Musée national des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée

Entre autres Rencontres et conflits en Europe et en Méditerranée Among Others 8e conférence Encounters and Conflicts de la Société in European and Internationale Mediterranean Societies d’Ethnologie et de Folklore 8th Conference SIEF

3e conférence de l’Association d’Anthropologie Méditerranéenne 3rd Conference ADAM

Conférence / Lecture Séances plénières / Plenary Sessions Synthèses des ateliers / Workshops Contents

Marseille 26-30 avril 2004 April 26-30 2004 Remerciements Acknowledgements

Cette publication a été coordonnée par le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée et l’équipe de l’Association d’anthropologie méditerranéenne- ADAM. This publication was compiled by the Museum of European and Mediterranean Civilizations and the Mediterranean Anthropology Association.

Nous remercions tout particulièrement : Abdelmajid Arrif, Françoise Dallemagne et Catherine Homo-Lechner pour leur aide précieuse de conception et d’édition. Traduction de l’anglais : Françoise Dallemagne du Français : Sarah Deleporte

Special thanks are due to the entire Marseille team: Abdelmajid Arrif, Françoise Dallemagne et Catherine Homo-Lechner for their precious help in design and edition.

Translation from english: Françoise Dallemagne Translation from french: Sarah Deleporte

Michel COLARDELLE Denis CHEVALLIER Directeur du MuCEM Responsable de l’équipe marseillaise Among Others

Coordination/soutien Coordination/ Support

Ce colloque, organisé par le Musée national des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, avec la SIEF, l’ADAM et L’IDEMEC (MMSH) a bénéficié du soutien de la Ville de Marseille, de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur ; du Département des Bouches du Rhône ; du Centre National de la Recherche Scientifique ; de la Fondation Wenner-Gren ; de la Communauté Européenne. Organized by the National Museum of European and Mediterranean Civilizations jointly with SIEF, ADAM, IDEMEC (MMSH), this symposium has been made possible through the support of the City of Marseille, the Region Provence-Alpes- Côtes d’Azur, the Département of Bouches du Rhône, the Centre National de la Recherche Scientifique, the Wenner-Gren Foundation and the European Community.



Among Others

Sommaire / Contents

Régina Bendix, Dionigi Albera et Denis Chevallier Avant-propos 9 Foreword 11

Introduction

Michel Colardelle Entre autres 13 Among Others 17

Conférence / Lecture Christian Bromberger Entre Autres en Méditerranée 21 Among Others in the Mediterranean 37

Séances plénières / Plenary Session

Jasna Čapo Žmegač « La sixième personne de Kafka : rencontre et conflit entre anciens et nouveaux habitants » 55 Barbara Kirshenblatt-Gimblett De l’ethnologie au patrimoine : le rôle du musée 65 From Ethnology to Heritage: The Role of the Museum 73 Barbro Klein S’enraciner dans le Nord : une histoire d’ “ altérisation ” et de co-existence dans une zone de jardins en Suède 81 Becoming rooted in the north : a history of othering and co-existence in a swedish gardening territory 95 Daniel Miller Ethnographie en privé 107 Ethnography in private 115  Entre Autres

Synthèses des ateliers / Workshops Contents Thème 1 Stratégies d’appropriation et de partage

Mohamed Kerrou Public et Privé en Europe et en Méditerranée 125 Anders Gustavsson, Paula Godinho et de Gilles de Rapper Conflits et rencontres à proximité des frontières nationales 129 Anders Gustavsson Conflicts and Encounters around National Borders 135 Ivan Colovic, Galia Vâltchinova et Olivier Givre Nos amis, nos frères 141 Bojan Baskar A qui ces lieux ? Moyens d’ethniciser et de nationaliser les paysages 147 Whose places ? Ways of ethnicizing and nationalizing landscapes 151

Thème 2 Les nouveaux partages des territoires associés au tourisme et aux mobilités

Owe Ronström et Birgitta Svensson Cultures du tourisme, migrations, politiques patrimoniales et identités 157 Touring cultures, migrancy, heritage politics and identities 163

Jasna Čapo Žmegač et João Leal Défier l’état-nation : migration, multiculturalisme et transnationalisme 169 Thomas K. Schippers “ Entre touristes ”. Entre communication interculturelle, ignorance et évitement 177 Thomas K. Schippers et Gabor Barna La carte et l’image de Soi : l’impact culturel des représentations cartographiques sur les conflits régionaux et nationaux en Europe depuis le xixe siècle 179 Annick Sjögren Une nouvelle répartition du territoire liée au tourisme et à la mobilité 183 New division of terrain due to tourism and mobility 187

Thème 3 Conflits d’usages, stratégies d’appropriation et de reconversion autour du patrimoine ou de sites

Luisa Del Giudice Culture des chansons en contact : oppositions et affinités 193 Song Cultures in Contact: Oppositions and Affinities 199 Mary Bouquet et Nélia Dias De l’état-nation au parfum de la lavande : la Méditerranée comme un état d’esprit 205  Among Others

From Nation-State to Sniffing Lavender:the Mediterranean as a State of Mind 211 Abdelmajid Arrif Les centres anciens, patrimoines communs ? 215 Valeria Siniscalchi Lieux de conflits, lieux de partages : les espaces et les constructions du patrimoine 219 Dejan Dimitrijevic Musées en mutations 225

Thème 4 Emprunts et distinctions culturelles à travers les comportements alimentaires et la gestion du vivant

Gisela Welz Produits européens : particularisme et standardisation dans les cultures alimentaires 233

Thème 5 Jeux et sports en tant que lieux et temps d’exacerbation ou de brouillage des différences

Tatjana Eggeling et Rolf Husmann “ Ethnologie et culture sportive : conflits, identités, rencontres ” 239 Ethnology and Sport Cultures: Conflicts, Identities, Encounters 247 Anne Marcellini Jeux et sports en tant que lieux et temps d’exacerbationou de brouillage des différences 255

Thème 6 Les pratiques de consommation d’objets et/ou de biens culturels comme expression des métissages, des réinventions ou des recyclages

Joaquim Pais de Brito et Denis Chevallier Objets de rencontre, objets de disputes ou comment faire parler les objets des relations entre les sociétés d’Europe et de la Méditerranée 263 Maja Povrzanovic Frykman Objets d’ailleurs : expressions matérielles de la différence et de l’appartenance 269 Objects from Elsewhere: Material Expressions of Difference and Belonging 275

 Entre Autres Thème 7 Confrontation et mixité de la pratique religieuse en Méditerranée

Thomas Hauschild et Sabina Magliocco Syncrétisme et mixité de la pratique religieuse en Méditerranée 283 Syncretism and Mixed Adhesion to Religious Practice 287 Arne Bugge Amundsen Sacralité et piété : conflits passés et présents et convergences en Europe 291

Thème 8 La violence intra et interculturelle

Abderahmane Moussaoui La violence intra et interculturelle 299

Index auteur 305 Index thématique 309 Index géographique 311

 Among Others

Avant-propos

Du 26 au 30 avril 2004 se tenait à Marseille le colloque « Entre autres, rencontres et confits en Europe et en Méditerranée ». Organisée par le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée sous l’égide de deux importantes associations internationales d’ethnologues, la Société Internationale d’Ethnologie et de Folklore (SIEF) et l’Association d’Anthropologie Méditerranéenne (ADAM), et avec la participation de l’IDEMEC, cette manifestation ressemblait, 4 jours durant, 414 chercheurs en ethnologie de 38 nationalités différentes. Ce sont les actes de leurs travaux qui sont présentés ici. Ce colloque a permis de discuter les approches actuelles concernant les peuples, les cultures et les territoires de l’Europe et de la Méditerranée, à partir de travaux ethnographiques et historiques, ainsi que d’établir un dialogue entre les différentes écoles d’anthropologie et les champs de l’ethnologie européenne et méditerranéenne. Dans une Europe et une Méditerranée en radicale mutation, l’occasion a été donnée aux chercheurs formés aux différentes traditions anthropologiques nationales d’interroger de nouvelles problématiques. Au 21ème siècle nous vivons tous “entre autres”. La société est ressentie comme culturellement hétérogène, des grands centres métropolitains attirant les travailleurs migrants du monde entier aux villages isolés mais néanmoins visités par les touristes et touchés par l’impact des mass-médias et de la réalité virtuelle. Les lieux, les objets et les pratiques culturelles que nous étudions pour identifier leurs propriétés sont tous impliqués dans une profonde remise en cause de l’histoire et du présent des cultures «autres». Le colloque visait à rendre cette expérience tangible en mettant en évidence aussi bien les conflits que les processus de rencontre. Les sous-thèmes choisis, ont permis de rassembler à la fois des sujets classiques de la recherche ethnologique et ceux des nouveaux champs de prospection que les collaborations interdisciplinaires ont fait naître. Outre son apport intrinsèque au développement des connaissances sur tel ou tel objet anthropologique, outre la possibilité qu’offre tout colloque de cette ampleur de mettre en contact des spécialistes du monde entier, ces échanges ont été une occasion unique de nous offrir un panorama à un instant donné de la recherche ethnologique sur l’aire euro-méditerranéenne. Nous faisons le pari que les synthèses publiées ici pour 22 des 36 ateliers qui furent organisés au cours du colloque ainsi que la restitution de 5 des 7 conférences plénières donnent une idée assez juste des acteurs comme des thèmes et des terrains de la recherche anthropologique dans le monde Euroméditerranéen. Concernant les acteurs, il faut signaler l’exceptionnelle affluence de chercheurs de toute l’Europe et aussi de toutes les rives de la Méditerranée. Si le Maghreb a été relativement . Pour la liste complète des conférences et des ateliers on se référera à l’ouvrage publié lors du colloque Entre autres, rencontres et conflits en Europe et en Méditerranée, Marseille, MNATP- MCEM, 2004, 350p.  Entre Autres

peu représenté (6 chercheurs) plus de 40 % des participants sont originaires de pays riverains de la Méditerranée. Ces derniers apparaissent ainsi très présents si l’on considère les terrains traités (51 sur 128) Le monde balkanique est, sans doute du fait des événements qui s’y sont déroulés dans les dernières décennies du siècle, bien représenté (23 interventions le concernaient, soit 18 % des recherches présentées ici, alors que seuls 4 % des chercheurs présents étaient originaires de ces pays). Pour le monde scandinave et l’Europe du nord la proportion s’inverse puisque que prés d’un tiers des chercheurs sont originaires de ces pays, mais seulement un cinquième des terrains étudiés les concerne. Ce constat d’un certain tropisme méridional s’accompagne de celui d’une grande diversité des sujets étudiés et cela en dépit d’une thématique qui aurait pu exclure certains domaines de l’ethnologie. Notons à ce sujet que les thèmes purement folkloriques (littérature orale et musique notamment) furent peu présents sauf quand ils pouvaient être traités dans une problématique identitaire. Soulignons que de nombreux travaux ont porté sur des thématiques encore peu représentées dans les travaux des chercheurs français ou du monde méditerranéen. C’est le cas du tourisme. Tout se passant ici comme si une certaine distance devait là encore s’instaurer entre le chercheur et son terrain. A contrario les thèmes patrimoniaux – analyse des processus de patrimonialisation, rôle des musées, etc. – très en vogue auprès des chercheurs français depuis la fin des années 1980, se rattachent à une ethnographie du proche. Mais les synthèses des ateliers que l’on pourra lire ici montrent que, dans ce domaine comme dans d’autres, les études comparatives sont encore trop rares. L’index présenté à la fin de ce document devrait aider à lire conférences plénières et synthèses des ateliers comme des indicateurs des évolutions de nos disciplines dans les différentes parties de l’Europe et du bassin méditerranéen. Ces évolutions sont rapides, c’est pourquoi nous attendons avec impatience les prochaines conférences de l’ADAM et de la SIEF qui doivent nous rassembler à Rome en 2007 et à Londonderry en 2008 pour faire un nouveau point.

Régina Bendix Dionigi Albera Denis Chevallier Présidente de la SIEF Président de l’ADAM Responsable de l’antenne de Marseille du MuCEM

10 Among Others

Foreword

From April 26-30, 2004, a conference entitled “Among Others : Encounters and Conflicts in Europe and the Mediterranean” was held in Marseille. It was organized by the Marseille Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, in conjunction with two major international ethnological associations, SIEF (International Society for Ethnology and Folklore) and ADAM (Association for Mediterranean Anthropology), as well as with the participation of IDEMEC (Institute of mediterranean, european and comparative ethnology). This 4-day conference gathered together 414 ethnological researchers, representing 38 different nationalities, and some of the results of their work are presented here.

The meeting allowed for a discussion of current ethnographic and historical approaches in understanding the peoples, cultures and terrains of Europe and the Mediterranean. It also served to establish a dialogue between various schools of anthropology and the field of European and Mediterranean ethnography. The conference also gave researchers steeped in their respective national anthropological traditions an opportunity to examine new issues that are emerging in regions that are radically changing. In the 21st century, we all live « among Others ». Society is experienced as culturally heterogeneous, and though larger metropolitan areas attract migrant workers from around the globe, even isolated villages are visited by tourists and affected by mass media and virtual reality. The places and locations, the objects of material culture, and the cultural practices that we study in an effort to understand their nature are all affected. Both the presence of the cultural « Other » and the consequences of historical development have led to a profound re-examination of what was once taken for granted. The conference aimed to render this transformative experiences tangible, providing evidence both of conflicts and of the process of encounter. On the one hand, the sub-themes selected allowed for the assembly of classic ethnographic research topics. On the other, it also made space for presentations that surveyed more recent approaches engendered by interdisciplinary cooperation. Beyond the intrinsic value of broadening one’s knowledge of various anthropological topics and using the meeting as an opportunity for increasing contacts with specialists from around the world, the exchanges at this conference were a unique occasion. They provided both a panorama and a snapshot of ethnological research undertaken in and about the Euro-mediterranean region. In this publication we provide summaries of 22 out of the total of 36 workshops held in the course of the conferences, as well as the texts of 5 of the 7 plenary sessions. This gives a quite full sense of the participants, themes, and topics of research in the Euro- Mediterranean world. It is also worth noting the exceptionally rich variety of researchers 11 Entre Autres

from throughout Europe as well as from all the countries bordering the Mediterranean. The countries of the Maghreb were relatively weakly represented, with only 6 researchers, but more than 40% of the participants came from countries bordering the Mediterranean. This is also evident in a numerical accounting of the topics addressed (51 of 128). The Balkan world was, doubtless due to the events that have occurred there in recent decades, well represented : 23 papers concerned Balkan topics, representing 18% of the total papers delivered – though only 4% of the researchers present were originally from these countries. With respect to the Scandinavian world and northern Europe, the proportions were reversed: nearly one-third of the researchers came from these countries, but only one-fifth of the contributions concerned this region.

One might then note a certain proclivity toward southern tropes running through the presentations of what were ultimately a great diversity of subjects gathered under the conference theme . The theme may have also excluded certain aspects of ethnology. Purely folkloric topics – notably oral literature and music – were, for instance, few in number, or, put differently, surfaced only in contexts in which they could be addressed as an aspect of identity. One should also note that many papers addressed themes that are thus far rarely addressed by French researchers or by researchers working on the Mediterranean world. That is certainly the case for tourism. Perhaps this indicates that there needs to be a certain distance between researchers and the topic studied – with scholars living in mediterranean contexts abstaining thus far more from this omnipresent phenomenon. With respect to topics that deal with heritage – the analysis of processes of patrimonialization, the role of museums, etc. – which has been very much en vogue among French researchers since the late 1980s, there appears to be the capacity for carrying out an ethnography of the close-by. But an overview of the sessions covered in this publication indicates that in this domain – as in other domains – comparative studies remain very rare. The index at the back is intended to aid in finding topical convergences between plenary sessions and workshop summaries; it is also to serve as an indication of the evolution of our fields in the different parts of Europe and the Mediterranean basin. These changes are rapid, and it is for that reason that we eagerly await the upcoming conferences to be held by ADAM (Rome, 2007) and SIEF (Londonderry, 2008) that will provide us with new points of departure.

Régina Bendix Dionigi Albera Denis Chevallier

12 Among Others

Introduction

Michel Colardelle 

Entre autres

La première rencontre des anthropologues de l’Europe continentale et du bassin méditerranéen, de la SIEF et de l’ADAM, est un événement. Tenue à l’initiative du Musée national des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, elle est une belle illustration du rôle que veut se donner l’établissement en cours de création : devenir le lieu privilégié de la rencontre, du débat, sur des sujets de société que le seul champ régional ou national ne permet pas d’explorer efficacement, et ce par l’observation de traits culturels d’un abord sensible, concrets, pratiques, ouverts à tous. L’espace euro-méditerranéen, en complémentarité avec le nouveau Musée du Quai Branly, consacré aux cultures de l’Afrique, de l’Asie, de l’Australie, des Amériques et de l’Océanie (à l’exclusion de l’Europe, donc de la France), et qui, avec une mission aussi large, ne peut consacrer qu’une place très réduite aux pays du sud et de l’est de la Méditerranée, Maghreb et Machrek. Espace euro-méditerranéen : le terme doit être explicité, et même justifié, tant il semble incongru aussi bien à nombre de Méditerranéens qu’à la plupart des Européens, qui considèrent l’article de coordination « et » de « Europe et Méditerranée » comme un signe de simple juxtaposition, voire de séparation, alors que nous le prenons au sens de liaison intime, de conjonction. Les premiers se conçoivent bien comme parents, à condition toutefois de ne pas trop approfondir la question religieuse, mais n’envisagent pas la possibilité d’une ressemblance avec « les gens du Nord ». Quant aux seconds, le pôle de l’Europe politique étant fondé à la fois sur les conséquences assumées d’une guerre mondiale après tout déclenchée en Europe continentale, et sur un projet économique lui aussi centré sur la fameuse «banane» essentiellement continentale de la prospérité industrielle et commerciale, ils ne se sentent pas la moindre proximité culturelle avec des Suds pauvres et pour eux difficiles à comprendre, sinon totalement incompréhensibles. Or, les bouleversements géopolitiques et économiques, en abattant la muraille édifiée et maintenue par la force entre l’Est et l’Ouest, en accentuant les dynamiques démographiques contraires, et en . Conservateur général du Patrimoine, Directeur du MUCEM 13 Entre Autres

modifiant les équilibres liés à la ressource énergétique, ont laissé libre le champ de multiples conflits, tous qualifiés d’ « ethniques » ou de « religieux », ce qui, même en tenant compte de l’instrumentalisation dans d’autres desseins, essentiellement économiques, de ce que l’on qualifie souvent d’ « identités » culturelles, donne bien à ces dernières le premier rôle dans la légitimation des oppositions. Les anthropologues peuvent-ils éclairer de leurs travaux une question posée de manière si caricaturale, et pourtant si importante pour penser l’avenir d’un monde que divisent aujourd’hui si fortement les conflits nés dans cet espace ? Euro-Méditerranée : le terme choque en effet, et Christian Bromberger, l’un des deux co- présidents du Conseil scientifique du Musée, ne l’aime pas beaucoup : il se gardera d’ailleurs de s’y référer, sa conférence inaugurale traitant exclusivement de l’espace méditerranéen. Ce colloque international embrassait néanmoins, comme nous l’avions proposé, l’ensemble de ce vaste espace qui, depuis les Iles britanniques, va jusqu’à l’Oural et aux confins asiatiques – clin d’œil aux propos historiques d’un grand Français qu’il ne désavouera pas – et de la Scandinavie – l’équivalent, à l’échelle qui est la nôtre, du « Dunkerque » du même Général de Gaulle – jusqu’au Sahel (rivage, en arabe). Ce sera une manière de vérifier, si la comparaison des attitudes sociales porte des fruits, la pertinence du concept. Au-delà des circonstances et des opportunités, comme la création du Musée du Quai Branly à l’initiative du Président Chirac, l’élargissement du propos de l’ancien Musée des Arts et Traditions populaires au monde euro-méditerranéen se justifie en soi. Non pour exprimer on ne sait quelle supériorité culturelle sur les autres régions du monde, mais pour mettre en lumière les apparentements dynamiques des sociétés qui les habitent, pour révéler la communauté de la plupart de leurs enracinements en même temps que les dynamiques distinctives qui les font vivre et qu’elles font vivre. Je n’ignore pas qu’en m’exprimant de la sorte je contredis ceux qui cherchent à justifier des divisions et des exclusions entre nord et sud, entre Juifs, Chrétiens et Musulmans, par une référence superficielle et plus ou moins consciemment biaisée des différences de modes de vie, de valeurs, de culture. Ces différences, ils les prétendent irréductibles parce qu’enracinées dans une « tradition » qui, antérieure aux grands bouleversements intervenus depuis le milieu du XXe siècle et idéalisée par toutes les nostalgies, serait forcément immémoriale et, partant, seule légitime. Ces différences sont pourtant construites, souvent d’ailleurs par des jeux d’influences qui font une large part à l’exogène ; leur fatalité n’est pas démontrée, et on peut même donner de multiples exemples de leur évolution, ou de leur réduction : un musée est un bon lieu pour une telle réflexion, dans la mesure où il offre aux sens – regard, écoute -, donc à l’intelligence, des faits culturels qui, à défaut d’être objectifs – ils ont bien été choisis parmi d’autres au moment de leur entrée dans les collections, et ce choix, même obéissant à des critères scientifiques, ne peut être dénué de toute subjectivité – sont au moins honnêtement présentés et commentés. C’est en toute conscience que l’on a proposé un tel objectif, celui de la tolérance par un décentrement du regard, par la compréhension des altérités et des processus de leur construction, par un retour, muni de la sagesse ainsi acquise, sur les évidences qui gouvernent nos actes et les morales qui les sous-tendent. Une réflexion nourrie de multiples débats a permis d’énoncer publiquement cette proposition, retenue par les autorités ministérielles et aujourd’hui, malgré les difficultés budgétaires, en cours de concrétisation. Euro-Méditerranée : beaucoup est apparenté, sinon commun, dans cet espace par ailleurs géographiquement si varié, pour peu qu’on en considère le contexte et l’évolutivité. Ce sont d’abord des religions apparentées, celles de la Révélation, des Tables de Moïse au Coran de Mahomet en passant bien sûr par les Evangiles et Jésus-Christ ; c’est une ressource fortement contrastée et au cœur des dispositifs normatifs, l’eau, mais c’est aussi une géographie particulièrement favorable à la circulation des hommes, des marchandises et

. COLARDELLE M. (dir.), 2002. Réinventer un musée – le musée des Civilisations de l‘Europe et 14 de la Méditerranée à Marseille, Paris, RMN. Among Others des idées, conduisant à un forte évolutivité des sociétés au sein d’une histoire tour à tour belliqueuse et pacifique mais largement commune, du califat de Cordoue et du royaume normand de Sicile aux colonies européennes des XIXe et XXe siècles et aux mouvements migratoires post-coloniaux. Ce sont encore des concentrations démographiques conduisant à des formes particulières de sociabilité, villes dont le modèle s’impose aujourd’hui partout dans le monde, et c’est aussi – du moins dans notre programme inaugural tel que notre Conseil scientifique en a validé le principe, et qui est actuellement sur le métier – une construction particulière du rapport des sexes, dans laquelle les différences complémentaires sont transformées en différences hiérarchisées, et cela de manière différente selon les lieux et les époques. Bien d’autres critères auraient permis, et permettront, de montrer ces apparentements et es différenciations. Un musée, où sont habituellement collectés les témoins matériels des civilisations disparues, et où la politique d’étude et de patrimonialisation des éléments culturels des sociétés actuelles autorise la collecte de la culture immatérielle , est le lieu de l’appréhension sensible, par le goût – on aime, on n’aime pas, sans percevoir ce qu’il y a d’inculqué et d’accoutumé dans cette attitude – de signes culturels que leur juxtaposition, propre à l’expression muséographique, permet de relativiser, de comparer, de questionner, de décoder ; les sujets ne manquent pas pour l’étude comme pour la collecte, pour la publication comme pour l’exposition, qui puissent contribuer à l’approfondissement des connaissances sur un monde si vaste et en même temps si proche, si varié et si cohérent, où les cartographies des différences et de similarités, dans l’absence même de leur coïncidence, dessinent une communauté. « Rencontres et conflits » : le thème de ce colloque est essentiel, et la forte participation des membres des deux associations de chercheurs précédemment évoquées, qui ont organisé le colloque avec l’équipe marseillaise du Musée (Mission pour le MCEM) le montre. Sur lui, malgré son actualité brûlante, outre les politiques, on n’entend guère s’exprimer que les historiens, les économistes, les politologues, les philosophes et les théologiens. Il me semble essentiel, s’agissant d’un sujet d’une gravité aussi permanente, d’entendre la contribution des anthropologues. N’est-ce pas Germaine Tillion, une grande ethnologue de l’Algérie que les drames de l’Histoire ont conduite à entreprendre l’ethnographie d’un camp de concentration, qui disait « Si l’ethnologie (…) peut encore servir à quelque chose c’est à apprendre à vivre ensemble » ?

. Le 16 octobre 2003, la Conférence générale de l’UNESCO a adopté la Convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ; cette convention définit la nature de ce patrimoine immatériel, plus menacé que des patrimoines matériels dont les Etats ont appris à protéger les éléments majeurs, dans la mesure où la mondialisation des communications et l’urbanisation, accompagnée de mouvements migratoires qui s’amplifient, menace les langues et les systèmes de transmission des cultures immatérielles. 15 Entre Autres

16 Among Others

Introduction

Michel Colardelle 

Among Others

The first meeting of anthropologists from continental Europe (the SIEF) with those from the Mediterranean basin (the ADAM), is a great event. Initiated by the National Museum of European and Mediterranean Civilizations (MCEM), this meeting beautifully illustrates the role that this museum wishes to take on as it is being created: to become a privileged site for encounters and debate on social subjects that are not effectively addressed solely at the regional and national levels, but that require the observation of cultural traits via an approach that is tangible, concrete, practical, and open to all. The Euro-Mediterranean space complements the new Musée du Quai Branly, devoted to the cultures of Africa, Asia, Australia, the Americas, and Oceania (excluding Europe, thus excluding France). With such a wide-ranging mission, the Quai Branly can give only a limited place to the countries of the South and East of the Mediterranean: Maghreb and Machrek. Still, the term “Euro-Mediterranean space” seems so incongruous to Mediterranean people (as well as to most Europeans) that it requires explanation, even justification. Many consider the coordination of the article “and” in “Europe and Mediterranean” to be a sign of simple juxtaposition, even of separation. Instead, we take the article to indicate an intimate liaison or conjunction. Mediterranean people see themselves as parents (as long as they do not look too deeply into the religious question), but they do not foresee the possibility of resembling the “people of the North.” As for Europeans, their political pole was founded at once upon the assumed consequences of a world war that began, after all, in continental Europe, and upon an economic project that was centered upon the famous “banana” (essentially continental) of industrial and commercial prosperity. As a result, Europeans do not feel the least proximity with the inhabitants of the poor South, who remain difficult to understand, if not totally incomprehensible. Yet the geopolitical and economic upheavals -- the demolition of the wall built and maintained by force between East and West, the accentuation of contrary demographic dynamics, and the modification of the equilibriums linked to energy resources -- have left free reign . General Curator, Director of MUCEM. 17 Entre Autres

to multiple conflicts, all qualified as “ethnic” or “religious.” Even if we account for the various (essentially economic) schemes that instrumentalize what is often qualified as cultural “identity,” ethnic conflicts nonetheless play the primary role in the legitimization of oppositions. Can the work of anthropologists shed light on this caricatural yet essential question in order to think through the future of a world so strongly divided by the conflicts born within this space?

Euro-Mediterranean: indeed, the term is a shocking one, and Christian Bromberger, one of the co-presidents of the Scientific Council of the Museum, doesn’t like it very much. In fact, he avoids the term, as his inaugural conference deals only with the Mediterranean space. Nonetheless, as we have suggested, this international symposium will embrace the whole of this vast space that extends from the British Isles to the Oural mountains and the borders of Asia (a nod to the historical ideas of a great Frenchman) as well as to Scandinavia (the equivalent, on our scale, of the same General de Gaulle’s “Dunkerque”), and Sahel (shore, in Arabic). If the comparison of social attitudes bears fruit, it will be a way to verify the pertinence of the concept. Beyond circumstances and opportunities such as the creation of the Quai Branly Museum on the initiative of President Chirac, the widening of the scope of the old Museum of Popular Arts and Traditions to the Euro- Mediterranean world is justifiable in itself. The goal is not to express some kind of cultural superiority over the other regions of the world, but rather to bring out the dynamic commonalities of the societies that live there and to simultaneously reveal the community between most of their roots and the distinctive dynamics that they keep alive and that keep them alive. I realize that this approach contradicts those who try to justify divisions and exclusions between north and south or between Jews, Christians, and Muslims using a superficial and more or less consciously biased reference to the differences in ways of life, values, and culture. These differences are taken to be irreducible because rooted in a “tradition” that, since it was anterior to the great upheavals of the mid-20th century, is idealized by all forms of nostalgia, necessarily immemorial and, because disappearing, solely legitimate. Yet differences are constructed, often by the play of influences that afford a large role to the exogenous, and their fatality is not proven. In fact, we can even give multiple examples of their evolution or of their reduction: a museum is a good space for this kind of reflection in that it offers cultural facts to the senses of sight and hearing (and thus to the intelligence). While these cultural facts are not objective (they were chosen among others at the moment of their entrance into the collections, and this choice, even if it followed scientific criteria, cannot be devoid of all subjectivity), they are at least honestly presented and commented upon. It is with complete consciousness that we have proposed the goal of eliciting tolerance via a “decentering” of the gaze that leads to the comprehension of alterities and the processes of their construction. This allows one to return, armed with new wisdom, to the underlying principles and moralities that govern our acts. A reflection nourished with multiple debates has allowed this proposition to be stated publicly and approved by ministerial authorities; today, despite the budgetary difficulties, it is in the process of becoming concrete. Euro-Mediterranean: if we look even briefly at its context and development, we find much that is related, if not common, in this space that is otherwise so geographically varied. First is the family of religions: those of the Revelations, the Ten Commandments, Mahomet’s Koran, as well as, of course, the Gospels and Jesus Christ. This resource, with its high contrasts, is at the heart of normative apparatuses (such as those related to water), but it also provides a geography that is particularly favorable to the circulation of persons, commodities, and ideas. This has lead to a high rate of change for these societies living at the heart of a history that is sometimes bellicose, other times pacific, but largely common: from the caliphate of Cordua and the Norman kingdom of Sicily, . COLARDELLE M. (dir.), 2002. Réinventer un musée – le musée des Civilisations de l‘Europe et 18 de la Méditerranée à Marseille, Paris, RMN. Among Others to the European colonies of the 19th and 20th centuries and the post-colonial migratory movements. These demographic concentrations continue to influence particular forms of sociability, for example, cities that remain models the world over. Another of these forms (according to our inaugural program validated by the scientific Council and currently in development) is a particular construction of the relationship between the sexes, in which complementary differences are transformed into hierarchical ones in differing ways according to the location and the era. Many other criteria could have allowed (and will allow) us to show these affinities and differentiations. A museum that habitually collects the material testimony of vanished civilizations, and where policies regarding the study and preservation of the cultural elements of today’s societies authorize the collecting of immaterial culture,2 is a place for apprehension via the senses – by taste. Without perceiving what is customary or inculcated in such an attitude, one likes or dislikes cultural signs whose juxtaposition (the proper form of museographical expression) allows one to relate, to compare, to question, and to decode. For collecting as well as for research, publication, and exhibition, there is no lack of subjects that would contribute to the deepening of knowledge regarding a world so vast, but at the same time so near, varied, and coherent, where the cartography of differences in similarities, in the very absence of their coincidence, shape a community. “Encounters and Conflicts”: the theme of this symposium is essential, as shown by the strong participation of the members of both of the research associations cited above, who organized the symposium with the Marseilles Antenna of the MCEM (Mission for the MCEM). Aside from politicians, and despite the virulent current events, one hardly hears anyone besides historians, economists, politologues, philosophers, and theologians discussing this museum. It appears essential to hear the contributions of anthropologists on this subject, the seriousness of which is so permanent. Was it not Germaine Tillion, one of the great ethnologists of Algeria, driven by the drama of History to undertake ethnographic research in a concentration camp, who said: “If ethnology can still be of use, it is to teach us to live together”?

. On October 16, 2003, the General Conference of UNESCO adopted the International Convention for the Preservation of Immaterial Heritage. This convention defines the nature of such immaterial heritage, more endangered than material heritage (the major elements of which States have learned to protect) inasmuch as the globalization of communication and urbanization, accompanied by amplified migratory movements, threatens the languages and transmission systems of immaterial cultures. 19 Entre Autres

20 Among Others

Conférence inaugurale

Christian Bromberger 

Entre Autres en Méditerranée

Comment penser les relations « entre autres » dans le monde méditerranéen et dans la longue durée ? Un tel projet englobant est-il d’ailleurs possible ? L’anthropologie, l’histoire mais aussi la littérature, cette autre manière de voir le monde, ont suggéré plusieurs réponses contradictoires à ce type de grande question. Ce sont ces contradictions que je voudrais rapidement examiner puis essayer de dépasser en proposant, à côté de modèles éprouvés qui définissent la tradition des études méditerranéennes, des cadres complémentaires d’interprétation.

Trois Méditerranée-s... Trois Méditerranée-s, chacune au profil bien tranché, se dessinent quand on examine les œuvres disparates qui l’ont prise pour horizon : une Méditerranée des échanges et des rencontres, une Méditerranée des conflits et de la haine, une Méditerranée, dont les sociétés qui la bordent, présentent, au-delà des fractures qui les séparent, un air de famille, des connivences culturelles sous-jacentes. La première Méditerranée, c’est celle des rencontres, des échanges, des coexistences, des polyphonies harmonieuses, de la convivenza, que symbolisent des lieux, des personnages, des objets emblématiques. Cette vision, souvent fortement idéalisée, trouve son ancrage et sa justification dans quelques épisodes et situations mémorables d’une histoire partagée : l’Andalousie, au temps du califat omeyyade de Cordoue, dont « nous portons en nous, disait Jacques Berque (1981: 43), à la fois les décombres amoncelés et l’inlassable espérance », le carrefour culturel que fut Palerme sous le règne, au XIIème siècle, du Normand Roger II,

. Institut d’ethnologie méditerranéenne et comparative. Université de Provence et Institut universitaire de France. 21 Entre Autres

puis, au XIIIème siècle, de son petit-fils, l’empereur germanique Frédéric II. Le premier commanda au grand géographe arabe Al-Idrisi, qui avait fait ses études à Cordoue, un planisphère représentant le monde, accompagné de quelque 2 500 noms, œuvre que l’on appela Al-kitâb al-Rujâri (« Le livre de Roger ») ; le second savait le grec, le latin, l’italien, le provençal, la langue d’oïl, l’arabe et sans doute l’hébreu ; il composa des poèmes en italien et en provençal et un traité de fauconnerie en latin. Plus près de nous sociologiquement et historiquement, cette Méditerranée des confluences et des rencontres s’est incarnée dans ces villes-ports et ces cités-mondes cosmopolites que furent, dans la seconde moitié du XIXe siècle et la première du XXe, avant le durcissement des nationalismes et des blocs, Istanbul, Smyrne, Salonique, Beyrouth, Alexandrie, Alger, Trieste, Marseille, etc. Chacune de ces villes eut son chantre littéraire, voire sa revue, tels les Cahiers du Sud de Jean Ballard à Marseille, Rivages d’Edmond Charlot et Albert Camus à Alger, Aguedal d’Henri Bosco à Rabat, ces œuvres exaltant une Méditerranée tout autant imaginaire que réelle, une Méditerranée, nous dit Albert Camus, en 1937, « où l’Orient et l’Occident cohabitent. Et à ce confluent, poursuit-il, il n’y a pas de différence entre la façon dont vit un Espagnol et un Italien des quais d’Alger et les Arabes qui les entourent (…) Nous sommes ici avec la Méditerranée contre Rome », Rome qui symbolise, dans les débats polémiques des années 1930, une Méditerranée ancrée dans l’Antiquité impériale, à prééminence occidentale, latine et classique. L’évocation la plus saisissante de ces villes mondes méditerranéennes, avec leur lingua franca, est sans doute celle qui nous a été laissée par Lawrence Durrell dans son Quattuor d’Alexandrie dont les personnages principaux sont Nassim le prince copte, Justine l’élégante femme juive, Mélissa venue de Smyrne, Darley l’Irlandais, Cléa l’Italienne, Balthazar, le médecin juif attiré par les gnostiques qui dirige un groupe d’études sur la Kabbale et tous les musulmans qui les entourent. « Cinq races, cinq langues, une douzaine de religions, cinq flottes qui croisent devant les eaux grasses du port. Mais il y a aussi, poursuit Durrell, cinq sexes : seul le grec démotique semble pouvoir les distinguer ». Se définissant comme « la reine de la Méditerranée », Alexandrie était, à la veille de la première guerre mondiale, candidate à l’organisation des Jeux olympiques…10 De cette Méditerranée des coexistences tolérantes, des rencontres, de l’interpénétration des œuvres culturelles émergent quelques personnages emblématiques dont se sont emparés, à juste titre, les pionniers du dialogue des civilisations, au premier rang desquels figure le grand orientaliste Louis Massignon. On pense, bien sûr, à Ibn Rushd, Averroès, cette lumière andalouse, traducteur et commentateur, « l’auteur du grand commentaire » disait Dante, de l’œuvre d’Aristote qu’il transmit à l’Occident chrétien11. Il faudrait aussi citer le philosophe majorcain, des XIIIème et XIVème siècles, Raimond Lulle qui apprit l’arabe à 33 ans et présente, dans son Livre du Gentil et des trois sages, trois professeurs, l’un juif, l’autre chrétien, le troisième musulman qui exposent chacun à tour de rôle à un Gentil les fondements de leur foi . « À l’heure du congé », nous dit Lulle (1968, rééd. : 119), alors que le Gentil s’est converti à une des trois Lois sans le dire, « il y eut de nombreuses étreintes et des baisers, des larmes et des pleurs. » À côté de ces phares intellectuels et à l’échelle du quotidien, il faudrait mentionner cette multitude de personnages de l’entre-deux, ces passeurs, ces intermédiaires entre communautés dont le drogman (l’interprète dans l’Empire ottoman) est une des figures les plus significatives. Dans Vidal et les siens Edgar Morin (1989) campe ce personnage . Sur cet étonnant souverain, voir l’œuvre classique d’E. Kantorowicz (2000, rééd.). 10. Sur Alexandrie à l’époque contemporaine, voir R. Ilbert (1996). 11. « Il faut le redire, commente Alain de Libera (1999 : 26), c’est une translation intérieure à la terre d’islam, liée à la conquête musulmane, qui a rendu possible le retour de la science grecque dans le monde latin. Mais la science grecque n’est pas arrivée seule. La science arabe l’accompagnait. Et plus encore, la figure de l’intellectuel musulman, d’où a procédé, quoi qu’on en dise et contre toute attente, cette première ébauche de l’intellectuel européen qu’a été le magister artium universitaire, 22 le professeur de philosophie ». Among Others

à multiples facettes à travers l’évocation de son grand-père, juif séfarade d’origine livournaise établi à Salonique, parlant l’italien, le français, le turc, le grec et drogman pour les consulats de France et de Belgique. Cette Méditerranée des passages, c’est aussi celle, dans la longue durée, de la diffusion des techniques dans un sens inverse au Moyen Age de celui qui prévaut aujourd’hui : du papier aux sucreries, les innovations venaient alors d’Orient, comme le note Jack Goody dans sa récente synthèse (2004) sur « l’islam in Europe », où il récapitule les apports des civilisations musulmanes dans les domaines des techniques agricoles, architecturales, musicales, culinaires. Circulation des choses, des idées, des langues, circulation des hommes qui ouvrent souvent sur des perspectives moins radieuses : mobilités laborieuses drainant, à l’époque contemporaine, des millions d’individus du sud vers le nord ; pérégrinations pieuses, parfois encombrées et conflictuelles, sur cette terre où Dieu, ses prophètes et ses témoins ont établi leurs résidences ; mobilités marchandes avec aujourd’hui leurs entrepreneurs de l’ombre déployant leurs activités dans des espaces transnationaux et réinventant des routes d’Alger à Istanbul, à Dubai et à Hong-Kong12 ; mobilités et diasporas liées à l’exil mais aussi flux touristiques à l’échelle du contemporain (on évaluait à 260 millions le nombre de ces outsiders dans les pays méditerranéens en 1995) et Jeremy Boissevain (2001 : 686) nous dit justement que négliger cette composante de la vie sociale serait aussi grave que de mener une étude anthropologique sur les Nuer (une fameuse tribu d’éleveurs du Soudan) sans tenir compte de la place qu’occupe l’élevage bovin dans cette société. À travers cet inventaire à la Prévert se dessine une Méditerranée du mouvement, des « traveling cultures », des réseaux réels et aujourd’hui virtuels dont un des exemples les plus saillants est la créolisation des musiques méditerranéennes contemporaines. Dans un livre fondamental, bousculant quelque peu les conceptions braudéliennes de la Méditerranée, Peregrine Horden et Nicholas Purcell (2000) s’interrogent sur la spécificité de ce monde dans la très longue durée. Pour eux, qui combinent points de vue interactionniste et écologique, la Méditerranée se définit par la mise en relation par la mer de territoires extrêmement fragmentés, par une « connectivity » facilitée par les Empires et qui s’éteindrait, selon eux et, à mon sens à tort, au XXème siècle. Le titre énigmatique de leur livre, The Corrupting Sea, « La Mer corruptrice », prend dès lors tout son sens. Parce qu’elle met en relation, cette mer serait une menace pour le bon ordre social et pour la paix dans les familles. À cette Méditerranée des réseaux, des passages et, à ses meilleurs moments, de la convivenza, s’oppose celle, plus familière et dramatique, des conflits, des dominations, des frontières religieuses, du face à face et non plus du côte à côte, pour reprendre des expressions de Thierry Fabre (sous presse). Nul mieux qu’Ivo Andric, dans sa Lettre de 1920 de Sarajevo (rééd. 1993 : 33-34), n’a traduit plus expressivement cette Méditerranée des tensions, voire de la haine. « Quand, à Sarajevo, on reste jusqu’au matin tout éveillé dans son lit, on entend tous les bruits de la nuit. Pesamment et implacablement, l’horloge de la cathédrale catholique sonne deux heures. Une minute plus tard (soixante-quinze secondes exactement, j’ai compté), sur un timbre un peu plus faible mais pénétrant, l’horloge de la cathédrale orthodoxe sonne « ses » deux heures. Un peu après, la tour de l’horloge de la mosquée du bey sonne à son tour sur un timbre rauque et lointain, elle sonne onze heures, onze heures turques spectrales, conformément aux comptes étranges de pays situés à l’autre bout du monde. Les juifs n’ont pas d’horloge qui sonne, et seul le dieu cruel sait quelle heure il est pour eux à ce moment-là, une heure qui varie selon qu’ils sont séfarades ou ashkénazes. Ainsi, même la nuit quand tout dort, dans le décompte des heures creuses du

12. Voir, sur ces réseaux commerciaux contemporains, M. Peraldi (éd.) (2001) et J. Cesari (éd.) (2002). 23 Entre Autres

sommeil, veille la différence qui divise les gens endormis. Ces gens qui, dès le réveil, se réjouissent et souffrent, mangent ou jeûnent conformément à quatre calendriers différents et opposés les uns aux autres, et qui adressent leurs prières au même ciel dans quatre langues d’église différentes. Cette disparité, tantôt de façon visible et ouvertement, tantôt de manière invisible et sournoise, ressemble toujours à la haine et se confond parfois tout à fait avec elle ». Cette Méditerranée-là, celle d’eris (de la haine) et non d’eros dans les termes de Jacques Berque (1997 : 10), est symbolisée par les appels concurrents à la prière, par l’incroyable cacophonie des cloches, des muezzin et des shoffar-s à Jérusalem. C’est la Méditerranée des villes et des territoires brisés par les allégeances confessionnelles, comme au Proche- Orient et dans les Balkans, où la rivalité ostentatoire peut vite se transformer en «haine monumentale », où l’on s’acharne à souiller ou à détruire les édifices religieux et le patrimoine de l’autre, comme l’a montré François Chaslin (1997) pour l’ex-Yougoslavie. C’est la Méditerranée des murs dressés et des ponts détruits, tel celui de Mostar en Bosnie, le pont qui peut relier, mais dont l’anéantissement signe ostensiblement la séparation, étant précisément un thème fréquent dans la littérature des Balkans, d’Ivo Andric à Ismaïl Kadaré. C’est aux frontières religieuses que, du Cashmire à l’Irlande, en passant par la Tchétchénie, la Palestine, la Turquie, Chypre, les Balkans, se trouvent les principales zones de friction et de conflit où l’on nettoie, parque, exile et oùse rejouent des drames interminables. On ne saurait, bien sûr, rendre compte de ces conflits par une simple géographie religieuse ; les stratégies géo-politiques, les nationalismes instrumentalisateurs, les revendications sociales y ont leur part mais cette composante religieuse des conflits, qui pousse parfois au sacrifice de sa vie avec la certitude du salut, a été, me semble-t-il, sous-évaluée au bénéfice d’explications sociologiques réduisant la foi et ses motifs d’agir, d’aimer les siens et de haïr les autres, à un épiphénomène. N’est- ce pas d’ailleurs le spectre de la croisade et de la guerre sainte, incarnée aujourd’hui par les figures étrangement symétriques d’Oussama ben Laden et de George Bush, qui plane sur notre monde ? Naguère lac intérieur, à ses meilleurs moments « lac de sens », disait Jacques Berque (1997 : 16), la Méditerranée s’apparente plutôt aujourd’hui à une frontière de la peur qui sépare et est devenue, en outre, une sorte de cordon sanitaire, un barrage naturel inespéré pour refouler les pauvres. Et puis, il y a aussi une troisième Méditerranée, celle des anthropologues au sens étroit du terme, ces gens des lointains qui se sont tardivement intéressés à cette région proche, à ces petits autres qui n’avaient pas le lustre, dans le champ disciplinaire, de ces grands Autres amérindiens, océaniens ou africains. De leurs travaux a émergé une Méditerranée composée de sociétés présentant « un air de famille », comme disent Dionigi Albera et Anton Blok (2001 : 23) en reprenant une formule de Wittgenstein ; Horden et Purcell (2000 : 507), bons connaisseurs des travaux anthropologiques qu’ils regardent cependant, comme il se doit chez les historiens, avec une certaine hauteur, parlent, quant à eux, de « loose unity of family resemblances ». S’il fallait proposer deux figures totémiques de cette Méditerranée des modes de vie et des valeurs sociales, ce sont celles de Julian Pitt-Rivers (1986, 1997) et de Germaine Tillion (1982, rééd.) qui s’imposeraient pour appréhender cette « Mediterranean touch » formant une toile de fond de connivences permettant aux hommes de se connaître et de se reconnaître13. C’est la Méditerranée - l’a-t-on assez dit ? – de l’hospitalité ostentatoire, de l’honneur et de la honte attachés au sang et au nom, d’une vision endogamique du monde, de la république des cousins, une formule surtout ancrée sur la rive sud et dans l’Antiquité pré-chrétienne, du mariage dans un degré rapproché, de Jocaste disant à Polynice : «Un conjoint pris au-dehors porte malheur », de la prédilection pour le « vivre entre soi », de la ségrégation sexuelle, « d’un certain idéal de brutalité virile dont le complément est une dramatisation de la vertu féminine» (Tillion, 1982 : 67) ; c’est la Méditerranée des structures clientélaires dans ces 13. Sur cette invention anthropologique de la Méditerranée, voir C. Bromberger (2001, 2002) et C. 24 Bromberger et J.-Y. Durand (2001). Among Others vieilles sociétés étatiques et, parallèlement, du culte des saints, ces intermédiaires choyés dans les monothéismes, du factionnalisme avec ses ligues opposées et ses modes singuliers de médiation des conflits et des pratiques vindicatoires ou encore la Méditerranée des territoires de la grâce, des dévotions dolorisantes autour des vierges et des martyr(e)s.

… Et leurs écueils Voilà donc trois points de vue, campant l’une une Méditerranée du côte à côte, la deuxième du face à face, la troisième de connivences culturelles sous-jacentes. Ces points de vue contradictoires, ou, si l’on veut être scientifiquement optimiste, complémentaires doivent être singulièrement affinés, à vrai dire surtout le premier, celui d’une Méditerranée des confluences, et le troisième, celui d’une Méditerranée qui serait réductible à uneaire culturelle dotée d’une massive homogénéité. Mais nous devons aussi nous interroger sur les raisons raisonnables de la coexistence de tels modèles opposés, ceux de la proximité et du conflit, ce qui nous amènera à introduire une autre figure, celle de l’insupportable jumeau, de celui qui nous ressemble trop. La première Méditerranée, celle des contacts, des échanges, des diffusions, des trafics d’idées et de biens, des mobilités contraintes ou pieuses, de la fluidité des hommes et des choses, des arts entremêlés, telle l’architecture arabo-normande de Sicile, a entraîné l’usage surabondant des concepts de creuset, de métissage, d’hybridité pour caractériser les cultures et les sociétés implantées au bord de la mer. Je n’ignore, pas plus que quiconque, les syncrétismes et bricolages culturels qui s’accélèrent aujourd’hui dans des domaines aussi divers que la cuisine, la musique, la danse, les littératures ou dans ce qu’Arjun Appadurai (2001) appelle les mediascapes (selon les pays, 40 à 70% des Maghrébins reçoivent les programmes de chaînes satellitaires). Mais rien ne me semble plus inapproprié que les termes de « métissage » ou d’« hybridité » pour caractériser les sociétés méditerranéennes ou, pour être plus précis, la translation sur le plan social de ce que suggèrent des œuvres culturelles effectivement métisses. Le métissage suppose une union des chairs et surtout une fusion ou, à tout le moins, une acceptation réciproque des croyances qui rendrait possible cette union sociale des corps. Or rien n’est plus étranger au monde méditerranéen, terre de monothéismes intransigeants que cette fusion des croyances ou ces compromis sur les allégeances, qui demeurent rigoureusement exclusives. Le Dieu des uns et des autres est ici structuraliste et n’admet pas les mélanges. On est, en Méditerranée, à mille lieues de l’umbanda des Brésiliens, transformation de la macumba d’origine bantoue, rassemblant les caboclos (esprits des Indiens), les orixas (divinités africaines) du candomblé, les saints protecteurs du catholicisme, Bouddha, Gandhi, Ayrton Senna. On est aussi à mille lieues des conceptions japonaises où l’on naît shintoïste, où l’on se marie volontiers chrétien et où l’on meurt bouddhiste. La notion de métissage est incompatible avec la logique des religions du Livre où la maîtrise de l’allégeance des enfants à naître n’est pas négociable et où les mariages interconfessionnels sont dans plusieurs pays méditerranéens impossibles ou, à tout le moins, socialement inacceptables. Les hauts lieux du cosmopolitisme n’échappaient pas à cette loi d’airain. « Le cosmopolitisme alexandrin, nous dit Robert Ilbert (1992 : 28), ne fonctionne pas comme un creuset mais comme une contiguïté toujours renouvelée de groupes, constitués, reconnus et responsables ». Sans doute les Grecs préparaient-ils, à Alexandrie, les macaronis à l’italienne, les fouls (fèves) à l’arabe ; sans doute peignaient- ils les œufs, à Pâques, à la manière occidentale en utilisant toutes les couleurs et non seulement le rouge de la tradition comme en Grèce mais, ajoutent Katerina Trimi et Ilios Yannakakis (1992 : 85), « la seule borne ethnico-religieuse que les Grecs ne dépassaient pas était l’endogamie » et notons, par ailleurs, que le cosmopolitanisme, une commune fierté alexandrine n’excluaient pas le nationalisme. Même frontière entre coptes et musulmans en Égypte, qui partagent cependant grosso modo les mêmes us et coutumes et 25 Entre Autres

participent à leurs fêtes respectives, dans un climat cependant fréquent en Méditerranée de rivalité ostentatoire, des minarets élevés surplombant systématiquement les clochers des églises14. Constat voisin dans les Balkans « où, nous dit Jean-François Gossiaux (2001 : 236), la religion est le matériau par excellence des barrières ethniques » - mais ne faudrait-il pas dire plutôt l’inverse ?-. Dans tous les travaux qui traitent de cette région complexe, où se superposent souvent appartenance ethnique et religieuse, les unions mixtes, pourtant encouragées par les régimes socialistes, sont demeurées dans l’ensemble peu nombreuses, tout comme est demeuré faible, en Yougoslavie par exemple, l’adhésion à cette entité métisse qu’était la nationalité yougoslave, s’offrant comme une alternative aux appartenances ethnico-religieuses. « Les recensements, nous dit Gossiaux (2001 : 238), permettaient de choisir entre les diverses appartenances nationales » (Croates, Serbes, Slovènes, etc.) - on retrouve là une trace du rêve austro-marxiste du choix de la nationalité -, mais ils permettaient aussi de s’affirmer comme yougoslaves. En 1981, seuls 5,4% de la population avaient choisi de se déclarer yougoslave. « L’humanité a dû très tôt choisir, écrivait notre grand ancêtre Edward Burnett Tylor (1889 : 267), entre se marier à l’extérieur ou se faire tuer à l’extérieur ». Il apparaît que les sociétés méditerranéennes, avec leurs barrières religieuses, y compris au sein du christianisme, ont plutôt choisi la seconde formule. Cette rigidité se vérifie encore quand on examine les chiffres, qui marquent pourtant une nette évolution, des unions en France des jeunes gens et des jeunes filles issus de l’immigration maghrébine. Selon les enquêtes de Michèle Tribalat (1995), il y a un très fort décalage entre les garçons et les filles.5 0 % des garçons d’origine algérienne nés en France se marient avec une Française née de parents nés en France (un chiffre similaire à celui des jeunes garçons d’origine portugaise). En revanche, 24 % des filles d’origine algérienne nées en France sont mariées avec un Français né de parents français, alors que 47 % des jeunes Portugaises sont unies à un Français né de parents français. Le figh - le droit canon musulman - interdit le mariage d’une musulmane avec un non musulman : il en va de l’allégeance confessionnelle des enfants. De façon significative, la proportion des petits amis français « de souche » des jeunes filles d’origine maghrébine est deux fois supérieure à celle de leurs conjoints. « Cet écart, commente Michèle Tribalat (1995 : 80), donne une idée de la pression familiale et religieuse qui préside au mariage des filles », peut-être aussi de la xénophobie qui se réveille chez les Français « de souche » quand il s’agit de s’engager dans une union publique et durable. Toujours est-il que les transgressions de plus en plus nombreuses, par les jeunes filles, de cette vision endogamique du monde s’accompagnent de ruptures au moins temporaires avec les parents. Un stratagème pour concilier l’intransigeance paternelle et religieuse et les inclinations personnelles est d’accepter un mariage endogame puis de divorcer et d’engager une aventure plus personnelle (Boukhobza, 2001) ou encore de pratiquer l’union libre, compromis qui évite la publicité d’un mariage socialement désapprouvé et permet d’attendre un apaisement familial. Le célibat, qui met à l’abri des contraintes et des conflits, est surreprésenté chez les jeunes femmes d’origine maghrébine. « Ainsi, note H. Flanquart (1999 : 128) les jeunes filles d’origine algérienne âgées de 25 à 29 ans ne sont que 38% à être mariées, contre 48% de celles qui sont d’origine française». Ce différentialisme rigide, qui se durcit ou s’assouplit selon les circonstances, n’exclut pas, notons-le bien, le goût pour les arts de vivre ou pour les pratiques de l’autre. Les mésusages du concept de métissage et une évaluation enchanteresse des relations entre les uns et les autres repose souvent sur cette ambiguïté. C’est au moment même où l’on réprimait avec violence les Arabes en Sicile que l’on construisait, en 1165, la Zisa, merveille de l’art dit « arabo-normand » (Puccio 2004 : 123). L’art mudéjar s’épanouit en Espagne chrétienne alors même que les musulmans sont persécutés puis expulsés (Grabar, 1994 : 589). Et si les Français placent aujourd’hui le couscous parmi leurs plats préférés, ce n’est pas un indice pour autant d’islamophilie. Au-delà de ces rencontres et 26 14. Voir, entre autres, C. Mayeur-Jaouen et B. Voile (2003 : 174). Among Others de ces connivences culturelles, le métissage est impensable et impossible dans ces sociétés où l’union avec l’autre n’est envisageable que si l’on renonce à son identité, à sa religion, bref si l’on n’est plus un autre. Le grand écrivain Jean Amrouche qui était tout à la fois berbère, chrétien, algérien et français avait bien compris la dureté de cette récurrente leçon méditerranéenne qui ne badine pas avec les appartenances : « Les hybrides sont des monstres… des monstres sans avenir »15. Entendons-nous bien, ils le sont dans le système méditerranéen « traditionnel », durci par les nationalismes ; ils le sont sans doute moins parmi les élites et dans un autre système qui s’invente à petits pas et aura renoncé, par le biais d’une laïcité assumée, à ces rigidités.

Un système de différences complémentaires Que dire maintenant du portrait tracé et parfois caricaturé par les anthropologues où le syndrome de l’honneur et de la honte et quelques autres tiendraient lieu de raison d’être méditerranéenne et seraient la toile de fond d’un langage commun où l’on se reconnaît ? Plusieurs anthropologues, au premier rang desquels Michael Herzfeld (1980) et Joao de Pina-Cabral (1989) ont mis radicalement en cause la pertinence du monde méditerranéen comme champ d’étude. Pour eux, la Méditerranée ethnologique serait un objet artificiel, créé par des anthropologues anglo-saxons pour exotiser une région trop proche et objectiver ainsi la distance nécessaire à l’exercice de notre discipline. Elle s’abriterait derrière quelques thèmes fédérateurs fortement stéréotypés et doterait ainsi d’une homogénéité factice une réalité hétérogène. Nul doute que ces censeurs ont eu raison de dénoncer les travers d’une entreprise qui érigerait la Méditerranée en une aire culturelle dotée d’attributs et de limites stables. Mais il ne me semble pas cependant que l’on puisse jeter si facilement la Méditerranée avec l’eau du bain. À vrai dire, ce qui donne sa cohérence à ce monde, ce ne sont pas tant des similarités repérables que des différences qui forment système. Et ce sont sans doute ces différences complémentaires, s’inscrivant dans un champ réciproque, qui nous permettent de parler d’un système méditerranéen. Chacun se définit, ici peut-être plus qu’ailleurs, dans un jeu de miroirs (de coutumes, de comportements, d’affiliations) avec son voisin. Ce voisin est un proche dont il partage les origines abrahamiques et ses comportements ne prennent sens que dans ce jeu relationnel. Comment comprendre, par exemple, les comportements alimentaires des uns et des autres sinon dans ce système relationnel d’oppositions réciproques. Alcool et porc demeurent la base du triangle de différenciation entre juifs, musulmans et chrétiens. Au IIIème siècle, la consommation du porc est recommandée aux chrétiens, lors du concile d’Antioche dans un but explicite de différenciation d’avec les juifs « Les chrétiens n’imiteront pas les juifs au sujet de l’abstinence de certaines nourritures mais mangeront même du porc car la synagogue des juifs exècre le porc »16. Les musulmans aussi qui, nous rapporte Gilles de Rapper (2002 : 25) pour l’Albanie, surnomment leurs voisins chrétiens « chrétiens du porc ». Le statut symbolique du sang est, à l’arrière-plan des comportements alimentaires, un puissant démarcateur relationnel entre les traditions qui coexistent sur les rives de la Méditerranée. Les attitudes contrastées des juifs, des chrétiens et des musulmans forment, là encore, une sorte de triangle. En islam, le sang est conçu comme la substance impure par excellence que l’on doit expulser à tout prix et qu’il est impensable d’ingérer (la simple évocation d’un boudin sanguinolent peut susciter des haut-le-cœur) et dont l’équivalent métaphorique, le vin, est prohibé. Il s’agit d’un schéma rigoureusement inverse de celui qui prévaut dans le christianisme : le miracle de Cana, la transformation, lors de la Cène, du vin en sang, l’absorption rituelle de ce sang lors de l’eucharistie 15. Cité par C. Liauzu (1998 : 509). 27 16. Cité par C. Fabre-Vassas (1994 : 13). Entre Autres

ou encore la métamorphose du vin en eau pour effacer les péchés... sont des épisodes incroyables et répulsifs pour des musulmans. Et alors que, dans le judaïsme, le sang sacrificiel est destiné à Dieu, en islam seule l’intention de l’offrande lui est adressée, le sang ne pouvant être que la nourriture impie des génies maléfiques (lesjnun ). On pourrait faire le même type de constatations sur ce jeu permanent d’identités en miroirs, sur ce dialoguisme structurel entre sociétés cousines et voisines en se référant au registre de l’apparence. Le traitement de la pilosité corporelle, faciale et capillaire apparaît ainsi en distribution symétrique et inverse d’une tradition religieuse à l’autre. Cette volonté de différenciation dans l’apparence pileuse est clairement affichée par les clercs et par les exégètes. Dans l’Épître aux Corinthiens (11, 3-10), saint Paul rappelle l’obligation faite aux fidèles (masculins) de prier la tête nue : « Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef ». Cet usage s’oppose à celui des juifs et des Romains (dont les pontifes étaient couverts lors des sacrifices). Les pères de l’Église rappelleront cette exigence de démarcation, non seulement vis-à-vis des juifs mais aussi des Égyptiens et des barbares. Au Vème siècle, Saint Jérôme prescrit que « nous ne devons ni avoir la tête rasée comme les prêtres d’Isis et de Sérapis, ni laisser pousser notre chevelure, ce qui est le propre des gens débauchés et des barbares ». Le schisme au sein de la chrétienté aura également sa traduction pileuse avec ses clercs orientaux portant les cheveux longs, la barbe et la moustache, contrairement à ceux de l’Église romaine. « Le clergé byzantin, écrit Marie-France Auzépy (2002 : 9), a revendiqué face aux Latins qui soutenaient la tradition inverse, la barbe comme un élément fondamental de la tradition de son Église, et le poil, défendu par les Grecs, honni par les Latins, fut de fait un argument essentiel du schisme entre Orient et Occident. » Le même souci volontariste de distinction semble avoir pesé sur le façonnage de l’apparence en islam. « Distinguez- vous des Mages », « N’imitez ni les Juifs ni les Chrétiens », aurait dit le prophète. Le port de la barbe et de la moustache, étroitement codifié, l’épilation corporelle figurent au rang des démarcateurs forts, avec d’infinies nuances, de l’appartenance à une même communauté. Bernard Lewis (1990 : 265) nous rappelle la vigueur médiévale de ce jeu d’oppositions qui n’a rien perdu de sa virulence de nos jours : Harun ibn Yahya, prisonnier à Rome au IXème siècle, remarquait que les habitants de la ville « jeunes et vieux, se rasent entièrement la barbe, n’épargnant pas le moindre poil. ‘La parure de l’homme, leur dis-je, c’est sa barbe !’ ». Et un des Romains interpellé sur ce thème par un autre Arabe de répondre : « Le poil, c’est du superflu. Si, vous autres, vous l’enlevez des parties naturelles, pourquoi devrions-nous le laisser sur le visage ? ». Cette volonté de démarcation communautaire est explicitée par un exégète contemporain, le shaykh ibâdite Bayyudh, ardent propagandiste de l’obligation religieuse du port de la barbe : « Il est demandé et même ordonné aux musulmans de se donner une personnalité spécifique, dans le but de se différencier de ceux qui n’ont pas la même confession qu’eux, de se faire reconnaître d’autrui et entre eux-mêmes. Cette personnalité doit être leur blason et la marque qui les singularise »17. Faut-il souligner, dans ce système de différences, la place tenue par les juifs suivant les prescriptions du Lévitique (19, 27 ; 21, 5) de ne pas se raser les coins de la barbe ? Cette interdiction avait sans doute à l’origine, tout comme le port de la barbe, une fonction distinctive par rapport aux Égyptiens au visage glabre et aux Babyloniens et aux Persans aux barbes savamment bouclées. Le statut des images a fait l’objet d’un traitement différentiel similaire et il est probable que l’iconophobie de l’islam, qui s’est dès lors tourné vers la calligraphie et les arabesques, ait été une réplique à l’iconophilie du christianisme, lui-même iconophobe à ses origines. « Les raisons de la prohibition du vin et de l’interdiction des images sont à chercher dans le conflit des pratiques au sein des deux communautés religieuses, chrétienne et musulmane, adossées l’une à l’autre », commente Jean-Baptiste Humbert (2001 : 154) qui a suivi, à travers ses fouilles archéologiques dans le nord-est de la Jordanie, ce processus 28 17. Cité par H. Benkheira. (1997 : 92). Among Others de différenciation aux VIIème et VIIIème siècles. « Nous savons, poursuit-il (ibid. : 155), que les mosaïques et les fresques servaient de supports catéchétiques. L’iconoclasme avait donc un fondement doctrinal » et le même auteur note justement que les premières destructions d’images ont visé, outre les figures humaines, les représentations d’animaux à haute valeur symbolique dans le christianisme (l’agneau, le poisson, etc.). Jack Goody nous rappelle la vivacité contemporaine de cette opposition entre iconophiles et iconophobes quand il évoque ses souvenirs des Grecs et des Turcs à Chypre pendant la dernière guerre : « Les premiers, écrit-il, érigent d’innombrables images de saints et de la Sainte Trinité, qu’ils adorent même en se courbant et en y déposant un baiser. Les autres (les Turcs) sont horrifiés par la barbarie de tels actes »18. Cette querelle des images a aussi, doit-on le rappeler ?, traversé le christianisme, les protestants affichant, contre ce qu’ils percevaient comme de l’idolâtrie, un iconoclasme rigoriste. Élisabeth 1er, nous rapporte Goody (2004 : 160), avait fait dire par son ambassadeur au sultan d’Istanbul que l’islam et le protestantisme se rejoignaient dans ce rejet de l’icône. Bien sûr, ces oppositions massives et fondatrices ont été, dans les divers registres que nous venons d’évoquer, adaptées, parfois transgressées au gré des contextes et des périodes de l’histoire et il serait réducteur d’y voir des invariants figés. Le prince, quel que fût le dogme, a rarement renoncé à sa visibilité, sauf récemment le mullah Omar, commandant des croyants de l’Émirat d’Afghanistan, iconoclaste rigoureux qui ne s’est jamais fait représenter (Centlivres, 2003 : 121). Si les talibans ont brûlé les images et détruit les statues, l’iconographie glorifiant Saddam Hossein est particulièrement florissante. Un poster, qui comblerait d’aise les amateurs de « travelling cultures » le représente sur un cheval blanc portant un étendard où est inscrit « Allah o akbar ». Cette représentation s’inspire directement du tableau de David figurant Bonaparte à la tête de ses troupes franchissant le col du Grand Saint Bernard. Rappelons pour l’anecdote et pour les amateurs, cette fois-ci, d’invention de la tradition que Bonaparte gravit en fait le col sur une mule à l’arrière de ses troupes et guidé par un pâtre valaisan (ibid. : 124).

De la coexistence bienveillante à l’affrontement sanglant Mais revenons à des propos plus sérieux. Entre ces communautés séparées et proches, quelles sont les règles du jeu ? Et quels facteurs peuvent-ils transformer la curiosité sympathique, la coexistence bienveillante en affrontement sanglant ? Dans l’exercice ordinaire des relations intercommunautaires en Méditerranée, une contiguïté compréhensive domine, à peu près partout marquée par les mêmes gestes de civilité, de bon voisinage, par de petits échanges. De l’Andalousie médiévale aux Balkans, à l’Égypte, à la Jordanie, au Liban contemporains, on retrouve la même attention, plus ou moins intense, voire des attitudes volontaristes de participation aux rituels de l’autre. « N’est-ce pas chose surprenante, nous dit Al ‘Azafi, docteur de la Loi du XIIIème siècle commentant la vie en Andalousie, de voir les musulmans relever le comput des fêtes chrétiennes et se soucier du moment où elles auront lieu ? Ils se consultent plusieurs fois à propos de la nativité de Jésus, sur la fête de yannaïr, septième jour après le jour de sa naissance et sur la ‘ansara, jour de la naissance de Jean ». Et le même chroniqueur poursuit: « Non content de tant se soucier de ces fêtes, de leur faire bon accueil, ils ont introduit des nouveautés. Sur les tables préparées par les enfants et les femmes, on trouve toutes sortes de fruits et d’objets précieux. Lors de ces fêtes, ils se font les uns aux autres

18. Extrait de J. Goody « Différences méditerranéennes : le statut des images et la place des villes» (p. 5), texte rédigé pour la troisième Conférence Germaine Tillion (Aix-en-Provence, mars 2004). Sur le thème de l’iconophobie, voir, du même auteur, La peur des représentations (2004) et P. Centlivres (2003). 29 Entre Autres

des cadeaux de haut prix » dont des « confiseries sucrées »19. On retrouve ce même rôle médiateur des vœux et du sucré festif aux quatre coins de la Méditerranée. Dans les communautés libanaises bi-confessionnelles (musulmane chiite et maronite) étudiées par Aïda Kanafani-Zahar (2001), les chiites participent à l’Assomption, aux fêtes de la Sainte Barbe et de l’Épiphanie en préparant des confiseries, assistent à l’ordination des prêtres, tandis que les maronites participent au fitr (la fête de la fin du ramadan), à la fête commémorant la nativité du Prophète. Plus significatif encore, les chrétiens, à l’occasion de la cérémonie inaugurant le carême, délèguent aux chiites le soin d’égorger le mouton sacrificiel pour que ceux-ci puissent participer en toute quiétude au rite commensal sans le moindre doute sur la pureté de la viande consommée. La slava, la célébration du saint patron local, était l’occasion, chez les Serbes, de recevoir leurs voisins musulmans (Gossiaux, 2001 : 467). Ces traditions de civilité, de commensalité, d’échanges mutuels sont désignés, en Bosnie-Herzégovine, par le terme komshiluk (dérivé du mot turc komshila, « voisin ») (Claverie, 2004 : 22). Quant aux pèlerinages mixtes, aux « sanctuaires ambigus », fréquentés par des fidèles de confessions différentes, ils ne manquent pas sur toutes les rives de la Méditerranée (Albera, sous presse). Cette ouverture vers l’autre va parfois plus loin, jusqu’à la transgression temporaire d’un tabou : les juifs séfarades au Maghreb, comme les Pomaks musulmans en Bulgarie, acceptent de manger du jambon quand ils sont reçus par des chrétiens ; entre eux, et non plus entre autres, ils respectent scrupuleusement l’interdit. Voici sans doute un des exemples les plus significatifs de cette tension si caractéristique du monde méditerranéen entre la valorisation de l’entre-soi à l’intérieur et des tendances au cosmopolitisme à l’extérieur. Comment alors comprendre que le voisin d’hier se transforme en bourreau ou en diable à abattre et ces violentes poussées de haine qui entraînent la déportation ou le meurtre collectif ? Les ethnologues, attentifs au quotidien, ont tendance à camper le portrait de braves gens coexistant et à expliquer par le haut ces explosions de violence. On invoque, à juste titre, les interactions stratégiques entre États-nations, les crises sociales, les visées impérialistes et économiques, les manipulations des politiciens populistes qui mettent le feu aux poudres. Mais, ce faisant, on ne rend guère compte des processus qui transforment le collègue de bureau ou de bistrot en tortionnaire-violeur et tueur. Le concept de « cascade » mis en œuvre par James Rosenau (1990) et utilisé par Arjun Appadurai (2001 : 209-213) permet d’avancer sur ce chemin. Les cascades, reliant micro et macropolitiques, agrègent des disputes et des incidents locaux à des causes et à des intérêts plus larges, moins liés au contexte. Elles fournissent le matériel à l’imagination des acteurs pour trouver des significations générales dans des événements contingents et connectent ainsi la politique globale à la micro-politique des rues et des quartiers. Les sociétés méditerranéennes où s’imbriquent les appartenances et les oppositions constitutives et durcies par l’histoire fournissent sans doute un terrain de choix au déclenchement de ces turbulences. Mais c’est encore trop peu dire. Le souvenir des atrocités passées, la mémoire des crimes, les images qui les propagent, les rumeurs qui s’y abreuvent et s’amplifient de proche en proche contribuent à ce sentiment de peur qui fait basculer dans le crime sous prétexte de prévenir celui des autres. Chez un même individu, ces attitudes de tolérance ou de haine peuvent varier, bien sûr, selon les « cascades » du moment, mais aussi selon certains temps rituels de l’année, où s’exaltent les appartenances et se réveillent les souvenirs, ou encore selon les âges de la vie. Ces basculements prennent parfois un tour apparemment paradoxal. Une vision simpliste amènerait à penser que plus les cultures sont proches ou se rapprochent, plus l’harmonie doit régner entre ceux qui s’en réclament. Si tel était le cas, l’harmonie devrait régner depuis des siècles entre juifs et musulmans. Comment penser religions plus proches ? Observer le 30 19. Cité par L. Bolens (1981 : 343). Among Others shabbat, manger cacher, jeûner pour Kippour, être circoncis, distinguer le pur de l’impur, voilà qui présente pour un musulman un grand air de famille. Les commandements, le juridisme tatillon sont aussi pesants dans les deux traditions. Mais doit-on souligner les apories d’un tel essentialisme ? En fait, s’il fallait chercher quelque règle générale, ce n’est pas tant la différence clairement assumée que l’excès de proximité, « le fait de devenir trop proche », disait Georg Simmel (1983 rééd. : 265), qui sont perçus comme des atteintes insupportables à l’honneur de l’autre. On néglige trop souvent dans la genèse des conflits le rôle tenu par ce que Freud appelait « le narcissisme des petites différences »20, un thème qu’a récemment revisité Anton Blok (2001), exemples contemporains à l’appui. Tantôt, ce souci de maintien à bonne distance de l’autre proche prend la forme dérisoire de la blague ethnique et des manifestations campanilistes. Tantôt celle de l’imposition d’un stigmate vestimentaire ou corporel, pour remettre l’autre à sa place, comme ce fut le cas pour les juifs que rien, dans leur apparence, ne distinguait. Dans la Sicile de Frédéric II comme dans l’Espagne de la Reconquista21, on les obligeait à porter la barbe pour que ne subsiste aucun doute sur leur appartenance. Dans des sociétés raidies dans leurs certitudes théologiques ou ethniques, on traque avec acharnement celui que l’on soupçonne de tricherie et d’imposture sur son identité, le néo-converti dont on doute de la sincérité, l’étranger qui a fini par trop nous ressembler, voire par nous dépasser. Quand les différences s’estompent, on les rappelle, on les recrée, pour soi ou pour les autres, sur un mode ostentatoire. N’est-il pas frappant que l’observance du ramadan connaisse un regain, que les foulards apparaissent alors que la pratique religieuse décroît, que les modes de vie s’uniformisent, comme s’il fallait marquer des frontières qui s’effritent ? N’est-il pas frappant, sur un tout autre plan, que parmi les matchs de football donnant lieu à la plus forte effervescence émotionnelle figurent les derbies opposant deux équipes de la même ville dont les supporters s’acharnent à souligner à grand peine les caractères distinctifs ? N’est-il pas frappant, de façon générale, que les sentiments d’identité s’exacerbent alors que les identité substantielles s’estompent ? N’est-il pas aussi frappant que le maître et l’élève s’exaspèrent quand ils finissent par se ressembler ? Et que dire du traducteur ou de l’ethnologue accomplis, ces autres qui parfois n’en sont plus, en savent trop et, ne se démarquant plus de leur objet d’étude, deviennent inclassables, insupportables et sont invités à rester à bonne distance22. Ce ne sont pas tant les différences que leur perte qui peut susciter la rivalité, voire la violence. Les jumeaux ont bien du mal à affirmer leur existence et n’ont pas grand chose à se dire. Il ne leur reste plus qu’à créer des différences ou à s’entretuer pour éprouver le sentiment d’exister. La mythologie, le passé et le présent méditerranéens regorgent de ces histoires de gémelléïtés tragiques. 20. Freud met en œuvre ce concept à trois reprises dans son œuvre : dans Psychologie des masses et analyse du moi (Massenpsychologie und Ich-Analyse), in Œuvres complètes de Freud, Paris, PUF, t.XVI (p. 40), dans Le tabou de la virginité (Das Tabu der Virginität) in Œuvres complètes… t. XV (p. 86) et dans Malaise dans la culture (Das Unbehagen in der Kultur) in Œuvres complètes… t. XVIII (pp. 473-474). Dans cette dernière œuvre il écrit : « Il est toujours possible de lier les uns aux autres dans l’amour une assez grande foule d’hommes, si seulement il en reste d’autres à qui manifester de l’agression. Je me suis une fois occupé du phénomène selon lequel, précisément, des communautés voisines, et proches aussi les unes des autres par ailleurs, se combattent et se raillent réciproquement, tels les Espagnols et les Portugais, les Allemands du Nord et ceux du Sud, les Anglais et les Écossais, etc. J’ai donné à ce phénomène le nom de « narcissisme des petites différences» (…) On reconnaît là une satisfaction commode et relativement anodine du penchant à l’agression par lequel la cohésion de la communauté est plus facilement assurée à ses membres ». 21. Voir E. Horowitz, « Visages du judaïsme. De la barbe en monde juif et de l’élaboration de ses significations », AnnalesHSS, sept.-oct. 1994, 5 (pp. 1065-1090). 22. Le drogman (l’interprète dans l’empire ottoman) a incarné aussi bien la figure positive du passeur cosmopolite que celle du héros tragique. « l’empire était suspicieux, commente Ismaïl Kadaré (2003 : 13). À ses yeux la connaissance de deux langues induisait une inéluctable possibilité de tromperie et le peuple, dont il était souvent issu, le considérait comme un ‘collaborateur ‘. On suspecte l’interprète de trahir : les dominés le soupçonnent d’être complice des dominants et les dominants d’être de connivence avec ceux qu’ils assujettissent. » 31 Entre Autres

Comprenons-nous bien. Je ne prétends pas expliquer les conflits en Méditerranée, et peut-être ailleurs, par l’intransigeance des monothéismes, avec leur cortège de certitudes et leur hostilité consubstantielle à toute forme de mélange ni par le « narcissisme des petites différences », mais, à coup sûr, ces deux mécanismes contribuent à durcir les antagonismes et à gonfler les « cascades ». Ce sont ces aspects contradictoires de la vie en Méditerranée et… en Europe que voudrait illustrer le musée23 qui s’invente sur le port de Marseille. Mettre en évidence des parentés souvent oubliées entre cultures, témoigner des passages et des blocages, des ponts et des murs, des circulations, des emprunts et des ruptures, des coexistences, des différences qui tantôt s’amenuisent et tantôt se raidissent, parcourir et expliciter toute la gamme des relations possibles avec l’Autre proche, tels sont quelques-uns des objectifs du projet qui se dessine. Ce musée sera comparatif et son territoire de comparaison n’est enfermé dans aucune entité régionale, nationale ou internationale instituée ; il correspond, en revanche, à un terrain de comparatisme à bonne distance et surtout à un espace vécu de confrontations et de rencontres à travers l’histoire comme aujourd’hui. Comprendre la genèse et les fonctions des différences complémentaires qui façonnent ce monde n’est sans doute pas inutile pour relativiser la portée des frictions et des antagonismes. « Si l’ethnologie, qui est affaire de patience, d’écoute, de courtoisie et de temps, peut encore servir à quelque chose, écrivait Germaine Tillion, c’est à apprendre à vivre ensemble ». Puisse ce musée contribuer, entre autres, à ce noble et improbable objectif !

32 23. Pour une première présentation de ce projet, voir M. Colardelle (éd.) (2002). Among Others

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36 Among Others

Inaugural Conference

Christian Bromberger 24

25 AMONG OTHERS IN THE MEDITERRANEAN

How must we conceive of relationships “among others” in the Mediterranean world over the long duration? Is such an all-encompassing project even possible? Anthropology and history– but also literature, that other way of looking at the world- have suggested several contradictory responses to this kind of grand question. I will first examine these contradictions rapidly before attempting to move beyond them, proposing some complementary frameworks for interpreting the well-worn models that define the tradition of Mediterranean studies.

THREE MEDITERRANEAN-S…

Three Mediterranean-s, each with a distinct profile, appear when one examines the disparate works that have taken the Mediterranean as their horizon: a Mediterranean of exchanges and encounters, a Mediterranean of conflicts and hate, and a Mediterranean skirted by societies that share family resemblances and underlying cultural connivances above and beyond the fractures that separate them.

