Témoins d’un monde disparu monde d’un Témoins ( ( Voyages en Afghanistan en Voyages AUX Bleu immortel. héritage Mon — monde Le avec Entretiens Ella Maillart : Mandchourie en spéciale Envoyée NICOLAS ELLA ELLA ELLA CD MINIZOÉ

ET ÉDITIONS

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DVD

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ZOÉ , , , ANNEMARIE NICOLAS ,

BOUVIER

SCHWARZENBACH , , Angleterreclairvoyancela et déployéed’Etat, l’homme de Ce livre est un témoignage irremplaçable des élans d’ Choisie parmi presque 400 lettres, cette correspondance cette correspondance lettres, 400 presque parmi Choisie Les lettres sont accompagnées de photographies et, et, photographies de accompagnées sont lettres Les dans dans cette elles sont par nouvelle édition, complétées des dévoile l’importance des contacts qu’Ella entretenait en en entretenait qu’Ella contacts des l’importance dévoile dans les montagnes d’U.R.S.S., récit d’un confl it sur la la confl sur d’un it récit d’U.R.S.S., montagnes les dans ses reportages éclairés et de son cheminement intérieur. ses années de voyages, ses de grands années 1925 à 1941. avec ses parents tient lieu d’une biographie d’Ella dans dans d’Ella biographie d’une lieu tient parents ses avec avec fougue devant son interlocutrice attentive. reportages écrits pour divers journaux et magazines, qui qui magazines, et journaux divers pour écrits reportages ls uaiue d l peir mii d XX du moitié première la de audacieuses plus paru noté « confi dentiel » dans ses archives : une visite visite une archives : « ses confi noté dans dentiel paru » Ella Maillart (1903-1997) a été l’une des voyageuses les les voyageuses des l’une été a (1903-1997) Maillart Ella MAILLART frontière Inde-Afghanistan en 1937. Et par un texte Inde-Afghanistan jamais frontière illustrent ses activités ses activités archéo- fouilles illustrent : voile le sur Léman, intrépide à Winston Churchill en 1936. Cette rencontre rencontre Cette 1936. en Churchill Winston à intrépide logiques en Crète, entraînement sportif et pérégrinations et pérégrinations sportif entraînement en Crète, logiques vers voyagesl’ailleurs,ses de jour,le jour au de 9 ISBN 978-2-881-2-885-0 782881 EDITIONS ZOE 828850 e siècle. ELLA

Ella Maillart Cette réalité que j’ai pourchassée pourchassée j’ai que Cette réalité Ella Maillart gande déverse surlepeupleallemand. Hitler et le poison continu que sa propa- entraîné par sa fougue il tempête contre lorsque éclairs, des lancent qui foncé bleu yeux ces d’eux-mêmes… sûrs et tent les deux yeux brillants, bien écartés démen- que soucieux air un donne lui — d’automobile accident d’un trace — rare. Un sillon vertical au milieu du front sage blond et rose de sa tête au cheveu pay- le dans sombre point seul cigare, un cesse sans mordille il fort, Trapu, avez observé ? y » vous que Qu’est-ce d’Allemagne ? arrivez vous « disant : en Alors, moi à Lorsqu’il entra dans le salon, il vint droit CETTE REALITE 5.qxp:livre maillart.qxp 03.12.12 18:15 Page1

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DU MÊME AUTEUR

Aux Éditions Payot & Rivages

Parmi la jeunesse russe : De Moscou au Caucase (1932) Des Monts célestes aux sables rouges (1934) Oasis interdites – De Pékin au Cachemire (1937) Gypsy Afloat – La Vagabonde des mers (1942) Croisières et caravanes (1951) Ti-Puss ou l’Inde avec ma chatte (1951) La Voie cruelle (1952)

Aux Éditions Actes Sud

Ella Maillart au Népal (recueil de photographies), 1999 Ella Maillart – Sur les routes de l’Orient (recueil de photographies), 2003

