La Presse Romande Doit (Encore) Sa Vie Au Papier

Date: 07.05.2020

JOURNAUX SUISSES Lapresseromande doit (encore) savieaupapier A l'occasion de ses 90 ans, qu'il noncée de l'imprimé. «Une certaine idéolo- Fête toute l'année, l'Echo Magazine gie du numérique rin- se penche cette semaine sur la gardise le journal pa- crise de la presse romande, aggra- pier, observe Philippe Amez-Droz. Mais aujourd'hui, foi vée par la pandémie. Le papier est- ceest de constater que c'est encore la il mort? Et le numérique tient-t-il cellulose qui paie les salaires des journalistes.» Comment cela? «D'une part, ses promesses? Editeurs et journa- les abonnés papier rapportent beau- listes ont répondu à nos questions. coup plus que les abonnés numé- Cédric Reichenbach riques (par exemple, 436 francs par , Ecbo Magazineest un extrater-pour 60-70% d'abonnements, estimean pourLa Libertéimprimée contre restre. Pas seulement parce qu'ill'auteur deLa presse papier d l'ère nu-108 ou 216 francs selon la version nu- est un des derniers hebdomadairesmérique.Le modèle d'affaires de vo-mérique choisie,ndlr).D'autre part, de Suisse romande encore imprimés.tre magazine le rend beaucoup moinsles encarts publicitaires sont vendus Ou parce qu'il est un des seuls repré-vulnérable aux crises que les autresbien plus cher dans un journal im sentants de la presse chrétienne de latitres.» primé que sur une plateforme numé région lémanique. L'une de ses parti- rique.» cularités, et non des moindres, estCOVID-19 LE DESTRUCTEUR Plutôt que d'accélérer la transition son modèle économique. Une chance au moment d'affronter lenumérique et le passage du papier au A l'inverse de l'écrasante majorité desCovid-19, fléau de l'économie mon-digital, que beaucoup attendent ou médias,l'Echoest presque entièrementdiale! Prises à la gorge, les entreprisescraignent, le Covid-19, en privant tem- financé par ses abonnés, au nombreromandes, qui comptent d'habitudeporairement les journaux de leurs pa- de 12'000 (pour 55'000 lecteurs, lesur la presse papier pour faire la ré- ges de publicité, sem- magazine faisant le tour de la familleclame de leurs produits et annoncer ble au contraire avoir et même des voisins). La publicité?la tenue d'événements sportifs et cul- rappelé que le secteur Bienvenue pour arrondir les fins deturels, ont été obligées de tout stopper. dépend encore du pa- mois, elle représente moins de 10%Du jour au lendemain les journaux, pier. Et aussi que les du chiffre d'affaires global. de24 HeuresauQuotidien Jurassien millions de clics et de De quoi surprendre Philippe Amez-en passant par LaLiberté et Le Temps, vues sur Facebook ne Droz, chargé de cours au IVIediaLabse sont vus privés de leur manne pu-sont pas monétisables: depuis le dé- de l'Université de Genève et observa-blicitaire. Rappelant du même coupbut de la pandémie, la presse roman- teur éclairé de l'évolutions des mé-l'importance du papier pour ce sec-de bat des records d'audience sur ses dias. «La moyenne en Suisse pour lateur qui depuis des années investitsites web, mais continue de sombrer presse écrite payante tourne autourdans le digital pour se financièrement. de 20-30% de revenus publicitairespréparer à la mort an-

