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Document generated on 09/28/2021 6:02 a.m. Circuit Musiques contemporaines Introduction. Prélude non mesuré Maxime McKinley Instrumentarium baroque : précédence et créativité Volume 28, Number 2, 2018 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1051288ar DOI: https://doi.org/10.7202/1051288ar See table of contents Publisher(s) Circuit, musiques contemporaines ISSN 1183-1693 (print) 1488-9692 (digital) Explore this journal Cite this document McKinley, M. (2018). Introduction. Prélude non mesuré. Circuit, 28(2), 5–9. https://doi.org/10.7202/1051288ar Tous droits réservés © Circuit, musiques contemporaines, 2018 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Introduction. Prélude non mesuré Maxime McKinley Une anecdote fait sourire les historiens et les amateurs d’art depuis plus d’un siècle maintenant. En 1908, le Douanier Rousseau aurait déclaré à Picasso, lors d’un banquet : « Nous sommes les deux plus grands peintres de notre temps, toi, dans le genre égyptien, moi, dans le genre moderne1. » Cette 1. Cette anecdote fut relatée, histoire, bien que surtout amusante, n’est pas pour autant dépourvue d’une notamment, dans cet article du journal Le Monde, le 1er mars 2010 : certaine profondeur. Il n’est pas inexact de dire que la peinture de Picasso, http://www.lemonde.fr/culture/ certes plus moderne aux yeux de l’histoire de l’art que celle du Douanier article/2010/03/01/henri-rousseau- Rousseau, prend néanmoins appui sur des pratiques très anciennes, voire decidement-moderne_1312219_3246. html (consulté le 20 avril 2018). archaïques. C’est ainsi qu’à partir de ce mot d’esprit apparemment ingénu du Douanier Rousseau, s’apparentant à une boutade, beaucoup pourrait 2. Paris, Minuit, 2000. Voir aussi : être dit sur le rapport de l’art au temps. On pense, par exemple, au très beau Giorgio Agamben (2008), Qu’est-ce que le contemporain ?, Paris, Rivages. livre Devant le temps. Histoire de l’art et anachronisme des images de Georges 3. Dans un article de 2015 intitulé 2 Didi-Huberman . Un ciel étoilé de Fra Angelico (vers 1400-1455) et un all- « L’Affaire Novalis et l’idée de la over de Jackson Pollock (1912-1956) auraient-ils plus en commun qu’il n’y précédence », le poète Philippe paraît de prime abord ? Si le passé est perçu depuis le temps présent comme Beck cite une formule de Novalis en exergue : « Un moi ne commence point de fuite, peut-être serait-il possible de parler de synchronisme ? Ce qu’il pas. » Voir https://www.sitaudis.fr/ nous reste de Fra Angelico nous serait ainsi contemporain, tout en nous Incitations/l-affaire-novalis-et-l-idee- de-la-precedence.php (consulté le précédant. C’est précisément afin de prendre en compte cette perspective 20 avril 2018). Beck évoque aussi cette résolument présente sur l’ancien que le titre de ce numéro fait appel au mot idée du « moi précédé » dans son art « précédence » plutôt que « passé »3. Du reste, une figure aussi incontournable poétique Contre un Boileau (2015), Paris, Fayard, p. 52. de la mise au jour de l’instrumentarium baroque que Nikolaus Harnoncourt 4. Nikolaus Harnoncourt ([1982]1984), affirmait sans ambages qu’« on ne peut pas faire tourner la roue de l’Histoire Le Discours musical, Paris, Gallimard, à l’envers 4 ». Cela est d’autant plus vrai pour nous, dans le cadre de ce numéro p. 105. de Circuit, que ce n’est guère le débat sur l’authenticité (ou non) des inter- 5. Allusion au célèbre « Il faut être absolument moderne » d’Une saison en maxime mckinley prétations qui nous intéresse ici, mais bien l’enjeu de la créativité – même enfer : Arthur Rimbaud ([1873]1993), « absolument moderne5 » – qui, sans imitation fétichiste du passé, « rebondit » Poésies, Paris, Phidias, p. 146. 5 Circuit 28.2.final.indd 5 2018-08-06 10:27 PM plutôt sur lui. Si peu d’historiens, à la vue de magnifiques peintures rupestres 6. Estimées à environ 18 000 ans. du paléolithique, comme celles de la grotte de Lascaux6, maintiennent l’idée d’un véritable progrès en art (au sens d’une amélioration linéaire au fil des 7. En musique, Boris de Schloezer et âges7), cela ne disqualifie en rien les notions de changements, de transforma- Marina Scriabine contestaient déjà tions et de nouveautés. La précédence ainsi comprise (loin de tout projet plus cette idée dans leur livre à quatre mains Problèmes de la musique ou moins réactionnaire de restauration et de refus de l’avenir) rappelle, par moderne (1959), réédité et présenté ailleurs, que les œuvres n’apparaissent pas ex nihilo de quelque génie créateur par Bernard Sève en 2016 aux Presses universitaires de Rennes (voir le (sorte d’Individu