Aux Éditions Zoé

Ella Maillart, , Témoins d’un monde disparu, MiniZoé, 2002 Ella Maillart, , Nicolas Bouvier, Bleu immortel.Voyages en Afghanistan, 2003 Envoyée spéciale en Mandchourie, 2009 Entretiens avec Ella Maillart : Le monde – Mon héritage, (CD et DVD), 2009 CETTE REALITE 5.qxp:livre maillart.qxp 03.12.12 18:15 Page5

ELLA MAILLART

CETTE RÉALITÉ QUE J’AI POURCHASSÉE

Nouvelle édition revue et augmentée CETTE REALITE 5.qxp:livre maillart.qxp 03.12.12 18:15 Page6

Les Éditions Zoé sont au bénéfice d’une convention de subventionnement avec la Ville de Genève, département de la culture.

Nous remercions le Fonds de soutien à l’édition de la République et Canton de Genève de son aide à la publication ainsi que le Pour-cent culturel Migros.

Toutes les photographies proviennent du fonds Ella Maillart déposé au Musée de l’Élysée à .

Nous remercions de son aimable aide la Bibliothèque de Genève, où sont conservées les Archives Ella Maillart.

Textes et photos sélectionnés par Anneliese Hollmann

© Éditions Zoé, 11 rue des Moraines CH-1227 Carouge-Genève, 2013 www.editionszoe.ch Maquette de couverture : Silvia Francia Photo : Ella Maillart, Genève vers 1926 © Musée de l’Élysée, Lausanne ISBN 978-2-88182-885-0 CETTE REALITE 5.qxp:livre maillart.qxp 03.12.12 18:15 Page7

Note éditoriale

Les lettres d’Ella Maillart à ses parents permettent de suivre son parcours depuis les premiers voyages et les premiers écrits jusqu’aux années de retrait en Inde auprès du sage Sri Ramana Maharishi, pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa mère a été pour la voyageuse et écrivain une aide perma- nente pendant toutes ces années. Elle a joué auprès d’elle le rôle de confidente, mais aussi de secrétaire et d’imprésario, tandis qu’Ella se lançait dans ses apprentissages du sport, des langues, du voyage, en Méditerranée, à Berlin, en Russie puis à travers l’Asie. Les lettres offrent au lecteur un contact direct avec les détails pratiques de sa vie et les étapes de sa quête spirituelle de 1925 à 1940. Afin de compléter la première édition publiée pour le cen- tenaire de la naissance d’Ella Maillart en 2003, nous avons choisi, pour cette nouvelle édition, d’ajouter aux lettres des reportages écrits pour la presse et un inédit, un entretien avec Winston Churchill en 1936 qu’elle avait pris soin d’annoter confidentiel dans ses archives. Les autres textes, « Voiles et brises », « Pérégrinations sur une île curieuse et pittoresque », « Enquête au pays des Soviets », et « Pourquoi on se bat aux Indes » sont parus dans la presse française et suisse. Placés chronologiquement dans la série de lettres, ils illustrent le travail d’Ella Maillart et forment, avec les anecdotes et questions du jour qui jalonnent les lettres, une riche matière biographique de ses années de voyage.

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Note éditoriale

Les reportages sont accompagnés de photographies qui, comme celles qui sont insérées dans chaque lettre, provien- nent du fonds Ella Maillart déposé au Musée de l’Élysée à Lausanne.

Anneliese Hollmann

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Avant-propos

« Où êtes-vous?» Dédicace faite par Blaise Cendrars à Ella Maillart dans l’exemplaire qu’elle possédait d’Histoires vraies.

