Direction Départementale de l’Equipement (en général, celle du Rhône) DEE Dossier des Engagements de l’Etat DGAC Direction Générale de l’Aviation Civile DIREN Direction Régionale de l’environnement (en général, de Rhône-Alpes) DRAF Direction Régionale de l'Agriculture & de la Forêt DRE Direction régionale de l’Equipement (ou Directeur, selon le contexte) (en général de Rhône-Alpes) DRIRE Direction Régionale de l'Industrie de la Recherche et de l'Environnement DTA Directive Territoriale d’Aménagement DUCSAI Démarche d’Utilité Concertée pour un Site Aéroportuaire International DUP Déclaration d’Utilité Publique DVA Dossier de Voirie d’Agglomération ENPC Ecole Nationale des Ponts & Chaussées EPF Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (chercheurs & experts intervenant en France) EUP Enquête d’Utilité Publique FNTR Fédération Nationale des Transports Routiers Grand Lyon Grand Lyon (nouveau nom officiel de la Communauté Urbaine de Lyon) IGPC Ingénieur Général des Ponts & Chaussées INAO Institut National des Appellations d'Origine (ici : vins du Rhône) INRETS Institut National de REcherche sur les Transports & leur Sécurité IP Indice Psophique (indice de bruit autour des aéroports) (remplacé par LDEN) IPC Ingénieur des Ponts & Chaussées ITPE Ingénieur des Travaux Publics de l’Etat

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE SIGLES 2002 (2 pages)

LEO Liaison Est-Ouest d’Avignon (prévue depuis 20 ans avant son récent déblocage LET Laboratoire d’Economie des Transports de l’Université de Lyon 2 LGS Liaison Grenoble-Sisteron (prévue pour remplacer l’A51, abandonnée en 1997) LDEN L=level, D=day, E=evening, N=night (nouvel indice européen de bruit) LGV Ligne à Grande Vitesse (généralement : Paris-Méditerranée) LINO Liaison Intercommunale Nord-Ouest de Dijon (liaison rocade – A38 vers Paris en attente depuis 20 ans avant son récent déblocage) LOTI Loi d’Orientation des Transports Intérieurs MATE Ministère de l'Aménagement du Territoire & de l'Environnement MELT Ministère de l'Equipement, du Logement & des Transports NOx Oxydes d’azote ONG Organisation non Gouvernementale OREAM Organisation d'Etudes & d’Aménagement de l’Aire Métropolitaine (de Lyon, Saint-Etienne & Grenoble) (succédant au PADOG, limité à la région lyonnaise) PADOG Plan d’Aménagement & D’OrGanisation (début des années 60) PDU Plan de déplacements urbains PEB Plan d’Exposition au Bruit (autour de l'aéroport de Lyon-Satolas) PECOs Pays d’Europe Centrale & Orientale (ex « Europe de l’Est ») Périphérique « Périphérique » de Lyon (RN383) (bouclage de Lyon et Villeurbanne à l’Est) autrefois « boulevard de ceinture » PIG Projet d'Intérêt Général PL Poids Lourds (« camions ») PREDIT Programme national de REcherche & D'Innovation dans les Transports terrestres PRQA Plan Régional pour la Qualité de l’Air RD Route Départementale RN RFF Réseau Ferré de France St-Exupéry Nouveau nom de l'aéroport de Lyon-Satolas SCOT Schéma de Cohérence Territoriale SDAU Schéma Directeur d’Aménagement & d’Urbanisme SDS Schéma de Services Collectifs (DATAR/MATE) SEM Société d’Economie Mixte SES Service Economique & Statistique du MELT SETRA Service d’Études Techniques des Routes & Autoroutes TC Transports Collectifs TEO Trans-Est-Ouest (dénomination donnée par le constructeur au tronçon nord du périphérique de Lyon) (nom déposé) TER Trains Express Régionaux TLF Fédération des entreprises de Transport & Logistique de France TNP Tronçon Nord du Périphérique de Lyon (ex « TEO ») (à péage, en grande partie en tunnel) TOP Tronçon Ouest du périphérique de Lyon (renommé « bouclage du périphérique de Lyon ») UFCNA Union Française Contre les Nuisances Aériennes Union Union Européenne (« Bruxelles ») VP Voitures Particulières (« voitures ») “X” Ecole Polytechnique (ou ancien élève de cette école)

______Maurice Chevallier L’expertise dans les processus d’étude & de décision dans les transports (infrastructures routières & aéronautiques en région lyonnaise) RAPPORT FINAL DE RECHERCHE SIGLES 2002 (2 pages)