Te fa'a'amu : défis et enjeux aujourd'hui pour les familles et les professionnels des services sociaux de Polynésie française

Mémoire

Anne-Julie Asselin

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Anne-Julie Asselin, 2020

Te fa’a’amu Défis et enjeux aujourd’hui pour les familles et les professionnels des services sociaux de Polynésie française

Mémoire

Anne-Julie Asselin

Sous la direction de :

Natacha Gagné, directrice de recherche

Résumé

Le présent mémoire porte sur l’adoption coutumière, appelée fa’a’amu (en français, nourrir, adopter, élever), chez les Mā’ohi, peuple autochtone de Polynésie française, un territoire français d’Océanie. Cette coutume ancestrale de circulation d’enfants, qui se retrouve dans toute l’Océanie, relève d’un mode de régulation sociale qui consiste à confier son enfant à des parents proches. Elle repose sur une entente entre les parents adoptifs et les parents biologiques, lesquels gardent en général des liens avec l’enfant. Si cette pratique a changé avec la colonisation – les archipels composant la Polynésie française ont été colonisés par la à partir de 1842 – et les bouleversements entraînés par l’implantation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP), un centre d’expérimentation nucléaire, en 1962, elle est toujours répandue, bien qu’elle demeure officieuse. Alors que la population aux origines mā’ohi représente plus de 80 % de la population de ce territoire situé à 18000 km de la France métropolitaine, le Code civil, introduit dès les années 1860, ne prend pas en considération ce type d’adoption, alors que l’autorité parentale et la filiation sont parmi les matières sur lesquelles l’État et la Polynésie française partagent les compétences (Peres 2007). Ce mémoire fait donc état des enjeux concrets que soulève l’adoption à la polynésienne, alors qu’elle ne fait pas l’objet d’une reconnaissance légale. Plus particulièrement, il s’intéresse aux transformations de la pratique depuis la colonisation (défis et enjeux) ainsi qu’à ses réalités contemporaines en s’appuyant sur des cas concrets d’adoption fa’a’amu. La pluralité des expériences d’adoption à la polynésienne donne à voir certaines continuités culturelles, par exemple, en termes de « logique » d’apparentement polynésien. Il ressort également des expériences d’adoption présentées que la cohabitation de deux régimes de droits relatifs à l’adoption présente certains défis particuliers pour les enfants et leurs familles, mais également pour les professionnels des services qui interviennent auprès d’eux quand ils rencontrent certains problèmes. Ce mémoire explore également les réalités contemporaines de l’adoption à la polynésienne à travers la perspective du personnel des services sociaux de la Polynésie française.

Mots-clés : adoption à la polynésienne, fa’a’amu, parenté, droit, pluralisme juridique, colonialisme, administration, services sociaux, placements d’enfants.

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Abstract

This master’s thesis deals with customary adoption, called fa’a’amu (nurturing, adopting, raising), among the Ma’ohi, who are indigenous to . French Polynesia is a French territory in . This ancestral custom of the circulation of children, which is found throughout Oceania, is part of a mode of social regulation which consists of entrusting your child to close relatives, who parent the child. It is based on an agreement between the adoptive parents and the biological parents, who generally keep ties with the child. If this practice changed with colonization - the archipelagos making up French Polynesia were colonized by France from 1842 - and the upheavals brought about by the establishment of the Pacific Experimentation Center (CEP), a nuclear center, in 1962, it is still widespread, although it remains unofficially recognized by both the French and French Polynesian states. While the population of Mā’ohi origin represents more than 80% of the population of this territory located 18,000 km from mainland France, the Civil Code, introduced in the 1860s, does not take this type of adoption into account, while parental authority and filiation are among the matters over which the State and French Polynesia share jurisdiction (Peres 2007). This thesis, therefore, describes the concrete issues raised by the practice of te fa’a’amu, when it is not subject to legal recognition. More particularly, the thesis is interested in understanding the transformations of the practice since colonization, and understanding challenges and issues pertinent to it, based on concrete cases of fa’a’amu children. The plurality of Polynesian adoption experiences shows certain cultural continuities in terms customs and practices, while for other constituent elements of fa’a’amu, the impact of the cohabitation of two legal regimes (one French, the other Polynesian) contributes to metamorphosis and an adaptation of these. In light of these cultural exchanges, some children who have been fa’a’amu find themselves in a situation where social service personnel must act to protect the best interests of the child. The intervention of these professionals shows, in certain cases, a cultural gap which manifests in a concrete way the double standard experienced by Polynesians, that is to say, to answer for the French world, while remaining Polynesian.

Keywords: Polynesian adoption, fa’a’amu, kinship, law, legal pluralism, colonialism, administration, social services, child placements.

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Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iii Table des matières ...... iv Liste des tableaux et schémas ...... vii Liste des acronymes...... viii Remerciements ...... xi Introduction ...... 1 Chapitre 1 – Cadre théorique ...... 5 1.1. La « situation coloniale » et ses legs ...... 5 1.2. Le droit et ses mécanismes de régulation sociale ...... 8 1.2.1. Implantation d’un régime de rationalité par le droit ...... 8 1.2.2. Pluralisme juridique en anthropologie ...... 9 1.2.3. Continuités et ruptures des pratiques juridiques ...... 11 1.3. La parenté ...... 12 1.3.1. La parenté comme champ d’études particulier ...... 13 1.3.2. Nouveaux regards : discussion autour des concepts de « relatedness » et de « kinning » ...... 17 1.3.3. L’adoption comme phénomène d’apparentement et de familisation...... 19 1.4. Conclusion du chapitre ...... 22 Chapitre 2 – Contexte historique, politique et social de la Polynésie française ...... 24 2.1. La colonisation française du Royaume des Pomare ...... 24 2.2. Imposition de nouvelles normes concernant les terres : et Rurutu ...... 27 2.3. La période des essais nucléaires en Polynésie française et les transformations du paysage social polynésien ...... 29 2.4. Vers une compréhension de la famille en Polynésie française ...... 33 2.4.1. Les formes d’adoption coutumière en Océanie ...... 33 2.4.2. ‘Utuafare ...... 35 2.4.3. Te fa’a’amu ...... 41 2.5. Quelques considérations légales concernant te fa’a’amu ...... 46 2.6. Conclusion du chapitre ...... 48

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Chapitre 3 – Problématique et méthodologie de la recherche ...... 49 3.1. Problématique ...... 49 3.2. Question de recherche ...... 50 3.3. Objectifs ...... 51 3.4. Méthodologie de la recherche ...... 51 3.4.1. Population-cible, sous-populations et échantillonnage non-probabiliste ...... 51 3.4.2. Stratégie de recherche ...... 53 3.4.3. Méthode de recrutement ...... 54 3.4.4. Institution et lieux ...... 54 3.4.5. Techniques de collecte de données ...... 55 3.4.4. Le rapport aux sujets...... 59 3.4.6. Opérationnalisation et analyse des données recueillies ...... 59 3.5. Considérations éthiques ...... 61 3.6. Conclusion du chapitre ...... 62 Chapitre 4 – Défis et enjeux du fa’a’amu contemporain en Polynésie française pour les familles d’enfants fa’a’amu et les personnes fa’a’amu ...... 63 4.1. Typologie du fa’a’amu ...... 64 4.1.1. Fa’a’amu intrafamilial auprès des grands-parents ...... 66 4.1.2. Fa’a’amu intrafamilial auprès de la famille proche et élargie ...... 72 4.1.3. Fa’a’amu extrafamilial entre Polynésiens (amis, voisins, etc.) ...... 75 4.1.4. Fa’a’amu extrafamilial auprès de non-Polynésiens (métropolitains) ...... 76 4.2. La famille en question : analyse des sept portraits ...... 81 4.2.1. Les conditions de confiage et d’accueil d’un enfant fa’a’amu ...... 82 4.2.2. Déroulement de l’adoption à la polynésienne suite au confiage ...... 89 4.2.3. Les personnes fa’a’amu et l’héritage des terres familiales...... 98 4.3. Conclusion du chapitre ...... 101 Chapitre 5 – Les stratégies relatives au fa’a’amu des professionnels qui œuvrent auprès des familles d’enfants fa’a’amu ...... 103 5.1. Les rôles des institutions administratives et judiciaires : quelle place pour l’enfant fa’a’amu ? ...... 104 5.1.1. Le système de protection de l’enfance en Polynésie française ...... 105

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5.1.2. L’enfant en risque de danger, l’enfant en danger avéré (ou maltraité) et les procédures du signalement d’un enfant ...... 110 5.2. Les professionnels, leur travail et leur perception de l’enfant fa’a’amu ...... 114 5.2.1. Qui sont les intervenants sociaux en Polynésie française? ...... 115 5.2.2. Principes d’intervention en amont de l’adoption à la polynésienne ...... 117 5.2.2. Une semaine dans les pas du personnel des services sociaux de Polynésie française ...... 120 5.2.3. Repérage des enfants fa’a’amu en risque de danger et en danger (avéré) ...... 122 5.2.4. Quelques motifs d’intervention des professionnels des services sociaux ...... 126 5.2.5. Le double standard vécu par les professionnels œuvrant dans le domaine du social ...... 131 5.3. Conclusion du chapitre ...... 135 Conclusion ...... 137 Bibliographie ...... 140 Glossaire Tahitien- Français ...... 154 Annexe I – An Analytic Continuum of Adoption and Fosterage ...... 156 Annexe II – Carte des Établissements français d’Océanie (ÉFO) 1884 ...... 157 Annexe III – Carte du territoire de la Polynésie française depuis 1957 ...... 158 Annexe IV – Billet du référendum 1958 ...... 159 Annexe V – Carte du triangle polynésien ...... 160 Annexe VI – Carte de l’Océanie ...... 161 Annexe VII – Petite annonce sur le babillard d’un supermarché « bébé à adopter » ...... 162 Annexe VIII – Tableau des participants ...... 163 Annexe IX – Les guides d’entretiens ...... 167 Annexe X – Guide d’observation de rencontre entre spécialistes et parents...... 172 Annexe XI – Les subdivisions, antennes et circonscriptions de la DSFE ...... 174

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Liste des tableaux et schémas

Tableaux et schémas Titre Page

Tableau 1. Annexion, protectorat et 25 citoyenneté – Tahiti et Rurutu

Schéma 1. Typologie du fa’a’amu 64

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Liste des acronymes

Acronymes Définitions

AFAREP Association Formation Action Recherche en Polynésie

ANMDA Association Nationale des Maisons de l’Adolescent

APRIF Association Polynésienne de recherche, intervention et formation

BAC Baccalauréat, diplôme sanctionnant la fin des études secondaires

CEP Centre d’expérimentation du Pacifique

CÉRUL Comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval CETAD Centre d’éducation aux technologies appropriées au développement CIDE Convention internationale des droits de l’enfant ou Convention relative aux droits de l’enfant CFLN Comité français de la libération nationale

CFPO Compagnie française du phosphate de l’Océanie

CJA Centre des jeunes adolescents

CM2 Le cours moyen 2e année (CM2), ou deuxième année du cycle 3, constitue la dernière année (avant l’entrée au collège) de l’école primaire COM Collectivité d’Outre-mer

CPS Caisse de prévoyance sociale

DAS Direction des affaires sociales

DAEU Diplôme d’accès aux études universitaires

DEAP Délégation de l’exercice de l’autorité parentale

DEAMP Diplôme d’État d’aide médico-psychologique

DEAVS Diplôme d’État d’Auxiliaire de Vie Sociale

DEME Diplôme d'État de Moniteur Éducateur

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DGEE Direction générale de l’éducation et des enseignements

DPJ Direction de la protection de la jeunesse

DRJSCS Direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale DSFE Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité

ÉFO Établissement français d’Océanie

F CFP Franc Pacifique

FDHI Fédération internationale des droits de l’homme

HCDH Haut-commissariat des Droits de l’Homme

IPFSS Institut Polynésien de formation sanitaire et sociale

ISPF Institut de la Statistique de la Polynésie française

MFR Maison familiale rurale

ODAS Observatoire national de l’action sociale décentralisée

ONU Organisation des Nations unies

RDPT Rassemblement des populations tahitiennes

TOM Territoire d’Outre-mer

UPF Université de la Polynésie française

XPF Franc Pacifique

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À mes parents.

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Remerciements

J’aimerais prendre les prochaines lignes afin de remercier les personnes qui m’ont épaulée et soutenue au cours de ce projet de maîtrise.

Je tiens d’abord à remercier toutes les femmes fortes et courageuses de mon entourage pour leur inspiration à persévérer dans mes études. À ma sœur Marie-Laurence, merci de toujours avoir été fière de moi, tu es une source de force inépuisable dont je m’abreuve quotidiennement; à ma précieuse tante Jo-Anne, merci pour ton modèle de féminisme intemporel qui me permet d’être la femme que je suis aujourd’hui; à ma chère grand-mamou, Gaétane, merci de m’avoir appris à faire les choses à mon rythme; à ma tendre amie Sarah, merci pour ta précieuse écoute et ton humour si nécessaire; à mes charmantes colocataires, Frédérique et Audrey, merci pour nos soirées « décompressantes » et nos conversations à n’en plus finir; à mon amie Maude, merci d’avoir été à mes côtés lors de mon premier terrain de recherche et d’avoir partagé avec moi ta joie pour la musique lors de nos balades nocturnes au port de Pape’ete; to my friend Elizabeth, I would like to thank you for being my rock during my second fieldwork period, our crazy laughs and dancing nights were always welcome; à ma chère Marjo, merci pour nos rencontres culturelles polynésiennes/françaises/québécoises; to my friend Jan, thank you for inspiring me with your life story and your sharp mind always looking for something new to learn; enfin et non la moindre, merci à la directrice de mon projet de mémoire, Natacha Gagné. Je dis merci, mais ce mot est bien maigre pour un accompagnement si important. D’abord, merci pour tes réflexions et nos discussions qui m’amènent toujours à donner le meilleur de moi-même. Merci pour les innombrables opportunités d’emplois. Merci pour ton écoute, ta compréhension et ton soutien personnel lorsque j’en ai eu le plus besoin. Merci pour ta patience. Merci pour toutes ces heures de corrections! Enfin, merci de m’avoir transmis un si beau bagage intellectuel et humain que j’emporte avec moi dans mon baluchon pour la suite.

Aux hommes de ma vie, je remercie d’abord mes frères, Philippe et Gabriel. Votre sincérité et votre candeur sont si précieuses à mes yeux. Merci de me faire apprendre à tous les jours. Je vous aime de tout mon cœur. À mes oncles, sans qui, je n’y serais pas arrivée, merci pour votre soutien dans les dernières années et votre partage de l’importance de l’éducation.

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Spécialement, à mon oncle Daniel, je dis merci de m’avoir fait rêver d’être une femme de science. À mon oncle Bruno, merci pour ton amour, ton support et ton enthousiasme incontesté dans la poursuite de mes études. Enfin, à mon grand-père Lucien, qui me comprenait et m’acceptait inconditionnellement, je te dis merci pour ton honnêteté indiscutable.

Merci à mes chers collègues et amis, Pascal-Olivier, François, Marie-Ève et Catherine, avec qui j’ai su traverser avec légèreté et plaisir les méandres de la maîtrise.

À mes amis de la Rive-Sud de Québec, spécialement Camille et Chloé, merci pour votre amour et votre amitié pendant mes années d’études.

J’aimerais notamment remercier mes amis au fenua, Muschenda, Hinatea, Maiana, Hiti, Petero, Régis et Tevai, votre amitié reste à tout jamais gravée dans mon cœur.

À tous ceux qui ont croisé mon chemin, je vous remercie. Vous vous reconnaitrez dans ces lignes. Je ne puis vous nommer, mais pour votre soutien, pour votre écoute et pour votre justesse d’esprit, je vous remercie d’avoir fait office de pilier à un moment ou à un autre. Nos discussions, si douces ou si dures, m’ont toujours été précieuses.

Au Québec, j’en profite pour remercier le Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA) auquel je suis affiliée et à partir duquel j’ai pu effectuer une partie de mes travaux de recherche. Ce centre a joué un rôle majeur dans la poursuite de mes recherches et m’a offert plusieurs opportunités dont des contrats et la Bourse de mobilité à la maîtrise. Un merci tout spécial est dédié à Lise G. Fortin pour le soutien quotidien qu’elle offre à tous ceux qui croisent les portes du centre de recherche.

En Polynésie française, je tiens aussi à remercier l’Équipe d’accueil Sociétés traditionnelles et contemporaines en Océanie (EASTCO) qui m’a accueillie comme étudiante-chercheure invitée lors de mes terrains de recherche. Ce statut m’a permis d’avoir accès aux ressources de l’Université de la Polynésie française (UPF), ce qui a participé à la bonne conduite de mes recherches.

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Ma recherche n’aurait pas pu être possible sans le soutien financier de différentes organisations durant mes années d’études supérieures. D’abord, je tiens à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour l’obtention de la Bourse d’études supérieures du Canada au niveau de la maîtrise, Joseph-Armand-Bombardier. Ensuite, merci au Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) pour l’obtention de la Bourse à la maîtrise en recherche (B1). Merci d’encourager les jeunes chercheures à contribuer à l’effort scientifique en sciences sociales. Je tiens aussi à remercier le Département d’anthropologie de l’Université Laval pour l’obtention de la Bourse d’excellence de soutien au terrain à la maîtrise. Enfin, merci au Fonds Georges-Henri- Lévesque pour l’obtention de la Bourse d’excellence de soutien à la recherche. Mes séjours sur le terrain furent également facilités grâce à des bourses provenant d’une subvention Savoir du Conseil de la recherche en sciences humaines (CRSH) du Canada pour le projet « Mouvements autochtones et redéfinitions contemporaines de la souveraineté : comparaisons intercontinentales », sous la direction de Natacha Gagné.

Enfin, je remercie mes parents, Jacinthe et François. Quel cliché! Mais ce mémoire vous est dédicacé, pour votre présence en votre absence. Je vous aime. Vous m’avez tant transmis, dans votre silence ou votre parole : vous êtes mes héros. Ni plus ni moins, je suis vous et vous êtes moi. Intelligents, aveuglés, perspicaces, susceptibles, « tous pour un et un pour tous », je vous porte partout et on vous sent présents dans ce mémoire, merci. Personnes incroyables, encore, ordinaires, je suis fière de vous et fière de moi. Nous nous verrons plus tard où nous aurons l’occasion de discuter de ce mémoire et de toutes les belles choses qui m’attendent. La famille est un sujet « vieux comme le monde », mais aussi contemporain et toujours si précieux.

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Introduction

Chez les Polynésiens1 de Polynésie française, un territoire français d’Océanie, l’adoption à la polynésienne, appelée « fa’a’amu2 » en Tahitien3, est une pratique répandue, mais officieuse. Cette pratique ancestrale de circulation d’enfants, qui se retrouve dans toute l’Océanie (Firth 1936; Beaglehole 1940; Carroll 1970; Levy 1973; Brady 1976; Charles 1995; Saura 1998; Leblic 2004; Bowie 2004; Demian 2004; Marshall 2008; Schachter 2008; Howell 2009; Collard et Zonabend 2015), relève d’un mode de régulation sociale qui consiste à confier son enfant à des parents proches. Il s’agit d’une entente informelle entre les parents adoptifs et les parents biologiques, lesquels gardent en général des liens avec l’enfant.

Les pratiques liées à l’adoption fa’a’amu se déploient aujourd’hui dans une société qui a subi dans son histoire des transformations majeures, en particulier depuis la colonisation française. Ces changements dont nous donnerons un aperçu dans ce mémoire affectèrent directement les pratiques relatives à l’organisation de la famille et, par ricochet, à l’adoption fa’a’amu.

En vertu du Code civil français en vigueur sur le territoire depuis le XIXᵉ siècle, bien que les parents adoptifs possèdent, dans les faits, la garde de l’enfant, ce sont les parents biologiques qui en restent les gardiens légaux (Charles 1995). La pratique pose donc au quotidien des problèmes concrets relatifs à l’exercice de l’autorité parentale et à l’accès à certains services, congés et allocations parentaux pour les parents polynésiens, comme l’ont révélé des entretiens réalisés auprès du personnel de la justice, dans le cadre du projet « Legs colonial

1 Dans ce mémoire, trois noms communs seront employés pour identifier les personnes aux origines polynésiennes. Le terme « M/mā’ohi » fait référence aux personnes qui s’identifient comme autochtones en Polynésie française. Le terme « P/polynésien » est employé pour définir les personnes originaires de Polynésie française de façon plus inclusive. Enfin, le terme « T/tahitien » est employé lorsqu’une situation concerne les personnes rattachées spécifiquement à l’île de Tahiti et parfois plus largement aux îles de la Société. 2 Le mot fa’a’amu en Tahitien, peut être employé comme adjectif signifiant « adopté » ou « adoptif » : « e tamari’i fa’a’amu », « un enfant adoptif/adopté ». Il peut aussi être employé comme verbe 1. « nourrir, donner à manger » : « Ua fa’a’amu ānei ‘oe i te pua’a ? », « As-tu donné à manger aux cochons ? »; 2. « adopter » : « E piti tamari’i tāna i fa’a’amu », « Il a adopté deux enfants »; 3. « élever des animaux » : « E fa’a’amu ‘oia i te moa i Taravao », « Il élève des poulets à Taravao » (Académie tahitienne 2017). Le mot « fa’a’amu » est constitué du préfixe préfixe causatif ou « fa’a », suivi du verbe « ‘amu », qui veut dire manger. On peut y ajouter le suffixe « ra’a », ce qui effet de transformer le verbe en substantif : fa’a’amura’a (Hooper 1970 : 70). 3 Un glossaire Tahitien-Français est consultable à la page 154.

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et outre-mer autochtone: Kanak de Nouvelle-Calédonie, Amérindiens de Guyane et Mā’ohi de Polynésie face à deux institutions de la République française (justice, école) », auquel j’ai pris part comme auxiliaire de recherche en 2016 dans le cadre de la recherche menée par Natacha Gagné sur la justice en Polynésie.

Pour pallier l’absence de dispositions légales concernant en propre l’adoption à la polynésienne dans une société en profonde mutation, les parents (biologiques et adoptifs) ainsi que leurs avocats se tournent parfois vers les dispositions du Code civil relatives à la délégation de l’exercice de l’autorité parentale et à l’adoption de façon à bricoler des dispositions pour protéger l’enfant, même si celles-ci ne recouvrent qu’imparfaitement les réalités culturelles des Polynésiens.

Dans ce mémoire, je m’intéresse à l’adoption à la polynésienne, tout particulièrement au cas d’enfants fa’a’amu suivis par les services sociaux sur les îles de Rurutu et de Tahiti. Ainsi, la recherche s’est articulée autour de la question suivante : En Polynésie française, comment les acteurs aujourd’hui impliqués auprès d’enfants fa’a’amu (personnel des services sociaux, parents fa’a’amu et biologiques) composent-ils avec l’adoption à la polynésienne comme pratique ancestrale, mais toujours actuelle ?

Mon mémoire s’inscrit dans l’idée de donner la parole aux populations autochtones quant à la manière de gérer leurs affaires sociales. À titre d’exemple comparatif, en étant attentif aux enjeux pratiques reliés à l’adoption coutumière en milieu autochtone, le droit de la famille québécois fut modifié par la prise en compte de l’adoption coutumière en milieu autochtone (Goudeau 2017). Brièvement, cet amendement donne le droit aux communautés de produire un certificat d’adoption coutumière, lequel est reconnu par le droit québécois. Il s’agit d’une adoption simple : la filiation avec les parents biologiques est maintenue et s’y ajoute la filiation des parents adoptifs (Goudeau 2017). Ceci permet de régler ces questions entre membres de la communauté, sans passer par les tribunaux québécois. Il s’agit là d’un gain pour les communautés autochtones du Québec qui revendiquent depuis longtemps le droit de gérer leurs affaires sociales comme il leur semble bon de le faire. Christiane Guay, professeure de travail social, et Sébastien Grammond, qui était professeur de droit au moment de cette publication, expliquent :

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(…) des agences autochtones de protection de la jeunesse sont en mesure de mieux saisir les besoins et comprendre les réalités culturelles des communautés qu’elles desservent (Sinclair et al., 2004). Leur personnel, qui est en grande partie composé d’Autochtones, peut interpréter la loi d’une manière qui est davantage compatible avec le mode de vie, les croyances et valeurs autochtones. De plus, la gouvernance en matière de services sociaux permettrait de mettre à l’avant-plan les valeurs culturelles telles la famille, l’entraide et le respect, que l’on considère malmenées par l’actuel système de protection de la jeunesse. (Grammond et Guay 2016 : 11)

Mon étude pourrait donc alimenter les réflexions entourant l’adoption à la polynésienne et ainsi avoir des retombées pratiques potentielles. En étant attentive aux défis et enjeux de l’adoption fa’a’amu pour les Polynésiens, mon projet s’inscrit donc dans les suites d’une réflexion entamée il y a vingt-huit ans, en Polynésie française, sur les enjeux et défis de l’adoption fa’a’amu. En effet, en 1992, une initiative d’acteurs institutionnels (ministres, chercheurs, responsables d’association) fut mise sur pied afin de traiter de la question de l’enfant fa’a’amu, ce qui donna lieu, en 1993, à la publication des actes du colloque « Regards sur l’enfant fa’a’amu » par l’Association Polynésienne de Recherche, Intervention et Formation, dans lesquels plusieurs recommandations apparaissent (A.P.R.I.F. 1993). Elles n’ont pourtant fait l’objet d’aucun suivi de la part de l’État français ou du gouvernement du territoire. Mon mémoire sera l’occasion de faire un retour sur ces recommandations auprès des acteurs sur le terrain afin de contribuer à les actualiser. Les retombées de cette recherche pourront notamment servir à alimenter les réflexions des acteurs impliqués dans les services relatifs à l’enfance et à la justice (A.P.R.I.F. 1993).

Ce mémoire comporte cinq chapitres. Le premier discute du cadre théorique sur lequel je me suis appuyée pour répondre à ma question de recherche. En débutant par les écrits portant sur le colonialisme et ses mécanismes, j’identifie d’abord certains éléments qui ont permis à l’État français de s’implanter sur ce territoire pour ensuite montrer en quoi le droit a quelque chose à voir avec ces mécanismes de domination, pour enfin questionner les notions d’« apparentement » et de « familisation ».

Je présenterai par la suite, dans le deuxième chapitre, le contexte socio-culturel et historique de la Polynésie française. Il donne un aperçu des changements majeurs qui ont marqué l’histoire du territoire afin de saisir dans sa complexité la question de l’adoption fa’a’amu et ses enjeux et défis dans la Polynésie française d’aujourd’hui.

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Le troisième chapitre porte sur la problématique de la recherche ainsi que sur le cadre méthodologique déployé dans sa mise en œuvre.

Le chapitre quatre traite de façon empirique de l’adoption à la polynésienne et des défis qu’elle pose aujourd’hui pour les Polynésiens faisant partie d’un monde pluriel. Le chapitre est divisé en deux parties. La première présente une typologie de l’adoption à la polynésienne, illustrée par des portraits d’enfants fa’a’amu. La deuxième partie présente une discussion en trois temps, articulées autour des différents moments de la vie d’un enfant fa’a’amu, de manière à mettre en relief certains défis et enjeux l’entourant.

Le chapitre cinq est en quelque sorte une réponse au chapitre 4, c’est-à-dire qu’il est indissociable de ce dernier pour une prise en compte holiste de l’adoption fa’a’amu en Polynésie française. Dans ce chapitre, je m’intéresse au travail des professionnels des services sociaux dans leur intervention auprès des familles d’enfants fa’a’amu et des enfants fa’a’amu. Il s’agit là encore d’analyser les défis qui se posent à ces travailleurs qui tentent tant bien que mal de prendre en compte les réalités culturelles et sociales relevant de l’adoption à la polynésienne, mais qui sont aussi soumis aux cadres administratifs français en matière de protection de l’enfance.

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Chapitre 1 – Cadre théorique

Pour ce mémoire, je propose un cadre théorique constitué par différentes notions. Ce choix s’inscrit dans une démarche de « théorisation bricolée », c’est-à-dire qu’il s’agit d’élaborer un modèle d’analyse qui agence des concepts opératoires isolés, sans emprunter une théorie existante (Campenhoudt et al. 2017 : 383). Afin de comprendre l’adoption à la polynésienne et ses enjeux actuels dans le contexte légal français, il me semble important de débuter par la notion de « situation coloniale » afin de me doter d’outils pour comprendre la Polynésie française dans la situation globale dont elle fait partie. D’ailleurs, la notion de droit en anthropologie et son intrication particulière dans l’histoire coloniale de la Polynésie française me semblent un autre élément conceptuel important à retenir. Il s’agit de soulever, en trois temps, les implications du droit pour mon projet, en commençant par une réflexion sur l’imposition d’un mode de pensée par le droit, suivie d’une discussion de la notion de pluralisme juridique, laquelle permet de lever le voile sur les angles morts du centralisme juridique dans les États comme la France, puis d’aborder la question des continuités et des ruptures historiques des pratiques de justice en contexte colonial. Enfin, les dernières notions qui serviront à cadrer théoriquement mon projet relèvent des concepts d’« apparentement » et de « familisation ». En effet, il me semble pertinent de comprendre les processus relationnels relevant de la famille en Polynésie afin de comprendre les enjeux pratiques contemporains que pose l’adoption à la polynésienne dans le contexte de la Polynésie et de la République française.

1.1. La « situation coloniale » et ses legs

La Polynésie française fait partie d’une matrice coloniale particulière qui peut être illustrée par le commentaire de l’Amiral commandant supérieur des troupes du Pacifique en 2009 : « [l]es colonies ont été traitées de façon très différente. Ainsi, la Polynésie n’a jamais été une colonie de peuplement et il n’y a jamais eu d’esclavage, ni de traite, même s’il y a eu quelques déportés politiques » (cité dans Regnault 2013 : 167). En effet la Polynésie française fut dès le départ une colonie d’exploitation, grâce notamment aux gisements de phosphate. La population aux origines polynésiennes y resta toujours très majoritaire; elle représente aujourd’hui plus de 80% de la population totale du territoire.

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De plus, une des particularités de la colonisation fut l’imposition, dès les années 1860, du Code civil français pour les Polynésiens faisant partie de l’ancien royaume des Pomare. Ainsi, dans cette partie du territoire polynésien, il n’y a pas eu de régime d’indigénat, comme partout ailleurs dans le Second Empire colonial français.

Le concept de « situation coloniale » élaboré par l’anthropologue Georges Balandier en 1951 m’apparaît d’une grande pertinence encore aujourd’hui pour penser le renversement du monde suite à l’expansion globale des Empires coloniaux (Copans 2001 : 32). En effet, selon Balandier, « [l]’action coloniale, au cours du XIXᵉ siècle, est la forme la plus importante, la plus grosse de conséquence prise par cette expansion européenne; elle a bouleversé brutalement l’histoire des peuples qu’elle soumettait; elle a, en s’établissant, imposé à ceux- ci une situation d’un type bien particulier » (Balandier 1951 : 44). Ainsi, la situation coloniale est la « construction culturelle et politique d’un moment particulier » (Cooper et Stoler 1997 : 15, cité dans Merle 2013 : 212), constituée d’acteurs (colonisateurs et colonisés) qui participent à l’édification de leur situation commune. L’approche de la situation coloniale tente de retracer le « jeu » qui se joue entre les colonisés et les colonisateurs et l’unité qu’ils forment ensemble (Balandier 1951 : 44).

L’approche d’Albert Memmi est complémentaire à celle de Balandier pour la compréhension de la relation entre colonisateur et colonisé. Selon Memmi, le colonisateur est lié au colonisé dans une relation dont ils ne peuvent s’extraire aisément. Ce lien de dépendance est complexe et Memmi l’explique comme suit : « [i]l détruit et recrée les deux partenaires de la colonisation en colonisateur et colonisé : l’un est défiguré en oppresseur, en être partiel, incivique, tricheur, préoccupé uniquement de ses privilèges, de leur défense à tout prix; l’autre en opprimé, brisé dans son développement, composant avec son écrasement » (Memmi 1957 : 108). Si cette relation est caractéristique de la situation coloniale, on peut se demander si elle demeure présente au sein d’une société (post)coloniale, comme on qualifie souvent la Polynésie française, alors qu’il n’y a jamais eu révolution, ce qui implique que le territoire est toujours sous la tutelle française.

Une des dimensions de la colonisation à laquelle j’ai été particulièrement attentive dans ce projet est le droit. Pour Balandier, l’expansion européenne fut possible grâce à des actions économiques, administratives ainsi que missionnaires (Balandier 1951 : 52). Memmi

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précise : « [l]a relation coloniale n’est pas simplement un rapport interpsychologique entre le colonisateur et le colonisé, c’est aussi la relation entre le colonisé et l’administration coloniale, le pouvoir politique, l’économie coloniale, etc. » (Memmi 1957 : 94). Balandier mentionne également les aspects juridiques de la situation coloniale (Balandier 1951 : 50). Ainsi, la colonisation procède à travers une série d’actions qui « appelle des outils politiques (…) en passant du législatif au militaire » (Memmi 1957 : 92). Ceci implique de faire une « sociologie historique du politique qui s’interroge sur les processus concrets, dans des situations contingentes précises, par lesquels s’effectue le changement social et s’affirme simultanément des lignes de continuité » (Bayart et Bertrand 2006 : 144).

Pour la Polynésie française, un moment historique comme celui de l’implantation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) en 1962 permet d’entrevoir les effets du colonialisme (Saura 2015 : 300) de façon à documenter les différentes lignes de continuité et de rupture sociales, notamment celles concernant la parenté, puis plus particulièrement l’adoption à la polynésienne. Cette époque est marquante en termes de changements sociaux dus au refus d’indépendance (1958) de la part du peuple polynésien, alors que pour plusieurs anciennes colonies, les années 1960 signifièrent la décolonisation. Il en est autrement pour la Polynésie, qui entrait plutôt dans l’aire du nucléaire. Nic Maclellan parle de « colonialisme nucléaire » (2005 : 364). Pour lui, la position stratégique de la Polynésie française pour l’implantation du CEP est étroitement liée à l’histoire coloniale particulière de celle-ci et montre comment un territoire intrinsèquement périphérique, presque oublié de la métropole, est devenu dépendant de l’État français et de l’économie générée par le CEP (Maclellan 2005 : 369). En effet, durant ces années, la France a mis la Polynésie française au service de ses propres intérêts et entretient toujours avec elle une relation inégale et coloniale, selon Bruno Saura (2015 : 308).

Les approches théoriques de Bayart et Bertrand (2006), Memmi (1957) et Balandier (1951) m’amènent à comprendre la Polynésie française d’aujourd’hui dans son histoire coloniale particulière et, notamment, à être attentive à comment l’économie, la politique et le droit servent à garder la Polynésie française dans le giron de la France (Regnault 2013 : 212).

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1.2. Le droit et ses mécanismes de régulation sociale

Dans les sociétés de tradition juridique romaine, on constate que pour les juristes, le concept de droit est habituellement compris comme un ensemble de dispositions instructives ou interprétatives fournies dans un État donné, qui servent à définir le statut des personnes et à régler les conflits (Littré 1863). Pour l’anthropologie, le droit est plutôt compris comme suit : « concepts of justice grow out of particular cultural understandings and practices. What justice means, and for whom, must be answered in terms of contexts and situations » (Goodale 2017: xii). Ainsi, en situation coloniale, le droit fonctionne comme imposition d’un ordre et d’un régime de rationalité.

1.2.1. Implantation d’un régime de rationalité par le droit

Si le champ du droit tire sa force de son apparente neutralité, c’est parce que le langage juridique voile les processus à travers lesquels il reproduit certaines inégalités sociales et impose un mode de pensée bien précis (Mertz 2007 : 5). Les notions « d’intérêt de l’enfant » et « d’autorité parentale »4, par exemple, pourtant essentielles dans la gestion de l’adoption simple et plénière, ne recoupent qu’imparfaitement les réalités de l’adoption à la polynésienne, dans laquelle l’enfant circule de façon relativement fluide entre ses familles et où ces notions sont interprétées différemment. Ainsi, selon l’anthropologue juridique Elizabeth Mertz, ces catégories juridiques « emphasize specific details of cases, a focus that “conceals the social roots of legal doctrines, avoiding examination of the ways that abstract categories… privilege some aspects of conflicts and events over others” » (2007 : 5).

Pour le sociologue Pierre Bourdieu (1986), il est donc essentiel d’adopter une perspective critique relativement à l’idée que le champ du droit serait une entité autonome et neutre et d’être attentif à l’écart entre la règle et la pratique. En effet, il explique que le champ juridique est le produit d’un travail de systématisation et de rationalisation dans l’établissement et

4 Dans le Code civil français, l’autorité parentale est décrite ainsi : « [j]usqu’à la majorité ou l’émancipation d’un enfant (au moins), ses parents lui doivent respect et protection. Ils doivent également lui procurer un toit, assurer son éducation, veiller à sa santé et à son développement. L’exercice de l’autorité parentale, doit prendre en compte l’intérêt de l’enfant » (Arnaud et Fraboul 2012 : 1).

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l’application de règles spécifiques. Un des effets pervers de ceci est l’application d’une justice propre à la règle, mais en contradiction avec certaines réalités empiriques (Bourdieu 1986 : 43). Cette idée est particulièrement importante à retenir dans l’étude de la situation coloniale en Polynésie française où des catégories juridiques étrangères furent imposées et ont provoqué certains écarts entre la règle et la pratique, en particulier en matière familiale. Afin de dépasser cette inadéquation, la notion de pluralisme juridique est particulièrement fructueuse grâce à son rejet du centralisme juridique.

1.2.2. Pluralisme juridique en anthropologie

Il est généralement admis que le pluralisme juridique caractérise une situation dans laquelle coexistent deux systèmes légaux ou plus (Pospisil 1971; Girffiths 1986; Moore 1986, dans Merry 1988 : 870). Si l’idée du pluralisme juridique a toujours plané dans l’esprit des philosophes depuis l’époque romaine, c’est la conjoncture du XXᵉ siècle qui donna lieu à la formation d’édifices théoriques sur la pluralité du droit (Rouland 1988 : 62). Le concept de « pluralisme juridique » émerge des recherches sur le colonialisme et le postcolonialisme – qualifié aujourd’hui de vision « classique » du pluralisme juridique – comme l’analyse de l’intersection entre les droits européen et autochtone (Merry 1988 : 872). Ces études ont donné naissance à une foule de théories anthropologiques sur les différentes définitions du droit et de leurs applications dans différentes sociétés.

Dans un article de 1986, Griffiths identifia l’ennemi principal de ceux qui souhaitent s’engager dans l’étude du droit et des sociétés : le centralisme juridique. En admettant cela, il avança que le centralisme juridique de l’État est un mythe et que le pluralisme juridique relève du fait (Rouland, 1988 : 71-72; Dupret, 2006 : 46-47).

Pour l’anthropologue Sally Engle Merry,

[t]he concern is to document other forms of social regulation that draw on the symbols of the law, to a greater or lesser extent, but that operate in its shadows, its parking lots, and even down the street in mediation offices. Thus, in contexts in which the dominance of a central legal system is unambiguous, this thread of argument worries about missing what else is going on; the extent to which other forms of regulation outside law constitute law. (1988 : 874)

Comme Merry, en m’appuyant sur le concept de pluralisme juridique, je souhaite montrer en quoi l’adoption à la polynésienne relève d’une forme de régulation sociale externe au droit

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officiel, qui s’observe à la fois en dehors du contexte juridique français, mais aussi en interaction avec celui-ci. L’adoption à la polynésienne est donc un bon exemple, je pense, d’un cas où, « on closer inspection, even dominant colonial legal orders failed to penetrate fully, encountered pockets of resistance, and were absorbed and co-opted » (Merry 1988 : 874).

Une fois cette idée retenue, se posent les questions suivantes : comment appelle-t-on alors ce qui relève du droit informel ? Est-ce ce qu’on peut l’appeler droit coutumier ? Ou bien, droit autochtone ? Ou encore, « Folk Law » ? Quand on s’y penche, on se rend compte des limites de la notion de « droit coutumier » et des différentes appellations que recouvre la notion. Elles relèvent d’un héritage colonial de domination et sous-tendent une vision figée des sociétés historiquement colonisées (Merry 1988 : 875-876).

Afin de dépasser ces limites théoriques, l’anthropologue Sally Falk Moore développa l’expression « champs sociaux semi-autonomes » (semi-autonomous social field) (Moore 1973; Rouland, 1988 : 70; Dupret, 2006 : 47). Le concept permet d’être attentif aux interactions entre le droit formel et informel et donc, de tenir compte de la situation coloniale. Moore écrit ainsi que le champ social semi-autonome :

(…) can generates rules and customs and symbols internally, but that… is also vulnerable to rules and decisions and other forces emanating from the larger world by which it is surrounded. The semi-autonomous social field has rule-making capacities, and the means to induce or coerce compliance; but it is simultaneously set in a larger social matrix which can, and does, affect and invade it, sometimes at the invitation of persons inside it, sometimes at its own instance. (Moore 1973 : 720)

Ainsi, l’adoption à la polynésienne est à la fois pratiquée en marge du droit puisqu’elle possède une certaine autonomie, mais elle est également parfois confrontée au Code civil français, ce qui n’est pas, on le suppose, sans l’influencer. Comme le rappelle le Tahitien Colas dans l’ouvrage de Cizeron et Hienly, « on est tous [F]rançais » (1983 : 88), citation qui évoque certaines formes de ruptures avec les traditions juridiques polynésiennes. Les frontières qui délimitaient autrefois chacun des protagonistes de la colonisation, se sont effritées et le droit du colonisateur est devenu partie intégrante de la vie des gens et de leur vision d’eux-mêmes (Goodale 2017: 62). Dans ce contexte, l’adoption à la polynésienne se trouve parfois dans une position ambiguë. Tout dépendant des cas, elle peut être gérée par

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les spécialistes de la justice, notamment dans les cas d’adoption entre Popa’ā5 et Polynésiens, mais aussi dans les cas d’adoption entre Polynésiens, d’où l’importance de saisir les différentes lignes de continuités et de ruptures des pratiques juridiques dans le contexte de la situation coloniale.

1.2.3. Continuités et ruptures des pratiques juridiques

Sally Engle Merry et Donald Brenneis, dans leur ouvrage collectif Law & Empire in the Pacific (2003), ont étudié le lien entre les legs coloniaux et le droit du point de vue des Fidji et d’Hawaii. Selon eux, l’introduction d’un nouveau système juridique construit de nouvelles conceptions de la justice et de l’organisation sociale qui sont portées par les consciences individuelles et se manifestent dans les pratiques quotidiennes (Merry et Brenneis 2003 : 19). Ainsi, des éléments de la situation coloniale persistent dans le temps et ont des effets dans le présent. Ceci recouvre en partie la définition que donnent Bayart et Bertrand du legs colonial. Pour eux, le passé a certainement quelque chose à voir avec le présent et ce rapport est singulier d’une situation coloniale à l’autre (Bayart et Bertrand 2006 : 144).

En Polynésie française, les questions de filiation et d’héritage me semblent notamment fondamentales pour comprendre ces ruptures et ces continuités. En France, les liens de parenté font l’objet de codifications très claires dans le droit français, comme on peut le remarquer en prenant les exemples des actes de mariage, des actes de décès, des certificats de naissance et des procédures d’adoption, de la législation entourant l’autorité parentale, des procédures de testament et d’héritage, etc. (Carroll 1970 : 6; Charles 1995 : 447; Demian 2004 : 99; Howell 2009 : 153; Arnaud et Fraboul 2012 : 2; Collard et Zonabend 2015 : 12). Si l’ancrage de la filiation dans le droit français impose, en théorie, la codification des liens parentaux et du coup, l’inscription de tout changement de relations de parenté, ceci entre en contradiction avec certaines pratiques ancestrales de parenté en Polynésie française.

Une attention à la persistance des formes de régulation sociales polynésiennes, et donc à leurs possibilités de subversion, forme la clé d’une meilleure compréhension du champ du droit

5 Ethnonyme tahitien qui réfère à des personnes blanches, essentiellement des Français métropolitains.

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comme mécanisme de changement social, qui selon l’anthropologue américain Mark Goodale, révèle la poésie du droit (2017: 52). Les travaux des anthropologues qui se sont penchés sur le droit en contexte colonial (Merry 1988; Niezen 2010; Goodale 2017) témoignent de cette volonté de montrer les limites et les possibilités d’application de ce champ comme institution sociale de règlement de conflit. Il s’agit donc de mettre en lumière le pluralisme des situations juridiques dans une société comme la Polynésie française en matière d’adoption à la polynésienne.

1.3. La parenté

Bien qu’il soit commode d’offrir une définition claire du concept de « parenté », une telle ambition relève d’un projet quelque peu irréalisable, du moins, du point de vue de la discipline anthropologique. Dû à son caractère changeant, les anthropologues n’arrivent pas à s’entendre sur ce qui serait au cœur de la « parenté ». En d’autres mots, chercher une définition universelle, ou même générale de la parenté, c’est donc restreindre l’étendue des possibilités d’étude de cet objet. Dans une perspective constructiviste, rappelons les propos quelque peu dérangeants de l’anthropologue britannique Rodney Needham : « [l]a parenté, ça n’existe pas » (1971 : 106-107), puisqu’il s’agit d’une construction sociale. Par contre, pour les besoins de la recherche, affirmer que la parenté n’existe pas n’est pas plus utile que d’en fournir une définition universelle. Depuis les débuts de la discipline, les anthropologues ont tenté de répondre à la question que David Schneider se posait en 1968 : « [w]hat is kinship all about ? » (Howell 2009 : 150). La réponse tend à être de nature multiple et comme nous le verrons maintenant à travers un détour historique sur ce champ de recherche en anthropologie, l’étude de la parenté a souvent été victime de biais ethnocentriques relatifs à la perception occidentale de la parenté, définie étroitement par les liens de sang. À mon sens, passer en revue les préambules théoriques et historiques de l’étude de la parenté se justifie par une volonté de souligner l’indiscutable contemporanéité de ce champ d’études dans un contexte de pluralité des mondes tel que celui où se déroule cette recherche.

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1.3.1. La parenté comme champ d’études particulier

1.3.1.1. Les édifices théoriques de l’étude classique de la « parenté »

En 1871, fondant l’anthropologie sociale, Lewis Henry Morgan publia l’ouvrage Systems of Consanguinity and Affinity of the Human Family, qui donna le véritable coup d’envoi du champ d’études de l’anthropologie de la parenté (Collard et Zonabend 2015 : 3-4). Avec Henry Sumner Maine (1861), ces anthropologues sont considérés comme les pionniers de l’étude de la parenté en anthropologie. Ils ont établi leurs recherches sur le postulat selon lequel la procréation, la filiation (et/ou la descendance) et le mariage étaient des phénomènes se trouvant au cœur de la parenté (Howell 2009 : 153). Dès le début, la « parenté » fut considérée comme l’objet d’étude par excellence de la discipline anthropologique puisqu’elle permettait un solide point de départ dans l’étude de l’Autre. Comme le constatent les anthropologues Chantale Collard et Françoise Zonabend (2015 : 4), les ethnologues et anthropologues qui suivirent Morgan et Maine, passèrent par l’étude de la parenté – c’est le cas notamment de W. H. Rivers (1910), A. L. Kroeber (1917), B. Malinowski (1922), M. Mauss (1923), C. Lévi-Strauss (1949), E. E. Evans-Pritchard (1950), A. R. Radcliffe-Brown (1952) – et doivent leur renom à leurs écrits sur la parenté. En effet, la parenté était considérée comme un phénomène social total et permettait aux anthropologues de développer des théories à partir de petits groupes (clans, tribus), situés généralement – sinon en grande majorité – hors de l’Occident.