Que connaît-on d’Ella Maillart ? Voyageuse suisse née en 1903, décédée en 1997, ayant parcouru le monde, ou tout du moins sa très grande partie orientale, et décrit des régions géographiques dont personne ne soupçonnait l’existence. Le désert de Kyzylkoum, le col de Djoukka, la ville de Frounzé, la Svanétie, la Balkarie et la République autonome de Karakalpakie sont autant de noms et de lieux qui semblent tout droit sortis d’une carte enchantée et irréelle. Une féerie qui fut pourtant le quotidien de cette improbable aventurière depuis les années vingt jusqu’aux années cinquante. Ella Maillart traverse des frontières dont elle ne connaît rien, vers les plus téméraires voyages de son temps. Auteur de nom- breux livres, elle a laissé aux futurs lecteurs des témoi- gnages bruts d’une réalité qui, pour beaucoup, semble aujourd’hui disparue. La publication d’une partie de la correspondance qu’Ella Maillart entretenait avec sa mère permet d’appréhender une autre facette des pérégrinations de l’écrivain. Progression chronologique et personnelle d’une jeune femme qui, entre doutes et enthousiasme,

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part découvrir le monde. On la voit tour à tour marin sur un voilier en Méditerranée, apprentie archéologue sur l’île de Crète, figurante sur des plateaux de cinéma berlinois, exploratrice dans des Républiques sovié - tiques reculées, correspondante de presse au Mand- choukouo, infirmière malgré elle dans le Turkestan chinois, conférencière à la prestigieuse Royal Geogra- phical Society à Londres, et enfin méditative dans le Sud indien. Ces trente lettres écrites entre juillet 1925 et février 1941 parcourent seize années de pérégrina- tion, entre les premiers bords tirés en mer et le long séjour effectué auprès du Sage Ramana: le plus impor- tant de tous ces voyages. Celui qui l’a mené à elle- même.

Ella Maillart a donc voyagé durant de nombreuses années en entretenant une relation très forte avec ses parents, et particulièrement sa mère, Marie Dagmar. Quelle que soit la région du monde où la jeune voya- geuse se trouvait, elle lui écrivait aussi régulièrement que possible. À cela, plusieurs raisons : le rapport très affectueux et stimulant qui liait les deux femmes ; la volonté affirmée de rester au contact de ce qui se pas- sait à Genève ; la possibilité de se servir de ses lettres pour nourrir des publications à venir. Le rôle d’inten- dant tenu par Marie Dagmar était d’une importance capitale pour Ella : elle lui servait d’interface néces- saire avec ses commanditaires, journaux et éditeurs, et organisait envois postaux de négatifs, rencontres et conférences. Le coût prohibitif ajouté à l’impossibi- lité de joindre le correspondant à l’étranger ne per-

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mettait pas les liaisons téléphoniques ; les télégraphes étaient, eux, fréquents dans les villes mais rares dans les régions reculées. Lorsqu’elle note à Porquerolles en juillet 1925 « Ne vous en faites pas si je n’écris pas », la jeune fille n’est âgée que de vingt-deux ans. Indépendante et déterminée, elle a déjà fondé, à seize ans, le premier club de hockey féminin sur gazon de Suisse romande, sympathisé avec Alain Gerbault, le futur navigateur en solitaire, et participé aux régates des Jeux Olympiques de Paris où elle est l’unique femme inscrite en voile. Ella Maillart est volontaire, a soif de rencontres et de découvertes. Individualiste qui n’est jamais autant à l’aise qu’en communauté, elle rêve de traverser l’Atlantique en voilier en compagnie de sa grande amie, Miette de Saussure, pour rejoindre les îles du Pacifique. Leurs expéditions en Méditerranée doivent servir de préparation à ce projet. Déjà, Ella com- mence à rédiger des lettres détaillées dans lesquelles elle évoque son quotidien. « [Mes lettres] sont tou- jours écrites en grande hâte pendant les minutes où je ne suis ni trop fatiguée ni trop occupée, et consé- quemment elles sont toujours gribouillées ; mais comme mes lettres vous font quand même plaisir, j’écris comme je pense » consigne-t-elle le 3 août 1925 depuis Palerme. Les lettres sont indifféremment écrites en français ou en anglais, occasionnellement dans les deux langues. L’épisode de l’arrestation des jeunes naviga- trices et de leur rencontre avec l’escadre britannique en Sardaigne reste l’un de leurs hauts faits d’armes;