Suprême) ne devant rien à personne, comme un cheveu sur passage sur le progrès en art, p. 92). la soupe. Il y a du commun, du collectif, dans l’histoire et le savoir, et cette 8. Ce qui est la posture d’une dimension échapperait à une conception de l’œuvre d’art réduite à un objet importante partie du romantisme totalement autocentré et « détaché8 ». C’est ainsi qu’une théoricienne comme allemand, telle qu’elle est décrite par Carl Dahlhaus dans L’idée de la musique Lydia Goehr, par exemple, a choisi de penser la musique davantage en termes absolue. Une esthétique de la musique historiques qu’en termes d’œuvres9. romantique ([1978]1997), Genève, En matière d’art, nous retrouvons souvent, dans la doxa moderniste, un Contrechamps. 9. Lydia Goehr ([1992]2002), The rapport à la beauté privilégiant l’avers des conventions sociales de celle-ci, Imaginary Museum of Musical Works. dans une sorte de célébration de l’inconfort – ou, plus précisément, dans une An Essay in the Philosophy of Music, certaine méfiance du confort. Mais à quoi correspondrait le confort dans la Oxford, Oxford University Press. musique de tradition dite « savante » occidentale ? Peut-être à ce qui n’est plus questionné à la racine : l’habituel, le réflexe, ce qui va supposément de soi et qui, ainsi, rétrécit le champ des possibles. À ce titre, une ligne est parfois tracée par les historiens autour de 1800. C’est-à-dire qu’après la Révolution 10. Voir, par exemple, Harnoucourt, française, avec l’institutionnalisation du Conservatoire et les traités rédigés op. cit. : « […] Cherubini mit un terme à sous l’impulsion de Cherubini, plusieurs aspects des pratiques musicales de l’ancienne relation maître-apprenti au 10 Conservatoire. Il fit écrire par les plus cette tradition se seraient quelque peu uniformisés, sinon figés . Un endroit grands noms de l’époque des ouvrages où certains compositeurs de musiques dites « contemporaines » et certains d’enseignement qui devaient réaliser instrumentistes dits « baroqueux » se rejoignent, peut-être, serait dans un dans la musique le nouvel idéal d’égalité. […] Les professeurs les plus désir commun de sortir de ces cadres préconçus et stables (voire sclérosés). importants en France durent consigner À cet égard, voici – brossées à grands traits – quelques préoccupations les nouvelles idées sur la musique dans un système rigide. […] Mais ce contemporaines qui résonnent (de manières plus ou moins tendues) avec qui me paraît franchement grotesque, certaines recherches théoriques et sonores des xviie et xviiie siècles. D’Helmut c’est que ce système soit aujourd’hui Lachenmann à Jean-François Laporte (pour ne citer que deux composi- encore la base de notre éducation musicale ! Tout ce qui auparavant avait teurs d’aujourd’hui), l’enjeu de la production même du son a été repensé de l’importance a été ainsi anéanti » et travaillé radicalement (du côté des modes de jeu dans le premier cas, (p. 29). et de l’invention d’instruments dans le second). Sans forcer exagérément 11. Voir, par exemple, André volume 28 numéro 2 numéro 28 volume le parallèle, on constate, en étudiant l’organologie, à quel point la lutherie Schaeffner ([1936]1994), L’origine des instruments de musique, Paris, et la technique de plusieurs instruments n’étaient pas encore stabilisées à Éditions de l’ehess. On trouvera aussi l’époque baroque, ce qui permettait un rapport au sonore très ouvert en circuit circuit d’enrichissantes informations et 11 réflexions dans Bernard Sève (2013), termes de possibilités . D’Ivan Wyschnegradsky à Georg Friedrich Haas, 6 L’instrument de musique, Paris, Seuil. en passant par Bruce Mather et Pascale Criton (entre autres), beaucoup de Circuit 28.2.final.indd 6 2018-08-06 10:27 PM compositeurs, depuis quelques décennies, ont voulu assouplir (ou élargir) le cadre du tempérament égal à douze sons par des micro-intervalles12. À ce 12. Nous reviendrons d’ailleurs sur cet o sujet, nous savons de plus en plus à quel point la question de l’intonation et enjeu, dans le vol. 29, n 2 (numéro qui sera codirigé par Robert Hasegawa et des tempéraments est extrêmement riche et variée à travers l’histoire de la Paul Bazin). musique, particulièrement avant la standardisation du tempérament égal, que d’aucuns ont très tôt considéré comme étant bien pauvre (désagréable, 13. Voir Ross W. Duffin (2007), How même) comparativement à d’autres possibilités13. Nous pourrions encore citer Equal Temperament Ruined Harmony comme exemple les recherches sur la mise en espace du son, de Xenakis (and Why You Should Care), New York et London, Norton. aux orchestres de haut-parleurs, en passant par le collectif Espaces sonores 14.