La mobilisation de la violence à des fins politiques: la crise zimbabwéenne au regard du droit international des droits humains (2008-2013)

Mémoire

Olivier Mercier

Maîtrise en études internationales - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Olivier Mercier, 2018

La mobilisation de la violence à des fins politiques : la crise zimbabwéenne au regard du droit international des droits humains (2008-2013)

Mémoire

Olivier Mercier

Sous la direction de :

Mme Marie Brossier, directrice de recherche

Mme Julia Grignon, codirectrice

RÉSUMÉ

Au pouvoir de 1980 à 2017, le président zimbabwéen a non seulement repoussé les limites de la longévité politique, mais le régime politique qu’il a présidé pendant près de 38 ans a également su défié certaines idées reçues en maintenant une légitimité certaine sur le plan international en dépit de violations massives et bien documentées des droits humains lui étant attribuées. En effet, malgré un bilan catastrophique sur le plan du droit international des droits humains, le régime Mugabe a su, dès les années 2000, se positionner en rempart contre l’impérialisme sur le continent africain en se dotant d’une légitimité idéologique renouvelée. Cette légitimité idéologique renouvelée a su être habilement utilisée contre ses opposants politiques, accusés d’être à la solde de forces impérialistes extérieures afin de banaliser, voire de justifier, les violations des droits humains commises à leur encontre, en particulier des droits civils et politiques, taxés de « non-africains ».

En plaçant au centre de son objet d’étude la mobilisation de la violence à des fins politiques à grande échelle lors de l’année électorale de 2008 et lors des quatre années subséquentes au , ce mémoire s’intéresse au paradoxe de la légitmité certaine ayant permis au régime Mugabe de demeurer en place en dépit de violations massives très bien documentées des droits humains protégés par le droit international. Si l’ampleur des violences a été à l’origine de la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale avec l’opposition, le résultat a plutôt bénéficié au régime Mugabe en lui permettant de demeurer au pouvoir sans trop le partager. En effet, les critiques lui étant adressées à propos de son traitement des droits civils et politiques ont accrédité son message de victime d’acharnement impérialiste auprès de certains acteurs régionaux, affaiblissant du même coup le rapport de force de l’opposition.

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ABSTRACT

In power from 1980 to 2017, Zimbabwean President Robert Mugabe not only personally pushed the limits of political longevity, but the political regime he presided over for nearly 38 years also defied preconceived ideas about political survival by maintaining a certain level of international legitimacy, despite massive and well-documented human rights violations. Indeed, despite a catastrophic human rights record from the perspective of international human rights law, since the 2000s, the Mugabe regime was able to position itself as a bulwark against imperialism and neo-colonialism on the African continent with renewed ideological legitimacy. This renewed ideological legitimacy has been skilfully used against political opponents who were accused of serving external imperialist forces, in order to trivialize or even justify the human rights abuses committed against them; in particular abuses of civil and political rights, presented as being "non-African".

By focusing on the large-scale mobilization of violence for political purposes in the 2008 election year and in the four subsequent years in Zimbabwe, this master's thesis focuses on the paradox of the legitimacy that allowed the Mugabe regime to remain in place despite massive and well-documented violations of human rights that are protected by international law. While the scale of the violence was at the origin of the establishment of a government of national unity with the opposition, the result benefited the Mugabe regime by allowing it to govern without genuinely sharing power. Indeed, criticism of his treatment of civil and political rights has accredited his stature as a victim of imperialist vilification to certain regional actors, thereby weakening the opposition's balance of power within the power- sharing deal.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ...... iii ABSTRACT ...... iv TABLE DES FIGURES ...... vii LISTE DES ABRÉVIATIONS ...... viii REMERCIEMENTS ...... x 1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE ...... 1 1.1 Introduction ...... 1 1.2 Méthodologie ...... 5 2. MISE EN CONTEXTE ET CARACTÉRISATION DE LA VIOLENCE (CHAPITRE 1) ...... 11 2.1 Mise en contexte de la violence politique et de la crise au Zimbabwe ...... 11 2.1.1 Facteurs internes et externes menant au référendum de février 2000 ...... 12 2.1.2 L’alliance du pouvoir avec les vétérans de guerre ...... 16 2.1.3 Récurrence et institutionnalisation de la violence depuis 2000 ...... 21 2.2 Catégorisation de la situation au Zimbabwe ...... 24 2.2.1 Qualification de la situation au Zimbabwe en droit ...... 24 2.2.2 Catégorisation en science politique de la situation au Zimbabwe ...... 27 2.3 Les interprétations concurrentes de la crise zimbabwéenne de Freeman ...... 32 2.3.1 La première interprétation – la « poursuite du projet révolutionnaire » − et l’idéologie du régime Mugabe ...... 32 2.3.2 La seconde interprétation − la réaction autoritaire du régime ...... 35 2.3.3 Les droits humains et le paradoxe de la légitimation du régime ...... 36 3. LA CAMPAGNE ÉLECTORALE ET LA CRISE POLITIQUE DE 2008 (CHAPITRE 2) ...... 47 3.1 Portrait des élections de 2008 ...... 47 3.1.1 Les candidats ...... 50 3.1.2 Les résultats des élections « harmonisées » du 29 mars 2008 ...... 54 3.2 Facteurs explicatifs de la violence ...... 60 3.2.1 Facteurs partisans ...... 60 3.2.2 Facteurs institutionnels ...... 67 4. LA VIOLENCE POLITIQUE ET LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS HUMAINS (CHAPITRE 3) ...... 76 4.1 La violence comme instrument politique et partisan ...... 76

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4.2 La violence politique au Zimbabwe en droit international des droits humains ...... 83 4.2.1 Atteintes au droit à la vie ...... 83 4.2.2 Atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ...... 100 4.2.3 Atteintes à la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ...... 114 5. LA SIGNATURE DU GLOBAL POLITICAL AGREEMENT (GPA) ET LE GOVERNMENT OF NATIONAL UNITY (GNU), 2008-2013 (CHAPITRE 4) ...... 133 5.1 Le GPA : Les pressions internationales, Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai ...... 133 5.1.1 Les réactions internationales à la « victoire » de Robert Mugabe ...... 133 5.1.2 L’influence des pressions extérieures sur le contenu du Global Political Agreement ... 146 5.2 Le Government of National Unity et la mobilisation de la violence ...... 155 5.2.1 Structures de pouvoir du GNU et capacité limitée de Tsvangirai à limiter les violences ...... 155 5.2.2 Dynamiques du pouvoir au sein du gouvernement d’unité nationale (GNU) ...... 159 5.2.3 Glissement des tactiques de la Zanu-PF vers des réseaux informels parallèles à l’État. 162 5.3 Actes de violence sous le GNU ...... 167 5.3.1 Violations documentées du droit international des droits humains ...... 168 5.3.2 Variation des violences sous le GNU : les données ACLED ...... 177 6. CONCLUSION ...... 186 7. BIBLIOGRAPHIE THÉMATIQUE ...... 192 8. ANNEXES ...... 206

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TABLE DES FIGURES

Figure 1: Carte des résultats des élections législatives du 29 mars 2008 (par circonscription électorale) ...... 56 Figure 2: Carte du Zimbabwe ...... 65 Figure 3: Répartitions des violences sur le territoire du Zimbabwe pour l’année 2008 ...... 66 Figure 4: Positions et intérêts du MDC et des Occidentaux lors des négociations ...... 154 Figure 5: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) pour l’année 2008 ...... 180 Figure 6: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) sous le GNU, 2009-2013 ...... 181 Figure 7: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) pour l’année 2013 ...... 182 Figure 8: Violences par type d’auteurs (milices politiques, forces gouvernementales) au Zimbabwe en 2008 ...... 184 Figure 9: Violences par type d’auteurs (milices politiques, forces gouvernementales) au Zimbabwe, 2009-2013 ...... 185

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

CAT : Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

CIJ: Cour internationale de Justice

CIO: Central Intelligence Organisation (Zimbabwe)

DIH : Droit international humanitaire

FMI : Fonds monétaire international

GNU: Government of National Unity (Zimbabwe)

GPA: Global Political Agreement (Zimbabwe)

JOC: Joint Operations Command (Zimbabwe)

MDC: Movement for Democratic Change

MDC- M: Movement for Democratic Change – Mutambara

ONG: Organisation non-gouvernementale

ONU: Organisation des Nations unies

PIDCP : Pacte international relatif aux droits civils et politiques

PIDESC : Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

POSA : Public Order and Security Act (Zimbabwe)

SADC : Southern African Development Community

TPIR: Tribunal pénal international pour le Rwanda

TPIY: Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

UA : Union africaine

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UE : Union européenne

ZADHR: Zimbabwe Association of Doctors for Human Rights

ZANU: Zimbabwe African National Union (mouvement de libération et parti politique, 1963-1987)

Zanu-PF: Zimbabwe African National Union – Patriotic Front (depuis 1987)

ZBC: Zimbabwe Broadcasting Corporation

ZEC: Zimbabwe Electoral Commission

ZNLWVA: Zimbabwe National Liberation War Veterans’ Association

ZRP: Zimbabwe Republic Police

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REMERCIEMENTS

Avec les hauts et les bas d’épreuves aussi solitaires et déconcertantes que sont la recherche et la rédaction, il m’est indispensable de prendre quelques lignes pour tenter d’exprimer ma gratitude envers ceux que j’ai eu la chance d’avoir dans mon entourage.

Je suis d’abord particulièrement reconnaissant à ma directrice de recherche, Marie Brossier et à ma codirectrice, Julia Grignon pour avoir su comprendre ce qui m’intéressait dans mon sujet alors que j’avais moi-même beaucoup de mal à l’expliquer clairement et pour avoir réorienter mon projet vers ce qu’il est devenu. Un grand merci également pour leurs conseils, suggestions et encouragements tout au long de ce processus. Je suis également reconnaissant au jury d’évaluation de ce mémoire, dont les commentaires et les suggestions m’ont permis d’améliorer la qualité du présent travail.

Je me dois également de remercier chaleureusement mes amis, collègues et complices intellectuels pour leurs nombreux encouragements, leur écoute, leur compréhension et leur soutien constant ces dernières années, manifestés lors de pauses-cafés, repas du midi, appels téléphoniques, courriels et autres situations : je n’aurais pas pu être mieux entouré. Vous êtes nombreux et je ne saurais tous vous nommer sans oublier quelqu’un ou rédiger plusieurs pages de remerciements… je suis toutefois convaincu que vous vous reconnaîtrez tous.

Une mention toute spéciale à ma famille, pour leurs encouragements constants, pour leur patience, pour tout.

Enfin, une pensée particulière pour ceux et celles qui se battent et se sont battus pour faire valoir leurs droits les plus fondamentaux, au Zimbabwe et ailleurs. Malgré l’horreur de certaines de vos histoires, vous m’avez donné, par votre détermination et votre force, l’intime et naïve conviction que l’impunité ne peut pas être éternelle.

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1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE

1.1 Introduction

« If yesterday I fought as an enemy, today you have become a friend. If yesterday you hated me, today you cannot avoid the love that binds you to me, and me to you ». C’est en ces termes que celui qui allait devenir premier ministre puis président du Zimbabwe, Robert Mugabe, énonça sa vision de la réconciliation et de l’unité de son pays le jour de son indépendance, le 18 avril 1980. Au terme d’une lutte armée opposant non seulement le régime blanc de Rhodésie aux guérillas nationalistes noires, mais également ces mouvements nationalistes entre eux, le ton était à l’unité, au respect et à la tolérance. En prononçant son discours ce jour-là dans la capitale Salisbury – qui sera rebaptisée par la suite – Robert Mugabe laisse entrevoir une ère nouvelle. Une ère où les violations massives des droits humains et les atrocités caractérisant les difficiles années de lutte armée des années 1960 et 1970 semblaient devoir appartenir au passé1.

Dès son accession au pouvoir en 1980, Robert Mugabe se présente comme un dirigeant tolérant et respectueux des droits de tous. Son objectif : tourner la page sur des années de discrimination (ère coloniale et le régime rhodésien) et surtout de violence (1960-1980), en faisant place à la tolérance et surtout, au respect des droits humains de façon équitable pour tous les groupes, peu importe la couleur de peau, l’ethnie ou l’allégeance politique2. Sur le plan diplomatique, il s’engage dans cette voie en adhérant volontairement dans les décennies 1980 et 1990 à plusieurs instruments juridiques 3 de protection des droits humains, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques 4 , le Pacte

1 « Zimbabwe’s 30th birthday: how did Robert Mugabe turn hope into misery? », The Telegraph, 18 avril 2010 [en ligne], consulté le 2 juin 2017, http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/africaandindianocean/zimbabwe/7601479/Zimbabwes-30th- birthday-how-did-Robert-Mugabe-turn-hope-into-misery.html. 2 Ibid. 3 Le Zimbabwe a adhéré, notamment, à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples en 1986 et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques en 1991. 4 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 23 mars 1976).

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international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels 5 ou encore la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples6, pour ne nommer que ceux-là. Bénéficiant d’une grande sympathie de la part de la communauté internationale ?, il se positionne dans ses premières années de pouvoir en défenseur des droits humains, tout particulièrement dans le cadre de la lutte mondiale contre l’apartheid en Afrique du Sud aux côtés de plusieurs autres acteurs de la scène internationale7.

Quelques années à peine suivant son accession au pouvoir, néanmoins, les actions posées par le gouvernement dirigé par Robert Mugabe s’écartent complètement de son message de réconciliation et de respect des droits pour tous8. Progressivement, l’application des droits humains par l’État zimbabwéen devient de plus en plus sélective en fonction des appartenances politiques et de la couleur de peau des individus. Les vieilles tactiques de la période pré-indépendance refont surface petit à petit en plaçant la violence politique – et donc les violations de droits humains protégés par le droit international − comme l’instrument de domination politique principal du régime en structurant son mode de gouvernance et son rapport à la dissidence9. Par ailleurs, cette « sélectivité » quelconque au sujet des droits humains se reflète de plus en plus dans le discours du régime Mugabe au fil des ans, surtout au fur et à mesure de l’intensification du recours à la violence, qui a plongé le pays dans un véritable état de crise permanent10.

Lors des célébrations du 37e anniversaire de l’indépendance du Zimbabwe le 18 avril 2017, Robert Mugabe célébrait simultanément ses 37 ans de pouvoir. Tout laissait croire que le vieux président était en position de célébrer ses 38 ans à la tête de l’État en 2018, jusqu’à l’intervention des militaires qui a précipité son départ le 21 novembre 2017 pour être

5 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 3 janvier 1976). 6 Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 27 juin 1981 (entrée en vigueur le 21 octobre 1986). 7 Sur Mugabe et l’Apartheid, voir notamment « Le Zimbabwe craint un attentat raciste contre Brian Mulroney », La Presse, 28 janvier 1987, page B1; « Analysis : Will South Africa’s ANC learn from Mugabe’s fall ? » BBC News, 23 novembre 2017 [en ligne], consulté le 26 novembre 2017, http://www.bbc.com/news/world-africa-42078707; « Mulroney asked to support anti-apartheid violence », CBC News, 1er février 1987 [en ligne], consulté via CBC Archives le 25 avril 2016, http://www.cbc.ca/archives/entry/mulroney-asked-to-support-anti-apartheid-violence et Alois S. MLAMBO, A History of Zimbabwe, Cambridge University Press, New York, 2014. 8 « Zimbabwe’s 30th birthday: how did Robert Mugabe turn hope into misery? », Op. cit. 9 Norman MLAMBO, « Between Civil Rights and Property Rights: Debating the Selective Application of Human Rights in Zimbabwe » Africa Insight, 38(4), 2009, pp. 94-111. 10 Ibid.

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remplacé par son vice-président, Emmerson Mnangagwa11. S’il est trop tôt au moment d’écrire ces lignes pour pleinement prendre la mesure des changements provoqués par le départ de Robert Mugabe, le régime zimbabwéen continuait de bénéficier, au moment où Mugabe a démissionné, d’une certaine légitimité sur la scène internationale, malgré les violations massives des droits humains protégés par le droit international et en dépit d’assez mauvaises relations avec certains États 12 . À titre d’exemple, Mugabe avait, aussi récemment qu’en 2015, été choisi par ses homologues de l’Union africaine (UA) pour présider l’organisation, après 35 ans de pouvoir ininterrompu et un bilan très peu reluisant en matière de respect des droits humains13. Cette légitimité dont le régime Mugabe a continué de bénéficier (dans une certaine mesure) jusqu’à la retraite forcée de Mugabe est assez paradoxale, puisque le recours à la violence par son régime suscite également la critique et l’indignation sur les plans interne et externe.

Le discours que tient le régime Mugabe sur les droits humains a également évolué en fonction du contexte politique et des besoins de justifier ses pratiques autoritaires face à la dissidence. Tel que cela sera abordé en détails au premier chapitre, les droits humains − et plus particulièrement les droits civils et politiques − sont devenus de plus en plus marginalisés dans le discours officiel du régime au fur et à mesure que ce dernier a eu recours à la violence. En plus d’avoir un fondement idéologique cohérent (également abordé en détail plus loin), cette sélectivité en matière de droits humains dans le discours du régime n’est pas non plus étrangère à la nature des violations mobilisées par le pouvoir politique et représente un élément important de la stratégie de légitimation du régime.

Effectivement, ce sont les violations des droits civils et politiques qui sont les plus directement liées à la mobilisation de la violence à des fins politiques par le régime

11 « Robert Mugabe Under House Arrest as Rule Over Zimbabwe Teeters », The New York Times, 15 novembre 2017 [en ligne], consulté le 15 novembre 2017, https://www.nytimes.com/2017/11/15/world/africa/zimbabwe-coup-mugabe.html. ?_r=1; « Zimbabwe: le Président Mugabe finit par démissionner », La Presse, 21 novembre 2017 [en ligne], consulté le 21 novembre 2017, http://www.lapresse.ca/international/afrique/201711/21/01-5144252-zimbabwe-le-president-mugabe- finit-par-demissionner.php. 12 À commencer par les États-Unis. Par exemple, voir « ‘Go hang on a banana tree’, Zimbabwe tells U.S. », The Toronto Star, 7 février 2017 [en ligne], consulté le 1er mars 2017, https://www.thestar.com/news/world/2017/02/07/go-hang-on-a-banana-tree-zimbabwe-tells-us.html. 13 « Mugabe appointed African Union Chairman », Al Jazeera, 30 janvier 2015 [en ligne], consulté le 10 décembre 2015, http://www.aljazeera.com/news/africa/2015/01/mugabe-appointed-african-union-chairman- 150130190208635.html.

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zimbabwéen de Robert Mugabe. La rhétorique sur les droits civils et politiques du président Robert Mugabe et de ses alliés est en fait porteuse d’un certain paradoxe. Si d’un côté elle permet de légitimer ses positions de « rempart anti-impérialiste » et d’attirer une certaine sympathie interne et régionale, sa banalisation du non-respect de droits – les droits civils et politiques − qu’il affirme ne pas avoir à respecter parce que qualifiés de non-africains, renforce les arguments de ceux qui l’accusent d’être un dictateur autoritaire. Le discours sur la place des droits civils et politiques par le régime s’inscrit dans une stratégie idéologique qui s’imbrique à la mobilisation de la violence à des fins partisanes. Après tout, si l’idée véhiculée est que les droits civils et politiques représentent un concept occidental par lequel les Africains ne devraient pas se sentir liés, il est beaucoup plus facile de banaliser, voire de faire accepter, leur violation. Par conséquent, le présent mémoire propose de se pencher sur ce paradoxe de la légitimité du régime Mugabe en dépit du recours à des violations massives des droits humains depuis plusieurs décennies. Ainsi, tout en se structurant autour de ce paradoxe, ce mémoire tentera d’y apporter des clarifications.

Pour ce faire, ce mémoire propose de se concentrer sur le recours aux violations massives des droits humains lors de l’année électorale de 2008 et des quatre années de partage de pouvoir avec l’opposition qui ont suivi, soit 2009-2013. Le choix de circonscrire l’étude de la mobilisation des violations massives des droits humains par le régime Mugabe à cette période précise se justifie par la possibilité d’observer, sur une période relativement courte, la variation du recours à la violence en fonction du contexte politique, du plus violent au moins violent. En effet, le contexte électoral de l’année 2008 a poussé la violence à des niveaux sans précédent14, alors que la période de cohabitation politique avec l’opposition s’est par la suite démarquée par sa relative tranquillité du point de vue du recours à la violence politique à grande échelle. Cette période permet ainsi de contraster dans le temps le recours aux violations par le régime dans un contexte où ce dernier sent le besoin d’y recourir (les élections) avec un contexte où il n’y voit pas la même utilité du point de vue de ses intérêts (le gouvernement de coalition).

Ce mémoire se limitera à l’étude de trois droits spécifiques appartenant à la catégorie des droits civils et politiques pour analyser les variations dans la mobilisation de la violence à

14 Voir la base de données Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), University of Sussex, http://www.acleddata.com/.

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des fins politiques par le régime Mugabe. Ces droits sont le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ainsi que la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le choix de circonscrire le projet à l’observation de violations de ces droits précis se justifie dans un premier temps par leur caractère très politique ayant des implications importantes dans le contexte du recours à la violence par le régime en place au Zimbabwe. Les cas de torture, d’exécutions arbitraires ou encore d’arrestations arbitraires d’opposants et de dissidents politiques constituent ainsi de bons indicateurs juridiques du niveau de violence politique mobilisé par le pouvoir zimbabwéen. La limitation à ces droits précis se justifie également dans un second temps par la portée relativement large de chacun d’entre eux, ce qui permet une analyse qui n’est pas trop restreinte du point de vue de la nature de la violence politique au Zimbabwe, tout en demeurant balisée.

1.2 Méthodologie

Il convient par ailleurs de détailler l’organisation méthodologique de ce mémoire de maîtrise. Pour tenter d’apporter une piste de réponse au paradoxe structurant ce mémoire, la première étape sera de documenter, dans le contexte de crise électorale violente en 2008, les violations massives des droits humains qui font l’objet d’une attention particulière ici : droit à la vie, droit à la liberté et à la sécurité de sa personne et prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La documentation des violations massives des droits humains protégés par le droit international a pour but d’illustrer la manière dont la violence est mobilisée par le régime Mugabe à des fins politiques et partisanes. Cette documentation servira également l’étude des pratiques récurrentes et institutionnalisées du recours à la violence par l’État zimbabwéen. Cette première étape de la documentation des violations des droits protégés par le droit international se déroulera en deux temps.

Dans un premier temps, le droit applicable pour chacun des trois droits protégés sera posé et la jurisprudence pertinente sera détaillée. De plus, une clarification doit être apportée quant aux choix opérés dans la sélection de la jurisprudence pertinente en lien avec les

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droits protégés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques spécifiquement. Malgré l’ampleur et la gravité de violations documentées, aucune jurisprudence du Comité des droits de l’homme concernant le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ou la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne porte spécifiquement sur le Zimbabwe. La jurisprudence qui sera détaillée porte sur des cas autres que celui du Zimbabwe, puisque le pays n’a pas signé15 le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques16, par lequel les États signataires acceptent la compétence du Comité des droits de l’homme pour recevoir et examiner des communications individuelles. C’est la raison pour laquelle aucune des décisions qui ont été rendues par le Comité suivant une communication individuelle ne portait sur une affaire zimbabwéenne. Ainsi, les choix opérés dans la présentation de certains arrêts ne relèvent que de leur pertinence dans le contexte donné, où ces derniers correspondent le mieux à la trame factuelle présentée.

Dans un second temps, pour documenter les violations de ces droits protégés, des rapports d’organisations de défense des droits humains seront mobilisés, tout comme la littérature scientifique sur le Zimbabwe faisant état de violations des droits humains, lorsque corroborés par des sources sur le terrain. Essentiellement, les rapports documentant des violations dans le cas présent proviennent des grandes ONG de défense des droits humains reconnues : Human Rights Watch, Amnistie Internationale et International Crisis Group (voir la liste en bibliographie), qui effectuent leur documentation à partir d’enquêtes sur le terrain avec la collaboration d’ONG locales. Des données provenant de certaines de ces organisations locales, telles que Zimbabwe Lawyers for Human Rights et Zimbabwe Association of Doctors for Human Rights seront également mobilisées. L’utilisation de ces rapports pour la collecte de données concernant les violations des droits humains est intéressante en raison de la fréquence de leur publication permettant un suivi temporel ainsi que de leur caractère très détaillé tant sur les plans juridique que factuel. De plus, la méthodologie de chaque rapport est toujours clairement indiquée et s’appuie au maximum

15 Nations Unies, Collection des traités – Protocole facultatif se rapportant Pacte international relatif aux droits civils et politiques, https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV- 5&chapter=4&clang=_fr. 16 Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 23 mars 1976).

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sur des témoignages directs de victimes de violations ou de proches sur le terrain. Pour toute la période qui est visée par le présent mémoire (2008-2013), les diverses organisations de défense de droits humains ont produit des rapports portant sur la situation des droits humains au Zimbabwe sur une base régulière. Aux fins de ce mémoire, tous les rapports de Human Rights Watch, Amnistie Internationale et International Crisis Group publiés entre 2008 et 2013 portant sur les questions de violations directes des droits humains ont été consulté (presque tous ont été mobilisés, voir en annexes). De plus, les rapports de ces organisations – en particulier Human Rights Watch – sont rédigés en fonction de critères juridiques, ce qui facilite la documentation des trois droits visés par le présent mémoire et évite certains problèmes définitionnels.

Devant l’étendue des violations documentées par ces organisations de défense des droits humains, le choix de mobiliser dans le cadre de ce mémoire des violations répertoriées par ces organisations a été guidé par des critères précis. D’abord, le premier critère justifiant la sélection est celui de la représentativité. Les violations d’un même droit protégé peuvent prendre diverses formes, notamment en vertu de la jurisprudence ou de la doctrine. À titre d’exemple, comme cela sera vu plus loin, une atteinte à la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants peut prendre la forme de sévisses corporels dans le but d’obtenir de l’information, ou encore prendre la forme d’un viol (voir sous-section 4.2.3). Ainsi, afin de brosser un portrait reflétant le plus possible la manière dont les violations massives des droits humains ont été mobilisées par le régime Mugabe, la représentativité des diverses déclinaisons juridiques des violations d’un même droit, lorsque répertoriés au Zimbabwe, sera documentée. Aussi, le choix des cas de violations documentées dans le cadre de ce mémoire se justifient également par souci de représentativité des facteurs propres à la violence politique au Zimbabwe, étudiés dans les prochains chapitres. Également, un critère justifiant le choix de documenter une violation précise de l’un des droits visés au présent mémoire est la fiabilité des sources corroborant les témoignages. Ainsi, devant plusieurs cas identiques pouvant être documentés, le choix a été opéré en fonction de la fiabilité des sources. Si, par exemple, ce cas de violation(s) est documenté par plus d’une organisation, ou est corroboré par plus d’une source, ce cas a alors été sélectionné en priorité.

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La documentation de violations massives des droits humains sert à illustrer, aux fins du présent exercice, la manière dont le régime Mugabe mobilise la violence à des fins politiques. Bien entendu, la documentation de violations à elle seule ne peut fournir de réponse à la question qui structure ce mémoire. La littérature scientifique en science politique sur la crise zimbabwéenne servira quant à elle à faire ressortir à la fois le contexte et la perception véhiculée des droits humains en appui à la documentation des violations. Ainsi, l’aspect de la légitimation idéologique du régime interviendra de cette façon pour mettre en évidence les facteurs contribuant à expliquer le paradoxe de la légitimité du régime malgré les violences. La littérature servira par ailleurs tout au long de ce mémoire à mettre en évidence le cadre idéologique des interprétations concurrentes de la crise zimbabwéenne. En effet, la légitimation du régime Mugabe dans le contexte des violations en 2008 et jusqu’en 2013 ne peut se comprendre qu’en fonction du socle idéologique structurant la crise au Zimbabwe.

La littérature en science politique servira aussi à guider l’analyse des rapports de force et des dynamiques politiques régionales et internationales structurant la période de cohabitation politique du régime Mugabe avec le MDC. L’étude de ces dynamiques et de ces rapports de force est fondamentale sur le plan de la légitimité du régime immédiatement après la crise violente de 2008 ayant plongé le Zimbabwe dans le chaos. De plus, ils façonnent également la manière dont les violations des droits humains sont mobilisées par le régime de la Zanu-PF pendant la période de coalition avec le MDC.

Ce mémoire propose ensuite de se pencher sur les violations des droits humains pendant la période 2009-2013 afin de les documenter et d’observer les variations de la violence politiquement motivée mobilisée par le régime. En documentant les violations des trois droits humains visés à la présente étude, il sera possible d’illustrer les changements dans le recours à la violence à des fins politiques en fonction du contexte politique et à la lumière des dynamiques politiques et idéologiques relevées. Cette seconde étape de documentation sera réalisée exactement comme la première. Les données ont été colligées à partir des mêmes sources – les rapports des organisations de défense des droits humains sur le Zimbabwe, comme Human Rights Watch – pour la période de partage du pouvoir entre la Zanu-PF et le MDC, soit 2009 à 2013. L’information est toutefois un peu moins détaillée

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en raison du contexte politique et du contraste avec l’explosion des violations massives pendant l’année électorale de 2008. Cela sera explicité davantage au dernier chapitre.

Enfin, en appui à la démarche du présent mémoire, la base de données Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), mise sur pied par la University of Sussex et qui recense les évènements de violence politique en Afrique, sera mobilisée. Les données permettent d’illustrer graphiquement, au moyen de cartes, la quantité d’évènements politiques violents d’année en année selon des catégories spécifiques, ce qui permet d’illustrer les variations dans les niveaux de violence politiquement motivée au Zimbabwe. L’aspect de la représentation graphique des violations par ACLED est essentiellement la raison justifiant le choix d’y recourir. Certaines nuances doivent néanmoins être apportées quant à l’apport de ces données pour appuyer les tendances dégagées tout au long du mémoire. Les catégories ACLED n’étant pas guidées par des critères définitionnels juridiques, leur utilité pour appuyer la documentation des trois droits humains visés ici est limitée. Les données sont toutefois intéressantes pour déceler de grandes tendances et représenter graphiquement la violence politique au Zimbabwe en 2008 et entre 2009 et 2013. Cette mise en garde méthodologique sera par ailleurs rappelée et approfondie en détails au dernier chapitre.

Finalement, il convient par ailleurs à cette étape de faire mention des défis découlant de l’intégration de deux disciplines distinctes – la science politique et le droit – dans le cadre d’un mémoire de maîtrise. Tel qu’en témoignent les problèmes définitionnels que pose le recours aux données ACLED dans le cadre de l’étude de violations définis par des critères juridiques, le caractère pluridisciplinaire du présent mémoire représente parfois un obstacle méthodologique. Ainsi, le défi de l’intégration disciplinaire tout au long de ce projet présente certains conflits définitionnels, qui seront soulignés. Un certain nombre de termes, tels que « guerre de libération nationale », par exemple, n’ont pas la même signification et les mêmes implications en fonction du vocabulaire propre au langage juridique et en science politique. De même, la notion de « torture », régulièrement invoquée dans la littérature sur la violence politique au Zimbabwe entre 2008 et 2013, peut poser problème. Puisque le présent mémoire s’attarde aux violations massives des droits humains protégés par le droit international, la notion de « torture » ne peut être analysée qu’en vertu des

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critères juridiques qui la définissent. La même précaution est de mise pour tous les droits qui seront étudiés dans les prochains chapitres. De plus, comme cela sera vu plus loin la notion de « civils », par exemple, ne fait de sens du point de vue du droit international qu’en vertu de la définition proposée par le droit international humanitaire dans les Conventions de Genève de 1949. Cet enjeu de la compartimentation définitionnelle en droit et en science politique doit être gardé en tête tout au long de ce mémoire.

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2. MISE EN CONTEXTE ET CARACTÉRISATION DE LA VIOLENCE (CHAPITRE 1)

2.1 Mise en contexte de la violence politique et de la crise au Zimbabwe

Afin de mieux comprendre la période de crise couverte par la présente étude (2008-2013), il est essentiel d’aborder le contexte dans lequel émerge l’utilisation de la violence comme gouvernance politique au Zimbabwe. La situation violente caractérisant les élections zimbabwéennes de 2008 et la période de cohabitation négociée qui en suivit, tire son origine en grande partie à la fin de la décennie 1990, soit presque vingt ans après l’indépendance du pays et l’arrivée au pouvoir de Robert Mugabe17. Si la violence au Zimbabwe fut, d’un point de vue historique, inextricablement liée aux rivalités politiques depuis la période pré-indépendance18, c’est la montée rapide d’une opposition organisée (entre 1998 et 2000)19 menaçant sérieusement le régime du président Mugabe qui propulsa à l’avant-plan le recours à une violence systématique commanditée par l’État à l’encontre des opposants, qu’ils soient réels ou perçus20.

Plus particulièrement, un référendum sur une proposition d’amendement constitutionnel en février 2000 et la conjoncture sociopolitique dans lequel ce dernier eut lieu, constitua un moment charnière pour le recours à la violence politique contre l’opposition à la Zimbabwe Afrcan National Union – Patrotic Front (ci après, Zanu-PF), le parti au pouvoir21. Février 2000 représente en effet un tournant puisque pour la première fois dans l’histoire de la jeune république, le mécontentement envers le parti de Mugabe se manifesta par les urnes, démontrant la force du tout nouveau Movement for Democratic Change22, opposé au projet

17 Martin MEREDITH, Mugabe: Power, Plunder, and the Struggle for Zimbabwe, Public Affairs, New York, 2007, pp. 191-223. 18 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, « Les vétérans et le parti au pouvoir : une coopération conflictuelle dans la longue durée », Politique africaine, 1(81), 2001, pp. 86-89. 19 Hevina S. DASHWOOD, « Inequality, Leadership and the Crisis in Zimbabwe », International Journal, 57(2), 2002, p. 214. 20 Ibid., pp. 214-215. 21 Hevina S. DASHWOOD, Ibid. 22 Le MDC, regroupement sous la même bannière des milieux syndicaux, professionnels urbains et la « classe moyenne » étouffée par les déboires économiques du Zimbabwe des années 1990. Au début fer de lance de la contestation par l’organisation de démonstrations, grèves et manifestations contre le régime, le mouvement a

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constitutionnel que le président Mugabe croyait pouvoir faire entériner facilement par les électeurs23. La victoire du « non » a secoué la Zanu-PF et Robert Mugabe24, qui réalisa non seulement l’importance du soutien populaire de la toute nouvelle opposition mais également que des actions beaucoup plus radicales25 devraient être entreprises pour assurer le maintien de son monopole sur le pouvoir, à l’approche d’élections parlementaires où le MDC avait la ferme intention d’effectuer des percées importantes26.

2.1.1 Facteurs internes et externes menant au référendum de février 2000

La fin de la décennie 1990 et le début des années 2000 étaient propice à l’émergence d’une contestation du régime. La situation du Zimbabwe à cette période se détériore rapidement, tant sur le plan social, économique que politique. En effet, si le référendum de février 2000 est précisément un point tournant, c’est toutefois la convergence d’un certain nombre de facteurs propres à la réalité nationale et internationale qui ont permis de réunir les conditions nécessaires à une défaite de Mugabe lors du référendum.

Au plan international, deux phénomènes auront une incidence sur la crise au Zimbabwe, tant sur la mobilisation de la contestation du pouvoir que sur la justification par le pouvoir du recours à la violence. D’abord, des réformes impopulaires 27 encouragées par les institutions financières internationales − notamment un programme d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI), préconisant une sévère cure d’austérité – ont sérieusement endommagé la capacité du régime à maintenir une certaine popularité auprès des Zimbabwéens, en raison de restrictions aux programmes sociaux et aux services28. La mauvaise application du gouvernement d’Harare des réformes, combinée à une aggravation de la situation économique pour des millions de Zimbabwéens ont accentué le ressentiment

rapidement évolué en parti politique revendiquant une plus grande liberté démocratique, une meilleure gestion économique et un plus grand respect des droits humains. 23 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 215. 24 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 165-166. 25 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 215. 26 Ibid. 27 Des coupes aux programmes sociaux populaires, des mises à pied de travailleurs qualifiés et la suppression d’aides financières diverses à certains groupes, notamment. 28 Linda FREEMAN, « A Parallel Universe – Competing Interpretations of Zimbabwe’s Crisis », Journal of Contemporary African Studies, 32(3), 2014, p. 355.

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populaire à l’égard du régime29. Parallèlement, la question très sensible de la redistribution des terres agricoles du pays − l’accès à la terre étant au cœur du mouvement de libération nationale menant à l’indépendance − fut en grande partie occultée des réformes proposées par les institutions financières internationales, dont le FMI30.

Également, à la fin de la décennie 1990, un autre facteur international aura une grande influence sur la conjoncture politique zimbabwéenne : la relation avec l’ancienne puissance coloniale britannique, dont les actions ont à la fois aggravé la situation au Zimbabwe et permis au régime Mugabe d’en faire un bouc émissaire31. En effet, suite à l’élection des travaillistes de Tony Blair, le gouvernement du Royaume-Uni a, en 1997, abruptement renoncé à son engagement de financer la réforme agraire au Zimbabwe32, alléguant le manque de sérieux et de transparence du gouvernement d’Harare dans l’allocation des terres33. Le financement par Londres d’un programme de redistribution plus équitable des terres agricoles entre fermiers blancs et noirs étant consacré par les accords de Lancaster House de 1979 34 , une grande partie des Zimbabwéens noirs se sentirent trahi par la promesse brisée de l’ancienne puissance coloniale35.

Dans de telles circonstances où le gouvernement − déjà à court de ressources pour assurer la pérennité des services publics et des programmes − n’a pas la capacité de financer une réforme agraire hautement souhaitée par la population paysanne noire36, cette colère à l’égard du Royaume-Uni sera dirigée contre la population blanche du pays, essentiellement d’origine britannique. Il est important de rappeler qu’à la fin de la décennie 1990, même presque vingt ans après l’indépendance du Zimbabwe et la fin du régime de la minorité blanche d’Ian Smith, un peu plus de 4000 propriétaires terriens blancs se partageaient

29 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 209. 30 Ibid. 31 Linda FREEMAN, Op. cit., p. 356. 32 Ibid. 33 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 215. Ces accords mettent un terme à la guerre civile en Rhodésie du Sud et par lesquels les conditions d’accession à l’indépendance du Zimbabwe sont prévues et le rôle du Royaume-Uni dans la transition est défini: http://sas- space.sas.ac.uk/5847/5/1979_Lancaster_House_Agreement.pdf. 34 Linda FREEMAN, Op. cit, p. 356. 35 Ibid. 36 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., pp. 211, 216-217; « Land Grab », Australian Broadcasting Corporation (ABC), 1998 [en ligne], consulté le 1er février 2016, https://www.journeyman.tv/film/432/land-grab, diffusion originale le 17 mars 1998.

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toujours quelques 70% des terres arables de tout le pays, sur une population totale d’environ 12 millions de personnes 37 . Cet état de fait post-indépendance place le gouvernement nationaliste de la Zanu-PF dans une position délicate auprès de la majorité noire du pays, particulièrement auprès des populations paysannes plus nationalistes. En revanche, ces inégalités persistantes entre Zimbabwéens blancs et Zimbabwéens noirs constitueront un formidable atout pour la Zanu-PF et Robert Mugabe lorsque viendra le temps de faire vibrer une corde sensible et de mobiliser, par le biais de sa base de soutien, la violence contre les « ennemis » du régime38.

C’est la convergence d’une multitude de facteurs – internes et externes – qui contribuent à expliquer la situation insoutenable dans laquelle se retrouve le Zimbabwe de Robert Mugabe à la fin de la décennie 1990. Certains facteurs internes au Zimbabwe relèvent de la conjoncture du pays et sont imbriqués aux circonstances internationales. Le premier élément interne relève toutefois d’une décision politique du régime. En 1998, le président Mugabe lance les forces armées de son pays dans une intervention militaire en République démocratique du Congo visant à soutenir le régime de Laurent Kabila39. Cette intervention dans la guerre civile congolaise s’est révélée particulièrement couteuse pour l’État zimbabwéen qui n’en avait absolument pas les moyens et a en plus grandement favorisé la corruption au sein de l’appareil sécuritaire40, contribuant à la ruine des finances publiques et à l’aggravation de la misère collective.

Face à la détérioration de la situation générale du pays, le régime se rend compte qu’il doit contenir les frustrations internes pour assurer sa survie. Ces frustrations se manifestent essentiellement sur deux fronts principaux, qui auront des incidences importantes sur le recours à la violence comme stratégie politique par le régime en place à Harare. Premièrement, c’est parmi les professionnels urbains noirs, les élites intellectuelles, certains milieux syndicaux et éventuellement, la majorité des fermiers blancs (et leurs employés)41

37 Marc-André LAGRANGE et Thierry VIRCOULON, « Zimbabwe : réflexions sur la dictature durable », Politique étrangère, 2008/3, p. 657. 38 Australian Broadcasting Corporation (ABC), Op. cit. 39 Martin MEREDITH, Op. cit., pp.148-149. 40 Ibid. 41 Hevina S. DASHWOOD, Op cit., pp. 213-214.

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que l’opposition grandissante à Robert Mugabe s’organisa 42 en raison de la situation économique difficile et de la corruption des dirigeants. La colère grandissante dans ces milieux marqua le début de l’effondrement rapide du soutien populaire envers Mugabe43. En effet, les professionnels vivant en milieu urbain représentent à l’époque la frange de la population zimbabwéenne la plus durement touchée par les déboires économiques du pays44. Ces derniers sont également parmi les plus à même de constater la très mauvaise gestion du gouvernement, la corruption omniprésente et la persistance de diverses formes d’inégalités profondes, notamment entre les proches du parti de Mugabe et le reste de la population45. En l’espace de peu de temps, la convergence des forces contestataires mena à la création en 1999 d’un parti politique, le Movement for Democratic Change (MDC)46 dirigé par un charismatique leader syndical, Morgan Tsvangirai.

Un moment pivot dans l’organisation de l’indignation de ces populations envers le régime fut notamment une hausse d’impôts pour payer des allocations financières plus généreuses aux vétérans de la guerre de libération nationale du Zimbabwe47. Les vétérans de guerre ont généralement été considérés des proches idéologiques48 du parti de Robert Mugabe49 depuis l’indépendance (ils lui serviront d’ailleurs de bras armé, particulièrement en 2008). Les ressources du fonds d’indemnisation des vétérans de guerre (le War Victims Compensation Fund) ayant été ouvertement pillées et détournées 50 par certains membres de leur association51, la hausse leur étant consentie par le régime avait soulevé l’indignation au sein d’une classe moyenne appauvrie devant payer pour les vétérans.

Nonobstant la proximité idéologique entre la Zanu-PF, Mugabe et les vétérans de guerre, ces derniers représentaient à l’époque l’autre front par lequel une certaine frustration contre le régime se matérialisait. Si les vétérans et la Zanu-PF partagent un passé commun − la

42 Surtout entre les années 1998 et 2000. 43 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 140. 44 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 98. 45 Ibid. 46 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 214. 47 Ibid.; Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 98-100. 48 En profondeur sur ce qu’est un « vétéran de guerre » au Zimbabwe et le type de rapports de force que ces derniers exercent dans la société zimbabwéenne entre 1980 et 2001, voir l’article de Krieger, Causse-Fowler et Compagnon. 49 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 80-82, 99. 50 Ibid., pp. 98-99. 51 La Zimbabwe National Liberation War Veterans’ Association – la ZNLWVA.

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ZANU était un mouvement de libération nationale avant de devenir un parti politique en bonne et due forme au moment de l’indépendance − leurs rapports après 1980 deviennent très complexes où chacun manipule à son avantage l’autre52, ou tente de le faire. Le résultat est une forme de « coopération conflictuelle dans la longue durée »53 , pour reprendre l’intitulé de l’article de Norma Krieger54. En bref, le régime a capitulé devant les vétérans de guerre en cédant à leurs coûteuses revendications. Mugabe et ses ministres savaient bien qu’ils s’aliéneraient une partie de la population en consentant à une hausse des allocations. Néanmoins, trop s’aliéner les vétérans de guerre – dont un grand nombre faisait maintenant partie des forces de sécurité telles la police ou l’armée – pouvait éventuellement poser un danger important pour la sécurité et la survie du régime55. Les vétérans de guerre ayant aussi été de très grands bénéficiaires du clientélisme du régime, ils étaient nombreux à occuper des postes dans la bureaucratie et les sociétés paragouvernementales zimbabwéennes56. Une éventuelle mobilisation importante de leur part suscitait ainsi la crainte de la Zanu-PF, à bien des niveaux. C’est donc devant cet état de fait que le régime a, de façon calculée, opéré un choix rationnel.

2.1.2 L’alliance du pouvoir avec les vétérans de guerre

En capitulant à leurs demandes, le régime Mugabe a en quelque sorte scellé une alliance avec les vétérans de guerre qui s’est manifestée en février 2000 au moment du référendum57 et qui sera dès lors mise en évidence lors des périodes électorales subséquentes 58 , particulièrement en 200859. En échange d’un appui fort au maintien du régime en place, les vétérans obtenaient ce qu’ils voulaient et bénéficiaient d’un accès privilégié aux opportunités de clientélisme et de patronage à venir 60 . En particulier, les fermes des

52 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 82. 53 Ibid., pp. 80-82, 95-100. 54 Ibid., p. 80. 55 Ibid., p. 98. 56 Ibid., pp. 80-100. 57 Ibid., pp. 80-81; Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 213. 58 Marc-André LAGRANGE et Thierry VIRCOULON, Op. cit., pp. 656-658; 662. 59 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, « La violence et les urnes : le Zimbabwe en 2008 », Politique africaine, 111, 2008, pp. 122-129. 60 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 80-85.

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propriétaires blancs expulsés 61 en vertu du nouveau programme « accéléré » 62 de redistribution des terres que le gouvernement voulait adopter représentaient des opportunités intéressantes d’enrichissement personnel pour certains vétérans 63 . Ainsi, l’après-défaite référendaire de février 2000 a déclenché une campagne de violence sans précédent où les fermiers commerciaux blancs, dans un premier temps, ont été particulièrement visés. Les terres ont été envahies, occupées, pillées, squattées et un très grand nombre de fermiers ont été expulsés par la force, voire kidnappés ou assassinés64. Leurs terres ont ensuite été confisquées, souvent violemment 65 . Les invasions ont principalement été exécutées par des vétérans de guerre (dont leur chef Chenjerai « Hitler » Hunzvi) avec la complicité66 des forces de sécurité et la planification du parti au pouvoir67.

Ce phénomène, où la mobilisation de la violence se fait de manière concertée entre l’État et les vétérans est le grand point tournant dans la violence politiquement motivée au Zimbabwe. Il représente une radicalisation dans l’attitude du régime et une escalade importante de la crise politique zimbabwéenne. Cette alliance marque en effet le début d’une ère nouvelle dans le recours à la violence comme mode de gouvernance et d’imposition de la volonté politique au Zimbabwe. En 2000, cette période sera caractérisée par des invasions de propriétés terriennes alimentées par la rhétorique belliqueuse68 du régime associant les blancs à des traîtres impérialistes en raison de leur contribution à la défaite référendaire69 et aux inégalités persistantes héritées de l’ère coloniale. Une majorité de blancs avaient effectivement soutenu Tsvangirai et le camp du « non » au référendum,

61 Ibid., pp. 80-82 : La Zanu-PF aurait promis aux vétérans que jusqu’à 20% des fermes confisquées leur seraient réservées. 62 Le fameux Fast-Track Land Redistribution Programme visant la confiscation par l’État sans compensation financière de la plupart des fermes commerciales détenues par des blancs pour la redistribution à la population paysanne noire. 63 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 80-82; Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 222. 64 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 167-189. 65 Ibid. 66 Les forces de sécurité, telle la police ou l’armée ont par ailleurs été directement, à divers endroits et à divers moments, instigatrices de violences à caractère politique, ont participé avec des vétérans à des actes de violence, ou ont reçu l’ordre de ne pas intervenir. 67 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 167-189.; Daniel COMPAGNON, « Terrorisme électoral au Zimbabwe », Politique africaine, 2(78), 2000, pp. 182-183. 68Au sujet de cette période de violence et de rhétorique anti-blancs, anti-MDC et anti-britannique en 2000 en détails, voir les chapitres 10 à 13 de l’ouvrage de Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 159-223. 69 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 191-200.

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bloquant du coup le projet de réforme agraire prévoyant des confiscations de terre que Mugabe souhaitait enchâsser dans la constitution70.

Si Mugabe n’a jamais reconnu que son parti et l’État zimbabwéen étaient responsables de la flambée de violence et a toujours fait porter le blâme des violations massives sur les vétérans tout en refusant de les désavouer ou d’intervenir, les faits impliquent directement l’État et la Zanu-PF71 (en 2000 comme en 2008 et au-delà). Par exemple, des camions militaires ont régulièrement été utilisés pour transporter des bandes de vétérans armés dans les zones rurales jusqu’aux propriétés agricoles possédées par des blancs72. De nombreux militants de la Zanu-PF ont accompagné directement des vétérans dans leurs activités d’intimidation et de harcèlement des grands propriétaires terriens73. Un cas emblématique de l’implication étatique au plus niveau dans la campagne de violence fut lorsqu’en 2000 à Norton, à environ 40 kilomètres de la capitale Harare la sœur du président, Sabina Mugabe − également députée Zanu-PF − dirigea elle-même avec un chef de police local une bande de vétérans de guerre vers les diverses exploitations agricoles du secteur afin d’expulser de force les propriétaires et/ou de les piller74. Il a été rapporté que la sœur de Mugabe a à plusieurs reprises mené des invasions, menaçant parfois de mort les récalcitrants et s’appropriant personnellement les terres de fermiers blancs expulsés dans la province du Mashonaland Ouest, près d’Harare75.

L’appropriation de fermes commerciales par des vétérans de guerre et des proches de Mugabe souligne aussi l’aspect clientéliste des invasions et des évictions de propriétés agricoles. En effet, il ne faudrait surtout pas sous-estimer la dimension clientéliste dans la très complexe relation76 entre le régime Mugabe et les vétérans de guerre. La convergence d’intérêts entre la Zanu-PF et ces derniers est aussi, au-delà de l’idéologie, le produit de la volonté de vétérans influents de s’accaparer des ressources de l’État à des fins

70 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 92. 71 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 167, 197. 72 Ibid., p. 167. 73 Ibid., p. 197. 74 Ibid. 75 Ibid., p. 219. 76 Au sujet des rapports ambigus entre le pouvoir et les vétérans de guerre, voir également l’article de Krieger, Causse-Fowler et Compagnon.

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d’enrichissement personnel77. Or, ces ressources financières étant devenues si faibles que l’expropriation par la force, le pillage et l’accaparation de certaines fermes commerciales étaient pratiquement devenues « nécessaires »78 afin de maintenir cette relation basée en partie sur le patronage et la rétribution. Pour cause, avant même l’an 2000, alors que l’économie était en chute libre et que la communauté blanche était de plus en plus blâmée pour les maux du pays, de petits incidents isolés impliquant des vétérans tentant d’occuper ou de squatter des fermes commerciales commençaient déjà à être rapportés dans certaines régions rurales79. Ces évènements ne s’inscrivaient toutefois pas encore dans une campagne organisée à très grande échelle, même si des députés Zanu-PF étaient déjà impliqués dans certains incidents80.

Si la campagne de violence débutant en l’an 2000, elle, était de nature punitive et revancharde, elle était également (et surtout) de nature préventive : s’assurer la domination de la Zanu-PF lors des élections parlementaires en ciblant le MDC et les éléments lui étant favorables dans la société81. Cela est emblématique du changement de paradigme dans le recours à la violence politique au Zimbabwe à partir de 2000. Le régime étant conscient que des actions « drastiques » devaient être entreprises pour s’accrocher au pouvoir au prochain scrutin et au-delà, la violence entre février et juin 2000 a atteint des sommets inégalés depuis l’indépendance du pays en 198082. Typique de la violence politique qui caractérisera la crise zimbabwéenne pour des années à venir après cela, particulièrement en 2008, les premiers assassinats de fermiers blancs par des bandes armées pro-régime eurent lieu en avril 2000. Les victimes étaient toutefois aussi donateurs, militants ou organisateurs pour le MDC83. Comme pour les invasions de fermes, la violence politiquement motivée – qu’elle soit dirigée contre des blancs ou contre des noirs − est généralement mobilisée de connivence avec l’État84, particulièrement la police.

77 Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 99. 78 Ibid. 79 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., p. 213. 80 Ibid. 81 Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 180. 82 Hevina S. DASHWOOD, Op. cit., pp. 214- 215. 83 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 173-175. 84 Brian KAGORO, « The Prisoners of Hope: Civil Society and the Opposition in Zimbabwe », African Security Review, 14(3), 2005, p. 22.

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Le 18 avril 2000, le jour du vingtième anniversaire de l’indépendance du Zimbabwe, un convoi de treize camions transportant des bandes armées (incluant des vétérans de guerre, mais pas exclusivement) débarqua sur le ranch d’un fermier blanc et militant MDC de 42 ans, Martin Olds, dans le district de Nyamandlovu (ouest du pays) 85 . Au moment d’emprunter la route menant au ranch, le convoi fut salué par des policiers montant la garde qui établirent un barrage routier après leur passage86. Plus tard, des voisins tentant de porter secours à Olds et une ambulance furent bloqués par les policiers montant la garde. Après un assaut de deux heures sur sa maison sous les yeux de la police locale, Martin Olds fut assassiné en plein jour sur sa propriété87. La police porta même assistance aux responsables en les escortant hors du district, chantant avec eux des slogans du parti et des chants nationalistes de la guerre de libération88.