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leur innocence face à l’inconnu se révèle souvent comme une qualité, voire une force. «Aussi avons-nous commencé à pratiquer le sextant, mais cela est diabo - lique sitôt la moindre houle ou vague sur la mer: l’ho- rizon se met à danser, on perd son soleil, on attrape la crampe au bras, on se fatigue l’œil, tout en perdant l’é- quilibre, et puis si l’on prend une méridienne, midi est vite passé. » À travers la lecture des courriers, c’est la découverte du monde réel à laquelle on assiste. La dis- tanciation que permet l’écriture d’un livre est ici abolie au profit d’un regard immédiat non réfléchi. Pas un brouillon mais un instantané qui servira d’aide- mémoire. Ces lettres sont autant d’images polaroïd sor- ties d’un carton enluminé. De ses voyages, Ella Mail lart tire les récits d’une réalité, non une œuvre. Pour beaucoup, elle est d’ailleurs bien plus «péré- grine» qu’écrivain. Et pourtant, en lisant attentivement ses missives, on se rend compte du travail élaboré d’écriture. «J’ai soigneusement évité de m’adresser à “Intourist”, l’agence qui s’occupe des étrangers, car je veux être avec la jeunesse russe et pas avec les 6000 Américains qui envahissent Moscou, écrit-elle le 25 août 1930, dans une lettre rédigée en route vers le Caucase. Aussi j’ai appris à “Sovtourist” l’existence de 2 expéditions […]. J’aurais beaucoup voulu partir le 1er août, mais il n’y avait plus de place pour moi, aussi j’ai attendu jusqu’à maintenant.» Le lecteur retrouve cet épisode dans la deuxième partie de Parmi la jeunesse russe, publié aux éditions Fasquelle en 1932: «Je me console; ce contretemps est probablement très couleur locale. Comme tel il doit me plaire puisque j’ai fui

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Intourist, organisation ruineuse réservée aux étrangers, afin de vivre avec des Russes. Grâce à la Société de tou- risme prolétarien, ce désir s’est réalisé… »1

Certaines lettres composent la base même de quelques-uns des récits écrits par Ella Maillart. Soi- gneusement gardés par Marie Dagmar, les courriers attendent le retour de la voyageuse. Avec les notes qui garnissent quelques carnets et les nombreuses photos prises en cours de route, les lettres permettent de « réimprimer » les événements passés. Parfois même, comme le 26 septembre 1930 à Kiev, elles se substi- tuent au reste : « (Garde ma lettre car je n’ai pas le temps de copier ceci dans mes notes.) Il y a 2 ans un moine a tué et coupé en morceaux la femme avec laquelle il vivait. Fut jugé et condamné à 10 ans. Il y a une photo du jugement et les croyants baiseraient la photo et prieraient ce moine quoiqu’on leur expli- quât ce qu’il avait fait. Ils répondaient “Il a beaucoup souffert et nous aidera en paradis.” Si seulement on pouvait écraser la religion partout. » Quelques mois plus tard, les mots jetés sur la feuille avant le départ du courrier auront pris forme à l’intérieur même du récit : « Dans un coin de la plus grande chapelle, les communistes ont accroché une photographie : on y voit un moine accusé par le juge d’un tribunal. La paysanne prie également devant cette image. Le guide lui demande : — Pourquoi vénères-tu cet homme ? Tu sais qu’il a tué et coupé en morceaux la femme avec laquelle il vivait ?