The first Mediterranean is one of encounters, exchanges, coexistences, harmonic polyphonies, and convivenza; it is symbolized by emblematic places, characters, and objects. This vision, which is often highly idealized, is anchored and justified by memorable episodes and situations of shared history, for example the Andalusia of the era of the califat omeyyade of Cordoba-- “both the shattered remains and the insatiable hope” of which,

24. Institute of Mediterranean and Comparative Ethnology. University of Provence, and University Institute of France. 25. English translation by Sarah Froning Deleporte, Ph.D. candidate in Anthropology, University 37 of Chicago. Entre Autres

as Jacques Berque has remarked, “we all carry within” (1981:43). Or, take the cultural crossroads of Palermo under the reign of the Norman Roger II in the 12th century, and then, in the 13th century, under his grandson, the Germanic emperor Frederic II. The first commissioned the great Arab geographer Al-Idrisi, who had studied in Cordoba, to create a globe representing the world, accompanied by some 2,500 nouns, later known as the Al- kitâb al-Rujâri (“the Book of Roger”). The second knew Greek, Latin, Italian, Provençal, Oïl, Arab, and no doubt Hebrew. He composed poems in Italian and Provençal, as well as a treatise on falconry in Latin.26 Closer to us sociologically and historically, this Mediterranean of confluences and encounters has been embodied in the port cities and cosmopolitan “world cities” that arose during the second half of the 19th and the first half of the 20th centuries before the hardening of nationalisms and their corresponding blocs: Istanbul, Smyrna, Salonica, Bayreuth, Alexandria, Algiers, Trieste, Marseilles, etc. Each of these cities has had its literary scene and its review, such as Jean Ballard’s Cahiers du Sud in Marseilles, the Rivages of Edmond Charlot and Albert Camus in Algiers, and Henri Bosco’s Aguendal in Rabat. This literature exalts a Mediterranean that is as much imaginary as real, a Mediterranean where, as Camus said in 1937, “the East and West cohabitate, and there is no difference between the Spanish or Italian man’s way of life on the quays of Algiers and that of the surrounding Arabs (…) Here, the Mediterranean meets Rome.” During the controversial debates of the 1930s, Rome symbolized a Mediterranean anchored in an imperial Antiquity in which a Latin, Classical West was dominant. The most gripping evocation of these Mediterranean world cities, with their lingua franca, is undoubtedly that which Lawrence Durrell left us in his Quattuor d’Alexandrie, the main characters of which are the Coptic prince Nassim, the elegant Jewish woman Justine, Melissa from Smyrna, Darley the Irish, Clea the Italian, Balthazar the Jewish doctor interested in the Gnostics who study the Kabala, and all the Muslims in their entourage. “Five races, five languages, a dozen religions, five fleets that come together in the thick waters of the port. But there are also five sexes: only the demotic Greek seem to be capable of distinguishing them.” Alexandria, a city that defined itself as the “queen of the Mediterranean,” was the candidate to host the Olympic Games on the eve of the First World War.27 Out of this Mediterranean of tolerant coexistences, encounters, and the interpenetration of cultural works emerged several emblematic characters that were rightly adopted by those writers who pioneered in the dialogue between civilizations, most notably the great Orientalist Louis Massignon. Of course, Ibn Rushd also comes to mind, as does Averroès, that great Andalusian intellect, translator, and commentator whose transmittal of the works of Aristotle to the Christian West prompted Dante’s description of him as “the author of great commentary.”28 One must also cite the Majorcan philosopher of the 13th and 14th centuries, Raimond Lulle, who learned Arabic at age 33 and, in his Book of the Gentile and the Three Wise Men, presented three professors- Jewish, Christian, and Muslim- who each take a turn presenting the foundations of their faith to a Gentile. In Lulle’s own words: “at the time of leave-taking,” after the Gentile has converted to one of the three Laws in secret, “there was much hugging, kissing, tears, and weeping” (1968:119). Aside from these intellectual beacons, daily life is populated with a multitude of in-between characters, frontiersmen, or intermediaries between communities, best represented by the

26. On this surprising monarch, see the classic study by E. Kantorowicz (re-edited in 2000). 27. On Alexandria during the contemporary era, see R. Ilbert, 1996. 28. As Alain de Libera comments (1999:26): “It must be restated: it is an interior translation to the land of Islam, linked to the Muslim conquest, that made possible the return of Greek science to the Latin world. But Greek science did not return alone. Arab science accompanied it. Furthermore, from the figure of the Muslim intellectual was to spring – no matter what was said and expected – that first draft of the European intellectual that was the university magister atrium, the philosophy 38 professor.” Among Others figure of the drogman, the interpreter of the Ottoman Empire. Edgar Morin, in his Vidal et les siens (Vidal and his family, 1989), captures this multi-faceted character by evoking his grandfather, a Sefardic Jew from Livorna living in Salonica who spoke Italian, French, Turkish, and Greek and who was the drogman for the consulates of France and Belgium. Over time during the Middle Ages, the Mediterranean of passages became a space in which the diffusion of techniques flowed a direction opposite from that which prevails in the present. From paper to sweets, the innovations came from the Orient, as Jack Goody notes in his recent synthesis of “Islam in Europe” (2004), which recapitulates the contributions of Muslim civilizations in the domains of agricultural technology, architecture, music, and cooking. The circulation of things, ideas, and languages, as well as the circulation of people (which often led to less radiant horizons); the laborious, draining movement of millions of individuals from the South toward the North in the contemporary era; pious peregrinations, sometimes congested and conflictual, on this land where God, His prophets and His witnesses established their residencies; commercial mobility nowadays controlled by shadowy entrepreneurs acting in trans-national spaces and reinventing the routes from Algiers to Istanbul, Dubai, and Hong Kong;29 movements and diasporas linked to exile; but also flows of tourists comparable to those of today: 260 million of these outsiders were counted in the Mediterranean during 1995 and Jeremy Boissevain rightly notes that to neglect this component of social life would be just as neglectful as conducting an anthropological study on the Nuer (a famous tribe of cattle herders in Sudan) without considering the role of cattle in Nuer society. By way of this inventory à la Prévert emerges a picture of a Mediterranean of movement, “travelling cultures,” and real and (nowadays) virtual networks, perhaps best exemplified by the of contemporary Mediterranean music. In a fundamental book that brought some disturbance to the Braudelian conceptions of the Mediterranean, Peregrine Horden and Nicholas Purcell (2000) explore the specificity of this world over the long duration. For Holden and Purcell, who combine interactionist and ecological points of view, the Mediterranean is defined by the relationship the sea establishes between extremely fragmented territories – a “connectivity” that is facilitated by Empires and that declined (as they claim, wrongly I think) in the 20th century. The meaning of the enigmatic title of their book, The Corrupting Sea, is thus revealed: because the sea establishes relationships, it is a threat for social order and domestic peace. In opposition to this Mediterranean of networks, passages, and (at its best moments) convivienza, stands the more familiar and dramatic Mediterranean of conflicts, dominations, religious borders, and “face-to-face instead of side-by-side,” as Thierry Fabre (forthcoming) puts it. Ivo Andric, in his Letter of 1920 from Sarajevo (1993:33-34) has provided perhaps the most expressive translation of this Mediterranean of tensions, even of hatred: “When, in Sarajevo, one lays in bed awake until morning, one hears the noises of the night. Heavily and implacably, the bell from the Catholic cathedral rings two o’clock. One minute later (75 seconds to be exact, I counted), with a slightly weaker yet penetrating tone, the bell from the Orthodox cathedral rings “its” two o’clock. Just afterwards, the bell tower from the Mosque of the bey takes its turn, ringing in rough and distant tones eleven o’clock, eleven spectral Turkish hours, in accordance with the strange tales from countries on the other side of the world. The Jews have no bell that rings, and only the cruel god knows what time it is for them at that moment, a time that varies according to whether they are Sefardic or Ashkenazi. Thus, even at night when all are asleep, the differences that divide the sleeping people chime away the empty hours. When they awake,

29. On these contemporary commercial networks, see M. Peraldi (ed.) 2001 and J. Cesari (ed.) 2002. 39 Entre Autres

the people rejoice and suffer, eat or fast, according to four different calendars, each opposed to the others. They address their prayers to the same sky in the languages of four different churches. This disparity – sometimes visibly and openly and other times invisibly and with cunning – always resembles hatred, and sometimes is easily confused with it.” This Mediterranean of eiris (hate) rather than eros, to use Jacques Berque’s terms (1997:10) is symbolized by the concurrent calls to prayer and the incredible cacophony of bells, muezzins, and shoffar-s in Jerusalem. It is the Mediterranean of cities and territories shattered by confessional adherences, like the Near East and in the Balkans, where the ostentatious rivalry can quickly turn into “monumental hate,” and where rivals seek to destroy or defile each other’s religious edifices and heritage, as François Chaslin showed with regards to the former Yugoslavia (1997). This is the Mediterranean of walls built and bridges destroyed, such as the one in Mostar, Bosnia: a bridge that can link, but if destroyed, would provide an ostentatious sign of separation. The bridge, in fact, is a common theme in the literature of the Balkans, from Ivo Andric to Ismaïl Kadaré. It is at the religious borders – from Cashmere to Ireland via Chechnya, Palestine, Turkey, Cyprus, and the Balkans – that the principle zones of friction and conflict are found, where cleansing, exile, and imprisonment occur with interminable drama. Of course, one cannot account for these conflicts by religious geography alone; geopolitical strategies, instrumentalizing nationalisms, and social struggles have their role to play as well. Yet in my opinion the religious component of conflict, which can sometimes lead to a self-sacrifice based on the promise of salvation, has been underestimated in favour of sociological explanations that reduce faith, motives, the love of one’s own, and the hatred of others to an epiphenomenon. Doesn’t the spectre of the Crusades and Holy Wars hover still over our world today, embodied in the strangely symmetrical figures of George Bush and Oussama Ben Laden? Not long ago an interior lake – at its best, the “lake of senses” as Jacques Berque remarks (1997:16) – the Mediterranean is better likened today to a kind of sanitary divider, an unexpected natural barrier against the poor. Then, there is a third Mediterranean, that of the anthropologists in the strict sense of the term, those people of the faraway that have only lately come to be interested in this land close by and in these little others that had not the lustre or the disciplinary field of these great Amerindian, Oceanic, or African Others. From anthropological work has emerged a Mediterranean composed of societies that present “a family resemblance,” as Dionigi Albera and Anton Blok wrote, taking up one of Wittgenstein’s formulas (2001:23). As for Horden and Purcell, who had competent knowledge of the anthropological works they nonetheless tended to regard haughtily (as was befitting historians), they speak of a “loose unity of family resemblances.” If I were to propose two totemic figures of this Mediterranean of lifestyles and social values, they would be Julian Pitt-Rivers (1986, 1997) and Germaine Tillion (1982), for they would be capable of seizing this “Mediterranean touch” and weaving it into a canvas of connivances that allowed people to know and recognize each other.30 This is the Mediterranean (have we not repeated it enough?) of ostentatious hospitality, of the honour and shame attached to blood and name, of an endogamous vision of he world, of the republic of cousins (a formula that is especially rooted on the South coast and in pre-Christian Antiquity), of marriages that closely resemble Jocaste saying to Polynice: “a spouse taken outside is bad luck,” of the predilection for living “amongst ourselves,” of sexual segregation, and “of a certain ideal of virile brutality the complement of which was the dramatization of feminine virtue” (Tillion 1982:67). This is the Mediterranean of old state societies with their cliental structures and, in parallel, of the cult of the saints, these coddled intermediaries of monotheism; of factionalism with its opposing leagues and singular modes of conflict mediation and vindicatory practices; or the Mediterranean of territories of grace and of painful devotions to the Virgin and to the martyrs. 40 30. On this anthropological invention of the Mediterranean, see C. Bromberger 2001 and 2002, and C. Bromberger and J.-Y. Durand 2001. Among Others … AND THEIR SNAGS I have thus fixed three points of view: a first Mediterranean of side-by-side, a second of face-to-face, and a third of underlying cultural connivances. These contradictory (or to be scientifically optimistic, complementary) points of view require careful refinement, especially the first Mediterranean of confluences and the third Mediterranean, reducible as it were to a massively homogeneous culture area. Yet we must also inquire as to the reasonable reasons behind the co-existence of these opposing models of conflict and proximity, which brings us to another figure, that of the unbearable twin who bears us too much resemblance. The first Mediterranean of contacts, exchanges, diffusions, the trafficking of goods and ideas, of constrained or pious movements, of the fluidity of people and things, of intermixed arts such as the Arab-Norman architecture of Sicily…this Mediterranean has led to the overabundant use of concepts such as melting pot, crossbreeding, and hybridity to characterize the cultures and societies implanted along the coast. As much as anyone, I cannot follow the cultural syncretism and tinkering that goes on more and more today in domains as disparate as cooking, music, dance, literature, or in what Arjun Appadurai calls “mediascapes” (2001): according to the country, 40 to 70% of the residents of North Africa receive satellite television. Yet nothing seems to me more inappropriate than the terms “crossbreeding” or “hybridity” to characterize Mediterranean societies, or, more precisely, to translate the social contribution of cultural works that are, in effect, hybrid. Hybridity presupposes the union of flesh as well as a fusion in which there is at least a reciprocal acceptance of the beliefs that made possible the social union of the bodies involved. Yet nothing is more foreign to the Mediterranean world, land of intransigent monotheism rather than of the fusion of beliefs or the compromising of allegiances, which themselves remain rigorously exclusive. Here, God is a structuralist who does not abide mixing. In the Mediterranean, we are thousands of miles from the Brazilian umbanda, a transformation of the macumba of Bantu origin, which assembles the caboclos (spirits of the Indians), the orixas (African divinities) of Candomble traditions, and the protector saints of Catholicism, Buddha, Gandhi, and Ayrton Senna. We are also thousands of miles from the Japanese conceptions from which Shintoism was born, and where one is willingly married as a Christian and buried as a Buddhist. The notion of hybridity is incompatible with the logic of the religions of the Book, in which securing membership in the religious community for unborn children is un-negotiable and where marriages of mixed confessions are (in several Mediterranean countries) impossible, or at least socially unacceptable. The hotspots of cosmopolitanism do not escape this stone-hearted law, as Robert Ilbert remarks: “Alexandrian cosmopolitanism functions not as a melting pot but as a constantly renewed contiguity of groups that are constituted, recognized, and responsible” (1992:28). No doubt the Greeks in Alexandria cooked Italian macaroni and Arab beans, decorated Easter eggs Western style using all the colours and not just the traditional red of the Greeks. However, as Katerina Trimi and Ilios Yannakakis add: “the only ethnic-religious limit that the Greeks did not cross was endogamy” (1992:85). Moreover, cosmopolitanism, the common pride of Alexandria, did not exclude nationalism. A similar border separates the Coptic and Muslim people of Egypt, who share grosso modo the same ways and customs yet who participate in their respective festivals with ostentatious rivalry – the high minarets systematically looking down on the bell towers of churches.31 The same observation holds for the Balkans, where, as Jean-François Gossiaux says, “religion is the basis par excellence of ethnic barriers” (2001:236) – but shouldn’t it be the other way around? In all the research on this complex region where ethnic and religious adherence are often superposed, mixed unions, while they are encouraged by the socialist regimes, remain for the most part few and far between, as in Yugoslavia where the adherence to the hybrid entity that was Yugoslavian nationality 41 31. See, among others, C. Mayeur-Jaouen and B. Voile (2003:174). Entre Autres

was an alternative to ethnic-religious loyalties. As Gossiaux tells us (2001:238): “the census allowed a choice between diverse national memberships” (Croatians, Serbians, Slovenians, etc.) – here we find a trace of the Marxist-Austrian dream of choosing one’s nationality – but the census also allowed the affirmation of Yugoslavian identity. In 1981, only 5.4% of the population chose this affirmation. Our great ancestor Edward Burnett Tylor wrote: “humanity had to choose very early on between marrying outside the group and being killed outside the group” (1889:267). It seems that Mediterranean societies, including Christian ones, have rigidly preferred the second formula; an observation that is confirmed by the figures relating to unions in France of young men and women of North African descent. According to Michèle Tribalat’s research (1995), statistics on men differ from those on women. Fifty per cent of men of Algerian origin born in France are married to French women born of French parents (similar statistics describe the situation of young men of Portuguese descent). On the other hand, only 24% of women of Algerian origin born in France marry French men born of French parents, while 47% of young Portuguese women are married to a French man of French descent. The figh – canonical Muslim law – forbids the marriage of a Muslim woman with a non-Muslim man, a rule designed to ensure the confessional allegiance of the children. Significantly, Muslim women have twice as many boyfriends of “French stock” as they do husbands. As Michèle Trabalat comments, “this difference gives an idea of the family and religious pressure that presides over the marriage of women” (1995:80), perhaps as well of the xenophobia that awakens in the French of “French stock” when it comes to engaging themselves in a public and lasting union. In any case, the increasingly numerous transgressions of this endogamous vision of the world on the part of young women is accompanied by at least temporary ruptures with the parents. One strategy for reconciling personal inclinations with paternal and religious intransigence is to accept an endogamous marriage, then to divorce and to enter into a more personal adventure (Boukhobza 2001); or to live in a free union, a compromise that spares one the publicity of a socially unacceptable marriage and allows some appeasement within the family. The celibate person who constrains and stifles conflict in this way is overrepresented among young women of North African descent. As H. Flanquart notes, “thus, only 38% of young women of Algerian origin between the ages of 25 and 29 are married, in comparison to 48% of young women of French origin” (1999:128). It is important to note, however, that these rigid differentiations, more or less supple according to the circumstances, do not exclude a taste for the arts of living or for the practices of the other. This ambiguity is often the basis for misusing the concept of hybridity or for entertaining starry-eyed notions regarding the relationships between people. In 1165 in Sicily the Zisa, that marvel of so-called “Arab-Norman” art, was being built at the very moment Arabs were being violently repressed (Puccio 2004:123). Mujédar art was spreading throughout Spain while Muslims were being persecuted and expelled (Grabar 1994:589). And if the French today rank couscous among their preferred dishes, it is certainly not an indication of affinities with Islam. Beyond encounters and cultural connivances, hybridity is unthinkable and impossible in societies where union with the other is only conceivable when one renounces one’s identity and religion, in short if one is no longer an other. The great writer Jean Amrouche, who was Berber, Christian, Algerian, and French, understood well the difficulty of this recurring Mediterranean lesson on the importance of adherence to the group: “Hybrids are monsters…monsters without a future.”32 Let us be clear: they are monsters in the “traditional” Mediterranean system that has been hardened by nationalism; they are no doubt less so among the elites and in another system, slowly taking form, that will have renounced these rigidities by way of an affirmed secularity.

42 32. Cited by C. Liauzu (1998:509). Among Others A SYSTEM OF COMPLEMENTARY DIFFERENCES What is left to say regarding the often caricatured portrait anthropologists have drawn of a syndrome of honour and shame, among other things, that constitutes the Mediterranean raison d’être and serves as background for the common language in which people recognize themselves? Several anthropologists, most notably Michael Herzfeld (1980) and Joao de Pina-Cabral (1989) have radically questioned the pertinence of the Mediterranean as a field of study. For them, the ethnological Mediterranean is an artificial object, created by Anglo- Saxon anthropologists in order to exoticize a region that was too close, thus objectifying the analytic distance necessary to our discipline. This Mediterranean took shelter behind a few federating, highly stereotyped themes, thus providing a heterogeneous reality with a factitious homogeneity. Without a doubt, these censors were right to denounce the faults of the project to erect a Mediterranean culture area replete with stable limits and attributes. However, it seems to me that we cannot so easily throw out the Mediterranean with the bathwater. In fact, the coherence of this world comes not so much from the noticeable similarities as from the differences that form a system. Moreover, as they are no doubt complementary differences that fit into a reciprocal field, they allow us to speak of a Mediterranean system. Each person defines him or herself – here maybe more than elsewhere – by way of a set of mirrors (customs, behaviours, affiliations) with his or her neighbour. This neighbour is someone close who shares the lineage of Abraham and his or her behaviour makes sense only within this relational system. How else is one to understand, for example, the alimentary preferences of different people, unless it is within this system of opposing and reciprocal relationships? Alcohol and pork remain the basis of the triangular differentiation between Jews, Muslims, and Christians. In the 3rd century, the consumption of pork is recommended to Christians during the council of Antioch, with the explicit intention of differentiating them from Jews: “The Christians will not imitate the Jews with regards to abstaining from certain foods, but will even eat pork, for the Jewish synagogue detests pork.”33 As Gilles de Rapper tells us, in Albania Muslims also call their Christian neighbours “Christians of pork” (2002:25). The symbolic status of blood, which underlies food behaviours, is a powerful relational marker between the traditions that coexist on the shores of the Mediterranean. The differing attitudes of Jews, Christians, and Muslims form (once again) a kind of triangle. For Islam, blood is conceived of as the impure substance par excellence that must be expulsed at all costs and that it is unthinkable to ingest (the mere thought of the bloody boudin sausage can provoke nausea). Its metaphoric equivalent, wine, is prohibited. This schema is a rigorous inversion of that which prevails in Christianity: the miracle at Cana, the transformation of wine into blood at the Last Supper and the ritual absorption of this blood during the Eucharist, or the transformation of wine into water that erases sin… Such episodes are unbelievable and repugnant to Muslims. Whereas in Judaism sacrificial blood is destined for God, in Islam only the intention of offering is addressed to God; the blood itself can only be the impious offering of malicious genies (the jnun). We could make the same type of observation with regards to this permanent interplay of mirror identities or structural dialogism between neighbouring and related societies that operates on the level of appearances. Indeed, the treatment of the pilosity of the body, face, and head appears to be symmetrically and inversely distributed from one religion to another. The clerics and exegetes clearly demonstrated their will to differentiate the appearance of hair. In the Letter to the Corinthians (11:3-10), Saint Paul reiterates the obligation of male believers to pray with their heads uncovered: “Any man who prays or prophesizes with a covered head affronts his chief.” This custom is opposed to that of the Jews and Romans (whose pontificates covered their heads during sacrifices). The 33. Cited by C. Fabre-Vassas (1994:13). 43 Entre Autres

Church Fathers insisted on the requirement to mark difference not only with regards to the Jews but also to the Egyptians and barbarians. In the 5th century, Saint Jerome prescribed that “we should neither shave our heads like the priests of Isis and Serapis, nor let our hair grow, for that is the mark of the debauched and the barbarian.” Even the great schism within the Christian church included the dimension of hair, with the oriental clerics wearing long hair, beards, and moustaches contrary to those of the Roman church. As Marie-France Auzépy writes: “The Byzantine clergy claimed the beard as a fundamental element of their church tradition against the Latins, who upheld the opposite tradition, and hair, which was prohibited by the Greeks and detested by the Latins, was in fact an essential argument in the schism between East and West” (2002:9). The same concern for distinction seems to have affected the way appearance was fashioned in Islam: “Distinguish yourselves from the Magi,” “Imitate neither the Jews, nor the Christians” as the Prophet might have said. The strictly codified wearing of the beard and moustache as well as the practice of corporal hair removal are among the strongest markers – with their infinite nuances – of adherence to the same community. As Bernard Lewis reminds us, the Medieval rigor of this oppositional play has lost none of its virulence in our time: Harun ibn Yahya, a prisoner in Rome during the 9th century, remarked that the inhabitants of the city “young and old, shave their beards completely, down to the last hair. ‘The costume of a man,’ I tell them, ‘is his beard!’” And one of the Romans who were approached by another Arab on the same subject responded: “Hair is superfluous. If, you others, you remove it from the natural parts, why should we leave it on the face?” This desire for communitarian demarcation is explained by a contemporary exegete, the Shaykh Ibâdite Bayyudh, an ardent proponent of the religious obligation of wearing a beard: “it is asked of, and even ordained to Muslims to acquire a specific personality in order to differentiate oneself from those who don’t share their confession and to be recognizable for others and among one’s own. This personality must be their coat of arms and the mark that singularizes them.”34 Must we emphasize, in this system of differences, the place held by the Jews according to the prescriptions of Leviticus (19,27; 21,5) not to shave the corners of the beard? Like the wearing of a beard, this interdiction no doubt had for origin a distinctive function with regards to the glabrous faces of the Egyptians as well as to the Babylonians and to the Persians with their intricately curled beards. The status of images has undergone a similar differential treatment and it is probable that the iconophobia of Islam, which then turned to calligraphy and arabesques, was a reply to the iconophilia of Christianity, itself iconophobic at its origins. “The reasons for the prohibition of wine and the interdiction of images are to be found in the conflict of practices within the two religious communities, Christian and Muslim, which lived back to back” comments Jean-Baptiste Humbert (2001:154), who followed this process of differentiation during the 7th and 8th centuries via his archaeological digs in the north east region of Jordan. He goes on to say: “We know that the mosaics and frescoes served as supports for catechism. Thus, iconoclasm must have had a doctrinal foundation” (ibid.155). The same author notes, moreover, that the first destructions of images aimed not only at human figures but also at representations of animals that were highly symbolic in Christianity (the lamb, the fish, etc.). Jack Goody reminds us of the contemporary vivacity of this opposition between iconophiles and iconophobes when he recalls his memories of Greeks and Turks in Cyprus during World War Two: “The first erect innumerable images of saints and of the Holy Trinity, which they adore, even bending over to kiss them. The others (the Turks) are horrified by the barbarity of such acts.”35 This quarrel of images has also – must we recall it? – traversed Christianity; the Protestants upheld a rigorous iconoclasm against what they perceived to be idolatry. As Goody tells us, Elisabeth I had her ambassador tell

34. Cited in H. Benkheira (1997:92). 35. Excerpt from J. Goody, “Différences méditerranéennes: le statut des images et la place des villes,” p. 5, text prepared for the third Germaine Tillion Conference (Aix-en-Provence, March 44 2004). Concerning the theme of iconophobia, see, by the same author, La peur des représentations (2004) and P. Centlivres (2003). Among Others the Sultan of Istanbul that Islam and Protestantism were alike in this rejection of the icon (2004:160). Of course, these massive and foundational oppositions have been, in the various ways we have just evoked, adapted and sometimes transgressed according to the contexts and periods of history; it would be reductive to consider them as fixed invariables. The prince, whatever the dogma, rarely renounced his visibility, except recently the mullah Omar, commander of the faithful of the Emirate of Afghanistan and rigorous iconoclast, who has never had his image made (Centlivres 2003:121). If the Talibans burned images and destroyed statues, the iconography glorifying Saddam Hussein is particularly profuse. A poster – one that would easily satisfy amateurs of “travelling cultures” – shows him on a white horse wearing a banner that reads “Allah o akbar”. This representation is inspired directly from the painting by David that shows Bonaparte at the head of his troops crossing the great Saint-Bernard pass. For the anecdote as well as for those amateurs of (this time) the invention of tradition, let us not forget that Bonaparte in fact crossed the pass behind his troops on the back of a mule guided by a Wallis shepherd.

FROM BENEVOLENT COEXISTANCE TO BLOODY CONFRONTATION But let us return to more serious subjects. Between these communities that are both near and separate, what are the rules of the game? And what factors can transform sympathetic curiosity and benevolent coexistence into bloody confrontation? In the ordinary scheme of inter-communal relations in the Mediterranean, a comprehensive contiguity dominates, almost everywhere marked by the same gestures of civility, neighbourliness, and small exchanges. From medieval Andalusia to the contemporary Balkans, Egypt, Jordan, and Libya, we find the same more or less intense attention to and even willing participation in the rituals of the other. As Al ‘Azafi, doctor of Law in the 13th century commented: “Is it not surprising to see Muslims calculating when the Christian holidays will fall in the calendar and concerned with the moments they will take place? They consult each other several times regarding the nativity of Jesus, the festival of Yannaïr celebrating the seventh day of his birth, and ‘Ansara, the day Saint John was born.” The same chronicler continues: “They not only concern themselves with the proper celebration of these holidays, they introduce novelties. On the tables prepared by the children and women all manner of fruits and precious objects are to be found. During these holidays, they offer each other expensive presents,” including “sweet confectioneries.”36 Greetings and sweets play this same mediating role throughout the Mediterranean. In the bi-confessional Libyan communities (Shiite Muslims and Maronites) studied by Aïda Kanafani-Zahar (2001), the Shiites participate in the Assumption, the holiday of Saint Barbe, and the Epiphany by preparing sweets and attending the ordination of priests while the Maronites participate in the fitr, the feast celebrating the end of Ramadan, which celebrates the nativity of the Prophet. Even more significant is the fact that on the occasion of the celebration of the start of Lent, the Christians delegate to the Shiites the task of cutting the throat of the sacrificial lamb. In this way, the Shiites may participate in the commensal rite at ease, without the slightest doubt regarding the purity of the meat. The slava or celebration of the local patron saint was the occasion for the Serbians to receive their Muslim neighbours (Gossiaux 2001:467). In Bosnia-Herzegovina, these traditions of civility, commensality, and mutual exchange are designated by the term komshiluk, derived from the Turkish word komshila, or “neighbour” (Claverie 2004:22). As for the mixed pilgrimages and “ambiguous sanctuaries” of the faithful of different confessions, they are to 36. Cited by L. Bolens (1981:343). 45 Entre Autres

be found on all shores of the Mediterranean (Albera, forthcoming). This openness towards the other sometimes goes as far as the temporary transgression of a taboo: Sefardic Jews in North Africa, like the Muslim Pomaks in , will eat ham when they are received by Christians; however, when they are among themselves and no longer among others, they scrupulously respect the interdiction. This is no doubt one of the most significant examples of the tension-- between the valorisation of the interiorizing “among-ourselves” attitudes and the cosmopolitan, exteriorizing tendencies-- that so characterizes the Mediterranean world. Consequently, how must we understand that yesterday’s neighbour becomes today’s torturer, a devil marked for death, or the violent surges of hatred that lead to deportation or collective murder? Ethnologists, who are attentive to daily life, tend to fix a portrait of good, honest people and to explain explosions of violence from above. They invoke, and rightly so, the strategic interactions between nation-states, social crises, imperialist or economic goals, and the manipulations of populist politicians who ignite the fuses. Yet in so doing, they hardly account for the processes that transform the co-worker or friend from neighbourhood bar into a torturer, rapist, and killer. The concept of the “cascade” posed by James Rosenau (1990) and deployed by Arjun Appadurai (2001:209-213) allows us to make some headway down this path. Cascades, which connect micro- and macro-politics, aggregate local disputes and incidents with larger causes and interests that are less linked to the context. They provide fodder for the actors to imagine and find general significance in contingent events and thus connect global politics to the micro-politics of the neighbourhoods and streets. Mediterranean societies, in which the constitutive allegiances and oppositions hardened by history overlap, are undoubtedly a choice terrain for the triggering of turbulences. But this says too little: the memory of past atrocities and crimes and the images that propagate these memories, as well as the rumours that are fed and amplified from person to person, contribute to a feeling of fear that turns to crime under the pretext of preventing the crimes of others. In the same individual, these attitudes of tolerance or hate can vary, of course, according to the “cascades” of the moment, but also according to different ritual periods of the year, when allegiances are exalted and memories are awakened, or even according to the stages of life. Such toppling over (into violence) sometimes takes an apparently paradoxical turn. A simplistic vision would lead to the conclusion that the closer cultures are to each other, the more harmonious are the relations between those that demand harmony. If such were the case, harmony would have reigned for centuries between Jews and Muslims. How must we conceive of the religions closest to us? Observing the Shabbat, eating Kosher food, fasting for Yom Kippur, being circumcised, distinguishing the pure from the impure – such practices are greatly familiar to the Muslim. The commandments and finicky juridicism weigh just as heavily in the two traditions. Yet must we emphasize the aporias of this kind of essentialism? In fact, if there is a general rule, it is not so much that of clearly assumed differences as it is the excess of proximity, the “fact of becoming too close,” as Georg Simmel put it (1983:265), that is perceived as an unbearable violation of the other’s honour. In considering the genesis of conflicts, we too often neglect the role of what Freud called “the narcissism of small differences,”37 a theme that Anton Blok recently revisited

37. Freud deploys this concept on three occasions in his work: in Psychology of the Masses and Analysis of the Ego (Massenpsychologie und Ich-Analysis), in Oeuvres complètes de Freud, Paris, PUF, volume XVI, page 40; in The Taboo of Virginity (Das Tabu der Viginität, in Oeuvres completes… volume XV, page 86; and in Civilization and its Discontents (Das Unbehagen in der Kultur) in Oeuvres completes… volume XVIII, pages 473-474. In this last essay he writes: “It is 46 always possible to link a great crowd of men through love, if only there remain some others towards whom they can manifest aggression. I once dealt with a phenomenon according to which, precisely, Among Others

(2001) using contemporary examples. On one hand, the concern for keeping the close neighbour at a distance takes the derisory form of racial jokes and the manifestations of the bell towers. On the other, it can turn to the imposition of stigmata on bodies or via clothing that puts the other in his or her place, as was the case for the Jews, whose appearance was undistinguishable. In the Sicily of Frederic II like in the Spain of the Reconquista,38 Jews were obliged to wear beards so that there would be no doubt as to which community they belonged to. In societies that have become stiffened by their theological or ethnic certitudes, those who are suspected of imposture or cheating with regards to their identity, the newly converted whose sincerity remain in doubt, and the foreigners who in the end resemble us too closely – even to the point of surpassing us -- are all relentlessly tracked down. When the differences diminish, they are ostentatiously recalled and recreated for the self and for others. Is it not striking that the observation of Ramadan is making a comeback and that the headscarves appear in increasing numbers as religious practice declines and modes of life become more and more uniform, as if it were necessary to mark these crumbling barriers? In a completely different context, is it not striking that among the football matches that give rise to the greatest emotional effervescence are the derbies that oppose two teams from the same city, each with supporters who take great pains to underline their team’s distinct characteristics? In general, is it not striking that feelings about identity are exacerbated as substantial identity crumbles? Is it not also striking that the master and the student become exasperated with each other when they end up resembling one another? And what to say of the accomplished ethnologist or translator, these others that are sometimes no longer others, who know too much and, no longer able to demarcate themselves from their objects of study, become unclassifiable, unbearable, and unwanted presences?39 It is not so much differences as the loss of these differences that can elicit rivalry, even violence. Twins have a difficult time affirming their existence and have little to say to each other. All that remains for them to do is to create differences or kill each other in order to feel that they exist. Mediterranean mythology past and present abounds with stories of tragic twin relationships. Let us be clear. I do not pretend to explain conflict in the Mediterranean (and perhaps elsewhere) by the intransigence of monotheisms, with their corteges of certitudes and their consubstantial hostility to any kind of mixing, or by the “narcissism of small differences” alone. However, it is certain that these mechanisms contribute to the hardening of antagonisms and the swelling of “cascades.” Such are the contradictory aspects of life in the Mediterranean and… in Europe…that the new Museum40 inventing itself today on Port of Marseilles wishes to illustrate. Some of the objectives of the project are to bring out the often forgotten affinities between cultures; to address the passages and blockages of bridges and walls, of circulations, borrowings and ruptures, and of coexistences and differences that sometimes dwindle and sometimes stiffen; and to explore and explain the entire range of possible relationships with the the neighboring communities, while close to each other, fought and derided each other, like the Spanish and the Portuguese, the Northern and Southern Germans, the English and the Scottish, etc. I have given this phenomenon the name of “the narcissism of small differences” (…) In this we see a convenient and relatively harmless satisfaction given to the aggressive tendencies by which the cohesion of the community is better assured to all its members.” 38. See E. Horowitz, “Visages du judaïsme. De la barbe en monde juif et de l’élaboration de ses significations,” Annales HSS, September-October 1994, volume 5, pp. 1065-1090. 39. The drogman (the interpreter during the Ottoman Empire) incarnated both the positive figure of the cosmopolitan frontiersman and that of the tragic hero. As Ismaïl Kadaré comments: “the empire was suspicious. In its eyes the knowledge of two languages led to the unavoidable possibility of deception; and the people, from whom it often arose, considered him (the drogman) as a ‘collaborator.’ The interpreter is suspected of treason: the dominated suspect him of complicity with the dominators and the dominators suspect him of connivance with their subjects” (2003:13). 40. For a preliminary presentation of this project, see M. Colardelle (ed.) 2002. 47 Entre Autres

proximate Other. This museum will be a comparative one and its territory of comparison is not enclosed within an instituted regional, national, or international entity. It corresponds rather to a well-measured terrain for comparative study, and most of all to a space that has known confrontation and encounters throughout history and into the present day. Understanding the genesis and function of the complementary differences that fashion the world is doubtless useful for keeping frictions and antagonisms in perspective. As Germaine Tillion wrote: “If ethnology, which is an affair of patience, listening, courtesy, and time, can still serve a purpose, it is to teach us to live together.” May this museum contribute, among others, to this noble and improbable objective!

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Séances plénières Plenary Sessions

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« La sixième personne de Kafka : rencontre et conflit entre anciens et nouveaux habitants »

Jasna Čapo Žmegač

Institut d’Ethnologie et de recherche en folklore, Zagreb / Croatie

Cet exposé se propose de comparer quatre cas de transfert forcé de population et ses conséquences sur des groupes déplacés dans les pays de destination. Il s’ouvre sur une description des cas sélectionnés, qui sont ensuite discutés du point de vue de leurs différences et similitudes. “La comparaison traite toujours des différences autant que des parallèles et similitudes” écrit André Gingrich41 dans un volume récent qui évalue la comparaison comme moyen méthodologique par excellence en anthropologie. Malgré des différences importantes entre les cas comparés, dans un effort de formuler une interprétation anthropologique, dans un deuxième temps leurs points communs seront privilégiés.

Quatre cas 1. A la suite de la déroute totale de l’armée grecque en Asie Mineure en 1922, des milliers de civils - en majorité Grecs et Arméniens - furent mutilés et tués, des femmes furent violentées, des maisons saccagées et brûlées et des milliers de Grecs d’Asie Mineure refugiés en Grèce42. Les conditions turques de paix étant intransigeantes, le caractère irréversible de la migration fut vite sensible. L’accord signé entre la Grèce et la Turquie, antérieur au Traité de Lausanne, stipulait un échange de population sans précédent. C’était le premier échange forcé de minorités négocié internationalement, ratifié et exécuté par la Société des Nations. Le Traité de Lausanne, signé en 1923, stipulait que la Grèce consentait à recevoir en tout environ 1,3 million de Grecs d’Asie Mineure, augmentant ainsi d’un quart la population grecque de cette époque43. En même temps, lorsque l’Empire Ottoman perdit le contrôle de ses territoires dans les Balkans, au moins trois millions de musulmans durent choisir de rester dans les nouveaux pays chrétiens ou d’émigrer44. Renée Hirschon estime qu’environ 350.000 musulmans furent obligés de quitter la Grèce et s’installèrent en Turquie45. 2. Tout au cours du XXe siècle, l’Allemagne fut la destination du flux intermittent 41. GINGRICH (André), 2002, ‘When ethnic majorities are “dethroned”: towards a methodology of self-reflexive, controlled macrocomparison’, In: Gingrich (André) et Fox (Richard G.) eds., Anthropology, by Comparison. London-New York : Routledge, pp. 225-248, ici p.234. 42. HIRSCHON (Renée), 1989, Heirs of the Greek catastrophe. The social life of Asia Minor Refugees in Piraeus. Oxford : Clarendon Press, 9ff. 43. LOIZOS (Peter), 1999, ‘Ottoman Half-lives: Long-term Perspectives on Particular Forced Migrations.’ Journal of Refugee Studies 12(3) p. 237-263. 44. Ibidem, p. 245. 45. cf. note 2, p. 9. 55 Entre Autres

des Allemands d’origine. L’exode le plus important débuta après la Seconde Guerre mondiale des territoires anciennement allemands, redistribués entre la Pologne et l’Union Soviétique, mais aussi la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Yougoslavie. La fuite massive qui devança l’Armée Rouge se poursuivit avec les expulsions brutales menées entre 1945 et 1949. Considérée comme une solution nécessaire, bien que radicale, au problème germano-polonais, l’expulsion de la population allemande de Pologne fut convenue par les Alliés46. Entre 1945 et 1949, un total de 11 à 12 millions d’Allemands fut contraint de quitter leur domicile et afflua vers l’Allemagne ; les deux tiers environ choisissant l’Allemagne de l’Ouest, où on les nomma Vetriebene ou Flüchtlinge [expulsés]47. Environ trois millions d’Allemands choisirent de rester en Pologne, Roumanie, Hongrie, Tchécoslovaquie et Union soviétique, où ils furent déplacés. Cet effectif fut la source des migrations postérieures des dits Aussiedler et Spätaussiedler, dont 2,3 millions arrivèrent en Allemagne après la chute du Mur de Berlin en 1989. 3. Après une guerre de sept ans, l’Algérie en 1962 devint un état indépendant. Cet événement mit fin à la présence française colonisatrice sur son territoire. Il marqua aussi la disparition de la quasi-totalité de la population française en Algérie, avec le retrait de 925.000 Européens48, les dits pieds-noirs, vers la France métropolitaine. Mal préparé à leur arrivée, l’état français avait espéré que leur séjour fût temporaire. En effet, depuis janvier 1962, le gouvernement français cherchait à empêcher un débarquement massif et à réguler le flux des arrivées49. La réalité, pourtant, s’avéra différente. Pour les seuls mois de mai et juin 1962, 450.000 personnes arrivèrent à Marseille. Ce chiffre extrêmement élevé correspondait aux prévisions sur quatre ans50. Marseille se vit donc confier par le gouvernement français la tâche d’accueillir au mieux et de disséminer sur le territoire métropolitain tous ceux qu’on appelle désormais les “rapatriés d’Algérie”51. 4. Pour les Croates vivant hors de Croatie, surtout ceux qui habitaient le Kosovo et la Vojvodine, l’échec du règlement de la “crise” yougoslave au début des années 1990 par des négociations politiques a posé de nombreux problèmes. Après la fondation de l’Etat indépendant croate, ces deux régions restèrent en Serbie, qui, avec l’aide de l’armée yougoslave, attaqua militairement la Croatie. Poussés par la guerre et par leur position de minorité ethnique ennemie, de nombreux Croates commencèrent en 1991 à s’exiler dans le nouvel Etat. En 1992, l’émigration était déjà relativement importante. Les estimations du nombre d’exilés croates venus de Vojvodine entre 1991 et 1995, surtout de la région de Srijem, varient entre 35.000 et 45.000 personnes. Ils se sont installés dans un pays ravagé par la guerre et partiellement occupé par les Serbes, et qui, au moment de leur arrivée, avec ses 4,5 millions d’habitants, donna asile à 720.000 réfugiés et personnes déplacées de toute l’ancienne Yougoslavie52.

46. Benz (Wolfgang), 1992, ‘Fremde in der Heimat: Flucht-Vertreibung-Integration.’ In Bade (K.) ed., Deutsche im Ausland - Fremde in Deutschland: Migration in Geschichte und Gegenwart. München : Beck, pp. 374-386, ici p. 379ff. 47. Münz (Rainer) et Ohliger (Rainer), 1997, Deutsche Minderheiten in Ostmittel- und Osteuropa, Aussiedler in Deutschland. Eine Analyse ethnisch privilegierter Migration, Demographie aktuell 9, Berlin: Humboldt-Universität zu Berlin, ici p. 4-5. 48. En dépit de leurs diverses origines ethniques, les habitants européens en Algérie affirmaient leur citoyenneté française. 49. Jordi (Jean-Jacques), 1995, 1962 : L’arrivée des Pieds-Noirs. Paris : Autrement, ici p. 8. 50. Op. cit. cf. note 2, p. 27ss. 51. Op. cit. cf. note 2 - BAUSSANT (Michèle), 2002, Pieds-noirs. Mémoires d’exil. Paris: Stock, ici p.357. 52. Čapo Žmegač (Jasna), 1996, ‘Les migrants forcés en Croatie 1991-1995.’ Cultures et sociétés. 56 Cahiers du CEMRIC 7, p. 103-110. Among Others Similitudes et différences Nous sommes habitués à analyser ces événements séparément, puisque chacun représente un épisode historique particulier relevant d’une histoire nationale spécifique. En fait, ils manifestent des différences non négligeables, dues notamment au timing et au contexte particulier de chacun des transferts de population. Dans les cas grec et croate, il s’agit des processus consécutifs à la dissolution des états multinationaux, l’un se déroulant à la fin de la première Guerre Mondiale, l’autre clôturant le XXe siècle. Dans le cas français, il s’agit du contexte plus vaste de la décolonisation des années 1960. Le rapatriement des Allemands de souche, quant à lui, résulte de la défaite finale de l’Allemagne dans la deuxième Guerre Mondiale et la redéfinition subséquente des frontières des états européens. D’autres différences proviennent du nombre d’exilés et des provisions économiques offertes aux exilés par les états dans lesquels ils s’installèrent. Les migrants grecs et français ne pouvaient se fier que sur leurs propres efforts pour leur reconstruction économique, pratiquemment avec ou sans assistance communautaire limitée53. Les exilés allemands reçurent une assistance importante de l’Etat, qui les indemnisa en 1952 à l’instar des autres victimes de guerre54. De ce point de vue, les exilés croates présentent un cas tout à fait particulier. Les exilés de Srijem, par exemple, paysans pour la plupart, échangèrent leurs maisons et autres propriétés immobilières avec les Serbes vivant sur le territoire croate. Arrivant en Croatie, ils disposèrent ainsi eux-mêmes d’une base économique sûre pour d’installer. Malgré ces différences, avec un certain degré de précaution et d’abstraction55, je propose d’examiner les similitudes plutôt que les différences de ces migrations. Dans tous les cas évoqués, il s’agit de la migration (forcée) de populations co-ethniques dans leurs “patries ethniques”56 - des Allemands arrivèrent en Allemagne, des Grecs en Grèce, des Français en France, des Croates en Croatie. Ce fait pourrait leur valoir la dénomination de “migrations ethniques privilégiées” (“ethnisch privilegierte Migration”57). Ce privilège ethnique se traduit aussi au plan juridique par l’octroi immédiat aux exilés de la citoyenneté des états-nations d’installation58. Ceci les distingue des autres types de migrants, par exemple des migrants économiques ou des réfugiés sans affinité ethnique, incorporés plus lentement -ou pas du tout- dans la nation politique. Mon intérêt porte plus particulièrement sur les similitudes des migrations ethniques privilégiées liées aux processus consécutifs à l’arrivée des exilés dans leurs “patries ethniques”. Il s’agit surtout de la rencontre des populations locales et des exilés, de l’adaptation et de l’incorporation des personnes déplacées dans leurs “patries” nouvelles. Nulle part la rencontre entre les migrants co-ethniques et la population locale n’a été facile ; c’est un euphémisme. L’ethnicité ou la nationalité commune des participants à la rencontre ainsi que l’accord immédiat de la citoyenneté aux migrants co-ethniques ne suffirent pas pour éviter le conflit, qui finit par se manifester entre des migrants co- ethniques et leurs co-citoyens locaux. Dans la suite du texte, j’examine en termes comparatifs la construction sociale de la frontière entre les migrants co-ethniques et les autochtones. Par cet exercice comparatif, j’essaye d’identifier des éléments constitutifs d’une hypothèse sociologique expliquant le conflit qui émergea entre les deux groupes. Dans la dernière partie, la rencontre

53. Loizos 1999, p. 248-9 ; Baussant 2002. 54. Benz 1992, p. 384. 55. Gingrich 2002, p. 235. 56. Heleniak (Timothy), 1997, ‘Mass Migration in Post-Soviet Space.’ The World Bank, August p. 15-18. 57. Cf. note 7: Münz et Ohliger 1997, p. 7. 57 58. Les pieds-noirs en avaient déjà auparavant. Entre Autres

apparemment conflictuelle est revisitée en contrastant le discours de conflit avec la pratique de quotidienneté. Selon cette hypothèse, le conflit paraîtrait sensible au niveau du discours, mais serait apaisé au niveau du quotidien du fait des intérêts communs des nouveaux venus et des locaux.

Etrangers mal reçus Aux yeux des états-nations élus pour se réinstaller, les migrants co-ethniques sont retournés chez eux. Le terme français rapatriés implique qu’ils se trouvaient ainsi et dès lors à l’abri de persécution, de vengeance et de guerre émanant du pays qu’ils avaient quitté. Etait-ce vrai du point de vue des migrants ? Avaient-ils le sentiment d’être retournés chez eux ? Cela, bien sûr, n’était pas clair. Ces migrants considéraient que leur patrie était respectivement l’Asie Mineure, l’Europe de l’Est, l’Algérie et Srijem. Dans ce sens, les cas français et croate sont particulièrement intéressants. Les pieds-noirs étaient socialisés pour considérer le territoire algérien comme un département français59. En quittant l’Algérie, ils ont perdu tout à la fois leur terre et leur identité de Français: “Nous, ce qui s’est passé, c’est qu’on se sentait terriblement français et puis, du jour au lendemain on s’est rendu compte qu’on n’était pas aimé de la population française, on n’était pas considéré comme des Français… (…) On nous a tellement dit que nous n’étions pas de véritables Français que je me trouve pas rapatriée mais expatriée. Expatriée”60. De la même façon que les pieds-noirs, les Croates avaient une relation spéciale au territoire qu’ils étaient forcés de quitter. Ils en parlaient comme de leur patrie, et plus que ça, pour des raisons historiques, comme du “territoire historique croate”61. Dans la mesure où ils venaient du “territoire croate”, ils refusèrent d’être appelés réfugiés et préférèrent le terme de “personnes déplacées à l’intérieur”. Ce choix d’auto-dénomination témoigne de leur perception qu’ils étaient déplacés du territoire qu’ils considéraient comme croate. L’ambivalence des personnes déplacées vers leur nouvelle patrie fut aggravée par la façon dont elles furent accueillies par la population locale. L’indifférence, la négligence, l’hostilité, le rejet même se mêlaient aux sentiments et aux comportements d’incompréhension des indigènes face au désespoir des exilés. Les nombreux vols dont les pieds-noirs étaient victimes, ainsi que les actes de vandalisme sur leurs voitures, renforcèrent à la fois l’idée d’une hostilité systématique de la population marseillaise à leur égard et l’état d’abattement et d’abandon dans lequel un grand nombre se trouva plongé62. Le cas des pieds-noirs est particulièrement difficile car ils étaient frappés d’un imaginaire négatif, qui n’a toujours pas complètement disparu aujourd’hui. Aux dires de la population locale, ils seraient fortunés, profiteurs et exploiteurs, bruyants, violents et vulgaires63, ou encore brutaux, racistes, politiquement très marqués à droite, incultes, bornés, le verbe haut, bravaches…64. Les Allemands de souche non plus n’avaient pas de sympathie pour leurs compatriotes récemment arrivés. Un rapport sur les conditions de vie de 600 exilés logés à Neunburg en Bavière en est une illustration : hostilité à l’égard des immigrés perçus comme des étrangers et peur de la population locale de perdre propriété et intérêts émergent clairement de ce rapport65.

59. Cf. note 11 Baussant 2002, p. 315ff, 413ff. 60. Cf. note 11 Baussant 2002, p. 328. 61. Čapo Žmegač (Jasna), 1999, ‘“We are the Croats. It is not our goal to be set apart from our own people”. A Failed Attempt at Firmer Incorporation of Croatian Migrants.’ Ethnologia Balkanica, Journal for Southeast European Anthropology 3, p. 121-139. Čapo Žmegač (Jasna), 2002a, Srijemski Hrvati. Etnoloπka studija migracije, interakcije i identifikacije. Zagreb: Durieux, ici p.184ff. 62. Cf. note 9 Jordi 1995, p. 31. 63. Cf. note 11 Baussant 2002, p. 371. 58 64. Cf. note 9 Jordi 1995, p. 40. 65. Cf. note 14 Benz 1992, p. 383ff. Among Others

L’interprétation du déplacement divergeait entre les autochtones et les exilés, ce qui accusa encore l’abîme66 qui les séparait. Les exilés considéraient leur destin comme un drame dont il fallait porter le deuil et qu’il fallait socialement reconnaître et inclure dans la mémoire nationale. Ce n’était pourtant l’avis ni officiel ni public des pays hôtes. Tout au contraire. Les exilés grecs d’Asie Mineure rappelaient à leurs compatriotes la défaite et l’humiliation de l’armée grecque dans son essai manqué visant à conquérir l’Asie Mineure67. Du point de vue des Grecs indigènes, il n’y avait rien à fêter ni à commémorer dans cet événement. Les Croates furent accusés de manque d’héroïsme. On leur reprochait généralement de s’être enfuis de Srijem sans avoir essayé de défendre leurs propriétés et leurs vies contre les radicaux serbes. Tandis qu’ils se voyaient victimes, la population locale les traita plutôt de lâches68 ! En dépit des efforts, certes divergents d’un cas à l’autre, déployés par les autorités pour intégrer les migrants co-ethniques à la population autochtone, la rencontre de ces deux groupes donna lieu à une accumulation de ressentiments et de douleurs parmi les nouveaux venus. L’impression de rejet, la colère, le désarroi, l’incompréhension, la déception prévalent dans les récits des exilés, que le témoignage soit contemporain de l’arrivée ou remontant déjà à quelques décennies.

Construction mutuelle de frontière Le rejet et la construction sociale de la frontière entre les locaux et les nouveaux venus n’étaient pas unilatéraux. Les exilés sont arrivés avec un sentiment identitaire bien développé, défini par les contextes multi-ethniques dans lequel ils vivaient avant l’exil et par la position supérieure - réelle ou perçue - qu’ils avaient dans leur société. Rencontrant leur autre proche, confronté à leur apparent compatriote - le Français, le Grec, l’Allemand et le Croate métropolitains - un processus de découverte et de re-définition mutuelle fut entamé. La démarche fut douloureuse. Les réfugiés découvrirent non seulement qu’ils étaient ignorés, négligés ou même étaient l’objet de discrimination de la part des locaux mais aussi, qu’ils partageaient une expérience historique spécifique qui les rendait différents, et par conséquent “meilleurs”, que leurs homologues métropolitains. En particulier, pour les Grecs d’Asie Mineure, ex-habitants de l’Empire Ottoman à la population cosmopolite et hétérogène, Athènes et Salonique apparaissaient comme des villes provinciales et le pays entier comme désorganisé et arriéré. Les nouveaux venus considéraient les natifs étroits d’esprit, ignorants et grossiers. Avec le temps, cet avis s’est durci et les désillusions ont augmenté69. De la même façon, Marseille souffrit de la comparaison avec Alger ou Oran70. En témoignent ces récits : « A Fort-de-l’Eau, à quelques kilomètres d’Alger, on a eu les trottoirs en 1905 et le tout-à-l’égout en 1910, c’est vous dire »; tandis que : « Nous, en plein centre ville, à quelques pas du Vieux-Port [à Marseille], on n’avait pas l’eau courante mais des caisses à eau sans grand débit ! » Les migrants croates se plaignaient exactement des mêmes choses. Contrairement à leurs villages d’accueil en Croatie, leurs villages de Srijem auraient eu le tout-à-l’égout et à tous égards auraient été plus développés71. Leurs estimations embellissent tout ce qu’ils durent abandonner, ce qu’ils considéraient comme leur “chez soi”. Ce discours

66. Cf. note 11 Baussant 2002, p. 371. 67. Cf. note 13 Loizos 1999, p. 258. 68. Cf. note 21 Čapo Žmegač 2002a 69. Cf. note 2 Hirschon 1989, p. 12. 70. Cf. note 9 Jordi 1995, p. 61ff. 71. Cf. note 21 Čapo Žmegač 2002a, p. 146ff. Čapo Žmegač (Jasna), 2002b, ‘Constructing Difference, Identifying the Self: A Case of Croatian 59 Repatriates from Serbia.’ Mediterranean Ethnological Summer School 4, p. 135-148, ici p. 139ff. Entre Autres

résulte du sentiment de supériorité des arrivants, qui estiment être de “meilleurs Croates que les Croates de Croatie”. Cette conviction perdura chez les Grecs d’Asie Mineure ainsi que chez les pieds-noirs longtemps après leur installation en Grèce et en France. Trois décennies après la migration, les pieds-noirs s’affirmaient “plus français que les Français”72. S’appuyant sur les similitudes entre migrations co-ethniques, on peut formuler l’hypothèse suivante : les “migrations ethniques privilégiées” mèneraient au conflit entre populations locale et nouvelle venue ainsi qu’à la formation d’une identité particulière des migrants co-ethniques, indépendamment de la nationalité commune aux nouveaux venus et aux natifs, condition préalable à la migration et à l’attribution de la citoyenneté aux migrants. Elle ne constitue cependant pas un dénominateur commun suffisant pour que les habitants locaux ne traitent pas les nouveaux venus comme des étrangers indésirables et qu’inversement les nouveaux venus n’établissent pas une démarcation à l’encontre des locaux. Ces éléments se renforçaient mutuellement en un cercle vicieux : indifférence, négligence ou rejet par la population locale incita les migrants co-ethniques à se replier sur eux-mêmes tandis que leur sentiment d’excellence et de victimisation, qui distinguait leur identité, générait distanciation et aliénation à l’égard des autochtones.

Established et outsiders Cette rencontre, ainsi que le conflit qui lui succède, sont interprétés ici comme un cas sociologique paradigmatique, tel que décrit par Norbert Elias et John Scotson dans une ville industrielle anglaise. Dans leur étude justement intitulée “The Established and the Outsiders”73, les auteurs affirment qu’il existe des constantes dans les relations au sein des communautés dont le profil fondamental est caractérisé par la migration, au cours de laquelle deux groupes auparavant indépendants se retrouvent en situation de voisinage puis d’inter-dépendance. Les mêmes auteurs avancent que cette configuration sociale particulière produit conflit et antagonisme entre les deux groupes. L’antagonisme étant inhérent au modèle qu’ils constituent74, il échappe aussi à leur contrôle. Selon les auteurs, antagonisme et clivage social entre locaux et nouveaux venus ne peuvent être rattachés ni à des facteurs structurels tels que la situation socio-économique, ni à des différences nationales, ni encore à des origines ethniques et des différences raciales entre des groupes. Ils relèvent de “l’ancienneté sociologique” dans la localité, à savoir de la durée de résidence dans la localité. Le temps que les anciens habitants avaient mis à développer “une vie commune définie, une tradition locale particulière”, les nouveaux venus, différents dans une certaine mesure dans leur apparence, leurs manières et leurs croyances, venaient de les violer75. Cette configuration sociale est particulièrement bien décrite par cette parabole de Franz Kafka (1883-1924), extraite de “Tableaux de la défense d’une ferme”76 :

72. Cf. note 11 Baussant 2002, p. 371. 73. Elias (Norbert) and Scotson (John L.), 1965, The established and the outsiders. A sociological enquiry into community problems. London: Frank Cass and Co. Ltd. 74. Ibidem p.156. 75. Ibidem p.148. 76. in KAFKA (Franz), 1957 [oct. 1985 ; repr. févr. 2001], Préparatifs de noce à la campagne, trad. Marthe Robert, Paris, Gallimard = l’Imaginaire, p. 357-58. Texte original : “Wir sind fünf Freunde, wir sind einmal hintereinander aus einem Haus gekommen, zuerst kam der eine und stellte sich neben das Tor, dann kam oder vielmehr glitt, so leicht wie ein Quecksilberkügelchen gleitet, der zweite aus dem Tor und stellte sich unweit vom ersten auf, dann der dritte, dan der vierte, dann der fünfte. Schließlich standen wir alle in einer Reihe. Die Leute 60 wurden auf uns aufmerksam, zeigten auf uns und sagten: “Die fünf sind jetzt aus diesem Haus Among Others

« Nous sommes cinq amis, nous sommes sortis un jour d’une maison les uns derrière les autres, d’abord le premier sortit et se plaça à côté de la porte, puis le second franchit le seuil ou plutôt glissa dehors avec la légèreté d’une petite bille de mercure et se posta non loin du premier, puis vint le troisième, puis le quatrième, puis le cinquième. Pour finir nous nous tînmes tous sur un rang. Les gens nous remarquèrent, nous montrèrent du doigt et dirent : « Ces cinq-là viennent de sortir de cette maison. » Depuis lors nous vivons ensemble, ce serait une vie paisible si un sixième ne se mêlait pas continuellement à nous. Il ne nous fait rien, mais il nous gêne, c’est faire assez ; pourquoi s’impose-t-il là où on ne veut pas de lui ? Nous ne le connaissons pas et nous ne voulons pas l’admettre parmi nous. Nous autre cinq, nous ne nous connaissions pas non plus autrefois, et, si l’on veut, nous continuons à ne pas nous connaître. Mais ce qui est possible et toléré pour nous cinq n’est pas possible pour un sixième et n’est pas toléré. En outre, nous sommes cinq et ne voulons pas être six. Et puis de toute façon, quel sens peut donc bien avoir cette perpétuelle vie en commun, pour nous non plus elle n’a pas de sens, mais puisque déjà nous sommes ensemble, nous y restons, toutefois nous ne voulons pas d’une nouvelle association, et précisément en vertu de nos expériences. Mais comment pourrait-on faire comprendre cela au sixième, de longues explications signifieraient presque que nous ne l’acceptons pas. Il a beau faire la moue, nous le repoussons avec notre coude, mais nous avons beau le repousser, il revient. » Les Grecs d’Asie Mineure, les Croates de Srijem, les Allemands venus de l’extérieur de l’Allemagne et les Français d’Algérie représentent d’une manière parfaite la sixième personne de Kafka. De l’avis respectif des anciens habitants des “patries ethniques”, ils étaient des importuns qui voulaient s’insérer dans la structure sociale actuelle. Leur seul but, aux dires des nouveaux venus, était de s’assimiler / s’intégrer aux localités d’accueil. La re-définition de leur identité faisait partie de ce processus d’incorporation, du processus d’occupation de statuts dans le nouvel environnement social, à la fois localement et plus largement dans la société. En fermant ses rangs, la population métropolitaine a laissé les migrants libres de se fabriquer une identité spécifique - qu’il s’agisse de celle des pieds- noirs, des Vertriebene, des Croates de Srijem ou des Grecs d’Asie Mineure. Ces conséquences tiennent à la durée du séjour de l’étranger : le nouveau venu n’est plus le voyageur qui arrive un jour et repart le lendemain, mais le migrant arrivé aujourd’hui et qui reste demain77. La comparaison des quatre déplacements co-ethniques a démontré que le nouveau venu qui s’installe à long terme reste l’étranger, même quand il partage l’ethnicité/nationalité des habitants natifs. Suivant la conclusion de Elias et Scotson 78, il ne s’agit pas d’une rencontre ponctuelle entre habitants anciens et nouveaux ; ce n’est gekommen”. Seitdem leben wir zusammen, es wäre ein friedliches Leben, wenn sich nicht immerfort ein sechster einmischen würde. Er tut uns nichts, aber er ist uns lästig, das ist genug getan; warum drängt er sich ein, wo man ihn nicht haben will? Wir kennen ihn nicht und wollen ihn nicht bei uns aufnehmen. Wir fünf haben einander auch nicht gekannt, und wenn man will, kennen wir einander auch jetzt nicht, aber was bei uns fünf möglich ist und geduldet wird, ist bei jenem sechsten nicht möglich und wird nicht geduldet. Außerdem sind wir fünf und wollen nicht sechs sein. Und was soll überhaupt dieses fortwährende Beisammensein für einen Sinn haben, auch bei uns fünf hat es keinen Sinn, aber nun sind wir schon beisammen und bleiben es, aber eine neue Vereinigung wollen wir nicht, eben auf Grund unserer Erfahrungen. Wie soll man aber das alles dem sechsten beibringen, lange Erklärungen würden schon fast eine Aufnahme in unseren Kreis bedeuten, wir erklären lieber nichts und nehmen ihn nicht auf. Mag er noch so sehr die Lippen aufwerfen, wir stoßen ihn mit dem Ellbogen weg, aber mögen wir ihn noch so sehr wegstoßen, er kommt wieder.” (KAFKA, Franz, 1953, Hochzeitsvorbereitungen auf dem Lande und andere Prosa aus dem Nachlaß, Frankfurt am Main : S. Fischer Verlag, 313-314.) 77. Simmel (Georg), 1984, ‘Digressions sur l’étranger’, In: Grafmeyer, Y. et Joseph, I. L’Ecole de Chicago. Paris: Aubier, pp. 53-59, ici p.53. 78. Cf. note 33, Elias et Scotson 1965, p. 22-23. 61 Entre Autres

as non plus un épisode insignifiant du développement de la société contemporaine. D’après ces auteurs, il s’agit d’un processus spécifique et de plus en plus fréquent qui accompagnerait le développement économique, avec les tensions et les mutations qui en découlent ainsi que les migrations contemporaines, volontaires ou involontaires. Il s’agit donc d’un problème sociologique plus général, dont les migrations co-ethniques sont un cas particulier, mais pas unique.

Discours et pratique Je voudrais passer maintenant à ma propre recherche sur le déplacement des Croates de Srijem. Parallèlement aux clichés que les nouveaux venus et les anciens se jetaient mutuellement à la figure, j’ai remarqué qu’il existait des contacts et même de bonnes relations entre des Croates de Srijem et les autochtones de la localité d’accueil. Les éléments issus des trois autres cas cités, bien qu’effleurant à peine ce sujet, confirment mon observation. Les premiers contacts entre exilés et natifs allemands étaient disposés à aider, animés par l’amour de l’autre, par la compassion et la curiosité à l’égard des étrangers. Le sentiment qu’ensemble ils formaient une grande communauté de destin dans la nécessité entretenait les relations de ces deux groupes79. Hirschon a noté des cas d’entraide liant des migrants et des natifs grecs, malgré leur rivalité et leur clivage social80. Dans la localité étudiée, anciens et nouveaux habitants croates parlaient par stéréotypes tout en s’individualisant les uns les autres. Certains rejetèrent en bloc toute tentative de représentation simplifiée homogénéisatrice de l’autre groupe. De plus, au niveau individuel, il existait de très bonnes relations entre les anciens habitants et leurs nouveaux voisins. La proximité territoriale, l’intérêt commun (professionnel – travail de la terre, sport ou danse folklorique) et l’âge commun ont particulièrement promu l’interaction des deux groupes. Parfois, il s’agissait d’une nécessaire coopération de voisinage : “J’ai besoin de lui, il a besoin de moi !”, s’exclamait une femme qui avait arrangé un système d’entraide agricole avec son nouveau voisin de Srijem. Quelques années après l’arrivée des exilés de Srijem, on pouvait observer un certain renforcement des liens entre anciens et nouveaux habitants : plusieurs mariages et parrainages avaient été célébrés. Malgré tout, les deux groupes affirmaient que l’interaction et la communication entre eux étaient faibles, voire absentes et qu’ils avaient une piètre opinion les uns des autres81. Le cas croate donne l’occasion de réexaminer les représentations ethnographiques de la rencontre [entre les migrants et les locaux] jusque là jugée nécessairement conflictuelle. Il est instructif aussi pour comprendre l’apparition simultanée d’un discours d’exclusion et d’un espace démarqué, alors que les individus de chaque groupe entretiennent mutuellement de bonnes relations au quotidien. Etudié immédiatement après l’installation des exilés de Srijem, le cas croate a permis d’opposer le discours d’exclusion à la pratique au quotidien. Il importait d’être là-bas au moment même de la rencontre. Cette opportunité fit défaut aux autres travaux cités ici. Assister au moment de la rencontre m’a permis d’observer le déroulement de la rencontre à la fois dans le discours et dans la pratique. L’analyse des interactions au quotidien entre les anciens habitants et les nouveaux venus a révélé une réalité différente de celle du discours : la

79. Tolksdorf (Ulrich), 1990, ‘Phasen der kulturellen Integration bei Flüchtlingen und Aussiedlern.’ In Bade (K. J.) ed., Neue Heimat im Westen: Vetriebene, Flüchtlinge, Aussiedler. Münster: Westfälischer Heimatbund, pp. 106-127, ici p.113. 80. Cf. note 2. 62 81. Cf. note 21. Among Others réalité de la pratique. L’enquête sur le terrain a démontré qu’un individu pouvait rejeter le groupe en train de s’installer, cultiver à son égard des avis négatifs tout en engageant et en entretenant des contacts intensifs avec ses voisins. Sur la base de certaines études en psychologie sociale, ré-évaluant la théorie du contact82, je propose d’expliquer cette contradiction apparente en faisant l’hypothèse de deux niveaux irréductibles de réalité : un niveau se rapporte aux images et représentations mutuelles des groupes en contact, l’autre à la pratique interactive au niveau de l’individu. Dans chacun des groupes, les stratégies discursives de l’identification fabriquent des représentations simplifiées de la réalité sociale, une image de l’autre groupe limitée “au modèle en noir et blanc”83, qui ne permet pas de différencier les membres du groupe. Cette représentation commune ne se réduit pas à la somme des expériences et des points de vue individuels ; suivant la logique de cette argumentation, elle résulte plutôt d’une configuration sociologique (et sociale) particulière née de la rencontre entre anciens habitants et nouveaux venus. Dans la mesure où elle est un fait social et non pas individuel, pour qu’elle change, il ne suffit pas de modifier des relations entre des membres de chaque groupe ou d’accroître le nombre des interactions individuelles84. C’est la raison pour laquelle de bonnes relations personnelles peuvent co-exister avec l’antagonisme et la construction d’une frontière sociale entre anciens et nouveaux habitants. Les deux niveaux de réalité sont exprimés par les deux procédés requis dans l’analyse. L’un approche la construction de l’identité à l’aide du discours et des représentations de soi et de l’autre ; il est basé sur ce que les gens disent au chercheur. L’autre aborde certaines actions et des interactions dans un contexte socio-culturel particulier ; il est basé sur l’observation et la participation du chercheur en situation interactive. Le premier procédé se réduit à l’analyse du discours, l’autre à l’analyse des expériences et des interactions. Ils sont complémentaires puisqu’ils parlent différemment des réalités sociales qui dérivent de la rencontre co-ethnique ou, selon Elias et Scotson, de toutes sortes de rencontres entre anciens et nouveaux habitants. La réalité des interactions n’est pas plus “vraie” que celle avérée dans les narrations ; elle est différente. Les études ethnographiques examinées dans cet exposé ont privilégié le niveau discursif d’analyse en raison de l’option de recherche sur le terrain et du timing de la recherche. Je soutiens pourtant que celui-ci n’est pas un procédé analytique suffisant dans l’étude de l’identité, dans la mesure où les discours et les représentations sont eux- mêmes construits, qu’ils interprètent l’autre et soi à la lumière des expériences passés et des configurations sociales actuelles. En tant que tels, ils doivent être complétés par l’observation des processus d’identification effectivement vécus dans des actions et interactions quotidiennes. En effet, comme le suggère Lila Abu-Lughod 85, et mon analyse le confirme,l’étude simultanée du discours et de la pratique met en valeur contradictions et malentendus, stratégies et intérêts, déclarations changeantes et concurrentes avec des implications pratiques. Pour éviter de se concentrer sur le discours dans les études de l’identité, cette contribution partage l’exigence de Henk Driessen et Ton Otto86 consistant à étudier l’identification surtout comme expérience dans le contexte socio-culturel particulier. Je crois que la

82. Forbes (Hugh Donald), 1997, Ethnic Conflict. Commerce, Culture, and the Contact Hypothesis. New Haven - London: Yale University Press. 83. Cf. note 33, 1965, p.81. 84. Cf. note 42. 85. Abu-Lughod (Lila), 1991, ‘Writing against culture’, In: Fox (R. G.) ed., Recapturing Anthropology. Working in the Present. Santa Fe, New Mexico: School of American Research Press, pp. 139-162, ici p.147. 86. Driessen (Henk) et Otto (Ton), 2000, ‘Preface’, In Driessen (H.) et Otto (T.) eds., Perplexities of Identification. Anthropological Studies in Cultural Differentiation and the Use of Resources. 63 Aarhus: Aarhus University Press, p. 4. Entre Autres

recherche ethnographique sur le terrain qui s’appuie sur des techniques d’interviews - qui produisent des textes, et donc du discours - devrait être complétée par les techniques d’observation et de participation - qui produisent du matériel en relation avec la pratique au quotidien et l’expérience dans un contexte socio-culturel particulier. Plutôt que d’avancer l’argument d’une interprétation phénoménologique s’appuyant sur l’empathie née de l’expérience et de l’imagination87, je choisis d’étudier des discours et de les compléter par la pratique informée par des mots, des explications textuelles et contextuelles. Cette combinaison des méthodologies pourrait être particulièrement importante dans les recherches sur l’identification. Comme l’étude du cas croate le montre, les discours sur l’identité n’illustrent qu’une partie de la fabrication de l’identité. Résolus à les comprendre dans toute leur complexité et leurs contradictions, nous avons besoin d’être informés des “identités vécues”88 dans des milieux socio-culturels spécifiques. Si l’on se plonge dans les interactions, on voit que ceux que l’on se représente comme les “autres” ne sont plus ce que “nous” ne sommes pas. Les “autres” sont ce que “nous” créons avec eux dans des ajustements mutuels, dans des négociations tolérantes d’un sens nouveau et plus riche. Le traitement du dialecte des Croates de Srijem dans des discours et dans des interactions pourrait servir d’exemple à cette assertion. Dans des stratégies discursives d’identification, leur dialecte - une variété régionale du parler en Croatie associée plutôt à la langue serbe - servit de frontière tracée par les anciens habitants à l’égard des nouveaux venus. Il devint la marque de l’appartenance nationale quand les anciens habitants attribuèrent aux Croates de Srijem l’identité serbe, puisqu’à leur vue, ils parlaient une variante de la langue serbe. Dans l’interaction, au contraire, les dialectes différents et les manières de parler des anciens et des nouveaux habitants vinrent au centre d’une discussion passionnante sur la relation entre dialecte/langue et ethnicité/nation. Il ressort clairement de cette discussion que les gens sont informés des variétés innombrables de la langue croate ainsi que de l’impossibilité d’attribuer/ réduire l’appartenance ethnique ou nationale au langage89. Je crois que la vigueur de l’ethnologie et de l’anthropologie sociale réside précisément dans cette conjugaison des analyses du discours et de la pratique, et ceci non seulement dans le domaine de la recherche sur l’identité et les processus d’identification. L’interprétation des interactions dans des situations socio-culturelles spécifiques est le domaine par excellence des recherches ethnologiques et anthropologiques. Les contradictions qui en résultent n’ont pas à nous déconcerter ; elles sont plutôt la source d’analyses créatrices.

87. Frykman (Jonas) et Gilje (Nils), 2003, ‘Being There. An Introduction’, In: Frykman (J.) et Gilje (N.) eds., Being There. New Perspectives on Phenomenology and the Analysis of Culture. Lund: Nordic Academic Press, pp. 7-51. Hansen (Kjell), 2003, ‘The Sensory Experience of Doing Fieldwork in an ‘Other’ Place’, In Frykman (J.) et Gilje (N.) eds., Being There. New Perspectives on Phenomenology and the Analysis of Culture. Lund: Nordic Academic Press, pp. 149-167. Cette empathie l’emporte sur celle recommandée par Malinowski, dont l’efficacité est mise en doute par ses pratiquants eux-mêmes (Hansen 2003) 88. Cf. note 47, Frykman & Gilje, p. 9ff. 64 89. Cf. note 21 Čapo Žmegač 2002a. Among Others

De l’ethnologie au patrimoine : le rôle du musée

Barbara Kirshenblatt-Gimblett

Department of Performance Studies, Université de New York / USA

Au cours du XIXe siècle et jusqu’au tout début du XXe, il existait un lien étroit entre l’ethnologie comme outil de formation du savoir, les collections et les musées, que ce soit ceux d’histoire naturelle, d’ethnologie (Völkerkunde ou Volkskunde), des musées d’arts et traditions populaires. Le musée abritait ces domaines de connaissance, ainsi que ceux dont la recherche produit et requiert des collections, comme l’archéologie, la biologie et la géologie, etc. Au cours du XXe siècle et particulièrement après la Seconde Guerre mondiale, la situation a changé puisque les outils de formation du savoir, l’ethnologie dans notre cas, se sont déplacés à l’université, laissant leurs collections derrière eux. Les musées sont devenus les gardiens de collections des disciplines scientifiques démodées. Depuis, en se réinventant eux-mêmes, les musées sont devenus acteurs du « patrimoine ». Mes remarques s’organisent autour des thèmes suivants : - Le patrimoine est métaculturel - Le patrimoine matériel et immatériel - Le reniement comme condition de l’action - Le patrimoine ethnologique - Le patrimoine muséal

Le patrimoine est métaculturel Je définis le patrimoine comme un mode de production culturelle qui recourt au passé et produit quelque chose de nouveau. Le patrimoine comme mode de production culturelle ajoute de la valeur à ce qui est démodé en le transformant en sa propre exposition. A mes yeux, le patrimoine est créé au travers d’opérations métaculturelles qui étendent les valeurs et les méthodes muséologiques (collection, documentation, préservation, évaluation et interprétation) aux personnes vivantes, à leur savoir, leurs pratiques, leurs objets, leurs mondes sociaux et leurs espaces de vie. Les professionnels du patrimoine utilisent les concepts, les normes et les règlements pour amener les phénomènes et les praticiens culturels dans la sphère du patrimoine, où ils deviennent des objets métaculturels, soit des « trésors nationaux vivants » soit des « chefs d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité ». Parallèlement, les artistes, les spécialistes du rituel et les artisans, dont les « atouts culturels » deviennent patrimoniaux par ce procédé, font l’expérience d’une nouvelle relation avec ces atouts, une relation métaculturelle à ce qui était juste un habitus. L’habitus fait référence ici à ce qui va de soi, alors que le patrimoine fait référence à une sélection embarrassée d’objets précieux et de pratiques. La puissance du patrimoine vient précisément de ce qu’il est mis en exposition, et c’est pour cela qu’il 65 s’harmonise plus facilement avec les droits de l’homme et les valeurs démocratiques de la Entre Autres

culture. L’UNESCO stipule que seuls ces aspects de la culture, compatibles avec de telles valeurs, peuvent être envisagés pour être désignés comme patrimoine mondial. A la différence des choses, des animaux et des plantes, les personnes ne sont pas seulement objets de conservation culturelle, elles en sont aussi les sujets. Elles ne sont pas seulement porteurs et passeurs culturels (les termes sont mal choisis, de même que chef d’œuvre), mais aussi agents de l’entreprise patrimoniale elle-même. Les déclarations et la convention de l’UNESCO sur le patrimoine matériel parlent de création collective. Les acteurs sont porteurs et passeurs de traditions, termes qui indiquent qu’ils ne seraient qu’un moyen, un conduit, ou un vaisseau passif, sans volonté, intention ni subjectivité. L’archive ou la bibliothèque vivante sont des métaphores courantes. De tels termes ne font pas valoir le droit d’une personne sur ses productions, mais plutôt sur son rôle dans la transmission de la culture (aux autres). Selon ce modèle, les personnes vont et viennent, mais la culture persiste, une génération la transmettant à la suivante. Mais toutes les interventions patrimoniales – comme les pressions mondialistes qu’elles essayent de contrecarrer – changent les rapports des personnes à ce qu’elles font. Elles changent la compréhension que les personnes ont de leur culture et d’elles-mêmes. Elles changent les conditions fondamentales de production et reproduction culturelles. Il n’est nul besoin de le dire, le changement est intrinsèque à la culture, et les mesures mises en œuvre pour conserver, sauvegarder et soutenir certaines pratiques culturelles balancent entre figer la pratique et aborder la nature processuelle de la culture.

Les interventions patrimoniales tentent de ralentir le « rythme » du changement. L’Onion, journal humoristique américain au lectorat national, a publié un article satirique intitulé « Le département américain des rétro préventions : Nous pourrions manquer de passé »90. L’article cite le secrétaire Anson Williams : « Si les niveaux courants de la consommation américaine de rétro se poursuivent sans restriction, nous pourrions manquer de passé dès 2005 » et « Nous parlons d’une situation de crise potentielle dévastatrice dans laquelle notre société exprimera de la nostalgie pour des événements qui n’ont pas encore eu lieu ». Pour illustrer ces prédictions, l’article explique que l’horloge nationale rétro se situe habituellement en 1990, un pourcentage alarmant de 74% la situe plus près du présent que dix ans auparavant, quand elle était fixée à 1969 ». Comme l’horloge rétro accélère, la vie devient patrimoine presque avant d’avoir la chance d’être vécue et le patrimoine occupe ainsi l’espace de vie.

L’a-synchronie des horloges historique, patrimoniale et d’usage (et en particulier les temporalités différentielles des choses, des personnes et des événements) produit un paradoxe, à savoir la possession du patrimoine comme marque de modernité, ce qui est la condition primordiale pour l’entreprise du patrimoine mondial. Le contemporain devient – ou plutôt est à un et même moment – contemporain et de la même époque pour évoquer la distinction faite par Johannes Fabian dans Times and the Others91. Le dilemme pour les projets de sauvegarde du patrimoine matériel, qui demande des acteurs humains s’engageant à incarner le savoir, et à maintenir les pratiques incarnées, est de pouvoir réconcilier la valorisation des pratiques d’usage avec un programme de transformation personnelle et sociale. Le résultat est une transvaluation qui « conserve » l’habitude sans conserver le soi « qui lui est lié ». Ainsi le patrimoine devient une ressource dans le projet de façonnage du soi92. 90. “U.S. Dept. of Reto Warns: ‘We May Be Running out of Past’,” The Onion 32, 14 (2000), http://www.theonion.com/onion3214/usretro.html. 91. Fabian (Johannes), 1983, Time and the Other: How Anthropology Makes Its Object, New York: Columbia University Press. 66 92. Giddens (Anthony), 1991, Modernity and Self-Identity: Self and Society in the Late Modern Among Others Le patrimoine matériel et immatériel Les musées, en temps que dépositaires du patrimoine matériel sous la forme d’objets de collection, ont toujours dû aborder les aspects immatériels de la culture – savoir indigène, systèmes de croyance, techniques du corps, interprétation. Ceux-ci constituant un patrimoine mondial selon la définition de l’UNESCO, montrent bien que la division entre le patrimoine matériel, naturel et immatériel est arbitraire, exception faite de son histoire et de sa logique. Néanmoins, définir les connaissances incarnées et les pratiques immatérielles revient à les définir par ce qu’ils ne sont pas (ils ne sont pas matériels) et à maintenir la primauté de la matérialité comme concept organisateur de la théorie et de la pratique patrimoniales. Ceci étant dit, ces rapports avec le patrimoine naturel montrent de plus en plus que la plupart des sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité sont ce qu’ils sont en vertu de l’interaction de l’homme et de l’environnement. De la même façon, le patrimoine matériel, sans patrimoine immatériel, est une simple enveloppe ou matière inerte ; les objets ne sont pas encore des choses93. Comme pour le patrimoine immatériel, il n’est pas seulement incarné, il est aussi inséparable des personnes et de leurs mondes matériel et social. « L’Afrique perd une bibliothèque quand un vieil homme meurt », cette citation de Hampaté Bâ, figure sur la page d’ouverture du site du patrimoine immatériel de l’UNESCO94. Tout en affirmant la personne, la métaphore de la bibliothèque fait la confusion entre archive et répertoire, distinction qui est particulièrement importante pour une compréhension du patrimoine immatériel comme savoir et pratique incarnés. A la différence du patrimoine matériel protégé dans le musée, le patrimoine immatériel consiste en manifestations culturelles (savoir, arts, accomplissement) qui sont inextricablement liées aux personnes. Il n’est pas possible – ou il n’est pas facile – de traiter de telles manifestations comme identificateur des personnes, même avec des technologies d’enregistrement qui peuvent séparer les actions des acteurs et lier le répertoire à l’archive. Selon Diana Taylor, le répertoire est toujours incarné et se manifeste toujours par la performance, l’action, le faire95. On fait circuler le répertoire par le biais de la performance. Il existe une différence entre enregistrer et conserver la documentation et déceler les répertoires à partir des archives. Le répertoire est de l’ordre du savoir personnifié et des relations sociales qui contribuent à sa création, promulgation, transmission, et reproduction. Il s’ensuit, selon l’UNESCO, que le patrimoine immatériel est particulièrement vulnérable précisément parce qu’il est immatériel, bien que la mémoire ne corrobore pas nécessairement cela. Les aborigènes d’Australie ont maintenu leur « patrimoine immatériel » sur plus de 30.000 années sans l’aide d’une politique culturelle et les bouddhas de Bahmian ont été réduits en poussière en un instant. Alors que les catégories de patrimoine matériel et immatériel distinguent les choses des événements (et du savoir, du savoir-faire, et des valeurs), les choses peuvent être considérées comme des événements. Comme le philosophe existentialiste Stanley Eveling l’a remarqué, « Une chose est un lent événement ». Ceci est une question de perception. La perception du changement est fonction des relations entre le taux actuel du changement et « les fenêtres de notre conscience »96.7 Les choses sont des événements, non une Age, Stanford, CA: Stanford University Press. 93. Latour (Bruno), 1993, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris : La Découverte, 1991. 94. Intangible Heritage, UNESCO : http://mirror-us.unesco.org/culture/heritage/intangible/html_eng/index_en.shtml. 95. Taylor (Diana), 2003, The Archive and the Repertoire: Performing Cultural Memory in the Americas, Durham: Duke University Press. 96. Swade (Doron), 2000, “Virtual Objects: Threat or Salvation? Museums of Modern Science,” in Lindqvist (Svante), Hedin (Marika) & Larsson (Ulf) eds., Nobel Symposium 112, Canton, MA: Science History Publications/USA, p.139-47. 67 Entre Autres

substance inerte ou se détériorant. Une chose peut être une « présence affective », selon les mots de Robert Plant Armstrong97. De plus, de nombreuses choses sont renouvelables ou repositionnables sous certaines conditions. Chaque vingt ans, les sanctuaires en bois de Ise Jingu, lieu de pèlerinage sacré au Japon, sont reconstruits. Le processus prend environ huit ans, et le lieu a été reconstruit soixante et une fois depuis la première reconstruction en 690. Connue sous le nom de « shikinen sengu », cette tradition ne veut pas dire seulement construction, mais aussi cérémonie et transmission d’un savoir spécifique : « Le travail de charpente est exécuté par une centaine d’hommes, la majorité d’entre eux sont des charpentiers locaux qui mettent de côté leur travail habituel pour une période privilégiée de deux à quatre ans. Aucun clou n’est utilisé dans la structure. Bien que les plans existent pour chaque structure, les maîtres charpentiers doivent se rappeler et transmettre aux apprentis leur savoir sur la manière de faire les assemblages, en utilisant des outils anciens et peu connus. »98. Ce lieu de pèlerinage représente « 2000 ans d’histoire, mais ne devient jamais plus vieux que vingt ans ». Ise Jingu peut être considéré comme un lent événement. Ainsi que le démontre le lieu de pèlerinage de Ise Jingu, immatérialité et évanescence, qui sont après tout les conditions de toute expérience, ne devraient pas être confondues avec la disparition ou l’extinction. Les conversations sont immatérielles et évanescentes mais cela ne les rend pas susceptibles de disparition. Ceci est vrai pour l’essentiel de ce qui est considéré comme patrimoine immatériel, à savoir les performances de toutes sortes. Au contraire, on pourrait dire que parce qu’ils ne peuvent pas être collectées de la même manière que les objets, parce qu’ils ne peuvent pas être préservées de la même manière qu’une maison, les repas, les histoires et les chansons doivent être faits, contés – encore et encore. Ainsi, le caractère éphémère délibéré de certaines choses – la destruction du lieu de pèlerinage de Ise Jingu, par exemple, et l’engagement de le reconstruire tous les vingt ans – intensifie la nécessité de maintenir le savoir incarné, les pratiques, qui sont requis. Le caractère éphémère donne aux choses leur caractère processuel et riche en événements, alors que l’évanescence est la condition d’action pour devenir de plus en plus performant, c’est-à-dire pour le maintien, la transmission et la reproduction du savoir incarné. Le principe : l’utiliser ou le perdre. Finalement, la possession du patrimoine – en opposition à la manière de vivre que le patrimoine sauvegarde – est un instrument de modernisation et une marque de modernité. « Ne pas avoir de musées dans les circonstances actuelles, c’est admettre que l’on est en dessous du niveau minimum de civilisation d’un état moderne »1 . Ainsi, les musées sont un instrument pour la « sauvegarde » du patrimoine, comme le comprend l’UNESCO. Sauvegarder, devrait-on noter, demande des savoirs spécialisés qui sont différents des pratiques qui doivent être sauvegardées. Il y a une différence entre pratiquer et faire quelque chose autour de cette pratique, entre interpréter une chanson et l’enregistrer. Les efforts de sauvegarde produisent des travailleurs patrimoniaux, qui peuvent ou non être aussi des praticiens du patrimoine. Alors que la persistance de manières anciennes de vivre n’est pas viable économiquement et peut même être incompatible avec le développement économique et les idéologies nationales, la valorisation de ces styles de vie comme patrimoine (et l’intégration du patrimoine dans l’économie du tourisme culturel) est économiquement viable, compatible avec le développement économique, et peut être mise en ligne de compte avec les idéologies nationales d’exception culturelle et de modernité. Dans ce processus, l’économie du patrimoine en temps qu’économie moderne est fondamentale. Pour cela et pour d’autres raisons, le patrimoine peut être préféré à la culture pré-patrimoniale qu’elle

97. Plant Armstrong (Robert), 1981, The Powers of Presence: Consciousness, Myth, and Affecting Presence, Philadelphia: University of Pennsylvania Press - Plant Armstrong (Robert), 1971, The 68 Affecting Presence: an Essay in Humanistic Anthropology, Urbana: University of Illinois Press. 98. Japan Atlas, Architecture, Jingu Shrine in Ise, http://www.jinjapan.org/atlas/architecture/arc14.html. Among Others est sensée sauvegarder. C’est le cas au centre culturel polynésien d’Hawaï, une opération menée par les Mormons où, depuis 1963, les étudiants de la Brigham Young University « restent vivants et partagent le patrimoine de leur île avec les visiteurs tout en travaillant dans leur école. »99

Le reniement comme condition d’action De tels cas montrent l’histoire mouvementée des musées et du patrimoine comme agents de déculturation, comme dernier lieu de conservation d’efforts missionnaires et colonisateurs, entre autres, qui préservent (dans le musée) ce qui a été effacé (dans la communauté). Les musées d’aujourd’hui et les interventions patrimoniales peuvent essayer de renverser le cours des choses, mais il n’y a pas de marche arrière, juste une marche avant métaculturelle. Les opérations qui viennent d’être décrites sont les conditions d’action pour le domaine de l’ethnologie et pour les musées dédiés à cette science. C’est une histoire d’aliénation, de détachement, et de reniement grâce à la réforme civilisatrice, colonisatrice, missionnaire, et grâce aux projets révolutionnaires qui produisent des « outtakes » culturelles sous forme de dispositions et de pratiques que le côté démodé a rendu possibles d’être manipulées, étudiées et exposées. Nous avons ici ce que Steven Mullaney appelle la répétition de la culture, par laquelle il signifie la déchéance de ce qui est collecté et exposé. C’est la condition d’action pour l’ethnologie, ses collections et leur exposition. La condition d’action est une disparition délibérée à travers un processus de suppression, suivi de l’exposition de ce que l’on a fait disparaître, comme de sa déchéance. Ceci est une première étape d’un processus durable de dévaluation et de réévaluation, un processus qui change le monde en le purgeant d’objets associés aux religions païennes, aux peuples primitifs, au catholicisme, à des vies de subsistance, au nom du salut, de la civilisation, du protestantisme et du développement économique, comme dans le cas du Congo décrit par Lotten Gustafsson dans son intervention au colloque sur les 12.000 objets congolais collectés par la société missionnaire suédoise pour le Musée national suédois au tournant du siècle. Là, comme dans les Torres Straits et ailleurs, les missionnaires ont fait faire aux insulaires un tas de leurs objets sacrés et les ont fait brûler, après en avoir mis de côté pour des musées en Europe. La suppression des objets était la première étape dans le processus de « déshabillage » des gens de leur culture de façon à les convertir, les moderniser, ou alors les transformer au cours d’un grand rite de séparation. L’ethnologie, comme dame de compagnie du colonialisme, était gouvernée non seulement par des préoccupations intellectuelles internes à la discipline, mais aussi par des préoccupations pratiques de meilleure administration en étudiant ceux qui devaient être gouvernés. Le succès de ces efforts a provoqué une sorte de crise pour l’ethnologie au point qu’elle a créé un sujet entrain de disparaître, décimé à la fois démographiquement et culturellement. Cette disparition imminente a stimulé l’anthropologie de sauvetage et une réévaluation de ce qui était suffisamment menacé pour être sauvé. Les anthropologues de sauvetage, particulièrement ceux qui ont étudié les Indiens d’Amérique, se sont précipités pour sauver ce qui restait, à savoir, pour enregistrer et collecter, cette fois dans l’esprit de préserver dans le musée et dans les archives, ce qui disparaissait dans le monde. La disparition était et continue d’être une condition de l’action.

