LA LANGUE DES AIKI LABORATOIRE DE LANGUES ET CIVILISATIONS A TRADITION ORALE DU CNRS LACITO

PUBLICATIONS DU DÉPARTEMENT LANGUES ET PAROLE EN AFRIQUE CENTRALE LAPAC PIERRE NOUGAYROL (CNRS, Paris)

LA LANGUE DES AIKI DITS ROUNGA TCHAD - RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

ESQUISSE DESCRIPTIVE ET LEXIQUE

LABORATOIRE DE LANGUES ET CIVILISATIONS A TRADITION ORALE (LACITO) Département « LANGUES ET PAROLE EN AFRIQUE CENTRALE » (LAPAC) 44, Rue de l'Amiral Mouchez, 75014 Paris LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER, S.A.12, RUE VAVIN, 75006 PARIS LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER, S.A. 12, Rue Vavin, 75006 Paris <9 1989 LACITO-LAPAC, 44 rue de l'Amiral Mouchez, 75014 Paris

ISSN 0986-0983 ISBN 2-7053-0580-7

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Couverture : conception P. LABOURRASSE, Agence Té, Paris. SIGNES ET ABRÉVIATIONS ac. accompli P personnel pluriel Adj. adjectif Pl 1ère pers. pl. Adv. adverbe P2 2ème pers. pl. anaph. anaphorique P3 3ème pers. pl. ar. arabe part. participatif assert. assertif plur., pl. pluriel C consonne pot. potentiel caus. causatif préf. préfixe context. - contextuel prés. présent coord. coordinatif qqch. quelque chose cop. copule qqn quelqu'un Dant déterminant récip. réciproque Dé déterminé rel. relatif déict. déictique S personnel singulier fonct. fonctionnel Si 1ère pers. sing. fr. français S2 2ème pers. sing. excl. exclamatif S3 3ème pers. sing. fut. futur sing., sg. singulier gén. génitif sp. spécifique hab. habituel subj. subjonction imp. impératif suf. suffixe inac. inaccompli V voyelle inch. inchoatif valor. valorisateur inf. infinitif var. variante inst. instrumental vb verbe, verbal inter. interrogatif invar. invariable . signale un emploi ou une IP indice personnel tournure particulières irr. irréel / sépare les constituants litt. littéralement d'un énoncé loc. locatif marque des termes à morph. morphème signifiant discontinu N nominal marque de l'affixation né g. négation + marque des amalgames Num. numéral < issu de nVb non verbal opt. optatif ord. ordinal

INTRODUCTION

Le pays aiki est formé principalement de la partie orientale de la préfecture du Salamat (Tchad) connue sous le nom de Dar Rounga. Sur la rive gauche du Bahr Aouk-Aoukale, qui marque la frontière entre le Tchad et la République Centrafricaine, il s'étend aux zones limitrophes du Dar el Kuti, du Dar Gula et, plus à l'est, du pays fer ou Dar Karal (v. carte I). Le Dar Rounga Appelé ndûqà par les Aiki de R.C.A., le Dar Rounga (administrativement sous-préfecture d'Haraze-Mangueigne) est, de par son isolement, la région du Tchad la plus mal connue2. Sa situation géographique mérite d'être soulignée. Il fait partie, en effet, de la plaine d'inondation du Salamat, vaste réseau convergent de rivières permanentes (Bahr Azoum-Bahr Salamat, Bahr Keita, Bahr Mindjik, Bahr Aouk-Aoukalé) et d'innombrables cours d'eau temporaires au tracé incer- tain que la sécheresse transforme progressivement en autant de mares. En saison des pluies et dans les mois qui suivent, le Rounga n'est plus qu'une étroite bande de dunes cernée par les eaux et coupée du monde extérieur. La zone N-NE échappe cependant à l'inondation mais elle est entourée d'espaces inhabités (Dar Kobori, Goz Sassulko) ou très faiblement peuplés (Dar Fongoro). Cette région était naguère une terre de prédilection pour les amateurs de grande chasse, étant donné l'abondance et la diversité de la faune. Elle est réputée auprès des transhumants arabes (Heimat, Missiria) pour la qualité des pâturages et la profusion des points d'eau quand arrive la saison sèche. La richesse des mares résiduelles en poissons de toutes sortes est souvent vantée. Malgré tout, on hésite à croire que, pour ceux qui y vivent à demeure, elle soit autre chose qu'une zone de refuge. Les quelques brèves descriptions qu'ont laissées les administrateurs