Plus le scrutin de juin approchait, plus la violence s’intensifiait et des histoires comme celle de Martin Olds se répétaient dans tout le pays. Les enlèvements et les passages à tabac de partisans et d’organisateurs du MDC dans les régions plus sympathiques à l’opposition étaient devenus la norme. Les citoyens des zones connues pour être naturellement favorables au MDC se sont mis à subir du harcèlement, de l’intimidation et des menaces de mort. Des gens connus pour avoir exprimé des positions anti-Mugabe ou pro-MDC furent kidnappés et emmenés dans des camps de « rééducation » où la plupart ont été forcés de reconnaître leur affiliation au MDC sous la torture, de dévoiler les noms d’autres militants et par la suite de prêter allégeance à la Zanu-PF89. Ces tactiques, par lesquelles la violence devient la pièce maîtresse de la stratégie de survie politique du président Robert Mugabe, notamment les « camps de rééducation » ou de torture des dissidents90, ressurgiront en 2008 à très grande échelle91. Dans un climat de violence et de fraude généralisée − voire de terreur dans certaines régions92 − les élections de 2000 eurent lieu sans que les conditions soient réunies pour que le scrutin soit qualifié de crédible93. La très mince victoire du parti

85 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 173-175. 86 Ibid., pp. 174-175. 87 Ibid., p. 175. 88 Ibid. 89 Ibid., pp. 191-207. 90 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 111. 91 Ibid. 92 Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 180-181. 93 Brian KAGORO, Op. cit., pp. 22-23.

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sortant sur le MDC, qui remporta presqu’autant de sièges et presqu’autant de votes que le parti de Mugabe, permet de laisser croire que sans la violence et la campagne d’intimidation à grande échelle, la Zanu-PF aurait très vraisemblablement perdue94. Selon Daniel Compagnon, environ 12% des électeurs zimbabwéens auraient reconnu en 2000 avoir voté Zanu-PF alors qu’ils avaient initialement souhaité voter pour le MDC après avoir subi de la violence politique sous diverses formes95. Ces chiffres présentés dans l’ouvrage de Compagnon sont donc assez révélateurs de l’ampleur de l’instrumentalisation de la violence à des fins partisanes par le régime Mugabe et de l’échelle à laquelle les violations des droits humains sont perpétrées au Zimbabwe.

2.1.3 Récurrence et institutionnalisation de la violence depuis 2000

Depuis l’an 2000, tel que mentionné ci-haut, le recours à la violence systématique avalisée par l’État au plus haut niveau est devenue chose courante. Stratégie principale de Mugabe pour maintenir son emprise sur le pouvoir, la violence a engagé le Zimbabwe dans un état de grave crise permanente. La confiscation de grandes exploitations agricoles commerciales au profit de vétérans en quête de rétribution ou de proches du régime comme Sabina Mugabe a ruiné le secteur d’exportation le plus important de l’économie zimbabwéenne, qui était déjà en crise96. Naturellement, l’explosion d’instabilité a fait s’écrouler l’industrie du tourisme, autrefois prospère 97 . Dès le début des invasions de fermes, le secteur touristique a chuté de plus de 70%98 et ne s’en est jamais remis depuis. Les Game lodge et autres parcs naturels privés très prisés par les touristes venus faire des safaris ont subi le même sort que les fermes, étant majoritairement détenus par des blancs : à certains endroits même les animaux de la grande faune (lions, éléphants, rhinocéros, etc.) ont été massacrés par les vétérans de guerre99. L’effondrement de ce secteur jadis prometteur fut encore plus

94 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 187-189. 95 Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, University of Pennsylvania Press, Philadelphie, 2011, pp. 46-47. 96 Ibid., pp. 178-190. 97 Martin MEREDITH, Op. cit. p. 209. 98 Daniel COMPAGNON, « Terrorisme électoral au Zimbabwe », Op. cit., p. 190. 99 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 196. (Référence au cas de la Save Valley Conservancy).

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prononcé que celui de l’agriculture 100 , même les Chutes Victoria peinent à attirer les touristes du côté zimbabwéen101.

La mobilisation de la violence à grande échelle par le régime Mugabe et la récurrence des violations graves des droits humains y étant associées ont, depuis presque deux décennies maintenant, entrainé des condamnations de la part de la communauté internationale et ont porté l’attention sur le Zimbabwe des organismes de défense des droits humains. Les façons dont la violence s’est manifestée en 2000 − décrites brièvement plus haut (camps de « rééducation », torture, intimidation, etc.) − se sont poursuivies à divers degrés au-delà de la période électorale pour revenir en force aux scrutins subséquents. En effet, les mêmes mécanismes se répètent avec virulence en 2002 lors de l’élection présidentielle : torture d’opposants, arrestations arbitraires de masse d’organisateurs du MDC, intimidation et violences dirigées contre les électeurs potentiels « non-Zanu-PF » 102 . Les importantes violations des droits humains font l’objet d’une large couverture médiatique, les États occidentaux imposent une série de sanctions contre Mugabe et des membres influents de sa garde rapprochée 103 sans toutefois que l’isolement diplomatique du Zimbabwe n’ait véritablement lieu 104 ou que les sanctions ne portent leurs fruits 105 . La pression internationale mise sur le Zimbabwe au sujet des droits humains a toutefois renforcé la rhétorique anti-occidentale, anti-impérialiste, anti-blancs, et par ricochet anti-MDC, ces derniers étant taxés de laquais des colonialistes par Mugabe106. Les élections parlementaires de 2005 ont vues encore une fois se répéter les campagnes de violence de 2000 et 2002107, suivies cette fois de vastes purges visant à punir les populations urbaines des quartiers les plus défavorisés ayant très majoritairement appuyées le MDC. Sous prétexte sanitaire, l’opération Murambatsvina 108 de 2005 a littéralement jeté à la rue plus de 700 000

100 Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, Op. cit., p. 187. 101 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 209. 102 Ibid., pp. 225-231. 103 Gary Clyde HAUFBAUER et al., Economic Sanctions Reconsidered (3rd Edition), Peterson Institute for International Economics, Washington, 2007- (CD-ROM). 104 En partie en raison de la bienveillance des États africains, notamment l’Afrique du Sud. 105 Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, Op. cit., pp. 222-223. 106 Martin MEREDITH, Ibid. 107 Ibid., pp. 233-234. 108 Littéralement « enlever la saleté » en shona (clear the filth), qui tranche avec la version anglaise officielle du nom de l’opération, baptisée Restore Order.

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Zimbabwéens dont les logis ont été rasés au bulldozer à peu près sans préavis109 « d’une manière indiscriminée et complètement injustifiée, sans égard à la souffrance humaine »110, selon le rapport officiel de la mission d’établissement des faits des Nations Unies111.

Pendant ce temps, les Zimbabwéens ont vu la précarité de leurs protections en matière de droits humains s’aggraver. Principalement dirigée contre les fermiers commerciaux et les opposants politiques, la violence et la répression s’est étendue aux entrepreneurs urbains (surtout blancs) et aux citoyens de divers milieux considérés suspects : enseignants, journalistes, syndicalistes, étudiants, juristes et même plusieurs magistrats 112 . Certains intérêts privés européens et surtout les ONG occidentales sont devenus la cible d’harcèlement, de violence et de menaces, particulièrement celles faisant la promotion et la défense des droits humains113. Ces dernières ont par ailleurs été interdites en 2005114 (juste avant les élections), y compris « tout groupe étranger perçu comme s’ingérant dans les affaires internes et la politique » du Zimbabwe 115 , au nom de la protection de la souveraineté du pays116. L’érosion constante de la règle de droit favorise de plus en plus l’impunité en matière de violations des droits humains − particulièrement les droits civils et politiques, sur lesquels ce mémoire de maîtrise se penchera – que le renouveau de violence en 2008 propulsera à des niveaux inégalés. Les violences à grande échelle qui se répèteront encore une fois en 2008 seront d’une intensité jusque-là inédite. Le régime aura encore une fois recours aux mêmes tactiques 117 que celles mobilisées dans la décennie précédente (mentionnées plus haut), dans une atmosphère toutefois un peu différente, multipliant les atteintes aux droits contenus dans les instruments de droit international relatifs aux droits humains. La crise zimbabwéenne, présentée dans la présente section, se poursuit à ce jour

109 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 237. 110 Anna K. TIBAIJUKA − UN Special Envoy on Human Settlements Issues in Zimbabwe, Report of the UN Fact-Finding Mission to Zimbabwe to Assess the Scope and Impact of Operation Murambatsvina, 18 juillet 2005. 111 Martin MEREDITH, Ibid. 112 Ibid., pp. 201-217. 113 Ibid.; Brian KAGORO, Op. cit., p. 23. 114 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, « Mugabe, Mbeki and the Politics of Anti-Imperialism », Review of African Political Economy, 31(101), 2004, p. 398. 115 Ibid. 116 Ibid. 117 « Mugabe vows ‘war ‘ to win vote », Al Jazeera, 15 juin 2008 [en ligne], consulté le 17 décembre 2015, https://www.youtube.com/watch?v=_41ktGyuob8; Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 118-121; 124-129.

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et ce sont essentiellement les mêmes enjeux qu’au début des années 2000 qui sont sources de tensions118 pendant la période 2008-2013, qui fait l’objet d’une attention particulière dans de ce mémoire.

2.2 Catégorisation de la situation au Zimbabwe

Le contexte d’émergence du recours à la violence comme gouvernance politique au Zimbabwe ayant été posé à la section précédente, il est néanmoins important d’apporter ici certaines clarifications quant à la qualification juridique et théorique de la situation faisant l’objet de la présente étude.

2.2.1 Qualification de la situation au Zimbabwe en droit

Il convient de s’attarder brièvement à la qualification juridique de la situation au Zimbabwe afin de déterminer le droit applicable. La nature et le niveau de violence au Zimbabwe depuis 2000 ont-ils, par moment (comme pendant la période électorale de 2008), atteint un niveau tel que l’on puisse parler de conflit armé interne ? Un survol rapide de la réalité de la violence politique zimbabwéenne à la lumière de la jurisprudence permet de conclure que ce n’est pas le cas et que par conséquent, le droit applicable dans le cadre des conflits armés – le droit international humanitaire (DIH) – ne s’applique pas en l’espèce.

En effet, les règles du DIH ne s’appliquent pas aux « […] situations de tensions internes, de troubles intérieurs comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues […] », tel que le mentionne l’article 1(2) du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève de 1949119. Selon la jurisprudence internationale, la situation au Zimbabwe devrait rencontrer deux critères cumulatifs fondamentaux pour atteindre le seuil de « conflit armé non-international » : l’intensité de la violence et l’organisation des parties

118 « Zimbabwe – State of Denial » (The Rageh Omaar Report), Al Jazeera, 15 avril 2010 [en ligne], consulté le 12 janvier 2016, https://www.youtube.com/watch?v=JNkrkDQXwpc. 119 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non-internationaux (Protocole II), 8 juin 1977 (entrée en vigueur le 7 décembre 1978).

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en présence120. L’appréciation de chacun de ces deux critères peut se fonder sur une série d’indicateurs121. Encore une fois, ces indicateurs permettent de démontrer que la situation au Zimbabwe ne se qualifie pas, même lors des épisodes de crise où la violence politique et la répression sont à leur apogée, de conflit armé interne. Pour le critère d’intensité de la violence, ces indicateurs – non exhaustifs − peuvent notamment être la nature des armes utilisées, le nombre de victimes, la fréquence des actes de violence et/ou des opérations militaires ou encore le recours aux forces armées en renfort à la police122. Les indicateurs du degré d’organisation du groupe s’opposant à l’État, énumérés par le TPIY 123 dans l’affaire Boškoski 124 , peuvent notamment être : l’existence d’une structure de commandement, d’une logistique opérationnelle ou encore la capacité de mener des actions militaires concertées125.

Au Zimbabwe toutefois, l’opposition organisée au régime Mugabe n’est pas structurée comme un groupe armé mais bien en tant que parti politique et en mouvement de la société civile. Rien n’indique que l’opposition à la Zanu-PF de Mugabe – le MDC – n’ait les ressources, la capacité ou la volonté de lutter contre le régime autrement que par le militantisme, voire la désobéissance civile126. Sauf quelques cas assez rares, la violence dans le contexte zimbabwéen est presque toujours à sens unique : de l’État vers l’opposition et la société civile, qui ne cherche pas forcément à répliquer ou à contre-attaquer le pouvoir par les armes 127. Tel qu’exposé à la section précédente pour la période 2000-2008 et démontré pour la période 2008-2013 dans les chapitres subséquents, la nature de la répression d’opposants et de groupes ciblés par le régime du président Mugabe peut être d’une violence inouïe128. Néanmoins, rien ne permet de laisser croire que les critères de degré d’organisation et d’intensité de la violence atteignent le seuil nécessaire afin que la

120 Le Procureur c. Dusko Tadic, Alias « Dule », Arrêt relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, TPIY, Cas no IT-95-1A, Chambre d’appel, 2 octobre 1995. 121 Sylvain VITÉ, « Typologie des conflits armés en droit international humanitaire : concepts juridiques et réalités », Revue internationale de la Croix-Rouge, 91 (873), 2009, pp. 6-7. 122 Ibid., p. 7. 123 TPIY - Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. 124 Le Procureur c. Ljube Boškoski, TPIY, cas no IT-04-82-T, Chambre de première instance, 10 juillet 2008. 125 Le Procureur c. Ljube Boškoski, par. 177. 126 Voir notamment Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, Op. cit., pp. 9-117 (chapitres 1, 2 et 3). 127 Voir Martin MEREDITH, Op. cit., Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 111-129 et les rapports de 2008 sur le Zimbabwe de Human Rights Watch. 128 Ibid.

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situation au Zimbabwe depuis 2000 puisse se qualifier de conflit armé non-international. Les cas de violences politiques au Zimbabwe ne dépassent ainsi pas le seuil des troubles ou tensions internes.

En conséquence, puisque le DIH n’est pas le corpus juridique applicable dans le cadre de la situation qui prévaut au Zimbabwe, tout usage de la force par les services de sécurité zimbabwéens relève du champ d’application des droits humains, donc du droit international des droits humains. En effet, si les droits humains s’appliquent en temps « normal », ils s’appliquent également en situation de conflit armé129, à la distinction près que les règles du DIH régissant les situations propres aux conflits armés, notamment l’usage de la force, pourront prévaloir au titre du principe de lex specialis130. À cet effet, la Cour internationale de justice (CIJ), dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, dit :

[…]de manière plus générale, la Cour estime que la protection offerte par les conventions régissant les droits de l'homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce n'est par l'effet de clauses dérogatoires du type de celle figurant a l'article 4 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans les rapports entre droit international humanitaire et droits de l'homme, trois situations peuvent dès lors se présenter: certains droits peuvent relever exclusivement du droit international humanitaire; d'autres peuvent relever exclusivement des droits de l'homme; d'autres enfin peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit international. […]131 Les règles du DIH ne sont pas applicables dans le cas du Zimbabwe, ce sont les règles en matière de droits humains qui s’appliquent en tout temps. Ainsi, toutes les actions des forces de sécurité ainsi que des milices pro-Zanu-PF et de vétérans de guerre agissant de concert avec l’État sont soumises juridiquement aux droits humains en tout temps, pour tout type d’action. Cette qualification juridique de la situation au Zimbabwe est également importante à garder en tête à la lumière de la rhétorique de certains partisans du régime Mugabe. En effet, l’utilisation politique du concept de « guerre » entre les « traîtres impérialistes » et les autres dans la rhétorique partisane, abordée à la section 2.3, doit être nuancée en gardant à l’esprit la véritable qualification juridique de la crise zimbabwéenne.

129 Cour internationale de Justice, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur en territoire palestinien occupé, Avis consultatif du 9 juillet 2004, par. 106. 130 Ibid., par. 106-108. 131 Ibid., par. 106.

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2.2.2 Catégorisation en science politique de la situation au Zimbabwe

Bien que la situation de crise violente dans laquelle est plongé le Zimbabwe ne rencontre pas les critères juridiques pour être qualifiée, en vertu du droit international, de conflit armé, la situation politique de ce pays est fortement marquée par une forme de violence au quotidien orchestrée par l’État. Afin de catégoriser la situation qui prévaut dans le pays de Robert Mugabe, la littérature en science politique est éclairante. Dans un article132 publié en 1991, Jean-François Médard propose une typologie de trois principaux types d’autoritarismes sur le continent africain, typologie qui a été par la suite reprise par plusieurs auteurs133. Bien que la littérature scientifique ait évoluée depuis les années 1990 et que les typologies des régimes ainsi que les catégorisations des autoritarismes ne soient pas figés dans le temps, la typologie proposée par Médard reflète bien le type de régime en présence au Zimbabwe pour la période d’institutionnalisation de la violence politique culminant avec les violences à grande échelle de 2008, couverte par le présent mémoire.

Ainsi, dans « Autoritarismes et démocratie en Afrique noire », Jean-François Médard énonce les trois catégories suivantes dans sa typologie des régimes aux pratiques autoritaires en Afrique : les autoritarismes « modérés », les autoritarismes « durs » et les sultanismes 134 . Le Zimbabwe de Robert Mugabe se classe dans la catégorie des autoritarismes durs. Cela sera explicité et détaillé un peu loin. En premier lieu, il est important de comprendre la signification de chacune de ces catégories et les critères sur lesquels se fonde cette typologie. Il faut également mentionner que l’appréciation des catégories est une question de degré : les frontières entre chacune sont donc assez floues et l’on peut facilement passer de l’une à l’autre135. Cette appréciation doit aussi se faire en replaçant chaque cas dans son contexte.

132 Jean-François MÉDARD, « Autoritarismes et démocratie en Afrique noire », Politique africaine, 43, 1991, pp. 92-104. 133 Notamment, aux fins du présent mémoire, dans Daniel BOURMAUD, « Aux sources de l’autoritarisme en Afrique : des idéologies et des hommes », Revue internationale de politique comparée, 13(4), 2006, pp. 625- 641. 134 Jean-François MÉDARD, Op. cit., p. 97. 135 Ibid.

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Médard emprunte le terme « sultanismes » à Max Weber136. Il y désigne les régimes, très peu nombreux, qui constituent en quelque sorte le « stéréotype de la dictature autoritaire africaine », tant ils donnent dans l’excès et la démesure137. Ce sont des régimes qui ne reposent que sur l’arbitraire et le patrimonialisme. Ce sont des régimes hautement personnels où la personnalité du dirigeant est absolument centrale : ce sont généralement ceux qui ont attiré le plus l’attention sur la scène internationale en raison de leur côté sanglant138. Jean-François Médard illustre son propos par l’exemple du règne d’Idi Amin Dada en Ouganda dans les années 1970 − qui s’est notamment attribué toute une série de titres farfelus – ainsi que ceux de Bokassa en République Centrafricaine et de Macias Nguema en Guinée équatoriale 139 . Tel que le souligne Médard, les sultanismes se démarquent par un certain style de pouvoir modelé autour la personne qui est à la tête du régime. Cette « variable individuelle » pèse généralement assez lourd dans le degré de violence politique du pouvoir, puisque centrée sur la personnalité du dirigeant140.

On distingue des sultanismes les autoritarismes durs. Dans la typologie proposée par Médard, les autoritarismes durs caractérisent les régimes qui reposent sur la peur du recours à la violence par l’État, mais pas nécessairement sur la terreur comme dans la catégorie précédente141. Dans ce type de régime, la gestion de la violence y est plutôt rationnelle même si le recours à la violence politique parfois excessive par l’État ne pose aucun problème aux dirigeants142. Tel que le précise Jean-François Médard, ce sont des États où le recours à la violence

[…] est instrumental plus qu’expressif et vise des cibles déterminées plutôt que l’ensemble de la population ou des secteurs de la population. Ce sont des États qui n’hésitent pas à torturer, à arrêter les gens de façon arbitraire, à les enfermer indéfiniment en prison ou dans des camps de concentration, sans même les juger; ils n’ont aucun scrupule à liquider les suspects. Tous ces abus font partie des règles du jeu, les gens le savent et s’ils en tiennent compte, ils s’en sortent à peu près indemnes sauf bavures assez fréquentes. Ce sont de véritables régimes

136 Ibid. 137 Ibid., pp. 97-98. 138 Ibid. 139 Ibid., p. 98. 140 Ibid. 141 Ibid., p. 99. 142 Ibid.

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policiers dans lesquels les services de sécurité et de répression sont les administrations qui fonctionnent le mieux143.

Sans être parfaite, cette catégorie de la typologie de Médard correspond le mieux à la situation qui prévaut au Zimbabwe sous Robert Mugabe pendant la période visée par le présent mémoire. Le recours à la violence y est un instrument du pouvoir à des fins politiques et partisanes tout en demeurant « rationnel », c’est-à-dire que l’État utilise la violence contre des groupes ciblés : ses opposants politiques, qu’ils soient réels ou perçus. Tel qu’en font état toute une série de rapports 144 documentant un grand nombre de violations des droits humains par le régime Mugabe − dont la torture, le meurtre et les arrestations arbitraires d’opposants politiques – ces violations massives sont la matérialisation d’un mode de gouvernement. Néanmoins, tel que l’indique la typologie de Jean-François Médard, un certain niveau d’institutionnalisation existe au Zimbabwe. Malgré d’importantes dérives de l’appareil répressif145, le régime Mugabe ne repose pas que sur l’arbitraire, même si c’est une composante importante de son assise politique146. Cet aspect de l’institutionnalisation est une distinction importante dans la typologie des régimes autoritaires utilisée ici et l’un des éléments clés de la distinction entre les sultanismes et les autoritarismes durs147. Pour cette raison, l’on ne pourrait catégoriser le régime zimbabwéen de Robert Mugabe des années 2000 et 2010 aux côtés de celui d’Idi Amin des années 1970 en Ouganda.

Enfin, la troisième catégorie proposée par Médard dans sa typologie des autoritarismes en Afrique sub-saharienne est celle des autoritarismes dits modérés. Cette catégorie représente un grand nombre de cas sur le continent africain dans les décennies suivant les indépendances148. La limite entre les autoritarismes modérés et les autoritarismes durs est impossible à tracer précisément, tant la fluctuation de la violence politique peut faire

143 Ibid. 144 Voir notamment Human Rights Watch, « They Beat Me Like a Dog » – Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, 1-56432-370-6, août 2008 et Crisis Without Limits – Human Rights and Humanitarian Consequence of Political Repression in Zimbabwe, 1-56432-429-X, janvier 2009. 145 Voir Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » – Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, 1-56432- 404-4, novembre 2008. 146 Lorie CONWAY (production et réalisation) et Hopewell CHIN’ONO (production) (2013) Beatrice Mtetwa and the Rule of Law [documentaire] États-Unis: Boston Films and Video Productions. 147 Jean-François MÉDARD, Op. cit., p. 99. 148 Ibid., p. 100.

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basculer un même régime d’une catégorie à l’autre149. La distinction entre les deux est une encore une fois une question d’appréciation en fonction du contexte150. En somme, les régimes autoritaires « modérés » au sens de Médard ont recours à la violence de manière variable tout en laissant une place significativement plus importante à la société civile151. C’est probablement la catégorie où les régimes politiques africains se qualifiant d’autoritaires modérés constituent le bloc le moins monolithique – ils ont toutefois en commun un degré de violence et de contrôle de la société civile moins élevé que ceux se qualifiant d’autoritarismes durs, comme le Zimbabwe de Mugabe depuis environ deux décennies152. Parmi les exemples que donne Jean-François Médard pour cette catégorie on y trouve la Côte d’Ivoire sous Houphouët-Boigny ou même le Kenya de Jomo Kenyatta153.

Dans un article de 2006 intitulé « Aux sources de l’autoritarisme en Afrique : des idéologies et des hommes », Daniel Bourmaud reprend la typologie des autoritarismes en Afrique de Médard tout en approfondissant certains facteurs propres aux régimes en question qui seraient explicatifs de leurs pratiques autoritaires 154 . Certains éléments soulevés par Bourmaud permettent, avec la typologie proposée par Médard, de mieux saisir la nature du régime zimbabwéen. La contribution de Bourmaud est particulièrement pertinente relativement à deux aspects : le poids du facteur personnel du dirigeant dans la direction que prend le régime autoritaire et le rôle des facteurs structurels historiquement construits 155 . En premier lieu, Daniel Bourmaud affirme qu’il y a un certain aspect « inexpliqué » par la science politique dans les variantes entre les divers types d’autoritarismes et entre les cas de régimes autoritaires d’une même catégorie qui ne peut être totalement bien compris que par le facteur personnel lié au dirigeant156. Il faut faire la distinction ici entre la caractéristique hautement « personnalisée » des régimes autoritaires considérés comme des sultanismes, où le régime personnifie son leader, mentionné plus haut, et cet apport de Bourmaud. En effet, Bourmaud amène le facteur personnel non pas en tant que caractéristique indissociable du régime – comme lorsque Bokassa s’est lui-même

149 Ibid. 150 Ibid. 151 Ibid. 152 Ibid., pp. 100-101. 153 Ibid. 154 Daniel BOURMAUD, Op. cit., pp. 625, 636-637. 155 Ibid., pp. 636-638. 156 Ibid., pp. 637-638.

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sacré empereur ou qu’Idi Amin s’est autoproclamé président à vie157 − mais plutôt en tant qu’élément influant sur la stratégie des acteurs politiques de recourir à la violence à divers degré158. Daniel Bourmaud illustre par ailleurs son point en prenant Robert Mugabe en exemple :

Si l’on extrait du champ politique zimbabwéen la variable « Mugabe », tous les autres éléments militaient en faveur d’une transition pacifique et réussie à la démocratie au point que le pays pourrait aujourd’hui faire figure de modèle. […] Remplaçons Robert Mugabe par Nelson Mandela. Chacun peut écrire la suite […]159. L’intérêt de cet aspect soulevé par Bourmaud dans la catégorisation de la situation au Zimbabwe est de fournir une explication supplémentaire à la typologie de Jean-François Médard qui fait écho au contexte zimbabwéen, présenté plus haut. Les éléments dégagés par Bourmaud permettent également une meilleure compréhension de l’autoritarisme dur du régime zimbabwéen en jetant un regard sur la « variable Robert Mugabe », mais également sur le rôle des facteurs historiquement construits. Effectivement, dans son article de 2006, Bourmaud soulève le rôle de certaines contraintes structurelles économiques, sociales ou culturelles reprises puis instrumentalisées par le pouvoir dans l’explication des stratégies des acteurs politiques dans un contexte de régime autoritaire160. Un parallèle peut être fait ici avec la mise en contexte de la crise zimbabwéenne présentée plus haut. Au Zimbabwe, cela peut notamment être observé dans la rhétorique de la Zanu-PF − dès 2000 et pendant la crise électorale de 2008 − avec la diabolisation des États occidentaux et des institutions financières internationales, blâmés pour les déboires économiques du pays. Reflétant assez fidèlement la réalité politique zimbabwéenne, Daniel Bourmaud affirme par ailleurs que de ces « variables structurelles historiquement construites » découlaient une idéologie consensuelle du pouvoir, constitutive des pratiques autoritaires du régime161. Dans le cas du Zimbabwe de Mugabe, cette idéologie consensuelle est celle de la révolution de 1980, anti-impérialiste et « tiers-mondiste », abordée davantage en détails à la section suivante.

157 Ibid., pp. 635-636. 158 Ibid., p. 637. 159 Ibid., p. 640. 160 Ibid., p. 637. 161 Ibid.

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2.3 Les interprétations concurrentes de la crise zimbabwéenne de Freeman

La catégorisation de la situation au Zimbabwe en science politique étant maintenant posé, il est désormais opportun de jeter un regard sur un texte pertinent quant aux socles idéologiques guidant les perceptions de la crise zimbabwéenne, l’article « A Parallel Universe – Competing Interpretations of Zimbabwe’s Crisis » (2014) de la politologue Linda Freeman de l’Université Carleton. En effet, il est possible de tirer deux interprétations idéologiques concurrentes de la crise que traverse le Zimbabwe et qui a généré, notamment en 2008, une flambée de violence politiquement motivée. Ces interprétations jettent un regard intéressant sur l’évolution de la crise et la place prépondérante du recours aux violations massives du droit international des droits humains. La prochaine section présente les deux approches interprétatives de la crise qui serviront de référence tout au long de ce mémoire.

Plus spécifiquement, la place qu’occupent les droits humains dans les revendications politiques en fonction des deux approches sera abordée : comment le discours sur le respect des droits humains est-il perçu en fonction de la polarisation? Comment le bagage idéologique de chacune de ces approches présente et perçoit la place des droits humains au Zimbabwe et leur rôle dans la crise? Les clivages politiques au Zimbabwe se déclinent en fonction des deux interprétations que distingue par Freeman. Ainsi, leur étude permet de comprendre l’aspect de la légitimation de la mobilisation de la violence à des fins politiques, ce qui contribue au paradoxe du maintien en place du régime en dépit des violations à grande échelle des droits humains. De plus, la présente section détaillera en profondeur « l’idéologie consensuelle » dont Bourmaud fait mention et qui est promue par le régime Mugabe, formant le socle idéologique de ses pratiques autoritaires.

2.3.1 La première interprétation – la « poursuite du projet révolutionnaire » − et l’idéologie du régime Mugabe

La première approche que formule Linda Freeman met de l’avant la continuité du passé de libération nationale du Zimbabwe dans le présent. Autrement dit, cette approche préconise la poursuite du projet révolutionnaire des années pré-indépendance. Selon cette

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interprétation, la crise actuelle est le produit de la plus récente bataille du mouvement pour la libération nationale et l’indigénisation du pays162, qui doit être poursuivie en raison du refus des anciens intérêts coloniaux (citoyens blancs, États occidentaux, FMI, capitaux européens, etc.) de laisser le peuple zimbabwéen compléter la prise en main de sa pleine souveraineté163. Ainsi, en continuité avec le passé, la bataille doit être poursuivie au nom des idéaux révolutionnaires ayant mené le pays à son indépendance en 1980. Cette interprétation s’inscrit dans le contexte plus large de la lutte « du Sud » contre la domination des pays industrialisés occidentaux, ou « du Nord » : plus particulièrement, la lutte du continent africain contre l’ingérence des grandes puissances dans leurs affaires internes, démonstration des attitudes impérialistes ou néocoloniales de ces derniers 164 . L’idéologie qui est défendue par Robert Mugabe, la Zanu-PF et leurs pairs idéologiques rejoint cette interprétation de la crise zimbabwéenne, qui positionnent leurs propres actions − particulièrement les programmes de redistribution des terres et d’indigénisation − au cœur de cette vision. Ce n’est donc pas au hasard si la campagne de réappropriation des terres et la montée du discours nationaliste dès 2000 a été surnommée « troisième Chimurenga » 165 , en référence aux deux précédentes Chimurenga, les confrontations armées nationalistes (ou « guérillas de libération nationale »)166. Si la première fut une défaite contre les troupes coloniales britanniques en 1896-1897 et la deuxième contre le régime rhodésien entre 1966 et 1979 mena à l’indépendance du pays, la troisième Chimurenga, elle, consiste essentiellement à compléter tardivement la deuxième de façon accélérée, notamment en « réglant » la question foncière et en adoptant les politiques d’indigénisation167.

En conséquence, cette interprétation idéologique met l’accent de manière prépondérante sur des facteurs externes au Zimbabwe pour expliquer la crise que traverse le pays168. Selon cette interprétation, la situation du pays est le résultat des promesses rompues des Britanniques de financer une redistribution adéquate des terres afin de réduire les

162 Linda FREEMAN, Op. cit., pp. 349-350. 163 Ibid. 164 Ibid., p. 350. 165 « Rébellion » en langue Shona. 166 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 191-207. 167 Oliver NYAMBI, « ‘The Lion has Learnt to Speak?’ The Novel A Fine Madness and Third Chimurenga Counter-Discourse in Contemporary Zimbabwe », Journal of Black Studies, 47(3), 2016, p. 218. 168 Linda FREEMAN, Op. cit., pp. 349, 351.

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importantes inégalités raciales169 et des sanctions imposées par ces derniers et leurs alliés suite à la réforme accélérée entreprise de manière unilatérale par Mugabe en 2000170. Ainsi, selon cet angle d’analyse, Mugabe est puni par les grandes puissances pour avoir osé les défier et être « sorti du rang » de l’ordre mondial dicté par les Occidentaux171, en reniant les réformes des institutions financières internationales comme le FMI et en accélérant sa réforme agraire contraire à leurs intérêts, liés à ceux des fermiers commerciaux blancs172. L’attitude des grandes puissances – l’Union européenne (UE), les États-Unis, le Royaume- Uni et leurs alliés du Commonwealth, que Mugabe qualifie de white racist club173 – est donc la manifestation de leur impérialisme, voire de leur racisme envers le gouvernement de la Zanu-PF qui a libéré le pays de la domination coloniale174. Partant, les sanctions imposées par l’UE, les États-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie sont perçues comme illégales, illégitimes et visant un changement de régime au Zimbabwe175 par étouffement économique176.

En raison de son programme politique « plus libéral », la montée du MDC en tant qu’alternative à la Zanu-PF y est par ailleurs présentée comme le retour de forces politiques portées par le statu quo inégalitaire (donc contre la poursuite de la pleine souveraineté des Zimbabwéens) protégeant les intérêts impérialistes177. Le MDC serait par ailleurs financé par les puissances étrangères et activement soutenu par le « vieux réseau rhodésien » établi de par le monde, dans le but évidemment de chasser Mugabe et la Zanu-PF du pouvoir178. Ce parti est donc, aux yeux de cette approche, illégitime. Étant destiné à renverser les progrès de la libération et n’étant pas véritablement africain, puisqu’agissant en tant que

169 Ibid., pp. 350-351. 170 Ibid. 171 Ibid. 172 Ibid. 173 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 386. 174 Ibid., pp. 393-394. 175 Le Président Mugabe le répète d’ailleurs sur toutes les tribunes depuis le milieu des années 2000, nationales et internationales. Ce fut par ailleurs le cœur de son message à la 71ème Assemblée générale des Nations Unies à New York en septembre 2016. 176 Linda FREEMAN, Op. cit., p. 351. 177 Ibid., pp. 350-352. 178 Ibid.; Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 395.

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proxy des puissances impérialistes179 en vue de l’établissement d’un gouvernement plus « docile », le MDC devient alors l’ennemi de cette lutte à terminer.

2.3.2 La seconde interprétation − la réaction autoritaire du régime

La seconde interprétation de la crise au Zimbabwe que propose Freeman est l’antithèse de la première. Elle met plutôt de l’avant la réaction violente d’un régime autoritaire s’accrochant au pouvoir face à la contestation pour expliquer la crise zimbabwéenne. L’idée centrale de cette approche est que la crise actuelle n’est pas tellement due à la complétion de la dernière phase de la libération du Zimbabwe contre des forces externes aux intentions déstabilisatrices. Plutôt, elle serait due à la réaction violente de la Zanu-PF qui veut à tout prix se maintenir au pouvoir face à la plus sérieuse menace à laquelle ce dernier ait fait face pour sa survie politique, soit la compétitivité du MDC180. Selon cette perspective, ce sont les dérives autoritaires de l’État qui ont provoqué la crise qui afflige la jeune république africaine, de l’effondrement économique à la précarité des droits humains181.

À l’inverse de la première, cette seconde interprétation met donc l’accent sur des dynamiques internes au Zimbabwe – plutôt qu’externes – pour expliquer la crise et la violence. Tel que le rapporte Linda Freeman, la plupart des tenants de cette approche affirment que les dirigeants de la Zanu-PF, dont Mugabe et sa garde rapprochée, préfèrent assister à la destruction de leur pays (voire le détruire eux-mêmes) que d’accepter une prise du pouvoir par le MDC182. Ainsi, la mobilisation de la violence par le pouvoir et au service du pouvoir a lieu dans ce contexte 183 . En conséquence, tout le discours du président Mugabe au sujet des ingérences étrangères et britanniques en particulier n’est qu’une rhétorique servant à consolider sa base de sympathie à l’interne, tel qu’évoqué précédemment, mais également à l’externe. En effet, Robert Mugabe a depuis le début de la crise habilement centré sa rhétorique et son projet politique au cœur du discours

179 Linda FREEMAN, Ibid. 180 Ibid., p. 353. 181 Ibid. 182 Ibid. 183 Ibid.

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anticolonial, érigeant une « barrière de solidarité anti-impérialiste » 184 autour de son régime et de sa personne. Cette stratégie s’est révélée particulièrement efficace auprès des opinions publiques et des élites africaines185. Ce fut aussi le cas auprès de nombreux gouvernements de la région, en particulier avec le puissant voisin sud-africain186.

Tel que le conclue Linda Freeman, néanmoins, une bonne partie des arguments sur lesquels s’appuient les tenants de la première approche − à savoir que la crise est essentiellement le produit de machinations externes − est contraire à la réalité historique et factuelle. En effet, si la conjoncture économique a pu être impactée négativement par les institutions internationales et leurs réformes tel que l’affirment (à raison) les tenants de la première approche, la rhétorique omniprésente de Mugabe sur la responsabilité que portent les Britanniques et les sanctions occidentales sur la déstabilisation du pays est, tout au plus, grossièrement exagérée187. C’est le constat que pose Freeman dans son article de 2014, après avoir formulé les deux interprétations de la crise zimbabwéenne présentées ci-haut. C’est également cette interprétation qui servira d’approche à la crise au cours de ce mémoire de maîtrise et sur laquelle la présente recherche reposera dans le but d’aborder les violations des droits humains et leur mobilisation à des fins politiques par le régime zimbabwéen entre 2008 et 2013.

2.3.3 Les droits humains et le paradoxe de la légitimation du régime

Les droits humains et le discours sur le respect des droits humains occupent une place importante dans les revendications politiques au Zimbabwe. Plus particulièrement, l’importance du respect des droits humains protégés par le droit international, surtout les droits civils et politiques, fait l’objet de divergences fondamentales en fonction de la polarisation idéologique entre le régime et ses opposants. Si Mugabe et ses partisans affirment que les droits civils et politiques sont un concept non-africain que brandissent les impérialistes pour s’ingérer dans les affaires internes du Zimbabwe et l’isoler sur la scène

184 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 386; Linda FREEMAN, Ibid., p. 354. 185 Ibid., pp. 354-355. 186 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Ibid., pp. 393, 395. 187 Linda FREEMAN, Op. cit., pp. 349-350; 356-357.

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internationale188, les opposants au régime, eux, invoquent les violations de ces droits et le respect des droits fondamentaux dans leurs critiques du gouvernement de la Zanu-PF189.

a) Les droits civils et politiques et le régime Mugabe

Selon les tenants de la première approche proposée par Linda Freeman (en particulier les dirigeants de la Zanu-PF), la préoccupation pour les droits humains − surtout les droits civils et politiques – au Zimbabwe n’est qu’une diversion pour prétexter un changement de régime 190 et se débarrasser d’un gouvernement « gênant » du point de vue de l’ordre mondial dicté par les grandes puissances191. Les droits civils et politiques protégés par les instruments juridiques internationaux ne sont, selon cette approche, qu’un instrument de domination « du Nord » sur les peuples « du Sud ». Ils reflètent par ailleurs une vision culturelle étrangère et sont invoqués de manière très sélective192. L’accent est donc placé sur le fait que ceux, sur la scène internationale, qui reprochent au régime zimbabwéen son recours aux violations des droits civils et politiques (et aux droits humains en général) sont d’abord les Zimbabwéens blancs et les Occidentaux. Les Africains exprimant la même préoccupation sont alors immédiatement catégorisés de sell outs, ou de « vendus aux impérialistes »193, puisque les alliés régionaux du gouvernement zimbabwéen, les « vrais » révolutionnaires et les vrais anti-impérialistes, tels que l’Afrique du Sud ou la Namibie, par exemple, tiennent un discours opposé194.

L’idée que les blancs et les États occidentaux sont, selon ce point de vue, des donneurs de leçons aux doubles standards en matière de respect des droits humains est omniprésente. En septembre 2009, Didymus Mutasa, ministre Zanu-PF proche de Mugabe, fait écho à cet argument dans un reportage de la chaîne CNN. Il y déclare au sujet des préoccupations en matière de droits humains exprimées par certains États suite à des expropriations forcées de fermiers blancs et de violences envers leurs travailleurs agricoles:

188 Ibid., p. 352; Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 395. 189 Ibid., pp. 385, 392. 190 Linda FREEMAN, Op. cit., p. 352. 191 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 399. 192 Ibid.; Linda FREEMAN, Ibid. 193 Ibid. 194 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Ibid., pp. 389-392.

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Human rights are beginning to be seen now because they benefit the whites, and when they were affecting blacks badly as they did the likes of us, it didn't matter and nobody raised anything about those human rights […] and sometimes we say, good heavens, if that is the kind of human rights you are talking about, you better keep them away from us; we don't want to see them [in Zimbabwe]195

Dans le même ordre d’idées, l’année suivante, le ministre de la justice de Robert Mugabe avait déclaré, exactement sur le même sujet, qu’il trouvait très malhonnête que les droits humains soient invoqués maintenant, alors que personne n’a reproché aux Britanniques de s’être accaparés des terres de force pendant la période coloniale 196 . Dans ce contexte idéologique où les droits civils et politiques sont perçus de la sorte, la situation géopolitique des années 2000 a fournit des munitions à Mugabe et ses alliés pour alimenter et légitimer cette rhétorique. L’invasion de l’Irak en 2003 par les États-Unis et le Royaume-Uni et les scandales liés au comportement de leurs troupes tels qu’à Abu Ghraib ou Guantanamo ont été abondamment utilisés pour accréditer les arguments de Mugabe quant à l’impérialisme et les double-standards « des blancs » en matière de droits humains197.

Le Premier ministre britannique Tony Blair étant blâmé depuis la fin de la décennie 1990 pour une grande partie des maux du Zimbabwe par Mugabe, sa décision de participer à l’intervention en Irak aux côtés des États-Unis de George W. Bush a renforcé la thèse comme quoi Blair avait des velléités néocoloniales de changement de régime198. Il faut dire que ce « nouvel ordre mondial » post- 11 septembre 2001 (selon les paroles-mêmes de Blair et Bush) a permis à ceux qui s’y opposaient d’obtenir une tribune encore plus large. Robert Mugabe a su, de façon très habile encore une fois, utiliser cette attention pour propager son message199. La presse d’État du Zimbabwe et divers médias africains ont renforcé cette idée en mettant de l’avant les critiques en matière de droits humains comme une ingérence étrangère visant la déstabilisation de Mugabe. En particulier, le quotidien zimbabwéen The Herald − contrôlé par le gouvernement − a servi de courroie de transmission à ce type de propos. Dans un éditorial d’avril 2002, le journal écrit :

195 « Desparation stalks Zimbabwe’s white farmers », Inside Africa – CNN, 22 septembre 2009 [en ligne] consulté le 28 septembre 2016, http://www.cnn.com/2009/WORLD/africa/09/22/zimbabwe.farmers/index.html?iref=nextin. 196 « Zimbabwe- State of Denial » (The Rageh Omaar Report) Al Jazeera, Op. cit. 197 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 387. 198 Ibid. 199 Ibid.

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In order to safeguard the interests of their kith and kin in the country, the British and Scandinavian countries rallied behind the formation of the opposition MDC. Their intention was to install a puppet government willing to bend to their colonial designs […] the British started showing their real colours by advocating sanctions against Zimbabwe for alleged human rights abuses. But realising the hideous intentions of the British, countries in the Southern African Development Community and the African Union supported Zimbabwe […] It is not surprising to note that Tanzania, Malawi, Namibia, , Nigeria and South Africa have all refused to succumb to bullying tactics by Britain because they are all aware of its hidden agenda to topple the present Zimbabwean government […]200

C’est notamment dans ce contexte que Robert Mugabe avait scandé sous les applaudissements son fameux « Blair, keep your England, let me keep my Zimbabwe […] »201 à la tribune du Sommet mondial sur le développement durable en 2002. Par ailleurs, le président Mugabe a même fait référence au droit international pour s’en prendre verbalement aux critiques faites par les Américains et les Britanniques :

[The world] needs to get use to the idea of double standards … that is, working with the law in the west and employing force, pre-emptive attack, deception, what ever is necessary for the rest … [the West] is no longer willing to subject its actions to international law, rationality or the force of morality […]202.

À toutes les occasions, Mugabe a abondamment eu recours à la tactique de retourner les attaques contre ses détracteur(s) (« Attack the Accuser tactic »)203, en particulier au sujet des droits humains et des sanctions internationales. C’est ce qu’il a fait en dénonçant l’hypocrisie des Occidentaux et leur sélectivité en matière de respect des droits humains (y compris les droits civils et politiques) en s’en prenant personnellement aux dirigeants occidentaux204. Tony Blair et George W. Bush ont été au centre de cette stratégie. La controverse entourant l’élection de Bush contre Al Gore en Floride en 2000 n’a pas manqué d’être soulignée alors que les États-Unis avaient imposé des sanctions et affirmé que

200 Ibid. 201 Ibid., p. 388; Vidéo − Associated Press (via YoutTube): https://www.youtube.com/watch?v=HbBbj3jtU9I. 202 Ibid. 203 Clemanciana MUKENGE et John MUTAMBWA, « Image Repair: Analysis of President Robert Gabriel Mugabe’s Rhetoric Following Sanctions on Zimbabwe », International Journal of Linguistics, 5(1), 2013, pp. 306-319. 204 Ibid.

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Mugabe était illégitime suite à sa réélection jugée frauduleuse, tel que le rapporte le Cape Times205 en 2003 : Is it not ironical that Mr. Bush who was not really elected should deny my legitimacy, the legitimacy of President Mugabe, established by many observer groups from Africa and the Third World? […] Who, in these circumstances, should the world impose sanctions on? Robert Mugabe or George Bush?206

À la même époque, le Secrétaire d’État américain, Colin Powell, un Afro-Américain, fut le principal porte-parole des critiques occidentales en matière de droits humains. Il est probablement l’un des occidentaux dont les remarques ont le plus irrité les alliés de Mugabe. C’est au moment où ce dernier était en fonction que les États-Unis ont adopté la série de sanctions la plus sévère − tous pays confondus − contre le Zimbabwe et mené des interventions militaires en Irak et en Afghanistan207. Notamment, c’est Powell qui s’est présenté devant le Conseil de Sécurité pour tenter de rallier la communauté internationale à l’intervention de 2003, ce qui n’a pas manqué d’être souligné, en plus de la couleur de sa peau, pour l’accuser d’être un « vendu » à la solde des impérialistes et un traître, pour s’être aligné sur l’administration Bush contre un régime servant « la cause noire ». Jonathan Moyo, ministre de l’information de Robert Mugabe dans les années 2000, a déclaré à son sujet :

[Colin Powell is a] self-effacing servant of his white masters […] a crude international outlaw […] a disgraceful Uncle Tom who always sang his masters’ voice to the detriment of social justice and the rights of people of colour. [The] use of lies and deception by Powell and Bush has not worked in Iraq where he wanted to mix it with oil. Nobody in Zanu-PF will ever join Powell and his kind in selling out208.

Plus les critiques internationales dénonçaient la détérioration du respect des droits civils et politiques au Zimbabwe − en particulier la prohibition de la torture et le droit aux garanties judiciaires protégés par le Pacte international sur les droits civils et politiques209 − plus les

205 Cité dans Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 388. 206 Ibid. 207 Linda FREEMAN, Op. cit., pp. 356-357. 208 Extraits du Natal Mercury et The Herald reprenant les propos d’un discours de Jonathan Moyo en juin 2003, cité dans Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., pp. 388-389. 209 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 23 mars 1976).

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droits humains étaient qualifiés d’instruments néocoloniaux. En effet, cette perspective trouvait de plus en plus écho dans la presse écrite (souvent contrôlée par le régime) :

The country’s political landscape has been put into disarray following the creation of British-sponsored MDC and a host of NGOs that have sought to cause mayhem and instability in the country by staging foolish demonstrations and media campaigns designed to precipitate instability and undermine the Zimbabwean government [International concern about human rights, democracy, press freedom and independence of the judiciary are] a smokescreen to maintain the colonial grip [of Britain] on Zimbabwe. [The West is seeking] regime change in Zimbabwe … through acts of economic sabotage… under cover of instruments of democracy, human rights, rule of law […]210

Enfin, la catégorisation des droits humains, surtout des droits civils et politiques, comme des créations occidentales (ce qui demeure, pour ce qui est de leur formalisation dans les traités de droit international, historiquement vrai) qui ne pourraient pas être appliqués de la même façon en Afrique met en évidence une partie de l’idéologie du régime. Surtout, ce type de rhétorique permet l’observation de la place accordée aux droits humains dans le discours politique. Les tenants de la première approche formulée par Freeman – le régime de la Zanu-PF, ses alliés et partisans – rejettent ainsi du revers de la main les droits civils et politiques en les qualifiant d’occidentalo-centrés et d’élitistes dirigés en faveur des intérêts blancs211.

Par-dessus tout, cette interprétation idéologique avance l’argument qu’en rien le respect des droits civils et politiques ne fait progresser les besoins urgents de redistribution économique, de lutte contre les inégalités raciales et de prise en main de la pleine souveraineté du peuple zimbabwéen212. Cet argument n’est pas sans rappeler le schisme idéologique ayant mené à l’adoption de deux instruments juridiques internationaux distincts en matière de droits humains213 en 1966. Ainsi, le discours du régime Mugabe et de ses alliés politiques placent la lutte pour la pleine souveraineté du Zimbabwe sur ses ressources (essentiellement la terre), l’indigénisation et la lutte anti-impérialiste au cœur des

210 Extraits de la presse écrite The Herald et Mail & Gardian de 2003 dans Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op cit., p. 394. 211 Ibid., p. 399. 212 Ibid., Linda FREEMAN, Op. cit., p. 360. 213 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 3 janvier 1976).

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revendications politiques, loin devant d’autres considérations comme les droits civils et politiques, vue comme une préoccupation bien secondaire, voire marginale214.

b) Droits humains au Zimbabwe : l’épreuve de la réalité

La première approche, dont Mugabe par son discours et sa rhétorique se fait le porte-parole, avance des éléments factuels crédibles quant aux besoins de redistribution et d’égalité dans l’accès aux ressources, comme la terre. Toutefois, le virage vers une politique axée sur les divisions raciales et les accusations de néocolonialisme semble beaucoup plus dû à des motifs partisans contemporains qu’à une véritable volonté de redressement des torts historiques215. Les références au tiers-mondisme et au panafricanisme ont toutefois toujours teinté le discours de Mugabe et son parti. Ils sont, après tout, ceux qui ont mené le combat de la décolonisation et obtenu l’indépendance du pays en 1980. Néanmoins, la bienveillante sympathie dont bénéficie Mugabe auprès de certains de ses pairs africains doit être attribuée à sa capacité à faire vibrer une corde sensible sur le continent entier. Cette corde sensible a par ailleurs été soigneusement entretenue par le président zimbabwéen dans un monde où la conjoncture politique et la réalité historique lui ont été jusqu’ici assez favorables. La rhétorique sur les sanctions et le double-standard occidental en matière de droits humains dans le contexte post-11 septembre ont toutefois été grandement exagérées par rapport aux faits et aux données observables, tel que mentionné plus haut216.

Les revendications politiques posées en termes de néocolonialisme et d’enjeux raciaux par les partisans du régime ont contribué à détourner l’attention des pratiques répressives et autoritaires du régime 217 . L’émergence rapide d’une opposition sérieuse, crédible et organisée à la Zanu-PF (le MDC) forçant le régime à répondre aux attaques lui étant faites concernant certaines de ses pratiques (de la répression d’opposants à la corruption généralisée) constituait une réelle menace à son monopole sur l’État 218 . Dès lors, le discours de Mugabe fait ainsi abondamment appel à la redistribution au nom de la lutte contre les inégalités chroniques, particulièrement en ce qui a trait au programme de

214 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Ibid., p. 399. 215 Linda FREEMAN, Op. cit., pp. 359-360. 216 Ibid., p. 360. 217 Ibid. 218 Ibid.

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redistribution des terres. Or, ce sont pourtant les vingt années de pouvoir sans interruption de Robert Mugabe qui précèdent la réforme agraire et la formation du MDC qui ont fortement modelés les structures du pouvoir au Zimbabwe pour les faire répondre quasi- exclusivement aux intérêts des dirigeants du parti et des chefs militaires219, alimentant une inégalité chronique entre les élites de la Zanu-PF et les autres. C’est donc de manière paradoxale que le régime minimise l’importance des droits civils et politiques au nom de la priorité accordée à la redistribution, à l’égalité économique et à la pleine souveraineté du peuple face à l’impérialisme occidental. Même si l’on considère les droits civils et politiques comme un concept impérialiste « bourgeois »220, leur non-respect n’a en aucun cas mené à la réalisation d’une société plus égalitaire ou à une redistribution économique plus équitable au Zimbabwe221. Bien au contraire, non seulement le régime a attribué une grande partie des meilleures terres agricoles saisies à ses proches en laissant la majorité des paysans sans véritable accès à la terre222, mais les violations de toute une série de droits civils et politiques tels le droit aux garanties judiciaires ou le droit à la vie ont contribué à l’aggravation de la situation sociale du pays avec les vagues de purges 223 visant les populations « pro-opposition »224.

La plupart des adversaires politiques du président Robert Mugabe et de la Zanu-PF, dont Morgan Tsvangirai et le Movement for Democratic Change, accordent une place importante au respect des droits humains – dont les droits civils et politiques – dans leurs revendications politiques225. À ce titre d’ailleurs, le MDC et la société civile zimbabwéenne tiennent, en matière de respect des droits humains, un discours assez semblable à celui des États occidentaux, ce qui a contribué à l’étiquette de « laquais des Britanniques »226. Au- delà de la rhétorique et de l’idéologie par rapport aux droits humains, c’est pourtant le gouvernement dirigé par Robert Mugabe qui a adhéré au Pacte international relatif aux

219 Ibid. 220 Ibid. 221 Ibid. 222 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 219; Norma KRIEGER, Sylvie CAUSSE-FOWLER et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 99; Linda FREEMAN, Op. cit., p. 362. 223 Notamment les violations commises dans le cadre des purges telles que l’Opération Murambatsvina, abordée à la section précédente, qui ont jeté à la rue plusieurs centaines de milliers de personnes. 224 Linda FREEMAN, Ibid., pp. 360-362. 225 « Zimbabwe- State of Denial » (The Rageh Omaar Report) Al Jazeera, Op. cit. 226 Thys HOEKMAN, « Testing ties: Opposition and power-sharing negotiations in Zimbabwe », Journal of Southern African Studies, 39(4), 2013, p. 919.