L’anthropologie classique prit racine dans la compréhension de l’Autre dans des sociétés dites préindustrielles et visait la recherche de la tradition, la compréhension de l’ordre social et donc de la cohérence interne d’un groupe (Levine 2008). Les monographies étaient le modèle de production scientifique dont se servaient les anthropologues et dans lequel les sociétés y étaient impeccablement détaillées. L’idée était de décrire les « systems and structures, integration and stability, and groups and the relationships between groups, conceptualized in terms of paradigms of descent and alliance » (Levine 2008 : 376). Ce type de monographie fut établi à l’encontre de la perspective évolutionniste de Morgan et Maine. Les théories évolutionnistes avançaient l’idée générale qu’il existait des stades d’évolution sociale qui menaient aux sociétés civilisées, lesquelles correspondaient aux sociétés occidentales alors que les théories structuro-fonctionnalistes montraient comment

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s’articulaient des logiques internes aux cultures et sociétés. À son paroxysme, l’étude de l’anthropologie de la parenté fut enseignée dans tous les départements d’anthropologie, et les cours dispensés dans ce champ étaient prérequis dans la formation et la certification des anthropologues (Collard et Zonabend 2015). Reprenons donc quelques-unes des théories qui ont marqué l’étude de la parenté en anthropologie.

D’origine britannique, la théorie de la filiation est théorisée par Rivers en 1910. Cette théorie place la filiation au cœur de la parenté, puisque c’est ce qui permet de transmettre ou d’attribuer la qualité de « membre » à une personne (Coppet 1989 : 1). La théorie de la filiation différencie « filiation » et « descendance ». La première relève d’une transmission d’ordre juridique et la seconde, d’une transmission d’ordre biologique. Cette distinction permet d’élargir les possibilités de phénomènes de parenté, pour y ajouter les mariages par exemple (Collard et Zonabend 2015 : 11). D’autres anthropologues comme Leach (1954), Radcliffe-Brown (1952) et Fortes (1949, 1953, 1969) ont par la suite raffiné cette théorie de la parenté en y ajoutant des précisions, notamment relatives aux types de transmission du statut social, de la citoyenneté, de l’héritage (foncier et mobilier), de charges, de privilèges, etc. (Collard et Zonabend 2015 : 11; Coppet 1989 : 1). Essentiellement, « [c]ette théorie met le couple conjugal nucléaire dans la famille et l’ancêtre filial dans la généalogie au centre des systèmes de parenté : c’est dans cette unité de base que s’incarnent véritablement les relations de consanguinité, donc de filiation » (Collard et Zonabend 2015 : 42). On peut constater que dans cette théorie, la définition de la parenté s’accompagne des dimensions juridique et biologique.

Claude Lévi-Strauss fut le père du structuralisme français et un des théoriciens du 20e siècle le plus prolifique. Se positionnant dans la lignée de Durkheim, et s’inspirant des travaux de Mauss, Lévi-Strauss publia en 1949 Les structures élémentaires de la parenté, et en 1958, Anthropologie structurale, dans lesquels il présente ses analyses de la parenté, appuyées sur le concept de réciprocité. Son modèle situe l’échange réciproque de femmes au cœur de la parenté (Erickson et Murphy 2013 : 82). Contrairement à la théorie de la filiation qui place le couple au centre de la parenté, la théorie de l’alliance place la réciprocité entre plusieurs groupes comme élément constitutif de la parenté. Au fondement de cette réciprocité se trouve la prohibition de l’inceste, qui « est la condition première de l’émergence des rapports de

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parenté et celle de la survenue de l’humanité sociale » (Collard et Zonabend 2015 : 43). Ce principe d’échange des femmes hors de son groupe d’origine est aussi connu sous le terme d’exogamie. On peut retracer ici l’édifice théorique de Marcel Mauss (1923), c’est-à-dire « la nécessité de l’échange de personnes contre d’autres personnes, tout échange impliquant réciprocité, comme tout don demandant un contre-don » (Collard et Zonabend 2015 : 43- 44).

Des théories évolutionnistes aux théories structuro-fonctionnalistes, l’objet d’étude « parenté » fut extrêmement important dans l’institutionnalisation de la discipline anthropologique. Les anthropologues ont pu développer des théories sociales, des méthodologies propres à l’anthropologie et ainsi, assoir les assises de la discipline. L’anthropologie culturelle telle qu’abordée par David Schneider permit d’apporter quelques bémols aux théories structuro-fonctionnalistes relatives à l’étude de la parenté.

1.3.1.2. Quelques critiques de l’étude de la parenté en anthropologie

Autour des années 1960 nait toute une série de critiques de l’anthropologie de la parenté, alimentée notamment par les réflexions des théories sur la science (Kuhn 1962; Latour 1979), des théories féministes (Rosaldo 1974; Ortner 1974; Friedl 1975; MacCormack et Strathern 1980; Ortner et Whitehead 1981), des théories du genre (Scott 1986; Butler 1990), des théories sur le colonialisme (Balandier 1951; Memmi 1957; Saïd 1978; Appadurai 1996) et des théories sur la modernité (Latour 1991). Les critiques générales à l’égard de ce champ avancent que l’objet « parenté » est pensé de façon figée; qu’une modélisation de la parenté nuit à la compréhension du dynamisme de la réalité des individus et des collectivités; puis, qu’une application ethnocentrique et androcentrique du dualisme nature/culture serait au cœur de la production scientifique qui est, du coup, biaisée.

David Schneider est un anthropologue américain reconnu comme l’une des figures de proue de l’anthropologie culturelle et de l’anthropologie symbolique. Dans son livre American Kinship : A Cultural Account (1968), il montra que pour les Américains, ce qui est au fondement de la parenté est le lien de sang, en d’autres mots, le lien biologique (Howell 2009 : 150). S’opposant aux travaux des anthropologues de tradition structuro- fonctionnaliste et en s’appuyant sur une analyse culturelle, il montra en quoi les recherches

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de ses collègues contenaient des biais ethnocentriques relatifs aux liens de sang (Collier et Yanagisako 1987 : 30). Selon lui, ce lien n’était que « a figment of the anthropological imagination and an artifact of a bad theory and […] comparative studies of kinship had to be based on “some other, firm ground, or abandoned” » (Levine 2008 : 376).

Non seulement Schneider est reconnu pour avoir décelé certains biais ethnocentriques des recherches anthropologiques sur la parenté, mais aussi pour avoir réorienté le regard des fonctions, des structures sociales, des règles et des types de sociétés, vers l’étude de la culture, des significations, et plus précisément, d’une compréhension de ce que les « relations » entre « parents » représentaient pour les personnes concernées (Levine 2008 : 376). Dans le cas des Américains, Schneider fut en mesure de comprendre qu’au fondement de la parenté, on retrouve d’une part la procréation (le lien biologique ou partage de substance) et, d’autre part, la codification de ce lien biologique à travers le droit : « kinship [was] part of two more general categories of American culture: the “order of nature” and the “order of law” (Levine 2008 : 376). L’ordre du droit représente le processus culturel par lequel les humains se distinguent de la nature : « it is the order of law, that is, culture which resolves contradictions between man and nature, which are contradictions within nature itself » (Schneider 1968 : 109, dans Strathern 1992: 206).

En 1984, Schneider publia le livre A Critique of the Study of Kinship, dans lequel il retrace l’histoire de l’étude de la parenté en anthropologie. Il raffina sa critique en avançant que « we assume that of all the activities in which people participate, the ones that create human offspring are heterosexual intercourse, pregnancy, and parturition. Together these constitute the biological process upon which we presume culture builds such social relationships as marriage, filiation, and coparenthood » (Collier et Yanagisako 1987: 30), ce qui offrit aux anthropologues féministes matière à réflexion.

Les théories des anthropologues féministes ont travaillé à montrer en quoi l’étude de la parenté telle que proposée par les théories structuro-fonctionnalistes laissait de côté le sort des femmes, en les reléguant d’emblée à la sphère du privé, au maternage et au mariage. La critique qui semble prendre le plus d’importance est celle qui propose de remettre en question les fondements biologiques des sexes mâles et femelles. En faisant cela, il est possible de déconstruire les rôles sociaux qui sont attribués à chacun des sexes et ainsi, de mieux

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comprendre l’organisation sociale des sociétés (Collier et Yanagisako 1987 : 49). Les théoriciennes des années 1970 ont notamment montré qu’il était difficile de séparer l’étude de la parenté de l’étude du genre en montrant leurs liens intrinsèques : « [b]oth gender and kinship studies, we suggest, have foundered on the unquestioned assumption that the biologically given difference in the roles of men and women in sexual reproduction lies at the core of the cultural organization of gender, even as it constitutes the genealogical grid at the core of kinship studies » (Collier et Yanagisako 1987 : 49).

Ces apports au champ d’études de la parenté ont permis aux anthropologues de développer de nouvelles approches théoriques et empiriques dans le but de rendre compte des phénomènes de parenté contemporains. C’est à ceux-ci que nous nous attarderons maintenant.

1.3.2. Nouveaux regards : discussion autour des concepts de « relatedness » et de « kinning »

C’est dans les années 1990 que refait surface avec vigueur la thématique de la parenté, marquée par des auteurs comme Marshall Sahlins (1985, 2013) aux États-Unis, Marilyn Strathern (1992) et Janet Carsten (2000, 2004) en Grande-Bretagne, ainsi que Françoise Héritier (1994) et Maurice Godelier (2004) en France (Collard et Zonabend 2015 : 4). Les anthropologues qui s’intéressent désormais à la parenté étudient les impacts de la globalisation et du développement économique mondial, en rapport avec la fluidité et la contingence des rapports de parenté dans une perspective historique. Au lieu de parler en termes de systèmes et de structures, les anthropologues s’intéressent aux processus et aux pratiques. Le terme « parenté » est alors repensé en fonction des phénomènes d’apparentement qui ont alors cours. Ceci est particulièrement significatif pour ce mémoire : il me semble important de comprendre comment, concrètement, les Polynésiens sont en relation, pour mieux saisir les enjeux pratiques que pose l’adoption fa’a’amu dans le contexte de la Polynésie et de la République française.

L’étude de la parenté nécessite l’examen de ce qui « apparente », de ce qui « affilie », de ce qui « crée » ou encore, de ce qui « relie ». L’anthropologue Janet Carsten (2000) propose le concept de « relatedness », traduit en français par « apparentement », pour remplacer celui

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de « parenté ». Selon elle, ce concept ouvre de nouvelles avenues de compréhension des phénomènes reliés à l’étude de la parenté. On peut lire dans son ouvrage:

[t]he authors in this volume [Cultures of Relatedness. New Approaches to the Study of Kinship] use the term « relatedness » in opposition to, or alongside, « kinship » in order to signal an openness to indigenous idioms of being related rather than reliance on pre-given definitions or previous versions. In this introduction, I have also used « relatedness » in a more specific way in order to suspend a particular set of assumptions about what is entailed by the terms social and biological. I use « relatedness » to convey, however unsatisfactorily, a move away from pre-given analytic opposition between the biological and the social on which much anthropological study of kinship has rested. (2000: 4-5)

Le terme « relatedness » est particulièrement porteur puisqu’il permet d’ouvrir le champ de nouvelles possibilités de recherche en s’attardant aux « relations » significatives d’apparentement dans des contextes particuliers. Historiquement, les études de la parenté en anthropologie ont véhiculé le dualisme nature/culture, ce qui implique un certain nombre de biais, notamment par l’association de la procréation à la parenté. Le concept permet ainsi de sortir de ce dualisme, car les relations d’apparentement ne soutiennent pas que l’un ou l’autre en soit le fondement, mais tente plutôt de comprendre ce qui relie les individus ensemble (Carsten 2000 : 5).

Par ailleurs, l’anthropologue Signe Howell propose le terme « kinning », qui peut se traduire par « familisation » (Collard et Zonabend 2015 : 77). Il s’agit alors de souligner les processus d’assimilation ou de substitution de parenté, comme dans le cas des pratiques d’adoption. Toujours dans l’effort de réfléchir à ce qui relie les gens entre eux, la familisation renvoie aux processus de création de relations parentales :

[t]he circle of kin spreads outwards from parents and children to other relatives, and kinship is created and reinforced through family events, ritual occasions, visits and the construction of a common family history. This is the case for all children, although the position of adopted children in the wider family may be more tenuous than birth children, and require greater ‘kinning’ effort. (Bowie 2004 : 11)

On peut comprendre que ce qui relie, ce qui apparente, ce qui affilie relève de processus divers. Comprendre ces relations m’a également amenée à vouloir saisir pourquoi, dans certaines situations, les Polynésiens font appel au droit pour gérer l’adoption à la polynésienne, alors que dans d’autres situations, ils n’y ont pas recours. Se posent alors les questions suivantes : Que représente cette pratique pour les Polynésiens d’aujourd’hui ? À quels défis font-ils face ? Pourquoi font-ils appel au tribunal pour régler les questions de

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filiation ? Dans le cas contraire, pourquoi ? Bref, je cherche à comprendre comment la pratique d’adoption à la polynésienne est vécue et négociée par les Polynésiens, ce qui implique, par ricochet, d’être attentive également aux perspectives et aux actions des spécialistes qui travaillent auprès d’enfants fa’a’amu.

1.3.3. L’adoption comme phénomène d’apparentement et de familisation

La question de l’adoption est une entrée qui me semble intéressante pour discuter des enjeux relatifs à la parenté, comme le dualisme nature/culture, le rapport au droit, la pertinence des nouveaux concepts comme « relatedness » ou « kinning », qui mènent vers une compréhension de ce qui est au cœur de la parenté polynésienne et donc, de la façon dont les Polynésiens sont en relation. Comme le fait remarquer Howell : « [adoption] raises theoretical and analytical questions about the meaning and role of kinship. […] As a social practice, adoption goes to the heart of kinship » (2009 : 150). Bien qu’encore une fois, aucune définition ne fasse consensus parmi les chercheurs qui travaillent sur l’adoption, il convient tout de même d’en tracer les pourtours. Howell définit l’adoption comme la « practice whereby children, for a variety of reasons, are raised by adults other than their biological parents, are treated as members of the family among whom they live, and are accepted as such by others » (2009: 150).

Dans les sociétés occidentales, l’adoption apparaît à l’époque du système athénien qui permettait aux hommes sans fils légitime (excluant les « bâtards ») d’adopter un fils afin de pallier aux enjeux relatifs à l’héritage (Fine 2000 : 23). Dans la société française du début du 19e siècle, c’est encore l’idée de fournir un descendant à une lignée sans héritier légitime qui prévaut, à condition d’être âgé de plus de 50 ans (c’est-à-dire ne plus être en âge de procréer), afin de ne pas concurrencer les mariages légitimes (Fine 2000 : 23). Au siècle suivant, l’année 1923 marque l’entrée dans la loi de la pratique d’adoption comme on la connait aujourd’hui, c’est-à-dire la possibilité d’offrir une famille à des enfants qui n’en ont pas, causée notamment par la fin de la Première Guerre mondiale qui fit exploser le nombre d’enfants orphelins, mais aussi le nombre de couples ayant perdu leurs enfants. Comme le précise Fine, l’idée est d’offrir « une famille à des enfants qui n’en ont plus ». Telle est la nouvelle finalité de l’adoption, mais dans les faits, le succès de la loi montre qu’elle correspondait à un besoin ou tout au moins à une attente de parents sans enfants (Fine 2000 : 26). Aujourd’hui, Collard

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et Zonabend précisent que « [l]’adoption est le moyen le plus répandu pour se procurer des descendants conçus par d’autres. Or, un enfant adopté de façon plénière, en France, est considéré comme le consanguin de ses parents et de ses frères et sœurs adoptifs : il porte le même nom de famille, a droit à la même part d’héritage et doit respecter envers eux les mêmes interdits matrimoniaux et incestueux » (2015 : 12).

L’adoption, en Occident, est donc une pratique qui s’est forgée dans la loi et qui implique le transfert complet des droits parentaux des parents biologiques aux parents sociaux qui sont ainsi reconnus « comme » les parents biologiques de l’enfant (Bowie 2004 : 5). Il est en effet considéré dans l’intérêt de l’enfant d’être élevé dans sa famille biologique (Levy 1973 : 483; HCCH 1993). Si l’enfant doit être placé en adoption, c’est que les parents biologiques ont failli à la tâche de subvenir aux besoins de l’enfant et, comme l’anthropologue québécoise Teresa Sheriff (2000 : 96) le montre dans son article sur la conception du bien-être de l’enfant au Québec, si les parents ne s’occupent pas de l’enfant, cette situation est conçue comme un abandon et l’enfant est alors placé en adoption. Non seulement l’adoption est perçue comme le dernier recours pour des parents en carence d’enfants, mais les parents qui donnent leurs enfants sont très mal vus. C’est pourquoi la question de l’anonymat des donneurs d’enfants est si précieuse dans les sociétés occidentales.

Concernant l’anonymat des parents biologiques, l’adoption efface complètement la filiation biologique pour la replacer par la filiation juridique des parents adoptants. Comme le rappelle Robert Levy en citant l’Organisation mondiale de la santé : « [t]he object in adoption is to establish between the adopting parents and the child relationships which coincide as nearly as possible with those between parents and natural children » (World Health Organization 1953 : 4, dans Levy 1973 : 484). Pourtant, comme le montre Demian dans ses travaux, les changements qu’opère l’adoption ont des implications très importantes et concrètes qui vont souvent à l’encontre de présupposés et de croyances fermement ancrées chez les personnes concernées et leur entourage :

[i]n adoption, a child is moved from a birthmother to a social mother, who will become, and be recorded ‘as if begetter.’ The paradoxes entailed in thoroughly resting a contracted upon a blood bond, a legal upon a biological relationship, and ‘culture’ upon ‘nature’ are not academic for those whose actions the paradoxes frame – the person who raises as ‘one’s own’ a child who is a stranger, the parent who forgets the child who is ‘flesh and blood,’ and the individual who

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constructs an identity out of having been chosen instead of born. (Modell 1994: 5–6; cité dans Demian 2004 : 99)

En 1989, est adoptée à l’ONU la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), qui reconnait des droits spécifiques aux enfants et qui s’engage à les protéger, en faisant appel au concept « d’intérêt supérieur de l’enfant ». Par la suite, en 1993, est adoptée la Convention de la Haye ou Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Ces deux conventions internationales forcent la mise en place de procédures bien définies relatives à l’adoption internationale, dans le but de protéger le bien- être des enfants.

Malgré le cadre législatif de l’adoption internationale, celle-ci soulève tout de même plusieurs enjeux. D’une part, ce type de déplacement humain s’effectue généralement du sud vers le nord, ce qui pose des questions relatives aux relations de nations à nations (Volkman 2005 : 2; Howell 2009 : 161). Par ailleurs, les enfants diffèrent visiblement de leurs parents, ce qui les confronte au fait d’être associés à des immigrants dans leur propre pays (Howell 2009 : 160). Collard et Zonabend expliquent que dans ce type d’adoption se cache un double standard (2015 : 100). Les parents qui adoptent un enfant – qui visiblement n’est pas le leur – se trouvent à la fois dans une relation sociale face à l’enfant et dans une relation « naturaliste », qui conçoit le processus juridique d’adoption « comme » une véritable grossesse. Howell utilise le terme « transsubstantiation » – qui se distingue du terme « kinning » – « pour décrire ces processus qui, quoi qu’on fasse, ne transforment pas totalement l’enfant : dans le même temps où il s’adapte à son nouveau pays, à ses coutumes, son apparence, son corps, lui, reste inchangé » (Collard et Zonabend 2015 : 100-101). Ce concept renvoie aux processus d’assimilation et d’intégration que les parents adoptifs peuvent mettre en place pour rendre comme « soi », mais qui n’aboutiront jamais complètement. Les recherches menées sur l’adoption internationale ont montré qu’elle soulève des enjeux d’ordres ethniques, culturels, économiques, nationaux, d’abandon, de genre, de migration, de « racines » et surtout d’identité (Volkman 2005 : Dorow 2006; Howell 2009; Collard et Zonabend 2015).

Toutefois, ces enjeux pourraient être résolus en partie en ne recourant pas au principe d’adoption plénière, lequel coupe le lien avec la famille biologique puisque l’adoption

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plénière crée un lien de filiation substitutif, en vertu d’ouvrir l’étendue des possibilités de relations entre les deux familles (Howell 2009 : 160). Le recours à l’adoption simple, qui implique un transfert complet des droits parentaux aux parents adoptifs, tout en conservant la filiation biologique – pourrait être une avenue intéressante. Dans ce cas, l’adoption consiste en l’ajout d’une filiation, et non au remplacement d’une filiation par une autre. Pourtant, cette idée de partage et d’ouverture des droits parentaux est contraire à la conception occidentale de la parenté et n’est pas acceptée au sein de la communauté internationale. D’autres sociétés où des formes de circulations d’enfants sont répandues nous prouvent cependant que l’addition de filiation est possible, comme dans le cas de l’adoption à la polynésienne.

Les sociétés océaniennes ont permis aux chercheurs de présenter des définitions du concept d’« adoption » particulièrement intéressantes, car ces sociétés avaient, et pratiquent toujours, la circulation d’enfants au sein des communautés. En Océanie, l’adoption coutumière est définie par Carroll comme : « any customary and optional procedure for taking as one’s own a child of other parents » (1970 : 3). Pour sa part, Brady parle de l’adoption coutumière en termes de transaction de parenté qui relève des transferts de droits et d’obligations parentales : « [a]doption is any positive and formal transaction in kinship, other than birth or marriage, that creates new or revises existing kinship bonds to bring them into accordance with any other kinship identity set customarily occupied by two or more persons in that society » (Brady 1976 : 10). Dans l’introduction de son ouvrage, Brady propose d’étudier l’adoption à l’aide d’un continuum, qui permet d’outrepasser des définitions trop rigides, tout en utilisant un langage commun (voir l’annexe I). Ainsi, le continuum s’étend de l’adoption plénière jusqu’au fosterage – qui relève de la garde d’un enfant pour une durée déterminée et où il n’est pas attendu que l’enfant aide en retour (Dickerson-Putman 2008 : 100) –, se basant sur trois caractéristiques : la durabilité de la garde de l’enfant; la formalité de l’adoption; et l’exclusivité juridique des droits parentaux (Brady 1976 : 16).

1.4. Conclusion du chapitre

Les écrits sur la situation coloniale (Balandier 1951; Memmi 1957; Bayart et Bertrand 2006), ceux sur l’étude du droit (Moore 1973; Merry 1988) ainsi que ceux sur la parenté (Cartsen 2000; Howell 2009) forment la théorisation « bricolée » de ce mémoire. Cette théorisation

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est à appliquer dans le contexte historique, social et culturel de la Polynésie française. Attardons-nous maintenant aux particularités de la situation coloniale et à ses effets sur la parenté polynésienne, plus particulièrement sur l’adoption.

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Chapitre 2 – Contexte historique, politique et social de la Polynésie française

2.1. La colonisation française du Royaume des Pomare

Samuel Wallis et l’équipage du Dolphin, suivis quelques mois plus tard par Louis-Antoine de Bougainville et l’équipage de La Boudeuse, furent les premiers Européens à aborder les côtes de Tahiti en 1767. Les premiers missionnaires protestants de la London Missionary Society arrivèrent à Tahiti trente ans plus tard, en 1797. Déjà en 1819 fut instauré, dans le royaume du chef Pomare II, un premier code de lois que l’on nomma le Code Pomare (Bouge 1952). Guidé et conçu par des missionnaires anglais et protestants, avec l’appui stratégique du roi Pomare II, ce code donna naissance à de nouveaux concepts et règles6. Ceux-ci ne rendaient qu’imparfaitement compte des habitudes et pratiques des habitants des îles : « le but était de modifier au plus tôt les mœurs indigènes considérées comme immorales et, cela, dans un sens favorable à la religion nouvellement introduite » (Bouge 1952 : 7).

En 1842, une grande partie du territoire qui correspond aujourd’hui à la Polynésie française est mise sous protectorat par l’amiral Aubel Aubert Du Petit-Thouars. Il avait réussi à convaincre la chef polynésienne Pomare IV de partager son pouvoir et son royaume avec la France, contrairement aux habitants des îles Marquises annexées dès 1842. Les îles ainsi mises sous protectorat regroupent les Îles du Vent (Tahiti et Mo’orea), l’archipel des Tuamotu et les îles de Tubuai et Raivavae, dans l’archipel des Australes.

Le Code civil français fut introduit dans une partie du territoire à partir de 1860 (Gagné 2016 : 8). En 1880 – date du début officiel de la colonisation française de ce territoire (voir la carte des Établissements français de l’Océanie (ÉFO) en 1884 en annexe II) –, lorsque la France

6 Voici ses principales rubriques : « 1. De ceux qui tuent les personnes; 2. Du vol; 3. Des porcs; 4. Des objets volés; 5. Des objets trouvés; 6. Des échanges (dans le sens commercial) ; 7. De l’inobservance du Dimanche; 8. Des fauteurs de troubles (dans le sens le plus large) ; 9. De deux femmes pour un homme; 10. De la femme légère et de l'homme léger (c’est-à-dire de l'adultère) ; 12. De l’abandon du mari et de l’abandon de l’épouse; 13. De celui qui ne donne pas à manger à sa femme; 14. Du mariage; 15. Du mensonge; 16. Des juges; 17. Des jugements; 18. Des maisons de justice; 19. Des lois en général » (Bouge 1952 : 8).

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annexa finalement le royaume du chef Pomare V, elle offrit la citoyenneté à tous les indigènes y résidant (Gagné 2016 : 8). Les autres îles connurent un sort différent. Annexées au fil du temps, les habitants des archipels des Marquises et des Gambiers, des îles Sous-le-Vent dans l’archipel de la Société et de l’archipel des Australes seront, pour leur part, « sujets » jusqu’en 1945 (Gagné 2016 : 8). Concrètement, « les citoyens sont soumis au Code civil, tandis que les sujets ressortent d’un “statut personnel” plus ou moins codifié selon le cas : “Code mangarévien” aux Gambiers (aboli en 1887), “tribunaux indigènes” aux îles Sous-le-Vent et à Rapa et Rimatara (Australes) » (Trémon 2013 : 30). Très tôt, la société polynésienne fut « travaillée » par l’imposition des codes de lois et le mode de pensée français sous-jacent : « [t]he rules and categories of law penetrate every level of society, effect vertical as well as horizontal definitions of men’s rights and status, and contribute to men’s self-definition or sense of identity » (Thompson 1977 : 264-265; 266-267, dans Goodale 2017 : 138).

Tableau 1. Annexion, protectorat et citoyenneté – Tahiti et Rurutu

Îles Protectorat Annexion Citoyenneté

Tahiti 1842 1880 1880

Rurutu 1889 1900 1945

À la suite de la conférence de Brazzaville (1944), organisée par le Comité français de la Libération nationale (CFLN) dans le but de déterminer le rôle et l’avenir de l’Empire colonial français, tous les habitants des ÉFO (sauf les communautés chinoises) se virent en effet attribuer le statut de citoyen français, et un an plus tard, le droit d’élire leur député (Toullelan 1991 : 90). Le 23 octobre 1949, Pouvanaa a Oopa fut le premier Tahitien élu député avec une majorité écrasante à la tête du RDPT (Rassemblement des populations tahitiennes) (Villierme 2012). En 1957, les ÉFO devinrent l’actuelle Polynésie française (voir l’annexe III) (Toullelan 1991 : 8-9).

Le 1er juin 1958, le Général de Gaulle fut réélu président de la France et proposa une nouvelle constitution. Partout dans les colonies françaises, la question de l’indépendance se posa et les habitants des territoires d’outre-mer furent appelés à se prononcer par référendum sur leur

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acceptation de la Ve République : « ce référendum signifia pour les territoires d’outre-mer, et pour eux seuls, soit de se maintenir dans la République en approuvant la Constitution, soit de s’émanciper en la rejetant » (Al Wardi, 2010 : 141-142). Le 28 septembre 1958, en Polynésie française, c’est le « oui » – le maintien de la Polynésie dans la France – qui l’emporta, avec 64,4% des voix (voir l’annexe IV), malgré la mobilisation en faveur du « non » du mouvement nationaliste dirigé par Pouvanaa a Oopa (Villierme 2012).

À la faveur d’un mouvement allant dans le sens d’un accroissement des compétences de la Polynésie française, le territoire se voit octroyer un premier statut d’autonomie de gestion en 1977, lequel permet une certaine décentralisation aux plans administratifs et financiers et l’établissement de partenariats entre le territoire et l’État pour ce qui est de la gestion de projets locaux. En 1984, il se voit accorder le statut d’autonomie interne : « [l]e territoire conserve ces compétences de droit commun mais en plus un élu local exerce les fonctions de chef de l’exécutif » (Service de la culture et du patrimoine 2010). Ce statut lui permet aussi de se doter d’un hymne, d’un drapeau, d’un sceau, de titres et de décorations (Al Wardi 2010). En 2003, la Polynésie française obtiendra le statut de Collectivité d’Outre-Mer (COM) (Gagné 2016 : 10-11). Depuis 2004, elle porte le statut de « Pays d’outre-mer » qui lui confère, en vertu de l’article 74 de la Constitution, une large autonomie politique (Guyon et Trépied 2014 : 105). La Polynésie française est dirigée par un « président », et son assemblée vote des « lois du pays ». La langue tahitienne, depuis le 27 février 2004, est inscrite comme faisant partie intégrante de l’identité culturelle tahitienne (Guyon et Trépied 2014 : 105).

Toutefois, comme le souligne Saura (2015), l’histoire coloniale particulière de la Polynésie française fait en sorte que la supposée « autonomie » du pays d’outre-mer français, gagnée avec le temps, est en fait illusoire à plusieurs égards. Comme l’historien Jean-Marc Regnault le fait remarquer, « la décolonisation est “une histoire sans fin”. C’est particulièrement vrai pour ce qui reste de l’empire français. Qui pourrait nier que les structures économiques ne sont nullement débarrassées de l’héritage historique, que ce soit une économie de garnison, une économie de comptoir ou – souvent en même temps – une économie soutenue à coup de subventions et tout à fait artificielle, bref “une économie sous serre”? » (2013 : 212).

La scène politique locale en Polynésie française est marquée par une opposition entre ceux qui soutiennent le parti indépendantiste Tavini Huira’atira créé par Oscar Temaru, qui

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souhaite l’indépendance de la Polynésie, et ceux qui soutiennent plutôt l’autonomie de la Polynésie à l’intérieur de la France, soit en appuyant le Tahoera’a Huira’atira, parti autonomiste créé par Gaston Flosse ou un autre parti autonomiste. Dès 1996, Flosse, chef de l’exécutif du gouvernement polynésien et grand ami de Jacques Chirac, mit sous « verrous » la société polynésienne du à son autoritarisme et à son clientélisme (Al Wardi 2008). Toutefois, en 2004, Flosse fut battu par le parti indépendantiste. À partir de ce moment, l’alternance entre ces deux partis donna lieu à beaucoup d’instabilité politique, ce qui aboutit à une « gouvernance peu efficace » (Al Wardi 2008). À la faveur d’une réforme électorale, la scène politique de Polynésie française est aujourd’hui marquée par la stabilité. Le parti autonomiste Tapura Huira’atira (Liste du peuple) présidé par Édouard Fritch est au pouvoir depuis 2014.

Le 17 mai 2013, l’Organisation des Nations unies (ONU) réinscrivait la Polynésie française sur sa liste de territoire à décoloniser. En effet, la Polynésie française a ceci de particulier qu’elle est un territoire qui abrite d’« anciens “indigènes” colonisés restés sous souveraineté française à l’issue de la vague des indépendances des années 1960 et jusqu’à aujourd’hui » (Guyon et Trépied 2014 : 94). Se situant à 18 000 km de la France, elle est intrinsèquement périphérique à celle-ci (Trépied et Guyon 2013 : 4). Même si les impacts à courts et moyens termes de cette réinscription ne sont pas encore apparus, sa portée symbolique est pourtant immense (Regnault 2013 : 224).

2.2. Imposition de nouvelles normes concernant les terres : Tahiti et Rurutu

Le domaine du foncier7 en Polynésie française est un enjeu majeur pour les Polynésiens. La colonisation et l’imposition de nouvelles normes concernant les terres par la France est une histoire qu’il faut démêler ne serait-ce que pour comprendre les enjeux liés à la famille aujourd’hui. En effet, nous le verrons plus loin, la parenté est intrinsèquement liée à la terre.

7 Utilisé comme substantif, le terme foncier désigne « l’ensemble particulier des rapports sociaux ayant pour support la terre ou l’espace territorial » (Bambridge 2009 : 15).

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Rappelons donc les événements marquants de cette histoire afin d’en comprendre les ramifications dans le présent.

Historiquement, dans le triangle polynésien (voir l’annexe V), il est généralement accepté que deux unités sociales avaient une grande importance dans l’organisation sociale : les « districts » et les congrégations de parenté (Bambridge 2009 : 36). Pour les îles de la Société, incluant Tahiti, chaque congrégation de parenté se référait à un marae8 qui octroyait certaines portions de terre à « quiconque était accepté par le chef de groupement associé au marae tupuna [plate-forme cérémonielle relative à un ancêtre familial], soit par la descendance d’un des membres, soit par l’adoption (faaàmu), pouvait jouir de droits d’usage de la terre sur les territoires associés au marae tupuna » (Bambridge 2009 : 37). Pour les îles de la Société, la résidence d’un couple lors d’un mariage s’établissait soit sur la terre de la famille de l’homme, soit sur celle de la femme. Une fois établi sur un lieu de résidence familiale, le droit d’usage des terres était exclusif au lieu de résidence de l’individu (Bambridge 2009 : 38-39).

En 1842, lors de l’application du protectorat français aux îles de la Société, la question foncière se posa avec vigueur. En effet, si c’est l’Assemblée législative tahitienne qui introduisit une partie du droit civil français, elle le fit avec l’encouragement des Français qui désiraient développer le domaine de l’agriculture. « L’annexion viendra accélérer le mouvement des transpositions du droit métropolitain, au travers notamment de la procédure d’enregistrement des terres. Elle se traduit dans un premier temps par une prise de possession de tout le territoire de la colonie » (Bambridge et Neuffer 2002 : 310). Dans un deuxième temps, l’administration coloniale a rétrocédé les terres revendiquées par les « indigènes » et chaque « revendiquant officiellement reconnu propriétaire pouvait se faire délivrer un titre de propriété (tomite, de 1’anglais commitee). Pour revendiquer une terre, une personne devait se munir de son nom enregistré à l’état civil, du nom et de la localisation de la parcelle et des parcelles limitrophes. La revendication devait être réalisée devant le conseil de district. Elle

8 Marae est le nom commun tahitien pour désigner une « plate-forme construite en pierres sèches et où se déroulait le culte ancien, associé souvent à des cérémonies à caractère social ou politique » (Académie tahitienne 2017).

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devenait définitive si aucune opposition n’avait été formulée dans un délai de trois mois »9 (Bambridge et Neuffer 2002 : 310). Les terres qui ne firent pas l’objet de déclaration de propriété sont restées dans le domaine colonial ou ont constitué le domaine des districts (Bambridge et Neuffer 2002 : 310).

Dans l’archipel des Australes, pour l’île de Rurutu, les sources sont moins précises que celles concernant les îles de la Société. Concernant l’importance des congrégations de parenté, avant les contacts avec les Européens, on parle soit de ‘ōpū10 comme fondement de l’unité sociale, ou encore de clans qui pouvaient revendiquer des droits sur une terre. Comme le précise Bambridge, « compte tenu du fait mentionné par Stokes que les personnes héritent en ligne indifférenciée, il n’est pas impossible à Rurutu qu’une même personne puisse revendiquer des terres en fonction de sa filiation dans plusieurs des “clans” présents sur l’île. Il est toutefois peu probable […] qu’une personne puisse exercer ses droits d’usage sur une terre si elle n’y réside pas » (2009 : 39). Pour l’île de Rurutu, le protectorat et l’annexion n’ont pas entraîné l’enregistrement des terres comme ce futle cas pour les territoires de l’ancien royaume Pomare. Le pasteur Bishop a effectué le cadastre de l’île en 1957 et jusqu’à aujourd’hui, « aucune loi foncière n’a organisé la propriété à Rurutu » (Bambridge 2009 : 98).

2.3. La période des essais nucléaires en Polynésie française et les transformations du paysage social polynésien

Du début du 20e siècle aux années 1960, l’économie de la Polynésie française était basée principalement sur l’exportation de phosphate. En effet, en 1904 est trouvé, sur l’atoll de Makatea (2 400 hectares, 7,5 km de large et 3 km de long), le phosphate qui permettra d’extraire 11,2 millions de tonnes de minerai par l’installation « en 1911 de la plus grosse compagnie qu’ait jamais connue les ÉFO, la Compagnie française des phosphates de

9 Bambridge et Neuffer précisent que : « Dans le cas inverse, le conseil de district était souverain pour juger des litiges, ce qu’il fit sur la base de preuves généalogiques. Le décret du 24 aout 1887 établissait également le principe selon lequel, passé un certain délai, toutes les revendications futures et toutes les oppositions seraient jugées selon les procédures du Code civil » (2002 : 310). 10 Le nom commun tahitien ‘ōpū réfère au ventre ; dans le cas de l’organisation familiale, il fait référence à ceux qui viennent du même ventre (Académie tahitienne 2017).

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l’Océanie » (CFPO) (Toullelan 1991 : 86). Si, jusqu’en 1966, l’activité économique de cette compagnie est non négligeable et ébranle les activités traditionnelles de subsistance d’une partie de la population au profit d’un salariat qui s’urbanise progressivement (Toullelan 1991 : 103), c’est pourtant l’implantation du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) qui apportera les changements économiques, sociaux et culturels les plus significatifs.

C’est sous la présidence du Général Charles de Gaulle – connu aussi comme étant le « parrain » des essais nucléaires (Danielsson 1988 : 264) –, que la France se lança dans l’industrie du nucléaire. Commença donc en 1962 l’installation du CEP sur l’atoll de Hao, la base avancée, ainsi qu’à Tahiti, la base arrière des expérimentations. Le 2 juillet 1966 fut effectué le premier tir – nommé Aldébaran – sur l’atoll de Moruroa. Au cours des huit premières années des tirs nucléaires, soit de 1966 à 1974, 46 essais atmosphériques furent effectués. Des années 1974 à 1996, 147 essais nucléaires sous-terrain furent réalisés. Au total, 193 tirs furent effectués sur les atolls de Moruroa et de Fangataufa de 1966 à 1996.

En 1992, les essais nucléaires ont été suspendus. Juste après avoir remporté les élections de 1995, Jacques Chirac – qui se clamait le successeur du Général de Gaulle – annonça le 5 septembre une dernière série de six essais (sans consulter la Polynésie française), ce qui déclencha la fureur du peuple polynésien. En effet, le 5 septembre 1995, une émeute est déclenchée dans la capitale de Tahiti, Pape’ete (Regnault 2005 : 350), ce qui ne fera toutefois pas bouger l’État sur la question : les tirs allaient arrêter en 1996. À la fin des essais nucléaires, c’est Gaston Flosse qui signa les trois protocoles à Suva (Regnault 2005 : 351). La fin des impératifs nucléaires amena la Polynésie française à se repenser économiquement, sanitairement et socialement.

L’implantation du CEP en Polynésie française a entraîné un bouleversement social et économique majeur (Al Wardi 2008 : 101). En l’espace de vingt ans, le territoire est passé d’une économie préindustrielle, équilibrant ses importations de produits manufacturés par ses exportations de produits de base (huile de coprah, nacre, phosphate, vanille, café), à une économie postindustrielle. Du coup, le secteur économique primaire de la Polynésie française s’est affaibli au profit des secteurs secondaire (bâtiment, travaux publics) et tertiaire (services, commerces, administration et transports) (Fages 1975 : 14). Pour Poirine, la Polynésie française, en l’espace de vingt ans, a connu « [u]ne évolution qui ailleurs a

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demandé 300 ans » (2011 : 11). Ce boom économique fantastique – propulsé par une activité militaire de 18 milliards de francs pacifiques (F CFP) par an (228 600 000 CAD) – a entraîné la création de milliers d’emplois autour des chantiers du CEP (Poirine 2011 : 13). Ces chantiers ont notamment mené à la construction de l’aéroport international de Fa’a’ā en 1961, ce qui soulagea les difficultés de l’industrie du phosphate (Gagné 2016 : 9). En 1962, l’aéroport a permis la venue sur le territoire de plus de 10 000 touristes, lesquels se recensaient au nombre de 700, cinq ans plus tôt (Toullelan 1991 : 102-103). L’industrie nucléaire a également entraîné la migration vers Pape’ete d’un important corps de main- d’œuvre polynésienne qui commençait à sentir la lourdeur d’une agriculture traditionnelle en crise11, lequel s’ajouta à l’immigration d’un nombre important de travailleurs et de militaires venant de France (Fages 1975 : 14).

On assiste alors à une densification du milieu urbain sur l’île de Tahiti. La capitale de Tahiti, Pape’ete, en 1956, comptait 28 000 habitants. Vingt ans plus tard, elle en comptait 78 000 (Tetiarahi 1983 : 344). Les villages de Pīra’e et Fa’a’ā, accolés à Pape’ete, ont connu une multiplication par cinq et parfois par dix pour le village de Fa’a’ā de leur nombre de résidents, dans la seule décennie 1960 (Fages 1975 : 19; Saura 2015 : 304). La migration de milliers de personnes vers Tahiti et l’urbanisation massive de Pape’ete et des communes environnantes affectèrent les conditions de vie. Les limites d’extension de l’île, additionnées à la pression démographique toujours grandissante, ont entraîné la création de bidonvilles en périphérie de la capitale (Fages 1975 : 19).

La venue de milliers de travailleurs d’autres îles à Tahiti occasionna un taux de chômage explosif (Saura 2015 : 309). Pour pallier la situation, Gaston Flosse, alors à la tête du gouvernement de Polynésie française, garantissait des transferts d’argent importants de la part de l’État, en s’appuyant sur son « ami » Jacques Chirac, tandis que son opposant Oscar Temaru avançait la nécessité de l’indépendance économique de la Polynésie française (Al Wardi 2008 : 107). Dans les faits, depuis la fin des essais nucléaires, le gouvernement

11 Cette crise agricole a été causée, d’une part, par la baisse des prix des actions mondiales de coprah et de vanille, additionnée à une baisse des exportations et, d’autre part, des problèmes fonciers étant donné les nombreuses terres restées en indivision, encourageant du coup la migration vers Makatea, Pape’ete et la Nouvelle-Calédonie (Fages 1975 : 14).

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français a octroyé une « rente nucléaire », qu’il fit graduellement diminuer au même rythme où il donnait plus d’autonomie à la Polynésie française (Gagné 2016 : 10-11).

Pour l’anthropologue Bruno Saura, la période 1962-1996 est sans conteste la période « d’occultation par la France des dangers du nucléaire, mais aussi d’une acceptation dominante et silencieuse par les Polynésiens de ces expérimentations » (Saura 2015 : 300). Ainsi, en 1996, l’économie de la Polynésie française, qui s’était appuyée pendant trente ans sur l’industrie du nucléaire, était dépendante des transferts d’État (Al Wardi 2008 : 105).

L’économiste Bernard Poirine (2011) avance que, jusqu’en 1996, régnait en Polynésie française une économie de garnison qui reposait sur les dépenses civiles et militaires de l’État et le recours à une politique protectionniste. Ceci permettait « à la fois d’augmenter les recettes fiscales du Territoire sans instituer d’impôt sur le revenu ou la fortune, et de protéger l’industrie locale de la concurrence des importations » (Poirine 2011 : 12). Entre autres, ceci eut pour effet de hausser le taux moyen des taxes sur les importations de 17% à 42%, de 1974 à 1996 (Poirine 2011 : 12). Selon Poirine, la Polynésie française est alors passée à une économie sous serre : « les prix y sont maintenus artificiellement élevés à l’intérieur grâce à l’éloignement et à la politique protectionniste, qui isole complètement l’économie du système de prix mondial » (Poirine 2011 : 13-14). Jusqu’à aujourd’hui, la Polynésie française est en situation économique de « micro-marché insulaire », maintenue par une bulle de prix élevés et une fermeture à la concurrence extérieure qui engendre des monopoles12 (Poirine 2011 : 189).

Ces transformations d’origine économique ont engendré des mutations sur le plan de la famille polynésienne. En effet, le développement économique drastique qui s’est opéré en Polynésie française amena l’éclatement des familles élargies, autrefois nécessaire dans l’organisation sociale basée sur une économie de subsistance, sans compter l’impact des inégalités socio-économiques et de l’importante migration inter-île et internationale (Serra Mallol 2013 : 141). L’adoption à la polynésienne a donc elle aussi été sujette à des

12 Par ailleurs, 82% des produits alimentaires sont importés, en plus d’être taxés en compensation de l’absence d’impôts sur le revenu des personnes (Gagné 2018 : 103).

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transformations. À cet effet, il s’agit de jeter un bref regard sur les écrits des anthropologues qui ont travaillé auprès des sociétés de la Polynésie française d’hier à aujourd’hui afin de rendre compte des transformations de cette pratique en vue d’en avoir une meilleure compréhension dans le contexte d’aujourd’hui.

2.4. Vers une compréhension de la famille en Polynésie française

L’enjeu actuel des recherches sur l’adoption en Océanie est de tenir compte de la flexibilité des systèmes de parenté qu’on retrouve parmi les populations d’outre-mer, tout en relevant les transformations majeures qu’ont subies ces sociétés, notamment relativement à l’implantation du capitalisme, d’un salariat urbain et des migrations internationales (Marshall 2008 : 6). L’objectif est donc de comprendre l’adoption en Océanie et peut-être de proposer que la flexibilité de ces systèmes de parenté ait quelque chose à voir avec sa rémanence dans le présent (Marshall 2008 : 6). Voyons comment ces types d’adoption coutumière s’articulent dans quelques sociétés d’Océanie.

2.4.1. Les formes d’adoption coutumière en Océanie

Comme mentionné en introduction, en Océanie, l’adoption coutumière est une pratique largement répandue. Elle consiste à « confier » son enfant à des parents proches (grands- parents, frère-sœur, oncle-tante, cousin-cousine, amis, voisins, etc.). Ce type d’adoption est informelle et relève d’une entente établie pendant la grossesse, à la naissance ou encore lorsque l’enfant est plus âgé, entre les parents adoptifs et les parents biologiques, lesquels gardent en général des liens avec l’enfant. Les motivations pour confier un enfant à d’autres parents varient d’un endroit à l’autre et surtout selon la position par rapport à l’enfant (donneur ou receveur).

En 1976, l’anthropologue Ivan Brady reprenait, dans l’introduction de son ouvrage Transactions in Kinship: Adoption and Fosterage in Oceania, les motivations identifiées six ans plus tôt dans l’ouvrage de l’anthropologue Vern Carroll (1970) relativement à l’adoption en Océanie. Principalement effectuée dans une logique d’alliance entre familles, cette circulation d’enfants peut subvenir dans plusieurs cas de figure. Par exemple, une famille en situation précaire peut confier un enfant à un couple en situation socio-économique plus

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avantageuse; l’adoption peut avoir pour but de fournir un enfant à un couple infertile ou de valider le statut d’adultes des parents adoptifs ; l’enfant peut être désiré afin d’aider au travail dans la maisonnée ou encore de favoriser le rapprochement entre deux groupes (Carroll 1970 : 5; Brady 1976 : 23-24). L’adoption peut aussi être pratiquée si un couple n’a toujours pas d’enfant et veut s’assurer une certaine sécurité pour ses vieux jours. Un enfant peut aussi être confié en adoption si une jeune mère se trouve dans une situation d’instabilité amoureuse et économique ou suite à un accouchement mortel (Hooper 1970 : 69).