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— Justement, réplique-t-elle, il a beaucoup souf- fert, il doit être près de Dieu. »2

Chronique d’une réalité passée, si l’écriture est une véritable épreuve pour Ella Maillart, elle n’en constitue pas moins un moyen d’existence essentiel. La publication de son premier livre lui rapporte ainsi 6 000 francs. Une somme qui lui permet de repartir… La jeune femme ne se décline pas dans les mots, mais dans les rencontres et le mouvement. Son regard sur les sociétés qu’elle traverse n’est ni ethnologique, ni anthropologique, ni sociologique, il est tout cela à la fois. Ella se promène à travers les différentes strates de la société. Sans a priori, avec l’humilité de celle qui souhaite vivre aux côtés de. Ce qu’elle en rapporte est précis, chiffré, et parfois cocasse comme cette scène où, figurante dans un film tourné dans les studios berlinois, elle évoque ses par- tenaires du jour : « La reine dans la version anglaise n’est pas une cinéaste, c’est une femme de lettres anglaise habitant Berlin et que l’on a engagée parce qu’elle parlait bien anglais. Nombre de ces messieurs appartiennent au meilleur monde […]. L’un est comédien, l’autre écrivain, l’autre ancien secrétaire d’ambassade, un tel Autrichien, un tel immuable- ment silencieux est un grand-duc russe et pour finir on les mélange tous et on ne sait plus lequel chassait le chamois ou lequel revenait de Java. » Ella fait l’observation d’un quotidien dont elle tend à se rap- procher. Elle note, s’amuse des détails, jamais elle ne prend position ni ne critique. À Moscou, dans la capi-

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tale soviétique, elle fréquente les sociétés de sport et d’aviron. Une intégration marginale et réussie. Le séjour moscovite et les expéditions dans les Répu - bliques reculées du Caucase et de l’Asie centrale ren- dent la jeune femme toujours plus insatiable. On la retrouve alors au sein de l’équipe nationale suisse de ski et capitaine de l’équipe féminine de hockey sur terre, mais avant tout elle rêve de « … rejoindre ces fiers nomades admirés dans le film de la Croisière Jaune. » « Je vis de plus en plus clairement quel était mon besoin : trouver une tribu ou un lieu moins dénué de sens que notre pauvre Europe. » « Cette sorte d’évasion ne pourrait-elle pas me mener vers une vie authentique?»3 Au fil des lettres, le lecteur découvre des paysages et des rencontres formatrices. Ainsi, cette missive adressée depuis le Mandchoukouo le 13 novembre 1934. Ella y évoque son futur compagnon de voyage (dont elle avait fait la connaissance quelques mois auparavant dans une boîte de nuit4) : « Aperçu Fle- ming* du Times l’autre jour à Harbin. Il revient du Caucase où il a chassé et je lui ai dit que s’il voulait mon premier livre, il t’écrive quand il sera de retour à Londres. » Les lettres précèdent l’Histoire. Nul besoin ici de raconter l’épopée vécue ensemble par Ella Maillart et : sept mois de voyage entre Pékin et Srinagar relatés pour l’un dans Courrier de Tartarie (1936), pour l’autre dans Oasis interdites (1937). Ces deux récits sont tellement différents l’un de l’autre qu’ils ne semblent faire qu’un ! La compli- cité, l’humour et la rivalité des deux voyageurs leur

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ont probablement permis de mener à bien leur impossible traversée. Ainsi, dans sa lettre envoyée de Sining, datée du 17 mars 1935, Ella dessine un por- trait succinct de son compagnon : « Je m’entends bien avec Fleming […]. Il tue le temps depuis six jours ici en faisant des patiences tandis que je vais me prome- ner et faire des photos dans la ville intéressante avec ces sauvages types tibétains ou mongols venus vendre leur laine ou leurs peaux. » Le même Fleming qui, dans son récit à succès, passe pour l’organisateur d’une expédition dont Ella Maillart a eu l’initiative, reléguant son amie suisse à l’arrière-plan du voyage ! Les six lettres publiées dans cet ouvrage, envoyées entre Lanchow et Kashgar sur une période de cinq mois, permettent de se faire une idée plus juste – et peut-être moins romancée – du rôle que chacun a joué au sein de cette aventure.