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droits civils et politiques (PIDCP) le 13 mai 1991 au nom du Zimbabwe227. De plus, le Zimbabwe a par ailleurs adhéré, sous Robert Mugabe, à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples228 protégeant des droits civils et politiques229 au même titre que d’autres instruments universels tels que le PIDCP, ce qui est contradictoire au discours voulant que ce soit des droits créés « par des blancs, pour les blancs ». Le droit national continue pourtant de protéger des concepts que Mugabe considère être « non-africains », tel que la règle de droit, par des textes juridiques adoptés après l’indépendance… donc pas uniquement un héritage colonial du droit rhodésien230.

Conséquemment, c’est plutôt la conjoncture politique favorable à l’opposition et la menace à la domination politique de la Zanu-PF qui a propulsé à l’avant-plan ce retour en force de l’idéologie de libération nationale. La réaction des Britanniques, des Américains et des Européens est par ailleurs venue accréditer la thèse de l’ingérence impérialiste contre le Zimbabwe de Mugabe auprès des opinions publiques africaines et du « tiers-monde »231. Il est par ailleurs opportun de souligner que les États occidentaux ont parfois été profondément maladroits, paternalistes et arrogants dans leur manière de formuler leurs critiques sur le bilan du Zimbabwe en matière de respect des droits humains. Les positions des États-Unis pendant la flambée de violences de 2008, notamment, et les rencontres de Morgan Tsvangirai avec des diplomates occidentaux à Harare ont par ailleurs accrédité la thèse de Mugabe sur la volonté des Occidentaux d’instituer un changement de régime232, ce qui en 2008 n’était pas sans fondement233.

227 Nations Unies, Collection des traités – Pacte international relatif aux droits civils et politiques, https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_fr. 228 Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, 27 juin 1981 (entrée en vigueur le 21 octobre 1986). 229 La charte protège notamment le droit à la vie (art. 4) et le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne (art. 6) en plus de prohiber la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 5). 230 Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, Op. cit., pp. 141-147. 231 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., pp. 386-387; Matin WELZ et Daniela KROMREY, « Legacies of the Past: The Influence of Former Freedom Fighters and their Rhetoric in Southern Africa », Politikon: South African Journal of Political Studies, 42(2), 2015, pp. 260-261. 232 Thys HOEKMAN, Op. cit., pp. 918-919. 233 Ibid. Il a été révélé que lors des négociations visant la mise en place d’un gouvernement de coalition en 2008-2009, les États-Unis effectuaient des pressions importantes pour que la transition pave la voie à un départ complet et rapide de Mugabe du pouvoir. Le gouvernement américain n’est toutefois pas le seul à avoir ouvertement souhaité le départ de Mugabe.

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En misant ainsi sur cette rhétorique et en mobilisant la solidarité des panafricanistes et tiers- mondistes, le régime de Mugabe s’est donné une « seconde jeunesse idéologique »234 qui lui a permis de mettre en branle une vaste campagne de légitimation sur les plans interne et externe235. Dans un effort soutenu pour s’accrocher au pouvoir, la Zanu-PF a abondamment misé sur sa rhétorique de libération nationale236. Les programmes électoraux de la Zanu-PF pour les scrutins de 2005, 2008 et 2013 mettent de l’avant la rhétorique révolutionnaire de manière beaucoup plus importante que lors des élections de 1990, 1995 ou même 2000237. Un ton beaucoup plus agressif et belliqueux y est retrouvé, inspiré largement des manifestes de la ZANU des années 1970 en pleine guérilla contre l’armée rhodésienne238. Les affiches de campagne de la Zanu-PF en 2008 arborent le message Our Land, Our Sovereignty en grosses lettres au-dessus d’une photo de Mugabe le poing en l’air et le paysage des Chutes Victoria en arrière-plan239. D’ailleurs, le slogan du parti pendant la campagne est Zimbabwe will never be a colony again240.

Dans le but de réaffirmer sa légitimité malgré plus de deux décennies au pouvoir et la persistance de violations à grande échelle de droits humains protégés par le droit international, le régime zimbabwéen a intelligemment su se positionner en champion de la cause africaine et tiers-mondiste, avec grand succès. Dans une entrevue sur CNN accordée fin 2009 à Christiane Amanpour, Robert Mugabe se targue d’être l’un des hommes politiques les plus aimé et respecté du continent africain 241. Cette affirmation, tout en devant être nuancée, n’est toutefois probablement pas sans fondement. Au-delà du discours et de l’importance accordée au respect des droits humains en fonction des idéologies, néanmoins, c’est essentiellement par le recours à la violence que le président Mugabe et son parti ont pu s’accrocher au pouvoir. Le scrutin de 2008 est emblématique de cette

234 Martin WELZ et Daniela KROMEREY, Op. cit., pp. 260, 263-266. 235 Ibid. 236 Ibid., pp. 266-267. 237 Ibid., pp. 262-263. 238 Ibid., p. 265. 239 « Zimbabwe : jouer à la ferme musicale », Le Téléjournal – Radio-Canada, 1er juin 2009 [en ligne], consulté le 5 septembre 2016, https://www.youtube.com/watch?v=KzhdJKhARSQ. 240 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 117. 241 « Exclusive Interview with Zimbabwean President Robert Mugabe », (Amanpour) CNN, 24 septembre 2009 [en ligne], consulté le 8 septembre 2016, http://www.cnn.com/videos/international/2013/02/22/exp- amanpour-mugabe-2009.cnn.

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violence politiquement motivée 242 , dont les violations à très grande échelle du droit international des droits humains ont été rapportées et dénoncées par les organismes de défense des droits humains 243 . En fonction du contexte idéologique posé et des interprétations proposées ci-haut, les deux prochains chapitres s’attarderont en détails aux acteurs politiques, aux facteurs explicatifs de la violence ainsi qu’aux actes de violence et leur qualification juridique dans le cadre de la crise politique de 2008 au Zimbabwe.

242 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 111-115, 118-120. 243 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » - State-Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, 1-56432-324-2, juin 2008.

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3. LA CAMPAGNE ÉLECTORALE ET LA CRISE POLITIQUE DE 2008 (CHAPITRE 2)

3.1 Portrait des élections de 2008

La mobilisation de la violence à des fins politiques par le régime du président Robert Mugabe (et du même coup, les violations des droits humains protégés par le droit international) au Zimbabwe a atteint un sommet en 2008244. Tel que mentionné au chapitre précédent, la période suivant les élections du 29 mars et précédant le second tour du scrutin présidentiel du 27 juin est tout à fait emblématique du recours à la violence en tant que pierre angulaire du monopole de la Zanu-PF sur le pouvoir, mais avec une intensité inédite. En conséquence, ce chapitre se penchera sur les élections de 2008 à la lumière du contexte et des éléments présentés dans les parties précédentes de ce mémoire.

La campagne et le scrutin de 2008 au Zimbabwe se déroulent sur fond de tensions importantes, encore plus graves que celles auxquelles les Zimbabwéens se sont habitués en contexte électoral depuis l’indépendance − même avant le début de la crise violente actuelle en 2000 245 . Vainqueurs contestés de l’élection présidentielle de 2002 et des élections législatives de 2000 et 2005246, Robert Mugabe et sa Zanu-PF avaient initialement accepté en 2007 de participer à une médiation de la Communauté de développement économique d’Afrique australe (ci-après, la SADC247) avec le MDC en prévision d’un accord entourant notamment les modalités du scrutin prévu pour 2008248. Paradoxalement, la médiation devait à l’origine aboutir sur une entente de principe en vue d’un éventuel partage de pouvoir entre le MDC et la Zanu-PF afin d’éviter les violences de 2000, 2002 et 2005 et les questions entourant la légitimité du scrutin249. En tout début d’année 2008, néanmoins,

244 Eldred V. MASUNUNGURE, « Zimbabwe’s militarized, electoral authoritarianism », Journal of International Affairs, 65(1), 2011, pp. 54-57. 245 John MAKUMBE et Daniel COMPAGNON, Behind the Smokescreen : The Politics of Zimbabwe’s 1995 General Elections, University of Zimbabwe Publications, Harare, 2000, pp. 32, 300-325. 246 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 167-244; Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, Op. cit., pp. 59-64. 247 Abréviation de Southern African Development Community, en anglais. 248 Susan BOOYSEN, « The presidential and parliamentary elections in Zimbabwe, March and June 2008 (Notes on recent elections) », Electoral Studies, 28(1), 2009, p. 150. 249 Ibid.

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Mugabe quitte abruptement les pourparlers à la SADC et annonce unilatéralement la tenue d’élections le 29 mars, confiant que le manque d’unité au sein de l’opposition profitera largement à la Zanu-PF et à sa propre candidature à la présidence250.

Le scrutin fixé à la fin mars est toutefois caractérisé par plusieurs particularités significatives qui le rend inédit en politique zimbabwéenne. Bien que Mugabe ait claqué la porte de la médiation de la SADC − et malgré le ton très belliqueux du régime envers le MDC et Morgan Tsvangirai depuis des années251 − des réformes électorales adoptées en 2007 dans le cadre d’un accord entre le MDC et la Zanu-PF furent tout de même mises en œuvre, tel que prévu252. Essentiellement, cette réforme bipartisane fait passer le mandat présidentiel de 6 à 5 ans et prévoit l’élection des députés au Parlement, du Sénat et de certaines autorités locales en même temps que la présidentielle, qui étaient jusque-là tous des scrutins distincts253. Autre nouveauté : tous les sièges au Parlement seront occupés par des élus (un certain nombre de députés étaient auparavant nommés directement par le président) alors qu’au Sénat la majorité des membres seront élus par la population. Le tiers des sénateurs seront, en revanche, nommés par l’exécutif alors qu’avant 2008, tous étaient élus254.

Ainsi, ces élections combinées, ou « harmonisées », prévues pour le 29 mars 2008 visent à élire l’ensemble des postes électifs du Zimbabwe. Les 210 députés siégeant au Parlement (House of Assembly, la Chambre basse) sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, chacun représentant une circonscription électorale selon exactement les mêmes principes que le régime parlementaire britannique255. Les Zimbabwéens doivent par ailleurs élire leurs représentants au Sénat, la Chambre haute de la législature. En 2008, le Sénat est composé de 93 sièges. Néanmoins, le scrutin du 29 mars vise à en élire 60 : chacune des dix provinces est représentée par six sénateurs, qui sont élus chacun dans une circonscription sénatoriale au scrutin uninominal majoritaire à un tour également256. Le président est quant

250 Ibid. 251 Voir notamment Martin MEREDITH, Op. cit., chapitres 11 à 16 ainsi que Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 111- 122. 252 Susan BOOYSEN, Op. cit., pp. 150-151. 253 Ibid., p. 150. 254 Ibid. 255 Ibid. 256 Ibid.

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à lui élu au suffrage universel direct. Néanmoins, en vertu de l’Electoral Act de 2005, si aucun candidat à l’élection présidentielle n’obtient la majorité absolue des voix, un second tour aura lieu dans les 21 jours257 après l’annonce des résultats officiels du premier tour258. Depuis la première élection présidentielle (en 1990, suite à l’instauration en 1987 d’un tel système au Zimbabwe) jamais Robert Mugabe n’avait remporté moins de 50% des voix259 : par exemple, les résultats officiels ont accordé près de 93% des voix à Robert Mugabe en 1996 260 . Enfin, plusieurs postes au niveau local − essentiellement la composition des conseils municipaux ou de district261 − étaient également à combler lors du scrutin262.

La campagne de 2008 et les élections du 29 mars se déroulent dans une atmosphère tendue. Les déboires économiques du Zimbabwe en 2008 atteignent un niveau de gravité jamais vu, dont les aspects les plus spectaculaires sont l’hyperinflation – le 2 millions de pourcents est atteint en juillet263 − et le chômage généralisé (entre 80% et 95%)264, qualifié de « quasi- universel » par Susan Booysen265. L’espérance de vie a reculé, la corruption est endémique et généralisée, le pays traverse de graves pénuries (biens de première nécessité, nourriture, médicaments) et de longues files d’attente se crées devant les quelques banques qui sont toujours ouvertes266. Dans un pareil contexte, le marché noir est devenu, pour bien des gens en milieu urbain, le seul moyen de survivre. Néanmoins, la conjoncture économique profite à une infime minorité souvent bien branchée dans les hautes sphères de la Zanu-PF267. En particulier, la revente de devises étrangères comme le rand sud-africain et le dollar américain en échange de dollars zimbabwéens bien au-dessus du taux de change officiel profite à ceux qui ont accès aux réserves d’argent du pays. En fait, la Banque centrale (Reserve Bank of Zimbabwe) elle-même est considérée au début de l’année 2008 comme

257 Article 129, Electoral Act [Chapter 2:13] (Act No 25 of 2004) ZWE-2004-L-85404 (Zimbabwe). Amendements apportés en 2007, 2008, 2012 et 2013. 258 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 151. 259 Ibid., p. 153. 260 John MAKUMBE et Daniel COMPAGNON, Op. cit., p. 292. 261 Chris KABWATO, « Picturing Zimbabwe’s 2008 Elections », Journal of African Media Studies, 1(2), 2009, p. 263. 262 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. Cit., p. 111. 263 Ibid., p. 114. 264 « Zimbabwe – Aggressive Election Run-off Feared » African Research Bulletin, 45(3), 2008, p. 17772. 265 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 152. 266 Ginny STEIN, « Zimbabwe – Fight for Survival », SBS Documentary − Dateline, [en ligne], diffusion originale le 26 mai 2008 (Australie). Consulté le 25 avril 2016. http://www.sbs.com.au/news/dateline/story/zimbabwe-fight-survival. 267 « Zimbabwe – Aggressive Election Run-off Feared », Op. cit., p. 17772.

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l’entité la plus active sur le marché noir, ce qui profite directement à ses dirigeants et en particulier à son directeur, Gideon Gono, un proche de Mugabe268.

3.1.1 Les candidats

Dans cette conjoncture, donc, les Zimbabwéens sont appelés à élire la personne qui occupera le poste de président pour le prochain mandat. Sans grande surprise (malgré des divergeances internes importantes dans le parti), la Zanu-PF est représentée par le président sortant Robert Mugabe, candidat à sa propre succession après 28 ans au pouvoir sans interruption, soit six mandats consécutifs269. Avec le slogan « Zimbabwe will never be a colony again! », le message de campagne de Mugabe et de la Zanu-PF est à peu près exactement le même qu’à tous les scrutins depuis 2000270 (voir le chapitre précédent) : seul un gouvernement Zanu-PF fort sous la présidence du « camarade » Robert Mugabe peut protéger le Zimbabwe de la menace de l’impérialisme271. La campagne Zanu-PF pour les élections du 29 mars se démarque par des discours enflammés et belliqueux. Essentiellement, la rhétorique « classique » du régime, accompagnée d’insultes et de menaces à peine voilées contre ses détracteurs constitue le message de la Zanu-PF272. Tel que mentionné précédemment, l’image de Mugabe le poing en l’air est omniprésente273. Néanmoins, considérant l’état dans lequel se trouve se le pays en 2008 – particulièrement en raison de l’économie qui s’est effondrée – il est difficile pour le parti au pouvoir de faire campagne sur son bilan. Les promesses électorales de la Zanu-PF se déclinent donc en deux éléments : « punir et faire taire à jamais les marionnettes qui avaient soutenu les sanctions internationales »274 et s’assurer que « le Zimbabwe ne serait plus jamais une colonie »275, qui en plus d’être le slogan est une des deux promesses principales du parti. La Zanu-PF n’avait toutefois pas perdu sa capacité à mobiliser ses partisans. Si la peur et la menace y

268 Ibid. 269 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 151. 270 Voir Section 2.3 du chapitre précédent ainsi que les articles d’Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit. et de Linda FREEMAN, Op. cit. 271 Chris KABWATO, Op. cit., pp. 264, 271. 272 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 117. 273 Ibid. 274 Ibid. 275 Ibid.

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ont contribué276, le clientélisme y a également joué un rôle assez important277. Le parti a abondamment distribué des « gratifications » diverses à un certain nombre de groupes lui étant sympathique ou susceptibles de l’être : des tracteurs pour les paysans 278 , de la nourriture, des vêtements (à l’effigie de la Zanu-PF) et le financement d’équipes sportives locales pour d’autres, notamment279. En somme, une stratégie populiste et de patronage visant à soulager la misère du peuple tout juste avant les élections.

Si les élections de 2008 furent uniques en raison de la violence après le premier tour, elles se démarquent également par une relative diversité de candidats. Simba Makoni, ancien ministre des finances de Mugabe et dissident Zanu-PF, se présente à la présidence comme indépendant contre son ancien patron 280. Makoni se positionne comme un réformateur modéré et pragmatique, capable de moderniser l’économie zimbabwéenne et redorer l’image du pays sans être un « opposant aussi radical » aux idées révolutionnaires comme Morgan Tsvangirai281. Sa candidature est annoncée en février et prend Mugabe de court : ce dernier le traite de « prostitué malhabile »282 et ajoute, en commentaire aux rassemblements de campagne modestes de Makoni que « les prostitués, au moins, ont des clients […] »283. Simba Makoni ne soulève finalement que très peu d’enthousiasme, et ne bénéficie que de très peu d’appuis politiques284. Puisqu’il est candidat indépendant à la présidence, il n’est pas appuyé par une formation politique organisée présentant des candidats au niveau législatif285.

Grand rival politique du président Mugabe et de la Zanu-PF, Morgan Tsvangirai est bien entendu candidat à la présidence en 2008. Néanmoins, le parti qu’il dirige depuis 1999 et dont il est l’un des fondateurs, le MDC, est profondément divisé 286 . Une faction,

276 Ibid. 277 Ibid. 278 Ginny STEIN, Dateline [en ligne], Op. cit. 279 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 116. 280 Ibid., p. 117. 281 Ibid., pp. 117-118. 282 Ibid., p. 117 283 Ibid., pp. 117-118. 284 Ibid., p. 118. 285 Parvathi VASUDEVAN, « Zimbabwe: A Time of Turbulence », Economic & Political Weekly, 43(20), 2008 (17-23 Mai), pp. 25-27. 286 Les divisions au sein de l’opposition au régime Mugabe, et surtout les divisions au sein du MDC sont d’une importante capitale dans la mobilisation de la violence entre le 29 mars et le 27 juin 2008 au

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essentiellement issue des provinces du Matabeleland (sud du pays) a fait défection en 2005. Il y a donc deux partis politiques distincts revendiquant le nom de Movement for Democratic Change (MDC) lors du scrutin du 29 mars 2008 : le MDC-M (M pour Arthur Mutambara, leader de la faction dissidente) et MDC-T (pour Tsvangirai)287. Aux fins du présent mémoire, l’acronyme « MDC » fera ici référence à la faction principale du parti dirigée par Morgan Tsvangirai. Ainsi, lorsqu’il sera question de la faction minoritaire du principal parti d’opposition zimbabwéen, dirigée (en 2008) par Arthur Mutambara, l’acronyme « MDC-M » sera utilisé. Arthur Mutambara, tout en dirigeant le MDC-M, ne se présente pas à la présidence et appuie Simba Makoni pour se concentrer davantage sur l’élection d’un maximum de candidats288. Dans certaines circonscriptions législatives, donc, plusieurs candidats MDC (MDC-T et MDC-M) se sont présentés face à un seul candidat Zanu-PF289, ce qui pose un grave problème pour l’opposition dans un système uninominal majoritaire à un tour. Cet aspect sera abordé davantage en détails à la sous-section suivante de ce chapitre.

Le MDC de Tsvangirai − dont l’importance et le poids politique sont largement supérieurs au MDC-M – mène une campagne qui contraste avec celle de la Zanu-PF. La campagne publicitaire en vue du scrutin du 29 mars est positive et tente de se démarquer de celle de Mugabe en promettant le renouveau politique et, surtout, le redressement économique290. On tente de présenter Morgan Tsvangirai et son équipe comme une alternative positive à un régime brutal, corrompu et autoritaire : sur les affiches et les vêtements promotionnels du MDC, on peut y lire « A New Zimbabwe, A New Beginning » 291 . De manière assez intéressante également, le MDC promet des compensations pour les victimes de violence politique et une plus grande transparence pour les crimes passés du pouvoir292. Ces mesures prônant la réconciliation suscitent un grand intérêt, tout comme les promesses de mettre fin à l’impunité régnante pour un grand nombre de crimes (impliquant pour la plupart des violations des droits humains protégé par le droit international) ont soulevé un espoir

Zimbabwe. Cet aspect est abordé en détails un peu loin dans ce chapitre à la section 3.1 (Facteurs explicatifs de la violence). 287 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 113-118. 288 Ibid., p. 116. 289 Ibid. 290 Ibid., p. 117 291 Chris KABWATO, Op. cit., pp. 264- 273. 292 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 117.

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certain 293 . Le MDC et Tsvangirai réussissent à attirer des foules nombreuses lors de nombreux rassemblements de campagne et de séances de prières en plein air malgré la crainte de nombreux supporters du subir de la violence en s’affichant en faveur du MDC. Morgan Tsvangirai insiste alors particulièrement lors de ses discours sur l’importance de la démocratie, de la tolérance et des droits humains en tant « qu’antidote » aux méthodes traditionnelles de violence et d’intimidation de la Zanu-PF294.

Malgré le fait que le scrutin du 29 mars ait été fixé suite à l’action unilatérale du régime Mugabe (en quittant les pourparlers à la SADC en janvier 2008), un certain nombre de lois ont été amendées afin d’élargir l’espace de liberté politique en campagne électorale, tel que le souhaitait l’opposition 295 . Le MDC (tout comme le MDC-M et Makoni, d’ailleurs) bénéficie donc d’une plus grande marge de manœuvre pour faire campagne. Notamment, il peut acheter de la publicité électorale dans les médias, y compris à la télévision et à la radio d’État, contrôlés par le parti au pouvoir, ce qui est sans précédent296. Le MDC et ses partisans bénéficient par ailleurs (avant le 29 mars) d’une liberté pour faire campagne en région rurale − là où la violence politique a toujours été la plus intense – qui est inédite depuis le référendum de février 2000297.

Il faut toutefois dire que les partisans et dirigeants de la Zanu-PF furent, tout au long de la campagne électorale, tellement confiants de l’emporter haut la main que le recours à l’intimidation à grande échelle et à la violence ciblée ne fut pas considérés essentiels en milieu rural 298 . La Zanu-PF a, avant le 29 mars, largement surestimé sa capacité de mobilisation et les divisions au sein de l’opposition299. En effet, malgré une campagne acrimonieuse et négative en 2008, le parti de Mugabe n’est jamais allé aussi loin que lors de certains scrutins précédents où ses publicités électorales menaçaient ouvertement de mort quiconque considérait voter pour un autre parti. En 1990, par exemple, alors que la Zanu-PF faisait pourtant face à une compétition électorale beaucoup moins sérieuse, une publicité télévisée mettait en scène un violent accident de voiture, après quoi la narration

293 Ibid. 294 Ibid., p. 114. 295 Ibid., pp. 116-117. 296 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 151. 297 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 117. 298 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 150. 299 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 114-117.

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affirmait : « This is one way to die. Don’t commit suicide. Don’t be foolish. Vote Zanu-PF, and live »300. Pour bien faire comprendre le message, les quatre derniers mots étaient affichés à l’écran301. Ce genre de tactique électorale est assez révélateur d’une propension de la Zanu-PF à la violence face à la dissidence. Cette publicité de 1990 tend à clairement le démontrer, surtout qu’elle fut diffusée plusieurs années avant la fondation du MDC. Malgré la rhétorique anti-Tsvangirai et l’historique de violence politique des années 2000 contre les opposants, la confiance de la Zanu-PF et de Robert Mugabe est si élevée en 2008 que la campagne électorale pour les élections du 29 mars s’est déroulée sans que le besoin de recourir à de telles menaces ne se fasse ressentir. Cette attitude quelque peu différente des dirigeants du régime en 2008 va toutefois considérablement changer après que les Zimbabwéens se soient prononcés par les urnes le 29 mars.

3.1.2 Les résultats des élections « harmonisées » du 29 mars 2008

Une fois les bureaux de vote fermés dans tout le pays, ce sont toutes sortes de résultats fragmentaires qui vont être publiés, de manière officielle et non-officielle. Les jours suivant le vote, un flot d’annonces parfois contradictoires envahit l’espace public au Zimbabwe : les résultats ne sont dévoilés qu’au compte-goutte par la commission électorale, la ZEC (Zimbabwe Electoral Commission), et par le MDC, qui publicise les résultats bureau de vote par bureau de vote, transmis par messagerie texte par les agents électoraux du parti sur place302. Les résultats préliminaires (officiels et non-officiels) sont encourageants pour le MDC, et l’euphorie gagne progressivement ses partisans sur le terrain et la diaspora zimbabwéenne à l’étranger303.

Même si la ZEC ne publie qu’au compte-goutte les résultats, il devient de plus en plus clair que le MDC devrait devancer la Zanu-PF en nombre de sièges au Parlement, au point où la

300 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 91. D’autres exemples du même type sont également donnés dans l’ouvrage de Martin Meredith. Lien vers la publicité mentionnée ci-haut [en ligne], via YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=Dvh0TQDiCVk. [consulté le 9 décembre 2016]. 301 « Vote Zanu-PF, and live ». Ibid. 302 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 118. 303 Ibid.

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rumeur court que le prochain gouvernement sera formé par le MDC304. La ZEC refuse toutefois de faire l’annonce officielle des résultats de la présidentielle et d’entériner officiellement un bon nombre de résultats aux législatives 305 . Un certain nombre de soupçons pèsent sur la ZEC, que les hauts-placés du MDC accusent de potentiellement vouloir manipuler les résultats dans certaines circonscriptions306. La ZEC annonce ensuite procéder au recomptage des voix dans 23 circonscriptions (sur 210), ce que le MDC tentera de bloquer (sans succès) en s’adressant à la Haute-Cour 307 , avec l’argument que non seulement les résultats sont suffisamment clairs et qu’il n’y a pas lieu de recompter, mais que cette procédure ouvre la voie à des tentatives de manipulations électorales et de fraude308. La ZEC ne dévoilera pas les résultats officiels de l’élection présidentielle avant le 2 mai309, ce qui fera augmenter grandement l’incertitude et les tensions dans le pays, où des incidents violents contre le MDC et ses partisans sont déjà répertoriés310.

Les résultats officiels et définitifs confirment toutefois la tendance notée plus haut. Au niveau législatif, le MDC remporte une pluralité de sièges, devant la Zanu-PF – du jamais vu dans l’histoire zimbabwéenne311. Le MDC est donc vainqueur dans 99 circonscriptions et remporte 47,8% des suffrages exprimés312. La Zanu-PF arrive en seconde position, avec 97 sièges et 46,9% du vote313 et le MDC-M ne remporte que 10 sièges (tous en milieu rural dans les provinces du Matabeleland314) avec 4,8% des voix, en-deçà des attentes d’Arthur Mutambara315. Enfin, Jonathan Moyo, ancien ministre de l’information de Robert Mugabe, remporte une circonscription rurale en tant qu’indépendant316 et les élections sont reportées dans 3 circonscriptions en raison du décès (de cause naturelle toutefois) de candidats avant le vote du 29 mars317. Même si les deux factions du MDC promettent immédiatement de

304 Ibid., pp. 117-119. 305 Ibid. 306 « Zimbabwe – Aggressive Election Run-off Feared », Op. cit., p. 17772. 307 Ibid. 308 Jocelyn ALEXANDER et Blessing – Miles TENDI, Op. cit., p. 118. 309 Ibid. 310 « Zimbabwe – Aggressive Election Run-off Feared », Op. cit., p. 17772. 311 Parvathi VASEDUVAN, Op. cit., p. 25. 312 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 152. 313 Ibid. 314 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 118. 315 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 152. 316 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 118. 317 Ibid.

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collaborer lors du prochain Parlement (formant un bloc de 109 députés), la scission du parti leur a coûté cher en raison du système uninominal majoritaire à un tour : sans la division du vote entre les factions de Tsvangirai et de Mutambara, le MDC aurait pu déloger la Zanu- PF dans 10 circonscriptions supplémentaires 318, ce qui leur aurait assuré une majorité absolue au Parlement319. Au Sénat, en ce qui a trait au nombre de sénateurs élus, c’est l’égalité parfaite : 30 pour la Zanu-PF et 30 pour le MDC 320 . Puisque les 30 autres sénateurs sont nommés par le président, c’est l’issue du scrutin présidentiel qui doit déterminer la balance du pouvoir au niveau du Sénat, et donc du pouvoir législatif321.

Figure 1: Carte des résultats des élections législatives du 29 mars 2008 (par circonscription électorale)

Source : World Elections, https://welections.wordpress.com/?s=zimbabwe+2008 (consulté le 22 décembre 2016).

318 Ibid. 319 Parvathi VASUDEVAN, Op. cit., p. 25. 320 Susan BOOYSEN, Op. cit., pp. 152-153. 321 Ibid.

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La Zanu-PF remporte essentiellement les circonscriptions rurales alors que le MDC domine dans les grandes villes telles qu’Harare et Bulawayo. Le MDC-M arrive à percer dans une partie des circonscriptions rurales de son fief du Matabeleland (voir carte), mais la surprise vient du fait que le MDC ait effectué des percées importantes dans les bastions Zanu-PF, des zones rurales jusque-là très nationalistes et pro-Mugabe322, le Mashonaland notamment (en haut et à droite sur la carte). Cette réalité est significative dans le recours à la violence en 2008 – elle sera abordée en détails à la section suivante.

La trentaine de jours s’étant écoulés entre le jour du vote et le dévoilement officiel des résultats de la présidentielle ont jeté une certaine ombre sur le résultat, avec les deux principaux candidats mettant en doute l’intégrité du processus électoral. Le choc est toutefois grand : Robert Mugabe, au pouvoir depuis 1980, termine derrière Morgan Tsvangirai323. En effet, Tsvangirai obtient 47,9% des voix, contre 43,2% pour le vieux président sortant324, un écart encore plus significatif qu’aux législatives. Simba Makoni suit en troisième place avec 8,3% des suffrages exprimés325. Il est à noter qu’un certain nombre d’autres candidats indépendants ou de tiers partis se présentent à la présidence et aux législatives, obtenant moins d’un pourcent des voix326. La nature des résultats est telle, toutefois, qu’un second tour de l’élection présidentielle doit normalement avoir lieu en vertu de l’Electoral Act327.

Tel que le rapporte le journaliste zimbabwéen Peter Godwin, les hauts-dirigeants du MDC – Tendai Biti, le « numéro 2 » du parti et Roy Bennett − affirment au dévoilement des résultats que ces derniers ont été manipulés par la ZEC et le politburo de la Zanu-PF et que le MDC ne ferait « en aucun cas » campagne pour un second tour, pas plus qu’il ne négocierait de transition avec Mugabe328. Le MDC et Morgan Tsvangirai sont par ailleurs d’avis que c’est ce dernier qui a remporté l’élection présidentielle au premier tour (c’est-à- dire qu’il a atteint le seuil de 50% des voix plus un), mais que les résultats ont été trafiqués

322 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 117-118. 323 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 153. 324 Parvathi VASUDEVAN, Op. cit., p. 25. 325 Ibid. 326 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 152. 327 Ibid., p. 151. 328 Peter GODWIN, The Fear: Robert Mugabe and the Martyrdom of Zimbabwe, Back Bay Books, New York, 2011, pp. 14, 183-186.

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pour forcer un second tour où Mugabe tenterait de s’accrocher au pouvoir par la violence et l’intimidation 329 . Même avant l’annonce officielle des résultats par la ZEC le 2 mai, l’opposition (les deux MDC) s’attend à ce que la violence et la répression du régime soit dirigée contre elle de façon importante en raison de la nature des résultats330. Avant que la tenue d’un second tour de la présidentielle soit officialisée, des cas de violations graves des droits humains dirigées contre le MDC et ceux soupçonnés de les soutenir sont rapportés331. Toutefois, il fut annoncé par le MDC que Tsvangirai accepterait la tenue d’un second tour, malgré tout332.

Dès lors, ceux parmi les observateurs et les militants d’opposition au Zimbabwe qui croyaient que « 2008 serait différent » ont rapidement réalisé que Mugabe ne cèderait pas le pouvoir sans s’y accrocher par la violence, comme en 2000, 2002 et 2005 contre le MDC et depuis les années 1980 contre toute dissension électorale et à son autorité en général333. Les percées importantes du MDC et du MDC-M ont par ailleurs ravivé un discours encore plus belliqueux à l’endroit de l’opposition par les représentants du régime de Robert Mugabe, qui laisse présager la volonté de la Zanu-PF de ne jamais abandonner le pouvoir. Par exemple, le chargé des communications de la Zanu-PF, George Charamba, a publiquement lancé un avertissement après la publication officielle des résultats du premier tour. Au sujet d’une éventuelle victoire du MDC, il s’est demandé « comment une simple croix sur un bout de papier […] peut dépouiller un peuple libre, lui voler son héritage, sa liberté, sa terre et son futur ? […] nous devrons tirer – oui, tirer – sur l’urne pour préserver notre indépendance »334. Robert Mugabe en rajoute, affirmant que rien ni personne ne pourrait l’évincer du pouvoir : « le MDC ne gouvernera jamais au grand jamais ce pays. C’est Dieu

329 Ibid., pp. 182-187. 330 Ibid., p. 184. 331 Ibid., p. 28. 332 Susan BOOYSEN, Op. cit., pp. 151-153. 333 En profondeur sur la question, voir Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, Op. cit., pp. 46-79; Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 59-76, 225-232; John MAKUMBE et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 300-313 et Peter GODWIN, Op. cit., pp. 60, 127, 286- 292. 334 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 121-122 [traduction de l’anglais d’un extrait du Herald du 3 mai 2008 par les auteurs].

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seul, qui m’a désigné, qui pourra me retirer mon poste − pas le MDC, ni les Britanniques ! »335.

Très rapidement, ce qui avait été la campagne électorale la plus libre en huit ans pour le MDC devient brutalement la plus grave campagne de violence politique dont elle est victime. Une nouvelle vague d’invasions de fermes détenues par des blancs s’enclenche336 et des bases de torture ou de « rééducation » des militants d’opposition sont installées un peu partout dans le pays par des milices pro-Mugabe composées essentiellement de vétérans de guerre, d’organisateurs électoraux de la Zanu-PF ou de groupes de jeunes du parti avec l’appui ou la participation de la police, de l’armée et d’agents de renseignement337. Les membres du MDC et leurs familles sont très spécifiquement visés : meurtres, torture et arrestations arbitraires marquent leur quotidien et les auteurs des violations agissent dans l’impunité la plus totale338. Même les hauts-placés du MDC sont arrêtés et placés en détention à plusieurs reprises – c’est notamment le cas de Tendai Biti et de Roy Bennett – et Morgan Tsvangirai passera pas mal de temps hors du pays à la fois pour tenter de sensibiliser les pays voisins à la crise au Zimbabwe339 et pour échapper à la répression le visant directement340. La violence fait des ravages dans les rangs des militants de l’opposition : le MDC est grandement ébranlé et désorganisé par la répression. Devant l’impossibilité totale de faire campagne – les rassemblements partisans du MDC sont immédiatement interdits, les foules dispersés violemment et les partisans arrêtés − Morgan Tsvangirai se retire de la course quelques jours avant le second tour341. Il affirme du même coup qu’il ne peut persister et demander à ses partisans de voter pour lui « alors que ce vote pourrait leur coûter la vie »342.

Un scrutin a tout de même lieu le 27 juin 2008, où Robert Mugabe est le seul candidat en lice. Dans l’heure qui suit l’annonce de sa réélection au second tour avec plus de 80% des voix, Mugabe est assermenté lors d’une cérémonie rapide en présence des hauts-gradés des

335 Ibid., p. 122 [traduction de l’anglais d’un extrait du Sunday Times du 22 juin 2008 par les auteurs]. 336 Ibid. 337 Ibid., pp. 121-128; Peter GODWIN, Op. cit., pp. 90-93, 150, 185-186. 338 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 122-123. 339 Ibid., pp. 123-124. 340 « Zimbabwe: President Mugabe threatens to arrest Tsvangirai, NTV Kenya, 17 juin 2008 [en ligne], consulté le 24 janvier 2016, https://www.youtube.com/watch?v=X97nQwj__dg. 341 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 124. 342 Peter GODWIN, Op. cit., p. 192.

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forces armées zimbabwéennes. La cérémonie fut boycottée par tous les représentants diplomatiques occidentaux, et plusieurs autres diplomates343. L’intensité de la violence en 2008 et son instrumentalisation contre l’opposition au Zimbabwe en vue des scrutins de la même année ont atteint un sommet inégalé jusque-là depuis deux décennies344, tel que mentionné plus haut. Les spécificités de la violence politique en 2008 s’expliquent par un certain nombre de facteurs, divisés en deux catégories : partisans et institutionnels. Ces facteurs, dont le cumul est essentiel à la compréhension de la manière dont les violations des droits humains ont servi à maintenir le régime Mugabe en place, sont expliqués à la prochaine section de ce chapitre.

3.2 Facteurs explicatifs de la violence

Un certain nombre de facteurs partisans et institutionnels caractérisant le Zimbabwe de 2008 permettent d’expliquer davantage pourquoi et comment le recours à des violations systématiques des droits humains à très grande échelle a été possible afin de maintenir l’assise de la Zanu-PF de Robert Mugabe sur le pouvoir. Ces facteurs, qui sont abordés à la présente section, sont à la fois le reflet de structures du pouvoir encrées dans une culture de la violence face à la dissidence et le produit des résultats du scrutin du 29 mars reclassant le parti au pouvoir au second rang.

3.2.1 Facteurs partisans

Deux facteurs proprement partisans permettent d’expliquer l’intensité et l’étendue de la violence de la violence perpétrée par le régime Mugabe en 2008 : l’excès de confiance de la Zanu-PF en raison des divisions au sein de l’opposition et sa volonté de vengeance suite à un grand nombre de défaites surprises dans ses bastions traditionnels. Ces deux facteurs sont inextricablement liés entre eux. Si le premier a permis un plus grand espace de liberté

343 Ibid., pp. 192-193. 344 « Gruesome Killings by Mugabe Supporters Detailed », The Washington Post, 17 mai 2008 [en ligne], consulté le 16 janvier 2017, http://www.washingtonpost.com/wp- dyn/content/article/2008/05/16/AR2008051601090.html.

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politique ouvrant la voie aux percées électorales significatives du MDC, il est directement à l’origine du second345.

a) L’excès de confiance de la Zanu-PF en raison des divisions au sein de l’opposition

L’aspect de la surestimation par la Zanu-PF et le régime de leur compétitivité électorale face au MDC joue un rôle fondamental dans la mobilisation de la violence à des fins politiques en 2008. Cet énorme excès de confiance du président Robert Mugabe et de son entourage n’était toutefois pas sans fondement : le MDC était sérieusement en proie à de très graves divisions internes. Néanmoins, le président et son équipe se sont trompés en surestimant son importance. Par contre, il est tout à fait vrai que l’unité de la faction principale du MDC fidèle à Morgan Tsvangirai et du MDC-M d’Arthur Mutambara était mise à rude épreuve346.

La composition du MDC est particulièrement hétéroclite − étudiants, syndicalistes, travailleurs agricoles, professionnels urbains, fermiers blancs, universitaires – et rassemble des groupes ayant des intérêts différents et parfois divergents347. Les déboires économiques et financiers du pays ont mis une pression énorme sur plusieurs groupes formant la base électorale du MDC, qui ont fuit le Zimbabwe en grand nombre dans les années 2000 afin de trouver du travail, principalement en Afrique du Sud348. La « détresse économique » de certains groupes plus durement touchés que d’autres a rapidement fait surgir des divisions profondes au sein d’un parti très jeune et ayant des leaders somme toute peu expérimentés.

L’« accumulation » du recours à la violence et à la répression contre le MDC pendant des années a contribué à mettre à mal son unité et sa capacité à se mobiliser, ce qui a ironiquement mené la Zanu-PF à penser, à tort, que le recours à la violence pour la campagne électorale du scrutin du 29 mars n’était pas aussi nécessaire que lors des élections précédentes349. En effet, les campagnes de violence des années 2000 ont épuisé, déstabilisé et grandement affecté le MDC. Les invasions de fermes détenues par des blancs expulsant les propriétaires et leurs travailleurs agricoles (généralement très nombreux) ainsi

345 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 113, 116. 346 Ibid., p. 113. 347 Ibid. 348 Ibid. 349 Ibid., p. 112.

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que les purges post électorales de 2005 – l’opération Murambatsvina – qui ont fait plus de 700 000 déplacés ont délibérément ciblé les partisans du MDC350. À eux seuls, ces deux évènements ont déplacé, forcé à l’exil et/ou fait perdre leur droit de vote à un très grand nombre de partisans du MDC (et de Zimbabwéens de façon générale)351. Par ailleurs, la succession de défaites électorales et les difficultés organisationnelles face à une mobilisation difficile ont suscité des déchirements internes sur la conception de la démocratie, la pertinence pour le MDC de demeurer non-violent face à la répression et la place des droits humains, notamment352. Un regain de tensions sur des bases ethniques et régionales n’a pas épargné le MDC, où la scission de 2005 qui a créé le MDC-M a été en partie causée par des divergences de la part de membres de l’ethnie Ndebele minoritaire, vivant dans le sud du pays 353 , d’où le succès du MDC-M dans les provinces du Matabeleland rural en 2008. La minorité Ndebele entretient un rapport quelque peu différent au régime Mugabe, à la Zanu-PF et au militantisme politique d’opposition354. La raison : des rivalités historiques, mais également le souvenir encore bien présent de l’opération Gukurahundi des années 1980 355 − également appelée « massacres du Matabeleland » 356 − considérée comme la première campagne de violence politique à grande échelle orchestrée par l’État zimbabwéen357 contre la dissension. Elle est également considérée comme le premier signe avant-coureur de l’autoritarisme de Robert Mugabe358.

En conséquence, la Zanu-PF, consciente de ces divisions internes dans l’opposition, a pêché par excès de confiance. Le parti au pouvoir croyait que le mode de scrutin à lui seul

350 Ibid., p. 113. 351 Ibid. 352 Ibid. 353 D’où le nom des provinces du Matabeleland, littéralement « terre des Ndebeles», par opposition aux provinces du Mashonaland, au nord, « terre des Shona», l’ethnie majoritaire au Zimbabwe dont sont issus Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai. 354 En profondeur sur le sujet, voir Jocelyn ALEXANDER, JoAnn McGREGOR, Vincent FOUCHER et Daniel COMPAGNON, « Les élections, la terre et l’émergence de l’opposition dans le Matabeleland », Politique africaine, 1 (81), 2001, pp. 51-79. 355 Peter GODWIN, Op. cit., p. 13, 286-292. 356 Ibid., pp. 13-14. 357 « Massacre de Gukurahundi: les documents qui accusent Robert Mugabe », RFI, 20 mai 2015 [en ligne], consulté le 14 janvier 2017, http://www.rfi.fr/afrique/20150520-massacre-gukurahundi-documents-accusent- robert-mugabe-zimbabwe-rebellion. 358 John MAKUMBE et Daniel COMPAGNON, Op. cit., pp. 300-313. Plus en profondeur sur les massacres du Matabeleland pendant les années 1980, voir notamment Daniel COMPAGNON, A Predictable Tragedy – Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe, Op. cit., Peter GODWIN, Op. cit. et Martin MEREDITH, Op. cit.

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suffirait pour la faire triompher dans les urnes. Encore là, certains faits leur donnait raison d’avoir confiance. Non seulement les candidats Zanu-PF affrontaient partout au moins deux représentants de l’opposition (MDC, MDC-M), les divisions internes ont fait en sorte que dans certaines circonscriptions, plusieurs candidats de chacune des factions du MDC étaient inscrits sur le bulletin de vote359. Cet excès de confiance a par ailleurs été amplifié par la croyance que la campagne de déstabilisation du MDC de 2007 avait porté fruit et que les divisions profondes de 2008 en découlait directement360. Le 11 mars 2007, en outre, lors d’un grand rassemblement de l’opposition et de la société civile dans un parc d’Harare, les forces anti-émeute de la police ont donné l’assaut sur la foule lors d’une séance de prière361. Un grand nombre de militants ont été battus, enlevés et torturés par les forces de sécurité362 et Morgan Tsvangirai fut également sévèrement battu et emprisonné avec d’autres leaders de l’opposition363. Mutambara, qui était pourtant présent à ce rassemblement de mars 2007, fut épargné de la répression comme ses partisans (dans une moindre mesure)364. À ce propos d’ailleurs, Robert Mugabe a affirmé en 2007 que Morgan Tsvangirai avait mérité son sort « parce qu’il ne savait pas comment se comporter »365, contrairement à Arthur Mutambara. Selon Human Rights Watch, Robert Mugabe aurait ajouté en lien avec cet évènement : « Of course he [Tsvangirai] was bashed. He deserved it […] I told the police to beat him »366.

Cet excès de confiance du parti de Mugabe avant les élections du 29 mars a permis, encore une fois, un espace de liberté politique plus large que la Zanu-PF croyait pouvoir tourner à son avantage pour légitimer sa victoire en mettant de l’avant la pluralité et la diversité des candidats (tant aux législatives qu’à la présidentielle) ainsi que l’aspect libre et « non- violent » du scrutin en comparaison à 2000, 2002 ou 2005, pour lesquels le pays fut frappé de sanctions internationales367.

359 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 116. 360 Ibid., p. 114. 361 Ibid. 362 Sur ces évènements de 2007, voir le rapport de Human Rights Watch, Bashing Dissent: Escalating Violence and State Repression in Zimbabwe, vol. 19 (6A), mai 2007. 363 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 114. 364 Ibid. 365 Ibid. 366 Human Rights Watch, « Our Hands are Tied »: Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., p. 25. 367 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 150.

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b) La volonté de vengeance de la Zanu-PF suite à sa défaite

Le choc brutal causé par la surprise de la défaite a profondément secoué le parti de Robert Mugabe dès les premières heures de la publication (officielle et non-officielle) des résultats du scrutin du 29 mars. Assez rapidement, toutefois, la confusion a fait place à la colère et au ressentiment368. Le plus gros choc pour la Zanu-PF fut toutefois le succès du MDC dans certaines régions rurales qui lui avaient traditionnellement toujours été loyales, particulièrement dans les provinces du Mashonaland, tel qu’évoqué plus haut369. La plus humiliante des gifles pour la Zanu-PF et sa base militante fut que la plus importante « érosion du vote » lui étant favorable a eu lieu dans certaines circonscriptions qui lui étaient considérées comme acquise370. Tel que relève Adrienne LeBas (citée par Alexander et Tendi), la Zanu-PF a perdu entre 10 et 30% de ses électeurs dans ses principaux fiefs électoraux371 par rapport aux élections précédentes. D’ailleurs, plus les circonscriptions avaient historiquement été fortes pour le parti, plus la marge de défaite était importante cette année-là (dans les circonscriptions ravies par le MDC, bien entendu)372.

L’humiliation qu’a subie la Zanu-PF en raison des résultats a été un facteur déterminant dans le degré du recours à la violence. Tel que le rapporte Human Rights Watch373, par ailleurs, le nombre d’incidents violents et l’ampleur des violations des droits humains contre les militants politiques d’opposition et les populations ont été plus élevées dans ces régions, villages ou circonscriptions historiquement favorables à Mugabe qui lui ont tourné le dos lors du vote du 29 mars374. La volonté de punir les populations et le MDC pour leur trahison a été combinée à une politique délibérée de « prévenir » une telle humiliation au second tour375 par tous les moyens. Si la violence a été utilisée délibérément et de manière calculée dans toutes les régions, toutes les provinces et toutes les villes du Zimbabwe après

368 Peter GODWIN, Op. cit., p. 351. 369 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 118; voir Figure 1. 370 Ibid. 371 Ibid. 372 Ibid. 373 Voir le rapport « Bullets for Each of You » State-Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit. 374 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 122-123; Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Ibid., pp. 29-39. 375 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122.

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le premier tour de l’élection de 2008, les trois provinces du Mashonaland376 ainsi que celles du Manicaland et de Masvingo ont été particulièrement touchées (voir les cartes ci- après)377. Les résultats des élections au niveau local (en plus des niveaux législatif et présidentiel) ont également été utilisés pour persécuter les électeurs qui avaient appuyé le MDC et déstabiliser l’organisation du parti378. De façon assez éloquente à ce sentiment de vengeance, cette campagne de violence à grande échelle a été baptisée Operation Makavhoterapapi, ou opération « pour qui avez-vous voté ? »379 en langue Shona380.

Figure 2: Carte du Zimbabwe

Source : d-maps.com, http://d-maps.com/carte.php?num_car=5072&lang=fr (Consulté le 26 mai 2017).

376 Mashonaland Est, Mashonaland Central et Mashonaland Ouest. 377 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State-Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 15, 29-33. 378 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122. À titre d’exemple voir l’histoire du conseiller de district rural (Rural District Councillor − équivalent de conseiller municipal en milieu rural) Chenjerai Mangezo à Bindura dans Peter GODWIN, Op. cit., pp. 349-354. 379 Traduction libre en français de «Operation where did you put your vote? ». 380 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 14; Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122.

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Figure 3: Répartitions des violences sur le territoire du Zimbabwe pour l’année 2008

Source : Armed Conflict Location Event & Data Project

Human Rights Watch a documenté plusieurs évènements, dont deux sont particulièrement emblématiques de ce sentiment de vengeance de l’entre-deux tours de la présidentielle de 2008 en tant que facteur explicatif et moteur de la violence par le régime Mugabe. D’abord, le 6 avril (avant même que tous les résultats officiels des législatives ne soient publiés par la ZEC) deux élus Zanu-PF381 ont dit lors d’un rassemblement partisan : « People voted the wrong way, so people must be beaten thoroughly so that no one will ever vote MDC again »382. Dans les jours suivants, les incidents se sont multipliés dans ce district383 contre les partisans du MDC384. L’armée a ciblé les chefs de village afin qu’ils convoquent les habitants à des réunions publiques obligatoires où les militaires et des militants Zanu-PF armés ont regroupés les villageois et ont étayé devant eux leurs réserves de munitions. Dans le village de Karoi (Mashonaland Ouest), l’armée a distribué à chaque habitant une balle de fusil pour que tous comprennent clairement qu’il y avait assez de munitions pour éliminer

381 Rueben Marumahoko, sénateur d’Hurungwe et Peter Tapera Chanetsa, candidat élu au poste de député pour la circonscription d’Hurungwe North (province du Mashonaland Ouest). 382 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 34. 383 District d’Hurungwe. Au Zimbabwe, les districts sont les divisions des provinces. 384 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 34-35.

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chacun d’entre eux. Des soldats auraient alors répété aux habitants: « If you vote MDC in the presidential runoff election, you have seen the bullets; we have enough for each one of you, so beware […] »385.

3.2.2 Facteurs institutionnels

a) La Zimbabwe Electoral Commission (ZEC)

Trois facteurs proprement intrinsèques aux institutions zimbabwéennes ont également joué un rôle fondamental dans le recours à la violence à grande échelle lors du contexte électoral de 2008. Le premier est le rôle qu’a joué la ZEC dans la fixation des délais électoraux, d’abord en ce qui a trait au dévoilement des résultats, et ensuite en lien à la détermination du délai entre les deux tours du scrutin présidentiel.

Tel qu’évoqué plus haut, les délais très longs entre la fermeture des bureaux de vote et l’annonce des résultats officiels – plus d’un mois – ont suscité des craintes de fraude et de trucage386. Malgré le fait que le MDC puisse être considéré comme le « vainqueur » de ce scrutin du 29 mars en remportant la majorité aux législatives et la première place à la présidentielle 387 , Susan Booysen et Peter Godwin, notamment, font état d’importantes irrégularités388 dans l’intégrité du scrutin389. Les dirigeants du MDC ont par ailleurs affirmé en 2008 que les résultats avaient été manipulés par certains officiels de la ZEC proches du bureau politique de la Zanu-PF (d’où les délais) afin de priver le MDC et Tsvangirai d’une victoire au premier tour et ainsi de forcer la tenue d’un second scrutin390. Paradoxalement, Booysen relève tout de même que la ZEC a été plus indépendante en 2008 que lors de scrutins précédents, ce qui est un peu à l’image du premier tour391.

385 Ibid., p. 35. 386 « Zimbabwe – Aggressive Election Run-off Feared », Op. cit., p. 17772. 387 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 151. 388 Essentiellement, des problèmes d’accès aux bureaux de vote en milieu urbain et dans les zones où le MDC était traditionnellement fort. Dans ces endroits, les bureaux de vote étaient moins nombreux et plus dispersés. 389 Ibid., p. 150; Peter GODWIN, Op. cit., p. 14. 390 Ibid. 391 Susan BOOYSEN, Op. cit., pp. 150-152.