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UNE VALEUR REFUGE lièrement et possède un bon pouvoirconcerné par ce qui se passe sur in- Stéphane Estival connaît ce problè-d'achat», répond Stéphane Estival dontternet. Racheté en 2017 par le jour- me. Comme d'autres éditeurs, il a dûle groupe a investi dans un nouveaunaliste Cédric Jotterand à TX Group mettre au chômage partiel une partiecentre d'impression à Monthey (voirqui voulait s'en défaire, le Journal de de ses employés. «La forte hausse deencadré page 11). Morges vient tout juste -à l'instar de «Une certaine Le directeur précise que son groupel'Echo - de redonner un coup de neuf idéologie du numé- est très actif sur le web. «Nous res-à son site. «Les gens ne sont pas tous tons attentifs aux évolutions du mar-connectés en permanence, assure Cé- rique ringardise le ché tout en développant le numéri-dric Jotterand. Certains éditeurs et journal papier.» que depuis 2011.» Même s'ils béné-journalistes, dont le métier les oblige nos abonnements numériques neficient désormais d'un accès digital età être hyperconnectés, l'oublient peut- compense en rien la très forte dimi-«consomment des offres numériques»,être, mais les personnes que je côtoie nution des recettes publicitaires quiplus de 80% des abonnés n'en demeu-chaque jour à Morges sont loin d'être viennent avant tout du papier», ex-rent pas moins fidèles au papier. des droguées de l'information.» Sans plique le directeur général du groupeMême constat du côté de MEDIAScompter que beaucoup, à la fin de ESH Médias - présidé par PhilippeSUISSES, faîtière des éditeurs ro-leur journée de travail, sont heureux Hersant - qui possède notammentmands: «Le papier est loin d'être mort,d'éteindre leur ordinateur pour pro- Arcinfo (L'Express et L'Impartial, NE),affirme Daniel Hammer, il fait vivrefiter un moment du calme visuel que Le Nouvelliste (VS) et La Côte (Nyon).et continuera longtemps encore deleur apporte le papier. Le site du Journal de Morges est une «Heureusement, reprend-il, nous avonsfaire vivre les journaux». de bonnes raisons de penser qu'une vitrine: «C'est une porte d'entrée pour fois la crise sanitaire passée, les an-GOOGLE DOIT PAYER les 30-45 ans et il y a la possibilité nonceurs reviendront.» Pourquoi?Dans l'idéal, reconnaît le secrétairepour les gens qui partent en vacances «Pour eux comme pour nous, le pa-général de MEDIAS SUISSES, les mé-de consulter leur journal en PDF, pier reste une valeur sûre par les per-dias devraient moins dépendre demais en gros ça s'arrête là. Ce n'est formances qu'il procure et ils saventla publicité et plus de leurs abonnés.pas ce que recherchent nos lecteurs». que nos marques peuvent les accom-Cela dit, enchaîne-t-il, «il faudrait per-Nombre d'abonnés ont découvert, pagner lors de la reprise». Et de notermettre aux journaux de récupéreravec les retards des livraisons pos- tales dus au Covid-19, qu'une version que les prix du digital sont encoreune partie des bénéfices faits sur leur numérique leur était aussi proposée. trop faibles «et le volume d'affairesdos par Google. Sans les articles de Mais la majorité l'utilise peu. «Le pa- insuffisant pour qu'un éditeur ne vi-presse que la firme californienne uti- pier, assure celui qui est à fois direc- ve que d_ u numérique sur nos mar-lise gratuitement et sans payer d'im- pôts, le service News de Google n'exis-teur et rédacteur en chef du journal, chés». terait pas». nous donne une identité et permet Comment expliquer que le papier con- de nouer un vrai lien de fidélité avec serve cette force de frappe? «Le con-En Australie, signale Daniel Hammer, les lecteurs. Dans les boîtes aux let- texte dans lequel les encarts sont pu-les géants américains du numérique tres, les bistrots, chez le médecin, par- bliés est très valorisant pour les an-seront bientôt obligés par la loi de tout nous occupons le terrain. Il est nonceurs valaisans, neuchâtelois, ju-rémunérer les éditeurs de journaux pour la réutilisation de leurs articlesimpossible de nous oublier.» Le Ma- rassiens et nyonnais. Ils voisinent avec tin imprimé, rappelle Cédric Jotte- des articles à haute valeur ajoutée;sur le web. «Preuve qu'il est possible rand, était incontournable dans tous l'audience (nos lecteurs) est de trèsd'agir.» Mais tout le monde n'est pas aussiles cantons romands. «Depuis qu'il bonne qualité, elle lit, s'informe régu-