1 En 1913, le Dar Karkama (villages de Koutoudiangaye, Haraze et Karkama), dans le sud du Dar Fongoro, était habité par des "Roungaliens" originaires du Rounga (TOURENQ, 1913 : 31). Nous ignorons s'ils s'y trouvent encore. 2 Au dam des historiens, le voyage de Gustav Nachtigal au Rounga tourna court : il s'acheva en fait sur la rive droite du Bahr Azoum, en pays dagal (mare de Sunta). La présence française pendant la colonisation fut intermittente. Un poste fut créé à Kouga (à l'est d'Haraz) en 1914, transféré à Mangeigne l'année suivante, mais fermé en 1920. Il fut réouvert en 1930, à nouveau fermé en 1937 ; réouvert en 1940 et fermé l'année suivante ; réouvert en 1948 et transféré à Haraz en 1950. coloniaux ne s'attardent guère sur le mode de vie des habitants, mais mettent l'accent sur le dénuement des villages, sur les mauvaises conditions sanitaires et sur le sentiment général d'isolement3. C'est sans doute pour fuir cet isolement qu'un mouvement migratoire d'assez grande amplitude paraît s'être amorcé à la fin des années 1960 en direction des territoires relativement plus accueillants de la rive gauche de l'Aouk. Nous y reviendrons. La population du Rounga était estimée, en 1962, à 12000 sédentaires, pour l'essentiel aiki, et 1000 transhumants Heimat. Elle se concentrait dans la partie sud du pays, entre Mangeigne et l'Aouk-Aoukalé, tandis que le nord ne compor- tait que quelques villages isolés4. On peut penser que, compte tenu des migrations dont il vient d'être fait état, elle n'a guère évoluée depuis lors sinon de manière négative. Les Aiki de R.C.A. La présence de colonies aiki de l'autre côté du Bahr Aouk est ancienne et date, selon CORDELL (1985 : 35), des débuts du XIXème siècle. Pendant longtemps, cette présence, toujours limitée en nombre, se cantonna au Dar el Kuti5, dans la zone de contact des Kaba de l'Aouk et des Ndoka. C'est seulement à la fin des années 1960 que l'aire aiki empiéta sur les territoires traditionnellement occupés par les Gula et les Kara (v. carte II). Le Dar el Kuti (préfecture du -, sous-préfecture de Ndélé, commune du Dar el Kuti), que les gens du Rounga désigne du nom de gù 1 û, est au premier chef le pays des Ndoka. Mais d'autres peuples y sont établis, tels les Runga (v. plus bas la distinction faite entre Runga et Aiki), les Luto, les Geme, certaines fractions kaba et dunjo, et, dans la partie NE circonscrite par le Jangara, l'Aouk et la Tete (ou ), des Aiki6. Cette dernière zone compre-

3 HUGOT (1962 : 120-121) écrit à ce propos : "On pourrait croire que les quelque six mille Rounga groupés autour d'Haraze apprécient [...] l'indépendance que devrait leur valoir un aussi complet isolement. Il n'en est rien, et si l'Administration française y avait maintenu un chef de circonscription, malgré les difficultés nombreuses soulevées par l'entretien d'un poste dans semblables conditions, c'était à leur demande pressante. Chaque année, les Rounga d'Haraze venaient à Am Timan s'assurer qu'ils disposeraient bien de leur "Blanc" pour la prochaine saison des pluies. Sans doute le poids de cette nature immense et vierge, la crainte vague d'on ne sait quel cataclysme qui serait demeuré ignoré du reste de l'univers étaient-ils à la base de cette supplique annuelle, bien plus que des raisons de sécurité, car les bandits krech du Dar Four n'auraient pu se hasarder jusque là. Le Blanc présent, c'était un lien ténu maintenu avec le reste de la terre. Lien théorique et n'impliquant notamment aucune possibilité d'aide médicale. Haraze-Mangueigne aurait pu signaler par radio une épidémie ou un accident, mais Am Timan, pour autant, n'aurait pu envoyer de médecin à travers des obstacles que les courageux facteurs du Salamat eux-mêmes avaient renoncé à franchir." 4 Pour le nom et la répartition des villages au début des années 1950, on consultera la Carte de l'Afrique Centrale au 1/200000 éditée par l'IGN : feuilles Haraze (NC-34-IX), Parc Saint-Floris (NC-34-X), Djouna (NC-34-XV), Mangeigne (NC-34-XVI) et Aboukousoum (NC-34-XXII). 5 A l'époque de NACHTIGAL (1971 : 140-1), le Kuti était considéré comme faisant partie intégrante du Dar Rounga qui, lui-même, dépendait des sultans du Waday. 6 Pour un inventaire détaillé des populations du Dar el Kuti et de la Vakaga, v. NOUGAYROL [sous presse]. nait en 1983 sept villages totalisant 1600 habitants environ7. Il s'agit de : Akursulbak (< ar. "ceins tes reins" ou "serre ta ceinture") existait déjà sous ce nom (Akoulousoulba) au moment de la mission Chevalier (1903) Ambasatna (< ar. "nous nous sommes réjouis") créé à la fin des années 1960 par des hommes venus du Rounga (village de Masmbany, au SO d'Haraz) Anjammena (< ar. "nous nous sommes reposés") créé à la même époque que le précédent par des hommes venus du Rounga Bulkinya subdivisé en trois quartiers notés I, II et III Dil (cf. aiki d î 1 "calao" ; IGN Déli) Dum (< ar. "Hyphaene thebaica L." ?) Musamma créé à la même époque qu'Ambasatna et Anjammena par des hommes originaires de la région d'Haraz, au Rounga Les Aiki du Kuti se répartissent en quatre fractions au moins : m È n 9 è 1 è, à jù t îjià, jàmbàr t îjià etkûlû tïjià. Dans les années 1960, l'administration recensait, pour la sous-préfecture de Birao (préfecture de la Vakaga), qui regroupe les pays gula et kara, 500 Aiki établis dans le chef-lieu (Birao) et à Sikikede, entre Bahr Kameur et Aoukalé (VIDAL 1973 : 3). A la fin de ces mêmes années et au cours des années 1970, des groupes nombreux originaires du Tchad rejoignirent ce premier noyau, pendant que d'autres s'implantaient dans le Kuti. Si bien que, lors de notre séjour dans la Vakaga en 1984, la population aiki pouvait être estimée, au bas mot, à 4700 personnes réparties comme suit. - entre Bahr Kameur et Aoukalé (zone qui forme la Réserve de faune de l'Aouk- Aoukalé), 4 villages dont nous ignorons l'emplacement exact (± 800 h.) : Alodeng (< aiki a 1 o dâq "l'autre Alo" ou a 1 o dal) "Alo le calme" ?) Ardep (< ar. "tamarinier") Masabio Sammasin - sur la rive gauche du Bahr Oulou, entre les Gula du Mamoun (gù 1 a m5 1 5) au NE et les Gula me 1 e au SO, 4 villages (± 1800 h.) : Aifa subdivisé en trois quartiers, I, II et III Amar Jadid (< ar. "nouveau décret [de déplacement du village]" ?) Mandakam Sikikede installé autrefois entre Bahr Kameur et Aoukalé