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Les délais ont toutefois profité à la Zanu-PF et au régime, qui a eu le temps de réfléchir à la mise en place d’une campagne de violence ciblant le MDC et ses partisans dans le but d’empêcher une défaite au second tour 392 . Par ailleurs, la décision la plus lourde de conséquences de la ZEC fut d’ignorer l’Electoral Act de 2005 en ce qui concerne les modalités du second tour393. En effet, en vertu de l’article 129 de la loi zimbabwéenne, un éventuel second tour doit avoir lieu dans les 21 jours suivant l’annonce des résultats (avec quelques exceptions permettant une flexibilité selon certaines circonstances) : le vote aurait donc dû avoir lieu à la fin mai. Or, il n’en fut rien. Alors que la violence commençait déjà à sévir un peu partout dans le pays, la ZEC a prolongé le délai entre les deux tours, ouvrant la porte à davantage de violences dirigées contre le MDC et ceux soupçonnés de le soutenir394. Ironiquement, la justification du report du second tour d’environ un mois a justement été que des violations massives des droits humains − en particulier la torture et les assassinats – étaient perpétrés, nuisant au bon déroulement d’un éventuel scrutin395! En conséquence, les délais portant le second tour de la présidentielle au 27 juin ont accordé au régime Mugabe beaucoup plus de temps pour mener l’opération Makavhoterapapi 396 . Devant l’intensité de cette campagne de violence contre le MDC, Morgan Tsvangirai s’est retiré de la course 5 jours avant le vote 397 . Il s’est par ailleurs brièvement réfugié à l’ambassade des Pays-Bas, craignant pour sa sécurité suite à un raid de l’armée sur sa résidence d’Harare398.

b) La nouvelle réglementation électorale

Tel que mentionné en début de chapitre, un certain nombre de règles et procédures encadrant le fonctionnement des élections au Zimbabwe ont été réformées d’un commun accord entre le gouvernement et le MDC malgré le retrait unilatéral de Mugabe des pourparlers de la SADC en janvier 2008399. La plus significative de ces réformes visant à

392 Parvathi VASUDEVAN, Op. cit., pp. 25-27. 393 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 151. 394 Parvathi VASUDEVAN, Op. cit., p. 25. 395 Human Rights Watch, « Zimbabwe: Zanu-PF Sets Up ‘‘Torture Camps’’ », 19 avril 2008 [en ligne], consulté le 17 janvier 2017, https://www.hrw.org/news/2008/04/19/zimbabwe-zanu-pf-sets-torture-camps. 396 Susan BOOYSEN, Op. cit., p. 151. 397 Ibid. 398 Peter GODWIN, Op. cit., p. 192. 399 Susan BOOYSEN, Op. cit., pp. 150-151.

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accroître la transparence et l’intégrité du processus électoral, du point du vue des facteurs explicatifs de la violence, est l’obligation d’affichage public des résultats à l’extérieur des bureaux de vote. Le principe est relativement simple : éviter la fraude et les manipulations électorales, puisque les résultats électoraux sont affichés publiquement dès le décompte complété400. Initialement, le MDC ne cache pas sa satisfaction face à une telle mesure : Tendai Biti, le Secrétaire général du parti et bras droit de Morgan Tsvangirai affirme qu’avec l’affichage public, au moins, « personne ne peut confisquer le résultat »401.

En revanche, au fur et à mesure que les résultats furent officialisés et dévoilés, leur affichage public a grandement facilité la conduite de la violence402. En effet, le revers de ce gage de transparence fut d’afficher publiquement, au niveau local, qui avait voté pour qui403, ce qui a amplifié le ciblage par le régime des secteurs ou communautés ayant « mal voté » et particulièrement de ceux ayant « trahi » la Zanu-PF 404 . Parmi les facteurs institutionnels explicatifs de l’intensité et de l’étendue de la violence pendant l’opération Makavhoterapapi, cette nouvelle réglementation obligeant l’affichage public des résultats à l’extérieur de tous les bureaux de vote du pays est l’une des plus significatives. Non seulement le ciblage était devenu encore plus rapide, mais la nouvelle réglementation a exacerbé l’humiliation de la Zanu-PF et de ses partisans, évoquée un peu plus haut.

Les populations des régions rurales des provinces du Mashonaland et du Manicaland en particulier, qui avaient par le passé plutôt tendance à appuyer la Zanu-PF, ont tout spécialement fait les frais des conséquences de cette nouvelle réglementation électorale405. Human Rights Watch rapporte une quantité élevée de cas d’assassinats, de torture, d’enlèvements et de passages à tabac dans ces provinces 406. Concrètement, l’affichage public des résultats a permis aux militants Zanu-PF et aux forces de sécurité de rendre l’opération Makavhoterapapi encore plus brutale par l’établissement de camps improvisés

400 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 118. 401 Ibid. 402 Ibid. 403 Ibid. 404 Ibid. 405 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp.15-16. 406 Ibid.

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de « rééducation », appelés pungwes 407 et/ou de camps de torture au niveau local 408 , permettant le ciblage d’un maximum d’opposants ou de personnes soupçonnées de l’être409. En date du 27 mai 2008, un mois avant le second tour de la présidentielle, Human Rights Watch rapportait déjà au moins 2000 incidents où des individus étaient victimes de violence, dont une trentaine de morts410. L’organisation de défense des droits humains décrit par ailleurs dans un rapport de mai 2008 la manière dont l’affichage public des résultats a facilité une surenchère de cas de violations graves des droits humains :

Zanu-PF supporters and their allies have not found it necessary to prove that a person voted for the MDC before meeting out ‘‘punishment’’. Instead they have examined results posted outside polling stations to identify areas where people voted for MDC in large numbers, even if MDC had lost to Zanu-PF in those areas […] In Mutoko, Mashonaland East on the night of April 10th, Zanu- PF supporters brutally beat about 20 men suspected of voting for the MDC before the entire village. A 45 year-old man told Human Rights Watch that the Zanu-PF supporters used whips, chains and iron bars to beat him and they broke his left leg below the knee. They repeatedly said his ‘‘crime’’ was that he voted for the MDC during the elections […]411

c) Les institutions sécuritaires zimbabwéennes

Le troisième facteur institutionnel explicatif de l’étendue et de l’intensité de la violence au Zimbabwe en 2008 est la structure des institutions sécuritaires du pays, qui ont directement exécuté et supervisé la mise en œuvre des violences. Plus particulièrement, ce facteur est important dans la mesure où le processus de prise de décision politique dans les hautes- sphères institutionnelles de l’État zimbabwéen ont progressivement glissé, depuis environ 2000, vers les militaires proches de Robert Mugabe412, contribuant effectivement à une militarisation du pays413. Avec la crispation des questions foncières, raciales et partisanes au tournant du nouveau millénaire, le pouvoir décisionnel a commencé à échapper de plus en plus aux ministères414. C’est néanmoins en 2008, immédiatement après le scrutin du 29

407 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 123. 408 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 30-33. 409 Ibid., pp. 15-16. 410 Ibid., p. 16. 411 Ibid., pp. 16-17. 412 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 119. 413 Ibid. 414 Ibid.

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mars, qu’a culminé cette « prise en main sécuritaire » de l’État par les militaires et que les institutions sécuritaires et leurs dirigeants – surnommés les securocrats − ont emboîté le pas aux experts et aux fonctionnaires415.

Le Joint Operations Command (JOC), qui est une structure intégrée répondant directement au président et qui regroupe les dirigeants militaires et des agences formant le bras armé de l’État a joué un rôle de premier plan dans l’organisation des violences416. Le JOC est normalement présidé par le ministre de la sécurité étatique (Minister of State Security). Le titulaire de ce poste, Didymus Mutasa, fut néanmoins rapidement écarté de la présidence du JOC dans les heures suivant la fermeture des bureaux de vote le 29 mars pour être remplacé par le ministre du logement, Emmerson Mnangagwa417 – un partisan de la ligne dure au sein de la Zanu-PF qui avait déjà présidé le JOC dans le passé418. Sont officiellement membres du JOC en 2008 le chef d’état-major des forces armées, le Général Constantine Chiwenga et les commandants de l’armée nationale (Gén. Philip Sibanda) et de la force aérienne (Maréchal de l’air Perence Shiri); le ministre de la défense Sydney Sekeramayi; le gouverneur de la Reserve Bank Gideon Gono; le commandant des services pénitenciers, le Major-Gén. à la retraite Paradzai Zimondi; le commissaire de la Zimbabwe Republic Police Augustine Chihuri ainsi que le directeur de la Central Intelligence Organisation (CIO), les services de renseignement, Happyton Bonyongwe419. Le JOC est derrière les politiques répressives de l’État zimbabwéen depuis longtemps, mais joue ouvertement un rôle partisan de premier plan depuis l’élection présidentielle de 2002420. Le Joint Operations Command est très paradoxalement une structure héritée du régime rhodésien, qui l’avait mis sur pied en 1966 pour réprimer les mouvements nationalistes et traquer ses leaders, dont Robert Mugabe et d’autres membres de la guérilla qui en 2008 (et encore aujourd’hui) y siègent en

415 Craig TIMBERG, « Inside Mugabe’s Violent Crackdowwn », The Washington Post, 5 juillet 2008 [en ligne], consulté le 6 décembre 2016, http://www.washingtonpost.com/wp- dyn/content/article/2008/07/04/AR2008070402771.html. 416 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 119. 417 sera par la suite le premier vice-président de Robert Mugabe de 2014 à 2017 avant de devenir président du Zimbabwe en novembre 2017. 418 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Ibid. 419 Ibid.; Peter GODWIN, Op. cit., pp. 189, 192. 420 Blessing-Miles TENDI, « Ideology, Civilian Authority and the Zimbabwean Military », Journal of Southern African Studies, 39(4), 2013, pp. 829-830.

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tant que militaires421! Il en est de même pour l’agence de renseignements, le CIO − qui agit un peu comme la police politique de Mugabe – qui est un vestige hérité de l’époque coloniale422. C’est donc de façon tout à fait paradoxale que le JOC est l’organe répressif qui coordonne la violence politique contre les opposants à la Zanu-PF tout comme il avait servi à organiser la répression de la ZANU sous Ian Smith. Tous ceux qui y siègent ne possèdent pas la même influence, toutefois. Emmerson Mnangagwa, mais surtout le Général Chiwenga, le Maréchal de l’air Perence Shiri et certains autres haut-gradés proches de ces derniers, ont acquis une influence considérable 423 . Ainsi, la structure des institutions sécuritaires zimbabwéennes a favorisé la militarisation du pouvoir politique, ce qui est déterminant dans le cas des violences de 2008424.

Selon des témoignages de membres de la garde rapprochée de Robert Mugabe révélés par le Washington Post, c’est le chef d’état-major, le Général Constantine Chiwenga, qui a insisté pour que le JOC et les forces armées « prennent en charge » la campagne de Mugabe pour le second tour de la présidentielle afin d’assurer la victoire du président sortant425. Les témoignages recueillis et corroborés426 par le Post soutiennent que Robert Mugabe aurait réuni les officiels en charge de la sécurité du régime le 30 mars, le lendemain du vote, à l’une de ses résidences427. Il aurait alors fait part de son intention de quitter le pouvoir devant les résultats (non-officialisés par la ZEC à ce moment) suggérant sa défaite et celle de son parti et de l’annoncer publiquement dans les jours suivants. Il se serait alors heurté à la forte opposition des généraux, particulièrement de Chiwenga, qui lui auraient indiqué

421 Lloyd SACHIKONYE, When a State Turns on its Citizens – Institutionalized Violence and Political Culture, Weaver Press, Harare, 2011, p. 48. 422 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 42-43; Peter GODWIN, Op. cit., pp. 12, 45. 423 Ces rapports de force au sein des institutions sécuritaires demeurent encore aujourd’hui, et ont été mis en évidence lors des évènements de novembre 2017 au Zimbabwe ayant précipité le départ de Robert Mugabe et l’accession au pouvoir d’Emmerson Mnangagwa avec le soutien des forces armées, commandées par le Général Chiwenga. 424 Craig TIMBERG, Op. cit. 425 Ibid. 426 « This account reveals previously undisclosed details of the strategy behind the campaign as it was conceived and executed by Mugabe and his top advisers, who from that first meeting through the final vote appeared to hold decisive influence over the president. The Washington Post was given access to the written record by a participant of several private meetings attended by Mugabe in the period between the first round of voting and the runoff election. The notes were corroborated by witnesses to the internal debates. Many of the people interviewed, including members of Mugabe's inner circle, spoke on the condition of anonymity for fear of government retribution. Much of the reporting for this article was conducted by a Zimbabwean reporter for The Post whose name is being withheld for security reasons ». 427 Craig TIMBERG, Op. cit.

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qu’une telle décision « ne lui appartenait pas à lui-seul »428. Deux choix auraient alors été offerts au président Mugabe par l’état-major, selon ce que rapporte l’article de Craig Timberg : « Chiwenga told Mugabe his military would take control of the country to keep him in office or the president could contest a runoff election, directed in the field by senior army officers supervising a military-style campaign against the opposition »429. Selon les informations recueillies par le quotidien américain, qui ont été reprises abondamment dans la littérature sur les événements de 2008 depuis, le président Mugabe aurait accepté l’idée de se lancer dans un second tour avec l’appui de l’appareil répressif de l’État 430 − se rangeant derrière les partisans de la ligne dure et mettant de côté la faction plus modérée de son parti, plus sceptique face au recours à la violence431.

C’est ainsi que serait née l’opération Makavhoterapapi, largement inspirée des campagnes militaires menées dans les années 1980 au Matabeleland432, qui étaient également sous le commandement de Constantine Chiwenga et Perence Shiri 433 . Lors d’une réunion subséquente des hauts-dirigeants Zanu-PF et de certains membres du JOC le 8 avril 2008, des plans précis auraient été formulés, et le modus operandi de la vaste opération se serait vue attribuer l’acronyme CIBD : Coercion, Intimidation, Beating, Displacement 434. On aurait également, lors de cette rencontre, élaboré certains plans précis pour placer des milices pro Zanu-PF (comprises de vétérans de guerre, de membres de l’aile jeunesse du parti, de membres de forces de l’ordre et de militants politiques) sous la supervision directe d’environ 200 officiers hauts-placés de l’armée 435 , ce que Human Rights Watch 436 et plusieurs autres organisations locales de défense des droits humains confirment dans leur documentation des violations sur le terrain437.

428 « The choice was not Mugabe's alone to make […] ». 429 Craig TIMBERG, Op. cit. 430 Ibid.; Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, « Zimbabwe’s Long Agony », Journal of Democracy, 19(4), 2008, pp. 49-50. 431 International Crisis Group, Negotiating Zimbabwe’s Transition, Africa Briefing no 51, 21 mai 2008, pp. 4- 7; Peter GODWIN, Op. cit., p. 13. 432 Craig TIMBERG, Op. cit. 433 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 261-262. 434 Craig TIMBERG, Op cit. 435 Ibid. 436 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 1; Human Rights Watch, « They Beat Me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., pp. 4-8. 437 Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., pp. 48-52.

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Ainsi, les institutions sécuritaires zimbabwéennes, de par leur structure et l’importance croissante qui leur a été graduellement accordée dans l’exercice du pouvoir, ont joué un rôle central dans la mobilisation de la violence et du recours aux violations des droits humains à des fins politiques dans le contexte électoral de 2008. Ce facteur institutionnel explique en partie l’ampleur et l’efficacité de l’opération Makavhoterapapi, pilotée depuis les plus hautes sphères du pouvoir régalien. Comme pour les auteurs de violations « sur le terrain », les hauts-gradés ne se sont jamais gardés d’exprimer leur soutien à la Zanu-PF438, ce qui démontre par ailleurs l’idéologie du régime présentée au chapitre précédent en plus de démontrer l’implication directe de l’État zimbabwéen.

Pour les généraux et les securocrats, comme pour la Zanu-PF, la campagne de violence s’inscrit dans le cadre de la troisième Chimurenga et doit être menée à terme. Le 31 mai, notamment, le Major-Gén. Martin Chedondo a affirmé que l’armée se devait de servir Mugabe, et Mugabe seulement : « Solidiers are not apolitical; only mercenaries are apolitical. We should therefore stand behind our Commander-in-Chief […] If you have other thoughts, then you should remove that uniform »439. Cette affirmation fait suite à une déclaration du Gén. Chiwenga avant le scrutin du 29 mars, qui avait déclaré au Standard : « […] the army would not support or salute sell-outs and agents of the West before, during and after the presidential elections »440, une référence claire au MDC. En 2002, un tel avertissement avait par ailleurs été émis par les hauts-gradés, prévenant qu’ils n’obéiraient pas à Tsvangirai en cas de victoire : « […] we will therefore not accept, let alone support or salute, anyone with a different agenda that threatens the very existence of our sovereignty, our country, our people […] »441.

Certaines des menaces verbales les plus explicites, par ailleurs, démontrent clairement l’imbrication entre les partisans de la ligne dure de la Zanu-PF et le bras armé de l’État. Cela fait également écho à la justification idéologique du recours à la violence dans le contexte zimbabwéen, en se référant constamment à la guérilla de libération du pays. Ces menaces explicites de la part de militaires et de dirigeants sont des exemples concrets des

438 Ibid., pp. 47-49. 439 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 18-19. 440 Ibid., p. 18. 441 Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., p. 47.

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pratiques autoritaires de l’État zimbabwéen correspondant à la catégorie des autoritarismes durs de Jean-François Médard, où la violence peut être très forte et cibler toute forme de dissidence au régime. « This country came through the bullet, not the pencil. Therefore, it will not go by the X of the pencil »442, avait affirmé un général de l’armée443 avant le second tour de la présidentielle en juin. Émettant un avertissement quasi-identique, le président Mugabe lui-même affirma : « we fought for this country, and a lot of blood was shed. We are not going to give up our country because of a mere X. How can a ballpoint fight with a gun? »444. Cette déclaration « choc » de Mugabe, largement rapportée dans les medias occidentaux en 2008, fait écho à une citation célèbre de 1976 de Mugabe, qui avait affirmé : « Our votes must go together with our guns; after all any vote we shall have, shall have been the product of the gun. The gun which produces the vote should remain its security officer – its guarantor. The people’s votes and the people’s guns are always inseparable twins. »445.

442 Eldred V. MASUNUNGURE, Op. cit., p. 56. 443 Le Major-Général Engelbert Rugeje. 444 Eldred V. MASUNUNGURE, Ibid., citant un article du Times (Londres) du 17 juin 2008. 445 Martin MEREDITH, Op. cit., p. v.; Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, Op. cit., p. 50.

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4. LA VIOLENCE POLITIQUE ET LE DROIT INTERNATIONAL DES DROITS HUMAINS (CHAPITRE 3)

4.1 La violence comme instrument politique et partisan

La campagne de violences lancée par le régime et pilotée par les securocrats et le JOC en 2008 a observé certaines pratiques relativement rigoureuses dans l’exécution des violations sur le terrain. À la lumière des facteurs et des incidents exposés à la section précédente, la présente section vise à fournir un aperçu d’ensemble des pratiques formant les violations récurrentes et massives des droits humains et la manière dont le régime zimbabwéen s’en sert sur les plans partisans et idéologiques.

a) Aperçu des actes de violence

Un certain nombre de pratiques et de façons de faire sont récurrentes dans la commission de violations massives des droits humains au Zimbabwe, tel que brièvement évoqué plus haut. En effet, les actes de violence semblent de façon générale obéir à certains schémas particuliers. Imbriqués au contexte électoral, politique et idéologique dans lequel la crise violente de 2008 a lieu, les violations des droits humains à grande échelle prennent la forme d’exécutions arbitraires, d’enlèvements et surtout, de passages à tabac et de torture, généralement accompagnés de pillages446.

Les cas de torture et de passages à tabac sont les plus fréquents et font le plus de victimes – plus de 5000 ont été rapportées par Human Rights Watch pendant l’automne et l’hiver austral 2008 447 . Également, il semble y avoir une certaine gradation dans le type de violations commises en fonction du statut de la victime. Les hauts-placés, organisateurs influents et militants « très visibles » du MDC – qui jouent un rôle fondamental dans le succès électoral du parti − ont été largement plus à risque d’être kidnappés et/ou

446 Amnistie Internationale, Zimbabwe – Déchaînement de violences à la suite du scrutin, 3 juin 2008, document AFR 46/014/2008, pp. 2-6. 447 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 2.

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assassinés448. Les séances forcées de « rééducation » nocturnes pungwes, les passages à tabac, les pillages et l’intimidation ont plutôt visé les populations sympathiques au MDC (ou soupçonnées de le soutenir)449 alors que les cas de torture, accompagnés souvent de pillages et de violence à l’encontre de proches ont plutôt affecté les sympathisants et membres peu ou moins influents du MDC450.

De manière générale, un grand nombre de violations ont été exécutées selon un mode opératoire semblable. Que ce soit des enlèvements, des passages à tabac, des pillages, des vols ou des destructions de propriétés, dans la quasi-totalité des localités touchées par la violence, les actes ont été commis de nuit par des bandes pro Zanu-PF dont la composition est variable, allant de quelques individus à plus de 100 personnes451. Tel qu’exposé à la section précédente, également, la campagne de violence baptisée opération Makavhoterapapi a été placée sous le commandement du JOC et de plusieurs centaines d’officiers supérieurs de l’armée, qui ont dirigé et incité les violences452. Même si le régime Mugabe tente le plus possible de minimiser son implication directe dans les violences en se « cachant » derrière les vétérans de guerre et les groupes de jeunes du parti453, l’implication étatique va régulièrement en 2008 au-delà de la simple complaisance ou de l’assistance logistique454. En effet, Human Rights Watch rapporte :

Although Human Rights Watch cannot link the JOC directly to specific acts of violence, our interviews of more than 20 victims and eyewitnesses from separate incidents named at least 10 senior ranking police, prison and army officers who report to the heads of the JOC as inciting or participating in abuses. Their participation could not have occurred without the knowledge and acquiescence, if not direct participation, of the JOC455.

448 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 123; Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., pp. 1, 5, 6, 9- 13; Peter GODWIN, Op. cit., pp. 60-61, 155-159, 189-193; Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 29-30. 449 Ibid., pp. 34-39, 46-52. 450 Ibid., pp. 30-34, 40-46. 451 Ibid., p. 20. 452 Craig TIMBERG, Op. cit.; Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 17, 19. 453 Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, Op. cit., p. 50. 454 Ibid. 455 Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p.19.

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Par ailleurs, Michael Bratton et Eldred Masunungure rapportent qu’en plus du déploiement d’environ 200 hauts-gradés de l’armée pour superviser l’opération Makavhoterapapi, le JOC a divisé le pays en dix commandements militaires provinciaux bénéficiant chacun de financement étatique afin de mener à bien (et de manière efficace) la campagne de violence456. Human Rights Watch a par ailleurs été en mesure de documenter que les bases de milices composées de jeunes du parti et de vétérans de guerre dans la province du Manicaland étaient directement approvisionnées en fonds, carburant, véhicules et nourriture par l’armée457 en plus de répondre aux ordres de la chaîne de commandement militaire.

Tel qu’évoqué plus haut, la violence en 2008 a notamment eu pour but de complètement déstabiliser le MDC458. C’est la raison pour laquelle des organisateurs hauts placés ainsi que des candidats élus (ou même défaits) et leurs proches ont été les plus visés par les enlèvements suivis de torture et/ou d’exécution arbitraires459. Rien qu’en mai 2008, au moins 5 incidents séparés ont été signalés à Human Rights Watch où des membres du MDC ou leurs proches ont été pris en embuscade par des vétérans, des agents du CIO ou des militaires 460 . Le modus operandi est pratiquement toujours le même, et le restera par ailleurs tout au long des épisodes de violence de 2008 :

Victims of the abductions informed Human Rights Watch that they were taken to military bases or “war veteran” bases and camps where suspected ZANU-PF supporters, “war veterans” and soldiers beat and tortured them, including by mutilation. Other victims reported that the perpetrators would take them into the bush or deep into the hills and mountains of the countryside, and beat and torture them before leaving them for dead461.

En juillet, c’est plus d’une centaine de partisans, militants et organisateurs du MDC dont l’assassinat fut confirmé, dont des élus et leurs familles462. Si certains ont survécu à ces

456 Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, Op. cit., p. 51. 457 Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 32. 458 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 122-124. 459 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., pp. 9-13. 460 Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 29. 461 Ibid. 462 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., pp. 9, 13-14.

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attaques et ont pu trouver des secours après avoir été laissé pour morts463, presque toutes les victimes dont les corps ont été retrouvés présentaient des signes de torture, dont des mutilations génitales ou encore des organes tels que la langue ou les yeux coupés464. Quant à elles, les bases (ou camps) servant aux pungwes ont fait le plus grand nombre de victimes – plusieurs milliers – et ont visés les sympathisants et les électeurs de l’opposition.

Une distinction doit être opérée entre les bases de torture et les pungwes. Les bases de torture ont été établies un peu partout dans le pays, au niveau local en utilisant des écoles, des campements militaires ou de police, ou encore des granges et des bâtiments confisqués tels des country clubs465. C’est essentiellement dans le même type d’endroit, voire souvent aux mêmes endroits, que les pungwes ont lieu. Néanmoins, les camps de torture ne visent pas exactement les mêmes victimes : « The camps are used to beat and torture victims to punish for voting for the MDC, to extract information from the victims on the whereabouts of other MDC activists and supporters, and finally to force victims to denounce the MDC and swear allegiance to ZANU-PF »466. Très fréquemment, ces cas de torture ont répété le même mode opératoire à chaque fois. Les victimes ont dans de très nombreux cas été battues avec des bâtons, des chaînes ou des crosses de fusil sur les jambes, le dos et surtout les fesses, arrachant la peau et la chair, alors qu’ils étaient immobilisés à plat ventre467. Une grande partie des victimes enlevées pour être torturées en raison de leur appartenance au MDC en milieu rural ont par ailleurs été pillées, leur maison ou leur hutte brûlée et le cas échéant, leurs récoltes et leur bétail volés ou simplement massacrés468.

Les séances de rééducation, ou pungwes, sont différentes dans la mesure où elles visent à intimider les populations et les forcer à prêter allégeance à la Zanu-PF, souvent très brutalement, mais pas à obtenir des informations comme l’identité de membres du MDC et leur rôle dans le parti afin de les traquer469. Human Rights Watch rapporte :

463 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 349-354. 464 Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 29. 465 Ibid., p. 32. 466 Ibid., p. 36. 467 Ibid., pp. 17, 36-38; Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., pp. 58-59. 468 Ibid., pp. 60-61; Peter GODWIN, Op. cit., pp. 84-95. 469 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 40.

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The sole purpose of these meetings has been to coerce the population into voting for ZANU-PF and denouncing the MDC through beatings and torture. Villagers have informed Human Rights Watch that the meetings take place on a daily basis with ZANU-PF and its allies visiting areas and villages in the provinces where they believe they suffered significant losses to the MDC or where they won by very narrow margins. The posting of results outside polling stations has enabled the party to target these areas with little difficulty. Victims told Human Rights Watch that people are forced to chant ZANU-PF slogans and swear allegiance to the party at the meetings470.

Les violences se sont par ailleurs étendues en 2008 aux groupes perçus comme trop proches ou complices de l’opposition. Notamment, les enseignants, mobilisés par le processus électoral en tant qu’agents électoraux indépendants dans les bureaux de vote471 ainsi que des agents de la ZEC et des scrutateurs ont été ciblés et battus dans le cadre de l’opération Makavhoterapapi472, suivant généralement les mêmes façons d’opérer que ce qui a été présenté ci-haut473. Une nouvelle vague d’expropriations a par ailleurs visé un certain nombre de propriétaires terriens blancs, exactement comme en 2000. Au moins 130 propriétés 474 , dont des aires de conservation pour les espèces menacées, des réserves naturelles biologiques et bien entendu, des fermes commerciales, ont été envahies, pillées et leurs occupants expulsés par la force475. Bien que comme en 2000, les vétérans de guerre ont été à l’avant-plan des violences, ce sont les groupes de jeunes de la Zanu-PF (Zanu-PF Youths) qui auraient toutefois été les auteurs directs du plus grand nombre de violations – 45% − entre avril et juin 2008, selon les chiffres du Centre for the Study of Violence and Reconciliation (CSVR)476. Les vétérans de guerre viennent quant à eux au deuxième rang, et se voient attribuer la responsabilité de 21% des cas de violences477, suivis des partisans de Robert Mugabe (17%), de l’armée (9%), de la police (7%), du CIO (2%) et enfin du MDC, qui serait responsable de moins de 1% des violations478. Il faut toutefois noter qu’un

470 Ibid. 471 Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, Op. cit., p. 51; Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., p. 51. 472 Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 16. 473 Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., pp. 50-52. 474 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122. 475 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 52-57, 270-275. 476 Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., p. 50. 477 Ibid. 478 Ibid.

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grand nombre d’incidents rapportés impliquait des auteurs appartenant à plusieurs catégories mentionnées ci-haut479.

b) Les violations des droits civils et politiques au Zimbabwe : la pierre angulaire de l’autoritarisme du régime Mugabe en 2008

Il a été établi au chapitre précédent qu’il est possible de classer le régime de Robert Mugabe pendant la période 2008-2013 dans la catégorie des autoritarismes durs de la typologie proposée en 1991 par Jean-François Médard480. À la lumière de la façon dont se manifeste la violence et les violations des droits humains par le régime de la Zanu-PF, il est possible de constater que les violations sont perpétrées de manière instrumentale – en visant spécifiquement les opposants, réels ou perçus − et structurée. Tel que le conçoit Médard dans sa typologie − et que le rapportent divers organismes de défense des droits humains pour le cas du Zimbabwe – le recours à la violence d’État est rationnel et est érigé en système; il obéit à certains principes bien institutionnalisés, comme le respect des ordres et de la hiérarchie des forces de sécurité481. La violence, tout en ayant très gravement affecté le pays en 2008 et lors des épisodes de violences précédents, demeure avant tout la pièce maîtresse d’un calcul politique rationnel et d’une stratégie de la part du régime pour conserver son monopole sur le pouvoir482. Dans un article publié tout juste après la flambée de violences de 2008, Michael Bratton et Eldred Masunungure abondent dans le même sens. Ils y confirment (sans le mentionner explicitement) que le recours aux violations à grande échelle des droits humains par le régime s’inscrit dans la typologie proposée par Jean-François Médard en y détaillant des particularités propres à la catégorie des autoritarismes durs 483. Notamment, ils affirment : « Along with his party and military colleagues, Mugabe has established an institutionalized system of authority with clear rules, structures, and incentives »484. Le recours à la violence n’y est donc pas purement indiscriminé, tel que le précise justement Médard, mais bien institutionnalisé et se conjugue

479 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., pp. 16-18. 480 Jean-François MÉDARD, Op. cit., pp. 97-99. 481 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Ibid.; Craig TIMBERG, Op. cit.; Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., pp. 47-51. 482 Daniel BOURMAUD, Op. cit., p. 640; Linda FREEMAN, Op. cit., p. 353. 483 Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, Op. cit., p. 42. 484 Ibid.

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à une rhétorique idéologique, abordée au chapitre précédent485, qui justifie les pratiques du régime et sa légitimité.

Dans ce contexte, l’existence de violations à grande échelle des droits humains protégés par le droit international a entraîné des condamnations et des critiques acerbes du régime Mugabe de la part de la communauté internationale et des organismes de défense des droits humains486. En raison de la « barrière de solidarité anti-impérialiste »487 qu’a habilement érigé Mugabe autour de lui-même et de son gouvernement, les pressions et critiques extérieures (surtout occidentales) ont largement été contre-productives, de l’aveu même de Morgan Tsvangirai 488 . Des critiques provenant d’États n’étant eux-mêmes pas « irréprochables »489 ont encouragé la rhétorique classique de la Zanu-PF selon laquelle les Occidentaux ne seraient que des donneurs de leçon qui ne brandissent les droits humains que lorsqu’ils veulent se débarrasser d’un dirigeant gênant – en l’occurrence Mugabe490. D’une certaine manière, ainsi, l’animosité régnant entre plusieurs États et organisations internationales et le régime zimbabwéen de Robert Mugabe a plutôt bénéficié à ce dernier, lui permettant de se positionner en porte-étendard de l’anti-impérialisme et du « tiers- monde », tel qu’élaboré au chapitre précédent. Encore une fois, également, ce sont les droits civils et politiques protégés par les instruments de droit international, en particulier, qui « ont fait les frais » de cette situation, puisqu’ils sont dépeints comme étrangers et découlant d’une domination extérieure.

Ces violations de droits civils et politiques protégés par le droit international, dont un aperçu a été donné dans les sections précédentes, sont également des indicateurs directs du niveau d’intensité du recours à la violence par le régime et par le fait même, du degré d’autoritarisme du gouvernement dirigé par le président Robert Mugabe. Les violations de droits civils et politiques constituent également une manière d’aborder les pratiques autoritaires de l’État zimbabwéen à la lumière de la typologie présentée au chapitre précédent et de porter un regard sur le paradoxe du maintien en place du régime malgré la

485 Voir également les articles de Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS et de Linda FREEMAN (Op. cit.). 486 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 44, 162-163. 487 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPPOULOS, Op. cit., p. 386. 488 Peter GODWIN, Op. cit., p. 163. 489 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPPOULOS, Ibid. 490 Linda FREEMAN, Op. cit., p. 352.

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violence perpétrée massivement à des fins politiques. Les violations des droits humains à grande échelle par l’État zimbabwéen sont par ailleurs révélateurs d’une « érosion » plus large de la règle de droit au profit de l’arbitraire et des pratiques autoritaires violentes491, à l’instar de ce que la littérature sur la typologie des régimes autoritaires en Afrique suggère. En conséquence, les prochaines sections de ce chapitre aborderont, d’un point de vue juridique, les atteintes au droit à la vie, au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ainsi qu’à la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants afin de mettre en lumière la façon dont est mobilisée la violence politique par le régime zimbabwéen.

4.2 La violence politique au Zimbabwe en droit international des droits humains

4.2.1 Atteintes au droit à la vie

a) Le droit à la vie en droit international des droits humains

Le droit à la vie est consacré sur le plan universel en droit international des droits humains par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques492 (ci-après, PIDCP) auquel a adhéré le Zimbabwe le 13 mai 1991 493 . L’article 6 du PIDCP, qui se décline en six paragraphes, protège le droit à la vie qui d’ailleurs est la toute première protection énumérée par le Pacte. L’article 6 se décline comme suit :

Article 6 1. Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.

2. Dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis et qui ne doit pas

491 Voir le rapport de Human Rights Watch « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit. 492 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 23 mars 1976). 493 Nations Unies, Collection des traités, Op. cit. https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_fr.

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être en contradiction avec les dispositions du présent Pacte ni avec la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Cette peine ne peut être appliquée qu’en vertu d’un jugement définitif rendu par un tribunal compétent.

3. Lorsque la privation de la vie constitue le crime de génocide, il est entendu qu’aucune disposition du présent article n’autorise un État partie au présent Pacte à déroger d’aucune manière à une obligation quelconque assumée en vertu des dispositions de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

4. Tout condamné à mort a le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la peine. L’amnistie, la grâce ou la commutation de la peine de mort peuvent dans tous les cas être accordées.

5. Une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans et ne peut être exécutée contre des femmes enceintes.

6. Aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale par un État partie au présent Pacte494.

Parmi les violations ayant été perpétrées au Zimbabwe en 2008 − dont un aperçu a été donné à la section précédente de ce chapitre − ce sont essentiellement les atteintes au droit à la vie visées au paragraphe 1 de l’article 6 qui sont pertinentes en l’espèce, plus particulièrement la troisième phrase « nul ne peut être arbitrairement privé de la vie ». Il est important à ce stade de mentionner que l’article 6 du Pacte n’interdit que les privations arbitraires de la vie, donc celles commises dans un contexte extrajudiciaire. Si le Zimbabwe n’a pas aboli la peine de mort495 comme mode de répression pénale, une condamnation à mort prononcée en bonne et due forme par un tribunal zimbabwéen ne pourrait être considérée comme une violation de l’article 6. De plus, puisque les violations étudiées ici sont les actes de violences mobilisés à des fins politiques et partisanes par le régime de Robert Mugabe et ses alliés, ce sont les exécutions arbitraires commis dans le contexte de la crise politique et documentés par divers organismes de défense des droits humains496 qui

494 PIDCP, art. 6. 495 Amnistie Internationale, Rapport 2008 – La situation des droits humains dans le monde, Amnesty International – Éditions francophones, Londres, 2008, p. 424. 496 Voir notamment les rapports de Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit. et « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit.

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sont pertinents à l’égard de l’objet d’étude en présence. Les autres paragraphes de l’article 6, quant à eux, réfèrent notamment aux limitations au droit à la vie en lien justement avec l’application de la peine capitale et les liens entre l’article 6 et la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide497.

Le droit à la vie consacré par le droit international est considéré comme le « droit suprême », selon le Comité des droits de l’homme498. Le droit à la vie est également considéré comme « le noyau irréductible des droits de l’homme » 499 ou encore « la condition nécessaire à l’exercice de tous les autres [droits] »500. La disposition du Pacte dont il est plus particulièrement question ici, le paragraphe 1 de l’article 6 protégeant contre la privation arbitraire de la vie, a atteint une valeur coutumière 501 et « vraisemblablement »502, selon le Comité des droits de l’homme503, la valeur de norme impérative de droit international - jus cogens504.

La protection contre la privation arbitraire de la vie à l’article 6(1) du PIDCP est bien entendu essentiellement une obligation négative : l’État zimbabwéen doit s’abstenir de priver ses citoyens de leur droit à la vie de façon arbitraire505. Néanmoins, la protection contenue au paragraphe 1 de l’article 6 contient également une obligation positive importante. En effet, le Comité des droits de l’homme, dans son observation générale no 6, affirme que « la protection du droit à la vie exige que les États adoptent des mesures

497 William A. SCHABAS, Article 6, dans Emmanuel DECAUX (sous la direction de), Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques : Commentaire article par article, Economica, Paris, 2011, pp. 187-199. 498 Ibid., p. 180. 499 Alexandre-Charles KISS et Jean-Bernard MARIE, « Le droit à la vie », Human Rights Journal, no 7, 1974, p. 340. 500 William A. SCHABAS, Op. cit., p. 180 citant Frédéric SUDRE. 501 Ibid. 502 Ibid. 503 Comité des droits de l’homme, Observation Générale 24(52)- Observation générale sur les questions touchant les réserves formulées au moment de la ratification du Pacte ou des Protocoles facultatifs y relatifs ou de l'adhésion à ces instruments, ou en rapport avec des déclarations formulées au titre de l'article 41 du Pacte, CCPR/C/21/Rev. 1/Add. 6, 11 novembre 1994. 504 Observation générale 24(52), Op. cit., par. 8 : « […] les dispositions du Pacte qui représentent des règles de droit international coutumier (a fortiori lorsqu'elles ont le caractère de normes impératives) ne peuvent pas faire l'objet de réserves. Ainsi, un État ne peut se réserver le droit de pratiquer l'esclavage ou la torture, de soumettre des personnes à des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, de les priver arbitrairement de la vie, […] ». 505 William A. SCHABAS, Op. cit., p. 184.

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positives506 […] non seulement pour prévenir et réprimer les actes criminels qui entraînent la privation de la vie, mais également pour empêcher que leurs propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire507». Le Comité a par ailleurs conclu en 1982 dans l’affaire Camargo que l’emploi de la force par les forces policières de la Colombie contre sept individus qui furent assassinés dans le cadre d’un raid visant à libérer un ambassadeur kidnappé constituait une privation arbitraire de la vie. Notamment, la justification donnée par la Colombie dans cette affaire à l’effet que les actes commis par les policiers étaient dans le but de prévenir des crimes graves en vertu d’une loi nationale sur l’état de siège fut rejetée508. Le Comité en est arrivé à la conclusion que la loi colombienne sur l’état de siège n’offrait pas de protections suffisantes pour prévenir les atteintes au droit à la vie dans la mesure où elle justifiait un recours disproportionné à la force de la part des policiers, constituant une violation de l’article 6 du PIDCP509. Ainsi, le droit à la vie consacré en droit international par le Pacte prévoit que toutes les mesures doivent être prises en amont pour s’assurer que les forces de sécurité d’un État n’aient pas recours à la privation arbitraire de la vie en toutes circonstances, y compris en obéissant à des lois nationales sur le maintien de l’ordre et de la sécurité nationale. De plus, aucune dérogation à l’article 6 n’est possible en vertu de l’article 4(2) du Pacte, et ce en tout temps510.

Au Zimbabwe, où des lois répressives511 ont été sporadiquement adoptées dans la foulée de contextes politiques tendus512, la jurisprudence du Comité des droits de l’homme en ce qui concerne l’interprétation de l’article 6 – en particulier l’affaire Camargo – n’est pas sans intérêt. En effet, puisque souvent les forces de sécurité du régime et les groupes militants pro Zanu-PF affirment agir au nom de la défense de la souveraineté du Zimbabwe et la protection contre l’impérialisme extérieur513, la violence − surtout les violations de droits civils et politiques protégés par le droit international – a tendance à être banalisée ou

506 Comité des droits de l’homme, Observation Générale no 6 - Article 6 (droit à la vie), HRI/GEN/1/Rev.9 (Vo. I), 30 avril 1982, par. 5. 507 Observation Générale no 6, Op. cit., par. 3; William A. SCHABAS, Op. cit., p. 185. 508 Camargo c. Colombie, Communication 45/1979 - UN Doc CCPR/C/15/D/45/1979, UNHRC, 31 mars 1982. 509 Ibid., par. 13(2) et 13(3); William A. SCHABAS, Op. cit., pp. 186-187. 510 Ibid., p. 196. 511 Notamment le Public Order and Security Act [Chapter 11:17] (Act 1/2002, 6/2005) ZWE-2002-L-85399. 512 Peter GODWIN, Op. cit., p. 251. 513 Linda FREEMAN, Op. cit., pp. 359-360; Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., pp. 398- 399.

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justifiée par l’impératif identitaire ou sécuritaire et les lois y étant associées 514 . En conséquence, le précédent de Camargo c. Colombie ainsi que la jurisprudence pertinente du Comité des droits de l’homme concernant l’article 6 du Pacte515 vient réfuter la justification éventuelle de privations arbitraires de la vie par l’invocation de quelconque loi protégeant la souveraineté, l’ordre public ou la sécurité nationale du Zimbabwe.

Le droit à la vie est également protégé par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples516, l’instrument régional de protection des droits humains que le Zimbabwe a signé et ratifié en 1986517. La Charte africaine prohibe elle aussi explicitement les privations arbitraires de la vie en son article 4. La formulation générale de l’article 4 est toutefois plus vague, puisqu’elle ne porte pas uniquement sur le droit à la vie − comme l’article 6 du PIDCP − mais bien sur « l’inviolabilité de la personne humaine » :

ARTICLE 4

La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne: Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit.

La protection du droit à la vie dans un instrument africain de droit international des droits humains contredit l’argument fréquemment avancé par le régime et ses alliés que les droits civils et politiques consacrés juridiquement sur le plan supranational ne sont qu’une création étrangère non-applicable dans un contexte dit « du tiers-monde ». En plus d’être une protection ayant une valeur coutumière518, tel que précisé ci-haut, il n’existe aucune justification juridique possible permettant les atteintes au droit à la vie et la privation arbitraire de la vie pour l’État zimbabwéen, en vertu des instruments auxquels le Zimbabwe de Robert Mugabe a adhéré volontairement.

514 Voir notamment Peter GODWIN, Op. cit., pp. 223, 291 et 308 et Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 12. 515 Voir également les affaires Baboeram et consorts c. Suriname (1985) et Chongwe c. Zambie (2000). 516 Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, 27 juin 1981 (entrée en vigueur le 21 octobre 1986). 517 Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, Tableau de ratification : Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples [en ligne], consulté le 8 février 2017, http://www.achpr.org/fr/instruments/achpr/ratification/. 518 William A. SCHABAS, Op. cit., p. 180.

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b) Le régime zimbabwéen et le droit à la vie en 2008

Tel qu’évoqué plus haut, l’idéologie du régime Mugabe et de ses partisans et la perception véhiculée des droits humains protégés par les instruments de droit international a servi non seulement à balayer du revers la main les critiques internationales519, mais également à ériger toute une rhétorique présentant ces droits comme « non-Africains »520. Dans le cadre des campagnes de violence politique menées tout long de la décennie 2000, le discours des dirigeants zimbabwéens et des auteurs de violations démontre une certaine volonté de nier l’applicabilité des droits civils et politiques521 – ou du moins de certains droits civils et politiques – aux opposants à la Zanu-PF sur le territoire du Zimbabwe522. Les garanties les plus fondamentales encadrant le droit à la liberté et la protection contre la torture, notamment, ont été ouvertement niées523. Par exemple, Robert Mugabe a publiquement déclaré que la police pouvait battre Morgan Tsvangirai « puisqu’il ne savait pas bien se comporter » et que si les Occidentaux avaient un problème avec cela ils pouvaient bien « aller se faire pendre »524. Il avait par ailleurs ajouté : « Those who want to rebel and to cause lawlessness will be beaten to the ground like they have never been beaten »525 tout en précisant que les Britanniques et « les blancs » n’avaient aucune leçon à lui faire en matière de respect de la règle de droit526.

Il faut toutefois dire qu’en dépit de l’hostilité ouvertement affichée envers les droits civils et politiques, il n’existe aucune preuve ou démonstration claire, à la lumière de la documentation consultée, que Mugabe ou ses alliés et partisans aient explicitement niés ou rejetés l’existence ou l’application du droit à la vie, ou encore qu’il ait été taxé de concept occidental. Toutefois, tel qu’en témoigne le journaliste Peter Godwin suite à son séjour au Zimbabwe pendant les violences à l’automne austral 2008, certains propos issus de la propagande du régime incitaient à la haine en bonne et due forme des sell outs, ces traîtres

519 Linda FREEMAN, Op. cit., p. 351; Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 387. 520 Ibid. 521 Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 157-158, 238-239. 522 Ibid., pp. 387-395; « Zimbabwe – State of Denial » The Rageh Omaar Report – Al Jazeera, Op. cit.; Martin MEREDITH, Op. cit., chapitres 10 à 16. 523 Voir plus haut, notamment les appels au passage à tabac de partisans du MDC par des élus Zanu-PF et les commentaires de Robert Mugabe sur la règle de droit et le Zimbabwe. 524 Martin MEREDITH, Ibid., p. 239. 525 Ibid., p. 230. 526 Ibid., p. 180.

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aux idéaux de la révolution aux yeux de la Zanu-PF et de Mugabe. Peter Godwin rapporte que les médias d’État, deux semaines après le scrutin du 29 mars, ont diffusé des menaces à peine voilées contre les opposants au régime, qu’il assimile à ce que faisait la Radio des Milles Collines au Rwanda en 1994527 :

[…] that night […] we watch ZTV, the state broadcaster. ‘‘Comrade Chinx’’, a war vet in a red beret and fatigues is exhorting the viewers to ‘‘war’’. […] In chiShona, the venom being pumped out is reaching for the excesses broadcast by the Interahamwe’s Radio (Milles Collines), which helped trigger the Rwandan genocide […] ‘‘We are fighting Nazism again’’ continues Comrade Chinx, over footage from the civil war of guerrillas dancing, and lingering close-ups of weapons, especially the totemic AK-47. And he sings the liberation war anthem ‘‘Vadzoka kuHondo’’. […] ‘‘We are not ex-fighters’’, he insists, ‘‘we are current freedom fighters – current!’’ […] His words are intercut with footage of dead white farmers. The broadcast is chilling, little less than a death threat, and certainly an implicit incitement to kill528.

Peter Godwin n’est pas toutefois pas le seul à avoir rapporté ce type de propos. Si, encore une fois, Robert Mugabe ou ses proches collaborateurs et partisans n’ont jamais ouvertement rejeté l’existence de la protection garantie par le droit à la vie comme ils l’ont fait pour certains autres droits humains, plusieurs déclarations sont empreintes d’ambigüité. Sans explicitement inciter ses partisans au meurtre des « traîtres » aux idéaux révolutionnaires, le ministre Didymus Mutasa a pourtant déjà déclaré, en référence aux résultats électoraux accordant presque la moitié des votes à la Zanu-PF et l’autre à l’opposition − tous partis confondus – (sur environ douze millions d’habitants) : « We would be better off with only six million people, with our own people who support the liberation struggle » 529 . Rien ne peut lier ici directement ces propos aux privations arbitraires de la vie de militants d’opposition, surtout qu’officiellement rien ne fait référence au meurtre de qui que ce soit ou de quel groupe que ce soit. Néanmoins, le caractère « ambigu » de certains propos tirés de la rhétorique du régime Mugabe, comme ceux de Didymus Mutasa, fait sérieusement douter de la volonté de l’État zimbabwéen de s’assurer du respect du droit à la vie en s’acquittant de ses obligations découlant du droit international. En particulier, la volonté réelle du régime de prendre des mesures pour

527 Peter GODWIN , Op. cit., p. 40. 528 Ibid., pp. 40-41. 529 Martin MEREDITH, Op. cit., p. 231.

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s’assurer que ses forces de sécurité ne commettent pas arbitrairement des atteintes au droit à la vie, tel que le prévoit l’article 6(1) du PIDCP est floue530. Bien entendu, il est assez peu réaliste de croire que la mise en place de l’opération Makavhoterapapi afin de recourir à la violence à grande échelle pour s’assurer du triomphe électoral de Robert Mugabe au second tour de l’élection présidentielle ait été faite avec le souci de respecter les obligations internationales en matière de droits humains. Il demeure toutefois qu’en comparaison avec les autres types de violations des droits humains répertoriées, notamment par Human Rights Watch, Amnistie Internationale et d’autres, les privations arbitraires de la vie – les meurtres de militants du MDC – sont beaucoup moins nombreuses que les cas de torture et de passage à tabac, par exemple531.

Le but de l’opération Makavhoterapapi en 2008 n’était pas de massacrer le plus grand nombre d’individus dissidents, mais bien de prendre toutes les mesures nécessaires, en ayant recours à la violence, pour s’assurer du triomphe de Robert Mugabe et de la Zanu-PF dans les urnes532 et de la déstabilisation du MDC533. Peter Godwin fait état dans son livre The Fear de témoignages qu’il a recueilli à cet effet de victimes ou de témoins de violence sur le terrain qui confirment que les assassinats ou tentatives d’assassinats politiques sont ciblés et les victimes généralement choisies de façon rationnelle. Au sujet des motifs derrière l’opération Makavhoterapapi, il écrit :

There is no need to directly kill hundreds of thousands, if you can select and kill the right few thousand. […] and now murders here are accompanied by torture and rape on an industrial scale, committed on a catch-and-release basis. When those who survive, terribly injured, limp home, or are carried or pushed in wheelbarrows, or on the backs of pickup trucks, they act like human billboards, advertising the appalling consequences of opposition […]534

Ce que rapporte ici Godwin quant à la place des atteintes au droit à la vie dans la stratégie de recours à la violence à des fins politiques et partisanes du régime Mugabe confirme également une caractéristique qu’apporte Jean-François Médard dans sa typologie des régimes autoritaires en Afrique. En effet, Médard affirme qu’une caractéristique des

530 William A. SCHABAS, Op. cit., p. 185. 531 Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., pp. 1, 27. 532 Craig TIMBERG, Op. cit.; Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122. 533 Ibid. 534 Peter GODWIN, Op. cit., p. 109.

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régimes politiques correspondant à la catégorie des autoritarismes durs est que le recours à la violence est rationnel et vise des cibles déterminées 535 , mais qu’ils n’ont « aucun scrupule à liquider » ceux qu’ils soupçonnent d’être des opposants ou des dissidents536. Le Zimbabwe de Robert Mugabe a par ailleurs démontré au fil des ans son souci de se positionner comme un champion mondial de l’anti-impérialisme537 et donc de maintenir sa légitimité et son image sur le plan externe, surtout auprès des dirigeants africains ayant une certaine affinité idéologique avec la Zanu-PF538. Ainsi, des massacres d’une trop grande envergure auraient probablement été contre-productifs en ternissant (trop) l’image du gouvernement de Robert Mugabe et en l’isolant complètement sur la scène internationale. Les violations massives de 2008 vont par ailleurs amener la SADC et certains alliés africains à faire pression sur Mugabe devant les violences pour qu’il accepte de partager le pouvoir avec Tsvangirai539, sans compromettre entièrement toutefois son « aura de libérateur anti-impérialiste et panafricain »540.

c) Cas de privations arbitraires du droit à la vie au Zimbabwe en 2008

Selon Amnistie Internationale, la vaste campagne de violence politiquement motivée au Zimbabwe en 2008 dans le cadre de l’opération Makavhoterapapi a fait au moins 200 morts, considérés comme des exécutions arbitraires541. Au plus fort de la crise, Human Rights Watch recense, rien que pour le mois de juin 2008, 60 meurtres politiquement motivés directement imputables à la Zanu-PF et ses alliés542 et 32 pour le mois suivant la victoire de Robert Mugabe au second tour du 27 juin543. La présente sous-section présentera quelques cas documentés de privations arbitraires du droit à la vie afin de démontrer comment la mobilisation de la violence par le régime et ses alliés ont résulté en de graves violations de la protection de la vie offerte par les instruments de droit international. Si,

535 Jean-François MÉDARD, Op. cit., p. 99. 536 Ibid. 537 Martin WELZ et Daniela KROMEREY, Op. cit., pp. 260-266. 538 Ian PHIMISTER et Brian RATOPOULOS, Op. cit., pp. 387-389. 539 Norma KRIEGER, « ZANU-PF politics under Zimbabwe’s ‘Power-Sharing’ Government », Journal of Contemporary African Studies, 30(1), 2012, pp. 12-13. 540 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 386. 541 Amnistie Internationale, Rapport 2010– La situation des droits humains dans le monde, Amnesty International – Éditions francophones, Londres, 2010, p. 361. 542 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 9. 543 Ibid.

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bien entendu, tous les cas ne peuvent pas être présentés, ceux documentés ici sont issus des rapports officiels et des articles sur le Zimbabwe qui ont corroboré les informations à partir de témoignages sur le terrain. Ces cas de privations arbitraires de la vie sont également représentatifs des pratiques récurrentes évoquées plus haut par lesquelles s’est manifesté la violence. Ils reflètent également la mise en œuvre concrète de l’opération Makavhoterapapi, le degré d’implication direct des forces de sécurité et leur niveau de coordination avec les milices pro Zanu-PF comprises de vétérans de guerre, des groupes jeunesse du parti (youth militia) et d’organisateurs politiques de la Zanu-PF.