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est passé au digital, une transforma-tenir en vie son entreprise de dix em- vées en un mois. Du jamais-vu!» tion qui selon ses promoteurs devaitployés le temps que les annonceurs lui redonner vie, il n'existe plus de laoublient le coronavirus, a reçu un joli même manière dans le coeur des genssoutien de la population. «Alors que qui vont finir par l'oublier.» nous comptons 6000 abonnés, nous Le Vaudois, qui se démène pour main-avons enregistré 200 nouvelles arri-

4 On annonce la mort du papier depuis des années, mais c'est encore lui qui finance la presse grâce aux abonnés et à la publicité.

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Le groupe ESH Tamedia imprime tout Médias, dirigé par 24 Heures, La Tribune de Genève, 20 Minutes, Bilan, Le Matin Stéphane Estival, a ouvert un centre Dimanche, Femina... Le géant zurichois Tamedia, renommé de- d'impression à puis peu TX Group (pour Technology Exchange), possède la Monthey (VS). majorité de la presse francophone suisse. Ce que l'on sait moins, c'est que le groupe, qui imprime ses pro- pres titres, loue également ses rotatives à la concurrence. Rin- gier (Le Temps, L'Illustré, etc.), basé aussi à Zurich mais lié au géant des médias allemand Axel Springer, lui a confié l'impression de ses titres. Idem pour La Liberté et La Gruyère qui, bien qu'indépendants au niveau éditorial, sont désormais liés à l'im- primeur TX Group. Résultat? En vingt ans, plus de la moitié des imprimeries suisses ont fermé leurs portes et deux tiers des emplois de la branche ont disparu. L'an dernier, l'ouverture d'un nouveau centre d'impression à Monthey (VS) par le groupe ESH Médias (Le Nou- velliste, Arcinfo...) a logiquement surpris. «L'indépendance édi- toriale est essentielle, estime Stéphane Estival, mais il est aussi important de rester autonome d'un point de vue industriel. Que se passerait-il sile seul opérateur de la région venait à arrêter ses rotatives? Ou si les prix devaient doubler? Cet investisse- ment nous permet d'aborder l'avenir de manière plus sereine tout en proposant une deuxième offre aux médias imprimés», assure le directeur général d'ESH Médias. Qui n'aurait peut- être pas choisi d'investir à Monthey si l'occasion de racheter à bon prix à la NZZ deux lignes de rotatives performantes ne s'était pas présentée. Professeur d'histoire à l'Université de Fribourg et spécialiste de la presse romande Alain Clavien déplore pour sa part cette «nouvelle désindustrialisation à laquelle s'ajoute une perte du savoir-faire». «La Commission de la concurrence, qui ne s'est pas opposée à la fusion des grands groupes, est à nouveau res- tée muette. Visiblement, la concentration des journaux, l'un des rouages de notre démocratie, et de leurs moyens de production ne l'inquiète pas.» CeR

