Civitas, Des Tradis Qui Piquent
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POLITIQUE ET ENQUÊTE RELIGIONS CIVITAS, À ses débuts, en 1999, Civitas n’est qu’une association ayant pour but de former à sa pensée une élite nationale et catholique susceptible de peser dans le débat public. DES TRADIS Mais de fil en aiguille, de coups d’éclat en actions choc, cette structure littéralement arraisonnée par le Belge Alain Escada, qui en est aujourd’hui le président, va se QUI transformer. En septembre 2016, l’association s’est constituée en parti politique. C’est ainsi que Civitas présentera 200 candidats dans toute la France lors PIQUENT des législatives de juin. PAR GRÉGOIRE ARNOULD Notre priorité, si d’aventure nous prenions le Le concile de Vatican II, animé par une volonté de « pouvoir, serait d’abroger la loi de 1905 et de réins- modernisme, a bouleversé ceux qui œuvraient au taurer le catholicisme comme religion d’État. Une maintien, à tout prix, de la tradition dans l’Église. La volonté difficilement compatible avec la République, telle Cité catholique du vichyste Jean Ousset n’a pas échappé qu’elle est conçue en France ». Le projet politique du aux discordes romaines de la seconde moitié du XXème président Alain Escada du nouveau parti Civitas ne siècle. À son acmé dans les années 1960-70, où elle peut être on ne peut plus clair. L’histoire de l’association serait devenue, pour Alain Escada, un « phare en Europe » Civitas commence en 1999. Son père fondateur, l’amiral de la pensée traditionaliste, cette association s’était François de Penfentenyo, veut réunir sous une même développée dans une grande partie du Vieux Continent, bannière tous les cercles d’études organisés de manière avec des « ramifications en Belgique, en Suisse et au informelle dans ce que compte l’Hexagone comme Portugal ». Ce dernier pays disposait, à sa tête, d’un allié thuriféraires de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X de choix pour ce courant intellectuel, en la personne de (FSSPX) et sa figure tutélaire, Mgr Lefebvre. Ce dernier Salazar, le dictateur du Portugal de 1932 à 1968, « avec est à l’origine d’une rupture au sein de l’Église catho- qui Jean Ousset entretenait une correspondance » toujours lique romaine, en étant l’un des contestataires les plus selon Alain Escada. En revanche, dans une France où virulents, au cours des années 1960, de l’orchestration, Mai 68 avait laissé sa trace et altéré l’autorité érigée puis de l’application du concile de Vatican II. Après jusqu’alors comme vertu cardinale de l’action publique, avoir créé, en réaction, la FSSPX en 1970 – tolérée, la Cité catholique ne pouvait trouver une expression mais non reconnue par l’église de Saint-Pierre –, Marcel politique pour asseoir son magistère sur la pensée d’une Lefebvre, tel un Luther, a continué à se distinguer par plus large partie des chrétiens. Contraint à se confiner ses coups d’éclats contre Rome, provoquant le pape à à la formation et à la réflexion ainsi qu’à changer de plusieurs reprises. En 1988, il a commis l’ultime péché nom, le mouvement déclina peu à peu avant d’imploser en nommant quatre évêques contre la volonté de dans les années 1980, lors de l’excommunication de Mgr Jean-Paul II, qui l’excommunia dans la foulée pour cette Lefevbre. © DR atteinte directe à son autorité. 104 105 À ses débuts en 1999, Civitas reste CIVITAS une association ayant pour but premier de former, à sa pensée, une élite nationale et catholique capable de peser dans le débat public. Pour y parvenir, le modus operandi employé est des plus classiques : Orphelins de la Cité catholique après sa disparition, Tandis que l’association se développe, Alain Escada en d’irréductibles traditionalistes restés fidèles à la FSSPX prend connaissance depuis la Belgique. Nous sommes cercles d’études, conférences et autres universités d’été. forment le noyau dur historique de Civitas. Ils nour- en 2001. Celui qui n’était qu’un acteur mineur de la rissent leur réflexion grâce aux auteurs contre-révo- vie politique outre-Quiévrain, tendance nationaliste lutionnaires comme Bonald, Maistre ou Saint-Pie X et catholique déjà, assiste à une messe dans une ville lui-même et ambitionnent, par-dessus tout, de rechris- du « plat pays » célébrée par un prêtre de la Frater- L’idée, qui se matérialisera plus tard, de verser dans plus tard, la direction envisage même la fin de Civitas tianiser la France. nité Saint-Pie X. À l’issue de l’office, les deux hommes l’action politique se dessine déjà dans l’esprit d’Alain qui peine, plus que jamais, à exister. Ils organisent prennent langue et Alain Escada est convié à une univer- Escada. Il emmène, par exemple, ses jeunes troupes malgré tout une session d’été, où Alain Escada se voit Pour Guillaume de Prémare, ancien président de la sité