Peu après l’annonce officielle des résultats par la ZEC le 2 mai, les exécutions de cadres et organisateurs politiques connus du MDC se sont intensifiées tout au long du mois de mai 2008. Très rapidement, les militants d’opposition les plus visibles et les plus vulnérables – ceux ayant publiquement affiché leur militantisme pour Tsvangirai et le MDC, surtout dans les petites localités rurales du Mashonaland – ont été ciblés.

i) Embuscade près de Murehwa

L’une de ces attaques documentée par Human Rights Watch se démarque par sa brutalité et est emblématique de la violence politiquement motivée au Zimbabwe. Le 7 mai, près de Murehwa, dans le Mashonaland Est, au moins une douzaine de militants Zanu-PF ont, selon les témoins, pris en embuscade le véhicule de 4 activistes du MDC bien connus localement roulant sur un chemin de campagne 544 . Pendant l’assaut sur leur véhicule immobilisé l’un d’entre eux a réussi à s’échapper, mais les 3 autres – Beta Chokururama, Godfrey Kauzani et Cain Nyevhe − furent violemment extirpés de la voiture et kidnappés545. Quatre jours plus tard, le 11 mai, le corps de Beta Chokururama fut retrouvé dans une rivière du secteur où l’attaque s’est produite. Les corps de Nyevhe et Kauzani furent quant à eux trouvés six jours plus tard, le 17 mai, plusieurs kilomètres plus loin dans le district de Goromonzi546. Des proches des trois hommes rencontrés par Human Rights Watch ont confirmé que dans les trois cas, les yeux des victimes avaient été arrachés, la

544 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 29. 545 Ibid. 546 Ibid.

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langue tranchée et les lèvres coupées 547 . Par ailleurs, les 4 hommes n’ont pas été uniquement victimes de privations arbitraires de la vie. En effet, des médecins ayant pu examiner les corps ont confirmé que les trois victimes avaient été sévèrement battues et torturées avant d’être assassinées et abandonnées dans la nature548. De plus, dans la même région le 22 mai, le candidat MDC défait au poste de sénateur pour la circonscription de Murehwa North fut kidnappé, selon les témoins, par quatre agents du CIO, les services de renseignement 549 . Son corps fut retrouvé deux jours plus tard dans les montagnes de Goromonzi, non-loin du secteur où les corps de Godfrey Kauzani et Cain Nyevhe avaient été trouvés une dizaine de jours auparavant550.

ii) L’assassinat de Tonderai Ndira

Un autre cas emblématique de ces enlèvements mortels très ciblés dès les premières semaines de la campagne officielle pour le second tour fut l’enlèvement suivi de l’exécution de Tonderai Ndira, un autre organisateur et militant du MDC, dans sa résidence d’Harare le 14 mai à l’aube551. Selon ses proches, témoins de l’attaque, 10 hommes armés, dont plusieurs en uniforme de police, ont extirpé Ndira de sa maison et l’ont traîné de force dans un camion552. Son corps a été retrouvé à la morgue d’un hôpital d’Harare par un proche qui l’a identifié553. D’une manière cruellement récurrente, ses yeux avaient été arrachés, sa langue tranchée et ses lèvres coupées554. Selon le proche qui l’a identifié, il avait également de très sérieuses blessures au visage, présentait des lacérations suggérant qu’il avait été poignardé à de multiples reprises et présentait aussi des blessures par balles555. La police est par ailleurs intervenue pour empêcher que le corps ne soit remis à la famille qui souhaitait qu’une expertise médico-légale indépendante soit pratiquée pour établir la cause exacte du décès556. La famille de Tonderai Ndira ne s’est finalement vue remettre le corps qu’après que l’ONG Zimbabwe Lawyers for Human Rights, qui fut

547 Ibid. 548 Ibid. 549 Ibid., p. 30 550 Ibid. 551 Ibid., pp. 29-30. 552 Ibid., p. 30. 553 Ibid. 554 Ibid. 555 Ibid. 556 Ibid.

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sollicitée, ne réussisse à obtenir une injonction de la Cour ordonnant aux autorités la remise de la dépouille aux proches557.

Au fur et à mesure que l’opération Makavhoterapapi fut mise en application à travers tout le Zimbabwe, le ciblage des organisateurs principaux du MDC s’est élargi. Un certain nombre de militants et activistes « stratégiques » du parti ont été éliminés, blessés, torturés ou ont fui558 et les exécutions arbitraires ont visé de plus en plus des gens moins influents au MDC, ou même les proches de militants et d’élus559. La stratégie vise la déstabilisation complète du MDC afin de garantir le maintien du monopole de la Zanu-PF sur l’État, comme en témoigne Tichanzii Gandanga, survivant d’un enlèvement et directeur des élections du MDC pour la province d’Harare :

The police won’t deal with perpetrators of political violence – reporting them, it’s a waste of time. […] We know very well that we won the elections. ZANU is scared. This is a strategy to reverse our victory – forcibly – in front of our eyes. It’s clear from the questions in my interrogation that they want to incapacitate the MDC – to eliminate its key people. So many of us are threatened, hurt, displaced. Our main leaders are outside the country. Our structures are damaged. […]560

En juin, à l’approche de la date butoir du second scrutin présidentiel, la stratégie que Tichanzii Gandanga confirme dans son témoignage à Peter Godwin devient encore plus visible pour ce qui est des privations arbitraires du droit à la vie. Non seulement un bon nombre de « personnes clés » dont le MDC a besoin pour mener à bien la campagne de Tsvangirai sont morts, blessés ou en exil, mais ceux qui arrivent à se cacher des persécutions ou demeurent introuvables pour les forces de sécurité ou les milices voient parfois leurs proches délibérément attaqués561. Parfois même, les proches de militants du MDC sont visés parce qu’ils sont des cibles plus faciles pour les groupes de militants répondant aux ordres du JOC.

557 Ibid. 558 Peter GODWIN, Op. cit., p. 95. 559 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 9. 560 Peter GODWIN, Op. cit., p. 95. 561 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122.

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iii) Les évènements du 18 juin 2008

C’est ce qui s’est produit le 18 juin en soirée lorsque le fils de Philimon Chipiyo (conseiller de district MDC de Chitungwiza), Archiford, et deux de ses amis furent assassinés562. L’élu a raconté les détails de la confrontation lors d’un entretien avec Human Rights Watch :

At around 10 p.m., about 30 Zanu-PF youths came to my house. They were singing songs denouncing the MDC and myself as the newly elected councilor for my ward. I was inside my house with my family and several relatives and 10 youths from our party. They [Zanu-PF supporters] started shouting abuses saying that the MDC would never rule Zimbabwe and that I am a mere dog for the white men… When the Zanu-PF youths saw that there were many relatives and MDC youths coming out of the house they retreated and disappeared in the darkness. At around 11 p.m. more than 200 Zanu-PF supporters and youths came to the house again singing war songs. This time they had four trucks without registration plates and a commuter bus […]563

La situation a ensuite rapidement dégénérée chez M. Chipiyo. Selon son témoignage et ceux recueillis par Human Rights Watch de personnes présentes ce soir-là, les militants de la Zanu-PF à pied se sont immédiatement mis à démolir les murs et à endommager le toit de sa maison564. Si la famille a pu s’échapper par l’arrière, Archiford Chipiyo et deux amis ont décidé de rester à l’intérieur pour défendre la propriété565. Les militants Zanu-PF ont toutefois lancé une bombe à essence, incendiant une partie de la maison. Les trois jeunes, réfugiés dans l’une des pièces demeurées intactes, furent rapidement rattrapés par la horde de militants qui ont utilisé leurs camions pour démolir les derniers murs qui tenaient encore debout566. Sous les yeux de sa famille impuissante qui se tenait à distance, les trois jeunes ont été battus violemment sur place avec des barres de fer, puis ont été tiré 3 fois dans la tête avec un fusil d’assaut AK-47567. Tentant de voler au secours de son fils, Philimon

562 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 9. 563 Entretien de Philimon Chipiyo avec Human Rights Watch à Chitungwiza le 6 juillet 2008, extrait du rapport « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., pp. 9-10. 564 Ibid. 565 Ibid. 566 Ibid. 567 Ibid., p. 10.

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Chipiyo fut pourchassé et les tirs de fusil le manquèrent de peu568. L’élu local MDC raconte la suite : […] After that we saw them take the bodies to a crèche [a nursery home] nearby, where they used axes to crush their heads. They killed all three men: Archiford, my son 28, Ngoni Knight, 27, and Yona Gent, 22. A fourth victim was a young man who just happened to be passing by through my street at the time. No one knows who he is […]569

Human Rights Watch a obtenu une copie du rapport d’autopsie (réalisée par un médecin du gouvernement à la demande de la police570) qui indique que la cause de la mort pour toutes les victimes était de multiples fractures du crâne combinées à des blessures à la tête en raison d’impacts de balles571.

iv) Les évènements du 20 juin 2008

Le 20 juin au matin, à Chiweshe, dans le Mashonaland Central, le conseiller local MDC nouvellement élu Gibbs Chironga reçu la visite d’un groupe d’environ 150 personnes armées à son domicile familial : des partisans du parti au pouvoir, des vétérans de guerre et des membres de « milices de jeunes » (youth militia)572. Alors qu’il était avec sa mère, son frère et d’autres membres de sa famille, un petit groupe d’une vingtaine de vétérans de guerre armés de pistolets et d’armes automatiques leur ont demandé de sortir les bras en l’air573. Lui-même armé pour se défendre, Chironga tenta quelque peu de résister mais fut atteint par des coups de feu dans les jambes et à une épaule574. Son frère fut également atteint d’un projectile575. Les membres de la milice ordonnèrent alors à toute la famille de s’allonger par terre et tous furent battus dans le dos et sur les fesses avec des bâtons et des branches d’arbres576. Les bâtons avaient été trempés dans un herbicide servant à faire mourir l’herbe dans les champs de tabac puis dans l’eau pour bien contaminer les plaies577 ouvertes causées par les coups, dont la mère de Gibbs Chironga, âgée de 70 ans, fut

568 Ibid. 569 Ibid. 570 Ibid. 571 Ibid. 572 Ibid. 573 Ibid. 574 Ibid. 575 Ibid. 576 Ibid. 577 Ibid.

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également victime 578 . Les cinq victimes, blessées, furent alors transportées à un rassemblement partisan de la Zanu-PF puis paradées devant la foule. Hilton Chironga, le frère de Gibbs, a raconté à Human Rights Watch que les militants ont alors demandé un volontaire dans la foule pour exécuter Gibbs Chironga et faire de lui un exemple « pour tous les traîtres de comment les chiens du MDC ont été traités »579. Hilton Chironga témoigne également de la suite des évènements: « Immediately some youths started beating us with iron bars and my mother passed out. A member of the group volunteered to execute my brother. He took a rifle and forced my brother to sit upright before shooting him seven times in the chest and in the head […] »580. En plus d’avoir assisté à l’exécution de son frère, Hilton Chironga a affirmé à Human Rights Watch avoir été témoin lors du même rassemblement de l’exécution de deux autres militants du MDC, dont un qu’il a pu identifier comme un activiste du parti bien connu dans la région, Hama Madamombe581.

v) L’assassinat d’Abigail Chiroto

Un cas relativement médiatisé fut également celui de l’enlèvement de l’épouse et du fils d’un élu municipal MDC d’Harare, Emmanuel Chiroto582. Puisqu’au Zimbabwe les maires sont désignés par les conseillers municipaux élus par la population, le nom de Chiroto a commencé à circuler après le scrutin583. Malgré de nombreuses menaces de mort, Chiroto fut désigné maire par ses pairs584. Le 16 juin, vers 19h, alors qu’il était en visite dans un hôpital pour rencontrer des victimes de torture, trois pick ups sans plaques d’immatriculation conduits par un groupe d’hommes – 9 selon sa femme de ménage585 − firent irruption sur sa propriété en périphérie d’Harare où se trouvaient son épouse Abigail, 27 ans et son fils de 4 ans, Ashley586. Certains des hommes portaient un uniforme militaire et étaient armés d’AK-47 alors que les autres étaient des membres d’une milice de jeunes

578 Ibid. 579 « an example to all traitors of how MDC dogs were treated ». 580 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Ibid., p. 10. 581 Ibid. 582 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 327-334. 583 Ibid., pp. 327-328. 584 Ibid., p. 328. 585 Ibid., p. 329. 586 Ibid.

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de la Zanu-PF brandissant des machettes 587 . Human Rights Watch 588 rapporte que les hommes armés ont donné l’assaut sur la résidence à la recherche d’Emmanuel Chiroto589. Constatant son absence, ils ont incendié la maison au moyen d’une bombe à essence et ont kidnappé sa femme et son fils590. Son fils Ashley a été retrouvé quelques heures plus tard abandonné dans un poste de police à proximité, indemne591. Le corps d’Abigail Chiroto fut retrouvé deux jours plus tard sur une ferme de Borrowdale, tout juste à l’extérieur d’Harare592, mais ne fut identifié par le frère d’Emmnauel Chiroto que plus tard, une fois à la morgue593. Le corps d’Abigail Chiroto présentait des signes évidents de torture594 et d’importantes brûlures595.

Le soir de l’enlèvement, Chiroto fut par ailleurs pourchassé par des agents du CIO, ce qui le poussa à trouver temporairement refuge à l’ambassade de Namibie596. Craignant pour sa sécurité, il ne fut pas autorisé à assister à l’enterrement de sa femme, dont les funérailles furent perturbées par des partisans de la Zanu-PF harcelant et jetant des pierres aux proches de la victime et par des agents du CIO à la recherche de Chiroto597. La police refusa également d’intervenir pour protéger les proches des partisans Zanu-PF venus les harceler598. Le cas du meurtre d’Abigail Chiroto illustre l’implication directe des forces de sécurité dans les atteintes au droit à la vie pendant l’opération Makavhoterapapi au Zimbabwe, malgré le fait qu’elles aient généralement préféré être plus discrètes et laisser

587 Ibid. 588 Les faits documentés par Human Rights Watch dans un rapport d’août 2008 sont corroborés et complétés par Peter Godwin, à qui Emmanuel Chiroto a témoigné de l’assassinat de sa femme Abigail. Human Rights Watch a documenté l’incident sur la base de témoignages de voisins et de proches. Au moment de leur enquête de terrain, Chiroto se cachait toujours des agents du CIO. 589 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 13. 590 Ibid. 591 Ibid. 592 Ibid. 593 Peter GODWIN, Op. cit., p. 330. 594 Ibid. 595 Ibid., p. 334. 596 Ibid., pp. 328-329. 597 Ibid., p. 330. 598 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 13.

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les groupes de jeunes, les vétérans et les militants politiques occuper le devant de la scène599.

vi) Terreur en milieu rural : les localités de Chaona et de Mutasa

Les forces de sécurité ont également été impliquées directement dans des privations arbitraires de la vie dans le petit village de Chaona, dans le Mashonaland Central. La petite localité isolée ayant très fortement voté pour le MDC au premier tour fut attaquée par près de 200 hommes armés qui ont saccagé le village600. Les habitants, mais surtout les membres du MDC, qui étaient bien connus, furent persécutés, battus et torturés601. Sept personnes ont perdu la vie, dont le militant MDC bien connu Aleck Chiseri, qui a été torturé à mort602. Les femmes du village furent déshabillées de force, puis battues sur les fesses avec des bâtons jusqu’à ce que la chair se détache603. Dans cette attaque précise, deux militaires furent directement identifiés : Zacks Kanhukamwe, 47 ans, ayant le grade de soldat de la et Petros Nyguwa, 45 ans, sergent, également dans l’armée604. Un autre assaillant portait également un badge d’identification militaire, selon des témoins605, mais son identité n’est révélée dans aucun rapport.

Enfin, les privations arbitraires de la vie ont également été utilisées par le régime pour instaurer la terreur dans certaines communautés afin d’ériger les victimes en exemple, plutôt qu’en raison de leur importance stratégique et de leur notoriété pour le MDC606. Un cas qui reflète cet aspect est survenu dans le district de Mutasa, où après des incidents répétés d’intimidation de bénévoles MDC et de simples villageois, deux sympathisants du parti sans grande notoriété dans leur communauté furent enlevés607. Le corps mutilé du premier fut découvert à une quinzaine de kilomètres et la deuxième, qui a survécu, a réussi à trouver de l’aide après avoir été laissée pour morte608. Des vétérans de guerre lui ont

599 Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, Op. cit., p. 50. 600 Craig TIMBERG, Op. cit. 601 Ibid. 602 Ibid. 603 Ibid. 604 Ibid. 605 Ibid. 606 Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., p. 57. 607 Ibid. 608 Ibid.

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coupé un pied avec une hache609. L’intimidation des vétérans de guerre, qui ont par ailleurs distribué des listes avec les noms et adresses de sympathisants MDC, s’est poursuivie. Surtout, les appels au meurtre et au viol des « traîtres » proférés lors de la publication de ces listes ont généré une telle terreur à Mutasa − particulièrement chez les femmes − que même des bénévoles MDC seraient allés voter pour Robert Mugabe au second tour du 27 juin610.

4.2.2 Atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne

a) Le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne en droit international des droits humains

Le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne est consacré, sur le plan universel en droit international des droits humains, par l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et sur le plan régional à l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Bien que protégés par le même article du Pacte sur le plan universel et traités simultanément à la présente sous-section, le droit à la liberté − c’est-à- dire l’interdiction des arrestations arbitraires611 − et le droit à la sécurité de sa personne, constituent deux droits distincts et indépendants l’un de l’autre612. Le droit à la sécurité et le droit à la liberté sont toutefois intimement liés : c’est par ailleurs la raison pour laquelle ils seront abordés simultanément à la présente sous-section. Le droit à la liberté constitue l’essentiel de la protection offerte par les 5 paragraphes de l’article 9 du Pacte, alors que le droit à la sécurité est consacré au paragraphe 1 :

Article 9 1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi.

609 Ibid. 610 Ibid. 611 Olivier DE SCHUTTER, Article 9, dans Emmanuel DECAUX (sous la direction de), Op. cit., p. 241. 612 Ibid.

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2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui. 3. Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de l’intéressé à l’audience, à tous les autres actes de la procédure et, le cas échéant, pour l’exécution du jugement.

4. Quiconque se trouve privé de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation.

Dans le contexte des violations massives perpétrées au Zimbabwe en 2008, deux protections plus précises offertes par l’article 9 du PIDCP sont intrinsèquement liées à la mobilisation de la violence à des fins politiques : le droit à la sécurité et l’interdiction de la détention arbitraire, qui découle du droit à la liberté tel que l’entend le Pacte 613. Les arrestations et détentions arbitraires, en particulier, ont été tout au long de la campagne de violence ciblant l’opposition en 2008 fréquemment utilisées par les forces de sécurité du régime Mugabe. Les points b) et c) reviendront en détails sur ces deux protections offertes par l’article 9 du Pacte.

Tel que mentionné ci-haut, le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne est également protégé en droit international sur le plan régional africain. L’article 6 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples consacre cette protection en reprenant de façon quasi identique la formulation de l’article 9(1) du PIDCP.

ARTICLE 6

Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement.

613 Ibid., pp. 241, 245.

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Ainsi, un certain nombre d’affirmations dans la propagande du régime Mugabe en ce qui a trait au caractère « colonial » et occidental des droits civils et politiques protégés par le droit international sont invalidées par l’existence d’un instrument africain protégeant les mêmes droits, auquel le Zimbabwe a adhéré volontairement614. Encore une fois, un tel discours a pour effet de mousser le soutien interne et international au président Robert Mugabe et à son régime en se positionnant comme le rempart panafricain à l’impérialisme occidental non seulement en consolidant son « aura de libérateur »615, mais également en banalisant les droits humains dont les violations massives sont abondamment documentées.

b) Le droit à la sécurité

Dans un premier temps, le droit à la sécurité, qui découle de la première phrase du paragraphe 1 de l’article 9, présuppose que les États ne peuvent pas ignorer les menaces qui pèsent sur la vie des personnes, indépendamment du fait que ces dernières soient en détention aux mains de l’État ou non616. L’autonomie du droit à la vie par rapport au « reste » du droit consacré par l’article 9 a été interprété par le Comité des droits de l’homme617, notamment en se fondant sur l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 qui énonce le droit de tout individu à la vie, à la liberté et à la sûreté618. Ainsi, le Comité affirme dans l’affaire Delagado Páez c. Colombie :

[…] le fait que seul l’article 9 fasse état du droit de tout individu à la sécurité de sa personne ne prouve nullement qu’on ait voulu ainsi limiter la portée de ce droit aux cas de privation formelle de liberté. […] les États se sont engagés à garantir les droits énoncés par le Pacte. Or, les États ne sauraient s’acquitter de leurs obligations s’il leur est juridiquement possible d’ignorer les menaces qui pèsent sur la vie de personnes […] uniquement parce qu’elles ne sont pas en état d’arrestation ou soumises à une autre forme de détention. Les États parties sont tenus de prendre toutes les mesures de protection raisonnables et appropriées […]619

614 Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, Tableau de ratification : Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples [en ligne], Op. cit. 615 Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 386. 616 Ibid., p. 242. 617 Ibid. 618 Ibid. 619 Delagado Páez c. Colombie, Communication 195/1985 – UN. Doc. CCPR/C/39/D/195/1985, UNHRC, 12 juillet 1990, par. 5(5).

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Par ailleurs, il a été déduit de la décision du Comité des droits de l’homme dans cette affaire que l’obligation de garantir le droit à la sécurité qui incombe aux États parties au Pacte « consiste en une obligation de protection des individus qui sont menacés dans leur vie ou dans leur sécurité, y compris par des actes de personnes privées »620, ce qui a été confirmé dans la jurisprudence subséquente du Comité621. En l’espèce, l’État zimbabwéen a donc une obligation découlant du droit international conventionnel de prendre des mesures positives (soit une obligation d’agir) en faveur de la protection des personnes dont la sécurité serait menacée, notamment par des vétérans de guerre ou des bandes de partisans armés de la Zanu-PF622. Ainsi, tel qu’il en ressort de la doctrine et de la jurisprudence, plusieurs cas d’inaction policière documentés par les organismes de défense des droits humains face à des violations massives constituent une violation de l’obligation des États d’agir en faveur de la protection des individus dont la sécurité est menacée. De nombreux cas de la sorte sont par ailleurs documentés et un rapport entier de Human Rights Watch de 2008 y est consacré623, détaillant les refus catégoriques d’agir de la part de la police pour protéger des victimes ou les futures victimes de violence politique624.

c) Le droit à la liberté

Mis à part la première phrase du premier paragraphe, toutes les autres dispositions de l’article 9 détaillent exclusivement le contenu du droit à la liberté protégé par le Pacte625. Tel qu’évoqué plus haut, les aspects pertinents du droit à la liberté aux fins du présent mémoire concernent essentiellement l’interdiction des atteintes au droit à la liberté, soit les arrestations et les détentions arbitraires. À cet effet, le Comité a précisé dans son Observation Générale no 8 portant sur l’article 9 du Pacte que le paragraphe 9 (1), dont la deuxième phrase précise que « nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires »626, s’applique à tous les cas et toutes les formes de privations de la liberté627. Plus particulièrement, « le Comité fait observer que le paragraphe 1 s’applique à tous les

620 Olivier DE SCHUTTER, Op. cit., p. 242. 621 Voir notamment les affaires Chiiko Bwalya c. Zambie (1993) et Jiménez Vaca c. Colombie (2002). 622 Olivier DE SCHUTTER, Op. cit., pp. 242-243. 623 Voir Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit. 624 Ibid., pp. 25-31. 625 Olivier DE SCHUTTER, Op. cit., p. 244. 626 PIDCP, art. 9(1). 627 Comité des droits de l’homme, Observation Générale no 8 - Article 9 (droit à la liberté et à la sécurité de sa personne), HRI/GEN/1/Rev. 9 (Vol. I), 30 juin 1982, par. 1.

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cas de privation de liberté, qu’il s’agisse d’infractions pénales ou d’autres cas tels que, par exemple, les maladies mentales, le vagabondage, la toxicomanie, les mesures d’éducation, le contrôle de l’immigration, etc. »628.

L’aspect central de la protection contre les arrestations et les détentions arbitraires demeure toutefois la condition de légalité, énoncée à la troisième phrase du premier paragraphe de l’article 9 « nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs, et conformément à la procédure prévue par la loi »629. Dans sa jurisprudence, le Comité a pu exprimer à plusieurs reprises sur sa « préoccupation » face aux risques de dérives présentés par la pratique d’arrestations sans mandat judiciaire ou encore effectuées en vertu de dispositions juridiques trop larges, imprécises ou floues ne présentant pas suffisamment de garanties de protection contre l’arbitraire630. Par exemple, dans les observations finales du Comité des droits de l’homme sur Trinidad et Tobago en 2000, le Comité a exprimé sa préoccupation au sujet d’une disposition d’une loi nationale habilitant tout policier à procéder à des arrestations sans mandat dans de nombreuses circonstances très vaguement définies laissant une trop grand liberté à la police631. Le même type d’observation a par ailleurs été communiqué aux Philippines en 2003 en raison d’une loi contre le vagabondage rédigée en des termes vagues, où le Comité s’est inquiété de la marge de discrétion octroyée aux policiers pour procéder à des arrestations sans mandat632.

i) Arrestations/détentions arbitraires : au-delà du critère de la légalité

Le Comité s’est également penché davantage en profondeur sur la notion d’arrestation/détention arbitraire. La jurisprudence et les travaux du Comité sont éclairants à ce sujet. Il n’est pas suffisant qu’une arrestation et une détention soient conformes aux lois pour en tout temps échapper au reproche « d’arbitraire »633. Ainsi, en plus du critère de légalité, considéré comme fondamental, le Comité est par la suite venu ajouter d’autres

628 Ibid. 629 Olivier DE SCHUTTER, Op. cit., p. 245. 630 Ibid., pp. 245-246. 631 Comité des droits de l’homme, Observations finales, Trinidad et Tobago, U.N. Doc. CCPR/CO/70/TTO, 3 novembre 2000, par. 16. 632 Comité des droits de l’homme, Observations finales, Philippines, U.N. Doc. CCPR/CO/79/PHL, 1er décembre 2003, par. 14. 633 Olivier DE SCHUTTER, Op. cit., p. 246.

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critères. Dans l’affaire Van Alphen c. Pays-Bas, il a été détaillé qu’une arrestation/détention arbitraire n’est pas seulement une arrestation et/ou une détention qui est contraire à la loi ou hors du cadre légal en soit, mais peut également être une arrestation ou une détention inappropriée, injuste ou qui était non-prévisible au regard des circonstances634. De plus, dans l’affaire Spakmo c. Norvège, le Comité a confirmé qu’une arrestation/détention qui n’était pas arbitraire se devait d’être à la fois légale et « raisonnable et nécessaire à tous égards »635.

Ainsi, au Zimbabwe, un grand nombre de privations du droit à la liberté d’opposants politiques à la Zanu-PF garanti par l’article 9 du PIDCP ne reposent que sur des interprétations floues de dispositions législatives elles-mêmes généralement très vagues, voire sur absolument aucune base légale636. Fréquemment au Zimbabwe, des victimes de violence politique, leurs proches ou des militants du MDC ont été arrêtés par la police en vertu de motifs officiellement conformes à la loi, mais n’étant qu’un prétexte pour placer des opposants en détention dans le cadre de la campagne de mobilisation de la violence. Le Comité des droits de l’homme a également eu l’occasion de se pencher sur ce type de privations a priori légales mais « de mauvaise foi » du droit à la liberté, qui constitue des arrestations/détentions arbitraires au sens de l’article 9(1) du Pacte. Notamment, dans l’affaire Mukong c. Cameroun, le Comité a jugé que les arrestations répétées d’un opposant politique et journaliste, bien qu’officiellement conformes à la loi, n’était « ni raisonnable, ni nécessaire dans les circonstances de l’affaire et violait ainsi le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte »637, puisque les détentions n’étaient à chaque fois qu’un prétexte pour placer un opposant derrière les barreaux638, un cas de figure par rapport à une pratique récurrente au Zimbabwe.

634 Van Alphen c. Pays-Bas, Communication 305/1988 – U.N. Doc. CCPR/C/39/D/305/1988, UNHRC, 23 juillet 1990, par. 5(7) et 5(8). 635 Spakmo c. Norvège, Communication 631/1995 – U.N. Doc. CCPR/C/67/D/631/1995, UNHRC, 11 novembre 1999, par. 6(3). 636 Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., pp. 25- 31. 637 Mukong c. Cameroun, Communication 458/1991, U.N. Doc. CCPR/C/51/D/48/1991, UNHRC, 10 août 1994, par. 9(8). 638 Ibid.

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Dans les observations finales rendues à propos du Canada en 2006, le Comité a souligné qu’une mise en détention pouvait être « arbitraire lorsque la privation de liberté résulte de l’exercice des droits et libertés garantis par le Pacte […] »639, soit dans le cas en l’espèce d’un grand nombre de personnes ayant été arrêtées à Montréal pour avoir participé à une manifestation, exerçant donc des droits protégés par les articles 19 et 21 du PIDCP (liberté d’expression et droit de réunion pacifique) 640 . À la lumière de cette jurisprudence, le Comité a donc adopté une conception assez large du concept de légalité énoncé à la troisième phrase de l’article 9(1) du Pacte641. En plus du critère de respect de la loi au sens strict, la poursuite d’objectifs légitimes devient alors un critère à soupeser dans l’évaluation du caractère arbitraire ou non d’une arrestation/détention642.

ii) Le droit de faire examiner la légalité de sa détention par un tribunal

Par ailleurs, au-delà de la protection contre les atteintes au droit à la liberté, le droit à la liberté implique également le droit de faire examiner la légalité de sa détention par un tribunal indépendant pour toutes les personnes qui se voient privées de leur liberté643, droit prévu à l’article 9(4) du Pacte. Tel que cela sera abordé à la prochaine sous-section également, cet aspect du droit à la liberté et à la sécurité de sa personne pose également problème en 2008 au Zimbabwe, tout particulièrement pour les militants du MDC placés en détention de façon arbitraire644. Enfin, l’article 9(5) du Pacte prévoit explicitement le droit de tout individu d’obtenir réparation pour avoir été soumis à une arrestation ou une détention illégale. À cet égard, dans ses observations finales soumises aux États-Unis en 2006, le Comité des droits de l’homme a précisé que le droit d’obtenir réparation survient dès lors que la détention a été illégale, peu importe que cette illégalité découle du droit interne de l’État ou de l’article 9(1) du PIDCP645.

639 Comité des droits de l’homme, Observations finales, Canada, U.N. Doc. CCPR/C/CAN/CO/5, 20 avril 2006, par. 20. 640 Ibid. 641 Olivier DE SCHUTTER, Op. cit., p. 248. 642 Ibid. 643 Observation générale no 8, Op. cit., par. 4. 644 Voir le rapport Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit. 645 Comité des droits de l’homme, Observations finales, États-Unis d’Amérique, U.N. Doc. CCPR/C/USA/CO/3, 15 septembre 2006, par. 19.

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d) Cas de violations du droit à la liberté et à la sécurité de sa personne au Zimbabwe en 2008

Que ce soit concernant l’interdiction des arrestations et des détentions arbitraires ou de l’obligation positive qui incombe à l’État zimbabwéen de prendre des mesures visant à assurer la protection des individus dont la sécurité serait menacée, un grand nombre de violations du droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ont été documentées par les organismes de défense des droits humains646.

En date du 5 juillet 2008, le MDC rapportait qu’au moins 1500 militants, candidats ou élus – dont 20 députés – avaient été arrêtés ou placés en détention pour des motifs liés aux violences politiques647. Une grande partie d’entre eux fut arrêtée au moment de porter plainte pour des violences dont eux-mêmes ou des proches furent victimes648. Le MDC qualifie ces arrestations d’arbitraires, faisant des militants politiques arrêtés des prisonniers politiques, selon le parti d’opposition649. Les cas documentés par HRW en 2008 dépassent par ailleurs 1500 puisque les arrestations et détentions arbitraires d’opposants politiques (et de leaders de la société civile également) se sont poursuivies bien après la réélection sans opposition de Robert Mugabe650, ce qui rend impossible la documentation détaillée à la présente section de chaque cas répertorié. Néanmoins, comme à la sous-section précédente sur les privations arbitraires du droit à la vie, les cas documentés abordés ici ont été sélectionné pour leur représentativité de l’échelle à laquelle la violence a été mobilisée par le régime Mugabe en 2008 dans le cadre de l’opération Makavhoterapapi et des diverses formes de violations du droit à la liberté et à la sécurité de sa personne présentées ci-haut. Certains cas sont par ailleurs emblématiques de l’ampleur du recours aux forces de sécurité dans le cadre du déploiement d’une stratégie de survie politique de la Zanu-PF.

646 Voir le rapport Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., pp. 25-43. 647 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 123. 648 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 12. 649 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 305-306. 650 Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., pp. 25- 43.

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i) Le cas de la famille Chironga

Un cas particulier de violation du droit à la sécurité de sa personne protégé par les articles 9(1) du PIDCP et 6 de la Charte africaine est celui de la famille de Gibbs Chironga, dont l’assassinat a été documenté à la sous-section 4.2.1. Après avoir assisté au meurtre de Gibbs Chironga et de deux autres militants du MDC à un rassemblement partisan de la Zanu-PF le 20 juin, les membres de sa famille ont été transportés (avec les corps) sur une ferme où on leur a fait boire de force des pesticides liquides, puis laissés pour morts651. S’ils ont pu survivre en n’ingurgitant pas le poison, ils ont dû être transportés dans des hôpitaux de la région pour traitement médical après que la sœur de Chironga ait réussi à fuir la ferme et demander de l’aide652. Au moment de porter plainte à la police depuis un hôpital d’Harare, où ils avaient été transportés, Hilton Chironga et sa mère de 70 ans furent arrêtés pour incitation à la violence653, sans même que la police ne fasse des démarches pour retrouver les assaillants654. La sœur de Chironga fut elle aussi arrêtée pour incitation à la violence un peu après, immédiatement après avoir obtenu son congé de l’hôpital où elle avait été transportée 655. En refusant non seulement d’enquêter et d’assurer la sécurité potentiellement menacée de la famille Chironga, mais également en procédant à leur arrestation pour des prétextes qui sont ni raisonnables, ni légitimes au sens de la jurisprudence656, l’État zimbabwéen a agit doublement en violation de l’article 9(1) du Pacte et de l’article 6 de la Charte africaine et contrevient aux droits à la liberté et à la sécurité consacrés par le droit international des droits humains.

ii) Le cas des fermiers blancs : Lynne Evans et Peta Hall

Dans un grand nombre de cas par ailleurs, c’est plutôt l’inaction policière et le refus catégorique des forces de l’ordre d’agir soit pour mettre fin aux violences ou acquiescer aux demandes de protection de la part des victimes qui ont été sources de violations, sans

651 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 12. 652 Ibid. 653 Ibid. 654 Ibid. 655 Ibid. 656 Voir Spakmo c. Norvège, Op. cit.; Mukong c. Cameroun, Op. cit. et l’Observation Générale no8, Op. cit., par. 4.

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nécessairement placer des gens en détention de façon arbitraire. Ainsi, la nouvelle vague d’invasion de fermes et propriétés terriennes détenues par des blancs657 − Mugabe a par ailleurs été jusqu’à promettre en campagne que le moment de la « solution finale » était venu658 − s’inscrit largement dans cette réalité. Au moins 130 propriétés et exploitations agricoles ont été envahies par des bandes de vétérans de guerre armés à l’automne austral 2008659, très souvent sous les yeux de la police refusant d’intervenir. Quelques semaines avant le scrutin du 29 mars, la ferme de Lynne Evans fut saisie puis squattée par des vétérans de guerre, qui l’ont chassé de chez elle660. Malgré une injonction du tribunal ordonnant à la police d’évacuer les squatters et sécuriser la propriété, la famille Evans et leurs employés, la police refusa catégoriquement d’intervenir661. Des employés ayant reçu des menaces de mort et qui ont porté plainte ont été arrêtés pour incitation à la violence662. La police refusa d’intervenir dans ce type de dossiers « politiques », même lorsque Lynne Evans et des proches furent agressés à l’entrée de leur ferme devant les caméras d’une équipe de télévision australienne663.

Cette réalité a également affecté Peta Hall, une veuve de 70 ans possédant des terres, des lodges touristiques et des plantations surnommée Witchwood, près de (Mashonaland) 664 . Après les élections, Hall a été régulièrement l’objet de menaces, d’harcèlement et d’intrusions de vétérans sur ses terres. Une nuit où une bande de vétérans armés et en état d’ébriété ont pénétré dans sa maison de force, la police refusa catégoriquement de les déloger665. Sa maison fut pillée et sérieusement endommagée. Les vétérans y ont trouvé un vieux fusil de chasse – utilisé pour les safaris à une autre époque – qui était accroché au mur et l’ont apporté à la police, qui a formellement accusé la septuagénaire de « possession illégale d’arme à feu dans l’intention de commettre un acte

657 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122. 658 Ibid. 659 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Ibid. 660 Ginny STEIN, Dateline [en ligne], Op. cit. 661 Ibid. 662 Ibid. 663 Ibid. 664 Peter GODWIN, Op. cit. p. 271. 665 Ibid., p. 272.

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de sabotage, d’insurrection ou de terrorisme » en vertu du Public Order and Security Act666. Peta Hall fut arrêtée, détenue puis relâchée sans explications667.

iii) L’inaction de la police zimbabwéenne

Enfin, le militant MDC Kadomba Chitokwa a vécu une expérience semblable à celles décrites ci-haut, quoique sans lien avec les questions raciales et foncières. Son cas documente également une violation du droit à la sécurité de sa personne de la part de l’État zimbabwéen, qui lui refusa toute protection et toute assistance après qu’il ait subit de la violence. Il a raconté à Human Rights Watch en août 2008 :

I was abducted by Zanu-PF youths on June 24 and taken to a base […] where I was beaten, verbally abused and detained for 42 days. I was released on August 7. On August 9, I went to make a report at Shamva police station. The police told me to go home, as they would come and investigate the matter […] After four days, I went back to the police station […] This time the police told me ‘‘We cannot investigate your case. Consider it a thing of the past. It is over now. It is time to focus on the ongoing talks between Zanu-PF and MDC’’668

Human Rights Watch documente dans ce même rapport l’inaction totale et la volonté délibérée de la police zimbabwéenne de ne pas agir pour protéger les victimes de violence politique soit de représailles, soit de nouvelles attaques. Certains policiers qui ont accepté de parler à Human Rights Watch sous le couvert de l’anonymat ont confirmé l’existence d’une politique, au niveau national, de pas agir ou intervenir dans les situations violentes impliquant ou pouvant impliquer la Zanu-PF et ses alliés669, ce qui en soit constitue une violation des obligations internationales du Zimbabwe en matière de droits humains, plus particulièrement à l’égard du PIDCP 670 . Un officier de police en poste dans le Mashonaland, où ont eu lieu les violences les plus intenses en 2008, a dit à Human Rights Watch à ce propos :

Senior police officers came to address us. We knew by the rank displayed on their clothes that they were senior, but they were not introduced to us. They probably came from police headquarters in Harare. One of them said, “You are

666 Ibid. 667 Ibid., pp. 272-275. 668 Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., p. 34. 669 Ibid., p. 29. 670 Ibid.

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under instruction not to arrest ZANU-PF supporters who may be implicated in political violence or whom you may come across committing acts of political violence. Do not use force when dealing with them. At most, you may, when you find them in the act of committing political violence, gently disperse them, but make no arrests, I repeat, do not arrest ZANU-PF supporters”671.

Ces affirmations confirment l’ampleur de la mobilisation de la violence à des fins politiques orchestrée par le JOC et les securocrats formant la garde rapprochée de Robert Mugabe. Ils démontrent que la Zanu-PF, via le Joint Operations Command, s’est servi des forces régaliennes − jusqu’aux niveaux les plus bas de la police – afin de mettre en œuvre son plan de s’accrocher au pouvoir par la violence, en recourant notamment aux violations du droit à la liberté et à la sécurité de sa personne672.

iv) La mise en détention de cadres et d’élus du MDC : les cas de Tendai Biti, Eric Matinenga et Marvellous Khumalo

Tendai Biti, le « numéro 2 » du MDC a également été placé en détention dès son retour au Zimbabwe après une période d’exil. Craignant pour sa sécurité à l’apogée de la période de violence et victime de harcèlement de la part des forces de sécurité, il s’était réfugié en Afrique du Sud 673 . Dès que l’avion de Tendai Biti se pose à l’aéroport international d’Harare le 9 juin 2008, ce dernier n’arrive même pas à franchir le contrôle d’immigration674. Des témoins racontent qu’à l’instant où il a mis les pieds par terre à sa descente de l’avion, une dizaine d’agents armés l’ont immédiatement saisi, menotté, jeté dans un camion et ont filé à toute vitesse675. Le MDC a envoyé des avocats dans tous les postes de police de la région afin de le retracer, sans succès. La police refuse d’abord de confirmer la détention de Biti, puis suite à la décision d’une juge le jour-même ordonnant que Tendai Biti soit traduit devant un tribunal pour examiner la légalité de sa détention, elle coopère partiellement deux jours plus tard676. Ce n’est qu’à ce moment que des accusations sont portées contre Tendai Biti : trahison, passible de la peine de mort 677 . La police confirme également que Tendai Biti est détenu dans des installations militaires à

671 Ibid., p. 30. 672 Ibid., pp. 25-30.; Craig TIMBERG, Op. cit. 673 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 188-189; 234-235. 674 Ibid., p. 188. 675 Ibid. 676 Ibid. 677 Ibid., p. 189.

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Goromonzi, en dehors d’Harare, un site connu par les organismes de défense des droits humains pour être une base de torture678, qui y font référence en l’appelant simplement « Goromonzi torture centre »679. Une ordonnance de la Haute-Cour a exigé de la police qu’elle présente Biti devant le tribunal avant le 14 juin 2008 à 10 heures. Cette ordonnance fut défiée par la police, qui a publiquement remis en question l’autorité et la légitimité de la Haute-Cour680. Si les forces de l’ordre ont fini par obtempérer681, Tendai Biti a affirmé que les documents écrits qui l’incriminait avaient été fabriqués de toute pièce682. Selon la loi zimbabwéenne, la gravité du crime dont il était accusé (dont la peine maximale est la mort) permettait donc à la police de ne pas avoir à le relâcher en attendant un procès683, ce que le MDC décrit comme un faux prétexte pour garder un militant « gênant » derrière les barreaux le plus longtemps possible. Il fut toutefois libéré, et accéda au poste de ministre des finances dans le gouvernement d’unité nationale de 2009684.

Les hauts-placés et les figures connues de l’opposition ne sont pas les seuls à avoir été victimes des atteintes au droit à la liberté. Des militants et des élus ayant une notoriété moindre et des « gens ordinaires » ont été les cibles d’arrestations et de détentions arbitraires, en violation des protections offertes par le droit international des droits humains. Ce fut le cas du député MDC de Buhera South, Eric Matinenga. En mai 2008, l’armée zimbabwéenne a donné l’assaut sur un groupe de partisans du MDC à Buhera. Matinenga a alors saisi les tribunaux et réussit à obtenir une injonction temporaire ordonnant à l’armée de cesser toute violence et de se limiter à son mandat de protection des populations civiles, tel que le prévoit la constitution685. Le 31 mai, il fut arrêté pour « violences publiques » (charges of public violence) et détenu pendant 72 heures sans mandat et sans pouvoir se présenter devant un juge – en violation de la loi zimbabwéenne686. Ses avocats ont plaidé que sa détention était arbitraire et fondée uniquement sur son appartenance politique687. Le

678 Ibid., p. 188. 679 Ibid. 680 Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., p. 34. 681 Ibid. 682 Peter GODWIN, Op. cit., p. 189. 683 Ibid. 684 « Zimbabwe- State of Denial » (The Rageh Omaar Report) Al Jazeera, Op. cit. 685 Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 15. 686 Ibid. 687 Ibid.

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5 juin, un tribunal ordonna sa libération – avec succès − affirmant que son arrestation et sa détention (du 31 mai au 5 juin) n’avait aucune base légale688. Il fut arrêté de nouveau le 7 juin, cette fois pour incitation à la violence689. Ses avocats, qui ont saisi d’urgence la Haute- Cour, ont obtenu gain de cause mais la police refusa de respecter l’injonction et de le libérer690. Il ne fut libéré que le 24 juin sous des conditions très strictes, comme se reporter chaque jour au poste de police691. Son avocat, de l’ONG Zimbabwe Lawyers for Human Rights, a déclaré dans un entretien avec Human Rights Watch :

This is a clear case of persecution […] which is by no means unique to him. Many MDC leaders are facing similar persecution of being arrested and detained on fabricated charges and hauled before courts to go through lengthy, costly and utterly meaningless trials. In the case of Eric Matinenga l noticed that the police were working in cahoots with the army and were actually receiving instructions from the army on the arrest of Matinenga and what charges to prefer against him692.

Un agent de police en poste à Harare a par ailleurs confié à Human Rights Watch qu’il a fait partie d’une unité de police qui a été chargée de fabriquer des preuves dans le but de procéder à l’arrestation et à la détention de militants MDC après le scrutin du 29 mars 2008693 : « The officer-in-charge of Law and Order Section, Harare Charge Office, made it clear to all nine police officers in my team that we had to arrest and detain MDC activists by all means necessary, and that it was our responsibility to make up cases against MDC activists since we are ‘‘at war’’ with MDC »694. Une réalité à laquelle un député MDC, Marvellous Khumalo, a fait écho ayant lui-même été arrêté à plusieurs reprises :

On four occasions between March and July 2008 I was arrested by police at St. Mary’s police station when I had gone to enquire about detained MDC supporters of my constituency. On each of those four occasions the police accused me of inciting political violence […] MDC victims of political violence now fear to go to police because the police tend to arrest the victims and not the perpetrators of violence695

688 Ibid. 689 Ibid. 690 Ibid. 691 Ibid. 692 Ibid. 693 Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., p. 32. 694 Ibid. 695 Ibid.

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v) Le raid du 25 avril 2008

Un cas plus spectaculaire d’arrestations arbitraires est celui du raid de bandes armées et de policiers anti-émeute sur le quartier général du MDC à Harare le 25 avril 2008. Déjà à la fin avril, des victimes de violence politique en milieu rural dont un proche avait été assassiné, les biens avaient été volés, la maison avait été brûlée ou qui étaient simplement trop terrorisées à l’idée de rester chez eux trouvèrent refuge à l’intérieur du quartier général du MDC dans la capitale696. Environ 250 personnes s’étaient réfugiées à l’intérieur : tous furent arrêtés lors du raid697. Le gouvernement zimbabwéen affirma publiquement que le but de l’opération était de mettre la main sur « toutes les personnes soupçonnées d’agressions et de violence politique dans le pays »698. Néanmoins, toutes les personnes présentes ont été arrêtées et transportées vers divers postes de police d’Harare pour être placées en détention, y compris des vieillards blessés, des femmes enceintes, des enfants en bas âge et des nourrissons699. Des avocats et une députée qui se sont rendus à divers postes de police pour tenter d’obtenir la libération d’au moins quelques mères avec leurs bébés furent également arrêtés et détenus, sans qu’aucun motif ne leur soit communiqué700.

4.2.3 Atteintes à la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

En date du 8 mai 2008 – seulement 6 jours après l’annonce officielle des résultats du premier tour par la ZEC – l’ONG Zimbabwe Association of Doctors for Human Rights (ZADHR) rapportait déjà 900 cas de torture et de « violence politique organisée » depuis le scrutin de la fin mars701. Human Rights Watch, de son côté, rapportait en date du 27 mai 2008 l’existence d’au moins 2000 victimes de torture et de « violence »702. Le contenu des rapports des organisations de défense des droits humains et les nombreux cas documentés

696 Ibid., pp. 32-33. 697 Ibid., p. 33. 698 Ibid. 699 Ibid. 700 Ibid. 701 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 16. 702 Ibid.

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suggèrent toutefois qu’un très grand nombre de ces cas puissent être considérés, en vertu des instruments de droit international, comme des actes de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Par ailleurs, dans un rapport conjoint de la Zimbabwe Human Rights NGO Forum et du Research and Advocacy Unit, la documentation sur la violence politiquement motivée au Zimbabwe fait état de 596 cas de torture à proprement parler entre les mois de janvier et d’avril (inclusivement) en 2008703. Ce qui est intéressant avec les chiffres avancés par ce rapport, c’est que la torture est isolée des autres violations comme les cas de viols, d’agressions (assaults) et des tentatives de meurtres 704 , notamment, ce qui précise le portrait du type de violations commises. Selon les données du Zimbabwe Human Rights Forum, de plus, le nombre de cas de torture répertoriés au Zimbabwe pour les 4 premiers mois de l’année 2008 (596) est presque le même que pour toute l’année 2007 (603) et significativement plus élevé que les années 2005 (136) et 2006 (366)705.

La nature de la violence politiquement motivée mobilisée par le régime Mugabe et la grande diversité des actes pouvant constituer de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants rendent impossible la description de ne serait-ce qu’une fraction des cas recensés au Zimbabwe en 2008. Pour cause, le nombre précis de cas de torture et de mauvais traitements varie légèrement selon la source consultée, ce qui est notamment attribuable aux différences quant à la qualification de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toutefois, toutes confirment la même tendance lourde : ces cas de violations commis sur le territoire zimbabwéen pour des motifs politiques et partisans en 2008 « explosent » littéralement après le scrutin du 29 mars, à un point tel qu’il devient presqu’impossible de les répertorier tous. Après avoir posé le cadre de la prohibition de la torture en droit international (a)), certains actes spécifiques seront examinés (b)) et certains évènements qui démontrent en quoi le Zimbabwe a manqué à ses obligations internationales en la matière seront documentés (c)). Enfin, la présente section

703 Zimbabwe Human Rights NGO Forum, Damn Lies? Gross Human Rights Violations During April 2008, rapport conjoint avec le Research and Advocacy Unit, 9 août 2008, p. iv. 704 Ibid. Voir Tableau de la page iv. 705 Ibid.

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conclura sur deux aspects à portée générale relatives aux obligations des États en matière de prohibition de la torture (d) et e)).

a) La torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en droit international des droits humains

La prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ou « mauvais traitements »706) est consacrée dans divers instruments de droit international à vocation universelle. En effet, c’est l’une des protections phare de la personne humaine en droit international. D’ores et déjà prévue à l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, elle a été consacrée dans un certain nombre d’instruments707 internationaux à portée universelle et régionale. Aux fins du présent mémoire, trois de ces instruments feront l’objet d’un examen plus poussé : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT) et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Le Pacte et la Charte africaine ont été ratifiés par le Zimbabwe, et font donc partie des obligations juridiques de l’État708. En revanche, si le Zimbabwe n’a ni signé ni ratifié709 la CAT, celle-ci fera néanmoins l’objet d’un examen dans la mesure où la définition qu’elle contient a acquis un caractère coutumier710. En conséquence, elle lie de ce fait également le Zimbabwe.

706 Comité contre la torture, Convention contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants – Observation générale no2 : Application de l’article 2 par les États parties, CAT/C/CG/224, janvier 2008, par. 3. 707 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950 (entrée en vigueur le 3 septembre 1953), Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Op. cit., Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, Op. cit., Convention contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984 (entrée en vigueur le 26 juin 1987). 708 Nations Unies, Collection des traités – Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Op. cit. https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_fr; Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, Tableau de ratification : Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples [en ligne], Op. cit. 709 Le Zimbabwe est l’un des rares États du monde à n’avoir ni signé, ni ratifié la CAT, avec le Bhoutan, l’Iran, la Tanzanie, la Corée du Nord, la Birmanie, la Malaisie, l’Oman et la Papouasie- Nouvelle Guinée. 710 Cour internationale de justice (CIJ), Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), Arrêt du 20 juillet 2012, par. 99 : Selon la Cour, l’interdiction de la torture relève du droit international coutumier et elle a acquis le caractère de norme impérative (jus cogens).Cette interdiction repose sur une pratique internationale élargie et sur l’opinio juris des États. Elle figure dans de nombreux instruments internationaux à vocation universelle (notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948; les Conventions de Genève pour la protection des victimes de guerre de 1949; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966; la résolution 3452/30 de l’Assemblée générale sur

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En ce qui concerne l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, celui-ci précise que « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique »711. Tel que le rapporte Édouard Delaplace712, l’objectif de l’article 7 du Pacte est la protection de la dignité et de l’intégrité physique et mentale des individus713. Également, tel que prévu par l’article 4 du PIDCP, il n’est pas possible pour les États parties de déroger à l’article 7714. Le Comité des droits de l’homme s’est naturellement prononcé en ce sens dans ses Observations générales no7 et no20 qui concernent l’article 7, ainsi que dans son Observation générale no29 relative à l’article 4 du PIDCP715.

Pour ce qui est de la CAT de 1984 qui pose la définition de la torture ayant acquis une valeur coutumière, il ressort que les douleurs ou souffrances aigües physiques ou mentales doivent avoir été commises par « un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite » pour se qualifier de torture. De plus, la CAT fait la distinction entre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (les « mauvais traitements »), dont la distinction est opérée à l’article premier de la Convention 716 . En balisant la torture à

la protection de toutes les personnes contre la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en date du 9 décembre 1975), et elle a été introduite dans le droit interne de la quasi-totalité des États; enfin, les actes de torture sont dénoncées régulièrement au sein des instances nationales et internationales. 711 PIDCP, art. 7. 712 Édouard DELAPLACE, Article 7, dans Emmanuel DECAUX (sous la direction de), Op. cit., p. 201. 713 Comité des droits de l’homme, Observation générale no20 – Article 7 (Remplacement de l’Observation générale no7 concernant l’interdiction de la torture et traitements cruels), HRI\GEN\1\Rev.1, quarante- quatrième session, 1992, par. 2. 714 Édouard DELAPLACE, Op. cit., p. 203. 715 Ibid., p. 204. 716 CAT, art. 1: (1) Aux fins de la présente Convention, le terme «torture» désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou tout autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles. (2) Cet article est sans préjudice de tout instrument international ou de toute loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de portée plus large; Malcolm D. EVANS, « Getting to grips with torture », International and Comparative Law Quarterly, vol. 51, 2002, pp. 369, 375.

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l’article 1(1) de façon plus restreinte comme des actes devant être perpétrées dans un objectif spécifique par un agent de l’État, tous les actes ne se qualifiant pas de « torture » peuvent néanmoins être considérés comme des mauvais traitements au sens de la CAT. L’article 16 de la Convention énonce par ailleurs que les États parties doivent interdire « d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture telle qu’elle est définie à l’article premier »717. Néanmoins, aucune disposition de la Convention contre la torture ne définit précisément, comme c’est le cas pour les actes de torture, les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants718.