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ECHO magazine Genre de média: Médias imprimés 1202 Genève Type de média: Magazines spéc. et de loisir 022/ 593 03 03 Tirage: 12'289 Page: 10 Ordre: 1094772 Référence: 77137531 www.echomagazine.ch/ Parution: hebdomadaire Surface: 201'445 mm² N° de thème: 377.116 Coupure Page: 5/6 La maison brûle-t-elle? Le Temps rêve-t-il de s'émanciper des rotatives et des annon-tèle le co-rédacteur en chef qui est aussi directeur, avec trois ceurs? Début 2018, Gaël Hurlimann, co-rédacteur en chef enautres cadres, de Ringier Axel Spiinger Suisse. «La fonte conti- charge du numérique, annonçait (un peu vite) à La Revue desnue des revenus publicitaires montre que ce modèle d'affaires médias de l'Ina (Institut français de l'audiovisuel) que le bascu- n'est plus viable. Comme l'a dit l'Américain Jeff Tarvis (ndlr, tête lement vers le tout-numérique s'opérerait «dans trois ans». pensante du journalisme numérique proche des industriels), la Le quotidien, qui tire une moitié de ses revenus de la publicitémaison 'print', que nous habitons encore, est en feu; celle du et l'autre de ses abonnés, est pourtant parvenu à stopper le dé- numérique, en construction, n'est pas encore prête. Dans la- clin de ses abonnés papier: un exploit alors que l'ensemble de quelle allons-nous investir?» la presse en perd depuis vingt ans! S'il s'en réjouit, Gaël Hurli- La question, à en croire Gaël Hurlimann, est de savoir quand et mann ne change pas d'avis pour autant sur l'avenir de la cellu- comment la presse passera d'une maison à l'autre. Tout le mon- lose: «Nos nouveaux abonnés viennent tous du digital et sont de n'est pas aussi radical. «Les maisons d'édition ne sont pas jeunes; depuis un an et demi, la part des souscripteurs web est toutes en feu, estime le directeur d'ESH Médias, Stéphane Esti- passée de 15% à 38% (pour 62% d'imprimé), ce qui contreditval. La nôtre est certes ancienne, mais elle ne brûle pas! Quant l'idée que les nouvelles générations ne lisent plus et refusent de à la production digitale, elle n'est pas donnée non plus: les ap- s'abonner». plications, les développeurs, les informaticiens, tout ça a un Les imprimeries dans lesquelles il faut réinvestir des millions, laprix.» Que les groupes qui investissent dans la numérisation de distribution postale... «cette chaîne-là, nous ne la maîtrisons pas la presse ont parfois payé en sabrant dans les effectifs des ré- et elle montre des signes d'essoufflement», à l'inverse de la pro-dactions. duction digitale, «que nous contrôlons de bout en bout», mar- CeR

Le groupe fribourgeois Saint-Paul a fermé son centre d'impression en 2014. La Liberté, qui lui appartient tou- jours, est depuis im- primé par le géant zurichois TX Group.

Keystone

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«Mon journal à l'heure»

La dizaine d'éditeurs et de journalistes con- tactés pour cette enquête s'accordent à le dire: le papier est encore en vie, mais le re- tard dans la livraison du journal pourrait bien contribuer à abréger son existence! «Nos lecteurs paient pour avoir les nouvelles le matin», explique Armand Goy, responsable du marketing au quotidien fribourgeois La Liberté. Quand un abonné reçoit son journal après midi en raison des défaillances du service postal, il se fâche. «C'est un motif ré- current de résiliation qui nous oblige à main- tenir notre propre service de distribution pour deux tiers des exemplaires. C'est plus coûteux, mais on assure ainsi une distribution avant 7 heures.» A Genève, Benito Perez, corédacteur en chef du Courrier, confirme: «Si le service postal continue à se dégrader, ça va devenir très compliqué, les plaintes des abonnés à ce su- jet se multipliant». Au Temps, Gaël Hurli- mann peste contre la «chaîne de distribution complexe du journal papier». S'il espère pou- voir livrer les abonnés papier et les kiosques 123rf encore longtemps, le co-rédacteur en chef en charge du numérique songe aux écono- affirme Daniel Hammer, secrétaire général mies que permettrait un journal 100% di- de MEDIAS SUISSES. gital. Si l'aide du Conseil fédéral rassure le monde L'Association des médias privés romands de la presse, certains peinent à accepter que MEDIAS SUISSES a de son côté salué le plan de l'argent public finisse dans la poche d'en- d'aide à la presse de 50 millions de francs treprises comme TX Group (voir encadré pa- adopté la semaine dernière par le Conseil fé- ge 11). En effet, le géant zurichois des mé- déral. Mais elle regrette que le soutien à la dias, qui a eu recours au chômage partiel (fi- distribution matinale n'en fasse pas partie. nancé par l'Etat) pour réduire les pertes dues «Nous allons tout mettre en oeuvre pour que au Covid-19, ne s'est pas gêné pour verser cette mesure, réclamée depuis des mois par en même temps 37 millions de francs à ses les éditeurs, soit acceptée par le Parlement», actionnaires. CeR

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