99. Voir le site du Centre Culturel Polynésien : http://www.polynesia.com/aloha/history/. Voir aussi Ross (Andrew), 1994, «Cultural Preservation in the Polynesia of the Latter Day Saints,» The Chicago Gangster Theory of Life: Nature’s Debt to Society, London-New York: Verso, p. 21-98. 69 Entre Autres Le patrimoine de l’ethnologie Le patrimoine, pourrait-on dire est l’opposé de l’ethnologie. Le patrimoine est fondé sur un ensemble différent de revendications. Pourtant l’ethnologie est profondément impliquée dans la production de patrimoine, premièrement, pour les raisons historiques abordées ci-dessus – son rôle dans la fabrication de la culture qui disparaît et ainsi dans le temps sauve ce qui reste – et, deuxièmement, à cause des relations compliquées de l’ethnologie elle-même avec son propre passé. Il y a un double changement, une double aliénation. La première aliénation a lieu quand l’ethnologie fait disparaître la culture dans le monde et la fait réapparaître, en temps qu’ethnologie, dans le musée. La deuxième a lieu quand l’ethnologie répudie sa propre histoire, particulièrement comme domaine du musée ou dans le musée lui-même. La honte, et son revers, l’indignation morale sont des conditions de l’action car elles créent un rapport, fort, affectif et moral, à ce qui est devenu le signe de l’identité abîmée de l’ethnologie. En se recréant elle-même, l’ethnologie doit recréer sa relation avec son propre passé ainsi qu’avec le présent des personnes qu’elle a étudiées. Les glissements en ethnologie en temps que discipline – moins d’intérêt pour le matériel (culture matérielle), plus d’intérêt pour l’immatériel et le théorique – entraînés par une désarticulation de ce qui était autrefois une intégration étroite entre la formation du savoir, celle des collections, et le musée. Ces glissements ont aussi produit une a- synchronie particulière. Alors que l’ethnologie a glissé du musée vers l’université, a pris de l’avance avec ses théories, a élargi son champ de recherche pour inclure la société contemporaine, et, en période post-coloniale, a fait face à son passé problématique, les musées, eux, parce que gardiens de collections et d’expositions d’une ethnologie démodée, à savoir les musées d’ethnologie, sont devenus les musées du « patrimoine » de l’ethnologie. La dévaluation de la valeur scientifique des collections ethnographiques - puisque l’ethnologie passe à d’autres préoccupations – prépare la voie à leur réévaluation comme patrimoine, d’une double manière : le patrimoine de ceux à qui ces objets ont été pris et le patrimoine de l’ethnologie elle-même. Considérons le diorama bushman, l’exposition la plus populaire du Musée de l’Afrique du Sud au Cap. Ce diorama a une aura puissante par lui-même, et c’est précisément ce qui le rend dangereux. Les objets réels sont non seulement intégrés dans l’environnement recréé, mais de plus les figures ont été crées en utilisant des moules vivants faits sur des Bushman, comme on les appelait, ou Khoisan, comme ils préfèrent être connus. Le diorama est devenu un objet par lui-même, ce qui rend le musée doublement responsable pour l’avoir mis au premier plan d’une part et avoir pris la responsabilité de ce qu’il dit au sujet de la pratique muséale d’autre part. Chaque tentative pour traiter de cette exposition problématique et d’autres semblables ailleurs dans la galerie – soit pour étouffer, expliquer et s’excuser pour cela, ajouter des messages d’avertissement – met le musée au premier plan, ses opérations, son histoire et, rétrospectivement, ses erreurs. De tels changements réfléchis rendent visibles le musée et ses pratiques. Ils participent à un glissement d’une muséologie informative (l’exposition comme véhicule neutre pour la transmission de l’information) vers une muséologie actrice (le musée lui-même est en exposition).100 « Le diorama est maintenant fermé », pouvait-on lire sur l’écriteau, mais il n’est pas détruit. Il est ici, mais il ne peut être vu – excepté sur les cartes postales toujours en vente dans la boutique du musée. Par ce geste, le musée d’Afrique du Sud affronte publiquement le fardeau idéologique de sa propre histoire. Les guides touristiques ont protesté et menacé de ne plus amener les touristes dans ce musée jusqu’à ce que le diorama bushman rouvre.

70 100. Fabian (Johannes), 1990, Power and Performance: Ethnographic Explorations Through Proverbial Wisdom and Theater in Shaba, Zaire, Madison: University of Wisconsin Press. Among Others Le patrimoine du musée Les évolutions après la Seconde Guerre mondiale, surtout depuis les années 1960, ont mis au jour de puissants mouvements sociaux : droits civiques, liberté de parole, mouvements pacifistes, mouvement des femmes et mouvement étudiant ; la dissolution des empires coloniaux et les nouvelles nations post-coloniales ; l’immigration depuis la périphérie post-coloniale vers le centre impérial ; et les transformations des années 1990 (chute du mur de Berlin, effondrement de l’ancienne URSS, fin de l’Apartheid, émergence d’une conscience nationale des sociétés colonisatrices post-coloniales telles que l’Australie et la Nouvelle-Zélande, création de nouveaux musées nationaux), la toujours plus grande union européenne (et la question de l’identité européenne sous de nouvelles conditions géopolitiques et démographiques), l’émergence de fondamentalismes religieux (chrétien, juif, et islamique), et maintenant « guerre du terrorisme ». Ces développements ont altéré la nature de la citoyenneté et donné lieu aux principes de multiculturalisme – et en Nouvelle-Zélande au principe de biculturalisme, qui reconnaît les droits résultant du traité signé en 1840 entre la couronne britannique et le peuple de la terre, à savoir les Maori. Un exemple de la réaction des musées face au principe de biculturalisme est l’exposition Goldie101. Goldie, vieux maître de Nouvelle-Zélande (Norman Rockwell de son vrai nom), était un peintre très populaire de sujets maori de la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Durant la deuxième partie du XXe siècle, les Pakeha (Néo-Zélandais non-indigènes) ont eu honte de Goldie et de ce qu’ils avaient fini par considérer à travers ses peintures sentimentales et stéréotypées de Maori comme sauvage et noble sur le point de disparaître. Il avait intitulé en fait l’une de ses peintures « La fin d’une race moribonde ». Durant les années 1990, les conservateurs ont découvert que les Maori, particulièrement ceux qui identifiaient leurs ancêtres sur les peintures, ne les considéraient pas scandaleuses, mais plutôt comme des taonga, comme des trésors sacrés – en fait comme leurs ancêtres. La décision fut prise de montrer les peintures de Goldie, ce qui dans un sens reflétait la valeur qu’elles ont pour les Maori aujourd’hui. Les peintures étaient groupées par iwi ou tribu. Les tribus antagonistes n’étaient pas l’une à côté de l’autre. Les cartels identifiaient le modèle par le nom et la tribu, et non par le titre que Goldie avait donné à la peinture, bien qu’il fut mentionné par le guide de la galerie. Le guide audio donnait une biographie détaillée du modèle, commençant par son whakapapa, ou sa généalogie, suivait ses voyages et ses réalisations, dans certains cas un voyage en Angleterre, une rencontre avec la Reine, succès dans l’établissement d’une imprimerie, et autres choses du même genre. Les Maori apparentés aux modèles étaient présents dans les galeries pour parler avec les visiteurs. Des photographies de la vie contemporaine maorie furent exposées à l’extérieur de la galerie de peintures quand l’exposition s’est transportée à Sydney. Le protocole maori fut suivi avec respect pour l’exposition et le traitement des peintures. Un deuxième exemple de la réaction des musées face à la question du biculturalisme fut de contester la manière dont l’ethnologie avait structuré l’ancien musée national, à savoir avec une galerie d’art national pour les peintures et la sculpture de style européen et un musée d’histoire naturelle pour les plantes, les animaux, les Maori et les autres peuples du Pacifique. Cette répartition est devenue indéfendable non seulement pour des raisons politiques mais aussi scientifiques. En Nouvelle-Zélande, comme ailleurs, le début de l’histoire de l’ethnologie et des musées était définie par un rapport étroit entre le projet scientifique, la collection et le musée. Le projet scientifique était la raison d’être du musée. Le musée finançait les missions de recherche, développait les collections et appuyait la recherche sur celles-ci. Les expositions permanentes de collections permanentes furent les premières et les plus importantes expositions de la discipline ethnologique. Ainsi que je l’ai mentionné par ailleurs, les musées ont exposé des « objets ethnographiques », qui étaient des « objets 71 101. Blackyey (Roger), 1997, Goldie, Auckland: Auckland Art Gallery and David Bateman. Entre Autres

de l’ethnographie » dans le sens où ces objets étaient ce qu’ils étaient par la vertu des catégories et pratiques conceptuelles des ethnographes.102 Que fallait-il faire quand l’ethnologie a laissé le musée pour l’université ? Que faire des anciennes collections, de leurs modes d’expositions, et des musées qui continuaient à les abriter ? Est-ce que ces institutions devaient être conservées comme un musée de musée ? Comme patrimoine de l’ethnologie ? Ou le musée devait-il se réinventer lui-même ? Dans le cas de la Nouvelle- Zélande, la décision fut prise de démanteler l’institution, de réorganiser les collections, et d’intégrer les collections dans les expositions. En premier lieu cependant, il était nécessaire de redéfinir la mission du musée national. Ainsi est né le musée de Nouvelle- Zélande Te Papa Tongarewa, connu sous le nom de Te Papa. Ce musée a renié son histoire en temps que musée. A la place, il s’est construit lui-même une image au travers des participations de la Nouvelle-Zélande aux expositions universelles, depuis la toute première en 1851 jusqu’à Séville. Un bâtiment du style de telles expositions et une mise en abîme de l’exposition a rendu ce musée immensément populaire, cohérent avec sa promesse d’attirer les personnes qui ne vont jamais au musée et susceptible de faire un effort en toute bonne foi pour supporter une petite part des coût d’exploitation de l’institution. J’ai essayé de plaider ici pour une conception du patrimoine comme mode de production culturelle qui crée quelque chose de nouveau. Avant tout, le patrimoine comme mode de production culturelle produit un rapport nouveau – un rapport métaculturel – à ce qui devient patrimoine. De plus, le patrimoine est l’un des moyens par lequel les musées, particulièrement les musées d’ethnologie, se réinventent et redéfinissent leur relation avec leurs partenaires. Plutôt que de continuer à être une vitrine pour l’ethnologie, les musées considèrent de plus en plus leurs collections comme le patrimoine – le patrimoine des communautés dont proviennent ces objets ou le patrimoine des visiteurs du musée. Cohérent avec cette approche, la devise du Te Papa est « Notre maison » et le musée se vend lui-même comme un lieu où « se chercher soi-même »103. J’ai aussi soutenu que le reniement a été historiquement une condition de l’action pour la production de l’ethnologie, les collections qu’elle génère, et les musées qui les abritent. Une seconde étape dans cette remise en cause place l’ethnologie et les musées dans une relation problématique avec leurs passés respectifs et leur ouvre de nouvelles possibilités pour s’adonner à leurs propres histoires et à leur propre patrimoine. Cette seconde étape leur permet aussi de prendre leur responsabilité envers ceux dont ils ont contribué à produire le patrimoine.

102. Kirshenblatt-Gimblett (Barbara), 1991, “Objects of Ethnography” in Ivan Karp (Ivan) & Lavine (Steven) eds. : Exhibiting Cultures: The Poetics and Politics of Museum Display, Washington, D.C.: Smithsonian Institution Press, 17-78. 103. Williams (Paul), 2003, “Te Papa: New Zealand’s Identity Complex,” New Zealand Journal of 72 Art History 24, 1. Among Others

From Ethnology to Heritage: The Role of the Museum

Barbara Kirshenblatt-Gimblett

During the nineteenth and early twentieth century, there was a close fit between ethnology as a knowledge formation, collections, and museums, whether museums of natural history, museums of ethnology or Völkerkunde or Volkskunde or les arts et traditions populaires. The museum was the home for these fields, indeed for any field whose research produces and requires collections, including archaeology, biology, and geology, among others. During the twentieth century and especially after World War II, the situation changed, as the knowledge formations, in our case ethnology, moved into the university, leaving their collections behind. Museum became custodians of the collections of outmoded scientific disciplines. In reinventing themselves, museums have become agents of “heritage.” My remarks are organized around the following themes: - Heritage is metacultural - Tangible and intangible heritage - Repudiation as an enabling condition - Ethnology’s heritage - Museum’s heritage

Heritage is metacultural I define heritage as a mode of cultural production that has recourse to the pastand produces something new. Heritage as a mode of cultural production adds value to the outmoded by making it into an exhibition of itself. Central to my argument is the notion that heritage is created through metacultural operations that extend museological values and methods (collection, documentation, preservation, presentation, evaluation, and interpretation) to living persons, their knowledge, practices, artifacts, social worlds, and life spaces. Heritage professionals use concepts, standards, and regulations to bring cultural phenomena and practitioners into the heritage sphere, where they become metacultural artifacts, whether “Living National Treasures” or “Masterpieces of the Oral and Intangible Heritage of Humanity.” At the same time, the performers, ritual specialists, and artisans whose “cultural assets” become heritage through this process experience a new relationship to those assets, a metacultural relationship to what was once just habitus. Habitus refers here to the taken for granted, while heritage refers to the self-conscious selection of valued objects and practices. The power of heritage is precisely that it is curated, which is why heritage is more easily harmonized with human rights and democratic values than is culture. UNESCO stipulates that only those aspects of culture that are compatible with such values can be considered for world heritage designation. 73 Entre Autres

Unlike things, animals, and plants, people are not only objects of cultural preservation but also subjects. They are not only cultural carriers and transmitters (the terms are unfortunate, as is masterpiece), but also agents in the heritage enterprise itself. What the heritage protocols do not generally account for is a conscious, reflexive subject. UNESCO’s declaration and conventions on intangible heritage speak of collective creation. Performers are carriers, transmitters, and bearers of traditions, terms which connote a passive medium, conduit, or vessel, without volition, intention, or subjectivity. Living archive or library are common metaphors. Such terms do not assert a person’s right to what they do, but rather their role in keeping the culture going (for others). According to this model, people come and go, but culture persists, as one generation passes it along to the next. But, all heritage interventions—like the globalizing pressures they are trying to counteract—change the relationship of people to what they do. They change how people understand their culture and themselves. They change the fundamental conditions for cultural production and reproduction. Needless to say, change is intrinsic to culture, and measures intended to preserve, conserve, safeguard, and sustain particular cultural practices are caught between freezing the practice and addressing the inherently processual nature of culture. Heritage interventions attempt to slow the rate of change. The Onion, a humor newspaper in the United States with a national readership, published a satirical article entitled “U.S. Dept. of Retro Warns: ‘We May Be Running Out of Past.’”104 The article quotes U.S. Retro Secretary Anson Williams: “If current levels of U.S. retro consumption are allowed to continue unchecked, we may run entirely out of past by as soon as 2005” and “We are talking about a potentially devastating crisis situation in which our society will express nostalgia for events which have yet to occur.” In support of these predictions, the article explains that “The National Retro Clock currently stands at 1990, an alarming 74 percent closer to the present than ten years ago, when it stood at 1969.” As the retro clock speeds up, life becomes heritage almost before it has a chance to be lived and heritage fills the life space. The asynchrony of historical, heritage, and habitus clocks (and in particular the differential temporalities of things, persons, and events) produces a paradox, namely, the possession of heritage as a mark of modernity, which is the very condition of possibility for the world heritage enterprise. The contemporaneous becomes—or rather, is at one and the same time--contemporary, to invoke the distinction made by Johannes Fabian in Time and the Other.105 The dilemma for projects to safeguard intangible heritage, which requires human actors to commit themselves to embodying the knowledge, so designated and to maintaining embodied practices, is how to reconcile the valorization of customary practices with a program of personal and social transformation. The result is a transvaluation that “preserves” custom without preserving the “custom-bound” self. Indeed, heritage becomes a resource in the project of fashioning the self.106

Tangible and Intangible Heritage Museums, while repositories of tangible heritage in the form of artifact collections, have always had to address the intangible aspects of culture—indigenous knowledge, belief systems, techniques of the body, performance. And, as those creating world heritage policy

104. “U.S. Dept. of Reto Warns: ‘We May Be Running out of Past’,” The Onion 32, 14 (2000), http://www.theonion.com/onion3214/usretro.html. 105. Johannes Fabian, Time and the Other: How Anthropology Makes Its Object (New York: Columbia University Press, 1983). 106. See Anthony Giddens, Modernity and Self-Identity: Self and Society in the Late Modern Age 74 (Stanford, CA: Stanford University Press, 1991). Among Others now realize, particularly within UNESCO, the division between tangible, natural, and intangible heritage is arbitrary, though not without its history and logic. Nonetheless to designate embodied knowledge and practices “intangible” is to define them by what they are not (they are not tangible) and to maintain the primacy of tangibility as an organizing concept in heritage theory and practice. That said, those dealing with natural heritage increasingly argue that most of the sites on the world natural heritage list are what they are by virtue of human interaction with the environment. Similarly, tangible heritage, without intangible heritage, is a mere husk or inert matter, objects that are not yet things.107 As for intangible heritage, it is not only embodied, but also inseparable from persons and their material and social worlds. “Africa loses a library when an old man dies,» a quotation from Hampaté Bâ, appears on the opening page for the UNESCO’s Intangible Heritage page.108 While affirming the person, the library metaphor confuses archive and repertoire, a distinction that is particularly important to an understanding of intangible heritage as embodied knowledge and practice. In contrast with the tangible heritage protected in the museum, intangible heritage consists of cultural manifestations (knowledge, skills, performance) that are inextricably linked to persons. It is not possible—or it is not as easy— to treat such manifestations as proxies for persons, even with recording technologies that can separate performances from performers and consign the repertoire to the archive. According to Diana Taylor, the repertoire is always embodied and is always manifested in performance, in action, in doing.109 The repertoire is passed on through performance. This is different from recording and preserving documentation of the repertoire in the archive. The repertoire is about embodied knowledge and the social relations for its creation, enactment, transmission, and reproduction. It follows, according to UNESCO, that intangible heritage is particularly vulnerable precisely because it is intangible, although the historical record does not necessarily bear this out. Though the situation today is of a different order, Australian aborigines maintained their “intangible heritage” for over 30,000 years without the help of cultural policy and the monumental Bahmian Buddhas were reduced to dust in an instant. While the categories of tangible and intangible heritage distinguish things from events (and from knowledge, skills, and values), even things are events. First, as existential philosopher Stanley Eveling has remarked, “A thing is a slow event.” This is a perceptual issue. The perception of change is a function of the relationship between the actual rate of change and “the windows of our awareness.”110 Things are events, not inert or deteriorating substance, in other senses as well. A thing can be an “affecting presence,” in the words of Robert Plant Armstrong.111 Moreover, many things are renewable or replaceable under specified conditions. Every twenty years, the wooden sanctuaries at Ise Jingu, a sacred shrine in Japan, are rebuilt. The process takes about eight years, and the shrine has been rebuilt sixty-one times since the first rebuilding in 690. Known as «shikinen sengu,» this tradition involves not only construction, but also ceremony and transmission of specialized knowledge: “The 107. Bruno Latour, We Have Never Been Modern, translated by Catherine Porter (Cambridge, Mass: Harvard University Press, 1993). 108. Intangible Heritage, UNESCO, http://mirror-us.unesco.org/culture/heritage/intangible/html_eng/index_en.shtml. 109. See Diana Taylor, The Archive and the Repertoire: Performing Cultural Memory in the Americas (Durham: Duke University Press, 2003). 110. Doron Swade, “Virtual Objects: Threat or Salvation? Museums of Modern Science,” eds. Svante Lindqvist, Marika Hedin, and Ulf Larsson, Nobel Symposium, 112 (Canton, MA: Science History Publications/USA, 2000), 139-47. 111. Robert Plant Armstrong, The Powers of Presence: Consciousness, Myth, and Affecting Presence (Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 1981), and Robert Plant Armstrong, The Affecting Presence: an Essay in Humanistic Anthropology (Urbana: University of Illinois Press, 1971). 75 Entre Autres

carpentry work is carried out by about one hundred men, the majority of whom are local carpenters who set aside their usual work for a privileged period of two to four years. No nails are used in the entire structure. Although the plans exist for every structure, the master carpenters must remember and pass on to apprentices their expert knowledge of how to put together the complex joints, using ancient and unfamiliar tools.”112 This shrine represents “2000 Years of History, Yet Never Gets Older than 20.” Ise Jingu is a slow event. As the Ise Jingu shrine demonstrates, intangibility and evanescence, which are, after all, conditions of all experience, should not be confused with disappearance or extinction. This is a case of misplaced concreteness or literal thinking. Conversations are intangible and evanescent, but that does not make the phenomenon of conversation vulnerable to disappearance. This is true of much that is considered intangible heritage, namely performances of all kinds. On the contrary, it could be said that because they cannot be collected, in the way that objects can be collected, because they cannot be preserved, in the way that a house can be preserved, meals and stories and songs have to be done—they have to be performed—over and over again. Indeed, the willed ephemerality of things— the destruction of the Ise Jingu shrine, for example, and commitment to rebuilding it every twenty years—intensifies the need to maintain the embodied knowledge, the practices, which are required for making it in the first place. Ephemerality gives to things their processual and eventful character, while evanescence is the enabling condition for performing over and over again, which is itself the enabling condition for the maintenance, transmission, and reproduction of embodied knowledge. The principle: use it or lose it. Finally, the possession of heritage—as opposed the way of life that heritage safeguards—is an instrument of modernization and mark of modernity. “To have no museums in today’s circumstances is to admit that one is below the minimum level of civilization required of a modern state.” Indeed, museums are one instrument for the “safeguarding” of heritage, as understood by UNESCO. Safeguarding, it should be noted, requires specialized skills that are different from the practices that are to be safeguarded. There is a difference between doing the practice and doing something about it, between performing a song and recording it. Safeguarding efforts produce heritage workers, who may or may not also be heritage practitioners. While persistence in old life ways may not be economically viable and may well be inconsistent with economic development and with national ideologies, the valorization of those lifeways as heritage (and the integration of heritage into economies of cultural tourism) is economically viable, consistent with economic development theory, and can be brought into line with national ideologies of cultural uniqueness and modernity. Fundamental to this process is the heritage economy as a modern economy. For this and other reasons, heritage may well be preferred to the pre-heritage culture that it is intended to safeguard. Such is the case at the Polynesian Cultural Center in Hawai’i, a Mormon operation where, since 1963, students at Brigham Young University-Hawaii “keep alive and share their island heritage with visitors while working their way through school.”113

112. Japan Atlas, Architecture, Jingu Shrine in Ise, http://www.jinjapan.org/atlas/architecture/arc14.html. 113. From the website of the Polynesian Cultural Center, http://www.polynesia.com/aloha/history/. See also, Andrew Ross, “Cultural Preservation in the Polynesia of the Latter Day Saints,” in The Chicago Gangster Theory of Life: Nature’s Debt to Society (London, New York: Verso, 1994), 76 21-98. Among Others Repudiation as an Enabling Condition Such cases point to the troubled history of museums and heritage as agents of deculturation, as the final resting place for evidence of the success of missionizing and colonizing efforts, among others, that preserve (in the museum) what was wiped out (in the community). Today’s museums and heritage interventions may attempt to reverse course, but there is no way back, only a metacultural way forward. The operations just described are the enabling conditions for the field of ethnology and for the museums dedicated to this science. This is a story of alienation, detachment, and repudiation thanks to the civilizing, colonizing, missionizing, reformation, and revolutionary projects that produce cultural outtakes in the form of dispositions and practices whose very outmodedness has made them safe for handling, studying, and display. We have here what Steven Mullaney calls the rehearsal of culture, by which he means the foreclosure of what is collected and displayed. This is the enabling condition for ethnology, its collections, and their display. The enabling condition is willed disappearance through a process of removal, followed by the display of what has been made to disappear, as a foreclosure of it. This is a first step in an ongoing process of devaluation and revaluation, a process that alters the world by purging it of objects associated with pagan religions, primitive peoples, Catholicism, and subsistence lifestyles, in the name of salvation, civilization, Protestantism, and economic development, as in the case of the Congo, as described by Lotten Gustafsson in her paper at this conference on the 12,000 Congo objects collected by the Swedish Missionary Society for the Swedish National Museum of Natural Science at the turn of the century. There, as in the Torres Straits and elsewhere, missionaries had the islanders pile their sacred objects in a heap and set them on fire, after reserving some of them for museums in Europe. Removal of objects was one step in the process of stripping subject peoples of their culture in order to convert them, modernize them, or otherwise transform them in a grand rite of separation. Ethnology, as the handmaiden of colonialism, was governed not only by intellectual concerns internal to the discipline, but also by the practical concerns of better administering by studying those who were to be governed. The success of these efforts produced a kind of crisis for ethnology to the degree that it created a disappearing subject, decimated both demographically and culturally. Imminent disappearance, an ever advancing eleventh hour, energized salvage anthropology and a revaluation of that which was sufficiently endangered to be safe for appreciation. Salvage anthropologists, particularly those who studied Native Americans, rushed to salvage what remained, that is, to record and collect, this time in the spirit of preserving in the museum and the archive, what was disappearing in the world. Disappearance was and continues to be an enabling condition.

Ethnology’s Heritage Heritage, it could be said, is the opposite of ethnology. Heritage is predicated on a different set of claims. But, ethnology is deeply implicated in the production of heritage, first, for the historical reasons outlined above—its role in making culture disappear and then salvaging what remains—and, second, because of ethnology’s own complicated relationship to its own past. There is a double move here, two alienations. The first alienation occurs when ethnology makes culture disappear in the world and reappear, as ethnology, in the museum. The second alienation occurs when ethnology repudiates its own history, particularly as a museum field and in the museum itself. 77 Entre Autres

Shame—and its other face—moral indignation are enabling conditions to the degree that they create a relationship, a strong affective and moral relationship, to that which has become a marker of ethnology’s spoiled identity. In remaking itself, ethnology had to remake its relationship to its own past as well as to the present of the people they had studied. Shifts in ethnology as a discipline—less interest in the tangible (material culture), more interest in the intangible and the theoretical—brought about a disarticulation of what was once a tight integration of knowledge formation, collection, and museum. These shifts also produced a peculiar asynchrony, as ethnology shifted from the museum to the university, forged ahead with its theories, enlarged its field of inquiry to include contemporary society, and, in a postcolonial era, faced its problematic past, while museums because the custodians of the collections and displays of an outmoded ethnology—that is, museums of ethnology became museums of ethnology’s own “heritage.” The devaluation of the scientific value of ethnographic collections—as ethnology moves on to other concerns— prepares the way for their revaluation as heritage, in a double sense: the heritage of those from whom those objects were taken and the heritage of ethnology itself. Consider the so-called Bushman Diorama, the most popular exhibit at the South Africa Museum in Capetown. This diorama has auratic power in its own right, which is precisely what makes it so dangerous. Not only are real artifacts embedded in the recreated environment, but also the figures were created using life casts made from living Bushman, as they were called, or Khoisan, as they prefer to be known. The diorama has become an artifact in its own right, which makes the museum doubly responsible for it, that is, for making it in the first place and for taking responsibility for what it says about museum practice. Every attempt to deal with this problematic display and ones like it elsewhere in the gallery—whether to cover it up, explain and apologize for it, add warning labels—foregrounds the museum itself, its operations, history, and, in retrospect, its mistakes. Such reflexive moves make the museum, its practices and its mediations, visible. They effect a shift from an informing museology (the exhibit as a neutral vehicle for the transmission of information) to a performing museology (the museum itself is on display).114 “The diorama is now closed,” the sign reads, but not gone. It is there, but it cannot be seen—except on postcards still for sale in the museum gift shop. With this performative gesture, the South African Museum publicly confronts the ideological burden of its own history. Tour guides have protested and threatened to not bring tourists to this museum until such time as the Bushman Diorama reopens.

Museum’s heritage Post-World War II developments, really from the 1960s, arising from powerful social movements—the civil rights, free speech, anti-war, women’s, and student movements; the dissolution of colonial empires and new postcolonial nations; immigration from the postcolonial periphery to the imperial center; and developments in the 1990s (fall of the Berlin wall, collapse of the former USSR, end of Apartheid, emerging national consciousness of postcolonial settler societies such as Australia and New Zealand and creation of new national museums), the ever larger European Union (and the question of European identity under such new geopolitical and demographic conditions), rise of religious fundamentalisms (Christian, Jewish, and Islamic), and now the “war on terror.” These developments have altered the nature of citizenship and given rise to policies of multiculturalism--and in New Zealand a policy of biculturalism, which recognizes the 78 114. Johannes Fabian, Power and Performance: Ethnographic Explorations Through Proverbial Wisdom and Theater in Shaba, Zaire (Madison: University of Wisconsin Press, 1990) Among Others rights flowing from the treaty signed in 1840 (?) between the Crown and the people of the land, namely, the Maori. An example of how museums responded to the policy of biculturalism is the Goldie exhibition.115 Goldie, New Zealand’s old master (or Norman Rockwell, depending on your perspective), was a very popular painter of Maori subjects during the late nineteenth and early twentieth century. During the latter part of the twentieth century, pakeha (non-indigenous) New Zealanders became ashamed of Goldie and what they had come to see as his sentimental and stereotypical paintings of the Maori as noble savage on the brink of disappearance. He actually titled one of the paintings, “The Last of a Dying Breed.” During the 1990s, curators discovered that Maori, particularly those who identified their ancestors in the paintings, did not view them as shameful, but rather as taonga, as sacred treasures--indeed, as their ancestors. The decision was taken to exhibit the Goldie paintings, but in a way that reflected the value they have for Maori today. The paintings were grouped by iwi or tribe. Antagonistic tribes were not hung near each other. The wall labels identified the sitter by name and tribe, not by the title that Goldie had given the painting, though the gallery guide did include Goldie’s title. The audio guide provided a detailed biography of the sitter, starting with his whakapapa, or genealogy, followed by his travels and achievements, including in some cases a trip to England, a meeting with the Queen, success in establishing a printing press, and the like. Maori related to the sitters were in the galleries to talk with visitors. Photographs of contemporary Maori life were exhibited outside the painting gallery when the exhibition traveled to the Museum of Sydney. Maori protocol was followed with respect to handling and treatment of the paintings. A second example of how museums responded to the biculturalism policy was to take ethnology to task for the way that it had structured the old national museum, which consisted of a National Art Gallery featuring European-style paintings and sculpture and a natural history museum for plants, animals, Maori, and other peoples of the Pacific. This arrangement had become untenable not only on political but also on scientific grounds. In New Zealand, as elsewhere, the early history of ethnology and of museums was defined by a close fit between the scientific project, the collection, and the museum. The scientific project was the museum’s raison d’être. The museum sponsored research expeditions, developed collections, and based research on them. Permanent exhibitions of permanent collections were first and foremost exhibitions of the discipline of ethnology itself. As I have discussed elsewhere, museums exhibited “ethnographic objects,” that were “objects of ethnography” in the sense that these objects were what they were by virtue of the conceptual categories and practices of ethnographers.116 What, however was to be done, when ethnology left the museum for the university? What was to be done with old collections, modes of displays, and the museums that continued to house them? Should these institutions be preserved as museums of themselves? As ethnology’s heritage? Or, should the museum reinvent itself? In the case of New Zealand, the decision was taken to dismantle the institution, reorganize the collections, and integrate the collections in exhibitions. First and foremost, however, it was necessary to redefine the mission of the national museum. The result is the Museum of New Zealand Te Papa Tongarewa, known as Te Papa. This museum has repudiated its history as a museum. Instead, it has envisioned itself within the history of New Zealand’s participation in world’s fairs, from the very first one in 1851 until Seville. An expo style building and expositionary approach to exhibition make this museum immensely popular, consistent with its promise to attract people who never go to museums and to make a good faith effort to earn income to support at least part of the institution’s operating costs.

115. Roger Blackyey, Goldie (Auckland: Auckland Art Gallery and David Bateman, 1997). 116. See Barbara Kirshenblatt-Gimblett, “Objects of Ethnography,” Exhibiting Cultures: The Poetics and Politics of Museum Display, eds. Ivan Karp and Steven Lavine (Washington, D.C.: 79 Smithsonian Institution Press, 1991), 17-78. Entre Autres

I have tried to argue here for a notion of heritage as a mode of cultural production that creates something new. Above all, heritage as a mode of cultural production produces a new relationship—a metacultural relationship—to that which becomes heritage. Moreover, heritage is one of the ways that museums, particularly ethnology museums, reinvent themselves and redefine their relationship to their stakeholders. Rather than museums continuing to be a showcase for ethnology, they are increasingly treating their collections as the heritage—someone’s heritage of the communities from which the objects come or of the visitors to the museum. Consistent with this approach, Te Papa’s motto is “Our home” and the museum markets itself as a place for “finding ourselves.”117 I have also argued that repudiation has historically been an enabling condition for the production of ethnology, the collections it generates, and the museums that house them. A second round of repudiation puts ethnology and museums into a problematic relationship with their respective pasts and opens up new possibilities for them to engage with their own histories and their own heritage, as well as with their responsibility to those whose heritage they have helped to produce.

117. Paul Williams, “Te Papa: New Zealand’s Identity Complex,” New Zealand Journal of Art 80 History 24, 1 (2003). Among Others

S’enraciner dans le Nord : une histoire d’ “ altérisation ” et de co-existence dans une zone de jardins en Suède

Barbro Klein

The Swedish Collegium for Advanced Studies, Uppsala / Suède

Je vais ici décrire et analyser une zone de jardins communaux proche de Stockholm (Suède), dont les jardiniers proviennent des quatre coins du monde. J’ai déjà présenté cet endroit lors d’une rencontre de la SIEF à Bergen (Norvège) en 1999.118 La présente contribution lui fait suite. Sur cette mosaïque de jardins, des plantes passant inaperçues fourmillent de messages culturels et idéologiques. Ici, les jardiniers travaillent leur propre parcelle, clôturée mais publique, restant à la vue de tous. Ici, les jardiniers (tacitement, consciemment, volontairement ou non) comparent, adoptent, rejettent et réfléchissent sur les techniques de culture, les préférences esthétiques, les opinions, les gestes, les sons, les mouvements et les senteurs de chacun. Que représentent des notions telles que multiculturalisme, différence, diversité et “ altérisation ” dans ce microcosme social ? Que représentent-elles maintenant et que représentaient-elles il y a dix ou quinze ans ? Je centrerai mon propos sur deux moments : 1990 et 2000. Dans l’intervalle, certains événements historiques étonnants se sont produits dans le monde. Quel impact ont eu ces événements sur cette zone de jardins ? Il me semble particulièrement important, pour ce qui concerne les études sur l’immigration contemporaine en Europe, d’observer finement des perspectives historiques, même assez limitées. Trop souvent, en effet, les ethnologues écrivent sur l’immigration et ses conséquences comme s’ils ignoraient l’histoire et son développement sur le sol européen. Avant de poursuivre sur les jardins, je voudrais aborder deux questions. La première, centrale dans ce congrès de la SIEF, concerne “ l’autre ”. J’essaye ici d’utiliser l’“ autre ” dans ce qui pourrait être son sens “ obscur ”, faisant alors référence à quelque chose ou à quelqu’un qui est non seulement catégorisé comme différent, mais aussi comme clairement subordonné, et le verbe “ altériser ” renvoie au processus par lequel ceux qui sont culturellement dominés sont stéréotypés et rendus déficients.119 Ainsi, les termes “ autre ” et “ altérisation ” sont-ils ni anodins ni neutres dans la mesure où ils ont à voir avec la domination et la subordination.

L’autre question que je veux aborder concerne la terre, la culture, les jardins et la nature. Ces mots s’inscrivent dans un puissant champ sémantique chargé de notions symboliques.

118. Klein (Barbro) : Plotting Boundaries and Planting Roots. Gardening in a Multi-Ethnic Swedish Town, Schweizerisches Archiv für Volkskunde 87, 1991 (a), p. 107-120. 119. Runfors (Ann) : Mångfald, motsägelser och marginaliseringar. En studie av hur invandrarskap formas i skolan, Stockholm: Prisma, 2003, p. 32, 255. 81 Entre Autres

En effet, la plupart des langues regorgent de métaphores et de symboles liés à la culture, et les débats contemporains autour de l’immigration, de l’exil et de la diaspora sont empreints de mots liés à “ la nature et la croissance ”, auxquels on peut attribuer des sens et des interprétations aussi bien positifs et négatifs. Le terme “ racine ”, avec des dérivés tels que “ enracinement ”, “ déracinement ” et “ transplantation ”, à ce titre, est exemplaire.120 Les significations métaphoriques, riches et apparemment infinies, rendent les jardins “ bons à penser ” à travers le prisme de la culture et de la vie sociale.

Les jardins autour de 1990

Les villes satellites, établies à l’extérieur des grandes villes européennes dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, sont appelées “ banlieues ” (förorter) en Suède. Nombre d’entre elles ont été construites dans les années 1960 et au début des années 1970 dans le cadre du plan gouvernemental appelé “ million program ” (miljonprogrammet), par lequel allait être proposé à tout Suédois – en particulier quiconque avait quitté la campagne pour la ville – un habitat moderne de premier choix. En aucun cas les banlieues suédoises ne devaient devenir des bidonvilles alors que l’on pointait du doigt les projets immobiliers misérables des autres pays. Pour offrir une vie modèle, des parcelles de terre avaient été réservées pour que chacun - encouragé à produire ses propres récoltes suivant la tradition européenne du jardinage urbain initiée à la fin du XIXème siècle - puisse jardiner.121 Cependant, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, quand l’ambitieux projet de création de banlieues modèles fut achevé, ce fut non pas les Suédois qui s’installèrent en priorité dans ce nouvel habitat, mais des immigrés et des réfugiés venant de Turquie, du Chili et du Vietnam. Les politiciens, qui redoutaient une montée de racisme consécutive à l’installation de ces nouveaux venus, encouragèrent alors au développement de parcelles municipales de jardinage, considérées comme des “ lieux positifs de rencontre ” entre populations de différentes cultures. “ Les jardins permettent de mieux comprendre et de mieux connaître les différents styles de vie ”, peut-on lire dans le compte-rendu d’une rencontre organisée en 1984 par le Conseil de l’immigration de la ville de Stockholm, étudiée ici. A l’époque où les journalistes décrivaient la vie dans les “ banlieues immigrées ” de façon de plus en plus négative,122 les jardins municipaux donnaient l’image d’une cohabitation harmonieuse possible.123 Ceci présent à l’esprit, allons voir maintenant les jardins d’une “ banlieue ” de Stockholm où vivent 6000 habitants de différents pays. La culture a commencé en 1978 dans une zone de jardin en forme de haricot près du centre-ville. Les personnes qui louaient des appartements à la société de logement locale pouvaient aussi louer une parcelle de jardin

120. Feld (Steven) et Basso (Keith H.) eds : Senses of Place, Santa Fe / New Mexico: School of American Research Press, 1996, Introduction p. 3-11, ici p.3. 121. A ce jour, les banlieues des villes d’Europe du Nord sont remplies de tels jardins ouvriers. D’autres sortes de jardins ouvriers sont évidemment importantes partout dans le monde : dans les banlieues en pleine expansion des villes d’Afrique du Sud, dans les villes de l’ex république soviétique, dans les zones d’immigration de l’Amérique urbaine et ailleurs. De plus en plus, ces jardins ont attiré l’attention des anthropologues, des ethnologues, des géographes culturels et autres universitaires ; une littérature importante et récente se développe sur le jardinage comme phénomène socio-culturel, écologique et esthétique. Voir, par exemple, Brisson (Jean-Luc) et alii, eds. : Jardiner, 2003 = Les carnets du paysage n° 9 & 10 [n° spécial]. 122. Ristilammi (Per-Markku) : Rosengård och den svarta poesin. En studie I modern annorlundahet. Stockholm: Brutus Östlings bokförlag Symposion, 1994. 82 123. (Barbro) & Becker (Karin, phot.) : Fences, Fertilizers and Foreigners: Moral Dilemmas in the Swedish Cultural Landscape, Journal of Folklore Research 30-1, 1993, p. 45-59. Among Others pour une somme modique. A la fin des années 1980, les jardiniers venaient de Suède, Finlande, Danemark, Bulgarie, Turquie, Liban, Syrie, Irak, Iran, Bengladesh, Vietnam, Chili, et d’autres pays encore. Il y avait une incroyable variété de techniques de jardinage, de plantes, de notions d’esthétique, et de formes d’échange parmi près de 100 parcelles de 100 m2, voire plus (le territoire couvre environ 11 725 m2). En temps qu’ethnographe, j’étais curieuse de découvrir ce que les jardiniers apprenaient et adaptaient de leurs compagnons dans un milieu fort différent du leur en termes de techniques de culture, d’idéaux esthétiques et de normes éthiques. Je voulais aussi savoir ce qu’ils rejetaient complètement. Ces premières interrogations restèrent importantes, même en 1990, lorsque j’ai commencé mes recherches sur le terrain en même temps que Karin Becker, photographe et spécialiste des médias. D’une certaine manière, nos recherches conjuguées continuent. Au fil des années, Becker a accumulé une vaste documentation visuelle alors que je parlais aux jardiniers et tenais des carnets de notes.124 Devenues pourtant très proches de personnes de divers horizons, nous avons noté que ce sont les jardiniers d’origine suédoise et finlandaise que nous avons connu le mieux. Je mets ainsi l’accent sur ces groupes dans mon intervention. En particulier, je cite des vues de jardiniers suédois et finlandais qui ont fini par dominer le comité exécutif de l’association des cultivateurs, ralliée par tous les jardiniers.

En 1990, première année de cette étude menée en commun, Karin Becker et moi-même pensions observer un sentiment naissant d’“ unité ”. Il nous a semblé que les jardiniers entrevoyaient la possibilité de la co-existence, en dépit des différences. Par exemple, les jardiniers de divers horizons comparaient parfois en plaisantant la zone de jardins à “ une ONU botanique ”.125 Mais en dépit de cette image d’unité, deux autres mots dominent dans mon carnet de notes de cette période : séparation et différenciation. A travers ces aspects, deux principes étaient en œuvre. L’un concernait la formation de voisinages ethniquement séparés. Le côté nord du territoire, le premier colonisé par les jardiniers suédois en 1978 et, en 1990, demeurait solidement nord-européen. Environ trente jardiniers étaient suédois, finlandais ou du nord de l’Europe126. Quelques jardiniers nés au Moyen-Orient appelaient en plaisantant ce voisinage “ la Vieille Ville ” (Gamla stan). La zone sud du territoire, bien que très diversifiée, tendait, là aussi, vers les groupes ethniques. Trois ou quatre parcelles cultivées par des moyen-orientaux se rassemblaient sur l’extrémité de la partie sud du territoire ; une rangée de parcelles cultivées par des est-asiatiques se trouvait le long de la clôture, face à l’est. L’autre principe de séparation ou de différenciation observait que les jardiniers travaillaient selon des modèles ethniquement ou culturellement distincts. A la fin des années 1980, les jardiniers suédois me décrivaient trois modèles de base : “ le Suédois ”, “ le Turc ”, et le “ Chinois ”. Leur description convaincante semblait correspondre à mes propres observations. En fait, Karin Becker et moi-même avons longtemps gardé ces

124. Becker (Karin) : Picturing a Field: Relationship Between Visual Culture and Photographic Practice in a Fieldwork Setting, Folklore, Heritage Politics, and Ethnic Diversity. A Festschrift for Barbro Klein, in Anttonen (Pertti) et alii, eds., Botkyrka: Multicultural Centre, 2000, p. 100-124 ; cf. note 1 Klein 1991 (a) ; Klein (Barbro) & Becker (Karin, phot.) : A Botanical UNO. Gardening in a Multiethnic Swedish Town, The World and I, May 1991 (b), p. 620-627 ; cf. note 6, Klein 1993 ; Becker (Karin) & Klein (Barbro) : Med svenska ögon – ett mångkulturellt odlingsområde 1990 och 2000. Fataburen. Nordiska museets och Skansens Årsbok, 2003, p. 151-181. 125. Cf. note 7 Klein-Becker 1991 (b). 126. Dans une certaine mesure, ces “ voisinages ” ont été constitués par les membres du comité exécutif et ceci en dépit de la règle premier venu, premier servi. Ils ont parfois manipulé des listes d’attente de façon à empêcher les immigrés d’Asie de reprendre des parcelles vides et ont, à la place, offert ces parcelles à des Européens du Nord. 83 Entre Autres

modèles à l’esprit, même lorsque l’on comprit qu’ils simplifiaient la variété actuelle des pratiques de jardinage. Le modèle “ suédois ” comprenait les parcelles cultivées par les Européens (peut-être 50), la plupart d’entre eux venant d’Europe du Nord. En qualifiant de “ suédoises ” les parcelles cultivées par des Européens, les jardiniers suédois montraient que, par rapport aux personnes des autres continents, les Européens du Nord (et de l’Est) partageaient à un tel point les bases et les façons de jardiner qu’ils auraient pu aussi se confondre avec “ nous ”. Plus notable encore était le fait qu’autour de 1990, les Finlandais furent acceptés comme “ nous ”. Ceci avait été presque le cas au début des années 1970, à l’occasion d’une grande vague d’immigration finlandaise en Suède, où les Finlandais avaient souvent été catalogués comme effrayants, associés aux couteaux et à l’alcool. Les Suédois semblaient avoir de solides raisons pour mettre tous les Européens du Nord et du centre dans un seul groupe, dans la mesure où ils partageaient tous les mêmes idées, les mêmes techniques de jardinage, la même esthétique, et les mêmes façons de communiquer avec le monde autour d’eux. Dans une certaine mesure, cette notion de “ nous ” était aussi basée sur la classe sociale : presque tous les Européens étaient des travailleurs compétents déjà à la retraite. Ils partageaient tous une tendresse pour les fleurs, les palissades, et les robustes vérandas étaient décorées de façon très inventive. Bien que les vraies maisons soient interdites sur les jardins (seulement des remises ou des serres qui n’excédant pas 1,60m. de haut), plusieurs jardiniers suédois et finlandais avaient dépensé une quantité d’énergie démesurée à construire des maisons qui n’en étaient pas. Nombre de leurs créations étaient bien faites et pleines de fantaisie. En fait, à travers la plupart des parcelles cultivées par les Suédois et d’autres Européens du Nord transpirait un sentiment pour la maison et l’attention. Un autre facteur qui unissait les Suédois et les autres Européens était qu’ils se voyaient eux-mêmes en héritiers du mouvement européen du jardinage urbain. Et en accord avec les objectifs de ce mouvement, chacun d’entre eux jardinait “ biologiquement ” et était attentif à maintenir les composts. Ainsi, les membres du comité exécutif considéraient comme essentiel d’initier leurs compagnons de jardinage, en particulier les nouveaux venus, aux techniques biologiques. Le type “ Turc ” était le label suédois pour toutes les parcelles cultivées par des gens du Moyen-Orient ou d’Asie de l’Ouest, sans tenir compte du pays d’origine ni de la religion. Autour de 1990, quelques familles “ turques ” étaient musulmanes, mais la majorité était des Syriens ou Assyriens chrétiens (“ Syriacs ”). Plusieurs de ces familles étaient apparentées et venaient de la même ville du sud-est de la Turquie ; plusieurs familles étaient passées de pays en pays avant de s’établir en Suède. Mais les Suédois et les autres Européens du Nord ont trouvé difficile de faire la distinction parmi les personnes du Moyen-Orient et les ont donc appelées “ Turcs ”. Cette façon de faire des Européens du Nord souligne combien ces nouveaux venus étaient étrangers, étaient autres. Peu de jardiniers d’Europe du Nord étaient tentés d’apprendre les différences nationale, religieuse, linguistique, éducative et politique parmi les jardiniers originaires d’Asie de l’Ouest.

Quand les Suédois et les Finlandais du comité exécutif décrivaient les parcelles “ turques ”, ils mettaient l’accent sur certaines particularités étonnantes ou exotiques. En même temps qu’ils montraient, parfois avec admiration, la concentration “ turque ” à produire de la romaine, des poireaux et de l’ail, ils s’amusaient du manque d’intérêt apparent parmi les “ Turcs ” à faire pousser des fleurs et autres plaisirs pour les yeux127. Les Suédois montraient aussi souvent avec irritation les espaces repas turcs conçus pour accueillir les nombreux membres des familles qui se réunissaient dans les jardins les 127. Les Suédois ne réalisaient pas que les jardiniers originaires de Turquie, Syrie et Liban considéraient les parcelles de jardins comme des champs et qu’ils préféraient faire pousser des fleurs 84 plus près de leur maison. Among Others soirs d’été. Pour les Suédois, ces espaces repas souvent construits à la hâte étaient des horreurs, en particulier quand les tables étaient couvertes de toiles plastiques déchirées aux couleurs vives. Pour les Suédois, il était incroyable que des gens du Moyen-Orient puissent se reposer dans leurs jardins habillés d’élégants vêtements du dimanche alors que leurs vérandas et leurs barrières étaient construites n’importe comment avec des éléments disparates. En fait, les phénomènes les plus inattendus se révélaient irritants. Par exemple, plusieurs jardins moyen-orientaux étaient constitués de parterres rectangulaires bien définis séparés par des panneaux de bois. Les Suédois n’utilisaient pas cette méthode et un jeune jardinier suédois dit même un jour “ nous appelons cela des tombes ; il ne manque que les croix dessus ”. Le troisième type de jardin dans la “ classification ” suédoise était le jardin “ chinois ”. Les jardiniers chinois avaient vécu au Vietnam avant de fuir la guerre dans les années 1970. Nombre d’entre eux avaient expérimenté des routes migratoires incroyablement complexes avant d’arriver en Suède. Mais la plupart des Suédois n’étaient pas avides de découvrir leurs histoires. Pour eux, les “ Chinois ” étaient encore plus éloignés culturellement que les “ Turcs ”. Certains Suédois étaient très étonnés que ce soit les femmes qui travaillent presque exclusivement sur les parcelles. Exceptionnellement, des hommes âgés réparaient les clôtures et faisaient d’autres travaux de menuiserie. Les Suédois ont pu observer aussi avec surprise que les parcelles des Asiatiques de l’Est n’avaient pas d’endroits pour s’asseoir et que les familles ne venaient jamais manger ni se reposer dans leurs jardins. “ Les Chinois ne sont intéressés que par la nourriture ”, dit une femme suédoise ajoutant que “ tout ce qu’ils font pousser est du chou chinois ”. En même temps, les Européens du Nord reconnaissaient souvent que les Est-asiatiques étaient des jardiniers talentueux et admiraient leur inventivité à trouver comment protéger les plantes fragiles et à constituer des treillages en osiers pour les plantes grimpantes. Les jardiniers d’Europe du nord ont aussi noté que les Est-asiatiques étaient capables de récolter des légumes verts et des choux plusieurs fois par an, parfois tellement souvent qu’ils étaient capables de fournir les restaurants. Pour faire cela avec le climat nordique, ils utilisaient des quantités considérables d’insecticides, de désherbants et d’engrais chimiques. C’était une abomination pour les Européens du Nord et complètement à l’encontre de leur idéologie du jardinage. L’abus de méthodes de culture non biologiques a provoqué de nombreux conflits quotidiens ainsi que de réelles infections. Plusieurs parcelles cultivées par des Est-asiatiques étaient affectées d’une maladie qui attaque différentes sortes de choux et provoque des excroissances sur leurs racines (klumprotssjuka). La maladie se développe quand les choux sont cultivés de façon trop intensive et avec l’aide de produits artificiels sur un seul et même endroit d’une rangée pendant plusieurs années ; finalement les plantes mourront et le sol sera inutilisable. Le remède le plus efficace consiste à cultiver alors des pommes de terre, des betteraves ou autres après six ans de culture intensive du chou. Mais les jardiniers d’Asie de l’Est n’ont pas adopté cette règle et, vers 1990, deux ou trois parcelles cultivées auparavant par des Est-asiatiques étaient en jachère. Le comité exécutif fut occupé pendant des années en essayant de résoudre les controverses liées au manque “ chinois ” de préoccupations pour l’environnement.

Il est difficile de ne pas prendre en compte les sous-entendus symboliques dans ces conflits ni de noter que les Suédois utilisaient symboliquement la maladie de la racine pour faire un parallèle séculaire entre les étrangers et ce qui est potentiellement contagieux et toxique.128 Sans en avoir vraiment conscience, les Suédois parlaient métaphoriquement des Asiatiques de l’Est comme des porteurs de maladies. Ils les “ altérisent ” en parlant d’eux comme des “ gens sans hygiène ” (en opposition à des “ citoyens sains ”) pour

128. Douglas (Mary) : Purity and Danger : An Analysis of Concepts of Pollution and Taboo, New 85 York: Frederick A. Praeger, 1966. Entre Autres

reprendre les termes utilisés par Charles Briggs et Clara Mantini-Briggs129 dans leur livre sur les séries d’épidémies de choléra au Venezuela. Dans le cas du territoire de jardins, il serait faux d’opposer des indigènes xénophobes à des étrangers victimes et dénigrés. Les jardiniers d’Europe du Nord se trouvaient en fait face à un délicat dilemme éthique dans la mesure où ils devaient mettre en balance le respect pour leurs compagnons jardiniers et le besoin de faire valoir les techniques de culture convenant au climat et au sol de l’Europe du Nord. Cependant, les Européens du Nord ne considéraient pas réellement ces controverses avec les “ Chinois ” car ils étaient convaincus d’avoir raison, moralement, écologiquement, et scientifiquement, c’est-à-dire en termes de jardinage de qualité. Un Suédois dit un jour : “ il va devenir tout simplement indispensable pour eux de commencer à se comporter comme nous – si nous voulons sauver notre terre, un point c’est tout ”. Dans les années 1990, les conflits liés à l’abus d’insecticides et d’engrais cristallisaient, en termes de différences ethniques et culturelles, les problèmes les plus graves. Les difficultés pour résoudre ces désaccords étaient sans aucun doute liées à la distance sociale entre les groupes de jardiniers. Ainsi, tous les jardiniers préféraient-ils, par exemple, agir avec des personnes proches de leur culture et la plupart n’ont jamais tissé de liens culturels ou linguistiques significatifs. Les jardiniers apprenaient peu en terme de technique de jardinage de la part de leurs voisins d’une origine culturelle différente. Nous avons rencontré des jardiniers qui n’ont jamais voulu reconnaître la présence de personnes de l’autre côté de la barrière, qui n’ont même jamais parlé avec elles. Les questions visuelles étaient particulièrement révélatrices. Par exemple, un jour de printemps, une femme suédoise travaillait sa parcelle de jardin en bikini. Interrogée sur la manière dont pouvait réagir un groupe d’hommes du Moyen-Orient de l’autre côté de l’allée, elle dit : “ Ils n’ont pas à regarder, n’est-ce pas ? ”.

Dans la vie quotidienne, les jardiniers considéraient souvent leurs compagnons jardiniers en temps qu’autres, en temps que présences qu’ils ne désiraient ni voir, ni entendre130. Les jardiniers est- et ouest-asiatiques étaient plus contents quand ils se retrouvaient seuls, sans ingérence entre eux ni de la part des Suédois. Même les Suédois voulaient qu’on les laisse en paix. En fait, dans leurs activités quotidiennes, les Suédois ne faisaient pas de différence entre les différents d’étrangers. Ils semblaient plutôt partager un sentiment vague et gêné d’être soumis à toute sorte d’altérité sous la forme de personnes, de mouvements et de sons indésirables. Pour eux, le jardinage a à voir avec le silence, la relaxation, et la réflexion – et non avec des rires bruyants et des appels incompréhensibles à travers des barrières construites sans soin. Ce que voulaient réellement les Suédois était un territoire de jardins bel et bien entretenu entouré d’une barrière bien construite, un territoire où les personnes travailleraient individuellement leur parcelle en totale harmonie. Ils voulaient un territoire où les personnes partageraient leurs valeurs et idéaux esthétiques suédois. Les nouveaux venus pour leur part voulaient qu’on les laisse cultiver eux-mêmes leurs plantes et travailler ensemble avec leurs familles et parents et peut-être même oublier qu’ils étaient en Suède. Mais en 1990, aucun nouveau venu ne nous a jamais dit que ses valeurs ou idéaux devaient être embrassés par tous les jardiniers.

129. Briggs (Charles L.) & Mantini-Briggs (Clara) collab. : Stories in the Time of Cholera. Racial Profiling During a Medical Nightmare. Berkeley : University of California Press, 2003. 130. L’erreur de “ considérer ” les personnes d’autres groupes comme étant différentes de celles du sien propre est générale. L’anecdote suivante en rend compte : un groupe de parents d’une autre 86 ville suédoise rendit visite à l’une des familles assyriennes installée dans les jardins. Soudain, l’un des visiteurs demanda : “ Il n’y a pas du tout de Suédois dans ces jardins ? ”. Among Others La Suède et le monde 1990 - 2000 Des événements incroyables ont eu lieu dans le monde entre 1990 et les premières années du XXIème siècle : la chute de l’Union soviétique, l’ouverture de l’Europe de l’Est, la guerre en ex-Yougoslavie, les massacres au Rwanda, le développement de l’Afrique du Sud après l’apartheid, les horreurs du 11 septembre et les suivantes en Afghanistan et en Irak – pour ne citer que quelques événements. En outre, un développement extraordinaire dans la circulation mondiale des idées, des marchandises, des médias et des personnes. Ceci et une multitude d’autres événements et développements ont eu des implications et des conséquences sur toute la planète. Ce qui a le plus directement impliqué les Suédois fut l’adhésion de leur pays à l’union européenne en 1994. Au début des années 1990, les Suédois ont accueilli un si grand nombre d’immigrés et de réfugiés qu’autour de 2000, plus d’1/5ème des presque 9 millions d’habitants étaient immigrés ou enfants d’immigrés. De plus, depuis 1995, toutes les écoles, tous les hôpitaux, musées et autres institutions, ont été enjoints par le gouvernement de prendre en compte au cours de chacune de leurs activités que la Suède était désormais “ multiculturelle ”. La réussite de l’“ intégration ” était devenue un enjeu politique officiel. En même temps, comme beaucoup d’autres pays, la Suède était de plus en plus préoccupée par les restructurations économiques conduisant à des formes de privatisation dans les systèmes de l’éducation, de la santé, des transports publics et autres.

Dans le courant des années 1990, les Suédois ont été mis au courant de difficultés qui les ont amenés à oublier la perception qu’ils avaient de leur pays depuis longtemps comme exceptionnellement homogène et à accepter l’idée que la Suède était devenue tout à fait hétérogène, culturellement, religieusement et linguistiquement. Quelques crimes racistes très médiatisés et une courte période de succès pour un parti politique populistes et xénophobe ont choqué de nombreuses personnes qui avaient longtemps cru en la Suède comme l’une des voix du monde pour la justice sociale, la tolérance et l’équité. “ Même en Suède ! ” est le cri que poussait le géographe culturel Allan Pred131 dans un livre analysant le réveil de racismes en Suède ainsi que dans d’autres pays d’Europe. En fait, cet ouvrage s’inscrit parmi l’avalanche d’études produite dans les années 1990 sur les problèmes liés à l’immigration en Suède.

Dans le même temps, les Suédois prenaient de plus en plus conscience que les immigrés étaient arrivés dans leur pays pour y rester. En l’espace de dix ans, au tout début du XXIème siècle, beaucoup plus de Suédois réalisaient qu’il pouvait y avoir différentes manières d’être Suédois. Ces dernières années, les nouveaux venus sont devenus de plus en plus visibles dans les espaces publics en Suède : une mosquée a été construite au centre de Stockholm et de plus en plus de jeunes femmes originaires du Moyen-Orient et d’Afrique se déplacent dans les espaces publics des centres urbains. Dans les médias, on voit beaucoup plus qu’avant des personnes nées loin de Suède. Bien qu’une part de cette visibilité soit négative puisqu’elle concerne quelques meurtres très médiatisés de femmes musulmanes par leurs parents masculins,132 de plus en plus de jeunes migrants -hommes et femmes- peuvent être entendus et vus dans les médias, non seulement lors de crimes, mais aussi comme politiciens, journalistes, artistes et écrivains. Quelques immigrés ont récemment accédé à des postes importants, comme Ibrahim Baylan nommé Ministre de l’Education.

A l’inverse, quelques communautés suédoises sont maintenant plus isolées qu’avant et tendent à être séparées entre zones “ totalement suédoises ” et zones “ totalement

131. Pred (Allan): Even in Sweden. Racisms, Racialized Spaces, and the Popular Geographical Imagination. Berkeley: University of California Press, 2000. 87 132. Wikan (Unni): For aerens skyld. Fadime til ettertanke. Oslo: Universitetsforlaget, 2003. Entre Autres

immigrées ”. Dans certaines “ banlieues immigrées ”, le chômage est très important. Selon certains universitaires, ces développements ont moins à voir avec des questions d’ethnicité qu’avec la formation d’une classe sociale d’immigrés peu aisée. Dans certaines communautés, y compris celle dont nous parlons ici, la base d’imposition déjà faible a baissé, car les natifs suédois s’en vont. Une ville satellite hyper-moderne créée par le “ million program ” est devenue un “ arrière-pays ethnique ” cerné par la honte.133 Les visiteurs étrangers peuvent toutefois ne pas détecter cette distorsion. La ville dont il est question ici semble soignée et bien entretenue par les responsables locaux du logement. Les résidents, pourtant, se sentent stigmatisés.

Les jardins en 2000 Pour en revenir au jardin, comment cela se passe-t-il au tout début du XXIème siècle par rapport à la fin des années 1980 ? Les jardiniers ont-ils réussi à demeurer ensemble sur ce territoire ? Non seulement ce territoire demeure mais il se développe. A certains égards, il n’y a eu aucun changement. Alors que de nouveaux jardiniers ont repris de nombreuses parcelles, un petit nombre cultive les mêmes parcelles que dans les années 1980. Les mêmes règles prévalent, mais le prix de la location de parcelle a augmenté (en 2000, le m2 se loue environ 1 euro). Le comité exécutif est toujours dominé par les “ Suédois ”, c’est-à-dire des jardiniers d’Europe du Nord. Il est toujours assez facile de distinguer les parcelles cultivées par les Européens du Nord, les Asiatiques de l’Ouest et de l’Est. Au même moment, des changements considérables ont eu lieu. D’abord, le territoire n’est plus aussi clairement divisé en “ quartiers ethniques ” qu’auparavant. Alors qu’il y a encore beaucoup de Suédois et d’autres Européens du Nord dans la zone nord du territoire (ou “ Vieille ville ”), cette partie n’est plus aussi solidement nord-européenne qu’avant. En particulier, des jardiniers chiliens ont repris quelques parcelles et des natifs chiliens ont aussi été élus au comité exécutif. De nombreux indices témoignent que les jardiniers d’Amérique latine sont devenus une partie du “ nous ” suédois. Par ailleurs, le territoire dans son entier (donc non seulement les jardins suédois) semble mieux entretenu, plus confortable, mieux établi, et plus habité qu’auparavant. Si la différence est désormais frappante, elle n’est pas si étrange. A la fin des années 1980, le territoire n’existait que depuis une dizaine d’années et nombre des jardiniers non-européens venaient juste d’arriver en Suède. Les petites maisons ou abris à outils que l’on peut voir maintenant sur tout le territoire (non seulement dans la partie suédoise et nord- européenne) attestent de façon marquante le confort et les installations. La plupart de ces maisons sont construites avec soin dans un style similaire. L’effort de concertation pour parvenir à l’ordre et à l’uniformité espérés par les jardiniers suédois à la fin des années 1980 est maintenant palpable. Au tout début du XXIème siècle, il est difficile de trouver de vieilles tables, des chaises branlantes ou des toiles cirées déchirées aux couleurs vives. Au contraire, certaines des installations de jardiniers d’origine moyen-orientale sont raffinées et bien conçues. Ceci est particulièrement vrai pour deux jardins cultivés par un homme d’origine libanaise. En 2000, ces parcelles comptaient non seulement une petite maison joliment construite, mais aussi une fine tour évoquant un minaret, une allée faite de planches de bois clôturée par une corde menant à une véranda hexagonale avec table et chaises assorties. Tout était peint de façon exquise dans une harmonie de vert et de bleu, suggérant une ambiance marine. Les parterres étaient disposés autour en diagonale

133. Ristilammi (Per-Markku) : The Story of Progress, in Lindqvist (Mats) & Arvastson (Gösta) 88 ed., Alterity in Modern Sweden, Uppsala, 1996, = Studia Ethnologica Upsaliensia 17, p. 49-56, ici p.9. Among Others où poireaux et salades romaines poussaient bien alignés. En 2003, Ce jardinier ajouta encore d’autres créations, comme des cages contenant de faux oiseaux et un joli petit moulin à vent. La disposition entière était un mélange surprenant d’idéaux esthétiques d’Asiatique de l’Est et d’Européen du Nord. D’un côté, les manières de cultiver et de travailler le bois étaient évidemment celles d’une personne dont les expériences et les valeurs esthétiques avaient été acquises loin de Suède. Pareillement, sa disposition correspond bien aux idéaux esthétiques établis par les jardiniers suédois et finlandais dans les années 1980, quand ils construisirent les petites maisons et vérandas inventives. Il semblerait que rien dans ce jardin “ moyen-oriental ” ne puisse perturber les idéaux nordiques alors que ses qualités non-suédoises sont apparentes. Peut-être que l’on peut parler du nouveau style raffiné asiatique, “ hybride ” et adapté à ce territoire particulier de jardins dans cette ville particulière suédoise. Au XXIème siècle, d’autres signes montrant que les gens veulent plus qu’avant proclamer leur appartenance étrangère en même temps qu’ils restent dans les limites de l’acceptable dans ce territoire de jardins en Suède. Certains ont affiché des panneaux sur leur abri ; sur quelques maisons les panneaux sont en arabe. Sur certaines parcelles, des drapeaux chiliens flottent, ce qui aurait été impensable en 1990. Une atmosphère bien plus détendue pleine de jeu et d’humour s’est installée sur le territoire entier ; auparavant, ce type d’atmosphère ne se rencontrait que parmi les Européens du Nord. Un abri construit par un jardinier originaire du Chili est censé être associé à un salon de western et sur le toit d’un autre, des vaches en bois paissent dans le calme. La zone de jardin procure abri et confort. En même temps, la ville elle-même fait de plus en plus part du monde des communications : des chaînes de télévision techniquement avancées vont maintenant de soi comme les téléphones portables ce qui permet aux gens de communiquer avec leurs parents dans le monde entier à très faible coût. Bien plus qu’en 1990, les jardiniers sont maintenant simultanément dans leur maison et dans le monde. D’autres changements ont aussi eu lieu depuis 1990. L’un, très important, consiste à utiliser fréquemment le mot “ multiculturel ” (mångkulturell). En 1998, un mot sur un panneau d’affichage annonçait en premier lieu que l’association des cultivateurs célébrait son 20ème anniversaire mais aussi que cette structure était “ multiculturelle ”. Et en 2003, le visiteur pouvait lire que cette “ association multiculturelle de cultivateurs ” célébrait son 25ème anniversaire. Alors que ces déclarations étaient inconcevables en 1990, il est devenu opportun en quelques années de se vanter de “ multiculturalisme ”. Les efforts gouvernementaux ont donc eu un impact sur la zone de jardin.

La raison principale de cette proclamation tient au travail sans relâche de l’un des membres du comité exécutif, un employé des postes à la retraite, élu municipal (comme social démocrate) et impliqué dans des milliers de causes. Ce membre du comité est un militant faisant la propagande de techniques de jardinage biologiques et d’un paysage sonore. En 1998, lui et quelques autres jardiniers suédois se sont arrangés pour que l’association prenne part à un “ Projet d’amélioration de la Terre ”, ce qui a permis certaines mesures pour améliorer le sol des jardins. Inspiré par le succès de cet effort et afin de le poursuivre, le comité qui a esquissé un projet destiné à “ améliorer la terre ” et à “ créer la communauté ”, s’est adressé à l’Union européenne pour le financer. En 2001, l’association des cultivateurs a reçu 34.000 couronnes suédoises (ca. 4.500 euros) pour le projet. L’argent a été utilisé pour un certain nombre d’objectifs. Premièrement, une petite brochure intitulée “ La terre saine ” fut imprimée en arabe, chinois, espagnol et suédois ; elle contient des informations de base sur la culture biologique appropriée à ce territoire particulier de jardins. L’argent restant fut utilisé pour rendre une parcelle propre à la démonstration et à l’enseignement et pour transformer une autre en “ jardin des enfants ”. Certaines journées furent consacrées à l’enseignement et plus de 60 jardiniers avaient vraiment commencé à faire du compost. Bien que certains en aient 89 finalement eu assez, nombreux sont ceux qui ont continué. Les efforts pédagogiques se Entre Autres

poursuivent chaque été et le panneau d’affichage de l’association est toujours rempli de suggestions et d’appels : “ Nous devons faire plus de compost ! ” “ Chaque jardinier a le devoir de prendre trois heures de travail pour des objectifs communs ! ” “ Désherbez les allées autour des parcelles ! ” “ Lisez votre contrat ! ”. L’argent provenant de l’Union européenne a aussi attiré l’attention d’universitaires de plusieurs disciplines, parmi lesquels des chercheurs étudiant les liens entre diversité culturelle et diversité biologique.134 Ces nouvelles enquêtes sur l’influence et l’adaptation d’“ espèces étrangères ” n’ont pas seulement proposé de nouveaux horizons biologiques mais ont aussi ajouté de nouvelles dimensions métaphoriques au symbolisme déjà important lié au thème des jardins et des migrations. Dans l’ensemble, les membres du comité exécutif de l’association des cultivateurs disent qu’ils ont maintenant “ amélioré l’ordre ” sur le territoire comme jamais auparavant et “ que les gens sont maintenant plus responsables ”. “ L’atmosphère est meilleure ”, insistent-ils. De bien des façons, les jardiniers suédois et finlandais du comité exécutif, ainsi que beaucoup d’autres jardiniers européens du Nord, restent enfermés dans les mêmes conflits et dilemmes qu’il y a dix ans. En grande partie, ces tensions restent liées au problème du jardinage biologique, c’est-à-dire aux problèmes du sol. La plupart des jardiniers chinois originaires du Vietnam ne font toujours pas de compost. Ils ne pratiquent pas non plus l’assolement des cultures quand cela est nécessaire et les parcelles sont épuisées par des maladies de racines. La compréhension mutuelle fait défaut et les conflits de base environnementaux demeurent en dépit des efforts des jardiniers suédois. Les conflits sont liés aussi à d’autres problèmes. “ Les Chinois ne comprennent pas qu’ils ont signé un contrat, ils ne comprennent pas qu’ils doivent contribuer à l’association dans sa totalité. Ils ne s’aident qu’entre eux, ils n’aident que leurs proches ”, insiste l’un des jardiniers suédois. Il n’y a eu de changement ni d’un côté, dans l’idéologie est- asiatique de la solidarité familiale, ni de l’autre, dans une solidarité organisationnelle suédoise basée sur les intérêts communs. D’autres conflits, enfin, surprennent plus que ceux apparemment sans fin autourdu compost : ceux des maladies et de la solidarité. Il y a par exemple des conflits autour de l’esthétique. Les arrangements artistiques du jardinier libanais, décrits plus haut, sont en fait douloureux à la vue de quelques Européens du Nord. Un membre suédois du comité a déclaré : “ Il doit enlever tout cela. S’il veut sculpter et créer des figures, il peut faire cela chez lui. Nous avons une responsabilité pour l’environnement (miljöansvar) ”. Le comité environnemental (miljöansvaltningen) de cette communauté sera après nous, si nous autorisons cela. Après tout, c’est un espace public, les gens peuvent faire ici ce qu’ils veulent ”. Il est cependant clair que pour le jardinier d’origine libanaise, la parcelle de jardin louée est aussi chez lui. Nous avons ici un conflit des visions du public et du privé.

De bien des façons, il semblerait que les jardiniers Suédois, qu’ils soient membres ou non du comité, ne veuillent pas réellement d’une zone de jardins “ multiculturelle ”. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas voir la variation actuelle qui les entoure, encore plus en 2000 qu’ils ne le voulaient en 1990. Alors que les jardiniers latino-américains et asiatiques adaptent subtilement les références suédoises, les jardiniers suédois n’ont aucunement adopté les usages de culture ni les idéaux esthétiques des latino-américains ou des asiatiques135. De nombreux Suédois continuent, sans aucun compromis, à

134. Almstedth (Malin) : Mångfaldskonferensen 2002. Kulturell mångfald möter biologisk mångfald, Biodiverse 7(4), 2002, p. 7. 135. Cependant, nullement en rapport avec le tourisme ni avec la diversité des marchandises sur le marché, de nombreux Suédois ont adopté assez rapidement des plats et des habitudes alimentaires de pays lointains. Sur le territoire des jardins, ils font griller avec enthousiasme des saucisses épicées 90 du Chili. Among Others s’accrocher à leur mission d’enseigner à ces “ autres ” d’Asie ce qui est moralement juste et correct pour l’environnement en Suède. De nombreux Suédois continuent à en savoir aussi peu sur les jardiniers des autres continents que vingt ans auparavant. Le jardinier qui a joué un rôle décisif dans l’obtention de la bourse européenne a insisté : “ Je n’ai jamais demandé aux gens d’où ils venaient, je n’ai jamais essayé de découvrir d’où ils venaient ”. Et dans un autre contexte, ce jardinier a dit : “ Je ne considère pas les gens comme des “ immigrés ”, je ne veux pas les considérer comme différent, ce sont juste des gens et nous sommes égaux ”.

Diversité, différence et multiculturalisme

Autour de 2000, des forces contradictoires semblent être à l’œuvre sur le territoire de jardins. Du point de vue des jardiniers suédois et européens du Nord, quelques inquiétudes essentielles demeurent depuis 1990. Les jardiniers suédois influents en sont venus à souscrire à la rhétorique de la diversité et du multiculturalisme propagée par le gouvernement suédois et en ont aussi bénéficié. Des termes tels que “ multiculturel ” (mångkulturel) et “ diversité ” (mångfald) signifient maintenant quelque chose de vaguement séduisant et politiquement avantageux. Dans un sens, ces mots sont utilisés comme noms de code permettant d’éviter de voir et de reconnaître les réelles “ différences ” (skillnader). On pourrait dire que les Suédois du territoire de jardins célèbrent la diversité mais évite la vraie différence.136

A certains égards, le raisonnement des Suédois dans le territoire de jardins ressemble au raisonnement de la vie suédoise contemporaine dans d’autres secteurs. Prenons le système scolaire primaire qui a été récemment analysé par l’ethnologue Ann Runfors.137 Elle met l’accent sur le fait que l’objectif ancien en Suède de “ supprimer les différences dans la vie sociale et la classe ” a eu pour effet que toutes les “ différences /…/ ressortent comme quelque chose dont il faut s’occuper et, de préférence, quelque chose à supprimer – plutôt que quelque chose à apprécier et à quoi il faut faire attention de manière positive ” (ma traduction).138 Elle remarque aussi que quand les écoles veillent à la différence culturelle, elles le font de manière à démontrer la ressemblance. Le message répété aux enfants est qu’à l’intérieur, tous les êtres humains sont semblables. On pense effectivement qu’ “ une manière efficace de neutraliser les préjudices et la xénophobie ” est de montrer les ressemblances entre les peuples.139 Quelques spécialistes de la culture partagent aussi cette idée. Les ethnologues contemporains essayent parfois d’éviter l’“ exotisation ” ou l’“ altérisation ” des personnes à tel point que, comme les enseignants du primaire et du secondaire, ils ont peur de reconnaître toutes les différences – même celles posant réellement une grande différence entre les peuples qu’ils étudient.140

Le débat sur la diversité et la différence est une composante importante des efforts du gouvernement suédois pour créer une réelle intégration et égalité141. Il semblerait que les

136. Kurkiala (Mikael) : Business as usual? Critical remarks on the trivialization of difference and diversity, LBC Newsletter n° 2 (January 2002), p. 22-25, ici p.24. 137. Cf. note 2. 138. Cf. note 2, Runfors p.194. 139. Cf. note 2, Runfors p. 196. 140. Klein (Barbro) : När skillnad gör skillnad. Reflektioner kring museipolitik, tystnader, och judisk kultur i Sverige. Saga och Sed. Kungl. Gustav Adolfs Akademiens Årsbok, 2002, p. 47-61. 141. Les personnes impliquées dans ce débat – universitaires, politiciens, enseignants – ne partagent pas tous l’avis suivant lequel le problème est une crainte de la différence. Le problème consiste plutôt, disent-ils, en une surévaluation de la différence. Par exemple, dans son étude sur une 91 Entre Autres

jardiniers soient engagés dans des débats sur la diversité et la différence semblables à ceux engagés dans d’autres scènes de la vie suédoise et qu’ils les expriment autant à travers la pratique du jardinage qu’à travers les mots. Apprécier le multiculturalisme et la diversité et minimiser les différences est politiquement avantageux pour les leaders jardiniers. Une manière de maintenir la co-existence a longtemps été de ne pas “ voir ” les différences réelles. Certaines différences sont aussi présentes dans des pratiques et méthodes de jardinage qui sont intolérables pour l’autre – peut-être parce qu’elles menacent les idées que l’on a de la belle vie - et ne peuvent être ignorées. Pour les Asiatiques de l’Est du territoire, ces pratiques et méthodes amènent un bon rendement et des avantages économiques. Pour les Suédois, ces pratiques et méthodes sont destructrices, contraires à leurs convictions essentielles et doivent être éradiquées. Ce dilemme a persisté à travers les années de co-existence gênante et il n’y a pas de solution donnée possible.

Conclusions Le territoire des jardins peut être truffé de conflits et de dilemmes. Il est toutefois remarquable qu’il ait continué à prospérer pendant de nombreuses années. Quelques jardiniers venant de loin sont parvenus à considérer ce jardin comme une maison où ils peuvent et veulent planter, cultiver, faire de la menuiserie et inventer de nouvelles formes esthétiques. Quelques Suédois continuent de jardiner année après année ; ils aiment leurs jardins et s’y sentent enracinés. Est-ce la conclusion de cette discussion ? En d’autres termes, qui pourrait continuer à “ altériser ” des personnes sans les voir tout en co- existant avec elles ? Ce n’est pas là tout ce que je dis. Au fil des années, ces jardiniers ont d’abord essayé, même les Suédois dont les convictions sur le jardinage sont constamment contestées ou menacées. Ils ont continué avec persistance leurs efforts pour réformer et instruire. La plupart des jardiniers ont essayé durement ; un jour peut-être réussiront-ils plus qu’une co-existence à contrecœur. J’aimerais conclure avec quelques observations ethnographiques et historiques. D’abord, Il m’a été permis de montrer des changements considérables ainsi que la persistance d’idées essentielles et de conflits, parce que cette étude ethnographique a été menée durant plusieurs années (bien qu’avec intensité variable selon les différentes périodes). Ce type de recherche sur la durée tient compte des réflexions historiques – réflexions qui permettent de lier les inquiétudes d’un microcosme à une politique gouvernementale à long terme ainsi qu’à d’autres préoccupations et idées plus essentielles.

Ensuite, j’aimerais dire quelques mots sur l’histoire et l’ethnographie dans une perspective disciplinaire. Il me semble important d’insister sur le fait que, grâce à leur longue pratique de recherche sur le terrain, les ethnologues ainsi que leurs cousins anthropologues et folkloristes, ont une longue et unique histoire sur la compréhension des dessous et des apparences de la vie quotidienne, en vue de lier cette compréhension à des questions plus larges de société. Même si notre travail ethnographique dans les années à venir est amené à s’élargir par le biais d’efforts trans-locaux,142 nous continuerons à tirer parti de nos connaissances en enquêtant sur les significations sociales de la plupart des détails de la vie communauté semblable à celle-ci, l’anthropologue A. Carlbom pense que, bien que tolérantes en façade, les écoles, hôpitaux et autres institutions suédoises sont excessivement concernées par les différences (dans les noms, la religion, les manières de penser) et renforcent ainsi l’exclusion et l’inégalité même que le gouvernement est sur le point d’éradiquer. cf. Carlbom (Aje) : The Imagined Versus the Real Other: Multiculturalism and the Representation of Muslims in Sweden, Lund: Lund Monographs in Social Anthropology, 2003. 142. Hannerz (Ulf) : Epilogue: Changing Europe, Changing Ethnography. Anhropological Journal 92 of European Cultures, 2003, p. 207-214 (Numéro spécial : Shifting Grounds, Experiments in Doing Ethnography). Among Others quotidienne (comme la manière inventive d’arranger un jardin). A travers notre longue histoire d’ethnographes, nous avons appris à nuancer et contextualiser des dichotomies simplistes, tels que xénophobes contre xénophiles, sectaires contre exploités, originaires contre étrangers, jardiniers responsables contre utilisateurs négligents de poison. Nous avons les moyens de comprendre quand les différences font une réelle différence et nous avons les moyens de déceler les dilemmes et conflits qui sont vraiment importants pour les gens. En temps qu’ethnographes, nous avons rarement les solutions aux conflits. Il ne relève pas réellement non plus de notre compétence de trouver des solutions. Mais nous avons des moyens uniques pour identifier les conflits centraux de la vie quotidienne etleur persistance dans le temps. De telles identifications sont importantes pour la compréhension de la vie sociale en tous endroits. Pour le moment, elles sont décisives si nous devons comprendre les changements culturels profonds et les persistances en Europe.

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Becoming rooted in the north : a history of othering and co-existence in a swedish gardening territory

Barbro Klein

In this paper I will describe and analyze a territory of communal garden plots near Stockholm, Sweden, where the gardeners come from many different parts of the world. I spoke about this territory at a SIEF meeting in Bergen in Norway back in 1990 and this paper is a sequel to that presentation (Klein 1991a). On this mosaic of garden plots inconspicuous plants quiver with cultural and ideological messages. Here gardeners work on their own fenced-in plots but in public view and seen by all. Here gardeners (silently or openly, consciously or unconsciously, willingly or unwillingly) compare, adopt, reject and reflect upon each others cultivation techniques, esthetic preferences, opinions, bodies, sounds, movements, and smells. What do such notions as multiculturalism, difference, diversity, and othering mean in this social microcosm? What do they mean now and what did they mean ten or fifteen years ago? In the following I will pay particular attention to two points in time: 1990 and 2000. During the intervening years astonishing historical developments took place in the world. What impact, if any, have these developments had on the garden territory? It seems to me that it is especially important in studies involving contemporary immigrants in Europe to pay attention to even fairly limited historical perspectives: way too often, ethnologists write about immigration and its results as if these were lacking history and development on European soil. Before proceeding to the gardens I would like to comment on two issues. The first is central to this SIEF conference: “the other”. In this paper I attempt to use the “other” in what might be called its “strong” sense. In this sense, the noun “other” refers to something or someone who is not only categorized as different but also as distinctly subordinate, and the verb “othering” refers to the processes through which the culturally dominated are stereotyped and made defective (Runfors 2003: 32, 255). Thus in this strong sense, the “other” and “othering” are not innocuous and neutral as terms but have to do with domination and subordination. A second issue I wish to mention at the outset involves land, cultivation, gardens, and nature. These words are located in a powerful semantic field laden with symbolic overtones. Indeed, most languages are replete with metaphors and symbols linked to cultivation and growing, and contemporary debates concerning migrations, exile, and diaspora are full of “nature and growth” words that can be given positive or negative meanings and interpretations. A prime example is, of course, “roots” and such derivations as “rootedness”, “uprootedness”, and “transrootedness” (Feld and Basso 1996: 3). The seemingly endlessly rich metaphoric meanings make gardens good to think with in the understanding of culture and social life.