Les renseignements donnés ici à propos des Aiki de RCA et des Runga ont été collectés au cours de deux séjours, le premier dans le Dar el Kuti, en janvier-février 1983, le second dans la Vakaga, enl'exception novembre-décembre de ceux situés entre1984. l'AoukaléTous les etvillages le Bahr aikiKameur. et runga ont été visités ou traversés, à Carte Il - LES ETABLISSEMENTS AIKI DE R.C.A. - en bordure du lac Mamoun, au milieu des Gula mo 1 o, 2 villages (± 400 h.) : Amar Jadid (< ar. "nouveau décret [de déplacement du village]" ?) Jenzir (< gula < ar. 9 e z ï r e "île") subdivisé en trois quartiers I, II et ni ; seul J. III est aiki - au NE de Birao, le long du Bahr Oulou, 3 villages (± 1700 h.) : Am Daga subdivisé en 5 quartiers I, II, III, IV et V ; connu localement sous le nom de i r ë j a Ardep Safara (< ar. "tamarinier jaune" ou "tamarinier [du] voyage" ?) subdivisé en 2 quartiers, 1 et II Jirif al Amal (< ar. "berge de l'espoir") En conclusion, on peut estimer la population actuelle des Aiki a ± 20 000 personnes. Leur mode de vie est identique d'un dar à l'autre, avec un peu plus de "confort", toutefois, du côté centrafricain. Ils vivent principalement de la culture du sorgho (du "bérbéré" ou sorgho de décrue, au Rounga) qui constitue la base de l'alimentation, mais la chasse et la pêche apportent, en saison, un complément important. Ils sont musulmans, c'est-à-dire qu'ils se plient aux obligations de l'Islam, et ont une bonne connaissance de l'arabe véhiculaire (en revanche, le sango est inconnu ou peu s'en faut).

