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Entre les lignes Le magazine sur le plaisir de lire au Québec

Moby Dick, d’ Un roman baleine Pierre Monette

Le livre et le cinéma : une histoire d’amour Volume 1, Number 1, Fall 2004

URI: https://id.erudit.org/iderudit/10494ac

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Publisher(s) Les éditions Entre les lignes

ISSN 1710-8004 (print) 1923-211X (digital)

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Cite this review Monette, P. (2004). Review of [, d’Herman Melville : un roman baleine]. Entre les lignes, 1(1), 44–45.

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Moby Dick, d'Herman Melville, fait partie de ces livres que Melville tout le monde connaît mais que personne ou presque n'a lus Moby Dick ce qu'on appelle des classiques. Préface de Jean Giono

PIERRE MONETTE

Le capitaine Achab pourchasse Moby serait-il de même pour moi qui écris sur Dick de par les mers; il veut tuer cette le Léviathan! Inconsciemment ma cal­ baleine blanche, « pareille à une colline ligraphie s'épanouit en majuscules de neige dans le ciel », qui lui a arraché d'affiches. [...] Pour produire un livre une jambe. Mais la colère de l'animal puissant, il faut choisir un thème puis­ sera à la hauteur de la soif de vengeance sant. Aucun volume gros et durable ne d'Achab : le cachalot éventrera d'un pourra jamais être écrit sur la puce ; bien coup de tête le Péquod, le navire que beaucoup s'y soient essayés. » d'Achab, et le capitaine et son équipage disparaîtront avec la baleine dans les UNE POURSUITE ACHARNÉE abysses. Un seul homme, Ishmaël, sur­ Le livre s'ouvre sur l'arrivée d'Ishmaël à vivra à l'aventure pour en faire le récit. New Bedford : «[...] n'ayant plus d'ar­ En résumant ainsi le roman, on fait avec gent ou presque et rien de particulier à lui la même chose que font les marins faire à terre, l'envie me prit de naviguer du Péquod avec les baleines qu'ils tuent, encore un peu et de revoir le monde de lorsqu'ils réduisent à quelques barils l'eau. C'est ma façon à moi de chasser d'huile les tonnes de graisse dont est le cafard et de me purger le sang. [...] de Nantucket afin de s'y engager sur un enveloppé l'animal. Car avec ses 700 Ça remplace pour moi le suicide. » Dans des vaisseaux baleiniers qui font la répu­ pages, Moby Dick est un roman baleine, une auberge, il devient l'ami de Quee- tation et la richesse de l'île. C'est ainsi qui se sait à la mesure de son sujet : queg, un «sauvage» tatoué des pieds à qu'il se retrouve à bord du Péquod. « Souvent on entend parler d'écrivains la tête, né sur une île du Pacifique qui Une fois le navire au large, l'équipage qui s'enflent et se gonflent avec leur n'apparaît «sur aucune carte [car] les découvre qu'en plus de faire la chasse sujet; bien que ce dernier puisse paraî­ endroits vrais n'y sont jamais ». Les deux à toutes les baleines qu'il croisera, son tre tout à fait ordinaire. Comment en hommes décident de partir en direction capitaine entend retrouver et tuer Moby

CHRONOLOGIE 1819 > Naissance d'Herman Melville, le 1er août, à New York. 1866 > Melville obtient un emploi aux doua­ 1840 - 1844 > Melville se fait marin ; il séjourne dans les îles du Pacifique. nes du port de New York ; il occupera le poste 1847 > Melville se marie; voyage de noces à Montréal et Québec. jusqu'à sa retraite, en 1885. 1846, 1847, 1849 > Publications de Taïpi, Omou et Mardi: des récits d'aven­ 1891 > Melville meurt le 28 septembre, o«t o CM tures basés sur les expériences maritimes de l'auteur. Les deux premiers sont après être revenu à l'écriture au cours des des succès; le troisième étonne. derniers mois de son existence pour rédiger 1851 > Publication de Moby Dick: la critique est mitigée. Billy Budd. Quelques journaux signalent la 1852 > Pierre ou les ambiguïtés-, le livre est un échec commercial. disparition de celui qui a jadis été un auteur < e 1854, 1855, 1856 > Israel Potter, Les îles enchantées, Benito Cereno et à succès... Il faudra attendre le début du 20 to Les Contes de la véranda-, encore des échecs. Melville commence à connaî­ siècle avant qu'on reconnaisse en Melville un UJ z tre des difficultés financières, et de santé. des écrivains majeurs de son siècle et, en o —: 1856 - 1857 > Voyage en Europe et au Proche-Orient. Moby Dick, une des œuvres les plus impor­ 1863 > Melville est contraint de vendre le domaine que les succès de ses tantes de la littérature états-unienne.

LLJ ce premiers livres lui avaient permis d'acheter. Il vit à New York; il n'écrit pres­ que plus, sinon quelques poèmes.