Après avoir rédigé Oasis interdites au Liban, Ella reprend son travail de reporter pour Le Petit Parisien. Elle se rend en Turquie, en Iran, en Afghanistan et, alternativement, donne des conférences aux côtés des Paul Émile Victor, Théodore Monod et Alexandra David-Neel dans de célèbres instituts à travers l’Eu- rope. Ce dont elle témoigne dans sa lettre écrite à Londres, en novembre 1938 : « Je dois donner une conférence sur Mosques in Central Asia le 29 nov. pour la India Society dans la salle de la Royal Geographical Society. C’est probablement ce que j’ai de plus diffi- cile sur la planche depuis longtemps. » Son activité de conférencière lui permet de gagner un peu d’argent,

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et de rencontrer scientifiques, historiens et autres archéologues. Si la vie en société ne lui déplaît pas, tout du moins pendant une courte période, Ella sent pourtant les prémices d’un prochain conflit en Europe. L’acquisition d’une Ford par son amie Anne- marie Schwarzenbach* est un nouveau signal de départ. Les deux femmes « font la route » entre Genève et Kaboul pour échapper à l’histoire qui est en train de s’écrire et, pour celle qui sera cachée sous le nom de « Christina » dans La Voie cruelle, à l’emprise de la drogue. Toutes deux cherchent une réalité qui pour l’instant se dérobe à elles.

C’est à la fin de l’année 1950, dans l’épilogue de Croisières et Caravanes, qu’Ella Maillart écrit : « Je crois que je suis détachée de mon sort… » Elle a quarante- sept ans, une vie de nomadisme derrière elle, et a cer- tainement trouvé réponse à la question qui la hante depuis toujours : « Quelle est donc la réalité du moment présent ? » Car voyager, naviguer, s’aventurer est avant tout une occupation dans la vie d’Ella. Une simple – ou plutôt difficile – manière de remplir son existence en attendant… La jeune femme s’interro- geait sans cesse sur le pourquoi de sa présence au monde, elle avait l’intuition « qu’il y avait quelque chose d’important ». « Je voyageais en attendant de connaître la raison de notre présence. Qu’est-ce que la réalité ? Qu’est-ce qui est important ? Sans pouvoir trouver de réponse. » La solution ne se trouvait pas en Europe, foudroyée une nouvelle fois par la haine. Le nazisme avait étendu sa violence sur l’ensemble du

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continent, Ella était encore terriblement marquée par la tragédie de la Première Guerre mondiale. Elle part : « La dernière guerre m’expédia sur les mers, à jamais débarrassée de mes illusions sur notre civilisa- tion, écrit-elle dans La Voie cruelle. Cette guerre-ci me force à chercher quelle est la signification de ce monde, quel est le commun dénominateur de chacun de nous, la base sur laquelle on peut recommencer à vivre. »5 Beaucoup d’observateurs ont été étonnés de cette attitude individualiste. Comment une personne aussi éveillée et frondeuse pouvait-elle tourner le dos à une Europe qui avait tant besoin de résistant(e)s ? Ella Maillart avait le sentiment que pour comprendre, et encore plus, pour aider les autres, elle avait besoin de se connaître elle-même.