En Océanie, dans le triangle polynésien (voir l’annexe VI), à Hawai’i, l’adoption coutumière hanai fait partie d’une structure sociale de coopération, plutôt que de compétition. Ainsi, la générosité et la prise en charge de personnes dépendantes de la société (ici les enfants) sont hautement valorisées et indicatrices d’un rang social élevé (Howard et al. 1970 : 47-49). Tout comme pour le mariage, l’adoption est l’opportunité de faire entrer dans une famille, une personne extérieure à celle-ci. Cette stratégie de parenté est caractéristique de la flexibilité du concept d’apparentement.

En Mélanésie, dans le sud de la Papouasie Nouvelle-Guinée, sur l’île Suau, l’adoption coutumière13 est aussi largement répandue et considérée comme essentielle pour élever des enfants (Bowie 2004 : 4). Dans l’étude de Melissa Demian, dans les deux villages de Suau où elle a effectué ses recherches, presque chaque maisonnée avait adopté ou confié un enfant (Bowie 2004 : 4). Ce type d’adoption défie l’étroite conception occidentale de ce type de pratique. Il est plutôt question de « transactions de parenté » (Goodenough 1970; Demian 2004 : 106). Par exemple, un enfant peut être adopté à l’intérieur d’une même famille de façon à le faire circuler à travers les générations, mais aussi de clan à clan, ou même, de lignée à lignée à l’intérieur d’un même village (Bowie 2004 : 10). La « transaction » des enfants est ainsi créatrice de liens de parentalité : « [b]ecause the conditions for distinguishing between parents and non-parents are not solely couched in terms of “blood”, and because multiple parenthood is perfectly acceptable, the index of the parent–child

13 Parmi plusieurs dialectes Suau, voici les deux expressions les plus utilisées pour parler d’adoption référant à deux stades différents : abiudo’i « prendre un enfant qui n’est pas le sien », et abihela’i « prendre un enfant et l’élever » (Demian 2015 : 102).

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relationship is the work performed by parents for their children and by children for their parents » (Demian 2004 : 106). Cette conception de la parenté comme une transaction permet d’appréhender différentes façons de faire famille.

Chez les Māori de Nouvelle-Zélande, l’adoption coutumière whangai – qui veut dire « faire manger », « élever » (Metge 1995 : 211) – est pratiquée afin de solidifier des liens entre familles et pour des raisons économiques, participant ainsi à l’équilibre de la société. Elle est donc considérée comme une pratique hautement positive (Metge 1995 : 212). Lorsqu’un enfant māori nait et est confié à d’autres parents, il se retrouve avec deux groupes de relations sociales plutôt qu’un seul qui le définissent et l’ancrent dans la société.

Cette pratique d’adoption coutumière, comme pour la plupart des autres sociétés d’Océanie, est considérée comme informelle. Toutefois, en Nouvelle-Zélande, elle bénéficie d’une reconnaissance officielle du gouvernement, et depuis 2011, elle détient une valeur légale en matière d’héritage foncier (Keane 2011a). Aujourd’hui, certains Māori reconnaissent pourtant que l’adoption coutumière change : « [t]he practice is diluted today. It has many faces, many manifestations. Gone are the values, the history and the very essence that makes us intrinsically Maori » (Keane 2011b).

Ces trois exemples d’adoption coutumière en Océanie ont été l’occasion d’exposer comment peut s’exprimer de façon concrète, la pratique d’adoption coutumière, hier comme aujourd’hui plus largement en Océanie.

2.4.2. ‘Utuafare

Lors des journées de recherche sur l’enfant fa’a’amu organisées en 1992 par l’Association Polynésienne de Recherche, Intervention et Formation (A.P.R.I.F.), des intervenants sociaux, des anthropologues, des sociologues, des enseignants, des ministres, des magistrats et des avocats se sont penchés sur l’enjeu des transformations de la notion de fa’a’amu comme révélateur des changements des rapports sociaux au sein de la société polynésienne

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(A.P.R.I.F. 1993 : 15). L’organisation même de la famille polynésienne, le ‘utuafare14, laquelle se basait principalement sur le rapport à la terre et à la famille élargie (A.P.R.I.F. 1993), aurait été ébranlée. Entre autres, ont été déstabilisés la place des femmes et des hommes, l’éducation des enfants et le rapport à une terre familiale. Lors de ce colloque, Jean- Marius Raapoto, ancien ministre de l’Éducation de Polynésie française, souligna les contrastes entre le modèle familial polynésien et le modèle nucléaire occidental et il le montra en s’appuyant notamment sur deux dimensions se situant au cœur du ‘utuafare auxquelles nous nous attarderons maintenant.

2.4.2.1. Première dimension du ‘utuafare : l’attachement à une terre familiale

L’attachement à la terre relève d’une conception économique de la vie en groupe, reposant essentiellement sur la notion de subsistance (A.P.R.I.F. 1993 : 47). Il est généralement accepté que le ‘utuafare ou le ‘ati (clan) soit composé de cinq à vingt membres d’une même lignée familiale, liés soit par la consanguinité, le mariage ou encore par l’adoption à la polynésienne. Les membres du ‘utuafare habitent généralement sur une même terre familiale ancestrale. Précisons que dans le modèle de parenté malayo-polynésien, la filiation est indifférenciée et les familles sont organisées de façon élargie, c’est-à-dire qu’un couple marié a le choix de s’établir de l’un ou l’autre côté familial (Ghasarian 1996 : 72). Chaque bâtiment qui constitue le ‘utuafare ou maisonnée correspond à une station différente :

(…) une ou plusieurs demeures (fare taoto, maison pour dormir), un édifice pour faire la cuisine (fare tutu), un édifice pour prendre les repas (fare tarnaara’a) et le four dit tahitien ou polynésien (hima’a ou ahima’a destiné à cuire les aliments à la mode tahitienne ou polynésienne, c’est-à- dire, à l’étouffée). La maisonnée correspond donc en réalité à une cour, une enceinte résidentielle (‘aua fare) qui abrite différents types de formes familiales : familles élémentaires ou nucléaires, familles étendues, groupes de frères et sœurs. (Robineau 1989 : 384)

Dans cette organisation dynamique, chaque individu se situe par rapport au groupe selon sa fonction dans la satisfaction des besoins relatifs à la subsistance (A.P.R.I.F. 1993 : 47; Oliver 2002 : 35). Les tâches accomplies par les femmes consistaient essentiellement à s’occuper

14 ‘Utuafare est le nom commun qui en français se traduit par « maison familiale ». Ce mot est aussi utilisé pour désigner la famille (ceux qui habitent la même maison). Il est aussi possible d’utiliser le nom commun fēti'i qui désigne la famille ou un parent qui est uni par la parenté. En verbe, fēti'i peut être traduit par attacher ou lier en français (Académie Tahitienne 2017).

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des affaires de famille, dont l’éducation des enfants, et de subsistance, comme le ramassage de coquillages et de crustacés, la pêche aux petits poissons et de mollusques, la fabrication de tapa (vêtement fabriqué à partir de matière végétale), ainsi que le tressage en tout genre (ceintures, paniers, tapis, voiles, etc., Cerf 2007 : 124). Les hommes, quant à eux,

(…) construisaient les maisons, les temples, les pirogues, allaient chercher les régimes de bananes plantains sur les pentes des reliefs, chassaient les cochons sauvages, partaient en pirogue pêcher en haute mer. Ils s’occupaient des marae [cours cérémonielles] et de tout ce qui concernait les dieux et la religion, et avaient en charge la décision de l’exécution des guerres. […] Il semble cependant que la séparation entre hommes et femmes était souvent aménagée (Howard et Kirkpatrick [1989] : 82-83) et que la règle était la flexibilité selon les capacités de chacun et selon les circonstances. (Fuller, 1993, dans Cerf 2007 : 125)

Les enfants étaient, et sont toujours, des êtres très prisés et respectés (Oliver 2002). Ils jouissaient d’une grande liberté, mais apprenaient tout en intégrant leur rôle dans la société par mimétisme. Chacun des membres du ‘utuafare avait donc sa place dans un système de règles et de tapu (tabou) qui régissait leur organisation et leur vie sociale.

À la suite de la venue au monde d’un enfant, il fallait notamment enterrer son placenta (pūfenua15) sur la terre à laquelle il était rattaché (terre maternelle ou paternelle, puisqu’il s’agit de filiation indifférenciée). Dans son livre Entre nature et culture. La mise en terre du placenta en Polynésie française (2005), Bruno Saura indique qu’un traitement spécifique est accordé au placenta : on l’enterre tout près – si ce n’est pas en-dessous – d’un arbre fruitier, jeune ou ancien. Il ne s’agit pas d’une métaphore signifiant que l’enfant grandit en même temps que son arbre, mais il s’agit plutôt de souligner l’harmonie et la continuité des éléments (ici entre l’humain et la plante) (Saura 2005 : 85). Il explique que le choix d’un arbre fruitier n’est pas anodin : « [i]l existe en effet une continuité de fructification entre l’arbre fruitier et ce nouveau-né dont le pufenua est “planté” par un parent ou grand-parent, c’est-à-dire par quelqu’un qui a déjà donné la vie. […] On constate donc dans ce rite un lien fondamental entre la naissance, le placenta et la terre » (Saura 2005 : 86). D’ailleurs, la terre fait fondamentalement partie de la parenté et comme l’enterrement du placenta le montre, le rapport à la terre est fondamental. Paul Ottino expliquait bien qu’en Polynésie, « les terres

15 Pūfenua est le nom commun pour désigner le placenta d’un animal ou d’une personne. « Après l'accouchement, le placenta était enterré sur une terre familiale, il marquait le lien entre la terre et la personne » (Académie Tahitienne 2017).

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(sont) comme la descendance, l’un des éléments de la parenté. En fait, la parenté considérée en soi sans référence à des terres et à des propriétés précises n’a guère de sens » (1972 : 435, dans Saura 2005 : 86). On comprend rapidement que cette conception du rapport à la terre est différente de celle des Occidentaux où les principes de la propriété privée, mais également du contrôle en vue d’une exploitation de la terre sont la norme.

Historiquement, si la mobilité trans-insulaire des Polynésiens, rendue possible grâce à leur compétence en navigation, s’inscrit dans la structure sociale polynésienne (logique d’alliance, mobilisation de la parentèle, stratégies résidentielles, Ghasarian 2014 : 23-24), l’importante mobilité géographique engendrée par l’implantation du CEP a contribué, de manière générale, à l’éclatement de la famille élargie basée sur la notion de subsistance. En effet, pour les Polynésiens, en particulier pour les hommes, aller travailler en ville répond à « un désir d’échapper à une société vécue comme trop traditionnelle avec ses limites et ses contraintes, particulièrement dans les îles et les atolls » (A.P.R.I.F. 1993 : 67), au souhait d’un avenir meilleur ou à la volonté d’aider financièrement les siens restés sur les îles ou les atolls (A.P.R.I.F. 1993 : 67). Ajouter à cela la privatisation des terres ainsi que l’imposition du principe d’indivision qui participent à cet éclatement.

2.4.2.2. Deuxième dimension du ‘utuafare : la composition de la famille polynésienne

La deuxième dimension du ‘utuafare renvoie à la composition même de la famille, divisée en trois pôles. Le premier est constitué des parents congénitaux : le père et la mère. Raapoto explique la relation parent-enfant comme étant, dans un premier temps, vécue comme viscérale, avec ses moments de tendresse qui, dans un deuxième temps, laissent parfois place à une certaine rudesse, pouvant mener à l’attribution de punitions corporelles (A.P.R.I.F. 1993 : 48). Le deuxième pôle est celui des oncles et des tantes qui participent de façon importante à l’éducation des enfants. En effet, dans le modèle de parenté malayo-polynésien, l’accent est mis sur la séparation entre générations (système générationnel), dans lequel, comme mentionné plus haut, la filiation est indifférenciée et les familles sont organisées de façon élargie (Ghasarian 1996 : 210) :

(…) les Polynésiens des îles de la Société privilégient, non la filiation, mais la génération ; la descendance d’un même ventre ‘opu constitue le groupe élémentaire de parenté de frères et sœurs ‘opu ho’e (un ventre), et la relation de filiation s’établit, moins entre parents et enfants, qu’entre

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‘opu ho’e des parents et ‘opu ho’e des enfants, c’est-à-dire entre groupes de siblings en relation de filiation. (Robineau 1989 : 384)

C’est la raison pour laquelle les parents en ligne directe ainsi que leurs frères et sœurs (collatéraux) sont ordonnés en génération (enfants, parents, grands-parents, arrière-grands- parents, etc.) (Ghasarian 1996 : 210). L’enfant les appelle généralement papa et mama tout comme ses parents congénitaux, mais il ajoute un prénom. Les rôles accordés aux oncles et aux tantes de l’enfant sont d’ordres éducatif et de soutien : « ils permettent à l’enfant de communiquer et d’échanger avec l’adulte », en particulier dans les moments où il a besoin de se faire rassurer « [v]iens, mon petit, on t’a frappé, viens chercher consolation » (AP.R.I.F. 1993 : 48). Ainsi, le rôle d’éducation n’incombe pas qu’aux parents en ligne directe avec l’enfant. Cette logique d’entraide est largement répandue en Polynésie française.

Enfin, le troisième pôle est celui des frères, sœurs, cousins et cousines, qui ont un rôle de socialisation et d’initiation (A.P.R.I.F. 1993 : 48). Dans la même logique d’indifférenciation, il n’existe pas de distinction entre les termes d’adresse pour désigner les « cousins » et les

« frères » ainsi que les « cousines » et les « sœurs » (A.P.R.I.F. 1993 : 48).

Le choix des prénoms (i’oa16) est aussi un élément constitutif (et de continuité) de la famille pour la plupart des Polynésiens, encore aujourd’hui. Nommer un enfant n’est pas seulement l’affaire du père et de la mère. Dans les faits, les grands-parents vont intervenir dans ce choix et, dans certains cas, la famille élargie (oncle et tante, par exemple). Ce choix est aussi effectué en relation étroite avec les tupuna (ancêtres). En attribuant le nom d’un ancêtre de la lignée à un enfant, il s’agit de les faire revenir à la vie, d’attacher l’enfant à une terre appartenant à la lignée de l’ancêtre et de souligner (sinon, réitérer) la généalogie (Barbiera 1997 : 142-143; entretien avec Flora Devatine 30 novembre 2018).

Ainsi, pour Raapoto, si la famille polynésienne est constituée par l’interaction de ces deux dimensions (subsistance et ‘ōpū hō’ē), son drame actuel est d’être coupée du réseau de

16 I’oa est le nom commun tahitien qui désigne en français le prénom, le nom, l’appellation, la désignation ou la dénomination. Par exemple, i’oa fa’atara est le surnom ou le nom donné à l'occasion d'un mariage ou d'un événement important. I’oa topa peut aussi désigner le surnom ou le nom donné à l'occasion d'un mariage ou d'un événement important. I’oa na’ina’i désigne le prénom. I’oa fa’apoipo est le nom donné lors du mariage (Académie Tahitienne 2017).

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soutien constitué par la famille élargie, notamment dans le cas de familles polynésiennes fracturées par la migration provoquée par l’implantation d’une économie basée sur le salariat, l’économie de marché et la montée de l’individualisme inhérent à ce marché. Dans ce contexte, l’enfant n’a plus accès aussi facilement à ce réseau de soutien vital (A.P.R.I.F. 1993 : 48). Jean-Claude Rau, alors sociologue au Service Territorial des Affaires Sociales de Polynésie française, constate en 1993 que depuis l’éclatement du modèle familial étendu au profit du modèle nucléaire, les relations familiales « deviennent plus facultatives qu’obligatoires » et « le nombre de situations où elles sont de mise, décroît » (A.P.R.I.F. 1993 : 67). D’ailleurs, une des participantes à ma recherche témoigne de cette volonté de prendre ses distances avec sa famille élargie ainsi que de son goût d’autonomie :

(…) ils [ses frères et sœurs] sont toujours là, dans cette coquille, moi non, je suis partie. J’ai fait ma vie, ça n’a pas fonctionné, mais je continue. Puis, je vais leur rendre visite de temps en temps. Quand je sens que je dois y aller, j’y vais. Quand j’ai besoin de me ressourcer, j’y vais. Mais autrement, je n’y vais pas. Après, quand nous avons nos grandes fêtes, l’anniversaire de mon père, de ma mère, ou nos enfants ou nos réunions familiales, oui j’y vais, après je reviens. J’aime bien mon indépendance. J’ai perdu cette habitude d’être dans une famille nombreuse, parce qu’on est nombreux. Ma maman, elle a tant d’enfants, sa sœur, elle en a que deux, ses frères en ont sept. Ce ne sont que des familles nombreuses. Alors moi, j’ai perdu ce goût. Bon bien après j’aime bien, mais pas pour rester longtemps comme avant, j’y vais juste ce qu’il faut et après je repars. (Meleana17, 45 ans, mars 2018)

En particulier sur l’île de Tahiti où l’industrialisation s’est opérée de façon plus marquée que dans les autres îles, les familles polynésiennes tendent de plus en plus à adhérer au modèle de famille nucléaire occidentale. En effet, celui-ci correspond davantage au système socio- économique récemment implanté en Polynésie française ainsi qu’aux valeurs occidentales où on insiste sur la liberté individuelle et l’autonomie des individus. Ces valeurs sont cohérentes avec les principes du Code civil français pour ce qui est des matières relatives à l’autorité parentale, à l’enfance et à l’adoption. D’ailleurs, comme le montre le rapport de l’A.P.R.I.F., les acteurs institutionnels venus de France métropolitaine (notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé, des services sociaux ou encore de la justice) et qui œuvrent auprès des familles polynésiennes placent la relation parents-enfants au centre d’une définition saine de la famille, en se basant sur l’idée qu’il est nécessaire à l’épanouissement de l’enfant de

17 Il s’agit ici d’un pseudonyme.

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considérer ses parents comme des référents clairs et stables (A.P.R.I.F. 1993 : 68). Comme Bruno Saura le précise, cette vision de la famille repose sur l’idée occidentale selon laquelle « [l]’enfant est supposé universellement avoir besoin d’un seul couple de référents, père et mère, ce que dément l’exemple de nombre de sociétés non occidentales dans lesquelles les enfants ne sont ni plus ni moins déséquilibrés qu’ailleurs » (1998 : 29).

Toutefois, si ces changements sociaux et économiques ont entraîné certaines ruptures au sein de la société polynésienne, notamment au sein du ‘utuafare, la pratique ancestrale du don d’enfant, pour sa part, demeure très vivante.

2.4.3. Te fa’a’amu

Les écrits de nature historique sur la société polynésienne donnent un certain nombre de précisions sur l’adoption à la polynésienne. Ces échanges d’enfants, parfois entre familles de chefs, permettaient de consolider les alliances (au même titre que les mariages unissent ensemble deux familles qui n’ont en principe aucun lien entre elles) entre groupes, prévenir les guerres et ainsi maintenir la paix (Saura 1998; A.F.A.R.E.P. 2007). L’anthropologue Bruno Saura explique qu’au « début du XIXème siècle, Pomare II, désireux de renforcer ses liens avec les chefs des Îles-sous-le-Vent, adopte ainsi le jeune Tapoa II de Taha’a, alors âgé de quelques années » (1998 : 28) ou encore que « Pomare IV perpétua cette politique d’alliances passant par des mariages et des adoptions afin de donner un trône à ses enfants dans chacune des Îles-sous-le-Vent » (1998 : 28). Selon Saura, le fa’a’amu relevait davantage d’une « affaire » d’adultes, c’est-à-dire d’alliances entre adultes, qu’une affaire concernant en propre les enfants.

Si l’adoption à la polynésienne était pratiquée avant l’arrivée des Européens, certains avancent qu’elle a grandi en popularité après leur arrivée. En effet, les contacts avec ces Européens ont engendré de grandes vagues d’épidémies (assa no pepe, dysenteries, grippes, tuberculose, etc., voir Rallu 1990 : 46) qui ont participé activement à la décimation de la population18 de l’île de Tahiti évaluée à environ 100 000 personnes au moment des premiers

18 Les estimations de la population de la Polynésie française à l’ère pré-européenne doivent être considérées avec prudence. Simone Grand explique : « Si on étudie l’histoire on s’aperçoit que lorsque Cook en 1774, fait

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contacts (Rallu 1990 : 45). Une vingtaine d’années plus tard, on en comptait 16 000 (A.F.A.R.E.P. 2007 : 35). En 1848, sur l’île de Tahiti, on pouvait compter seulement 8 082 habitants (Rallu 1990 : 47). Certains chercheurs avancent que cette chute démographique additionnée à l’évangélisation de la population ont provoqué l’arrêt progressif des infanticides19 (qui n’étaient pas rares pendant la période pré-européenne). Ce serait dans ce contexte que l’adoption à la polynésienne aurait vu sa pratique s’intensifier (A.F.A.R.E.P. 2007 : 36-37; 84-85).

À titre indicatif, voici deux extraits de journaux personnels qui font état de cette dernière pratique entre 1790 et 1850. Après les passages des explorateurs Wallis, Bougainville et Cook, les premiers Européens à avoir résidé longtemps sur l’île de Tahiti sont les Mutins du Bounty20. En 1792, un des sous-officiers, James Morrison, écrit sur le fa’a’amu en disant que : « [l]orsqu’un homme adopte un ami pour son fils […] le garçon et l’ami échangent leurs noms et dès lors, ce dernier est considéré comme faisant partie de la famille, devenant le fils adoptif du père du garçon » (James Morrison 1966 : 156, dans de Monléon 2004 : 50). Un missionnaire protestant, le pasteur Orsmond (1784-1856), arrivé à Tahiti en 1817, grand-père de Teuira Henry qui publia ses journaux sous le titre Tahiti aux temps anciens (1928), raconte que : « [l]es Tahitiens ont toujours adoré les enfants. Ceux qui n’en avaient pas en adoptaient et ceux qui en avaient beaucoup faisaient des échanges avec d’autres familles. L’adoption était un geste d’amitié qui se faisait couramment entre parents et amis. Ces enfants

la première estimation de la population de l’île de Tahiti, il a évalué à 204 000 habitants. Ce qui semble être un chiffre un peu exagéré. Admettons qu’il y ait eu 100 000 habitants. En 1797 lorsque, après la première visite de Wallis qui a apporté la tuberculose et la syphilis, puis Bougainville dont les marins ont certainement apporté d’autres maladies, puis les autres bateaux; en 1797, il ne restait plus que 16 000 habitants recensés par Wilson qui a fait le tour de l’île. Pour Cuzent, pharmacien de la marine en 1857, il n’y avait plus que 6 000 habitants entre Tahiti et Moorea » (A.F.A.R.E.P. 2007 : 35-36). Rallu précise pour sa part : « Robertson, Forster et Cook pensèrent que l'île était peuplée d’environ 100 000 à 120 000 habitants. Puis, Cook annonça le chiffre de 204 000 habitants lors de son deuxième voyage, à partir d'un calcul statistique dont une des données était fausse : Tahiti ne comptait pas 43 districts, mais 19 (21 selon d’autres auteurs). Si on corrige ce facteur, l'estimation de Cook devient 90 000 habitants et on se trouve devant un ensemble cohérent d’estimations (autour de 100 000) par les navigateurs anglais — on s'étonne que ce chiffre de 204 000, basé sur une simple règle de trois et qui a fait couler tant d’encre, n’ait été corrigé par personne s’étant intéressé à la population de Tahiti lors de la découverte » (1990 : 45). 19 Concernant l’infanticide, consulter notamment Henry (1928 :262). 20 De 1787 à 1789, le bateau le Bounty, Vaisseau Armé de sa Majesté anglaise était chargé d’amener des arbres à pain (fruit de Tahiti) vers la Jamaïque dans le but de nourrir gratuitement les esclaves y travaillant. Pendant le périple en mer, une mutinerie contre le capitaine Bligh éclata, le forçant à naviguer sur un canot de sauvetage pendant 42 jours en haute-mer (Danielsson 2013).

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partageaient heureusement le temps entre leur famille réelle et leur famille adoptive » (Henry 2001 : 282, dans de Monléon 2004 : 51). Si ces deux extraits de journaux indiquent que le fa’a’amu était bel et bien présent en Polynésie française, ils en disent peu sur le sens de la pratique dans l’organisation sociale et culturelle des Polynésiens, sinon qu’il s’agissait de nouer des amitiés.

Suite à une discussion avec la directrice de l’Académie tahitienne et poétesse Flora Devatine, qui a 76 ans, j’ai été mieux à même de comprendre ce que le fa’a’amu représentait dans l’organisation sociale et culturelle des Polynésiens. Elle m’expliqua que dans l’ancienne société polynésienne, il y avait des règles concernant la pratique du fa’a’amu et des raisons à ces adoptions. Selon elle, il s’agit là de règles liées à la transmission et à l’obligation de la continuité de la généalogie. Elle spécifie que s’il n’y a pas de descendants, il y a un problème au niveau du devoir par rapport aux ancêtres, à la transmission de leurs terres et de leurs noms. Il s’agirait d’une coupure dans la filiation généalogique. Le fa’a’amu permettait (et permet toujours, semble-t-il) de combler cette rupture dans la généalogie et ainsi, de poursuivre la transmission du patrimoine foncier et des noms :

(…) les noms sont donnés et [c’est] une façon de faire revenir à la vie, de rappeler à la mémoire l’ancêtre ou les ancêtres. Donc, lorsque le couple recherche cet enfant en adoption, ils vont donc s’adresser à une famille qui attend un enfant qui même avant la naissance ça arrive, vont demander, c’est ce qu’on va dire, ils vont marquer, poser une marque, on veut dire : « bon cet enfant, prochain enfant que vous aurez ou bien cet enfant que vous avez là, qui est conçu, qui naîtra j’aimerais bien l’adopter. Est-ce que je peux marquer, je marque, je pose une marque ». Et pour soutenir, pour présenter leur demande ils vont dire dans le cas d’un accueil : « Voilà le nom de l’enfant et le nom de la terre à laquelle il sera lié […] et dont héritera cet enfant ». Donc, ce qui veut dire qu’enfin […], c’est comme un échange, c’est comme un don contre don et les gens n’avaient pas besoin… parce que c’était le monde de l’oralité ça veut dire que quand la parole est donnée, elle est donnée. Donc la chose est faite, on est d’accord […]. (Flora Devatine, 30 novembre 2018)

Dans les années 1970, Antony Hooper, dans son chapitre intitulé « Adoption in the Society Islands » explore la pratique de l’adoption fa’amura’a dans laquelle l’enfant adopté se nomme tamari’i fa’amu (l’enfant qui est nourri). Dans une famille, l’enfant adopté est distingué de l’enfant biologique qu’on appelle plutôt tamari’i mau (vrai enfant) ou encore tamari’i fanau (l’enfant né). On peut référer aux deux types d’enfants simplement comme tamari’i (enfant) (Hooper 1970 : 56). Encore ici, l’auteur avance que ce type d’adoption est largement pratiqué en Polynésie, entre parents proches. Tout comme Robert Levy, il avance que contrairement à la conception occidentale de la relation catégorique entre un enfant et

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ses parents biologiques, celle polynésienne conçoit la relation avec ceux-ci de façon contingente (Hooper 1970 : 52; Levy 1970 : 84; Levy 1973 : 483). Levy avance alors l’idée d’un « message psychologique » qui serait sous-jacent à l’adoption coutumière en Polynésie. Ce message délivrerait l’idée de la fragilité et de la conditionnalité des relations, ce qui aurait pour effet de rendre difficile l’établissement de relation de confiance, où une personne peut construire une relation à long terme et s’investir émotionnellement (Levy 1970 : 83). Il précise que « [t]hese relationships should be kept shallow, uninvolved, tentative. One should not care enough, or be engaged enough, to be vulnerable if anything goes wrong. One should be able to get out, to detach oneself » (Levy 1970: 84). Même si l’analyse de Levy n’est pas partagée par tous les anthropologues qui ont étudié l’adoption en Polynésie française et plus largement dans le Pacifique, elle permet tout de même de considérer certains aspects plus positifs des relations contingentes, c’est-à-dire que si toute relation est provisoire, en cas de décès d’un parent, celui-ci est remplaçable (Brady 1976 : 22).

Aux motifs pour confier ou recevoir un enfant, énoncés plus haut, Hooper (1970) ajoute pour la Polynésie française que les bambins sont perçus comme des ressources très valorisées, sentimentalement comme économiquement. Principalement effectué dans une logique d’alliance entre familles, l’adoption d’un enfant est comme une « assurance-vie » puisqu’une relation parent-enfant implique un équilibre entre plusieurs obligations dont celles de prendre soin de son enfant, de l’aider, de lui rendre service et, réciproquement, celles d’assister son parent, de lui rendre service et de l’aimer (Hooper 1970 : 69).

Encore aujourd’hui, les chercheurs sont d’accord pour affirmer que le principe général de cette pratique relève toujours d’un don d’enfant comme contrat de fait entre deux parties qui se connaissent préalablement (Charles 1995 : 446; Saura 1998 : 28; de Monléon 2002 : 2; de Monléon 2004 : 75; Brillaux 2007 : 77; Leblic 2014 : 449). Toutefois, Bruno Saura avance que l’adoption fa’a’amu, qui relevait traditionnellement d’un principe organisateur de la vie sociale, est maintenant réalisée dans des visées toujours de plus en plus privées. C’est une pratique qui est, selon lui, passée de la sphère publique à la sphère privée (Saura 1998 : 27). La dimension sociale d’alliance qui plaçait les adultes au cœur de l’adoption, et qui gouvernait autrefois cette pratique, est aujourd’hui de plus en plus remplacée au profit d’une dimension individuelle qui amène les parents polynésiens à confier leurs enfants pour des

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raisons de contraintes économiques et ce, notamment à des Popa’ā. Cette « apparente » individualisation sera notamment à rendre compte dans les chapitres 4 et 5.

Enfin, un des éléments récents caractérisant l’adoption à la polynésienne est l’ouverture de celle-ci à des métropolitains. Depuis les années 1970-1980, plusieurs couples de France métropolitaine viennent en Polynésie française dans le but de repartir avec un enfant polynésien (de Monléon 2002 : 2; de Monléon 2004 : 49; Leblic 2014 : 449). Dans ces cas d’adoptions interculturelles, les motivations pour « confier » son enfant à des Popa’ā sont d’ordre économique et sont à comprendre dans les relations issues de l’héritage colonial. Dans la plupart des cas, c’est bien parce que les parents biologiques ne peuvent pas subvenir aux besoins de l’enfant à naître qu’ils le confieront en adoption à des Popa’ā, en soulignant l’argument selon lequel l’enfant aura la « chance » d’être éduqué en métropole (Saura 1998 : 28). Monique Brillaux, une psychiatre française partage quelques phrases de ses entrevues auprès de mères tahitiennes qui illustrent bien que le choix de confier son enfant n’est pas toujours fait de gaieté de cœur, mais dans la nécessité :

« [t]iens (dans le mouvement de présenter son bébé dans les bras de la mère adoptive) c’est ton fils, il sera bien avec toi. »;

« [c]’est ta fille, tu la veux vraiment (une larme perle), je te la donne »;

« [t]u connais quelqu’un qui veut être faa’amu, je donne mon bébé [la femme est enceinte], il sera mieux avec des popa’a, je suis seule. […] Tu t’occuperas de moi. J’ai confiance en toi, tu me connais – dis à tes amis que je ne le reprendrai pas. Mais je veux des nouvelles et des photos ». (Brillaux 2007 : 78)

Le personnel des services sociaux que j’ai eu l’occasion de fréquenter témoigne de son découragement face à la conduite de plusieurs Popa’ā en recherche d’enfant, qui recourent à des démarches pour le moins douteuses, comme la distribution de cartes de présentation dédiées aux potentielles « confieuses » d’enfants (de Monléon 2002 : 2-3). Récemment, un article qui fit polémique en Polynésie française et en France, montrait une affiche de « recherche de bébé à donner » sur le babillard d’un supermarché (voir l’annexe VII). L’inclusion des Popa’ā dans la pratique d’adoption à la polynésienne nécessite des procédures judiciaires comme la délégation de l’exercice de l’autorité parentale et l’adoption plénière ou simple.

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Aujourd’hui, certaines familles polynésiennes impliquées dans une adoption fa’a’amu choisissent aussi dans certains cas de recourir aux procédures de délégation de l’exercice de l’autorité parentale (DEAP), d’adoption simple ou d’adoption plénière afin d’officialiser leur relation à leur enfant fa’a’amu.

2.5. Quelques considérations légales concernant te fa’a’amu

Alors que la population aux origines polynésiennes représente plus de 80 % de la population et qu’en 2007, sur les 8000 enfants de moins de 18 ans vivant sans leurs parents biologiques – soit 10% de la population mineure – 48 % étaient des enfants fa’a’amu (ISPF 2009), le Code civil ne prend pas en considération en propre l’adoption à la polynésienne, alors que l’autorité parentale et la filiation sont parmi les matières sur lesquelles l’État et la Polynésie française partagent des compétences (Peres 2007). Pourtant, chez leurs voisins néo-zélandais, l’adoption whangai, bénéficie, comme mentionné plus haut, d’une reconnaissance officielle par le gouvernement et détient une valeur légale en matière d’héritage foncier depuis 1993 (Keane 2011a). Au Canada, l’adoption coutumière en milieu autochtone est reconnue par les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut depuis 1995, la Colombie-Britannique depuis 1996, le Yukon depuis 2008 et le Québec depuis 2012 (Gouvernement du Québec 2012).

Cette non-reconnaissance légale tend à compliquer les questions d’héritage (notamment dans le domaine foncier) alors que ce type d’adoption touche un nombre important d’enfants. Dans le cas de l’héritage, plusieurs éléments du droit français et du droit polynésien coexistent, ce qui provoque une situation d’incertitude entourant le statut de l’enfant fa’a’amu dans sa famille adoptive et biologique. Par exemple, la parole n’a pas valeur d’écrit dans le Code civil, alors qu’elle a une grande importance pour les Polynésiens. De plus, dans le Code civil, la transmission de l’héritage se fait en ligne directe des parents à leurs enfants, alors que dans le droit polynésien, elle se fait entre groupes de siblings ayant un droit d’usage de la terre – lesquels incluent les frères et soeurs adoptifs –, en relation de filiation avec un même ancêtre (Robineau 1989). À la lecture du Code civil, on constate que pour l’héritage du patrimoine familial, il est prévu par l’article 725 que : « [p]our succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable » et l’ordre des successeurs est établie ainsi :

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[e]n l’absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu’il suit :

1° Les enfants et leurs descendants ;

2° Les père et mère ; les frères et soeurs et les descendants de ces derniers ;

3° Les ascendants autres que les père et mère ;

4° Les collatéraux autres que les frères et soeurs et les descendants de ces derniers.

Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants. (article 734)

Pour pouvoir hériter, les enfants fa’a’amu doivent donc avoir été adoptés formellement tel que prévu par le Code civil (article 358). La primauté de la justice étatique en France, qui s’exprime par la tradition jacobine (ou culture de la généralité21), tend donc à nier le pluralisme juridique présent sur ses territoires, ce qui, dans certains contextes comme nous le verrons dans les chapitres 4 et 5, place les enfants fa’a’amu et leurs parents en situations de précarité juridique, administrative et sociale.

Il arrive donc que des parents polynésiens saisissent le tribunal afin d’obtenir une certaine reconnaissance légale de leurs relations à cet enfant fa’a’amu. Pour ce faire, ils peuvent formuler une requête au tribunal en recourant à l’un ou l’autre des trois dispositifs principaux prévus par le Code civil : la délégation de l’exercice de l’autorité parentale (DEAP), qui peut permettre le transfert partiel ou total de l’autorité parentale aux parents fa’a’amu (article 373- 3), l’adoption simple, qui crée un lien de filiation additionnel tout en maintenant celui avec la famille d’origine et transfère l’autorité parentale exclusivement et en totalité aux parents adoptifs, ou encore l’adoption plénière qui supprime le lien de filiation originel pour transférer en totalité les droits parentaux aux parents adoptifs (article 365).

21 Le jacobinisme est une doctrine politique qui insiste sur l’indivisibilité de la République. Elle suppose l’idée de l’organisation du pouvoir de façon administrative (bureaucratie) et centralisée. Dans cette perspective, le pouvoir est exercé par une petite élite de techniciens (technocratie). Toutefois, Rosanvallon, dans son livre Le modèle politique français, la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours (2004) parle plutôt en termes de « culture de la généralité », qui pour lui, est continuellement présentée dans les discours politiques. Il propose l’idée que : « [l]a recherche du meilleur régime politique passe par cette volonté d’encadrer les particularités sous une même généralité. (…) La construction de l’État-nation s’est accompagnée de cette volonté de créer une communauté politique devant gommer les particularités locales, souvent sujettes à prolonger les inégalités de l’Ancien Régime » (Rosanvallon 2004, dans Prémat 2005 : 3).

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Il s’agit alors d’apporter une forme de légitimité à la pratique du fa’a’amu. Dans un certain nombre de cas, la requête en DEAP est motivée par le désir des parents fa’a’amu de faciliter certaines démarches administratives comme l’inscription à l’école ou les rendez-vous médicaux. Ceci est particulièrement important dans les situations où les parents biologiques et les parents adoptifs n’habitent pas dans la même île, étant donné l’immensité du territoire et les difficultés associées au transport inter-îles et aux communications. Certains problèmes de reconnaissance d’enfants fa’a’amu dans le cas, surtout, de successions sans testament, notamment quand des terres toujours placées sous le régime de l’indivision sont en jeu, peuvent également amener des parents polynésiens d’enfants fa’a’amu ou encore les enfants fa’a’amu devenus adultes à recourir à la justice pour officialiser l’adoption.

Dans le cas d’une adoption fa’a’amu entre métropolitains et Polynésiens, pour permettre aux parents adoptifs de rentrer en métropole avec l’enfant, dans les jours suivant sa naissance, la procédure judiciaire est « bricolée ». Ayant préalablement, pour la plupart, obtenu un agrément auprès de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de leur lieu de résidence, quand un enfant leur est confié, les parents adoptifs doivent faire une requête au juge aux affaires familiales du Tribunal de première instance de Pape’ete en DEAP « aux fins d’adoption ». Il y a pour ainsi dire « bricolage » puisque sont jointes deux procédures qui n’ont, en principe, pas de lien obligé entre elles. Ce bricolage est tout d’abord nécessaire, selon les juges rencontrés par Gagné (2020, communication personnelle), pour s’assurer que tous les parents soient bien conscients que l’objectif ultime recherché par les requérants est l’adoption. Ce bricolage est aussi nécessaire du fait que l’adoption n’est pas autorisée pour un enfant de moins de deux ans.

2.6. Conclusion du chapitre

Le contexte historique, social et culturel de la Polynésie française est à comprendre sous l’angle de la pluralité des mondes en contexte (post)colonial et de la complexité que celle-ci engendre dans l’organisation familiale polynésienne. Voyons maintenant comment s’articulent de façon empirique la problématique de recherche et sa méthodologie particulière.

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Chapitre 3 – Problématique et méthodologie de la recherche

3.1. Problématique

Bien que les écrits d’anthropologues sur la parenté en Océanie ne manquent pas (p. ex. Bowie 2004; Dickerson-Putman et Schachter 2008; Toren et Pauwels 2015), ceux portant spécifiquement sur l’adoption à la polynésienne sont plus rares. En effet, aux côtés de quelques anthropologues (Ottino 1972; Levy 1973), on retrouve les travaux de juristes, médecins et psychologues (Charles 1995; de Monléon 2002, 2004; Brillaux 2007; Benjamin et al. 2019). Si le contexte social, politique et économique dans lequel ce type d’adoption a lieu est bien différent qu’auparavant, comme l’a bien mentionné l’étude récente de l’Institut de la statistique de la Polynésie française (ISPF) (2018 : 3), aucune étude anthropologique approfondie n’a tenté de comprendre les enjeux pratiques qu’elle pose dans le contexte actuel de la Polynésie française. En 1993, les actes du colloque « Regards sur l’enfant fa’a’amu » par l’Association polynésienne de recherche, intervention et formation (A.P.R.I.F.) présentent certains constats et recommandations, dont les suivants qui nous intéressent particulièrement :

B/ Concernant plus particulièrement la pratique du fa’a’amu, il faudrait donner le plus souvent possible un cadre légal à ces situations. Ce cadre permettrait de protéger l’enfant et ses parents à travers le contrat que représente « la délégation d’autorité parentale » ou toute autre ordonnance du Tribunal confiant un enfant à des tiers.

[…]

D/ Les relais destinés à prendre en charge les enfants en danger (travailleurs sociaux, institutions…) devraient avoir les moyens d’agir afin d’éviter au maximum les « ratés du système ». (A.P.R.I.F. 1993 : 55-56)

Cinq ans plus tard, Bruno Saura faisait remarquer que

[d]ans la société tahitienne d’aujourd’hui, il semble justement que le fa’a’amura’a tamari’i pose parfois plus problème aux adultes qu’aux enfants, comme en témoigne le discours des éducateurs, psychologues et autres acteurs sociaux polynésiens formés à l’école de la psychologie occidentale, elle-même fortement empreinte d’ethnocentrisme. (Saura 1998 : 29)

Puis, en 2006, lors de leur conférence « L’adoption des enfants polynésiens (adoption : droit français – “Farāni”) », les magistrats Geneviève Cussac et Pascal Gourdon avançaient que :

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(…) la solution qui paraît la meilleure […], serait de promulguer le code polynésien de l’aide sociale et de la famille pour lequel un travail de réflexion et de codification a déjà été entrepris. L’application de ce code polynésien manifesterait l’autonomie du pays en matière d’Aide sociale et concrétiserait toutes ses compétences pour la procédure d’adoption des enfants polynésiens. De plus son contenu rédigé par des Polynésiens pour la protection des enfants polynésiens permettrait qu’il soit tenu compte des principes fondamentaux qui ont toujours présidé dans la tradition de l’adoption en Polynésie (possibilité d’un choix des adoptants par les familles polynésiennes, liens de confiance, d’estime et de respect réciproques créés entre les deux familles de l’enfant adopté, préférence pour l’adoption simple, etc.). (2006 : 1)

Plus de dix ans plus tard, aucun processus de création et d’application d’un code polynésien entourant l’aide sociale et l’adoption à la polynésienne n’a été amorcé. Les dispositions juridiques appliquées sur le territoire ne tiennent donc pas compte de certaines pratiques polynésiennes, dont l’adoption fa’a’amu, ce qui pose divers dilemmes aux familles et à ceux qui travaillent auprès d’elles.

À ce jour, étant donné que l’adoption à la polynésienne demeure largement une pratique en marge de l’État, elle pose quotidiennement des problèmes concrets relatifs à l’exercice de l’autorité parentale et à l’accès à certains services, congés et allocations parentaux pour les acteurs impliqués auprès des enfants fa’a’amu (A.P.R.I.F. 1993 : 19). C’est aussi ce qu’ont révélé plus récemment des entretiens réalisés par Natacha Gagné auprès du personnel de la justice dans le cadre du projet « Legs colonial et outre-mer autochtones » (2016, communication personnelle). Par conséquent, les parents biologiques, les parents adoptifs, le personnel des services sociaux, des services de santé et des écoles ainsi que les avocats se tournent vers les dispositions du Code civil relatives à la délégation d’autorité parentale et à l’adoption (simple ou plénière) de façon à mettre en place des dispositions pour protéger l’enfant.

Ce mémoire est l’occasion de faire un retour sur les recommandations émises il y a plus de 25 ans par les acteurs sur le terrain afin de contribuer à les actualiser. Les retombées de cette recherche pourront notamment, je l’espère, servir à alimenter les réflexions des acteurs impliqués dans les services relatifs à l’enfance et dans la justice en vue d’améliorer leurs interventions auprès des enfants et de leurs familles (A.P.R.I.F. 1993).

3.2. Question de recherche

Ce mémoire s’articule autour de la question suivante :

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En Polynésie française, comment les acteurs aujourd’hui impliqués auprès d’enfants fa’a’amu (personnel des services sociaux, parents fa’a’amu et biologiques) composent-ils avec l’adoption à la polynésienne comme pratique ancestrale, mais toujours actuelle ?

3.3. Objectifs

L’objectif principal de cette recherche est de comprendre les enjeux concrets que soulève l’adoption à la polynésienne ne faisant pas l’objet d’une reconnaissance légale. Cet objectif sous-tend trois sous-objectifs :

1) décrire l’adoption à la polynésienne telle qu’elle se présente aujourd’hui;

2) saisir les enjeux et défis qu’elle pose aujourd’hui pour les enfants fa’a’amu, leurs familles fa’a’amu et biologiques ainsi que le personnel des services sociaux;

3) analyser les moyens explorés par les divers acteurs impliqués auprès des enfants dans le but de répondre aux réalités des familles.

3.4. Méthodologie de la recherche

3.4.1. Population-cible, sous-populations et échantillonnage non-probabiliste

Une population-cible rassemble « the entire group of elements in which your study is interested. This is often a group of individuals […], but it can also be composed of larger units such as families, institutions, communities, cities, and so forth » (Guest 2015 : 216). Si, plus largement, la population-cible à l’étude rassemble tous les acteurs impliqués auprès d’enfants fa’a’amu (psychologues, travailleurs sociaux, enseignants, médecins, avocats, parents biologiques, parents fa’a’amu et personnes fa’a’amu etc.), j’ai ciblé deux sous- populations pour m’aider à mieux comprendre la réalité couverte par ma question de recherche et répondre à ses objectifs.

3.4.1.1. Sous-populations

Les deux sous-populations pour cette recherche sont constituées 1) du personnel des services sociaux impliqué auprès de familles ayant confié ou reçu un enfant par le biais d’une adoption

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à la polynésienne; et 2) les parents d’enfants fa’a’amu ayant confié ou reçu un enfant par le biais d’une adoption à la polynésienne ou encore les enfants fa’a’amu adultes. J’étudierai donc des composantes non strictement représentatives de la population-cible, mais qui sont toutefois capables d’en rendre compte (Campenhoudt et al. 2017 : 212).

Le choix de la première sous-population tire sa pertinence de sa position d’intermédiaire entre les familles d’enfants fa’a’amu et l’administration des services sociaux. Le personnel des services sociaux représente dans ma recherche les informateurs-clés pour saisir les subtilités de la réalité, des défis de l’adoption à la polynésienne et de leur gestion. Ils sont non seulement en position d’intermédiaire, mais aussi portent-ils plusieurs chapeaux : ils sont dans une posture d’aide aux personnes en situation de vulnérabilité, dans une posture d’acteur institutionnel puisqu’ils travaillent pour le gouvernement de la Polynésie française et ils sont aussi porteurs, pour plusieurs, d’une identité culturelle polynésienne. Comme le montre l’ouvrage réalisé par deux travailleurs sociaux de Tahiti, Marc Cizeron et Marianne Hienly (1983), leur métier se base sur la proximité avec les gens qu’ils tentent d’encadrer, doublé par leur statut de personnel du territoire. Si leur approche vise à créer un espace non hiérarchisé et basé sur un respect mutuel, ils bénéficient en même temps d’un statut particulier, qui les place à la frontière des mondes.

Le choix de la deuxième sous-population se justifie par une nécessité de donner la parole à ceux qui effectuent l’adoption à la polynésienne. Les parents biologiques et adoptifs d’enfant fa’a’amu ainsi que les enfants fa’a’amu adultes peuvent rendre compte des réalités actuelles de cette pratique d’apparentement et de familisation, leurs motivations à confier ou prendre un enfant, les enjeux et défis quant à cette pratique ainsi que leurs motivations à faire appel, dans le cas échéant, au tribunal. Cela permet également de saisir les transformations de la pratique à travers le temps.