d’été de Civitas. La curiosité se mue alors en intérêt. assister à des meetings politiques, surtout ceux du promu numéro deux, pour enrayer le déclin. Le Belge Manif pour tous et dirigeant d’Ichtus, association Lorsque l’événement prend fin, le Belge se voit proposer Front national, pour les habituer à discerner les codes, se fixe alors trois objectifs : faire un recrutement quali- catholique se réclamant également de Jean Ousset, de prendre des responsabilités au sein du mouvement. les éléments de langage et l’organisation. En somme, tatif de responsables, mettre l’accent sur l’activisme et mais certifiée « vaticano-compatible », la filiation de D’abord dans le conseil et la mise en relation. Le CV des exercices grandeur nature d’observation. donner de la visibilité au mouvement. En clair, exploiter Civitas avec la Cité catholique est surfaite. « [Elle] a une d’Alain Escada tranche avec le reste des membres de son savoir-faire à lui. 2011 sera placée sous la bienveil- doctrine politique propre, sans rapport avec la pensée de Civitas, d’ordinaire composé, pour sa partie dirigeante, Alors que le nouveau millénaire égrène ses premières lance de la divine providence. Jean Ousset. Ils distillent, par exemple, l’idée d’une chris- d’abbés de renom, tels Xavier Beauvais, d’un quarteron années, la mutation va bon train. En 2007, lors de l’élec- tianophobie dans la société française. Ce qui est faux pour de hauts gradés militaires. Celui qui reste encore dans tion présidentielle, Escada organise une rencontre entre Au printemps, la direction du mouvement est alertée son immense majorité. » Guillaume de Prémare soutient, l’ombre affiche un parcours ponctué d’actions coup de les dirigeants de Civitas et des hommes politiques, par des habitants d’Avignon de l’exposition, dans la ville par ailleurs, qu’« il faut aussi opérer une distinction entre poing, avec son passage au Front national belge et à la comme Bruno Gollnisch. En parallèle, ses membres des papes, d’une œuvre jugée blasphématoire, à savoir Civitas et la FSSPX ». Si cette dernière se rapproche fondation Belgique et Chrétienté, structure recensée s’agrègent aux cortèges de la Marche pour la vie, en le cliché d’un crucifix plongé dans l’urine et du sang, chaque année de plus en plus du Vatican, l’associa- comme lobby au Parlement européen. Spécialiste se démarquant par un ton particulier. « On débarquait l’Immersion (Piss Christ) de l’artiste américain Andres tion fondée par l’amiral de Penfentenyo concentre, à des mises sous pression, Alain Escada organisait des dans ces manifestations avec un grand nombre de jeunes Serrano. Ce sera l’objet de la première action d’enver- l’inverse, les rigoristes les plus en rupture avec Rome. boycotts contre des produits ou des services qui, en tant (quelques centaines – NDLR) et nous arborions nos gure de Civitas, version Escada. que tels ou dans leur communication, étaient considé- propres slogans. » Sourire aux lèvres, Alain Escada en À ses débuts en 1999, Civitas reste néanmoins une asso- rés comme « blasphématoires ». Un fabricant de chaus- cite deux qu’il juge excellents : « 6 millions... d’avorte- Pour ne pas rater l’opportunité qui s’offre à lui, il applique ciation ayant pour but premier de former, à sa pensée, sures en a fait les frais, tout comme une chaîne de télé- ments ! Avortement, Sarko-Ségo, tous collabos ! » Civitas, son manuel : mise en ligne d’une pétition automatisée, une élite nationale et catholique capable de peser dans vision locale. La méthode, que l’on retrouvera en œuvre du moins sa frange junior, semble trouver son ton, harcèlement téléphonique, mailing intensif et mani- le débat public. Pour y parvenir, le modus operandi dans l’Hexagone plus tard, est déjà là : c’est l’agit-prop. quelque peu provocateur, mais pas le public suscep- festations. Au bout de trois jours, le serveur mail de la employé est des plus classiques : cercles d’études, confé- tible de lui faire gagner des adhérents et de la visibilité mairie est saturé et 100 000 signatures sont recueil- rences et autres universités d’été. Le saint triptyque de L’association nourrit les ambitions du néo converti médiatique. lies par la suite. Il réunit 1 500 personnes à Avignon et tout mouvement idéologique qui se respecte. Conquérir en lui confiant la création de France jeunesse Civitas, sollicite la venue d’élus locaux, de l’UMP d’alors et de les esprits et percer le cœur, ou l’inverse. « Seul représen- pour laquelle il obtient « carte blanche », dans le but, En 2008, face aux limites du développement et fragi- la Ligue du Sud de Jacques Bompard. Las, les autorités tant de ce courant catholique », comme le rappelle Alain toujours, de former les étudiants. Des soirées tous les lisées par une scission au sein de la FSSPX intervenue ne daignent pas le recevoir.