Enfin, pour ce qui est de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, elle consacre l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en son article 5. Cette disposition de la Charte africaine consacre explicitement la protection de « la dignité inhérente à la personne humaine et la reconnaissance de sa personnalité juridique »719. L’article 5 formalise également l’interdiction de « toute forme d’exploitation et d’avilissement de l’homme », dont font partie « notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »720.

b) Interrogatoires, détentions, disparitions forcées et violences sexuelles

Dans le contexte électoral de 2008 au Zimbabwe, un certain nombre de traitements infligés à des opposants perçus ou réels sont en contradiction avec le droit international relatif à la prohibition de la torture. En particulier, pour ce qui est des séances de rééducation pungwes et des bases de torture (décrites au point a) de la section 4.1) après le scrutin du 29 mars 2008 et documentés par les organisations de défense des droits humains au Zimbabwe721, il existe une jurisprudence abondante du Comité des droits de l’homme qui met en lumière leur contradiction avec le PIDCP. Le Comité des droits de l’homme a eu l’occasion de se pencher à plusieurs reprises sur le champ matériel de l’article 7, résultant en une

717 CAT, art. 16(1). 718 Malcolm D. EVANS, Op. cit., p. 375. 719 Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, art. 5. 720 Ibid. 721 Voir notamment Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 36, 40 et Peter GODWIN, Op. cit., pp. 249-250, 357-358.

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jurisprudence abondante 722 . Suite à de nombreuses affaires impliquant notamment l’Uruguay dans les années 1970 et 1980723, le Comité s’est penché sur les violations de l’article 7 dans le contexte d’interrogatoires et d’obtention d’informations, des conditions de détention, des châtiments corporels, de la peine capitale et enfin des disparitions forcées 724 . À la lumière des atteintes à la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au Zimbabwe en 2008, les activités du Comité concernant les situations d’interrogatoires, les conditions de détention (en particulier les violences en détention) et les disparitions forcées seront abordées en raison de leur pertinence au regard de la crise zimbabwéenne.

i) Interrogatoires

Les violations de l’article 7 du Pacte dans le cadre de l’obtention d’informations et d’interrogatoires ont été la base d’une grande partie des travaux de Comité des droits de l’homme725. La jurisprudence a permis au Comité de préciser ce qu’il considère comme des violations de la protection de la dignité et l’intégrité physique et mentale des individus consacrée par l’article 7 dans la perspective d’obtention d’informations 726 . Tel que le rapporte Édouard Delaplace, la soumission à des enregistrements de torture 727 , les simulacres d’exécutions728, l’encapuchonnement729 et les « pendaisons palestiniennes »730 sont considérés comme des actes de torture au sens l’article 7 du PIDCP731. De plus, sont particulièrement pertinents dans le cas du Zimbabwe de 2008 les actes reconnus comme de la torture par le Comité dans le contexte d’obtention d’informations suivants : les passages

722 Édouard DELAPLACE, Op. cit., p. 207. 723 Ibid. 724 Ibid., pp. 207- 216. 725 Ibid., p. 207. 726 Ibid. 727 Voir notamment l’affaire Cariboni c. Uruguay (1987). 728 Voir l’affaire Muteba c. Zaïre (1983). 729 Voir notamment l’affaire Teran Jijin c. Équateur (1992). 730 Voir notamment l’affaire Saldias de Lopez c. Uruguay (1981). 731 Édouard DELAPLACE, Op. cit., p. 208.

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à tabac732, l’utilisation de chocs électriques733, les viols734 et les menaces de violences supplémentaires735.

ii) Détentions

Le Comité des droits de l’homme a également porté son attention sur les conditions de détention en considérant certains actes commis dans ce contexte comme pouvant constituer une violation de l’article 7 du Pacte 736 . Notamment, le Comité estime que des actes volontaires entraînant des souffrances (physiques ou mentales) dans le but d’infliger des peines corporelles ou d’extirper des informations à une personne en situation de détention constitue une violation de l’article 7, mais également de l’article 10(1) du Pacte737 qui traite des privations de liberté738. De plus, le Comité des droits de l’homme a aussi statué à plusieurs reprises que des violences contre des personnes placées en détention constituaient de la torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants739. Notamment, dans l’affaire Mika Miha c. Guinée équatoriale, le Comité juge qu’une victime de torture qui a par la suite été laissée à elle-même pendant plusieurs jours en détention sans supervision médicale ou accès à de la nourriture et de l’eau a subie un traitement cruel et inhumain au sens de l’article 7 du PIDCP 740 . Le Comité estime également dans l’Observation générale no20 portant sur l’article 7 que la détention prolongée en cellule d’isolement pouvait être assimilée à certains actes qui sont interdits par l’article 7 741. Finalement, le Comité a aussi estimé dans certaines affaires 742 que les conditions

732 Voir notamment les affaires Arzuada Gilboa c. Uruguay (1985) et Jones c. Jamaïque (1998). 733 Voir notamment les affaires Santulla Valcada c. Uruguay (1979) et Berterretche c. Uruguay (1988). 734 Voir Observations finales, Guatemala, UN. Doc. CCPR/C/79/Add.63, 3 avril 1996, par. 16. 735 Voir notamment les affaires Torres Ramirez c. Uruguay (1980), Grille Motta c. Uruguay (1980) ou encore Thomas c. Uruguay (1985). Dans le cas zimbabwéen, voir tous les rapports de 2008 de Human Rights Watch et Amnistie Internationale, notamment. 736 Édouard DELAPLACE, Op. cit., pp. 208-209. 737 « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine », art. 10(1) PIDCP. 738 Édouard DELAPLACE, Op. cit., p. 209. 739 Voir notamment Observations finales, Ouganda, UN. Doc. CCPR/CO/80/UGA, 31 mars 2004, par. 18; l’affaire Ttiahonjo c. Cameroun (2007), par. 6(3) et l’affaire Amendola Masslotti y Baritussio c. Uruguay (1982), par. 1(3). 740 Primo José Essono Mika Miha c. Guinée équatoriale, Communication 414/1990, U.N. Doc. CCPR/C/51/D/414/1990, UNHRC, 9 juillet 1994, par. 6(4). 741 Observation générale no20, Op. cit., par. 6. 742 Voir affaires Mukong c. Cameroun, Op. cit., par. 9(3) et Edwards c. Jamaïque (1999).

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matérielles générales de détention étaient tellement mauvaises qu’elles constituaient une violation de l’article 7.

iii) Disparitions forcées

Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme a été amené à considérer la question des disparitions forcées au-delà de l’unique prisme du droit à la vie743. En effet, en considérant les atteintes aux droits non seulement des victimes de disparitions forcées, mais également de leurs proches, le Comité en est venu à constater dans cette pratique l’existence d’un traitement cruel et inhumain infligé en violation de l’article 7744. Le Comité s’est engagé dans cette voie dans l’affaire Quinteros Almeida c. Uruguay, où il juge que la douleur infligée à la famille d’une jeune femme victime de disparition forcée, qui doit vivre au quotidien avec l’angoisse et l’incertitude quant au sort de leur proche enlevé, constitue un traitement cruel et inhumain au sens de l’article 7 du Pacte745.

iv) Violences sexuelles

La mobilisation des actes de violence en tant que pierre angulaire de l’opération Makavhoterapapi sous les ordres du JOC en 2008 implique également des cas de viols de masse746. À un point tel, d’ailleurs, que l’ONG américaine AIDS-Free World avec l’aide d’un cabinet d’avocats basé à Washington, DLA Piper, ont travaillé à documenter les cas de viols « politiquement motivés » au Zimbabwe dans le but de constituer des dossiers pouvant servir de base à d’éventuelles poursuites pour crimes contre l’humanité747. DLA Piper, notamment, a donné l’équivalent (en 2010) d’un million de dollars en heures facturables de travail pro bono spécifiquement pour les cas de violences sexuelles au Zimbabwe748. Leurs avocats ont pu recueillir les témoignages de victimes ayant fuit au

743 Édouard DELAPLACE, Op. cit., p. 215. 744 Ibid., p. 216. 745 Quinteros Almeida c. Uruguay, Communication 107/1981, UN. Doc. CCPR/C/OP/2/107/1981, UNHRC, 21 juillet 1983, par. 14. 746 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 198-203. 747 Ibid., p. 198. 748 Ibid.

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Botswana et en Afrique du Sud749, mais il leur est toujours impossible d’avoir accès aux victimes qui sont toujours au Zimbabwe, soit l’écrasante majorité d’entre elles750.

La jurisprudence internationale s’est penchée sur la question des violences sexuelles en tant qu’acte de torture. Dans l’affaire Delalić, le TPIY a reconnu le viol comme pouvant constituer de la torture751 en s’appuyant sur le jugement Akayesu752 (TPIR753) ainsi que sur les travaux754 du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture. Cet « élargissement jurisprudentiel » de ce en quoi peuvent consister des actes de torture est particulièrement pertinent dans le cas des violences perpétrées à des fins politiques au Zimbabwe.

En effet, les cas de viols commis dans le cadre de la mobilisation de la violence par le régime Mugabe en 2008 restent assez peu documentés dans les rapports officiels des organismes de défense des droits humains, comme Amnistie internationale, International Crisis Group et Human Rights Watch, qui ont été rédigés à partir d’enquêtes sur le terrain pendant ou juste après les violences. Or, comme le reflète Peter Godwin « the extent of these gang rapes takes longer to emerge − the stigma so great, the victims so deeply ashamed, and in danger of being rejected by their husbands »755. Par ailleurs, l’ONG Girl Child Network-Zimbabwe affirme avoir obtenu une liste de plus de 800 noms de victimes, qui ne seraient, selon leur directrice, que « just the ears of the hippo »756. Selon l’ONG, personne n’a été arrêté − et encore moins poursuivi − dans aucun des cas portés à leur connaissance757.

Enfin, des cas de viols pouvant être constitutifs de torture ont également été documentés, souvent bien plus tard que d’autres formes de violations des droits humains documentées

749 Ibid. 750 Ibid. 751 Le Procureur c. Zejnil Delalić et al., TPIY, Cas no IT-96-21-T, Chambre de première instance, 16 novembre 1998, par. 496. 752 Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, TPIR, Cas no ICTR-96-4-T, Chambre de première instance, 2 septembre 1998, par. 687. 753 Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). 754 Rapport du Rapporteur spécial des Nations unies pour la torture (Nigel S. Rodley) à la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies, « Question of the Human Rights of all persons subjected to any form of detention or imprisonment, in particular : Torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment », UN. Doc. E/CN.4/1995/34, 12 janvier 1995, par. 16. 755 Ibid. 756 Ibid., p. 200. 757 Ibid.

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dans le présent chapitre758. Dans plusieurs cas, que documente notamment Peter Godwin759, des femmes ont parfois été la cible de viols collectifs en milieu rural par des milices pro Mugabe, notamment dans les circonscriptions ayant fortement voté pour le MDC. Si les violences sexuelles ont visé les femmes de façon disproportionnée, les hommes n’en ont pas pour autant été à l’abri760. Néanmoins, la différence réside souvent dans le fait que dans les cas visant des hommes, les violences à caractère sexuel s’inscrivaient parmi d’autres actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants dans un contexte plus large761.

c) Cas de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au Zimbabwe en 2008

Comme cela a été fait aux sections précédentes de ce chapitre, la présente sous-section abordera des cas documentés de torture et de mauvais traitements au Zimbabwe. Les cas présentés ont été choisis parce qu’ils sont des cas emblématiques de ce qui a été présenté ci- haut, tant sur le plan de la mobilisation de la violence politique par le régime dirigé par Robert Mugabe que sur celui de la doctrine présentée plus haut sur la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Tel que discuté précédemment, le traitement réservé aux victimes de violations des droits humains a souvent largement reposé sur leur notoriété et leur degré d’implication au sein de l’opposition (voir section 4.1). Les militants et activistes du MDC ont été les plus directement touchés par les actes de torture commis par les milices pro-Mugabe, qui ont souvent été contraints de dénoncer leurs collègues, qui à leur tour étaient ciblés762. L’exercice n’est pas indiscriminé et sert un but précis : la déstabilisation du MDC et contraindre par la force les individus à voter pour Robert Mugabe au second tour763.

758 Peter GODWIN, Op. cit., p. 198. 759 Voir Peter GODWIN, Ibid., pp. 109, 198-200, 249-250 et 346-348. 760 Ibid. 761 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 37-38. Voir également le cas troublant d’Henry Chimbiri dans Peter GODWIN, Op. cit., pp. 342-348. 762 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 29-30. 763 Ibid., p. 40.

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i) Le camp de torture de Karimbika

Le 11 avril 2008, dans la localité d’Uzumba (Mashonaland Est), un militant et organisateur du MDC de 32 ans a confié à Human Rights Watch sous le couvert de l’anonymat avoir été torturé au camp de torture de Karimbika, bien connu des ONG de défense des droits humains764. Le militant d’opposition a été menotté et battu pendant toute la nuit du 11 au 12 avril avec des barres de fer, des bâtons et surtout fouetté avec des fils barbelés pour le forcer à identifier ses collègues du MDC765. Il fut également menacé de mort et humilié publiquement. Il confia à Human Rights Watch quelques jours après les faits les détails de ce qui lui était arrivé :

At the base they were nearly 200 Zanu-PF youths. They said ‘‘You people have sold the country to white people, now we are beating you to cleanse you, after this you must repent and apologise because our country cannot go to [UK Prime Minister] Gordon Brown’’. I was then ordered to give them all the names of MDC polling agents and I did because I feared for my life. I was released at 11 a.m. the following day and told to go back to my house and not leave766

ii) Pungwe à grande échelle dans le village de Chiweshe

Un autre incident qui a particulièrement retenu l’attention des organismes de défense des droits humains au Zimbabwe fut une séance pungwe (de rééducation) à grande échelle ayant causé la mort de 6 personnes à l’école Chaona Primary School du village de Chiweshe (Mashonaland Central) le 5 mai 767 . Les violations documentées lors de cet incident sont représentatives des diverses formes que peuvent prendre les cas de torture et de mauvais traitements en vertu de l’article 7 du PIDCP (tel que vu à la sous-section précédente) et sont également représentatives des violations des droits humains politiquement motivées au Zimbabwe. Au moins 70 personnes ont été victimes de violence dans cet incident, en excluant les morts768.

764 Ibid., p. 31. 765 Ibid. 766 Ibid. 767 Ibid., p. 36. 768 Ibid.

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Le soir du 4 mai, des centaines de personnes furent transportés en camions militaires vers l’école primaire Chaona, au centre de Chiweshe – plusieurs habitants ont affirmé avoir reconnus ces personnes comme étant des Green Bombers (milice de jeunes, identifiables par la couleur vert olive distincte de leurs vêtements de style militaire769) basés au Camp de Border Gezi, plus au nord, des militants Zanu-PF ainsi que des vétérans de guerre des villages avoisinants770. Des habitants de Chiweshe ont affirmé à Human Rights Watch qu’environ 300 de ces militants pro Zanu-PF se sont rassemblés dans l’école. Le lendemain matin, les militants sont allés frapper à toutes les portes du village et ont exigé que tous se présentent à un rassemblement à l’école 771 . Le vétéran de guerre en charge du rassemblement, Cairo Mhandu, également un officier à retraite de la Zimbabwe National Army, aurait alors averti le village : « This community needs to be taught a lesson. It needs reeducation. We want people to come forward and confess their links and association with the MDC and surrender to Zanu-PF. This is what we want […] »772. Devant l’absence de volontaires, des jeunes de la Zanu-PF auraient alors pris de force une dame âgée de 76 ans, l’auraient couché à plat ventre devant la foule et l’auraient battu avec des morceaux de bois sur les fesses et dans le dos pendant une dizaine de minutes avant que trois hommes se déclarent publiquement comme des membres du MDC afin que les coups cessent773.

Les victimes se seraient alors multipliées. Une liste de 20 noms de soi-disant membres du MDC aurait alors été lue, et chacune des personnes sur la liste a alors été appelée devant tout le monde et battue violemment jusqu’à ce qu’elle divulgue les noms d’au moins 5 autres opposants politiques774. Certaines personnes présentes ont dit à Human Rights Watch que certaines victimes ne pouvaient nommer 5 noms d’opposants et auraient alors crié les noms d’autres villageois présents au rassemblement sous l’impulsion de la douleur, pour faire cesser les coups775. Les personnes alors nommées étaient forcées de se présenter à

769 Les membres des milices de jeunes sont surnommés ainsi en raison de leur habillement vert de style militaire. Voir Human Rights Watch, « They Beat me like a Dog » Political Persecution of Opposition Activists and Supporters in Zimbabwe, Op. cit., p. 1. 770 Ibid., pp. 36-37. 771 Ibid., p. 36. 772 Ibid. 773 Ibid., p. 37. 774 Ibid. 775 Ibid.

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l’avant et étaient torturées à leur tour jusqu’à ce qu’ils dénoncent leurs confrères776. Human Rights Watch rapporte que les victimes de torture étaient amenées par petits groupes de 5 ou 6 personnes devant la foule, menottés aux poignets et aux pieds, couchés à plat ventre de force puis frappés sur le dos et les fesses par au moins trois assaillants, à tour de rôle777. Les violences visant des femmes auraient été particulièrement dégradantes pour les victimes : à la différence des hommes, elles auraient été déshabillées de force avant d’être battues778. Si certaines ont pu garder leurs sous-vêtements, d’autres auraient été victimes d’attouchements779. Quelques cas de torture à caractère sexuel visant des hommes ont également été signalés lors de cette séance pungwe « à grande échelle » :

[…] In some incidents, the perpetrators tied barbed wire around the genitals of the men and tied the other end of the wire around logs. [The perpetrators] then forced the men to use their genitals to pull the logs as they continued to beat them. Several men sustained [very] serious injuries to their genitals as a result […]780

Selon les informations recueillies sur le terrain par Human Rights Watch, trois des six personnes qui sont décédées de leurs blessures – Alex Chirisiri, Joseph Madzuramhende et Tapiwa Meda − avaient été soumises aux actes de torture décrits ci-haut781. Dans le cas de Joseph Madzuramhende, les assaillants lui ont reproché d’avoir permis aux autres habitants du village d’utiliser sa radio pour écouter la chaîne Voice of America, considérée par le régime comme subversive782. Certains de ses proches, témoins de la torture qu’il a subie, ont raconté à Human Rights Watch le traitement qui lui a été réservé de façon assez détaillée:

[…] They said [to Madzuramhende] : ‘‘We will beat you until you move that log with your penis’’. He attempted to do so and the barbed wire was cutting into his genitals as they continued to beat him. They then took another log, put his genitals on the log and begun to beat his genitals. Later they tied another wire around his genitals and started dragging him until parts […] came off. After the beatings […] he was still talking. He died […] at around 8 p.m. that

776 Ibid. 777 Ibid. 778 Ibid. 779 Ibid. 780 Ibid. 781 Ibid., p. 38 782 Ibid.

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night in a leaning position because he couldn’t lie on his stomach or his back because of his injuries783.

Les violences et la torture continuèrent le 5 mai pendant tout l’après-midi et toute la soirée. Les exactions contre les habitants « convoqués » à la séance de rééducation ne prirent fin qu’en soirée lorsque la police décida d’intervenir – chose très rare – et de disperser les quelques 300 vétérans, Green Bombers et militants Zanu-PF784. Aucune arrestation n’a toutefois été faite – l’un des auteurs de violations pris sur le fait fut par contre battu par les policiers… avant d’être relâché785, ce qui en soit peut également se qualifier de cas de torture par violences en détention786.

iii) Les évènements de Warren Park

Certaines formes de mauvais traitements perpétrés au Zimbabwe n’avaient toutefois aucun objectif visant l’obtention d’informations (dénonciation d’autres collègues du MDC). Le 17 avril 2008 vers 2 heures du matin, dans le secteur Warren Park d’Harare (bastion MDC), des soldats en civils ont perturbé une soirée dans une boîte de nuit populaire787, où les fêtards ont été battus pendant trois heures avec la crosse des fusils des militaires 788 . Accusés de célébrer les résultats du MDC au premier tour, les personnes présentes ont subies des violences sans autre raison apparente789. Une personne présente cette nuit-là a raconté à Human Rights Watch : « […] We were accused of selling the country to the West. Ladies were beaten more than men. Because they were skimpily dressed the dance group was accused of being in the process of making pornographic material […] ‘‘to please the whites’’ »790.

783 Ibid. 784 Ibid., p. 37. 785 Ibid. 786 Voir notamment les affaires Ttiahonjo c. Cameroun (2007), par. 6(3) et Amendola Masslotti y Baritussio c. Uruguay (1982), par. 1(3) du Comité des droits de l’homme. 787 « Club M5 ». 788 Human Rights Watch, « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., p. 44. 789 Ibid. 790 Ibid.

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d) L’implication d’acteurs non-étatiques

Après avoir vu des actes et des évènements spécifiques au contexte du Zimbabwe en 2008, il est pertinent de s’interroger sur deux éléments à portée plus générale qui revêtent un caractère particulièrement pertinent au regard de la manière dont les autorités ont abordé ces questions. Tel que vu au cours des sections et chapitres précédents de ce mémoire, les violations des droits humains perpétrées au Zimbabwe dans le contexte de la crise politique ont impliqué en premier lieu des partisans de la Zanu-PF comme des vétérans de guerre et des membres de la youth militia − également surnommés Green Bombers − et non des agents de l’État en bonne et due forme791. Ainsi, il est donc plus « facile » de documenter des actes de torture en vertu de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques commis dans le contexte de la violence politique au Zimbabwe qu’en vertu de la définition retenue dans la CAT. En vertu du Pacte, la question de savoir si l’auteur de l’acte bénéficiait du statut « d’agent de la fonction de publique » n’a pas lieu d’être posée pour constater l’existence d’un cas de torture.

Si les faits demeurent que dans la majorité des cas, les auteurs directs de violations de l’interdiction de la torture (et de violations des droits humains en général) au Zimbabwe en 2008 ne disposaient pas officiellement de la qualité « d’agent de l’État », un très grand nombre de ces cas pourraient tout de même se qualifier d’actes de torture en vertu de l’article 1(1) de la CAT. En effet, tel que vu précédemment, la tolérance792, l’assistance793 et parfois la participation 794 des forces de sécurité (forces armées, police, etc.) aux exactions commises par les milices pro-Mugabe sur le terrain, en plus de leur intégration à la chaîne de commandement du JOC795 (abordée plus haut) rendent tout à fait possible une éventuelle argumentation juridique assimilant, au cas par cas et à titre coutumier, des

791 Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., p. 50. 792 Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., p. 30. 793 Ibid., p. 32. 794 Voir notamment Craig TIMBERG, Op. cit., Peter GODWIN, Op. cit., Martin MEREDITH, Op. cit. et Lloyd SACHIKONYE, Op. cit. 795 Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, Op. cit., p. 51; Human Rights Watch « Bullets for Each of You » State- Sponsored Violence Since Zimbabwe’s March 29 Elections, Op. cit., pp. 19, 32 et Marc-André LAGRANGE et Thierry VIRCOULON, Op. cit., p. 659.

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vétérans de guerre ou des Green Bombers à des « agents de la fonction publique » au sens de la CAT796.

e) Obligations positives en matière de torture

La prohibition de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants contenue à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques implique des obligations positives pour les États parties797. Les États parties au Pacte − dont le Zimbabwe − doivent par ailleurs rendre des comptes au Comité quant aux mesures internes, qu’elles soient législatives, judiciaires ou administratives qui sont entreprises afin de mettre en œuvre leur obligation découlant de l’article 7798. Ces obligations positives de mise en œuvre de la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants se déclinent en trois volets : former, prévenir et protéger799.

Dans un premier temps, le Comité a souligné l’importance capitale de la formation des diverses catégories de personnel « chargés de l’application des lois » 800 afin de les sensibiliser et de les éduquer aux diverses règles − tant nationales qu’internationales – qui non seulement prohibent mais qui préviennent aussi les comportements pouvant être considérés comme de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants801. Comme le rappelle Delaplace802, l’accent que met le Comité sur la formation s’inscrit dans l’esprit de l’article 10(1) de la CAT qui spécifie :

Tout État partie veille à ce que l’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du personnel civil ou militaire chargé de l’application des lois, du personnel médical, des agents de la fonction publique et des autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou emprisonné de quelque façon que ce soit

Sur cet aspect uniquement (au-delà des actes de torture et des mauvais traitements commis à grande échelle) cette obligation positive fait grandement défaut en 2008 au Zimbabwe.

796 Michael BRATTON et Eldred MASUNUNGURE, Ibid. 797 Édouard DELAPLACE, Op. cit., p. 218. 798 Observation générale no20, Op. cit., par. 8. 799 Édouard DELAPLACE, Ibid. 800 Ibid. 801 Ibid. Voir également Observation générale no20, Op. cit., par. 10 et les Observations finales de la Mongolie (1992), de l’Estonie (1995) et du Gabon (1996), notamment. 802 Édouard DELAPLACE, Op. cit., p. 219.

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Non seulement l’opération Makavhoterapapi, tel qu’exposé à plusieurs reprises, reposait sur des violations massives des droits humains protégés − dont des actes de torture et des mauvais traitements – mais le rôle des agents de l’État (par complicité directe ou par complaisance) fait planer le doute sur la volonté de l’État zimbabwéen de s’acquitter de ses obligations découlant du droit international des droits humains803.

De plus, le volet « prévenir » des obligations positives de mise en œuvre de l’article 7 par les États parties au Pacte a également retenu l’attention du Comité. Ce dernier a identifié des mesures de nature préventives804 afin d’éviter que des actes de torture et de mauvais traitements ne soient commis dans le cadre de certains contextes spécifiques, comme les situations d’arrestations et de mise en garde à vue 805 ainsi que celles concernant les situations d’expulsions et d’extraditions 806 , que les États parties devraient mettre en œuvre807. Enfin, le volet « protéger » intervient une fois que la torture ou les mauvais traitements ont eu lieu et vise, bien entendu, la protection des victimes808. L’accent est alors placé sur l’importance pour les États de criminaliser les actes de torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans leurs législations pénales nationales et de tout faire pour éviter l’impunité des auteurs de ces crimes 809 . Dans son Observation générale no20, le Comité des droits de l’homme fait remarquer que la criminalisation doit viser les auteurs de torture et de mauvais traitements ainsi que ceux qui tolèrent, encouragent ou encore ordonnent ces comportements810, ce qui a, au regard de la nature des violences entourant l’opération Makavhoterapapi en 2008 au Zimbabwe, une importance toute particulière. En effet, tel qu’exposé à la sous-section précédente, Human Rights Watch a fait état d’une volonté systématique de la Zimbabwe Republic Police (ZRP) de ne pas intervenir dans les cas de violences politiques, y compris lorsque les auteurs de

803 Voir notamment Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., p. 50 et Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., pp. 29-31. 804 Notamment le renforcement des garanties fondamentales face à des situations de torture et de mauvais traitements. 805 Observation générale no20, Op. cit., par. 11. Voir également Observations finales, Maroc (2004), par. 16 et Observations finales, Philippines (2003), par. 12. 806 Observation générale no20, Op. cit., par. 9. Voir également Observations finales, Maroc (2004), par. 13 et Observations finales, Ouzbékistan (2005), par. 13. 807 Édouard DELAPLACE, Op. cit., pp. 219-221. 808 Ibid., p. 222. 809 Ibid. 810 Observation générale no20, Op. cit., par. 14-15.

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violations graves des droits humains (dont, bien entendu, les cas de torture et de mauvais traitements) avaient été identifiés formellement par des victimes et des témoins811.

D’ailleurs, l’absence totale de procédures judiciaires contre des auteurs présumés de torture au Zimbabwe – dont les cas sont paradoxalement parmi les mieux documentés et les plus détaillés de tous les cas de violences politiques en Afrique subsaharienne812 – en dit assez long sur l’importance qu’accorde le régime de Robert Mugabe aux droits humains protégés par le droit international, en particulier les droits civils et politiques. Human Rights Watch a consacré un rapport entier dédié à la question de l’impunité des auteurs de violations des droits humains au Zimbabwe en 2011. Une section entière porte spécifiquement sur la question de l’impunité des agents de l’État pour les crimes de torture commis pendant et après la période électorale de 2008813. Le rapport fait mention du refus catégorique des autorités zimbabwéennes d’enquêter sur les cas connus de torture impliquant des hauts- gradés, notamment, en indiquant clairement que ces refus en eux-mêmes peuvent constituer une violation de l’article 7 du PIDCP814. Human Rights Watch interpelle également le Zimbabwe dans ce rapport sur toute une série de mesures concernant la prohibition de la torture qui sont ouvertement ignorées par Harare, mais auxquelles le gouvernement dirigé par Robert Mugabe avait pourtant volontairement adhérées815.

La qualification de crimes commis sur le territoire du Zimbabwe comme étant des actes de torture au sens de l’article premier de la CAT, tel que vu plus haut, pourrait également paver la voie à d’éventuelles poursuites contre leurs auteurs présumés dans des États tiers parties à la Convention contre la torture – en particulier en Afrique du Sud, où des démarches en ce sens ont par ailleurs déjà été entamées816. En effet, les États parties à la

811 Voir notamment Human Rights Watch, « Our Hands are Tied » - Erosion of the Rule of Law in Zimbabwe, Op. cit., p. 30-34. 812 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 197-198. 813 Human Rights Watch, Perpetual Fear – Impunity and Cycles of Violence in Zimbabwe, 1-56432-742-6, mars 2011. 814 Ibid., pp. 31-35. 815 Human Rights Watch interpelle le Zimbabwe dans son rapport en lui rappelant l’article 15 de sa propre Constitution garantit la protection contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que les articles 1(b) et 16(b) des « Lignes directrices de Robben Island », adoptées par l’Union africaine en 2002. 816 La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a statué que le pays avait une obligation en droit international d’entamer des procédures pouvant mener à des poursuites contre des ressortissants zimbabwéens soupçonnés de crimes de torture pouvant éventuellement se rendre en Afrique du Sud. Voir affaire National

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Convention contre la torture ont également, en vertu de l’article 7(1)817, une obligation positive de poursuivre ou d’extrader (aut dedere aut judicare) tout auteur présumé d’acte(s) de torture au sens de la CAT se trouvant sous leur juridiction818.

De plus, en octobre 2009 le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture fut refoulé à son arrivée à l’aéroport d’Harare par la « branche Zanu-PF » du gouvernement de coalition, malgré l’invitation de Morgan Tsvangirai (alors premier ministre de Mugabe)819. La Zanu- PF a affirmé que l’invitation ne tenait plus en raison d’un « processus consultatif en cours sur les droits humains »820. Un ministre Zanu-PF s’en est par ailleurs pris verbalement au Rapporteur spécial, l’accusant d’arrogance et de « mauvaise conduite » envers le Zimbabwe, illustrant une fois de plus l’absence totale de volonté de respecter les obligations internationales en matière de droits humains821.

Commissioner of the South African Police Service v. Southern African Human Rights Litigation Centre and Another [2014] ZACC 30. 817 « L’État partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’art. 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’art. 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale. », CAT, art. 7(1). 818 Manuel J. VENTURA, « The Duty to Investigate Zimbabwe Crimes Against Humanity (Torture) Allegations », Journal of International Criminal Justice, vol. 13, 2015, pp. 868-870. Voir également CIJ, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), Op. cit., par. 95. 819 Human Rights Watch, Perpetual Fear – Impunity and Cycles of Violence in Zimbabwe, Op. cit., p. 31. 820 « Zimbabwe Expels U.N. Investigator », The New York Times, 29 octobre 2009 [en ligne], consulté le 23 mars 2017, http://www.nytimes.com/2009/10/30/world/africa/30zimbabwe.html. 821 Ibid.

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5. LA SIGNATURE DU GLOBAL POLITICAL AGREEMENT (GPA) ET LE GOVERNMENT OF NATIONAL UNITY (GNU), 2008-2013 (CHAPITRE 4)

5.1 Le GPA : Les pressions internationales, Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai

5.1.1 Les réactions internationales à la « victoire » de Robert Mugabe

La victoire de Robert Mugabe – unique candidat au second tour de l’élection présidentielle de juin 2008 suite au désistement de Morgan Tsvangirai 822 – grâce à l’opération Makavhoterapapi et le recours à la violence à grande échelle (décrits aux chapitres précédents) s’est rapidement propulsée au centre de l’attention médiatique et des préoccupations des États du monde823. Ces réactions internationales à la réélection « vide de sens » du président Mugabe, selon les mots de Jocelyn Alexander 824 , et plus généralement à l’explosion de violence et de cas de violations massives des droits humains au Zimbabwe vont jouer un rôle un important dans le déroulement de la suite des évènements au niveau politique pour le régime Mugabe. Surtout, les réactions internationales et les pressions exercées vont façonner les efforts de médiation subséquents pour la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Ces pressions et ces critiques extérieures vont par ailleurs contribuer à modeler les rapports de force au sein de l’accord de partage du pouvoir entre la Zanu-PF et les MDC, le Global Political Agreement (GPA)825, qui vont à leur tour avoir une incidence sur la structure du gouvernement de coalition qui en découlera et par le fait même, sur la mobilisation de la violence dans un tel contexte. Avant d’aborder cette question, il est toutefois essentiel de passer en revue les réactions internationales à l’issue de l’élection violente de 2008 de trois groupes de pays :

822 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 124. 823 « African Union Summit opens in Egypt », CCTV, 1er juillet 2008 [en ligne], consulté le 11 avril 2017, https://www.youtube.com/watch?v=FHQyNSnfyjk; « Mugabe aide tells West : ‘Go hang’», BBC News, 1er juillet 2008 [en ligne], consulté le 19 avril 2017, http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/7483060.stm; « G8 Leaders’ Statement on Zimbabwe », 8 juillet 2008 [en ligne], consulté le 19 avril 2017, http://www.g8.utoronto.ca/summit/2008hokkaido/2008-zim.html. 824 Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 124. 825 Thys HOEKMAN, Op. cit., pp. 906-919.

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l’arène des États occidentaux826, l’arène des États de l’Union africaine (UA − niveau continental) et l’arène des États de la SADC (niveau régional).

a) L’arène des États occidentaux

Au moment où le président Mugabe est officiellement « réélu » à la fin juin 2008, les relations avec l’Occident sont déjà très difficiles. En effet, tel que vu dans les chapitres précédents, les pays occidentaux sont accusés de s’ingérer dans les affaires internes du Zimbabwe, de manipuler l’opposition pour déloger Mugabe, d’avoir ruiné l’économie du pays par le biais des sanctions économiques et sont quotidiennement taxés d’impérialistes, de racistes ou encore de donneurs de leçons hypocrites au sujet des droits humains827. Les Britanniques et les Américains, surtout, sont particulièrement visés par la rhétorique du régime et de ses alliés828. Il faut dire que le gouvernement britannique, tout comme la Maison-Blanche et l’Union européenne (UE), ne se privent pas de critiquer ouvertement les pratiques violentes du régime depuis 2000 : ces critiques sont devenues particulièrement récurrentes dans le cadre des violences de 2008829.

Après le scrutin du second tour, toutefois, les États occidentaux ont dénoncé la tenue d’une l’élection à un seul candidat et la violence mobilisée par le pouvoir et ont refusé de reconnaître la légitimité du résultat830. Très rapidement, les condamnations occidentales ont été particulièrement fortes. Les pays européens et l’UE elle-même ont ouvertement affirmés que Robert Mugabe devait quitter le pouvoir, faute de légitimité831. Le parlement européen a élargi les sanctions contre le régime d’Harare et appelé la communauté internationale à prendre des mesures contre Mugabe832. Le président français, Nicolas Sarkozy, a même profité de son passage à la présidence tournante de l’UE pour exiger le départ de Mugabe,

826 Par « États occidentaux », l’on entend ici les membres de l’UE, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Norvège et l’Australie. 827 Abiodun ALAO, Mugabe and the politics of security in Zimbabwe, McGill-Queen’s University Press, Montréal, 2012, pp. 175-185. 828 Notamment, George W. Bush et Tony Blair ont été comparés à Hitler et Mussolini, tout comme Condoleeza Rice a été traitée « d’esclave servile » de ses maîtres américains blancs : Ibid., pp. 183-185. 829 Ibid., pp. 214-215. 830 Ibid. 831 Ibid., p. 215. 832 « EU assembly urges tighter sanctions on Zimbabwe », The New York Times, 10 juillet 2008 [en ligne], consulté le 19 avril 2017, http://www.nytimes.com/2008/07/10/world/africa/10iht-eu.2.14393867.html.

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arguant que les Zimbabwéens « avaient assez soufferts »833. L’Italie, de son côté, a rappelé son ambassadeur à Harare – le seul pays à l’avoir fait – et a publiquement encouragé ses partenaires à faire de même834.

Les États-Unis et le Royaume-Uni réagissent également fortement et condamnent, au nom du respect de la démocratie et des droits humains, la tenue d’élections non-libres dans la violence835. Les deux pays élargissent également leurs sanctions contre le Zimbabwe dans un contexte diplomatique particulièrement tendu836. À peine une dizaine de jours avant le second tour, un convoi de diplomates américains et britanniques avait été intercepté et retenu pendant plusieurs heures par la police et l’armée zimbabwéenne en dehors d’Harare837, en violation de la Convention de Vienne838. Les diplomates avaient été accusés d’ingérence en partant à la rencontre de victimes de torture839 − ce qui n’était d’ailleurs pas complètement faux 840 − et l’ambassadeur américain James McGee 841 , très critique de Mugabe, avait par ailleurs été pris à partie par la police lors de l’incident où certains de ses collègues avaient été agressés842.

De plus, les États-Unis et le Royaume-Uni ont poussé en juillet 2008 un projet de résolution au Conseil de Sécurité visant l’élargissement des sanctions contre le régime Mugabe843. Bien qu’à l’époque, les 15 membres du Conseil de Sécurité aient initialement critiqués ouvertement la violence pré-électorale de mars-juin 2008844, la Russie et la Chine, soutenus par l’Afrique du Sud, ont opposés leur veto au projet de résolution anglo-

833 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 215. 834 Ibid. 835 « Bush says Zimbabwe runoff election ‘a sham’ », Associated Press, 25 juin 2008 [en ligne], consulté le 3 mars 2017, http://www.aparchive.com/metadata/youtube/d95ae45e178b7b7238280d3b7c703b3a. 836 « Bush Weighs New Sanctions on Zimbabwe », Associated Press, 30 juin 2008 [en ligne], consulté le 19 avril 2017, https://www.youtube.com/watch?v=l5HL-PNlci0. 837 « British and US diplomats held at Zimbabwe Roadblock », The Guardian, 5 juin 2008 [en ligne], consulté le 1er mars 2017, https://www.theguardian.com/world/2008/jun/05/zimbabwe.foreignpolicy?gusrc=r ss&feed=networkfront; Peter GODWIN, Op. cit., pp. 145-151. 838 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, 18 avril 1961 (entrée en vigueur le 24 avril 1964). 839 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 145-151. 840 Ibid. Godwin a été témoin de l’incident et accompagnait l’ambassadeur McGee au moment de l’incident. 841 « The not-so-diplomatic ambassador », Los Angeles Times, 23 mai 2008 [en ligne], consulté le 7 avril 2017, http://articles.latimes.com/2008/may/23/world/fg-diplomats23. 842Peter GODWIN, Op. cit., pp. 145-151. 843 Brian RAFTOPOULOS, An Overview of the Politics of the Global Political Agreement : National Conflict, Regional Agony, International Dilemma dans Brian RAFTOPOULOS (sous la direction de), The Hard Road to Reform – The Politics of the Global Political Agreement, Weaver Press, Harare, 2013, pp. 11- 12. 844 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 213.

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américain845. L’opposition catégorique de l’Afrique du Sud à la position américaine a fortement irrité Washington 846 , qui pourtant avait le soutien d’un autre État africain siégeant au Conseil de Sécurité, le Burkina Faso847. Cette opposition sud-africaine au projet de résolution est emblématique du fossé nord-sud et du manque d’unité flagrant dans les positions internationales relatives aux mesures à prendre face aux violations massives des droits humains du régime Mugabe au Zimbabwe. Cette divergence a contribué à établir le rapport de force politique du futur gouvernement d’unité nationale. Cela sera abordé davantage en profondeur un peu plus loin dans le présent chapitre.

Les pays du G8, réunis au Japon quelques jours à peine après la réélection de Mugabe, ont également publiés une déclaration conjointe condamnant la situation au Zimbabwe848. La Russie avait même appuyé la déclaration du G8, tout comme le président Medvedev avait critiqué Mugabe, un peu en contradiction avec le veto russe quelques jours plus tard au Conseil de Sécurité849. Le Canada, qui avait également adopté la ligne dure et qui avait aussi déjà connu un incident diplomatique visant son haut-commissaire à Harare 850 en 2001, a étendu ses sanctions en septembre 2008851.

Le discours des Occidentaux, très fortement axé sur le respect de la démocratie, des droits humains et mettant surtout de l’avant le désir de voir Mugabe partir est loin d’avoir fait l’unanimité sur le continent africain. La « position occidentale », s’il y en avait véritablement une, a été perçue comme interventionniste, arrogante et formulée au

845 Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 12. 846 Ibid.; « 2 Vetoes Quash U.N. Sanctions on Zimbabwe », The New York Times, 13 juillet 2008 [en ligne], consulté le 19 avril 2017, http://www.nytimes.com/2008/07/12/world/africa/12zimbabwe.html. 847 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 214; « G8 Leaders’ Statement on Zimbabwe », Op. cit., http://www.g8.utoronto.ca/summit/2008hokkaido/2008-zim.html. 848 Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., pp. 11. 849 Abiodun ALAO, Ibid. 850 « Zimbabwe hit with stiff sanctions after attacks on two Canadians », The Globe and Mail, 12 mai 2001 [en ligne], consulté le 3 avril 2016, http://www.theglobeandmail.com/news/world/zimbabwe-hit-with-stiff- sanctions-after-attacks-on-two-canadians/article18414846/. 851 Gouvernement du Canada, Ministère des Affaires étrangères et du Commerce international – Communiqué de presse no 197, « Le Canada impose des sanctions ciblées contre le Zimbabwe », 5 septembre 2008 [en ligne], consulté le 19 avril 2017, https://www.canada.ca/fr/nouvelles/archive/2008/09/canada-impose- sanctions-ciblees-contre-zimbabwe.html.

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détriment de la souveraineté des États africains. Elle a été ouvertement décriée par plusieurs dirigeants africains852.

b) L’arène des pays de l’Union africaine (UA)

Le calendrier diplomatique de l’UA a fait en sorte que le « problème zimbabwéen » s’est imposé à l’ordre du jour de l’organisation africaine. En effet, après son inauguration en vitesse dès l’annonce de sa victoire sans opposition, Mugabe s’est envolé à bord du Boeing 767 d’Air Zimbabwe pour le sommet de l’UA du 1er juillet à Charm el-Cheikh en Égypte853.

Initialement, le président du Botswana Ian Khama, voisin du Zimbabwe, a refusé de reconnaître la légitimité de Robert Mugabe suite au scrutin du 29 juin et a appelé à son exclusion du sommet de Charm el-Cheikh854. Le MDC et Morgan Tsvangirai, appuyés par le MDC-M d’Arthur Mutambara et la société civile zimbabwéenne, ont également exhorté l’UA d’empêcher Mugabe d’assister au sommet, voire même de suspendre le Zimbabwe de l’organisation855. L’invitation à Robert Mugabe ne fut toutefois pas retirée. La question de la présence de Mugabe et l’enjeu des violences électorales au Zimbabwe ont créé un malaise palpable pour un bon nombre de délégations présentes à Charm el-Cheikh856. Des accrochages furent même captés par les caméras de télévision entre des journalistes européens et la délégation zimbabwéenne857.

Lors du sommet, l’UA a tacitement reconnu Robert Mugabe comme le président légitime du Zimbabwe858. Néanmoins, les États membres de l’UA ont du même souffle convenus que les élections zimbabwéennes n’avaient pas été « libres et démocratiques », sans toutefois pointer qui que ce soit du doigt859. L’UA a, paradoxalement d’ailleurs, également

852 Abiodun ALAO, Op. cit., pp. 204-205. 853 Peter GODWIN, Op. cit., p. 193. 854 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Politics Behind Politics: African Union, Southern African Development Community and the Global Political Agreement in Zimbabwe dans Brian RAFTOPOULOS (sous la direction de), Op. cit., p. 159. 855 Ibid., p. 155. 856 « African Union Summit opens in Egypt », CCTV, Op. cit. 857 « Mugabe calls a journalist ‘a bloody idiot’ at the African Union Summit in Egypt – 1 July 2008 », The Telegraph, 1er juillet 2008 [en ligne], consulté sur YouTube le 19 avril 2017, https://www.youtube.com/watch?v=9E5Ue4OP4Z0. 858 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 206. 859 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., p. 155.

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conclu que le résultat des élections ne pouvaient être jugé crédible puisque ces dernières ne respectaient pas les standards de l’organisation860. Suivant l’exemple de la sortie de crise électorale au Kenya, l’UA a formellement proposé la tenue de pourparlers et d’une médiation politique entre la Zanu-PF et les MDC861. Les États membres ont ainsi endossé formellement les efforts de médiation dirigés par le président sud-africain Thabo Mbeki et la SADC, entamés officiellement avant la campagne de violences de 2008 et relancés de façon officielle suite au sommet en Égypte862. La composition de l’UA révèle toutefois une assez faible cohésion entre les membres, particulièrement en ce qui a trait aux questions délicates, comme celle que pose la situation au Zimbabwe863. En réalité, l’UA, tout comme c’est le cas de la SADC (abordée plus bas), s’est révélée incapable de parler réellement d’une seule et même voix, particulièrement face aux violations massives des droits humains protégés par le droit international au Zimbabwe864. Un certain nombre d’États, par ailleurs, approchaient le « problème Mugabe » en fonction de leur propre situation interne865.

Cette absence d’unité parmi les gouvernements fut particulièrement visible lors d’une conférence subséquente réunissant des représentants des pays membres de l’UA. Tel que le relève Abiodun Alao, il était possible d’y classer les positions prises par les pays de l’UA en trois catégories distinctes 866 . La première catégorie regroupait ceux qui étaient ouvertement hostiles à Robert Mugabe et souhaitait que ce dernier soit sévèrement sanctionné. Le président du Botswana, Ian Khama, fait partie de cette catégorie867, tout comme le premier ministre kenyan Ralia Odinga, en poste dans un gouvernement d’unité nationale qui servira de modèle à celui qui sera instauré au Zimbabwe et qui pouvait facilement s’identifier à Morgan Tsvangirai868. La deuxième catégorie regroupait ceux qui étaient préoccupés par la situation au Zimbabwe et croyaient qu’elle devait être abordée

860 Ibid. 861 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 206; Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, « Power-sharing in comparative perspective: the dynamics of ‘unity government’ in Kenya and Zimbabwe », Journal of Modern African Studies, 48(2), 2010, p. 204. 862 « African Union adopts Zimbabwe national unity resolution », CCTV, 1er juillet 2008 [en ligne], consulté le 19 avril 2017, https://www.youtube.com/watch?v=ASON4A0faZ8; Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., p. 155. 863 Ibid., p. 147. 864 Ibid., p. 148. 865 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 205. 866 Ibid. 867 Ibid. 868 Ibid.

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avant qu’elle ne dégénère869. Ces derniers n’ont toutefois pas nécessairement prôné le départ de Mugabe ou des sanctions et certains estimaient que les Britanniques détenaient une grande part de responsabilité dans l’enlisement de la crise en raison de leur obsession pour les droits humains et les questions foncières. Des États traditionnellement alignés sur la Zanu-PF, comme le Mozambique et la Tanzanie, ont fait partie de ce groupe et ont condamné les violences, sans critiquer le président Mugabe ou son gouvernement870. Même le président Dos Santos de l’Angola, ouvertement pro-Mugabe, a publiquement exhorté l’État zimbabwéen de faire tout ce qu’il pouvait pour que « les violences cessent »871. Enfin, la troisième catégorie regroupait ceux préconisant que les affaires internes du Zimbabwe ne concernait que celui-ci et que le président Mugabe était légitime872. On retrouve dans cette catégorie des États qui ont refusé de critiquer le Zimbabwe − comme la Namibie ou la Libye de Mouammar Kadhafi – et les États ayant publiquement affiché un soutien indéfectible à Mugabe, comme la Guinée Équatoriale et la Gambie873.

Selon Alao, des États auraient soulevé l’option d’intervenir militairement ou d’envoyer une force d’interposition sous égide africaine au Zimbabwe874. L’idée aurait été immédiatement balayée du revers de la main par la Tanzanie − qui présidait la réunion − sous prétexte qu’une telle initiative serait inacceptable aux yeux de l’hégémon régional, l’Afrique du Sud, dont le président était en plein processus de médiation visant la mise en place d’un gouvernement de coalition875. En dépit de ce qui précède, il est important de spécifier à cet égard que l’UA n’a, en bout de ligne, présenté aucune condamnation sérieuse de Robert Mugabe et de la façon dont le scrutin de 2008 l’a maintenu au pouvoir … ni de soutien particulier, d’ailleurs876. Néanmoins, l’appui de l’Union africaine à un accord de partage du pouvoir entre Mugabe et l’opposition, en suivant l’exemple du Kenya, est précisément le type de sortie de crise espéré par la Zanu-PF, puisqu’elle lui permettrait de se maintenir au

869 Ibid. 870 Ibid. 871 Ibid. 872 Ibid. 873 Ibid. 874 Ibid., p. 206. 875 Ibid. 876 Ibid.

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pouvoir malgré les violations massives et l’état de chaos du pays, moyennant quelques concessions877.

Pour un bon nombre de dirigeants et d’États africains, et particulièrement ceux dits de l’Afrique « anglophone », il était particulièrement difficile de trop se désolidariser de Robert Mugabe, qui était déjà en 2008-2009 parmi les doyens du continent878. L’ampleur et la nature des critiques occidentales préconisant ouvertement et fermement le départ d’un président en exercice au profit de son opposant a largement freiné l’élan de ceux sur le continent africain qui avaient tendance à s’opposer au président zimbabwéen. Tel que le formule Alao :

While it was possible that many members of the AU disagreed with Mugabe’s policies, the nature and extent of Western criticism made it difficult for them to be seen to be in the same boat with external critics of an African ‘‘brother’’ […] quite unwittingly, the Western world ensured continental support for Mugabe879.

La faiblesse des critiques de la politique de Mugabe et particulièrement de la flambée de violences sans précédent de 2008 de la part des dirigeants de l’UA peut s’expliquer en partie par la position résolument anti-Mugabe des pays occidentaux, et en particulier des États-Unis et du Royaume-Uni 880 . En Afrique, l’enjeu de la souveraineté et de l’indépendance politique par rapport aux capitales occidentales − surtout les anciennes puissances coloniales comme le Royaume-Uni dans le cas qui nous occupe – est d’une grande sensibilité 881 . Devant « l’acharnement » des chancelleries européennes et nord- américaines contre Mugabe, il a été possible de constater, au sein de l’UA, que plusieurs ont serré les rangs, au grand bénéfice du régime d’Harare882. Alao affirme d’ailleurs à ce sujet: « it is an unwritten rule among African leaders that they close ranks the moment any of them is subjected to any form of non-African vilification »883.

877 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 208. 878 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., p. 150. 879 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 204. 880 Ibid. 881 Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 4. 882 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 204. 883 Ibid.

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Il faut également se reporter un peu dans le contexte international qui est celui de 2008- 2009. L’ère « après 11 septembre » et les stratégies de politique étrangère américaine et britannique prônant des changements de régime lorsque nécessaire avaient grandement attisé les sensibilités africaines face aux ingérences extérieures 884 . De plus, avec le développement de concepts comme celui de la responsabilité de protéger, essentiellement défendus par des pays occidentaux, les dirigeants africains ont de plus en plus jalousement protégé la souveraineté chèrement acquise des États du contient885 :

As the West pushed for an agenda of the R2P, African leaders began to toy with new principles of finding ‘African solutions to African problems’. The logic was that such an approach would […] foreclose external interference particularly from the ex-colonial powers886.

Ce phénomène, par lequel la « diabolisation » de Mugabe et les pressions européennes et américaines ont poussé des dirigeants africains à ne pas se désolidariser du président zimbabwéen, héros de la lutte à l’impérialisme, est un processus qui culmine avec la crise de 2008, mais qui débute bien avant (voir section 2.3). En effet, tel qu’exposé précédemment, le régime zimbabwéen, qui avait parfaitement conscience de cette réalité, a soigneusement et habilement entretenu son image de « héros anti-impérialiste et anticolonialiste » auprès de ses homologues du continent par sa rhétorique887. En ce qui concerne les pressions internationales suite à réélection contestée de juin 2008, la stratégie de Robert Mugabe a été encore une fois de jouer la carte anti-impérialiste et panafricaniste888, mais surtout de miser sur une reprise des efforts de médiation de la part du président Thabo Mbeki et de la SADC889. Le président Mugabe semble avoir effectué son calcul de façon assez juste : l’UA a endossé le processus de médiation de la SADC visant un partage du pouvoir et s’est reporté sur cette dernière pour guider son positionnement 890 . Toute seule, il devenait très difficile pour l’UA d’agir de façon concertée contre Mugabe, qui représente un enjeu polarisant pour le continent891. C’est

884 Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 4. 885 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., p. 150 886 Ibid. 887 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 196; Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 386. 888 Abiodun ALAO, Ibid., p. 206. 889 Ibid. 890 Ibid. 891 Ibid.