44 CES C 5IQUES QUI IME M NT PAS

N BIBLIOGRAPHIE MOB Moby Dick. Traduction de Lucien DIG Jacques, Joan Smith et Jean HERMAN WELVILLI qu'il sait l'exploiter si effica­ ILLUSTRATED BY Giono. (1941) Préface de Jean ROCKWELL KENT cement, l'homme se croit Giono. Folio classique, n° 2852, MELVILLE maître de la nature ; or la ba­ 741 pages. — Traduction un peu leine « nageait dans les mers vieillie, mais toujours savoureuse. Moby Dick avant que les continents certains animaux survivront n'émergeassent de l'eau -, elle à la disparition de l'homme : Moby Dick. Traduction d'Henriette a nagé sur l'emplacement les baleines « existaient avant Guex-Rolle. (1970) Introduction, des Tuileries, du château de tous les temps et elles con­ bibliographie, chronologie par Windsor et du Kremlin [...]; tinueront d'exister après que Jeanne-Marie Santraud. GF Flam­ et si jamais le monde doit les temps humains seront marion, n° 546, 597 pages. — être inondé de nouveau, [...] révolus». C'est la nature, et Traduction plus moderne, plus la baleine survivra toujours non l'homme, qui aura le exacte, mais plutôt froide. et, se dressant sur la plus dernier mot. haute crête du flot equato­ Écrit dans une langue somp­ ADAPTATIONS CINÉMATOGRA­ rial, elle fera jaillir son défi tueuse, Moby Dick tient plus PHIQUES (DISPONIBLES EN écumeux à la face du ciel ». de la poésie que du récit DVD) > GF Flammarion • La confrontation entre Moby d'aventures. Le rythme du Moby Dick. (1956) Réalisation : Dick et Achab se joue dans roman obéit à celui de John Huston; scénario de Ray Dick, la baleine blanche qui les 50 dernières pages du l'océan : par moments, c'est Bradbury (l'auteur de Fahrenheit l'a amputé. Jour après jour, roman. « Dans la haine, je te la tempête; parfois, c'est le 451). Avec Gregory Peck dans le pendant des mois — et pen­ crache mon dernier souffle », calme plat pendant des se­ rôle du capitaine Achab. MGM dant 500 pages! —, on lancera le capitaine au ca­ maines. Il faut s'embarquer Home Entertainment. — Adapta­ découvre avec les marins chalot, mais cette baleine dans ce livre avec le même tion proprement admirable. l'ampleur proprement cosmi­ « était le Jugement dernier et esprit que lorsqu'on prend la que de la colère d'Achab. « Il la vengeance de la foudre et mer : en acceptant d'être à la Moby Dick. (1998) Réalisation : est familier avec des mer­ la malice éternelle, un hom­ merci des intempéries. Franc Roddam. Avec Patrick Ste­ me mortel ne pouvait rien veilles plus profondes que Pour désigner la course folle wart dans le rôle du capitaine contre elle ». Et le roman de­ celles des vagues », dit-on de qu'une baleine en fuite fai­ Achab: Hallmark Home Entertain­ vient une leçon d'écologie lui. Son arrogance est sans sait faire à la chaloupe d'où ment. — Dire de cette minisérie avant la lettre : lorsque l'hom­ limite : «Je frapperais le so­ avait été lancé le harpon qui qu'elle est un navet constitue une me détruit la nature pour leil s'il m'insultait. » Il lui ar­ l'avait blessée, les chasseurs insulte aux légumes du monde subvenir à ses besoins, il se e rive pourtant de se sentir hor­ de baleines du XIX siècle entier. détruit lui-même; comme riblement vieux et fatigué : parlaient d'une Nantucket Moby Dick disparaît en em­ «[...] comme si j'étais Adam sleigh ride. La lecture de SUR HERMAN MELVILLE ET portant le Péquod et son Moby Dick est une expé­ écrasé sous les siècles entas­ SON ŒUVRE équipage, chaque espèce rience du même genre : elle sés depuis le Paradis! » Victor-Lévy Beaulieu. Monsieur que nous exterminons nous nous entraîne dans une aven­ Melville. Lecture-fiction. (1978) entraîne avec elle. ture dont on sort éclaboussé LA LEÇON e Éditions Trois-Pistoles, 1997, 571 Paru au milieu du XIX siècle, de mystères d'une profon­ Parc''element, le roman p'°nd pages. — Du VLB à son meilleur! à l'époque de la naissance deur océanique. On referme par moments des allures de Une superbe réflexion sur l'art et du capitalisme moderne, le livre en constatant que traité sur l'industrie baleiniè­ l'Amérique, aussi forte d'imagina­ Moby Dick est une magistrale notre imagination a tenté de re. On devient familier avec tion que d'érudition. dénonciation de l'exploita­ s'en prendre à quelque chose les techniques de chasse à tion dérais .inée des ressour­ de bien plus gros que soi : la baleine, avec son dépe­ Jean Giono. Pour saluer Melville. ces naturelles. Melville nous un des plus grands romans çage, avec l'art de bouillir (1941) Gallimard, 1995, 184 avertit que, de la même fa­ de tous les temps — quel­ son lard pour en tirer la pré­ pages. — Commençant comme çon que l'homme survit aux que chose d'aussi rare que cieuse huile qui servait alors une préface, le livre se transforme espèces qu'il fait disparaître sont en train de le devenir à éclairer les maisons et les en roman : du grand Giono, un pur de la surface de la planète, les baleines... rues du monde entier. Parce plaisir de lecture.

ENTRE LES LIGNES ::: AUTOMNE 2004 I 45