95 Entre Autres The gardens around 1990 The satellite-towns that were built outside large European cities in the decades following World War II are in Sweden called “suburbs” (förorter). Many of these suburbs were constructed in the 1960s and early 1970s as part of the governmental so-called “million program” (miljonprogrammet) through which all Swedes -- in particular Swedes who had moved into the cities from the countryside -- were to be offered first-rate, modern housing. The Swedish suburbs were not to become slums and warning fingers pointed to shoddy building projects in other countries. As part of the effort to provide model living, plots of land were reserved where people could garden in the tradition of the European urban gardening movement which began in the late 19th century, when urban workers were encouraged to raise their own crops.143 However, by the late 1970s and the early 1980s, when the great project to create model suburbs was completed, it was not only, or even primarily, Swedes who moved into the new housing, but immigrants and refugees from as far away as Turkey, Chile, and Vietnam. Politicians began to fear the development of segregation as newcomers were settling in and encouraged the development of municipal gardening plots: these were seen as “positive meeting places” between people from different cultures. “Garden plots lead to a better understanding of different life styles and a better knowledge of them”, we read in the minutes from a 1984 meeting of the Board of Immigration in the town in focus here. At a time when journalists described life in “immigrant suburbs” in increasingly negative terms (Ristilammi 1994), municipal gardens furnished images of the possibility of harmonious co-existence (Klein 1993). With this in mind, let us now go to the garden plots in a town outside Stockholm in which there are 6000 inhabitants from a great many countries. Cultivation began in this kidney-shaped garden area near the center of town in 1978; people who rented apartments from the local housing company could lease a garden plot at nominal cost. In the late 1980s, gardeners came from Sweden, Finland, Denmark, Bulgaria, Turkey, Lebanon, Syria, Irak, Iran, Bangladesh, Vietnam, Chile, and other countries. There was an astounding variation in gardening techniques, plants, esthetic notions, and styles of interaction on the close to 100 plots of 100144 or more (all in all the territory comprises 11 725 m2). As ethnographer I was curious to find out what gardeners learned or adapted from fellow-gardeners of a background that differed considerably from their own in terms of cultivating techniques, esthetic ideals and ethical norms. I also wanted to know what they rejected altogether. These initial questions continued to be important, also in 1990, when I began conducting fieldwork together with mass media scholar and photographer Karin Becker. In a limited way, our joint fieldwork is still going on. Through the years, Becker has been responsible for extensive visual documentation while I have talked to gardeners and kept field-notes (Becker 2000, Klein 1991a, 1991b, 1993, Becker and Klein 2003). Although we have become quite close to persons of many different backgrounds, it should be noted that we have gotten to know some Swedish and Finnish-born gardeners best of all. Also in this 143. To this day, the outskirts of north European cities are full of such allotments. Other varieties of urban gardens are of course important all over the earth: in the outskirts of the wildly expanding cities of West Africa, in the old cities of former Soviet Republics, in immigrant areas of urban America, and elsewhere. Increasingly, they are also attracting the attention of anthropologists, ethnologists, cultural geographers and other scholars; the recent literature on gardening as a socio-cultural, ecological, and esthetic phenomenon is extensive (see, for example, Brisson et al 2003). 144. To some extent, these “neighborhoods” had been formed by the members of the executive board and this despite a first-come, first-served rule. They had sometimes manipulated waiting lists in order to prevent immigrants from Asia to take over empty plots and had, instead, offered these plots to 96 North Europeans. Among Others paper, I place emphasis on these groups. In particular, I cite the views of some Swedish and Finnish gardeners who have come to dominate the executive board of the growers’ association which all gardeners must join. In 1990, i.e. the first year we conducted field work together, Karin Becker and I thought we could observe a budding sense of “togetherness”. It seemed to us that gardeners had begun to form an insight that it is possible to co-exist, despite differences. For example, sometimes gardeners of various backgrounds jokingly described the garden territory as “a botanical UN” (Klein 1991b). But despite this image of togetherness, two other words dominate my field-notes from this period: separation and differentiation. In these respects two principles were at work. One was the formation of ethnically separate neighborhoods. The northern side of the territory had been the first to be colonized by Swedish gardeners in 1978 and, in 1990, it remained solidly North European. Here about 30 gardeners were Swedish or Finnish or came from other North European countries.2 Some gardeners born in the Middle East jokingly called this “neighborhood” “The Old Town” (Gamla stan). By contrast, the southern part of the territory was extremely diverse. But also here there were tendencies toward ethnic clusters. Three or four plots gardened by Middle Easterners gathered on the southernmost end of the territory and a row of plots gardened by people from East Asia could be found along the fence facing east. Another principle of separation or differentiation was that gardeners worked according to ethnically or culturally distinct patterns. In the late 1980s, Swedish gardeners described three basic types to me: “the Swedish,” “the Turkish”, and “the Chinese”. Their description was persuasive and seemed to correspond with my own observations. Actually, for a long time, Karin Becker and I continued to look at the garden area with these types in mind - and this despite the fact that we gradually came to realize that the types constituted a simplification of the actual variety of gardening practices. The “Swedish” type included all the (perhaps 50 plots) gardened by Europeans, most of whom came from northern Europe. By calling all the plots that were cultivated by Europeans “Swedish”, the Swedish gardeners indicated that, compared to people from other continents, all North (and Central) Europeans shared basic values and ways of gardening to such an extent that they might as well be “us”. Most remarkable was the fact that around 1990 Finns were accepted as “us”. This had hardly been the case in the early 1970s, when there was a large Finnish immigration into Sweden and Finns were often stereotyped as threatening others, associated with knives and alcohol. The Swedes did seem to have a sound basis for placing all north and central Europeans in one group, in so far that they all shared basic ideas of gardening techniques, esthetics, and ways to interact with the world around them. To some extent, that sense of “us” was also based on social class: almost all the Europeans were skilled workers or were retired from such jobs. They all shared a fondness for flowers, picket fences, and sturdy verandas which were inventively decorated. Although no real houses were allowed on the garden territory (only sheds or green houses that were no more than 1.60 meters high), several Swedish and Finnish gardeners had invested an inordinate amount of energy into building houses that were no real houses. Many of their creations were well-made and playful. Indeed, most of the plots that were cultivated by Swedes and other north- Europeans exuded a sense of home and care. Another factor that united the Swedes and other Europeans was that they saw themselves as heirs to the European community gardening movement. And in accordance with the goals of this movement, all of them gardened “organically” and were careful to maintain composts. Indeed, the members of the executive board regarded it as essential to instruct fellow gardeners, in particular newcomers, in organic techniques. The “Turkish” type was the Swedish label for all the plots gardened by people from the Middle East or West Asia, regardless of country of origin or religion. Around 1990, a 97 Entre Autres

couple of “Turkish” families were Muslims, but the majority were Christian Syrians or Assyrians (“Syriacs”). Several of these families were related and came from the same city in south-eastern Turkey; many had moved from country to country before coming to Sweden. But the Swedes and other North Europeans found it difficult to make distinctions between individuals from the Middle East and called them all “Turks”. This way the North Europeans underlined how foreign, how other, these newcomers were. Few, if any, of the North European gardeners were interested in learning about the national, religious, linguistic, educational and political differences between gardeners from West Asia. When the Swedes and the Finns on the executive board described the “Turkish” plots, they focused on features they found astonishing or exotic. At the same time as they, sometimes with admiration, pointed to the “Turkish” concentration on such produce as romaine, leeks, and garlic, they were amazed at the seeming lack of interest among “Turks” in raising flowers and other treats for the 14eyes. 5 Furthermore, the Swedes often pointed with irritation to the “Turkish” eating areas designed to accommodate the many family members who gathered in the gardens on summer evenings. To the Swedes, these often hastily built eating areas were eye-sores, in particular when the tables were covered with torn plastic cloths in loud colors. To Swedes it was astounding that people from the Middle East could relax in their gardens dressed in elegant Sunday outfits while their verandas and fences were haphazardly constructed out of disparate components. Actually, the most unexpected phenomena could be irritants. For example, several Middle Eastern gardens were laid out with well-defined rectangular beds separated by wooden boards. Swedes did not use this method and one young Swedish gardener once announced that “we call those graves; all that is needed are crosses on them”. The third garden type recognized by the Swedes was the “Chinese”. The Chinese gardeners had lived in Vietnam before they fled the war in the 1970s. Many had experienced amazingly complex migration routes by the time they arrived in Sweden. But most of the Swedes were not eager to find out about this history. To them the “Chinese” were even more culturally distant than the “Turks”. Some Swedes were astonished that almost exclusively women worked on the plots. The exceptions tended to be old men who mended gates and did other carpentry jobs. Swedes also observed with surprise that East Asian plots contained no seating areas at all and that families never ate or relaxed in their gardens. “The Chinese are only interested in food,” said one Swedish woman adding that “all they grow is Chinese cabbage”. At the same time, the North Europeans often acknowledged that the East Asians were skilful gardeners and admired their inventiveness in finding ways to protect fragile plants and in arranging trellises and osiers for climbing plants. But North European gardeners had also noticed that East Asians were able to harvest greens and cabbages many times a year, in some cases to such an extent that they were able to supply restaurants. To do so in the Nordic climate they used considerable quantities of insecticides, weed killers, and artificial fertilizers. This was an abomination to the North Europeans and entirely counter to their gardening ideology. Indeed, the overuse of non-organic gardening methods led to numerous everyday conflicts and also to actual infections. Several plots gardened by East Asians were afflicted with a disease that attacks different kinds of cabbages and causes growths on their roots (klumprotssjuka). The disease can develop, if cabbages are cultivated too intensively and with the help of too many artificial aids on one and the same spot for years in a row; eventually, the plants will die and the soil will be useless. The most effective cure is to switch to potatoes, beets and the like after six years of intensive cabbage growing. But East Asian gardeners

145. The Swedes did not realize that gardeners from Turkey, Syria, and Lebanon regarded the plots on the gardening territory as “out-fields” and that they preferred to raise flowers closer to the house 98 in which they live. Among Others did not adhere to this rule and, by 1990, two or three plots previously gardened by East Asians were lying fallow. The executive board was busy for years trying to resolve controversies linked to the “Chinese” lack of environmental concerns. It is difficult not to take into account the symbolic overtones in these conflicts and note that the Swedes were using the root disease symbolically to make an age-old equivalence between foreigners and that which is powerfully contagious and poisonous (Douglas 1966). It could be said, that, unthinkingly, the Swedes spoke metaphorically about the East Asians as carriers of disease. They othered them by speaking about them as “unsanitary subjects” (as opposed to “sanitary citizens”) to apply terms used by Charles Briggs and Clara Mantini-Briggs (2003) in their book about a series of cholera epidemics in Venezuela. But in the case of the garden territory it would be wrong to pit native xenophobes against victimized and denigrated foreigners. Rather, it could be said that the North European gardeners were faced with a difficult ethical dilemma: they had to weigh respect for fellow gardeners against what they saw as a need to enforce cultivating techniques suited to the climate and soil of northern Europe. Yet, the North Europeans did not really see the controversies with the “Chinese” as a dilemma: they were convinced they were right, morally, ecologically, and scientifically, i.e. in terms of optimal gardening. One Swede even said that “it is simply going to be necessary for them to start behaving like us – if we are going to save our earth, that is”. The conflicts connected to the overuse of artificial insecticides and fertilizers were the most serious of the problems related to ethnic or cultural differences that we found around 1990. And the difficulties in resolving these conflicts were most certainly linked to the social distance between groups of gardeners. For example, all the gardeners preferred to interact with people close to their own background and most did not cross significant cultural or linguistic boundaries. One sign of this was that gardeners learned little in terms of cultivation from fellow-gardeners of backgrounds that differed from their own. We met gardeners who had never acknowledged the presence of the persons on the other side of the fence, let alone talked to them. Visual issues were particularly telling. For example, one spring day a Swedish woman was working on her plot wearing a bikini. Asked how she felt about the possible reactions from a group of men from the Middle East across the path, she said: “They don’t have to look, do they?” In daily life, gardeners often treated fellow gardeners on the territory as others, as presences they did not wish to see or hear.146 The East Asian and West Asian gardeners were happiest when they were left alone without interference from each other or from the Swedes. But also the Swedes wanted to be left in peace. Actually, in their daily activities the Swedes did not differentiate between kinds of strangers. Rather, they seemed to share an indistinct and uneasy feeling that they were being subjected to all manner of otherness in the form of unwanted bodies, movements, and sounds. To them gardening has to do with silence, relaxation, and reflection - not with loud laughter and incomprehensible calls across carelessly made fences. What the Swedes really wanted was a beautiful and well-cared for garden territory surrounded by a well-made fence, a territory where people worked individually on their plots but in harmony with each other. What they wanted was a territory where people shared their Swedish values and esthetic ideals. And also the newcomers wanted to be left to themselves to grow their crops and work together with their families and relatives and perhaps even forget that they were in Sweden. But in 1990, no newcomer ever said to us that his or her values and ideals ought to be embraced by all the gardeners.

146. The failure to ”see” people from groups other than one’s own is pervasive. For example, one of the Assyrian families on the garden plots was once visited by a group of relatives from another Swedish town. Suddenly, one of the visitors asked: “Are there any Swedes at all on this gardening area”? 99 Entre Autres Sweden and the world 1990 - 2000 Astounding events took place around the world between 1990 and the first few years of the 21st century: the fall of the Soviet Union, the opening up of Eastern Europe, the war in former Yugoslavia, the killings in Rwanda, the development of post-apartheid South Africa, the horrors of 911 and the ensuing horrors in Afghanistan and Iraq – to mention just a few of a multitude of events. Add to this, an astounding development in the global circulation of ideas, goods, media, and people. These and a multitude of other events and developments have had implications and consequences for all peoples across the earth. More directly involving Swedes was the fact that their country joined the European Union in 1994. Also, during the first part of the decade, Sweden received great numbers of immigrants and refugees so that, by 2000, more than 1/5 of the nearly 9 million inhabitants were immigrants or children of immigrants. Furthermore, since 1995, all schools, hospitals, museums, and other institutions and places of work, have been enjoined by the government to take into account in all their activities that Sweden is now “multicultural”. The achievement of “integration” became official policy. At the same time, like many other countries, Sweden was increasingly partaking in economic restructuring so that forms of privatization became more and more prominent in the educational system, health care, public transportation and other areas of life. In the course of the 1990s, Swedes became increasingly aware of the difficulties involved in abandoning a long-standing perception of their country as unusually homogeneous and in accepting the idea that Sweden had become utterly heterogeneous, culturally, religiously, and linguistically. A few highly publicized racial murders and a brief period of success for a populist, xenophobic party shook many people who had long believed in Sweden as one of the world’s voices of social justice, tolerance, and equality. “Even in Sweden!”, cried out cultural geographer Allan Pred (2000) in a book analyzing the reawakening of racisms in Sweden as well as in other parts of Europe. Indeed, this book is only one in an avalanche of research during the 1990s concerning issues related to migration into Sweden. But at the same time, Swedes were developing an increasing awareness that immigrants had arrived in their country to stay and, in the early 21st century, many more Swedes than ten years previously have come to realize that there can be many different ways of being Swedish. During the last few years, newcomers have also become increasingly visible in public spaces in Sweden: a mosque has been built in the center of Stockholm and more and more young women with roots in the Middle East and Africa move around in public spaces in city centers. Furthermore, people born far away from Sweden have become much more visible in the mass media than before. Although some of that visibility is negative in so far that it has concerned some highly publicized murders of young Moslem women by their male relatives (Wikan 2003), more and more young immigrant men and women can be seen and heard in the media, not only in connections with crimes, but also as politicians, journalists, artists, and writers. Indeed, a few immigrants have recently reached high positions, among them the Minister of Education, Ibrahim Baylan. Yet, there is also another side to this picture. Some Swedish communities are now more segregated than before and tend to be divided into “all-Swedish” and “all-immigrant” areas. In some “immigrant suburbs” unemployment is extremely high. In the views of many scholars, these developments have less to do with issues of ethnicity and more to do with the formation of a low social class of immigrants. In some communities, including the one in focus here, an already weak tax base is weakened, because the Swedish born inhabitants are moving away. A hypermodern satellite town created by the “million program” has turned into an “ethnic hinterland” surrounded by stigma 100 (Ristilammi 1996: 9). Among Others

However, visitors from abroad might not be able to detect this. The town discussed here looks neat and is well-maintained by a responsible housing-company. Still, the residents feel the stigma of living where they are living.

The gardens around 2000 With this we return to the garden territory. What is it like in the early part of the 21st century compared to the late 1980s? Have the gardeners managed to keep the territory together? The answer is that not only does the territory remain, it thrives. In some respects, no changes at all have taken place. While new gardeners have taken over many plots, quite a few cultivate the same plots now as they did in the 1980s. Approximately the same rules prevail, although it has become a great deal more expensive to lease a plot than it used to be (in 2000 it costs approximately one euro per m2). The executive board is still dominated by “Swedish”, i.e. North European gardeners. It is still fairly easy to distinguish between plots gardened by North Europeans, West Asians, and East Asians. At the same time, considerable changes have taken place. For one thing, the territory is not as clearly divided into “ethnic neighborhoods” as it once was. While there are still many Swedes and other North Europeans in the northern part of the territory or the “Old town”, that part is no longer as solidly North European as before. In particular, Chilean gardeners have taken over some plots here and persons born in Chile have also become elected into the executive board. Indeed, there are many indications that Latin American gardeners are becoming part of a Swedish “us”. Another striking change is that now, not only the Swedish plots, but the territory as a whole seems better cared for, more comfortable, more established, and more lived in than earlier. This is not so strange. In the late 1980s, the territory had only been in existence for some ten years and many of the non-European gardeners had just arrived in Sweden. Striking indications of comfort and establishment are the little houses or tool sheds which can now be seen all over the territory, not only on the Swedish and other North European plots. Most of these houses are carefully constructed in a similar style. It is clear that there has been a concerted effort to achieve the very order and uniformity that the Swedish gardeners longed for in the 1980s. In the early 21st century, it is not easy to spot rickety old tables and chairs or torn wax cloths in loud colors. Rather, some of the installations by gardeners with a background in the Middle East are refined and well-designed. This is particularly true of two plots gardened by a man from Lebanon. In the year 2000, these plots contained not only a well-built little house, but also a slender tower that gave associations to a minaret, a path made out of wooden boards surrounded by a rope-fence leading to a six-cornered veranda with table and matching chairs. All was exquisitely painted in harmonizing green and blue colors; it was not difficult to associate to a marine environment. The surrounding garden beds were arranged diagonally; on them leeks and romaine grew in straight lines. By 2003, this gardener had added even more creations, among them cages containing artificial birds and a beautifully made small wind-mill. The entire arrangement was a striking blend of West Asian and North European esthetic ideals. On the one hand, the cultivating and the carpentry were clearly done by a person whose basic experiences and esthetic values were formed far away from Sweden. But, by the same token, his arrangement corresponded well to the esthetic ideals that were established by the Swedish and Finnish gardeners in the 1980s, when they built little inventive houses and verandas. It would seem that nothing on this “Middle Eastern” plot could disturb or provoke the Nordic ideals at the same time as its non-Swedish qualities were apparent. Perhaps one could speak about a new refined Asian style, “hybridized” and adjusted to this particular gardening territory 101 in this particular Swedish town. Entre Autres

In the 21st century, there are also other signs that people are more willing than before to proclaim their foreign background at the same time as they keep themselves within the boundaries for what is acceptable on this gardening territory in Sweden. Some have put up signs with their names on their sheds; on a couple of houses the signs are in Arabic. On some plots Chilean flags are flown; other flags than the Swedish, Finnish or other North European ones would have been unthinkable in 1990. As a whole, a far more relaxed atmosphere full of play and parody has established itself on the entire territory; previously that kind of atmosphere could be found only among the North Europeans. One shed built by a gardener from Chile is meant to associate to a Western saloon and on the roof of another wooden cows are grazing peacefully. The garden area communicates home and comfort. At the same time, the town itself is increasingly part of a world of global communications: technically advanced television antennas are now taken for granted as are telephone cards that make it possible for people to communicate with relatives around the world at a remarkably low prize. Far more than in 1990, the gardeners are now simultaneously at home on their plots and in the world. But also other changes have taken place compared to 1990. An important one is the frequent use of the word “multicultural” (mångkulturell). In 1998, a sign was put up on the bulletin-board announcing, first, that the Growers’ Association was celebrating its 20th anniversary and, second, that this association was “multi-cultural”. And in 2003, the visitor could read that this “Multi-Cultural Growers’Association” is celebrating its 25th anniversary. Pronouncements of this kind would have been unthinkable in 1990. But a few years later it was expedient to boast of “multiculturalism”. Governmental efforts had had an impact on the gardening-area. Much of the reason for this proclamation is the untiring work of one member of the executive board, a now retired postal employee, elected to the municipal government (as a social democrat) and involved in thousands of causes. This board member is a crusader propagating organic gardening techniques and a sound environment. In 1998, he and some other Swedish gardeners arranged for the association to take part in an “Earth Improvement Project” which led to a number of measures to improve the soil on the gardening plots. Inspired by the success of this effort and as a follow-up to it, the board sketched a project designed to “improve the earth” and to “create community” and applied to the European Union for funding. In 2001, the growers association received 34.000 Swedish kronor (ca 4500 euros) for the project. The money was used for a number of purposes. First, a brief booklet entitled “The Good Earth” was printed in Arabic, Chinese, Spanish, and Swedish; it contains basic information on organic gardening appropriate to this particular garden territory. Additional money was used to make one plot suitable for demonstration and instruction and to transform another one into a “children’s plot”. Special days were set aside for instruction and more than 60 gardeners were said to have begun composting in earnest. Even though some eventually got tired of composting, many continued. The pedagogical efforts go on every summer and the association’s bulletin board is always full of suggestions and appeals: “We must do more composting!” “Each gardener has a duty to put in three ours of work for common purposes!” “Do keep the paths around the plots free from weeds!” “Read your contract!” The money from the European Union has also attracted the attention of scholars representing different disciplines, among them researchers devoted to studying the linkages between cultural diversity and biological diversity (Almstedth 2002:7). These new investigations into the influx and adjustment of “foreign species” has not only delivered new biological insights but also added new metaphoric dimensions to the already thick symbolism involved in the topic of gardens and migrations. As a whole, the members of the executive board of the Growers’ Association say that they have now “created better order” on the territory than ever before and that “people 102 are more responsible now”. “The atmosphere is better”, they emphasize. And, in many Among Others ways, this coincides with Karin Becker’s and my impression: many people, not least gardeners from the Middle East, are now far more relaxed on their plots than they used to be. The garden plots do seem to have become home for many. Yet, the new atmosphere, the new sense of order and home, the new multi-cultural rhetoric, and the money from the EU have not created any profound changes in basic values and outlook. In many ways, the Swedish and Finnish gardeners on the executive board and many other North European gardeners remain locked into the same conflicts and dilemmas that they were locked into ten years before. To a great extent, these conflicts remain linked to the issue of organic gardening, i.e. to issues of the soil. Most of the Chinese gardeners with a background in Vietnam still do no composting. Nor do they switch crops when necessary and plots still become infested with root disease. No mutual understanding has been reached and the basic environmental conflicts remain despite all the efforts of the Swedish gardeners. But conflicts are also linked to other issues. “The Chinese don’t understand that they have signed a contract, they don’t understand that they must contribute to the association as a whole. They only help each other, they help their own relatives,” one of the Swedish gardeners emphasizes. There has been no change in, on the one hand, an East Asian ideology of family solidarity and, on the other, a Swedish organizational solidarity based on common interests. Other conflicts, however, appear more surprising than the seemingly endless ones concerning composting, infections and solidarity. There are, for example, conflicts of esthetics. For instance, the artistic arrangements by the Lebanese gardener, described above, are actually eye-sores to some North Europeans. One Swedish board member declared: “He has to take all that down. If he wants to carve and make figures, he can do that at home. We have a responsibility for the environment (miljöansvar)”. The environmental board (miljöförvaltningen) of this community will be after us, if we allow that. After all, this is public space, here people can’t do everything they want to do.” Yet it is clear that to the Lebanese-born gardener and carpenter himself, the leased garden plot is also home. Thus we have here a conflict in visions of public and private. In many ways, it seems as if the Swedish gardeners, whether board members or not, do not really want a “multicultural” garden area. Many do not want to see the actual variation that surrounds them any more in the year 2000 than they wanted to in 1990. While Latin American and Asian gardeners are subtly adjusting to the Swedish standards, Swedish gardeners have not to any comparable extent adopted growing habits, crops or esthetic ideals from Latin Americans or Asians.147 Instead many Swedes continue, in an uncompromising way, to latch on to their mission to teach these others from Asia what is morally right and environmentally correct in Sweden. Many Swedes continue to know as little about the gardeners from other continents now as they did twenty years ago. The gardener who was instrumental in obtaining the EU-grant emphasized: “I never ask people where they come from, I have never tried to find out where they come from”. And in another context this gardener said: “I don’t look at people as “immigrants”, I don’t want to see them as different, they are just people and we are all equal”.

Diversity, difference, and multiculturalism Around the year 2000, contradictory forces seem to be at work on the garden territory. At least, from the point of view of Swedish and other North European gardeners, some of the basic concerns remain the same as in 1990. But by the same token, influential

147. However, not least due to tourism and to the diverse merchandise in large food markers, many Swedes have rather quickly adopted dishes and food habits with roots far away. On the garden territory they now eagerly grill spicy Chilean sausages. 103 Entre Autres

Swedish gardeners have come to subscribe to the rhetoric of diversity and multiculturalism propagated by the Swedish government and have also benefited from it. Such words as “multi-cultural” (mångkulturell) and “diversity” (mångfald) now stand for something vaguely appealing and politically advantageous. In a sense, these words are used as code words making it possible to avoid seeing and acknowledging true “differences” (skillnader). One could say that the Swedes on the garden territory celebrate diversity but shun real difference (cf. Kurkiala 2002: 24). In some respects, the reasoning among the Swedes on the garden territory resembles the reasoning on a many other areas and arenas of contemporary Swedish life. Take the primary school system which has recently been analyzed by ethnologist Ann Runfors (2003). She emphasizes that the long-standing objective in Sweden “to eradicate differences in social background and class” has had the effect that all “differences … stand out as something to do something about and, preferably, to eradicate – rather than something to appreciate and pay attention to in a positive sense” (Runfors 2003: 194; my translation). She also notes that when schools do pay attention to cultural difference, they do so in order to demonstrate similarity. The message repeated to the children is that inside, all human beings are alike. Indeed, it is believed that an important “way to counteract prejudices and xenophobia” is to demonstrate the similarities between all peoples (Runfors 2003: 196). And it appears that some scholars of culture also share this idea. Contemporary ethnologists occasionally try to avoid “exoticizing” or “othering” people to such an extent that, like teachers in the primary and secondary schools, they become afraid to acknowledge any kinds of differences – even those differences that do make a vast difference to the peoples they study (Klein 2002). The debate on diversity and difference is a central component in the Swedish governmental efforts to create true integration and true equality.148 And it would appear that the gardeners are engaged in debates on diversity and difference that are similar to those waged on other arenas of Swedish life and that they express these debates as much in gardening practices and materialities as they do in words. To appreciate multiculturalism and diversity and to play down differences is politically expedient among leading gardeners. Indeed, one way to maintain co-existence has long been not to “see” real differences. But some differences are in the form of gardening practices and methods that are mutually intolerable -- perhaps because they threaten basic visions of the good life -- and cannot be ignored. To East Asians on the territory these practices and methods lead to high yields and economic advantages. To the Swedes these practices and methods are destructive and contrary to their basic convictions and must be eradicated. This basic dilemma has persisted through the years of uneasy co-existence and there is no given solution at hand.

Conclusions The garden territory may be riddled with conflicts and dilemmas. Yet, it is remarkable that it has continued to flourish for many years. Some gardeners from far away have come to look at it as a home where they can plant roots, grow plants, do carpentry, and invent new esthetic forms the way they want to. And some Swedes continue gardening year after year; they like their plots and they feel rooted there. Is this then the upshot of this whole discussion, i.e. that one can go on othering people, one can go on not

148. Not all those who are involved in the debate - scholars, politicians, educators - share the view that the problem is a fear of difference. The problem is rather, they say, an over- emphasis on difference. For example, in his study of a community not unlike the one in focus here, anthropologist Aje Carlbom (2003) opines that, although tolerant on the surface, Swedish schools, hospitals and 104 other institutions are overly concerned with differences (in names, religion, ways of thinking) and thereby reinforce the very exclusion and inequality that the government is intent on eradicating. Among Others seeing them, and still co-exist with them? Is that all I am saying? No, it is not. For one thing, through the years, these gardeners have been trying, even the Swedes whose basic convictions about gardening are constantly challenged or threatened. They have persistently carried on with their efforts to reform and instruct. Indeed, most gardeners try hard; one day perhaps they will achieve more than grudging co-existence. I would like to conclude with some observations on ethnography and history. First, it has been possible for me to point to considerable changes as well as to the persistence of basic ideas and conflicts, because this study is based on ethnography that has gone on for many years (albeit with varying intensity at different periods). This kind of long- term fieldwork allows for historical reflections - reflections that make it possible to link the concerns on a microcosm to long-term governmental policies and to other broader concerns and ideas. Second, I would like to say a few words about history and ethnography in a disciplinary perspective. It seems to me important to emphasize that, thanks to their long history of fieldwork, ethnologists and such cousins as anthropologists and folklorists, have a long and unique history in understanding the undertones and overtones of everyday life and in linking this understanding to larger societal issues. Even though our ethnographic work in the years to come will increasingly expand toward a variety of translocal endeavours (Hannerz 2003), we will continue to build on our expertise in investigating the social meanings of the most quotidian details (such as an inventive garden arrangement). Through our long history as ethnographers we have learned to nuance and contextualize simplistic dichotomies, such as xenophobes versus xenofiles, bigots versus exploited, rooted natives and foreign others, responsible gardeners versus careless users of poison. We have ways to grasp when differences do make a difference and we have ways to detect the dilemmas and conflicts that are truly important to people. As ethnographers we seldom have the solutions to conflicts. Nor is it really our role to deliver solutions. But we have unique means of identifying the central conflicts of everyday life and their persistence over time. Such identifications are important for the understanding of social life everywhere. At the moment, they are critical if we are to understand the profound cultural changes and persistences in Europe.

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106 Among Others

Ethnographie en privé

Daniel Miller

Département d’anthropologie, University College de Londres / Grande Bretagne

Il est peut-être présomptueux de ma part de faire des observations sur le futur de l’ethnologie européenne alors que mon expérience de sa littérature et de ses recherches est plutôt limitée. Je pense toutefois à des parallèles intéressants avec le domaine auquel je suis le plus personnellement associé – à savoir les études sur la culture matérielle. Je me concentrerai en particulier sur le rôle de l’ethnographie comme caractéristique distinctive dans une telle recherche, et sur les problèmes que représente une démarche ethnographique face aux sociétés de l’Europe contemporaine. L’individualisme croissant qui caractérise la vie moderne et la tendance au repli vers la sphère privée, posent la question de la pertinence même de l’ethnographie, technique de recherche développée pour l’étude du domaine public. Je montrerai qu’il existe un lien très fort entre différents avenirs possibles pour l’ethnologie européenne en général, et je m’interrogerai de suite si l’on peut transférer la pratique de l’ethnographie dans le domaine du privé. D’emblée, il convient de constater que l’ethnologie européenne existe à peine au Royaume- Uni, où la plupart des gens ignore son importance en Europe continentale. Le domaine traditionnel couvert par les ethnologues en Europe était abordé par les musées, par les folkloristes, par la géographie humaine, par le travail anthropologique et par certains courants de la sociologie qualitative. Au cours de ces dernières décennies plusieurs nouvelles disciplines se sont développées et s’intéressent à certains aspects de la vie contemporaine négligés par l’ethnologie et par l’anthropologie qui continuaient à étudier les traditions et les coutumes. Des courants de recherche récents combinent les études des média (media studies), avec des recherches sur le genre masculin/féminin (gender studies) et plus généralement les . Ceci a été, à mon avis, le catalyseur qui a montré nos limites et nous a amené à entreprendre de notre côté des recherches sur ces sujets. Ainsi l’anthropologie et l’ethnologie entreprennent maintenant par exemple des recherches sur la publicité, la sexualité, le shopping ou la culture populaire, thèmes trop souvent négligés il y a encore peu de temps. Les cultural studies semblent être l’approche la plus adaptée dans notre souhait d’affirmer notre rôle au xxie siècle et de réinventer notre champ. Ceci est autant plus probable pour l’ethnologie, puisque les cultural studies se sont développées plus vite et plus fortement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni qu’en Europe continentale. Il est donc possible que l’ethnologie européenne corresponde aux « cultural studies » du monde universitaire européen. Les cultural studies s’inscrivent dans une tradition plus proche des sciences humaines, utilisant des méthodes qualitatives, qui se démarquent fortement de l’approche quantitative des sciences sociales comme la sociologie ou la géographie. Les cultural studies relèvent donc plus de la tradition ethnologique. Celle-ci aussi liée aux arts et aux sciences humaines, tradition qui se trouve également chez les institutions dévolues au folklore, comme les collections et les musées. La recherche historique et archivistique est par exemple un élément important à la fois des cultural studies et de l’ethnologie. 107 Entre Autres

Ceci n’est pas nécessairement négatif et les cultural studies ont souvent une très bonne réputation dans le domaine des études historiques, particulièrement en ce qui concerne des sujets tels que les relations interraciales et l’émergence des migrants, la diaspora ainsi que d’autres questions liées au thème de cette conférence149. La place des cultural studies comme modèle d’approche de la vie contemporaine semble plus problématique. L’une des principales origines des cultural studies est le travail de Stuart Hall et de ses étudiants au Birmingham Centre. Une forte composante ethnographique se trouve aussi dans les premières études entreprises par des chercheurs tels que Dick Hebdige et Paul Willis150. Mais quelle qu’en soit la raison, ceci a été éclipsé très vite. Et honnêtement, bien qu’il y ait des cultural studies très intéressants, il y a aussi un grand nombre d’études qui ne l’est que très peu. Nombreux sont les sociologues, anthropologues ou géographes qui pensent que de multiples travaux qui se réclament des cultural studies sont légers, c’est-à-dire pauvrement documentés, basé sur une recherche de trop courte durée et faisant fi des critères de rédaction scientifiques des disciplines traditionnelles. On pourrait attribuer cela peut-être en partie au conservatisme ou à la jalousie disciplinaire vis-à-vis du succès des cultural studies, mais je dois avouer que je partage en partie cette opinion sur une bonne partie des ouvrages que j’ai pu lire. Il faudrait donc se demander si l’ethnologie européenne, en adoptant les cultural studies, deviendra à son tour un peu légère et superficielle dans ses recherches… Revenons maintenant à mes intérêts particuliers. Je n’ai jamais travaillé dans le domaine de l’ethnologie européenne, mais durant toute ma carrière universitaire j’ai développé les cultural studies au sein de l’University College de Londres. Nous avons commencé comme « branche annexe » de l’anthropologie. Nos recherches s’effectuaient sur un terrain presque similaire à celui de l’ethnologie. Mon premier travail fut d’enseigner la « technologie dans une certaine région » et « l’anthropologie de l’art ». Ces sujets ne sont guère éloignés des thèmes traditionnels de l’ethnologie européenne comme le costume populaire, les techniques du travail de la pierre, la cuisine traditionnelle ou les techniques de construction. Au fil du temps cependant, notre centre d’intérêt, ainsi que celui de l’ethnologie européenne, a changé conduisant à un certain affrontement des traditions scientifiques. Prenons par exemple le travail sur le vêtement. Certains de nos étudiants sont issus de la sociologie post-moderne et des cultural studies, alors que d’autres viennent des musées et de la conservation. Avant tout, chacun méprise l’autre. Ceux qui travaillent sur les collections sont considérés comme des positivistes de droite, insuffisamment politisés et qui « fétichisent » les objets en les étudiant simplement parce qu’ils sont là. Ce groupe considère à son tour que les étudiants « culturels » documentent simplement la vie sociale des choses. La manière dont ils appréhendent le vêtement comme symbole par rapport au sexe, à la classe sociale ou à l’ethnicité est exactement la même que celle qu’ils utilisent pour décrire l’habitat ou la nourriture par rapport au sexe masculin/féminin ou à la classe sociale. Dans ces cultural studies, le vêtement a ainsi perdu sa spécificité, et tant mieux, parce que les chercheurs issus des musées pensent que ces étudiants tournés vers le symbolique ne comprennent de toute façon rien au vêtement. Pour développer les études de la culture matérielle contemporaine qui transcendent de tels arguments, nous avons travaillé sur plusieurs niveaux. L’essentiel de notre travail est théorique151, parce que nous avons besoin de définir clairement ce que « culture matérielle » signifie. Quelle est la matérialité de choses plutôt éphémères telles qu’Internet

149. Par exemple le travail de Paul Gilroy dans des livres tel que The Black Atlantic. Modernity and double Consciousness. Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 1993 (261p.). 150. Hebdige (Dick), 1979, Subculture. The meaning of Style, Londres : Routledge Willis (Paul), 1977, Learning to Labour, Aldershot: Gower. 151. Voir notamment la collection que je viens d’éditer sur le thème de la matérialité : 108 Miller (Daniel) ed., 2005. Materiality. Durham Duke University Press. Among Others ou les marchés dérivés de la finance ? Dans ce livre je critique aussi l’anthropologie sociale traditionnelle. Alors que nous sommes accusés de « fétichiser » le monde des objets, eux en fait « fétichisent » le monde des sujets, tout étant réduit à des relations sociales, à la parenté ou à la société. Pour retourner aux racines marxistes de cette terminologie, ce qui manquait était le sens de la matérialité intrinsèque de l’existence humaine.

Nous avons donc souhaité développer une approche qui transcendait tout dualisme entre le sujet et l’objet, entre l’individu et la culture. Nous avons étudié le monde des objets non en tant que collections mais comme des modes de vie, et les gens non comme paramètres sociaux mais comme des êtres culturels. Les études émergeant de la culture matérielle se sont ainsi trouvées en harmonie avec les développements théoriques menés ici en France. Quand Bourdieu a innové avec son travail sur les taxonomies pratiques de la vie ou sur l’habitus, c’était en phase avec nos préoccupations de l’époque et cela a inspiré nombre de nos travaux. Aujourd’hui Bruno Latour152 et sa critique de la tradition durkheimienne et du dualisme entre la société et ses objets semblent refléter exactement nos propres arguments pour la culture matérielle.

Nous avons donc essayé de construire une approche qui fonctionne parce qu’elle combine des éléments plutôt classiques avec d’autres plutôt nouveaux. En terme de méthodologie, nous sommes profondément conservateurs. Nous travaillons dans la tradition de l’ethnographie anthropologique, et nos étudiants soutiennent leur thèse de doctorat dans le département d’anthropologie. Ils doivent donc toujours effectuer leur terrain au sein de communautés particulières en utilisant la langue locale et ainsi de suite. Mais comparés à l’anthropologie plus traditionnelle, nos thèmes de recherche sont plus proches de ceux des cultural studies. Mes étudiants travaillent par exemple sur les différents aspects de la consommation de masse ou les média. Une thèse pourrait avoir comme sujet l’impact de la radio sur les mères célibataires, ou les produits des cuisines ethniques dans les supermarchés. Il faut dire que nos étudiants sont venus parce qu’ils ressentent un mécontentement face aux deux points de vue opposés. Nous avons des « réfugiés » des cultural studies et des études de la communication parce qu’ils aiment leur sujet de recherche, mais ne veulent pas se borner à constater que les informations ont tel ou tel effet sur les téléspectateurs. Ils veulent une méthode qui leur permette de définir eux-mêmes ces effets. De la même façon, nous avons des étudiants en design qui ont conscience de comprendre les qualités matérielles d’un meuble mais qui veulent aussi comprendre les conséquences du design sur les utilisateurs. Une distinction importante entre nous et les cultural studies réside dans notre engagement à conserver des méthodes ethnographiques. Cependant le terme d’ethnographie lui-même a connu une sorte d’inflation. Je suis sans arrêt abordé par des sociétés commerciales, qui me demandent de « pratiquer un peu d’ethnographie », une petite recherche pendant quelques semaines. Ma réponse a toujours été que nous ne faisons jamais « un peu » d’ethnographie. On ne peut que faire beaucoup d’ethnographie, faire de l’observation participante pendant une année ou plus. Cela soulève un problème supplémentaire : l’ethnographie s’est développée au sein d’une anthropologie travaillant sur des petites sociétés dont les activités se déroulent en général plutôt publiquement. Nos recherches, par contre, ont comme cadre des endroits tels que Londres, où les conditions évoquées, et qui ont permis l’émergence de l’ethnographie, n’existent pas du tout. Je pense que le titre de cette conférence est excellent pour décrire le mode de vie à Londres. Nous vivons précisément “ entre autres ”. Ce que veut dire cette phrase est à la fois la juxtaposition – ils ne sont pas juste à proximité, ils sont nos voisins d’à côté, et cependant ils incarnent évidemment l’autre, nous ne connaissons pas leurs noms, ni d’où ils viennent, ni ce qu’ils font. Vivre parmi les autres est devenue la norme à Londres, 152. Bourdieu (Pierre), 1972, Esquisse d’une théorie de la pratique, Droz - 1980, Le sens pratique, Paris : Minuit. Latour (Bruno), 1993, La clef de Berlin et autres leçons d’un amateur de sciences, Paris : La Découverte – 1991, Nous n’avons jamais été modernes - essai d’anthropologie symétrique, Paris : La Découverte. 109 Entre Autres

ville incroyablement cosmopolite aujourd’hui. Mon voisin peut venir du Pakistan, d’Argentine, d’Irlande ou du Japon. Même si je fais l’effort d’apprendre quelque chose sur l’Asie du Sud et l’Hindouisme, cela ne m’aide pas beaucoup si mon nouveau voisin est Nigérien ou originaire d’Israël.

La rue ne correspond pas nécessairement à un voisinage, les gens vivant à un bout peuvent ne jamais entendre parler d’événements importants survenant à l’autre bout. La question que cela suscite est donc la suivante : à quoi peut ressembler l’ethnographie dans ce contexte, ou comment peut-on faire une ethnographie du privé ? Nous pouvons bien sûr toujours étudier des zones publiques comme les écoles ou les rues commerçantes, mais le fait est que presque tout le monde passe la plupart de son temps chez soi. On veut savoir quelque chose à propos de l’impact de la télévision ? Les gens la regardent dans leur salon. On veut faire une étude sur l’usage des médicaments ? Ils les prennent dans leur salle de bain. On veut étudier la parenté dans les familles actuelles repliées sur elles-mêmes ? Les évènements importants, les querelles, l’amour, le soutien, les tensions se déroulent à table lors du dîner ou dans la chambre à coucher. Prenons comme exemple l’action des feuilletons à la télévision. Elle se déroule à l’intérieur de la maison. Tous nos téléfilms introduits dans les foyers nous mettent finalement dans le rôle de voyeurs qui regardent, écoutent, apprennent. Et dans la nouvelle télé-réalité, nous sommes souvent effectivement face à un vécu personnel, dans un salon privé…

Un vrai dilemme se pose alors. Maintenant que nous vivons tous « au milieu des autres » : comment comprendre ces autres, sans entrer dans les endroits où ils vivent ? A mon avis, nous n’avons aucun choix. Soit nous cessons de prétendre que nous pouvons un jour connaître et comprendre l’autre, soit nous allons où vivent ces gens, nous pénétrons leur intimité et accep- tons les difficultés - méthodologiques, éthiques et autres - qui en découlent.

Au début, quand j’avais l’ambition de développer une école de chercheurs qui accepteraient de relever ce défi, ma principale source d’inspiration était le seul livre qui - à ma connaissance – montrait que ce but pouvait être atteint. Ecrit par Marianne Gullestad, anthropologue norvégienne, et paru en 1984, il s’intitulait « Kitchen Table Society »153. Ce qui m’a marqué était que la société norvégienne était encore plus privée que la société anglaise et si une Norvégienne pouvait travailler dans ce contexte, je pourrais également y parvenir. Son livre est le fruit d’une observation attentive de la maison elle-même. Elle avait regardé les détails du mobilier choisi, les modes qui se reflètent dans la décoration intérieure, non pas celles des magazines mais les choix faits par les propriétaires : avaient-ils une table en pin, de quelle couleur était le tapis, etc. D’un autre côté, elle a montré comment de tels éléments pouvaient être inscrits dans une étude ethnographique plus large, l’observation pendant plusieurs années des femmes au foyer de la classe ouvrière dans la ville de Bergen. C’était la combinaison de ces deux approches qui faisait le succès de ce livre. On ne peut pas dire s’il est centré sur la culture matérielle ou sur le fait social. Il montre que chacun fonctionnait à travers de l’autre. Ainsi cette distinction elle-même devient artificielle. Dans deux ouvrages collectifs intitulés « Material Cultures »154 et, plus récemment, « Home Possessions »155, mes étudiants ont essayé de développer cette approche et d’aborder certains des aspects les plus difficiles de cette ethnographie de la vie privée. Bien que la Norvège soit une société tournée vers la sphère privée, c’est aussi une société relativement homogène, et, d’une certaine manière, les femmes de la classe ouvrière d’une ville donnée, étudiées par Marianne Gullestad, correspondent à l’ancien idéal anthropologique, ce qui permet de généraliser à propos de la normativité de ce groupe, leurs espérances et valeurs partagées. 153. Gullestad (Marianne), 1984, Kitchen-Table Society. A Case Study of the Family Life and Friendships of Young Working-Class Mothers in Urban Norway. Oslo: Universitetsforlaget. 154. Miller (Daniel), ed., 1998, Material Cultures Why Some Things Matter, Chicago :University of Chicago Press / UCL Press. 110 155. Miller (Daniel), ed., 2001, Home Possessions, Oxford / UK: Berg Publishers Ltd (xi + 234p.). Among Others

Mais qu’en est-il des conditions dans le Londres contemporain, où l’on vit « parmi d’autres » qui partagent seulement le fait de vivre au même endroit, ou qu’en est-il des groupes qui ne se mélangent que peu ? Comment faire quand il n’y a pas de « Kitchen table society » puisque les gens ne se retrouvent pas autour de leurs tables de cuisine ? Je pense que cela représente un vrai défi pour la recherche contemporaine. Les gens les plus isolés et les plus dispersés dans un espace urbain comme Londres, sont aussi ceux qui ont le plus besoin de notre compréhension, qui méritent que nous nous penchons sur la réalité de leurs vies.

Deux exemples devraient illustrer ce propos. Un des principaux domaines de notre travail sont les médias, puisque la plupart des médias est “ utilisée ” à la maison, et c’est seulement là – au foyer - que nous pouvons réellement commencer à rechercher leurs effets. Un de mes étudiants a décidé de travailler à Bristol sur un groupe particulièrement isolé, constitué en majorité de mères célibataires. Ces femmes trouvaient qu’en tant que mères célibataires, elles étaient complètement absorbées par leurs enfants et donc particulièrement isolées de contacts sociaux plus larges. Elles vivaient pourtant parmi les autres. Dans une excellente étude, Jo Tacchi a démontré l’importance capitale de la radio pour elles156. Elle est allée plus loin en établissant le concept de « paysage sonore ». Sa théorie constate que la présence matérielle du son dans une pièce se définit par contraste au silence. Ceci lui a permis de révéler l’importance de la musique de fond ou des actualités comme des formes de rapports sociaux. Dans son expérience Jo Tacchi a combiné un terme générique - la solitude - et une catégorie - parent isolé -, pour comprendre sa qualité matérielle, son sens de l’espace ou sa nature auditive. C’est aussi vrai, je l’espère, en abordant la situation « entre autres » dans le Londres cosmopolite. Quand j’ai entrepris ma plus longue expérience d’ethnographie, une année de recherche sur le shopping dans le nord de Londres, j’avais bien conscience de l’hétérogénéité de la population londonienne. La réponse habituelle à ce problème est d’étudier les réseaux. On se concentre par exemple sur la population somalienne ou irlandaise et on étudie leurs réseaux sociaux. J’ai décidé de procéder différemment. Au lieu de catégoriser les gens, je me suis servi de la conception ouverte de l’anthropologie pour refuser de telles catégories. Avec ma collègue de recherche Alison Clarke, nous avons étudié une rue. Une rue est la parfaite situation « entre autres », parce que souvent les ménages eux-mêmes ne sont pas faciles à catégoriser. Comment définir un couple installé à Londres où une femme d’origine espagnole a épousé un juif new-yorkais, où leur voisin d’un côté est un Indien handicapé et de l’autre une Jamaïcaine qui ne vit que depuis quelques semaines avec un Anglais originaire du nord du pays ? J’ai décidé de ne pas étudier une population particulière, mais ce que j’allais appeler les « quoique ce soit » et les « qui que se soit ». En travaillant avec chacune des soixante-dix maisons de cette rue, je me suis finalement trouvé confronté au cosmopolitisme représentatif pour la ville de Londres aujourd’hui. L’avantage de cette méthode est qu’elle n’introduit aucun préjugé relatif à l’hétérogénéité ou l’homogénéité. Dans l’un de mes ouvrages écrit à partir de ce travail, « The theory of shopping »157, j’ai mis en avant le degré d’homogénéité extraordinaire concernant certains types d’activités et de relations. Même si les personnes ne vivaient ici que depuis quelques mois, tout le monde semblait agir de la même manière pour certains aspects de leur shopping ou de leurs économies. Les gens issus de diverses origines ne sont pas supposés être homogènes à ce point. Dans d’autres domaines ils étaient pourtant très hétérogènes et il n’était pas facile de faire des généralisations. L’autre avantage de cette approche consiste à admettre que personne ne peut être désigné comme appartenant à la

156. Price-Davies, E. & Tacchi, J., 2001, Community Radio in a Global Context: A Comparative Analysis in Six Countries. (Report). Sheffield. Community Media Association. 157. Miller (Daniel), 1998, The theory of shopping, Cambridge: Polity Press/Cornell University Press (180p.). 111 Entre Autres

catégorie de « l’autre ». A partir du moment où chacun est simplement un autre parmi les autres, les signes d’une altérité cessent d’exister. J’ajouterais que la reconnaissance de ces conditions telles qu’on les trouve aujourd’hui autorise aussi à réhabiliter notre propre compétence dans l’étude des objets qui sont maintenant solidement réintégrés dans un matérialisme à travers lequel les sujets et les objets sont étudiés comme éléments se créant mutuellement. Dans ma première recherche dans cet esprit, par exemple, j’ai étudié comment les gens qui habitent des logements sociaux avaient transformé leur cuisine. Puisqu’ils avaient emménagé dans des appartements identiques treize ans auparavant, on pouvait constater à quel point ils avaient - ou n’avaient pas - modifié cet environnement donné. Cela montrait que ces transformations exprimaient le plus souvent un changement dans les rapports entre les hommes et les femmes. Le travail manuel du bricolage de l’homme fut réintroduit dans la maison en contrepartie de la compétence esthétique et du travail à la cuisine de la femme. Si une telle relation s’était instaurée, des transformations avaient eu lieu. Par contre, si de telles relations échouaient, les personnes se sentaient oppressées par leur environnement matériel imposé qu’ils pensaient ne pouvoir transformer. Comme dernier exemple, je voudrais évoquer une étude que l’un de mes doctorants est en train d’écrire. Je pense qu’il montre également les avantages d’accepter le fait que nous devons non seulement pénétrer dans les domiciles et la vie des gens mais aussi dans leurs activités les plus intimes. En l’occurrence, le point de départ de l’étude est la relation des femmes avec le contenu de leurs garde-robes, et qui débute généralement par la phrase « Oh mon Dieu, je n’ai absolument rien à me mettre », face à peut-être une centaine de vêtements. Sophie Woodward, mon étudiante, reprend le thème traditionnel de l’étude les collectionneurs, mais elle n’est pas confrontée à des collectionneurs spécialisés, puisque chacun d’entre nous constitue sa propre collection de vêtements.

Le défi est de développer cette ethnographie de la sphère privée en utilisant les méthodes sci- entifiques traditionnelles. Elle doit documenter chaque vêtement, comprendre ce qui peut être combiné avec quoi, comment il est arrivé ici, quelle est la sensation de le porter et ainsi de suite. Elle doit aussi comprendre comment ces personnes s’inscrivent dans le contexte de leur famille, de leurs amis, de leur travail. En fait une seule année ne permet d’étudier que peu de garde- robes et peu de personnes, mais elle permet de faire émerger l’existence de profonds liens avec le vêtement, contrairement aux relations superficielles que l’on imagine généralement. A partir de cela, on peut pousser le questionnement plus loin sur la personnalité, sur l’image de soi et les façons de parvenir à se différencier des autres. Est-ce qu’il y a une esthétique personnelle ? Qu’est-ce que la personne pense être la mode ? Comment cet éventail d’objets est-il associé à la mémoire ? Est-ce que les souvenirs de relations s’extériorisent à travers ces objets et peuvent-ils être ressortis de temps en temps ? Nombre de ces vêtements sont associés avec d’autres person- nes qui les ont achetés, ou avec qui on était quand on les a porté. Dans ce cas, la mémoire est plutôt confrontée à un fait extérieur qu’à la pensée. La part intéressante de ce travail porte sur l’échec, sur ce que les femmes ont acheté mais n’ont jamais pu porter, des choses qu’elles ont passé longtemps à choisir, mais qui se révélèrent un désastre quand elles voulaient les mettre. Comment est-il possible de continuer d’échouer si lamentablement dans une tâche que nous entreprenons tous les jours ?

Ceci est aussi la vie privée que nous voyons dans les feuilletons à la télévision, dans les bons romans. Mais ici, ce n’est pas une fiction, c’est la confrontation avec la nature intime de l’être. Nous pouvons vivre parmi les autres, mais ces autres pénètrent profondément l’espace domestique au sens normatif, la notion, socialement parlant de ce qui est approprié. Les objets de tous les jours, ceux d’une garde-robe, mais aussi la radio dans une cuisine ou un objet décoratif sur une étagère peuvent être révélateurs si on les observe attentivement.

Enfin, je ne veux pas seulement soutenir qu’il est possible de faire une ethnographie du privé, 112 je suis convaincu qu’il est impossible de ne pas en faire si on envisage des recherches sérieuses Among Others

sur les sociétés européennes contemporaines, car autrement on se borne à rester en dehors de l’endroit où la plus grande partie de la culture européenne se fait. Je suis également sûr que l’un des avantages d’étudier la culture matérielle continue d’être l’une des forces de l’ethnologie européenne traditionnelle. La culture et la société ne deviennent pas des formes abstraites, parce qu’il y a l’engagement d’étudier la matérialité de la vie sociale. En utilisant l’approche scien- tifique et l’engagement d’une observation et d’une analyse détaillées, comme les études plus anciennes de la culture matérielle ont su développer, on doit les appliquer avec autant de rigueur et de patience aux nouveaux thèmes de recherche.

Pour toutes ces raisons, je pense « qu’entre autres » est précisément où nous devrions être.

113 Entre Autres

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Ethnography in private

Daniel Miller

Dept. of Anthropology. University College London

It perhaps presumptuous of me to comment on the future of European Ethnology, since my experience of the relevant literature and research is quite limited. But I think there are perhaps some interesting parallels with the sub-discipline that I am most personally associated with – that is material culture studies. I want to focus in particular on the role of ethnography as a distinguishing feature of such research, and the problems of carrying out ethnography amongst the peoples of contemporary Europe. Given the increasing degree of privacy associated with modern life, and the retreat to the private home, the very idea of ethnography, a research technique developed for the study of the public domain, comes into question. I will argue there is a strong link between different possible futures for European Ethnology in general, and the question as to whether one can actually have ethnography in private. My starting point is a UK perspective, a country where European Ethnology barely exists and most people are unaware of its importance in continental Europe. The traditional domain of ethnology in Europe, was diffused amongst museum work, folklore studies, human geography, anthropological work at home and some qualitative sociology. Into this situation there has arisen over the last few decades several new disciplines concerned with aspects of contemporary life that had been ignored by the tendency of both ethnology and anthropology to dwell upon the traditional or the customary. New research associated with media studies, gender studies and more generally cultural studies. This in turn has I think been a catalyst in exposing our limitations and in response we are trying to undertake similar studies in our own right. So both anthropology and ethnological studies now investigate topics such as advertising, sexuality, shopping and popular culture that they had largely avoided in the past. So that in our concern to keep up with the times, and re-invent ourselves as relevant and appropriate to the twenty first century, we are likely to take cultural studies as our model for future work. This is made the more likely for Ethnology, since cultural studies developed more quickly and more strongly in the US and in the UK and I suspect less strongly in continental Europe, so that there is the opportunity for European Ethnology to emerge as `the cultural studies’ of European academia. Cultural studies follows a tradition closer to the humanities, and focuses upon qualitative research which strongly contrasted with the harder quantitative social science represented in most sociology and geography. It is therefore more attractive to ethnological traditions which also link back to the arts and humanities, as often do the associated institutions based around folklore, collections and museums. Both cultural studies and ethnology have, for example, a very strong component of historical and archival research. This is not necessarily a bad thing, indeed cultural studies has often gained a very high reputation in the area of historical studies, especially in regard to topics such as 115 Entre Autres

race relations and the emergence of migrants, diasporas and other issues linked to the theme of this conference. For example, the work of Paul Gilroy in books such as The Black Atlantic. More problematic would be the place of cultural studies as a model for approaches to contemporary life. One of the main roots from which cultural studies sprang was the work of Stuart Hall and his students at the Birmingham centre, and the very first studies carried out by researchers such as Dick Hebdige and Paul Willis had a strong ethnographic component to them. But for whatever reason this faded out quite early on. And to be quite frank about it, while there is some cultural studies that is widely respected, there is also a considerable body of work that commands very little respect. This is because many of those in traditional disciplines such as sociology, anthropology and geography feel that much of what is being written under the auspices of cultural studies is lightweight, in the sense that it is poorly researched and has not been subject to the same criteria of scholarship and commitment that were developed over a long time period in these older disciplines. In part this may be conservatism and disciplinary jealousy of the success of cultural studies. But as someone who reads a fair bit of the literature, I would say there is also some truth to this accusation. So the question is, if European Ethnology emulates cultural studies in its topics of enquiry, will it also become lighter or more superficial in terms of the depths of such studies. Now at this point I should declare my own interest. I have never worked in European Ethnology, but my whole academic career has been bound up in developing material culture studies at University College in London. We started life as a sub-branch of anthropology. Our traditions covered rather similar ground to ethnology. My first job was to teach courses on `technology of a selected region’ and `the anthropology of art’. Probably not so far from the more traditional European Ethnology topics such as folk costume, technologies such as stone working, traditions of life such as cooking or housebuilding. Over time, however, our focus, like yours, has shifted and this has led to a certain clash of traditions. Take for example our work on clothing. Some of our students come to us from post-modern sociology and cultural studies, while another group of students come from museums and conservation. At first each despises the other, those who work on collections are seen as right wing positivists, who are not properly politicised, and who fetishise objects studying them simply because they are there. But these students in turn see cultural students as simply mapping the social life of things. The way they relate to clothing as symbolic of gender, class and ethnicity is exactly the same way as they map housing, or food onto gender or class. So in these cultural studies clothing has lost its specificity, and that is just as well, because museum researchers think that really these students of symbolism don’t actually know anything much about clothing anyway. To develop a contemporary material culture studies that transcends such arguments we have had to work on several different fronts. Much of our work is theoretical, I have just edited a collection on the very topic of materiality, because we need to state clearly and theoretically what material culture actually means. What is the materiality of quite ephemeral things like the internet, or derivatives markets in finance. In this book I have also critiqued the tradition of social anthropology. While we are accused of fetishising the world of objects, they in effect fetishised the world of subjects, everything being reduced to social relations, or kinship, or society. To return to the Marxist roots of this terminology, what was missing was that sense of the intrinsic materiality of human existence. By contrast we felt we were developing an approach that transcended any dualism of subjects and objects, people and culture. We studied the world of objects not as collections but as modes of living and we studied people not as social parameters but as cultural beings. As such the rise of material culture studies found itself in good collegial 116 company with theoretical developments here in France. When Bourdeu’s work was in Among Others fashion, his focus on the practical taxonomies of life, or on habitus was very congenial to us and inspired much of our work. Today when Latour is in fashion, his critique of the Durkehimian tradition and dualism between society and its objects seems to closely replicate our own arguments for material culture. So we have tried to forge an approach which works because it combines something quite conservative with something quite new. In methodological terms we are deeply conservative. We work through traditions of anthropological ethnography, and our students have their PhD theses examined within anthropology. So they still have to undertake their full years ethnography working with particular communities in the local language and so forth. But as compared to more traditional anthropology our topics are much closer to that of cultural studies, so my students will work on many different aspects of mass consumption and the media, a thesis topic might be the impact of radio on single mothers, or the consumption of ethnic cuisines from supermarkets. It is fair to say that our students come then from a dissatisfaction with the two extremes. We have refugees from cultural and media studies who like their topic of enquiry, but don’t just want to be told that watching the news has this or that effect upon viewers. They want a method which allows them to judge for themselves what these effects are. Equally we have students of design who feel they understand the material qualities of furniture but also want to understand the consequences of design for people. A critical distinction between us and cultural studies has become this commitment to conservative forms of ethnography. Now the term ethnography has itself been subject to a kind of inflation. I am constantly approached by commercial companies, who want to carry out a little ethnography, which means a couple of week’s participation. But my response has always been that we don’t do a little ethnography. You can only have a lot of ethnography, a year or more’s participant observation. But this leads to a further problem. Ethnography was developed in an anthropology focused upon small scale and generally quite publicly focused societies.. But I am carrying out much of my research in places like London, and in London the primary conditions that led to the emergence of ethnography simply do not exist. To characterise the state of living in London I think the title of this conference is an excellent one. We live precisely `amongst others’. What this phrase captures is both the juxtapostion - they are not just near, they are our next door neighbours, - and yet they are clearly others, we don’t even know their names, where they come from, what they do. Living amongst others has become the norm of living in London. London is fantastically cosmopolitan today, my neighbour may come from Pakistan, or Argentina, or Ireland or Japan. Even if I was to invest in knowing something about South Asia and Hinduism, it wouldn’t help much if my new neighbour is Nigerian or from Israel. The street is not necessarily a neighbourhood, people living at one end may never even hear about major events at the other end. So the question this leads to is what then is ethnography, or indeed can you have ethnography in private? Sure we can still study public areas such as schools or parades, but the fact is that most people spend most of their time in the private house. If you want to know about the impact of television, they are watching it in their private living room, if you want to do a study of their use of medicines, they take these medicines in their private bathrooms, if you want to understand kinship in the world of small scale households with limited relations with other kin, then these relevant experience, of quarrels, of love, of support, of tension takes place over the dinner table or in the bedroom. If you watch soap opera on television, the action is taking place inside the private home, our whole media fiction is based on being voyeurs pretending we are sitting inside these homes watching, listening and learning. In the new reality TV we often are indeed faced with their private lives in their living rooms. 117 Entre Autres

This then is a real dilemma. Now that we all live `amongst others’ how do we gain an understanding of such others, if we do not enter into the place where their lives are being lived? To my mind we have no choice at all. Either we give up pretending we can ever gain knowledge or understanding of other people, or we go to where those people are, we enter their private lives and accept the methodological, ethical and other difficulties that comes with that. When I was first forming my own ambition to develop a school of researchers who would accept this challenge, my main inspiration was the one book that I knew that had achieved this goal. This came out in 1984 and was called Kitchen Table Society and was written by Marianne Gullestad a Norwegian anthropologist. What attracted me was my sense that if I had difficulties in London, then the general opinion was that Norway was an even more private society than the English. So if a Norwegian could accomplish this aim, then just about anyone could. What also struck me about her book, was on the one hand the close observation of the house itself. She paid attention to the details of what furniture was selected, the changing fashions of interior decoration, not those found in magazines, but based on the selection by home owners, was it a pine table, what colour was the carpet. On the other hand she showed how such materials could be understood through a larger study, an ethnography, a years observation of working class housewives in the town of Bergen. It was the combination of the two that was the basis of the book’s success. You could not say it focused upon either the material, or the social, it understood that each works through the other, so that the distinction itself becomes artificial. In two edited collections called Material Cultures and more recently the book Home Possessions my own research students have tried to develop this approach. We have also tried to tackle some of the most difficult aspects of this ethnography in private. Take the title of this conference again, `amongst others’. Although Norway was a very private society it is also a relatively homogeneous society,, and in many ways the people that Gullestad studied, the working class women of a particular town, conformed to the older anthropological ideal, which allowed one to generalise about normativity, the shared expectations and values of this group. But what of the conditions of contemporary London, when one lives `amongst others’ who share only ones juxtaposition of living in the same place, or what of groups who do not really mix very much? Where there is no kitchen-table society because people do not meet around their kitchen-tables. To my mind these people represent the challenge of modern studies because the people who live in a place like London, who are the most isolated and most dispersed, are often the very people we feel we need to understand better, and gain a proper empathetic insight into their lives. Let me give you two examples. I mentioned that one of the main areas of our work is in media studies, since most media is actually consumed in the home, and it is only there that we can really start to investigate its effects. One of my students decided to work on a particularly isolated group, which were mainly single mothers in the town of Bristol. These women found that as single mothers they were completely absorbed in child care and were unusually isolated from wider social contacts. They very much lived amongst others. In her excellent study Jo Tacchi was able to demonstrate the central importance to them of radio. Indeed she went further, she theorised and explored the concept of a soundscape. Basically the material presence of sound in a room as opposed to silence. This enabled her to reveal the importance of having music in the background as one type of relationship as well as other relationships, for example to the news. What Jo had done is take a general term such as loneliness, or category such as single parent, and demonstrated its material quality, its sense of space, its auditory nature and she was thereby able to reach a much deeper understanding of this experience. 118 Among Others

The same I hope is true in tackling the `amongst other’ situation of London cosmopolitanism. When I undertook my most extensive ethnography, a year’s study of shopping in North London, I was well aware of the heterogeneity of London’s population. A common response to this is to study networks of people, so one focus’s say on the Somali population or the Irish and follows their social networks. I deliberately didn’t do that. I decided that rather than categorise people, that I would use the openness of anthropology to refuse such categories. With my co-fieldworker Alison Clarke, we worked a street. A street is the perfect `amongst others’ situation, because quite often even the households could not be easily characterised. What is a household where a Spanish woman has married a New York Jew and settled in London, where their neighbour on one side is a disabled Indian and on the other a Jamaican woman living for just a few weeks with a man from the North of England. I decided I was not studying any particular people I was studying what I came to call the `whatevers’ and the `whoevers’, and that by insisting on working with every house I could on this street, over seventy in the end, I was finally engaged with the actual cosmopolitanism that is contemporary London. The virtue of this approach is that it does not have any prejudice with respect to either heterogeneity or homogeneity. The private house is not a token sample of otherness. In one of the books I wrote from this work, the theory of shopping I argue for an extraordinary degree of homogeneity with respect to certain kinds of activity and relationship. Even if they had only been living there for a few months, in certain aspects of their shopping or use of thrift they all seemed to be doing things the same way. People from all these different backgrounds are not supposed to be homogenous. In other areas it was indeed very heterogenous and no easy generalisations could be made. Another advantage of this approach, is that no-one become the token for this category of `other people’. Once everyone is simply an other among others, they are no longer simply the sign of otherness. I would argue that the acknowledgment of these conditions of modernity also allows us to rehabilitate our own expertise in the study of objects that now are firmly integrated back into a materialism in which subjects and objects are studied as the forms that create each other. For example, in my first study of this kind, I looked at how people living in government housing transformed their kitchens. Since they all moved into identical apartments thirteen years previously, you could start off with the degree to which they had or had not transformed this environment. My conclusion was that such transformations were almost always a means of expressing the changing nature of gender relations, where male do it yourself manual labour was introduced back into the home in exchange for female aesthetic expertise and labour in the kitchen. Where such relationships flourished, such transformations were possible, where such relationships failed to develop the people felt oppressed by a material environment they felt they could not transform and which imposed itself upon them. As a final example, let me turn to a study that one of my PhD students is writing up at the moment. Again I think it shows the advantages of accepting that we have to enter not only into the private homes and lives of people but into their most intimate activities. In this case the starting point is women’s confrontation with the contents of their own wardrobes, that confrontation that normally begins with the sentence. `Oh my god, I have absolutely nothing to wear’, addressed to what may be a hundred garments. If you like, this student Sophie Woodward is continuing the traditional topic of studying collectors, but these are not particular collectors, because clothing is a collection that everyone of us collects. The point is to undertake this private ethnography using traditional scholarship. She has to map every single item, understand what can be combined with what, how it got there, the experience of wearing it and so forth. She also has to understand these people 119 Entre Autres

in the context of their family, their friends, their work situation. Indeed a year allows you only to study a few such wardrobes and persons, but it also allows you to consider their deep relationship to clothing as opposed to the superficial relationship often presumed of clothing. Since here one can enter into quite profound questions as to the nature of personhood, the different people an individual thinks they could be and have tried to be. Is there a personal aesthetic, what from the point of view of the individual is fashion? How does this array of objects relate to memory, is this the externalised form through which memories of relationships are stored, to be edited from time to time? So many of these clothes are associated with other people that bought them, or you were with when you wore them. Here memory is confronted as something external rather than something inside ones head. Much of her most interesting work is on failure, things women brought but never could wear, things they spent ages selecting, but were a disaster when they were worn. How can we continue to so completely fail to succeed in a task we undertake every day? This then is the private life that we see in televised soap opera, in good fiction. But here it is not fiction, it is the confrontation with the intimate nature of being. We may be living amongst others, but those others penetrate deeply into the private home in the form of normativity, the socialised sense of what is appropriate. This can be revealed through paying attention to the everyday objects inside a wardrobe, but equally to a radio in the kitchen, an ornament upon a shelf. In conclusion then I am not just arguing that it is possible to do ethnography in private, I am arguing that for any serious engagement with contemporary European populations, it is impossible not to do ethnography in private, because otherwise we are standing outside of the place where most European culture exists. Furthermore I think that one advantage of material culture studies is that it continues one of the strengths of traditional European Ethnology. Culture and society do not become abstract forms, because there is a commitment to study the materiality of social life, and to provide the scholarship and commitment to fine grained observation and analysis that those older studies of the material world developed to their credit, but which now need to be applied with just as much rigour and patience to new topics of enquiry. For all these reasons I conclude that `among others’ is precisely where we should be.

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Synthèses des ateliers Workshops Contents

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Atelier / Synthèse

Terre, Espace, territoire

Thème 1 : Stratégies d’appropriation et de partage

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Public et Privé en Europe et en Méditerranée

Mohamed KERROU

Université de Tunis / Tunisie)

L’objet de l’atelier était de réexaminer, dans une perspective comparative, les frontières et les interpénétrations entre les domaines publics et privés dans les sociétés du Nord et du Sud de la Méditerranée. Ce débat avait pour but de contribuer à renouveler les approches anthropologiques en portant son attention à la fois sur les représentations et sur les vécus structurés par la double logique du local et du global. Les sept communications qui y ont été présentées et discutées ont privilégié les thèmes de l’urbain et de « l’interculturel » ainsi que leur combinaison, agencée de façon à proposer d’autres manières de voir et d’analyser dans le temps présent les logiques sociales et les stratégies des acteurs. Les nouveaux usages des espaces urbains ont constitué le thème dominant dans la mesure où cinq contributions ont abordé cette question, et traité à la fois de la théorie anthropologique sur la base d’expériences de terrain effectuées dans différentes aires géographiques et culturelles : le sud-est européen, l’Espagne, le midi français et le Maghreb.

Le propos introductif était axé sur la présentation de l’atelier et sur la discussion critique des théories contemporaines du public et du privé158 qui ont l’avantage de sensibiliser les chercheurs aux approches novatrices dans le domaine des sciences sociales, même si elles pêchent par l’ethnocentrisme et le comparatisme limité dans l’espace et le temps. En outre, les récents travaux sur les structures familiales et sur la notion de sujet permettent de repenser, voire de dépasser, les théories mentionnées, tant il est vrai que les notions d’individu, de famille et de communauté ne peuvent plus être pensées ni dans un schéma figé et absolu, ni dans un rapport d’opposition irréductible. Suite à l’introduction, Meglena Zlatkova (Université de Plovdiv / Bulgarie – « Public– Privé, local-global ou les nouveaux usages des espaces urbains dans le sud-est de

158. Voir entre autres : Elias (Norbert) : La société des individus, Fayard, 1991 [éd. originale Die Gesellschaft der Individuen,1987] - Sennett (Richard) : The Uses of Disorder, Personal Identity and City Life, 1970 ; The Fall of Public Man, 1974 ; Flesh and Stone: The Body and The City in Western Civilisation, 1994 ; The Corrosion of Character, The Personal Consequences of Work in the New Capitalism, 1998 - Habermas (Jürgen) : L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Payot : 1990 [éd. originale : Strukturwandel der Offentlichkeit, 1963]. 125 Entre Autres

l’Europe ») a traité des nouveaux usages des espaces urbains en Bulgarie, tout en les comparant avec des pratiques similaires dans les villes turques, grecques et romaines. Les dimensions spatiales de l’altérité constituent, à cet effet, un point de vue stimulant qui permet de fournir une vision réflexive à propos des frontières entre, d’une part, le public et le privé et, d’autre part, entre le local et le global. La ville se donne à voir comme un lieu de coexistence, mais également de conflits et de différences (sociales, culturelles, ethniques et religieuses). L’urbain est un laboratoire de stratégies d’appropriation des espaces et des positions sociales dans l’espace. C’est l’interpénétration et l’interconnexion entre les sphères qui s’impose à l’anthropologue appelé alors à tenir compte de plusieurs facteurs et déterminations de l’espace et de la société.

Dans le même ordre d’idées, Nadja Monnet (Université de Barcelone / Espagne et de Fribourg / Suisse – « Enjeux et usages de l’espace public. Comment aborder la question d’un point de vue ethnologique ? »), s’est interrogée sur ce que signifie faire de l’anthropologie en milieu urbain et s’est aussi demandée comment la dite discipline pourrait concrètement se pencher sur les stratégies d’appropriation de l’espace de la part de ses différents occupants. En revisitant les théories de l’anthropologie urbaine,159 elle a centré son propos sur le cas de l’Espagne et en particulier de la métropole de Barcelone, sise aujourd’hui au confluent des dynamiques locales et globales. L’ethnographie des lieux et des espaces publics de cette ville met en valeur les « zones glauques » ainsi que l’immersion dans l’urbanité avec ce qu’elle implique comme différenciations entre l’urbs et la polis. Prolongeant la réflexion sur les espaces urbains communs, Valérie Feschet (Université de Provence / France), s’est penchée sur la question de la copropriété résidentielle en tant que mode d’habitat modelant le visage des villes contemporaines. A partir d’une expérience de terrain comparative effectuée dans plusieurs co-propriétés bâties vers 1960 et où l’ambiance est apparemment paisible et « sans histoire », la tâche du chercheur a consisté à identifier les usages qui s’inscrivent dans les espaces communs (les montées d’escalier, les entrées, les locaux à poubelles, les parkings, les espaces verts) ainsi que les structures organisationnelles qui les accompagnent, les instances officielles (assemblées générales, conseils syndicaux…) comme les collectifs plus spontanés (associations de copropriétaires, coalitions d’intérêt). Si dans le quotidien, la cohabitation semble, de l’extérieur du moins, assez pacifique, et parfois même conviviale (parties de boules, discussions entre résidents, fêtes occasionnelles…), le partage de ces espaces - tant au niveau des responsabilités que des jouissances respectives que peuvent en avoir les copropriétaires - entraînent de nombreuses frictions, qui éclatent lors des assemblées générales selon un scénario prévisible, articulées autour de la conception du sale et du propre, de l’intime et du public, du commun et du privatif. Les conflits s’ouvrent parfois sur des crises aiguës qui se règlent par l’entremise d’instances de médiation internes (les présidents, syndics, gardiens) et parfois, par voie judiciaire.

159. Hannerz (Ulf) et Joseph (Isaac) : Explorer la ville. Eléments d’anthropologie urbaine. Paris : éd. Minuit, 1995. Petonnet (Colette) et Leroi-Gourhan (André) : On est tous dans le brouillard. Ethnologie des banlieues, CTHS, 2002. Raulin (Anne) : Anthropologie urbaine, Paris : Armand Colin, 2002. Delgado (Manuel) : El animal público. Hacia una antropología de los espacios urbanos, Anagrama, Barcelona, 1999 - Memoria y lugar. El espacio público como crisis de significado, Publicacions de la Universitat Politècnica de València, València, 2001 - Disoluciones urbanas. Procesos identitarios 126 y espacio público, Editorial Universidad de Antioquia, Medellín, 2002. Among Others

Examinant le sujet des déchets en rapport avec les villes et l’urbain, Agnès Jeanjean (Université de Nice-Sophia Antipolis / France), s’est évertuée à montrer comment les déchets constituent un objet ambigu qui interroge les frontières internes aux organisations sociales : limites entre corps biologique et corps social, frontières entre espace privé et public, articulations entre divers territoires. En axant ses recherches sur les techniques d’évacuation des eaux usées et des substances excrémentielles dans deux villes françaises (Montpellier, Nice) et deux villes marocaines (Rabat, Salé), elle a pu comparer les territoires urbains en prêtant attention aux dispositifs techniques et réglementaires mis en œuvre au sein de chacun d’eux (bidonvilles, quartiers non réglementaires, centres villes, quartiers « chics »…). De la sorte, elle analyse les mécanismes selon lesquels les distances réelles ou symboliques maintenues ou non entre les individus et les déchets participent à l’élaboration de positions sociales. Les observations de terrain sont situés dans le cadre de privatisations des services urbains en prenant en considération les enjeux internationaux, locaux et les expressions concrètes de leurs confrontations. L’approche comparative a été également adoptée par Farah Khadhar, doctorante (EHESS, Paris, France), pour examiner les rapports interethniques au Maghreb et en France. Sur la base d’enquêtes de terrain effectuées à Tunis et dans les villages du Sud tunisien mais également à Paris, là où se diluent, sans se fondre, les communautés et les minorités, l’investigation s’est orientée vers la compréhension et l’analyse des logiques des rapports entre « Noirs » et « Blancs ». Telles catégories sont évidemment conçues en tant que catégories construites et changeantes selon le contexte social et historique. La problématique s’articule ipso facto sur les modes de construction de l’image de l’autre et sur les types de rapports entre les deux communautés dans les pays d’origine et d’adoption dans le but de saisir la structuration des rapports du public et du privé entre ces groupes ethniques. Ces logiques s’articulent à la fois aux figures complexes de l’altérité mais également aux logiques de la domination et de l’exclusion sociale. Déplaçant le regard vers le Nord de l’Europe, en l’occurrence la Pologne, Inga Kuzma (Université de Lodz / Pologne), a essayé de réfléchir sur les formes et les ré-interprétations des images des femmes, autres dominées et autres exclues de l’espace public. Pour cela, elle s’est appuyée sur des données empiriques relatives aux rôles féminins dans la culture populaire ainsi que dans le milieu familial et autres lieux d’activité et de vie publique (milieu professionnel, espace religieux et espace des mœurs). A cet effet, le projet d’enquête effectuée au Sud de la Pologne a permis de rendre compte des changements de rôles masculins dans le vaste contexte des notions et sphères du « privé » et du « public ». A l’évidence, il s’avère que la définition des rôles masculins dans la culture populaire est décisive dans le processus de mise en place de frontières entre les deux sexes et les deux sphères du « public » et du « privé ». Abordant la question de la visibilité des femmes, Mohamed Kerrou (Université de Tunis / Tunisie) s’est basé sur l’actualité des débats sur « le voile islamique » pour comprendre les logiques du voilement et du dévoilement avec ce qu’elles charrient comme luttes et enjeux de classement des genres et des pouvoirs au sein des sphères publiques et privées. Tout en se différenciant selon les espaces et les temps, la visibilité et les polémiques à propos de la visibilité des femmes revêtent désormais une dimension identitaire et planétaire. Du local au global en passant par le national, la visibilité publique des femmes est saisie par le biais d’une démarche historique et anthropologique qui tente de reconstituer les logiques des acteurs ainsi que les significations symboliques de leurs tenues vestimentaires, gestes, paroles et autres modes d’expression des identités individuelles et collectives. A l’issue de la présentation de ces différentes contributions, plusieurs thèmes et questions de recherche firent l’objet de discussions et de débats. Parmi ces questions, il y a lieu d’abord de mentionner la question de l’urbain et la séparation ou la non-séparation, selon les cas de figure, entre l’urbain, le rural et parfois le communal. Il en est de même de 127 Entre Autres

la question de « l’interculturel » qui a été critiquée comme un « fourre-tout » empêchant parfois de penser les dynamiques locales en rapport avec la globalisation des échanges et des communications.

Vint ensuite la question classique qui fut débattue autour des années 1960 : celle de la culture populaire et, par delà, du peuple ou du « folk » qui est presque toujours conçu et perçu en rapport avec les traditions et le passé, alors que le « folk » est aussi lié à la modernité et que l’urbanité peut se retrouver ailleurs. Enfin, la question de l’identité de l’anthropologie fut ainsi posée : est-ce une pratique liée à une méthode, des objets et des regards ou est-ce, fondamentalement, une problématique des différences ? La discussion a permis par ailleurs de mettre en valeur l’importance des catégories utilisées et leurs limites intrinsèques. C’est le cas des catégories centrales – pour le présent atelier ainsi que pour toute réflexion sur le contemporain - du « public » et du « privé » qui sont le produit d’une conception particulière de la modernité qui sépare entre les sphères tout en hiérarchisant les niveaux : l’intime est confiné dans le privé et celui-ci est souvent mis au diapason, voire en annexe, du public. Le religieux a été également une autre catégorie soumise à la discussion critique du fait qu’il est opposé dans un rapport antithétique avec le politique dans une vision étriquée de la sécularisation, alors que c’est cette même vision qui a propulsé, ces derniers temps, le religieux au cœur du politique et de l’actualité. C’est dire que la problématique du public et du privé qui a pour cadre privilégié, pour ne pas dire exclusif, la ville invite à tenir compte des confluences et des interconnexions entre les différents paliers du vécu et les multiples facettes des représentations et des imaginaires qui informent et enrobent les pratiques des acteurs ainsi que les modes et les expressions d’appartenance. Le comparatisme, tenu à « bonne distance », s’avère alors un passage obligé pour cerner les phénomènes étudiés, à la fois dans leur diversité anthropologique et dans leur singularité historique.

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Conflits et rencontres à proximité des frontières nationales

Anders Gustavsson Department of Culture Studies, Université d’Oslo / Norvège

avec la collaboration de

Paula Godinho Faculté de sciences sociales et humaines, Université nouvelle de Lisbonne, département d’anthropologie / Portugal

et de Gilles de Rapper IDEMEC-MMSH, CNRS, Aix-en-Provence

Avec 8 communications réparties sur 3 sessions, l’atelier européen consacré aux rencontres culturelles dans les zones de confins, a discuté des conditions de vie des populations frontalières et des conséquences et impacts d’une situation frontalière dans diverses parties de l’Europe, hier et aujourd’hui. Quel rôle ont joué les conflits et la collaboration sur la frontière ? Quelles furent les expériences parmi les frontaliers lorsque les frontières se sont déplacées ou fermées, ainsi en temps de guerre ? Y a-t-il là des formes culturelles spécifiques liées à la situation ambiguë de la frontière ? Un autre thème traité par cet atelier fut le commerce et l’achat de part et d’autre des frontières, en relation avec l’économie et les réglementations des pays respectifs. Tourisme, échanges et mariages frontaliers furent abordés ainsi que les concepts de frontière, de région frontalière et de confins. Différentes approches théoriques et méthodologiques reflétant les courants et les disciplines scientifiques de plusieurs pays européens furent examinées à cette occasion. L’intérêt des travaux de ce groupe tient à ce que les chercheurs de différentes origines de l’Europe purent se rencontrer et présenter leurs communications en présence d’autres problématiques de rencontres et/ou de conflits prés de frontières nationales européennes. Ne se connaissant pas avant le colloque, l’atelier leur a donné la possibilité de construire ou d’élargir un réseau de recherche pour de futurs sujets comparatifs relatifs au fait du vivre à proximité des frontières nationales hier et aujourd’hui. Les 4 intervenants francophones se sont intéressés au tracé des frontières en Europe de l’Est (Bulgarie, Serbie, Albanie, Grèce, Roumanie) ainsi qu’à celui de la frontière entre le Portugal et l’Espagne : 129 Entre Autres

Dominique Belkis (Université Jean Monnet, St-Etienne / France), dans sa communication intitulée « Les colons des confins. «L’instrumentalisation de la catégorie ethnique dans la définition des frontières nationales : le cas mégléno-roumain» », a examiné un phénomène d’ethnogenèse à travers l’exemple de populations « déplacées » en contexte balkan. Appauvrie par le combat sur le front macédonien où ses villages d’origine étaient situés, cette population fut forcée à émigrer au début de la 1ère guerre mondiale. Un grand nombre de villageois accepta les propositions du gouvernement roumain qui – au nom d’une proximité linguistique (le groupe appartenant aux langues latines) – les transféra au sud du Dobrogea en vue de « coloniser » le territoire frontalier obtenu de la Bulgarie. Ces populations furent ainsi utilisées dans les projets de construction nationale, à tel point que l’auteur les nomme « colons de confins » pour les distinguer de ce que Michael Pollack appelait « les frontaliers », dont le statut dérive plus de leur position le long d’une frontière que d’un mouvement pour coloniser les territoires frontaliers. L’identité collective du groupe étudié dépend ainsi de cette utilisation et apparaît comme un fait distinctif suivant les contextes régionaux et nationaux (dans diverses régions de Roumanie et en Grèce). Une analyse des nombreux ethnonymes désignant le groupe (qu’il soit endogène ou exogène) éclaire non seulement le processus de manipulations et de construction de l’identité nationale, mais aussi la capacité pour les individus eux-mêmes de s’adapter à un contexte en vue d’assurer et de prendre en main le destin national en sauvegardant les spécificités culturelles. L’intervention de Luis Cunha (Institut de sciences sociales, Université de Minho / Portugal) « Frontière, changement et mémoire sociale », qui présentait sa recherche menée à Campa Maior, localité des confins portugais de l’Alto Alentejo, consistait à démontrer comment et à quel point la frontière conditionne non seulement l’expérience de vie mais aussi la représentation du monde. Sondant les mémoires liées à la contrebande durant la guerre civile espagnole, le dynamisme de la frontière, c’est-à-dire la façon dont les différents intérêts s’articulent autour de son contrôle, redevint perceptible. L’ambiguïté de cet espace liminal exprime aussi la variété des lectures qu’il provoque : d’une part par l’Etat en établissant des règles de circulation des hommes et des marchandises, d’autre part par la population locale qui voit la frontière comme une ressource. A Campo Maior, les histoires qui circulent –qu’elles concernent la contrebande ou la Guerre Civile – sont l’expression vivante de la singularité d’un espace dont l’appropriation devient une ressource. Avec la libre circulation actuelle, c’est avant tout la mémoire qui donne vie à la frontière. Présentant « Mémoires et rites de jeunesse dans un ancien village frontalier de Bucovine », Rodica Negre (Centre de recherche en Ethnologie européenne, Bruxelles / Belgique mais originaire de Roumanie) a évoqué les traces laissées dans la culture populaire par une ligne de démarcation militaire autrichienne. Dans le cycle de douze jours entre Noël et l’Epiphanie, les jeunes hommes de Basanci (Bucovine, village frontalier de 1775 à 1918) organisent un festival dans lequel, si les masques agro-pastoraux ont disparu, les costumes qui constituaient la « hurta » sont ceux des « Empereurs » et des « bumbieri ». Leur aspect est surprenant. Les vêtements, tout comme les décorations militaires et les épées que les jeunes hommes utilisent en simulant le combat durant leur danse, ressemblent en effet aux uniformes des soldats autrichiens. Le festival coïncide avec deux types de rite de passage : celui des membres de la « hurta » de l’enfance à la jeunesse, et celui du passage de l’ensemble de la communauté d’un cycle calendaire à un autre. Comment peut-on expliquer l’apparence de ces traces figeant une période historique précise ? Afin de comprendre pourquoi ce passé se perpétue dans le présent, comment cette communauté (re)construit son identité de cette façon, et afin de déchiffrer ses relations avec la grande Histoire, l’auteur a observé la « mémoire lente » des paysans, avançant l’hypothèse que ces événements, fussent-ils nationaux ou locaux –et spécialement les guerres- sont mémorisés à travers le filtre intime des rites de jeunesse. 130 Among Others

Gilles de Rapper (IDEMEC-MMSH, CNRS, Aix-en-Provence / France) revient, dans sa communication intitulée « Distance et proximité en Epire : images de soi et figures de l’autre sur la frontière gréco-albanaise », sur la frontière créée entre la Grèce et l’Albanie dans un climat de conflit entre 1912 et 1919, et qui longtemps resta problématique. Elle suscita une intense cristallisation nationale dans une région à identité mixte, ethnique et religieuse, et fut marquée par des mouvements de population ainsi que par la reconnaissance de minorités, avec l’objectif de « simplifier » la situation. Fermée et étroitement contrôlée durant la 2e moitié du XXe siècle, avec les années 90, cette frontière devint le lieu de nombreux passages et contacts, particulièrement dans le contexte plus large de l’immigration albanaise vers la Grèce. L’auteur a présenté les différentes façons d’être Albanais, ou plus exactement, de vivre du côté albanais de la frontière, dans la région frontalière de Giirokastër. Il a d’abord évoqué l’expérience quotidienne des Albanais orthodoxes et musulmans, des Valaques et des Grecs, puis montré comment ils utilisent la mémoire et le passé pour parler d’eux- mêmes par rapport à l’autre côté de la frontière. Quelques remarques furent faites à l’issue de ces interventions en français. Elles concernaient : - l’émergence d’une identité régionale [faible] en Albanie conséquemment aux programmes frontaliers européens. - l’influence des pays musulmans dans la résurgence de l’identité religieuse en Albanie, laquelle est également faible. - l’attitude de la Grèce à l’égard des Mégléno-Roumains (ceux de Grèce n’étant pas prêts à aider ceux de Roumanie, les relations ne sont pas très bonnes) - les besoins de conduire une étude comparative des rites de passage dans les zones frontalières. - l’opposition à l’état comme composante de la fraude sur la frontière entre le Portugal et l’Espagne (ce qui n’était pas le cas dans l’exposé rapporté ici). Les 4 intervenants anglophones ont parlé quant à eux de la Bulgarie, de l’Irlande du nord et de la Scandinavie (Danemark et Norvège). La communication de Karen Margrethe Pedersen (Institut danois des études frontalières, Aabenraa / Danemark), « Rituels nationaux en région frontalière germano-danoise », analysait et comparait respectivement les rituels germaniques nationaux des minorités. La minorité danoise du Schleswig-Holstein en Allemagne tient en effet le Danemark comme état-parent et la minorité allemande du Sønderjylland au Danemark revendique ses liens avec l’Etat allemand. Le rôle et la signification des rituels furent discutés dans les contextes respectifs de la minorité et dans celui des cultures majoritaires de l’état d’appartenance et de l’état-parent. Les minorités organisent les rituels de différentes façons : l’emploi de symboles nationaux diffère alors que les messages vus et entendus sont similaires. Les symboles et les discours ont la même fonction. Ils sont l’objet et l’outil d’identification nationale, et les participants traversent un processus d’identification. Une participation ultérieure aux rituels se traduit par une inclusion sociale. Enfin, de nouveaux éléments festifs ont été analysés et interprétés comme exprimant la diversité qui confronte les rituels nationaux. Ces derniers aussi bien que cette mode des festivals furent replacés en conclusion dans le contexte européen. 131 Entre Autres

Dans sa communication « Rencontres autour de la frontière suédo-norvégienne dans une perspective de changement », Anders Gustavsson (Department of Culture Studies, Université d’Oslo / Norvège) a observé les rencontres culturelles à différentes époques du XXe siècle à partir des résultats du projet de recherche « Rencontres culturelles de la frontière ». Ce dernier se focalisait sur les relations frontalières depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours dans la partie la plus méridionale de la frontière suédo- norvégienne. La principale raison d’être de ce projet est d’examiner les relations et les visions de part et d’autre de la frontière chez les autorités, les voyageurs et les populations frontalières. La question se pose ainsi : comment les identités frontalières régionales peuvent-elles transcender les frontières nationales et quels effets cela peut-il avoir dans diverses situations politiques à travers le temps au niveau national. On peut trouver une culture et une communication frontalière commune de chaque côté de la frontière, sans considérer ce qu’il advient au niveau national à différentes occasions. Vivant en zone frontalière, on doit apprendre puis savoir comment négocier les limites de la libre circulation. Les conditions économiques, politiques et juridiques varient de chaque côté de la frontière et ces conditions changent dans le temps. Ces questions peuvent être abordées avec la circulation travail-domicile, le commerce légal, la contrebande et le tourisme. Les touristes voyagent en bateau, en voiture ou en bus et, indifféremment, louent un appartement ou achètent une résidence secondaire de l’autre côté de la frontière. La région côtière ouest de la Suède, propice à ce phénomène, fut choisie pour étudier ces faits. La population frontalière peut ainsi acheter des maisons de l’autre côté de la frontière, s’y installer et se rendre dans l’autre pays pour travailler. Les retraités peuvent aussi trouver des raisons pour résider de l’autre côté de la frontière. Le projet de recherche analyse ces processus de déplacement de l’autre côté de la frontière ainsi que leurs causes. Avec sa communication « Identités matérielles : fixer l’ethnicité dans les confins irlandais. », Hastings Donnan (Université de la Reine, Belfast, Irlande du nord / Grande Bretagne) confirme combien les confins sont souvent des zones chaudement contestées, aussi bien par les états dont ils perturbent les limites de souveraineté, que par la population locale qui y vit. L’auteur aborde l’une de ces frontières, ces confins entre l’Irlande du nord et la République d’Irlande, qui fut politiquement contestée, militairement et symboliquement. Elle se concentre particulièrement sur la contestation de sens symbolique et politique du paysage. Le paysage irlandais des confins est lu de multiples façons, souvent conflictuelles par un grand nombre de gens qui vivent et travaillent là. Cette intervention se concentre principalement sur les confins protestants, qui articulent une identité distincte à travers une lecture du paysage de confins qui exalte les atrocités subies depuis ces trente dernières années. La discussion montre en quoi le lieu est central dans ces narrations d’atrocités et comment la connaissance de la violence associée à des endroits spécifiques –un champ particulier, un corps de ferme ou un sentier de campagne- constituent ensemble et reflètent une identité frontalière distincte. L’intervention démontre l’hybridation, la déterritorialisation et le déplacement des identités frontalières ; ces populations tentant d’ancrer leur identité dans des matériaux du paysage frontalier. La communication de Galia Valtchinova (Institut d’études thraces, Académie des sciences bulgare - Wassennar / Pays-Bas), « De l’idéologie de la parenté au marché libéral : rencontres sur la frontière serbo-bulgare des années 60 à 90. », étudie le cas d’une contestation d’une frontière. Sur le point le plus occidental de la Bulgarie, la petite ville de Trun domine une des nombreuses zones frontalières ambiguës des Balkans. Divisée entre la Bulgarie et la Serbie après la 1ère guerre mondiale et faisant place dans le même temps à la partie nord-est de la République de Macédoine, cette région a été le lieu de stratégies et d’interactions complexes à travers le XXe siècle. Un sens profond de l’identité entremêle 132 les loyautés et sentiments nationaux d’une manière complexe et sinueuse. Among Others

L’auteur, dont le terrain s’est déroulé entre 1997 et 2000 se concentre sur la disposition des pratiques et des images de contact transfrontalier et d’échange entre parents, tels qu’ils furent vécus par la population du voisinage de Trun de la période de l’Entre-deux guerres jusqu’à la fin des années 90. L’auteur aborde les échanges transfrontaliers de deux points de vue : l’emploi de réseaux de parenté, le glissement de définitions et de diverses compréhensions comme la nature de cet échange. Après quoi l’auteur s’arrête sur trois formes d’échange transfrontalier qui apparurent entre le début des années 60 et le milieu des années 90 : les foires trans-frontalières dans la 1ère période socialiste, le marché noir et les « activités économiques illégales » du socialisme tardif, et finalement le petit commerce et la contrebande sous le déguisement de la « liberté d’échange » et « l’initiative privée » célébrée dans les années 90 du post-communisme. Il n’y a pas eu de discussion à proprement parler à l’issue des 4 communications en anglais mais des questions et des comparaisons avec d’autres régions frontalières en Europe.