Tous ces participants à la recherche m’ont permis d’explorer ce qui caractérise la pratique de l’adoption à la polynésienne aujourd’hui et d’en comprendre les défis ainsi que la « gestion » actuelle.

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3.4.2. Stratégie de recherche

Pour parvenir à l’atteinte de mes objectifs, j’ai réalisé deux séjours de recherche (17 mars 2018 au 7 mai 2018; 23 septembre 2018 au 22 décembre 2018) pour un total de cinq mois à Pape’ete, capitale de la Polynésie française et siège des services sociaux. J’ai déployé une stratégie de recherche qui se base sur une étude de cas qualitative de type empirico-inductif. J’ai choisi cette stratégie de recherche puisqu’elle permet de circonscrire mon projet dans un espace-temps donné. Ceci m’a amenée à mieux cibler mon objet de recherche – l’adoption à la polynésienne – dans le contexte contemporain de la Polynésie française (De Sardan 2008 : 73). Par ailleurs, l’étude de cas permet d’entrecroiser différentes sources de production de données comme l’observation, l’entretien et les données écrites (De Sardan 2008 : 73).

Pour ce projet de recherche, ma collecte des données a été réalisée grâce à deux méthodes complémentaires relevant du paradigme interprétatif de l’épistémologie empirique. La première méthode était de nature documentaire et visait à établir un état de la situation (pratiques, problèmes, enjeux) concernant l’adoption à la polynésienne par la consultation de rapports émanant d’écoles, d’associations locales, des services sociaux, de santé et de la justice.

La deuxième méthode s’est appuyée sur l’enquête ethnographique qui visait à saisir in situ et auprès des acteurs concernés les défis posés par cette pratique. En effet, « [l]’ethnographie, grâce à l’immersion de l’enquêteur dans le milieu enquêté, restitue les visions d’en bas plus variées qu’on ne le croit; elle permet le croisement de divers points de vue sur l’objet, éclaire la complexité des pratiques, en révèle l’épaisseur » (Beaud et Weber 2010 : 7). L’objet de la recherche – l’adoption à la polynésienne – a été exploré grâce à un amalgame de techniques d’enquêtes. J’ai mené des discussions informelles; j’ai mené des entretiens semi-dirigés avec des professionnels impliqués auprès d’enfants fa’a’amu, des parents d’enfants fa’a’amu et d’enfants fa’a’amu adultes; j’ai observé des réunions du personnel des services sociaux et du corps enseignant et des rencontres entre professionnels et parents d’enfants fa’a’amu et fait de l’observation participante lors d’une tournée de l’équipe des services sociaux sur l’île de Rurutu (archipel des Australes). Je reviendrai sur ces techniques à la section 3.4.5.

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3.4.3. Méthode de recrutement

Le recrutement visait tout d’abord les professionnels œuvrant dans les services sociaux amenés à travailler auprès des enfants fa’a’amu et souvent interpellés pour donner leur avis au tribunal, tel que prévu dans le projet approuvé par le CÉRUL (consultez la section 3.5. du présent chapitre). Je me suis rendue à la Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité (DSFE) de la Polynésie française, à Pape’ete, afin de rencontrer le personnel des services sociaux, de leur présenter ma recherche, de les inviter à y participer et de me faire guider par eux quant à la meilleure manière de déployer ma recherche dans le respect des pratiques locales. La DSFE est la seule organisation gouvernementale de Polynésie française (le reste des organisations relèvent d’initiatives privées) gérant l’aide sociale et disposant du service de protection à l’enfance. D’ailleurs, comme le personnel y travaillant œuvre auprès de la deuxième sous-population à l’étude, leurs conseils étaient tout indiqués quant à la manière de collaborer avec les familles.

Je tiens par ailleurs à préciser que la plupart des participants de la sous-population « membres de familles d’enfants fa’a’amu et enfants fa’a’amu adultes » n’ont pas été rencontrés par le biais de la DSFE. Mon échantillon pour cette population comprend autant de participants correspondant à une enfance ayant évolué dans un environnement « sans problème » qu’« à problème ». Comme je n’ai pas diffusé d’appels de participants, le recrutement s’est fait par « boule de neige », surtout à partir du personnel de la DSFE.

3.4.4. Institution et lieux

Lors de mon deuxième séjour sur le terrain, j’ai établi une convention de partenariat avec la DSFE qui m’autorisait à déployer mes recherches en tant que chercheure invitée à l’Université de la Polynésie française. Essentiellement, cette convention établissait une relation de partenariat qui m’offrait un accès au terrain de recherche, facilitait mon travail de recherche, permettait la tenue d’entretiens individuels avec le personnel de la DSFE et m’assurait un accès aux familles d’enfants fa’a’amu. Cette convention m’a permis notamment d’aller en « mission » sur l’île de Rurutu puisque j’ai été invitée à y accompagner un psychologue et une travailleuse sociale de la DSFE du 5 au 12 décembre 2018. Des équipes de la DSFE se déplacent en effet trois à quatre fois par an sur les îles plus éloignées

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du centre urbain de Tahiti afin de traiter les dossiers relatifs aux demandes d’aide sociale (aide afin de soutenir les populations plus vulnérables) ou d’intervention sociale (placement d’enfants, par exemple). J’ai donc pu les suivre dans leur tournée. Le séjour fut l’occasion de présenter ma recherche à des familles et d’inviter leurs membres à y prendre part. C’est pourquoi, non seulement ma recherche comporte deux sous-populations, mais aussi deux sites de recherche, l’un à Tahiti (archipel des îles de la Société) et l’autre à Rurutu (archipel des îles Australes). Mon séjour à Rurutu fut notamment pour moi l’occasion d’observer certaines différences pour ce qui est de la famille en Polynésie entre le milieu urbain (Tahiti) et le milieu rural (Rurutu). Si ce deuxième site n’était pas prévu dans ma recherche initiale, cette invitation à partir en mission avec deux membres du personnel de la DSFE comportait pour moi une occasion inespérée d’observer de façon concrète le travail du personnel auprès des familles.

Lors de cette mission à Rurutu, j’ai eu l’occasion de réaliser des observations de séances de consultation impliquant professionnels et parents d’enfants fa’a’amu, avec le consentement libre et éclairé de tous les participants à ces séances. C’est à cette occasion que j’offrais également aux parents présents la possibilité de participer à un entretien semi-dirigé à leur convenance et que je leur remettais un feuillet d’explication concernant la recherche, ce qui leur permettait d’avoir le temps de réfléchir et de revenir vers moi de leur plein gré et à leur convenance. Dans le cadre de cette mission à Rurutu, j’ai rencontré des membres de familles qui avaient fait elles-mêmes appel à la DSFE ou encore auprès de qui la DSFE intervenait à titre de modérateur dans une situation à risque de danger pour un enfant ou de danger avéré pour un enfant. Je tiens ici à préciser que l’échantillon « famille d’enfant fa’a’amu » pour l’île de Rurutu n’est pas représentatif de tous les cas d’adoption à la polynésienne sur l’île, mais permet malgré tout une bonne appréhension des situations présentant des dangers spécifiques auxquelles sont confrontés les enfants fa’a’amu.

3.4.5. Techniques de collecte de données

3.4.5.1. Entretiens semi-dirigés

L’entretien est une forme fondamentale de communication et d’interaction humaine (Campenhoudt et al. 2017 : 241). Elle offre notamment l’occasion de rendre compte du point

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de vue de l’acteur (De Sardan 2008 : 54). Si l’entretien consiste en un véritable échange au cours duquel il est possible pour le chercheur d’en retirer des informations et des éléments complexes et sensibles sur une problématique de recherche donnée, il n’en demeure pas moins qu’il doit être conduit de façon rigoureuse. Ainsi, à partir d’un schéma de base, j’ai choisi de « laisser venir » le participant à la recherche, pour qu’il puisse parler librement et à son rythme. De cette manière, tout en recentrant à l’occasion l’entretien sur mes objectifs de recherche, il s’est créé un climat d’ouverture et de respect de l’autre (Campenhoudt et al. 2017 : 242).

Au total, j’ai réalisé 30 entretiens (4 lors du premier séjour, et 26 lors du deuxième) auprès de 37 participants : 15 entrevues auprès des professionnels œuvrant auprès des familles d’enfants fa’a’amu (juge, notaire, travailleurs sociaux, psychologues et éducateurs spécialisés); ainsi que 15 entretiens auprès des familles d’enfants fa’a’amu (parents ayant confiés ou reçus, ainsi que des enfants fa’a’amu adultes).

Dix-huit de ces participants faisaient partie de la population des « spécialistes œuvrant auprès d’enfants fa’a’amu » : dans le domaine de l’intervention sociale, j’ai rencontré quatre psychologues, quatre assistantes sociales, une éducatrice spécialisée et une secrétaire; dans le domaine de la santé, je me suis entretenue avec deux sages-femmes et une infirmière; et pour le domaine de la justice, j’ai rencontré un notaire et un magistrat. J’ai complété le volet entretien de mon projet auprès des spécialistes en ajoutant des voix du domaine de l’éducation, dont un conseiller principal en éducation et une directrice d’un établissement de formation scolaire en milieu pratique, la Maison familiale rurale (MFR). J’ai aussi eu l’occasion de m’entretenir avec Flora Devatine, directrice de l’Académie tahitienne (Fare Va’ana). Leurs connaissances des procédures juridiques, administratives et sociales déployées pour protéger les enfants sont nécessaires afin de comprendre les enjeux pratiques de l’adoption fa’a’amu. J’ai ajusté mon schéma d’entretien en fonction des profils des participants.

Dix-neuf participants à ma recherche faisaient partie de la population « parents d’enfants fa’a’amu ayant confiés ou reçus un enfant par le biais d’une adoption à la polynésienne ou encore enfants fa’a’amu adultes ». J’ai interviewé quatre personnes fa’a’amu, huit mères fa’a’amu, une sœur fa’a’amu, un père fa’a’amu, une grand-mère fa’a’amu, une arrière-

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grand-mère fa’a’amu, un arrière-grand-père fa’a’amu et deux mères ayant confié leur enfant en fa’a’amu.

Veuillez consulter l’annexe VIII afin de prendre connaissance du tableau présentant les principales caractéristiques des participants à cette recherche.

J’ai guidé ces entretiens grâce à deux guides d’entrevues établies au préalable : un pour les spécialistes et un pour les parents (confieurs et receveurs) (voir l’annexe IX). Afin de raffiner ces guides, après chaque entrevue effectuée auprès des spécialistes et des parents (confieurs et receveurs), j’ai procédé à un travail itératif en écoutant mes entrevues et en testant la validité de mes questions, de façon à continuellement peaufiner ma problématique de recherche et mes instruments de collecte de données.

3.4.5.2. L’observation

Olivier de Sardan décrit l’observation comme « une attitude cognitive “naturelle” menée par tout un chacun de façon efficace dans le flux des activités quotidiennes » (2008 : 66). Pour un chercheur, l’observation est l’occasion de comprendre les activités sociales qui nous intéressent et permet de relever le prédiscursif et l’infra-discursif de celle-ci, notamment le silence et l’informulable (De Sardan 2008 : 66). À cet effet, lors de l’observation de rencontres entre personnels des services sociaux et parents d’enfants fa’a’amu, j’ai mobilisé les techniques d’observation déployées par Benoit De L’Estoile pour l’anthropologie de la réunion. Bien que mes observations se soient basées sur des rencontres et non des réunions, certains emprunts ont pu être mobilisés dans ma recherche. Il avance que,

[s]i elle n’implique pas une égalité entre les participants, la réunion postule que ceux qui ont « voix au chapitre » ont la possibilité, au moins théorique, de prendre la parole. Elle suppose aussi implicitement l’existence d’un langage commun permettant la discussion. Il est donc particulièrement fécond de s’intéresser […] à des réunions se déroulant dans des contextes de forte asymétrie, mettant aux prises des participants appartenant à des « mondes » hétérogènes, agissant en référence à des échelles différentes, et où l’existence d’un langage commun – au sens propre et figuré – ne peut être postulée a priori. Les configurations coloniales fournissent ainsi nombre de situations de confrontation entre des mondes hétérogènes, produits dans des trajectoires historiques très différentes, se trouvant en relation d’interdépendance asymétrique (De L’Estoile 2015 : 3).

Ainsi, je me suis attardée à l’observation de rencontres entre des mondes hétérogènes, celui des services sociaux et celui des parents d’enfants fa’a’amu, comme dispositif d’interaction

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directe (voir l’annexe X). L’hétérogénéité de ces deux mondes peut notamment résider dans des différences de scolarité, d’âge, de genre, d’ethnie et de statut socio-économique auxquelles j’ai été attentive. Notons cependant qu’au plan ethnique, puisque 80% de la population est d’origine polynésienne et que plusieurs travailleurs sociaux sont d’origine polynésienne, ces rencontres n’ont pas nécessairement été le lieu d’interaction entre « dominants » et « dominés ». Des hiérarchies peuvent cependant être à l’œuvre relativement à d’autres caractéristiques. Dans le cadre de ces observations, il s’est agi d’être attentive aux caractéristiques de chacun et d’en déceler les impacts dans les interactions. Qui sont ces travailleurs sociaux ? Qui sont les parents d’enfants fa’a’amu ?

J’ai été particulièrement attentive au déroulement de la rencontre, à l’organisation de l’espace et du temps, « les interactions entre les acteurs réunis, leur organisation et leur dynamique et donc les rapports différentiels de pouvoir [De L’Estoile, 2015], les actions, réactions, attitudes et hexis corporelles des acteurs [Le Collectif Onze, 2013 : 266], les prises de parole, les silences, les propos échangés » (Gagné 2018 : 95).

3.4.5.3. Journal de terrain

Le journal de terrain est un outil d’enquête de terrain indispensable dans lequel sont notées les observations et la progression de la recherche, jour après jour (Beaud et Weber 2010 : 78). Cet outil réflexif tire son utilité de la réflexion constante sur le terrain ainsi que de la relecture qu’on en fait au retour du terrain. Ainsi, ce journal de bord peut prendre différentes formes, dont celle que j’ai retenue pour ma recherche. La page droite consiste en une suite d’annotations de style télégraphique, de façon à retracer les événements de l’enquête en incluant les pseudonymes des personnes, le lieu de la rencontre, mes impressions, mes descriptions et récits (Beaud et Weber 2010 : 78-79). La page de gauche du journal est le support de mes questions théoriques, de mes hypothèses, de mes analyses préliminaires, de mes doutes, bref, de ma vie intellectuelle (Beaud et Weber 2010 : 79). De cette façon, un constant travail réflexif s’est effectué à travers ce journal, ceci m’a permis de situer mes données dans le temps et l’espace et de prendre un pas de recul par rapport à mes a priori.

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3.4.4. Le rapport aux sujets

Lors de mes deux terrains de recherche, j’ai résidé au Foyer des jeunes filles de Paofai à Tahiti, un foyer protestant qui héberge exclusivement des femmes, notamment des jeunes filles venant des autres îles afin d’étudier sur Tahiti. On y compte des jeunes filles mineures, mais aussi des jeunes femmes étudiant à l’université ainsi que des femmes qui sont sur le marché du travail. Ce lieu m’a permis de m’inscrire dans la société polynésienne d’une manière intéressante ainsi que de nouer des amitiés. J’étais rattachée à une institution bien connue des Polynésiens et surtout, respectée, ce qui me permit de me faire accepter plus rapidement. C’était aussi un endroit clé puisqu’il était situé au centre-ville de Pape’ete et me permettait de me déplacer à pied vers pratiquement tous les lieux où se sont déployées mes activités de recherche.

Pendant mon premier séjour sur le terrain, j’ai pu prendre connaissance de la vie quotidienne en Polynésie française. Notamment, j’ai réussi à établir un premier contact avec la DSFE.

Le deuxième séjour sur le terrain fut une suite logique au travail que j’avais entamé quelques mois plus tôt. J’en conclus qu’une partie des réponses positives à mon projet viennent du fait d’être venue une première fois et d’y être retournée. Ce retour sur le terrain a solidifié mes liens avec les gens que j’avais rencontrés et a confirmé mon intérêt envers eux et envers mon projet de recherche ainsi que le sérieux dans mes études.

3.4.6. Opérationnalisation et analyse des données recueillies

L’analyse des données recueillies a été réalisée en utilisant la méthode d’analyse de contenu thématique. Cette méthode d’analyse populaire dans les recherches de type qualitatif permet d’identifier les significations du phénomène étudié, de classer et de coder par thèmes les données issues de différentes sources analysées (journal de bord, notes d’observation, entretiens, documents, etc.) et plus particulièrement, de valider la question de départ. Une des particularités de mon analyse fut d’effectuer une analyse en trois étapes pour chacune des deux sous-populations, puis dans un deuxième temps, d’analyser de façon comparative ces deux sous-populations.

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Ainsi, la première étape de l’analyse qualitative de contenu se divise en deux temps. D’une part, il s’agissait de préparer les données, c’est-à-dire les retranscrire systématiquement (Campenhoudt et al. 2017 : 287). La retranscription intégrale d’entretiens permet « d’éviter d’écarter trop vite de l’analyse des parties de l’entretien qui seraient jugées a priori inintéressantes, ce qui pourrait se révéler inexact au fil de l’analyse » (Campenhoudt et al. 2017 : 287). D’autre part, il s’agissait d’organiser ces matériaux de façon à permettre leur analyse. Je me suis assurée de faire un premier nettoyage des matériaux en les classant et les codant par thèmes. J’ai notamment joint l’utilisation de livrets individuels en version papier pour chacune des entrevues au logiciel de classement d’entrevues et d’exploitation des données MAXQDA. À cette étape, j’ai tenu un journal de codes, me permettant déjà de voir se dessiner les lignes directrices et les thèmes prédominants.

La deuxième étape de l’analyse qualitative de contenu est la création des catégories conceptualisantes. Il s’agit d’une « production textuelle se présentant sous la forme d’une brève expression et permettant de dénommer un phénomène perceptible à travers une lecture conceptuelle d’un matériau de recherche » (Paillé et Muchielli 2003 : 147-148). En effet, « [l]es matériaux produits par les diverses méthodes doivent être interrogés de manière à révéler les phénomènes qui caractérisent l’expérience des participant[e]s […]. Cela nécessite une méthode d’analyse permettant d’incarner un regard théorisant dans des catégories d’analyse » (Paillé et Muchielli, 2012, dans Rondeau et Paillé 2016 : 9). J’ai donc créé des catégories conceptualisantes pour chacune de mes deux sous-populations.

Enfin, la troisième et dernière étape de l’analyse qualitative de contenu est celle de la théorisation de la recherche, au sens de Rondeau et Paillé (2016), ou encore de la comparaison entre les résultats observés avec les résultats attendus au sens de Campenhoudt et al. (2017), ou enfin, de l’interprétation au sens où l’entend de Sardan (2008). Il s’agit donc d’établir les conclusions de la recherche. Pour cette étape, j’ai usé d’une analyse transversale et comparative des données (Campenhoudt et al. 2017 : 299). Pour chacune de mes sous- populations, j’ai comparé les réponses des participants en faisant ressortir les éléments les plus significatifs, notamment les convergences et les divergences entre les deux sous- populations. À cette analyse, j’ai ajouté l’analyse d’autres sources de données, comme mes

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journaux de bord, mes observations participantes ainsi que la documentation grise accumulée durant mes recherches.

L’analyse systématique de mes données a été essentielle afin d’éviter ce que de Sardan appelle la « sur-interprétation » des données qui survient lors d’une projection excessive des préoccupations du chercheur ou encore d’une paresse méthodologique. Il décortique la sur- interprétation comme suit : la réduction à un facteur unique; l’obsession de la cohérence; l’inadéquation significative; la généralisation abusive; et enfin, le coup du sens caché (De Sardan 2008 : 261).

3.5. Considérations éthiques

Ce projet de maîtrise s’insère dans le projet de recherche Legs colonial et outre-mer autochtone : Kanak de Nouvelle-Calédonie, Amérindiens de Guyane et Mā’ohi de Polynésie face à deux institutions de la République française (justice et école), auquel participe ma directrice, Natacha Gagné, à titre de cochercheuse. Il est approuvé par les Comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval (CÉRUL) (numéro d’approbation : 2014-059 R-5 / 19-11-2019). La recherche menée par Natacha Gagné dans ce projet vise généralement à enrichir les connaissances quant au fonctionnement de la justice judiciaire en Polynésie française. Elle a pour but de dresser un tableau du traitement des affaires familiales et de nourrir la comparaison avec la Nouvelle-Calédonie et la Guyane, pour lesquelles une étude similaire est en cours. Mon projet s’insère dans cette recherche puisqu’elle vise une meilleure compréhension des affaires relatives à l’adoption. Elle fait suite à la demande de justiciables polynésiens et d’experts, notamment des professionnels polynésiens œuvrant comme travailleurs sociaux, rencontrés par ma directrice lors des phases antérieures de cette recherche. Ils lui ont manifesté le souhait d’avoir aussi l’opportunité d’exprimer leurs points de vue sur les affaires familiales, en particulier sur les réalités de l’adoption, notamment sur sa prise en compte par la justice. Mon projet de recherche a donc été conçu en réponse à des demandes émanant du milieu. La recherche a par ailleurs obtenu l’approbation du Président du Tribunal de première instance de Pape’ete et comme mentionné plus haut, dans le cas spécifique de ce mémoire, je me suis assurée d’obtenir celle de la DSFE.

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Au cours de ma recherche, je me suis conformée aux mesures approuvées par le CÉRUL. Ces mesures concernent notamment le mode de recrutement ainsi que la méthode pour l’obtention et la consignation du consentement libre, préalable et éclairé des participants à ma recherche. Des formulaires de consentement écrits ont été prévus pour consigner le consentement des participants à ma recherche. Pour protéger leur confidentialité, dans ce mémoire et dans toutes les publications qui pourraient en résulter, tous les participants à ma recherche sont désignés par un pseudonyme. Une participante à ma recherche a exprimé le souhait de voir apparaître son vrai nom. Il s’agit de Flora Devatine, poétesse et directrice de l’Académie tahitienne (Fare vana’a) avec qui j’ai eu l’occasion de m’entretenir le 30 novembre 2018.

3.6. Conclusion du chapitre

Ce chapitre conclut la partie « cadrage » de ce mémoire. Les deux prochains chapitres seront dédiés à la présentation des résultats de l’analyse des données. Le chapitre suivant répond à l’objectif 1 et en partie à l’objectif 2 de la recherche, c’est-à-dire qu’il décrit l’adoption à la polynésienne telle qu’elle se présente aujourd’hui et discute des enjeux et défis qu’elle pose pour les enfants fa’a’amu, leurs familles fa’a’amu et biologiques.

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Chapitre 4 – Défis et enjeux du fa’a’amu contemporain en Polynésie française pour les familles d’enfants fa’a’amu et les personnes fa’a’amu

Dans ce chapitre, je m’attarderai aux situations des familles d’enfants fa’a’amu (parents fa’a’amu, parents biologiques, personnes ayant été fa’a’amu étant enfants) afin de montrer les différentes stratégies déployées par les familles d’enfants fa’a’amu ainsi que les enjeux que ces familles peuvent vivre dans un contexte de pluralité des mondes. Je tenterai notamment de décrire la complexité de la pratique et les multiples formes qu’elle peut prendre aujourd’hui.

Pour ce faire, je dresserai sept portraits d’enfants fa’a’amu. Je les ai retenus parce qu’ils sont particulièrement représentatifs des diverses situations rencontrées. Ces portraits me permettront de mettre en évidence les éléments importants dans la compréhension du fa’a’amu contemporain qui réside à la croisée des mondes français et polynésien. En quelque sorte, ces éléments me permettront de peindre sur une toile, par chaque coup de pinceau bien particulier, un portrait de l’adoption à la polynésienne. Ces éléments s’entrecroisent à d’autres, se manifestent timidement ou encore de façon évidente à travers ces histoires. Il est à noter que comme ma recherche exclut du recrutement les personnes mineures, les portraits présentés dans ce mémoire sont le fruit, soient des expériences vécues par les parents d’enfants fa’a’amu, ou encore par une personne majeure, mais ayant été fa’a’amu dans son enfance.

À partir de cette toile, j’en identifierai ensuite les principaux points saillants et les discuterai. Cette étape consistera à faire état de la pratique du fa’a’amu telle que j’ai pu en prendre connaissance sur l’île de Tahiti et de Rurutu, notamment en ce qui a trait à la précarité socio- économique de certaines familles, aux différences entre Tahiti et Rurutu, à la reconnaissance juridique, à l’héritage, aux différents motifs justifiant de confier son enfant ou d’en recevoir un, au rôle des grands-parents dans cette pratique, à l’importance du maintien des liens entre les familles biologiques et fa’a’amu ainsi qu’à la place de l’enfant dans ses familles d’accueil et biologique. Cela me permettra de faire ressortir les aspects contemporains de la pratique

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et d’explorer les diverses formes que peut prendre l’adoption à la polynésienne, afin de ne pas tomber dans une généralité qui est peu parlante ou un essentialisme culturel.

4.1. Typologie du fa’a’amu

Les langues polynésiennes sont construites selon le principe espace-temps, c’est-à-dire qu’Ego forme sa pensée en fonction de sa position dans l’espace-temps. La linguiste polynésienne Louise Peltzer explique que « [c]’est plus un système lococentrique qu’égocentrique, où la personne a un lien étroit avec l’espace, et où elle peut même être le lieu de l’action, de l’événement ou l’action elle-même (prédicat) » (1998 : 25 dans Troadec 2003 : 27). Ainsi, « les sujets, les objets et l’espace dans lequel ils se tiennent sont indissociables » (Troadec 2003 : 27). Dans un souci d’organiser les analyses dans une logique polynésienne, j’ai établi quatre types de fa’a’amu, à partir de la position des parents fa’a’amu ou adoptifs par rapport à Ego, Ego étant la mère ou le père biologique (la plupart du temps, la mère) partant du plus près d’Ego pour aller vers le plus loin d’Ego. Chacun de ces types permet d’entrevoir plusieurs variables différentes.

Schéma 1 : Typologie du fa’a’amu

Ego (parents biologiques)

Fa’a’amu intrafamilial (grands- parents)

Fa’a’amu intrafamilial (famille proche et élargie)

Fa’a’amu extrafamilial entre Polynésiens (amis, voisins, etc.)

Fa’a’amu extrafamilial avec des non-Polynésiens (métropolitains)

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L’établissement de cette typologie, représentée par le schéma ci-haut, se justifie par la logique selon laquelle l’enfant n’est pas confié de façon arbitraire. Dans la plupart des cas d’adoption à la polynésienne que j’ai pu observer, une relation entre les deux couples de parents préexistait au confiage d’un enfant (cela exclut évidemment les adoptions à la polynésienne extrafamiliale auprès de métropolitains venus de France en vue d’adopter).

Plusieurs avant moi ont réfléchi à une typologie de l’adoption à la polynésienne. Par exemple, dans le document « Regards sur l’enfant fa’a’amu » produit par l’Association Polynésienne de Recherche, Intervention et Formation (A.P.R.I.F. 1993), la psychologue Véronique Ho Wan mentionne une distinction importante entre le fa’a’amu intrafamilial et extrafamilial. Selon elle, le fa’a’amu intrafamilial relève de situations complexes et elle indique qu’« une majorité [d’adoptions à la polynésienne] se fait avec les grands-parents, comme une coutume dans certaines familles de prendre avec eux les premiers mo’otua22 » (A.P.R.I.F. 1993 : 16). Dans ce type, elle distingue deux catégories, c’est-à-dire celle des familles « éclatées » et celle des familles « tricotées serrées ». Dans le premier cas, « les enfants peuvent être adoptés ou donnés en fa’a’amu un peu à n’importe qui, sans souci particulier de leur devenir. Elles sont a priori moins nombreuses » (A.P.R.I.F. 1993 : 17). Dans le deuxième cas, pour des familles tricotées serrées, « le sentiment d’appartenance des enfants au système familial est très fort. Elles se révèlent les plus importantes, et c’est dans celle-ci que l’on trouve l’autorité du tupuna23 la plus prégnante » (A.P.R.I.F. 1993 : 17). Enfin, dans la catégorie du fa’a’amu extrafamilial, Ho Wan indique qu’il s’agit le plus souvent d’adoption entre métropolitains et Polynésiens : « les familles adoptives ayant par exemple une stérilité, désiraient un garçon. L’éloignement avec la famille biologique s’observe souvent dans ces cas, bien qu’il existe des situations de voisinage ou d’amitiés qui se consolident par l’adoption d’un enfant fa’a’amu » (A.P.R.I.F. 1993 : 16). Lors de mes séjours sur le terrain, j’ai effectivement constaté une distinction importante entre les adoptions à la polynésienne intra et extra familiales. Toutefois, la typologie que je propose d’illustrer à l’aide de portraits dans ce mémoire permet de mettre des mots sur les motivations pour confier un enfant qui,

22 Le mot tahitien mo’otua se traduit en français par « petit-enfant » (Lemaître 1995 :76). 23 Le dictionnaire de l’Académie tahitienne traduit le mot tahitien tupuna en français par « ancêtre ».

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contrairement à ce qu’avance Ho Wan (A.P.R.I.F. 1993), ne relèvent pas du hasard. Avancer que, dans certains cas, il s’agit d’un désintérêt pour l’avenir de l’enfant mériterait par ailleurs d’être investigué de façon empirique.

Dans un premier temps, deux portraits relevant du fa’a’amu intrafamilial auprès des grands- parents maternels ou paternels seront présentés. Ensuite, seront présentés deux cas de fa’a’amu intrafamilial auprès de la famille proche et élargie, c’est-à-dire auprès d’oncles, tantes, grands-oncles, grands-tantes, cousins, cousines, etc. Le troisième type correspond au fa’a’amu extrafamilial auprès d’amis ou de voisins. Un seul cas de ce type sera présenté, le seul dont j’ai pu prendre personnellement connaissance même si, selon des conversations informelles, ce type d’adoption à la polynésienne est relativement commun. Enfin, le dernier type correspond aux adoptions par des métropolitains, que le juge Godefroy du Mesnil qualifie de « couple métropolitain venant adopter un enfant polynésien » (2018 : 90), et dont, avant 2017, on recensait une centaine de cas par année (de Monléon 2002 : 2; de Monléon 2004 : 49; Leblic 2014 : 449). Depuis l’année 2017, on en recenserait plutôt une vingtaine de cas par année (du Mesnil 2018 : 90).

À travers ces histoires, nous aurons l’occasion de prendre connaissance de la place de l’enfant dans sa famille; de son histoire particulière; de la saisie du tribunal (ou non) concernant l’adoption légale de l’enfant; des possibles tensions dans la famille ou des secrets de famille; des liens qui lient les deux couples de parents (fa’a’amu et biologique); des différences d’expériences de l’adoption fa’a’amu entre le centre urbain de Tahiti et une île rurale comme pour Rurutu; des motifs justifiant de confier un enfant ou d’en recevoir un et des différences socio-économiques entre les parents fa’a’amu et biologiques.

4.1.1. Fa’a’amu intrafamilial auprès des grands-parents

4.1.1.1. Portrait de Hiti, Tahiti

Mes parents adoptifs quand ils m’ont adopté, en fait comme ils aiment bien les enfants, il faut que tu saches que mes parents adoptifs enfin mes grands-parents quoi, ma mère adoptive elle est, enfin mon père adoptif, c’est son deuxième mari, voilà et comme ils n’ont pas eu d’enfant ensemble et bien ils m’ont adopté. (Hiti, octobre 2018)

Hiti est un jeune homme de 34 ans ayant grandi à Pape’ete, sur l’île de Tahiti. Il a été fa’a’amu par sa grand-mère paternelle et son nouveau mari. Les parents biologiques de Hiti,

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qui étaient âgés à l’époque de 17 ans, avaient déjà une fille, la grande sœur de Hiti, lorsque la jeune maman est tombée à nouveau enceinte. Les parents fa’a’amu de Hiti (grands-parents paternels) ont accueilli le petit afin de s’en occuper et l’ont adopté de façon plénière, de manière à ce que Hiti soit autant l’enfant de sa mère (fa’a’amu), que de son conjoint (père fa’a’amu). Il m’explique qu’il ne porte que le nom de famille de son père fa’a’amu.

Il me raconte qu’il a appris qu’il avait été adopté lorsqu’il avait environ sept ans, après avoir croisé ses parents biologiques qui habitent à dix minutes de son lieu de résidence. Lors d’une rencontre familiale, sa grande sœur biologique lui a annoncé qui étaient ses parents biologiques. Comme il n’avait que sept ans, ses parents fa’a’amu avaient jugé qu’il était encore trop jeune pour comprendre. Hiti voyait ses parents biologiques environ une à cinq fois par mois, mais ne savait pas avant l’âge de sept ans qu’il était leur enfant biologique. Il m’explique alors en entretien que cette annonce ne l’a pas choqué et que ses parents fa’a’amu lui ont expliqué son histoire au fur et à mesure qu’il grandissait.

Selon Hiti, la motivation qui a poussé ses parents biologiques à le confier est qu’ils étaient trop jeunes pour s’occuper de deux enfants en même temps. Il m’explique notamment que ses parents biologiques souhaitaient le laisser à l’hôpital afin qu’il puisse être adopté par une famille, mais sa grand-mère paternelle a proposé de le prendre. Hiti précise alors que son père fa’a’amu est le deuxième conjoint de sa grand-mère paternelle. Il ne s’agit donc pas du père de son père biologique. Il explique que cet homme n’a jamais eu d’enfant. Je lui demande alors s’il pense que pour son père fa’a’amu, c’était l’occasion d’avoir un enfant et il me répond que « oui, voilà », sans autre explication. Ses parents fa’a’amu ont aussi accueilli la cousine de Hiti, la fille de son oncle paternel, pendant environ deux ans, sans délégation de l’exercice de l’autorité parentale (DEAP) ni adoption formelle. Hiti me dit que sa mère fa’a’amu la considère un peu comme sa fille. Les raisons de cet accueil demeurent toutefois floues pour lui. C’est la seule sœur fa’a’amu qu’il a pu côtoyer.

Hiti me dit avoir eu une enfance heureuse, voyageant entre les deux maisons de ses parents fa’a’amu : un appartement sur Pape’ete et une maison à Mo’orea (l’île sœur de Tahiti qui peut être rejointe par le traversier qui fait Tahiti-Mo’orea en 40 minutes). Ses parents fa’a’amu sont actuellement à la retraite, mais son père fa’a’amu était plombier et sa mère fa’a’amu couturière. Son père biologique est plombier et sa mère biologique a été femme de

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ménage, mais elle est aujourd’hui mère au foyer. Les parents biologiques de Hiti ont eu deux autres enfants après lui. Sa grande sœur biologique est aujourd’hui en France, avec un de ses petits frères. Il m’a dit qu’aujourd’hui, il les fréquente de temps à autre, mais pas de façon significative.

Hiti a eu l’occasion de faire des études à l’étranger (Nouvelle-Zélande et Australie), ainsi que d’étudier à l’Université de la Polynésie française (UPF) en anglais, mais il n’a pas terminé ses études. Il cherche actuellement du travail et habite toujours chez ses parents fa’a’amu. Dans le cas de Hiti, les relations entre ses deux couples de parents (fa’a’amu et biologique) sont bonnes et sans tension.

4.1.1.2. Portrait de Manuia, Rurutu

J’ai déjà fait la remarque à ma belle-mère, au début comme Manuia faisait tout ce qu’elle voulait, par exemple, elle voulait manger, bien elle mettait les pieds à table, et comme c’est leur premier mo’otua [petit-enfant], il ne faut rien dire. Alors moi, déjà ça, quand elle était petite, je n’aimais pas son éducation, mais après j’ai laissé, je me suis dit je ne vais pas me disputer. Puis, c’est moi et mon tane [homme] du coup, et comme c’est sa maman, je n’ai pas envie qu’à chaque fois on va se disputer, bien j’ai laissé tomber. Il y avait des choses que je n’aimais pas, mais au final je laissais tomber pour ne pas qu’on se dispute. (Vaia, mère biologique de Manuia, décembre 2018)

Manuia, qui est aujourd’hui âgée de 12 ans et qui vit sur l’île de Rurutu, a été confiée en fa’a’amu à ses grands-parents paternels à l’âge d’un mois. Dans le cadre de mes recherches, j’ai pu discuter avec Vaia (sa mère biologique qui a 40 ans) et Tevai (sa grand-mère paternelle, mère fa’a’amu de Manuia, qui a 58 ans). Manuia est née d’un père natif de l’île de Rurutu et d’une mère paumotu ayant grandi sur l’île de Tahiti. Ils habitent tous les deux sur l’île de Tahiti. Ensemble, ils ont eu trois enfants. Vaia a également une fille aînée d’un premier lit, ce qui fait que Manuia a trois frères et sœurs biologiques. Elle est la quatrième enfant de sa fratrie comptant trois filles et un garçon. Manuia a grandi dans un environnement bien différent de celui où ont grandi ses frères et sœurs biologiques à Tahiti. En effet, Tahiti compte environ 180 000 habitants, contrairement à Rurutu qui en compte environ 2 500. À Tahiti, ses frères et sœurs vivent avec leurs parents biologiques. Leur père travaille comme maçon et la mère est maintenant femme au foyer après des études et un moment sur le marché du travail. Manuia, pour sa part, a grandi auprès de ses grands-parents paternels ainsi que de ses oncles paternels qui sont dans la quarantaine et qui vivent toujours chez leurs parents, car n’ayant pas « fait leur vie ». Sa grand-mère est aujourd’hui retraitée (autrefois, elle était dans

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l’artisanat) et son grand-père, décédé. Tevai est donc seule pour s’occuper de la petite. Chose intéressante, c’est le père fa’a’amu de Manuia qui a choisi son prénom. Il s’agit de la seule mo’otua qui a reçu son prénom de son grand-père paternel, qui lui a d’ailleurs choisi un prénom féminin inspiré du sien. Étant la seule mo’otua que ses grands-parents ont pu prendre en fa’a’amu, elle a été, de ce fait, au centre de la vie des adultes de la maisonnée.

Vaia m’explique que lorsque Tevai venait sur Tahiti pour vendre son artisanat, elle amenait Manuia avec elle, ce qui lui permettait de voir sa fille une ou deux fois par an. Toutefois, Manuia réclamait sa mère fa’a’amu et Vaia associe cela au fait qu’elle traite Manuia de la même façon que ses autres enfants. Elle me dit que Manuia est habituée à un autre style d’éducation où les limites sont floues, sinon inexistantes. Si Manuia résidait chez sa mère biologique lorsqu’elle était à Tahiti, au fil du temps, Manuia et sa grand-mère Tevai ont commencé à aller chez un des oncles avec qui la petite a grandi sur Rurutu et qui habite maintenant une commune de Tahiti avec sa femme. Manuia n’est plus revenue habiter chez sa mère biologique par la suite lors des passages à Tahiti. Au moment de l’entrevue, cela faisait même deux ans que Vaia n’avait pas vu sa fille.

C’est auprès de la DSFE que j’ai entendu parler du cas de Manuia, qui quand elle était toute petite, leur a été signalée pour retard scolaire. Elle a tellement de retard scolaire, qu’elle ne sait ni lire ni écrire encore à ce jour24. Pourtant, elle n’est pas une enfant à problème et elle est d’ailleurs bien appréciée par ses pairs. Dans l’élaboration d’un projet de vie pour Manuia, établie notamment par le personnel de la DSFE qui suit son dossier, elle devra aller dans un Centre des jeunes adolescents (CJA25) de façon à se préparer un avenir professionnel. Selon

24 Manuia n’est pas la seule jeune vivant des difficultés scolaires. En effet, en 2014, la Direction générale de l’éducation et des enseignements (DGEE) rapporte que 1297 étudiants, dont 700 qui sont en âge d’éducation obligatoire, ont quitté définitivement l’école (Salaün et Le Plain 2019 : 23). D’ailleurs, toujours en 2014, la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française rapporte que « “la difficulté scolaire touche en Polynésie environ 40% des élèves”, proportion de ceux qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme. De même les difficultés en lecture mesurées lors des Journées défense et citoyenneté concernent entre 40% et 41% des jeunes en Polynésie française, un taux quatre fois supérieur au taux métropolitain » (Salaün et Le Plain 2019 : 23). 25 Le CJA est un établissement éducatif qui permet aux jeunes, dès l’âge de 12 ans, de recevoir une formation dans les domaines suivants : activités et productions du bois, activités du tourisme et de l’artisanat, activités et production de la terre, activités et productions du bâtiment et de l’industrie, activités et productions de la mer (Vice-rectorat de la Polynésie française 2019a).

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le personnel de la DSFE, il s’agit de sa seule chance d’avoir une éducation malgré son retard scolaire, puisque l’île de Rurutu ne possède que trois écoles primaires (à Moerai, Avera et Hauti), un collège (le Collège de Rurutu) et un lycée (Centre d’éducation aux technologies appropriées au développement de Rurutu26), qui ne répondent pas aux besoins de la petite. Le CJA se situe sur l’île sœur de Rurutu, l’île de Rimatara. Elle devra donc résider en internat pour jeunes filles. Selon Tevai, elle sait tresser et elle pourra faire carrière dans l’artisanat, notamment dans le tressage de feuilles de pandanus, qui fait partie de l’artisanat typique de l’île de Rurutu.

Même si le nouveau décret qui modifie les règles concernant le redoublement scolaire ne fut rendu qu’en 2015 (Mauia avait alors 9 ans)27, elle n’a pourtant jamais redoublé une année scolaire. Le personnel de la DSFE m’expliqua sa situation de la façon suivante :

[o]ui [Manuia] a toujours été repérée depuis toute petite dans les écoles de Rurutu, donc déjà à la maternelle puis ensuite à l’école primaire, avec des gros retards si ce n’est pas des retards tout court, et malgré les soutiens, les efforts, les instits spécialisées, les psychologues scolaires et tout ça, bien à la CM2, elle n’arrivait toujours pas à lire et écrire. Mais maintenant la réforme de l’éducation fait que les élèves passent quand même. Qu’ils aient ou pas le niveau, ils passent quand même […] Malheureusement sur le plan scolaire elle a des retards qui ne sont pas rattrapables. Bon, je dis « pas rattrapables » parce que sur Rurutu déjà, on n’a pas les moyens et puis il faut aussi que l’environnement, bien la grand-mère surtout soit en capacité aussi de la soutenir. Or, tu peux mettre toutes les instits spécialisées que tu veux à l’école, mais si à la maison il n’y a pas le soutien, bien [Manuia] après, elle reprend ses habitudes. (Benoit, octobre 2018)

Au regard de la situation actuelle de Manuia, j’ai discuté avec Vaia des motifs l’ayant poussée à confier sa fille à sa belle-mère. Elle m’a expliqué qu’il s’agissait de la troisième fois que Tevai demandait un enfant au couple. D’ailleurs, les demandes de sa belle-mère provoquaient un certain nombre de tensions au sein du couple puisque son mari voulait confier un enfant à sa mère alors que Vaia ne voulait pas. Elle me confia également qu’avant et pendant sa

26 Le Centre d’éducation aux technologies appropriées au développement de Rurutu (CETAD) est « adapté aux besoins des territoires d’outre-mer où il est préparé. L’option activités familiales, artisanales et touristiques, ouverte en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, permet de monter des projets cohérents et durables tournés vers le tourisme (artisanat, hébergement, restauration, animation culturelle…). On y apprend à la fois à créer un gîte, une pension familiale, une activité artisanale, maraîchère ou horticole, et à travailler dans un hôtel, un restaurant ou une collectivité » (Office national d’information sur les enseignements et les professions 2019). 27 Le redoublement est dorénavant interdit au niveau de la maternelle. Pour les autres niveaux scolaires (primaire, collégiale et lycéen), les enseignants ne pourront proposer le redoublement que dans certains cas exceptionnels, notamment l’hospitalisation de l’enfant pour une partie de l’année scolaire. Il est spécifié que les parents peuvent s’opposer à ce redoublement et l’étudiant passera au prochain niveau (Le Parisien 2014).

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grossesse, elle a souffert d’une dépression. C’est la somme de ces raisons qui l’ont poussée à confier sa dernière-née à sa belle-mère.

Vaia m’expliqua qu’au départ, ce fa’a’amu se voulait temporaire, pour les aider, son mari et elle, pendant les premières années de vie de Manuia. Elle pensait la reprendre à l’âge d’environ deux ans, mais la petite était déjà très attachée à sa grand-mère. Vaia a jugé bon de ne pas déraciner la petite et elle ne souhaitait pas faire renaître des tensions entre elle et son mari, puisque Tevai aussi s’était beaucoup attachée à Manuia.

Manuia n’a jamais été reconnue légalement par ses grands-parents et aucune procédure en DEAP ne fut engagée. Vaia souhaitait que ses beaux-parents la reconnaissent, mais c’est le père biologique de Manuia qui a insisté pour ne rien « signer » qui pourrait lui enlever ou réduire sa place de père. Toutefois, c’est Tevai qui reçoit les allocations familiales pour la garde de Manuia. Les allocations familiales correspondent à une aide financière du gouvernement pour les adultes ayant à charge des enfants. En effet,

(…) tout enfant reconnu « à charge » peut donner lieu au versement de prestations. Pour cela, il faut que les parents en assurent financièrement l’entretien (nourriture, logement, habillement) de façon effective et permanente et qu’ils assurent à son égard la responsabilité affective et éducative. L’existence d’un lien de parenté n’est pas obligatoire : il peut s’agir d’un enfant reconnu ou non, adopté ou recueilli. (Vice-rectorat de la Polynésie française 2019b)

Cette allocation est basée sur les revenus du couple qui a à sa charge un ou des enfants. Par exemple, une maisonnée qui accueille deux enfants et dont les ressources annuelles sont inférieures à 68 217 € par an, recevra 132,21 € par mois pour le soutien des deux enfants (Vice-rectorat de Polynésie française 2019b : 11).

Vaia critique le personnel de la DSFE en insistant sur le fait qu’elle n’est tenue au courant de presque rien concernant l’évolution scolaire de sa petite, comme c’est Tevai qui en a la charge. Toutefois, lorsque la DSFE intervient quant à l’évolution des retards scolaires de Manuia, c’est elle et son mari qui sont vus comme responsables puisqu’ils sont toujours les gardiens légaux de la petite. Elle se sent donc impuissante face à cette situation qui comporte son lot de tensions entre elle et sa belle-mère.