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pourquoi la SADC − avec ses dynamiques propres au sein desquelles la Zanu-PF croit pouvoir manœuvrer et s’en tirer avec un minimum de conséquences − devient fondamentale et est l’objet de la prochaine sous-partie.

c) L’arène des États de la SADC

Les réactions immédiates des États de la SADC, la Communauté de développement d’Afrique australe, ressemblent grandement à ce qui a été présenté ci-haut pour ce qui est des États de l’UA : des réactions plutôt partagées. Néanmoins, les membres de la SADC, qui sont en grande partie des voisins du Zimbabwe892, partagent plusieurs caractéristiques politiques et sociales communes avec le pays de Robert Mugabe. La plus importante d’entre elles est qu’un grand nombre de dirigeants de ces pays sont issus de mouvements de libération anticoloniaux « frères » : l’on peut penser au Mozambique, à l’Afrique du Sud, au Zimbabwe ou à l’Angola, par exemple893.

Comme à l’UA également, une certaine ambivalence caractérise les États d’Afrique australe pour qui les solidarités régionales envers les idéaux portés par la Zanu-PF sont davantage importantes qu’ailleurs en Afrique 894 . Toutefois, même si la SADC a eu tendance à se ranger derrière Mugabe dans les années 2000, notamment en ce qui concerne les questions foncières, l’ampleur des violences de 2008 ne permettait pas même aux plus fidèles soutiens de Mugabe de demeurer indifférents895. L’Afrique du Sud a repris son rôle de médiateur et de facilitateur par le biais de son président, Thabo Mbeki. Ce dernier fut régulièrement accusé de complaisance envers Mugabe896, notamment devant les critiques fortes du Botswana897, mais aussi de la Zambie, qui pourtant a une histoire de libération anticoloniale très liée à celle du Zimbabwe898.

Comme dans le cas de l’UA et de ses États membres, la SADC a historiquement fait preuve d’un certain malaise face aux dérives autoritaires du régime Mugabe tout en conservant une

892 15 États sont membres de la SADC, soit le Zimbabwe et ses 5 voisins immédiats, plus le Malawi, le Lesotho, le Swaziland, la Tanzanie, l’Angola, la RDC, l’Île Maurice, les Seychelles et Madagascar. 893 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., p. 145. 894 Ibid. 895 Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 11. 896 Ibid. Voir également l’article d’Ian PHIMISTER et Brian RAFTOPOULOS, Op. cit. 897 Sur l’ambivalence des relations Zimbabwe-Botswana, voir Abiodun ALAO, Op. cit., pp. 131-136. 898 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., pp. 155, 159.

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forme d’admiration idéologique pour le héros de la libération, résultant donc en une certaine ambivalence dans son attitude envers le Zimbabwe899. Néanmoins, la différence avec l’UA réside dans l’influence des États de la SADC – et en particulier de l’Afrique du Sud – sur le rapport de force entre les parties dans le cadre de la médiation entamée par le président Mbeki900. Avant même le début de la crise violente de 2008, par ailleurs, la SADC avait amorcé son processus de médiation dès 2007 en blâmant les gouvernements occidentaux pour leurs critiques et en appelant le Royaume-Uni à honorer ses promesses financières faites en 1979 quant aux besoins de réforme agraire au Zimbabwe901. Une des conséquences qui a pesé lourd sur le MDC pendant le processus de médiation menant au GPA fut le positionnement répété de la SADC contre les critiques en matière de droits humains et les sanctions européennes et nord-américaines. Ainsi, l’insistance occidentale à sévir contre Mugabe a contribué à mettre à l’avant-plan les justifications du régime de la Zanu-PF. Cela a aussi confirmé l’argument, aux yeux de plusieurs acteurs au sein de la SADC, que les appels au respect de droits civils et politiques protégés par le droit international n’étaient qu’un prétexte pour pousser le président Mugabe vers la sortie902 :

For much of the 2000s […] the position of SADC appeared to condone the human rights abuses of the Mugabe regime in the name of regional sovereignty. While this appeal to ‘universalism’ of the human rights agenda kept pushing at the limits of Zanu-PF’s authoritarian nationalist politics, it also attracted criticisms that it was an extension of Western construction of the human rights agenda which often […] legitimised the right to a regime change [...]903

De façon plus importante, c’est réellement la complexité et la profondeur des liens entre les anciens mouvements de libération au pouvoir dans les principaux pays d’Afrique australe qui façonnent les relations entre les États de cette même région et entre ces « brother presidents »904, surtout lorsqu’il est question de Robert Mugabe905. Le régime zimbabwéen

899 Abiodun ALAO, Op. cit., p. 201. 900 Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 7. 901 Ibid. 902 Ibid. 903 Ibid., p. 28. 904 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., p. 145. 905 Plus en profondeur sur le sujet, voir également Simon BADZA, « Zimbabwe’s 2008 Harmonised Elections: Regional & International Reaction », African Security Review, 17(4), 2009, pp. 149-175.

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étant bien au fait de cette réalité, il a capitalisé, là encore, sur son passé de libération pour consolider son statut de rempart contre les ingérences occidentales :

The liberation parties in the SADC region have gone through a very painful shared history, where they fought bloody wars together and for each other as brothers/sisters and comrades for many years (and even decades). It is important to acknowledge that these SADC States are still very young and the liberation wars […] ended as recently as fifteen years ago. Most of the people who were engaged in the liberation struggle […] are still alive. Therefore, this history holds some significance for the peoples of the SADC region and cannot just be swept away. The liberation parties within SADC have continued to develop and strengthen their relationships906.

Encore davantage qu’à l’Union africaine, le positionnement anti-Mugabe tranché des Occidentaux concernant les violations massives des droits humains au Zimbabwe − surtout des Britanniques – les ont amenés à serrer les rangs contre des ingérences extérieures perçues907. L’un des éléments les plus déterminants dans l’observation de ce phénomène, néanmoins, fut davantage l’appui affiché des Britanniques, des Américains et des Européens à Morgan Tsvangirai et au MDC en 2008 que la diabolisation de Mugabe. Tel que le constate Sabelo J. Ndlovu – G., il était déjà difficile pour la plupart des États de la SADC – dont les « gros joueurs » tels que l’Afrique du Sud, l’Angola, le Mozambique ou la Tanzanie, par exemple – dirigés par des anciens mouvements de libération − d’accueillir et de considérer comme une force politique légitime un parti comme le MDC, dont l’idéologie et la programme sont axés sur des considérations dites post-libération et plus « libérales »908. Or, la préférence occidentale pour ce parti et leur chef, à l’égard duquel existait déjà une méfiance pour des raisons de proximité idéologiques des dirigeants, a grandement conforté l’idée, propagée par la Zanu-PF, selon laquelle le MDC était un mouvement « réactionnaire », pro-occidental et antirévolutionnaire909 :

Zanu-PF added anti-Western politics as a key variable in local contestations over power and made efforts to mobilise SADC to approach the Zimbabwe problem as that of anti-colonial forces versus pro-Western reactionary forces represented by the MDC […] net effect of this perception was that the MDC

906 Eldridge ADOLFO, « The Collision of Liberation and Post-Liberation Politics within SADC – A Study on SADC and the Zimbabwean Crisis », FOI – Swedish Defence Reseach Agency, rapport FOI-R—2770-SE, Stockholm, juin 2009, p. 7. 907 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., pp. 147-148. 908 Ibid., p. 148. 909 Ibid.

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formations found it very difficult to dispel the negative representation as ‘running dogs of imperialism’ mainly because of their close links with the West910.

Le discours du MDC, axé sur le respect et la protection des droits humains – en particulier des droits civils et politiques − et la bonne gouvernance « à l’occidentale », faisait écho aux préoccupations des États occidentaux. Cela a provoqué une levée de boucliers parmi les dirigeants d’Afrique australe, pour qui la souveraineté nationale passe avant les droits humains et la gouvernance, vue depuis des standards occidentaux911. Puisque le MDC propose « un changement de régime » en se positionnant comme l’alternative démocratique à Mugabe, cette proximité avec les Occidentaux fait en sorte que pour la SADC, Tsvangirai représente une menace aux acquis révolutionnaires dans la région, et par le fait même au principe garantissant la souveraineté, obtenue par le sang, aux peuples libérés d’Afrique australe912. Encore une fois, tel que mentionné plus haut, le contexte international post- guerre froide et post-11 septembre, favorable à l’interventionnisme occidental, avait touché des sensibilités africaines, tout particulièrement auprès des États de la SADC913. Après tout, c’est l’administration Bush au début des années 2000 qui avait classé le Zimbabwe de Robert Mugabe parmi les États représentant les « postes avancés de la tyrannie » (outposts of tyranny) et l’« axe du mal » (axis of evil)914. Une telle attention négative des Américains et des Britanniques, en pareil contexte, explique en grande partie ce qui a exacerbé les sensibilités de la SADC face aux appels à ce que Mugabe quitte le pouvoir face aux violations massives de 2008. Tel que l’exprime Frank Chikane, un proche de l’ancien président Thabo Mbeki, à ce sujet :

The SADC perspective on Zimbabwe was a classic case. SADC was totally opposed to the policy of ‘undemocratic’ regime change advocated by some Western powers. Notwithstanding the view that Zimbabwe may have made mistakes or have approached certain matters in a way that exposed it to attack, an undemocratic regime change would not be allowed in the region, especially when it was driven by Western powers. SADC determined that if this was allowed to happen in one country it would then be used in another until all

910 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Ibid. reprenant en partie les propos de Simon BADZA, Op. cit., p. 153. 911 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Ibid., pp. 149-150. 912 Ibid., pp. 149-151. 913 Ibid., p. 149. 914 Ibid.

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governments of which Western powers disapproved were removed from power915.

Cet aspect, relatif à la question de la perception de la SADC d’une tentative de changement de régime orchestré par l’Occident via le MDC est très important. C’est l’un des facteurs déterminants des rapports de force en présence dans la négociation du GPA et de la structuration du GNU, auquel prendra part Morgan Tsvangirai en tant que premier ministre. Néanmoins, il convient de nuancer la position de la SADC. Tel que mentionné plus haut, des États et des dirigeants d’Afrique australe ont critiqué – parfois très sévèrement – le président Mugabe après sa réélection appuyée sur des violences en 2008916. Ce qu’il faut retenir, c’est que le facteur de solidarité et l’insistance des Occidentaux a grandement tempéré les ardeurs des États de la SADC − même des plus critiques envers le Zimbabwe − pour qui l’ampleur des violences et le chaos provoqué par l’opération Makavhoterapapi étaient non seulement inacceptables 917 , mais représentaient également un potentiel déstabilisateur pour toute la région918.

La prochaine sous-section abordera donc à nouveau ce facteur et mesurera l’influence des pressions extérieures et de la rhétorique du régime Mugabe sur le contenu du GPA donnant naissance au GNU. Un tel exercice permet de saisir et d’observer la manière dont le régime Mugabe, dans le cadre d’un gouvernement de coalition avec les MDC, a recours à la mobilisation de la violence à ses propres fins politiques et partisanes et en quoi ces méthodes divergent ou ressemblent de ce qui a été vu aux chapitres 2 et 3.

5.1.2 L’influence des pressions extérieures sur le contenu du Global Political Agreement

Les violations des droits humains à grande échelle documentées au chapitre 3 ainsi que les positions adoptées par l’UA et la SADC endossant formellement un processus de médiation (décrites ci-haut) visant la mise en place d’un gouvernement d’unité national au Zimbabwe

915 Frank CHIKANE, cité par Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 5. 916 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., pp. 146-147, 159-160. 917 Ibid.; Abiodun ALAO, Op. cit., pp. 204-205. 918 C’est notamment le cas pour le Mozambique et la Zambie, où se sont réfugiés des blancs et des travailleurs agricoles, mais surtout de l’Afrique du Sud, aux prises avec plusieurs millions de réfugiés zimbabwéens dans un contexte d’émeutes xénophobes visant des étrangers. Voir Abiodun ALAO, Ibid., pp. 203-205 et Peter GODWIN, Op. cit., pp. 176-187.

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ont rapidement amené la Zanu-PF de Mugabe et les deux MDC à signer un mémorandum d’accord (MoU) le 21 juillet 2008, grâce aux bons offices de Thabo Mbeki919. Le MoU jette en fait les bases des négociations visant à mettre en place la structure du futur GNU. En résumé, les MDC et la Zanu-PF s’engagent à calmer le jeu afin de mettre la table à un partage de pouvoir 920 . Notamment, tous s’engagent à faire immédiatement cesser les violences, à tout faire pour éliminer les discours incitant à la violence ou encore à ne pas faire entrave à l’application de la loi, par exemple921.

Les négociations portant sur les modalités de partage du pouvoir entre les MDC et la Zanu- PF, quant à elles, se sont échelonnées entre juillet et septembre 2008, moment où le GPA a été formellement signé922 et furent particulièrement houleuses. Même au moment de la signature du GPA le 15 septembre, un certain nombre de modalités restaient à parachever. Le produit de cette entente − qui n’est d’ailleurs pas particulièrement favorable aux MDC ou à la démocratisation du Zimbabwe923 − est le résultat direct des pressions exercées sur le MDC de Morgan Tsvangirai par les États d’Afrique australe et le président sud-africain d’une part et les diplomates occidentaux en poste à Harare d’autre part, au milieu desquelles le MDC s’est retrouvé quelque peu coincé924.

a) La forte influence de Thabo Mbeki et de la SADC

Tel que vu à la section précédente du présent chapitre, la position des États de la région pourrait, très généralement, être résumée de la façon suivante : les violations à grande échelle des droits humains au Zimbabwe sont inacceptables, mais un changement de régime appuyé par les Britanniques et les Occidentaux également. Plus conformément aux sensibilités régionales quant aux questions de souveraineté et de non-ingérence, la poursuite du processus de médiation entamé par Thabo Mbeki pour calmer les esprits dans le cadre de la crise zimbabwéenne ne propose pas de « changement de régime » en Afrique australe

919 Siphamandla ZONDI, South Africa and SADC mediation: Still at the crossraods? dans Martin R. RUPIYA (sous la direction de), Zimbabwe’s military: Examining its veto power in the transition to democracy, 2008- 2013, African Public Policy and Research Institute (APPRI), Pretoria, 2013, p. 65. 920 Ibid. 921 Ibid. 922 Ibid., p. 66. 923 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 203-204. 924 Thys HOEKMAN, Op. cit., pp. 903-905.

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et s’inspire largement du modèle de partage de pouvoir du Kenya suite aux violences postélectorales de 2007925. Tel qu’exposé à la section précédente, encore une fois, le MDC disposait d’une très mauvaise presse auprès des voisins de la SADC – essentiellement en raison de la rhétorique du régime Mugabe qui a habilement su définir le MDC auprès de ses homologues des « mouvements de libération frères »926. Or, le parti de Tsvangirai en est pleinement conscient et tente, pendant les négociations, de se défaire autant que possible de cette image qui lui colle à la peau, particulièrement auprès du président Mbeki927. Les États de la SADC et Mbeki seront toutefois particulièrement intransigeants devant le MDC de Tsvangirai, étant sous l’impression que ce dernier subi de fortes pressions des pays occidentaux pour modeler le GPA en faveur des intérêts européens et nord-américains928.

Selon Thys Hoekman, qui s’est intéressé de près aux négociations menant au GPA, cette présomption d’omniprésence des Occidentaux de la part de Mbeki et de la SADC n’est pas entièrement fondée 929 . En effet, cette perception que les gouvernements américain et britannique (surtout) « dirigeaient tout » au MDC est en décalage avec la réalité. Le MDC a effectivement reçu du financement occidental pendant les années 2000, surtout de pays scandinaves d’ailleurs, dans les premières années de son existence930 mais très peu de financement direct ou indirect américain931. Le MDC a également interagi régulièrement avec les diplomates occidentaux à Harare pendant la médiation, mais les Occidentaux n’ont au final eu que très peu d’influence sur le GPA, constate Hoekman932. Cet aspect sera abordé en détails à la prochaine sous-section. Ainsi, l’image du MDC auprès des dirigeants régionaux le force à se dissocier des puissances occidentales encore davantage sous la pression des médiateurs de la SADC, pour qui les positions de négociation de Tsvangirai sont le miroir des intérêts américains et britanniques. Pendant les pourparlers, d’ailleurs, plusieurs hauts-placés du MDC, dont Tsvangirai, ont dû visiter plusieurs pays de la SADC pour convaincre leurs interlocuteurs que leur parti n’était pas la marionnette des

925 Ibid., p. 904, Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 204. 926 Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 5. 927 Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 913. 928 Ibid., p. 911. 929 Ibid. 930 Ibid. 931 Ibid. 932 Ibid., pp. 911-912.

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Occidentaux qu’ils croyaient 933 . Cette forte pression régionale sur le MDC a été particulièrement difficile à gérer pour le parti d’opposition, qui a dû constamment défendre sa légitimité et son « africanisme »934. Elle a par ailleurs contraint le MDC et Tsvangirai à s’engager dans une négociation où les rapports de force étaient en sa défaveur et à faire des concessions majeures alors que la Zanu-PF n’en a fait pratiquement aucune. Les États-Unis s’étant de plus ouvertement opposés au processus935, le MDC ne pouvait évidemment pas se permettre de trop s’obstiner. Selon Benjamin Nyandoro, un proche de Tsvangirai : « […] there was a push to fight the perception that the MDC is an agent of the West. The West was saying ‘no’ so it was difficult for us to also say ‘no’ to the agreement »936.

Ces pressions ont également généré des tensions avec Thabo Mbeki, que le MDC a accusé d’être partial et enclin à protéger Robert Mugabe et la Zanu-PF937. Plusieurs figures du MDC ont par la suite été accusées de bloquer délibérément les pourparlers en raison de pressions occidentales après avoir critiqué l’issue d’un sommet de la SADC préconisant l’accentuation de la pression sur le MDC dans les négociations938. Mécontent, Tendai Biti a écrit à Thabo Mbeki à cet effet. Le président sud-africain lui répond le 22 novembre et ses propos sont assez révélateurs de la situation dans laquelle se trouvait le MDC par rapport aux médiateurs de la SADC et de son problème d’image sur la scène régionale :

It may be that, for whatever reason, your consider our region and continent as being of little consequence to the people of Zimbabwe, believing that others further away, in Western Europe and North America, are of greater importance. In this context, I have been told that because leaders in our region did not agree with you on some matters that served on the agenda of the SADC […] you have denounced them publicly as ‘cowards’ […] All of us will find it strange and insulting […] that you choose to describe us in a matter that is most offensive in terms of African culture, and […] offend our sense of dignity as Africans […]939

933 Ibid., pp. 913-914. 934 Ibid., p. 917. 935 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 204. 936 Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 914. 937 Ibid. 938 Ibid. 939 Lettre de Thabo Mbeki à Tendai Biti du 22 novembre 2008, cité par Thys HOEKMAN, Ibid.

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Plusieurs cadres du MDC ont par ailleurs appelé à ce que Thabo Mbeki soit remplacé par Kofi Annan940 ou encore par le président tanzanien Jakaya Kikwete941, sans succès. Les tensions entre l’opposition de Tsvangirai et le successeur de Nelson Mandela n’ont pas aidé à libérer le MDC de son image, ce qui lui a profondément nuit tout au long des négociations menant au GPA. Au bénéfice de Mugabe, donc, l’opposition s’est résignée à signer une entente de partage du pouvoir n’étant pas réellement favorable à une véritable démocratisation942. La diplomatie occidentale n’a toutefois pas été particulièrement utile pour le MDC, qui a dû constamment composer avec la forte pression régionale tout en prenant soin de se tenir à distance des prises de position fréquentes des gouvernements occidentaux943. Ces derniers – et en particulier les États-Unis −, plutôt hostiles à un accord permettant à Robert Mugabe de garder le contrôle sur l’État, ont (malgré eux) contribué à l’affaiblissement du rapport de force de l’opposition dans la médiation en poussant continuellement le MDC à assouplir ses positions de négociation en faveur des pressions de la SADC et du président Mbeki944.

b) Incompréhensions et divergences d’intérêts entre le MDC et les diplomaties occidentales

Tel que mentionné plus haut, les diplomates occidentaux à Harare ont fréquemment rencontré des dirigeants du MDC pendant la période de négociations945. Thys Hoekman rapporte que Morgan Tsvangirai aurait tenu la communauté diplomatique occidentale à jour de l’état d’avancement des pourparlers946 et aurait rencontré séparément les ambassadeurs Américain et Britannique947. Notamment, le MDC cherchait à avoir leur point de vue et connaître la réaction de leurs gouvernements respectifs face à un gouvernement d’unité nationale 948 . Toutefois – et contrairement aux perceptions des acteurs régionaux – l’influence occidentale sur le processus de négociation aurait été minime, tel que mentionné à la sous-section précédente. Selon Hoekman, qui s’est entretenu avec des négociateurs,

940 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 71. 941 Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 913. 942 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 203, 221-222. 943 Thys HOEKMAN, Op. cit., pp. 911-915. 944 Ibid., p. 914. 945 Ibid., pp. 911-912. 946 Ibid., p. 911. 947 Ibid., p. 912. 948 Ibid.

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toutes sortes de rumeurs circulaient pendant les pourparlers sur le rôle et l’influence des Américains auprès de Morgan Tsvangirai :

Persistent rumours regarding US influences went around during this period, for example alleging that Tsvangirai’s frequent toilet visits during the negotiations were to call the US Ambassador, James McGee, for advice, according to MDC-M insiders […] In reality, however, it is clear that the MDC largely redirected its diplomatic efforts away from the West and towards the SADC […] Diplomatic and MDC informants consistently argued during interviews that while western diplomats tried to influence the MDC, they had minimal impact […]949

Néanmoins, il ressort de l’étude des négociations du GPA que les conseils donnés par les Américains (surtout) n’étaient pas nécessairement fondés sur les mêmes intérêts que ceux du MDC en ce qui concerne le partage du pouvoir avec la Zanu-PF. Cet aspect est important parce qu’il a impacté directement la structure du GPA et les rapports de force entre les partis, qui seront ensuite déterminants dans la manière dont la Zanu-PF de Mugabe aura, au sein du GNU, recours à la violence à des fins politiques.

Les Occidentaux ne souhaitaient ainsi pas que le MDC se lance dans un accord pavant la voie à ce que Mugabe reste en place. S’ils reconnaissaient la nécessité pour les partis de tenir des négociations, les chancelleries occidentales à Harare insistaient pour que de tels pourparlers aient lieu « selon les termes du MDC »950. Les Américains, en particulier, qui souhaitaient ouvertement le départ définitif de Mugabe, étaient sous l’impression que le régime de la Zanu-PF était au bord de l’implosion, en raison des défaites aux législatives, de l’hyperinflation monstre, du manque de légitimité, des violences et d’une épidémie de choléra951. Ainsi, la communauté diplomatique occidentale au Zimbabwe aurait conseillé au MDC de faire traîner les négociations en longueur, craignant que si Tsvangirai cédait aux pressions de la SADC et joignait le GNU, il puisse « ressusciter un animal mort »952. Ainsi, leur mot d’ordre était « no deal is better than a bad deal »953. Surtout, les diplomates occidentaux étaient très préoccupés par la possibilité que le MDC signe un accord sans

949 Ibid. 950 Ibid. 951 Ibid., pp. 912-913. 952 « resurrecting a dead animal », terme employé par un diplomate occidental dans un entretien avec HOEKMAN, Ibid. 953 Ibid.

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garanties assurant une transition de pouvoir et une sortie de Mugabe 954 . De plus, les Occidentaux auraient insisté auprès du MDC et de Tsvangirai pour qu’un éventuel accord contienne des échéanciers précis de mise en œuvre ainsi que des garanties pour une justice transitionnelle, mais surtout un poste de premier ministre (pour Tsvangirai) avec le pouvoir de présider le cabinet et un gouvernement où le MDC obtiendrait le contrôle complet du ministère de l’intérieur (Home Affairs)955. Le GPA qui sera finalement signé par Morgan Tsvangirai ne contiendra aucune de ses mesures 956 . Si par ailleurs Tendai Biti, le négociateur en chef du MDC, partageait le point de vue des diplomates américains, Morgan Tsvangirai n’aurait pas été aussi insistant à la table de négociations face aux pressions de Thabo Mbeki et de la SADC957. Coincé entre la forte pression des « frères » africains méfiants et une diplomatie occidentale pressée de se débarrasser de Robert Mugabe dont il cherchait à se distancer à tout prix, le MDC a été poussé à faire des concessions « sans fin » (endless concessions), pour reprendre les termes de Siphamandla Zondi958.

Il faut toutefois dire que cette situation résulte d’une grande divergence d’intérêts entre le MDC et les diplomaties occidentales. Avant toute chose, la priorité à court-terme des Occidentaux était de se débarrasser de Robert Mugabe959. Pour le MDC, faisant face à plusieurs défis de taille, l’une des priorités était d’éviter de perdre sa légitimité régionale au nom d’une intransigeance politique ainsi que son soutien populaire, qui en raison de l’état de chaos du Zimbabwe, se fragilisait au fur et à mesure que les pourparlers s’étiraient960. Les intérêts des Occidentaux – en particulier des Américains, encore une fois – étant divergents de ceux du MDC, les diplomates américains ont mis un peu de temps à s’en apercevoir : ils ont même cru que Tsvangirai n’accepterait pas de rejoindre le gouvernement 961 . En effet, dans des câbles diplomatiques publiés par Wikileaks, l’ambassadeur McGee rapporte à Washington : « We see no signs at this point that […] the MDC will sign an ill-advised agreement that will not give the MDC a fair share of

954 Ibid. 955 Ibid. 956 Siphamandla ZONDI, Op. cit., pp. 66-67, 71; Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 913. 957 Thys HOEKMAN, Ibid. 958 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 70. 959 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 204; Abiodun ALAO, Op. cit., p. 204. 960 Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 917. 961 Ibid., p. 918,

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power »962 et « […] this deal has holes in it big enough to drive a tank through »963. Tsvangirai a pourtant rejoint le gouvernement à peine quelques jours plus tard964. Plusieurs membres du MDC ont par ailleurs fait état de ces intérêts divergents entre diplomates occidentaux et la formation politique : « The Americans didn’t understand that we had to save our party […] issues that were important to the Americans were not necessarily the most important issues to the common person on the ground »965.

Confirmant quelque peu les appréhensions occidentales, Mugabe viole l’esprit du GPA à plusieurs reprises entre octobre 2008 et février 2009, avant même l’entrée en vigueur du GNU966. Mugabe refuse aussi l’assermentation du sous-ministre MDC de l’agriculture, Roy Bennett, qu’il fait même arrêter967. Les Américains incitent alors Tsvangirai à refuser d’entrer au GNU devant de telles démonstrations de mauvaise foi de Mugabe968, qui de plus avait unilatéralement attribué les gros portefeuilles ministériels – dont l’intérieur et la défense, en charge des institutions sécuritaires – à la Zanu-PF, brisant ses propres engagements969. Encore une fois, les Occidentaux sont apparus comme un peu déconnectés par rapport au MDC, qui se voyait très mal justifier une remise en cause de sa signature pour un seul homme, Roy Bennett, ancien fermier blanc de surcroît :

[…] it was difficult for the party to explain on the ground that it was refusing to enter the unity government and begin to work on the country’s problems because one white man was not allowed to become deputy minister, particularly when the party had been willing to enter government earlier despite the continued incarceration of dozens of political prisoners970

962 Câble diplomatique du 21 janvier 2009 (US Embassy Harare), cité dans Thys HOEKMAN, Ibid., p. 912. 963 Câble diplomatique du 12 septembre 2008 (US Embassy Harare), Ibid. 964 Thys HOEKMAN, Ibid. 965 Négociateur anonyme du MDC, cité dans Thys HOEKMAN, Ibid., p. 918. 966 Siphamandla ZONDI, Op. cit., pp. 70-71. 967 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 233-234. 968 Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 918. 969 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 70. 970 Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 918.

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Figure 4: Positions et intérêts du MDC et des Occidentaux lors des négociations

Source : Thys Hoekman, Op. cit., p. 916.

Le peu de marge de manœuvre dont a bénéficié le MDC pendant les négociations a abouti à un accord – le GPA – où le partage du pouvoir est au final largement favorable à la Zanu- PF et aux securocrats en raison de la mainmise complète du régime Mugabe sur l’appareil sécuritaire971. La pression de la SADC et l’insistance des Occidentaux ont contribué à coincé le MDC de sorte à ce qu’il peine à garder une position ferme lors des pourparlers du GPA. En effet, les coûts associés à maintenir une telle position face à un régime affaibli, mais en position de force, était trop élevé pour la formation de Tsvangirai. De manière assez éloquente, un militant MDC a affirmé à Thys Hoekman à ce sujet : « the MDC had to be pragmatic where the West could be principled »972.

971 Ibid., pp. 918-919. 972 Ibid., p. 918.

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5.2 Le Government of National Unity et la mobilisation de la violence

5.2.1 Structures de pouvoir du GNU et capacité limitée de Tsvangirai à limiter les violences

À l’issue des négociations du GPA, la formule officiellement retenue en ce qui a trait à la structure de partage du pouvoir est la suivante : Mugabe préside le Cabinet, qui décide des grandes orientations stratégiques du gouvernement et Tsvangirai préside un conseil composé de ministres chargés de veiller à la mise en œuvre des politiques du GNU973. La structure consentie lors de la signature du GPA prévoit 31 ministres : 15 de la Zanu-PF, 13 du MDC et 3 du MDC-M974. De plus, il y est prévu que le président Mugabe soit secondé par deux vice-présidents − tous deux issus de la Zanu-PF – et Morgan Tsvangirai, pour qui le poste de premier ministre est créé, sera appuyé par deux vice-premiers ministres : l’un issu de sa propre faction du MDC, l’autre étant Arthur Mutambara 975. Il est toutefois important de préciser que le GPA laisse un grand nombre de pouvoirs intacts entre les mains du président Mugabe976. Tel que le résume Zondi, le président du Zimbabwe sous le GNU a : […] the power to chair the cabinet with the prime minister as a deputy chairperson; powers to approve laws brought to him by cabinet and sign treaties on behalf of Zimbabwe; the authority to declare war and conduct national ceremonies; and powers to appoint the cabinet and persons proposed for diplomatic posts […]977

Le pouvoir dévolu au titulaire de la nouvelle fonction de premier ministre, quant à lui, a un rôle beaucoup plus restreint. Il a la responsabilité de mener les politiques visant « l’atteinte des besoins du pays », c’est-à-dire les programmes de redressement économique, social et politique en plus superviser le bon fonctionnement des affaires courantes de l’État978. Si cela donne à Morgan Tsvangirai et à l’opposition un rôle prépondérant dans la conduite des politiques, inédit dans l’histoire du Zimbabwe, il faut toutefois reconnaître que son rôle au sein de l’exécutif est loin d’être comparable à celui d’un premier ministre britannique ou

973 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 66. 974 Ibid. 975 Ibid. 976 Ibid. 977 Ibid. 978 Ibid.

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canadien et que celui de Mugabe est très loin d’être purement symbolique, tel un président allemand. C’est pourtant ce que Tsvangirai avait laissé entendre à ses partisans et à la société civile pendant les négociations979.

Robert Mugabe s’est par ailleurs assuré de rappeler à l’opposition dès la formation du GNU que c’était bel et bien lui qui était aux commandes980. Comme mentionné précédemment, le pouvoir du président de nommer les ministres, malgré la répartition numérique préétablie, a réservé de mauvaises surprises aux MDC. Initialement, le MDC de Tsvangirai avait suggéré que les partis se répartissent équitablement les portfolios ministériels des trois « secteurs » (sécuritaire, social-administratif et économique)981. À titre d’exemple pour le « secteur » sécuritaire : « if Zanu-PF took control of the Defence ministry, the MDC-T982 would take the Home Affairs ministry, which controls the police, and MDC-M would control internal security »983 et ainsi de suite. Néanmoins, tel que mentionné plus haut, la Zanu-PF s’arrogea unilatéralement les gros ministères, y compris l’ensemble de ceux supervisant les institutions sécuritaires une fois le GPA signé984. Les MDC n’obtiendront que des ministères d’une importance secondaire, à l’exception des finances985. Le poste sera occupé par Tendai Biti986. De plus, Mugabe ne respectera même pas les seuils fixés et procédera au total à la nomination de 41 ministres, dont 22 de la Zanu-PF987. Le nombre de ministres du MDC passera à 13 à 15 et celui du MDC-M de 3 à 4, ce qui constitue un déséquilibre de plus en faveur de la Zanu-PF988.

Le GPA contient également un certain nombre de dispositions visant spécifiquement le redressement de la situation en matière de droits humains au Zimbabwe. Plusieurs articles font explicitement référence au respect de droits civils et politiques protégés par le droit

979 Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 910. 980 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 69. 981 Ibid. 982 Dans la littérature la principale faction du MDC, dirigée par Tsvangirai, est parfois identifiée comme « MDC-T » pour la différencier du MDC-M. Aux fins du présent projet de mémoire, l’acronyme MDC réfère à la faction principale et MDC-M à la faction d’Arthur Mutambara, tel qu’expliqué au chapitre 2. 983 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 69. 984 Thys HOEKMAN, Op. cit., pp. 918-919. 985 Ibid., p. 904. 986 « Zimbabwe – State of Denial », Al Jazeera – The Rageh Omar Report, Op. cit.; Peter GODWIN, Op. cit., pp. 316-323. 987 Norma KRIEGER, Op. cit., p. 14. 988 Ibid.

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international, dont la liberté d’association et les libertés politiques989. De manière plus intéressante encore, l’article 18 du GPA énumère une longue liste de mesures que le nouveau gouvernement mettra en œuvre pour rétablir la primauté du droit dans le but « d’éradiquer » la culture de violence politique et de répression systémique présente au Zimbabwe depuis une dizaines d’années990. Le texte de l’accord fait de plus explicitement référence à la nécessité de stopper le recours à la violence politiquement motivée991 afin de faire dévier le pays de sa trajectoire autoritaire et militariste992. Le texte de l’accord prévoit également la mise en place rapide d’un cadre de réformes constitutionnel pouvant justement permettre ce virage vers une plus grande démocratisation et une plus grande protection juridique de la sécurité physique des individus 993 . Encore une fois, néanmoins, ces dispositions du GPA ne sont que de vagues engagements à poursuivre les réformes une fois le GNU en place994.

La bonne volonté de la Zanu-PF et de Robert Mugabe envers le GPA et le GNU fut sans grande surprise remise en question dès octobre 2008 − quelques semaines après la signature de l’accord – alors que Mugabe a unilatéralement conservé la mainmise de la Zanu-PF et des securocrats sur les institutions sécuritaires995. Cette action a de plus semé le doute sur le bien-fondé de l’engagement du régime Mugabe au sein du GPA en ce qui a trait aux dispositions qui concernent le respect des droits humains et de la règle de droit. Ce doute a par ailleurs semblé se confirmer assez rapidement, avec la capacité très limitée – voire inexistante – de Morgan Tsvangirai, en tant que premier ministre, de gérer les violences politiques en vertu des pouvoirs (modestes) à sa disposition. Tsvangirai fut dans un premier temps incapable de tenir sa promesse visant la libération des prisonniers politiques détenus par le régime, très souvent arbitrairement, tel que vu au chapitre 3996. De plus, Mugabe a, en totale violation du GPA, ordonné l’arrestation, l’enlèvement et la torture d’une centaine de militants de la société civile (journalistes, défenseurs des droits humains et militants

989 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 67. 990 Ibid. 991 Ibid. 992 Ibid. 993 Ibid. 994 Ibid. 995 Ibid., p. 70. 996 Thys HOEKMAN, Op. cit., p. 917.

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politiques) en décembre 2008 997 . Néanmoins, comme toutes les modalités du GNU n’étaient pas encore peaufinées à ce moment précis, le MDC a subi de fortes pressions pour finaliser les ententes afin de faire cesser les vagues d’arrestations, ce qu’il fut incapable de faire, même une fois en fonction998. Selon Nic Cheeseman et Blessing-Miles Tendi, qui ont réalisé une étude comparative des gouvernements d’unité nationale au Zimbabwe et au Kenya, la réaction du MDC à ces violations de l’entente et ces violations des droits humains par la Zanu-PF en a été une de « protest and capitulation »999. Dans les premiers mois de l’existence du GNU cette réaction a par ailleurs de plus en plus fait place à une « capitulation » tout court devant les abus persistants en matière de droits humains de la Zanu-PF 1000 , notamment face à une reprise des invasions de fermes détenues par des blancs1001. Malgré certaines tentatives, le premier ministre Tsvangirai s’est avéré assez impuissant pour faire cesser les violations et pour faire respecter les décisions de justice par les forces de l’ordre, sur lesquelles il n’avait en fin de compte pas de pouvoir réel1002. Ainsi, en dépit de son implication personnelle pour faire respecter une injonction favorable à la famille de Mike Campbell et de son gendre1003 quant à leurs fermes, Morgan Tsvangirai fut incapable de mobiliser les ressources gouvernementales suffisantes à leur protection1004. En conséquence, la militarisation de l’État zimbabwéen et l’emprise des securocrats décrite au chapitre 2 n’arrive pas à être freinée par la présence de l’opposition au sein du gouvernement1005. Cette incapacité quasi-totale du premier ministre Tsvangirai de gérer les violences alors que l’opposition détient pourtant le contrôle d’un certain nombre de ministères amène Cheeseman et Tendi à conclure que le gouvernement d’unité au

997 Ibid. 998 Ibid. 999 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 221. 1000 Ibid., p. 222. 1001 « Zimbabwe : La bataille de la terre », France 24, 25 septembre 2009 [en ligne], consulté sur YouTube le 10 septembre 2016, https://www.youtube.com/watch?v=xcdCsXbdCgE. 1002 CHIN’ONO, Hopewell (production et réalisation), « A Violent Response », [documentaire] (2010) Zimbabwe et Royaume-Uni : production indépendante [en ligne], consulté sur YouTube le 7 avril 2016, https://www.youtube.com/watch?v=YEdPQcQFiqU. 1003 Ibid. Pour en apprendre davantage sur l’histoire de Mike Campbell et de sa saga judiciaire contre le président Mugabe, voir le documentaire Mugabe and the White African (2009). 1004 « A Violent Response », Ibid. 1005 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 222.

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Zimbabwe (GNU) – tout comme celui au Kenya – sert à retarder le conflit politique plutôt qu’à le résoudre1006.

5.2.2 Dynamiques du pouvoir au sein du gouvernement d’unité nationale (GNU)

Selon Nic Cheeseman et Blessing-Miles Tendi, cette application à géométrie très variable des termes du GPA est due à la dynamique politique créée au sein du GNU par l’accord de partage de pouvoir signé par l’opposition et la Zanu-PF. Tant dans le cas du Zimbabwe que du Kenya, les accords de partage de pouvoir − dont les termes ont été négociés à l’avantage des présidents sortants − sont manipulés par ces derniers afin de conserver leurs positions de force et de limiter les possibilités de réforme, selon Cheeseman et Tendi :

Rather than create space for reform coalitions, power-sharing can be manipulated by incumbents desperate to retain their positions in the face of electoral defeat, undermining the prospects for reconciliation or institutional regeneration. The lesson to be taken from the experience of Kenya and Zimbabwe thus far is bleak; power-sharing servers to postpone conflict, rather than resolve it1007.

Dans le cas du Zimbabwe, les auteurs qualifient la dynamique résultant de cette manipulation des termes de l’accord à leur avantage de politics of continuity 1008 . Essentiellement, cette dynamique reflète toute la résistance interne au changement et à la démocratisation au sein du GNU qui mine la réalisation des objectifs du GPA1009. Le rôle des institutions sécuritaires (en particulier de l’armée et du JOC) dans la mobilisation de la violence à des fins politiques en période électorale en 2008 a grandement contribué à ce que les militaires et les securocrats − qui demeurent en place suite au GPA et aux attributions unilatérales de Mugabe − alimentent cette dynamique de politics of continuity 1010 . Martin R. Rupiya, Nic Cheeseman et Blessing-Miles Tendi considèrent

1006 Ibid., pp. 203-204, 207. 1007 Ibid., p. 207. 1008 Ibid. 1009 Ibid., pp. 206-207, 211. 1010 Ibid., pp. 207-211, 218.

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même l’armée et le JOC de « veto players » par rapport aux objectifs du GPA1011, bloquant, diluant ou retardant le plus possible toute réforme, en particulier celles touchant les institutions sécuritaires1012. Suivant cette logique, donc, très peu d’avancées concrètes ont pu être faites sur le plan de la lutte contre l’impunité des auteurs de violations massives des droits humains. En effet, un grand nombre de securocrats ont délibérément miné le GNU, notamment pour se mettre à l’abri d’éventuelles poursuites : « The willingness of the MDC to speak out against perpetrators of violence has bred fear among Zanu-PF elites, solidifying distinct and fiercly opposed partisan veto players united by their common intransigeance »1013. Cette réalité au sein du GNU a ainsi contribué à marginaliser l’impact de la présence du MDC au gouvernement et à maintenir la concentration entre les mains de la Zanu-PF et de ses alliés du monopole sur le recours à la violence étatique1014, ce qui était justement la crainte des organisations de défense des droits humains et des États occidentaux1015.

Ainsi, le constat qui précède et la nature des rapports de force ayant aboutis au GPA pousse Cheeseman et Tendi à conclure que les accords de gouvernement d’unité dans les deux cas (Kenya et Zimbabwe) ont été essentiellement signés pour « consommation internationale », c’est-à-dire principalement par souci d’image1016. Négocié sous pression, tel que vu plus haut, l’accord de partage de pouvoir et le GNU qui en découle constitue, à bien des égards, une façade plutôt artificielle de réforme et de démocratisation, surtout par rapport à la mobilisation de la violence à des fins partisanes sous le régime Mugabe. Les dynamiques politiques au sein du GNU rendent donc la pleine mise en œuvre du GPA particulièrement problématique. Cela ne signifie pas que rien ne change par rapport à avant la signature : le gouvernement de coalition arrivera tout de même à freiner l’hyperinflation et à redresser la situation humanitaire chaotique d’après-crise1017. Par contre, il en ressort clairement que le président Mugabe et la Zanu-PF avaient la capacité de court-circuiter le plus possible les

1011 Voir Martin R. RUPIYA, Op. cit., pp. 1-16 ainsi que Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Ibid., p. 218. 1012 Ibid. 1013 Ibid., p. 216. 1014 Ibid., p. 218. 1015 Thys HOEKMAN, Op. cit., pp. 915-918. 1016 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 219. 1017 « Zimbabwe – State of Denial », Al Jazeera – The Rageh Omar Report, Op. cit.

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réformes en refusant parfois de respecter les clauses du GPA lui étant moins favorables1018, comme avec l’attribution unilatérale des ministères régaliens aux membres de son parti1019. Cheeseman et Tendi dressent un bilan similaire des accords tant au Zimbabwe qu’au Kenya :

In both cases, incumbent governments were willing to sign unity deals because they recognized that so long as they retained the all-powerful presidency, they would continue to be able to veto reform by simply refusing to implement the clauses of the agreements they found most problematic. It was thus not in the negotiation process, but in the implementation period, that the impact of the different veto players at work in the two cases came to the fore […] in each case incumbents […] refused to give up the presidency and sought to maintain control over the main levers of coercion, including Foreign Affairs, Home Affairs, Defence and Internal Security1020.

Dans le GNU, le véritable pouvoir exécutif étant concentré entre les mains du président Mugabe, et non du premier ministre Tsvangirai, l’accord du partage de pouvoir a donc essentiellement été caractérisé dans sa mise en œuvre par la dynamique de politics of continuity 1021 . À ce titre, les conclusions de Cheeseman et Tendi sur le recours à un gouvernement d’unité national au Zimbabwe et au Kenya sont intéressantes aux fins de la présente section. Ces derniers affirment, à la lumière des facteurs exposés ci-haut, que les gouvernements d’unité nationale s’inspirant du modèle mis en place au Zimbabwe et au Kenya ont essentiellement servis à des dirigeants autoritaires en situation d’« impasse démocratique » (democratic deadlock) à se maintenir au pouvoir1022. Surtout, les termes de l’accord ont permis non seulement à Mugabe de se maintenir au pouvoir en conservant les avantages associés à sa position privilégiée, mais de le faire en se rendant plus acceptable aux yeux de la communauté internationale, tout particulièrement sur le plan régional1023. Ainsi, ce type d’accord s’est révélé un bon moyen pour certains dirigeants, dont Mugabe, de se donner une légitimité interne et externe renouvelée en faisant un minimum de

1018 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 219. 1019 Siphamandla ZONDI, Op. cit., p. 70. 1020 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 219. 1021 Ibid., p. 222. 1022 Ibid., p. 225. 1023 Ibid.

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concessions politiques, avec la possibilité de prendre le crédit d’éventuelles réalisations d’un gouvernement de coalition1024.

5.2.3 Glissement des tactiques de la Zanu-PF vers des réseaux informels parallèles à l’État

Tel que mentionné dans le présent chapitre, la mobilisation de la violence à des fins politiques et partisanes dans le GNU est tributaire des rapports de force et des dynamiques de pouvoir au sein de ce gouvernement de coalition. Les termes du GPA, déjà très favorables au maintien de l’assise du président Mugabe, ont de plus été violés par le régime de la Zanu-PF, au sein duquel la résistance à toute réforme est très forte, d’où la dynamique de politics of continuity mise de l’avant par Cheeseman et Tendi1025. Avec cette dynamique pour point de départ, Norma Krieger affirme toutefois que plusieurs analyses des dynamiques politiques du GNU, dont celle de Cheeseman et Tendi, accordent trop d’importance aux institutions formelles – en particulier les institutions sécuritaires – dans la marginalisation des MDC pour maintenir le monopole de la Zanu-PF sur la mobilisation de la violence1026. En effet, selon Krieger les dynamiques de pouvoir régissant la violence politiquement motivée au Zimbabwe sous le GNU doivent être comprises au-delà de la simple emprise des securocrats et de la Zanu-PF sur les institutions sécuritaires1027. Bien entendu, la mainmise sur les forces armées, la police ou le CIO demeure une nécessité fondamentale pour Mugabe, la Zanu-PF et les securocrats. Néanmoins, le parti s’assure d’un contrôle étroit via des réseaux informels et parallèles à l’appareil étatique par le biais desquels la violence, mais aussi le clientélisme, s’exercent1028. Norma Krieger fait même référence à un « gouvernement parallèle »1029 composé de ces réseaux informels reposant très souvent sur le patronage et les liens clientélistes :

The very favourable terms of the GPA together with Mugabe’s skilful manipulation of the few GPA provisions where Zanu-PF did make small concessions have enabled Zanu-PF to maintain a formal control of state

1024 Ibid., pp. 225-226. 1025 Ibid., p. 223. 1026 Norma KRIEGER, Op. cit., pp. 12-13. 1027 Ibid., p. 13. 1028 Ibid., p. 14. 1029 Ibid.

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institutions, a prerequisite for the creation of a parallel government to undermine the IG [Inclusive Government − GNU] and marginalise ‘the opposition’ […] The parallel government holds together the competing informal networks […] by insuring that they share power through violence and access to resources1030.

Cette dynamique de gouvernement et de réseaux parallèles informels doit être considérée comme la conséquence du prolongement des intérêts personnels des élites gravitant autour de la Zanu-PF. La défense des intérêts partisans du régime Mugabe protège des intérêts clientélistes, qu’ils soient économiques (accès aux dividendes de l’industrie extractive, propriétés terriennes, etc.) ou encore personnels (impunité, procédures judiciaires) 1031 . Ainsi, l’existence d’un gouvernement d’unité national, si favorable au statu quo soit-il, a fait prendre davantage d’ampleur à cette imbrication entre violence politique et clientélisme1032. Au cœur de cette réalité, d’ailleurs, se retrouve un très grand nombre de vétérans de guerre et de milices de jeunes, ou Green Bombers − qui ont été parmi les auteurs directs de violations massives des droits humains en 2008 les plus fréquents1033 − et pour qui le maintien de leur impunité et de leurs avantages repose sur le blocage des réformes du GNU1034.

Au Zimbabwe, l’imbrication de la violence et du clientélisme n’a rien de nouveau dans la consolidation du pouvoir politique. Tel que mentionné au premier chapitre, la crise zimbabwéenne est notamment encrée dans la privatisation de la violence – le recours aux vétérans de guerre et aux milices de jeunes pour les invasions et fermes, les violences électorales – et le clientélisme, moyen de fidéliser ce « bras armé » informel1035. C’est donc en capitalisant sur ces réseaux parallèles existants que le glissement dans les tactiques de la Zanu-PF s’est opéré. Selon Krieger, ce glissement vers le recours aux réseaux informels, au point de le qualifier de gouvernement parallèle, a deux grands objectifs : s’assurer d’une

1030 Ibid. 1031 Ibid., pp. 14-16. 1032 Ibid. 1033 Lloyd SACHIKONYE, Op. cit., pp. 48-51. Voir également chapitre 3 du présent mémoire. 1034 Norma KRIEGER, Op. cit., pp. 15-16. 1035 Ibid., p. 13.

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base d’appuis par le maintien et l’élargissement des liens clientélistes/de patronage ainsi que court-circuiter le travail du GNU1036.

Norma Krieger observe que ce gouvernement parallèle a pu œuvrer à la réalisation de ses objectifs en s’assurant qu’aucune réforme de la fonction publique n’ait lieu, ou encore qu’une telle réforme ne soit jamais appliquée1037. En 2011-2012, plus ou moins 40% des fonctionnaires de l’État zimbabwéen avaient obtenus leur poste de façon irrégulière grâce au patronage de la Zanu-PF1038, qui avait réussi à rendre le GNU complètement impuissant par rapport à la bureaucratie1039. Ces emplois obtenus par rétribution ont été attribués en majorité à des vétérans de guerre et des milices de jeunes – qui n’avaient en général aucune qualification particulière – récompensés pour leurs exactions de 20081040. Cette importante opération de patronage du parti de Mugabe a servi à fidéliser ceux sur qui les réseaux informels reposaient, tout en servant les intérêts partisans de la Zanu-PF1041. De par leur accès à la fonction publique, ces « agents informels » des réseaux de la Zanu-PF ont pu être les yeux et les oreilles du parti sur le terrain1042, renforçant la capacité des élites pro- Mugabe de bloquer les réformes, cibler la dissidence et bien entendu de servir ses propres intérêts (notamment par le détournement des revenus des mines de diamant) 1043 . Ces réseaux se servent ainsi de leur accès à l’appareil bureaucratique pour renforcer leur contrôle aux dépens de l’État, qu’ils continuent de faire valoir par la violence, mais de façon un peu plus retenue et isolée qu’en 2008, selon Krieger 1044 . Cette structure de « gouvernement parallèle » et informel a eu tendance à perpétuer certaines pratiques récurrentes et certaines violations des droits humains, quoiqu’à bien plus petite échelle que lors de l’opération Makavhoterapapi. Un glissement dans les tactiques est toutefois observable, puisque la coordination en haut-lieu au sein des institutions sécuritaires – au JOC par exemple – est beaucoup moins claire sous le GNU. La mobilisation de la violence

1036 Ibid., pp. 12-16. 1037 Ibid., pp. 15-16. 1038 Ibid., p. 15. 1039 Ibid. 1040 Ibid. 1041 Ibid. 1042 Ibid. 1043 Sur cet aspect, voir notamment Peter GODWIN, Op. cit., pp. 257-276 et Human Rights Watch, « Zimbabwe : End Repression in Marange Diamond Fields », 26 juin 2009 [en ligne], consulté le 10 mai 2017, https://www.hrw.org/news/2009/06/26/zimbabwe-end-repression-marange-diamond-fields. 1044 Norma KRIEGER, Op. cit., pp. 15-17.

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impliquant davantage ces réseaux informels semble moins systématisée, plus chaotique et davantage guidée par le clientélisme :

The power of the parallel government has been illustrated by its effective resistance to removing its client – youth militia and other irregularly hired personnel – from the civil service, its ability to mobilise very substantial mining revenues and use some portion thereof to finance one-time wage for civil servants, and its capacity to organise rural bases that engage in violence and intimidation of the opposition. Informal networks of violence and patronage underpin the operation of the parallel government […]1045

À plus petite échelle qu’en 2008, des actes de violence continuent d’avoir lieu en milieu rural, essentiellement dans les trois provinces du Mashonaland 1046 et souvent dans les circonscriptions électorales où la violence a été la plus intense 1047 . Ces violences épisodiques ayant lieu sous le GNU, ciblant la plupart du temps le MDC ou sa base de soutien, ne font toutefois pas figure d’exception si l’on considère l’histoire des violences politiquement motivées au Zimbabwe depuis le début de la crise1048.

Par ailleurs, dès 2010, il a été possible d’observer qu’en dépit de l’existence du GNU, d’un (très) relatif apaisement des violences ainsi que d’un léger changement de discours plus favorable aux droits humains, la Zanu-PF n’avait pas perdu sa capacité de mobilisation de la violence1049. Suite à de persistantes rumeurs d’élections en 2011 (le GNU n’était au départ pas destiné à demeurer en place très longtemps), les réseaux informels au service de la Zanu-PF se sont activement mobilisés en reproduisant des méthodes identiques à la mobilisation de la violence deux ans plus tôt1050. Dans la circonscription de Maramba Pfungwe (Mashonaland Est), des individus identifiés comme des auteurs de violations massives en 2008 ayant bénéficiés de patronage par la suite se sont rapidement organisés pour mettre en place à nouveau des bases de torture et des camps de rééducation1051 :

Of the 15 bases operating in the constituency during the presidential election runoff in 2008, four had been activated in mid-2010 after […] Mugabe and PM Tsvangirai had announced possible elections in 2011. All youths were

1045 Ibid., p. 19. 1046 Ibid., p. 17. 1047 Voir Chapitre 3 du présent mémoire. 1048 Voir notamment Martin MEREDITH, Op. cit., pp. 167, 197. 1049 Norma KRIEGER, Op. cit., p. 17. 1050 Ibid., p. 18. 1051 Ibid.

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reportedly forced to go to training […] at bases where sexual abuses occurred. […] While most of the dormant bases had been at public schools, the four active bases were in an open space at a business centre, at two apostolic churches […] and near a primary school1052.