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134 Among Others

Conflicts and Encounters around National Borders

Anders Gustavsson

Oslo

Paula Godinho from Lisboa, Portugal and I presented the following text when we sent out call for papers: A European workshop will focus upon cultural encounters in border regions, discuss conditions for people living near a border and the consequences and impacts of the border situation in different parts of Europe, today and in earlier times. What role have conflicts and collaboration over the border played? What was the experiences among border inhabitants when national borders were moved or closed, for example during war times? Are there particular cultural forms from the ambiguos frontier situation? Another research field concerns the study of commerce and shopping over the borders in relation to the economy and the regulations of the nations. The workshop will discuss tourism, the commuting and marriage over the borders. The concept of border, border region and borderland will also be treated. Different theoretical and methodological approaches may be examined when we meet during the workshop and represent different scientific traditions and disciplines from several European countries. We have the possibility to test innovative ideas. At the deadline for leaving papers, June 30th, 2003, we had got many proposals with abstracts from different parts of Europe. We chose fourteen of the proposals and sent them to the congress committee in Marseilles. They were accepted in September 2003. But unfortunately in March and April 2004 there came many cancellations, namely from Marjut Anttonen, Finland; Bernhard Fuchs, Austria; Christophe Jaccard, Switzerland; Vladislav B. Sotirovic, Lithuania and worst of all from Paula Godinho, Portugal. These scholars had got no money for the participation in the Marseilles Congress. Wolfgang Kaiser, France was moved to another panel. In Marseilles the panel consisted of eight lecturers. They presented their papers on Wednesday April 28th during three sessions. The time for every lecture was 30 minutes inclusive of discussion. Four of the lecturers were French speaking and the other four were English speaking. Afterwards I have got the complete manuscripts from the authors. Thanks to them I have made the summaries.

135 Entre Autres I) The French speaking lecturers were: Dominique Belkis, Saint-Etienne, France: “Les colons des confins”. L´instrumentalisation de la catégorie ethnique dans la définition des frontières nationales: le cas mégléno- roumain (“Border Colonists”. The Instrumental Uses of Ethnic Categories in the Definition of National Frontiers: The Meglene-Romanian Case) Luís Cunha, Minho, Portugal: Frontière, changement et mémoire sociale (Border Relations and Social Memory) Gilles de Rapper, Aix-en Provence, France: Distance et proximité en Épire: images de soi et figures de l´autre sur la frontière gréco-albanaise (Distance and Proximity in Epirus: Images of Self and the Other along the Greek-Albanian Border) Rodica Negre, Brussels, Belgium but originally from Romania: Mémoire et Rites de Jeunesse dans un ancien village frontaliers de Bucovine (Memory and Rites of Youth in an Old Border Village of Bucovina)

II) The English speaking lecturers were: Hastings Donnan, Belfast, Northern Ireland: Material Identities: Fixing Ethnicity in the Irish Borderlands Anders Gustavsson, Oslo, Norway: Encounters around the Norwegian-Swedish Border in a Changing Perspective Karen Margrethe Pedersen, Aabenraa, Denmark: National Rituals in the Danish-German Border Region Galia Valtchinova, Wassenaar, The Netherlands but originally from Bulgaria: From Ideology of Kinship to Liberal Market: Encounters on the Bulgarian-Serbian Border, 1960s-1990s There was a big problem when Paula Godinho from Lisboa in the beginning of April 2004 informed me by an e-mail that she had no possibility to take part in the SIEF congress. She had earlier effected the communications with the French speaking lecturers and I with the English speaking. I am not so clever to understand French that I lonely wanted to lead the French speaking sessions. I asked Gilles de Rapper to help me, and we found a good solution of this problem. He could translate between English and French. He has written in English a summary of questions after every French speaking lecture. In the following I quote his report: There were no proper discussions after the French papers, just questions on: - the emergence of regional identity in Albania in consequence of the European border programmes, which is weak; - the influence of Islamic countries in the resurfacing of religious identity in Albania, which also is weak; - the attitude in Greece towards the Mégléno-Roumains (the relations are not very good, the M-R of Greece are not ready to help the M-R in Romania); - the need to conduct a comparative study of rites of passage in border areas; - the opposition to the state as constitutive of smuggling on the border between Portugal 136 and Spain (which is not the case here). Among Others

Also after the English-speaking lectures there were no special discussions but instead of that questions and comparisons with other border regions in Europe. I will now also present a summary in English of the French speaking lectures. The authors spoke about borderlines in Eastern Europe (Bulgaria, Serbia, Albania, Greece, Romania) and the border between Portugal and Spain: Dominique Belkis: “Border Colonists” - The Instrumental Uses of Ethnic Categories in the Definition of National Frontiers: The Meglene- Romanian Case The author examined phenomena of ethnogenesis in the Balkan context through the study of a “displaced” population: the Meglene-Romanians. This population was forced to emigrate at the beginning of World War I: impoverished by combat on the Macedonian front, where their villages of origin were located. A great number of villagers accepted the Romanian government´s proposal, which - in the name of linguistic proximity (the group being of a latin language) - transferred them to the south of Dobrogea in order to “colonize” this border territory obtained from Bulgaria. This population was thus utilized in nation-building projects, so much that the author called them “border colonists” to distinguish them from what Michael Pollack calls “frontier peoples” whose status derives more from being based along a border than from a movement to colonize border territories. The collective identity of the group studied thus depends on this utilization and appears as a differentiating fact according to regional and national contexts (in different regions of Romania and in Greece). An analysis of the multiple ethnonyms denominating the group (be they endogenous or exogenous) not only sheds light on the process of manipulation and construction of collective identities, but also the capacity for individuals themselves to adapt to a context in order to assure and take on a national destiny by safeguarding its cultural particularities.

Luís Cunha: Border Relations and Social Memory This paper was based on research conducted in a locality of the Portuguese border, Campo Maior, in Alto Alentejo; its aim was to demonstrate how the border is actually an element which conditions not only the experience of life, but also the representation of the world. By examining memories connected to contraband during the Spanish Civil War, we may perceive the dynamism of the border, that is, the way in which different interests get articulated around its control. The ambiguity of this liminal space is also the expression of the various readings it provokes: on the one hand by the State, by establishing rules of circulation of people and goods, on the other hand by the local population which views the border as a resource. In Campo Maior, the histories which circulate - whether they are about contraband or the Civil War - are the lived expression of the singularity of a space that requires prohibition in order to be a resource, so that with today´s free circulation, it is above all memory which gives life to the border.

Rodica Negre: Memory and Rites of Youth in an Old Border Village of Bucovina In the border region of Bucovina, Romania, the presence of Austrian military boundaries has left its traces in the popular culture. During the Twelve Day Cycle between Christmas and Epiphany, the young men of Basanci (Bucovina, a border village between 1775 and 1918) organize a festival in which agro-pastoral masks have disappeared, and the costumes which make upp the “hurta” are of “Emperors” and “bumbieri” which have a surprising appearance: clothes which resemble the uniforms of Austrian soldiers, military 137 Entre Autres

decorations, swords which the young men use in simulating combat during their dance. The festival coincides with two types of rites of passage: the passage of the members of the “hurta” from childhood to youth, and the passage of the entire community from one temporal cycle to another. How can we explain the appearance of these traces of a precise historical period? In order to understand why the past is perpetuated in the present, to grasp how this community (re)constructs its identity in this way, and to then decipher its relation to global History, the author looked to “the long-term memory” of the peasants, advancing the hypothesis that these events, be they national or local - especially wars - are memorized through the intimate filter of rites of youth.

Gilles de Rapper: Distance and Proximity in Epirus. Images of Self and the Other along the Greek-Albanian Border The border between Greece and Albania has long been a problematic one, created in a climate of conflict between 1912 and 1919. It has given rise to an intense national crystallization in a region of mixed ethnic and religious identity, and has been marked by movements of the population and the recognition of minorities, with the aim of “simplifying” the situation. Having been closed and tightly controlled during the second half of the twentieth century, during the 1990s this border became a place of numerous passages and contacts, particularly within the wider context of Albanian emigration to Greece. This paper was concerned with the different ways of being Albanian, or more exactly, of living on the Albanian side of the border, in the frontier region of Giirokastër. The author began with the daily experience of Ortodox and Muslim Albanians, of the Wallachs and the Greeks, and how they use memory and the past to speak of themselves in relation to the other side of the border. The English-speaking lecturers spoke about Bulgaria, Northern Ireland and Scandinavia (Denmark and Norway). I will also give an abstract of their papers:

Karen Margrethe Pedersen: National Rituals in the Danish- German Border Region The paper presented an analysis and a comparison of the national rituals of two border- region minorities. That was the Danish minority in Schleswig-Holstein in Germany with Denmark as its kin state and the German minority in the region Sønderjylland in Denmark with Germany as kin state. The role and the significance of the rituals were discussed in the minority context and in the context of the majorities in state and kin state. The minorities organize the rituals in different ways, and the use of national symbols differs but the messages, seen and heard, are equal. The symbols and speeches have a similar function. They are objects and tools of national identification, and the participants go through a process of identification. Furthermore participation in the rituals is resulting in social inclusion. Finally, new elements reminding of festivals were analyzed and interpreted as expressions of a diversity that confronts the national rituals. Both the national rituals and the festival trend were in the end put into a European context. 138 Among Others Anders Gustavsson: Encounters around the Norwegian-Swedish Border in a Changing Perspective In this presentation the author looked at cultural encounters at different times during the 20th century, using results from the research project “Cultural Encounters of the Border”. This project focuses on border relations from the late 19th century up until today in the area around the southernmost part of the Norwegian-Swedish border. The project has its most important goal to examine relations and views across the border among the authorities, travellers and border population. The question is how regional identities in border areas may transcend national borders and what effects this might have in various political situations over time on the national level. One may find a common border culture and communication on both sides of the border, regardless of what happens on a national level on different occasions. When one lives in a border region one has to learn how to deal with the limitations on moving freely, and that the economical, political and juridical conditions vary on different sides of the border and that these conditions change over time. These problems can be studied concerning commuting to jobs, legal commerce, smuggling and tourism. The tourists travel by boats, cars or buses and either rent flats or buy leisure time houses on the other side of the border. There are good occasions to study these things in the chosen coastal region of western Sweden. The border people can also buy houses on the other side of the border, settle down there and begin to commute to their jobs in the other country. The pensioners may also find reasons to reside on the other side of the border. The research project analyzes these moving processes over the border and the different and changing causes.

Hastings Donnan: Material Identities: Fixing Ethnicity in the Irish Borderlands Borderlands are often hotly contested zones, both by the states whose limits of sovereignty they dilineate, and by the local people who live there. This paper looked at one such border, the land border between Northern Ireland and the Irish Republic, which has been contested politically, militarily and symbolically. It focuses particularly on the contest over the symbolic and historical meanings of the landscape. The Irish border landscape is read in many different and frequently conflicting ways by the various categories of people who live and work there. This paper concentrated mainly on the Irish border Protestants, who articulate a distinct identity through a reading of the border landscape that emphasises the atrocities carried out there over the last thirty years or so. The discussion shows how place is central to these atrocity narratives, and how knowledge of the violence associated with specific places - a particular field, farm building or country lane - both constitutes and reflects a distinct border identity. The paper argued that in the face of all the scholarly discussion about the hybridity, deterritorialisation and displacement of border identities, these people try to anchor their identity in such materalities of the border landscape.

Galia Valtchinova: From Ideology of Kinship to Liberal Market. Encounters on the Bulgarian-Serbian Border, 1960s-1990s This is a case study on a contested border: on the westernmost edge of Bulgaria, the small town of Trun dominates one of the numerous ambiguous border areas in the Balkans. 139 Divided between Bulgaria and Serbia after WW1 and in the same time facing the Entre Autres

northeastern part of the Republic of Macedonia, this region has been a field of complex strategies and interactions throughout the 20th century. A strong sense of local identity intermingles with national loyalities and feelings in a complex and sinous way. Drawing on fieldwork which was carried out between 1997 and 2000, the author focalized on the array of practises and images of trans-border contact of and exchange between kin, as experienced by the people of a neighbourhood of Trun from the interwar period and through the late 1990s. The author tackled the central issue of trans-border contacts/exchange from two points of view: the use of kinship networks, and the shifting definitions and various understandings as to the nature of this exchange. After that the author concentrated on three forms of trans-border exchange which came to the surface between the early sixties and mid-nineties: the so-called trans-border fairs of the early socialist period, the black market and “illegal economic activities” of late socialism, and finally the petty trade and smuggling under the disguise of “freedom of exchange” and “the private initiative” celebrated in the post-communist nineties. The biggest value of the works of this panel was that scholars from different parts of Europe could meet and present paper for one another concerning encounters and conflicts around different national borders in Europe. These scholars had not met one another earlier, but now they have the possibility to build a new research network for the future studying scholarly problems comparatively around the theme on living near national borders both in earlier times and today.

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Nos amis, nos frères

Ivan Colovic Bibliothèque du XXe siècle, Belgrade / Serbie

Galia Vâltchinova Institut d’études thraces, Académie des sciences bulgare / Bulgarie

Olivier Givre Université Lumière-Lyon II / France

Trois contributions ont été présentées : deux (G. Vâltchinova et O. Givre) à partir d’un travail de terrain dans les Balkans, notamment en Bulgarie, la troisième (I. Colovic) étant un essai de systématisation des formes par lesquelles se manifestent aujourd’hui les amitiés internationales. Galia Vâltchinova, dans sa contribution intitulée « «Nos ennemis, nos frères” : le ‘choix de civilisation’ et la guerre du Kosovo (1999) à la frontière serbo-bulgare », à partir d’un travail de terrain à la frontière bulgaro-serbe, interroge la construction des représentations de l’ « ami »’ et de l’ « ennemi » collectifs, affublés d’une étiquette ethnique. Dans la communauté étudiée, deux représentations contradictoires sont construites et les populations locales y ont recours de manière alternative : celle des « frères de l’autre côté de la frontière » et celle de l’« ennemi serbe ». Les ‘frappes aériennes’ du printemps de 1999 d’un côté, le discours du gouvernement bulgare du ‘choix de civilisation’ – de l’autre, ont constitué le cadre inédit d’un « choc de représentations » que l’on se propose d’examiner. Pour aborder la problématique des frères ennemis, Galia Vâltchinova a choisi un outillage théorique emprunté à la socio-anthropologie anglo-saxonne : les termes de savoir implicite et d’intimité culturelle. Le savoir implicite est un savoir social, c’est-à- dire partagé par la société ou une partie prépondérante d’une société, qui n’est pas fixé de façon formelle, sous une forme discursive prescrite, et qui permet de distinguer, dans les multiples facettes du théâtre social, ce qu’il faut afficher et ce qu’il convient de cacher, et en quels termes160. Il porte autant sur le présent que sur le passé et permet de dégager 160. Pour un développement analytique du concept de “savoir social implicite” à partir d’une société de l’Amérique Latine, v. Michael Taussig, Shamanism, Colonialism and the Wild Man. The University of Chicago Press, 1987, pp. 393 sq. Cf. les arguments en faveur de l’adaptation du concept à une société balkanique dans Mattijs van de Port, ‘It takes a Serb to Know a Serb’ Uncovering the roots of obstinate otherness in Serbia”, Critique of Anthropology, 19, 1, pp. 7-30 141 (spécialement pp. 21-22). Entre Autres

les voix off, lisant ce qui se passe (et relisant ce qui s’est passé) à travers une grille tissée d’histoire et de politique, de préjugés et de représentations collectives stéréotypées. C’est un espace de savoir et de références partagées. Le terme de cultural intimacy est lancé par l’anthropologue Mickel. Herzfeld qui, en partant de ses expériences de terrain en Grèce contemporaine, étend cet outil conceptuel à l’Etat-nation en général. L’intimité culturelle, [c’est] la reconnaissance de ces aspects de l’identité culturelle qui sont considérés être à la source d’embarras vis-à-vis du monde extérieur mais qui, néanmoins, donnent l’assurance aux porteurs de cette culture sur leur socialité commune, sur une familiarité avec les fondements du pouvoir.» [Herzfeld 1997 :3]. Au-delà du savoir implicite, la métaphore de l’intimité culturelle fournit une figure de choix pour exprimer la dialectique de la « balkanité » partagée dans la tension permanente entre Orient et Occident, dans les niveaux multiples du « nous » et des « Autres », dans la négociation entre ce qui est à présenter au grand jour et ce qui est à voiler, à occulter ou à nier. C’est dans cette logique d’ « intimité » intra-balkanique – et non seulement d’un seul Etat-nation, que l’auteur examine quelques éléments du stéréotype, largement partagé par les deux imaginaires nationaux, de la Bulgarie et de la Serbie comme des frères ennemis. Ces éléments sont insérés dans un contexte historique. Après cette partie plus générale, Galia Vâltchinova explore comment toutes ces idées et représentations, explicites et implicites, sont inscrites dans la société de référence et de quelle façon elles informent l’action collective et/ou des réactions individuelles, dans les circonstances du post-communisme. Elle fait d’abord un excursus historique (XIXe – XXe siècles) dans les aléas de la mise en place de l’Etat-nation et la formation d’une conscience nationale à Trân, petite ville située près de la frontière serbo-bulgare. En utilisant les notions « identité optionnelle », « malaise identitaire », le « double discours » (comme un jeu entre niveaux de diglossia / dissemia [Herzfeld 1997], Vâltchinova se demande dans quelle mesure les différentes mobilisations politiques correspondent à des stratégies d’identification nationale et à la notion de loyauté appliquée à un contexte de « frontière ». C’est dans cette perspective que sont abordés les problèmes de l’adaptation à des changements de frontière et de la redéfinition – ou, plutôt, la renégociation – des identités et des loyautés qui les accompagnent. Dans la dernière partie de sa contribution, consacrée à l’époque postcommuniste et au positionnement bulgare face à la crise yougoslave, l’auteur essaie de faire ressortir la contradiction logique inhérente à la formule de frères ennemis lorsqu’elle est appliquée à des entités collectives comme des nations, dans des moments où un choix politique impose l’exploitation de l’un ou l’autre des deux éléments constitutifs de la formule. Les difficultés cognitives d’une telle construction idéologique sont bien perceptibles dès qu’on se place dans la perspective de sociétés locales qui ont longtemps été des arènes de competing discourses. Les appropriations de ces discours générés par le centre de l’autorité nationale à long terme peuvent entrer en opposition avec des comportements affichés ou imposés par ce même centre à court terme : quelle est alors la réponse de l’arène locale ? Les réactions de la société de Trân et de divers acteurs locaux face à un ‘événement’ constituent des exemples de choix pour explorer le travail du stéréotype et, finalement, pour déconstruire les formules qui mettent en équation les ‘frères’ et les ‘ennemis’ – et secondairement les ‘amis’. La plupart des réactions incitées par cette contribution portaient sur les outils théoriques présentés au début (Dominique Belkis et Christina Papa). La question s’est posée de saisir dans quelle mesure la notion de savoir implicite/savoir social peut aider à comprendre les sociétés ‘paysannes’ de l’Europe de l’Est et les changements survenus à l’époque post- communiste. Comment définit-on le ‘savoir implicite’ ? – est-ce un « bloc » in-temporel 142 de connaissances et de réactions (voire de préjugés) mis ensemble une fois pour toutes, que Among Others l’on peut assimiler à l’usage courant de la notion de ‘tradition’ comme « chose » figée ? Ou bien, au contraire, il évolue et sa structure interne change de façon permanente ? La suggestion autour de laquelle tout le monde s’est mis d’accord, c’est que le savoir implicite est profondément historique, qu’on peut étudier sa stratification historique et, surtout, que ses diverses composantes peuvent être réactivées et mobilisées de façon indépendante. Toujours en ce qui concerne le savoir implicite, on a enfin pu se demander si le savoir-faire en faisait partie et si oui, ne doit-on pas nuancer l’aspect explicite de ce ‘savoir’ pour ses propres usagers ? Olivier Givre a proposé une contribution intitulée « Remarques ethnologiques au pays de la coexistence ». Il commence en remarquant qu’on a coutume de voir les Balkans comme un mélange inextricable de peuples, de langues, de confessions, d’ethnies dont la fin du communisme aurait contribué à réveiller les antagonismes et les contentieux, faisant réapparaître « le spectre de la balkanisation »161. A l’encontre de cette vision d’une « balkanité » menaçante (dont témoigneraient les conflits qui ont déchiré la Yougoslavie et les tensions que connaissent d’autres pays), nombre d’auteurs (et d’acteurs défendent l’idée d’un « modèle bulgare » de « coexistence intercommunautaire apaisée »162 qui constituerait quant à lui le paradigme positif d’une « balkanité négociée », basée sur la bonne distance entre communautés et leur coparticipation à la vie publique. Cette conception volontariste des relations interculturelles et interconfessionnelles, à l’horizon de « la démocratisation et de l’intégration aux structures européennes »163, ne contribue-t-elle pas cependant à maintenir l’idée d’une « balkanité » fondamentale, non plus stigmatisante et conflictuelle mais présentable et pacifiée ? La construction de cette notion de coexistence est une stratégie, qui repose en même temps sur l’ethnologisation des rapports sociaux et sur l’idée d’une participation publique des revendications identitaires à un projet politique jugé conforme à certains attendus « européens ». Ce « modèle de coexistence », continue Olivier Givre, pose question parce qu’il repose sur l’idée de frontières culturelles bien identifiées séparant des « communautés-blocs » homogènes qui entretiendraient entre elles des rapports symétriques. On a ainsi pu formuler les rapports entre « Chrétiens » et « Musulmans » dans les termes neutres de « compatibilité et incompatibilité »164, suggérant une relation clarifiée entre deux pôles symétriques (« Bulgares » chrétiens orthodoxes et « Turcs » musulmans) unis par une relation d’équivalence. Cette coexistence « visible et équitable » entre « alter égaux » est inscrite dans l’espace public pour montrer que le pays a surmonté quelques-uns de ses « démons balkaniques » (« joug ottoman » d’un côté, tentatives de « » des musulmans de l’autre). La coexistence proviendrait ainsi d’une expérience historique (cinq siècles d’Empire ottoman) élaborée en tradition culturelle (des habitudes et des règles de vie commune). Car à défaut de les trouver toujours dans le champ politique ou historique (événementiel), c’est plutôt dans la vie quotidienne (l’alimentation, la ritualité, le voisinage, les objets usuels, etc.) que l’on atteste de ces relations de coexistence intercommunautaires. Le kourban, pratique sacrificielle commune aux populations musulmanes et chrétiennes, en est un symbole récurrent : autour de références et de procédures communes, le rituel s’inscrirait dans une double spécificité sacrificielle et balkanique, ce qui permet implicitement de requalifier les groupes le pratiquant : ils deviennent « balkaniques » avant d’être chrétiens ou musulmans.

161. Stéphane Yérasimos, Le retour des Balkans. 1991-2001, Autrement, 2001. 162. Assia Stantchéva, « Le modèle ethnique bulgare » ou la coexistence intercommunautaire apaisée, synthèse de la Fondation Robert Schuman, n°32. 163. Ibid. 164. IMIR, Relations of compatibility and incompatibility between Christians and Muslims in Bulgaria, Sofia, 1996. 143 Entre Autres

Olivier Givre nous rappelle que de nombreux concepts de l’ethnologie (ritualité, culture matérielle, tradition, communauté, etc.) fournissent en fait des cadres commodes à un raisonnement en termes de coexistence, postulant l’existence d’entités culturelles stables entrant en contact de manière réglée. Le monde social est « ethnologisé » : l’histoire devient tradition, la coprésence devient voisinage, la religion devient ritualité, la relation devient coexistence, jusqu’à former une sorte d’éthique interculturelle du quotidien. Ce faisant – explique l’auteur – on ne rend pas vraiment compte de la multiplicité des modes relationnels, ni surtout de leur caractère diffus et ambigu, lorsque dominent l’asymétrie et la stigmatisation (vis-à-vis des Tsiganes), ou l’invisibilité et le « caméléonisme »165 (dans le cas des Valaques). La coexistence suppose un ethnicisme souvent paradoxal, qui en figeant des frontières mouvantes modifie de fait le groupe qu’il entend définir. Et Olivier Givre de se demander si cette « coexistence » ne participerait pas d’une sorte de revendication d’« ethnocitoyenneté » (terme hybride ayant suscité des réactions) qui marquerait le rapport ambigu de l’ethnique au politique, la construction des légitimités identitaires comme forces politiques166 ? Opération de distinction et de régulation qui met de l’ordre dans la multiplicité culturelle, le discours de la coexistence consiste en fait à neutraliser deux dangers assimilés à ladite « balkanité » : la mixité et son dangereux envers la pureté. Lors de la Renaissance (Vâzrajdane) bulgare, le passage à l’Etat-nation supposait en un sens de distinguer entre le « soi » intime de la nation et l’« autre » national, religieux, linguistique ou ethnique. Un « autre » qui n’était pas qu’extérieur, mais aussi intérieur : dans les historiographies nationales balkaniques, la diversité culturelle et religieuse fut souvent abordée sur le mode d’une « souillure » traumatique issue de la mixité et du mélange (par exemple le devchirme, l’enlèvement des enfants pour les transformer en janissaires, conçu comme l’atteinte la plus marquante à l’intégrité de l’ethnos). Récusant la mixité comme la pureté, la notion de coexistence entend se distinguer aussi du cosmopolitisme « moderne », « cultivé », « citadin », dont les valeurs universalistes et humanistes peuvent servir des usages particularistes et culturalistes, la tolérance et la civilité devenant des arguments politiques dont chacun cherche à s’attribuer « le mérite exclusif »167, et menant à une vision manichéenne de la « civilisation » contre la « sauvagerie ». Sorte de moyen terme entre particulier et universel, et éventuellement lieu de rencontre entre ce que l’on pourrait appeler, avec prudence, une ethnologie « native » et une anthropologie « globale »168 : c’est en ce sens que la coexistence est une catégorie « négociée » apte à recevoir des lectures politiques conformes à certaines attentes « européennes ». Participant à la discussion autour de l’intervention d’Olivier Givre, Galia Vâltchinova a relevé le débat qui s’est noué à propos du komsuluk et le postulat idéologique du bon voisinage qui joue avec subtilité avec la métaphore des ‘amis’ – et parfois des ‘frères’. On a aussi eu une intervention sur la construction similaire du komsuluk dans divers imaginaires nationaux des Balkans, contrastant avec son usage à des fins explicatives par les social scientists bulgares et par des Occidentaux. Dans sa contribution « Pour une anthropologie des amitiés des peuples » Ivan Colovic a plaidé pour une approche anthropologique des amitiés internationales et interethniques. Il a commencé en identifiant les origines historiques de telles amitiés qui remonteraient – pour ce qui concerne l’époque moderne – aux temps de la naissance et du développement des nations et du nationalisme. Munis d’une subjectivité et d’un caractère particulier, les

165. Irina Nicolau, Les caméléons des Balkans, Civilisations, vol.XLII, n°2, Bruxelles, 1993. 166. Jean-François Gossiaux, Pouvoirs ethniques dans les Balkans, PUF, 2002. 167. Xavier Bougarel, Bosnie, anatomie d’un conflit, La découverte, 1996. 168. Galia Vâltchinova, Greeks, in Anna Krâsteva (ed.), Communities and identities II, Laterza, 144 Ravenna, 1999. Among Others peuples deviennent les acteurs autonomes de l’histoire et se retrouvent dans la situation de reconnaître et cultiver les affinités avec d’autres peuples. A partir d’une recherche sur Internet, Ivan Colovic a présenté les partenaires de ces amitiés, les critères de leurs choix, la nature et l’évolution de leurs rapports, les narrations qui en parlent. Dans le passé – précise l’auteur – ces amitiés avaient leur source et leur justification dans les alliances de guerre : c’étaient des « amitiés de tranchées » ou des « fraternités d’armes »). Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans la perspective de la construction d’une Europe réconciliée et unifiée, on s’efforce d’encourager des rapports amicaux surtout entre les anciens ennemis, de bâtir en quelque sorte des amitiés par-delà les tranchées. L’évolution des amitiés internationales et interethniques est allée aussi dans le sens de la décentralisation et de l’enracinement local des initiatives en faveur de tels rapports. Dans un premier temps, dans la première moitié du XXe siècle, le soin de développer l’amitié avec un autre peuple appartenait uniquement aux diplomates, aux ministères, aux institutions de l’éducation et de la culture nationales, ou aux sociétés d’amis au niveau national contrôlées et financées par l’Etat ou par deux Etats. Aujourd’hui la priorité est passée aux initiatives locales, surtout ce qu’on appelle « le mouvement de jumelage ». Le concept de « jumelage » est né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, les plus grands espoirs sont investis dans des jumelages de communes. D’après un rapport de la Commission, publié en 2003, « près de 13.000 communes dans les quinze pays membres de l’Union Européenne, en Suisse et dans les pays d’Europe centrale et orientale, sont aujourd’hui actives dans le mouvement des jumelages ». Ivan Colovic insiste sur le fait que ces jumelages n’ont aucune définition juridique, restant des contrats moraux assortis d’une « charte de jumelage ». De par leur nature symbolique et rituelle, ils sont proches des alliances rituelles entre personnes n’appartenant pas à la même famille dans les sociétés traditionnelles. Il cite l’ethnologue croate Dunja Rihtman Augustin qui a étudié la façon dont, dans le passé, les églises présentes dans les Balkans ont utilisé les formes traditionnelles de sociabilité pour promouvoir la tolérance169, pour poser la question : «pouvons nous aujourd’hui renouveler ces affrèrements et ces parrainages et sous quelles formes cela serait possible ?». Colovic remarque que depuis que l’accent dans la politique des amitiés interethnique et internationale est mis sur les rapports amicaux des peuples enracinés localement, les rites politiques liés à ce genre d’amitiés cèdent la place aux fêtes populaires. En même temps, les héros, les dramatis personnae des récits sur l’amitié interethnique ou internationale commencent à changer. Dans le passé, c’était uniquement les peuples eux-mêmes ou leurs Etats. Ils s’allient, passent ensemble les moments d’épreuve, de combat et de crises, qui cimentent leur amitié. Les narrations de ce genre font partie des manuels scolaires d’histoire et de la littérature nationale. Diffusées par les écoles ou les églises, elles réapparaissent – sous la forme de clichés et stéréotypes – dans le discours quotidien. Les peuples et les Etats prennent les rôles de héros principaux dans les narrations relatant les épisodes de l’amitié internationale et interethnique, surtout lorsqu’il s’agit d’amitiés d’armes. Bien sûr, il y a dans les récits sur ce genre d’amitiés aussi des figures d’individus héroïques : étrangers morts pour notre patrie, soldats, volontaires, médecins, infirmiers. A ces personnages s’associent les journalistes, écrivains, intellectuels et hommes politiques étrangers qui soutiennent « notre cause ». Pourtant, ils restent fixés sur une grande scène épique où leurs sentiments d’amitié ont toujours une dimension générale, un objet global, notre peuple. Ce sont les grands amis de notre peuple. Ils ont une passion nommée serbophilie, francophilie, germanophilie, etc.

169. Rihtman-Augustin, Dunja : « O susjedima » (“ Sur les voisins ”), in : Jakšić, Božidar (ed) : Interkulturalnost i tolerancija [Interculturalité et tolérance], Belgrade, 1999, p.160. 145 Entre Autres

En revanche, plus modestes, plus humains et plus prosaïques sont les héros des narrations qui servent aujourd’hui à présenter, légitimer et célébrer les amitiés entre les peuples. Il est vrai que dans leur action aussi il y a une idée abstraite de la tolérance, de la paix, de la coopération, eux aussi œuvrent « pour une grande cause », définie comme « l’amélioration des rapports entre les peuples et Etats », mais la scène sur laquelle nous les voyons est la vie quotidienne. Ce sont les étudiants, les citoyens ordinaires invités par leurs amis d’une ville ou de communes jumelées. Ils sont souvent logés chez les familles, se retrouvent dans les écoles, sur les terrains de sport, dans les musées, ils échangent plutôt des expériences pratiques que des grands sentiments. La présidente d’un comité de jumelage explique : « le simple tourisme n’est pas dans nos objectifs. Les programmes des voyages /.../ se font de telle façon que leurs participants aient la possibilité de se plonger dans la vie quotidienne de leurs hôtes. » Ils sont – la rhétorique de l’amitié de réconciliation et d’intégration l’exige – les hommes ordinaires, et dans ce sens authentiques, réels, vivants, concrets. Si quelquefois ils font de grandes choses, s’ils se trouvent à l’initiative de certains projets d’amitiés entre les peuples, c’est toujours en vertu de leur statut d’hommes ordinaires, de citoyens modestes. Les narrations sur les jumelages racontent aussi comment cela a commencé. « Le premier vrai contact entre Rennes et Alma-Ata », précise l’historique du jumelage Rennes – Alma- Ata, remonte à 1985. Cette année-là, trois professeurs de français kazakhs viennent en stage à Rennes. » L’historique du comité de jumelage de Voiron contient le même début : « cela commence en 1964, un groupe de jeunes Allemands de Herford (Bundesland : Nordrhein-Westfalen) séjourne pour la première fois à Voiron. Ces adolescents sont accueillis par des bénévoles de l’amicale laïque. La barrière linguistique n’est pas vraiment un obstacle. Les gestes et les mimiques remplacent grammaire et vocabulaire défaillants, des relations personnelles s’établissent, des contacts sont pris, d’autres échanges se mettent en place ». Il est évident – conclue Ivan Colovic – que la stratégie d’une telle amitié cherche un point d’appui dans la banalité de la vie quotidienne et paisible qui la met à l’opposé de la stratégie de l’amitié construite sur l’alliance de guerre.

146 Among Others

A qui ces lieux ? Moyens d’ethniciser et de nationaliser les paysages

Bojan Baskar

Université de Lubljana / Slovénie

Consacré à l’“ invention du paysage ”, cet atelier s’intéresse au mode d’appropriation du territoire, compris aujourd’hui au travers de contextes largement définis par les agences gouvernementales et les (ethno)nationalismes respectifs. Le rôle joué par divers organes supranationaux (ou transnationaux), appuyant parfois stratégiquement des aspirations régionalistes, devrait être aussi envisagé, bien que pour l’heure ceux-ci demeurent pratiquement inexplorés. D’après l’hypothèse résultant de l’observation de phénomènes contemporains pris en référence il semble que la raison de cette appropriation (plus ou moins exclusive), tienne à la relation productive et intime constituée depuis longtemps par un groupe culturel avec son environnement. L’appropriation peut être à la fois virtuelle et réelle ; elle peut procéder d’intentions “ symboliques ” comme d’intentions “ réelles ”. Dans les contextes définis d’état-nation, cela peut montrer à la fois son côté nationalisant (assimilation) et ethnicisant (exclusion). Bien que vague, la notion de mode d’appropriation territoriale peut être éclatée en différents “ éléments ”, tels que la politique, la stratégie, les pratiques, les techniques, les significations, les usages, etc., traités plus spécifiquement par les participants à l’atelier. Ces derniers, qui proviennent de diverses disciplines adjacentes (ethnologues, historiens, sociologues et géographes), ont presque tous parlé des cas d’appropriation territoriale de la Méditerranée. Le cadre commun d’observation étant l’état-nation et le nationalisme, les cas de conflits ethno-territoriaux ou interethniques devraient être étudiés en même temps que les cas d’invention de lieux “ nouvellement découverts ” de la patrie, ainsi que les cas d’appropriation symbolique d’une région périphérique moins connue. Deux communications se sont concentrées en particulier sur un état-nation conquérant et ses techniques pour convertir un paysage vaincu, dès lors colonisé par un nouveau groupe ethno-national, en un paysage ethnique et/ou national aisément identifiable en soi. Christine Pirinoli (Institut d’anthropologie et de sociologie, Université de Lausanne / Suisse) a présenté le cas bien étudié de l’oblitération par l’Israël sioniste des marques palestiniennes sur le paysage (L’arbre qui cache la Palestine : aménagement du paysage et dé/en-racinement des identités palestiniennes et israéliennes). Christine Pirinoli et Philip Carabott (King’s college, Londres / Grande-Bretagne), qui a abordé le cas historique de la Macédoine grecque (Nationaliser le territoire et ses habitants : le cas de la Macédoine grecque, de 1912 à 1959), ont montré la signification de la toponymie et 147 Entre Autres

de la cartographie pour s’approprier le territoire. Les techniques israéliennes et grecques d’invention de nouveaux noms pour des lieux par leurs comités gouvernementaux respectifs montrent des parallèles évidents, que l’on trouve aussi dans d’autres lieux (ce fut aussi le cas –ancien- de la “ dégaëlicisation ” par les Anglais du paysage irlandais ou la renomination par les Italiens entre les deux guerres des noms slovènes et serbo-croates de l’Adriatique du Nord-Est). Cependant l’hellénisation ou l’hébraïsation des noms de lieux slaves, turcs ou arabes a été précédée et suivie de plusieurs autres mesures qui toutes avaient pour but d’éradiquer tout signe d’installation antérieure et de construire simultanément un paysage nationalisé visible : expulsion massive, destruction de villages, installation de ses propres colonisés ou réfugiés dans la zone, démolir, fermer ou convertir les bâtiments religieux, mais aussi rééduquer ou assimiler ceux qui restent, en changeant leurs noms, en interdisant l’usage de leur langue, etc. Les pratiques israéliennes pour “ nettoyer ” le paysage palestinien après 1948, cependant, peuvent révéler un certain “ style ethnique ” ; le cas le plus frappant étant la technique du “ combat par les arbres ”. Même les arbres ici ont été ethnicisés (ce trait rappelle étrangement la “ teutonisation ” nazie de certains espèces végétales et animales) puisque des millions d’oliviers et de vignes palestiniens ont été déracinés et que plusieurs dizaines de millions d’arbres juifs furent plantés à leur place. Masquer les ruines de villages palestiniens avec des bosquets d’arbres semble être une autre particularité de l’état israélien. La plupart des mesures listées ci-dessus furent également appliquées en Thrace, autre région grecque sensible, isolée et abandonnée bordant la Turquie et la Bulgarie. Katerina Markou (Département de sociologie, École de sciences sociales, Université de Crète de Rethimno / Grèce), cependant, a limité son intervention (Appartenances religieuses et ethniques et le partage de l’espace dans une ville de la Thrace grecque [Xanthi]) à la ville provinciale de Xanthi, dans laquelle les Grecs locaux doivent partager l’espace urbain avec les immigrants turcs, pomaks et grecs de l’ancienne union soviétique, ainsi qu’avec les tsiganes. Ces dix dernières années, la situation des musulmans résidant en ville s’est beaucoup améliorée, malgré la persistance de suspicion et de peur, résultant de nouvelles stratégies sophistiquées pour “ dé-turquifier ” la Thrace et dénier implicitement la présence musulmane. Dans un quartier majoritairement musulman, le tekke (couvent des derviches tourneurs, ndt) a été ceinturé par un mur de béton et ainsi dissimulé par le nouvel urbanisme. Dans le même temps, les grecs résidant dans la vieille ville hellénisent le quartier en rachetant systématiquement les maisons aux musulmans. C’est cependant avec les noms que le pouvoir est le plus en jeu. Cette question a été abordée par Samim Akgönül (Université Marc Bloch de Strasbourg / France), qui a étudié la politique turque en matière de toponymie et d’ethnonymie liées à des territoires contestés et aux populations voisines (Les mots et les lieux : Problèmes d’exonymie, d’endonymie et toponymie en turc actuel). Que les exonymes et endonymes tendent partout à être en désaccord est un fait bien établi. En revanche, et comme l’a montré Aknögül, les exonymes, turcs dans le cas présent, peuvent aussi révéler des conflits implicites avec les voisins. Dans certains cas, ils peuvent agir comme des revendications implicites sur d’autres territoires. La raison pour laquelle la langue turque a développé un vocabulaire toponymique reflétant particulièrement bien les conflits politiques, doit être recherchée dans les présupposés régionalistes relatifs à la « consubstantialité » du nom et de la chose. Quatre interventions abordèrent divers aspects de l’invention du paysage national comme composante de la construction d’une nation. La découverte du paysage montagneux du Portugal vers la fin du XIXe siècle fut pour une bonne part encouragée par une expédition scientifique en Sierra da Estrela. Virginia Henriques Calado (Institut Piaget / Portugal ; Appropriation et construction d’un espace de montagne : la conquête de la Sierra da Estrela au Portugal) a décrit les techniques d’appropriation spatiale et les acteurs impliqués dans le processus de découverte de la montagne pour la nation. La montagne, 148 observée et étudiée par les spécialistes habituels (géographes, agronomes, forestiers, Among Others ethnographes, anthropologues, physiciens, biologistes, etc.) restait cependant ouverte à l’exercice du pouvoir ; ses ressources furent exploitées de manière accrue (sylviculture, hydroélectricité, tourisme, sanatoriums…) ; son paysage fut humanisé, plusieurs lieux furent inventés pour des visiteurs, etc. Résumant des discours et des exercices compliqués relatifs à la construction de la montagne, Virginia Henriques Calado s’est particulièrement centrée sur le rôle du savoir scientifique pour révéler ce lieu auparavant secret et effrayant. Mariléna Papachristophorou (Centre de recherches du folklore hellénique, Académie d’Athènes / Grèce) a fait un choix contraire et s’est plus attachée à la dimension traditionnelle de la “ nationalisation ” d’un environnement. Elle s’est occupée d’une minuscule île du Dodécanèse, autre exemple d’une terre frontalière isolée, lointaine et retardataire de l’état-nation grec (Légendes et appropriation des lieux : se partager une histoire commune). C’est un cas de nationalisation involontaire, se composant de deux courants de sacralisation du paysage : les échos locaux de mythologie grecque (avec par exemple l’étymologie traditionnelle du nom de l’île) et l’église orthodoxe grecque (ses pratiques pour marquer et organiser le paysage religieux). Irène Maffi d’un autre côté, a esquissé la complexité des efforts d’une jeune nation pour se forger un paysage national (L’histoire matérialisée : la nationalisation de l’espace en Jordanie). Dans ce cas très intéressant de la Jordanie, la motivation de nationaliser le paysage est une initiative du sommet dynastique de la société alors que le discours, choisi comme instrument central de cette contrefaçon, était hérité des érudits coloniaux européens qui, dans les années trente, ont produit les premiers récits “ nationaux ”, basés en bonne partie sur la recherche archéologique de la région. Le fait que l’archéologie biblique insistant uniquement sur le côté chrétien (et éliminant le côté juif) soit devenue un dispositif central de légitimation de l’état dynastique musulman, doit être compris comme une arme stratégique visant à contrer les revendications territoriales possibles des Israéliens et simultanément à améliorer les relations avec les pays chrétiens occidentaux. La sacralisation islamique du sol jordanien est en grande partie un procédé récent, entraînant la superposition de la géographie islamique sur l’ancienne. Mais ce n’est pas une situation complète puisque d’autres acteurs sont apparus sur les scènes locales, particulièrement des tribus locales construisant leurs propres histoires tribales et adoptant de façon croissante l’idiome de l’héritage culturel local ou régional, de la même façon que les architectes qui s’attachent à promouvoir la notion de patrimoine urbain et à contrer les efforts destructeurs officiels pour effacer toute architecture urbaine non-hachémite. Matej Vranješ (Faculté d’humanités, Université de Primurska, Koper / Slovénie), quant à lui, a étudié la contrefaçon du paysage national et, à l’instar de d’Irène Maffi, a centré toute son attention sur les relations conflictuelles entre l’état et les communautés locales. Il a traité le cas d’une population locale vivant au cœur d’un parc national (Nationaliser ou localiser les paysages : négocier le patrimoine dans un parc national alpin). Dans cet exemple, la population locale n’a pas été expulsée du parc (comme cela a été le cas avec la tribu locale de Petra, mentionnée par Irène Maffi), mais elle a dû faire face à d’incessantes réglementations, à des restrictions irréalistes et dépassées, imposées par la bureaucratie du tout nouvel état indépendant slovène. Les deux clauses les plus importantes concernent l’interdiction de transformer les fermes abandonnées en résidences d’été et l’interdiction absolue de chasser. Si les autochtones avaient bien remarqué que le paysage pastoral et agricole avait été préservé dans une certaine mesure grâce au contournement des restrictions légales, ils étaient ni assez influents ni assez rusés pour les éviter. L’interdiction de chasser présente aussi un aspect ironique, puisque dans le passé, le braconnage était un moyen supplémentaire de subsistance, célébré dans l’idéologie nationale comme pratique subversive de résistance à la domination étrangère. En outre, le parc national a développé, exception faite d’une chasse contrôlée par l’état, une réserve accueillant la chasse commerciale laquelle a ouvert sur place une variété de perspectives économiques. Interdire des activités traditionnelles de subsistance pour 149 Entre Autres

respecter le patrimoine naturel et culturel fait écho aux implications ironiques de l’état juif dans son habitude d’arracher les oliviers et les vignes palestiniens – symboles à travers le monde de la civilisation agricole, de la paix et de l’identité méditerranéenne. Les deux interventions suivantes ont étudié des situations de communautés d’immigrants. Dans la première communication, De l’autre côté du Rhin et dans la petite Istanbul Nicole Fretz et Sébastian Olloz (Institut de la société suisse d’ethnologie, Bâle / Suisse),) ont décrit la façon dont les “ autochtones ” de Bâle, ont ethnicisé tous les immigrants par la désignation de “ Turcs ” et ont ainsi imaginé leur ville scindée en deux parties. Dans le second exposé, Patrie concentrique : l’identité territoriale des Estoniens de Sibérie, Aivar Jügenson (Institut d’Histoire, Talinn / Estonie) a observé la communauté émigrée dans des terres lointaines mais vivant “ parmi d’autres ” qui sont largement considérés comme autochtones. Dans ce cas, une parcelle de la terre sibérienne, étrangère, a été domestiquée et “ nationalisée ” comme une minuscule patrie, toutefois dotée d’une redéfinition conséquente de l’identité ethnique : “ ni x ni y ”.

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Whose places ? Ways of ethnicizing and nationalizing landscapes

Bojan Baskar

University of Ljubljana

The workshop Whose places? Ways of ethnicizing and nationalizing landscapes was devoted to the examination of the ‘landscape-inventing’ variety of the modes of appropriation of the territory. At the present time, this variety is comprehended within the contexts largely defined by nation-state agencies and corresponding rival (ethno)nationalisms. The defining role played by various supranational (or transnational) agencies, sometimes strategically endorsing regionalist aspirations, should also be considered, yet at this occasion they remained virtually undiscussed What is the ‘landscape-inventing’ mood of the appropriation of the territory? By this notion we broadly refer to those contemporary phenomena that postulate the long-established productive and intimate relation of the human cultural group to its environment as the argument for its (more or less exclusivist) appropriation. Appropriation may be both virtual and actual; it may proceed by the ‘symbolic’ as well as by the ‘real’ means. In the nation-state-defined contexts, it may show both its nationalizing (assimilationist) and its ethnicizing (exclusionist) face. The vague notion of the modes of territorial appropriation may be broken into different ‘ingredients’, such as policies, strategies, practices, techniques, means, uses of, etc., which were more specifically dealt with by the contributors to the workshop. These were gathered from various adjacent disciplines (ethnologists, historians, sociologists and geographers) and discussed almost entirely the instances of territorial appropriation from the Mediterranean. As the nation-state agency and nationalism were the common framework of observation, instances of ethnoterritorial conflict or interethnic strife could be examined together with instances of inventing ‘newly discovered’ places of the homeland, whereas cases of symbolic appropriation of a conquered territory could be compared to cases of symbolically appropriating a less known peripheral region at home. Two papers in particular focused on a conquering nation-state and its techniques of converting a conquered landscape, settled by another ethnonational group, into an easily recognizable ethnic and/or national landscape of its own. Christine Pirinoli made a further contribution to the well-studied case of Israel’s largely Zionist obliteration from the landscape of the signs of Palestinian existence (L’arbre qui cache la Palestine : aménagement du paysage et dé/en-racinement des identités palestiennes et israéliennes). Both she and Philip Carabott, who discussed the historical case of Greek Macedonia 151 Entre Autres

(Nationalizing the Land and Its People: The Case of Greek Macedonia, ca.1912 – ca. 1959), indicated the significance of toponymy and cartography in appropriating the territory. The Israeli and Greek techniques of coining new place-names by the respective state committees show obvious parallels, also familiar to other places (e.g. the early case of the English de-Gaelicization of the Irish landscape or the Italian renaming of the Slovenian and Serbo-Croatian names in the north-eastern Adriatic between the two wars). Yet the or Hebraicization of Slavic, Turkish or Arabic place-names had been preceded and followed by several other measures that all aimed to eradicate all visible signs of the previous settlement and simultaneously to construct a visible nationalized landscape: massive expulsion, destruction of villages, settling one’s own colonizers or refugees in the area, demolishing, closing down or converting religious buildings, but also re-educating or assimilating those who remained, changing their names, proscribing the use of their language, etc. The Israeli practices of cleansing the Palestinian landscape after 1948, however, might reveal certain ‘ethnic style’, the most striking case being the technique of ‘fighting with trees’. Here the very trees had been ethnicized (a trait strangely reminiscent to my mind of the Nazi ‘Teutonifying’ certain kinds of plants and animals) as millions of ‘Palestinian’ olive trees and grapevines were uprooted and another tens of millions of ‘Jewish’ trees planted instead of them. Masking the ruins of Palestinian villages with groves of trees seems to be another idiosyncrasy of the Israeli state. Most of the measures listed above were also reported for Thrace, another Greek ‘sensitive’, isolated and ‘abandoned’ region bordering to Turkey and Bulgaria. Katherina Markou, however, limited her discussion to a provincial town of Xanthi where local Greeks have to share the urban space with the Turks, the Pomaks, the Greek immigrants from the former Soviet Union, and the Gypsies (Appartenances religieuses et ethniques et le partage de l’espace dans une ville de la Thrace grecque (Xanthi)). In recent decades the situation of Muslim town-dwellers has much improved, yet suspicion and fear persist, resulting in new and more sophisticated strategies of ‘de-Turkifying Thrace’ and the implicit denial of the Muslim presence. In one largely Muslim quarter the tekke has been enclosed by a concrete wall and thus concealed by the new urbanism, while in the old town, Greek residents are turning the place into a Hellenized quarter by systematically buying houses from the Muslims. It is therefore power which is at stake in the place-names. This was also argued by Samim Akgönül, who studied the Turkish politics of toponymy and ethnonymy related to the contested territories and neighboring peoples (Les mots et les lieux : Problèmes d’exonymie, d’endonymie et toponymie en turc actuel). That exonyms and endonyms tend everywhere to be at variance, is a well-established fact, yet, as Akgönül has shown, the exonyms, Turkish in this case, may reveal implicit conflicts with neighbors. In certain cases, they may also act as implicit claims over territories. The reason that the Turkish language developed a toponymical vocabulary which reflects political conflicts particularly well, is to be searched in regional essentialist assumptions about the consubstantiality of the name and the thing. Four papers discussed diverse aspects of the invention of the national landscape as a component of the nation-building. The discovery of the mountainous landscape in Portugal toward the end of the nineteenth century was in good part encouraged by a scientific expedition into Sierra da Estrela. Virgínia Henriques Calado (Appropriation et construction d’un espace de montagne: la conquête de la Sierra da Estrela au Portugal) described techniques of spatial appropriation and the actors involved in the process of the discovery of the mountain to the nation. The mountain, observed and studied by usual specialists (geographers, agronomers, foresters, ethnographers, anthropologists, physicians, biologists, etc.) was thus opened to the exercise of power; its resources were increasingly exploited (forestry, hydroelectricity, tourism, sanatoria…); its landscape 152 was humanized, several lieux were invented for visitors; etc. In her outline of intricate Among Others discourses and practices related to the construction of the mountain, Henriques Calado was particularly focused on the role of the scientific knowledge in disclosing the previously secret and frightening environment. Mariléna Papachristophorou made a contrary choice and paid more attention to the folk dimension of nationalizing one’s environment. She dealt with a tiny Dodecanese island, another instance of a remote and isolated borderland and a latecomer to the Greek nation-state (Légendes et appropriation des lieux : Se partager une histoire commune). Her case is one of the ‘unintentional’ nationalization, consisting of two strands of sacralizing the landscape: local echoes of Greek mythology (e.g. folk etymology of the name of the island) and the Greek Orthodox church (its practices of marking and organizing the religious landscape). Irene Maffi, on the other hand, made an endeavor to outline the whole complexity of the efforts of a comparatively young nation to forge her national landscape (History materialized : the nationalization of space in Jordan). In this very much interesting case of Jordan, the incentive to nationalize the landscape came from the dynastical top of society while the discourse, chosen as a central tool of this forging, was an inherited discourse of colonial European scholars who, in the 1930s, started to produce the first ‘national’ narratives, based in good part on archeological research in the region. That Biblical archeology stressing only the Christian side (and eliminating the Jewish one) became a central legitimizing device of a Muslim dynastic state, is to be understood as a strategy aimed at countering possible Israeli territorial claims and simultaneously at improving relations with Western Christian countries. Islamic sacralization of the Jordanian soil is largely a recent process, entailing the superposition of Islamic geography above the previous one. But this is not a whole picture, since other actors appeared on local scenes, especially local tribes constructing their own tribal histories and increasingly adopting the idiom of local or regional cultural heritage, as well as architects who engage in promoting the notion of urban heritage and in countering destructive official efforts to obliterate non-Hashemite urban architecture.

The last paper which examined the forging of the national landscape and, similarly to Irene Maffi’s contribution, concentrated its attention on conflicting relations between the state and the local communities, dealt with the case of a local population living witin a national park (Matej Vranješ, Nationalizing vs. Localizing Landscapes: Negotiating Heritage in an Alpine National Park). In this case, the locals were not expelled from the park (as was the case with the local tribe in Petra, referred to by Irene Maffi), but they have to cope with often unrealistic and outdated regulations or restrictions imposed by the bureaucracy of the newly independent Slovenian state. The two most outstanding are the prohibition of converting abandoned farm-houses into summer residences and the total ban on hunting. The locals notice that the pastoral-cum-agricultural landscape has been to a certain extent preserved thanks to avoiding the legal restrictions, but the locals are not among those enough influent or cunning to avoid them. The ban on hunting has also an ironic aspect to it, since 1) in the past the poaching used to be an additional means of subsistence, celebrated in the nationalist ideology as a subversive and a foreign domination-resisting practice; 2) the national park had developed out of the state- controlled hunting preserve whose commercial hunting offered local inhabitants a variety of economic opportunities. This banning of traditional subsistence activities for the sake of preserving natural and cultural heritage brings us back to ironic implications of the Jewish state’s practice of uprooting the ‘Palestinian’ olive trees and grapevine – the very symbols of the agricultural civilization, peace among nations and the Mediterranean identity. The remaining couple of papers examined two situations of immigrant communities. In the first case, immigrants were presented indirectly as perceived by the ‘autochthonous’ locals who, in Basel, ethnicized all immigrants as ‘Turks’ and consequently imagined 153 Entre Autres

their town as split in two parts (Nicole Fretz and Sebastian Olloz, Across the Rhine and into ‘Little Istanbul’). In the second case, immigrant community was observed directly as living in remote lands ‘among others’ who are largely considered autochthonous (Aivar Jürgenson, Concentric Homeland: Territorial Identity of Siberian Estonians). In this case, a scrap of the foreign Siberian land had been domesticated and ‘nationalized’ as a tiny homeland, with the subsequent ‘neither x nor y’ redefinition of ethnic identity.

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Atelier / Synthèse

Terre, Espace, territoire

Thème 2 : Les nouveaux partages des territoires associés au tourisme et aux mobilités

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Cultures du tourisme, migrations, politiques patrimoniales et identités

Owe Ronström Université de Gotland / Suède

Birgitta Svensson Université de Stockholm / Suède

Les professionnels du tourisme se plaignent qu’il n’y ait plus désormais de limites claires entre la culture du tourisme et les autres cultures. Les cultures intègrent ce nouveau phénomène appelé Cultures du tourisme, c’est-à-dire que, d’une certaine façon, nous voyageons tous au sein des sociétés d’aujourd’hui. Le patrimoine culturel crée des champs d’expérience puissants et symboliques, ayant une capacité à canaliser à la fois les notions d’appartenance et de mobilité que sont l’identité, l’authenticité et l’autorité. Diverses structures de pouvoir, formes de savoirs, impératifs moraux, médiations, et intérêts économiques se combinent de façons emmêlées et paradoxales, puisque le patrimoine culturel est produit par le monde contemporain. Tous les participants de l’atelier ont débattu de plusieurs cas de constitutions du patrimoine et de ce que cela signifie pour les processus d’identité. La session sur les cultures du tourisme s’est ouverte avec la contribution de Birgitta Svensson de l’Université de Stockholm. Dans sa communication “ Se situer entre affectivité et attractivité ”, elle installe un cadre pour la session, en soutenant que la recherche sur la mémoire et le patrimoine devrait se concentrer non seulement sur ce dont on se souvient, mais aussi sur la manière dont les expériences individuelles sont liées aux conditions sociales par la structure des sentiments. Elle insiste sur le fait que notre place dans l’ordre des choses dépend de la manière dont nous nous situons. Les lieux sont façonnés par les réseaux sociaux qui leur sont associés. Le fait d’être quelque part est à la fois une donnée objective et un mode de questionnement. Se situer permet donc d’aborder tout à la fois la question du point de vue de l’objet que de celui du sujet. Les cultures du tourisme qui se développent dans le cadre de la globalisation exigent des contreparties dans le domaine du contrôle des lieux. Dans des termes tels que “ situé ” ne va-t-on pas retrouver à la fois le permanent et le provisoire ? Il n’existe pas d’identités stables et affirmées mais une quête continue d’identité. Cela a été exprimé dans deux modalités, parfois contradictoires, de constitution du patrimoine. Au sein de la nouvelle économie globale, le patrimoine comme l’identité, est devenu un enjeu politique. A partir des deux thèmes opposés que sont l’affectivité et l’attractivité, la session s’est concentrée sur les processus qui ont accentué l’exigence d’héritage. La valeur émotionnelle de l’affectivité est en rapport avec les besoins locaux et personnels d’appartenance et d’affiliation, alors que la valeur de l’attractivité est associée à la marque du succès de certains lieux. 157 Entre Autres

A la fin du XXe siècle, l’identité est devenue l’expression favorite de la politique sociale et des relations culturelles. La politique de l’identité relève désormais des droits civils et c’est un champ de bataille pour la citoyenneté dans la mesure où être capable de façonner son identité est devenu un droit moral et démocratique. Le patrimoine est le terrain sur lequel on suppose que cela doit se construire. La politique du patrimoine et le processus identitaire vont de pair. Patrimoine signifie politiser la culture et c’est pour cette raison que l’utilisation du patrimoine culturel dans le cadre de la construction de l’identité, constitue aujourd’hui l’une des questions majeures de la politique culturelle en Europe. Nous vivons aujourd’hui une époque de désintégration des identités collectives et des mémoires communes. Un tel changement est dû à une sorte de désir nostalgique du passé. Pourtant, imaginer d’autres avenirs est devenu possible puisque nous renvoyons le passé dans l’histoire. La mémoire et l’identité se soutiennent l’une l’autre à la fois au niveau de l’expérience personnelle et au niveau théorique. Qui sommes-nous revient finalement à poser la question de comment nous nous souvenons. L’authenticité est un aspect extraordinairement important dans l’intérêt croissant pour le patrimoine. La preuve du patrimoine est son authenticité, son degré d’authenticité est un indicateur de son aptitude à entrer en contact avec le passé. Pour citer Walter Benjamin, le patrimoine doit avoir une aura et la force de l’aura détermine sa valeur. La localisation, la situation et l’identité humaine déterminent la signification et l’importance du patrimoine, la foi en l’authenticité comprend un sentiment d’authenticité. Cette foi légitime une relation émotionnelle au passé. A partir de là, le patrimoine peut aussi être une question d’expériences sensuelles. La perception d’un lieu est toujours liée à de fortes sensations de souvenirs et d’envie. La différence entre affectivité et attractivité peut aussi être vue comme une différence entre l’enracinement et la perception d’un lieu. Une telle recherche devrait permettre de saisir les structures où l’expérience individuelle, les conditions sociales et les structures économiques interviennent dans l’utilisation du passé. Le théoricien britannique Raymond William utilisait déjà dans les années soixante-dix le concept de structure des sentiments, essayant d’associer les expériences individuelles avec les structures sociales. Il étudiait quels tons, airs, sentiments, odeurs et autres sensations mettaient en relation l’individu et le social. On peut dire que la structure des sentiments réunit les valeurs matérielles et les valeurs humaines. Ce n’est pas une manière de comprendre mais une manière de traduire. Le patrimoine peut être considéré parfois comme une sorte de structure de sentiments et comme un lieu de transfert, situation qui pourrait expliquer quelques-uns des processus de cette demande croissante de patrimoine. De nombreuses communications montrent que le patrimoine devient un moyen de transmettre la tradition plutôt que de la préserver La structure des sentiments permet de saisir les relations entre ce qui est personnel et historique, et rend la dialectique de soi et de la société implicite dans les actions de tous les jours. Le patrimoine peut être un moyen de comprendre ce que veut dire l’histoire, comme dit William : « l’histoire nous enseigne et nous montre la plupart des passés connus et presque toutes les sortes de futurs imaginables. A travers la structure des sentiments, le passé est toujours compris comme relevant d’un présent. » Pour découvrir les structures des sentiments, nous devons continuellement évaluer les processus qui les ont façonnées. Habituellement, nous les trouvons en conflit. Partout dans le monde aujourd’hui, les conflits surgissent entre des valeurs globales et locales, entre la consommation de la nouvelle économie homogène basée sur l’expérience de l’industrie liée à l’attractivité et les valeurs locales hétérogènes de partage de la vie de tous les jours liées à l’affectivité et la mémoire collective, les coutumes locales, les formes culturelles des expressions et des interprétations. Le savoir local et les manières de vivre locales sont essentiels dans la construction affective du patrimoine. Les structures locales 158 des sentiments, les relations sociales et le savoir, les valeurs et les croyances sont devenus Among Others en quelque sorte une norme pour contrecarrer les effets de la globalisation. Plusieurs points ont été abordés par les intervenants de cet atelier. L’un concernait l’importance des métonymies dans la constitution du patrimoine. Les patrimoines se construisent à partir de fragments représentant un ensemble imaginé. Comme l’a montré Hayden White, les tropes que nous utilisons affectent d’une certaine manière les histoires que nous racontons. Quelles sont les implications de récits métonymiques ? Un autre concernait les entités évoquées par les processus de transmission du patrimoine. Que veulent dire des ensembles imaginés comme “ le monde celtique ”, “ la communauté finno-ougrienne ”, “ la vieille société paysanne ” ? Qu’est-ce qu’ils signifient ? Comment fonctionnent-ils ? Majoritairement, la constitution de patrimoine semble prendre place sur certaines nouvelles cartes cognitives. Un autre point montrait comment le patrimoine peut fonctionner comme lien entre un monde de vie fragmentée et des ensembles imaginés, comme une sorte de présence affective qui rend l’abstrait présent dans le concret. Un quatrième point, présent dans toutes les communications, traitait du patrimoine et du pouvoir. La constitution de patrimoine a à voir avec la sélection et le contrôle, non seulement elle exprime et symbolise le pouvoir – elle est le pouvoir. Dans sa communication, Lotten Gustafsson (Musée des cultures du monde, Stockholm / Suède) étudie les manières dont les signes de la culture matérielle congolaise furent arrangés, utilisés et transformés symboliquement durant l’importante exposition ethnographique et missionnaire présentée à Stockholm en 1907. La relocalisation et la réutilisation de ces objets relient des endroits et des continents culturellement et géographiquement éloignés les uns des autres, mais intimement engagés aussi dans un processus dramatique de transformation. Les zones entourant le fleuve Congo ne furent pas seulement pillées de leurs ressources économiques comme l’ivoire, le caoutchouc et des collections d’objets. Elles ont aussi nourri l’imaginaire européen avec de l’exotique, de l’étrange et du dangereux. Malgré la complexité de cette zone d’Afrique centrale, le Congo est devenu une terre mythique unifiée dans l’imagination populaire. Avec de telles proportions symboliques, ce n’est pas surprenant si le Congo est aussi devenu le terrain le plus important symboliquement pour les missionnaires suédois. A en juger par la presse de l’époque, l’exposition remporta un grand succès : elle fut très visitée et reçut une couverture médiatique enthousiaste. L’exposition montrait deux projets désireux de gagner l’attention du public : le développement du domaine scientifique de l’ethnographie et le mouvement missionnaire. En outre, elle témoignait de la grandeur et du progrès du projet missionnaire, message, tel qu’il apparaît dans le contexte, incompatible avec tout ce qui pouvait évoquer la moindre critique. Parmi d’autres mises en scène, la miniature fut utilisée pour évoquer la nostalgie. La présence de petits bâtiments, avec des petits pots dans le sable rappelant l’absence d’habitants humains, peut être interprétée comme l’image de quelque chose qui se rétrécit et s’en va. Le village miniature permet au visiteur de voir le Congo mythique d’en haut ; permet un regard paternaliste et panoptique sur un monde qui semble disparaître. Les objets congolais ont apporté sans aucun doute une dimension tangible et concrète à l’authenticité et à l’impact de l’exposition. Celle-ci doit aussi une part de son succès aux qualités expressives inhérentes à certains objets, qualités provenant de leur fonction symbolique au Congo. Cet événement public fut une grande manifestation des activités missionnaires et ethnographiques. De plus, il a transmis le message universel de la suprématie de l’Européen sensé rendre le monde plus homogène, civilisé et moderne ; récit grandiose qui nous fait encore de l’effet. Dans cette forme de constitution du patrimoine, on observe la façon dont une structure des sentiments est provoquée, donnant naissance à une identité moderne conforme à la norme. Dans la présentation suivante, Torunn Selberg (Université de Bergen / Norvège) met en relation une structure de sentiments commune au patrimoine culturel chrétien et la 159 Entre Autres

spiritualité celtique en construisant un patrimoine attractif et en faisant du marketing autour de certains lieux dans la Norvège d’aujourd’hui. L’auteur parle du renouveau de la légende de Santa Sunniva, l’une des trois saintes norvégiennes, associée à l’île de Selja sur la côte ouest de la Norvège. Sunniva était une princesse irlandaise qui, échappant à un soupirant païen à bord d’un bateau sans voile ni rame, accosta sur Selja où elle mourut en martyre vers 950. Plus tard, Sunniva joua un rôle important dans la religion en Norvège et l’île devint un lieu de pèlerinage au Moyen Age. L’île et la légende font ainsi partie du patrimoine culturel chrétien de la Norvège. Cette légende est aujourd’hui actualisée de diverses façons, à travers de nouvelles histoires, chansons, images et festivals / rituels comme le renouveau de “ Seljumannamesse ”, jour de fête médiévale. La manière dont la légende est racontée et ritualisée aujourd’hui est liée aux discours populaires actuels de spiritualité et aux pèlerinages celtiques ; elle joue en outre un rôle considérable dans le marketing touristique et culturel de Selja. Tellervo Aarnipuu (Université de Helsinki / Finlande) aborde dans son intervention le rôle de machines à remonter le temps. La Finlande n’est pas réputée pour ses châteaux fabuleux mais l’un d’entre eux, celui de Turku, a été fondé dans les années 1280. Installé aujourd’hui en ses murs, le Musée Provincial officie comme gardien intellectuel et épistémologique des interprétations et représentations du passé. Le rôle des guides du musée, dans le processus de construction du château de Turku comme un lieu significatif pour l’histoire, est de transmettre le passé aux différents publics. Les visites se déroulent dans les parties médiévales du château. La guide du château est décrite par Tellervo Aarnipuu comme l’opérateur d’une machine à remonter le temps. La salle des gardes avec ses murs peints est un endroit parfait pour commencer le “ travail du temps ”, avec à la fois la perspective de l’affectivité et de l’attractivité. A l’aide des peintures murales, l’espace évoque l’année 1530. Au cours de la visite, il est le plus souvent fait référence à deux générations de rois Wasa. Le principe de la visite guidée met l’accent sur le côté factuel, ce qui fait la valeur du Musée Provincial de Turku. Toutefois, le côté factuel n’est pas seulement un concept où fait et fiction peuvent être séparés. Premièrement la guide met l’accent sur des détails significatifs ou sur des fragments. Elle interprète ensuite ces détails comme des références ou des traces qui peuvent être suivies de façon à atteindre certains aspects de la réalité du passé. Et enfin, elle construit une image globale convaincante à partir de ces détails, complétés par la dimension politique, la vie de tous les jours et les habitudes, les croyances, les émotions et les sentiments. Au fur et à mesure de l’interprétation en profondeur du contexte, il se produit un glissement depuis les faits nus vers l’expérience. La machine à remonter le temps mène à une réalité imaginée du passé avec les images, les sons, et les odeurs, ce qui est quelque part au-delà de la stricte division du “ fait ” et de la “ fiction ” en temps que “ réel ” et “ irréel ”. Les guides, dans leur fonction, se positionnent comme médiateurs entre différents groupes de gens qui ont différentes approches du passé, et, par conséquent, des positions différentes par rapport à la « factualité ». Owe Ronström (Université de Gotland, Suède) a ouvert la seconde moitié de la session. Son travail, “ Mémoires, traditions, patrimoine ”, montre l’intérêt croissant pour le patrimoine ces dix dernières années, et particulièrement à Visby sur l’île de Gotland, classée site mondial du patrimoine depuis 1996. Il y a différentes sortes de patrimoine sur l’île qui doivent être analysés en relation les unes aux autres. Alors que certains paysages patrimonialisés sont dans une relation de complémentarité, d’autres se concurrencent. Deux acteurs jouent là un rôle particulièrement important : la “ tradition ” et le “ patrimoine culturel ”. “ L’esprit ” ‘tradition’ date de la fin du XIXe siècle. Il est centré autour de l’ancienne société paysanne des XVIIe et XVIIIe siècles, et matérialisé par des coutumes et cérémonies locales ainsi que par la culture matérielle. “ L’esprit ” ‘patrimoine culturel’ naît dans les années 1990 autour de l’urbain, du médiéval, de la bourgeoisie et de 160 la classe supérieure. Il est matérialisé par des ensembles de constructions, des monuments Among Others et des sites. Le point de tension entre la tradition et le patrimoine coÏncide et renforce presque tous les autres points de tensions importants qui existent depuis longtemps sur l’île : rural et urbain, bas et haut, insulaires et continentaux, paysans/ouvriers ; intellectuels/bureaucrates etc. De cet ensemble de relations fortement tendues résulte potentiellement d’autres productions patrimoniales autour des industries et de l’histoire ouvrière ou autour de groupes ethniques et multiculturels, susceptibles d’être presque hors de propos et invisibles. Le glissement de la tradition vers le patrimoine, de l’ancienne société paysanne vers le site mondial du patrimoine, représente en fait l’urbanisation de représentations culturelles publiquement exposées et officiellement consenties, résultat d’un grand nombre de changements sociaux, culturels et économiques survenus entre les années 1970 et 1980 et qui ont conduit à des changements de structures politiques sur l’île. Dans son travail “ Le droit d’être hors du patrimoine culturel ”, Katrina Siivonen (Université de Turku / Finlande) étudie certains aspects du patrimoine et de la politique, mis en exergue par son projet de recherche actuel sur la production du patrimoine dans le vaste archipel sud-ouest de la Finlande. L’auteur remarque que nombre de ses informateurs sont intimement liés aux conditions naturelles et environnementales spécifiques de l’archipel. Les paysages – ou paysages spirituels - dans lesquels ils vivent diffèrent beaucoup de l’image homogénéisée de l’archipel présentée dans les brochures touristiques, avec le fort accent mis sur la culture traditionnelle et les particularités régionales. Elle montre que le tourisme tend à envahir l’intimité des habitants et menace leur style de vie, en les transformant en “ objets d’attraction pour le touriste ”. Elle utilise un modèle tripartite emprunté à Fredrik Barth pour montrer que les processus d’homogénéisation au niveau supérieur, comme ceux représentés par l’industrie du patrimoine, réagissent intimement avec les organisations locales de niveau intermédiaire, comme les organisations touristiques et les associations culturelles régionales, mais s’opposent par nature au niveau inférieur, le monde dans lequel évoluent les populations locales. Pour réussir culturellement le développement durable, Katrina Siivonen conclut qu’il est nécessaire de stimuler les gens qui sont au niveau le plus bas parce qu’on ignore leur droit à rester en dehors de productions d’héritage culturel précises, et de “ vivre leur vie en individus indépendants dans leur propre environnement ”. Dans la contribution suivante, Lars Kaijser, (Université de Stockholm / Suède) a présenté son travail sur le tourisme autour des Beatles. Comment sont représentés les Beatles dans les visites guidées, le monde des affaires et les expositions de musées. Prenant Abbey Road comme exemple, Lars Kaijser montre comment les Beatles peuvent être utilisés commercialement en tant que “ phénomène fabriquant le lieu ”. Suivant les théories de John Laws sur le matérialisme relationnel, Lars Kaijser considère les Beatles comme un ensemble d’éléments reliés à des contextes plus importants. Les éléments constituent une ressource de références, mais aussi un monde en soi, ouvert aux nouveaux éléments sans cesse ajoutés. Les éléments, ajoute-t-il, font non seulement référence ou représentent l’ensemble, mais ils travaillent aussi par eux-mêmes, font naître leurs propres histoires et ont leurs propres carrières. La culture populaire d’aujourd’hui dépend de la possibilité de multiplier et de dupliquer ; l’idée que les éléments ont leurs propres trajectoires en est un aperçu. La traversée bien connue d’Abbey Road est un élément qui est utilisé comme une effet iconique pour toutes sortes de marchandises touristiques, comme déclarations personnelles d’affection, dans les jeux électroniques, dans les annonces commerciales, et comme pièce de théâtre ironique avec représentations. L’élément, souligne Lars Kaijser, est un dispositif de commande qui rend possible ou pose des limites. Détaché de son contexte original, et distribué globalement par les media, l’élément Abbey Road permet aux touristes Beatles d’établir une relation symbolique à leurs idoles, ce qui a transformé Abbey Road en destination de pèlerinage populaire. La relation symbolique est basée, étant à l’endroit réel, sur une intimité qui crée une sorte d’authenticité. Lars Kaijser conclut ainsi que l’image d’Abbey Road est un objet qui fait autorité. C’est le résultat 161 Entre Autres

des activités Beatles, mais en même temps un objet de commande, une indication et un élément déclencheur du sens du commerce pour les activités touristiques autour des Beatles. La dernière contribution, “ Pour faire parler les objets ” d’Anneli Palmsköld traitait des textiles traditionnels dans les musées ethnographiques et historico-culturels suédois. Les textiles traditionnels jouèrent un rôle important dans la production de la mémoire collective de la fin du XIXe siècle. En suède, le textile fut l’une des premières branches à être industrialisée, au moment même où furent ouverts les premiers musées ethnographiques. Dans la genèse d’un folklore suédois, au sein de ces halls d’expositions de musées, les textiles traditionnels jouèrent un rôle décisif comme opposition naturelle aux produits de l’industrie textile. Que veulent dire les textiles traditionnels collectés, quel savoir et quelles significations implicites nous apportent-ils aujourd’hui ? Ils témoignent d’abord de l’habileté féminine, souvent raffinée et bien répandue. Au moment où ces tissus furent fabriqués, bien savoir tisser et broder était la marque d’une femme respectable. Collectés, les mêmes textiles furent transformés en représentations des distinctions locales et régionales, en accord avec “ l’école historico-géographique ” de l’ethnographie alors en vogue et ses fortes préoccupations de comparaison géographique. L’idée de différence régionale fut utilisée à des fins politiques, et les musées à travers leurs collections ont matérialisé cette idée. Les textiles étaient exposés comme exemples d’artisanat, une esthétique “ naturelle ”, un mode de vie plus simple, en opposition à la société moderne industrielle croissante : “ les textiles traditionnels des collections muséales étaient l’illustration de cette carte des traditions locales, régionales et nationales ”. La majorité de ce qui fut écrit au tournant du XIXe siècle sur les textiles traditionnels ressemble beaucoup au discours de l’industrie touristique aujourd’hui. Il y a une forte préoccupation pour l’authentique, et une nette division entre l’aspect global ou cosmopolite et la dimension nationale, régionale ou locale. Dans ses conclusions, l’auteur soutient que le processus qui a amené les textiles traditionnels dans les musées réduit en pratique les femmes au côté des hommes d’individus productifs à des êtres reproductifs, pour le besoin d’une protection masculine. Dans la mesure où l’habileté et l’individualité sont devenues des qualités masculines, les exigences requises par le textile produit par les femmes se sont retournées vers le textile lui-même, en tant qu’objets traditionnels anonymes, signes distinctifs de villages ou régions spécifiques.