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4.1.2. Fa’a’amu intrafamilial auprès de la famille proche et élargie

4.1.2.1. Portrait d’Ahuriro, Bora Bora

D’après mon papa fa’a’amu, il voulait une fille. Juste un petit frère qu’on a adopté, ça c’est du côté à mon papa fa’a’amu, la sœur de mon papa fa’a’amu l’a donné, comme ma maman fa’a’amu voulait un garçon. (Ahuriro, décembre 2018)

Ahuriro est une jeune femme de 21 ans qui a été fa’a’amu par sa grand-tante maternelle (la sœur de sa grand-mère maternelle) alors qu’elle était bébé. À l’âge de 2 ans, ses parents fa’a’amu (aujourd’hui âgés de 65 ans) ont procédé à une adoption simple devant le tribunal. Née à Raiatea, elle a grandi à Bora Bora, les deux îles faisant partie des îles Sous-le-Vent, dans l’archipel de la Société. Elle vit maintenant sur l’île de Tahiti depuis deux ans, dans un foyer pour jeunes étudiantes, afin d’étudier en droit à l’Université de la Polynésie française (UPF). En vertu de son adoption simple, elle porte deux noms de famille, soit celui de sa mère biologique et celui de son père fa’a’amu. Elle m’explique que sa mère biologique avait 21 ans au moment de l’accouchement et que c’est sa grand-mère qui a décidé qu’elle serait fa’a’amu dans une autre famille. Au départ, c’était sa grand-mère qui souhaitait la prendre, mais comme sa sœur n’avait toujours pas d’enfant, sa grand-mère a indiqué qu’elle irait plutôt avec sa sœur. D’ailleurs, au moment de la naissance de Ahuriro, son père fa’a’amu souhaitait avoir une petite fille. Tout le monde a respecté la décision de la grand-mère, y compris sa mère biologique. Les raisons évoquées étaient que la mère était trop jeune et sans conjoint connu. Son père fa’a’amu était chef électricien sur l’île de Bora Bora et sa mère fa’a’amu, femme de ménage dans un hôtel. Sa mère biologique travaille aujourd’hui comme cuisinière dans des hôtels. Ahuriro entretient toujours des liens avec sa mère biologique qui vit sur l’île de Raiatea. Elles s’appellent au téléphone en plus de se voir de temps à autre. Ahuriro m’a indiqué qu’elles ont une bonne relation. Sa mère biologique n’a pas eu d’autres enfants.

Le couple qui a accueilli Ahuriro a aussi fa’a’amu un garçon qui est son cadet. Son petit frère fa’a’amu est en réalité le dernier fils de la plus jeune sœur de son père fa’a’amu. Lui aussi a été adopté de façon simple. Ahuriro m’explique qu’elle entretient de très bonnes relations avec son frère fa’a’amu, malgré les querelles habituelles entre frères et sœurs. Elle me dit se sentir très proche de son père fa’a’amu comme c’est lui qui, au départ, désirait une petite

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fille. Pour sa part, son frère fa’a’amu est davantage proche de sa mère fa’a’amu, comme elle souhaitait un petit garçon.

Ahuriro m’explique que ses parents fa’a’amu n’ont jamais eu d’enfants biologiques et qu’il s’agissait d’une question de « timing ». Plus tôt dans leur vie, le couple avait souhaité adopter les deux fils d’une des sœurs du mari, mais la maman des deux garçons n’a pas accepté. Les parents fa’a’amu de Ahuriro sont aujourd’hui dans la mi-soixantaine et à la retraite. On peut donc considérer qu’ils étaient plus âgés que la normale au moment d’avoir leurs enfants. En Polynésie française, depuis 1996, les femmes tendent à avoir leurs enfants plus tard qu’auparavant (27 ans en moyenne, selon l’ISPF 2018 : 3). Dans le cas de couples plus avancés en âge, l’adoption à la polynésienne leur permet d’avoir un enfant malgré avoir passé l’âge de procréer, comme c’est le cas des parents fa’a’amu de Ahuriro, pour qui son adoption à la polynésienne continue de bien se dérouler.

4.1.2.2. Portrait d’Aira, Rurutu

Ma sœur, la maman biologique d’Aira, il a fallu que ma mère décède pour que la maman biologique commence à se manifester. Tant que la grand-mère d’Aira était vivante, la maman biologique n’intervenait pas. (Tehinatu, décembre 2018)

Aira est une adolescente de 16 ans qui fut fa’a’amu dès sa naissance par son oncle maternel, Petero. Ce cas est complexe puisque cet enfant a beaucoup circulé au sein de cette famille. Dernièrement, suite à la décision du personnel de la DSFE, elle vit aujourd’hui à Tahiti, auprès de sa tante maternelle, Chantale. Elle fut suivie par la DSFE d’abord pour cause de négligence scolaire et maintenant pour maltraitance. Grâce à mon travail auprès de la DSFE, j’ai pu rencontrer deux de ses tantes maternelles qui l’ont adoptée à la polynésienne, l’une pendant environ 10 ans, l’autre pendant environ 4 ans. Afin de clarifier ce portrait, il est important de distinguer les membres de cette famille. Le couple de grands-parents maternels a eu six enfants : Petero, Tehinatu, Chantale, Simone, Karine et Marie. Marie et son mari ont eu huit enfants, dont Aira, la dernière de la fratrie. En d’autres mots, dans sa famille biologique, Aira est la cadette d’une fratrie de huit enfants.

Pour sa part, son oncle maternel Petero a eu deux fils. L’accouchement du dernier a coûté la vie à sa femme. Suite à sa mort, la grand-mère d’Aira a décidé que cette dernière serait confiée à Petero afin de lui offrir une fille puisque Petero vivait dorénavant dans une

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maisonnée sans femme. Dans les faits, Aira a grandi auprès de Tehinatu, la sœur de sa mère biologique, qui habitait avec sa mère, la grand-mère d’Aira. À l’époque, trois générations vivaient donc sous le même toit. Le père fa’a’amu d’Aira, Petero, vivait dans une autre maison, pas très loin de leur résidence. Aira n’a jamais habité avec Petero puisque celui-ci travaillait souvent à l’extérieur de l’île de Rurutu. D’ailleurs, c’est sa sœur Karine qui l’aidait à s’occuper de ses deux fils. La prise en charge d’Aira était plurielle à l’intérieur de sa famille : c’est Petero qui la « nourrissait » en défrayant tous les soins prodigués à Aira, c’est Tehinatu qui prenait toutes les décisions relatives à son éducation, alors qu’elle habitait sous le toit de la grand-mère maternelle. Les parents biologiques de la petite habitent dans le village voisin de celui où elle a été élevée.

Lorsqu’Aira a eu 10 ans, Marie, sa mère biologique a demandé à ce qu’elle sorte de ce milieu familial pour aller vivre sur Tahiti avec son autre sœur, Simone. Ce déplacement a été demandé par la mère biologique suite à la mort de sa mère, la grand-mère d’Aira. Elle est alors amenée à Tahiti chez Simone, mais ce placement ne se déroule pas bien et Aira est souvent laissée à elle-même. Elle va alors chez son autre tante qui habite à Tahiti, Karine. Toutefois, ce changement d’environnement n’améliore pas sa situation scolaire. Aira et Karine décident donc de rentrer sur l’île de Rurutu et habitent sur l’île pendant deux ans, avant que l’école ne la signale à la DSFE pour négligence scolaire. Le personnel de la DSFE décide alors de la placer chez ses parents biologiques, faute de famille d’accueil disponible sur l’île de Rurutu. Précisons que ces placements intrafamiliaux sont fréquents dans les îles où le nombre d’habitants n’est pas élevé. Toutefois, ce placement ne s’est pas bien déroulé. Le cas d’Aira fut à nouveau signalé à la DSFE, mais cette fois, pour maltraitance physique de la part de Marie, sa mère biologique.

Les raisons qui m’ont été données relativement à cette situation sont contradictoires. D’un côté, Tehinatu m’explique qu’il s’agissait d’un refus de la part de Marie, la mère biologique, de reconnaitre cet enfant comme le sien puisque la grand-mère d’Aira lui avait imposé de confier son enfant à un autre à sa naissance. Tehinatu m’explique qu’à l’époque, la grand- mère avait demandé la permission au père biologique d’Aira pour la confier en fa’a’amu à son fils Petero. Le père biologique d’Aira avait ainsi conclu cet échange sans en discuter d’abord avec sa femme. De l’autre côté, Karine m’explique que c’est plutôt Marie qui

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n’acceptait pas cette grossesse, qui n’aurait pas voulu de cet enfant et qui lui aurait même donné naissance chez elle, alors que toutes les femmes enceintes doivent accoucher sur l’île de Tahiti en s’y déplaçant un mois d’avance. D’ailleurs, selon Karine, Marie aurait pris la décision de la retirer de chez Tehinatu puisqu’elle était en conflit avec cette sœur.

L’histoire d’adoption à la polynésienne d’Aira révèle certaines tensions intrafamiliales. La DSFE a finalement placé Aira à Tahiti, chez sa tante Chantale, où elle poursuit maintenant ses études. Reste à voir comment ce nouveau placement se déroulera.

4.1.3. Fa’a’amu extrafamilial entre Polynésiens (amis, voisins, etc.)

4.1.3.1. Portrait d’Ioane, Mo’orea

Avant de commencer à manger, je me demande « est-ce qu’il a à manger, a-t-il mangé » ? (Pauline, avril 2018)

Ioane est un jeune homme de 24 ans qui vit sur l’île sœur de Tahiti, Mo’orea. À l’âge de 16 ans, il a été accueilli en fa’a’amu par Pauline28 (55 ans), la mère d’un de ses meilleurs amis, Afereti. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, section 2.4.3., il arrive parfois qu’un enfant demande à ses parents de prendre en fa’a’amu un de ses amis. Afereti, ayant remarqué que son copain était dans une situation familiale précaire sur le plan socioéconomique (ne mangeant pas à sa faim, ayant les vêtements sales et troués), il a demandé à sa mère Pauline de le prendre sous son aile. C’est dans ce contexte que Ioane est arrivé chez Pauline, aux côtés de son meilleur ami. Il a habité sept ans auprès de cette famille et les deux jeunes hommes étaient inséparables. Pauline me confie qu’elle le considère comme son fils et qu’il s’agissait pour elle d’une situation d’adoption à la polynésienne. Elle insiste notamment sur l’étymologie du mot « fa’a’amu » en parlant de sa relation avec Ioane. Ce mot tire son sens de « donner à manger, nourrir » et c’est ce qu’elle a fait : elle l’a « nourri ». Elle lui a donc offert une bonne situation familiale, l’a nourri, l’a éduqué en plus de lui financer un voyage

28 Pauline a d’ailleurs elle-même été fa’a’amu par ses grands-parents maternels auprès desquels elle a grandi.

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en Nouvelle-Zélande. À l’époque de l’accueil de Ioane chez Pauline, elle travaillait à la poste. Aujourd’hui, elle gère des pensions de famille29 sur l’île de Mo’orea.

Quelques années après son adoption à la polynésienne, Ioane a demandé à passer les fins de semaine dans sa famille biologique. Aux premiers abords, Pauline n’a pas accepté puisqu’elle avait peur de l’influence sur Ioane de sa famille biologique qui consommait beaucoup d’alcool. Toutefois, elle a finalement accepté, ne voulant pas couper Ioane de sa famille biologique. À la suite de plusieurs visites chez ses parents biologiques, le comportement de Ioane a commencé à changer. Un soir, il s’est introduit dans la chambre où dormait sa sœur fa’a’amu, la fille de Pauline, pour lui faire des attouchements. Les parents fa’a’amu de Ioane ont pris connaissance de l’événement et l’ont renvoyé définitivement chez sa famille biologique de peur que ce comportement ne se reproduise. Pauline me raconta l’événement avec grand regret et grande peine. Elle me confia qu’à chaque début de repas, elle pense à lui en se demandant s’il a de quoi à manger.

4.1.4. Fa’a’amu extrafamilial auprès de non-Polynésiens (métropolitains)

4.1.4.1. Portrait de Jérémie et Anthony, Tahiti

Dans mon esprit, à l’époque, j’étais une Popa’ā et m’immiscer dans cette pratique coutumière c’était quelque chose que je ne concevais pas, quand moi j’avais cru comprendre que c’était quelque chose justement d’intra-familial et donc je me disais, je ne vais pas aller prendre un enfant d’une famille défavorisée, rentrer avec lui en France et puis voilà. C’était vraiment quelque chose que je n’avais pas envisagé. Après, la vie c’est parfois curieux. Finalement, pourquoi je ne l’avais pas envisagé, bien je ne sais pas, il y avait une espèce de voile, c’était quelque chose qui m’attirait, que je connaissais. La seconde raison aussi c’est que j’ai été pas mal sollicitée pendant les premières années où je vivais ici, alors probablement à cause de mon métier, mais par des gens, des couples qui se baladaient, qui distribuaient des cartes « On cherche un enfant… », tu vois, et c’était quelque chose dans l’attitude… je suis pas du tout dans le jugement parce que justement je suis bien placée pour savoir la détresse que ça peut être. (Céline, mère fa’a’amu de Jérémie et d’Anthony, avril 2018)

Comme mentionné plus haut, il arrive que ce type d’adoption s’étende aux Popa’ā, originaires de métropole. Céline et son mari sont en Polynésie française depuis maintenant plusieurs années, y travaillant comme médecin ainsi que dans le domaine de l’import-export. Ils ont tous les deux la quarantaine. Céline et son mari sont Français et ont adopté deux enfants

29 Petite hôtellerie familiale.

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polynésiens, Jérémie et Anthony. L’histoire de Céline, comme dans bien d’autres histoires d’adoption, commence par l’infertilité. Après avoir commencé la fécondation in vitro, une opportunité d’adopter un enfant s’est présentée à elle. Il s’avère que ce fa’a’amu s’est bien déroulé et se déroule toujours bien.

Céline n’a pas cherché d’emblée un enfant polynésien. Elle avait simplement commencé à chercher de l’information au sujet de l’adoption en général et lorsqu’elle se rend à la cellule d’adoption de la DSFE, elle se fait proposer par le personnel de la cellule d’adoption l’option d’adopter un Polynésien. Cette idée mijote dans son esprit. Quelque temps plus tard, elle entend parler d’une femme habitant l’île de Rangiroa, dans l’archipel des Tuamotu, qui aimerait confier son enfant à des Popa’ā. Elle décide alors de la contacter pour débuter une discussion sur la possibilité de prendre son enfant. Cette femme avait déjà six enfants, était déjà grand-mère et pensait même déjà être en ménopause lorsqu’elle était tombée enceinte. C’est pour cette raison qu’elle désirait confier son enfant. Elle souhaitait tout particulièrement le confier à des Popa’ā, expliquant que son enfant aurait ainsi une bonne éducation. Cette condition était non négociable pour les parents biologiques. Ils ne souhaitaient pas confier leur enfant à des Polynésiens, car « ils tapent leurs enfants » (Céline, avril 2018).

Céline, pour sa part, a réfléchi longuement avant de s’engager, connaissant ce que le fa’a’amu représente pour les Polynésiens, notamment l’idée que les liens entre les deux familles ne sont pas coupés. Céline a donc rencontré cette maman dans le but de mieux comprendre comment se déroulerait cette adoption. Elles ont appris à se connaître et ont tout de suite discuté de leurs attentes mutuelles. Toutes les deux étaient d’accord pour garder le contact, mais Céline a dû mentionner qu’il était possible qu’un jour ils repartent tous en France. En dépit de cette possibilité, elles se mirent finalement d’accord pour procéder à l’adoption de Jérémie. Deux ans après cette adoption, et ayant maintenu des relations fréquentes avec la famille biologique, la mère biologique de Jérémie tombe à nouveau enceinte et propose une nouvelle fois à Céline de prendre son enfant, Anthony, chose qu’elle accepte avec joie, voulant offrir notamment un frère à son premier fils.

Céline et son mari ont procédé à l’adoption plénière de leurs deux enfants. Elle me confiait :

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[j]’ai très honte de moi parce qu’en fait on a fait une adoption plénière, alors pourquoi? Par simplicité, parce qu’à l’époque, tout le monde nous avait dit qu’il fallait faire une adoption plénière, ce qui est complètement idiot puisque dans l’adoption internationale, les gens font une adoption plénière pour donner la nationalité française à leur enfant. Or, en Polynésie, ce n’est pas le problème. Ils sont Français. […] Donc, c’est une mauvaise raison et justement le concept de double-parentalité se calque beaucoup plus sur l’adoption simple, ce qui permet de garder la double filiation. Sauf que moi, je n’y connaissais rien à l’époque, il faut remettre les choses en contexte. […] Je m’étais un peu renseignée et on m’avait dit : « oui, mais au niveau de la fiscalité au niveau de l’adoption simple, il y avait des différences », et aussi dans le contexte à l’époque, quand j’ai eu [Jérémie], je n’avais pas renoncé à être mère biologique. Donc je m’étais dit, parce qu’un jour je serais peut-être mère biologique et je voulais qu’il n’y ait aucune différence de statut fiscal, ou je ne sais pas comment dire, entre mes deux enfants. Donc je m’étais renseignée par rapport à ça et on m’avait dit : « Ah! Bien oui, mais quand tu as une adoption simple, au niveau des héritages… ». Je ne saurais plus te dire exactement, mais c’était différent. Et en plus, il y avait le fait que tu peux donc continuer d’hériter de la famille biologique, mais tu peux aussi hériter des dettes et des soucis, et ça je t’avoue que c’était quelque chose à l’époque qui nous avait un peu angoissés. (Céline, avril 2018)

Comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, l’adoption plénière et l’adoption simple sont deux formes d’adoption qui correspondent à des procédures juridiques différentes. La première crée une filiation substitutive, alors que la seconde crée une filiation additive (Mignot 2017 : 15-17). À titre de précision supplémentaire ici, mentionnons simplement que peu importe le type de filiation (biologique et adoptive), un individu est toujours en droit de refuser un héritage.

Malgré ces sentiments ambivalents par rapport à l’adoption plénière de ses deux fils, Céline et la mère biologique de ses deux enfants ont toujours gardé contact et surtout, les relations des enfants avec leurs frères et sœurs biologiques sont fréquentes et se déroulent bien, aux dires de Céline. Jérémie et Anthony ont toutefois été élevés différemment du reste de leur fratrie. Notamment, ayant été éduqué par des parents métropolitains, ils ne roulent pas leur « r » comme le reste de leur famille biologique et leurs parents fa’a’amu disposent de moyens financiers plus grands que ceux des parents biologiques, ce qui crée malgré tout une certaine forme de distance sociale. Voici ce que Céline m’expliquait à leur sujet : « voilà ce sont des gens extraordinaires, c’est une famille très saine, même si ce sont des gens qui n’ont rien, ils vivent dans les îles, ils font le coprah […]. Ils n’ont aucun revenu à part le coprah quand ça marche, voilà, ils sont RST, c’est-à-dire qu’ils bénéficient du régime de sécurité sociale des non-salariés, donc ils ne vivent de rien, quoi » (Céline, avril 2018). À ce jour, Céline vit toujours sur le territoire auprès de son mari et de ses deux enfants.

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4.1.4.2. Le cas de Hemana, France

Quand je suis allée en France visiter ma fille, elle avait quatre ans. Elle me dit « maman il faut qu’on discute ». On s’assoit sur son lit, sa sœur adoptive est là et puis ma fille me dit : « maman, quand tu rentres en Polynésie, ramène-moi avec toi ». (Tepoe, mère biologique de Hemana, novembre 2018)

Hemana avait 16 ans au moment où j’ai mené une entrevue avec sa mère biologique, Tepoe, 40 ans. Depuis sa naissance, Hemana a été confié à un couple de métropolitains venu de France en vue d’adopter un deuxième enfant polynésien. Ils avaient déjà, l’année d’avant, adopté une autre petite fille d’une autre mère polynésienne. Ils habitent aujourd’hui tous les quatre en France.

La mère biologique de Hemana, Tepoe, n’a appris qu’elle était enceinte qu’au 5e mois de sa grossesse et elle me confia que si elle l’avait su plus tôt, elle aurait fait interrompre sa grossesse. À l’époque, Tepoe avait 23 ans et était sans conjoint pour reconnaître cet enfant à naître. Elle résidait alors dans un foyer pour jeunes étudiantes à Tahiti où elle avait rencontré l’année avant sa grossesse un couple de Français désirant adopter un enfant. Il était clair pour elle qu’elle n’avait rien à offrir à cet enfant, en insistant sur le fait qu’elle n’avait pas de revenu ni non plus de maison pour subvenir aux besoins de son bébé. À ce moment, Tepoe appela sa famille fa’a’amu – Tepoe a elle-même été adoptée à la polynésienne par ses grands- parents maternels – afin de demander à son oncle, auprès duquel elle a notamment grandi, s’il désirait prendre Hemana en fa’a’amu. C’est sa conjointe, la tante de Tepoe, qui lui répondit en disant que son oncle ne voulait pas la prendre. Tepoe apprendra plus tard que cette tante lui avait menti pour une raison obscure, mais son oncle aurait bel et bien voulu prendre Hemana en fa’a’amu, ce qui aurait permis à Tepoe de garder sa fille près d’elle. D’ailleurs, la mère biologique de Tepoe souhaitait aussi prendre la petite, mais Tepoe ne voulait pas la confier à sa mère, comme elle n’était pas en bons termes avec elle, notamment parce qu’elle lui en voulait de l’avoir confiée en fa’a’amu à ses grands-parents maternels et qu’elle n’était pas d’accord avec ses méthodes d’éducation. Elle décida donc rapidement d’appeler le couple de Français qu’elle avait rencontré un an plus tôt, au Foyer des jeunes filles, et qui avait alors adopté une autre petite fille, en leur proposant de prendre sa fille. Ils acceptèrent avec joie et entretinrent une relation téléphonique jusqu’au moment où ils arrivèrent sur le territoire, un mois avant la naissance de Hemana.

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L’adoption de Hemana n’a pas été sans défi. En effet, le processus de confier un enfant à des parents qui sont étrangers est marqué par des tensions et des attentes. Suite à l’accouchement, Tepoe voulait prendre sa fille dans ses bras, mais la mère adoptive de Hemana ne voulait pas la laisser la prendre. De plus, les parents adoptifs promettaient des contacts réguliers avec Tepoe, comme lors des anniversaires et des fêtes importantes, mais déjà peu après l’accouchement, alors que les parents adoptifs résidaient temporairement dans la commune de Papara, à Tahiti, pour quelques semaines avant de retourner en France, ils évitaient les contacts avec Tepoe. Toutefois, Tepoe était décidée à confier sa fille à ces parents, insistant sur l’idée qu’elle n’avait rien à lui offrir. Entre autres, elle désirait que Hemana ait une vie meilleure que la sienne, faisant référence à une éducation dans un contexte français plus « évolué » et dans une famille unie.

Avant de repartir en France, les parents adoptifs et Tepoe ont procédé à un transfert de l’autorité parentale en vue d’une adoption devant le juge aux affaires familiales. Aux termes des deux ans requis avant de procéder à l’adoption de Hemana, Tepoe a demandé une adoption plénière, de manière à ce que soit bien claire l’idée que les parents adoptifs sont les vrais parents de Hemana. Toutefois, ces derniers ont refusé l’adoption plénière et ont opté pour une adoption simple puisqu’ils avaient procédé à une adoption simple pour leur première fille et ne voulaient pas créer de distinction entre leurs deux enfants.

Tepoe me confie qu’il a été difficile de confier sa fille à des étrangers. Selon elle, la mère adoptive avait du mal à la supporter. Pendant les premiers 6 mois de vie de Hemana, Tepoe recevait des nouvelles de sa fille, puis ensuite, plus rien. Elle a même pensé à la reprendre (ce qui était possible pendant les deux premières années de vie de l’enfant, soit avant l’adoption), mais elle ne voulait pas déraciner sa fille en plus d’insister sur le fait qu’elle n’avait rien à lui offrir : « ma fille ce n’est pas un paquet de linge » (Tepoe, novembre 2018). Toutefois, lorsque sa fille a atteint l’âge de 4 ans, elle est partie en France la visiter, aux frais des parents adoptifs. Ce voyage a été très difficile pour Tepoe puisque la mère adoptive l’a fait attendre 3 semaines avant de la réunir avec sa fille. Malgré la méfiance de la mère adoptive, elle passa alors quelques jours auprès de sa fille avant de retourner en Polynésie française. Elle a alors remarqué que si l’adoption des enfants était un désir de la mère adoptive, c’était dans les faits le père adoptif qui s’occupait des enfants. Elle a aussi remarqué

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que le couple se disputait beaucoup. Malgré ces tensions familiales, Hemana réussit bien dans la vie : elle a notamment obtenu des bourses d’études en sport.

Tepoe est aujourd’hui auxiliaire de vie scolaire dans une école, auprès des enfants autistes, profession qu’elle exerce maintenant depuis 12 ans. Elle n’a toutefois pas fait de formation particulière et est fière de son parcours professionnel. Elle est maintenant en ménage avec un homme duquel elle a eu une deuxième fille qui a 9 ans. Son compagnon est commissaire de police et habite en France depuis un an. Elle prévoit aller le rejoindre avec sa fille cadette, ce qui lui donnera notamment l’occasion de se rapprocher de sa fille aînée. Tepoe ne regrette pas cette adoption puisqu’elle est convaincue qu’à l’époque, elle ne pouvait pas s’occuper de sa fille et subvenir à ses besoins matériels comme affectifs. Toutefois, le manque de contacts avec la famille adoptive la laisse perplexe. Pour Tepoe, Hemana est sa fille et le restera toujours. Elle m’explique que lorsqu’une adoption entre Polynésiens s’effectue, il n’y a pas cette jalousie qu’elle a ressentie auprès des parents adoptifs de sa fille, la relation est plus ouverte. Elle m’explique qu’avec les parents adoptifs de Hemana, le lien a été coupé. Elle témoigne notamment de son découragement face aux métropolitains venus de France pour adopter un enfant polynésien, qui promettent de garder contact et qui ne tiennent pas leur parole une fois retournés en France avec l’enfant.

4.2. La famille en question : analyse des sept portraits

Après avoir pris connaissance des portraits des parcours d’adoption de Hiti, Manuia, Ahuriro, Aira, Ioane, Jérémie, Anthony et Hemana, que peut-on comprendre de la contemporanéité de la pratique d’adoption à la polynésienne ? Quelles stratégies particulières sont déployées par les familles d’enfants fa’a’amu ou les personnes fa’a’amu permettant la continuité de ce type d’adoption particulier ? À partir des portraits présentés ainsi que de mon analyse plus large de la question de l’adoption à la polynésienne, nous explorerons dans les prochaines pages quelques éléments clés en suivant le parcours type d’un enfant fa’a’amu, en revenant sur ses conditions de confiage et d’accueil, puis sur le déroulement de son fa’a’amu et enfin sur quelques éléments constitutifs de sa vie adulte.

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4.2.1. Les conditions de confiage et d’accueil d’un enfant fa’a’amu

Comme nous avons pu le constater dans le chapitre 2, l’organisation familiale polynésienne relevait traditionnellement de logiques d’alliance et d’entraide entre membres d’une famille, le tout lié à un attachement à la terre. Même si ce type d’organisation familiale tend à changer progressivement, on peut toutefois relever certaines continuités des logiques d’apparentement polynésiennes et afin de les mettre en relief, je discuterai des conditions dans lesquelles un enfant fa’a’amu est, d’une part, confié à d’autres parents, et d’autre part, accueilli par ces derniers.

4.2.1.1. Confier un enfant en fa’a’amu

Dans ma recherche et au vu des parcours d’adoption peints ci-haut, j’ai pu relever les motifs suivants pour confier un enfant en fa’a’amu : maladie, précarité socio-économique, grossesse non désirée, inceste, tradition de confier un enfant auprès des grands-parents et respect de la volonté des aînés, tensions intrafamiliales. Plusieurs cas illustrent des logiques d’entraide intrafamiliale, c’est-à-dire des cas où le groupe familial proche et élargi vient en aide à un membre du groupe, comme dans des cas de maladie, de mort ou de précarité socioéconomique. Par exemple, Meleana, une des participantes à ma recherche se confie sur son adoption à la polynésienne et m’indique que sa mère biologique était souffrante et ne désirait que trois enfants et c’est donc sa tante maternelle qui l’a prise sous son aile :

Ma mère était très malade. Aujourd’hui, j’ai cru comprendre qu’elle voulait arrêter à trois, elle ne voulait avoir que trois enfants. Mon grand frère est né, mes deux grandes sœurs, mais malheureusement la quatrième est arrivée, celle qui a été adoptée avec la cousine de ma mère. Et après je suis arrivée la cinquième et elle nous avait donné à adopter et les deux derniers sont arrivés, mon petit frère est arrivé et la dernière. Parce que je crois qu’elle voulait rester à trois, mais malheureusement on est arrivés, tu vois ? Elle était très malade. Ma mère adoptive, elle m’a dit que c’est parce qu’elle était très malade quand elle nous a eues ma sœur et moi. Donc elle ne pouvait pas s’occuper. Donc c’est pour ça que la cousine de ma mère a pris, et moi, comme moi, quand ma mère a accouché ma mère adoptive était là […]. Elle ne pensait pas m’adopter, mais c’est parce que bon, c’est la tante quand même de ma mère, donc elle a vu qu’elle voulait aider, au départ, et c’est après au fait, c’est son fils, l’ainé, qui a voulu m’adopter […]. Et après comme il travaillait, c’est comme ça que ma mère m’a recueilli et après c’est son aîné qui est mort très jeune. Et c’est comme ça que j’ai été adoptée. (Meleana, mars 2018)

Les motifs qui poussent des parents à confier leur enfant en adoption à la polynésienne sont multiples et donc plus complexes et nuancés qu’ils n’y paraissent. Dans la citation ci-haut, on comprend que cette mère voulait trois enfants et que les enfants qui ont suivi sont arrivés

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au mauvais moment ou dans un contexte où ils n’étaient pas désirés. L’état de santé physique de la mère l’a notamment empêchée de pouvoir s’occuper de sept enfants. Dans une volonté d’aider, la grand-tante de Meleana s’est donc proposée de la prendre. Sa mère a effectivement pu compter sur sa famille pour l’aider.

Pour ce qui est de Hiti, il m’a raconté ce que ses parents biologiques lui ont expliqué concernant son fa’a’amu. Ils insistaient notamment sur le fait qu’ils étaient trop jeunes pour s’occuper de deux enfants en même temps : « mes parents m’ont eu très jeunes, je crois qu’ils avaient tout juste 17 ans ou 18 ans […]. Il y avait déjà ma sœur qui était née, mais ils l’ont eu très jeune. Ils ne pouvaient pas s’occuper des deux enfants » (novembre 2018). Comme pour Hiti, dans le cas de Ahuriro, sa mère biologique était trop jeune. En plus, contrairement à la mère biologique de Hiti, elle était sans conjoint pour l’aider avec sa fille, ce qui s’ajoutait à son désir de poursuivre ses études. C’est pourquoi elle a confié sa fille à sa tante maternelle.

Dans ces cas d’adoption intrafamiliale (proche et élargie), l’entraide familiale permet donc à des mères ou à des couples (trop jeunes, en situation de vulnérabilité ou encore simplement en impossibilité de subvenir aux besoins de l’enfant) de pouvoir s’appuyer sur leur réseau de soutien élargi.

Moana (25 ans), une autre des participantes à ma recherche, me confiait pour sa part : « je suis fille unique et j’ai un petit frère qu’on dit fa’a’amu qui est le fils du frère de mon père et il est devenu un enfant fa’a’amu dû aux problèmes de relations qu’ont eus ses parents lorsqu’il est né et il grandit avec nous depuis qu’il a deux mois » (Moana, novembre 2018). Selon Moana, c’est la précarité socioéconomique des parents de ce jeune garçon, qui engendrait des tensions au sein du couple, qui les a poussés à le confier. À Tahiti, la question des enjeux financiers m’a été mentionnée à maintes reprises comme motif pour confier un enfant lors d’entretiens et d’observation auprès des familles d’enfants fa’a’amu. En effet, une bonne partie des Polynésiens se trouvent dans une situation économique précaire. En 2009, 27,6 % de la population avaient un revenu situé en deçà du seuil de pauvreté monétaire relatif établi à 48 692 (F CFP ou XPF), soit 347 € par mois et par unité de consommation (Herrera et Merceron 2010 : 7), alors que « le niveau général des prix à la consommation en Polynésie française était supérieur de 39 % à celui de la métropole » (Tahiti Infos, 2016).

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Si cette précarité économique représente un des motifs pour confier son enfant, elle ne représente pas nécessairement une rupture des pratiques culturelles relatives à l’adoption à la polynésienne. Dans la plupart des cas, donner un enfant est le plus beau cadeau que l’on peut faire à quelqu’un et pour les parents adoptifs, il s’agit souvent là de venir en aide aux membres de la famille proche et élargie. Comme mentionné au chapitre 2 (section 2.4.3.), l’adoption à la polynésienne s’articule à une logique économique de la vie sociale que l’anthropologue Antony Hooper avait déjà exploré dans les années 1960. Il indiquait que « in Maupiti, where the emigration of young people is so common, the adoption of grand children is a mechanism through which the economically necessary sequence of household development is maintained » (Hooper 1970 : 68). Cela s’applique notamment dans le cas du petit frère fa’a’amu de Moana qui, pour sa famille biologique, représentait un poids financier qui ne pouvait être assumé par ses parents, alors que dans sa famille fa’a’amu, son arrivée comme seul garçon a permis à ses parents fa’a’amu d’obtenir un équilibre dans la fratrie. L’analyse de Hooper fait notamment référence à la théorie de Marcel Mauss (1923-24) sur le don, qui a son origine dans les études sur les sociétés polynésiennes. Mauss fait référence au don comme un « système de prestation totale » qui s’expriment sous forme d’échange de « politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n’est qu’un des termes d’un contrat beaucoup plus général et permanent » (1923 : 69). Ces dons et les contre-dons qu’ils impliquent, qui semblent être volontaires en apparence, sont en fait pratiquement obligatoires puisque d’eux dépend la relation, sous peine de « guerre privée ou publique » (Mauss 1923 : 69). Ce phénomène peut notamment s’illustrer par la recherche d’Ottino, qui soulignait « la corrélation entre les personnes qui ont échangé des enfants et les groupements d’activité économique […]. Il suffit ici d’insister sur la solidarité qui souvent unit les parents adoptifs et biologiques d’autant plus forte évidemment qu’ils résident dans le même village » (1972 : 361). Aujourd’hui, il serait intéressant de se pencher à nouveau sur ces dons d’enfant comme participant à un système de prestation totale.

Les enjeux socio-économiques ne sont donc pas à négliger dans l’analyse des motifs pour confier un enfant à un autre couple. Le confiage d’un enfant serait une solution, pour les cas que j’ai rencontrés sur le terrain, à l’accumulation de contextes sociaux précaires (âge, éducation, salaire, etc.). Il ressortait aussi des portraits présentés que les logiques sous-

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jacentes à ces dons s’appuient encore sur l’entraide intrafamiliale et ce, en dépit de l’éclatement du modèle de la famille élargie et des migrations inter-îles.

L’adoption à la polynésienne s’effectue effectivement dans des conditions à plusieurs égards différentes d’avant le bouleversement social, culturel et économique des années 1960 provoquées par l’implantation du CEP. Saura (1998 : 27) avance que le fa’a’amu, qui relevait d’un principe organisateur de la vie sociale, est maintenant réalisé avec des visées de plus en plus privées. La dimension sociale d’alliance, qui plaçait les adultes au cœur de l’adoption et qui gouvernait autrefois cette pratique, serait aujourd’hui de plus en plus remplacée au profit d’une perspective plus individuelle où les parents polynésiens sont amenés à confier leurs enfants dû à une précarité socio-économique, ce qui inclut l’extension de cette pratique à des Popa’ā. En effet, la logique d’alliance apparaît moins évidente aujourd’hui, mais on peut tout de même la repérer dans certains cas dont j’ai pu être témoin, notamment celui de Jérémie et de Anthony. Leur mère biologique ne désirait plus d’enfants, comme en témoigne Céline dans l’extrait suivant : « j’ai aussi, et je pense si elle était là, elle pourrait te le dire, que je lui ai aussi résolu un problème, c’est-à-dire, elle était face à une grossesse non désirée » (Céline, avril 2018). Cependant, leurs parents biologiques souhaitaient spécifiquement qu’ils soient confiés à des Popa’ā et soutenaient l’éducation que Céline donnait aux enfants :

(…) à chaque fois qu’on se voyait, c’était juste des toutes petites phrases, c’était « comment va ton fils ? », ce n’était jamais « comment va mon fils » ou « comment va Jérémie? » ou « comment va Anthony ? ». […] Et elle m’a toujours, toujours, toujours, toujours encouragée sur la manière de l’élever, « ah oui, tu fais ça, ah oui, ah oui, ça s’est bien, ah toi tu l’as fait dormir dans un lit, ah oui, nous les Polynésiens on met toujours les bébés dans notre lit, ce n’est pas bien parce qu’après on ne peut plus, on ne peut plus les faire dormir ailleurs, ah oui toi tu l’as mis dans un berceau, c’est bien ». (Céline, avril 2018)

Cet exemple permet d’apprécier d’une part l’aspect contemporain de l’inclusion des métropolitains dans la pratique d’adoption à la polynésienne et d’autre part, que le confiage d’un enfant représente, dans certaines familles polynésiennes, une façon d’assurer une certaine ascension sociale à son enfant, en s’alliant avec des parents provenant d’un groupe plus avantagé. Céline m’expliqua que pour les parents biologiques de Jérémie et d’Anthony, « ils ont de l’amour pour ces enfants, une grande fierté de les voir grandir. Une grande fierté de les voir éduqués par des Popa’ā aussi parce qu’ils ont cette idée un peu, “ah ils vont faire des grandes études, ah oui, eux ils vont faire des grandes études” » (Céline, avril 2018). Pourrait-on penser ici que d’échanger un enfant en s’alliant avec une famille popa’ā permette

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certaines retombées en termes de mana (pouvoir spirituel, autorité, prestige, statut), tant pour l’enfant pour qui l’alliance amène une promesse de « réalisation » (Keesing 2018 : 440-442) que pour sa famille biologique ? Ceci pourrait être une piste de recherche à explorer.

Un autre aspect qui ressort des motifs pour confier un enfant à d’autres parents relève des conditions parfois difficiles de la naissance d’un enfant qui n’était pas au départ désiré, comme dans les cas de viols ou d’incestes. Parmi les cas dont j’ai pu être témoin, des enfants avaient été confiés dû au contexte forcé de leur procréation. Par exemple, j’ai eu l’occasion de rencontrer Jocelyne, sur l’île de Rurutu, qui avait reçu en fa’a’amu une fille née d’un viol. Jocelyne ne m’a pas dit qui avait commis le crime, ni qui était la mère, seulement qu’il s’agissait de membres de sa famille élargie. Dans ces cas précisément, le groupe familial a voulu protéger l’enfant en le déplaçant dans une autre famille, et même dans une autre île où il n’aura pas à être confronté de façon quotidienne à cette histoire. D’autre part, en éloignant l’enfant de cette situation, le groupe familial « étouffe » l’affaire de manière à protéger ses membres, mais également l’unité et la bonne réputation – peut-être le mana, comme le suggère Gagné (2013) en contexte māori – de la famille.

Enfin, il peut arriver que la décision de confier un enfant soit prise par un(e) aîné(e). Cela se reflète notamment dans le cas de la jeune Aira : sa grand-mère avait décidé de confier la petite à un autre de ses enfants. Ce cas permet aussi d’entrevoir l’importance de la parole de la grand-mère (Bambridge 2009 : 47-48). D’ailleurs, lors de mon passage sur l’île de Rurutu, les professionnels des services sociaux avec qui je travaillais m’ont parlé d’une réalité polynésienne, celle du poids de la parole des aînés. Comme le souligne Gagné, en se référant à Bambridge (2001 : 385), en Polynésie française, l’aîné (matahiapo) « renvoie aujourd’hui plus largement à la figure du sage et le terme en est venu à désigner les personnes âgées plus généralement. Si le matahiapo est moins investi qu’auparavant du contrôle social, il demeure associé aux qualités de sagesse et de prudence » (2018 : 98). Dans le cas d’Aira, il est intéressant de noter qu’avant la mort de cette grand-mère, la mère biologique, Marie, n’est pas intervenue dans la décision de l’aînée et que Marie a décidé de la changer de famille seulement après la mort de cette grand-mère : « tant que la grand-mère était en vie, la maman biologique n’intervenait pas » (Tehinatu, première mère fa’a’amu d’Aira, décembre 2018). On peut alors se demander si la mort de la grand-mère d’Aira a eu pour effet d’annuler le

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« contrat » d’adoption à la polynésienne, ce qui permit à Marie de déplacer Aira de famille fa’a’amu. En effet, Flora Devatine m’expliquait par rapport à l’adoption à la polynésienne et à l’importance du poids de la parole que : « comme un échange, comme un don contre-don et que c’était le monde de l’oralité, ça veut dire que lorsque la parole est donnée, elle est donnée. Donc la chose est faite, on est d’accord, c’est ça les valeurs d’écritures » (Devatine, 30 novembre 2018).

4.2.1.2. Recevoir un enfant en fa’a’amu

Concernant les motifs qui amènent un couple à recevoir un enfant, j’ai pu constater les raisons suivantes : l’infertilité, le désir de prendre soin d’un enfant, l’aide requise à la maison, le désir d’équilibrer la fratrie et l’entraide familiale.

Dans le cas des adoptions à la polynésienne intrafamiliales proches par les grands-parents, il n’est pas rare qu’ils prennent avec eux un de leur petit-enfant (mo’otua). Comme pilier familial, le grand-parent vient en aide aux membres plus jeunes de la famille, qui ne sont pas en mesure de s’occuper de leur(s) enfant(s) à naître, comme dans le cas de Hiti. Sur l’île de Rurutu, les matins d’école, on pouvait apercevoir les grands-parents marchant avec leur enfant fa’a’amu et d’autres petits-enfants afin de les reconduire à l’école. Toujours sur l’île de Rurutu, Rolande, une des arrière-grand-mères (dans la soixantaine) que j’ai pu rencontrer et qui avait fa’a’amu son arrière-petite-fille me confia qu’elle a accueilli la petite puisqu’elle est née d’un inceste. Au moment de notre entretien, Rolande souhaitait que ce soit Vetea, son tane (homme, conjoint), qui reconnaisse légalement (adoption simple) la petite afin que son père soit Vetea et non l’instigateur du viol incestueux :

(…) je veux que ce soit mon compagnon, Vetea, qui reconnaisse mon arrière-petite-fille, pourquoi, parce que tu vois ma fille, elle disait à sa fille, que le beau-père reconnaisse [sur le certificat de naissance] la petite. J’ai dit à ma fille c’est mieux si c’est Vetea qui la reconnait, comme c’est son papa fa’a’amu, comme ça, elle portera le nom de son papa fa’a’amu. Quand tu y penses, la maman et elle partagent un tane. Ce n’est pas bien. Non, je ne veux pas. Quand elle sera grande elle va savoir, elle va demander : « qui c’est mon papa? ». C’est l’autre. Ça va travailler dans sa tête, ce n’est pas juste maman et sa grand-mère. C’est mieux que ce soit Vetea qui reconnaisse mon arrière-petite-fille, son papa fa’a’amu. Elle l’appelle déjà « papa ». (Rolande, décembre 2018)

Si elle a reçu son arrière-petite-fille en fa’a’amu afin de la protéger de cette histoire et lui fournir un père fa’a’amu, elle l’a aussi reçue parce que Vetea et elle ne sont que tous les deux

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à la maison : « il n’y a que nous deux ici, avec qui on va parler, avec le toutou ? » (Rolande, décembre 2018). Rolande m’explique que la petite l’aide déjà à la maison en coupant les légumes, en aidant au champ. Chaque matin, son tane va la reconduire à l’école et il retourne la chercher le soir. Le cas de cette arrière-grand-mère n’est pas isolé. Tout comme elle, des grands-parents prennent un mo’otua afin d’aider leurs enfants, mais aussi afin d’avoir de l’aide à la maison et pour combler un besoin affectif. C’est notamment pour cette même raison de nature affective, combinée au soutien qu’apporte un mo’otua à la maison, que le personnel de la DSFE doute que la grand-mère de Manuia, Tevai, acceptera de l’envoyer au CJA. Comme Hooper (1970) le faisait remarquer (voir plus haut dans le présent chapitre, section 4.2.1.1.), l’adoption à la polynésienne relève d’une forme de transaction de parenté et elle s’insère dans une logique économique de la vie sociale, surtout là où certains jeunes parents quittent leur île pour aller étudier ou travailler en ville. Leurs parents peuvent alors les soutenir en accueillant un enfant.

Pour le deuxième type de fa’a’amu intrafamilial, dans la famille élargie, on remarque aussi un désir de combler une maisonnée sans enfant, ou encore d’équilibrer la fratrie (ratio filles- garçons). Entre en jeu notamment la volonté de transmettre un patrimoine familial, y compris certains savoirs et savoir-faire qui sont liés au genre (A.F.A.R.E.P. 2009). Une des fonctions de l’adoption à la polynésienne est de faire entrer dans la vie adulte des couples sans enfant des héritiers de manière à ne pas créer de rupture dans la lignée généalogique. Ainsi, adopter un enfant, c’est aussi lui transmettre un nom en le liant à un ancêtre. Les enfants contribuent encore aujourd’hui à la transmission d’un certain patrimoine familial propre aux logiques de parenté polynésienne. Ceci peut nous faire retourner au cas des parents fa’a’amu de Ahuriro qui n’avaient pas d’enfants et qui ont fa’a’amu un garçon et une fille de façon à poursuivre leur lignée et ainsi transmettre leur patrimoine familial. Ce cas est d’ailleurs représentatif de plusieurs autres exemples dont j’ai pu prendre connaissance.

Pour le type de fa’a’amu extrafamilial entre Polynésiens (amis, voisins, etc.), comme pour le cas de Ioane, les conditions pour recevoir un enfant sont différentes que pour les deux premiers types, c’est-à-dire qu’ils n’existent pas de liens familiaux entre les deux couples de parents. Dans ces cas, pour les parents fa’a’amu, il s’agit d’aider un enfant et ses parents biologiques. Il peut aussi s’agir tout simplement de leur part d’un désir de prendre soin d’un

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enfant. J’ai eu l’occasion de rencontrer Marcelle, une mère fa’a’amu qui a adopté à la polynésienne cinq enfants. Elle travaille dans un centre de repos pour femmes battues et c’est dans ce contexte qu’elle propose parfois à des mères de prendre en fa’a’amu leur enfant. Quand je lui ai demandé ce qui l’a poussée à recevoir tous ces enfants, elle m’a répondu : « parce que j’adore, j’aime bien être entourée d’enfants quoi […]. Je sais plus, on va dire j’aime [mieux] être en présence des enfants que d’être avec des adultes […]. Oui, c’est ça, je suis plus attirée par des enfants et des personnes âgées, voilà » (Marcelle, octobre 2018). Le désir d’avoir auprès d’elle des enfants est très fort chez cette femme.

Pour le type de fa’a’amu extrafamilial entre Polynésiens et métropolitains, recevoir un enfant en fa’a’amu répond la plupart du temps à un problème d’infertilité du couple métropolitain. La pratique du fa’a’amura’a est en effet maintenant bien connue dans les réseaux et associations de parents français désirant adopter (de Monléon 2002 : 2; de Monléon 2004 : 49; Leblic 2014 : 449). Ces métropolitains en désir d’enfant, qui sont parfois passés par des démarches longues et coûteuses d’adoption internationale sans succès, se tournent vers l’adoption en Polynésie française, notamment parce qu’il s’agit d’une adoption nationale et donc moins complexe et pouvant être vue comme moins coûteuse malgré le prix élevé du séjour sur place et du billet d’avion pour aller en Polynésie. La Polynésie française est également attrayante parce qu’elle permet aux parents adoptifs de se voir confier un enfant dès sa naissance, selon mes entretiens avec le personnel de la cellule d’adoption de la DSFE, puisque l’entente avec les parents biologiques est établie, dans la plupart des cas, pendant la grossesse, ce qui est rare pour ce qui est des pupilles (peu nombreux) de l’État en métropole et impossible dans le cadre d’une adoption internationale.

Confier et recevoir un enfant en fa’a’amu constituent la première étape d’une adoption à la polynésienne. Voyons maintenant comment celle-ci se déploie à travers le temps.