Dans la dernière lettre de cet ouvrage, datée du 28 février – 2 mars 1941, Ella évoque ses doutes sur le bon acheminement des courriers des semaines précé- dentes et évoque ses doutes: «D’autre part tu sais que je ne suis pas écrivain dans l’âme; et avant de conti- nuer à écrire des livres imparfaits autant qu’inutiles, cela vaut la peine de réfléchir. L’endroit ici n’est pas mal choisi pour cette activité; et puis voilà que j’ai 38 ans, une vingtaine d’années derrière moi – et peut- être autant devant moi pour trouver cette Réalité que j’ai pourchassée jusqu’ici sur terre et sur mer.» Elle restera près de cinq années en Inde où elle accède finalement à sa propre conscience, à « l’Unité du monde ». À cet univers où les différences sont dépas- sées par les similarités. Nicolas Bouvier, pour qui les

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Avant-propos

textes védiques restaient énigmatiques, écrivit dans La Vie immédiate: « Grâce à lui [Sri Ramana Maha- rishi], il semble qu’Ella Maillart apprenne à retrouver en elle-même cette unité du monde que le voyage suggère ou impose quand il est venu à bout de toutes nos défenses. » Dans l’enveloppe qui contient l’ultime lettre publiée, Ella glisse une boucle de cheveux blancs pour sa mère. Comme si la vie s’achevait ici pour mieux recommencer. Ni le temps ni la distance n’ont plus prise sur elle. Au bout de ses périples, à l’aide de l’enseignement de ses maîtres et de la lecture des Védas, la grande exploratrice arrive à la conclusion que « c’est en nous-mêmes que se trouve la vérité suprême. » Le vrai voyage est celui de l’introspection : un voyage au centre d’elle-même.

Olivier Bauer6 Chandolin, Paris, 2002

1 In Parmi la jeunesse russe. 2 Ibid. 3 « Pourquoi voyager ? » Texte écrit par Ella Maillart pour une émission à la BBC (1948). 4 Peter Fleming écrit dans Courrier de Tartarie: « Kini [Ella Maillart] me quitta en éprouvant à mon égard une très nette antipathie. Je la trouvais gentille, et la soupçonnais d’être un caractère. » 5 Tiré du film Les Itinéraires d’Ella Maillart, Les Films Plans-fixes, entretiens avec Bertil Galland. 6 Journaliste, voyageur, auteur du film consacré à Nicolas Bou- vier Le Vent des mots, dans la série « Un siècle d’écrivains » (FR3/TSR).

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Hérat (Afghanistan) 31.7.39

Ma chère maman,

Nous voici bien arrivées à Hérat; et comme le bureau de poste, un immense bâtiment au milieu d’un champ vague, est tout près de notre hôtel, et que la poste part d’ici en principe par la Russie ce qui est plus pratique que les Indes, j’en profite pour t’écrire deux mots. Nous avons eu une chance extraordinaire à notre dernier passage de frontière que nous craignions énor- mément, non pas à cause du choléra – nous avons dû montrer nos certificats de vaccin – mais à cause de tout le matériel photographique que nous avions; nous n’avions pas de permission officielle en Iran, et le tout aurait dû être scellé pour la traversée du pays. En ce moment il n’y a aucun trafic sur cette fron- tière, nous n’avons croisé aucune auto jusqu’à Hérat ; et 5 km après la frontière, sur la « route » nous nous sommes ensablées ; avons pris 3 h 1/2 pour faire 12 mètres à la pelle et sur des tôles en forme de gout- tières que j’avais fait faire à Téhéran et qui ont été fort utiles. Mais quel travail avec cette chaleur ! Grande joie d’être dans un pays où les gens sont sym- pathiques. Tu pourrais un jour passer chez Kodak et demander à monsieur Meylan, pour le cas où lui n’aurait pas le

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Lettres

temps, si toi tu peux m’écrire des renseignements sur mes films de cinéma, s’il y a des fragments utilisa- bles… car je n’espère pas que tout soit bon au début. Surtout en Iran où il faut se cacher pour filmer. En principe j’ai numéroté chaque boîte sur le leu- coblaste, et en parlant des scènes mal prises, et en me les décrivant, il faut se référer à ce numéro extérieur, et dire si c’est film noir et blanc, ou film couleur. Il y a des jours dans le désert et la chaleur, où nous nous demandons comment nous avons pu quitter la Suisse si merveilleuse. Bons baisers, Kini

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