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Touring cultures, migrancy, heritage politics and identities

Owe Ronström

Birgitta Svensson

Scholars of tourism claim that there are no longer any clear dividing lines between tourism culture and other cultures; they are rather parts of the new phenomena called Touring Cultures, that is, we are all in a way touring in today’s societies. Cultural heritage creates powerful and symbolically charged spaces of experience, with an ability to channel both values of belonging and mobility such as identity, authenticity, and authority. A variety of global and local power structures, forms of knowledge, moral imperatives, mediations, and economic interests interact in entangled and paradoxical ways, when cultural heritage is produced in the contemporary world. All the panel participants debated diverse cases and settings of heritage making and what it means to identity processes. The session on Touring cultures was opened by Birgitta Svensson, Stockholm University, Sweden. In her paper on Situatedness between affection and attraction, she set up a framework for the session, by arguing that research on memories and heritages should focus not only on what is remembered, but also on how individual experiences are linked to social conditions through structure of feelings. She stressed that our place in the order of things depends on how we are situated. Places are shaped by the social networks related to them. Situatedness is at once given and interpellated. Locating it explains both objects and subjects. The touring cultures of globalization demand its counterweights in local control of places. However both are destabilized, why there is a demand for using terms like situated that provide space for both the permanent and the provisional. There are no stable and afformative identities, but a continuous search for them. This is being expressed in two, sometimes conflicting, forms of heritage production. Within the new global economy, heritage as well as identities has become a question of politics. From the two contrasting themes of affection and attraction, the session focused on the processes that have produced this growing demand for heritage. The emotional value of affection relates to the local and personal needs for belonging and affiliation, while the market value of attraction is associated with successful branding of places as destinations for the growing experience industry. During the late 20th century identity became the catchword for social political and cultural relations. Identity politics became a part of civil rights and a battleground for citizenship, saying that to be able to shape your identity is a moral and democratic right. Heritage is the ground on which this supposedly is being built. Hence politics of heritage 163 Entre Autres

and identities goes hand in hand. Heritage signifies the politicization of culture, which is why the use cultural heritage in identity building today constitutes one of the main cultural political issues in Europe. In times of disintegration, collective identities and common memories are being dissolved. Change is brought about by dispatching something regarded with a nostalgic longing to the past, back to what is perceived as better times. At the same time possibilities is opened to new conceivable futures, since the old times have been dispatched to the past. Memory and identity is supporting each other both on the level of personal experience and on a theoretical level. Who we are is to a high degree a question of how we remember. Autenticity is an extraordinarily important aspect of the growing interest in heritage. The test of heritage is its authenticity, the degree to which it can be said to be authentic, indicates its possibility to come in touch with the past. To use Walter Benjamin, heritage has to have an aura and the strength of the aura determines its value. Location, situation and the human identity determine the meaning and significance of heritage, the faith in genuineness includes a feeling of authenticity. This faith legitimatize an emotional relationship to the past. Hence heritage can also be a question of sensual experiences. The sense of place is always linked to strong feelings of remembrances and longing. The difference between affection and attraction can here be seen as a difference between rootedness and sense of place. In our session the presented research focus seemed to be on catching the structures where individual experience, social conditions and economic structures interplay in the use of the past. The British cultural theorist Raymond Williams already in the 70ies used the concept structure of feelings trying to unite individual experiences with social structures. Considering which tones, tunes, feelings, scents and other sensations we relate to, connect the individual to the social. The structure of feeling can be said to unite material values with human values. It is not a matter or understanding but of translating. Maybe heritage could be seen as a kind of structure of feelings and as a site of translation, a situatedness that might address some of the processes that have produced the growing demand for heritage. Then heritage becomes a way of translating tradition instead of preserving it, which many of the papers in this session showed. The structure of feelings makes it possible to capture the relationship between the personal and the historical, the dialectic of self and society as implicit in everyday actions. Heritage can be a way of understanding what history means, as Williams says: history teaches and shows us most kinds of knowable pasts and almost every kind of imaginable futures. Through the structure of feelings the past is always understood as pertaining to a present. To uncover the structures of feelings we continuously have to evaluate the processes that shaped them. Usually we find them in conflicts. Everywhere in the world today conflicts arise between global and local values, between the homogenous new economy’s consumer based experience industry related to attraction and the heterogeneous local every day life shared values related to affection and collective memories, customs local, cultural forms of expressions and performances. Local knowledge and local ways of life is essential in affective heritage building. Local structures of feeling, social relations and knowledge, values and beliefs are normative as an ideal counterpart to global social life. Through the presentations ran a number of threads addressed by the discussants at the session. One was the importance of metonyms in heritage productions. Heritages are built on fragments representing an imagined whole. As Hayden White once pointed out, the tropes we use affect the stories we tell in certain ways. What are the implications of metonymical narratives? Another thread concerned the entities invoked by the relayed 164 heritage productions. What characterize such imagined wholes as “the Celtic world”, Among Others

“the Finno-Ugric community”, “the old peasant society”? What do they signify? How do they work? Much heritage production seems to be about taking place in new cognitive maps of certain kinds. Yet another thread was how heritage can function as a connecting link between a fragmentary life-world and the imagined wholes, as kind of ‘affecting presence’ that makes the abstract present in the concrete. A fourth thread, present in all papers, dealt with heritage and power. Heritage production is about selection and control, therefore it not only expresses and symbolises power – it is power. In her paper Lotten Gustafsson from the Museum of World Cultures in Stockholm, Sweden discussed the ways in which tokens of Congolese material culture where arranged, used and symbolically transformed at the big Ethnographic and Missionary exhibition that was launched in Stockholm 1907. The relocation and reusage of these objects connects places and continents, culturally and geographically distanced from one another, but at the time intimately engaged in a dramatic process of transformation. Areas surrounding the Congo River were not only plundered of valuable goods as ebony, rubber and collections of artifacts. They also nourished European imaginations of the exotic, strange and dangerous. Despite of the complexity of the central African continent– the Congo became a unifyed mythical land in popular imagination. Being of such symbolical proportions it was not to surprise that Congo developed into the symbolically most important among the Swedish missionary fields. To judge by contemporary press the exhibition turned out a sucess: it was well visited and received enthusiastic coverage. The exhibition had a double frame. It manifested two projects eager to gain public attention – the development of the scientific field of ethnography and the missionary movement. And it testified of the grandness and progress of the missionary project, a message, so it seemed in this context, incompatible with anything that could evoke critique or hesitation. Among other means, the miniature was used to evoke nostalgia. Small buildings, with little pots in the sand reminding of absent human residents, may be interpreted as an image of something shrinking and going away. The miniature village allowed the visitor to behold the mythical Congo from above – a paternalistic and panoptic gaze on a world that seemed to be vanishing. No doubt did the very tangibility and concreteness of the Congolese objects add to the authenticity and effect of the exhibition. The display also seemed to owe some of its sucess, to the inherent expressive qualities of some of the objects, qualities originating from their symbolic functions in Congo. This public event was a big manifestion of missionary and ethnographic activities. Moreover, it conveyed the overarching message of the supreme position and role of the European in an alleged task to turn the world more homogenous, civilized and modern – a grande narrative that still effects us in many ways. In this form of heritage making it is obvious how a structure of feelings was brought about, that gave rise to a normative modern identity. In the following paper Torunn Selberg, University of Bergen, Norway, addressed a structure of feelings related to both Christian cultural heritage and Celtic spirituality in building attractive heritage and marketing places in Norway today. She discussed the revitalization of the legend about Sta Sunniva, one of the three Norwegian saints, associated to the island of Selja on the west coast of Norway. Sunniva was an Irish princess escaping from a heathen suitor in a boat without sail and oars, landing on Selja where she died as a martyr around 950. Later Sunniva played an important part in religious politics in Norway, and the island was a pilgrimage during the medieval age. The island and the legend is thus part of the Christian cultural heritage of Norway. This legend is today actualised in various ways, in new stories, songs, pictures and festivals/ rituals like the revitalisation of “Seljumannamesse” a medieval feast day. In the way the legend is narrated and ritualised today it is related to actual and popular discourses like Celtic spirituality and pilgrimage and it plays a considerable role in actual place marketing of Selja directed towards culture-tourism. 165 Entre Autres

Tellervo Aarnipuu, Helsinki University, Finland, discussed in her paper the role of time machine operators. Finland is not famous for its fabulous castles, but one is Turku Castle, founded in 1280’s. In the castle today, the Provincial Museum acts as the intellectual and episthemological Gatekeeper of the interpretations and representations of the Past. The museum guides role in the process of constructing Turku Castle as a historically meaningful place is to communicate the past to the diverse audiences. The tours take place in the medieval parts of the castle. The castle guide is by Aarnipuu described as an operator in a “time machine”. The Gatekeeper’s room with wall paintings is a perfect place to begin “the time travel”, from both the perspective of affection and attraction. With the help of the wall paintings the space is anchored in the year 1530. Two generations of Wasa kings are most frequently referred to throughout the tour. The guiding policy emphasises “factuality”, that is the values of Turku Provincial Museum. But ‘factuality’ is not a simple concept where fact and fiction could be separated. The guide, first of all, points out the meaningful details, or fragments. Secondly, she interpreted those details as references or traces that can be followed in order to reach some aspects of a past reality. And thirdly, she forms a plausible bigger picture out of these details, complete with such dimensions as politics, everyday life and habits, beliefs, emotions, and senses. As the interpretation of the surroundings goes deeper, there is a shift from the bare facts to the experience, through empathy and insight. The time machine lands in the imagined past reality of sights, sounds, and smells, which is somewhere beyond the strict division of ‘fact’ and ‘fiction’ as ‘true’ and ‘untrue’. The guides are, in their practical work, positioned as mediators between different groups of people with different approaches to the Past, in different distance to the requirements of ‘factuality’. Owe Ronström, from Gotland University, Sweden, opened the second half of the session. His paper, ”Memories, traditions, heritage”, addressed the fast growing interest in heritage production during the last decade, not least in Visby, Gotland, since 1996 a World Heritage site. There are many different kinds of heritages on the island, and they, Ronström argued, must be analysed in relation to each other. While mindscapes set up by heritage production cooperate, others compete. Two especially important competitors are “tradition” and “cultural heritage”. The ‘tradition’- mindscape was set up in the late 19th century, centring around the ‘old peasant society’ of the 17th and 18th centuries, and materialised as local customs and ceremonies as well as material culture. The ‘cultural heritage’- mindscape was set up in the 1990’s around the urban, the medieval, the bourgeoisie and the upper class, and materialised as groups of buildings, monuments and sites. The field of tension between tradition and heritage coincides with and reinforces almost all other important fields of tensions with long history in the island: rural- urban, low-high, islanders-mainlanders, peasant/workers – intellectuals/bureaucrats etc. A result of this strongly charged set of relations is that other possible heritage productions, built around industries and workers’ history or around ethnic groups and ”multiculture”, become almost totally irrelevant and invisible. The shift from tradition to heritage, from “old peasant society” to World Heritage site, Ronström argued, represents in effect an urbanisation of publicly displayed and officially sanctioned cultural representations, a result of a number of social, cultural and economical changes in the 1970’s and 80’s, that led to changes in the island’s political structures. In her paper “Right to be outside of cultural heritage” Katriina Siivonen, from University of Turku, Finland, discussed aspects about heritage and politics, raised by her current research project on heritage production in the vast archipelago of southwest Finland. She noted that many of her informants are intimately related to the special natural and environmental conditions of the archipelago. The landscapes – or mindscapes – they live in differ quite a lot from the homogenised archipelago pictured in tourist brochures, with its strong focus on traditional culture and regional distinctiveness. Siivonen argues that tourism tends to invade the privacy of the locals, and threaten their way of life, by turning 166 them into “objects representing the tourist attraction”. She uses a three-part model Among Others derived from Fredrik Barth to point out that the strong homogenizing and essentializing processes on the macro level, as represented by the globalised heritage industry, interacts closely with local organizations on the middle level, such as tourist organizations and regional cultural associations, but are oppositional by nature to the micro level, the local peoples life-worlds. To achieve culturally sustainable development, Siivonen concludes, it is necessary to empower people at the grassroots’ level by acknowledging their right to stay outside the fixed cultural heritage productions, and to “live their lives as independent individuals in their own neighbourhoods.” In the next contribution Lars Kaijser, from Stockholm University, presented his work on Beatles tourism, how the Beatles are represented at guided tours, in business activities and in museum displays. Using Abbey Road as example Lars Kaijser in his paper addressed how the Beatles can be used commercially as “a place-making phenomenon.” Following John Laws theories on ‘relational materialism’, Kaijser viewed the Beatles as a set of fragments linking to larger contexts. The fragments make up a resource of references, but also a world of their own, open for the new fragments that are constantly added. Fragments, he argues, not only refer to or represents the whole, but also work on their own, generate their own histories, have their own careers. Central to the idea of fragments as having their own paths is the insight that today’s popular culture relies on the possibility to multiply and duplicate. The well-known crossing at Abbey Road is a fragment that is used as an iconic image for all kinds of tourist merchandise, as personal statements of affection, in computer games, in commercial ads, and as ironic play with representations. The fragment, Kaijser underlined, is an ordering device that makes possible and limits. Disembedded from its original context, and distributed globally by media, the Abbey Road-fragment makes it possible for Beatles-tourists to establish a symbolic relation to their idols, which has turned Abbey Road into a destination for popular pilgrimage. The symbolic relation is based on being at the actual spot, an intimacy that creates a certain kind of authenticity. Thus, Kaijser concludes, the image of Abbey Road is an authoritative artefact. It is a result of the Beatles activities, but at the same time an ordering object, a guideline and an entrepreneurial trigger for activities in the field of Beatles tourism. The last contribution was Anneli Palmsköld’s “To make objects speak”, which dealt with folk textiles in Swedish ethnographic and cultural-historic museums. Folk textiles occupied a prominent role in collective memory production in the late 19th century. In Sweden, textiles was one of the first branches to be industrialized, which happened in the same period as the first ethnographic museums were set up. In the formation of a Swedish ‘folk’, which took place in these museums exhibition halls, folk textiles played a decisive role as the natural opposition to the products of the textile industry. What do the collected folk textiles express, Palmsköld asked, what tacit knowledge and which implicit meanings do they bear to us today? First of all they bear witness of female skills, often refined and well developed. At the time they were produced, well done weaving and embroidery was seen as a mark of a good woman. When collected, the same textiles were transformed into representations of local and regional distinctiveness, in accordance with the then fashionable “historical-geographical school” of ethnography, with its strong focus on comparison along geographical lines. The idea of regional difference was used for political purposes, and the museums and their collections materialized the idea. The textiles were displayed as examples of handicraft, a “natural” aesthetic, a simpler way of life, all in opposition to the growing modern industrial society: “The folk textiles of the museum collections were illustrations of this map of local, regional and national materialized traditions.” Much of what was written about folk textiles at the turn of the 19th century bear a strong resemblance to the discourse of the tourist industry today, Palmsköld noted. There is a strong focus on the authentic and genuine, and a clear-cut division between the global or cosmopolitan and the national, regional or local. In her conclusion she argued that the process that brought folk textiles into the museums in 167 Entre Autres

practice reduced women from productive individuals alongside men, to reproductive beings, in need of male protection. As skill and individuality became male qualities, the notion of what the textile represented shifted from the women producing them, to the textiles themselves, as anonymous “folk” objects, distinctive of specific villages or regions.

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Défier l’état-nation : migration, multiculturalisme et transnationalisme

Jasna Čapo ŽmegaČ Institut d’Ethnologie et de Recherche sur le Folklore, Zagreb / Croatie

João Leal CEAS, ISCTE et Département d’Anthropologie, Nouvelle Université de Lisbonne / Portugal

Qu’importe que l’état-nation ait été originellement défini comme une entité civique et territoriale ou encore ethnique,170 il compte en temps qu’équation d’un espace géographique avec un espace social, et il s’efforce de créer un espace culturel homogène. Le développement récent d’une migration massive dans la plupart des pays européens défie l’idéologie nationale de l’état-nation d’une double façon. D’une part, les territoires de l’état-nation sont transformés en entités multiculturelles. D’autre part, les espaces sociaux apparaissent dans une politique nationale qui n’est plus confinée dans une aire géographique, mais qui embrasse deux états-nations ou plus, créant des espaces sociaux transnationaux.171 L’atelier “ Défier l’état-nation : Migration, multiculturalisme et transnationalisme ” avait précisément pour mission de proposer un forum pour discuter de ces tensions croissantes entre l’idéologie de l’état-nation et les nouvelles réalités de la migration, du multiculturalisme et du transnationalisme en Europe et en Méditerranée. Les communications présentées dans le cadre de cet atelier abordent ces thématiques dans des contextes ethnographiques très différents. L’intervention de Wenona Giles sur “ les relations sexuées du nationalisme, la circulation d’argent parmi les femmes portugaises immigrées au Canada : une ère de transformation – les années 1960-1980 ” se concentre sur l’immigration portugaise au Canada. La communication d’Irène Strijdhorst dos Santos “ Appartenances, circulation et mémoires de la migration : l’exemple des Luso- descendants en Europe ” examine les problèmes liés à la seconde génération d’immigrés portugais en France. La contribution d’Anastasia Christou “ Illuminations de soi et explication de l’autre : la combinaison de l’ethno et de l’ethnicité dans la quête des racines à travers les itinéraires des diasporas ” s’intéresse à la seconde génération de Gréco-Américains revenant en Grèce. La communication de Caroline Legrand

170. Smith (Anthony): National Identity, Harmondsworth, Penguin, 1991. 171. Pries (Ludger): “The Approach of Transnational Social Spaces: Responding to New Configurations of the Social and the Spatial”, in Pries, L. (ed.), New Transnational Social Spaces. International Migration and Transnational Companies in the Early Twenty-first Century, London and New York: Routledge, 2001, 3-33. 169 Entre Autres

“ Identités irlandaises, généalogie et tourisme-racine ” observe les pratiques identitaires des troisième et quatrième générations de descendants irlandais. “ Diaspora digitale : les ex-Soviétiques dispersés se rencontrent sur internet ” présentée par Larisa Fialkova et Maria Yelenevskaya, explore les connexions internet établies entre les anciens émigrants soviétiques en Europe. La présentation de Rachel Black intitulée “ Rencontres culinaires. L’alimentation comme dialogue interculturel ” s’arrête sur les épiceries ethniques de Turin (Italie). L’exposé de Maria Cardeira da Silva et Angeles Ramiréz “ Les blessures parentales. La mutilation sexuelle comme argument politique face à la diversité culturelle’ : les cas espagnol et portugais ” compare les réactions politiques aux pratiques présumées de “ mutilation sexuelle ” au sein du groupe d’immigrés musulmans à la fois au Portugal et en Espagne. Enfin, avec “ Lieux de pèlerinage spontanés et la négociation de l’ethnicité : quelques réflexions après les attaques terroristes de Madrid ” Cristina Sánchez-Carretero tire des conclusions sur le multiculturalisme en relation avec les attaques terroristes du 11 mars 2004 à Madrid. A côté de la diversité des contextes ethnographiques adressés par les différents participants de l’atelier, les communications reflètent aussi différents états de travail et de réflexion. Certaines d’entre elles font état d’une recherche déjà achevée, comme dans le cas de W. Giles, A. Christou et C. Legrand. W. Giles a publié un livre sur l’immigration portugaise au Canada.172 A. Christou et C. Legrand ont récemment et respectivement achevé leurs doctorats sur la seconde génération de Gréco-Américains173 et sur la généalogie dans l’Irlande contemporaine.174 Cependant, la plupart de ces présentations émanent de recherches en cours, soit à un niveau doctoral – c’est le cas des communications de I. Dos Santos et de R. Black- ou post-doctoral – c’est le cas des doubles communications présentées par L. Fialkova et M. Yelenevskaya et par M. Cardeira da Silva et A. Ramiréz. Enfin, C. Sánchez-Carretero a discuté des tout premiers résultats de sa recherche sur la construction “ d’archives du deuil ” centrées sur les victimes de l’attaque du 11 mars 2004 à Madrid. Malgré la diversité de ces ethnographies et de leurs états de recherche, les communications présentées à cet atelier sont avant tout concernées, en théorie, par deux conclusions principales : (1) l’émigration européenne et les pratiques et représentations de l’identité transnationale ; (2) les phénomènes d’immigration en Europe et leur impact sur la redéfinition multiculturelle des états-nations européens.

Emigration et transnationalisme Chacune à leur manière, les interventions de W. Giles, I. Dos Santos, A. Christou, C. Legrand, L. Fialklova et M. Yelenevskaya prennent intérêt à discuter les conclusions transnationales liées à l’émigration européenne. Ce centrage sur l’émigration européenne, comme opposé à l’immigration, doit être souligné. Avec le récent développement de la troisième et massive migration mondiale vers l’Europe, on tend souvent à oublier que certains pays d’Europe jusque très récemment, et dans quelques cas encore actuellement, sont des pays marqués par d’importants mouvements d’exode rural et d’immigration volontaire ou forcée. C’est le cas entre autres du Portugal, de la Grèce, de l’Irlande et de l’ex-Union soviétique.

172. Giles (Wenona): Portuguese Women in Toronto: Gender, Immigration and Nationalism, Toronto, University of Toronto Press, 2002. 173. Christou (Anastasia): Narratives of Place, Culture and Identity: Second-Generation Greek- Americans Return ‘Home’, Brighton, University of Sussex (DPhil thesis), 2003. 174. Legrand (Caroline): Les Quêteurs de Parenté. Rechercher ses Origines et Établir sa Généalogie dans l’Irlande Contemporaine, Paris, École des Hautes Études en Sciences Sociales (PhD thesis), 170 2004. Among Others

W. Giles (École de sciences sociales, Université de York, Toronto / Canada) approche le phénomène de la migration portugaise à Toronto (Canada) du point de vue féminin. Elle rapporte que l’histoire de la migration féminine est obscure dans les sources officielles des nationalismes portugais et canadiens, lesquels définissent les femmes de façon générique, cachant et diminuant l’importance de leur vie et histoire quotidiennes et dissolvant leur genre, classe et divisions sociales en identité ethnique. Elle déclare encore qu’entre 1967 et 1982, les femmes bien qu’invisibles dans les sources, ont non seulement été instigatrices et organisatrices de la migration mais aussi ont contribué de façon cruciale au budget familial en migration. Elles ont également été centrales pour maintenir les liens avec le Portugal, particulièrement en ce qui concerne les envois d’argent et les migrations de retour, deux phénomènes qui autorisent l’auteur à analyser la dimension sexuée des relations des migrants à la nation d’origine. A côté de cette analyse de genre sur divers aspects de la migration portugaise au Canada, la contribution propose de penser l’immigration en tenant compte des nationalismes canadiens et portugais. I. Strijdhorst dos Santos (EHESS, Laboratoire d’anthropologie sociale, Collège de France, Paris / France) examine la double inscription des descendants des migrants portugais dans les sociétés française et portugaise. Nés en France, les jeunes gens de la tranche d’âge 18-35 ans, élevés sans difficulté, dotés de la double nationalité, sont bien intégrés dans la société française (augmentation du temps d’études, intégration sociale et professionnelle réussie, augmentation des mariages mixtes, etc.). Mais ce fait n’exclut pas –et ne contredit pas non plus- l’établissement parallèle et la maintenance de liens sociaux et professionnels et des connexions avec le Portugal. Ces descendants portugais déterritorialisés ou ‘luso-descendants’ pour désigner les descendants des portugais vivant à l’étranger, ont été désignés par l’état portugais comme un lobby d’influence favorisant les intérêts portugais en France et au sein de l’Union européenne, tout en réhabilitant dans le même temps et en surpassant l’identité stigmatisée de leur origine émigrée aussi bien en France qu’au Portugal. L’intervention d’A. Christou (Université de Sussex, Brighton / Grande Bretagne) traite de la deuxième génération de Gréco-Américains revenus “ au pays ”. Basée sur une recherche à long terme et sur une aire de recherche aux Etats-Unis et en Grèce, elle explore le phénomène de la “ migration de retour ” en Grèce, tout comme elle relate et observe l’impact sur les migrants du sens de soi et du sens de la place. Dans la première partie de sa présentation, A. Christou passe brièvement en revue l’immigration courante venue en Grèce, plus spécifiquement les flux d’immigration en Grèce durant la dernière décennie du XXe siècle. Elle examine ensuite les motifs patriotiques et identitaires. Dans la dernière section, elle considère brièvement les difficultés rencontrées par les immigrants dans le quotidien en Grèce et se débattant avec les dysfonctionnements de l’état grec. L’auteur démontre, à partir de ces expériences de pays à quitter (Etats-Unis) et à retrouver (Grèce), qu’ils construisent en troisième place un espace proprement personnel et culturel. L’Irlande a frappé le terme “ gens d’extraction irlandaise ” (estimés à 90 millions, comparés aux 4 millions d’autochtones !), ce qui, de la même façon que sa contre-partie portugaise avec les luso-descendants, marque l’Irlande et ses descendants vivant à l’étranger. Pour réclamer son rattachement à cette vaste communauté territorialement déracinée de “ nation migrante ”, une toute nouvelle industrie de tourisme-racine a évolué en Irlande. C. Legrand donne une lecture intéressante de cette nouvelle économie basée sur la recherche généalogique par les Irlandais vivant à l’étranger, essentiellement aux Etats- Unis. La prospection généalogique n’est pas seulement l’occasion de visites (temporaires) en Irlande, mais aussi l’occasion d’interaction entre les descendants irlandais vivant à l’étranger et la population locale irlandaise, dans laquelle ces derniers sont forcés de reconsidérer leur propre identité. Dans la dernière partie de sa présentation, C. Legrand cible les stéréotypes respectifs des deux groupes. 171 Entre Autres

L. Fialkova (Département d’hébreu et de littérature comparée, Université de Haïfa / Israël) et M. N. Yelenevskaya (Département Arts et Sciences humaines, Institut de technologie Technion-Israël, Haïfa / Israël) propose une contribution sur le rôle de la communication par ordinateur comme moyen de rencontre pour les communautés dispersées mais liées par leur lieu d’origine, leur culture et leur langue. Plus particulièrement, cette intervention évoque l’évolution de la diaspora des ex-Soviétiques (Russes et autres nationalités initialement intégrées dans l’Union soviétique), qui émergea récemment suite à la dissolution de l’Union soviétique, alors des millions de gens habitaient initialement un seul pays –se sont retrouvés ou dispersés dans des pays différents. Dans la 1re partie de la présentation, les auteurs présentent les efforts du nouvel état russe pour maintenir et, d’une certaine façon, organiser les ex-Soviétiques avec l’aide de plusieurs sites Internet. Dans la deuxième partie, elles orientent l’analyse sur d’autres sites web venus “ de dessous ”, directement créés par des membres de la diaspora. Leur rôle est d’aider ces gens à s’accommoder aux nouvelles circonstances. En dépit de la diversité de leurs arguments respectifs, ces communications sont liées, de multiples manières, et partagent de nombreux points communs. Certaines d’entre elles insistent fortement sur les complexités internes des diasporas et des groupes émigrés. Pourtant, débattant contre l’invisibilité des femmes dans les études sur la migration, W. Giles se concentre sur le rôle joué par les femmes portugaises, proposant une analyse générique du transnationalisme. La différenciation qu’elle fait entre les femmes portugaises du continent et celles des Açores, les premières étant plus activement transnationales que les autres, éclaire un autre facteur de diversité dans les groupes migrants. Ils sont non seulement divisés suivant les genres, mais aussi suivant les différentes régions du pays d’origine. Centrées respectivement sur la deuxième génération de ‘luso-descendants’ et de Gréco-Américains, I. Dos Santos et A. Christou ajoutent une autre dimension à la diversité interne des diasporas. La communication de C. Legrand rappelle finalement que la mémoire du pays, les racines et les origines peuvent survivre à la seconde génération et se développer dans les troisième et quatrième générations de descendants irlandais, par la double forme de pratiques et des représentations généalogiques d’une part et par le tourisme ethnique d’autre part. En encourageant ces diverses approches des diasporas comme des groupes complexes et intérieurement fragmentés, ces communications peuvent contribuer à un dialogue durable en anthropologie et en sciences sociales sur la nature des genres des groupes migrants,175 sur la nature transnationale de la deuxième génération d’immigrés176 et sur “ l’ethnicité symbolique ” parmi les nationalismes avec un “ pedigree ” migrant à distance.177 Ces communications sont toutes très sensibles aux dialectiques et aux tensions entre le transnationalisme “ d’au-dessus ” - basé sur les usages de l’état-nation pour les migrants - et le transnationalisme “ d’en-dessous ”, basé sur les pratiques actuelles et les représentations des migrants eux-mêmes. W. Giles est très attentive aux façons dont les femmes émigrées portugaises agissent, aussi bien avec les usages multiculturels de l’état canadien qu’avec les représentations d’appartenance nationale de l’état portugais. Dans le cas de la ‘luso-descendance’ (Dos Santos), du tourisme-racine irlandais (Legrand) et des

175. Bhattacharjee (Anannya): “The Public/Private Mirage: Mapping Homes and Undomesticating Violence Work in the South Asian Immigrant Community”, in Alexander, M. J. & C.T. Mohanty (eds.), Feminist Genealogies, Colonial Legacies, Democratic Futures, New York and London, Routledge, 1997, 308-329. 176. Fouron, (Georges) & Glick Schiller (Nina): Georges Woke Up Laughing. Long-Distance Nationalism and the Search for Home, Durham-London, Duke University Press, 2001 - Portes, (Alejandro) ed.: The New Second Generation, New York, Russell sage Foundation, 1996. 177. Gans (Herbert): “Symbolic Ethnicity: the Future of Ethnic Groups and Cultures in America”, 172 in Sollors, W. (ed.), Theories of Ethnicity. A Classical Reader, London, Mac Millan Press, 1996 (1979), 425 -459. Among Others sites web visant les émigrants de l’ex Union soviétique (Fialkova & Yelenevskaya), nous sommes de nouveau confrontés à la double articulation des pratiques transnationales et des représentations, et des façons dont les groupes d’émigrés et les états-nations se recouvrent parfois, divergent parfois dans leurs identités politiques respectives. On observe un certain accent mis sur le discours et sur les façons dont les diasporas sont métaphoriquement constituées comme espace d’appartenance, dans certaines interventions sur l’émigration et le transnationalisme. I. Dos Santos définit la ‘luso- descendance’ comme une “ métaphore généalogique ” utilisée par l’état portugais en vue de signifier un sens d’appartenance à la nation portugaise. L’importance de la généalogie est également soulignée quant à la passion pour la généalogie et les racines au sein des descendants irlandais. Les concepts de pays et d’appartenance sont également cruciaux, selon A. Christou, dans le projet de retour en Grèce caressé par la deuxième génération de Gréco-Américains.

Multiculturalisme Les interventions de R. Black, de M. da Silva et A. Ramiréz et de C. Sánchez-Carretero se concentrent sur les effets du multiculturalisme lié au développement dramatique de la troisième immigration mondiale en Europe. Assez curieusement, ces trois interventions sont centrées sur les pays d’Europe méridionale (Portugal, Espagne, Italie) qui, depuis les années 70, au lieu d’être des pays d’immigration, étaient des pays d’émigration. Ayant expérimenté le fait multiculturel à distance, ils doivent maintenant s’engager avec le multiculturalisme chez eux. Un élément du paysage multiculturel des villes contemporaines - les magasins d’alimentation ethniques - a retenu l’attention de R. Black (Université de Turin / Italie). Son intérêt s’attache aux épiceries ethniques en général et plus particulièrement en Italie, où elle a son terrain de recherche. Elle les examiner non seulement comme des points de rencontre et des lieux d’échange (des “ ponts ”) de nourriture mais aussi comme des lieux d’information –au sein et par l’intermédiaire des communautés ethniques- incluant diverses communautés d’immigrés vivant en Italie et dans la communauté italienne d’accueil. Pour les émigrés, ils peuvent aussi constituer une façon de lier le pays natal et le pays d’accueil. Au-delà de ce commerce alimentaire ethnique, de cette “ consommation de la diversité ”, R. Black reconnaît un potentiel pour l’expérience interculturelle malgré l’arrière-plan d’une atmosphère sociale hostile aux étrangers en Italie. M. Cardeira da Silva (Département d’anthropologie, Faculté de sciences sociales et humaines, Nouvelle université de Lisbonne / Portugal) et A. Ramirés (Université autonome, Madrid / Espagne) proposent une analyse comparative de récentes mesures légales adoptées au Portugal et en Espagne relatives à la mutilation sexuelle féminine, et du débat public auquel cela a donné naissance. Selon les auteurs, dans les deux cas, les procédures législatives plutôt drastiques contre la mutilation sexuelle féminine ont été accélérées par l’intervention significative des médias, qui ont activement fait écho aux conceptions ethnocentriques et stéréotypées en ce qui concerne les groupes d’émigrés, spécialement dans le cas portugais, concernant les groupes émigrés présumés d’origine musulmane. Au Portugal et en Espagne, l’intervention anthropologique dans le débat étant soit inexistante soit maladroite, autorisa les auteurs à poser les questions sur les prédictions morales et politiques liées à l’anthropologie contemporaine. C. Sánchez-Carretero (Université de Alcala, Conseil espagnol de la recherche scientifique / Espagne) a présenté le début d’un travail lié à la documentation du deuil collectif qui suivit l’explosion du 11 mars 2004 à Madrid, tuant 192 personnes, dont un tiers d’émigrés. Son but est double : l’un est méthodologique et examine la façon d’organiser des “ archives du deuil ”, l’autre vise une analyse préliminaire pour 173 Entre Autres

représenter les différentes nationalités dans les lieux de pèlerinage spontanés qui ont émergé après l’attaque. L’auteur démontre qu’au niveau des expressions de solidarité de l’état-nation par divers groupes ethno-nationaux vivant à Madrid se construit une opposition à d’autres états-nations, réaffirmant ainsi sa propre identité nationale. Il est cependant démontré qu’au niveau local s’expriment la solidarité directe et l’identification avec le lieu de l’attaque. Ces communications permettent de mesurer la centralité des problèmes liés à la place contestée des migrants au sein des états-nations européens. Dans le cas de la communication de R. Black, la nourriture ethnique est vue comme “ le premier point de contact et de communication entre Italien et ‘l’Autre’ ”, agissant contre le “ sentiment général négatif ordinaire envers l’immigration en Italie ”, c’est-à-dire que la discrimination culturelle et sociale est le courant dominant, contre lequel se tient isolé “ l’altérité ” culinaire. On est cependant tenté de questionner les limites d’une telle appréciation de diversité culturelle et ethnique : il peut apparaître que la consommation cosmopolite de signes culinaires de diversité ethnique n’affecte pas de façon significative l’attitude globale envers les émigrés. Abordant l’interdiction d’exciser les filles en Espagne et au Portugal, M. da Silva et A. Ramiréz nous confrontent précisément à ces schémas retranchés de suspicion prévalant dans les attitudes publiques envers ‘l’Autre’. Les conclusions résultant de l’excision sont, bien sûr, très complexes comme, par exemple, M.-B. Bembour l’a montré récemment.178 Mais dans les cas discutés par M. da Silva et A. Ramiréz, il est évident que de puissants mécanismes de stéréotypes négatifs et d’altérité sont aussi à l’œuvre : en Espagne comme au Portugal, l’excision féminine n’a pas été documentée et, spécialement dans le cas portugais, son interdiction fait partie de la campagne idéologique contre ‘l’Autre’ culturel. Finalement, la présentation de C. Sánchez-Carretero, livre des conclusions liées à l’espace culturel et social contesté des émigrés au sein de l’état-nation. De fait, le rôle marquant joué par les émigrés dans le lieu de pèlerinage spontané érigé dans la gare de Madrid semble dériver directement d’un sens de la marginalité, qui est simultanément dénié et déjà réaffirmé dans les poèmes ethniques et les messages laissés par les émigrés. Comme l’indique C. Sanchez-Carretero, “ la solidarité est construite en supportant ‘l’Autre’ et pourtant, en même temps, la même solidarité construit l’opposition à l’Autre ”. Les communications de M. da Silva - A. Ramirés et de C. Sánchez-Carretero, bien que venant de pays différents, soulignent la dimension politique des conclusions multiculturelles liées à la migration. Les deux adressent ces conclusions liées à des événements politiquement chargés et les deux proposent des arguments pour les discuter politiquement. On doit souligner ici que l’anthropologie est un projet théorique et empirique profondément noyé dans les conclusions et les prédictions sociales culturelles et politiques contemporaines. Le multiculturalisme est une notion chargée culturellement et politiquement et deux des contributions ont eu le mérite de nous rappeler le nécessaire engagement de la discipline.

Remarque finale “ Défier l’état-nation ”, titre plutôt ambitieux de cet atelier, visait à discuter de façon critique les effets liées à la migration, au transnationalisme et au multiculturalisme dans l’Europe contemporaine. Les interventions présentées dans cet atelier présentent l’état de ces défis. Le transnationalisme participe d’une double identité qui confronte les déclarations de l’état-nation aux loyautés exclusives. Le multiculturalisme met en question les discours et les pratiques de l’état-nation visant à construire des espaces

178. Bembour (Marie Benedicte): “Following the Movement of a Pendulum: Between Universalism and Relativism”, in Cowan, J., M.-B. Bembour & R. Wilson (eds.), Culture and Rights: 174 Anthropological Perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 56-79. Among Others culturels homogènes. Les deux sont des expressions des processus contemporains de dé- et de re-territorialisation de la culture179 associée à la globalisation et à la façon dont les identités contemporaines sont refigurées de manière dynamique. On espère que les discussions de cet atelier contribueront à une compréhension plus diversifiées de ces dynamiques.

179. Inda (Jonathan) & Rosaldo (Renato): “Introduction. A World in Motion”, in Inda, J. & Rosaldo, R. (eds.), The Anthropology of Globalization. A Reader, Malden MA-Oxford, Blackwell, 2001, 1-34. 175 Entre Autres

176 Among Others

“ Entre touristes ”. Entre communication interculturelle, ignorance et évitement

Thomas K. Schippers

IDEMEC/CNRS, Aix en Provence / France

Quels types de changement de la perception de Soi et des Autres vont toucher les groupes ou les populations dans des lieux impliqués dans un tourisme de masse moderne ? La plupart des études ethnographiques du tourisme en Europe a, jusqu’à une date récente, concentré surtout l’attention sur les conséquences du tourisme dans des sociétés ‘autochtones’ (souvent déjà décrites avant l’arrivée touristique). Cet atelier, proposé par la Commission Communication Interculturelle de la SIEF, a voulu éclairer davantage les différents aspects et conséquences de l’interaction culturelle entre visiteurs, personnels saisonniers et ‘locaux’. Les trois communications présentées y ont évoqué des cas ethnographiques de changements culturels dus au tourisme dans les endroits visités qui ont modifié temporairement ou durablement les sentiments identitaires des personnes impliquées. Le premier cas, présenté par Ueli Gyr (intitulé Entre touristes - entre autres, observations à bord du Nightboat de Lucerne en Suisse) analyse très finement le déroulement d’une croisière de quelques heures avec repas et spectacle folklorique qui s’adresse surtout à des (groupes d’) étrangers visitant la Suisse. Des entretiens avec les employés du navire ont permis de faire apparaître leur perception des différentes nationalités en fonction de comportements stéréotypés des groupes (silencieux/bruyants, passifs/participants, facile/ difficile, etc.) ainsi que des « incompatibilités de voisinage » entre groupes liés à des faits géopolitiques présents ou passés. Le personnel organise donc l’espace en maintenant les groupes nationaux ensemble, en évitant des voisinages « à risque » et en reléguant les plus « passifs » au fond de la salle. Lorsque la croisière comprend aussi un repas, le menu a été adapté pour être acceptable pour tous et par exemple la fondue au fromage a été transformée en plat d’entrée afin que des groupes asiatiques puissent seulement y goûter sans être obligés d’en faire le plat principal. Lors du spectacle de danse, les acteurs suisses ont appris à éviter des contacts physiques trop directs avec certaines nationalités afin de prévenir des réactions de panique ou d’auto-défense. Selon l’auteur, les organisateurs de la croisière ont élaboré empiriquement au fil des ans des « stratégies » pour gérer le bon déroulement des croisières qui mettent en présence des groupes culturellement très divers. Il s’agit d’une compétence interculturelle fondée sur l’expérience qui a pu être qualifiée d’« ethno-balancing » non seulement entre les différents groupes en présence mais également dans les comportements (les danses) ou la composition des plats. Il résulte 177 Entre Autres

aussi de ce lieu, qui présente des éléments assez stéréotypés de la culture helvétique, des comportements stéréotypés chez les individus incorporés dans des groupes nationaux par les agences de voyage. La communication de Reluca Nagy (intitulée La marchandisation des traditions, étude de cas en Maramures / Roumanie) a présenté quelques aspects de l’influence non seulement des touristes mais aussi des émigrants sur les habitants de la région de Maramures. En distinguant trois types d’acteurs, les « locaux », les visiteurs touristiques et les « mobiles » (locaux travaillant en Europe de l’Ouest), elle analyse comment les « mobiles » agissent comme traducteurs pour les « locaux » dans leur désir de répondre aux demandes des visiteurs par exemple dans le domaine de l’hygiène et du confort. S’agissant le plus souvent de relations directes entre individus et non pas d’un tourisme industriel, l’auteur a observé la nature « hybride » des résultats des relations entre les trois groupes en interaction : les « locaux » anticipent par exemple la demande en terme de confort des visiteurs à travers le filtre et les représentations des « mobiles ». Ni occidentale, ni locale, la résultante est une culture nouvelle faite d’ajustements et d’interprétations en cascade par les individus mis en présence. La communication de Tok Thompson (intitulée Le retour de la tradition du peuples des fées, regards sur les boutiques touristiques en Irlande) analyse comment la présence massive de touristes semble conduire les Irlandais à revitaliser des traditions pré- chrétiennes, comme la croyance en des êtres surnaturels (fairy faith). Bien que les Irlandais interrogés considèrent généralement les représentations, figurines et les accessoires qui se réfèrent aux êtres surnaturels (regroupé sous le terme gaélique de leprechaun ; fairy folk en anglais) comme « uniquement pour les touristes », l’auteur a observé qu’ils étaient également très populaires parmi les Irlandais eux-mêmes. Présents dans les bureaux, les maisons, les voitures et sur les murs des rues, les figures des leprechaun semblent omniprésentes dans le vie quotidienne. Autrefois chassés lors de la christianisation (St. Patrick) par l’Église catholique, ils ne semblent plus être considérés comme une « menace » pour le Christianisme. Même lors de la grande fête de la Saint Patrick, de nombreux Irlandais se déguisent en costume leprechaun avec fausses barbes et grands chapeaux verts. L’auteur s’interroge sur la signification de cette réappropriation de symboles d’un passé pré-chrétien au moment où l’influence de l’Église catholique est déclinante et que le pays se modernise à pas forcés. Les discussions de cet atelier de la Commission Communication Interculturelle de la SIEF ont porté sur les aspects individuels des interactions sociales dans des endroits touristiques qui aboutissent souvent au développement de véritables compétences multiples en termes de communication de tous les acteurs en présence. Par ailleurs les situations touristiques génèrent des dynamiques de changements fondés sur des interprétations en série de l’altérité qui façonnent à leur tour de nouveaux marqueurs d’identité, même si les contacts entre visiteurs et visités restent généralement superficiels et fondés sur des stéréotypes.

178 Among Others

La carte et l’image de Soi : l’impact culturel des représentations cartographiques sur les conflits régionaux et nationaux en Europe depuis le xixe siècle

Thomas K. Schippers IDEMEC/CNRS, Aix en Provence / France

Gabor Barna Département d’Ethnologie, Université Josef Attila / Budapest ? Hongrie

La carte est une représentation graphique d’une étendue, d’un espace géographique. Mais cette forme de représentation graphique peut posséder, au-delà de ses différentes fonctions « utilitaires », des valeurs, voire des significations proprement iconographiques et même emblématiques. Les participants à cet atelier ont voulu débattre du rôle joué en Europe par des cartes nationales ou régionales dans la représentation (mentale) de Soi. Des exemples concrets de l’utilisation dans la vie quotidienne d’images cartographiques comme icônes ou emblèmes renforçant des identités locales, régionales ou nationales y ont été présentés. Au-delà de cas précis, cet atelier du Réseau International Européen de l’Ethnocartographie de la SIEF a permis de mener une réflexion sur la carte géographique comme représentation acceptable ou, au contraire, inacceptable de la réalité perçue ou des sentiments d’appartenance. Notamment les récents « éclatements » d’états fédérés (comme l’Union Soviétique ou la Fédération Yougoslave) mais aussi les (re-)découpages géo-politiques en Europe centrale et orientale au cours du XXe siècle ont souvent radicalement changé la forme proprement iconographique des espaces d’appartenance et donc d’auto-identification des habitants. A partir d’observations de terrain, Elisabeth Gessat-Anstett (« Géographies identitaires et amnésies cartographiques en Russie post-soviétique ») a présenté la situation dans le ville de Rybinsk en rappelant d’abord que l’accès des habitants à des images cartographiques y demeure « éminemment problématique » : cartes peu nombreuses, souvent erronées et silencieuses sur les changements survenus durant le XXe siècle, absence de mise à jour, etc. Comme le suggère également l’auteur, « il est tout à fait vraisemblable qu’une conscience désormais confuse et troublée de l’Etat, de ses prérogatives et de ses moyens d’actions, débouche sur une perturbation de la perception du territoire et de ses nouveaux contours ». La comparaison des contours graphiques de l’Union soviétique avec l’image littéralement effilochée de la Russie actuelle (sans les territoires autonomes) donne sens à ce que le géographe Roger Brunet a qualifié « d’archipel déchiqueté » ; on peut alors 179 Entre Autres

comprendre la relative rareté de l’usage présent de représentations cartographiques nationales. Cet exemple « d’amnésie cartographique » russe contraste avec celui d’une carte portugaise de la période antérieure à la Révolution des Œillets (1974) analysé par Jean-Yves Durand (« ‘Oblitérer la Méditerranée pour agrandir un pays’. Un regard ethnologique sur un cas portugais de propagande cartographique »). Cette carte affichée autrefois dans des écoles « rapporte sur le fond du continent européen, en un genre de palimpseste cartographique, la silhouette de l’ensemble des possessions portugaises de l’époque : les neuf îles des Açores, les deux îles habitées de Madère, l’archipel du Cap Vert, la Guinée Bissao, São Tomé et Príncipe, l’Angola (avec Cabinda, enclavée dans ce qui est aujourd’hui le Zaire), le Mozambique, Goa (repris militairement par l’Inde en 1963), Macao (dont le statut était en théorie celui non d’une possession mais d’une administration portugaise jusqu’à sa restitution à la Chine à la fin du XXe siècle) et enfin Timor. » En vignette, il est indiqué sur cette carte que « Le Portugal n’est pas un petit pays ». Document curieux qui occulte par exemple toute l’Afrique du Nord et par là toute la Méditerranée, il s’agit d’évidence d’un instrument de propagande probablement (selon J.-Y. Durand) dessiné au moment de la célébration des 400 ans d’indépendance du Portugal (1640-1940). Comme le souligne l’auteur, cette image qui superpose différentes représentations cartographiques dans une même « icône », interpelle non seulement tout spectateur mais aussi l’ethnologue intéressé par les modalités des constructions identitaires à l’aide de cartes des populations qu’il étudie. Même lorsque les contextes géopolitiques changent de telles images restent mémorisées, notamment dès lors qu’elles ont été vues durant l’enfance comme des représentations visuelles d’un « Nous » national au même titre qu’un drapeau ou l’image d’un souverain. Dans sa présentation (« Justice pour la Hongrie - et pour les autres peuples d’Europe centrale ! Cartographier l’Europe centrale, préparer une paix juste avant la Seconde Guerre Mondiale »), Gabor Barna illustre le rôle politique des « icônes cartographiques » que peuvent avoir des cartes et notamment des cartes thématiques d’un Atlas d’Europe centrale publié d’abord (en quelques exemplaires) durant la Deuxième Guerre Mondiale par des géographes et statisticiens hongrois et réédité en 1993. Les données à l’origine des cartes ont été recueillies durant les années 1930 et concernent les conditions économiques, culturelles et politiques du Bassin carpatique et des régions voisines. Parmi les cartes figurent notamment des cartes indiquant les majorités et minorités linguistiques (« nationalités ») et religieuses issues de recensements. L’auteur suggère que cette cartographie de la situation il y a 60 ans peut aussi aider à redéfinir/restaurer des entités économiques modernes au-delà des divisions et des frontières dressées lors de traités politiques tels que celui du Trianon (1920) qui amputa la Hongrie de nombreuses régions magyarophones. Cette communication montre aussi l’importance des contextes idéologiques qui peuvent littéralement « faire dire » des messages très différents à une même carte ou un même atlas. Ces mise en lumière ou mise à l’index d’images cartographiques apparaissent intéressantes pour l’ethnologue, comme le suggère également la communication de Thomas Schippers (« La carte comme image de Soi parmi les Autres ») qui a présenté une série d’exemples concrets du rôle de l’image cartographique dans la construction des sentiments d’appartenance collective (supra-) nationale ou régionale en Europe. Il a montré à l’aide d’objets (comme des horloges, des boîtes de bonbons ou des porte-clefs) et de documents graphiques (comme des publicités ou des autocollants) comment les contours graphiques et les silhouettes frontalières sont depuis la deuxième partie du XIXe siècle devenus dans certains pays (comme la Suisse ou la France) ou dans certains régions (comme la Corse ou l’Istrie) de plus en plus des images de Soi aussi bien dans l’enseignement de masse que dans les média (bulletins météorologiques télévisés). 180 Among Others

Les discussions durant cet atelier ont rappelé que la multiplication récente des (sous)ensembles politiques et économiques en Europe semblent brouiller/démultiplier ces formes d’identités « cartographiques », tout en faisant apparaître des crispations et des troubles quant aux représentations spatiales d’appartenance. Tels les morceaux d’un puzzle, les identités « cartographiques » s’emboîtent finement les unes entre les autres et tout (projet de) changement du découpage des uns, provoque instantanément des réactions « épidermiques » dans le voisinage immédiat. Le débat s’est clôt finalement en réfléchissant à l’importance des projections spatiales dans les identités collectives aujourd’hui dans des sociétés de plus en plus « iconiques ».

181 Entre Autres

182 Among Others

Une nouvelle répartition du territoire liée au tourisme et à la mobilité

Annick Sjögren

Université de Södertörn / Suède

La mobilité croissante liée au tourisme, aux migrations et à la technologie contribue à prendre conscience de l’altérité et à une recherche de nouveaux équilibres culturels. Comment ces changements affectent-ils les façons de penser, la perception des frontières culturelles et les modes de construction de l’identité ? Quelle sorte de compétence culturelle est alors considérée comme vitale, importante ou significative ? Une analyse de trois territoires différents montre que, quel que soit le type d’activité, approvisionner en nourriture, faire rire les gens ou enseigner, il devient de plus en plus nécessaire de contester les évidences les plus profondément ancrées si l’on veut se donner les moyens d’affronter la mondialisation. Les pêcheurs sont confrontés au tourisme envahissant, les spectateurs à une nouvelle forme de comédie, et les enseignants à une grande diversité d’étudiants ce qui remet en cause les principes académiques les mieux établis. Dans le premier exemple, une société encore proche de la tradition, les femmes prennent l’initiative de la modernité tandis que dans les sociétés urbaines étudiées dans les deux communications suivantes, ce sont les jeunes issus de l’immigration qui sont à l’origine de nouvelles ressources. Dans sa communication “ Le territoire de la mer partagé entre pêche et tourisme en Sardaigne ”, Gabriella Mondardini (Université de Sassari / Italie) aborde le processus interactif – et conflictuel - entre pêche, tourisme et environnement en Sardaigne. Selon les termes employés par Marc Augé, la mer peut être un lieu et un non-lieu. C’est un lieu pour les pêcheurs, lieu de chez-soi et lieu de l’identité partagée alors que pour les touristes, elle n’est qu’un espace de circulation et de loisirs où il n’est possible de saisir ni l’identité, ni la relation, ni l’histoire. Les pêcheurs ont développé leurs pratiques sociales d’appropriation et d’interdiction de l’espace de pêche. Ils voient les touristes comme des pêcheurs prédateurs qui ne savent pas respecter les codes symboliques et imaginaires de ces pratiques. Les interventions institutionnelles tendent de plus en plus à favoriser le tourisme au détriment de la pêche professionnelle. Le parc marin est devenu “ le modèle des multiples utilisations du territoire ” où les pêcheurs ne trouvent plus leur place. Pour eux, l’espace de la mer qui était essentiellement ouvert devient alors un espace fermé. Les types d’identité et d’altérité sont aussi modifiés. Les pêcheurs, traditionnellement maîtres de la mer, deviennent proscrits quand les touristes deviennent maîtres de l’été et 183 Entre Autres

redirigent les activités locales pour leur propre bénéfice. Le sens du foyer du pêcheur est aussi inversé. Traditionnellement le domaine de l’homme était tourné vers le travail et la mer alors que le domaine de la femme regardait vers la sociabilité et la rue. Le touriste dénature cet équilibre en s’appropriant la vue sur la mer. Les rôles dans la famille sont également inversés. Les femmes s’approprient la maîtrise du tourisme. Plus sociables et plus éduquées que les hommes, elles cuisinent, racontent et organisent, au besoin avec l’aide de l’informatique. Les hommes, dépossédés de leur maîtrise de l’espace, tant physique que symbolique, y perdent leur identité. La pêche n’est plus que la narration de soi. La mise en place des programmes en faveur de l’environnement et du bien-être commun nécessite de prendre conscience des inclusions et exclusions qu’entraîne la substitution ou la superposition d’une symbolique différente. Depuis le 11 septembre, la comédienne Shazia Mirza est devenue l’une des artistes les plus interviewées, et dont les performances sont le plus vivement et largement discutées au sein de son milieu professionnel. D’origine pakistanaise, musulmane, Mirza, qui a joué partout en Europe occidentale et aux Etats-Unis, a été encensée pour ses spectacles. Elle est devenue une sorte de “ célébrité ethnique ”. Un cas d’école sur l’humour et la globalisation. Dans sa communication “ La performance transculturelle et l’élaboration de la comédie de Shazia Mirza ”, Giovanna P del Négro (Département d’Anglais, Université A&M du Texas / USA) se demande comment le sens du comique de Mirza et son identité musulmane voyagent au travers des frontières nationales, culturelles et linguistiques. Qu’est-ce qui explique la popularité de cette artiste anglaise aux Etats-Unis et aussi dans des lieux où la langue anglaise n’est pas largement pratiquée ? Utilisant un large éventail de sources Internet, articles de presse, et interviews de Mirza elle-même, cette communication donne un aperçu de la manière complexe dont, outrepassant les frontières, elle déplace et altère les visions réductrices que l’on a des femmes musulmanes dans la culture populaire occidentale. En associant les sources journalistiques et une lecture attentive du style d’interprétation et des costumes de scène de Mirza, l’auteur montre comment la communication et le sens peuvent opérer au-delà des liens de mutuelle compréhension linguistique. Quand le statut d’une minorité est visuellement et indéniablement marqué par l’apparence, le vêtement et le maintien servent inévitablement à situer l’acteur par rapport à des positions ethniques ou raciales préexistantes. Dans un tel contexte, Mirza porte des attributs ethniques – le hijab et salwar kameez – et joue sur les incongruités que sont ces vêtements dans le monde de l’après 11 septembre de façon à affirmer à la fois son identité religieuse et réclamer le droit de lui donner sa propre signification. Dans un style tour à tour cinglant, amusé et pince-sans-rire, Mirza s’engage dans une réflexion sur la construction d’identité transnationale qui est à la fois une exploration de sa propre expérience et une méditation publique sur la religion et le genre humain. Dans sa communication “ Pas de qualité sans diversité – Enseignement universitaire dans les banlieues multiculturelles en Suède ”, Annick Sjögren (Université de Södertörn / Suède) montre comment la jeunesse des banlieues multiculturelles peut offrir de riches sources de recherche sur les transformations culturelles et sociales de notre société. Elle permet d’y étudier les conséquences de la démocratisation et de l’internationalisation dans l’enseignement supérieur. Les enfants de migrants qui trop souvent prennent une large part dans le taux d’échecs scolaires possèdent les profils d’étudiants possédant certaines des ressources exigées par la globalisation. Comme dans le cas de la comédienne Mirza, un milieu pourtant stigmatisé peut aussi favoriser le multilinguisme, l’imagination et la diversité des modes de vie et de pensée. Ceci à son tour développe chez les jeunes la capacité de trouver de nouvelles solutions à de vieux dilemmes. Un nombre croissant d’étudiants vient de milieux non-académiques. Ils doivent apprendre 184 à maîtriser des codes intellectuels et sociaux qui leur sont étrangers mais qui donnent Among Others accès aux connaissances spécifiques qu’ils veulent acquérir. Ils ont souvent aussi des bases linguistiques et des origines culturelles différentes. La base de références communes n’est plus nationale mais “ post-nationale ”. Etudiants comme enseignants risquent de se sentir “ étrangers au monde académique ”. Le critère de qualité restant un des buts majeurs de l’éducation supérieure, il devient indispensable de rechercher une nouvelle approche de l’enseignement et de la recherche. Il ne suffit plus d’être un chercheur de talent pour être un enseignant compétent. Il faut être pédagogue. Les obstacles sont nombreux et ceci à la fois au niveau des institutions et des personnes. Il est toujours difficile de modifier des systèmes éducatifs qui ont fait leurs preuves et encore plus quand il faut le faire au bénéfice des exclus silencieux. Mais la démocratie n’est pas compatible avec la frustration et l’aliénation. Les changements sont inévitables. Il existe déjà des exemples intéressants d’institutions qui transforment leur enseignement pour répondre aux défis posés par la diversité tout en gardant la qualité comme critère essentiel.

185 Entre Autres

186 Among Others

New division of terrain due to tourism and mobility

Annick Sjögren

Södertörn University College

Growing mobility due to tourism, migration and technology demands, or sometimes already brings about a growing consciousness about the self and the others. How do these changes affect ways of thinking, perceptions of cultural borders, and modes of construction of identity? Which kind of cultural competence is considered to be vital, important or meaningful? An analysis of three different fields shows that whatever the type of activity, providing basic food, making people laugh, or teaching, the most unquestioned and evident has to be put into question in order to acquire the necessary tools to affront a globalized world. Fishermen are confronted to an invading tourism, spectators to an unexpected comedian, and teachers to diverse students challenging well established academic principles. In the first example, a society still embedded in tradition, women take the lead to modernity while in the two following presentations on urban societies, children of migrants show either real or still potential resources which give new meaning to old phenomenas.

Marine territories shared between fishing and tourism in Sardinia Gabriella Mondardini

An interactive – and threatening – process associates fishing, tourism, and environment in Sardinia. According to the terms used by Marc Augé, the sea can be a space or a non- space. It is a space for the fishermen, space of the home and space of a shared identity while for the tourists it is only a traffic place for leisure where it is not possible to favour the construction of identity nor a feeling for history. The fishermen have their own social practices which symbolically make them appropriate and forbid the space for fishing to outsiders. In their eyes tourists are predatory fishermen who do not know how to respect the symbolic and imaginary signs of these practices. The institutional interventions have a tendency to favour tourism to the detriment of professional fishing. The marine park becomes “the model of multiple uses of territory” where the fishermen no longer find their place. The space of the sea which used to be open is now a closed space. Categories of identity and alterity have also been transformed. The fishermen, traditionally masters of the sea, have become non-people when the tourists become the master of the 187 Entre Autres

summer and redirect the local activities to their own benefit. Even the meaning of the fisherman’s home is reversed. Traditionally the man and his work were turned towards the sea while the woman and her social interests looked towards the street. The tourist denatures this balance by appropriating the view on the sea. The roles in the family are also inverted. Women master tourism as an activity. More sociable and more educated as men, they cook, talk, and organise, often with the help of computers. Men deprived of their command of space, physically as well as symbolically, loose their identity. Fishing is degraded to a simple story telling. In order to set up programmes in favour of environment and welfare, it is necessary to be aware of the inclusions and exclusions that substitution, or superposition, of different symbolic orders entails.

Transcultural performance and the stand-up comedy of Shazia Mirza Giovanna P. Del Negro

In the face of 9/11, stand-up comedian Shazia Mirza has become one of the most widely interviewed and hotly debated performers in her profession. A second generation Pakistani-British Muslim who has performed throughout Western Europe and the US, Mirza has received wide acclaim for her performances and is a kind of “ethnic celebrity.” A case study in humor and globalization, this paper asks how Mirza’s comedy and Muslim identity travel across national, cultural, and linguistic frontiers. What accounts for the popularity of this British entertainer, the paper inquires, both at home in the UK and in places where the English language is not widely spoken? Drawing on a broad range of Internet-based sources, newspaper articles, and formal and informal interviews with Mirza herself, this paper provides a glimpse into the complex ways in which this border crosser displaces and alters the limiting images of Muslim women in Western popular culture. Connecting the discussion of journalistic sources with a close reading of Mirza’s performance style and stage costume, the paper reveals how communication and meaning can operate beyond the bounds of mutually shared linguistic comprehensibility. Where one’s minority status is visually marked and inescapable, the paper argues, costume and deportment inevitably serve to situate the actor with regard to pre-existing ethnic or racial subject positions. In such a context, Mirza wears ethnic signifiers—the hijab and salwar kameez––and plays on the incongruities that these garments shore up in a post-9/11 world in order to both affirm her religious identity and reclaim the right to giving them her own meanings. Combined with a style of delivery that is in turn subtly biting, light hearted, and dead pan, Mirza engages in a highly reflexive project of transnational identity construction which is as much an exploration of her own personal experience as it is a public meditation on the politics of religion and gender.

No quality without diversity – University teaching in multicultural suburban Sweden Annick Sjögren

If we move from entertainment to education, the same multicultural suburban youth offers a further field of research to understand the transformation of our society. It shows the consequences of the democratisation of higher education and its internationalisation. The children of the migrants who all too often count for a large part of the drop- outs of school in fact answer to the profile of students with the resources required by globalisation. As in the case of the comedian Mirza, an environment, maybe stigmatised, 188 is still a proper ground for multilingualism, diversity and imagination. This in turn can Among Others favour the young people’s ability to put into question and to find new solutions to old dilemmas. The question is if the institutions of higher education should, and can, learn to use such resources. A growing number of students have a non-academic background and have to learn to master alien intellectual and social codes to get access to the special knowledge they aim for. To this can be added differences in linguistic and ethnic backgrounds. The teachers meeting them can no longer take a basic common knowledge for granted and feel estranged by this diversity. The result is that students as well as teachers feel as strangers in academia. In order to maintain quality as a priority, this evolution requires a new approach to teaching and research. Curiosity and the will to understand otherness, to exercise self- critique, and to develop a capacity to use diversity as a major resource in the learning process become essential. The obstacles are numerous, both in institutions and people. It is always demanding to modify educational systems which have proved successful in the past, but it is even more so when it is for the benefit of silent and powerless newcomers. But democracy cannot cohabit with frustration and alienation. Changes are inevitable. There are already examples of institutions mouldering their teaching so as to answer to the challenges of diversity while keeping quality as the main goal.

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Atelier / Synthèse

Terre, Espace, territoire

Thème 3 : Conflits d’usages, stratégies d’appropriation et de reconversion autour du patrimoine ou de sites

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Culture des chansons en contact : oppositions et affinités

Luisa Del Giudice

Directeur de l’Institut Italien d’Histoire orale, Los Angeles / USA

Une série de trois ateliers tenus le jeudi 27 avril 2004 abordait le thème des contacts entre cultures chantées en Europe et au sein des diasporas européennes. Des études de cas historiques et contemporains ont été l’occasion d’examiner à travers des paroles de chansons, les rencontres et les oppositions culturelles ainsi que les synergies et les rapprochements culturels. Parrainés par le KfV (Kommission für Volksdichtung / Commission pour l’étude de la chanson populaire ; cf. www.KfVweb.org) -groupe de travail le plus large et le plus actif de la SIEF- et présidés par Luisa del Giudice (présidant elle-même la KfV), ces ateliers ont amené des chercheurs à échanger sur le thème de la chanson traditionnelle de Slovénie, Bosnie, Grèce, Irlande, Estonie, Hawaï et Colombie – réunissant d’un seul coup trois continents et de nombreuses aires culturelles.180 Les approches varient largement et, alors que certaines étaient centrées pleinement sur le thème proposé, d’autres n’ont fait que l’approcher. Tous les exposés ont replacé les faits relatés dans un contexte historique. Les contributions qui ont directement abordé des problèmes d’opposition furent celles de : Gail Holst-Warhalf (Directeur de l’Institut d’études européennes, Université de Columbia / USA) “ Orientations : la chanson urbaine grecque et la question de l’Est ” ; Susanna Friedmann (Institut de recherches esthétiques, Université de Colombie) “ Parodier l’autre en temps de violence ” ; Kati Szego, (Ecole de musique, Dép. Folklore, Memorial University, St John’s / Canada) “ Construire le missionnaire par la chanson : autochtones hawaïens et perspectives coloniales ” et John Moulden (Centre for the Study of Human Settlement and Historical Change, National University of Ireland Galway, and the Folk Music Society of Ireland) “ Nous avons nommé le lieu King William’s bridge et non plus Dolly’s Brae ”. Deux communications (Friedmann, Szego) ont adopté une perspective non-européenne ou anti-européenne de groupes ethniques non-européens, à savoir des immigrés d’origine africaine en Colombie et des indigènes hawaïens confrontés à des missionnaires américains installés sur l’île. Dans cette optique, ils soulignent les legs néfastes des colonialismes (européen et américain), dont témoignent les chansons. Tensions ou conflits sont résolus par diverses stratégies, de la fusion musicale (Colombie) à la parodie (Hawaï). Les autres 180. Sur les onze interventions prévues, trois ne furent pas présentées : Goffredo Plastino “ Navigando : Nouvelles sonorités méditerranéennes en Italie ” - Ian Biddle “ Canciones de ida y vuelta : Le nouveau flamenco et le théâtre de différence ” - Isabelle Peere “ Esquisse de l’esprit de résistance aux présences étrangères en Wallonie (1750-1950) ”. 193 Entre Autres

contributions abordaient des cultures de chansons européennes en Europe. Deux d’entre elles (Moulden, Holst-Waraft) traitaient des tensions intra-culturelles exprimées dans l’alignement musical (affinités de l’Est contre l’Ouest dans la musique grecque), ou à travers les rituels collectifs de fidèles (protestants contre catholiques en Irlande). D’après Gail Holst-Warhaft, les paroles des chansons populaires grecques du XXe siècle reflètent une relation ambiguë entre la Grèce moderne et son passé urbain, mais aussi vis-à-vis de son passé européen. Cette ambivalence a de fortes implications politiques. Les chansons d’après guerre (1945) en particulier, illustrent le rejet ou l’admission de l’ “ Oriental ” dans la culture grecque selon les fluctuations de la dynamique politique et culturelle de la société. Depuis les époques de constitution d’une nation pro-Europe de l’Ouest aux tendances plus modernes Est-orientalistes, les mouvements peuvent être documentés par la chanson. Un récent anti-américanisme a favorisé un retour de l’ “ Oriental ” dans la culture grecque, avec de jeunes Grecs retournant à Istanbul pour retrouver ou réapprendre cette part de la culture grecque perdue avec Smyrne (Smyrne fonctionnant ici comme le symbole de la perte de la présence grecque en Asie mineure). En accord avec la musique populaire grecque, ce réalignement sur l’Est (et avec Istanbul en particulier) s’est concentré, durant les années 70, sur le renouveau de la rebeteka – sorte de blues urbain. La communication de Kati Szego aborde le statut du missionnaire face aux tensions culturelles indigènes qui se jouent sur la scène du théâtre musical. Comme l’écrit Kati Szego : “ Avec l’arrivée des missionnaires européens et américains dans les îles Hawaï en 1820, une série de rencontres s’ensuivirent, qui culminèrent lors du renversement en 1893 de la reine Lili’uokalani et de son royaume d’Hawaï. Quatre ans plus tard, lili’uokalani écrivit un livret en anglais pour un opéra comique nationaliste détaillant la révolte de son “ cabinet missionnaire ” et son emprisonnement –commémorant en fait sa propre chute. Alors que Lili’uokalani fait une satire de ses oppresseurs en utilisant la parodie linguistique (par exemple, la mauvaise prononciation yankee des mots hawaïens comme expression du chauvinisme américain), et que les textes montrent l’influence de Gilbert & Sullivan, son travail reste distinctement hawaïen, puisant généreusement dans un corpus de chansons composées auparavant en langue hawaïenne. “ En 1920, Ethel Damon et Jane Winne célébrèrent le centenaire de l’arrivée de leurs ancêtres missionnaires à Hawaï en produisant un grandiose spectacle à Honolulu. Pour cette occasion, le principal moyen d’expression musicale était le récitatif, sur le modèle occidental. Leur livret, qui cache le renversement, reproduit un récit commun colonial qui passe des descriptions de barbaries indigènes à la conversion au catholicisme et à la suprématie ”. Par une analyse attentive des stratégies textuelles utilisées dans ces deux œuvres musicales, Kati Szego expose les tensions politiques et les alignements esthétiques qui émergent de la rencontre des évangélistes américains et européens du XIXe siècle avec les indigènes hawaïens. Les stratégies pour renverser le récit des colonialistes, par exemple, sont illustrées par l’utilisation subtile de la part de Lili’uokalani d’un code linguistique poétique indigène, et d’allusions à des pratiques culturelles que seuls les indigènes peuvent connaître. En allant plus loin, au travers des distorsions et exagérations du langage gilbertien et des techniques stylistiques, le “ langage de l’homme blanc ” (et à partir de là, l’homme blanc lui-même) est ridiculisé. C’est un brillant exemple de l’effet politique que peut produire l’hybridation culturelle et linguistique de la chanson à travers la parodie. Ce genre devint un nouveau et célèbre genre hawaïen. A la lumière de récentes études sur l’“ Autre ” et compte tenu des changements constants provoqués par la migration vers les centres urbains et des adaptations imprévisibles, mais impératives, dues aux affrontements entre guérillas et forces paramilitaires, Susanna Friedmann examina comment un nouveau regard sur les textes et musiques des anciens habitants des basses terres du Pacifique en Colombie peut refléter la conscience d’autres 194 formes de représentation et d’émancipation. La musique est vue comme unique source Among Others pour définir les limites de l’identité culturelle, alors que dans le même temps, elle est un moyen de métissage social, racial et culturel qui intègre les communautés sujettes à la dispersion et dont le patrimoine a été déplacé. Les communautés recomposées reconnaissent ainsi la nécessité de négocier leur présence au sein d’une culture qui tend à s’homogénéiser.

Les inégalités culturelles sont inhérentes au colonialisme, mais elles peuvent aussi résulter (et de façon croissante avec le changement des économies globales et locales) des nouvelles migrations (provoquées extérieurement ou intérieurement) créant ainsi des situations d’“ autres ” vivant “ parmi nous ”. L’Africain dispersé depuis 400 ans, l’“ éternel outsider ”, est ici considéré dans le contexte de la Colombie. Le travail de Susanna Friedmann présente les résultats préliminaires d’un projet d’enregistrement des traditions de musique, chanson et danse des migrants noirs, majoritairement des basses terres du Pacifique, qui émigrent dans les zones urbaines et de villégiature de l’Atlantique181. L’invisibilité relative des migrants, leur volonté d’oublier, leur réticence à se plaindre et la nature transitoire, en soi, de la migration sont cités comme des obstacles à la recherche parmi ce groupe. D’un autre côté, de nouveaux genres musicaux telles les traditions de salsero ou de rumbero, caractérisées par la fusion (reflet de la capacité créole à “ se débrouiller et à s’adapter ”), nous aident à détecter dans la danse de groupes comme Grupo Niche, un nouveau statut culturel en faveur des minorités noires et de leurs cultures musicales. En d’autres termes, selon l’auteur, une lueur d’espoir existe pour l’avenir de ce groupe. En effet, l’occasion de faire du militantisme culturel est la motivation principale pour conduire ce projet de recherche – en dépit d’un manque notable de ressources matérielles pour le mener à bien. Un cas de discordance culturelle fut abondamment illustré par le travail de John Moulden. Un affrontement culturel au sens littéral du terme peut survenir sous la forme d’une musique forte et intimidante – la marche – une arme acoustique dans les guerres de religion en Irlande. La marche peut célébrer la revanche et mener facilement à la violence réelle. Des batailles, dont on se souvient depuis longtemps, peuvent ainsi symboliquement se rejouer et les animosités renaître dès lors que les sites des batailles deviennent les lieux de telles pratiques rituelles collectives. L’Ordre des Orangistes s’est crée suite à un défilé contesté et sa notoriété actuelle résulte d’un conflit annuel à Drumcree, Co. Armagh. “ Les événements du 12 juillet 1849 à Dolly’s Brae (près de Castlewellan, Co. Down), au cours desquels un défilé de l’Ordre des Orangistes fut attaqué et où revanche fut prise sur des habitants innocents de la région, déclenchèrent une enquête publique qui généra deux recueils de témoignages, plusieurs débats parlementaires, la démission de magistrats et l’interdiction de défiler. Encore aujourd’hui, c’est l’objet d’une brochure publiée par l’Ordre des Orangistes ; l’épisode illustre le refus de défendre les droits de chacun à défiler. C’est aussi le sujet d’au moins 17 chansons, dont certaines sont récentes, représentant les deux bords du conflit. Alors que “ King William’s Hill ” est toujours importante dans le clan des Orangistes, elle a été majoritairement oubliée parmi les Catholiques. La communication a comparé le passé historique officiel avec ce qui est raconté dans la chanson, révélant la contradiction de la mémoire historique et le rôle du parti pris culturel et religieux dans cette scène narrative. Dans sa contribution “ La chanson folklorique slovène au carrefour des influences, contacts et oppositions de l’Est, de l’Ouest, du Nord et du Sud ”, considérant l’emplacement stratégique, historique et géographique, de la Slovénie, Marjetka Golež- 181. Ce n’est qu’en 1991 que le gouvernement de Colombie a ouvertement déclaré le pays multiculturel et qu’il a offert protection et droits à la propriété aux groupes ethniques. Dans de nombreux endroits pourtant, puisque aucune force ne pouvait protéger les communautés locales, les guérillas ont pu massacrer des villages entiers en toute impunité. La population parle discrètement à ce propos des disperados. 195 Entre Autres

Kaučič (Directeur de l’institut d’ethnomusicologie, Académie des sciences slovčne, Ljubljana / Slovénie) s’est demandé comment le mélange des cultures et des langages est perceptible dans la chanson traditionnelle slovène (thèmes, mélodies, etc.). Se référant aux textes-mêmes des chansons slovènes, elle a étudié également les attitudes et les estimations de ce qui est perçu comme “ étranger ”. L’“ autre ” est regardé comme étrange et merveilleux (par ex., Indijia Koriomandija – version slovène du mythique pays de cocagne), ou inversement dangereux, hostile et mystérieux. La peur et l’espoir ont cependant laissé leur trace dans les textes des chansons, à mesure que les Slovènes entraient en contact avec différentes cultures. Marjetka Golež-Kaučič a mis en balance ce qui était conçu comme harmonieux entre cultures slovènes et cultures voisines, avec les contributions des Slovènes à ces cultures. Alors que les Slovènes intégraient certains thèmes dans leur propre tradition (par ex., les thèmes allemands d’Adam et Eve, de Lazare), ils exportaient aussi des thèmes indigènes (par ex., la fiancée qui meurt avant son mariage, le thème de la dixième fille, etc.). Les thèmes des chansons (et plus encore) ont voyagé dans les deux directions. Dans cette contribution, la Slovénie apparaît comme un “ carrefour ” et sa tradition de chansons est considérée comme “ ouverte ”, intégrée et mieux comprise dans son contexte culturel européen.

Marija Klobčar (même Institut que précédemment, Ljubljana), avec sa communication “ Une ballade slovène à propos d’un tueur de jeunes filles en France : l’histoire d’un périple de récits ou d’un périple de personnes ? ” a présenté une chanson narrative de la première moitié du XIXe siècle (visiblement d’origine étrangère et qui a laissé sa trace en Slovénie du Nord-Est), le cas du tueur en série de Toulon. En analysant le propos historique, elle s’est demandé en particulier pourquoi avoir situé cette chanson dans une France lointaine et comment l’épisode a bien pu être connu et retenu par les Slovènes. La réponse réside probablement dans un pèlerinage visité par des Slovènes en basse Autriche (depuis le XVIIIe siècle). Mêlés à des pèlerins de diverses origines, ils durent de la sorte prendre connaissance de certaines nouvelles colportées par les hôtes venus d’autres horizons. En outre, cette ballade peut illustrer le rôle important tenu par les chansons dans les batailles entre groupes religieux. Cette chanson semble en effet avoir servi les Jésuites pour propager la Contre-Réforme, reflétant le sentiment anti-français à Andernach (le site de pèlerinage rhénan en question). Les exposés de Marij Klobčar et de John Moulden soulignent le rôle politique des chansons, outils de propagande culturelle et religieuse. D’autres textes vont dans le même sens : Mari Sarv (Archives Estoniennes de Folklore), compare l’ancien style de composition “ formulaic oral ” dans le dit “ code poétique du Kalevala ” de la chanson traditionnelle balto-finnoise, avec les styles plus récents. L’article aborde le processus de création poétique à travers l’analyse des textes et des commentaires personnels de leurs interprètes. Lada Buturovic (titulaire d’un DEA, Sarajevo) étudie quant à elle le cas d’une œuvre littéraire orale (la ballade tragique de la noble femme d’Hasanaginica) qui a fait son chemin en littérature, sous la forme d’un roman d’Irfan Horozovic, Le Kadi d’Imotski. Le thème de la ballade a également fait son chemin dans la littérature slave, italienne (Viaggio in Dalmazia, 1744), allemande (chez Goethe) et française, mais c’est la nouvelle bosniaque qui a le mieux saisi le propos de la ballade. Lada Buturovic étudie le trajet de la ballade au cours des élaborations littéraires. Selon elle, la nouvelle présente la Bosnie (au travers des yeux de son héros et auteur) simultanément comme un centre et une frontière, puisque son intrigue se déroule d’Ouest en Est et vice-versa, couvrant le territoire entier de l’ancien empire ottoman (Imotski, Mostar, Budapest, Dubrovnik, Istanbul, Damas, Alexandrie). Pour l’auteur les questions abordées dans cette nouvelle ont rapport à la tolérance en Méditerranée. Le positionnement géographique revient comme un leitmotiv à travers différentes communications. A cet égard, la métaphore de “ carrefour ” (traditionnellement utilisée 196 en référence à la Méditerranée entière dans l’érudition méditerranéenne) s’applique ici à Among Others plusieurs lieux : Slovénie, Grèce, Bosnie. Cette curieuse tendance à considérer une culture comme point focal de divers chemins s’y entrecroisant peut souligner une tendance loco-centrique, ou au contraire refléter vraiment les axes empruntés par les échanges commerciaux et culturels. Dans tous les cas, le terme “ carrefour ” se révèle être résistant et plutôt adapté. En d’autres mots, situer quelqu’un géographiquement peut impliquer plus que la considération cartographique ou même historique, et révéler plutôt des alignements politiques subtils et/ou manifestes, à la fois historiques et contemporains, puisque des axes Nord-Sud aussi bien que Est-Ouest ont été définis. La variété des exposés présentés ici a donné l’occasion de réfléchir sur les différentes manières de “ considérer l’autre ” par les cultures et les états dans le monde, à travers tout un registre de variables : raciales, ethniques et religieuses de cultures en véritablement en contact (Africain et Colombien issu d’Espagnol – Américain et Hawaïen, protestant et catholique irlandais) ou autres, imaginées ou projetées sur des traditions étrangères (dans le cas des deux textes slovènes), jusqu’à des visions de sociétés en train de se construire (européenne, colombienne, ou autre) qui embrassent les différences et transcendent les limites.

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Song Cultures in Contact: Oppositions and Affinities

Luisa Del Giudice

Italian oral history Institute

A series of three panels held on Tuesday, April 27, 2004, considered the theme of song cultures in contact in European and European diaspora contexts. Historic and contemporary case studies presented opportunities for examining cultural collision and opposition, as well as cultural alignment and synergy, through song texts and cultural contexts. Sponsored by the largest and most active of the SIEF working groups, the KfV (Kommission für Volksdichtung/ International Ballad Commission/ Commission pour l’étude de la chanson populaire; cf. http://www.KfVweb.org), and chaired by Luisa Del Giudice, KfV president), these panels brought together scholars treating song traditions of Slovenia, Bosnia, Greece, Ireland, Estonia, Hawaii, and Colombia—a global sweep embracing three continents and many culture zones.182 Approaches varied widely and, while some fully centered on the proposed theme, others did so tangentially. All papers historically contextualized their discourse. Contributions which directly addressed issues of opposition were those of: Gail Holst-Warhaft, Director of the Institute for European Studies at Columbia University (“Orientations: Greek Urban Song and the Eastern Question”); Susana Friedmann of the Instituto de Investigaciones Estéticas of the Universidad Nacional de Colombia (“Parodying the Other in Times of Violence”); Kati Szego, of the School of Music and Dept. of Folklore, Memorial University, St. John’s, Canada (“Constructing the Missionary Through Song: Native Hawaiian and Colonial Perspectives”); and John Moulden (Centre for the Study of Human Settlement and Historical Change, National University of Ireland Galway, and the Folk Music Society of Ireland), “We named the place “King William’s Bridge” and “Dolly’s Brae” no more.” Two of the papers (Friedmann, Szego) considered the non- or anti-European perspective of non-European ethnic groups: African-descended migrants in Columbia, and indigenous Hawai’ians vis-à-vis American missionaries to the island. In this sense, they highlighted negative legacies of colonialisms (European and American), as reflected in colliding (song) cultures and “resolved” through various strategies, from musical fusion (Columbia) to parody (Hawai’i). The remaining papers dealt with European song cultures in Europe per se. Two of them (Moulden, Holst- Warhaft) dealt with intra-cultural tensions as expressed through musical alignment 182. Of the eleven scheduled papers, three were not presented: Goffredo Plastino “Navigando: New Mediterranean Sounds in Italy”; Ian Biddle, “Canciones de ida y vuelta: New Flamenco and the Theatre of Difference”; and Isabelle Peere, “Esquisse de l’esprit de résistance aux présences étrangères en Wallonie (1750-1950).” 199 Entre Autres

(Eastern vs. Western affinities in Greek music), or through collective partisan rituals (Irish Protestant vs. Catholic). Holst-Warhaft considered the lyrics of popular Greek song texts of the 20th century as they reflected an ambiguous relationship between modern Greece and its urban past, but also vis-à-vis its European past. This ambivalence had strong political implications. Post- World War II songs, in particular, demonstrated rejection or acceptance of the “Oriental” in Greek culture according to fluctuations in the political and cultural dynamics of the society at large. From its pro- (Western) Europe nation-making times to more modern East/Orientalist-leaning tendencies, shifting alliances can be documented through song. More recent anti-Americanism favored a swing back to the “Oriental” in Greek culture, with young Greeks returning to Istanbul to recover or relearn that part of Greek culture lost with Smyrna (Smyrna here functioning as symbol of the loss of Greek presence in Asia Minor). With respect to Greek popular music, this realignment with the East (and with Istanbul, in particular), focused, during the 1970’s, on the revival of rebeteka— urban blues music. Szego’s paper examined the missionary vis-à-vis Native cultural tensions as they played out in the arena of musical theatre. As Szego wrties: “With the arrival of European American missionaries in the Hawaiian Islands in 1820, a series of encounters followed, which culminated in the 1893 overthrow of Queen Lili’uokalani and her Kingdom of Hawai’i. Four years later, Lili’uokalani penned an English libretto for a nationalist comic opera detailing the revolt of her “missionary cabinet” and her subsequent imprisonment”—and in effect, commemorating her own removal. While Lili’uokalani satirized her oppressors using linguistic parody (e.g., Yankee mispronunciation of Hawaiian words as an expression of American chauvinism), and texts bearing the influence of Gilbert & Sullivan, her work remained distinctively Hawaiian, drawing liberally from her corpus of previously-composed Hawaiian-language songs. “In 1920, Ethel Damon and Jane Winne celebrated the centennial of their missionary ancestors’ arrival to Hawai’i by producing a grandiose pageant in Honolulu. For this occasion, Damon and Winne’s primary musical medium was the recitative, also patterned after Western European models. Their libretto, which obscured the overthrow, replicated a common colonial narrative that moved from descriptions of indigenous “barbarism,” to Christian conversion and supremacy.” In a careful analysis of textual strategies used in these two musical works, Szego exposed the political tensions and aesthetic alignments that emerged from the encounter between 19th-century European American evangelists and Native Hawaiians. Strategies for subverting the colonialist’s narrative, for instance, could be exemplified by Lili’uokalani’s subtle use of an indigenous poetics, linguistic code switching, and allusions to cultural practices only insiders could know. Further, through distortion and exaggeration of Gilbertian language and stylistic techniques, the “white man’s language” (and hence the white man) could be made to look ridiculous. This is a brilliant case of how cultural and linguistic hybridity in song through parody, could produce political effect. This genre of hybridity became a new and celebrated Hawaiian genre. Friedmann examined how, “in the light of recent studies of “the Other” and in view of the constant changes brought about by migration to urban centers, as well as to adaptations that were unpredictable but imperative, due to clashes between guerilla and paramilitary forces, a new look at song texts and music of former inhabitants of Colombia’s Pacific Lowlands can reflect the awareness of other forms of representation and empowerment. Music is seen as a unique source for defining limits of cultural identity, while at the same time it is a means of crossing social, racial and cultural barriers in order to integrate communities that were subject to dispersion and whose heritage has been displaced. Communities that have been reconfigured have recognized the need to negotiate their 200 presence within a culture that tends toward homogenization.” Among Others

Cultural inequalities are inherent to colonialism, but they can result (and increasingly so with shifting global and local economies) with new migrations (whether externally or internally-induced) creating situations of “others” living “amongst us.” The 400- year diasporic-African, the “eternal outsider,” is here considered in the Columbian context. Friedmann’s paper presented preliminary results of a special project to record the music, song and dance traditions of Black migrants, largely from the backlands of the Pacific, who migrate to Atlantic urban and resort183 areas. Migrants’ relative invisibility, their will to forget, their reluctance to complain, and the transitory nature, per se, of migration, are cited as obstacles to research among this group. On the other hand, new musical genres such as the salsero or rumbero traditions, characterized by fusion (reflecting Creole “ability to cope and adapt”), help us detect in the dance music of groups such as Grupo Niche, a new and affirmative cultural status for Blackness and its music cultures in Columbia. In other words, some glimmer of hope exists for this group’s future, according to Friedmann. Indeed, the opportunity for cultural activism is cited as a major incentive for carrying out this research project—despite a notable lack of material resources to do so. A case of cultural dissonance was abundantly exemplified in Moulden’s paper. Literal culture clash can come in the form of loud and intimidating music—the march—an acoustic weapon in Irish religious wars. The march can celebrate revenge and lead easily into actual violence. Long-remembered battles can be thus symbolically reenacted and animosities re-engendered as battle sites become loci of such collective ritual practices. The Orange Order had its foundation in a disputed march and owes its modern notoriety to an annual disputation at Drumcree, Co. Armagh. “The events of 12th of July 1849 at Dolly’s Brae, near Castlewellan, Co. Down, in which an Orange march was attacked and where revenge was taken on innocent residents of the area, were followed by a Public Inquiry which generated two books of evidence, several Parliamentary debates, the dismissal of magistrates and a ban on processions. Even today it is the subject of a booklet published by the Orange Order; the episode is presented as an example of how not to defend one’s right to march. It is also the subject of at least seventeen songs, some recent, representing both sides of the conflict.” While “King William’s Hill” is still important among the Orange side, it has been mostly forgotten among Catholics. This presentation compared the official historic record with that recounted in song, revealing the contestation of historic memory and the role of cultural and religious bias in that narrative arena.

The contribution of Marjetka Golež-Kaučič (Director of the Glasbenonarodopisni inštitut (or Ethnomusicology Archives) ZRC SAZU, Ljubljana), “Slovene Folk Song at the Crossroads of Influences, Contacts and Oppositions of the East, West, North and South,” examined the historic and geographic location of Slovenia as a “thoroughfare” and how “blending of cultures and languages,” is traceable in the Slovene song tradition (e.g., in its motifs, melodies, etc.). It also considered emic attitudes and assessment of what was perceived as “foreign” within the texts of Slovene songs themselves. That is, the “other” is either viewed as strange and wondrous (e.g., Indijia Koriomandija – the Slovene version of the mythic Land of Cockaigne), or conversely as dangerous, hostile, or mysterious. Both fear and hope are therefore recorded in song texts, as Slovenes came into contact with different cultures. Golež-Kaučič balanced what was conceptualized as harmonious between Slovene and neighboring cultures, with contributions Slovenians made to those cultures. While Slovenes integrated motifs into their own tradition

183. In Columbia only in 1991 did the government finally openly declare the country multicultural and offered protection to ethnic groups and their property rights. But because, in many areas no central force could protect local communities, guerrillas could massacre entire villages with impunity. 201 Entre Autres

(e.g., the German motifs of Adam and Eve, Lazarus), they also exported indigenous motifs (e.g., the bride who dies before her wedding; the 10th daughter motif, etc.). Song motifs (and more), in other words, traveled in both directions. She spoke of Slovenia as a “crossroads” and considered its song tradition an “open” one, integrated into, and better understood, through its European cultural context.

In Marija Klobčar’s (also of the Glasbenonarodopisni inštitut ZRC SAZU), “A Slovene ballad about a killer of young women in France: a tale about a journey of exciting stories or a tale about a journey of people?” presented a narrative song from the first half of the 19th-C (of obviously foreign origin, and recorded in north-eastern Slovenia), the case of the serial killer of women from Toulouse and considered what the historic meaning of situating this song in a far-off France might be, and how it might have become known to Slovenes. Klobčar demonstrated how it was likely Slovenes traveling to a pilgrimage site in lower Austria (from as early as the 18th-C), which brought them together with pilgrims of diverse origin and where, as guests staying with Germans, they also may have learned about their hosts’ attitude towards different nations. Further, the ballad may represent an example of how songs figured in the battle between religious groups, as this particular ballad seems actually to have been promoted by the Jesuits as a piece of Counter-Reformation propaganda, reflecting the anti-French sentiment in Andernaut (the pilgrimage site in question). Both Klobčar and Moulden’s papers highlighted the role of songs in partisan politics as they functioned as a medium of cultural and religious propaganda. Other papers included: Mari Sarv, (Estonian Folklore Archives), who considered the older “oral formulaic” style of composition in the so-called “Kalevala poetic code” in the Balto-Finnic song tradition, as opposed to the more recent styles. The paper examined the creative poetic process through the analysis of texts and singers’ personal commentary on them. Lada Buturovic (titulaire D.E.A., Sarajevo) instead examined the case of an oral literary work (the tragic ballad about the noble wife of Hasanaginica) which made its way into literature, in the form of a novel by Irfan Horozovic, The Kadi from Imotski. The ballad theme made its way into Slavic, Italian (Viaggio in Dalmazia, 1774), German (by Goethe), and French, but it was the Bosnian novel which best captured the ballad’s core. She examined the ballads journey through literary elaborations and considered the novel’s presentation of Bosnia (as seen through the eye of its hero and writer), as center and frontier simultaneously, as its plot travels from West to East and East to West, covering the entire territory of the former Ottoman Empire (Imotski, Mostar, Budapest, Dubrovnik, Venice, Istanbul, Damascus, Alexandria). She considered the novel’s core issues as they related to tolerance in the Mediterranean. Indeed, emerging as a leitmotiv throughout various papers was one of geographic positioning. Interestingly, in this regard, the metaphor of the “crossroads” (traditionally used to refer to the entire Mediterranean in Mediterraneanist scholarship) here applied to multiple geographic loci: Slovenia, Greece, Bosnia. This curious tendency to see one’s culture at the focal point of several intersecting paths, may either highlight a loco-centric bias, or may actually reflect well-traveled roads of commercial and cultural exchange. In any case, “crossroads” proves a resilient and rather adaptive term. Situating oneself geographically in other words, may entail more than cartographic or even historic consideration, and reveal instead subtle and/or overt political alignments, both historic and contemporary, as North/South as well as East/West axes are (being) defined. Further, the variety of papers presented here offered the opportunity to reflect on the diverse nature of “othering” practiced by cultures and states throughout the world, through a full range of variables: from racial, ethnic, and religious variables of cultures in actual contact (African vs. Spanish-derived Columbians; American vs. Hawai’ian, Protestant vs. Catholic Irish), or imagined others, received through, or projected onto foreign 202 traditions (as in the two Slovenian papers presented here), to projected visions of societies Among Others in the making (European, Columbian, or other) which embrace difference and transcend boundaries. by Luisa Del Giudice ([email protected]) Director, Italian Oral History Institute, Los Angeles (President of the SIEF-Working Group: KfV - Kommission für Volksdichtung/ International Ballad Commission/ Commission pour l’étude de la chanson populaire).