4.2.2. Déroulement de l’adoption à la polynésienne suite au confiage

Nous discuterons ici du déroulement de l’adoption à la polynésienne en analysant les rapports entre les parents biologiques et fa’a’amu, le recours à la justice afin d’officialiser leur relation à l’enfant fa’a’amu, le rôle des grands-parents qui adoptent un de leur mo’otua, ainsi que la place de l’enfant fa’a’amu.

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4.2.2.1. Maintien des liens entre les parents biologiques et fa’a’amu

Ce qui est particulier, traditionnellement, à la pratique d’adoption à la polynésienne est le maintien des liens entre les familles biologiques et fa’a’amu, ce qui était notamment facilité par la proximité géographique, les liens familiaux étroits entre les deux couples de parents et les logiques d’alliance et d’entraide propres aux peuples polynésiens. Dans le contexte de l’actuelle Polynésie française, le maintien des liens demeure un élément que la plupart des familles fa’a’amu considèrent important : « je ne sais pas pour certaines familles, mais ce n’est pas parce que j’ai fa’a’amu, que j’ai adopté qu’il y a une coupure, non. Il n’y a pas de coupure et les parents biologiques peuvent toujours venir voir leurs enfants […]. C’est très important pour moi » (Marcelle, octobre 2018). Moana, une autre des participantes à la recherche m’expliqua, concernant son petit frère fa’a’amu, qu’« il voit ses parents [biologiques], il comprend qu’il a deux parents différents. Il comprend pourquoi parce qu’on lui explique depuis qu’il est petit, il comprend pourquoi il ne peut pas habiter avec eux. Il comprend pourquoi ils ne sont pas avec nous, il comprend comment ça se fait qu’il a deux sœurs, parce qu’il a une petite sœur, mais elle, elle vit avec ses parents [biologiques], aux Tuamotu » (Moana, novembre 2018). Si auparavant les liens étaient maintenus car le réseau familial élargi habitait un même district ou une même île, aujourd’hui, dans les cas où les parents biologiques et fa’a’amu n’habitent pas la même île, ces liens peuvent être entretenus par des appels téléphoniques ou encore des réunions familiales annuelles ou biannuelles qui impliquent un déplacement par avion (pour les grandes vacances, par exemple).

Même dans certains cas d’adoption entre métropolitains et Polynésiens, le maintien des liens est possible, comme pour le cas de Céline et de ses deux enfants adoptés, parce qu’elle habite sur le territoire : « maintenant je peux regarder mon fils dans les yeux et lui dire, le jour où il demandera, “je ne t’ai pas arraché à ta mère, c’est ta mère qui m’a confié, qui t’a confié à moi” et je pense qu’en ça, ça m’aide, à vivre cette double parentalité de manière extrêmement sereine » (Céline, avril 2018). C’est ce qui fait dire au juge Godefroy du Mesnil que l’adoption à la polynésienne est la forme la plus humaine d’adoption, puisque les liens ne sont pas coupés (du Mesnil 2018 : 95).

Certains contextes empêchent toutefois un maintien des liens durables, notamment pour plusieurs des cas d’adoptions par des métropolitains repartis en France avec un enfant

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polynésien, puis dans les cas d’adoption à la polynésienne entre Polynésiens où il y a des tensions ou des conflits importants dans la famille. D’abord, comme on a pu le constater dans le cas de Tepoe et sa fille Hemana, le lien a été coupé alors qu’elle avait demandé à la famille adoptive des nouvelles de sa fille. C’est notamment le constat des professionnels œuvrant à la cellule d’adoption de la DSFE à l’effet que les familles métropolitaines peinent à garder leur parole sur la fréquence des contacts avec les familles biologiques polynésiennes. Pour les familles polynésiennes qui confient un enfant à des métropolitains, cet enfant demeure leur enfant, malgré une adoption plénière.

4.2.2.2. L’enfant fa’a’amu devant l’administration française

Dans chacune des histoires présentées, les familles ont procédé de différentes façons pour établir une relation à leur enfant fa’a’amu. Dans certains cas, il n’y a pas recours à la justice pour officialiser cette relation, alors que dans d’autres, oui. Les motifs qui justifient de faire appel à la justice sont d’inscrire dans une lignée l’enfant fa’a’amu portant un nom de famille différent, de faciliter les démarches administratives entourant son parcours scolaire et les rendez-vous médicaux et d’avoir accès aux programmes d’aide sociale (comme l’accès à la CPS). Dans le cas de Hiti, celui-ci a été confié à sa grand-mère paternelle et à son deuxième mari, lesquels ont fait appel au tribunal pour procéder à une adoption plénière, même si ses parents biologiques habitaient le même quartier. Comme son père fa’a’amu était le deuxième mari de sa grand-mère et qu’il portait donc un nom de famille différent de celui de Hiti et que c’était son seul enfant, il a pu ainsi lui transmettre son nom de famille, ce qui fait aussi de lui l’héritier d’une terre. Ahuriro, quant à elle, a été adoptée de façon simple par sa grand- tante maternelle et son mari. Cette adoption simple est justifiée par le désir de faciliter les démarches administratives la concernant, surtout qu’elle et ses parents fa’a’amu habitaient l’île de Bora Bora et sa mère biologique habitait celle de Raiatea, ainsi que par le désir de l’inscrire dans la filiation de son père fa’a’amu. Quand j’ai demandé à Hiti et Ahuriro si pour eux, même si leurs parents fa’a’amu avaient eu recours au tribunal pour officialiser leur adoption, ils considéraient toujours cela comme une adoption à la polynésienne, ils m’ont confirmé que c’était le cas. En effet, ce que j’ai constaté dans les cas d’officialisation de l’adoption à la polynésienne par le tribunal au moyen d’une DEAP ou d’une adoption simple ou plénière, c’est que pour les parents polynésiens, ce don continue de se conformer aux

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logiques du droit local relatif à l’adoption à la polynésienne, c’est-à-dire que cet enfant est toujours considéré comme appartenant aux deux couples de parents (biologiques et fa’a’amu). Le recours à des procédures juridiques françaises leur donne simplement une façon de naviguer plus efficacement à travers les dédales administratifs. Lors d’un entretien, Moana, la grande sœur d’un enfant qui fut adopté à la polynésienne par ses parents me raconta la chose suivante :

(…) j’ai considéré le fa’a’amu comme du clandestinage parce qu’on n’a pas de droit sur l’enfant. Donc l’amener chez le médecin, on ne peut même pas le faire parce qu’on n’a pas de droit, on [ses parents] est juste l’oncle et la tante. On n’est même pas tuteurs en fait, on n’est pas à titre de tuteurs. Après, ça dépend de la famille qui donne l’enfant, parce que la famille doit généralement avoir une DAP, une demande d’autorisation parentale, pour tout acte administratif par rapport à l’enfant, même pour l’école. Avec mon petit frère, on avait beaucoup de problèmes par rapport à l’école, parce qu’ils demandent justement une DAP. La DAP, nous on l’a que depuis deux, trois mois. Alors qu’il va à l’école depuis voilà, depuis qu’il est petit. On n’a pas eu de souci légal parce que voilà, le directeur de l’école faisait confiance, même en maternelle, ils ont fait confiance et puis le fa’a’amu c’est un acte très, très ressortissant ici en Polynésie. Parce qu’il suffit juste de dire « ouais, c’est ma maman », alors qu’en fait ce n’est pas sa vraie maman et on comprend pourquoi l’enfant dit que c’est sa maman parce que c’est elle qui l’a éduqué, donc voilà, c’est sur ce point-là en fait que ça été très difficile par rapport à l’enfant parce qu’on n’a pas de droits dessus. L’emmener au médecin c’était difficile parce que le médecin, il faut qu’il ait confiance, il ne peut pas dire, il ne peut pas accepter et puis les feuilles de soins ne sont pas remboursées au nom de la famille fa’a’amu, mais au nom de la mère. Voilà, y’a ça, y’a eu l’éducation, même pour obtenir une bourse, par exemple, mon petit frère ne peut pas avoir de bourse parce qu’on n’a pas de droit sur lui, il faut que ce soit les parents qui autorisent, donc à chaque fois il faut une demande, une autorisation des parents, et c’est pour ça que ma mère a demandé à avoir une DAP. Voilà et puis il y a deux mois donc ça va, les transactions se font un peu plus [facilement]. (Moana, novembre 2018)

Dans certains cas, les familles ont jugé pertinent d’officialiser leurs relations à l’enfant pour éviter certaines complications administratives relatives à l’enfant, comme l’inscription à l’école, les rendez-vous médicaux, les remboursements d’assurance pour les soins médicaux lui étant prodigués ou l’éligibilité à des programmes d’aide sociale pour les familles comme l’Allocation familiale qui fournit un montant mensuel par enfant à charge30 (CPS 2013).

30 Selon la Caisse de prévoyance sociale (CPS), les allocations familiales peuvent être versées selon les conditions suivantes : « être à la charge effective et permanente de l'allocataire, celui-ci assurant d'une manière générale le logement, la nourriture, l'habillement et l'éducation de l'enfant », puis dans un deuxième temps, l’enfant doit relever des six catégories suivantes : • « enfant(s) issu(s) du mariage de l'intéressé ou légitimé(s) par ce mariage, quel que soit son statut, à condition que ce mariage soit inscrit à l'état-civil, • enfant(s) que le conjoint du bénéficiaire a eu(s) ou a adopté(s) ou dont l'autorité parentale lui a été transférée par décision de justice avant son mariage,

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Comme il est possible de le constater dans la citation ci-haut, il est courant de voir que les procédures et le langage juridiques ne soient pas toujours bien compris par les justiciables polynésiens. Dans ses recherches, Gagné s’intéresse tout particulièrement à cet enjeu : « Les justiciables font de toute évidence face à une autre difficulté, celle du langage juridique. J’ai pu relever de très nombreux signes montrant combien les justiciables ne comprenaient pas totalement les implications de l’affaire, ses prochaines étapes ou, au pénal, la peine prononcée » (2018 : 101). Concernant l’adoption à la polynésienne, c’est aussi une réalité que je constate. Les Polynésiens ne saisissent pas toujours les différences entre une DEAP, une adoption simple et une adoption plénière. Moana m’explique qu’il a été long avant d’obtenir l’accord de la mère biologique de son frère fa’a’amu pour effectuer une DEAP : « la mère ne voulait pas faire de DAP [délégation d’autorité parentale], parce qu’à son sens, elle pensait qu’une DAP c’était une adoption légale alors qu’on expliquait que non, c’est juste par rapport à des droits par rapport à lui pour l’école, pour le médecin et pour les bourses et tout et tout, c’était pour lui en fait. On ne voulait rien en fait de leur part, mais elle pensait que c’était tout un contrat, c’est pour ça que ça a mis du temps avant la DAP » (Moana, novembre 2018). Cette incompréhension du système judiciaire est notamment une des raisons qui poussent les parents biologiques d’un enfant fa’a’amu à ne pas procéder à une DEAP ou à une adoption.

Dans certains des cas présentés, dont ceux de Manuia, Aira et de Ioane, aucune démarche judiciaire n’a été faite. Dans ces cas d’adoption à la polynésienne sans recours à la justice, plusieurs stratégies peuvent être employées pour « jouer avec les règles du jeu ». Par exemple, pour l’inscription à l’école, les parents biologiques peuvent signer les papiers sans nécessairement se déplacer. Ceci implique le maintien des liens entre les deux familles. Dans

• enfant(s) ayant fait l'objet d'une adoption ou légitimation adoptive par le travailleur, ou enfant(s) dont les droits de garde et de puissance paternelle ont été confiés au travailleur conformément aux règles du code civil, • enfant(s) placé(s) auprès du ressortissant suite à une décision administrative ou judiciaire, • enfant(s) orphelin(s) de père et de mère issu(s) de leur mariage et recueilli(s) par un travailleur salarié, marié, • enfant(s) naturel(s) reconnu(s) par le travailleur salarié » (CPS 2013). Si l’enfant est à charge d’une tierce personne, « [l]a mère doit donner et signer une autorisation pour le versement des prestations familiales : à une tierce personne qui a la garde de l’enfant ; ou au père qui a la charge et la garde de l’enfant » (CPS 2013).

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le cas de la jeune Manuia, sa mère biologique explique comment elle fonctionne avec sa belle-mère, la mère fa’a’amu de Manuia, pour la signature des papiers administratifs la concernant :

Anne-Julie : Comment avez-vous fonctionné avec Manuia pour les rendez-vous à l’hôpital et son inscription à l’école ?

Vaia : C’est sa grand-mère qui a tout fait.

Anne-Julie : Tout sur Rurutu ? Elle n’a jamais eu besoin d’opération ?

Vaia : Non.

Anne-Julie : Mais la seule fois que tu as dû donner ta signature, c’était pour son inscription au collège ?

Vaia : C’était pour l’allocation.

Anne-Julie : Puisque c’est elle qui a l’allocation familiale ?

Vaia : Voilà, c’est elle qui a l’allocation.

Anne-Julie : Et pour inscrire Manuia au collège ?

Vaia : C’est moi. Pour la classe de 6e oui, on m’a demandé.

Anne-Julie : Alors ils envoient les papiers par la poste, tu signes et tu renvoies par la poste ?

Vaia : Voilà, sinon elle en profite lorsqu’elle descend pour l’artisanat. Elle donne les papiers à son fils et moi je lis et je signe. Je fournis les papiers.

Anne-Julie : Ok. D’accord.

Vaia : Nous avons toujours fonctionné comme ça. Si elle avait besoin de quelque chose, elle appelait et on envoie par avion. (Vaia, décembre 2018)

D’ailleurs, dans ce cas, c’est aussi le père biologique de Manuia qui ne voulait pas signer de papier qui risquerait de lui enlever sa place de père. Comme dans le cas de Manuia, plusieurs familles fa’a’amu fonctionnent par téléphone et la poste pour régler les affaires administratives d’un enfant fa’a’amu et ne souhaitent pas s’embourber dans des démarches judiciaires pour officialiser la relation à leur enfant fa’a’amu. Cette stratégie fonctionne d’ailleurs très bien pour plusieurs des cas dont j’ai pu être témoin. À la lumière de ces différentes réalités, on voit bien le dialogue des deux mondes, celui de la justice française et celui des traditions polynésiennes, donnant à voir un pluralisme juridique.

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4.2.2.3. Le rôle des grands-parents face à l’enfant fa’a’amu

Dans plusieurs des portraits présentés dans ce chapitre, nous avons pu remarquer l’influence de l’âge sur les motifs pour confier ou recevoir un enfant : il est souvent question d’une mère trop jeune qui donne un enfant et d’une femme plus âgée qui prend un enfant, par exemple. Selon l’étude de l’ISPF, la proportion de femmes qui ont reçu un enfant en fa’a’amu atteint 20 % à partir de 55 ans et 24 % pour les femmes de 70 à 74 ans (ISPF 2018 : 8). Comme nous avons pu le constater à travers les différents portraits esquissés plus haut, il n’est pas rare que les femmes polynésiennes soient grands-mères dès la cinquantaine. Ce chiffre nous indique donc qu’une partie de ces femmes de 55 ans et plus sont en effet des grands-mères. Dans les faits, qu’en est-il de leur rôle pour ces enfants fa’a’amu ? Lors d’un colloque mené par l’AFAREP en 2006, Elisa Yao Tham Sao explique le rôle de ses grands-mères comme suit : « [c]et héritage m’a été transmis par mes grands-mères (grands-tantes y comprises) paternelles et maternelles avec qui j’ai beaucoup appris. Elles étaient chargées de transmettre l’éducation par la tradition orale, et elles savaient faire respecter le poids de la parole » (AFAREP 2009 : 20). Le rôle des aînés est donc important, sinon nécessaire à l’éducation des plus jeunes générations et de leurs mo’otua. La prise en charge d’un enfant fa’a’amu par un matahiapo est à comprendre dans ses particularités : la transmission de leur savoir (histoires familiales, pêche, agriculture, etc.) vers l’enfant ainsi que l’écart générationnel avec ce dernier.

Les jeunes qui sont élevés par leurs grands-parents « sautent » une génération en termes de transmission du savoir. Souvent, il arrive qu’un enfant élevé par ses grands-parents se retrouve confronté à ne pas être tout à fait en phase avec l’époque dans lequel il vit, surtout depuis l’accélération du temps provoqué par la modernité. Cela dit, si on reprend le portrait de la jeune Manuia qui a grandi auprès de ses grands-parents paternels, la jeune fille de 12 ans sait tresser, car sa grand-mère le lui a appris, elle porte un prénom que son grand-père lui a spécifiquement choisi, mais elle a de gros retards scolaires qui ne sont pas pris en charge à la maison et qui sont problématiques dans l’optique de lui créer un projet de vie à long terme. Le personnel de la DSFE que j’accompagnais se demandait même si la grand-mère allait consentir à inscrire sa mo’otua au CJA puisqu’il est fréquent qu’une adoption à la polynésienne par des grands-parents procure, comme nous l’avons vu, une certaine forme

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d’assurance que quelqu’un s’occupera d’eux pour leurs vieux jours31. Comme Manuia a 12 ans et qu’elle a toujours vécu auprès de sa grand-mère, si elle ne va pas au CJA sur l’île de Rimatara, la dernière option envisageable à ce moment pour la DSFE est soit de replacer la petite auprès de ses parents biologiques avec un jugement de la cour et contre le gré de la grand-mère, soit de la laisser auprès de sa grand-mère, ce qui mettrait aussi fin à un projet de formation pour elle. Encore ici, on voit la confrontation des mondes polynésiens et français. Dans la perspective de la grand-mère, Manuia a un avenir assuré étant donné sa pratique de l’artisanat, alors que pour les services sociaux, l’avenir professionnel passe par la scolarisation.

4.2.2.4. La place de l’enfant fa’a’amu dans sa famille

Pour certains cas de figure, l’enfant est bien ancré dans sa famille fa’a’amu. C’est notamment le cas de Ahuriro et de Hiti qui ont tous deux permis à leurs parents fa’a’amu d’avoir une descendance. Dans ces cas, la place et le rôle des enfants sont bien inscrits dans le groupe familial : chacun des membres remplit un rôle clair. Il arrive aussi parfois qu’il occupe une place privilégiée dans sa famille fa’a’amu, comparé au reste de sa fratrie biologique. C’est notamment le cas de Meleana qui m’expliquait que : « aujourd’hui pour tout dire, mes frères et sœurs biologiques, parmi nous 7 [de la fratrie biologique], on [les deux filles fa’a’amu] est les seules à travailler, les deux qui ont été adoptées, et on est les seules différentes. Donc tu vois, tout le reste, les 5 autres, ils ont des enfants, ils ont leur famille. Bon, sauf notre aînée. Elle a fait un bon mariage, mais quand elle a des difficultés, bon mes parents sont là, hein. Et ils sont toujours là, dans cette, tu vois, dans cette coquille » (Meleana, mars 2018). Du côté de Hiti et de Ahuriro, leur adoption à la polynésienne leur a notamment permis de faire des études universitaires et on peut se demander si cela aurait été possible s’ils avaient été élevés par leurs parents biologiques.

31 L’étude de l’ISPF sur le fa’a’amura’a révèle que pour les archipels des Australes et des Tuamotu-Gambier: « la situation économique des femmes actives s’est dégradée dans ces territoires, augmentant de fait la pression économique sur les familles de grande taille. Souvent associé à des considérations affectives, il est probable que confier et donner un enfant s’accompagne également de considérations économiques » (ISPF 2018 : 10).

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Parfois, la place de l’enfant fa’a’amu n’est pas aussi évidente. Il arrive que l’enfant circule plusieurs fois à l’intérieur du groupe familial élargi, comme c’était le cas de la jeune Aira. Si elle était sous la responsabilité de plusieurs adultes (Petero, Tehinatu, Karine et les grands- parents maternels) et que le but de son fa’a’amu était d’équilibrer le ratio homme-femme dans une maisonnée, le fait d’avoir circulé autant dans sa famille ne la faisait pas occuper sa place de manière concrète. Au contraire, cela l’a amenée à vivre une forme de « ballotement » impliquant un manque de stabilité, nuisant à ses études.

Il arrive aussi dans certaines situations qu’un enfant et/ou adolescent fa’a’amu retourne vivre auprès de ses parents biologiques à la mort des grands-parents (parents fa’a’amu), par exemple. Ces retours sont parfois difficiles pour l’enfant ainsi que pour ses parents biologiques, dû notamment à l’écart entre l’éducation reçue et les façons de vivre dans l’une et l’autre famille. Une psychologue qui œuvre en milieu pénitentiaire m’exemplifiait cette situation en me racontant l’histoire d’un homme qui avait été fa’a’amu par ses grands-parents et avait fait un retour définitif chez ses parents biologiques à l’adolescence :

Caroline : Et donc, quand les grands-parents sont décédés, il est venu vivre ici, avec sa mère, et pour lui, ça l’a été un traumatisme. La mère avait refait sa vie avec un autre homme, il avait des frères et sœurs qu’il découvrait, et des frères et sœurs qu’il appelait des poupées de salon.

Anne-Julie : Pardon ?

Caroline : Il les appelait des poupées de salon parce qu’ils étaient devant la télé, jouaient aux jeux vidéo, et que lui n’avait jamais… Lui on l’avait élevé c’était pour travailler, tu dois mériter ce que tu manges, ce que tu as sur la table. Tu dois planter si tu veux manger, tu dois planter si tu veux aller te coucher. Et donc, il y avait un monde, un écart tel et comme il n’avait pas conservé de liens, il se retrouvait propulsé là après des années. Puis, ça l’a créé énormément de violence. (Novembre 2018)

Il arrive que ces écarts soient provoqués, entre autres, par l’arrivée de nouveaux membres dans la famille, comme un nouveau beau-père, des nouveaux frères et sœurs, etc. Il est aussi évident que les différences de style d’éducation donnée dans la famille biologique et fa’a’amu contribue à cet écart. Cet exemple permet d’entrevoir l’importance de conserver les liens entre les parents biologiques et fa’a’amu, de manière à réduire cet écart entre les pratiques et cette distance entre les visions, surtout lorsqu’un enfant circule au sein du groupe familial. Dans le type de fa’a’amu intrafamilial par les grands-parents, ces retours auprès des parents biologiques sont plus fréquents que pour les autres types de fa’a’amu étant donné, notamment, l’âge des grands-parents. En effet, l’avancée en âge implique parfois une

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incapacité à s’occuper d’un enfant ou encore un décès. D’ailleurs, j’ai pu constater que pour plusieurs grands-parents avec qui j’ai discutés, ils anticipent ces retours auprès des parents biologiques comme la prochaine étape logique pour l’enfant fa’a’amu.

Pour les adoptions à la polynésienne extrafamiliales avec des métropolitains, elles comportent, pour la plupart, des similitudes avec d’autres cas d’adoptions internationales. Entre autres, on retrouve une distance très grande entre le lieu d’origine et le lieu où habite la famille adoptive – la distance est de 18 000 km entre la France métropolitaine et la Polynésie française –, un écart de revenus entre les familles adoptantes et biologiques, des différences culturelles et sur le plan de l’apparence physique, etc. Ces éléments impliquent, dans certains cas, une relation de pouvoir qui se transpose dans la relation parents-enfant (Volkman 2005 : 2). Dans le cadre de cette recherche, je n’ai cependant pas eu l’occasion de rencontrer de personnes fa’a’amu ayant été confiées à des métropolitains.

4.2.3. Les personnes fa’a’amu et l’héritage des terres familiales

Un dernier élément qui survient surtout à l’âge adulte des personnes fa’a’amu relève de leur accès à l’héritage de leur famille fa’a’amu. Les logiques d’héritage sont un enjeu dans la gestion de l’adoption à la polynésienne puisqu’il existe deux façons d’hériter : officielle et locale. Dans la loi française, l’héritage est attribué en fonction de la filiation du défunt : « Si le défunt n’a pas fait de testament, c’est l’ordre de priorité des héritiers qui détermine leurs parts d’héritage. Si le défunt a fait un testament, il doit réserver une partie de son patrimoine à certains héritiers. Il peut attribuer la part restante librement (au profit d’un héritier ou d’un tiers) » (Service-public 2019).

En Polynésie, relativement aux terres et à l’héritage32, tous les citoyens français sont soumis au Code civil et selon le Code civil, « [n]ul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision » (article 815), alors que des Polynésiens ne sont pas encore sortis de ce régime

32 Nous avons brièvement abordé dans le chapitre 2 (sections 2.2. et 2.5.) la question du foncier en Polynésie. J’y renvoie le lecteur pour rappel.

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de propriété indivise ou indivision33 malgré, pour plusieurs, leur désir d’en sortir. « En Polynésie française, il existe des indivisions qui perdurent depuis de nombreuses générations ce qui rend le partage des biens souvent difficile » (Direction des affaires foncières 2017 : 1). Comme le rappelle avec justesse l’anthropologue Simone Grand (2016 : 67), dans l’organisation sociale des Polynésiens, la triade d’obligations sociales « donner, recevoir et rendre » n’est possible que lorsque l’on possède quelque chose.

Si aujourd’hui, il est impossible de léguer une terre toujours placée sous le régime de l’indivision à ses descendants, car elle appartient souvent à plus d’une lignée, le symbolisme rattaché à cette terre revêt encore une grande importance.

La terre (fenua) n’est ainsi traditionnellement pas envisagée comme un bien matériel ou économique pouvant faire l’objet d’une appropriation individuelle au sens du Code civil puisqu’une approche patrimoniale semble l’emporter. Elle a été indivise jusqu’aux revendications foncières héritées de l’imposition du Code civil français en Polynésie et continue de le demeurer dans la majorité des cas. Outre les enjeux économiques, le rapport avec la terre est notamment un rapport émotionnel et familial dans la mesure où elle met en jeu de l’ancestralité et des rattachements physiques (le cordon ombilical, le pito, de chacun étant enterré dans les terres ancestrales). (Ghasarian, Bambridge et Geslin 2004 : 219-220)

Céline me confiait les raisons pour lesquelles les parents biologiques de Jérémie et d’Anthony leur gardent une terre :

Céline : Parce que pour eux [les parents polynésiens], tu as beau faire une adoption plénière, enlever le nom de famille, dire « c’est mon fils, tu n’as plus aucun lien avec cet enfant », ils n’en ont rien à faire. Moi je l’ai vécu aussi, dans mon expérience. C’est qu’un jour, ils parlaient de terres et ils ont, tu sais comme le foncier, comme la terre c’est important en Polynésie, ils disent « bien pour Jérémie, oui, il faut garder une terre », alors qu’il était déjà adopté. Enfin on aurait pu dire « ce n’est plus l’enfant de, puisque », et bien si. Tu as beau faire des papiers, pour eux ce sera toujours leur fils.

Anne-Julie : D’accord, et justement, si les parents biologiques parlaient d’héritage ou de terres, est-ce qu’ils ont fait faire un testament?

33 La loi tahitienne du 24 mars 1852 sur l’enregistrement des terres demandait à tous d’enregistrer leurs terres à leur nom, mais cette situation s’est vite vue compliquée dû aux changements de noms, entre autres, dans les cas de fa’a’amura’a, contribuant aujourd’hui aux problèmes de partage des terres (Coppenrath 2003 : 32). Toutefois, à l’heure actuelle le gouvernement de la Polynésie française s’efforce de donner les outils à ceux désirant sortir de ce régime d’indivision des terres en mettant en place une procédure de partage des terres. Cette indivision représente « la situation dans laquelle plusieurs personnes entrent en possession du ou des biens d’une personne suite à son décès, à une libéralité voire à la constitution d’une société. En Polynésie française, il existe des indivisions qui perdurent depuis de nombreuses générations ce qui rend le partage des biens souvent difficile » (Direction des affaires foncières 2017 : 1).

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Céline : Non, mais ils parlaient comme ça. Parce que c’est un désir qu’ils ont. Après ils ne possèdent rien, ils ont que des terres en indivision.

Anne-Julie : Avec la famille ?

Céline : Oui, tu sais les histoires de terres en Polynésie, c’est extrêmement complexe.

[…]

Céline : Donc c’est complexe. Mais l’intention était là, l’intention était de dire « les deux petits qu’on a donné, oui, ils sont de la famille et le jour du partage, ils auront une part ». Je ne sais pas s’ils le feront.

Anne-Julie : Oui, d’accord.

Céline : Je ne sais même pas si un jour il y aura partage parce que c’est tellement compliqué leur histoire.

Anne-Julie: Oui, y’en a que ça dure 30 ans.

Céline : Mais ça a été dit et moi de l’entendre, j’ai trouvé ça super beau. Voilà. Après, on verra. (Avril 2018)

Dans le cas des enfants de Céline, ils hériteront des biens de leurs parents adoptifs ainsi que symboliquement des biens de leurs parents biologiques. Coexistent donc sur le territoire deux façons d’hériter, l’une officielle, l’autre « locale ». D’ailleurs, plusieurs des participants à ma recherche ont mentionné, comme Céline, que leurs parents ont aussi émis le désir avant de mourir que leur terre et leurs biens soient partagés à parts égales à tous les enfants, biologiques et fa’a’amu, sans nécessairement faire usage d’un testament. Cette option fonctionne bien pour les enfants fa’a’amu dans les cas où il n’y a pas de tensions familiales. Toutefois, lorsque c’est le cas, l’enfant fa’a’amu peut se retrouver sans héritage de sa famille fa’a’amu et même s’il a droit légalement à une part d’héritage de ses parents biologiques, il est confronté à sa fratrie d’origine qui ne souhaite pas nécessairement partager avec une énième personne une petite partie de la terre familiale. Ces situations arrivent surtout lorsque le frère ou la sœur fa’a’amu a mieux réussi dans la vie que le reste de la fratrie biologique ou que les liens ont été coupés. Interviennent donc dans cette situation les options de faire un testament qui inclut les enfants fa’a’amu, faire un testament olographe ou encore procéder à une adoption (simple ou plénière), même si l’enfant fa’a’amu est adulte.

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4.3. Conclusion du chapitre

Comme mentionné au chapitre 1 (section 1.1.), prendre en compte la situation coloniale, c’est reconnaître les impacts d’un des plus grands renversements mondiaux et de s’attarder à « la construction culturelle et politique d’un moment particulier » (Cooper et Stoler 1997 : 15, cité dans Merle 2013 : 212). À cet égard, l’adoption à la polynésienne est, comme le mentionnait Bambridge pour la question foncière en Polynésie française, « l’objet d’interprétations et de pratiques divergentes. [L’adoption à la polynésienne] devient le théâtre de normes contradictoires entre une organisation locale productrice de normes et une organisation étatique qui impose une représentation et des pratiques [de parenté] d’inspiration occidentale » (2009 : 18).

La typologie proposée dans ce mémoire nous a permis de distinguer différents types d’adoption à la polynésienne afin de prendre connaissance de quelques illustrations propres à chaque type. Les portraits de Hiti, Ahuriro, Aira, Manuia, Jérémie, Anthony et Hemana nous ont montré l’étendue et les limites des possibilités de l’adoption à la polynésienne. De par leur singularité, ces histoires permettent de mieux comprendre cette pratique qui peut parfois être taxée trop rapidement de « paresse parentale ». Ce que j’ai tenté de montrer dans ce chapitre est l’idée que, comme mentionné dans le chapitre 1 (section 1.2.2.), « on closer inspection, even dominant colonial legal orders failed to penetrate fully, encountered pockets of resistance, and were absorbed and co-opted » (Merry 1988 : 874). En ce sens, l’adoption à la polynésienne est un champ social semi-autonome, au sens où Sally Engle Merry l’entendait. L’adoption à la polynésienne est le théâtre de normes contradictoires qui se régule de lui-même et par l’intervention de normes extérieures.

Enfin, ce chapitre a aussi permis d’entrevoir l’importance de la prise en compte du contexte familial élargi et son implication dans l’adoption à la polynésienne.

Le prochain chapitre discutera du rôle du personnel de la DSFE, en particulier des motifs d’intervention dans des cas d’enfants fa’a’amu en risque de danger ou en danger avéré. Il me permettra de répondre aux objectifs 2 et 3 de la recherche, soit, saisir les enjeux et défis que l’adoption à la polynésienne pose aujourd’hui pour le personnel des services sociaux et

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analyser les moyens explorés par les divers acteurs impliqués auprès des enfants dans le but de répondre aux réalités des familles.

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Chapitre 5 – Les stratégies relatives au fa’a’amu des professionnels qui œuvrent auprès des familles d’enfants fa’a’amu

Les enjeux des familles ayant accueilli ou confié un enfant fa’a’amu sont aussi à saisir dans leur relation avec le travail des professionnels œuvrant dans les domaines de la relation d’aide, des services sociaux, de l’enseignement et de la santé. Ceux-ci sont confrontés dans leur travail à des cas d’enfants fa’a’amu qui sont souvent en situation de vulnérabilité pour lesquels ils doivent parfois agir afin de protéger leur bien-être. Leur travail d’intervention auprès de ces familles n’est pas sans défis. En effet, si la plupart de ces professionnels sont d’origine polynésienne, et donc familiers avec la pratique du fa’a’amu, ils doivent malgré tout composer directement avec les différences culturelles entre, d’un côté l’organisation sociale et administrative à la française et, de l’autre, les façons de faire à la polynésienne. Cette situation demande une gestion particulière de la part de ces travailleurs. De surcroît, le fait que la Polynésie française soit composée de 118 îles dont 76 habitées, provoque son lot de défis. Par exemple, les cas d’interventions auprès des familles vivant sur les îles plus éloignées du centre urbain de Tahiti doivent être gérés différemment. Notamment, cet éloignement implique que le personnel des services sociaux doive composer avec des ressources plus limitées dans les îles éloignées (foyers d’accueils, centres d’accueil et familles d’accueil entre autres).

Ce chapitre est dédié à l’analyse des pratiques des professionnels œuvrant auprès des familles d’enfants fa’a’amu. L’objectif est d’explorer les différentes stratégies que les professionnels de l’assistance sociale emploient afin d’encadrer cette pratique qui ne fait pas l’objet à ce jour d’un protocole particulier. Il ne s’agit pas de poser un jugement sur ce manque d’encadrement de la part du gouvernement de la Polynésie française, mais plutôt de décrire les différentes possibilités et défis que pose cette situation. En effet, comme nous avons pu le constater dans le chapitre 4, opérer en marge peut laisser place à une certaine liberté des possibles pour les familles et les professionnels quant à la gestion de l’adoption à la polynésienne.

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Nous entamerons ce chapitre en décrivant les institutions participant à la protection de l’enfance en Polynésie française ainsi que les démarches qu’implique un signalement d’un enfant en risque (de danger) ou en danger avéré (maltraité) (Fare Tama Hau 2007). À partir de ces éléments de compréhension contextuels et avec l’appui de certains des portraits décrits au chapitre 4 et d’autres exemples tirés de mes recherches, il s’agira ensuite d’identifier différentes tensions, qui résultent notamment de la pluralité des mondes, qui obligent les professionnels à intervenir dans une situation ou les en préviennent, parfois malgré eux. Essentiellement, cette discussion portera sur les perceptions qu’ont les professionnels de cette pratique d’adoption ainsi que sur les différentes stratégies mises en avant afin de soutenir et d’encadrer la pratique d’adoption à la polynésienne.

5.1. Les rôles des institutions administratives et judiciaires : quelle place pour l’enfant fa’a’amu ?

Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, les parents biologiques d’enfants fa’a’amu sont, dans certains des cas, en situation de précarité au moment où ils confient leur enfant à un autre couple. Toutefois, il arrive aussi que ces enfants fa’a’amu soient tout autant en situation de précarité dans leur nouvelle famille. Si pour certains enfants, l’adoption à la polynésienne est une chance, dans d’autres cas, leur vulnérabilité sur le plan juridique, social et administratif est à souligner. Le personnel de la DSFE intervient dans nombre de situations impliquant des enfants fa’a’amu et c’est pourquoi, lors de mon séjour à Rurutu à leurs côtés, j’ai rencontré exclusivement des familles dont l’enfant fa’a’amu avait été signalé au Procureur de la République ou pris en charge par la DSFE. La raison est bien simple : la DSFE intervient uniquement dans des situations où il y a une demande d’aide ou un signalement. Cela étant dit, il n’y a pas de chiffres nous permettant de connaître la proportion des enfants fa’a’amu à risque de danger ou en danger avéré, comparée au groupe d’enfant fa’a’amu qui n’est pas à risque. Ce qu’il est possible d’analyser, ce sont les causes de ces maltraitances et, parfois, ce qui les particularisent par rapport à d’autres cas d’enfance en danger.

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5.1.1. Le système de protection de l’enfance en Polynésie française

Les deux institutions responsables de la prise en charge des enfants à risque de danger ou en danger avéré (maltraité) sont le ministère de la Justice à travers le Procureur de la République ainsi que la Direction des solidarités, de la famille et de l’égalité (DSFE). En France, le système de protection de l’enfance est fondé sur une distinction entre une protection judiciaire et une protection sociale (administrative). Pour la Polynésie française, le système de protection judiciaire dépend des compétences de l’État tandis que le système de protection social (administratif) relève des compétences de l’Assemblée territoriale de Polynésie française (pays). Dans ce chapitre, nous traiterons uniquement du système de protection sociale (administrative)34. Cette dualité est un héritage des lois de décentralisation dont le principe est de transférer davantage de compétences aux collectivités locales (Observatoire de l’enfance en danger et de l’adolescent en difficulté 2005 : 25). D’ailleurs, depuis l’adoption de la loi organique de février 2004, le statut d’autonomie interne de la Polynésie française est venu « confirmer la compétence du Pays en matière de protection de l’enfance dont la mission a été dévolue au service des affaires sociales » (Observatoire de l’enfance en danger et de l’adolescent en difficulté 2005 : 28).

Pourtant, ce statut d’autonomie interne pose problème au niveau de la gestion des services sociaux du territoire. D’abord, n’étant pas compétente et autonome sur le plan judiciaire, l’Assemblée territoriale de la Polynésie française n’a pu ratifier la Convention relative aux droits de l’enfant35 (CIDE) afin d’adapter les principes en découlant aux réalités locales (Ligue polynésienne des droits humains 2004 : 5). Ensuite, la Ligue polynésienne des droits humains en collaboration avec la Fédération internationale des droits de l’Homme (FDHI) considère que la République française demeure responsable devant la CIDE puisqu’elle « n’a fait que déléguer une partie de ses pouvoirs au gouvernement de Polynésie; d’autre part, c’est d’elle dont dépend l’essentiel des moyens financiers alloués à la Polynésie; enfin, la République française détient encore à ce jour l’ensemble des pouvoirs en matière de justice

34 Pour des précisions sur la justice en Polynésie française, se référer à Gagné, Guyon et Trépied (2018) et Gagné (2018). 35 La Convention de New York (1989) relative aux droits de l’enfant (CIDE) a été adoptée par la France le 7 août 1990, mais avec certaines réserves. Voir Nations Unies (1998 : 2090).

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et de libertés publiques, et c’est donc sur elle que pèse la responsabilité première de garantir le respect de la Convention relative aux droits de l’enfant » (Ligue polynésienne des droits humains 2004 : 5).

La DSFE est une institution faisant partie du ministère polynésien de la Famille et des solidarités, en charge de l’égalité des chances. Elle a pour mission « de promouvoir la cohésion sociale, prévenir les risques de marginalisation et de lutter contre l’exclusion et contre toute forme de discrimination à l’égard de personnes ou de groupes de personnes en situation de vulnérabilité » (DSFE 2018). Cette institution est responsable sur tout le territoire de la Polynésie française. Certaines différences de gestion de l’enfance en danger existent entre les îles, soit entre le milieu rural et le milieu urbain, particulier à Tahiti. Sur le plan des effectifs, l’île de Tahiti est celle qui accueille le siège social de la DSFE ainsi que tous les foyers et centres éducatifs pour recevoir un enfant suite à un signalement à la DSFE ou au Procureur de la République. Toutefois, depuis avril 2019, une restructuration au sein de la DSFE s’est effectuée dans le but de mieux servir les îles éloignées.

Cette refonte des services a amené à approvisionner les archipels des Marquises, des Australes et des Tuamotu-Gambiers qui accueillent maintenant ce qu’on appelle des « antennes » de la DSFE. Pour l’archipel des Australes (5 558 habitants), c’est l’île de Tubuai qui accueille cette antenne. Une travailleuse sociale réside dans l’île pour y assurer le service permanent. En 2018, 59 enfants y étaient placés sous assistance éducative, et l’antenne traitait 23 signalements. Pour l’archipel des Marquises (6 973 habitants), il y a deux antennes, une à Nuku Hiva avec un travailleur social sur place et une autre, à Hiva Oa avec deux travailleurs sociaux qui y sont assignés. En 2018, aux Marquises, « 54 enfants ont été suivis avec également le traitement de 75 signalements » (Présidence de la Polynésie française 2019). Pour l’archipel des Tuamotu-Gambiers (17 559 habitants), c’est l’île de Rangiroa qui accueille une antenne de la DSFE. Un travailleur social y réside en permanence avec l’appui de trois travailleurs sociaux basés à Pape’ete, « qui œuvrent sur l’ensemble des îles avec en moyenne 26 atolls et îles visités en une année. En 2018, pour cet archipel, 77 signalements ou informations préoccupantes ont été comptabilisés, avec 76 enfants sous mesure d’assistance éducative » (Présidence de la Polynésie française 2019). En plus de leur travail d’intervention auprès d’enfants et de leurs familles suite à un signalement, ces travailleurs

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sociaux basés dans ces antennes accompagnent plusieurs familles relativement à divers enjeux de vulnérabilité sociale, répondant ainsi aux autres objectifs et missions de la DSFE. Il est aussi indiqué dans un rapport de la Présidence de la Polynésie française (2019), qu’en plus des travailleurs sociaux basés dans ces antennes, 29 missions sont prévues pour les Tuamotu-Gambiers, 9 missions aux Australes ainsi que 14 missions aux Marquises.

Toujours sur le plan des effectifs, il est difficile de répertorier tous les foyers d’accueil et d’hébergements socio-éducatifs puisque ceux-ci ne sont pas sous la responsabilité spécifique du gouvernement de la Polynésie française. Le rapport de l’Observatoire de l’enfant en danger et de l’adolescent en difficulté (2005), mis en place par le foyer Fare Tama Hau, note que

[h]ormis la population présentant un handicap, seule bénéficiaire de l’action sociale pour laquelle des textes spécifiques ont construit un cadre de prise en charge, la population en difficultés sociales, dont l’enfant en danger, ne dispose d’aucune réglementation spécifique en matière de prise en charge socio-éducative. La réglementation du Pays, moins développée que son équivalente en Métropole, n’a légiféré que partiellement en ce qui concerne les établissements existants. L’ensemble du dispositif d’accueil socio-éducatif est de statut de droit privé et relève d’associations dont certaines d’émanation d’organisations confessionnelles. (Observatoire de l’enfant en danger et de l’adolescent en difficulté 2005 : 63)

En 2005, on pouvait ainsi compter neuf foyers d’accueil et d’hébergements socio-éducatifs, offrant un total de 239 places : l’Église catholique de Polynésie française gère trois de ces centres, l’Église protestante en gère un; les cinq autres centres sont sous la responsabilité d’associations privées (Observatoire de l’enfant en danger et de l’adolescent en difficulté 2005 : 64). Différents types d’accueil sont proposés dans ces centres : accueil d’urgence de trois mois, renouvelable une fois; hébergement en semi-internat; hébergement en internat; hébergement d’urgence de trois mois, renouvelable; et hébergement long terme (Observatoire de l’enfant en danger et de l’adolescent en difficulté 2005 : 64). Les autorités administratives et judiciaires peuvent aussi compter sur la possibilité de placements en famille d’accueil.

La restructuration des différentes antennes de la DSFE dans les îles éloignées de Tahiti a pour but de soutenir les populations les plus éloignées du centre urbain. Toutefois, malgré cette restructuration, Erita, une psychologue de la DSFE, participante à ma recherche m’expliquait :

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(…) toujours est-il que les îles sont oubliées quand même. Elles sont oubliées. Moi je trouve quand même que, je dirais qu’on ne peut pas travailler de la même manière qu’on travaille ici. Je veux dire, on est urbain, et dans les îles, on ne peut pas arriver avec le schéma urbain en tous les cas, dans les îles, parce qu’il faut se mettre vraiment, quelles sont les ressources, quels sont leurs réflexes, quelles sont leurs représentations et aller travailler à partir… en tous les cas, avec le réel des îles et pas nous arriver avec notre pensée urbaine et puis vouloir caller, faire du copier/coller, c’est impossible. Moi je suis persuadée que dans les îles, on a une autre manière de travailler, on doit travailler dans le collectif, pas dans l’individuel, ni coller des mesures. Ça n’a pas de sens. Ça n’a pas de sens, c’est-à-dire que c’est la proximité alors qu’ici on est plus, on a d’autres dispositifs qui ne sont pas présents dans les îles. On a les médecins, tout est quadrillé ici, au centre-ville on va dire, ce côté urbain, tout est quadrillé, on a la pédopsychiatrie, on a, on a je dirais une unité ambulante, on a les centres spécialisés. Ça, on n’a pas du tout dans les îles. On n’a que le Maire, le maire et le maire, et les familles. (Erita, avril 2018)

Il parait évident pour cette psychologue qu’on ne travaille pas de la même façon en milieu urbain qu’en milieu rural. Son expérience professionnelle et personnelle lui permet de trouver des stratégies afin de mieux travailler en contexte d’îles éloignées, dû aux manques de ressources, comme s’appuyer sur le réseau de famille élargie lorsqu’il est question, par exemple, de placer un enfant. Pourtant, même si le manque d’effectifs sociaux dans les îles se fait sentir cruellement, pour d’autres intervenants, cette différence ne leur apparaît pas de façon évidente, d’où la pertinence de prendre en compte les différentes réalités culturelles et historiques dans chacun des archipels composant la Polynésie française36.

Ces différences de perspectives parmi les professionnels des services sociaux de Polynésie française résident probablement en partie dans le fait que ce ne sont pas tous les intervenants sociaux qui sont amenés à aller travailler dans les îles. Avant avril 2019 et le remaniement des structures de la DSFE pour les îles éloignées, ceux qui y allaient en mission d’intervention n’y allaient que quelquefois par an (la fréquence variait dépendamment des îles; pour l’île de Rurutu, on parle de 3 à 4 fois par an) pour une durée de séjour assez courte (on parle en général d’une semaine ou deux) afin de traiter tous leurs dossiers dans l’île.

36 Les archipels des Marquises revendiquent sur le plan politique la décentralisation de Tahiti comme pôle entre la Polynésie française et la métropole : « s’exprime (…) une importante mouvance autonomiste marquisienne, depuis au moins les années 1960, qui se caractérise par sa forte critique du centralisme tahitien accusé de maintenir les Marquises dans un état de “non-développement”, son “attachement à la France” et sa revendication de différentes formes d’autonomie pour l’archipel des Marquises » (Pereira de Grandmont 2018 : 53 ; italiques dans l’original).

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Dans son ensemble, la DSFE est composée de subdivisions, d’antennes et de circonscriptions (voir annexe XI) et doit répondre à différents objectifs37, dont ceux qui concernent plus particulièrement ce mémoire, soit « assurer les missions de l’aide sociale à l’enfance ; assurer la protection administrative, l’évaluation sociale et l’accompagnement des personnes et groupes de personnes vulnérables ayant fait l’objet d’une mesure de protection judiciaire » (DSFE 2018). Elle comporte aussi une « cellule d’aide sociale à l’enfance » qui gère les dossiers d’adoption nationale, notamment auprès des métropolitains venus de France en vue d’adopter un enfant polynésien.