Les Aiki (à i k Í), puisque c'est ainsi qu'ils se désignent eux-mêmes, répondent également au nom de Rounga ou Runga (r Ú 1) à), appellation sous laquelle ils sont connus de leurs voisins, de la littérature et, par suite, de l'administration, et dont ils se réclament d'ailleurs volontiers. Mais tous les Runga ne sont pas aiki, c'est la raison pour laquelle il nous a paru utile de distinguer entre les Runga parlant aiki, auxquels est réservé le nom d'aiki, et les Runga parlant arabe, qui ne se disent que runga, auxquels est réservé le nom de runga. La genèse du groupe runga en tant que groupe spécifique est un phénomène assez ancien qui participe du processus de "soudanisation" décrit par DOORNBOS et BENDER (1983 : 45-46). Elle s'amorce vers la fin du XIXème siècle, lorsque le Dar el Kuti devient un centre économique, politique et militaire important, et prend forme dans les bouleversements que suscitent la fin du sultanat (1911), la mise en place de l'administration française et l'abolition de l'esclavage. Elle a pour cadre les établissements marchands et cosmopolites qui précèdent la fondation de Ndélé (Cha, Kali, Mongo-Kuti), puis Ndélé même, et pour toile de fond la propagation de l'Islam et de son système de valeurs, et la diffusion de l'arabe. Au coeur du processus, un groupe aiki relativement nombreux et puissant dont sont issus les souverains du Kuti et qui jouit d'un grand prestige : musul- mans et pratiquant l'arabe véhiculaire, ces hommes renoncent peu à peu à leur identité et à leur langue (l'arabe prend alors la première place) et, ce faisant, jettent les fondations du groupe runga. Gravitant autour, des groupes plus restreints qui s'intègrent à l'ensemble runga au fur et à mesure qu'ils se détachent de leurs communautés d'origine. Il y a d'abord des Ndoka, les seuls autochtones : agriculteurs plus animistes que musulmans, ils sont alliés aux Aiki. Mais il y a aussi toute une population d'artisans, de marchands, de colporteurs que l'essor du Kuti a drainée : originaires du Baguirmi, du Bornou, des pays hausa ou des bords du Nil, ils sont musulmans de longue date - à ce titre, ils jouent un rôle fondamental dans la propagation des préceptes coraniques - et parlent, comme tout le monde, l'arabe véhiculaire. La communauté runga du Dar el Kuti8 comptait en 1984 environ 3400 personnes regroupées en 8 villages (± 1400 h.) et 2 quartiers de Ndélé au moins (Rounga 1 et Rounga II Sygagne, soit ± 2000 h.). Ses membres se proclament Runga mais conservent le souvenir de leurs origines ethniques en fonction desquels les villages et les divers sous-groupes se sont organisés. A Manga (en partie ndoka), I (B. II est ndoka, B. III est luto), Birbatuma et Kasena, sur la route de direction NO conduisant de Ndélé à Sarh (Tchad), les Runga sont d'origine aiki. Ils se disent Runga et sont d'ailleurs les seuls à être considérés par les Aiki comme de "vrais" Runga. Ils se subdivisent en 5 fractions : tunjur9, mengele, ajimi, isa tinya et kasima. Les Runga de Nzubosinda (IGN Djobossinda), sur la route menant de Ndélé en pays aiki, sont d'origine ndoka. Ils se disent Runga Kuti. Ceux de Sukmba (IGN Sokumba) et Kunde (IGN ), entre Nzubosinda et Akursulbak, ont des origines variées (aiki, ndoka, kaba, banda, etc.). Mais la plupart sont originaires du Baguirmi, du Bornou, voire des pays hausa. Ils se disent Runga Kuti ou Runga Bagirmi (ou Bagrim) à Kunde, et Runga bagari à Sukmba. Ceux de Miamere (NQ de Ndélé) sont d'origine manza. Ils parlent arabe et se disent musulmans, mais leur identification aux autres Runga paraît plus récente. Les Runga de Ndélé, enfin, se rattachent plus ou moins à ces différents sous- groupes. Cette liste n'est pas close. La société runga exerce, en effet, une irrésistible attraction sur les groupes ultra-minoritaires et souvent déracinés du Kuti. A l'image des Manja de Miamere, les habitants de Jamsinda (qui rassemble des Mbele [Banda], Ngola [B], Muruba [B], Daburu [B], Gbaga [B] ; Manja ; Ndoka, Luto, Wada, Sara Kaba, Sara Dunjo etc.) et de Kubu (Langbasi [Banda], Muruba, Wada [B], Manja), sur la route de Sarh, de même que les Banda Mbata et Gai de Zokutunyala 1 et les Ndoka de Zokutunyala II (route d'Haraze) sont en voie de roungaïsation complète. Mais les Aiki eux-mêmes, comme les Ndoka, subissent aussi cette attraction, et il est probable qu'un jour, ils seront définitivement absorbés par la nébuleuse runga.

8 Les Runga ont également essaimé dans toute la RCA, notamment dans les centres urbains de l'est (Bria, Bangassou, Mobaye, Zémio etc.) où ils détiennent une partie du commerce. 9 Certains Runga, de Sukmba ou Kunde, sont réputés d'origine tunjur. On signalera au sujet des Tunjur que, d'après JULIEN (1929 : 51), la 13ème bannière de l'armée sénoussiste était formée de Tunjur et de quelques Runga. La langue des Aiki (à i k Í ndâq / - /manière/) est connue, elle aussi, sous le nom de runga. Jusqu'à présent, on ne disposait à son sujet que de deux courts vocabulaires : le premier, de 66 entrées, que nous devons à BROWNE (1800 : 96- 99) et qui a été repris en partie par JOMARD (1845 : 57-58) ; le second, de 186 entrées, recueilli à Fort-Lamy par le Dr Decorse (1904) et édité par GAUDEFROY-DEMOMBYNES (1907 : 314-322), qui a servi longtemps d'unique document de référence. A partir de ces quelques données et suivant Lukas, TUCKER et BRYAN (1956 : 54-55) rattache le runga au groupe dialectal maba qui, avec le karanga et le masalit, forme le groupe linguistique Maba. GREENBERG (1971 : 426) fait du Maba (qu'il augmente du mimi de Nachtigal et du mimi de Gaudefroy-Demombynes) un des embranchements de la famille nilo-saharienne. La place du runga n'est pas modifiée. DORNBOOS et BENDER (1983 : 62-66) remodèle le groupe Maba en isolant trois langues, le bora mabang (le maba proprement dit), le mesalit et le runga auquel ils assimilent pour la première fois le kibet. J'ai moi-même proposé (NOUGAYROL 1986 : 40) de regrouper les parlers aiki, kibet, dagal(?) et muru (??) dans le même sous-ensemble, à l'intérieur du Maba. Il n'y a pas lieu, pour le moment, de revenir sur cette position. Nous n'avons aucune information sur une éventuelle diversification dialectale de l'aiki. Tout ce qu'on peut dire c'est que, d'après les locuteurs eux-mêmes, la langue est la même d'un bout à l'autre du pays, à part quelques variations locales. Et l'on notera avec intérêt qu'entre le vocabulaire de Decorse (collecté, rappelons-le, à Fort-Lamy) et le nôtre, il n'y a pas de différence fondamentale, malgré 80 années de distance.