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De l’état-nation au parfum de la lavande : la Méditerranée comme un état d’esprit

Mary Bouquet Université d’Utrecht

Nélia Dias ISCTE, Département d’Anthropologie sociale

Le but de cet atelier était d’explorer la “ Méditerranée ” dans une perspective comparative du point de vue des politiques patrimoniales. Historiquement, la Méditerranée a été définie par des caractéristiques géologiques, climatiques, géographiques et biogéographiques et a été synonyme de civilisation européenne. La question que nous voulions explorer est celle de la représentation de la Méditerranée comme “ héritage ”, “ patrimoine ”, “ culture ” et “ civilisation ” au sein des Etats européens contemporains (et au-delà), et de ses variations selon les pays considérés. Comment les musées et les autres institutions patrimoniales fabriquent-ils activement les fron- tières des cultures ou des civilisations labellisées comme “ méditerranéennes ” ? Les partici- pants étaient invités à examiner l’unité et la diversité de ce concept à travers des études de cas spécifiques relatives aux politiques patrimoniales et aux controverses entourant les expositions présentées par les musées.

1 - Classicisme, consumérisme et la Méditerranée comme un “ style de vie ” Judith L. Goldstein (Vassar College) Comment s’opère la “ muséumification ” de la Méditerranée comme “ style de vie ” pour ceux qui en dehors de la région travaillent avec et contre ces conceptions régionales, telle était la question soulevée dans l’article de Judith Goldstein. Le “ style de vie ” méditerranéen – patrimoine au quotidien – a été élaboré dans les années 1950 quand le consumérisme a rejoint le classicisme un des fondements de l’attraction de la région. Dans son texte, Judith Goldstein suggère que le triumvirat autour duquel s’articule cet art de vivre - maison, nourriture et mœurs des habitants – déborde la traditionnelle vision du musée folklorique, de la même façon que l’expérience acquise d’un écrivain expatrié en Provence ou en Toscane fait écho à celle d’un anthropologue en temps qu’initié ou étranger. Dès le début des années cinquante, les Américains participèrent à un nouveau tourisme, promu par les récits et films de voyage, dans lesquels une tasse de café bue dans un café dominant le Panthéon était aussi importante, d’une certaine manière, que le Panthéon lui-même. Dans sa communication Judith Goldstein essaye d’apporter une perspective complémentaire à la question de la construction du patrimoine en analysant la 205 Entre Autres

façon dont la plupart des idées classiques sur le patrimoine (de la Méditerranée en temps qu’héritage des états européens du Nord et du nouveau monde) avaient été transformées en un attractif style de vie dont les étrangers pourraient avoir leur part -- à travers le voyage, une résidence à l’étranger, et même à l’étranger, à travers l’adaptation de la cuisine méditerranéenne ou du style méditerranéen pour leur maison. Il essayait aussi d’expliquer comment les musées locaux co-existent ou se mettent en compétition avec cette “ muséumification ” de tous les jours. Quel impact, s’il y en a un, a cet art de vivre méditerranéen sur la représentation de la Méditerranée comme héritage, patrimoine, culture et civilisation au sein des Etats européens contemporains (et au-delà) ? Quelle est, en somme, la contribution du consumérisme à la construction des traditions entrelacées de classicisme et d’arts et traditions populaires en Méditerranée ? En se fondant sur les guides et récits de voyage de langue anglaise, Judith Goldstein nous montre comment ces livres sont des guides de style de vie autant qu’ils sont des livres de voyage. La culture issue de ces ouvrages peut être transmise à travers la propriété (maisons), la possession (objets matériels, recettes), et la reproduction et peut être perçue à travers l’appréciation des coutumes locales et des objets. Dans ces ouvrages, le succès de l’idée de culture est due à la mise en avant de la différenciation locale alors que le contexte de globalisation et homogénéisation des cultures est toujours occulté.

2 – Aux limites de la Méditerranée : les patrimoines coloniaux et nationaux en jeu, Syrie 1922-1946

Heghnar Watenpaugh (MIT) Dans l’entre-deux guerres, le nouvel état-nation de Syrie était taillé dans l’empire ottoman et placé sous mandat français. Au travers de ce large thème de politique culturelle de la Syrie, l’article d’Hegnar Watenpaugh montre le chevauchement de deux mouvements qui rivalisent parfois au cœur de la gestion de la culture du nouvel état : l’élaboration d’un passé national arabo-musulman pour la Syrie et l’élaboration d’un passé français dans la région avec les monuments des Croisés. L’auteur compare deux projets-phares de la période, la création d’un musée national à Damas, et la restauration du Krak des Chevaliers, un château croisé. Chaque projet avait pour but de créer un passé distinct, ainsi qu’un héritage distinct, dans l’espace du même état-nation. La comparaison est fructueuse car elle révèle les mécanismes et les présupposés de la construction du patrimoine, ainsi que la récupération de “ passés utilisables ”, dans une période d’intense réorientation culturelle. A travers une étude détaillée de cette période particulière, la communication d’Hegnar Watenpaugh met en évidence comment la production du savoir à propos du passé est loin d’être un processus naturel : elle peut émerger “ en tant que site contesté ” à “ l’établissement d’identités nouvelles ou recherchées ”. De plus, les “ passés utilisables ” qu’il décrit font référence non seulement aux états naissants mais aussi aux anciens pays colonisateurs comme la France.

3 - Un pont sur la Méditerranée : la preuve du patrimoine représentatif du Maroc à l’Expo 2000

Alexa Färber (Berlin, Humboldt Universität) 206 La participation nationale du Maroc à l’Expo 2000 d’Hanovre était inscrite dans Among Others une topographie qui faisait écho aux relations de pouvoir à travers l’usage d’outils technologiques face à des outils d’exposition. La stratégie de communication marocaine plaçait l’architecture (depuis la mise en scène des expositions de musée jusqu’aux représentations culturelles) dans une vision globale coloniale. Cela résultait d’un patrimoine représentatif qui comptait la plupart des objectifs théoriques qui avaient été formulés par l’équipe du projet. Cette manœuvre était justifiée par la volonté de capter l’attention du public en utilisant les stratégies de présentation et ensuite exposer le Maroc réel avec les outils technologiques. Basée sur des recherches sur le terrain à Rabat et à Hanovre durant l’Expo 2000, la communication d’Alexa Färber explique qu’à travers cette représentation stéréotypée, la Méditerranée était incluse par le Maroc, qui s’envisage lui-même comme un pont entre l’Afrique et l’Europe, l’Est et l’Ouest, la tradition et la modernité. La Méditerranée représente une culture hybride, un cadre historique pour la rencontre des civilisations, un territoire de rencontre entre les cultures. L’auteur a examiné la relation entre cette identification spécifique de et avec la Méditerranée, le patrimoine représentatif et les “ correspondances médiales ” sur lesquelles est basée la participation du Maroc. Les trois communications ont mis en évidence un certain nombre de problèmes théoriques qui peuvent être résumés en quatre points :

1. La Méditerranée comme état d’esprit L’un des aspects les plus frappants des contributions de l’atelier Construire le patrimoine : l’héritage méditerranéen fut de montrer comment la notion de Méditerranée est devenue un concept de nomadisme ou au moins migratoire (avec des bagages). D’une référence à une localisation géographique, la Méditerranée est devenue plus une référence à un état d’esprit malgré sa dimension spatiale. Les trois cas présentés montrent clairement un glissement de la situation d’état-nation, avec de solides monuments d’un patrimoine tangible (comme poussé et écartelé entre les parties intéressées de la Syrie) à travers un patrimoine représentatif (avec des agents travaillant à modeler une représentation du Maroc, ex situ à Hanovre)184, patrimoine façonné avec en vue l’idée d’une expérience du public, vers une Méditerranée vécue comme un style de vie parmi la population anglophone cossue, le parfum des lavandes, et les Américains et Anglais expatriés (à la maison et à l’étranger) dans le sud de la France qui écrivent et lisent des best-sellers.

2. De l’observation à l ‘expérimentation Comme Barbara Kirshenblatt-Gimblett l’a démontré, les musées (mais nous pouvons aussi ajouter le patrimoine) ont vu s’opérer, par le biais du marketing, un glissement de l’expérience du voir à l’expérience du faire (restaurer, faire la cuisine, se cultiver, ressentir). Cette transition peut être suivie depuis la notion d’authenticité matérialisée par les ruines et un patrimoine classique jusqu’au réalisme touristique du cappuccino siroté au milieu de ruines. Parmi les différentes expériences, l’expérience sensorielle joue un rôle primordial à Expo 2000 – “ le parfum des épices et des fleurs d’oranger ” - de manière à transporter les visiteurs dans un autre monde. Les communications présentés oscillent de façon intéressante entre l’héritage externe et interne, entre ce qui peut être appelé le bien public et la bonne vie domestiquée. Cette observation met en exergue le problème de la transmission du patrimoine comme un style de vie domestiqué ainsi que 184. A. Färber distingue le patrimoine représentatif du patrimoine culturel, le premier étant « le résultat d’une politique du patrimoine qui sous-tend des considérations complexes à propos du positionnement futur global, international et régional, en plus d’être le moyen le plus direct d’attirer 207 les touristes ». Entre Autres

de son expression matérielle.

3. Le goût Les formes de patrimoine dont traitent les communications ont aussi à voir avec le goût : des monuments acceptables (comme le note Hegnar Watenpaugh), ce que nous étions autorisés à voir “ lors d’une année donnée, est une fonction que les anciennes générations d’utilisateurs urbains nous ont léguée ”, un spectacle acceptable du Maroc (“ c’est tout juste comme la place Djemaa-el-Fna de Marrakech, sans les cris des marchands ”), et une Méditerranée acceptable par l’esprit. Les formes de distinction, classe et autre, sont clairement impliquées dans les best-sellers, les séries TV et les films qui tendent à établir un canon. Le goût peut aussi être regardé comme une forme d’alphabétisation culturelle où les signes distinctifs appropriés sont le résultat de processus historiques de criblage. Ces processus contribuent au maintien de structures sociales de classes divisées. Les classes moyennes d’une nationalité peuvent affirmer leur alphabétisation culturelle (goût) en s’appropriant les pratiques abandonnées par une autre nationalité ou classe pour établir leur authenticité, et transformer ces pratiques en capital culturel. Ces appropriations matérielles et symboliques trans-nationales ajoutent une dimension supplémentaire à l’habitus comme un ordre historiquement structuré, qui se reproduit, durable et qui maintient la structure sociale de classes divisées puisqu’il entraîne “ découverte ”, revalorisation et rajeunissement des signes et pratiques abandonnés lors du processus de modernisation. Cela a transformé en patrimoine domestiqué le site compliqué d’un combat hégémonique : le renouveau de certaines attitudes, croyances et valeurs par les membres d’élites transnationales défie doublement ceux qui les ont modernisées.

4. Protection et exclusion La question de la protection est liée à la question de la distinction : protéger peut induire l’exclusion (comme dans le cas du Krak à qui l’on n’a jamais restitué son ancienne fonction de village) ; ou l’exclusion de toute allusion à l’Islam (comme le cas du Maroc à Expo 2000) ; ou l’exclusion de toute forme de modernité – sans saveur – de la part des propriétaires expatriés. Les conservateurs conventionnels veillent sur la restauration du Krak ; les architectes sont impliqués dans la transmission de points de vue conservateurs à Hanovre ; alors que les propriétaires de maisons conservent vin et huile d’olive en Provence. Les récits de ces propriétaires de maisons (parlant de nourriture et de maisons) sont des points de départ ethnographiques pour analyser ces processus. Le patrimoine est façonné et non trouvé. Il est constitué. On travaille activement à son sujet, à travers le temps et de toutes parts. La communication de Hegnar Watenpaugh démontre abondamment ce processus. Les sites dont il est question dans sa communication furent d’abord considérés comme des “ ruines ”, puis ils furent « canonisés » en temps que monuments dans les années trente. Bien qu’ils se trouvent aujourd’hui dans le même pays aujourd’hui, les circonstances des années trente ont fait de ces sites des endroits pour le souvenir et la célébration de passés radicalement différents, passés qui ont été rédigés comme des histoires nationales. En temps que processus, le patrimoine concerne et les groupes et les individus – en affirmant que “ les utilisateurs d’espaces architecturaux ” sont “ des agents actifs dans la mise en forme de la signification ” des espaces aussi bien que ceux qui les conçoivent, la communication de Hegnar Watenpaugh ouvre la voie à une approche de cette signification rendue visible au travers des “ inscriptions, restaurations, modifications, démolitions 208 partielles et effacements ” - devenant ainsi non seulement un sujet qui concerne tout le Among Others monde mais aussi une question de style de vie et d’expérience personnelle. Dans un certain sens, la privatisation du patrimoine – rendue possible avec l’extension de la notion de patrimoine de façon à inclure la dimension immatérielle, constitue l’un des aspects les plus intéressants et révélateurs des changements que cette notion a opérés depuis ces dernières décennies.

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From Nation-State to Sniffing Lavender: the Mediterranean as a State of Mind

Mary Bouquet University College, Utrecht University

Nélia Dias ISCTE, Departamento de Antropologia social

The aim of this workshop was to explore the category ‘Mediterranean’ from the comparative perspective of heritage. Historically the Mediterranean was defined by certain geological, climatic, geographical and biogeographical characteristics and was synonymous with European civilisation. The issue we wanted to explore was how the ‘Mediterranean’ figures as ‘heritage’,patrimoine ‘ ’, ‘culture’ and ‘civilisation’ in (and beyond) contemporary European states, and how that varies according to national tradition. How do museums and other forms of heritage actively constitute the boundaries of cultures or civilisations conceptualised as ‘Mediterranean’? Participants were invited to explore the unity and diversity of this concept through specific case studies concerning heritage policies and controversies surrounding museum displays. The three papers presented helped to determine the focus the present report accordingly.

1) ‘Classicism, Consumerism and the Mediterranean as a “Way of Life”’

Judith L. Goldstein (Vassar College)

How does the “museumification” of the Mediterranean as a “way of life” for those outside the region work with and against these regional conceptualizations, was the question raised by Goldstein’s paper. The Mediterranean “way of life”--patrimony as everyday life--has been elaborated since the 1950s as consumerism joined classicism as a basis for the region’s appeal. In her paper, Goldstein suggests that the triumvirate around which this commercialized “way of life” revolves-- home, food and the mores of local inhabitants--encroach on the traditional purview of the folklore museum, just as the learning experiences of the expatriate writer living in Provence or Tuscany echo those of the anthropologist as insider/outsider. Beginning in the early fifties, Americans participated in a new “lighthearted tourism,” promoted in travel journals and films, in which the cup of coffee drunk at a cafe overlooking the Pantheon was as important, in its own way, as the Pantheon itself. Goldstein’s paper attempted to bring a complementary 211 Entre Autres

perspective to the discussion of making heritage by analyzing the ways in which more classical ideas of patrimony (of the “Mediterranean” as the heritage of the “Northern” European states and the “New World”) have been transformed into an appealing “way of life” in which people from outside the region could have a share--through travel, expatriate residence, and, even abroad, through the adaptation of “Mediterranean cuisine” or “Mediterranean style” for their homes. It attempted also to ask how do local museums coexist or compete with this “museumification” of everyday life. What impact, if any, do these “style of life” conceptions of the Mediterranean have on the figuring of the Mediterranean as “’heritage’, ‘patrimoine’, ‘culture’ and ‘civilisation’ in (and beyond) contemporary European states?” What, in sum, is the contribution of consumerism to the entwined traditions of classicism and “popular arts and traditions” in the Mediterranean? Focused on English speaking guide books and travel books, Goldstein points out how these books are ‘life-style’ guides as much as they are travel guides. The culture derived form these books can be transferred through ownership (houses), possession (material objects, recipes), and reproduction (of the above and of cuisine), and can be known intuitively through the appreciation of local customs and artifacts. The success of the idea of culture in these books depends, argues Goldstein, on the foregrounding of local and locatable difference in the context of a global conformity which is deeply backgrounded.

2) At the Mediterranean’s Edge: Colonial and National Patrimonies in Play, Syria 1922-1946

Heghnar Watenpaugh (MIT)

In the interwar period, the new nation-state of Syria was carved out of the Ottoman Empire and placed under French Mandate. Within this broad theme of cultural politics of Syria, Hegnar Watenpaugh’s paper focused on two overlapping, sometimes competing movements within the management of culture in the new nation: the elaboration of a national, Arab-Muslim past for Syria, and the elaboration of a French past in the region, focusing on Crusader monuments. In her paper, she compared two major projects of the period, the creation of the national museum in Damascus, and the restoration of the Krak des Chevaliers, a Crusader castle. Each project aimed at creating a distinct past, and a distinct patrimony, in the space of the same nation-state. The comparison is fruitful because it reveals the mechanics and agencies of the construction of patrimony, and the reclamation of ‘usable pasts’, in a period of intense cultural reorientation. Through a detailed analysis of a particular period, Watenpaugh’s paper points out how “the production of knowledge about the past” is far from being a neutral process: it can emerge “as a contested site” for the “staging of new or recast identities.” Moreover the “usable pasts” described by Watenpaugh refer not only to emerging states but also to former colonizers, such as France.

3) Bridging the Mediterranean: On the Evidence of Representational Heritage in the case of Morocco at Expo 2000 Alexa Färber (Humboldt University Berlin)

Morocco’s national participation at Expo 2000 in Hanover was inscribed into a 212 topography that echoed global power-relations through the uses of technological vs. Among Others presentational exhibition tools. The Moroccan communication strategy placed the architecture (from the staging of museum exhibits to the cultural performances) into an overall colonial visuality. This resulted in a representational heritage that countered many of the theoretical goals that had been formulated by the project-team. This manoeuvre was rationalised as a means of capturing public attention first by using presentational strategies, and then displaying a “real Morocco” with technological tools. Based on fieldwork in Rabat and at Expo 2000, Färber’s paper argues that within this situational stereotyped representation the Mediterranean was incorporated by Morocco, envisioning itself as a bridge between Africa and Europe, East and West, tradition and modernity. The Mediterranean stood for a culture of hybridity, a historical frame for the meeting of civilizations, a territory of encounter between cultures. The paper examined the relation between this specific identification of and with the Mediterranean: the representational heritage and the ‘medial correspondences’ that the national participation of Morocco was based on. The papers raised a number of theoretical issues which can be summarized as four points:

1. Mediterranean as a state of mind

One of the most striking aspects to emerge from the contributions to the workshop Making Heritage: the Case of the Mediterranean was how the notion of Mediterranean has become a nomadic or at least a migratory concept (with baggage). From referring to a geographical location Mediterranean has come to refer more to a state of mind regardless of its spatial dimension. The three cases presented at the workshop clearly instantiate a shift from the nation-state-based, solid monuments of tangible UNESCO- 1972-like heritage (as pushed and pulled between the interested parties in Syria); through representative heritage (with agents at work in moulding a likeness of Morocco, ex situ in Hanover)185 made with a specific idea of public experience in view; to the Mediterranean as a state of mind among well-heeled English-speaking, lavender-sniffing, best-seller- writing and reading American and British expatriates (at home and abroad) in the south of France.

2. From looking to experiencing

As Barbara Kirshenblatt-Gimblett has demonstrated museums (but we can also add heritage) have, due to their market-driven transformation, seen a shift from experience based on looking to experience based on doing (restoring, cooking, cultivating, sensing). This transition can be tracked from authenticity materialised as ruins and classical heritage to the tourist realism of sipping a cappuchino in sight of the ruins. Among the different sorts of experience, sensorial experience plays a central role at Expo 2000– ‘the scent of spices and orange flowers”- in order to transport visitors to another world. The papers presented at the workshop alternate in an interesting way between externalised and internalised heritage, between what may be termed the public good and the domesticated good life. This observation raises the issue of how domesticated heritage-as-a-state-of-mind as well as its material expression is transmitted?

185. Färber makes a distinction between representative heritage and cultural heritage, the first being “the result of a heritage policy that underlies complex considerations about future global, international, and regional positioning, besides the more direct goal of attracting tourists.” 213 Entre Autres

3. Taste

The forms of heritage that the papers deal with are also about taste: acceptable monuments (as Watenpaugh notes, what we are allowed to see “in any given year, is a function of what previous generations of urban users bequeathed us”), an acceptable spectacle of Morocco (“it is just like on the plaza Djemaa-el-Fna in Marrakech, but without merchants’ cries”), and an acceptable Mediterranean of the mind. Forms of distinction, class and otherwise, are clearly involved in the best-selling books, TV series and films that end up by establishing a canon. Taste can be regarded as a form of cultural literacy where the appropriate distinctive signs are the outcome of historical processes of sifting and sieving. These processes contribute to maintaining class-divided social structures that inter-digitate in the heritage field via complex trans-national forms. The middle classes of one nationality may assert their cultural literacy (taste) by appropriating the discarded practices of another nationality and class for their authenticity, and transforming those practices into cultural capital by writing about them. This trans-national material and symbolic appropriation adds a further dimension to habitus as an historically structured, reproducing and durable order maintaining class divided social structure since it involves ‘discovery’, revalorisation and revamping of signs and practices abandoned in the process of modernisation. This makes domesticated forms of heritage a complicated site of hegemonic contest: the revival of selected attitudes, beliefs and values by members of transnational elites doubly challenges those who have modernised.

4. Preservation and exclusion

The question of preservation is tied up with the issue of distinction: preserving may involve excluding (as in the case of the Krak which was never restored to its former function as a village); or excluding any allusion to Islam (as in the case of Morocco at Expo 2000); or excluding any form of – tasteless – modern elements on the part of ex- patriot home-owners. Conventional curators watch over the restoration of the Krak; architects have a hand in translating curatorial wishes in Hanover; whereas the home owners auto-curate wine and olive oil in Provence. The narratives of these house owners (talking about food and houses) provide ethnographic points of departure for analyzing these processes. Heritage is actively made, not found. It is actively constituted, worked upon, across time, and among many parties. Wattenpaugh’s paper demonstrates this processual aspect abundantly. The sites discussed in her paper were considered first as ‘ruins’, then, they were ‘canonized as ‘monuments’ in the 1930’s; […] while they are in the same country today, the circumstances of the 1930’s made these sites places for remembering, and for celebrating, radically different pasts, pasts which were being, written up as national histories”. As a dynamic process, heritage involves both groups and individuals - by asserting that “the users of architectural spaces” are “active agents in the shaping of the meaning” of spaces as well as those who conceived them, Watenpaugh’s paper paves the way for an approach of these meaning made visible through “inscriptions, restorations, modifications, partial demolitions, and erasures” - thus becoming not only a matter of public-political concern but also a question of life style and of personal experience. In a certain sense the privatisation of heritage – made possible with the extension of the notion of heritage in order to include the intangible dimension - constitutes one of the most interesting and revealing aspects of the many changes this notion has undergone 214 since the last decades. Among Others

Les centres anciens, patrimoines communs ?

Abdelmajid Arrif

MMSH – IREMAM Aix-en-Provence / France

Cinq villes méditerranéennes ont été questionnées dans le cadre de l’atelier « Les centres anciens, patrimoine commun ? Conflits d’usage et stratégies d’appropriation dans les centres anciens en Europe et en Méditerranée » : Cluj (est-elle roumaine ou hongroise au regard de l’analyse de Bianca Botea ?), Ciutat de Mallorca (Majorque), Plovdiv (Bulgarie), Jerez de la Frontera (Espagne), Ouadane (Mauritanie) et Marseille (France).186 Les différents cas et situations présentés ont permis de relever une sorte de « grammaire » du patrimoine qui cristallise un nœud mouvant de tensions structurés par des polarités actives : passé/présent ; nous / eux ; continuité / rupture ; dedans / dehors ; ancien / récent ; autochtone / étrangers… Cette grammaire de la patrimonialisation dessine aussi les termes d’une définition identitaire de soi et les frontières qui en délimitent la singularité réelle ou fictive. Les centres anciens sont des lieux de mémoire, des territoires qui témoignent souvent, non pas au titre d’archive ou de vestige archéologique, des évolutions successives de la ville et de la société. Leur qualification d’anciens ne les soustrait nullement au présent et à ses dynamiques et injonctions. Comme l’écrit en effet Bernard Lepetit, « La ville est toute entière au présent ». Ce qui nous amène à considérer les centres anciens comme des territoires fortement sédimentés mettant en relation et agglomérant différentes couches historiques de la ville. On est loin de l’idée de « fouilles interethniques » évoquée par Bianca Botea à propos de l’exemple de la ville de Cluj-Napoca en Transylvanie. Fouilles

186. - Patrimoine problématique ou la difficile construction symbolique de Jerez de la Frontera, Miranda Jesus (Centre de recherches et d’Études Anthropologiques, Lyon / France) - Mutation urbaine et mémoire : l’engagement citadin au regard du patrimoine dans la ville de Mallorca, Marc Andreu Morell i Tipper & Jaume Franquesa i Bartolome (Université des Iles Baléares, Ciutat de Mallorca / Espagne) - Lien et séparation ethnique en Transylvanie. Les usages du patrimoine à Cluj-Napoca, Bianca Botea (Université Lumière/Lyon / France) - Les nouvelles routes sahariennes en Mauritanie post-colonial : la valorisation touristique et idéologique de Ouadane, Francisco Freire (Institut de recherche scientifique et tropicale / Centre d’études africaines et asiatiques, Lisbonne / Portugal) - Réinvention des lieux et interprétation du passé : patrimoine et manifestations artistiques dans la vieille ville de Plovdiv (Bulgarie), Krassimira Krastanova (Institut de Folklore, Plovdiv / Bulgarie) & Michel Rautenberg (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, Faculté 215 de sciences économiques et sociales, Villeneuve d’Ascq / France). Entre Autres

soucieuses de séparer, de différencier les diverses couches temporelles de la ville dans un projet politique de construction identitaire qui fonctionne selon le régime de la « pureté » et de la « purification » de l’origine. Cette notion de territoire sédimentaire a aussi des implications méthodologiques et théoriques concernant la notion de « patrimoine ». Celle-ci procède souvent par identification, classification, séparation, sélection, exclusion et requalification qualifiante. Ces opérations impliquent l’ensemble des acteurs institutionnels ou non de la patrimonialisation. La convocation au présent du passé, de la mémoire des lieux, des héritages urbains procèdent d’une re-définition continue, d’une ré-évaluation identitaire circonstanciée et d’un processus de ré-interprétation polémique des valeurs et significations données à ces lieux chargés de mémoire, de centralité et d’ancienneté. L’expression même de centre ancien procède d’une forme de requalification du territoire urbain dans la mesure où ce terme est porteur d’un régime d’historicité et de temporalité différente et d’une centralité symbolique forte, qui le singularise par rapport à d’autres territoires dans la ville. L’exemple des villes coloniales est significatif de ces effets de désignation et de requalification symbolique des territoires. Je pense plus particulièrement à l’exemple marocain sous la colonisation française. Le terme médina (madina) désignant avant la colonisation la ville marocaine, devient en 1912 au moment de la colonisation la vieille ville, la ville musulmane, la ville indigène par opposition à la ville nouvelle, la ville moderne, la ville européenne. En même temps la médina, soustraite symboliquement à la dynamique de la société coloniale, est l’objet d’une patrimonialisation et d’une protection intégrale. Cette toponymie, ville ancienne, vieille ville, etc. n’est pas neutre. Elle instaure une disjonction des territorialités et des temporalités dans la ville. Les deux territoires ne sont pas pensés comme contemporains à eux-mêmes mais disjoints. C’est ainsi que la médina n’est pas considérée au présent, comme contemporaine à elle-même, mais devient l’expression d’une trace, d’un témoignage, d’une survivance, bref un « nid à documents ». Elle devient centre historique, figure qui confond passé et présent. Ainsi, au contact de la ville européenne, la médina est constituée en tant que figure historique et ancienne de la ville et en tant que musée des civilisations. Si le patrimoine correspond généralement à la mise au présent d’un passé révolu, la patrimonialisation de la médina, intervenue dès les premières années du protectorat, correspond plutôt à la mise au passé du présent. Les figures temporelles du passé et du présent sont intimement liées à la notiondu patrimoine et sont mobilisées pour créer, inventer et construire de la continuité. C’est une manière de revendiquer une filiation et une identification avec des « objets » (au sens large de culture matérielle : ville, bâti, monuments…) mais également avec un patrimoine immatériel constitutif de l’identité d’un groupe ou d’une société. Une forme de mise au présent du passé dans le cadre d’un récit englobant qui manipule les signes, réinterprète les personnages et l’histoire, constitutif d’une mémoire commune définissant tout à la fois l’identité et l’altérité. Le patrimoine dans ce cas, tel l’identité, est autant vecteur d’intégration que d’exclusion. En somme, la société réécrit en permanence son histoire sur le registre inconscient de la fiction : linéarité du récit, dénégation de la rupture, de la discontinuité, de l’oubli et de la perte de mémoire, exclusion de pans entiers de moments historiques et de groupes sociaux ou ethniques qu’on oublie de faire figurer dans le portrait de famille. 216 Or cet atelier a montré la nécessité de rompre avec ces évidences et a invité à interroger le patrimoine, urbain et architectural en Méditerranée, non pas en soi, comme s’il s’agissait Among Others d’une valeur immanente, mais en tant qu’objet de constructions sociale et symbolique pris dans des processus et des enjeux de patrimonialisation qui engagent diverses modalités d’intervention, logiques d’action, différents acteurs, usages et système de référence. C’est cette pluralité instable et polémique des usages et des représentations du patrimonial qui a été privilégiée ici. Quels sont les enjeux sociaux, culturels, politiques et symboliques liés à ce processus de patrimonialisation dans les différents contextes urbains méditerranéens ? Quelles stratégies d’appropriation ou de désappropriation ? De quelles formes de ruptures, de tensions et de conflictualités, temporelles, urbaines et sociales, la patrimonialisation est-elle l’indicateur ? Quels conflits d’usage et quelles pratiques concurrentes s’expriment dans un contexte urbain patrimonialisé ? Quels en sont les acteurs ? Quel passé, quelle(s) mémoire(s), quelles traces, quels territoires sont-il investis par les acteurs de valeurs patrimoniales ? Selon quelles orientations et perspectives sociale, historique, culturelle et politique ? La diversité des situations, des territoires, des histoires, des formes de patrimonialisation (symbolique, culturelle, architecturale, urbanistique) ainsi que les formes de valorisation de ces territoires : tourisme, identité, etc. est le propre même d’une Méditerranée plurielle, une Méditerranée carrefour à la fois territoire des mobilités mais également des ancrages et des conversions. Le thème des centres anciens et de la patrimonialisation a servi ici d’analyseur de quelques cités méditerranéennes qu’on pourrait qualifier de « fabriques » ou de laboratoires des brassages, des cohabitations et des voisinages pas nécessairement synonymes de confusion car la co-présence peut ménager et provoquer la distanciation, le côtoiement, l’évitement selon des formes empruntes d’urbanité ou d’hostilité ouverte. Elles ont été au cours de leurs histoires parcourues par une dialectique d’inclusion et d’exclusion, par des formes pacifiques de ménagement de la diversité dans la ville ou bien par des formes violentes de réduction de cette diversité. Patrimoine en commun ? Cela suppose l’adhésion à une « communauté de sens » et à l’interrogation du cercle d’appartenance et de référence que cette adhésion dessine. Quels en sont alors les oubliés et selon quels lignes de rupture et de conflictualité ? Quel est l’étranger au cercle ? Cela permet de définir en abyme les termes de l’affiliation et des désaffiliations revendiquées. On le voit, le « commun » est problématique car comme l’écrivent P. Prado et alii, « Le territoire des relations des individus n’est pas nécessairement le territoire commun des groupes. Il faut en plus un « sens commun » ou, si l’on veut, une communauté de sens qui selon le « sens commun » (au sens commun…) est appelée « mentalité » (et, en tirant à nous sans précaution un concept, que Marcel Mauss appelle « espace mental » par opposition à « espace géographique ») qui sépare les espèces d’espaces selon leur adéquation ou inadéquation aux normes des groupes qui y résident (…).187 ». Je préfère à l’expression « patrimoine en commun » celle de « patrimoine en partage » qui ménage l’ambivalence et la polysémie des sens et des situations. Le partage tout à la fois fédère et sépare. Et c’est cette dynamique qui est au cœur de l’appropriation patrimonialisante des centres anciens. 187. Prado (P.), Mattout (G.) et Barbichon (G.) : La ville en partage. Sociabilité, identités, territoires 217 dans une ville moyenne. Paris : Centre d’Ethnologie Française, 1985.- p.93. Entre Autres

218 Among Others

Lieux de conflits, lieux de partages : les espaces et les constructions du patrimoine

Valeria Siniscalchi

ADAM – IDEMEC - MMSH, Aix-en-Provence / France

Parmi les diverses approches consacrées au patrimoine et à la patrimonialisation, cet atelier s’est donné comme objet de réfléchir aux conflits -politiques, économiques ou symboliques- qui se jouent autour des espaces et des lieux du patrimoine, pour leur utilisation, reconversion, appropriation ou protection 188. Les sites (parcs naturels, musées en plein air), les éléments bâtis (monuments aux morts, églises…) ou, plus généralement, des portions de l’espace urbain ne sont pas, d’emblée et unanimement, « considérés » comme des éléments patrimoniaux : ils sont construits et façonnés, puis protégés et gérés en tant que tels. Ces « objets patrimoniaux» sont constamment manipulés et appropriés par les acteurs sociaux : ils deviennent ainsi des enjeux sociaux, politiques, économiques, des espaces de conflit où l’on peut observer la confrontation de perspectives et de logiques diverses, de stratégies d’utilisation différentes, de luttes pour le pouvoir. Comme les débats ont permis de le souligner, en tant que chercheurs, nous contribuons évidemment à ce façonnement à travers nos pratiques de terrain, nos écrits, nos prises de position dans les processus de protection et de valorisation. - L’idée de cet atelier était donc de prendre en compte la dimension du conflit et de la divergence en tant que moyens d’accès privilégiés à la compréhension des pratiques sociales. À partir de divers terrains de recherche, nous avons exploré un certain nombre de questions : - Quels sont les types de conflits -politiques, économiques, symboliques-, se déroulant actuellement autour d’espaces patrimoniaux (églises, parcs, places) pour leur utilisation, reconversion, appropriation ou protection ? - Sous quelles formes et selon quelles logiques, les conflits autour de ces espaces patrimoniaux sont-ils exprimés ? - Comment ces conflits contribuent-ils à façonner les « objets » patrimoniaux, à les construire en tant que tels ? En effet, les conflits ont une capacité performative : ils contribuent à construire les « objets », les espaces, les lieux patrimoniaux, et ils définissent les appartenances.

188. Atelier 3-6 : Lieux de conflit, lieux de partages : les espaces et les constructions du patrimoine, Places of Conflict, Places of Sharing : Spaces and Constructions of Heritage. 219 Entre Autres

Le thème a été abordé de manières très différentes, à partir d’une grande variété d’objets ethnographiques (la lutte pour la réappropriation d’une église, les affrontements entre supporters des équipes de football et représentants de l’ordre public, les intérêts divergents entre les occupants d’un espace destiné à devenir une aire naturelle protégée etc.) et de traditions théoriques (la France, l’Italie, la Finlande, les Pays-Bas, la Roumanie, l’Espagne, l’Estonie). Cette ouverture a été particulièrement profitable et riche, dans la mesure où elle intégrait les diverses acceptions de la notion de patrimoine selon les pays de l’Europe et de la Méditerranée : les notions de « patrimoine » en France, de « heritage » dans la tradition anglo-saxonne, et de « beni culturali » ou « ambientali » en italien, par exemple, ne recouvrent pas exactement le même champ sémantique et ont été élaborées et institutionnalisées à travers des processus différents. Ces variations renvoient à la construction des identités politiques dans les pays considérés, aux modalités selon lesquelles se sont structurés les rapports entre espace public et Etat Nation, entre groupes de pouvoir et territoire 189. La réflexion s’est articulée autour d’un certain nombre d’axes thématiques : les espaces urbains, les sites de la mémoire (les monuments de guerre ou les églises), les espaces dits naturels et les musées en plein air. Cette scansion selon les types de lieux était purement formelle. En effet, les problématiques soulevées par les différentes interventions conduisent à rechercher les proximités entre ces divers cas ethnographiques, par-delà l’apparente diversité des « lieux patrimoniaux » concernés. Pourquoi, tout d’abord, parler de lieux et d’espaces patrimoniaux ? Les modalités de leur construction nous informent sur les manières dont les acteurs sociaux créent le patrimoine, modèlent la mémoire, et à partir d’elle, l’appartenance ; elles nous donnent des éléments pour comprendre les reconfigurations sociales. Les frontières entre différents lieux du patrimoine deviennent alors extrêmement fluides : les musées sont des lieux de mémoire, tout comme peuvent l’être les parcs; les églises peuvent être appropriées et devenir l’objet de conflits, à l’intérieur de processus de construction de la mémoire, tout comme des places, de fontaines ou encore des mémoriaux. Les « objets » patrimoniaux ont à faire avec le rapport au passé et au temps ; avec les manières dont un groupe ou une collectivité se construisent et se représentent ; enfin, avec la dimension politique et la gestion du pouvoir. À travers l’espace et/ou à travers une subversion de l’espace, on construit et l’on inscrit son appartenance locale ; à travers l’oubli, l’absence de mémoire dans l’espace public, on établit des hiérarchies, on crée des légitimités. Les conflits autour de l’église “Sfîntul Vasile-Polona” à Bucarest -objet de disputes entre l’Eglise orthodoxe roumaine et l’Eglise gréco-catholique- par exemple, révèlent l’articulation complexe qui existe entre appartenance religieuse, identité nationale et rhétorique des droits de l’homme 190. Les monuments sont manipulés par les acteurs sociaux, ils sont utilisés pour dessiner des partages, politiques et religieux : qui établit l’appartenance d’un lieu sacré à un culte ? Qui décide des usages possibles d’un lieu, d’un monument, d’un espace littoral ? Qui a le droit d’apparaître dans l’espace public à travers un mémorial ? Les lieux patrimonialisés condensent ainsi des intérêts divergents, et pour cette raison ils deviennent des enjeux de pouvoir.

189. Voir Handler (Richard) : Nationalism and the Politics of Culture in Quebec, Madison : The University of Wisconsin Press, 1988. Pour la France, voir Chastel (André) : La notion de patrimoine, in Nora (Pierre), éd. : Les lieux de mémoire, Paris : Gallimard, 1997, pp. 1433-1467 ; Jeudy (Henri-Pierre), éd. : Patrimoine en folie, Paris : MSH, 1990 ; Poulot (Dominique) éd., Patrimoine et modernité, Paris : L’Harmattan, 1998. 190. Communication de Filippo Zerilli (Université de Cagliari, Italie) : « La Mecque des gréco- catholiques de Bucarest. Partages et conflits autour de la restitution de l’église “Sfîntul Vasile” 220 (Bucarest, Roumanie) » dans cet atelier (3-6.1.). Among Others

Les conflits qui opposent les clubs de supporters –à l’occasion des célébrations des victoires des matchs de football- et les différents acteurs sociaux qui jouent un rôle « légitime » dans la définition des biens patrimoniaux et de leurs usages possibles, se concrétisent et deviennent visibles à travers l’emploi détourné de certains éléments patrimoniaux urbains (monuments, places, fontaines) 191. Ces conflits concernant l’appropriation des monuments de la ville et la possibilité / impossibilité de marquer dans l’espace urbain son appartenance, nous renvoient aux définitions de l’espace public et de l’espace privé et à la question des frontières public/privé, qui sont aussi des modalités de définition du pouvoir. Dans un contexte apparemment différent, celui des espaces protégés, les conflits entre les autorités centrales, les mouvements environnementaux et les communautés locales sont révélateurs de dynamiques sociales qui sont proches de celles que je viens d’évoquer 192. Ces conflits ne font pas simplement apparaître des visions et des usages de la nature différents. Ils révèlent les enjeux de la transformation d’une portion de territoire en espace protégé : la gestion des ressources financières, l’exercice du pouvoir et de la prise de décision sur un territoire. Les parcs naturels posent, probablement avec plus d’évidence que d’autres types d’espace, un autre genre de problème qui est celui de la résolution du conflit et donc des manières de construire le consensus autour du patrimoine. Les négociations et les modalités de médiation entre la sauvegarde de l’environnement et les différentes exigences des acteurs sociaux, assument des formes diverses. Ces médiations renvoient aux rapports entre groupes humains et territoire d’un côté, pouvoirs locaux et Etat central de l’autre. Et ces rapports se structurent selon des logiques différentes en fonction des contextes. On pourrait considérer les parcs comme des organismes qui restructurent le territoire d’une manière stable. Observés dans la perspective des conflits, ils apparaissent, au contraire, comme des outils souples, au service des jeux de pouvoir. C’est pourquoi ces espaces sont souvent des lieux patrimoniaux « précaires », soumis à des négociations permanentes, ce qui manifeste avec encore plus d’évidence le fait que les actions de patrimonialisation sont des processus. Dans les contextes où les parcs semblent être caractérisés par le consensus, d’autres genre de conflits peuvent surgir. Aujourd’hui, les parcs deviennent souvent des lieux de préservation, de valorisation et/ou d’exhibition de la culture locale. On l’observe très clairement en France avec le passage de l’idée de nature à celle de patrimoine, naturel mais aussi culturel 193. Le lien entre la notion de « patrimoine naturel » et celle de « patrimoine culturel » semble résider dans l’idée de bien collectif, c’est à dire dans le fait qu’elles font toutes deux référence à une mémoire collective 194. Mais a-t-on le droit de reconstruire des fermes à l’intérieur de parcs nationaux et d’inventer ainsi la

191. Communication de Carmen Ortiz Garcia (Dép. d’anthropologie, CSIC, Madrid, Espagne) : « La Déesse Blanche et le Real Madrid : célébrations sportives et patrimoine urbain » dans cet atelier (3-6.6.). 192. Communication de Franco Lai (Université de Sassari, Italie) : « L’institution des parcs en Sardaigne : conflits et négociations » dans cet atelier (3-6.8.). Voir aussi Lefeuvre (Jean-Claude) : De la protection de la nature à la gestion du patrimoine naturel, in Jeudy (Henri-Pierre), éd. : Patrimoine en folie, Paris : MSH, 1990, pp. 29-75 ; Kalaora, (Bernard) : Quand l’environnement devient affaire d’Etat, in Abélès (Marc) et Jeudy (Henri-Pierre), éds. : Anthropologie du politique, Paris, A. Colin, 1997, pp. 179-196. 193. Siniscalchi (Valeria) : « Patrimoine naturel » et « patrimoine culturel » dans le Parc National des Ecrins (France) : nouvelles représentations des territoires “protégés”, Europaea, VIII, 1/2, 2003, pp. 303-317. 194. Desvallées (André) : Emergence et cheminements du mot patrimoine, Musées et collections publiques, 206, 1995, pp. 6-29. 221 Entre Autres

culture locale ? 195 Quelle image des spécificités locales donne-t-on aux touristes et aux visiteurs ? La mise en patrimoine d’un espace –tout comme la patrimonialisation d’objets- provoque souvent des détournements de sens 196. On peut observer ce phénomène quand le processus de patrimonialisation concerne des lieux qui sont temporaires et ne sont pas conçus pour être transmis dans le temps, comme les cabanes des bergers. L’habitat des bergers devient ainsi « autre chose » : un symbole des espaces sauvages, un faire-valoir de l’activité pastorale 197. Les musées en plein air permettent aussi d’observer le changement de statut des objets provoqué par la mise en patrimoine. Les objets provenant de différentes régions assument de nouvelles significations, comme on peut le constater dans le Netherlands Open Air Museum. Ils deviennent éléments du patrimoine national dans un lieu de la Nation où ils peuvent être appropriés par les visiteurs en tant qu’opérateurs d’une mémoire collective 198. La dislocation des bâtiments dans l’espace du musée devient la métaphore d’un voyage dans *les différentes régions du pays. Les musées peuvent être, comme les mémoriaux, des espaces d’inscription de l’histoire officielle. Ils condensent ainsi le conflit entre visions différentes du rôle de l’espace muséal lui-même : lieu de préservation ou lieu de propagande nationale ? Si les musées sont des lieux où l’on peut définir ce que sont les individus et comment ils doivent agir, ils sont aussi les lieux de mise en discussion de ces définitions mêmes 199. Dans certaines régions de Finlande, le conflit autour de la mémoire de la guerre civile s’exprime à travers une opposition visible au niveau du paysage entre les lieux de mémoire officiels et les lieux non-officiels 200 : le paysage, rempli de mémoriaux non- officiels, devient une sorte de scène de théâtre où se joue l’opposition entre mémoire légitime et mémoire non légitime. C’est autour de la sédimentation de sens qui semble caractériser tous ces lieux du patrimoine que nous avons, aussi, essayé de travailler. Dans leur proximité et leur hétérogénéité, les espaces qui sont au cœur de nos ethnographies sont chargés de sens. Ils deviennent des opérateurs symboliques et matériels du conflit politique et social, et des instruments à travers lesquels on peut produire des tensions qui servent à « essentialiser » l’espace public local 201. Ainsi, ils amènent à interroger les rapports entre centralité et localité. 195. Communication de Risto Järv (Dept. of Folklore and Literature, Tartu, Estonie) : « For and against folklore in a National Parc » dans cet atelier (3-6.10) ; voir aussi la communication de Lars Eric Jonsson (Université de Lund, Suède) « Use of cultural heritage in post communist and preeuropean union Romania. Examples and perspectives » dans cet atelier (3-6.5.) 196. Voir aussi Abram (Simone), Waldren (Jacqueline), Macleod (Donald V. L.), éds. : Tourists and tourism. Identifying with People and Places, Oxford - New York – Berg, 1997. 197. Communication de Anne-Elène Delavigne (Museum National d’Histoire Naturelle, Paris, France) et Frédérique Roy (EHESS, Paris, France) « La « cabane du berger », un objet patrimonialisé ? Regard anthropologique sur un corpus de films pastoraux » dans cet atelier (3.6.-9.). 198. Communication de Adeiaan de Jong (Openluchtmuseum, Arnhem, Pays-Bas) : « The Open Air Museum as a lieu de mémoire » dans cet atelier (3-6.4.). 199. Voir aussi Karp (Ivan), Mullen Kreamer (Christine), Lavine (Steven D.), éds. : Museums and Communities. The politics of the Public Culture, Washington - London : Smithsonian Institution, 1992. 200. Communication d’Anne Heimo (Université de Turku, Henrikinkatu, Finlande) « The 1918 Finnish Civil War: Places lost, memoires regained » dans cet atelier (3-6.2.). Après la guerre civile finlandaise, en effet, la commémoration officielle, à travers les mémoriels de guerre, ne concernait que les décédés « Blancs », tandis que la commémoration publique était interdite aux « Rouges ». 201. Palumbo (Berardino) : L’Unesco e il campanile. Antropologia, politica e beni culturali in Sicilia orientale, Roma, Meltemi, 2003 ; Siniscalchi (Valeria), ‘La douce ville du Nougat’. Economie, typicité et histoire dans un village de l’Italie du Sud, in Bromberger (Christian), Chevallier (Denis) et Dossetto (Danièle), éds. : Les relances de traditions dans l’Europe aujourd’hui, Die : A Die, 222 2004, pp. 42-51 ; Siniscalchi (Valeria) : Des pierres pour l’avenir : patrimoines et économies dans Among Others

Dans un cadre politique et économique global, géré par l’action des unités politiques des Etats et des organismes nationaux, les façons d’utiliser le territoire, l’environnement, la culture locale, sont devenues des enjeux autour desquels on peut définir des niveaux d’identité sociale et politique et élaborer des stratégies pour contrôler les ressources économiques et symboliques 202. Le patrimoine se révèle instrument de ces luttes et de ces négociations symboliques. L’analyse anthropologique des conflits qui se jouent dans les lieux du patrimoine aide à mettre en lumière les axes autours desquels on construit, dans les pays de l’Europe et de la Méditerranée, sa propre « intimité culturelle »203. Ce faisant, elle peut contribuer à rendre plus dynamiques et complexes certaines images du monde méditerranéen élaborées par des historiens ou des intellectuels 204, souvent identiques à celles qui sont utilisées par les politiciens au niveau local, national et européen.

le Samnium (Italie), in Fabre (Daniel), éd. : Les monuments sont habités, Paris : MSH, 2006 (sous presse). 202. Goddard (Victoria A.), Llobera (Josep R.), Shore (Cris), éds. : The anthropology of Europe. Identities and Boundaries in Conflict, Oxford : Berg, 1994 ; Macdonald (Sharon), éd. : Inside European Identities, Oxford : Berg, 1993 ; Herzfeld (Michael) : A Place in History : Social et Monumental Time in a Cretan Town, Princeton : Princeton University Press, 1991 ; Appadurai (Arjun) : Modernity at Large. Cultural Dimensions of Globalisation, Minneapolis : University of Minnesota Press, 1996. 203. Au sens de Herzfeld (Michael) : Cultural Itimacy. Social Poetics in the Nation-State, New York : Routledge, 1997. 204. Cf. entre autres, Cassano (Franco) : Il pensiero meridiano, Roma : Laterza, 1998. 223 Entre Autres

224 Among Others

Musées en mutations

Dejan Dimitrijevic

UMR URMIS-SOLIIS / CNRS - Université de Nice / France

L’objectif premier de l’atelier était de questionner les transformations des musées afin de proposer une piste de réflexion sur le travail de reconstruction dupassédes sociétés contemporaines, permettant ainsi de les poser dans le présent ainsi que dans des perspectives d’avenir. Mais si les études des musées offrent une lecture pertinente du rapport au passé - ainsi celle du Musée-Mémorial du « 21 Octobre » à Kragujevac, en Serbie (Dejan Dimitrijevic) et des musées nationaux grecs (Irene Toundassaki et Roxani Kaftantzolou) - certaines pratiques s’inscrivent difficilement dans un cadre institutionnel et s’expriment de manière informelle dans l’espace public, puis dans l’espace privé : Octave Debary en donne un exemple avec les réderies dans le village de Canaples, dans la Somme. Cela permet également d’interroger le rapport au passé en dehors du champ politique et de questionner les usages sociaux du passé en y incluant la sphère privée. Dès lors, il ne s’agit plus seulement d’examiner la construction de récits historiques, grands ou petits, mais d’être attentif à la structure narrative qui soutient ce nouveau rapport au passé et à leur dimension idéologique. Présentant le cadre général de l’atelier, Dejan Dimitrijevic rappelle que l’interrogation sur les usages sociaux du passé s’est surtout développée à partir du concept de « mémoire collective » et de la remise en question de la notion de tradition. Les travaux de Maurice Halbwachs, Eric Weil, Jean Pouillon, Eric Hobsbawm, Gérard Lenclud205, notamment, ont grandement contribué à faire admettre l’idée que le passé est retravaillé en fonction des besoins du présent, et ce même dans les sociétés dites traditionnelles. Aujourd’hui ce postulat est largement admis, mais le rapport au passé semble avoir lui aussi profondément changé. Le passé est bien souvent regardé comme éminemment suspect. Il est objet de méfiance, présenté comme cause au moins potentielle de désordres et de conflits. De plus en plus nombreux sont ceux qui, à l’instar de Paul Ricœur,206 plaident pour un « art d’oublier », afin d’en finir avec les « pathologies de la mémoire » et une société « éternellement en colère avec elle même ». Il est vrai que pour continuer et d’autant plus pour se construire, la société ne peut pas être indéfiniment en colère avec elle-même. L’idée qu’il faut se

205. Lenclud (Gérard), 2003, « L’usine au musée ou le passé consommé. Octave Debary, La Fin du Creusot ou l’Art d’accommoder les restes », Critique, décembre 2003, Paris. 206. Ricœur (Paul), « Esquisse d’un parcours de l’oubli », in Thomas Ferenczi, Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Editions Complexe, Paris. Ainsi que Robin (Régine), 2002, « Une juste mémoire, est-ce possible ? », in Thomas Ferenczi, Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Editions Complexe, 225 Paris. Entre Autres

débarrasser de l’histoire pour prévenir les conflits se répand depuis quelque temps. Au sujet de la « transition » de l’Europe de l’Est après la chute des régimes socialistes, et encore plus au sujet des guerres dans l’ex-Yougoslavie, un grand nombre d’« experts » occidentaux préconisent d’oublier le passé car « qui se souvient de l’histoire est condamné à la répéter »207. Même la poursuite de la vérité et de la justice est perçue comme dangereuse et vaine, car elle serait en conflit avec la nécessité de réconciliation et ouvrirait la voie à une nouvelle guerre puisqu’il y a peu de chances pour que toutes les parties reconnaissent la même vérité208. Le développement des échanges économiques est présenté comme le lien intra-groupes et inter-groupes suprême209. Les Etats-Unis d’Amérique y servent de modèle, selon le présupposé que leur grande force culturelle réside dans leur capacité à se débarrasser du passé en redémarrant une nouvelle histoire210. Le post-modernisme semble être une des manifestations de cette logique. Ne reconnaissant aucune possibilité de synthèse et décrétant que l’universel est une illusion, le post- modernisme pousse le relativisme à l’extrême : il annonce le règne du particularisme et de la subjectivité, et n’accorde aucun crédit à la recherche de la vérité. De facto, l’Histoire universelle devient impossible211. C’est ce que Régine Robin appelle un « révisionnisme généralisé », porteur « d’un nivellement relativiste », où nazisme, stalinisme, guerres coloniales, etc., sont renvoyés dos à dos. Elle illustre ce phénomène, entre autres, par le nouveau récit du Karlshorst Museum de Berlin, lieu de la reddition sans condition de l’Allemagne le 8 mai 1945. « Tout dans le discours participe du grand nivellement. Dans le fond, on est passé de la grande guerre patriotique, de la grande Armée rouge qui avait pris Berlin, à un discours que je résumerai en une phrase : à Stalingrad, il faisait froid pour tout le monde »212. Comme en écho à ce constat, Gérard Lenclud (2003) soutient que le seul passé désormais estimable est celui dont on a le sentiment qu’il est parfaitement maîtrisé. Le passé serait, aux yeux des contemporains, comme un volcan éteint ; on s’y promène sans danger. A partir du travail de terrain effectué en ex-Yougoslavie, où il examine le contexte de sortie de guerre, notamment au travers des transformations des musées d’histoire, Dejan Dimitrijevic souligne que ce rapport au passé est dominant dans le cadre du processus d’intégration à l’Union Européenne des pays issus de la Fédération yougoslave. Nous retrouvons dans la bouche ou sous la plume de certains responsables politiques de l’U. E. des paroles dignes du préambule de l’édit de Nantes qui décrétait « que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autre demeurera éteinte et assoupie comme des choses non advenues ». Ainsi, en 2003, Romano Prodi, Président de la Commission Européenne, également soucieux de réconciliation et d’unité, déclare aux responsables politiques croates, lorsque la Croatie fait officiellement acte de candidature d’adhésion, qu’« adhérer à l’Union européenne, c’est changer sa propre histoire : l’UE est une véritable

207. Voir Offe (Claus), 1993, « Ethnic politics in East European Transitions », Diskussionspapier, Zentrum für Europäishe Rechtspolitik, 1/93, Brême, pp.22-3.pp.22-23. 208. Ignatieff (Michael), 1996, Articles of Faith. Idex on Censorship 5. Cité d’après Jedlicki, 1999, p. 231. 209. Kaminski (M.), 1998, Czy handel zjednoczy dotychczaswych wrogow ? (Le marché va-t-il unir les ennemis ?), The Wall Street Journal Europe, supplément de la Gazeta Wyborcza du 26 octobre. L’auteur préconise la réconciliation des ennemis en Bosnie-Herzégovine par l’oubli du passé et le développement des échanges économiques. 210. Jedlicki (Jerzy), 1999, « Historical memory as source of conflicts in Eastern Europe », Communist and Post-Communist Studies, 32, 225-232, ici p. 231. 211. Wachtel (Andrew), 2002, « Kada i zasto je « jugoslovenska kultura » imala smisla » (Quand et pourquoi la « culture yougoslave » avait du sens), Sarajevske sveske, 1 Sarajevo. 226 212. Robin (Régine), 2002, « Une juste mémoire, est-ce possible ? », in Ferenczi (Thomas), Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Paris : Complexe, p. 111. Among Others union, et non une zone d’intégration purement technique et économique »213. Faut-il souligner qu’en la matière, les décrets n’ont pas montré leur efficacité : les affrontements militaires entre catholiques et protestants ont repris après l’assassinat d’Henri IV en 1610. Dejan Dimitrijevic développe principalement le cas du Musée-Mémorial du « 21 Octobre » à Kragujevac, qui commémore les massacres de quelques 2 300 civils locaux par les forces d’occupation allemande du 19 au 21 octobre 1941 en représailles aux premiers succès de la résistance, à laquelle communistes (Partisans) et royalistes (Tchétniks) participaient conjointement pendant les premiers mois de l’occupation. Inauguré en 1976 pendant la période communiste, l’exposition permanente du Musée-Mémorial du « 21 Octobre » était conçue à la gloire de la résistance des Partisans et, de ce fait, présentait les royalistes en collaborateurs et identifiait toutes les victimes au mouvement communiste. La nouvelle exposition permanente, inaugurée en 2004, participe de cette tendance à la révision relativiste de l’histoire. En plus de la volonté d’effacer l’appropriation idéologique des victimes et du désir de mettre fin à l’appropriation exclusive communiste de la lutte contre le fascisme et le nazisme, les concepteurs de la nouvelle exposition ont repris à leur compte l’idée d’un passé qui déborde de mal. L’objectif n’est plus de réévaluer des mouvements, des personnages ou des périodes, mais de dévaluer le passé en le chargeant de laideurs. Tous les protagonistes de cette période (Communistes, Royalistes, Allemands) sont mis sur le même plan et apparaissent comme des victimes de l’histoire. Dans une logique de « tolérance », de « réconciliation » et dans un « esprit pacifiste », selon les mots de Nenad Djordjevic, directeur du Musée-Mémorial, le passé serbe de la Seconde Guerre mondiale participe à la formation du modèle narratif de ce nouvel humanisme, construit autour des idées de « cosmopolitisme », d’«universalisme » et de « démocratie », explicité à chaque intervention militaro-humanitaire, et que nous voyons aussi à l’œuvre dans le processus de construction de l’identité européenne du XXIème siècle. La transformation du Musée-Mémorial a été principalement financée par des organisations telles que USAID,214 le Ministère allemand de la culture, ainsi que d’autres liées à l’Union européenne et à l’ONU. Si cette relation au passé semble dominante et en expansion, elle suscite aussi des réticences. Les cas présentés par Irene Toundassaki et Roxani Kaftantzoglou, et par Octave Debary en témoignent. Irene Toundassaki et Roxani Kaftantzoglou présentent les résultats d’une étude qui a porté sur trois des principaux musées grecs : le musée national d’archéologie, le musée national de l’histoire byzantine et chrétienne, et le musée national d’art folklorique. La situation apparaît comme paradoxale. Dans la mesure où la Grèce est membre de l’Union européenne, on s’attendrait à ce que les musées nationaux participent de cette tendance dominante à transformer le rapport au passé. Pourtant, ces trois musées sont entièrement consacrés au récit national grec et ne sont aucunement marqués par le contexte européen, notamment dans la prise en compte des différences. Contrairement à ce qui se développe dans d’autres pays européens, la politique nationale grecque ne prend aucune initiative pour intégrer dans le récit national la diversité de sa population, qu’il s’agisse de la

213. Le Monde, mardi 25 février 2003, p. 6. 214. L’Agence des Etats-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development - USAID) se présente ainsi sur son site internet : « USAID est un organisme gouvernemental fédéral indépendant qui reçoit des conseils globaux de politique étrangère du Secrétaire d’Etat. Notre travail supporte la croissance économique équitable à long terme et soutient les objectifs de politique étrangère des Etats-Unis par la promotion de la croissance économique, de l’agriculture et du commerce, de la santé globale, de la démocratie, de l’aide humanitaire, ainsi que par la prévention des conflits. Nous fournissons l’aide dans quatre régions du monde : l’Afrique sub-saharienne ; l’Asie et le Proche-Orient ; l’Amérique latine et les Caraïbes, 227 et ; l’Europe et l’Eurasie ». Entre Autres

variété des cultures qui ont historiquement coexisté sur l’actuel territoire national grec, des différentes origines géographiques et culturelles de la population grecque ou de la diversité des classes sociales qui la compose. Pour éviter -de faire ressortir cette diversité, ces musées ont adopté une approche esthétique et ont développé leur récit autour de la notion du « beau ». Il ressort des questionnaires distribués au public à l’issue de leur visite que l’attachement à ce récit national unitaire, et inscrit dans la continuité historique, est renforcé par la crainte de la mondialisation. De ce fait, il apparaît que les musées sont bien des révélateurs des changements contemporains : même si les musées n’ont pas subi de transformations majeures depuis le XIXe siècle, le public vient y chercher des réponses à des préoccupations actuelles. Dans un monde où les changements sont perçus comme étant trop rapides, le récit national grec exposé dans ces institutions rassure. La discussion fait principalement ressortir deux points méthodologiques. Le premier porte sur la méthodologie d’enquête : plusieurs personnes ont relevé la difficulté de déduire les attentes du public d’un questionnaire distribué en fin de visite. Le deuxième point concerne le choix de la comparaison : il est apparu à certains qu’une comparaison avec des festivals se déroulant à Athènes et qui mettent également en scène l’histoire aurait peut-être donné une image plus nuancée du rapport au passé. La communication d’Octave Debary présente les marchés à réderies du village de Canaples (Somme). Le terme réderie désigne un objet usagé au point de n’être presque plus rien, mais la réderie est aussi le nom donné aux marchés où ces objets sont vendus, très importants dans la Somme. Il se tient plus de 550 réderies par an sur ce territoire. Octave Debary nous dit que s’il n’existe aucune statistique officielle à ce sujet, « on peut penser que leur fréquentation dans le département dépasse celle des églises, des musées et de tout autre lieu ou pratique dominicale ». L’engouement pour ces marchés semble correspondre à un besoin de mémoire. Et c’est dans les failles et les cassures des objets que la mémoire est recherchée. C’est à partir de ce qui reste que s’engage le travail de mémoire. Et si les objets de réderies sont des objets de peu, ils sont encore trop plein de vie pour être jetés. Les questions qui se posent alors consistent à savoir identifier de quelle vie s’agit-il ? Qu’est-ce qui est transmis ? Pourquoi ces objets sont échangés au lieu d’être gardés ? Quelle est cette force de vie qui circule ? La spécificité de l’objet de réderie est le manque et le vide : bouilloire sans manche, briquet sans flamme, une scie qui ne fonctionne plus, etc. C’est l’altération qui donne sens à ces objets et c’est de l’histoire qu’ils consignent. Les objets neufs sont absents des réderies parce qu’ils manquent de vie. La valeur de l’objet de réderie semble similaire à celle des objets ethnographiques : toutes deux sont constituées par leur usage. Le rapprochement de ces deux types d’objets s’impose aussi parce qu’ils n’ont jamais été pensés comme devant témoigner de l’histoire. La réderie fonctionne ainsi comme un tribunal de l’histoire, puisqu’il s’agit de sélectionner des objets qui deviendront témoins. La saisie par l’autre crée la valeur historique de ces objets qui sont rapportés chez soi et exposés. Ils deviennent ainsi des objets de mémoire. Certains acheteurs deviennent des collectionneurs et ouvrent leur porte aux visiteurs étrangers, mais le plus souvent ces objets ne sont visibles que par les membres de la communauté locale ; le prestige de l’accumulation de cette mémoire ne fonctionne en effet que dans cet espace restreint. Les objets de réderie sont des objets sans musées pour des gens dont on ne raconte pas l’histoire. L’importance de la fréquentation des réderies et de la circulation des objets fait que tous les dimanches sont une occasion de remettre en scène leur propre histoire. Pour comprendre l’importance de ce système d’échange, Octave Debary observe pour conclure que le territoire où se déroulent les réderies a été frappé par trois guerres successives (1870, Première Guerre mondiale, Seconde Guerre mondiale). Le silence officiel sur ce passé est tel que le troisième aéroport de Paris était censé s’installer à Chaulnes, dans la Somme, sur un site où reposent les dépouilles de milliers de morts de la 228 Première Guerre mondiale. A défaut de disposer pour leur histoire d’une reconnaissance Among Others et de lieux officiels, ces gens et leurs objets sans musée engagent un travail de mémoire communautaire et nomade par l’intermédiaire de la réderie. La discussion a surtout insisté sur la valeur d’histoire, qui a paru excessive à certains ; en effet les objets personnels ne sont pas les seuls à être mis en vente : certains sont achetés aux puces puis revendus dans les réderies. C’est certainement P. Ricœur qui désigne le mieux le rapport actuel au passé, lorsqu’il nuance sa plaidoirie pour un « art de l’oubli » en soulignant avec force que le passé existe encore dans « le temps feuilleté du présent » et que pour chaque homme « le fait mystérieux et profondément obscur d’avoir été est son viatique pour l’éternité ». Les discussions ont mis en évidence la variété des résistances à l’injonction d’oubli et au nivellement des valeurs produites par l’histoire ainsi que la diversité des acteurs de cette production ; ces résistances peuvent être constatées à l’échelle collective, d’envergure plus ou moins grande, mais aussi à l’échelle individuelle.

229 Entre Autres

230 Among Others

Atelier / Synthèse

Culture matérielle et système de représentation

Thème 4 : Emprunts et distinctions culturelles à travers les comportements alimentaires et la gestion du vivant

231 Entre Autres

232 Among Others

Produits européens : particularisme et standardisation dans les cultures alimentaires

Gisela Welz

Institut d’anthropologie culturelle et d’ethnologie européenne, Université Johann-Wolfgang Goethe, Frankfort / Allemagne

Dans de nombreux pays européens, les produits alimentaires traditionnels deviennent de plus en plus populaires auprès des consommateurs et sont aussi introduits dans les marchés transnationaux. Le terme français “ produits de terroir ” atteste des qualités qui distinguent ces produits agricoles et aliments traditionnels basés sur le savoir local partagé au sein d’une communauté des produits issus de masse industrielle. Dans ce contexte, l’européanisation a quelques effets inattendus et même contradictoires. D’un côté, l’union européenne s’engage à préserver la diversité culturelle de la production alimentaire traditionnelle en Europe. Elle le fait, entre autres, par le biais de mécanismes légaux de certification qui ainsi protègent des produits alimentaires traditionnels typiques de certaines régions et communautés. En même temps, la mise en œuvre des normes européennes pour la sûreté alimentaire et la santé du consommateur ainsi que pour les questions agricoles et environnementales, de nombreux produits, reconnus comme nécessitant une protection particulière, sont déclarés incompatibles avec les normes en vigueur, car leur mode de production n’obéit pas aux règlements édictés par la commission européenne. Ce processus d’intervention a placé de nombreuses productions traditionnelles alimentaires de cultures régionales et locales sous la menace et marginalise de façon croissante les petits producteurs dans de nombreux pays. Dans leur communication intitulée “ Cahiers des charges, normes d’hygiène et productions locales : le mariage impossible ”, Laurence Bérard et Philippe Marchenay (UMR Eco-anthropologie et ethnobiologie, CNRS, Bourg-en-Bresse / France) ont présenté les résultats d’une recherche approfondie menée à l’antenne CNRS “ Ressources des terroirs – Cultures, usages, sociétés ”. Alliant la compétence de l’ethnobiologie et de l’anthropologie écologique, cette unité de recherche a achevé un certain nombre de projets de recherches comparatives régionales et multi-culturelles qui étudient systématiquement les effets de la scientification et de la standardisation de la production alimentaire dans les cuisines locales et régionales ainsi que dans les modèles nutritionnels. Dans leur contribution, les auteurs ont montré que la législation autour de l’hygiène alimentaire est souvent incompatible avec les modes traditionnels de production. Les normes d’hygiène tendent à pénaliser et exclure les méthodes mêmes qui font la spécificité gustative et la richesse organoleptique d’un 233 Entre Autres

produit. Habituellement, les normes d’hygiène alimentaire sont édictées en pensant à d’importantes unités de production de masse et sont difficiles à adapter aux conditions des petits producteurs. De nombreux exemples de petits producteurs laitiers et bouchers traditionnels en France forcés d’abandonner complètement leur production ont ainsi été cités. Ce qui menace les producteurs locaux et traditionnels aujourd’hui, n’est pas tant l’absence de marché pour eux, que la mise en œuvre rigide des normes d’hygiène alimentaire. Sachant que les acteurs économiquement puissants sont mieux préparés et tirent même souvent bénéfice de la standardisation légale de la production alimentaire, cela vaut aussi pour les mesures de protection mises en œuvre pour préserver les produits régionaux traditionnels. Les normes qui offrent la protection de l’origine géographique – en France l’Appellation d’origine protégée (AOP) et l’Indication géographique protégée (IGP) – exigent de la part des producteurs qui en font la demande de développer un produit spécifique minutieux. Cela entraîne la normalisation et la standardisation des produits traditionnels. De même, les savoirs locaux et les pratiques vernaculaires, pour la plupart informels et acquis par l’expérience et l’observation, doivent être transposés dans un langage codifié et standardisé. Ces mesures disent protéger la richesse des variétés régionales, mais en même temps, elles détruisent l’étendue des variations qui étaient possibles au sein d’un mode de production traditionnel. En conclusion, l’équipe de chercheurs a montré la contradiction entre la valeur que la société place aujourd’hui dans ces “ produits de terroir ” et les lourdes restrictions auxquelles les producteurs sont soumis. Cette intervention a mis l’accent sur le rôle de l’étude ethnologique et son potentiel à offrir une critique tranchante des effets paradoxaux de ces mesures. Evangelos Karamanes (Centre de Recherches du Folklore hellénique, Académie d’Athènes / Grèce) a montré l’importance des études approfondies des techniques artisanales traditionnelles et de la culture matérielle de la production alimentaire. Sa communication “ Les transformations du fromage : changements techniques et gestion de la tradition dans la production fromagère ” rend compte des changements dans la production fromagère des communautés d’éleveurs du nord de la Grèce, à partir d’un travail sur le terrain en Macédoine occidentale en 1995-1996 et en Thessalie en 2003- 2004. E. Karamanes explique, avec les transformations socio-économiques du XXe siècle comme toile de fond, comment les techniques de production fromagère traditionnelle ont évolué grâce à l’introduction de technologies modernes, et comment la commercialisation a permis de contextualiser un certain nombre de chaînes de production laitières traditionnelles. Depuis les années 50, le lait est de plus en plus acheté par des entreprises commerciales qui alimentent la production laitière à grande échelle et produisent de la feta pour le marché domestique grec, mais aussi pour l’exportation. En conséquence, des fromages régionaux spécifiques tels que le batzos sont de plus en plus produits pour une consommation locale par les éleveurs eux-mêmes, durant les périodes de l’année où la faible production de lait ne permet pas de le vendre. L’expansion de la production laitière industrielle était aussi au centre de la contribution de Håkan Jönsson (Département d’ethnologie européenne, Université de Lund / Suède) : “ Prospérer à petite échelle – Centralisation et différenciation dans le secteur laitier scandinave ”. Comme dans beaucoup d’autres régions européennes, le commerce laitier scandinave a tendance à se concentrer entre les mains de quelques corporations qui émergent en temps que leaders du marché ; nombre d’entre elles étant multinationales. La rationalisation des modes de production se poursuivant, les produits régionaux sont standardisés et distribués de façon transnationale. Cependant, ainsi et que le montre H. Jönsson, les consommateurs demandent toujours plus de produits régionaux biologiques, traditionnels ce qui devrait générer de nouvelles opportunités pour les petites compagnies rurales. L’auteur compare deux marques qui chacune vit sur la vente de produits laitiers 234 “ naturels ”. Thise in Jutland (Danemark), petite laiterie coopérative biologique fondée Among Others en 1988, a vécu une croissance exceptionnelle grâce à un marketing réussi lié à l’atout que représente sa modicité. Åsens Dairy en Scandinavie (Suède), qui se révélait trop petite au début pour en tirer un avantage compétitif, ne devint économiquement viable que lorsqu’elle fut rachetée par une compagnie plus importante et que la production de son “ lait rural à l’ancienne ” sous le label Åsens fut déplacée dans une usine en ville. Le destin de ces deux compagnies est à l’origine d’une discussion attestant d’une part que “ la petitesse ne peut être vue comme une entité déterminée par la taille de la compagnie, mais comme quelque chose que les compagnies doivent produire de diverses manières ” et d’autre part que les différences entre elles doivent être comprises sur fond de trajectoires divergentes de la politique économique nationale ; par exemple le fait qu’au Danemark, l’intégration dans l’Europe a déclenché un processus de centralisation dans le secteur laitier qui fut plus brutal que celui connu par la Suède. Deux contributions supplémentaires à l’atelier s’appuyaient sur des études de terrain menées dans des pays qui, au moment du colloque, étaient sur le point d’accéder à l’union européenne le 1er mai 2004. Avec ces articles, la discussion a glissé vers les effets contradictoires de la construction du patrimoine ou “ patrimonialisation ” par laquelle des éléments culturels sont choisis pour devenir les symboles d’une tradition. Avec “ Débat autour de l’alimentation dans le tourisme vert en Istrie ”, Daniel Winfree Papuga (Département d’économie, Université d’Oslo / Norvège) a présenté une étude de cas sur les conflits nés des définitions contestées de produits traditionnels dans le cadre de l’agro- tourisme en Istrie. Il décrit comment les autorités du tourisme croate local ont établi des définitions vraiment étroites de l’alimentation traditionnelle “ authentique ”, excluant ainsi de nombreuses pratiques alimentaires vernaculaires actuelles de la population locale. A moins que les fermes familiales et les entrepreneurs locaux impliqués dans ce type de tourisme à petite échelle se conforment à ces règles, ils perdent leur autorisation d’exercer leur commerce. Utilisant la nourriture individuelle et les modèles de repas comme cas d’espèce, D.W. Papuga plaide pour une définition plus ouverte et dynamique de la “ tradition ” et explique comment en Istrie, les connaissances ethnographiques ont effectivement contribué à un règlement consensuel entre les autorités gouvernementales et les participants au tourisme local. Ainsi que cela a été montré dans la discussion lors de l’atelier, toute tentative pour mettre en application la “ tradition ” comme critère dans les processus bureaucratiques aura inévitablement l’effet de standardiser, ce qui exclut les variations et modifications qui font partie du processus de “ traditionnalisation ”. Le tourisme est aussi l’objet de la communication de Anne Jepson (Université d’Edimbourg / Grande-Bretagne), intitulée “ Nouveaux vignobles à Chypre : aspects de la tradition ou facettes de l’innovation d’esprit d’entreprise européen ”. Lorsque, partout en Europe, les compagnies importantes ont l’opportunité de s’engager dans l’image de marque de produits alimentaires traditionnels et de les commercialiser transnationalement tout en réclamant un nouveau rôle de “ gardiens de la tradition ”, ces petites entreprises comptent sur la consommation locale et n’ont aucune intention de s’étendre au-delà du marché local, largement dépendant du secteur touristique et de sa gastronomie. L’auteur remarque que les viticulteurs rencontrés lors de son enquête dans le district de Pharos “ ne semblent pas intéressés par l’Europe en temps que marché et pensent pour la plupart que succomber à la pression de l’exportation signifierait perdre le contrôle de leur produit et de leur production ”. Si cette analyse semble correcte, les petits entrepreneurs interrogés restent pourtant largement ignorants des changements que l’intégration dans l’union européenne pourrait apporter. Ils font plutôt de l’autosatisfaction face à la menace que de grandes fabriques de vins prenant pied dans la région pourraient représenter pour eux. Ils sont très impliqués dans l’amélioration de leur produit. Le raisonnement sur la ‘qualité’ va de pair avec l’observation de A. Jepson, suivant laquelle la “traditionnalité ” revendiquée par les vinificateurs contredit en fait les pratiques anciennes de la production vinicole sur l’île, largement industrielle et orientée vers l’exportation au siècle dernier. La ré-émergence de la tradition vinicole devient ainsi une innovation plutôt que le renouveau 235 Entre Autres

d’un patrimoine. Il faut néanmoins s’attendre à ce qu’à Chypre aussi, la traditionnalité des cuisines locale et régionale devienne un atout à la fois économique et identitaire, entraînant finalement des luttes pour la propriété du patrimoine culinaire. Pour Gisela Welz, intervenue pour clore cet atelier (“ Particularisme et standardisation dans les cultures alimentaires ”), il est clair qu’au lieu de considérer le patrimoine culturel comme un ensemble d’habitudes immuables transmises à travers les siècles, il serait plus sage de concevoir la tradition comme le produit d’un processus de construction active et sélective, élaborée intentionnellement par des acteurs sociaux contemporains. De façon unanime, les contributions de cet atelier admettent que la culture alimentaire locale n’est qu’un domaine parmi beaucoup d’autres. Cet espace de “ tradition ” semble toutefois contesté par le processus d’intégration européen. Les études de cas basées sur la recherche de terrain et rapportées ici ont tenu compte d’intéressantes perspectives croisées entre les états membres de l’union européenne et les pays candidats à l’intégration. En particulier, il est devenu évident que, dans un mouvement contradictoire, l’union européenne fait d’un côté la promotion et protège l’exception culturelle de ses états membres et de leurs régions et d’un autre, étouffe et réprime cette diversité même. La culture alimentaire apparaît alors comme une scène de pratiques et de discours qui reconfigurent la tradition, reflétant à la fois un compromis et une résistance dans d’inégales relations de pouvoir.

236 Atelier / Synthèse

Culture matérielle et système de représentation

Thème 5 : Jeux et sports en tant que lieux et temps d’exacerbation ou de brouillage des différences

Among Others

“ Ethnologie et culture sportive : conflits, identités, rencontres ”

Tatjana Eggeling Université de Göttingen / Allemagne

Rolf Husmann IWF Savoir et Média / Allemagne

Cet atelier a rassemblé des communications sur des formes spécifiques de sports définies soit localement, soit à travers l’existence d’un “ monde ” du sport spécifique déterminé culturellement et politiquement. On trouvera donc ci-dessous les interventions215 de : Christophe Gibout / Calais et Christophe Mauny / Poitiers sur le football et les épreuves comme lieu où les conflits se gèrent et où les identités se construisent ; du chercheur estonien Anu Vissel / Tartu sur le kiiking, sport extrême sur balançoires, sport régional particulier remontant au XIXe siècle, pratiqué de nos jours aussi bien au cours de compétitions que lors d’événements familiaux et qui reflète l’utilisation et la renaissance d’éléments culturels régionaux ; de Tatjana Eggeling / Göttingen qui étudie le mouvement sportif homosexuel avec comme centre d’intérêt les modes organisationnels, la politique des sports et les détails de participation à des événements (internationaux) et dans des groupes sportifs et dans des associations. Dans leur communication “ Foot «sauvage» contre football institutionnel : La rencontre sportive comme lieu et moment de gestion des conflits et de construction identitaire ”, Christophe Gibout et Christophe Mauny216 s’intéressent au football dans sa nouvelle dualité. Alors que le football moderne et compétitif renvoie à une violence larvée, parfois manifeste, sa sur-médiatisation ne révèle en aucun cas la multiplicité de ses formes de pratique et leurs logiques d’acteurs. Il est pourtant une pratique se déroulant dans des lieux divers à la vue et au su de tout un chacun, en apparence la même que le football institutionnel mais qui cache et renvoie à une autre définition des rapports aux autres,

215. Le lecteur trouvera ici les résumés avec les adresses électroniques des auteurs. Commentaires et réponses à leurs articles sont les bienvenus, dans la mesure où cela permet de construire des réseaux et de nouer des contacts entre les ethnologues du sport qui ne sont pas si nombreux. 216. Christophe Mauny est PRAG en EPS à l’Université du Littoral-Côte d’Opale (ULCO, Département STAPS / Calais), doctorant en sociologie à l’Université de Poitiers. Christophe Gibout ([email protected]) est maître de conférences en STAPS - Sciences sociales à l’ULCO. Ils sont tous deux chercheurs au laboratoire ICoTEM (EA 2252, MSHS Poitiers) et associés aux laboratoires RELACS et Institut des Mers du Nord (MRSH / Dunkerque). 239 Entre Autres

à soi et à la pratique. Ce football “ sauvage ”, au sens de Lévi-Strauss, détourne le principe d’opposition au profit d’une construction identitaire basée sur le temps et le lieu des rencontres entre joueurs. Au-delà du jeu de territoire à conquérir, la pratique “ sauvage ” constitue un territoire de jeu où la rencontre sportive devient finalement moyen de et prétexte à une construction identitaire du joueur et/ou du groupe mais également à la conservation de l’identité sociale en opposition à la “sauvagerie” de football institutionnel. Leur projet questionne le “ lien d’inclusion entre un objet culturel, ici le football, et des individus issus à chaque fois d’un univers social singulier ”.217 Il prend appui sur deux formes de pratique préalablement identifiées : le football de compétition comme pratique sociale de référence et un football “ sauvage ”. Le premier est compris comme une pratique culturellement définie et reconnue, engageant autant l’ordre des pratiques effectives que l’ordre symbolique ou celui du sens.218 Ils définissent le caractère “ sauvage ” du second à partir du sens donné à cet adjectif par Claude Lévi-Strauss, dans La pensée sauvage.219 A l’identique de ses descriptions et analyses des savoirs ordinaires et traditionnels, il ne s’agit évidemment pas de péjorer l’adjectif et son acception mais seulement de souligner sa légitimité, son crédit et sa capacité à construire et nourrir des actions et des théories sociales. L’enquête, basée sur la comparaison de deux formes de pratiques existantes, se décompose dès lors en trois temps. Elle s’appuie d’abord sur une abondante littérature scientifique pour présenter les éléments saillants du football institutionnelle et des pratiques auto-organisées. Puis, afin de poser l’hypothèse d’un football “ sauvage ”, les auteurs ont observé sur le terrain quelques lieux de pratique urbains, périurbains et ruraux (en régions Nord-Pas-de-Calais, Basse-Normandie et Poitou-Charentes) avant de lancer quelques entretiens non directifs puis semi-directifs avec plusieurs usagers de tous âges de ces mêmes lieux pour valider plus avant les données ressorties çà et là des observations et analyses afférentes autour des axes “ espace - lieu - territoire ”, “ temps - temporalité - histoire - historicité ”, “ culture collective - arts de faire ”, “ sociabilité - socialité ”, “ jeu - activité jouée - pratique de référence ”.

I. Football institutionnel – football “ sauvage ” : du lieu à la nature des pratiques.

Le rendement et la productivité semblent largement constituer les principes organisateurs du football institutionnel. Il est représentatif de la société urbaine et libérale sur la base de laquelle il a tout au long de son histoire vécu ses propres transformations. Cette pratique s’appuyant sur une organisation spatio-temporelle aussi structurée que normée stigmatise les interactions sociales entre les joueurs via le port du maillot qui participe de la définition d’une identité collective et individuelle. D’autre part, elle organise ces interactions sociales sur un mode compétitif où les critères technico-tactique de performance sportive constituent les seuils prioritaires de l’appréciation du jeu. La pratique “ sauvage ” quant à elle, s’approprie temporairement un, voire des, “ terrains de fortune ”. L’organisation du terrain est fluctuante parce que nécessairement adaptée au nombre de joueurs et contingentée par les exigences du lieu. Concrètement, l’organisation de la pratique est référée à la symbolique de la pratique de référence tout en prenant

217. Travert M. (1995), “ Les deux parties de football : dans le stade et au pied des immeubles ”, in Collectif, Football : jeu et société. Les entretiens de l’INSEP, Paris, Insep, pp. 295-307 ; p. 296. 218. cf. Delignières D. & Duret P. (1995), Lexique thématique en sciences et techniques des activités physiques et sportives, Paris, Vigot, p. 162. 240 219. Lévi-Strauss, Cl. (1962, rééd. 1992). La pensée sauvage. Paris : Plon. Among Others ses distances vis à vis d’elle. Cette manière de pratiquer souscrit au précepte de plaisir conjugué subsidiairement à celui de la performance. Le plaisir se mesure d’abord à l’aune de la convivialité diffuse à l’œuvre entre les pratiquants et d’un agir libéré de trop fortes contraintes sociales internes et externes à la pratique. La performance de son côté, visible dans la plupart des pratiques auto-organisées220, est prioritairement perçue dans une dimension de technique individuelle à explorer, expérimenter et valoriser. C’est l’altérité du regard qui est le témoin essentiel de leur pratique performative.

II. Football institutionnel – football “ sauvage ” : la rencontre sportive, lieu et moment de gestion des conflits

La notion de rapport de force au sens générique du terme constitue la clé de voûte sur la base de laquelle se structure et se pose l’enjeu de la rencontre sportive de football. Dans le cadre institutionnel, la gestion des conflits est de deux ordres parallèles. Le premier consiste dans le respect du règlement fédéral lequel figure le référent systématique et ultime. Le second consiste dans la mise en place d’une dynamique de groupe et d’une gestion des ressources humaines reposant sur la sanction des fautes, la recherche de la performance, la mesure d’un rapport de forces entre gains et pertes pour chacune des décisions prises. A l’opposé, dans le football “ sauvage ”, les joueurs recherchent un rapport de force équilibré dans la mesure où ce dernier est la condition essentielle et recherchée d’une gestion numérique des hommes et du score. L’important ne réside pas dans la démonstration d’une surpuissance ou d’une supériorité d’un groupe constitué sur un autre mais dans l’expression du plaisir d’être ensemble et d’une harmonie entre les joueurs. La question du lieu est aussi au cœur de la dynamique de gestion du groupe de sportifs. Dans le cadre de la pratique sociale de référence, le lieu est institutionnalisé, son choix s’impose de l’extérieur en fonction de sa conformité aux règlements et autres attendus institutionnels. Il n’est donc pas sujet à débat entre acteurs de la rencontre. La pratique “ sauvage ” développe pour sa part un rapport au territoire plus complexe et novateur. L’appropriation spatiale d’un lieu dévolu à la pratique n’est pas marquée avec autant d’acuité mais déclinée sur le mode de l’usufruit. L’autre moment duquel surgit la distinction essentielle entre les deux formes de football concerne le rapport à la règle. On passe insensiblement d’une règle ordonnançant le jeu dans la pratique fédérale (“ le jeu, c’est la règle ”) à une règle négociée comme soubassement à l’existence même du jeu dans la pratique «sauvage»(“ la règle pour jouer. ”).