En 2004, le rapport d’activité de la DSFE indiquait qu’on pouvait compter au sein de l’institution un total de 84 professionnels, dont 54 assistants socio-éducatifs, 25 agents sociaux, 5 psychologues et ce, pour l’ensemble du territoire et de ses habitants (252 900 habitants au 1er janvier 2005 l’estimation de l’ISPF) (Observatoire de l’enfance en danger et de l’adolescent en difficulté 2005 : 78). Au moment de mes deux séjours sur le terrain, on pouvait compter à la DSFE 10 psychologues et 90 travailleurs sociaux – la majorité d’entre eux étant pour la plupart des femmes – pour tout le territoire polynésien comptant 275 918 habitants répartis sur 76 îles au 17 août 2017. Ce système de protection sociale travaille notamment étroitement avec le système de protection judiciaire.

Le système de protection judiciaire intervient lors d’un cas de signalement d’un enfant en risque de danger ou en danger avéré (ou maltraité). Le système de protection judiciaire de la jeunesse française inclut le Procureur de la République et le Juge des enfants. Ceux-ci ont la responsabilité d’appliquer le Code civil et le Code pénal, qui prévoient pour tous les mineurs des « mesures de protection dont la mise en application repose sur une juridiction et des services spécialisés. […] Sa fonction essentielle en matière civile est d’ordonner des mesures

37 La DSFE a pour objectifs de « participer à la définition des politiques publiques de solidarité, de la famille et de l’égalité entre les hommes et les femmes ; contribuer à la promotion et à l’insertion sociale des personnes et des familles ; assurer les missions de l’aide sociale à l’enfance ; assurer la protection administrative, l’évaluation sociale et l’accompagnement des personnes et groupes de personnes vulnérables ayant fait l’objet d’une mesure de protection judiciaire ; élaborer, animer, coordonner des plans d’action sociale et de prévention, et évaluer leur mise en œuvre ; accompagner les structures à vocation sociale et médico-sociale assurant la prise en charge des personnes vulnérables ; participer à la formation initiale et continue aux métiers du social » (DSFE 2018).

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d’assistance éducative qui relèvent des articles 375 et suivants du code civil. En Polynésie française, cette compétence issue du droit civil relève de l’État et de ses services » (Observatoire de l’enfance en danger et de l’adolescent en difficulté 2005 : 26). La DSFE intervient donc aussi à la suite d’ordonnance de mesures d’assistance éducative par le Juge des enfants et veille à les faire appliquer et respecter.

5.1.2. L’enfant en risque de danger, l’enfant en danger avéré (ou maltraité) et les procédures du signalement d’un enfant

Le Code civil décrit dans l’article 375 la maltraitance d’un mineur comme suit : « [s]i la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ». N’importe qui peut signifier une situation préoccupante auprès de la gendarmerie, de la DSFE ou du Procureur de la République. Selon le Guide pratique de l’enfance en danger produit par Fare Tama Hau38 (Maison de l’enfant et de l’adolescent), certains critères permettent de déterminer si un enfant est en situation de vulnérabilité, à partir desquels les professionnels établiront si l’enfant est « à risque (de danger) » ou encore en « danger avéré (maltraité) » (Fare Tama Hau 2007).

38 Depuis 2009, à la suite de certaines confusions des rôles respectifs du Fare Tama Hau et de la DSFE, l’arrêté n° 1420 CM s’est vu modifié en précisant que le Fare Tama Hau comprend : « une maison de l’adolescent; une maison de l’enfant; un observatoire de l’enfant en danger et de l’adolescent en difficulté; une ligne d’écoute téléphonique d’urgence dénommée ligne verte » (Fare Tama Hau s.d.). Son objectif principal est de prévenir les perturbations du lien parents-enfants. Sur son site Internet, Fare Tama Hau explique cette réorientation comme suit : « la lutte et la prise en charge des maltraitances infantiles, donc de l’enfant en danger incombe à la Direction des Affaires Sociales ou à la Justice. Le Fare Tama Hau marchait sur les plates-bandes de la DAS [ancien acronyme désignant la DSFE] et de la Justice ce qui provoquait des difficultés relationnelles et des dysfonctionnements au sein des diverses structures. En dénommant l’unité maison de l’enfant et en mettant en exergue son rôle préventif, cela nous permit de sortir d’une situation peu cohérente et inadaptée. Cela inscrit aussi cette unité dans une dynamique nouvelle en adéquation avec les diverses recommandations des équipes prenant en charge les jeunes enfants. Dans un but de clarification vis à vis des autres structures existantes en France et de notre appartenance à l’ANMDA (Association Nationale des Maisons de l’Adolescent) notre unité destinée aux adolescents, fut nommée : maison de l’adolescent » (Fare Tama Hau s.d.).

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Fare Tama Hau, en se basant sur les critères d’identification de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS), décrit l’enfant en risque (de danger) comme un enfant qui :

(…) se trouve dans une situation où le danger auquel l’expose son environnement habituel est suffisamment avéré pour justifier une intervention. C’est l’enfant qui connaît des conditions d’existence risquant de mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, mais qui n’est pas pour autant maltraité. Cette définition recouvre des situations qui peuvent faire l’objet de diverses appréciations selon les circonstances : négligence, absentéisme scolaire, soins inappropriés, délaissement… (Fare Tama Hau 2007 : 10)

Cette description nous rappelle, par exemple, le cas de la jeune Manuia qui présentait des retards scolaires assez significatifs pour que la DSFE intervienne auprès d’elle.

Fare Tama Hau identifie l’enfant en danger avéré (ou maltraité) comme un enfant qui « est victime de violences physiques, d’abus sexuels, de violences psychologiques, de négligences lourdes, ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique » (Fare Tama Hau 2007 : 11). Cette définition peut par exemple nous rappeler le cas de la jeune Aira qui, de retour auprès de ses parents biologiques, était maltraitée physiquement.

Pour les enfants à risque de danger ou en danger avéré (maltraité), certaines procédures doivent être suivies dans le but de remédier à la situation. La première étape consiste à la mise en place d’un signalement auprès du système de protection judiciaire, du système de protection sociale ou de la gendarmerie, à la suite de quoi, la DSFE intervient afin de protéger le bien-être de l’enfant.

Si le signalement est logé auprès de la DSFE, après évaluation, quatre mesures peuvent être entreprises, soit le dossier peut être classé sans suite, soit un suivi renforcé sera mis en place, soit des mesures administratives seront imposées (voir plus bas pour leur énumération), soit le cas sera signalé à l’autorité judiciaire (Fare Tama Hau 2007 : 16). Dans le cas d’un enfant en danger avéré, l’information doit être acheminée directement au Procureur de la République, à partir de quoi le Juge des enfants peut décider s’il y a lieu de prendre des mesures d’assistance éducative. Le Procureur de la République peut aussi ordonner une procédure pénale qui peut donner lieu à une condamnation.

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Il existe une distinction importante entre une « information préoccupante » et un « signalement ». La première correspond à « des informations caractérisant un enfant en danger et pouvant provenir de plusieurs sources : voisinage, associations, familles, services ou intervenants médicaux, sociaux, éducatifs en contact avec l’enfant ou sa famille » (Fare Tama Hau 2007 : 20). Le signalement correspond à un « document écrit par des professionnels, établi après évaluation pluridisciplinaire et si possible pluri institutionnelle d’une information préoccupante. Il fait état de la situation de l’enfant et de la famille, de la réalité du danger encouru par l’enfant, de la capacité d’adhésion de la famille à un projet d’aide, et des mesures préconisées (administratives ou judiciaires) » (Fare Tama Hau 2007 : 20). Quand il s’agit de « signifier » une information préoccupante, il s’agit de porter à la connaissance la situation d’un enfant à risque de danger aux équipes de professionnels comme les médecins, les psychologues ou les assistants sociaux. Dans le cas d’un signalement, il s’agit d’alerter les autorités administratives ou judiciaires à la suite d’une évaluation de la situation de l’enfant « en vue d’une intervention institutionnelle » (Fare Tama Hau 2007 : 21).

De façon plus précise, le signalement consiste en un « écrit objectif comprenant une évaluation de la situation d’un mineur présumé en risque de danger ou en danger nécessitant une mesure de protection administrative ou judiciaire » (Fare Tama Hau 2007 : 21). Ce rapport doit être écrit par un travailleur social après l’évaluation de la famille et de l’enfant. Il contient les informations relatives à la famille et l’enfant ainsi que les motifs du signalement. Les interventions possibles y sont décrites ainsi que celles déjà effectuées, si tel est le cas. Il comporte notamment tout document pouvant justifier la situation de danger de l’enfant, par exemple, un certificat médical à la suite d’une hospitalisation pour maltraitance physique.

Le signalement effectué par un travailleur social entraînera la prise en charge de l’enfant par la DSFE ou encore par l’autorité judiciaire. Cette procédure est mise en place afin de protéger le bien-être de l’enfant ainsi que d’aider sa famille à assurer son rôle pleinement. L’étape de l’évaluation par au moins deux professionnels de disciplines d’intervention différentes est cruciale puisqu’elle fait la différence entre une suspicion de carence de soins ou de maltraitance physique ou psychologique et l’appréciation réelle de la gravité du danger

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menaçant l’enfant, ainsi que les moyens permettant de briser le cercle de la maltraitance. Plusieurs options d’aides peuvent être proposées à la famille (aides financières ou éducatives, par exemple) avant de prendre en charge l’enfant, sauf lorsque la situation de danger est réelle. Dans ce cas, le Procureur de la République est saisi (Fare Tama Hau 2007 : 21).

Suite à cette évaluation, certaines mesures administratives peuvent être appliquées si les risques ou les dangers sont fondés. Il peut s’agir d’un suivi social en polyvalence, par exemple, l’aide en nature ou l’accompagnement éducatif. Il peut aussi s’agir d’une décision de mesures administratives comme l’action éducative en milieu ouvert ou le placement d’un enfant dans une famille d’accueil ou un foyer pour jeunes (Fare Tama Hau 2007 : 28).

Si le Procureur de la République est saisi, certaines mesures judiciaires seront mises en place. Pour les cas d’urgence, le Procureur de la République met en place la protection nécessaire à l’enfant en le confiant auprès de la DSFE ou encore à une personne de confiance, à la suite de quoi, il dispose d’un délai de huit jours pour saisir le Juge des enfants. Pour les autres cas, le Procureur de la République se réserve le droit de saisir le Juge des enfants (rappelons que le Juge des enfants peut être saisi directement par le mineur en question, ses parents ou la personne/service à qui l’enfant a déjà été confié). Si tel est le cas, une procédure aux fins d’assistance éducative sera ouverte et le Juge des enfants se réservera la possibilité de procéder à une mesure de protection. Avant cette décision, l’enfant et ses parents sont entendus par le Juge des enfants. Le Juge des enfants dispose de plusieurs mesures visant à protéger l’enfant, soit la mise en place d’une enquête sociale visant la famille et dont le but est d’évaluer la situation familiale; l’évaluation psychiatrique ou psychologique à laquelle devront se soumettre l’enfant et/ou ses parents; l’application d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert, qui vise à maintenir l’enfant dans sa famille en fournissant un soutien et un accompagnement du jeune et de sa famille39; ou encore, le Juge des enfants peut décider

39 Fare Tama Hau fait remarquer que la mesure à prioriser est celle du maintien de l’enfant dans son milieu familial dans la mesure du possible puisque : « les parents continuent d’être détenteurs de l’autorité parentale. Les mesures d’assistance éducative sont aussi destinées à apporter aide et conseil aux parents. Dans le cadre de la procédure d’assistance éducative devant le juge des enfants, sauf urgence, les parents sont, préalablement à toute décision, avisés de la procédure, entendus par le juge et informés des motifs de l’affaire. Les parents peuvent faire appel et restent titulaires des droits de l’autorité parentale. Ils en exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec l’application de la mesure » (Fare Tama Hau 2007 : 30).

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d’une mesure permettant de confier le mineur à la garde d’un établissement, de la DSFE, d’un membre de la famille ou d’une personne digne de confiance par une ordonnance (Fare Tama Hau 2007 : 30).

Les mesures en matière de protection de l’enfance font partie d’une matrice qui opère du haut vers le bas (top down). Notamment, la CIDE ainsi que d’autres organisations internationales venant à la défense des droits de l’enfance (UNICEF, Child Watch, Save the Children) transportent du nord au sud des conceptions et des idéologies à propos de l’enfance (Sirota 2012 : 11). Celles-ci influencent la façon d’encadrer et de gouverner la protection de la jeunesse. Il se crée alors une forme de « rhétorique de la protection de l’enfance » qui s’installe à l’instar « de la défense de l’intérêt d’un enfant universel » (Sirota 2012 : 11). Toutefois, la conception de l’enfant et de ce qui relève de son bien-être diffère en fonction de l’histoire, de la culture et des contextes socio-économiques d’une société. Il va sans dire que des mesures doivent être mises en place afin de protéger le bien-être de l’enfant, mais dans le cas de l’adoption à la polynésienne, celles-ci ne prennent pas nécessairement en compte l’organisation familiale polynésienne. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, l’adoption à la polynésienne implique, dans la plupart des cas, la présence et l’influence de la famille élargie à commencer par les grands-parents. La deuxième partie de ce chapitre est dédiée à l’analyse de l’adoption à la polynésienne telle que gérée dans le contexte que nous venons de décrire.

5.2. Les professionnels, leur travail et leur perception de l’enfant fa’a’amu

Au sujet de la profession de travailleur social, Marc Cizeron, travailleur social en Polynésie française, explique : « les travailleurs sociaux sont seuls témoins, souvent muets, souvent impuissants, de tous les maux sécrétés par la société dont ils sont les contemporains. Ils demeurent parfois les uniques représentants de l’Administration à pénétrer des quartiers, des zones mal aimées et des familles où personne d’autre ne se risque » (Cizeron 2005 : 7). Ayant ceci en tête, il s’agira de décrire le travail des professionnels œuvrant auprès des familles d’enfants fa’a’amu afin de montrer comment leur expérience comme Polynésiens – la plupart sont d’origine polynésienne, rappelons-le – participant à un monde pluriel leur offre

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l’opportunité d’intervenir dans la vie de ces enfants dans le respect de l’adoption à la polynésienne.

5.2.1. Qui sont les intervenants sociaux en Polynésie française?

Si l’approche des intervenants sociaux de Polynésie française vise à créer un espace non hiérarchisé et basé sur un respect mutuel entre eux et les bénéficiaires de leurs services (Cizeron et Hienly 1983 : 9), ils jouissent en même temps d’un statut particulier, qui s’appuie notamment sur un haut niveau de formation, laquelle est souvent effectuée en métropole.

Concernant la formation en psychologie, elle doit être suivie en France métropolitaine puisque la Polynésie française ne dispose pas de programme d’études de psychologie sur son territoire. Pour détenir le titre de psychologue, l’étudiant doit minimalement détenir son BAC40, une License en psychologie ainsi qu’un Master de psychologie, qui consiste en un BAC + 5.

Depuis 2006, dans le cas de ceux qui œuvrent dans le domaine de l’assistance de services sociaux, l’Institut polynésien de formation sanitaire et sociale41 (IPFSS) – qui est géré par la Délégation de la Polynésie de la Croix-Rouge française – peut former, sur l’île de Tahiti, des travailleurs sociaux diplômés d'État, dont des éducateurs spécialisés, des assistants de service social et des accompagnants éducatifs et sociaux (IPFSS 2018). Suite à cette formation, le diplômé aura un niveau d’étude de BAC + 3 et sur ces trois années de formation, les étudiants auront passé 26 semaines de stage en France métropolitaine (IPFSS 2018 : 9).

40 Le BAC est l’abréviation de baccalauréat qui, en France, est un diplôme d’État qui s’acquiert à la réalisation de l’examen final qui indique la fin des études secondaires. Il s’agit de la première étape pour passer au niveau des études supérieures. 41 Dans le cas du diplôme de l’IPFSS, les conditions d’accès sont : être titulaire du diplôme d'État sanitaire, social ou éducatif homologué (niveau IV), être titulaire du baccalauréat ou de l’un des titres admis en équivalence, être en classe de terminale (l’admission en formation sera soumise à la réussite aux épreuves de sélection et à l’obtention du baccalauréat), être titulaire du diplôme d’accès aux études universitaires (D.A.E.U.), être titulaire d’un diplôme d’État sanitaire, social ou éducatif homologué (niveau IV ex : DEME), être attesté de la réussite à l’examen de niveau DRJSCS, détenir un D.E.A.V.S. + 5 ans dans l'emploi ou détenir un D.E.A.M.P. + 5 ans dans l'emploi (IPFSS 2018 : 4).

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Si la plupart des intervenants sociaux de Polynésie française sont d’origine polynésienne (ou demi42), ils sont formés par des institutions françaises qui mettent en place des balises occidentales concernant la protection de l’enfance, en se basant notamment sur la CIDE (1989), qui accorde à l’enfant « le statut d’un véritable sujet de droit international » (Zani 2011 : 67). Particulièrement pour les professionnels, et plus généralement pour les Polynésiens, cela peut se traduire par : « 1. rester Polynésien dans l’âme et intérioriser cet état d’esprit, garder ce qu’ils croient être polynésien et ce qu’il en reste, 2. et se confronter aux exigences du système de valeurs occidentales et de la modernisation de Tahiti qui se poursuit » (Cizeron et Hienly 1983 : 175).

Un des objectifs établis par le rapport de l’Observatoire de l’enfance en danger vise à « [v]aloriser l’autorité parentale, conforter les parents dans leur rôle éducatif, lutter contre les violences familiales et la maltraitance, telles sont les formules consacrées aujourd’hui ; l’urgence désignée est dans l’accompagnement de la fonction parentale en amont du dispositif de la protection de l’enfance » (2005 : 84). Dans ce contexte, lorsqu’une famille polynésienne répond aux standards du modèle de famille nucléaire occidentale, c’est-à-dire, lorsque l’organisation familiale se base sur le couple de parents biologiques mariés ou non, il est davantage aisé pour les professionnels d’intervenir dans des cas d’enfance en danger. Les balises sont claires. En effet, les recommandations de l’Observatoire de l’enfance en danger (2005) appuient cette vision de la famille.

Dans les cas d’enfants fa’a’amu dont la configuration familiale s’écarte du modèle de la famille nucléaire et implique notamment plus d’un couple de parents, les façons d’intervenir sont moins claires. Selon mes observations, les professionnels doivent alors faire usage d’un doigté basé sur leur expérience professionnelle de gestion de l’enfance en danger ainsi que

42 Schuft précise que « [l]a catégorie de métis à Tahiti, “demi”, fait référence plus spécifiquement au métissage entre “Européens” et “Polynésiens”. Dans les usages sociaux, les enfants nés des unions par exemple entre parents “polynésiens” et “chinois” font l’objet de précisions supplémentaires (Oliver 1981 ; Trémon 2005) » (2014 : 68). Son analyse insiste notamment sur les rapports de pouvoir que ce métissage implique : « la Polynésie française demeure profondément marquée par des étiquettes ethniques qui sont employées, entre autres, pour distinguer entre le “pur” et le “métissé” – et qui s’inscrivent dans des rapports de pouvoir » (Schuft 2014 : 67).

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de leurs savoirs culturels et personnels sur la pratique du don d’enfant afin d’intervenir de manière la plus en phase possible avec l’enfant et sa situation.

Enfin, les travailleurs sociaux de Polynésie française doivent aussi composer avec le manque d’effectif et de moyens. D’ailleurs, l’obtention de jours de récupération supplémentaires et d’une prime de sujétion (indemnité pour les environnements de travail présentant des dangers, le froid, l’insalubrité, etc.) sont demandés par le syndicat du personnel de la DSFE (Polynésie la 1re 2019). Le manque d’effectifs et de moyens ainsi que les conditions de travail des professionnels touche toutes les sphères d’intervention de la DSFE, y compris celle des enfants signalés au Procureur de la République.

5.2.2. Principes d’intervention en amont de l’adoption à la polynésienne

Avant d’exposer de façon concrète les motifs qui amènent les professionnels à intervenir auprès d’un enfant fa’a’amu, il paraît opportun de mentionner qu’un premier principe à la base de l’intervention des professionnels œuvrant auprès des familles d’enfants fa’a’amu est d’amener les familles biologiques et fa’a’amu à maintenir un bon lien ainsi qu’à promouvoir la communication entre elles et envers l’enfant. Il s’agit pour eux de la base pour entamer une adoption à la polynésienne afin que d’une part, les démarches administratives concernant l’enfant, comme l’inscription à l’école et les rendez-vous médicaux par exemple, soient facilités et, d’autre part, afin de révéler à l’enfant son histoire. Plusieurs des professionnels qui ont participé à cette recherche ont soulevé, en effet, un problème fréquent de communication, tant entre les parents (biologiques et fa’a’amu) qu’auprès de l’enfant fa’a’amu.

La communication à l’enfant fa’a’amu de son histoire d’adoption est pour les intervenants sociaux une étape qui est souvent négligée dans les cas d’enfants fa’a’amu signalés et pris en charge par la DSFE. Erita, une psychologue de la DSFE m’explique que souvent, « sans le dire, sans poser les mots, on dit, on ne pose même pas de mots à l’enfant et sans lui donner de perspectives, et comme ça, pour l’enfant ça s’arrête et il ne peut ne plus voir ses parents pendant quelques années et le parent resurgit, sauf que le lien d’attachement n’est pas là » (Erita, avril 2018). À plusieurs reprises lors de mes entretiens auprès d’eux, les professionnels m’expliquaient que le lien d’attachement est un concept crucial dans leur intervention auprès

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de l’enfant. Les professionnels vont donc travailler à créer un lien entre l’enfant fa’a’amu et ses parents biologiques ou encore à établir une conversation sur le contexte de son don, dans les situations où les liens entre les familles biologiques et fa’a’amu ont été coupés. Élise, une assistante sociale de la DSFE, explique que : « le travailleur social doit absolument tout faire pour que les liens soient maintenus. Dans l’intérêt, là on va aller chercher alors ce qu’on appelle l’intérêt supérieur de l’enfant parce qu’on veut à tout prix éviter qu’on arrive à judiciariser, tu vois. À tout prix, il faut chercher l’arrangement à l’amiable » (Élise, octobre 2018). Cet aspect de « maintien des liens entre les familles biologiques et fa’a’amu » repose sur l’idée que l’enfant doit pouvoir s’ancrer quelque part, d’où l’importance de nommer les raisons de son don, ce qu’il représente dans sa nouvelle famille, sa place et son rôle.

Souvent, selon les participants à la recherche, lorsque les liens sont coupés entre les deux familles, l’histoire d’adoption n’est pas racontée à l’enfant. Dans les cas d’enfants suivis par la DSFE, le quotidien de la famille fa’a’amu est souvent marqué par une forme de « mutisme ». Ce « mutisme polynésien », comme plusieurs l’appellent, constitue pour les professionnels rencontrés, un des « lits de la maltraitance ». Benoit, un psychologue à la DSFE et participant à ma recherche indique :

[qu’]en général, dans la transmission orale, il y a un défaut, il y a un réel défaut. Nous, dans le social, on a beau le dire, le répéter aux familles qu’il faut parler, qu’il faut expliquer, il faut dire : « Non! Ça ne se fait pas ! » Alors, c’est l’éducation, c’est les traumatismes ancestraux, tout ce qu’on veut. En fait, il y a tellement d’explications à ce mutisme polynésien […]. Il y a un réel défaut, l’enfant lorsqu’il est transvasé comme ça, d’une famille à l’autre, il ne connait pas la raison du pourquoi et du comment. Qu’il soit ici ou qu’il soit là-bas, on ne lui dit rien. L’enfant ne fait que vivre sa situation, et il vit. Donc, psychologiquement, l’enfant, de toute façon, il est atteint déjà, il est atteint parce qu’il y a une première rupture qui n’a pas été traitée, verbalisée et accompagnée. Et puis, il y a un accueil, en espérant que l’accueil est bon. En général il est bon, en général. Et quoi qu’il en soit, c'est déjà un enfant qui est déjà traumatisé par définition. Donc, lorsque cet enfant grandit, et que malheureusement il entend ici et là des « on-dit », parce qu’on vient raconter, on dit ceci, on dit cela, il y a des histoires qui circulent, il y a des rumeurs. Je veux dire, comment un enfant fa’a’amu peut-il bien vivre son fa’a’amura’a? C’est compliqué. Surtout quand les familles n’ont pas compris qu’il y a un intérêt à accompagner l’enfant. (Benoit, octobre 2018)

Selon les professionnels de la DSFE, il s’agit du contexte flou dans lequel l’enfant fa’a’amu grandit qui l’amène à développer des difficultés par la suite, comme des troubles de comportements qui peuvent déraper vers de la délinquance, par exemple. Erita, une psychologue de la DSFE, m’expliquait certaines situations délicates auxquelles font face les

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enfants fa’a’amu et comment cela peut affecter le travail d’intervention des professionnels des services sociaux:

(…) toute la partie du fa’a’amu traditionnel, […] celui qui est confié, celui qui est déposé, abandonné pour nous, celui qui est lâché, nous, on n’a pas de visibilité. « Quand est-ce que papa revient, maman revient, quand on demande aux grands-parents, mais qu’est-ce qui s’est passé, comment ça s’est passé, où est-ce qu’elle est maman ? » Alors, en plus, il y a les petits conflits, les conflits je dirais parce que maman a un nouveau tane qui ne convient pas à maman, bon. […] on est régulièrement confrontés à des enfants qui ont eu plusieurs ruptures et comment en tous les cas ne pas reproduire, leur permettre de fixer, leur permettre de ne pas reproduire, je dirais, leur parcours et leur histoire d’abandon. (Erita, avril 2018)

S’il y a un intérêt à raconter à l’enfant son histoire d’adoption afin de pouvoir l’ancrer quelque part de façon concrète, parfois les familles choisissent de ne pas révéler cette histoire qui pourrait montrer des tensions intrafamiliales ou encore de secrets de famille concernant son adoption. Comme nous avons pu en prendre connaissance dans certains portraits présentés au chapitre précédent, les explications entourant certaines situations familiales pouvaient ne pas être très claires. Parfois, les informateurs étaient allusifs dans leur réponse, ne voulant pas m’en divulguer davantage sur le contexte du don de l’enfant. Parfois, en rencontrant quelques membres d’un même groupe familial, plusieurs versions contradictoires m’étaient racontées. Parfois, je comprenais que l’enfant fa’a’amu était le résultat d’un viol incestueux ou d’un viol impliquant un ou des membres de la communauté plus large. Parfois encore, l’enfant n’était pas désiré ou encore les parents biologiques ressentaient une certaine honte à ne pas avoir été capables de s’en occuper (financièrement, par exemple). Bref, ce sont toutes des situations que la famille élargie et proche préfère taire, dans l’idée que l’enfant sera mieux s’il ne sait pas son histoire d’adoption. Le mutisme agit alors comme une forme de rupture avec le passé, qui vise à protéger l’enfant et/ou la famille élargie. Ce mutisme va de pair, dans certains cas, avec une rupture entre les parents biologiques et fa’a’amu, toujours dans l’idée d’éloigner l’enfant de la situation problématique ou de protéger la famille élargie.

Les professionnels avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler tentent toutefois de rompre avec ce qu’ils considèrent comme du mutisme dans le but d’encourager une transmission de l’histoire d’adoption à la polynésienne à l’enfant fa’a’amu et un maintien sain des liens entre les deux familles, ce qui devrait permettre d’éviter des répercussions futures dans la vie de l’enfant fa’a’amu, comme des troubles de comportement, par exemple.

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5.2.2. Une semaine dans les pas du personnel des services sociaux de Polynésie française

Au moment de mon deuxième séjour sur le terrain, j’ai accompagné en mission sur l’île de Rurutu un psychologue et une travailleuse sociale. Exposons maintenant comment s’est déroulé leur travail sur l’île de Rurutu afin d’en comprendre les rouages de manière générale.

Concernant leur mandat de protection de l’enfance, ces missions permettent aux professionnels de faire le suivi des dossiers déjà en cours à la DSFE, de prendre connaissance des nouveaux signalements, ainsi que de faire le tour des principales institutions (gendarmerie, hôpital, etc.) de l’île afin d’effectuer un suivi. Une journée en « polyvalence » est aussi prévue pour le grand public, c’est-à-dire qu’un des deux intervenants passe une journée complète à la mairie de l’île afin de prendre en compte toutes le demandes d’aides sociales43 des gens intéressés.

Pendant les jours où les intervenants sont présents sur l’île, les journées de travail sont bien remplies : la journée débute à 6h00 et se termine rarement avant 19h00. Les soirs sont dédiés à l’analyse des dossiers pris en charge. Les soirées permettent donc de faire le point en équipe sur les possibilités envisageables pour intervenir auprès des enfants et de leur famille. Par exemple, c’est l’occasion de discuter de certaines nuances dans des cas de signalement, de ce qui relève de la punition corporelle ou de la maltraitance physique d’un enfant, où parfois la ligne est mince. Les professionnels m’expliquaient d’ailleurs qu’une bonne partie des informations préoccupantes qui leur sont transmises relèvent de punitions corporelles qui sont allées trop loin. Dans les cas des îles éloignées, malheureusement, cela peut prendre jusqu’à un an avant de pouvoir en faire l’évaluation puisque les visites dans l’île sont rares.

Pendant une journée de travail, à deux travailleurs, ils peuvent, en partenariat avec les institutions scolaires et sociales, traiter jusqu’à 25 dossiers, que ce soit des cas d’enfants à

43 Les aides sociales sont prévues afin de répondre aux défis de la vie. Les travailleurs sociaux ont donc aussi le mandat d’aider à traverser ces moments plus difficiles (au niveau du couple, de l’organisation familiale, de la scolarité des enfants, du rôle de parent, de la santé, du logement, de la gestion du budget familial, etc.). Cela peut se manifester de plusieurs façons : « la Direction des Solidarités de la Famille et de l’Égalité (D.S.F.E) peut vous proposer un accompagnement social. Avec votre accord et votre participation, cet accompagnement se définit en tenant compte de vos difficultés individuelles et familiales. Cet accompagnement peut s’appuyer sur des aides sociales associées à un projet social défini par un contrat social » (DSFE 2019a :2).

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propos desquels une information préoccupante leur a été signifiée ou pour effectuer le suivi d’une mesure administrative déjà en place ou pour agir de façon rapide dans une situation dangereuse pour un enfant.

La mission débute habituellement en effectuant la tournée des différents établissements pouvant transmettre de l’information sur la situation des enfants afin de faire le point sur le travail à faire pendant les jours que dure de la mission. Au collège de Rurutu, le personnel des services sociaux rencontre le proviseur, le conseiller principal d’éducation et l’infirmière scolaire. À travers cette rencontre, les professionnels discutent des différents cas d’enfants à problèmes, ils témoignent de leurs constats et de leurs préoccupations, notamment des signes de négligences scolaires, de maltraitances physiques de la part de la famille, des troubles de comportement chez l’enfant (par exemple des signes de violences), de manière à décider de la stratégie à établir avec l’enfant dont il est question.

Pour les cas où une évaluation doit être faite, les professionnels se déplacent directement chez les familles concernées, afin de prendre connaissance de l’environnement de l’enfant et aussi de rencontrer les membres immédiats de sa famille. Lors de ces visites, j’accompagnais les professionnels et observais leurs pratiques. De manière générale, leur visite se déroule sur une trentaine de minutes, de façon à prendre le pouls de la situation. C’est à la suite de cette visite que les professionnels me laissaient conduire un entretien auprès des membres de la famille qui avaient accepté de participer à ma recherche. J’ai donc pu avoir accès à une partie de leur « intimité », ce qui se révéla être particulièrement intéressant pour ma compréhension de la situation. En effet, dans certaines situations, les familles s’exprimaient sur leur insatisfaction relativement aux procédures administratives employées par le personnel de la DSFE et me révélaient des histoires qu’ils ne racontaient pas systématiquement aux professionnels, de peur de se voir « enlever » l’enfant.

Si un placement d’enfant en risque de danger a lieu suite à l’évaluation, il doit la plupart du temps s’effectuer auprès de la famille élargie, faute de centre d’accueil présent sur l’île. Pour les cas d’enfant en danger avéré, comme c’était le cas de la jeune Aira qui habite aujourd’hui auprès de sa tante maternelle sur l’île de Tahiti, le placement se fera idéalement à l’extérieur de l’île, dans un foyer d’accueil ou dans le réseau de la famille élargie. D’ailleurs, ces placements sont plus compliqués à gérer, surtout sur une île comme celle de Rurutu qui est

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très éloignée des services prévus en matière de protection de l’enfance. Une mesure d’urgence est alors déployée afin de fournir à l’enfant en danger avéré un environnement sécuritaire immédiat. J’ai d’ailleurs pu prendre connaissance d’une de ces mesures d’urgence. Une jeune fille avait été victime d’un viol incestueux et la travailleuse sociale que j’accompagnais a dû la faire transporter par avion sur l’île de Tahiti dans les heures qui ont suivi la signification de l’information préoccupante. Dans ce cas-ci, la jeune a été « chanceuse » dans sa malchance d’avoir pu compter sur le support des services sociaux, de passage dans l’île au moment même du drame. En effet, les missions se déroulent pour une période d’une semaine, trois à quatre fois par an. Les professionnels doivent donc composer avec les besoins criants du terrain et le manque d’effectifs et de moyens professionnels.

5.2.3. Repérage des enfants fa’a’amu en risque de danger et en danger (avéré)

La procédure de signalement d’un enfant en risque de danger ou en danger avéré de la Polynésie française ne fait aucune mention des enfants fa’a’amu. À cela s’ajoute le silence du rapport de l’Observatoire de l’enfant en danger et de l’adolescent en difficulté (2005), mis en place par Fare Tama Hau, qui ne réfère qu’à l’adoption plénière ou simple.

L’adoption à la polynésienne est toutefois une réalité bien concrète et les professionnels de l’assistance sociale doivent intervenir dans un certain nombre de cas d’enfants fa’a’amu en risque de danger ou en danger avéré (maltraité). Une des particularités des enfants fa’a’amu serait leur prise en charge, parfois tardive, lorsqu’ils vivent une situation de danger. Lors d’un entretien avec un psychologue de la DSFE, celui-ci m’explique qu’il existe un écart entre ce qui est demandé par les procédures administratives et leur application réelle pour des enfants fa’a’amu :

Benoit : Aujourd’hui, les familles sont livrées un peu à elles-mêmes, lorsqu’il se pratique un fa’a’amura’a, ça reste entre les familles. Même l’école n’est même pas au courant que c’est un enfant fa’a’amu. On ne sait pas! Même le médecin ne sait pas que c’est un enfant fa’a’amu, on voit le grand-père arriver avec l’enfant, mais le médecin n’a pas idée que c’est un enfant fa’a’amu. D’accord ? Donc, même les institutions ne vont même pas aider quelque chose là, ce n’est que lorsque les problèmes arrivent que tout d’un coup on va commencer à regarder.

Anne-Julie : Je me dis administrativement parlant, un fa’a’amu qui n’est pas accompagné d’une délégation d’autorité parentale finalement, que finalement l’enfant porte un nom qui diffère de celui des parents fa’a’amu, comment ça fonctionne justement pour l’école, pour l’hôpital ?

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Benoit : Logiquement, les institutions doivent toujours, parce que c’est la loi, c’est le régime, doivent toujours faire référence aux parents biologiques. Logiquement. Maintenant, parce que ce sont des pratiques d’ici, bon, il y a des institutions qui ferment les yeux, parce que faire des recherches pour trouver le papa ou la maman pour avoir la signature, non. L’hôpital a obligation, s’il y a des opérations, s’il y a des choses vraiment à pratiquer sur l’enfant, l’hôpital a vraiment l’obligation d’avoir la signature du parent. L’école aussi a l’obligation d’avoir la signature des parents, mais il arrive que certaines écoles ferment les yeux dessus. Voilà. Donc, même dans les administrations et dans les institutions, il y a des facilités à continuer à taire le silence si je peux dire, on n’en parle pas, l’important c’est qu’il aille bien. Mais oui il va bien, l’enfant va bien, il n’y a pas de soucis. Jusqu’au jour où il ne va pas bien. Mais c’est trop tard, puisqu’il aura déjà 10 ans, 11 ans, 12 ans. C’est un peu tard. (Octobre 2018)

La situation que Benoit décrit m’a été confirmée par d’autres professionnels. Toutefois, je n’ai pas eu l’occasion de comprendre avec plus de précision ce qui explique le délai pour prendre en charge un enfant fa’a’amu en milieu scolaire, lorsqu’il est en situation de danger. Pour une future recherche, une des pistes de réflexion intéressante à mon avis serait d’explorer comment les déplacements des enfants fa’a’amu (parfois pour de courtes périodes d’un an ou de quelques mois, parfois plusieurs fois à l’intérieur de sa famille élargie) participent (ou non) au repérage plus difficile des enfants fa’a’amu. Cette situation va de pair avec le fait que les statistiques concernant l’adoption à la polynésienne sont difficiles à établir avec justesse, ce qui donne à penser qu’ils sont peu nombreux, alors qu’à peu près toutes les histoires de famille (élargie) dont j’ai pu prendre connaissance font état d’un enfant confié ou reçu. Dans ce contexte, pour les professionnels, il deviendrait alors plus difficile d’intervenir de manière efficace auprès de cette population.

L’histoire de la jeune Aira, qui avait 16 ans au moment de ma recherche, illustre bien la difficulté rencontrée. Karine, une de ses tantes qui l’avait prise en fa’a’amu, me confie qu’elle « en veut à la loi » d’être intervenue aussi tard auprès d’Aira qui changeait souvent de famille depuis que sa grand-mère était décédée. Dans son cas, les systèmes judiciaires et administratifs ne sont intervenus que tardivement dans le parcours chaotique de l’adolescente, qui vivait une situation d’instabilité et de vulnérabilité depuis maintenant un bon moment, ce qui affectait notamment son éducation scolaire. Simone précise notamment que Petero et elle ont déjà tenté d’obtenir une DEAP pour la prise en charge d’Aira, mais les parents biologiques de l’adolescente ont toujours refusé de leur déléguer quoi que ce soit (les tantes d’Aira me confient qu’il s’agissait de continuer « d’empocher » l’argent de la Caisse de prévoyance sociale (CPS) qui verse un montant chaque mois, par enfant).

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Ces prises en charge plus tardives peuvent mener à des vies adultes instables et précaires. Les personnes fa’a’amu sont d’ailleurs surreprésentés dans les situations de précarité socioéconomique. La psychologue Collorig (2015) qui travaille au sein du centre pénitentiaire de Fa’a’ā-Nuutania s’est intéressée à la question du fa’a’amu parmi les patients incarcérés. Elle s’est intéressée en particulier à l’inceste et a conduit en 2013 une recherche sur le sujet au centre pénitentiaire. Elle estime que sur les 450 détenus, 30% sont incarcérés pour crime d’ordre sexuel intrafamilial, donc incestueux, et environ 45% d'entre eux ont été des enfants fa’a’amu. Ces chiffres se rapprochent de ceux avancés par Serra Mallol (2009 : 267) qui a mené une enquête auprès des sans-abris à Tahiti et qui a révélé que sur 321 répondants, un quart fut enfant fa’a’amu. C’est donc une addition de facteurs qui amènent des enfants fa’a’amu à être à risque de danger ou en danger avéré (maltraité), ce qui a un impact sur leur vie adulte ensuite.

Un autre facteur qui contribue, dans certains cas, au repérage plus tardif des enfants fa’a’amu relève des tensions familiales et des secrets de famille. Dans ces cas, les interventions sont aussi plus délicates. Comme le précise Cizeron (travailleur social de Polynésie française) à propos de son travail relativement aux situations de tension, « si [cet] individu ou cette famille ne demande rien et se voit imposer l’intervention du Service social, le parcours sera naturellement plus compliqué. Car l’une des caractéristiques des professions sociales est de parfois devoir pénétrer dans des intimités qui ne l’ont pas souhaité » (2005 : 8).

J’ai pu ainsi mieux comprendre l’importance du réseau de la famille élargie dans le parcours d’un enfant fa’a’amu, du moment de sa conception jusqu’à l’intervention de la DSFE, dans les cas où l’enfant avait été signalé auprès du système de protection judiciaire ou administratif. Pour mieux comprendre le réseau familial, j’ai d’ailleurs élaboré des schémas de parenté. Un psychologue de la DSFE m’accompagnait dans la création de ces schémas pour pouvoir me figurer l’étendue des réseaux et des liens familiaux.

L’implication de la famille élargie dans la gestion du bien-être collectif a été investiguée ailleurs dans le triangle polynésien. En Nouvelle-Zélande, « there are many examples where the individual has been sacrificed to protect the group » (Durie 2001 : 188). Mes observations des cas suivis par la DSFE ainsi que mes entretiens auprès des professionnels participant à ma recherche ont confirmé ce phénomène. Parfois, le bien-être de l’enfant fa’a’amu est

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sacrifié au profit du bien-être de la famille élargie. Si, comme partout, les secrets de famille existent, dans le contexte d’une adoption à la polynésienne, ceux-ci peuvent aussi agir comme retardateur de l’implication de la DSFE dans les cas d’enfants en danger.

Souvent, avant d’appeler la DSFE, les familles vont gérer entre membres du groupe une situation problématique : l’enfant sera déplacé pour le protéger ou encore pour protéger un autre membre du groupe familial, notamment les auteurs de viols incestueux. Dans plusieurs des cas dont j’ai pu prendre connaissance, c’est la grand-mère ou l’arrière-grand-mère qui décidait de confier l’enfant en fa’a’amu à d’autres membres du groupe familial. Parfois, ce sont les parents eux-mêmes qui faisaient appel au groupe familial élargi afin d’éloigner l’enfant. L’enfant fa’a’amu qui est déplacé dans ces contextes n’est pas nécessairement plus à risque d’être « maltraité » dans sa famille fa’a’amu. Toutefois, dans ces cas, la DSFE peut être amenée à intervenir puisque l’enfant qui chemine dans un contexte d’incompréhension de son histoire d’adoption peut développer des troubles de comportement, allant du désintérêt pour un projet de vie, à l’absentéisme scolaire, jusqu’à la violence envers lui-même et sur autrui.

Pour les interventions auprès d’enfants fa’a’amu, une analyse en profondeur des rapports familiaux élargis semble être une clé importante pour comprendre les sources des problèmes dans les situations de danger pour l’enfant fa’a’amu. Comme dans d’autres sociétés d’Océanie (par exemple, chez les Māori de Nouvelle-Zélande, Gagné 2013 : 117), l’enfant en Polynésie française est l’enfant de toute la famille et son éducation, comme sa protection, est l’affaire de tous. Dans les cas où une crise survient dans la famille, Gagné précise dans le cas māori que « if the whānau [famille étendue] makes no move or is unable to stop a problem, the wider community will step in » (2013 : 118). Ce phénomène se manifesterait dans les familles polynésiennes en prenant un enfant en fa’a’amu. Comme Durie le mentionnait pour les Māori, « the treatment of individuals without regard for the wider social context can also undermine the integrity and potential of whānau and in the long run disadvantage the individual as well. Achieving balance between the welfare of the group and the well-being of the individual is an important challenge for whānau development, especially with the current accent on individual rights and the growing intolerance of personal abuse » (Durie 2001 : 188). Pour l’intervention sociale dans des cas d’enfant fa’a’amu en

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risque de danger ou en danger avéré, cela se traduirait par une intervention prenant en considération le bien-être de l’enfant, mais aussi du groupe familial. La plupart des intervenants que j’ai rencontrés tentent tant bien que mal de prendre en considération la famille élargie, mais le manque d’effectif ainsi que leurs modèles d’intervention basés sur une conception occidentale de la parenté les en préviennent parfois.

Voyons maintenant quels sont les motifs d’intervention sociale auprès des enfants fa’a’amu et de leur famille.

5.2.4. Quelques motifs d’intervention des professionnels des services sociaux

Pour les professionnels, la question de la scolarisation des enfants fa’a’amu est une des causes d’intervention de la DSFE. En effet, une bonne partie de ces interventions sont effectuées auprès d’enfants fa’a’amu à risque de danger dû à de la négligence sur le plan scolaire. Dans certains des cas d’adoption à la polynésienne par des grands-parents dont j’ai pu être témoin, notamment celui de Manuia présenté au chapitre 4, la scolarisation fut affectée, soit par de l’absentéisme ou encore des retards en matière d’apprentissage. Morgane, une assistante sociale de la DSFE m’explique : « il est vrai qu’après, le côté grands- parents c’est le côté affectif, mais le danger souvent c’est que l’enfant va être, c’est celui qui va être… celui qui va être sacrifié pour s’occuper de son grand-père et de sa grand-mère et arrêter la scolarité » (Morgan, octobre 2018). Si seulement l’arrêt complet de la scolarisation entraine pour les jeunes de 16 ans et moins (âge de possibilité d’arrêt de scolarisation) une intervention de la DSFE, les professionnels s’entendent pour dire que de manière générale, la scolarisation d’un enfant qui vit auprès de ses grands-parents est souvent négligée. Erita, une psychologue de la DSFE explique cette négligence en remettant le rôle des grands- parents en question : « le grand-père, il est que grand-parent, il ne peut pas être parent. […] Il est forcément gaga avec l’enfant, avec une absence de cadre. Il ne peut pas être sur le plan éducatif, il est encore sur le plan du maternage parce qu’il est simplement à sa place de grand- parent » (Erita, avril 2018). On peut à ce sujet se référer à l’organisation de la famille en Polynésie française, au ‘utuafare, qui implique un attachement à une terre et à la famille élargie (A.P.R.I.F. 1993). Dans les cas où un enfant est élevé par ses grands-parents, mais avec aussi le reste de la famille élargie, le rôle éducatif n’incombe pas qu’aux grands-parents fa’a’amu, au contraire, les oncles et les tantes participent activement à ce rôle.

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Traditionnellement, quand les enfants étaient confiés à leurs grands-parents, ils demeuraient sous la surveillance des parents biologiques qui habitaient sur cette terre et même parfois dans la même maison (AFAREP 2007 : 86). Aujourd’hui, comme les familles n’habitent plus systématiquement une même terre, un même district ou une même île, l’éducation des enfants retombe parfois uniquement sur les parents en charge de l’enfant, alors que cette éducation requiert « un village ». De plus, si, traditionnellement, les grands-parents prenaient un enfant, c’était entre autres pour assurer la transmission du savoir familial et pratique d’une génération à l’autre. Lors d’un colloque tenu en Polynésie française en 2006, Aldo Tirao (le premier Polynésien à être Directeur du Service pénitentiaire d’insertion et de probation) indique qu’il a été fa’a’amu par ses grands-parents. Il explique son expérience comme suit :

[m]a grand-mère, telle qu’elle m’est apparue à l’époque, et qu’elle m’apparaît aujourd'hui, fait office de pilier du « utuafare », et par conséquent assure un rôle important quant à l’éducation des enfants. Je peux considérer que mon grand-père assurait lui aussi une fonction, surtout dans le domaine de l’apprentissage […]. Mais ma grand-mère, au-delà des corrections et des règles de fonctionnement, était aussi celle à qui revenait la tâche de transmettre tout ce qui concerne l’histoire de la famille et en particulier la généalogie. Dans ce domaine, elle m’enseigna sur le totem familial (taura) et son nom, son lieu d’habitation, ainsi que sa forme animale sous laquelle il se présente. C’est en cela que ma grand-mère, je la considère comme le pilier du ‘utuafare, car elle était à la fois, la rigueur, l’éducation, le savoir, les connaissances et l’histoire. Elle me permit, avec l’ensemble de la famille, de construire les étapes de ma vie : celle de l’enfance, celle de l’adolescence (taureareara’a) et puis celle de la vie adulte. Je tiens à resouligner l’importance de la fonction qu’a occupé ma grand-mère en ce qui me concerne, car avec le recul, je peux saisir aujourd’hui son apport si essentiel à mon devenir d’adulte, de mari et de père. (AFAREP 2009 : 76-77)

Aujourd’hui, outre cet aspect de transmission, les professionnels soulignent l’aspect affectif et pratique que procure un enfant fa’a’amu. Si le fa’a’amu par les grands-parents se pratique à travers toute la Polynésie française, il se retrouve davantage présent dans les îles éloignées de Tahiti (ISPF 2018)44. La migration des jeunes adultes venant d’îles éloignées vers le centre urbain afin de poursuivre les études (lycée, collège ou université) ou pour trouver un travail

44 Plus généralement, 43 % des confieuses d’enfants résident dans les archipels autres que les Îles-du-Vent (Tahiti, Mo’orea, Maiao, Mehetia, et l’atoll de Tetiaroa) (ISPF 2018 : 6). D’ailleurs, il est important de noter en regard de la présente recherche que « [l]es femmes résidant dans les Australes et dans les Tuamotu-Gambier confient trois fois plus souvent un enfant que celles qui résident dans les Îles Du Vent (30 % vs 9 %) et les Marquisiennes et celles qui résident dans les Îles Sous-Le-Vent deux fois plus souvent (22 % vs 9 %) » (ISPF 2018 : 6).