Si aucun scrutin n’eut lieu en 2011 – ni de campagne de torture – il n’en demeure pas moins que cette anecdote est assez révélatrice de la manière dont le GNU n’arrive pas bien à contrôler la violence politiquement motivée. De plus, cette anecdote tend à démontrer que le partage de pouvoir avec le MDC n’a pas du tout assoupli les réflexes autoritaires de la Zanu-PF, pour qui les violations des droits humains protégés par le droit international continuent d’occuper une place prépondérante dans sa stratégie de maintien du pouvoir. Plus largement encore, le fait que les organismes de défense des droits humains avaient pu identifier les auteurs de violations et documenter l’existence de bases de torture à Maramba Pfungwe, qui ont été rouvertes par les mêmes individus deux ans plus tard, témoigne également du rapport de force favorable à la Zanu-PF au sein du GNU. Tel que le formule Norma Krieger :

Zanu-PF networks of violence and patronage demonstrate how state institutions […] have been undermined. The location of these bases on private property […] and in public institutions […] illustrates the blurring of public/private spheres. Similarly, the distinction between state and nonstate institutions and coercive and noncoercive state organisations have become blurred and lost significance as networks of individuals in all these institutions1053.

La mobilisation de la violence (et donc, des violations massives des droits humains) à des fins politiques a ainsi connu un glissement dans la manière dont elle se manifeste sous le GNU par rapport aux périodes de crise violente précédentes. Davantage sporadiques et d’une intensité bien moindre que la période électorale de 2008, où elles avaient atteint un sommet, les violences entre 2009 et 2013 n’ont toutefois pas complètement disparues et sont inextricablement liées au renforcement des réseaux informels à la solde de la Zanu-PF, qui agissent en parallèle de l’État.

1052 Ibid. 1053 Ibid., p. 19.

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5.3 Actes de violence sous le GNU

Les violations des droits humains protégés par le droit international sous le GNU (février 2009 – juillet 2013) ne sont pas documentées de la même façon que les violations de 2008. Bien entendu, l’ampleur et l’intensité des violences répertoriées sur le territoire du Zimbabwe pendant la période électorale de 2008 surpasse les violences politiquement motivées ayant pu avoir lieu pendant la période de partage de pouvoir. Tel que vu au chapitre 3 et en particulier à la section 4.2, le caractère systématique et à grande échelle des violences causées par l’opération Makavhoterapapi a mobilisé l’attention des organismes de défense des droits humains, tels Human Rights Watch ou Amnistie Internationale. Or, les rapports subséquents des années suivant la crise de 2008 portant sur la situation des droits humains au Zimbabwe se concentrent beaucoup sur les réformes et sur les progrès (ou l’absence de progrès) du GNU en la matière1054. Ils accordent également une attention prépondérante aux questions touchant l’impunité des auteurs (souvent identifiés) de violations documentées pendant la crise 1055 . En conséquence, la documentation de nouvelles violations des droits civils et politiques protégés par le droit international pendant la période du GNU (en particulier ceux étudiés dans le cadre du présent mémoire) est quelque peu mise de côté. En raison de ce qui a été présenté à la section précédente – le glissement de la mobilisation de la violence vers les réseaux informels – mais également du fait que les violences systématiques à grande échelle ont grandement diminué après l’entrée en vigueur du GNU, la documentation précise concernant la violation des droits protégés qui sont étudiés dans le cadre de ce mémoire se fait plus rare et moins détaillée.

En conséquence, la présente section effectuera dans un premier temps un rapide survol des actes de violences constituant des violations des trois droits civils et politiques à l’étude dans le cadre de ce mémoire sous le GNU. Dans un second temps, la variation des actes de

1054 Voir notamment Human Rights Watch, False Dawn – The Zimbabwe Power-Sharing Government’s Failure to Deliver Human Rights Improvements, 1-56432-532-6, août 2009; Human Rights Watch, Sleight of Hand – Repression of the Media and the Illusion of Reform in Zimbabwe, 1-56432-622-5, avril 2010; Human Rights Watch, The Elephant in the Room – Reforming Zimbabwe’s Security Sector Ahead of Elections, 978-1- 62313-0220, juin 2013 ou encore International Crisis Group, Zimbabwe: Political and Security Challenges to the Transition, Africa Briefing no70, 3 mars 2010. 1055 Voir notamment les rapports Human Rights Watch, Perpetual Fear – Impunity and the Cycles of Violence in Zimbabwe, Op. cit. ou encore Amnistie Internationale, “Walk the Talk” – Zimbabwe must respect and protect fundamental freedoms during the 2013 Harmonised Elections, AFR 46/009/2013.

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violences entre la crise de 2008 et les années 2009-2013 sera illustrée graphiquement au moyen de cartes provenant de la base de données Armed Conflict Location & Data Event Project (ACLED).

5.3.1 Violations documentées du droit international des droits humains

a) Atteintes au droit à la vie

Les violations du droit à la vie dans le contexte de la mobilisation de la violence à des fins politiques au Zimbabwe sous le GNU sont très éloignées des violations qui ont pu être documentées au chapitre 3 dans le cadre de l’opération Makavhoterapapi. En guise de rappel, l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) consacre le droit à la vie sur le plan universel en droit international des droits humains, tout comme l’article 4 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, deux instruments juridiques auxquels le Zimbabwe a volontairement adhéré 1056 . Tel que mentionné au chapitre 3, les atteintes au droit à la vie dont il est question ici concernent les privations arbitraires de la vie, dont l’interdiction est formulée explicitement au paragraphe 1 de l’article 6 du PIDCP et à la dernière phrase de l’article 4 de la Charte africaine.

En comparaison avec les violations massives commises en 2008, très peu de cas de privations arbitraires de la vie politiquement motivés sont recensés après l’entrée en vigueur du GNU en février 2009 et pour toute sa durée. Cela s’explique en grande partie par la diminution de l’intensité des violences à caractère politique, dont la mobilisation dans sa forme la plus extrême n’est plus nécessaire à la réalisation d’un objectif précis : le triomphe de la Zanu-PF de Robert Mugabe. La signature du GPA en des termes largement favorables au régime Mugabe et la mise en place d’un GNU ne menaçant à peu près pas le monopole de la Zanu-PF sur le pouvoir1057 ont supprimé la nécessité stratégique du régime de recourir à cette forme de violence la plus extrême contre un certain nombre d’opposants

1056 Nations Unies, Collection des traités, Op. cit. https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_fr; Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, Tableau de ratification : Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, Op. cit. 1057 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 216-219; Norma KRIEGER, Op. cit., p. 17.

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du MDC1058. De plus, la campagne de violences de 2008 a terni l’image de la Zanu-PF auprès de ses partenaires régionaux de l’UA et de la SADC, même si l’ampleur des violations ne fut pas suffisante pour que ces derniers se désolidarisent complètement de Robert Mugabe 1059 . Même si la Zanu-PF continuait à capitaliser sur des questions idéologiques et la lutte à l’impérialisme pour conserver sa légitimité, cette dernière a également pris soin de ne pas s’attirer « inutilement » mauvaise presse en assassinant des opposants. Tel que mentionné plus haut également, cela permettait au Zimbabwe (donc à Mugabe en tant que chef de l’État) de paraître beaucoup plus acceptable sur le plan régional en l’absence de violences d’une telle gravité que les privations arbitraires de la vie pendant le GNU1060.

Tout comme pendant la crise de 2008, il n’existe aucune preuve faisant la démonstration explicite du rejet par la Zanu-PF du droit à la vie. Les déclarations incendiaires relevées au chapitre 3 faisant planer le doute sur la volonté de l’État zimbabwéen de s’acquitter de ses obligations internationales1061 en matière de droit à la vie sont toutefois beaucoup plus rares sous le GNU, et moins violentes 1062 . Néanmoins, aucune reconnaissance formelle des exécutions arbitraires passées n’ont été exprimées par le régime Mugabe lors de ses 4 années de cohabitation avec le MDC 1063 . Pire encore, tel qu’évoqué, aucune enquête, sanction disciplinaire et encore moins de poursuites judiciaires n’ont été entamées contre les auteurs présumés d’exécutions arbitraires1064, ce que déplorent Human Rights Watch et Zimbabwe Human Rights NGO Forum. Considéré comme le « droit suprême » 1065 protégeant la personne humaine en droit international, le droit à la vie implique également que les États parties au PIDCP doivent prendre les mesures appropriées pour prévenir, mais aussi réprimer les privations arbitraires de la vie, tel qu’élaboré à la sous-section 4.2.11066. Cet aspect de la mise en œuvre des obligations juridiques internationales du Zimbabwe en

1058 Voir notamment Jocelyn ALEXANDER et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 122; Peter GODWIN, Op. cit., p. 109. 1059 Sabelo J. NDLOVU-GATSHENI, Op. cit., pp. 155-159; Brian RAFTOPOULOS, Op. cit., p. 11. 1060 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., p. 225. 1061 Voir le point b) de la sous-section 4.2.1 au chapitre 3. 1062 Amnistie Internationale, “Walk the Talk” – Zimbabwe must respect and protect fundamental freedoms during the 2013 Harmonised Elections, Op. cit., pp. 21-22. 1063 Human Rights Watch, Perpetual Fear – Impunity & Cycles of Violence in Zimbabwe, Op. cit., pp. 26-27. 1064 Ibid. 1065 William A. SCHABAS, Op. cit., p. 180. 1066 Voir l’affaire Camargo du Comité des droits de l’homme, Op. cit.

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matière de droits humains fait toujours largement défaut sous le GNU. Plusieurs cas de privations arbitraires de la vie documentés par Human Rights Watch en 2008 et rapportés au chapitre 3 n’ont pas été pris au sérieux par les autorités1067. Dans un rapport de 2011 constituant un suivi des rapports de 2008, Human Rights Watch rapporte que tous les cas de privations arbitraires de la vie documentés à la sous-section 4.2.1 sont non-seulement restés impunis, mais que les autorités n’ont pris aucune mesure particulière1068. C’est le cas des meurtres d’Archiford Chipiyo, Gibbs Chironga, Abigail Chiroto, Beta Chokururama, Godfrey Kauzani et Cain Nyevhe, qui figurent parmi les cas rapportés au chapitre 3. À titre d’exemple, Human Rights Watch rapport, de façon assez classique l’un de ces cas: « Beta Chokururama, Godfrey Kauzani and Cain Nyevhe were abducted and killed on May 7, 2008, by suspected Zanu-PF supporters. Their relatives filed police complaints in the days after they were killed. No action was taken by the police »1069.

Dans ce contexte d’impunité généralisée pour les auteurs de privations arbitraires de la vie, incluant plusieurs membres et gradés des forces de sécurité, les organismes de défense des droits humains se sont inquiétés en 2012-2013 du déploiement des forces armées en milieu rural en vue de nouvelles élections1070. Le Comité des droits de l’homme a interprété dans l’affaire Camargo que les États parties au PIDCP devaient prendre des mesures positives pour éviter que leurs forces ne tuent de façon arbitraire. Ainsi, le redéploiement quelques années plus tard des mêmes présumés meurtriers (dans les mêmes zones) démontre l’absence de volonté du régime zimbabwéen de mettre en œuvre ses obligations juridiques internationales découlant de l’article 6 du Pacte1071.

b) Atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne

Tel qu’élaboré au chapitre 3, le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne est consacré sur le plan universel à l’article 9 du PIDCP et sur le plan régional par l’article 6 de la Charte africaine. Le volet de ce vaste droit dont les violations furent les plus fréquentes (en 2008 et sous le GNU) est le droit à la liberté, c’est-à-dire les arrestations/détentions

1067 Human Rights Watch, Perpetual Fear – Impunity & Cycles of Violence in Zimbabwe, Op. cit., pp. 26-27. 1068 Ibid., p. 26. 1069 Ibid., p. 27. 1070 Human Rights Watch, The Elephant in the Room – Reforming Zimbabwe’s Security Sector Ahead of Elections, Op. cit., pp. 18-22. 1071 Ibid., pp. 18, 20, 21.

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arbitraires 1072 , explicitement prohibées par le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Contrairement aux privations arbitraires de la vie et des atteintes à la prohibition de la torture et des mauvais traitements, les arrestations et les détentions arbitraires demeurent particulièrement répandues entre 2009 et 2013. C’est d’ailleurs un problème que relève notamment Amnistie Internationale dans tous ses rapports annuels sur la situation des droits humains dans le monde pour les quatre années du GNU1073.

Sans reprendre les éléments de doctrine et de jurisprudence déjà élaborés au chapitre 3, il convient de rappeler ici qu’il n’y pas que les privations de liberté effectuées sans base légale qui constituent des arrestations/détentions arbitraires. Effectivement, tel que le Comité des droits de l’Homme l’a interprété dans les affaires Van Alphen c. Pays-Bas et Spakmo c. Norvège, des privations de liberté légales mais abusives ou illégitimes, en vertu de lois répressives ou floues comme le Public Order and Security Act (POSA), peuvent constituer des violations du droit à la liberté. Sur cet aspect, les organismes de défense des droits humains se sont inquiétés du maintien des lois répressives comme le POSA sous le GNU1074, en vertu desquelles un grand nombre de personnes continuent d’être privées de leur liberté de façon abusive, en particulier les membres du MDC et les victimes de violences1075.

Comme en 2008, quoiqu’ avec une intensité moindre, les forces de sécurité zimbabwéennes (sous le contrôle de la Zanu-PF) continuent de se baser sur des interprétations très larges de lois répressives floues pour effectuer des privations de liberté qui se révèlent arbitraires1076. Human Rights Watch s’est inquiété de la situation dans un rapport de 2013 :

The Unity Government has failed to make any changes to repressive laws […] These laws have been used to severely curtail basic rights […] Provisions

1072 Voir Olivier DE SCHUTTER, Op. cit., p. 241. 1073 Voir Amnistie Internationale, Rapports 2010, 2011, 2012 et 2013 – La situation des droits humains dans le monde. 1074 Human Rights Watch, Race against Time – The Need for Legal and Institutional Reforms Ahead of Zimbabwe’s Elections, 1-56432-974-7, janvier 2013, pp. 20-21. 1075 Voir la sous-section 4.2.2. 1076 Human Rights Watch, Race against Time – The Need for Legal and Institutional Reforms Ahead of Zimbabwe’s Elections, Op. cit., pp. 20-24; Human Rights Watch, The Elephant in the Room – Reforming Zimbabwe’s Security Sector Ahead of Elections, Op. cit., pp. 25-26; Human Rights Watch, Sleight of Hand – Repression of the Media and the Illusion of Reform in Zimbabwe, Op. cit., pp. 11-14; Amnistie Internationale, “Walk the Talk” – Zimbabwe must respect and protect fundamental freedoms during the 2013 Harmonised Elections, Op. cit., pp. 21-22.

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dealing with criminal defamation and undermining the authority of or insulting the president have routinely been used against journalists and political activists […] Partisan policing and prosecution have worsened the impact of the repressive provisions in POSA […] laws. Often the police have deliberately misinterpreted the provisions of the POSA to ban lawful public meetings and gatherings […]1077

Si la plupart des violations sous le GNU ont connu un certain glissement dans la manière dont elles furent mobilisées par rapport à 2008, les atteintes au droit à la liberté sont paradoxalement demeurées assez identiques. À titre d’exemple représentatif, la fin de l’année 2012 et le début de 2013 ont été marquées par une recrudescence des arrestations/détentions arbitraires1078 à l’approche de nouvelles élections. La plupart de ces cas ont impliqué les forces armées ou la police qui ont empêché la tenue d’évènements politiques du MDC ou ont ciblé des militants d’opposition en les accusant d’incitation à la violence, exactement comme en 2008. Human Rights Watch rapporte : « Since May 2012 […] soldiers and sections of the police have declared certain locations ‘no go’ areas for MDC supporters, disrupting and preventing MDC officials from holding lawful rallies, violating fundamental rights, as well as undermining the electoral process »1079.

Human Rights Watch s’est par ailleurs alarmé en 2013 du traitement réservé aux défenseurs des droits humains. Notamment, l’arrestation puis la détention arbitraire de Beatrice Mtetwa, avocate célèbre pour avoir défendu les défenseurs des droits humains et Morgan Tsvangirai1080, a bénéficié d’une certaine attention médiatique. Littéralement kidnappée par les forces de sécurité en mars 2013, Beatrice Mtetwa a été détenue sans aucune base légale pendant 8 jours1081, sans même que son mari ne puisse savoir où elle se trouvait1082. Malgré l’obtention par ses proches d’une injonction de la Haute-Cour ordonnant sa libération

1077 Human Rights Watch, Race against Time – The Need for Legal and Institutional Reforms Ahead of Zimbabwe’s Elections, Op. cit., pp. 20-21. 1078 Amnistie Internationale, “Walk the Talk” – Zimbabwe must respect and protect fundamental freedoms during the 2013 Harmonised Elections, Op. cit., p. 22. 1079 Human Rights Watch, Race against Time – The Need for Legal and Institutional Reforms Ahead of Zimbabwe’s Elections, Ibid., p. 24. 1080 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 239-240. 1081 Human Rights Watch, The Elephant in the Room – Reforming Zimbabwe’s Security Sector Ahead of Elections, Op. cit., p. 25. 1082 Lorie CONWAY (production et réalisation) et Hopewell CHIN’ONO (production) (2013) Beatrice Mtetwa and the Rule of Law [documentaire], Op. cit.

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immédiate, la police a défié les tribunaux pendant plusieurs jours 1083 . Le juge ayant ordonné la libération de Mme Mtetwa a même été accusée d’inconduite professionnelle par le juge en chef de la Cour Suprême en lien avec sa décision1084. Même après cet incident, Beatrice Mtetwa a continué à subir du harcèlement1085 de la part des forces de sécurité et de la Zanu-PF. Il faut dire que l’avocate était dans le collimateur du régime depuis des années1086; elle était par ailleurs régulièrement ridiculisée dans les médias d’État et par des ministres de Mugabe en raison de son accent du Swaziland1087. Beatrice Mtetwa a par ailleurs remporté plusieurs prix internationaux pour son engagement envers le respect des droits humains au Zimbabwe et dans le monde, notamment après son enlèvement1088.

Dans un autre cas emblématique ayant cette fois eu lieu quelques semaines à peine après l’entrée en vigueur du GNU, le journaliste indépendant Kudzanayi Musengi fut kidnappé le 31 mars 2009 par de présumés agents du CIO et des forces de sécurité après avoir fait état des invasions de fermes à Gweru1089. Selon un militant pour l’indépendance journalistique qui s’est entretenu avec Human Rights Watch, Musengi aurait subi plusieurs menaces de mort en raison de ses collaborations avec Voice of America après avoir été placé en détention sans qu’aucun motif ne lui soit communiqué1090. Après deux jours de détention, il fut relâché sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui1091.

Encore une fois, si les violations les plus graves des droits humains tels que les exécutions arbitraires et les actes de torture et de mauvais traitements ont drastiquement chuté pendant la période du GNU, les atteintes au droit à la liberté sont demeurées assez constantes et fréquentes. En dépit du fait qu’il pourrait être nuancé que les arrestations et détentions

1083 Human Rights Watch, The Elephant in the Room – Reforming Zimbabwe’s Security Sector Ahead of Elections, Ibid. 1084 Ibid., p. 26. 1085 Lorie CONWAY (production et réalisation) et Hopewell CHIN’ONO (production) (2013) Beatrice Mtetwa and the Rule of Law [documentaire], Ibid. 1086 Ibid. 1087 Peter GODWIN, Op. cit., pp. 239-240. 1088 Ibid., voir également « Zimbabwe police assault lawyers », BBC News, 8 mai 2007 [en ligne], consulté le 23 mai 2017, http://news.bbc.co.uk/2/hi/africa/6635151.stm; US Department of State, « Bios of 2014 Award Winners », 3 mars 2014 [en ligne], consulté le 23 mai 2017, https://2009- 2017.state.gov/s/gwi/iwoc/2014/bio/index.htm. 1089 Human Rights Watch, Sleight of Hand – Repression of the Media and the Illusion of Reform in Zimbabwe, Op. cit., p. 14. 1090 Ibid. 1091 Ibid.

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arbitraires en période électorale s’inscrivaient davantage dans une mise en œuvre plus large de la violence dans le cadre de l’opération Makavhoterapapi, les nombreux cas de privations arbitraires de liberté sous le GNU représentent la continuité avec l’absence de règle de droit qui caractérise le Zimbabwe depuis les années 2000.

c) Atteintes à la prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

À l’instar des atteintes au droit à la vie pendant le GNU, les atteintes à la prohibition de la torture et des mauvais traitements ne constituent pas un problème de la même ampleur qu’en 2008. Tel qu’évoqué plus haut, la nature des rapports de force au sein du GNU rendant la Zanu-PF politiquement dominante par rapport aux deux MDC1092 a rendu la mobilisation des violences d’une telle gravité inutile du point de vue des intérêts qu’elles servent, exactement comme les assassinats ciblés.

En vertu de l’article 7 du PIDCP, l’État zimbabwéen a des obligations de mise en œuvre qui vont au-delà de simplement « ne pas torturer »1093. En effet, ces obligations positives de mise en œuvre de la prohibition de la torture se déclinent en 3 volets1094 : former, prévenir, protéger, tel qu’abordé au chapitre 3. Le volet « protéger » implique par ailleurs que l’État zimbabwéen a des obligations après que la torture ait eu lieu et doit agir afin d’empêcher l’impunité des auteurs, notamment1095. Sous le GNU, c’est essentiellement sur cet aspect des obligations internationales en matière de droits humains que les violations ont lieu.

À ce titre, Human Rights Watch s’est alarmé de l’impunité généralisée régnant au Zimbabwe pour les auteurs présumés de torture et de mauvais traitements de l’opération Makavhoterapapi. Dans un rapport de 2011 entièrement dédié à cette question, l’organisation déplore que l’existence d’un gouvernement de coalition n’ait pas réussi à mettre fin à l’impunité des auteurs de violations massives des droits humains, tout comme le fait que la Zanu-PF ait conservé son monopole absolu sur les pouvoir régaliens de l’État,

1092 Nic CHEESEMAN et Blessing-Miles TENDI, Op. cit., pp. 216-219. 1093 Édouard DELAPLACE, Op. cit., p. 219. 1094 Ibid., pp. 219-222. 1095 Ibid., p. 222.

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dont les forces de sécurité1096. De plus, en 2012, le président Mugabe a unilatéralement reconduit à son poste le patron de la Zimbabwe Republic Police, le commissaire Augustine Chihuri, membre du JOC impliqué dans la mobilisation des violences à grande échelle en 2008 et dans les années qui précèdent1097. Cette impunité généralisée combinée au maintien en poste (voire à la promotion) des supérieurs hiérarchiques responsables de l’exécution des atrocités de masse en 2008 constitue une démonstration de l’absence de volonté du Zimbabwe de sérieusement mettre en œuvre ses obligations internationales en matière de droits humains. De plus, cela crée également une situation interne favorisant l’émergence de nouvelles violations1098, ce dont s’alarme Human Rights Watch :

As currently constituted, any national healing process that does not address issues of justice, accountability for past abuses, impunity, and redress for victims weakens the country’s ability to end the cycle of impunity and violence. The power-sharing government should take the lead in ending abuses and impunity by putting in place mechanisms to ensure that those who have committed abuses in the past and those who continue to do so, are held to account for their crimes. […] the current atmosphere of impunity raises the specter of further violence, not only committed by the same perpetrators, but by the targets of violence as well. […] Rashid Mahiya, the director of Heal Zimbabwe Trust, an organization which works with victims of political violence, told Human Rights Watch, “There should be a consequence for committing a crime. If people don’t feel this they will find another form of justice and it may not be within the law”1099

À nouveau, Human Rights Watch s’est inquiété du fait que les forces de sécurité – dont l’armée – soient redéployées en zones rurales dans les mois précédant le référendum sur la nouvelle constitution de mars 2013 et les élections harmonisées de juillet. Officiellement déployées pour aider la distribution d’aide alimentaire hors des grands centres, les forces armées se sont livrées à des activités d’intimidation dont les victimes ont clairement été sélectionnées selon de critères partisans1100. Encore une fois, le déploiement dans les zones les plus durement touchées par les exactions en 2008 de forces de sécurité dont plusieurs membres ont été les auteurs directs de torture et de mauvais traitements constitue en soit

1096 Human Rights Watch, Perpetual Fear – Impunity and the Cycles of Violence in Zimbabwe, Op. cit., p. 37. 1097 Human Rights Watch, Race against Time – The Need for Legal and Institutional Reforms Ahead of Zimbabwe’s Elections, Op. cit., pp. 22-23. 1098 Human Rights Watch, Perpetual Fear – Impunity and the Cycles of Violence in Zimbabwe, Ibid. 1099 Ibid. 1100 Human Rights Watch, The Elephant in the Room – Reforming Zimbabwe’s Security Sector Ahead of Elections, Op. cit., pp. 18-21.

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une violation des obligations qui incombent à l’État zimbabwéen en vertu de l’article 7 du PIDCP. Il est toutefois important de mentionner qu’en aucun cas des violences de l’intensité et de l’ampleur de celles perpétrées en 2008 n’ont été documentées en période électorale ou pré-électorale en 2013, ni pendant les autres années de cohabitation politique.

Si aucune campagne systématique de violences politiques dans le style de l’opération Makavhoterapapi n’a eu lieu à l’approche des scrutins de 2013 − pas plus que de coordination pour mettre en place des bases de torture et des pungwes − des incidents isolés ont tout de même eu lieu1101. De plus, un grand nombre de déclarations ultra-partisanes par les hauts-gradés des forces armées, dont le Général Chiwenga et le Maréchal de l’air Shiri – proches de Mugabe – ont suscité l’inquiétude fin 2012 de la haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay1102. Certains cas plus isolés de violences pouvant se qualifier de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au regard du droit international ont été commis par des forces de sécurité en milieu rural à cette même période. En effet, plusieurs élus MDC et villageois rencontrés par Human Rights Watch en 2013 ont exprimé leur inquiétude suite à quelques incidents1103 :

On November 29 [2012], dozens of uniformed soldiers armed with AK-47 rifles beat up MDC supporters and disrupted their political rally in Zhombe, Mashonaland West province. […] A villager at Mataga Growth Point […] in Midlands province told Human Rights Watch that “uniformed soldiers patrol daily in the community harassing and randomly beating up villagers for no apparent reason – we live in fear of a repeat of the violence of 2008” […]1104

Enfin, avec l’impunité persistante et l’absence complète de volonté politique de former adéquatement les forces de sécurité pour éviter la torture et les mauvais traitements1105, la diminution des cas de torture à grande échelle sous le GNU ne signifie pas l’absence de violations de la prohibition de la torture et des mauvais traitements pour autant. Encore une fois, il convient de rappeler qu’une attention particulière a été portée entre 2009 et 2013 aux réformes des institutions sécuritaires et à (l’absence) de lutte contre l’impunité des auteurs de violations massives des droits humains protégés par le droit international. Ainsi, la

1101 Ibid. 1102 Ibid., p. 20. 1103 Ibid., p. 22. 1104 Ibid. 1105 Amnistie Internationale, Rapport 2013 – La situation des droits humains dans le monde, Op. cit., pp. 341- 342.

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documentation de cas de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants « isolés » et ne s’inscrivant pas dans une campagne à grande échelle de mobilisation de la violence à des fins politiques a été moins mise de l’avant. Par ailleurs, l’attention accordée par les organismes de défense des droits humains aux crimes commis par les forces régaliennes telles l’armée ou la police et la baisse importante des cas de torture et de mauvais traitements constatée sous le GNU tend à confirmer indirectement un certain glissement dans les tactiques violentes de la Zanu-PF – tel que l’observe Norma Krieger − des institutions sécuritaires formelles vers des réseaux informels parallèles à l’État.

5.3.2 Variation des violences sous le GNU : les données ACLED

La présente sous-section vise à donner un aperçu de l’ampleur de la variation des violences politiquement motivées au Zimbabwe sous le GNU par rapport à 2008 au moyen de cartes illustrant de façon graphique les données de provenant de la base de données Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), créée par la Univesity of Sussex. ACLED vise à effectuer le mapping des crises politiques en permettant l’analyse géographique des actes de violence politique dans les conflits et les crises sur le continent africain, de même qu’en Asie. Pour réunir ces données, ACLED a catégorisé les violences documentées en Afrique depuis 1997 de deux façons : par type d’évènement (event type) et par auteur des violences (agent type). Chacune de ces deux manières de représenter les violences sont divisées en catégories représentant les divers types d’évènements et les divers types d’auteurs (rebelles, forces gouvernementales, milices politiques, etc.). À titre d’exemple, la carte suivante représente les violences répertoriées en Afrique entre 1997 et 2016 par type d’évènement :

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Il est possible de constater sur cette carte que le Zimbabwe est l’endroit où le plus grand nombre de violences catégorisées comme « violence against civilians », ou violences contre des civils, sont concentrées sur le continent africain entre 1997 et 2016. C’est également le type de violence politique la plus largement répandue au Zimbabwe, de très loin. Toutefois, ces catégories d’ACLED ne reflètent en aucun cas une catégorisation juridique des évènements de violences politiques au Zimbabwe. Ainsi, les choix définitionnels délimitant ces catégories de violences politiques rendent très complexe l’utilisation de données ainsi catégorisées pour quantifier ou représenter graphiquement les cas de violations des droits humains au sens du droit international abordés dans le présent mémoire. L’utilisation des cartes illustrant certaines données à la présente sous-section ne servira pas à appuyer directement ce qui a été documenté à la sous-section 5.3.1 ou le chapitre 3 mais bien à titre complémentaire, afin de représenter certains phénomènes plus larges quant à la variation des niveaux de violences à caractère politique au Zimbabwe, exposés au cours des chapitres précédents. Les données ACLED ne sont pas non plus utilisées ici comme des données empiriques, et ne sont en aucun cas considérées comme tel.

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Le type d’évènements violents qui est pertinent en l’espèce en appui à l’objet du présent mémoire est celui qualifié par ACLED de « violence against civilians ». Or, en droit, une distinction n’est faite entre « civils » et « combattants » qu’en droit international humanitaire, ou droit des conflits armés, en vertu de l’article 4 de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre de 1949. Le droit international des droits de la personne, quant à lui, n’opère pas une telle distinction. La catégorie de « violence against civilians » proposée par ACLED n’a en conséquence aucune assise en droit et implique une conception de « civils » dénuée de toute assise juridique. Selon la version 2016 du Armed Location & Event Data Project User Guide, il est entendu par la catégorie « violences contre des civils » les actes correspondant à la définition suivante : « Violence against civilians occurs when any armed/violent group attacks civilians. By definition, civilians are unarmed and not engaged in political violence. Rebels, governments, militias, rioters can all commit violence against civilians. » 1106 . Ainsi, selon ces critères définitionnels, les actes de violences commis contre des militants politiques du MDC et des citoyens ayant appuyé le parti (en 2008 ou pendant le GNU) se qualifient tous de « violence contre des civils » si ces derniers n’étaient pas eux-mêmes impliqués dans la commission de violences politiques. Malgré les problèmes définitionnels (assez importants), la majorité des cas de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de privations arbitraires de la vie sont comprises dans cette catégorie. Un certain nombre d’atteintes au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne pourraient également se qualifier parmi les actes de violence considérés par ACLED comme de la « violence contre des civils ».

1106 Armed Conflict Location & Event Data Project - ACLED, « User Guide », University of Sussex, janvier 2016, p. 9.

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Figure 5: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) pour l’année 2008

Source : Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED)

Avec toutes les nuances qui s’imposent face aux cas de violences documentées par ACLED par rapport à la qualification juridique des droits humains analysés dans le cadre du présent mémoire (tel qu’abordé ci-haut), il est possible de constater l’ampleur des violences au Zimbabwe en 2008 par rapport au reste du contient africain, où la concentration et l’échelle des actes de violences politiques de type « violences contre des civils » est la plus importante, même en comparaison aux régions en proie à des conflits armés. Les infographies générées via ACLED permettent également de comparer la période du GNU avec la crise de 2008, en prenant en considération que le GNU n’entre en fonction que lors du deuxième mois de 2009 :

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Figure 6: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) sous le GNU, 2009-2013

Source : Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED)

En portant attention à la légende aux côtés de la carte, il est possible de constater que le nombre d’actes de violences documentés pour les quatre années du GNU est à peu près semblable au nombre répertorié pour la seule année 2008. En faisant toute les nuances méthodologiques et définitionnelles quant à la valeur exacte de ces données à la lumière du type de violations étudiées ici, il est toutefois possible d’observer une tendance qui tend à confirmer la littérature sur la violence politique au Zimbabwe sous le GNU ainsi que les rapports des organismes de défense des droits humains. La carte illustrant la seule année 2013, année électorale caractérisée par un léger regain de violences, est encore plus éloquente à cet égard :

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Figure 7: « Violences contre des civils » au Zimbabwe (par rapport à l’Afrique) pour l’année 2013

Source : Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED)

Par souci d’espace, la variation du nombre d’incidents politiques violents qualifiés de « violences contre des civils » entre 2008 et la période du GNU, illustrée graphiquement à l’aide de cartes pour chacune des années étudiées ici peuvent être consultées en annexe. Il est possible d’y observer graphiquement les variations du niveau de violences année après année de façon encore plus évidente et détaillée qu’à la présente sous-section.

De plus, les cartes de la base de données britannique permettent également l’observation des variations de la violence par les changements dans la manière dont la violence politique est mobilisée avec les cartes répertoriant les violences par auteurs (« agent type »). Encore une fois ici, la prudence est de mise face aux catégories proposées par ACLED qui ne s’appuient pas sur des critères juridiques dans la qualification des acteurs1107. Dans les

1107 Voir Armed Conflict Location & Event Data Project - ACLED, « User Guide », Op. cit.

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cartes faisant état des « violence by agent type », deux catégories de violences par auteur sont pertinents dans le cadre de la mobilisation de la violence à des fins politiques au Zimbabwe – et les deux catégories presqu’exclusivement répertoriées au Zimbabwe par ACLED – les forces gouvernementales (« government forces ») et les milices politiques (« political militias »). D’abord, ACLED définit les forces gouvernementales comme les institutions sécuritaires et le bras armé de tout gouvernement souverain internationalement reconnu et disposant du contrôle sur le territoire d’un État1108. Pour ce qui est des milices politiques, le guide ACLED affirme ceci à leur sujet :

Militias are more difficult to assess since they can be created for a specific purpose or during a specific time period (i.e. Janjaweed) and may be associated with an ethnic group, but not entirely represent it (i.e. Kenyan Luo ethnic militias). ACLED’s definition of organized political groups includes militias operating in conjunction or in alliance with a recognized government, political elite, and rebel organization or opposition group. These groups are typically supported, armed by, or allied with a political elite and act towards a goal defined by these elites or larger political movements […]1109

Un grand nombre d’auteurs directs de violations massives des droits humains au Zimbabwe en 2008 et pendant le GNU provenaient des milices pro-Mugabe, tel qu’abondamment abordé dans les chapitres précédents. Ces dernières ont été composées de vétérans de guerre, des « milices de jeunes » (les Green Bombers) ainsi que de militants de la Zanu-PF agissant de concert ou avec la complicité des forces de sécurité. En conséquence, la présente définition d’ACLED correspond assez bien à ces acteurs de la crise politique zimbabwéenne. Les prochaines cartes illustrent les violences par type d’auteur des violences au Zimbabwe. La première montre les violences commises par les deux catégories respectives d’acteurs (milices politiques, forces gouvernementales) en 2008 puis la seconde montre les mêmes violences pendant le GNU entre 2009 et 2013.

1108 Ibid., p. 7. 1109 Ibid.

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Figure 8: Violences par type d’auteurs (milices politiques, forces gouvernementales) au Zimbabwe en 2008

Source : Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED)

Par souci d’espace encore une fois ici plus de cartes démontrant bien les variations des violences en fonction du type d’auteur de ces dernières au Zimbabwe en 2008 puis d’année en année pendant le GNU seront présentées en annexe. À la présente sous-section, seules les cartes montrant les violences par forces gouvernementales et milices politiques sont présentées, alors qu’une carte démontrant la forte prépondérance des violences par ces deux catégories d’auteurs par rapport à toutes catégories est également jointe en annexe. La pertinence de la présentation des données ACLED sous forme de cartes pour ce qui est des violences par type d’auteur permet la comparaison avec les observations concernant le glissement des tactiques violentes de la Zanu-PF vers des réseaux informels et parallèles en

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ce qui concerne la mobilisation de la violence politiquement motivée. Toutefois, l’illustration graphique des données ACLED ne tend pas à appuyer la littérature et les rapports des organisations de défense des droits humains sur cet aspect de façon aussi claire que les cartes illustrant les niveaux de violences « contre des civils ».

Figure 9: Violences par type d’auteurs (milices politiques, forces gouvernementales) au Zimbabwe, 2009-2013

Source : Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED)

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6. CONCLUSION

En presque quatre décennies de pouvoir ininterrompu de la Zanu-PF au Zimbabwe, la mobilisation de la violence résultant en des violations massives des droits humains protégés par le droit international a varié en fonction des besoins que le parti de Robert Mugabe a eu d’y recourir. L’utilisation de la violence au Zimbabwe est un outil politique mobilisé de façon rationnelle par le régime Mugabe face à la dissidence lorsque ce dernier la juge utile pour arriver à ses fins. Ainsi, en fonction des besoins de la Zanu-PF du moment, les violations massives des droits humains ont constitué la pierre angulaire de l’assise du régime en s’insérant dans une stratégie plus large de légitimation idéologique et de diabolisation de ses opposants, dont la rhétorique fut exposée tout au long de ce mémoire. Les variations dans les niveaux de violence tout au long du déroulement de la crise zimbabwéenne − en particulier entre 2008 et la période du GNU – attestent cette stratégie plaçant la violence au cœur de ses moyens d’action, alimentant du même coup ce paradoxe de la légitimation du régime en dépit des violations massives des droits humains.

Cette stratégie fait également écho une fois de plus à la nature du régime politique dirigé par Robert Mugabe, qui s’inscrit, notamment, dans la catégorie des autoritarismes durs de la typologie des régimes autoritaires en Afrique proposée par Jean-François Médard. La mobilisation des violations dans le cadre de cette stratégie calculée n’est pas indiscriminée, mais bel et bien rationnelle et cible assez généralement ceux qui « doivent » être ciblés : les opposants politiques, ou ceux dépeints comme des « ennemis » par la Zanu-PF. La mise en commun du recours à la violence politique et de la légitimation idéologique du régime de façon rationnelle et ciblée appuie également la thèse de Linda Freeman, exposée au chapitre 1, voulant que la crise actuelle au Zimbabwe relève davantage de la réaction violente d’un régime autoritaire cherchant à s’accrocher au pouvoir par tous les moyens qu’à une véritable volonté de redressement des torts historiques1110. La mobilisation de la violence de façon rationnelle et calculée selon des niveaux d’intensité qui dépendent de l’utilité de son recours fait état de cette interprétation de la crise zimbabwéenne.

1110 Linda FREEMAN, Op. cit., p. 353.

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Néanmoins, le registre idéologique mobilisé par le régime Mugabe et sa Zanu-PF fait abondamment appel à la première interprétation de la crise zimbabwéenne de Freeman1111, avec assez de succès sur le continent africain d’ailleurs, tel que vu plus haut. C’est là que réside tout le paradoxe de la légitimité du régime malgré les violations des droits humains autour duquel ce mémoire de maîtrise a été structuré. Comment, donc, les violations massives des droits humains protégés par le droit international peuvent-ils servir la légitimité du régime zimbabwéen dans un contexte où elles entraînent des condamnations de la communauté internationale? La « réponse » à cette question ne peut être formulée qu’à la lumière du cumul de plusieurs éléments que le présent mémoire avait pour objectif d’aborder.

En somme, la rhétorique du régime de la Zanu-PF concernant la protection garantie par le droit international en matière de droits humains – et plus particulièrement en ce qui concerne les droits civils et politiques – a contribué à alimenter ce paradoxe entre violations et légitimation. En les présentant comme des droits invoqués de manière sélective par les « blancs » et leurs alliés du MDC, le régime a dépeint les critiques en matière de droits humains comme un prétexte visant un changement de régime. Les violations (lorsqu’elles ne sont pas carrément niées par le régime) sont alors banalisées aux yeux de ceux qui adhèrent à l’idée que les droits humains ne sont invoqués que pour diaboliser Mugabe. Par ailleurs, en jouant la « carte africaine » et anti-impérialiste auprès d’un auditoire régional sensible à certaines réalités politiques, le régime zimbabwéen a habilement su maximiser son capital de sympathie en sachant s’éviter de trop fortes condamnations de l’UA et de la SADC et en se mettant à l’abri d’une résolution du Conseil de sécurité. Le gouvernement dirigé par Robert Mugabe a par ailleurs été en mesure, de par sa bonne connaissance des acteurs de la scène internationale et de l’arène régionale, de présenter avec succès l’opposition à son régime comme un outil de domination néocoloniale et certaines violations à son endroit comme justifiées au nom du « bien commun »1112. De plus, la mobilisation des violences de 2008 a consolidé la position de force de la Zanu-PF sur le pouvoir. Effectivement, en raison de l’impact dévastateur des violations des droits humains

1111 Ibid., pp. 349-351. 1112 Cornelias NCUBE, « The 2013 Elections in Zimbabwe, the End of an Era for Human Rights Discourse? », Africa Spectrum, 48(3), 2013, p. 102.

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sur l’opposition, elles ont ironiquement servi la Zanu-PF lors des négociations subséquentes en lui permettant de demeurer la partie la plus forte et la plus influente dans le cadre de la médiation de Thabo Mbeki. Du même coup, le spectre des violences ayant permis à la Zanu-PF de ne pas perdre toute légitimité politique en « remportant » la présidence en 2008 (ainsi que la méfiance envers les MDC chez les acteurs régionaux) a plané sur l’opposition tôt dans les négociations et la mise en place du GPA, permettant au parti de Mugabe de conserver la mainmise sur les institutions sécuritaires sans trop de résistance. Tel que constaté au chapitre 4, la période du GNU a été caractérisée par une baisse de l’utilisation de la violence à des fins politiques, notamment parce que la nécessité d’y recourir n’était plus là, du moins plus comme en 2008.

D’ailleurs, les élections harmonisées de 2013 tranchent avec le scrutin précédent marqué par les violations massives des droits humains1113, ce qui abonde encore une fois dans le sens des propos de Linda Freeman quant à la réaction autoritaire d’un régime politique faisant de la violence la pierre angulaire de sa stratégie de survie, lorsque nécessaire. Cela tend à confirmer une fois de plus que le Zimbabwe de Robert Mugabe se qualifie de régime autoritaire « dur » en vertu de la typologie proposée par Jean-François Médard, la violence étant intense mais institutionnalisée, ciblée et rationnelle. Les années qui suivent la nouvelle victoire de Robert Mugabe en juillet 2013 s’inscrivent toujours dans cette dynamique d’utilisation de la violence de façon rationnelle, dans le cadre d’une stratégie partisane plus large. Néanmoins, en 2013, la Zanu-PF a compris que la violence à elle seule ne suffirait pas pour maintenir sa légitimité suite à une victoire reposant uniquement sur des violations1114. La victoire de Mugabe en 2013 peut être en partie attribuée à une forte mobilisation des réseaux clientélistes et de patronage de la Zanu-PF pour fidéliser ses électeurs 1115 , par contre, le parti a travaillé en aval pour faire sortir le vote lui étant favorable en profitant de la relative stabilisation du pays. Aussi, le parti a discipliné ses membres d’une manière inédite avec le souci d’établir la crédibilité de l’élection aux yeux

1113 Blessing-Miles TENDI, « Robert Mugabe’s 2013 Presidential Election Campaign », Journal of Southern African Studies, 39(4), 2013, pp. 967-970; Phillan ZAMCHIYA, « The MDC-T’s (Un)Seeing Eye in Zimbabwe’s 2013 Harmonised Elections: A Technical Knockout », Journal of Southern African Studies, 39(4), 2013, pp. 955-962. 1114 Blessing-Miles TENDI, « Robert Mugabe’s 2013 Presidential Election Campaign », Ibid., pp. 963-968. 1115 Ibid.

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de la communauté internationale dans le but d’en ressortir avec une légitimité renforcée1116. Malgré ce changement marqué avec les scrutins précédents, 2013 n’a pas pour autant été la fin de l’utilisation de la violence à des fins politiques par le régime Mugabe. Tel que l’affirme Brian Raftopoulos, la victoire de 2013 a permis de perpétuer les pratiques autoritaires du régime Mugabe où, jusqu’en 2017, très peu de choses ont changé en termes de tactiques répressives violentes1117. En 2018, la plupart des securocrats − en particulier les militaires hauts-gradés – demeuraient en poste dans l’impunité la plus complète.

Jusqu’à « l’intervention » des forces armées 1118 en novembre 2017 qui a brusquement précipité le départ de Robert Mugabe 1119 − rapidement remplacé par Emmerson Mnangagwa1120 − la crainte de violences à grande échelle et organisées en haut-lieu planait toujours sur le pays. Une première version de la conclusion de ce mémoire, rédigée au printemps 2017, identifiait deux scénarios enviseagables pouvant potentiellement faire planer le spectre d’un retour de la violence politiquement motivée au Zimbabwe. Le premier − qui en raison des évènements de 2017 ne se pose plus − consistait en la manière dont les securocrats et les forces armées réagiraient dans l’éventualité du décès de Robert Mugabe en exercice, qui a eu 94 ans en 2018. Les dissensions internes au sein de la Zanu- PF quant à la succession au président se cristallisaient alors autour de deux successeurs potentiels : Emmerson Mnangagwa, devenu l’un des deux vice-présidents en 20141121 et Grace Mugabe, épouse du président aux ambitions politiques affichées1122. Néanmoins,

1116 Ibid., p. 968. 1117 Brian RAFTOPOULOS, « The 2013 Elections in Zimbabwe: The End of an Era », Journal of Southern African Studies, 39(4), 2013, p. 972. 1118 Sur les évènements de novembre 2017, voir notamment « The military coup in Zimbabwe, explained », Vox, 18 novembre 2017 [en ligne], consulté via YouTube le 18 novembre 2017, https://www.youtube.com/watch?v=60nDlMw5vFQ. 1119 « Robert Mugabe Under House Arrest as Rule Over Zimbabwe Teeters », Op. cit.; « Zimbabwe: le Président Mugabe finit par démissionner », Op. cit. 1120 « Au Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa investit président », Le Monde, 24 novembre 2017 [en ligne], consulté le 25 novembre 2017, http://www.lemonde.fr/afrique/video/2017/11/24/au-zimbabwe-emmerson- mnangagwa-investi-president_5219987_3212.html. 1121 « Mugabe deputy accused of assasination plot », Al Jazeera, 17 novembre 2014 [en ligne], consulté le 25 novembre 2014, http://www.aljazeera.com/news/africa/2014/11/mugabe-deputy-accused-assassination-plot- 201411179159550445.html.; « Mugabe names two new vice presidents », Al Jazeera, 10 décembre 2014 [en ligne], consulté le 10 décembre 2014, http://www.aljazeera.com/news/africa/2014/12/mugabe-names-two- new-vice-presidents-2014121014137335137.html. 1122 Voir notamment « Could Grace Mugabe Become President? », BBC News, 2 décembre 2016 [en ligne], consulté le 31 mai 2017, http://www.bbc.com/news/av/world-africa-30302501/could-grace-mugabe-succeed- robert-mugabe-as-president; 1122« I am already President : Grace », NewsDay Zimbabwe, 21 novembre 2016 [en ligne], consulté le 31 mai 2017, https://www.newsday.co.zw/2016/11/21/already-president-grace/;

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l’incertitude est tombée les 14 et 15 novembre 2017, lorsque les forces armées ont pris le contrôle d’Harare1123 pour protester contre le limogeage de Mnangagwa par Mugabe1124, un geste interprété comme une « purge » au sein du parti en faveur de Grace 1125 . Contrairement aux évènements de 2008, c’est justement l’armée, sous le commandement du général Chiwenga, qui a placé Robert Mugabe en résidence surveillée1126 et l’a contraint à quitter ses fonctions, après quelques jours d’incertitude1127. Alors que la Zanu-PF l’avait pourtant investit candidat pour les élections de 2018 en décembre 20161128, le parti a effectué un virage à 180 degrés et lui a complètement tourné le dos en quelques heures et l’a expulsé de ses rangs (ainsi que sa femme)1129. Emmerson Mnangagwa fut rapidement nommé chef de parti après la démission du nonagénaire, puis investit président le 24 novembre1130.

L’autre scénario qui était envisagé était celui d’un regain de violences lors des élections de 2018 en raison de l’opposition à la Zanu-PF relative unie : Joice Mujuru, vice-présidente de Mugabe déchue en 2014 et Morgan Tsvangirai avaient affirmé vouloir faire front commun1131, malgré la participation documentée de Mujuru aux violences contre le MDC de 2000 à 2008. En effet, et en dépit des bouleversements majeurs survenus en novembre 2017, le spectre du recours aux violations massives des droits humains orchestrées à nouveau selon les mêmes tactiques de violence institutionnalisée plane encore sur le

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Zimbabwe. Alors que Mugabe avait perdu, début 2017, le soutien précieux d’une bonne partie des vétérans de guerre1132, qui se sont d’ailleurs réjouis de son départ, le nouveau président Mnangagwa (candidat en 20181133) semble bénéficier de leur soutien1134.

Bien qu’il soit trop tôt, au moment d’écrire ces lignes en décembre 2017, pour tirer des conclusions sur le nouveau régime zimbabwéen dans l’ère « post Mugabe », très peu de choses semblent avoir changé pour l’instant, à part l’occupant de la présidence. À la lumière de ce qui a été exposé et analysé pour la période 2008-2013 dans le cadre du présent mémoire, la nomination par le président Mnangagwa – lui-même considéré partisan de la ligne dure en 2008 – de plusieurs securocrats, militaires et anciens proches de Mugabe à des postes de ministres1135 laisse pour l’instant planer le doute sur sa volonté affichée de « tenir des élections libres » en 20181136. Il semble en effet que les militaires occupent sous le nouveau président une place encore plus prépondérante qu’avant1137, avec notamment la nomitation du Maréchal de l’air Perence Shiri au cabinet (agriculture)1138 et surtout, du général Chiwenga au poste de vice-président 1139 . Si ce « renforcement sécuritaire » appréhendé devait avoir lieu, la suite des choses laisserait alors entrevoir un avenir assez sombre à court terme pour le Zimbabwe, à un moment où les plaies de 2008 n’ont même pas encore eu l’occasion de cicatriser.

1132 « Zimbabwe’s War Veterans Speak out against Mugabe », Al Jazeera, 24 mars 2017 [en ligne], consulté le 31 mai 2017, http://www.aljazeera.com/video/news/2017/03/zimbabwes-war-veterans-speak-mugabe- 170324080844108.html. 1133 « Zimbabwe : Mnangagwa candidat pour 2018 », TV5 Monde, 16 décembre 2017 [en ligne], consulté le 17 décembre 2017, http://information.tv5monde.com/afrique/zimbabwe-mnangagwa-candidat-pour-2018- 209654. 1134 Le chef de la ZNLWVA, Chris Mutsvanga, a même été nommé ministre de l’information par Mnagagwa. Voir « Mnangagwa dévoile son gouvernement », BBC Afrique, 1er décembre 2017 [en ligne], consulté le 17 décembre 2017, http://www.bbc.com/afrique/region-42190730. 1135 « Zimbabwe : le nouveau président recycle la vieille garde au pouvoir depuis 1980 », Le Devoir, 2 décembre 2017 [en ligne], consulté le 17 décembre 2017, http://www.ledevoir.com/international/actualites- internationales/514500/zimbabwe-le-nouveau-president-recycle-la-vieille-garde-au-pouvoir-depuis-1980. 1136 « Emmerson Mnangagwa promises ‘free and fair’ elections in Zimbabwe », The Guardian, 24 novembre 2017 [en ligne], consulté le 17 décembre 2017, https://www.theguardian.com/world/2017/nov/24/emmerson- mnangagwa-sworn-in-as-zimbabwes-president. 1137 « Les militaires en position de force dans le nouveau Zimbabwe », Radio-Canada, 1er décembre 2017 [en ligne], consulté le 17 décembre 2017, http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1070594/militaires-zimbabwe- mnangagwa-mugabe. 1138 « Zimbabwe’s Mnangagwa gives key cabinet jobs to military figures », BBC News, 1er décembre 2017 [en ligne], consulté le 2 décembre 2017, http://www.bbc.com/news/world-africa-42190457. 1139 « Zimbabwe : le général nommé vice-président », RFI, 28 décembre 2017 [en ligne], consulté le 7 janvier 2018, http://www.rfi.fr/afrique/20171228-zimbabwe-chiwenga-mugabe-vice- president-mnangagwa-mohadi-nomination.

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205

8. ANNEXES

Annexe 1 – Cartes de données ACLED : Violences répertoriées par type de violences

Source (toutes les cartes) : Armed Conflict Location & Event Data Project

1- Le Zimbabwe par rapport à l’Afrique, nombre d’actes de violences (par type de violences) de 1997 à 2016

206

2- Le Zimbabwe par rapport à l’Afrique, nombre d’actes de violences (par type de violences) de 2008 à 2013

207

3- Le Zimbabwe par rapport à l’Afrique, nombre d’actes de violences (par type de violences) pour l’année 2008

208

4- Zimbabwe – « violence contre des civils » pour les années 2008 à 2013 (par année)

209

210

211

Annexe 2 – Cartes de données ACLED : Violences répertoriées par catégories d’auteurs de violences

Source (toutes les cartes) : Armed Conflict Location & Event Data Project

1- Le Zimbabwe par rapport à l’Afrique, nombre d’actes de violences (par catégories d’auteurs) en 2008

212

2- Le Zimbabwe par rapport à l’Afrique australe; actes de violences par catégories d’auteurs (forces gouvernementales et milices politiques) pour l’année 2008

213

3- Le Zimbabwe par rapport à l’Afrique australe; actes de violences par catégories d’auteurs (forces gouvernementales et milices politiques) pour les années du GNU (2009-2013)

214

4- Le Zimbabwe par rapport à l’Afrique australe; actes de violences par catégories d’auteurs (forces gouvernementales et milices politiques) pour les années 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013, respectivement

215

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