Les matériaux linguistiques qui sont à la base de la présente étude ont été recueillis auprès de deux jeunes Aiki originaires du Dar el Kuti et résidant à Bangui, Abdel Malik Adoum, né à Dil en 1962, et Idriss Brahim (alias Idriss Barthélémy), né à Bulkinya en 1959. Vers l'âge de 10-12 ans, afin de pouvoir continuer leur scolarité, ils avaient dû l'un et l'autre quitter leurs villages et avaient alors entrepris un périple qui les avait menés finalement à Bangui. Lorsque nous les rencontrâmes, en 1982, c'étaient sinon les seuls Aiki de tout Bangui, du moins les seuls Aiki passablement francophones. Ils étaient lycéens (ils l'étaient encore à la fin de l'enquête) et vivaient au sein de la communauté runga, c'est-à-dire en milieu arabophone. Ils parlaient surtout l'arabe du Kuti, qu'ils maniaient avec aisance, mais aussi le sango et le français, et n'utilisaient plus leur langue maternelle qu'en de rares occasions, généralement à des fins cryptiques. Faute de mieux, l'enquête fut conduite sur leur lieu de résidence (à six cents kilomètres, à vol d'oiseau, du pays aiki!) et, pour les ultimes vérifications, à Rabat (Maroc) où Idriss Brahim suivait un stage de formationlo. Disons-le 10 L'enquête de plein terrain, en milieu villageois, eût été bien sûr préférable. Mais c'était là une tout autre entreprise réclamant du temps et des moyens. Nous aurions été dans l'obligation, alors, d'emblée, elle ne se déroula pas dans les meilleures conditions : commencée en 1982, elle s'étala sur six années (soit moins de 4 mois de travail effectif), s'interrompant à de multiples reprises et ne reprenant qu'au hasard de la disponibilité des informateurs et de nos séjours à Bangui. Pour gratifiant que ce soit, décrire la langue (à morphologie complexe) d'un groupe minoritaire et sous-scolarisé, vivant de surcroît dans une région isolée et d'accès difficile, n'est pas une mince affaire. Le lexique, l'expression du nombre (qui est, nous le verrons, pratiquement lexicalisé), les paradigmes grammaticaux, la morphologie du thème verbal occupèrent une grande part de notre temps et furent constamment remis sur le métier. L'autre part fut consacrée au dépouillement des textes que nous avions enregistrés, à propos desquels des enquêtes ponctuelles se rapportant notamment à la syntaxe étaient effectuées, et sur lesquels prend appui l'analyse syntaxique. Les questionnaires préétablis et systématiques ne furent pas utilisés, sauf dans le cas du syntagme nominal de détermination mais les résultats se révélèrent alors aberrants et inutilisables. La phonologie, enfin, n'a peut-être pas reçu toute l'attention qu'elle méritait. Nous nous étions promis de revenir méthodiquement sur le système prosodique et les mécanismes de l'attraction tonale, avec le concours de locuteurs un peu moins "arabisés" que nos informateurs habituels. Mais l'occasion ne s'en présenta pasll.

de passer par l'intermédiaire de l'arabe véhiculaire, puisque, comme nous en avons fait l'expérience en parcourant les villages du Kuti et de la Vakaga, les Aiki ignorent le français. Toutes nos missions en RCA ont été financées par le LACITO (CNRS). Il Pascal Boyeldieu a bien voulu relire les parties phonologique et grammaticale de ce travail, apportant commentaires et suggestions dont nous nous sommes inspiré. Qu'il en soit ici remercié. 1 ESQUISSE PHONOLOGIQUE

LES CONSONNES Le système consonantique résulte de la combinaison de 7 séries (glottalisées, sourdes, sonores, mi-nasales, nasales, continues et vibrante) et 5 ordres (bila- biales, apico-dentales, sifflantes, palatales et vélaires) :