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salarié, amène notamment ces jeunes à demeurer sur l’île de Tahiti.45 Un psychologue de la DSFE m’expliquait :

[c]e dont je te parle là, avec des personnes âgées qui, je pense que c'est du fa’a’amura’a moderne ça. Des grands-pères, grands-mères qui s’ennuient et qui veulent encore être parents, voilà. Qui veulent encore jouer un rôle parental. Ils appellent ça du fa’a’amu, pourquoi pas? Moi je veux bien, mais ce n'est pas tout à fait dans la même pensée pour moi. On est dans quelque chose de : « je veux m’occuper ». Ou alors pire, j’ai besoin d’une béquille parce que je suis vieux et j’ai besoin d’un petit pour m’appuyer dessus. (Benoit, octobre 2018)

Les professionnels des services sociaux participant à ma recherche étaient généralement d’accord avec cette interprétation, c’est-à-dire que le mo’otua pris en charge par les grands- parents remplit effectivement une fonction affective.

Pourtant, ce que j’ai constaté relativement à ce type de fa’a’amu par les grands-parents, c’est qu’il relève d’une relation d’entraide trilatérale (grand-parent, parent, enfant). Comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, les grands-parents viennent souvent en aide à leurs propres enfants en prenant auprès d’eux un mo’otua en fa’a’amu. En retour, le mo’otua offre un soutien dans les tâches quotidiennes des grands-parents en même temps qu’il leur offre de la compagnie. Ce type d’adoption relève de la logique du don et du contre-don dans des contextes où tous les enfants des grands-parents ont quitté l’île (notamment dans le cas des îles plus éloignées de Tahiti, comme pour l’île de Rurutu). Si ces enfants fa’a’amu par les grands-parents sont davantage en situation de négligence sur le plan scolaire, ils occupent toutefois une place spécifique au sein de la maisonnée, souvent le seul enfant de la maison, qui leur permet d’apprendre de leurs grands-parents et ainsi, ils pourront transmettre à leur tour un savoir particulier concernant leur famille et les pratiques d’agriculture, de pêche, d’artisanat, etc. Ces savoirs sont parfois sous-estimés dans l’établissement d’un plan d’intervention pour l’enfant. Ceci est notamment dû aux protocoles d’intervention des services sociaux et les principes occidentaux qui les guident.

45 En 2015, pour l’île de Rurutu, « la moitié de la population des Australes déclare disposer de moins de 58 000 F.CFP par mois et par unité de consommation, ce seuil est inférieur à celui de l’ensemble de la Polynésie française » (ISPF 2017 : 2). Si les jeunes de Rurutu désirent entrer sur le marché du travail, ils doivent composer avec le manque d’emploi salarié sur leur île natale. L’économie de l’île de Rurutu s’appuie d’ailleurs en premier lieu sur l’autoconsommation des ménages qui « représente 1,1 milliard de F.CFP et équivaut en moyenne à une ressource monétaire de 51 000 F.CFP par mois et par famille » (ISPF 2017 : 5).

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Un autre motif d’intervention des professionnels des services sociaux relève des retours des enfants fa’a’amu chez leurs parents biologiques. Ces retours se justifient soit par le décès des parents fa’a’amu (par exemple, les grands-parents fa’a’amu) ou encore le déplacement des enfants d’une île à l’autre pour étudier. Ces réunifications « forcées » sont souvent difficiles, surtout lorsque les liens entre les deux familles ont été coupés, que l’environnement de la maisonnée est différent (frères et sœurs, beau-père, belle-mère, etc.), et qu’existent des différences de styles d’éducation. Ces retours se font dans la plupart des cas à l’adolescence du jeune (notamment au moment du décès des grands-parents ainsi qu’au moment de débuter des études au collège, au lycée ou à l’université). Si le jeune accorde difficilement de l’autorité à ses parents biologiques, la famille biologique aussi parfois ne reçoit pas bien cet enfant élevé ailleurs. Pour les professionnels, il s’agit là d’un autre « lit des maltraitances ». Erita m’explique que dans ces retours auprès des parents biologiques, « l’enfant se sent étranger, le parent se sent étranger et c’est le lit des maltraitances. C’est le lit des maltraitances et souvent, nous, on voit donc des parents qui viennent nous déposer en quelque sorte les enfants devant le bureau, en disant : “je sais plus quoi faire avec lui, il a 12 ans, il a 14 ans, c’est la faute de la grand-mère, c’est la faute du grand-père” » (Erita, avril 2018).

Dans ces contextes de réunification familiale « forcée », le personnel des services sociaux tente d’établir des liens entre l’enfant et ses parents en mettant en place des séances de discussion parents-enfant, accompagnées d’un intervenant. Il peut aussi établir un plan transitionnel de déplacement d’une maison à une autre. Mais parfois, cela est trop peu, trop tard. Ces situations mènent donc à ce que certains qualifient des « ratés » du fa’a’amu, c’est- à-dire des enfants dont la place et la fonction ne sont pas claires et qui sont à risque de trouble de comportement et de délinquance. Au moment des retours de l’enfant fa’a’amu auprès de ses parents biologiques, les intervenants sociaux remarquent une croissance des troubles de comportement : « quand on est grand-parent, on n’est pas parent. […] Après, quand on est adolescent et que l’enfant, l’adolescent, bien, pousse les limites et qu’il faut poser un cadre à ce moment-là, bien on fait appel aux parents. Donc du coup, c’est là que les complications, que les difficultés arrivent. En même temps, l’enfant ne reconnait pas l’autorité de ses parents parce qu’il a été élevé par ses grands-parents » (Élise, octobre 2018). Dans le cas de la jeune Manuia, son retard scolaire amène les intervenants de la DSFE à inciter les parents biologiques à intervenir dans cette situation en essayant de convaincre Tevai d’envoyer

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Manuia au CJA. Toutefois, comme Vaia me le confiait, elle considère toujours Manuia comme sa fille, mais comme elle ne la côtoie plus, elle ne se sent plus investie dans les décisions la concernant. C’est précisément dans ces cas qu’on peut remarquer l’importance de l’organisation du ‘utuafare, où chaque membre joue un rôle particulier au regard des enfants. Ceci nous rappelle notamment les propos de Rapooto, présentés au chapitre 2, qui proposaient que le drame actuel de l’organisation familiale polynésienne est d’être coupé de son réseau de soutien constitué par la famille élargie rassemblée à un même endroit.

Un autre motif d’intervention du personnel des services sociaux auprès d’enfants fa’a’amu relève des adoptions à la polynésienne extrafamiliale (auprès de métropolitains). Certains enjeux particuliers s’imposent aux professionnels des services sociaux, qui insistent particulièrement sur l’importance de la prévention auprès des futurs parents adoptifs. Toutefois, le personnel de la cellule d’adoption de la DSFE montre un certain découragement face à ces métropolitains en désir d’enfant, mais dont la coutume de l’enfant fa’a’amu est mal comprise ou encore, comprise, mais non respectée. Un membre du personnel de cette cellule me disait :

[i]l y a des parents, quand ils viennent voir, et ça se ressent en fait à travers l’évaluation qui est faite au niveau de la cellule d’adoption où ils disent qu’ils vont quand même garder le contact, qu’ils vont quand même envoyer des photos pour que la famille puisse voir un peu l’évolution de l’enfant, et que pendant deux ans, en fait, il n’y a rien et que la famille biologique vient nous voir pour nous demander est-ce qu’ils ont reçu un paquet, est-ce qu’ils ont reçu des courriers, est-ce qu’ils ont reçu… Parce que des fois, c’est juste une petite photo est ça leur fait plaisir de voir comment l’enfant il évolue, et il y en a certains, bien, ils ne donnent rien. Et là, c’est la famille biologique qui monte au créneau. (Ahinui, avril 2018)

Lorsque les parents adoptifs ne respectent pas le souhait des parents biologiques de garder contact avec leur enfant, ceci peut créer des situations de tensions et de frustrations pour les parents polynésiens. Dans certains cas, le personnel de la cellule d’adoption m’expliquait que, pour s’assurer de contacts réguliers (téléphone, photos, séjour, etc.) avec leur enfant, certains parents polynésiens qui ont confié leur enfant à des métropolitains ne consentent jamais à l’adoption plénière de leur enfant. Leur stratégie est de faire durer dans le temps la DEAP en faveur des parents adoptants, mais sans leur donner plein droit sur l’enfant. Pour ces parents polynésiens qui confient leur enfant à ces couples, leur souhait est de garder contact avec la famille adoptive, d’autant plus qu’ils se considèrent toujours comme ses parents ayant des droits sur lui. D’ailleurs, si cette stratégie est déployée par certains

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Polynésiens, il serait davantage fréquent, selon le personnel de la DSFE, que la procédure d’adoption plénière ou simple ne soit pas bien comprise de la part des justiciables polynésiens : pour eux, un bout de papier ne leur enlève pas leurs droits sur leur enfant. C’est pour cette raison qu’il arrive souvent des histoires de souffrance : les attentes des parents biologiques polynésiens ne sont pas remplies par les parents adoptifs métropolitains, comme nous avons pu le constater dans le cas de Tepoe et de sa fille Hemana. Une assistante sociale de cette cellule m’explique qu’ils doivent alors travailler en amont :

(…) dès le départ, d’où la question du fa’a’amu, où justement on demande à ce que le lien continue. Pour éviter qu’une fois que l’enfant il franchit les barrières de la douane, ça y est, ce n’est plus un enfant d’ici. C’est pour ça que nous, on insiste beaucoup sur ça, bien moi ce que je dis aux familles, c’est qu’au-delà du don d’enfant, c’est qu’il faut que les deux familles deviennent amies en fait, pour qu’il y ait des liens qui se créent, pour le bien-être de l’enfant. (Maude, avril 2018)

La création de liens initiaux entre les deux couples ainsi que le maintien de ces liens sont pourtant difficiles à mettre en place et à maintenir lorsqu’un enfant est confié en adoption à des parents qui habitent à plus de 18 000 km. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, l’adoption comporte son lot de tensions. Les parents adoptifs métropolitains venus de France ne sont pas dans une logique polynésienne de lien de parenté, notamment en ce qui a trait au partage des droits sur l’enfant. On peut penser qu’il ne s’agirait toutefois pas, en général, de mauvaise foi, mais simplement de logiques d’affiliation différentes.

5.2.5. Le double standard vécu par les professionnels œuvrant dans le domaine du social

Le dernier aspect de ce chapitre concerne la superposition du système de protection sociale (administrative) sur une pratique culturelle polynésienne, l’adoption à la polynésienne. Les interventions des professionnels de la DSFE s’appuient sur des normes (institutionnelles, gouvernementales et internationales) qui doivent répondre aux protocoles des systèmes de protection judiciaire et sociale (pensons aux principes de l’intérêt supérieur de l’enfant et à la théorie de l’attachement) qui, dans certains cas, ne correspondent pas aux réalités culturelles polynésiennes.

La théorie de l’attachement, largement acceptée dans la communauté d’intervention sociale, révèle la dynamique d’attachement caractérisant un individu en regard « des expériences relationnelles significatives et des charges émotionnelles vécues dans l’enfance avec les

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premières figures d’attachement » (Pistorio 2015 : 122). Tout dépendant du lien qui est créé entre eux, deux types d’attachement insécurisants peuvent être développés : l’anxiété d’abandon et l’évitement de l’intimité. Dans le cas où les premières figures d’attachement sont sécurisantes, l’individu ne présentera que peu (ou pas) de symptômes de ces deux types d’attachement insécurisant (Finkel et al. 2017 : 385). Dans le cas des enfants fa’a’amu, ceux- ci peuvent développer plusieurs attachements envers différents membres du groupe familial élargi, même si les protocoles d’intervention mettent l’accent sur la relation parents-enfant comme étant la plus significative. Dans le document de la DSFE sur la protection de l’enfance, on peut notamment lire : « En tant que parents, vous êtes les premiers protecteurs de vos enfants, vous devez leur assurer un cadre pour l’épanouissement harmonieux de leur personnalité, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension (préambule de la convention internationale des droits de l’enfant) » (DSFE 2019b : 2). Pourtant, lorsque Hiti se confie sur son adoption à la polynésienne et surtout sur le moment où il a appris qu’il était fa’a’amu, voici sa réponse : « on m’a dit ça petit à petit, sinon ça va quoi, je n’étais pas choqué, je n’étais pas triste, je ne me suis pas senti abandonné du tout, après on m’a expliqué » (Hiti, octobre 2018). Ce sentiment m’a aussi été partagé par d’autres personnes fa’a’amu, comme Ahuriro, qui n’a pas non plus vécu de sentiment d’abandon.

Les professionnels sont pourtant au courant de cet écart culturel, c’est-à-dire que leurs pratiques professionnelles doivent entrer dans un certain cadre administratif qui ne représente que partiellement les réalités familiales polynésiennes. Benoit, un psychologue de la DSFE témoigne de façon explicite de cet écart :

[t]oute la problématique qui va se poser, dans les temps modernes d’aujourd’hui, c’est que ces attachements-là n’ont plus la même valeur, si je puis dire, au niveau de la société que ça avait à l’époque. Quand je dis ça, c'est que, maintenant, il y a la loi, la loi française qui dit que ce n’est pas ton enfant, c'est l’enfant de…. Parce que le papa c’est celui-là, la maman c’est celle-là. Donc tout l’attachement que l’enfant a pu investir pour telle ou telle figure, un grand-père, une grand- mère, une arrière-grand-mère… Aux yeux de la loi, ça ne vaut pas grand-chose, si un papa ou une maman réclame l’enfant. Donc, c’est là que naissent les conflits. Donc, le fa’a’amura’a est une pratique qui se pratique encore aujourd’hui dans les familles polynésiennes, que l’on soit à Tahiti, ou dans les îles. Mais que cette pratique, malheureusement ne soit pas en accord avec le contexte actuel, ça pose des soucis, sur le plan humain, sur le plan relationnel, sur le plan familial, sur le plan affectif évidemment et sur le plan psychologique. (Benoit, octobre 2018)

Toute la complexité du travail pour les intervenants sociaux que j’ai rencontrés est de naviguer à travers leurs obligations en matière de protection de l’enfance confrontées aux

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réalités qu’ils rencontrent sur le terrain. D’ailleurs, parmi la communauté scientifique des domaines de l’intervention sociale, la théorie de l’attachement reçoit des critiques, parfois virulentes, sur l’application abusive de celle-ci en matière de protection de l’enfance :

[o]n s’appuie en effet sur celles-ci pour justifier l’adoption de règles juridiques à portée obligatoire qui limitent la discrétion judiciaire, empêchent toute contestation de la validité de la théorie et de son application à un cas particulier et fixent des délais arbitraires pour le placement à long terme ou l’adoption d’un enfant. Les applications des théories de l’attachement déjà implantées dans l’intervention auprès des familles dites à risque ont d’ailleurs suscité des préoccupations importantes : leur potentiel normatif, leur prétention à la prédiction des conduites, leurs a priori positivistes sont pour le moins difficiles à concilier avec des conceptions qui tiennent compte de l’intégralité de la personne humaine, de l’importance de son insertion dans une histoire et dans une culture et qui se réfèrent à des modèles plurivoques, plus ouverts et moins manichéens (Parazelli et al., 2003). (Tessier 2006 : 59)

En matière de protection de l’enfance en Polynésie française, la théorie de l’attachement ne convient qu’imparfaitement pour les enfants fa’a’amu qui peuvent développer de multiples attachements significatifs. Les travaux anthropologiques sur la parenté en Polynésie le montrent bien.

Afin d’illustrer cet écart, reprenons le cas de Rolande vu au chapitre 4, une arrière-grand- mère participant à ma recherche qui a fa’a’amu son arrière-petite-fille. Aujourd’hui, la mère biologique de la petite désire la reprendre. Cette situation amène donc le personnel de la DSFE à intervenir afin de soutenir cette mère. Pourtant, Rolande et Vetea considèrent qu’il est préférable que la petite demeure auprès d’eux : elle est avec eux depuis qu’elle est toute petite et Vetea offre à la fillette un « père », sans trace du viol duquel elle est née. Le psychologue responsable de ce dossier m’explique les subtilités de cette affaire :

[l]’enfant circule, en Polynésie on dit que l’enfant circule. Oui l’enfant circule! Il va de mains en mains, il est fa’a’amu ici, il est fa’a’amu là, etc. Il y a une figure qui est plus investie, plus fixée dans le fa’a’amura’a, pourquoi pas? Mais, comprenant que cette circulation n’est permise que parce qu’il y a un système, il y a un régime qui le permet. Or, aujourd’hui, un enfant qui circule, ce n’est pas bien vu. Mais oui, parce que, quand un enfant va de maison en maison, on va dire que cet enfant n’a pas de repère. Alors que ce n’est pas si vrai, au contraire. En allant de maison en maison, il a plus de repères. Voilà. Le regard social a changé, le régime actuel a fait modifier les représentations. Et à force de regarder autrement la circulation de l’enfant, bien on en vient à déduire que l’enfant doit avoir un seul repère, des parents entre autres, pourquoi pas. Ce que la loi en tout cas vient légitimer en disant : « vous êtes les repères! ». Mais en faisant cela, mais oui, on vient dévaloriser les autres repères. C'est un peu pour cela que le fa’a’amura’a, dans certaines situations, je dis bien dans certaines, perd toute sa valeur parce que le regard a changé, et que plutôt que de valoriser, on va dévaloriser. Donc, d’un système à l’autre, je dis évidemment, si on était dans l’ancien système, l’enfant resterait certainement avec les parents fa’a’amu, les arrière- grands-parents, parce que la maman ne la réclamerait pas aussi. (Benoit, octobre 2018)

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En s’appuyant sur les concepts et méthodes propres à leur profession et sur leurs connaissances personnelles des coutumes polynésiennes, les professionnels participant à ma recherche tentent dans leur travail d’être sensibles aux réalités de l’adoption à la polynésienne, tout en ayant l’obligation de respecter les procédures en matière de gestion de l’enfance en danger. Dans ce contexte, le personnel de la DSFE est mandaté de soutenir cette jeune mère dans son rôle parental : « la loi donne raison à la maman, puisque c’est elle qui a l’autorité parentale, donc nous on ne peut pas aller contre la loi […]. Malheureusement, on ne peut pas plaire à tout le monde et dans ces histoires d’enfants qui circulent, il y a des personnes qui en souffrent plus que d’autres, ça c’est une réalité » (Benoit, octobre 2018). Concrètement, dans ce cas, ils ont mis en place un plan transitoire pour accompagner le changement, c’est-à-dire qu’ils prévoient des séjours courts pendant lesquels la petite ira rejoindre sa mère biologique. Au fur et à mesure, les séjours seront de plus en plus longs, tout en s’assurant d’un suivi serré avec la mère et sa fille, pour faire l’évaluation de la qualité de la relation qui s’installe et des capacités parentales de la mère. Pour les professionnels, il devient donc impératif de considérer ces multiples attachements dans l’intervention des services sociaux auprès des enfants fa’a’amu afin de prendre en considération leur « bien- être » en fonction de leur contexte familial et culturel.

Il en va ainsi du « bien-être de l’enfant ». Voici ce que la CIDE indique à ce sujet :

1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2. Les États partis s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien- être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. (HCDH 2020)

Cette vision implique l’idée occidentale « d’enfants vulnérables, d’innocentes victimes potentielles, sujettes aux mauvais traitements » (Collard et Leblic 2009 : 11), traversant cinq stades de développement (nourrisson, petite-enfance, enfance, préadolescence et adolescence) et donc sans parole ni agentivité avant l’âge de 18 ans (Collard et Leblic 2009 : 12). En Polynésie, les professionnels, dès qu’ils en ont l’opportunité, tentent de consulter les enfants concernés pour recueillir leurs impressions. Par exemple, dans le cas de l’arrière- petite-fille de Rolande : « aux affaires sociales, on entend le désir d’une maman, l’enfant elle

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a 5 ans, elle a pu s’exprimer, elle a pu dire qu’elle aime sa maman, qu’elle veut rentrer avec sa maman, mais elle aime aussi son papi, elle l’adore évidemment. […] Donc nous aux affaires sociales, et bien nous sommes dans ces maniements des liens intrafamiliaux, pour faire en sorte que les choses puissent se passer le mieux que possible » (Benoit, octobre 2018).

Il semble donc important pour les professionnels des services sociaux d’être sensibles aux différences culturelles à l’œuvre dans la conception de l’enfant et de son bien-être. L’enfant en Polynésie française ne possède pas toujours uniquement deux figures d’attachement qui assurent son bien-être. D’ailleurs, une autre étude sur ce qui se trouve au fondement du bien- être de l’enfant en Polynésie française serait nécessaire afin d’approfondir les pistes de réflexion proposées ici.

5.3. Conclusion du chapitre

Dans leur travail, les professionnels des services sociaux sont confrontés régulièrement à des cas d’enfants fa’a’amu qui ont besoin d’assistance sociale. Les professionnels tentent alors du mieux qu’ils peuvent d’intervenir de manière la plus en phase avec le contexte de l’enfant, surtout en insistant sur le maintien des liens entre les deux familles (biologiques et fa’a’amu). Toutefois, leur formation professionnelle en matière de protection de l’enfance effectuée en France et basée sur des principes se voulant universels ne répondent que partiellement aux situations auxquelles les travailleurs sociaux font face sur le terrain. Dans ce contexte, les professionnels doivent user de leur « bon sens » afin d’intervenir auprès des familles. Toutefois, dans certains cas, surtout pour des professionnels qui possèdent peu de connaissance sur l’adoption à la polynésienne, s’appuyer seulement sur le « bon sens » n’est pas assez.

Il va sans dire que la protection de l’enfance est un enjeu majeur. Les professionnels rencontrés s’entendent en général pour dire que les mesures la concernant doivent être adaptées aux réalités présentes sur le territoire. Elles devraient prendre en compte les différences d’organisation familiale dans chaque archipel. Certains ont aussi mentionné la nécessité de redéfinir les protocoles de protection de l’enfance en tenant compte du principe

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d’attachements multiples chez l’enfant fa’a’amu, et considérer le réseau de la famille élargie pour une intervention plus en phase avec les réalités du terrain.

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Conclusion

L’objectif principal de cette recherche était de comprendre la contemporanéité et les enjeux concrets que soulève l’adoption à la polynésienne, celle-ci ne faisant pas l’objet d’une reconnaissance légale, en Polynésie française. Cet objectif m’a amenée à m’intéresser à deux populations, soient les familles d’enfants fa’a’amu et les professionnels des services sociaux qui travaillent auprès d’elles. J’ai aussi été amenée à travailler sur deux sites différents : un en ville (à Tahiti) et un en milieu rural (à Rurutu). Évidemment, ce mémoire ne prétend pas répondre à toutes les questions concernant l’adoption à la polynésienne, mais bien d’en explorer quelques éléments intéressants.

Je me suis basée sur les écrits relatifs à la situation coloniale (Balandier 1951) afin de comprendre, dans un premier temps, quel type de changements sociaux s’étaient opérés en Polynésie au cours des dernières décennies. Un de ces changements repose sur l’imposition de nouvelles normes relatives à la famille, notamment par l’introduction du Code civil (1860) s’appliquant à toute la population de l’actuelle Polynésie française dès 1945. Cette imposition de normes occidentales ainsi que la généralisation du salariat engendré par l’implantation du CEP provoquèrent des changements sur le plan de l’organisation sociale des Polynésiens, ce qui affecta l’organisation familiale.

Un deuxième outil conceptuel de cette recherche est le pluralisme juridique (Merry 1988) qui reconnait que, dans un contexte colonial comme celui de la Polynésie française, plusieurs systèmes juridiques coexistent, s’entrechoquent et s’influencent. Dans le cas de la Polynésie, le droit officiel (inscrit dans le Code civil, notamment) coexiste avec un droit officieux, qui n’est pas moins important.

Enfin, un dernier outil conceptuel faisait référence à la notion d’apparentement (Carsten 2000). Accepter qu’on entre en famille de façon différente que dans les sociétés occidentales, c’est d’emblée avouer que les procédures et protocoles en matière de protection de l’enfance occidentaux font défaut dans leur application concrète dans un contexte culturel différent. Dans ce contexte, les professionnels qui travaillent auprès des familles d’enfants fa’a’amu se voient contraints d’utiliser leurs propres connaissances en matière d’adoption à la

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polynésienne, en conjonction avec les protocoles et procédures occidentaux relatifs à la protection de l’enfance.

La problématique de recherche proposait d’explorer le contexte social, politique et économique dans lequel l’adoption à la polynésienne se déploie aujourd’hui. Un des constats avancés au chapitre 4 est à l’effet que la pluralité des mondes en Polynésie donne à voir des processus et mécanismes de parenté d’un genre changeant et adaptatif. En effet, en retraçant les grandes lignes de sept histoires d’enfants fa’a’amu, regroupées en quatre types, nous avons pu constater que les familles d’enfants fa’a’amu peuvent employer des procédures d’une tradition de droit français, mais continuer de faire référence au droit de tradition polynésienne en matière d’adoption fa’a’amu et ce, en dépit de l’éclatement de l’organisation familiale autour du ‘utuafare. C’est vrai en ce qui concerne l’entraide à travers le réseau de la famille élargie. On le remarque aussi pour ce qui est de l’importance du rôle des grands- parents dans le soin des enfants, mais aussi dans la transmission du savoir familial. Les valeurs et principes qui relèvent de la parenté en Polynésie sont toujours bien vivants, mais se manifestent de façons différentes dans le contexte contemporain.

Au chapitre 5, nous avons présenté comment certaines situations d’adoption à la polynésienne mènent à une intervention par les professionnels des services sociaux. Les motifs d’intervention (absentéisme scolaire, maltraitance et problèmes de comportement) de la DSFE peuvent être le résultat de tensions intrafamiliales ou encore du retour compliqué d’un enfant fa’a’amu auprès de sa famille biologique. Dans ce chapitre, nous avons pu prendre connaissance de façon concrète comment se rencontrent deux mondes (l’un administratif, l’autre familial) qui relèvent de traditions juridiques différentes. Dans certains cas, l’intervention des professionnels convient tout à fait à la situation alors que dans d’autres cas, les professionnels doivent naviguer entre les procédures administratives très influencées par les façons de faire en France et leur expérience de la culture et des milieux polynésiens. Mes analyses suggèrent qu’il pourrait être intéressant de se pencher sur un protocole plus sensible aux particularités de la famille en Polynésie française et de l’adoption à la polynésienne.

Au moment d’écrire ce mémoire, une enquête sur la famille en Polynésie, nommée Fēti’i e Fenua, a été lancée par l’Institut de Statistiques de Polynésie française (ISPF). Cette enquête

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a pour but de documenter les familles polynésiennes, leur organisation territoriale et surtout comment les familles maintiennent des liens et ce, en dépit des déplacements inter-îles de nombreux membres familiaux (Tahiti Infos 2019). Cette enquête, jumelée aux dernières restructurations des antennes de la DSFE ainsi que les luttes syndicales de son personnel en matière d’effectifs (Polynésie la 1re 2019) rendent compte de l’intérêt local à documenter davantage les particularités de la famille en Polynésie française et à améliorer la qualité des services sociaux disponibles.

Voici maintenant quelques pistes de réflexion qui ont émergé à travers ma recherche et qu’il pourrait être intéressant d’explorer. Ma recherche a soulevé l’importance du rôle des professeurs vis-à-vis des enfants fa’a’amu, sans pouvoir l’approfondir. Certains professionnels des services sociaux avec qui j’ai eu l’occasion de m’entretenir me confiaient que parfois l’école n’est pas toujours au courant de la situation familiale des enfants fa’a’amu. Il m’apparaîtrait pertinent d’aller en milieu scolaire enquêter auprès des enseignants afin de comprendre à quels types de difficultés particulières les enfants fa’a’amu font face. Entre autres, il serait intéressant de comprendre pourquoi, selon leurs expériences, les enfants fa’a’amu vivant des difficultés serait moins aisément repérables que leurs pairs non fa’a’amu.

Ma recherche a également effleuré la question du « mana », concept important dans toute la région polynésienne. Il serait intéressant de documenter la place qu’occupe aujourd’hui ce concept et les principes qu’il sous-tend dans l’adoption à la polynésienne, notamment quand des enfants sont confiés à des métropolitains. Une piste de réflexion que je propose ici est qu’il s’agirait peut-être d’une façon pour améliorer sa position dans la société en s’alliant avec un groupe au statut socialement plus élevé.

Par ailleurs, ma recherche excluait les mineurs du recrutement, ce qui avait pour effet de « faire parler » uniquement des adultes. Une recherche doctorale pourrait travailler auprès des mineurs fa’a’amu afin de saisir au plus près leur expérience comme enfant fa’a’amu, de façon à enrichir les connaissances sur l’adoption à la polynésienne telle que vécue. Il serait notamment intéressant de discuter avec des enfants qui, contrairement aux enfants fa’a’amu occupant une place privilégiée dans leur famille adoptive, ont été plutôt le bouc émissaire de leur famille fa’a’amu afin de mieux comprendre leur situation particulière.

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153

Glossaire Tahitien- Français

Mots en Tahitien46 Définition en Français

‘Āi’a Pays natal, patrie ‘Aua fare Enceinte résidentielle

‘Ati Tribu, clan Adopté, adoptif, nourrir, donner à manger. Il peut être employé de Fa’a’amu plusieurs façon : fa’amu, fa’amura’a, fa’a’amu Farāni Personne d’origine française

Fare Maison, demeure, domicile, bâtiment

Fare tama hau Maison de l’enfant et de l’adolescent

Fare tarnaara’a Maison pour prendre le repas

Fare taoto Maison pour dormir

Fare tutu Maison pour faire la cuisine

Fare Vāna’a Maison de l’orateur

Fenua Île, pays, territoire

Fēti’i Famille, parent

Ahimā’a Four tahitien

I’oa Prénom, nom, appellation, désignation, dénomination

Mana Pouvoir (surnaturel ou matériel), puissance, autorité, influence

Mā’ohi Qui est originaire de Polynésie française, Polynésien Plate-forme construite en pierres sèches et où se déroulait le culte Marae ancien, associé souvent à des cérémonies à caractère sociale ou politique

46 Les traductions sont tirées du Dictionnaire de l’Académie tahitienne (2017). L’orthographe des mots tahitiens utilisé dans le présent mémoire respecte la calligraphie du Dictionnaire de l’Académie tahitienne.

154

Matahiapo Aîné, grands-parents

Mo’otua Petit-enfant, petite-fille ou petit-fils

‘Ōpū Ventre, abdomen

‘Ōpū hō’ē Un ventre

Pito Cordon ombilical

Pūfenua Placenta

Popa’ā Étranger blanc

Ta’ata tumu Homme racine, qui fait référence au « véritable autochtone »

Tamari’i Enfant

Tāne Homme

Tapa Étoffe fabriquée à partir de l’écorce de certaines plantes ou arbres

Tapu Sacré, restriction, interdit

Tapura huiraatira Liste du peuple

Tāura Totem

Taureareara’a Adolescence, la période qui précède l’âge adulte

Tavini huiraatira Servir le peuple

Tomite Comité, jury, commission

Tumu ra’au Souche d’un arbre, racine d’un arbre

Tupuna Ancêtre

‘Utuafare Maison familiale, famille

155

Annexe I – An Analytic Continuum of Adoption and Fosterage

Source : BRADY, I., 1976, « Problems of Description and Explanation in the Study of Adoption » : 3-27, dans BRADY I. (dir.), Transaction in Kinship: Adoption and Fosterage in Oceania. Honolulu, University Press of Hawaii.

156

Annexe II – Carte des Établissements français d’Océanie (ÉFO) 1884

Source : ALAMY, 2020, « Polynésie française : Marquises ; Gambier Tahiti Moorea, 1884 carte antique ». Consulté sur Internet (https://www.alamyimages.fr/photo-image-polynesie- francaise-marquises-gambier-tahiti-moorea-1884-carte-antique-103437758.html), mai 2020.

157

Annexe III – Carte du territoire de la Polynésie française depuis 1957

Source : DIRECTION DES RESSOURCES MARINES, 2017, « La Polynésie française classe l’ensemble de sa zone économique exclusive en aire marine gérée : Te Tainui Atea ». Consulté sur Internet (https://images.app.goo.gl/N8LY4Noh3CgNz8KK6), mai 2020.

158

Annexe IV – Billet du référendum 1958

Source : REVUE DES DEUX MONDES, 2016, « 28 septembre 1958 : Référendum sur la Constitution de la Ve République ». Consulté sur Internet (https://www.revuedesdeuxmondes.fr/28-septembre-1958-referendum-constitution-de-ve- republique/), mai 2020.

159

Annexe V – Carte du triangle polynésien

Source : RAIATEARTISANE, s.d., « Raiatea, l’île de la joie de vivre ». Consulté sur Internet (https://images.app.goo.gl/p7Eez9jEfCEoJdSh9), mai 2020.

160

Annexe VI – Carte de l’Océanie

Source : TOUS PAYS, s.d., « L'Océanie: ...Océan parsemé d'îles... ». Consulté sur Internet (http://touspays.chez.com/oceanie/intro.htm), mai 2020.

161

Annexe VII – Petite annonce sur le babillard d’un supermarché « bébé à adopter »

Source : POLYNÉSIE PREMIÈRE, 2017, « Polémique : petite annonce pour adopter un bébé ». Consulté sur Internet (http://m.la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie- francaise/polemique-petite-annonce-adopter-bebe-447247.html), avril 2017.

162

Annexe VIII – Tableau des participants

Tableau 1. Participants « parents biologiques et adoptifs d’enfant fa’a’amu ainsi que les enfants fa’a’amu adultes » avec lesquels une entrevue formelle a été réalisée

Noms Sexe Âge Position* Identité± Natif de Résidence Occupation Niveau d’étude actuelle

Ahuriro F 20e EF P Bora Bora Tahiti Étudiante Universitaire

Hiti H 30e EF P Tahiti Tahiti Sans emploi Universitaire

Meleana F 40e EF P Raivavae Tahiti Secrétaire BAC Formation éducatrice communautaire

Céline F 40e MF F - Tahiti Médecin Universitaire

Marcelle F 50e MF & EF P Tahiti Tahiti Éducatrice BAC

Moana F 20e SF P Tahiti Tahiti Étudiante Universitaire

Tepoe F 40e MCF P - Tahiti Auxiliaire de - vide scolaire

Daniel H - PF P Rurutu Rurutu Agent - communal

Tehinatu F 40e MF P Rurutu Rurutu Mère au foyer -

Rolande F 60e AGMF P Rurutu Rurutu Retraite Collège

Vetea H 60e AGPF P Rurutu Rurutu Retraite -

Karine F 50e MF P Rurutu Rurutu Artisane -

Hine F 30e EF P Rurutu Rurutu Artisane -

Jocelyne F 50e MF P Rurutu Rurutu Artisane -

Emmanuel F 40e GMF P Rurutu Rurutu Travail au - le CAE

Manon F 60e MF P Rurutu Rurutu Artisane -

Marion F - MF P Rurutu Rurutu Artisane -

Vainui F - MF P - Rurutu - -

Vaia F 40e MCF P Tuamotu Tahiti Mère au foyer -

163

* Position familiale par rapport à l’enfant fa’a’amu : mère fa’a’amu (MF), père fa’a’amu (PF), enfant fa’a’amu (EF), mère ayant confié son enfant en fa’a’amu (MCF), père ayant confié son enfant en fa’a’amu (PCF), grand- mère fa’a’amu (GMF), grand-père fa’a’amu (GPF), arrière-grand-mère fa’a’amu (AGMF), arrière-grand-père fa’a’amu (AGPF), sœur fa’a’amu (SF).

± Identité culturelle : Mā’ohi (M), Polynésienne (P), chinoise (C), française (F), demi (D).

164

Tableau 2. Participants « personnel des services sociaux » avec lesquels une entrevue formelle a été réalisée

Noms Sexe Âge Identité± Natif de Résidence Occupation Niveau d’étude Lieu actuelle d’études

Ahinui F 40e P Nuku Tahiti Secrétaire à la BAC PF Hiva DSFE professionnel

Marie F 30e D France Tahiti Assistante sociale Diplôme d’État F à la DSFE

Erita F 60e P Tahiti Tahiti Psychologue à la Universitaire F DSFE

Morgane F 50e D Tahiti Tahiti Éducatrice Diplôme d’État F spécialisée DSFE

Raita F 40e P Raiatea Tahiti Assistante sociale Diplôme d’État F

Élise F 50e D France Tahiti Assistante sociale Diplôme d’État F à la DSFE

Patricia F - - - Tahiti Psychologue Universitaire F clinicienne

Benoit H 40e P Tahiti Tahiti Psychologue Universitaire F DSFE

Anne F - - - Tahiti Assistante de Formation PF service sociale d’assistance de sociale

Maima F - F Tahiti Tahiti Sage-femme École des PF sages-femmes (universitaire)

Keitapo H - - - Tahiti Cadre sage- École des PF femme sages-femmes (universitaire)

François H - F France France Magistrat Universitaire F

Caroline F 50e F France Tahiti Psychologue Universitaire F

Flora F 70e P Tahiti Tahiti Écrivaine, Universitaire F Devatine oratrice- compositrice, professeure, chercheuse, académicienne,

Colette F 60e P Rurutu Rurutu Infirmière Diplôme d’État -

165

Rarahu F 20e P Mo’orea Rurutu Directrice d’une BAC F MFR scientifique, BTS agricole, License professionnelle

Michel H 40e F France Rurutu Conseiller Universitaire F principal d’éducation

Onati H 30e F Tahiti Tahiti Notaire Universitaire PF & F

± Identité culturelle : Mā’ohi (M), Polynésienne (P), chinoise (C), française (F), demi (D).

166

Annexe IX – Les guides d’entretiens

1. Guide d’entretien avec le personnel œuvrant auprès des familles d’enfants fa’a’amu

Lieu de l’entretien : Date et heure : Durée : Code d’entretien : Notes générales sur l’entretien :

1. Informations générales sur l’informateur

• Avant d’aborder la question de l’adoption fa’a’amu, pourriez-vous me parler de vous ? Je propose que vous fassiez un petit film de votre vie, en insistant sur les éléments qui vous paraissent les plus importants. [D’où venez-vous ? Avez-vous dû vous familiariser avec certaines pratiques locales (si la personne vient d’ailleurs) ? Lesquelles ? Comment ? Quel âge avez-vous ? Quelle formation avez-vous suivie (diplôme, formation continue) ?]

2. Informations sur le travail de l’informateur et une expérience de fa’a’amura’a

• Pourriez-vous me parler de votre travail ? [Depuis quand occupez-vous ce poste ? Quelles sont les responsabilités associées à ce poste ? Avez-vous travaillé ailleurs avant ? Quelles fonctions avez-vous précédemment occupées ? Avez-vous dû adapter votre pratique à certaines réalités locales ? Lesquelles ? Comment ? Y a-t-il des aspects de votre travail et de votre vie ici que vous trouvez difficiles ou, au contraire, que vous appréciez particulièrement ?]

• Pouvez-vous me parler d’un cas d’adoption fa’a’amu dont vous avez été témoin, ou qui vous a particulièrement resté en tête ? [Dans votre travail, êtes-vous souvent confronté à cette pratique ? Comment ? Pourquoi ? À quel moment avez-vous été confronté pour la première fois à l’adoption fa’a’amu ? Quelle part de votre travail concerne de près ou de loin l’adoption fa’a’amu ?]

167

3. Informations concernant la perception de l’adoption fa’a’amu

• Pouvez-vous m’expliquer pour vous, à quoi fait référence l’adoption fa’a’amu? [Quelles sont ses particularités ? Comment se vit-elle aujourd’hui ? Selon-vous, a-t- elle changé avec le temps ? Pourquoi ? Comment ? Quels impacts eurent l’urbanisation et les migrations interinsulaires sur l’adoption fa’a’amu ? Est-ce que ces processus vous ont affecté personnellement ?]

• Quels sont les enjeux aujourd’hui de l’adoption fa’a’amu à Tahiti ? [Pourquoi n’est- elle toujours pas reconnue officiellement ? Est-ce que cela pose problème dans votre pratique ? Est-ce que cela pose problème pour les familles d’enfants fa’a’amu ? Comment ? Différence avec les autres îles ?]

• Les Polynésiens vous semblent-ils avoir le même rapport à l’adoption fa’a’amu que les Pōpa’ā et les métropolitains ? [Est-ce que ce rapport est différent selon leur provenance (îles vs Pape’ete) ? Selon leur milieu socio-économique ? Se présentent- ils de la même manière à vous ?]

• Selon vous, est-ce que les hommes et les femmes ont des rapports différents, ou encore similaires à l’adoption fa’a’amu ? Est-ce que ce rapport change en fonction de l’âge ou des générations ?

• Conseillez-vous parfois aux parents (biologique ou adoptif) un recours au tribunal ? [Dans quel contexte avez-vous besoin ou conseillez-vous de recourir au tribunal (délégation d’autorité parentale ou adoption) ? Pourquoi ? Quelles procédures (adoption simple ou plénière, DAP…) ?]

• Selon-vous, faudrait-il reconnaître officiellement ce type d’adoption ? Comment ?

• En terminant, que pensez-vous de l’adoption entre métropolitains et Polynésiens ? [Peut-on parler d’adoption fa’a’amu ? Dans quelles circonstances sont-elles effectuées ? Pourquoi ? À votre connaissance quelles sont les relations entre les familles après l’adoption ?]

168

2. Guide d’entretien avec les parents (adoptifs et biologiques)

Lieu de l’entretien : Date et heure : Durée : Code d’entretien : Notes générales sur l’entretien :

1. Informations générales sur l’informateur

• Avant d’aborder la question du fa’a’amura’a, pourriez-vous me parler de vous ? Je propose que vous fassiez un petit film de votre vie, en insistant sur les éléments qui vous paraissent les plus importants. [D’où venez-vous ? Si vous n’êtes pas né sur le territoire, depuis quand êtes-vous en Polynésie française ? Avez-vous dû vous familiariser avec certaines pratiques locales ? Lesquelles ? Comment ? Quel est votre travail ? Quel est le dernier diplôme obtenu ? Quel âge avez-vous ?]

2. Informations constituant le corps de l’entretien

• Pour aller davantage vers le thème central de l’entretien, pourriez-vous me parler de votre famille ? [Quelle place occupez-vous dans la famille ? Êtes-vous fa’a’amu ? Combien d’enfants avez-vous ? En avez-vous donné ou reçu en fa’a’amu ? Pouvez- vous me parler de votre famille ? Qui habite chez vous ? Y a-t-il plusieurs générations dans votre famille ? Vivez-vous tous sous le même toit ? Comment l’enfant fa’a’amu circule dans la famille ? Qui prend soin de l’enfant (devoirs, maladie, vacances, etc.) ? Combien y a-t-il d’enfants dans la maison ? C’est quoi les liens entre les enfants ?]

• Pouvez-vous me décrire votre expérience du fa’a’amura’a ? [Comment c’est arrivé ? Pourquoi ? Qui ? Comment ça se passe au quotidien ? Changements ou réajustements au fil des ans ? Pourquoi ?]

3. Informations concernant la perception de l’adoption fa’a’amu

169

• Plus généralement, pouvez-vous m’expliquer pour vous, à quoi fait référence le fa’a’amura’a? [Quelles sont ses particularités ? Comment se vit-il aujourd’hui ? Selon-vous, a-t-il changé avec le temps ? Pourquoi ? Comment ? Dans quel contexte confiez-vous ou recevez-vous un enfant ? Pour vous, est-ce que le fa’a’amura’a s’applique à un cas où un enfant doit se déplacer sur une autre île pour effectuer sa scolarité et est pris en charge par un parent proche ?]

• Quels sont les enjeux aujourd’hui du fa’a’amura’a ? [Y a-t-il des aspects contraignants, ou encore positifs à confier son enfant à d’autres ou à recevoir un enfant ? Pouvez-vous me donner des exemples ? Quels sont les défis que vous rencontrez ? Qu’est-ce qui est à l’origine de ces défis ? Après un fa’a’amura’a, peut- il y avoir des tensions entre parents adoptifs et biologiques ? Quelle est votre relation avec les institutions, comme les écoles, les services sociaux, les services de santé, les douanes ? Existe-t-il des différences entre le fa’a’amura’a en ville, à Tahiti, et dans les districts ou les îles ?]

• Selon vous, est-ce que les hommes et les femmes ont des rapports différents, ou encore similaires quant au fa’a’amura’a ? Les vieux ? Les jeunes ?

• Avez-vous déjà eu recours au tribunal pour clarifier une situation ? [Pourquoi ? Est- ce sur le conseil de quelqu’un ? Qui ? Quelle procédure (délégation d’autorité parentale, adoption) ? Étiez-vous assisté par un avocat ? Pourquoi ? Avez-vous déjà eu recours à d’autres spécialistes ? Qui ? Était-ce un Polynésien ? Pourquoi ? Est-ce que cela vous a aidé ? Pourquoi ?]

• Les Polynésiens vous semblent-ils avoir le même rapport au fa’a’amura’a que les métropolitains qui viennent adopter ? [Est-ce que ce rapport est différent selon leur provenance (îles vs Pape’ete) ? Selon leur milieu socio-économique ? Se présentent- ils de la même manière à vous ?]

• Selon-vous, faudrait-il reconnaître officiellement cette pratique ? Comment ?

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• En terminant, que pensez-vous du fa’a’amura’a entre métropolitains et Polynésiens ? [Peut-on parler de fa’a’amura’a ? Dans quelles circonstances sont-elles effectuées ? Pourquoi ?]

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Annexe X – Guide d’observation de rencontre entre spécialistes et parents

Événement observé :

Lieu : Date et durée :

Participants :

Description de la rencontre (pourquoi?) :

Éléments d’observation

Environnement de la salle de rencontre (disposition de la salle et des objets immobiles) :

Observations relatives aux interactions entre les participants (qui parle à quel moment ? Âge approximatif; sexe; tenue vestimentaire; niveau de langue; quelles sont les réactions ?) :

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Commentaires généraux :

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Annexe XI – Les subdivisions, antennes et circonscriptions de la DSFE

Source : DIRECTION DES SOLIDARITÉS, DE LA FAMILLE ET DE L’ÉGALITÉ (DSFE), 2020, « Les subdivisions, antennes et circonscriptions de la DSFE ». Consulté sur Internet (https://images.app.goo.gl/2cgW7fbqhu31Dzgo6), mai 2020.

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