Ce tableau appelle quelques commentaires : - L'opposition glottalisées vs non-glottalisées a un rendement fonctionnel très faible. Elle se maintient cependant grâce à trois paires minimales, m à cfà "peau"/màdà (< Sara) "babouin doguéra", kùcf6 "l'année dernière"/kùdÕ "ara- chide, pois de terre" et i id' "cracher'Vi id "mourir". Ailleurs, sauf dans d'à i "amer" qui est toujours phonétiquement [cfà i], 6 et cf admettent une réalisation glottalisée ou non glottalisée [b], [d]. - La bilabiale p se réalise tantôt comme une occlusive [p], tantôt comme une fricative [f ]. Cette dernière réalisation, qui se rencontre en premier lieu dans les emprunts à l'arabe, tend à se généraliser. - La vibrante r se réalise comme une battue [ r ] à l'initiale et en position interne, et comme une roulée [r] à la finale absolue. - Le phonème s est réalisé comme une sifflante sourde pré-dorso-alvéolaire [ s ] ou interdentale [0]. - La sifflante sonore z est attestée en tout et pour tout dans 9 mots dont sept emprunts avérés : soit à l'initiale zàkàrat (< ar.) "youyous", zanât (< ar.) "pierre à feu", z ¡ t (< ar.) "augmenter" et zûngô (< banda-Ndélé) "ruche" et à l'intervocalique àzúúma (< ar.) "fête", bâzâl (< ar.) "hernie étranglée", j Í z é (< ar.) "mariage", k ù z ún "tas" et mà z úm "hôte, invité". - La consonne [J'] est attestée à l'initiale de certains emprunts à l'arabe. Elle peut être tenue pour une variante contextuelle de la palatale c. La gémination A côté de groupes consonantiques /C1C2/ variés, on note la présence, en position interne, de consonnes géminées. On en rencontre dans les emprunts à l'arabe, ex. câttât (j-ir-i) "séparer", tâllâk(j-ir-i) "répudier", sokkor "sucre". On en trouve parmi les verbes, mais à la suture de deux morphèmes, comme dans enn "pleurer", ndapajiji "écorcer" qui combinent un radical (en, ndapaji) et la marque thématique d'accompli (n, ji), ou encore dans le composé problable n j e 11 "aller" qui paraît associer la marque résiduelle de futur t au radical *n jet 12. La gémination est utilisée également à des fins expressives, v. par exemple kwàyé "beaucoup" > kwàyyé "en très grand nombre, trop", pâpât "tous" (< pat idem )> pâppât "tous sans exception". Dans un cas, enfin, la consonne géminée est en variation libre (?) avec une non- géminée : kàndâ "un (1)" se réalise [k|ndâ], parfois [kàddâ]. Dans 20 items, la gémination demeure irréductible, pour l'instant du moins. En voici la liste : pp kàpp3 pà 1) "cuisse" (cf. Decorse kapkona) bb à b ban Ê "l'année prochaine" gâbbâ "pointe faîtière des toits" nâbbâ (j-ir-i) "annoncer par proclamation" (emprunt ?) t t pat t ta r "pâte de mil" dd uddudo "lutter" nn ânni (j-ir-i) "souhaiter" (emprunt ?) 11 b à Il úm "petit sac" (le renforcement de l'articulation consonan- tique résulte peut-être de l'affaiblissement de la voyelle qui précède) da 1 1 a g "petit canari" (v. remarque ci-dessus) s a Il ak (j - i r - i) "dépecer, débiter" (emprunt ?) t a 1 1 ak "goutte à goutte" (même remarque que pour bail 6m) r r târrâ (j-ir-i) "plaisanter" (emprunt ?) bar r à k "éclair" j j i j j "donner un coup" yy bïyyâ "dard" ngâyyâ "termitière-cathédrale" kk c àkkak "case ronde" pâkkâk (j-ir-i) "démonter, découper" (emprunt ?) gg àggâr "courageux" dàggâ "danse sp."

12 En revanche dans u t a t e "se tenir" (ac. u utNU t i), qui combine le radical ut et la marque thématique d'inaccompli t E, il y a toujours insertion de l'élément épenthétique [a] entre les deux 1 composants, comme pour empêcher la gémination de l'apico-dentale. Il en est de même pour odad (ac. odq) "enlever" (v. exemple plus bas). Par ailleurs, dans trois verbes od(ad) "enlever", ot (ac. otq) "attacher" et ud (ac. udq) "payer", la consonne radicale est soumise à gémination à la 3ème pers. sing. et au pluriel, phénomène peut-être lié à l'affaiblissement de la voyelle. Ex. Si àw-ôdâd-è "j'enlève", S2 g- ôdad-è, mais S3 t-àddâd-è etc. Distribution des consonnes En position initiale (initiale de mot ou de syllabe), de même qu'à l'inter- vocalique, tous les phonèmes du système sont peu ou prou représentés. En position finale (finale absolue ou non), on constate plusieurs neutra- lisations sur le plan des séries : - neutralisations des oppositions glottalisées/non-glottalisées et sourdes/sonores, les archiphonèmes se réalisant comme des occlusives sourdes ; - neutralisation de l'opposition mi-nasales/nasales au profit de réalisations nasales.

LES VOYELLES Le système vocalique paraît constitué de deux points d'articulation (étirées vs arrondies) et de quatre degrés d'aperture et opposer, quoique de façon très instable, longueur vs brièveté (ou tension vs laxité), d'où les deux tableaux ci- après :

Mais cette présentation est plus idéale - ou si l'on veut, plus phonétique - que réelle dans la mesure où elle fait abstraction de l'état d'instabilité dans lequel se trouve le système. Cette instabilité a été mise en évidence par le comportement hésitant et souvent contradictoire de nos informateurs, en particulier quand l'enquête s'orienta sur le statut phonologique de la quantité vocalique et du 3ème degré d'aperture. Deux exemples pris parmi beaucoup d'autres suffiront à illustrer les difficultés de l'analyse : le verbe j - a r - i "dépouiller", réalisé parfois [jari], parfois [jeri], nous fut présenté comme s'opposant à j - a a r - i "déféquer" tantôt par la brièveté du segment vocalique, tantôt par le degré d'aperture ; confronté alors à j '£ r (j-ir-i) "fréquenter une femme", ce même mot n'ad- mettait plus que la réalisation [ j a r i ] qui était même donnée comme homophone de j-aar-i, la quantité vocalique perdant son caractère distinctif. De façon similaire, ndet-i "mettre" et ndet-i "semer en poquet" furent donnés comme des quasi-homophones s'opposant par le degré d'aperture de la voyelle, soit [n de t 1] VS [n dE t 1], mais seulement lors de l'identification des paires minimales, et comme des homophones dans d'autres circonstances. Tant et si bien que la structure phonologique des unités significatives a été arrêtée, dans de nombreux cas, sur une base statistique - en l'occurrence, j-ar-i "dépouiller" et j-aar-i "déféquer" sont à distinguer puisqu'ils s'opposent plus souvent qu'ils ne se confondent, à l'inverse de ndet-i "mettre" et ndet-i "semer en poquet" qui, eux, sont traités comme des homophones - et, en dernier ressort, selon notre intime conviction. Une difficulté supplémentaire résulte du caractère fermé des réalisations phonétiques et de l'étroitesse des champs de dispersion à l'intérieur des ordres. De nombreux chevauchements ont été notés, entre i et e, e et a, a et o ainsi que o et u, qui ne doivent peut-être pas être imputés toujours à la langue ou à nos informateurs, mais à nous-même. Là encore, c'est la variante principale, autre- ment dit la forme la mieux attestée, qui a été retenue pour l'analyse phonologique. Le 3ème degré d'aperture L'identité phonologique de l'aperture 3 repose sur une paire minimale qui s'est révélée remarquablement stable tout au long de l'enquête, soit 00 s "tuer (ac.)" vs oos "blesser, donner un coup (ac.)". On peut également rapprocher àb3 "nu" de à s o "faim", ko 1 5 "serpent" de ko t 6 "poitrine", àr è "mare sp." de à ré "appendice adipeux", keeke "francolin" de kèèdé "poule" etc., mais, dans ces exemples, la distinction d'aperture est plus fragile ou, tout au moins, plus mouvante. Il reste que les 2ème et 3ème degrés d'aperture sont souvent en variation libre, ex. dod i "jambe" : [d b d i], [dod î ], j ek "aussi" : [jek], [jék] ; c'est particulièrement vrai dans le cas des déterminants grammaticaux, E marque de mode, do marque du pluriel, go marque du génitif, s Õ déictique etc., à ceci près que le choix du timbre est tendanciellement gouverné par le vocalisme des termes auxquels ils sont suffixés ou postposés. La quantité vocalique La longueur vocalique est bien attestée d'un point de vue phonétique. Les preuves irréfutables de son rôle distinctif font toutefois défaut et seuls quelques rapprochements assez instables peuvent être invoqués en sa faveur : outre j-ar- i vs j - a a r - i cité plus haut, cf. s r "idiot" vs s r "concession" ou s r "(pendant) le jour", kédé "calebasse" vs kèèdé "poule", iji "mettre au monde" vs i iji "jurer", s i k "cueillir" vs s i iko "se résorber" etc. L'opposition de longueur, s'il y a effectivement opposition, est neutralisée à la finale absolue. Le produit de la neutralisation connaît une réalisation sans durée particulière chez les polysyllabes ; mais avec les monosyllabes, il est réalisé bref si l'on a affaire à un morphème grammatical, encore que la longueur puisse être utilisée à des fins d'expressivité, et long dans le cas d'un lexical. Le son [a] La voyelle centrale [a] est dénuée de valeur phonologique, bien qu'elle ait été conservée dans la transcription. C'est d'abord une voyelle épenthétique facilitant l'articulation dans certains groupes consonantiques et susceptible de supporter partiellement le schème tonal. Le verbe us t (ac. us) "tomber", par exemple, fait à l'inaccompli Si àw-ùs a t-è, S2 g-ùs a t-è, S3 t-ùs6t-è etc., an (ac. anq) "entendre" donne à l'accompli Si àw-ônag-e, S2 g-anag-e, S3 t - i n à ij - 9 etc. C'est aussi la réalisation relâchée des voyelles brèves en position interne. Ex. : dïkïdi "poisson sp." [dîkîdî], [dàkàd f] àpègè r "enfants" [àjiègèr], [àjiagar] kàdâm "animal" [kàdâm], [kadam] nùsô-k "feu" [nasak] maisplur. [nùsô] wùndú-k "parole" [wandak], [wondak] mais plur. [wûndû] Dans de nombreux items, cependant, il est impossible de dire de quel phonè- me précis [a] est la réalisation ; ex. kam "buffle", gasak "léopard", ndaparnd/ n d o p e r g "exposer, faire sortir". La diphtongaison Le système vocalique comprend des articulations phonétiquement complexes dont le statut phonologique reste à définir au cas par cas (réalisation diphtonguée d'un voyelle simple dans un contexte particulier ou d'une combinaison de type /VV/ ou NC/ ? diphtongue de plein droit ?). Il s'agit des séquences suivantes : - i y ex. múkwÍ y [mûkwîY] "aulacode" - e i ex. ândei [andè*] "chèvre", kè i j â [kè i j a] "étoile" - E i ex. de i [d E 1] "lance à barbillons" - ai ex. pài [p à I ] "sang", àiki [àikî] "Aiki" - eu un seule occurrence yèu [yèu] "froid" - su (var. de la précédente ?) ex. s à u [s au] "mouche tsétsé" - au ex. lau/laun [laV(n)] "lécher" - ou ex. k6u [kôu] "absent" - uw ex. duw/duwn [duw(n)] "damer" La plupart (i y, e i, ei, au, ou, uw) sont probablement des diphtongues issues de voyelles simples soit par relâchement de l'articulation, soit par renforcement de la tension dans le cas des longues. Si l'on compare le lexique de Decorse au nôtre, on constate que celui-là met souvent une voyelle simple (ade "cracher", ande "chèvre", atte "quatre", awe "membre viril", kw i "[intérieur]", s awe "fille", t 0 "poil") là où nous avons noté une diphtongue : àdè i "salive", àndè i, à t t è i, àwg i, kw 1 y, s owè i, t 0 u. La diphtongaison (elle débouche parfois sur le redoublement de la voyelle) est d'ailleurs bien attestée en synchronie. Ex. : agwiy vent [àgwîY], parfois [àgwï] à 1 é i "chanson" [à 1 16 11, parfois [à 1 é] ndi i s "dire" [ndi:s], [ndy i s], [ndyes] seem "jeter" . [se:m], [ s e I m] (var. principale), [seyem] voire [seem]13 oond "voir" [o:nd], [3and]14 Cette évolution, plus ou moins achevée selon les items, est liée à certains 13 On peut déduire de cette série de réalisations que le segment interne -VyV- des mots ambèyèm "abeille sp.", bîyîm "plein", gïyïm "genette", mïyîk "co-épouse" etc., dérive probablement d'un ancien /V :/. 14 On notera à cet égard l'usage que fait parfois la morphologie verbale de la variation diphtongue/V: dans l'alternance inaccompli/accompli. Ex. pa u/Ju a n "manger", suw/soon "tresser", sou/oos "tuer" (avec métathèse). contextes, tels que les structures Cwi à C vélaire ou a Ce pour ce qui concerne la diphtongaison finale. Elle ne produit pas seulement des variantes, d'abord libres puis combinatoires, mais aussi quelques nouvelles oppositions : cf. kiy [k t y], parfois [kt:], "brume" vs ki [ki:] "tête", tôu [tôu] "poil" et t 6 [to:] plur. de t Õ-k "sauce". Certaines articulations complexes, qui ne résultent pas du relâchement ou du renforcement d'une voyelle simple (cf. ai vs au, eu vs e i), sont à l'évidence les réalisations diphtonguées de deux phonèmes contigus /VV/, /Vy/ ou /Vw/. C'est le cas, par exemple, dans kà i (plur. kÕ i) [kà i] ] "fils" et le dérivé kà i kà i (plur. ko i ko i ) "enfant". L'interprétation /VV/ n'est pas possible ici, la langue opposant semble-t-il kài à ka Í [ka Í] "pagaie" (< sango) ou a Í [â i ] "demain". La séquence a i doit alors être considérée comme la combinaison du phonème a et de la continue palatale y. A la palatale continue de l'aiki répond, d'ailleurs, en maba et en kibet, une autre consonne continue, l'apico-dentale 1 (la correspon- dance est régulière). Cf., en l'occurrence, aiki kà i et maba ka 1 ak//?/Mr. ko 1 i, kibet ka 1 ka 1 /ko 1 ko 1 "enfant". On soulignera enfin le comportement des voyelles arrondies ou d'arrière entre consonne vélaire (K) et palatale, soit le cadre KV i. Leur durée d'émission tend à se réduire, entraînant une diphtongaison du timbre en harmonie avec l'élément qui suit. Ex. : àgÙYE "puits" (< àgù "trou") [àgùyé], [àgwîyé] ngwèî "colobe guéréza" [ngwè î], parfois [ngôî] jiàngwêyé "chemin" [jiaqgwêyé], parfois [jiaqgoye] Les termes comme àgwéyé "arrière-cour", kw à y È "grand" (cf. plur. kùdèndé et Decorse koye), kwié "pilon", mú kwÍ y "aulacode" etc., qui sont toujours réalisés avec une diphtongue interne, sont sans doute les fruits de ce processus.

FORMES CANONIQUES

Emprunts avérés et synthèmes mis à part, le lexique recueilli comporte 1133 unités lexicales et grammaticales, soit 318 verbes et 815 items non verbaux (nVb). Un net clivage se fait jour entre ces deux grandes catégories, lorsqu'on considère la répartition des différentes structures syllabiques : les verbes sont monosyllabiques15 à 65%, dissyllabiques à 29% et trisyllabiques ou autres à 6%, tandis que les non-verbaux sont monosyllabiques à 22%, dissyllabiques à 58%, trisyllabiques à 18% et tétrasyllabiques ou autres à 2%16. Par ailleurs, 57% des 15 C'est la structure du i-adical qui est prise en compte ici. Le radical verbal est une forme abstraite qui n'apparaît jamais seule, mais en association avec des morphèmes spécifiques (indice personnel, marque de mode, suffixe thématique, etc.), lesquels modifient en général le schème syllabique du radical. 16 Ces pourcentages seraient peut-être légèrement différents si le statut phonologique, et par GEUIHNER C.N.R.S.-LABORATOIRE DE LANGUES ET CIVILISATIONS A TRADITION ORALE (LACITO) DEPARTEMENT "LANGUES ET PAROLE EN AFRIQUE CENTRALE" (LAPAC) ISBN 2-7053-0580-7

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