III. Football institutionnel – football “ sauvage ” : la rencontre sportive comme lieu et moment de la construction identitaire.

Les deux formes de football s’opposent également dans leur manière de concevoir la construction identitaire. Si la pratique fédérale s’inscrit largement dans le schéma socialisateur propre aux grandes institutions sociales dont elle est un acteur majeur, la pratique “ sauvage ” participe bien plus d’une acculturation diffuse et indirecte, comme par capillarité.

220. Chantelat, P., Fodimbi, M. & Camy, J. (1996). Sports dans la cité. Anthropologie de la jeunesse sportive. Paris : L’Harmattan. 241 Entre Autres

Le football fédéral est ici encore une fois plus violent – du moins symboliquement – que l’autre pratique présentée. Il impose ses règles, délimite violemment le champ des possibles, ne conçoit l’identité personnelle que dans un cadre holiste où elle est soumise aux pressions culturelles de son environnement social. A l’opposé, la pratique du football “ sauvage ” est marquée par une logique d’acculturation douce. La construction identitaire qui y est à l’œuvre est d’un ordre nouveau conciliant individu et société, communauté et société. Elle est dans un entre-deux de normes et de valeurs qui autorisent à chacun d’y construire sa place sans pour autant obérer la possibilité d’une identité collective tant communautaire que sociétale. Concernant la technique dans le football institutionnel, ce sont simplement les aspects technico-tactiques collectifs qui orientent les comportements individuels. Dans la pratique “ sauvage ”, le modèle de l’élite reste sous-jacent mais la dédramatisation de l’enjeu et du résultat fait naître le sentiment de ne pas jouer le même jeu. Anu Vissel (Estonian Literary Museum, Tartu / Estonie ; [email protected]) évoque dans sa communication “ kiiking – Un sport extrême né d’une tradition estonienne ancestrale ” un nouveau sport, créé en 1997 en Estonie. Le terme vient du mot estonien kiik “ balançoire ” complété du suffixe anglais ing– marquant l’action continue, et donc le balancement à 360 degrés. Le nom de ce sport reflète la tendance estonienne récente de mélanger l’estonien et l’anglais. Le kiiking est né d’une tradition estonienne ancestrale de balançoire, toujours forte au tournant du XIXe et du XXe siècle. La balançoire était un divertissement de printemps, important pour beaucoup de gens suivant la croyance -largement répandue dans l’aire finno-ougrienne, slave et autre, et naturellement aussi parmi les Estoniens- que la balançoire au printemps facilite la croissance des récoltes et maintient en bonne santé bétail et population. Malgré la petitesse du territoire estonien, il y avait beaucoup de différences entre les traditions de balancements du sud et du nord de l’Estonie. Au XIXe siècle, le balancement en Estonie du Sud était pratiqué à une époque spécifique (seulement à Pâques). Les balançoires étaient construites en matériaux légers (balançoires en corde ou en bois léger), et participaient au balancement des personnes à la fois jeunes et plus âgées et cela faisait presque fonction de rituel. Dans l’Estonie du nord, où le balancement était pratiqué durant la saison d’été, donc pas avant Pentecôte et jusqu’au jour de la Saint-Jean, mais sur une plus longue période, de lourdes balançoires de village étaient courantes. Durant les festivités et les week-ends, toute la communauté adulte se réunissait autour d’elles, bien que pratiquées aussi par les jeunes et les célibataires. La large balançoire de l’Estonie du nord est d’origine suédoise. La tradition de balancement de l’Estonie du nord montre une remarquable ressemblance avec la tradition de balançoire de villages de l’ouest de la Finlande. Les balançoires de village aidaient les jeunes gens à communiquer et offraient des possibilités d’interaction sociale pour tous les habitants du village sans tenir compte de leur âge. Les balançoires étaient construites sur l’espace commun du village par les jeunes hommes célibataires, et les personnes qui venaient faire de la balançoire apportaient des cadeaux à ceux qui l’avaient fabriquée. Les jeunes filles chantaient certaines chansons, parce que chanter était une part importante de la culture de la balançoire en Estonie. Les chansons de balançoire ont constitué un répertoire populaire en Estonie du nord qui diffère du reste de l’ancien répertoire folklorique estonien (chansons runes), en termes de techniques de chant spécifiques (voix forte, nombreux mélismes221, “ tourbillons ”, syllabes supplémentaires), de rythme contrôlé par les mouvements de pendule de la balançoire et le tempo lent. Les paroles de ces chansons sont en outre remarquables par leur riche poétique. Le balancement à 360 degrés était parfois pratiqué par de jeunes hommes expérimentés et courageux, mais c’était considéré comme une activité dangereuse qui nécessitait une

242 221. Plusieurs notes pour une seule syllabe Among Others balançoire solide et un pratiquant vigoureux. Cette activité devenait souvent une sorte de compétition entre jeunes hommes. En 1993, un habitant d’une ville de l’ouest de l’Estonie, Ado Kosk, construisit deux balançoires de village. Les cadres étaient identiques, mais les montants étaient de différentes longueurs. Balancer au-dessus d’un axe est plus difficile avec une balançoire qui a de plus longs montants. Cela incita à connaître la durée de vie des montants lors de balancements à 360 degrés. Durant l’été 1996, la première balançoire avec montants de métal télescopiques et roues dentées fut construite, avec une portée de 6 mètres, mais n’autorisant les rotations à 360 degrés qu’avec des montants supérieurs à 4,10m. La balançoire a été montée sur le terrain d’aviation de Pärnu. Pour des raisons de sécurité, les mains et les pieds des utilisateurs étaient assurés. Le modèle de balançoire fut breveté. Le kiiking devint un sport en 1997 : des règles de compétition furent énoncées, et organisées des compétitions pour faire des balancements à 360 degrés avec les plus longs montants. Les rencontres se préparent par groupes d’âges, femmes et hommes étant séparés. En 1999, la fédération estonienne de kiiking fut fondée et devint membre de la société centrale du sport estonienne. Chaque année, plusieurs coupes locales de kiiking ont lieu. Par exemple en 2002, quatre coupes se sont tenues : l’Estonian cup 2002, l’Estonian master cup, l’Estonian Interclub cup, l’Estonian interschool cup 2002 et Saarema 2nd master cup. Un total de 28 matchs se sont déroulés avec 114 participants. 31 sportifs participèrent à L’Estonian cup 2002, 2 clubs pour l’interclub cup et 17 écoles pour l’Interschool cup. Le kiiking, présent aussi dans le Guiness book des records mondiaux, figure dans l’édition 2004, comme l’un des 11 records battus par les Estoniens. Le record pour les hommes est détenu par Andrus Aasamäe à 7,01m, celui des femmes est détenu par Kätlin Kink à 5,86m (http ://www.guinessworldrecords.com). Selon la fédération de kiiking, les participants aux compétitions viennent de Finlande, d’Italie, de France et des Etats- Unis. Les pratiquants du kiiking font la promotion de ce sport comme divertissement et occasion de tester leur habileté et leur courage. Le kiiking peut se pratiquer en été au cours de nombreuses manifestations de plein air : Pentecôte, festivals, manifestations sportives, etc. Pour la pratique populaire du kiiking, les montants sont installés à 3,50m du sol. La personne la plus jeune a avoir jamais effectué un tournoiement à 360 degrés était une petite fille de cinq ans qui pratiquait le kiiking avec sa plus grande sœur. La personne la plus âgée est Leida Severjuk, 86 ans, qui avait aussi une aide sur la balançoire. En temps qu’observateur, je pense que récemment les résultats sportifs (www.kiiking.ee) sont obscurcis par un aspect plus commercial. Soit le kiiking aura l’occasion de se diffuser dans le monde, ainsi que l’espèrent les sportifs ambitieux, soit il restera un divertissement national. Le 28 février 2001, B. Pilvre écrivait dans l’hebdomadaire estonien Eesti ekspress222 : “ Les Estoniens participent au moindre sport où ils ont des chances de s’affirmer. C’est pour cela que les Estoniens s’adonnent à des sports tels que le port des femmes (aussi pratiqué en Finlande) et le kiiking ”. Pour ne pas rester sur une note ironique sur une petite nation d’un million d’habitants, ajoutons que les Estoniens ont revendiqué 65 médailles aux Jeux Olympiques depuis 1912, dont 22 en or. Le nouveau slogan du kiiking – “ vous envoler sans drogues ” – fait la propagande parmi les jeunes d’un style de vie sain et actif.

222. Pilvre (Barby) : Jõukohased spordialad. [Les sports qui conviennent aux Estoniens] Eesti Ekspress, 2001, n° 6, 8 febrier. Voir aussi Vissel (Anu) 2003 : Eestlaste kiigekultuur enne ja nüüd [résumé en anglais “ Swing culture of the Estonians in the past and today ”], journal électronique Mäetagused 21 http ://www.folklore.ee/tagused/nr21/kiik.pdf ainsi que le site web officiel du kiiking : http ://www.kiiking.ee. 243 Entre Autres

Tatjana Eggeling (Université de Göttingen / Allemagne) rend compte dans sa communication “ le mouvement sportif homosexuel ” de son projet post-doctoral qui consiste, dans le cadre d’étude ethnographique, à observer le mouvement sportif gay et lesbien en analysant l’organisation et la pratique du sport. Le mouvement sportif homosexuel a commencé il y a environ 25 ans aux Etats-Unis et existe maintenant partout dans le monde, principalement dans les pays industrialisés. Il consiste en une centaine de clubs locaux, fédérations et instances internationales de sport fonctionnant comme structures organisatrices telles que l’EGLSF (European Gay and Lesbian Sport Federation), la FGG (Federation of Gay Games), et la GLISA (Gay and Lesbian International Sports Federation) ou des fédérations représentant un sport. La population gay, lesbienne, bisexuelle et transsexuelle a aujourd’hui de nombreuses possibilités de pratiquer un sport juste pour le plaisir ou pour concourir dans presque toutes les disciplines. L’étude fera l’analyse d’événements internationaux tels que les Gay Games (un événement multi-sport mondial qui a lieu tous les quatre ans). L’un de nos objectifs est de faire une description dense de l’événement lui-même. Un autre est de faire une recherche parmi les organisateurs et les participants aux événements, aux clubs et organisations locaux et de faire une observation participante au cours de manifestations, lors d’assemblées d’organisations et dans les clubs locaux. Seront explorés les motifs qui les poussent ces sportifs à dépenser du temps et de l’argent pour leur engagement actif. On procèdera à l’étude des structures et des constitutions d’organisations et d’associations et sur la manière dont les personnes s’en occupent en remplissant les obligations de leurs agendas. Toutes les instances mentionnées sont des organisations à but non-lucratif et volontaires entre les sphères d’activités de temps de loisirs et de travail. Certaines sont plus ou moins intégrées dans le monde sportif ordinaire en étant volontaires à des compétitions ou en participant aux ligues. Cette étude fera une observation plus attentive des activités politiques et sociales dans lesquelles s’engagent les organisations en affirmant faire un monde plus tolérant par la lutte contre la discrimination des gays et des lesbiennes dans le sport. Selon leur propre perception, en temps que mouvement qui est plus que seulement dévolu à offrir et permettre des activités de loisirs, leurs valeurs et principes fondamentaux sont délibérément enracinés dans l’histoire. Cela fournit une forte légitimation d’héritage et de significations pour chaque activité sportive constamment en discussion et (re) construction. Les changements sociaux et politiques au sein du mouvement et en général, la nécessité d’établir des règles pour l’organisation et la compétition, en correspondance avec les sanctions sportives internationales forcent le mouvement à trouver une solution à la tension de ses valeurs et de ses nécessaires considérations pragmatiques. Un autre thème de cette étude est de mesurer comment ces valeurs et principes sont abordés et créés comme base solide pour l’action politique et la communication des enjeux et visions au sein de la communauté et dans le monde extérieur. En observant les participants au mouvement sportif homosexuel, le projet aborde aussi les questions de la représentation et de l’utilisation d’un corps (sexué) dans le sport et des performances du corps comme marque de sexualité et de désir. Le projet se positionne dans le domaine de l’ethnologie du sport, des études de la communauté et de l’organisation, des études sur le genre et des études transnationales. Il tracera les grandes lignes des spécificités d’un monde sportif différent fondé sur des valeurs et des visions différentes, ses activités et ses efforts pour transformer des concepts en action. Cela signifie aussi l’analyse des différentes lignes de conflit surgissant à plusieurs niveaux : 244 Among Others

Les méthodes de recherche sont majoritairement des méthodes qualitatives comme l’observation participante à des assemblées et compétitions, les interviews d’organisateurs et de joueurs, et les notes ainsi que les analyses d’imprimés, de vidéos, de dvd, de photographies, et les objets de merchandising, drapeaux, médailles, vêtements et uniformes. Méthodologiquement, des questions doivent être abordées telles que les perspectives “ interne/externe ”, la mobilité des cibles puisque la position du chercheur à la fois observant et participant est une position interne, et puisque les groupes et instances observés sont des acteurs de différents origine et environnement, la plupart voyageant dans le monde entier.

245 Entre Autres

246 Among Others

Ethnology and Sport Cultures: Conflicts, Identities, Encounters

Tatjana Eggeling

Rolf Husmann Institut für Kulturanthfopologie/Europäische Ethnologie, Göttingen, Germany

This session assembled researches on specific forms of sports either locally defined or through the existence of a specific culturally and politically defined “world” of sport. Since the papers presented in this session were of quite different focuses and lead to very informed discussion showing great interest in the ethnology in sport the moderators together with the presenting researchers decided not to write a summary of the papers but to give all of them the possibilty to prepare a short paper on their research. This seemed to be appropriate in order to show the wide range of issues studied by sport ethnologists and to give direct insight in the research projects presented in Marseille. Therefore the reader will find the summaries below together with the email-adresses of the authors. The authors welcome comments and responses to their paper, and we think this would be a good possibility to built networks and contacts between the yet not so many sport ethnologists. You will find here the paper of Christophe Gibout, Calais (together with Christophe Mauny, Poitiers) on football concentrated on events as places where conflicts are managed and identities constructed. The paper of the Estonian researcher Anu Vissel on Kiiking, an extreme sport on swings, which is a specific regional sport originating in the 19th century and is played nowadays as well in competitions as during family events and reflects the use and revival of regional cultural elements. Tatjana Eggeling from Goettingen observes the global homosexual sport movement with focus on organisational modes, sports politics and the specifics of participation at (international) events and in sport groups and associations.

247 Entre Autres

Foot «sauvage» versus football institutionnel : La rencontre sportive comme lieu et moment de gestion des conflits et de construction identitaire “Savage” football vs official football : The sporting meeting as place and moment of management of the conflicts and identity construction

Christophe GIBOUT et Christophe MAUNY223 ([email protected]) Résumé français : Alors que le football moderne et compétitif renvoie à une violence larvée, parfois manifeste, sa sur-médiatisation ne révèle en aucun cas la multiplicité de ses formes de pratique et leurs logiques d’acteurs. Il est pourtant une pratique se déroulant dans des lieux divers à la vue et au su de tout un chacun, en apparence la même que le football institutionnel mais qui cache et renvoie à une autre définition des rapports aux autres, à soi et à la pratique. Ce football «sauvage», au sens de Levi-Strauss, détourne le principe d’opposition au profit d’une construction identitaire basée sur le temps et le lieu des rencontres entre joueurs. Au-delà du jeu de territoire à conquérir, la pratique «sauvage» constitue un territoire de jeu où la rencontre sportive devient finalement moyen de et prétexte à une construction identitaire du joueur et/ou du groupe mais également à la conservation de l’identité sociale en opposition à la «sauvagerie» de football institutionnel. English summary : Whereas modern and competitive football refers to a patent and even obvious violence, its on-mediatization does not underline the multiplicity of the forms of practice of this sport activity and their logics of actors. However, there is a practice being held in various urban and rural places, a practice known by everyone, seemingly the same one as the institutional and federal football but which hides and refer to another definition of the relationships to the others, to oneself and to the practice itself. This “savage” football, within the meaning of Levi-Strauss, twists the opposition’s principle to the profit of an identity construction based on the time and the place of the meetings between players. Beyond the game of territories that have to be conquered, the “savage” practice constitutes a territory of game/ play where the sport’s meeting becomes finally a mean to and a pretext for an identity construction of the player and/or group but also is usefull to the preservation of socio- cultural identity in opposition to the “brutality” or “savagery” of institutional football.

Foot «sauvage» versus football institutionnel : La rencontre sportive comme lieu et moment de gestion des conflits et de construction identitaire Christophe GIBOUT et Christophe MAUNY224

Notre projet questionne le «lien d’inclusion entre un objet culturel ici le football, et des

223. Christophe Mauny est PRAG en EPS à l’Université du Littoral-Côte d’Opale (ULCO, Département STAPS, Calais), doctorant en sociologie à l’Université de Poitiers. Christophe Gibout est maître de conférences en STAPS - Sciences sociales à l’ULCO. Ils sont tous deux chercheurs au laboratoire ICoTEM (EA 2252, MSHS Poitiers) et associés aux laboratoires RELACS et Institut des Mers du Nord (MRSH Dunkerque). 224. Christophe Mauny*, PRAG en EPS et Christophe Gibout**, maître de conférences en STAPS - Sciences sociales, enseignent à l’ULCO et sont chercheurs au laboratoire ICoTEM (EA 2252, MSHS Poitiers) et associés aux laboratoires RELACS, Institut des Mers du Nord** (MRSH Dunkerque) 248 et LEI* (Lille 2). Among Others individus issus à chaque fois d’un univers social singulier.»225 Il prend appui sur deux formes de pratique préalablement identifiées : le football de compétition comme pratique sociale de référence et un football “sauvage». Le premier est compris comme une pratique culturellement définie et reconnue, engageant autant l’ordre des pratiques effectives que l’ordre symbolique ou celui du sens.226 Nous définirons le caractère “sauvage” du second à partir du sens donné à cet adjectif par Claude Lévi-Strauss, dans “La pensée sauvage.»227 A l’identique de ses descriptions et analyses des savoirs ordinaires et traditionnels, il ne s’agit évidemment pas de péjorer l’adjectif et son acception mais seulement, de souligner sa légitimité, son crédit et sa capacité à construire et nourrir des actions et des théories sociales. Notre enquête, fondée sur la comparaison de deux formes de pratiques existantes, se décompose dès lors en trois temps. Elle s’appuie d’abord sur une abondante revue de littérature scientifique pour présenter les éléments saillants du football institutionnelle et des pratiques auto-organisées. Puis, afin de poser l’hypothèse d’un football sauvage“ », nous avons conduit une observation de terrain sur quelques lieux urbains, périurbains et ruraux de pratique (en Régions Nord-Pas-de-Calais, Basse-Normandie et Poitou-Charentes) avant de lancer quelques entretiens non directifs puis semi-directifs avec plusieurs usagers de tous âges de ces lieux pour valider plus avant les données ressorties çà et là des observations et analyses afférentes autour des axes «espace - lieu - territoire», «temps - temporalité - histoire - historicité», «culture collective - arts de faire», «sociabilité - socialité», «jeu - activité jouée - pratique de référence».

I. Football institutionnel – football «sauvage» : du lieu à la nature des pratiques.

Le rendement et la productivité semblent largement constituer les principes organisateurs du football institutionnel. Il est représentatif de la société urbaine et libérale sur la base de laquelle il a tout au long de son histoire vécu ses propres transformations. Cette pratique s’appuyant sur une organisation spatio-temporelle aussi structurée que normée stigmatise les interactions sociales entre les joueurs via le port du maillot qui participe de la définition d’une identité collective et individuelle. D’autre part, elle organise ces interactions sociales sur un mode compétitif où les critères technico-tactique de performance sportive constituent les seuils prioritaires de l’appréciation du jeu. La pratique «sauvage» quant à elle, s’approprie temporairement un, voire des, «terrains de fortune». L’organisation du terrain est fluctuante parce que nécessairement adaptée au nombre de joueurs et contingentée par les exigences du lieu. Concrètement, l’organisation de la pratique est référée à la symbolique de la pratique de référence tout en prenant ses distances vis à vis d’elle. Cette manière de pratiquer souscrit au précepte de plaisir conjugué subsidiairement à celui de la performance. Le plaisir se mesure d’abord à l’aune de la convivialité diffuse à l’œuvre entre les pratiquants et d’un agir libéré de trop fortes contraintes sociales internes et externes à la pratique. La performance de son côté, comme nous le voyons dans la plupart des pratiques auto-organisées228, est prioritairement perçue dans une dimension

225. Travert M. (1995), “Les deux parties de football : dans le stade et au pied des immeubles”, in Collectif, Football : jeu et société. Les entretiens de l’INSEP, Paris, Insep, pp. 295-307 ; p. 296. 226. cf. Delignières D. & Duret P. (1995), Lexique thématique en sciences et techniques des activités physiques et sportives, Paris, Vigot, p. 162. 227. Lévi-Strauss, Cl. (1962, rééd. 1992). La pensée sauvage. Paris : Plon. 228. Chantelat, P., Fodimbi, M. & Camy, J. (1996). Sports dans la cité. Anthropologie de la jeunesse sportive. Paris : L’Harmattan. 249 Entre Autres

de technique individuelle à explorer, expérimenter et valoriser. C’est l’altérité du regard qui est le témoin essentiel de leur pratique performative.

II. Football institutionnel – football «sauvage» : la rencontre sportive, lieu et moment de gestion des conflits La notion de rapport de force au sens générique du terme constitue la clé de voûte sur la base de laquelle se structure et se pose l’enjeu de la rencontre sportive de football. Dans le cadre institutionnel, la gestion des conflits est de deux ordres parallèles. Le premier consiste dans le respect du règlement fédéral lequel figure le référent systématique et ultime. Le second consiste dans la mise en place d’une dynamique de groupe et d’une gestion des ressources humaines reposant sur la sanction des fautes, la recherche de la performance, la mesure d’un rapport de forces entre gains et pertes pour chacune des décisions prises. A l’opposé, dans le football «sauvage», les joueurs recherchent un rapport de force équilibré dans la mesure où ce dernier est la condition essentielle et recherchée d’une gestion numérique des hommes et du score. L’important ne réside pas dans la démonstration d’une surpuissance ou d’une supériorité d’un groupe constitué sur un autre mais dans l’expression du plaisir d’être ensemble et d’une harmonie entre les joueurs. La question du lieu est aussi au cœur de la dynamique de gestion du groupe de sportifs. Dans le cadre de la pratique sociale de référence, le lieu est institutionnalisé, son choix s’impose de l’extérieur en fonction de sa conformité aux règlements et autres attendus institutionnels. Il n’est donc pas sujet à débat entre acteurs de la rencontre. La pratique «sauvage» développe pour sa part un rapport au territoire plus complexe et novateur. L’appropriation spatiale d’un lieu dévolu à la pratique n’est pas marquée avec autant d’acuité mais déclinée sur le mode de l’usufruit. L’autre moment duquel surgit la distinction essentielle entre les deux formes de football concerne le rapport à la règle. Nous passons insensiblement d’une règle ordonnançant le jeu dans la pratique fédérale («le jeu, c’est la règle») à une règle négociée comme soubassement à l’existence même du jeu dans la pratique «sauvage»(«la règle pour jouer.»).

III. Football institutionnel – football «sauvage» : la rencontre sportive comme lieu et moment de la construction identitaire. Les deux formes de football s’opposent également dans leur manière de concevoir la construction identitaire. Si la pratique fédérale s’inscrit largement dans le schéma socialisateur propre aux grandes institutions sociales dont elle est un acteur majeur, la pratique «sauvage» participe bien plus d’une acculturation diffuse et indirecte, comme par capillarité. Le football fédéral est ici encore une fois plus violent – du moins symboliquement – que l’autre pratique présentée. Il impose ses règles, délimite violemment le champ des possibles, ne conçoit l’identité personnelle que dans un cadre holiste où elle est soumise aux pressions culturelles de son environnement social. A l’opposé, la pratique du football «sauvage» est marquée par une logique d’acculturation douce. La construction identitaire qui y est à l’œuvre est d’un ordre nouveau conciliant individu et société, communauté et société. Elle est dans un entre-deux de normes et de valeurs qui autorisent à chacun d’y construire sa place sans pour autant obérer la possibilité d’une identité collective tant 250 communautaire que sociétale. Among Others

Concernant la technique dans le football institutionnel, ce sont simplement les aspects technico-tactiques collectifs qui orientent les comportements individuels. Dans la pratique «sauvage», le modèle de l’élite reste sous-jacent mais la dédramatisation de l’enjeu et du résultat fait naître le sentiment de ne pas jouer le même jeu.

Kiiking – the Extreme Sport Born out of an Old Estonian Tradition Anu Vissel ([email protected]), Estonian Literary Museum

In 1997, a new sport kiiking was created in Estonia. The term comes from the Estonian word kiik ‘swing’ and the English suffix for continual action –ing, denoting 360-degree swinging. The name of the sport reflects the recent Estonian tendency to blend Estonian and English. Kiiking emerged from an earlier tradition of swinging, still strong at the turn of the 19th and 20th century. Swinging was an important spring entertainment for many peoples. The belief that swinging in springtime facilitates the growth of crops and good health of cattle and people was widely spread among Finno-Ugric, Slavic and other peoples, and naturally also among Estonians. Although the Estonian territory is small, there were considerable differences between South and North Estonian swinging traditions. In the 19th century, swinging in South Estonia was performed in a specific time frame (only during the Easter), swings were lightly constructed (rope swings or lighter wood swings), both young and older people were expected to participate in swinging and it served more of a ritual function. In Northern Estonia, where swinging was practiced during the summer season, i.e. not before the Whitsuntide and until Midsummer Day, but for a longer period, heavy village swings were common. During festivities and weekends virtually all of the adult community gathered around these, although swinging was performed by the young and single. The large swing of Northern Estonia is Swedish in origin. The swinging tradition of Northern Estonia bears remarkable resemblance to the village swing tradition of Western Finland. Village swings helped young people to communicate with each other and offered opportunities of social interaction to all village inhabitants regardless of their age. Swings were built on the public land of the village by single young men, and people who came swinging brought presents to the swing makers. Young girls were expected to sing special songs, because singing was an important part of Estonian swing culture. Swing songs make up a popular and distinct song group in Northern Estonia that differs from the rest of the old Estonian folk songs (runo songs) in terms of their specific singing techniques (strong chest voice, many melismata, twirls, extra syllables), rhythm controlled by the pendulum type movements of the swing and slow tempo. In addition, lyrics of these songs are outstanding in their rich poetics. 360-degree swinging was sometimes practiced by especially skilled and brave young men, but it was considered a dangerous activity that required a strong swing and a vigorous swinger. Such swinging often became a sort of competition among young men. In 1993, an inhabitant of a Western Estonian city Ado Kosk, constructed two village swings. The frames of the swings were identical, but the shafts were of different length. Swinging over the axle was more difficult with a swing of longer shafts. This inspired interest in how long can the shafts be for a 360-degree swing. In the summer of 1996, the first swing of metal telescoping shafts and spurs was constructed, with a maximum span of 6 meters, but allowing 360-degree swings only with shafts up to 4.1 meters. The swing was erected on Pärnu airfield. For safety reasons, the swinger’s hands and feet were secured. The swing model was patented. 251 Entre Autres

Kiiking became a sport in 1997: competition rules were worked out, competitions for doing 360-degree swings with the longest shafts were organised. Competitions are held in 6 age groups, men and women separately. In 1999, the Estonian Kiiking Federation was founded and it became a member of the Estonian Central Sport Society. Every year, several local kiiking cups take place. For example, in 2002 four series were held: Estonian Cup 2002, Estonian Master Cup, Estonian Interclub Cup, Estonian Interschool Cup 2002 and Saarema 2nd Master Cup. A total of 28 matches were held, participated by 114 competitors. Estonian Cup 2002 was participated by 31 sportsmen, Interclub Cup was participated by two clubs, Interschool cup by 17 schools. Kiiking has also made it to the Guiness book of world records. In the 2004 Guiness publication, this is one of the 11 records held by Estonians. The men’s record stands at 7.01 m by Andrus Aasamäe, women’s record stands at 5.86 m by Kätlin Kink (http:// www.guinnessworldrecords.com). According to the Kiiking Federation, the competitions have been participated by sportsmen from Finland, Italy, France and the USA. Those active in kiiking, propagate the sport as entertainment and a chance to test one’s skill and bravery. Kiiking can be done in many summer open-air events: Midsummer Day’s Even, festivals, sports events, etc. For popular kiiking, the shafts are set at 3.5 m. The youngest person to ever make a 360-degree swing was a 5-year-old girl who was kiiking with her elder brother. The oldest person is Leida Severjuk, 86, who also had a helper on the swing. As an observer, I feel that lately the sports results (www.Kiiking.ee) are shadowed by a more commercial aspect to the field. Whether kiiking has chances to make it to the wide world, as the ambitious kiiking sportsmen hope, or whether it will remain a national entertainment, is yet to be seen. The Estonian weekly Eesti ekspress wrote on Feb 8, 2001: „Estonians participate in world sports with the least competition and the highest chances of making it. That is why Estonians engage in sports such as wife-carrying (also held in Finland) and kiiking“ (B. Pilvre). To not let it on the note of self-irony of a small nation of one million, let us add that Estonians have claimed 65 medals at the Olympics since 1912, 22 of these golden. The new kiiking slogan: kiiking – high without drugs – in any case propagates a healthy and busy lifestyle among the young.

Literature and sources

Pilvre Barby 2001. Jõukohased spordialad. [Sports that fit Estonians]Eesti Ekspress 2001 nr. 6, 8 vvebruar.

Vissel, Anu 2003. Eestlaste kiigekultuur enne ja nüüd [summary in English “Swing culture of the Estonians in the past and today” in English] electronical journal Mäetagused 21. http://www.folklore.ee/tagused/nr21/kiik.pdf

The official kiiking websitehttp://www.kiiking.e e.

Homosexuals playing sports Dr. Tatjana Eggeling, University of Goettingen, Germany ([email protected])

This post doc project is an ethnographic study on the gay and lesbian sport movement 252 by analysing the insider perspective on organising and playing sport. Among Others

The homosexual sport movement began around 25 years ago in the US and exists now all over the world, mainly in the industrialised countries. It consists of hundrets of local clubs, single sport federations and international bodies functioning as roof organisations as the EGLSF (European Gay and Lesbian Sport Federation, FGG (Federation of Gay Games), and GLISA (Gay and Lesbian International Sports Federation) or federations representing one sport. Gay, lesbian, bisexual and transgender people today have many possibilities to play sport just for fun or for competing in nearly every discipline. The study will analyse international events as Gay Games (a global multisport event taking place every four years), Outgames (also a quadrennial global multisport event) or Euro Games (every year but Gay Games years). One focus is to do a thick description of the events itself. Another one to do research amoung organisers and participants of events and local clubs or organisations and to do participant observation at events and in assemblies of organisations and in local clubs. Here will be explored their motives driving them to spend a lot of time and money for their active involvement. Additionally will be done an examination on the structure and the constitutions of organisations and associations and how people handle them in fulfilling the tasks of their agenda. All mentioned bodies are non-profit and voluntary organisations standing between the spheres of leisure time activities and politics. Some are more ore less integrated in the mainstream sport world be it as volunteers at competition events or in participating in leagues. The project will do a closer look at the politics and societal activities all organisations are involved in claiming to make the world a more tolerant and accepting one by fighting discrimination of gays and lesbians in sport. According to their self perception as a movement which is much more as only dedicated to manage and offer leisure time activities and fun their values and core principles are deliberately rooted in a history. This provides a special and strong legacy and means of legitimation for every activity in sport and sport politics which are constantly under discussion and (re- )construction. Social and political changes within the movement and in general, the neccessity to formulate rules for management and competition, also in correspondence with international sanctions in sport forces the movement to find a way in the tension of its values and necessary pragmatical consideratios. How those values and principles are discussed and created as a firm base for political action and communication of goals and visions into the own communities and the outer world is a further topic of the project. Looking at participants of the homosexual sport world the project also deals with questions of the representation and use of a (gendered) body in sport and bodily performances as marker of sexuality and desire. The project is located in the fields of sport ethnology, in community and organisation studies, in gender studies and transnational studies. It will outline the specifities of this distinct world of sports based on distinct values and visions, its activities and efforts to tranform the concepts into action. It means also to analyse the different conflict lines arising on different levels: Research methods are mainly qualitative methods as participant observation at assemblies and competition events, interviews with organisators and players, and notes as well as the analysis of printed matters, videos, dvds, photographs, and objects merchandising articles, flags, medals, clothes and uniforms. Methodologically to be discussed are issues like insider/outsider perspectives, moving targets as the researcher‘s position is an insider position being an observer and participant simultanesously, and as the observed groups and bodies consist of actors of different regional origin and background and many of them traveling all around the globe. 253 Entre Autres

254 Among Others

Jeux et sports en tant que lieux et temps d’exacerbation ou de brouillage des différences

Anne Marcellini

Laboratoire « Génie des Procédés Symboliques en Santé et en Sport, Université Montpellier 1.

Six communications ont été présentées dans le cadre de cet atelier abordant de façon diversifiée la question des significations des pratiques corporelles et, en particulier, la question de l’expression des différences et des identités au travers des jeux et des sports. En effet, les jeux corporels et les sports, en tant que pratiques sociales universelles, donnent lieu à la rencontre avec l’Autre sur le mode de l’interaction directe (pratiques « mixtes »), ou indirecte (pratiques séparées, ou spectacles), et constituent, à ce titre, un terrain d’analyse possible des modalités d’appréhension des différences au sein des sociétés. Loin des positions tranchées et militantes, l’atelier a questionné des réalités aussi diverses que le football professionnel et ses associations de supporters, le spectacle sportif du stade et ses liens symboliques avec l’arène antique, les salles de remise en forme et les relations sociales singulières qu’elles abritent, puis l’engouement récent pour les danses « exotiques ». Des regroupements particuliers, construits sur la différence, ont également été évoqués, comme le mouvement sportif homosexuel, ou encore celui des personnes handicapées. Les jeux et les sports, mais aussi les danses, sont des pratiques sociales dans lesquelles le corps est mis au premier plan, donnant forme concrète et visible à des logiques, des structures, des valeurs, des catégorisations sous jacentes. C’est à ce titre qu’elles intéressent les sciences sociales dans leur réflexion sur la différence. L’atelier a permis la présentation de recherches, qui, en étudiant ces pratiques corporelles, permettent d’éclairer les jeux d’affirmation ou d’effacement des différences qui habitent celles-ci et donnent sens à la fois à l’engagement individuel et collectif dans les pratiques corporelles mais aussi aux mises en scène des spectacles sportifs actuels. Le sport, en tant que pratique institutionnalisée et compétitive, se distingue des autres jeux corporels informels ou des pratiques corporelles artistiques. La médiatisation du sport de haut niveau, qui en rend les échos et images omniprésents, amène à l’envisager aujourd’hui comme un spectacle devenu incontournable, en particulier dans les sociétés riches, et dont le succès semble ne devoir jamais être démenti. Mais de quel spectacle s’agit-il ? 255 Entre Autres

Nancy Midol229 (« Le sport est-il un vecteur de fascisme ? ») a présenté une réflexion critique des propositions de Peter Sloterdijk230 sur le lieu sportif, et plus précisément le stade. Le philosophe, dénonçant la médiatisation totale des sociétés modernes, associe l’arène sportive du stade à l’arène antique. Il l’analyse comme structure architecturale enfermante et meurtrière dans laquelle la guerre est mise en scène. Cette violence prend sens dans la distinction entre vainqueurs et victimes. Nancy Midol voit dans le spectacle sportif, médiatisé, mondialisé, et dramatisé le lieu et le temps d’une exacerbation de la différence entre vainqueurs et vaincus, d’une théâtralisation du principe de la domination et de la violence sociale. Mais plus qu’un divertissement de masse de type fasciste se reproduisant systématiquement dans la structure architecturale de l’arène, comme l’interprète Peter Sloterdijk, le sport est plutôt à comprendre, pour Nancy Midol qui se réfère au philosophe René Girard231, comme l’expression, par imitation, de la violence de la société. Evoquant le contre-exemple du cirque, dont l’arène apparaît comme plus protectrice et liante que meurtrière et enfermante, Nancy Midol renvoie à une analyse de contenu de ce qui est offert en spectacle, plus qu’à l’hypothèse d’une relation univoque entre affect et architecture. Et au-delà du spectacle officiel sur le terrain, Jean-Charles Basson et Ludovic Lestrelin232 (« Les territoires identitaires du supportérisme français. Olympique de Marseille – Racing Club de Lens : confrontation ethnologique ») ont montré combien les gradins de l’arène, ceux du stade de football en l’occurrence, sont loin d’être le lieu d’enfermement passif ou d’oubli d’elles-mêmes des « masses déprimées ». Etudiant les supportérismes « officiel » et « autonome », leur recherche présente deux « peuples des tribunes » qui usent des temps de rencontres sportives pour exprimer, au travers d’un même soutien au club de l’Olympique de Marseille, leurs différences dans le rapport à l’institution officielle. Les « autonomes », mieux définis par l’appellation d’« Ultras », en s’opposant aux normes instituées et à ceux qui les suivent (les masses serviles désignées par l’expression « les mastres ») construisent dans le stade des territoires, s’appropriant des zones à partir desquelles le groupe acquiert une grande visibilité, organisant dans « les virages » un véritable spectacle dans le spectacle. Ces démonstrations collectives marquent ainsi leur existence et une identité singulière, en affirmant leur différence avec les groupes de supporters officiels qui, dispersés dans le stade, s’affichent sous la houlette du club (même lorsqu’ils viennent d’une autre région233) dans une forme carnavalesque et bon enfant. Mais cet affichage spectaculaire de la différence et du conflit est mis en regard par les chercheurs avec des pratiques associatives qui brouillent les cartes. En effet, les liens et les négociations entre les « Ultras » et l’institution officielle sont plus que développés, et l’approche comparative montre que la différence et l’autonomie revendiquées par ces groupes sont toutes relatives. Le match de football serait ainsi, selon les intervenants, plutôt le lieu de l’expression spectaculaire et de l’exacerbation de « petites différences », entre deux modèles de supportérisme qui seraient devenus en réalité très poreux. On le voit, le spectacle du sport de haut niveau est pluriel, à la fois dans l’arène et dans les gradins, mais la mise en scène génère le sentiment d’une exacerbation des différences qu’il s’agisse des différences entre vainqueurs et victimes, ou entre soumis et rebelles. Plus que le lieu d’une simple imitation de la violence ou des conflits sociaux, le spectacle sportif se révèle ici comme le lieu et le temps d’une expression physique, incarnée et caricaturale d’identités qui par ailleurs se révèlent fluctuantes ou incertaines. Le sport serait ici le lieu 229. Nancy Midol. LAMIC, Université de Nice, Sophia-Antipolis. . 230. Sloterdijk (Peter). : Ni le soleil ni la mort, avec H.-J. Heinrichs, Paris : Pauvert/Fayard, 2003 (Die Sonne und Tod, Frankfurt am Main : Suhrkamp Verlag, 2001). 231. La violence et le sacré, Paris : Grasset, 1972 232. Faculté des Sciences du Sport de l’Université de Rouen. ; . 233. Lestrelin (Ludovic) : Habiter Rouen et supporter l’Olympique de Marseille, une approche 256 sociologique du supporterisme à distance. DEA STAPS, université de Rouen, 2001 Among Others d’affirmation et de réaffirmation récurrente d’un ordre binaire et d’identités groupales auxquels le stade offre un lieu de visibilité. C’est aussi de visibilité et d’identité qu’il s’agit semble-t-il, dans l’engagement sportif singulier de groupes minoritaires et discriminés tels qu’exposés par Sylvain Ferez et Anne Marcellini. Depuis une décennie environ se développent des événements sportifs d’ampleur internationale donnant lieu à une médiatisation perceptible par le grand public. A ce titre, c’est l’événement paralympique qui est l’occasion principale de visibilité des sportifs handicapés. La communication « La mise en scène du corps handicapé sportif dans la photographie de presse : modalités singulières d’exposition de la différence » présentée par Anne Marcellini234, visait à mettre en évidence la façon dont les différences des sujets dits handicapés y sont retranscrites. Tout d’abord si certaines différences (déficiences) sont mises en scène (en particulier les paralysies, les amputations appareillées, les déficiences visuelles), d’autres sont notablement absentes (la déficience mentale et l’infirmité motrice cérébrale en particulier). Ensuite la mise en scène du corps handicapé sportif s’inscrit dans une logique mimétique avec celle du sportif ordinaire en mettant l’accent sur le corps en mouvement, l’action sportive prise sur le vif, l’intensité émotionnelle perceptible dans les expressions du visage, qu’il s’agisse de la joie du vainqueur ou encore de la souffrance pendant l’épreuve. D’ailleurs, certaines photos masquent les différences jusqu’à les rendre totalement invisibles, brouillant finalement la compréhension même de ce dont il est question, et laissant au texte de l’article ou de la légende le soin de « dire » la différence. Mais la plupart des photographies mettent en scène les déficiences, au travers, entre autres, d’une mise en avant des technologies de pointe utilisés par les athlètes, donnant ainsi à voir le sportif handicapé comme l’archétype de l’humain amené à la performance par la haute technologie. L’exacerbation de la différence, contenue dans la séparation formelle des événements olympique et paralympique, se trouve ainsi brouillée dans la mise en miroir produite par les photographies sportives, dans lesquelles la technologie est convoquée pour annuler l’image de l’infirmité. L’analyse du mouvement sportif homosexuel, plus récent que celui des personnes handicapées, apparaît quant à lui comme marqué par une logique de différentiation. Sylvain Ferez235 souligne dans son exposé « Mouvement sportif homosexuel : différenciation sexuelle, indifférenciation sportive et construction sociale des genres » que l’une des spécificités du mouvement sportif homosexuel est sans doute d’être partagé, comme l’ensemble du mouvement homosexuel, entre une revendication de différenciation et d’indifférenciation. La logique de différentiation est fondatrice puisqu’il s’enracine dans l’expérience douloureuse de l’homophobie dans le mouvement sportif traditionnel : le choix d’une pratique sportive dans un club homosexuel s’inscrit comme opposition au milieu sportif hétérosexiste. Mais cette revendication du droit à la différence sexuelle s’accompagne d’une logique d’indifférenciation associée à un désir de reconnaissance sportive. Les actions collectives du mouvement sportif homosexuel empruntent ainsi des stratégies identitaires à la fois antagonistes et complémentaires : une stratégie d’autonomisation où la force du « nous » est valorisée par la défense d’un sport souverain, et une stratégie de conformisation où des rapprochements sont tentés avec le sport officiel légitimé socialement, postulant que les voies de l’émancipation ne peuvent se construire en ignorant la culture dominante. Mais au-delà du rapport aux objets sociaux que figurent le sport et la sexualité, se joue finalement de manière sous-jacente, au travers d’enjeux socio-affectifs homologues, la construction sociale des genres.

234. Anne Marcellini, Laboratoire « Génie des procédés Symboliques en Santé et en Sport », JE 2416, Université Montpellier 1. . 235. Laboratoire « Génie des procédés Symboliques en Santé et en Sport », JE 2416, Université Montpellier 1. . 257 Entre Autres

Au-delà de la sphère sportive institutionnalisée, réglementée et organisée sur la primauté de la logique compétitive qui donne lieu à des spectacles de masse, les pratiques sportives sont donc investies aujourd’hui comme théâtre pour une mise en scène de groupes singuliers, discriminés, mise en scène à la fois construite par les groupes en question et filtrée ensuite par le jeu médiatique qui travaille ce qu’il veut bien donner à voir de ces représentations et expressions collectives. Mais au-delà encore du jeu sportif, c’est dans des espaces plus invisibles, voire confinés, que certaines pratiques corporelles donnent à voir le jeu des différences. Audrey Ernst236 s’est attachée dans sa communication « Le corps ou le jeu des différences : ethnographie d’un centre de remise en forme » a présenter ce cadre de pratique intergénérationnel, mixte et accessible à un large public. Ces centres constituent un lieu propice au « brassage » d’individus différents, qu’il s’agisse de leur culture d’origine, de leur catégorie sociale, de leur profession, de leur situation familiale ou encore de leur sexualité. A ce titre, le centre de remise en forme s’offre comme terrain d’observation des relations sociales qui peuvent se développer dans la rencontre de telles différences, rencontre par ailleurs peu fréquentes. Dans ce contexte, la mise en avant de l’individu et de son corps est majeure, et le rapport à l’autre et aux différences semble paradoxal. L’observation de type ethnographique du centre de remise en forme permet de montrer que les stéréotypes masculin-féminin sont ici accentués tout d’abord par une « sexualisation » des espaces, la zone des appareils de travail de la force musculaire étant par exemple quasi-exclusivement masculine. Ensuite, la sexualisation est encore renforcée par un apparat prononcé qui se construit au travers du vêtement et des accessoires de la pratique. Ici, le rapport à la norme corporelle et au regard de l’autre renvoie chacun à sa propre différence et conformité avec les modèles idéaux. Mais il convient également de souligner le mode de fonctionnement relationnel singulier observable au sein de ces espaces, marqué par un anonymat et un mélange des individualités, donnant lieu à des relations généralement limitées aux temps de la pratique. Finalement, ces espaces apparaissent également comme lieux et temps de décloisonnement des catégories et d’acceptation des différences vécues comme salutaires et garantes d’un lien social simplifié et anonyme. Changeant de contexte, Maud Nicolas237 nous mène à « La rencontre avec un certain « autre » à travers les danses « exotiques » à Marseille », c’est-à-dire dans un rapport particulier à la différence. A partir des années 1980, en Europe de l’Ouest, émerge un engouement nouveau (renouveau, comme on le verra aussi) pour des pratiques de danses dites « exotiques », notamment les danses africaines, indiennes, orientales et sud- américaines. Ces deux dernières se sont particulièrement développées en France ces dix dernières années. Leur étude permet de rendre compte de la rencontre de « l’autre » à travers le lieu du corps. Cours de danse, spectacles de danseurs et danseuses, c’est à un certain type de technique du corps, adapté au contexte dans lequel il prend place, et à une certaine idée du « bien danser » que renvoient ces nouveaux usages métisses du corps. L’image de « l’autre » y est particulièrement construite, et renvoie à une identité hybride. Deux types de pratiques dansées, communément appelées « la danse orientale » et « la salsa » ont été étudiés dans le contexte marseillais, qui a vu se multiplier ces dernières années le nombre de cours de danse de ce type, de même que le nombre de pratiquants. Ces pratiques corporelles, à tendance artistique, sont un lieu de contact, mais aussi un lieu d’exposition de certaines identités, qui font référence à des stéréotypes préexistants (celui, ancien, de la « danse du ventre », véhiculé par les peintres, les écrivains et les cinéastes, et celui d’un certain exotisme « latino »). Ce sont ces figures, fruits de la rencontre avec un ou plutôt des « autres », qui sont véhiculées à travers les pratiques 236. Laboratoire « Génie des procédés Symboliques en Santé et en Sport », JE 2416, Université Montpellier 1. 237. Laboratoire d’Anthropologie des Pratiques Corporelles, Université Blaise Pascal, Clermont- 258 Ferrand II. Among Others de danse récemment développées à Marseille. Ces pratiques se présentent ainsi comme réalisation d’un désir de rencontre culturelle qui passe par l’appropriation de pratiques corporelles venues d’ailleurs, sous tendu par une vision positive de la différence. Des pratiques corporelles gymniques ou artistiques du quotidien aux pratiques compétitives hypermédiatisées et à leur spectacle, les jeux du corps apparaissent, dans les sociétés modernes comme supports de l’expression physique des identités, qu’il s’agisse des identités locales, communautaires, ou de genre. Ces expressions corporelles, ces mises en scène du corps semblent majoritairement dire le besoin d’affirmation des différences et de revendication identitaire. Les jeux et les sports se présentent ainsi comme des lieux et des temps d’exacerbation de certaines différences, dans lesquels l’individu cherche à affirmer, « par corps », un positionnement identitaire singulier. Mais ces affirmations de soi, qui passent par une mise en jeu du corps devant autrui, se révèlent souvent innovantes au regard des catégorisations sociales classiques, exposant des identités métisses, éventuellement contradictoires au regard des classifications préalables, comme celle de sportif-handicapé, de supporter de l’OM du Nord de la France, ou encore d’européen- latino. En ce sens les pratiques corporelles participent aussi d’un processus de brouillage des catégories existantes par la construction de nouvelles, dans lesquelles la mise en lien avec l’autre différent est patente.

259 Entre Autres

260 Among Others

Atelier / Synthèse

Culture matérielle et système de représentation

Thème 6 : Les pratiques de consommation d’objets et/ou de biens culturels comme expression des métissages, des réinventions ou des recyclages

261 Entre Autres

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Objets de rencontre, objets de disputes ou comment faire parler les objets des relations entre les sociétés d’Europe et de la Méditerranée

Joaquim Pais de Brito Musée national d’Ethnologie de Lisbonne / Portugal

Denis Chevallier MuCEM, Marseille / France

Dans la lignée des études publiées à la fin des années 1980 par Arjun Appadurai et Igor Kopittof,238 les travaux sur les objets considérés sous l’angle des transformations de leurs statuts dans les différentes situations qui jalonnent leur existence se sont multipliés ces dernières années. En Europe, cette réflexion s’est développée dans le cadre d’un ensemble foisonnant de recherches sur les processus de patrimonialisation dont l’ethnologie française, notamment, semble avoir fait un des ses objets privilégié.239 Les responsables de l’atelier proposaient donc de rassembler certains de ces travaux et de les placer dans la perspective centrale de ce colloque : la construction d’un musée de société à vocation comparatiste pour l’ensemble de l’aire culturelle euro-méditerranéenne. Si désormais la polysémie et la multiplicité des statuts que prennent les objets au cours de leur vie est un fait largement admis dans le monde des ethnologues chargés de musées de société, les manières de les “ faire parler ” dans la cadre d’expositions destinées à des publics variés donnent toujours lieu à des débats passionnés.

238. Appadurai (Arjun) éd. : The social life of things. Commodities in cultural perspective. Cambridge : Cambridge University Press, 1986. Kopittof (Igor) : The cultural biography of things. Commoditization as process, in Appadurai A., éd. 1986, p.64-91. 239. Bromberger (Christian) & Chevallier (Denis) eds. : Carrières d’objets. Innovations et relances. Paris : MSH, 1999 (= Ethnologie de la France n°13) - Bromberger (Christian), Chevallier (Denis) et Dossetto (Danièle), dir. : De la châtaigne au Carnaval. Relances de traditions dans l’Europe contemporaine, Die : Ed. A Die, 2002 [Mission du patrimoine ethnologique]. Bonnot (Thierry) : La vie des objets. D’ustensiles banals à l’objets de collection, Paris : MSH, 2001 (= Ethnologie de la France n°22) Debarry (Octave) : La fin du Creusot ou l’art d’accommoder les restes, Paris : CTHS, 2002. Dupré (Lucie) : Du marron à la châtaigne d’Ardèche. La relance d’un produit régional, Paris : 263 CTHS, 2002. Entre Autres

Les dix communications présentées ont ainsi permis de vérifier, s’il en était encore besoin, que les objets sont bien des acteurs privilégiés des rencontres et des conflits qui se jouent aujourd’hui en Europe et dans le bassin méditerranéen. Pourtant, après avoir décrypté le rôle joué par les objets dans les rapports sociaux, après avoir décrit les mutations de leurs statuts dans l’histoire des sociétés, après avoir isolé les principales étapes de leur biographie, il convenait de poser une question qui paraissait centrale : comment traduire dans l’espace du musée, avec les moyens du langage propre aux musées, toute la richesse et la subtilité des informations incorporées dans les objets ? Ce fut l’objet principal des débats de cet atelier.

Ce que nous “ disent ” les objets

Les rencontres entre les civilisations : parmi les objets acquis récemment par le Musée national des arts et traditions populaires dans la perspective de sa transformation prochaine en un musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée beaucoup ont été sélectionnés pour leur capacité à exprimer des contacts entre des “ mondes ” différents. Le contact culturel se traduit par celui qui va s’effectuer entre des formes et des matériaux. Cette commode syrienne en incrustation de nacre acquise par le Musée national a une forme qui s’inspire du mobilier occidental mais sa technique de mise en œuvre est spécifique au Proche-orient. Cette chape chrétienne est utilisée pour le culte catholique arménien mais son étoffe de soie a été tissée au XVIème à Bursa en terre musulmane, en Turquie. On retrouve dans cette robe palestinienne des broderies dont les motifs ont été lancés, dans les années trente, par la célèbre firme de Mulhouse, D.M.C. La rencontre peut aussi s’exprimer autour d’un même objet utilisé par des groupes d’origines ethniques ou religieuses différentes. Le musée présente dans une exposition de préfiguration du futur musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée une lampe à huile, dite lampe à treize godets, produite en Kabylie et utilisée aussi bien dans les rituels de mariage des communautés juives que musulmanes. On a longuement évoqué cette robe blanche de mariage issue d’une production de masse d’une enseigne très populaire en France, la maison Tati, fréquentée aujourd’hui par les communautés les plus diverses. Les conflits. Là aussi les exemples sont issus du corpus des objets acquis récemment par le MNATP. Au centre d’une polémique très virulente en France aujourd’hui, le voile islamique est sans doute l’un de ces objets qui portent en eux les incompréhensions, voire les conflits entre les civilisations. Des objets comme le skate-board ou des panneaux couverts de tags expriment des conflits autour de l’espace urbain. Selon qu’ils les pratiquent ou qu’ils les subissent, les acteurs sociaux auront des parfois positions violemment opposées, surtout dès lors que l’on envisage de faire entrer ces objets dans ce sanctuaire qu’est le musée. L’organisation du groupe et les hiérarchies sociales. Certains objets sont au centre d’enjeux de pouvoir pour la communauté toute entière. La conque appelée Buzio et utilisée en Galice du sud pour signaler le roulement des tours d’eau d’irrigation dans les villages symbolise le pouvoir d’un homme qui, un an durant, a le pouvoir de régler les conflits autour de l’eau. 264 Among Others

Les harnachements des chevaux qui défilent dans certains villages provençaux à l’occasion des fêtes de la saint Eloi traduisent, par leurs décors et leur ordonnancement dans la cérémonie, un ordre social basé sur l’honneur, la hiérarchie, l’émulation mais aussi le souci de la communauté de pouvoir remettre en cause l’attribution des honneurs et des pouvoirs. Les identités et les appartenances. Les processus complexes de désignation et d’appropriation, que certains appellent patrimonialisation, débouchent souvent sur la promotion de certains objets comme emblèmes ou comme marqueurs identitaires. Célébré par les folkloristes, conservé par les muséographes, le harnachement de la saint Eloi mentionné plus haut fait partie de ces objets dont la mise en scène a su conférer une forte charge d’identification pour la communauté.240 Il en est de même pour le tablier blanc des Mari. L’assimilation par le monde slave puis par culture soviétique de ce peuple finno-ougrien vivant sur les rives de la Volga a contribué à faire d’un attribut particulier, un élément du costume, un emblème identitaire, au point même que les conservateurs l’auraient volontairement exclu des collections du musée. A un tout autre niveau, on peut interpréter l’emballage comme moyen d’identification d’un produit à une région ou à une culture. On étudie dans cette optique les différentes formes de bouteilles d’huile d’olive. Aux étalages des grandes surfaces ou des boutiques spécialisées, les bouteilles de forme “ marasca ”, “ frasca ” ou bordelaise doivent indiquer au consommateur qu’il est en présence d’une huile provenant d’Italie, d’Espagne ou de France. La rareté, voire l’absence, des objets peut aussi être signe de construction identitaire. Comment le prisonnier ou le clochard vont-ils organiser un monde avec de nouveaux objets qui sont souvent récupérés ? Par quelles pratiques du corps, l’esclave ou le bagnard – dépossédés des outils et des emblèmes de leurs cultures d’origine – vont-ils réorganiser leur univers symbolique ?

Comment “ faire parler ” les objets ?

De la même façon qu’ils nous parlent d’art ou d’esthétique dans un musée de beaux arts, d’histoire dans un musée d’histoire, les objets parlent de sociétés dans un musée de société. Ici les objets seront rangés par grand thème, là par école. Dans certains musées, ils sont organisés pour dire une chronologie, dans d’autres pour montrer des évolutions techniques. Dans le musée de société, et en particulier celui qui occupait plusieurs participants à cet atelier, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, l’objet est inscrit dans un dispositif (certains parleront de discours ; d’autres de scénographie ou de muséographie) permettant d’exprimer des parentés et des différences au sein de systèmes culturels, dont l’objet n’est qu’une expression très partielle.241 Deux logiques pourront ainsi coexister pour présenter les objets : celle de leur mise en scène (on parle aussi de contextualisation) afin qu’ils puissent témoigner d’un système d’usage et de représentation ; celle de leur confrontation / juxtaposition dans laquelle ils

240. Selon le point de vue où l’on se place, il traduira différents niveaux d’appartenance : la Provence, le village, la confrérie organisatrice. 241. On parle alors de la métonymie de l’objet. 265 Entre Autres

exprimeront rencontres ou conflits. La mise en scène. La situation de l’objet peut exprimer son statut à un moment donné. Ainsi en est-il de l’objet en situation marchande exposé pour être vendu. Par exemple, les stratégies de présentation d’objets aussi spécifiques que des robes et accessoires de mariage ou des bijoux identitaires en disent long sur les conceptions de l’objet et de leurs destinataires que tentent d’imposer les acteurs commerciaux. Ainsi la façon d’exposer et de faire essayer les robes de marié dans le magasin Tati du boulevard Barbès marque une volonté d’effacer les distinctions sociales. Ici chacun, quelque soit son pouvoir d’achat ou sa religion, est accueilli de la même façon. Au cours de l’achat, et en particulier lors des cérémonies d’essayage, il accepte d’être confronté à d’autres groupes culturels. Tout se passe comme si l’enseigne se voulait un prolongement du monde extérieur, un boulevard grouillant d’un monde cosmopolite, où s’abolirait pour un instant dans une communion consumériste toutes distinctions de race ou classe. Cette stratégie semble encore renforcée dans une boutique voisine appartenant à la même enseigne, Tati or, où l’on range ensemble, presque pêle-mêle, dans une vitrine dite “ fantaisie ”, tous les bijoux pouvant devenir signes distinctifs : croix catholiques, mains de Fatima, étoiles de David, talismans et porte-bonheur variés. La procession des chevaux harnachés des Fêtes de la saint Eloi est elle-même la mise en scène d’un ordre social. Les premiers, les plus richement harnachés appartiennent aux membres les plus actifs de la confrérie. Pourtant, à un moment donné de la fête, le bouclage du cercle des attelages va permettre au dernier de précéder le premier, signifiant peut-être par là la méfiance de la communauté devant un pouvoir qui doit toujours pouvoir être remis en question. Logique de juxtaposition. L’objet dans le musée de société n’est jamais seul. Associé à une image, un film, un cartel explicatif, il est aussi très souvent, dans l’espace qui lui est attribué, associé à d’autres objets semblables ou au contraire opposés par leur forme, leur fonction. Le skate-board sera exposé dans une série typologique (de la caisse à savon à la planche de compétition) ou bien dans son lieu d’exercice, la rue, la place ou le skate-park, selon que l’on voudra mettre l’accent sur sa dimension technique, sportive ou urbaine. Mais si notre propos est d’insister sur l’appartenance de cet objet à une culture donnée, on l’associera à d’autres éléments de la culture Hip-hop comme des tags, des danses et des musiques spécifiques. La conque destinée à rappeler aux usagers leur droits à l’eau peut être présentée associée à d’autres objets (utilisés dans d’autres sociétés pour un usage identique : bâtons à mesurer l’eau, petits papiers… soit avec d’autres instruments du même type qui ont des usages différents dans d’autres sociétés : instruments des ténèbres dans les rituels carnavalesques ; signalement de passages de certains poissons ou cétacés, rituels guerriers. La diversité des objets présentés, des situations dans lesquelles ils apparaissent sur la scène des sociétés étudiées témoignent de la richesse d’un champ d’investigation : les rôles joués par les objets dans nos façons de dire, de faire et finalement d’organiser le monde. L’ethnologie européenne avait semble-t-il un peu oublié le champ de la culture matérielle. A l’instar du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille, la mise en place de nouveaux établissements culturels destinés à questionner les cultures des sociétés européennes et méditerranéennes est l’occasion d’ouvrir à la recherche en sciences sociales de nouveaux chantiers de recherche sur la place des objets dans la vie 266 des sociétés au XXIe siècle. Among Others

Cet atelier tentait d’esquisser quelques pistes. Souhaitons avec tous les participants que ces ouvertures auront les retombées attendues sur les enseignements et les programmes de recherche.

267 Entre Autres

268 Among Others

Objets d’ailleurs : expressions matérielles de la différence et de l’appartenance

Maja Povrzanovic Frykman

IME - Migration internationale et relations ethniques, Université de Malmö / Suède

Les organisateurs du colloque SIEF-ADAM « Entre autres : rencontres et conflits en Europe et en Méditerranée », ont déclaré qu’au XXIe siècle, nous vivions tous « entre autres ». La société est culturellement hétérogène, comme en témoigne par exemple un centre métropolitain qui attire des travailleurs immigrés du monde entier, ou un hameau de montagne visité par les touristes et cerné par les médias planétaires et la technologie de la réalité virtuelle. Les lieux, les objets comme les pratiques culturelles qui sont étudiés pour comprendre leurs appartenances semblent comme noyés dans le jeu des interactions et des négociations avec ces « Autres » qu’ils soient situés historiquement ou culturellement L’atelier « Objets d’ailleurs : expressions matérielles de la différence et de l’appartenance », a contribué à la réflexion sur la relativité de comme celles ci : qu’est ce qui est autre ? ; de qui est-on l’autre ? ; qui décide où est le centre ou la périphérie ? ; Qu’est ce qui est lointain et qu’est ce qui est proche ?, « ailleurs » veut-il dire loin et inconnu ou très familier, impliquant un attachement émotionnel intense ? L’atelier a présenté des analyses d’objets quotidiens, souvenirs incarnant les mémoires, objets empreints de significations symboliques – provenant d’autres lieux et situés dans des contextes tant privés que publics, comme autant des signes d’appartenance, comme marque d’un statut social, comme sanctuaire d’une histoire familiale, ou comme signes consciemment manipulés d’une différence culturelle. L’intérêt pour des objets d’ailleurs a contribué de façon significative à la compréhension de la complexité des relations et des connexions dans la construction du voisinage et de la communauté au travers d’objets et de pratiques qui leurs sont associés. « Conflits et rencontres » furent interprétés comme différences et appartenances attestés par le sens des objets. La session a traité de quêtes à partir de sources multiples et des tentatives de retrouver des appartenances avec des pertes et des reconnections. Il s’est agi de déplacement de personnes de replacement d’objets. Grâce à des intermédiaires – pour négocier des significations et communiquer au travers des objets, pour obtenir un statut à travers des créations culturelles. Cela dans différents contextes et par différents moyens de transport et de transmission des objets (du téléchargement d’objets imprimables depuis le net, ou le transport de machines à laver d’Italie vers le Maroc, par exemple). 269 Entre Autres

Les valeurs, les émotions et les pratiques furent souvent au centre des travaux quand ils portent sur des objets d’ailleurs dans des contextes diasporiques, y compris les pratiques des travailleurs immigrés et réfugiés. Les énormes quantités d’objets, prévus pour la plupart pour un usage quotidien, qui sont transportées dans des cars, bus, bateaux et avions toujours surchargés qui relient les maisons des travailleurs émigrés et réfugiés dans différentes parties d’Europe, et même dans différents continents, plaident pour une description ethnographique et une interprétation qui permettra de commenter les nouvelles interrelations et processus intégrés aux expériences diasporiques ainsi que dans les pratiques transnationales des migrants. Ceci est d’autant plus d’actualité que les catégories d’espaces sociaux / culturels, même si elles sont abandonnées dans la production actuelle ethnologique et anthropologique, sont toujours clairement présentes dans tous les discours sur l’appartenance, et particulièrement dans ceux liés aux personnes d’ailleurs, telles que les migrants, les exilés et les réfugiés. Un autre domaine d’intérêt concerne les pratiques d’élaboration et de présentation des collections ethnographiques dans les musées et sur des sites patrimoniaux. Jusqu’à quel point et pourquoi certains objets – définis comme « propres » ou « autres » - sont- ils présents ou manquent-ils ? Les objets d’ailleurs ont, historiquement, fait partie intégrante de la vie de tous les jours dans la zone méditerranéenne ainsi que dans beaucoup d’autres endroits d’Europe. Les exemples d’images identitaires régionales ou nationales étalées publiquement, ce qui exclut les objets vus autrement comme familiers ou « spécifiques », sont cependant d’un intérêt particulier. La session a montré comment les collections ethnographiques peuvent être interprétées dans des sens où les certitudes spatiales inhérentes aux notions de voisinage et de communauté se trouvent déstabilisées. Les pratiques de formation et de présentation de telles collections peuvent aussi être révélatrices des rapports entre centres et périphéries que l’on se situe à un niveau national ou international. L’évocation de la politique du lieu et de la culture permit d’analyser les positions des érudits, des conservateurs de musées et de l’intelligentsia. Les participants à l’atelier ont présenté des aperçus qui défient les catégories d’appartenance qui semblaient à priori aller de soi. Ils ont abordé des rapports et des connexions entre les objets et les gens et entre les objets et les lieux qui ne sont devenus évidents que grâce à un travail ethnographique sur le long terme et en de multiples endroits. Fondées sur du matériel ethnographique, leurs contributions ont fourni l’occasion d’aborder des questions théoriques montrant que l’intérêt pour des objets d’ailleurs peut permettre de formuler d’intéressants prémisses aux études sur la culture matérielle. Les contributions présentées durant la session peuvent être rassemblées en quatre sous- sessions intitulées : Objets migrants, Rapatrier le passé, Régimes de valeur et Défis translocaux.

Objets migrants

Dans sa contribution, « La dentelle turque dans toutes sortes de contextes », Hilje van der Horst (Meertens Institute, Amsterdam) a présenté son travail de recherche en cours sur l’ameublement et la décoration des maisons de migrants turcs et de leurs descendants aux Pays-Bas, particulièrement en ce qui concerne les relations de sexe et intergénérationnelles. Elle a pris pour exemple les diverses utilisations de la dentelle en plastique produite en masse. Cet article est le mieux vendu d’une compagnie de marchandises en gros importées de Turquie et principalement fréquentée par les Turcs à Amsterdam. On peut comparer ce type d’article à la dentelle artisanale achetée à Ottomania, un luxueux magasin de 270 décoration intérieure très attrayant pour la classe moyenne branchée hollandaise. La Among Others communication abordait en outre la question de l’évaluation et de la circulation de la dentelle couramment produite par les femmes turques vivant à Amsterdam. L’auteur a démontré que « suivre un objet » est une étape méthodologique intéressante pour la compréhension des négociations d’identité ethnique au travail parmi les classes moyennes diasporiques contemporaines. Paola Gandolfi (IDEAS – Centre interdisciplinaire, Université Casa Foscari de Venise) est intervenue au sujet de « L’utilisation des objets par les migrants marocains comme signifiants matériels et symboliques d’appartenances culturelles et de statuts sociaux ». S’appuyant sur un travail de terrain au Maroc et en Italie, elle a abordé la façon dont, pour les migrants transnationaux marocains, se matérialise la culture d’origine la culture du pays d’accueil à travers les objets. L’analyse des implications pratiques et symboliques à la fois des objets modernes provenant d’Italie ou d’Europe et des objets traditionnels provenant du Maroc est très pertinente pour la compréhension des multiples appartenances culturelles / sociales des migrants marocains.

Rapatrier le passé

La communication présentée par Andrea Smith (Lafayette College, Easton, Pennsylvanie) intitulée « Le présent est un pays étranger : lieux de mémoire des rapatriés dans le sud de la France », est basée sur une recherche ethnographique menée entre 1995 et 2001 avec d’anciens colons d’Algérie. Elle a exploré leur passion pour les anciens monuments et sites commémoratifs. Leurs modes de vie dont ils sont nostalgiques ne sont pas seulement révolus car, contrairement à la plupart d’autres patrimoines, ils sont relégués à un passé qui a été jugé inacceptable par l’opinion publique. C’est une gêne, et par conséquent, un héritage que les Français renient. D’après Andréa Smith, c’est aussi pour cette raison que des individus essayant en toute conscience de s’intégrer à la société française n’ont pu se sentir enracinés. Elle a abordé la politique impliquée dans le rapatriement des monuments, des tombes et autres objets matériels par lesquels ces anciens colons espéraient commémorer leur passé colonial comme part et parcelle de leurs histoires de vie. L’intervention de Michèle Baussant (Université de Laval, Québec), intitulée « Notre-Dame de Santa Cruz et les Français d’Algérie : les relations entre objet de dévotion et mémoire », portait sur la reconstruction et la transposition d’un lieu de culte catholique dédié à une petite statue de Notre-Dame de Santa Cruz, rapatriée d’Oran (Algérie) à Nîmes en 1965. Ce culte est particulièrement significatif pour la communauté européenne chrétienne d’Algérie qui comprend majoritairement des Français mais aussi des ressortissants d’autres pays. Au pèlerinage annuel du jour de l’Ascension, environ 100.000 personnes – natives d’Algérie mais déracinées et dispersées après 1962 – se réunissent dans ce lieu de pèlerinage comme ils le faisaient dans le passé en Algérie. Michèle Baussant a interprété l’importance de la statue comme signe matériel du passé algérien de ces personnes dans le processus de reconstruction de l’identité et de l’espace social. La statue a permis aux pèlerins de s’enraciner eux-mêmes dans un endroit collectif, de l’inscrire dans un passé commun, et de transmettre ainsi une mémoire vivante. Marie-Blanche Fourcade (Université Laval, Québec) est intervenue sur la représentation du mont Ararat sous de multiples formes – cartes postales, peintures ou photographies – dans des intérieurs domestiques arméniens à la fois en Arménie et dans des contextes de diaspora. Dans sa communication « Le Mont Ararat dans les intérieurs domestiques de la diaspora arménienne, ou la reconstruction d’une nouvelle Arménie », Marie-Blanche Fourcade a exploré ces objets en relation avec le récit de l’identité en exil. Elle a montré comment – de façon visible ou invisible aux visiteurs – l’acquisition et l’installation de ces objets qui symbolisent le pays d’origine sont des moyens d’y adhérer en dépit de la 271 Entre Autres

distance. Elle a montré l’ambiguïté de la notion d’ « ailleurs » dans sa double référence à l’étranger et au différent aussi bien qu’au semblable et familier. Son analyse résume bien ce que sont les négociations culturelles et patrimoniales dans les diasporas.

Régimes de valeur

Avec sa communication « Perles, corps et régimes de valeur en France et en Amérique du Nord (1500-2000) », Laurier Turgeon (CELAT, Université Laval, Québec) a présenté la fascinante histoire de l’appropriation de perles de verre et de coquillages venant de France par les Amérindiens d’Amérique du nord aux XVI, XVII 17 et XVIIIe siècles. Il a pu établir une comparaison avec l’histoire des pierres et métaux précieux de la Renaissance française. Basant son travail sur la « biographie des objets », il a reconstruit les trajectoires des perles et pierres de façon à découvrir comment elles étaient utilisées dans la production de valeur et, in fine, dans l’élaboration de l’identité des groupes. Durant la Renaissance française, les pierres et métaux précieux étaient prisés pour les mêmes raisons que les Amérindiens accordaient de la valeur aux perles : ils étaient de petits objets brillants, durs et acculturés, portés comme ornements de corps pour exprimer la durabilité et l’identité individuelle ainsi que collective. Laurier Turgeon a mis en lumière la façon dont les régimes de valeur en tant qu’ « opérateurs d’identité » se sont construits au travers d’échanges interculturels. Les Amérindiens et les Européens ont produit des objets précieux de la même façon et pour les mêmes raisons, bien que fondamentalement ces objets restent différents puisque véhicules à l’époque d’identités différentes. Dans sa communication « Des curiosités au patrimoine ancien : le changement de signification des objets ethnographiques et des collections d’Istrie au cours du XXe siècle », Lidija Nikocevic (Musée ethnographique d’Istrie, Pazin, Croatie) a montré comment, durant les cent dernières années, diverses autorités en Istrie (la région nord- ouest de Croatie) ont choisi des objets spécifiques pour illustrer et représenter leurs projets politiques et esthétiques. Alors que les ethnographes autrichiens étaient majoritairement intéressés par les objets exotiques reflétant l’hybridité de la culture istrienne, des objets totalement différents ont été choisis après la deuxième Guerre Mondiale pour illustrer l’ « ancien » et « originel » patrimoine slave d’Istrie de façon à légitimer les nouvelles idées politiques de cette époque. Cependant, ils ont parfois choisi les mêmes objets, mais en leur donnant des significations différentes selon l’idéologie en cours. Dans les structures de la Croatie depuis les années 1990, la valeur symbolique est liée aux objets qui, en Istrie, montrent la particularité et la spécificité de sa culture – non seulement dans les campagnes publiques (politiques et touristiques), mais aussi dans l’intimité des maisons. L’exposé « Kilim, soupe et village : la patrimonialisation populaire d’une culture rurale dans un bidonville d’Ankara », a abordé la patrimonialisation d’un groupe de villageois alevi (minorité hétérodoxe), initiée par d’anciens migrants en Europe de l’ouest. Benoit Fliche (IDEMEC, MMSH, Aix-en-Provence & IFEA, Istanbul) a présenté un village, déserté depuis une trentaine d’années, mais aujourd’hui totalement réinvesti affectivement et patrimonialement. Le sentiment d’une identité villageoise est né à nouveau, menant à la réinvention de célébrations et cérémonies, ainsi qu’à la redécouverte d’une « culture rurale » et à la construction de musées locaux. Cette patrimonialisation populaire de la culture d’origine montre comment un groupe tente de se réapproprier une culture dont il a été déshérité à cause de l’intense folklorisation suivant la construction de l’état-nation turc. Benoit Fliche s’est concentré sur les dialectiques entre la folklorisation « d’en haut » et celle « d’en bas » : les mêmes processus sémiotiques et des réifications identiques sont 272 utilisés dans les deux cas. Among Others

Défis translocaux

Helene Brembeck et Magnus Mörck (tous deux du Département d’ethnologie et Centre des sciences de la consommation, Université de Göteborg / Suède), ont abordé quelques situations difficiles que connaissent certains objets définis comme étant « d’ailleurs », de même que les limites de leur insertion dans la catégorie du familier ou de l’acceptable. Helene Brembeck dans son exposé « Traduire le global :’ la première approche sans frontière du genre’ » chez McDonald a traité de la translation d’objets depuis le marché mondial vers un contexte suédois local. Elle a expliqué l’échec de l’ambition de la campagne publicitaire de McDonald « I’m lovin’ it » à agir comme un objet frontière, un concept unificateur qui lierait les consommateurs du monde entier à la compagnie d’une façon uniforme, par la diversité des interprétations gravées dans les expériences des gens sur les lieux de leur vie de tous les jours. Dans sa communication « Objets intrus : l’espace moral d’un webring de la poupée de papier », Magnus Mörck a exploré de nouvelles formes de culture matérielle sur le web. Le travail traditionnel autour du papier, comme la fabrication de poupées de papier et de modèles de cartes, a été revitalisé par les fichiers de données. Il peut être téléchargé et imprimé localement par les utilisateurs. Ce nouveau media permet ainsi de disposer potentiellement d’un nombre immense d’objets. Cependant, comme les objets sont liés aux enfants et aux femmes, l’utilisation de ce media dans d’autres contextes, comme la maladie, la pornographie ou la politique, contribue parfois à rendre l’expression visuelle de ces sites, très dérangeante.

Conclusions

Daniel Miller (University college, Londres) a participé aux discussions pendant la session. Ses commentaires et ses questions ont été particulièrement appréciées par les intervenants qui mènent leur recherche dans les domaines privés des maisons particulières qui intéressent tout particulièrement ce chercheur. Dans la mesure où les participants avaient tous soumis leurs textes à l’avance, Jonas Frykman, discutant invité, professeur au département d’ethnologie européenne à l’Université de Lund, avait préparé un résumé de la session qui mettait en lumière ses principaux apports en termes de compréhensions ethnographiques et d’implications théoriques. Il a présenté dans les grandes lignes les dénominateurs communs théoriques des interventions selon deux aspects. Voici un extrait de son intervention : « En premier lieu, les objets d’ailleurs peuvent être considérés comme des symboles ; des représentations de quelque chose de perdu ou de gagné. Les « bâtisseurs » de musées collectaient les objets pour établir des représentations de différentes étapes de civilisation ; ainsi représenter l’appartenance ethnique, l’identité régionale et ainsi de suite. Dans le domaine privé, des objets comme le mont Ararat ou d’autres choses provenant d’une maison abandonnée – comme une poupée, un livre ou une petite statue de la Vierge – sont investis d’un énorme pouvoir. A ce niveau, les objets sont souvent interprétés en relation avec un écrit ou un récit, et d’une certaine façon, ils deviennent la matérialisation même d’un tel discours. L’exemple de la relation entre Notre-Dame de Santa Cruz et la destinée du pied-noir raconte précisément cette histoire. Avec d’autres objets d’un monde perdu, ils créent une géographie sentimentale pourvue d’un fort potentiel politique. La présence même de tels objets peut contribuer à transformer des endroits en lieux de souvenir, de deuil, de fête et de célébration. 273 Entre Autres

Deuxièmement, les objets ne sont pas définis par des discours, et les symboles ne sont pas la même chose que des textes. Jusqu’à un certain point, les symboles sont sans limites et leur interprétation sera toujours inévitablement source de conflit et de différence. Les symboles qui expriment un message clair sont liés à ce message même. Quand un état, un groupe ethnique, une région ou une famille est symbolisé par un monument particulier, ce monument est susceptible de perdre son pouvoir quand cette signification disparaît. Le sort des monuments socialistes de l’Europe de l’Est est une bonne illustration de ce phénomène. Ils ont été difficiles à « intégrer » avec les dommages de tous les jours. Mais les symboles où les gens peuvent projeter quelque chose d’eux-mêmes ont une capacité émotionnelle plus forte. C’est précisément quand ils deviennent véhicules dans la formation d’une identité personnelle qu’ils s’intègrent doucement dans la culture individualiste d’aujourd’hui. Il semble que si les gens sont très attentifs à s’approprier des choses d’ailleurs, cela leur permet de se construire une image plus intéressante d’eux- mêmes. Les objets qui sont hors de leur propre contrôle leur font courir des risques. En effet, dès lors que vous êtes défini par une chose, ou un symbole, votre liberté devient limitée. En temps que choses, les objets ont aussi un aspect très pratique. Beaucoup sont utilisés dans des contextes de tous les jours. Ils ont la capacité de constituer l’action pratique d’individus et de groupes. Au lieu d’être des symboles ils fonctionnent, à l’instar de la machine à laver, comme des outils. L’impact de leur présence devrait être appréhendé pour ce qu’ils font et non pour ce qu’ils représentent. Par exemple, si elle est décorée de dentelle, la maison semble différente, elle induit différentes manières de bouger ou de tenir les objets. Etudier la manière dont les objets d’ailleurs sont utilisés aussi bien dans la scène quotidienne que dans la vie politique nécessite une attention toute particulière à la variation et à la complexité. Il est trop facile de voir comment les individus deviennent impliqués ou sont interpellés par les objets en question. Il arrive que les personnes interviennent dans leurs propres vies en faisant quelque chose de pratique avec les objets qui les entourent, en les mettant dans de nouveaux contextes ou en les mélangeant à des objets « d’ici » de la façon la plus créative et surprenante qui soit. C’est pour cela que cet atelier a plaidé pour une ethnographie plus approfondie – à la fois dans le domaine privé et dans des espaces publics. Plutôt que de se demander pourquoi les gens ont ou utilisent des objets d’ailleurs, les questions devraient explorer plutôt où, comment, par qui et quand. Chaque objet a sa propre dynamique. Il est parfois investi d’une importance politique, souvent il a une fonction plus cachée. Il peut aussi être totalement exclu de toute circulation culturelle et finir dans l’oubli, à la poubelle. Quelquefois aussi les objets changent et de symboles politiquement importants ils deviennent des éléments d’un patrimoine culturel qui peut être regardé par des écoliers et protégé par les gardiens professionnels de la culture.

274 Among Others

Objects from Elsewhere: Material Expressions of Difference and Belonging

Maja Povrzanovic Frykman

International Migration and Ethnic Relations (IMER) Malmö University, Sweden

The organisers of the SIEF-ADAM Congress “Among Others: Encounters and Conflicts in European and Mediterranean Societies” (Marseille, 26-30 April 2004), stated that in the 21st century, we all live “among Others”. Society is experienced as culturally heterogeneous, irrespective of whether it is a metropolitan centre that attracts labour migrants from around the world, or an isolated mountain hamlet visited by tourists and embraced in the global arms of the mass media and technology’s virtual reality. Places, objects, and the cultural practices we devise to experience their ownership are all engulfed in reflection and negotiation vis-à-vis historic and present cultural Others. The session, “Objects from Elsewhere: Material Expressions of Difference and Belonging”, contributed to reflection on the relativity of what and who is Other as well as on who decides – and how – on the locations of centre and periphery, on what is distant and what is close, and whether “elsewhere” denotes the faraway and the unknown or the very familiar, implying intense emotional attachment. It presented analyses of objects of everyday use, souvenirs embodying memories, and objects invested with symbolic meanings - coming from elsewhere and situated in private and public contexts - as signs of belonging, as signals of social status, as shrines of family history, or as consciously manipulated signs of cultural difference. The interest for objects from elsewhere significantly added to the understanding of the complexity of relationships and connections in the construction of locality and community through objects and embodied practices. “Conflicts and encounters” from the subtitle of the general theme of the congress, were interpreted as difference and belonging that can be achieved or proved by the means of objects. The session dealt with multifaceted quests and attempts to belong: with loss and connection - displacement of people and replacement of objects, with agency and choice - negotiation of meanings and communication through objects, with creativity and status-gaining strategies, and with different contexts and the different channels of transporting and transmitting objects (from downloading printable objects from the web, or transporting washing machines from Italy to Morocco, for example). Values, emotions and practices were in focus, connected to objects from elsewhere in diasporic contexts, including the practices of labour and refugee migrants. 275 Entre Autres

The enormous quantities of objects, mostly intended for everyday use, that are transported in – always overloaded – cars, buses, ships and planes that connect the labour and refugee migrants’ homes in different parts of Europe, or even in different continents, plead for an ethnographic description and interpretation that outlines new relationships and processes embedded in the diasporic experiences as well as in the transnational practices of migrants. This is particularly relevant inasmuch as the naturalised nominal categories of social/cultural spaces, even if abandoned in the current ethnological and anthropological production, are still vividly present in a variety of discourses on belonging, and especially in those related to people from elsewhere, such as immigrants, exiles, and refugees. Another realm of interest concerned practices of forming and presenting ethnographic collections in museums and at patrimonial sites. To what extent and why are objects – defined as “own” or “others’” – present or missing? Objects from elsewhere have, historically, been an integral part of the everyday life in the Mediterranean area as well as in many other parts of Europe. Examples of regional and national identity images on public display, that excludes objects otherwise seen as familiar or “own”, are therefore of special interest. The session showed how ethnographic collections can be reflected upon in the frames of theoretical impulses that destabilise the spatial certainties inherent in notions of locality and community. The practices of forming and presenting such collections can also reveal a lot about the relationships between national and foreign centres and peripheries. In considering the politics of place and culture, the positions of scholars, museum curators and the (national) intelligentsia in general were also discussed. Participants in the session presented insights that challenge taken for granted categories of belonging. They discussed relationships and connections between objects and people and between objects and places that only become obvious through long-term, multi- sited ethnographic work. Based on ethnographic material, their contributions provided opportunities to discuss theoretical questions concerning how the interest for objects from elsewhere can formulate rewarding entries into the study of the processes of materializing culture. In addressing the issues listed above, the papers presented in the session were grouped into four sub-sessions entitled: Migrating Objects, Repatriating the Past, Regimes of Value and Translocal Challenges.

Part 1: Migrating Objects In the paper, “Turkish” lace in a variety of contexts, Hilje van der Horst (Meertens Institute, Amsterdam) presented her ongoing research on furnishing and decoration of the homes of Turkish migrants and their descendants in The Netherlands, with special regard to gender- and intergenerational relations. Examples of different uses of mass- produced plastic lace, which is the best selling item of a wholesale company specialising in imported goods from Turkey and mainly visited by Turks in Amsterdam, were juxtaposed to examples of hand-made lace purchased in Ottomania, a luxurious home decoration shop appealing to the trendy Dutch middle class. Furthermore, the evaluation and circulation of lace currently produced by Turkish women living in Amsterdam was discussed. Hilje van der Horst proved that “following an object” is a rewarding methodological venue towards an understanding of negotiations of ethnic identity at work in diasporic, as well as contemporary European middle-class settings. Paola Gandolfi (IDEAS - Interdipartimental Centre, Universita “Ca’ Foscari” di Venezia) 276 talked about Moroccan migrants’ uses of objects as material and symbolic meanings Among Others of cultural belongings and social status. Basing her paper on fieldwork conducted in Morocco and Italy, she discussed the “materialization into objects” of the culture of origin and the culture of the host country, in the experiences of Moroccan transnational migrants. The analysis of practical and symbolic implications of both “modern objects” coming from Italy or Europe and “traditional” objects from Morocco is highly relevant for understanding the multiple cultural/social belongings of Moroccan migrants.

Part 2: Repatriating the Past Andrea Smith (Lafayette College, Easton, PA) presented the paper The present is a foreign country: Repatriate “lieux de mémoire” in Southern France, based on ethnographic research from 1995-2001 with former settlers from Algeria, exploring their yearning for former monuments and memorial sites. The way of life for which they are nostalgic is not only over, but unlike many other heritages, is a past that has been deemed unacceptable for public celebration, an embarrassment, and consequently is a heritage that the French deny and actively silence. According to Smith, that is even why individuals consciously trying to integrate into French society have found it impossible to feel rooted. She discussed the politics involved in the repatriation of monuments, gravestones and other material objects with which these former settlers hope to commemorate the colonial past as part and parcel of their life histories. Related to the previous paper was the one by Michèle Baussant (Université Laval, Québec), entitled Our Lady of Santa Cruz and the French of Algeria: The relations between a devotional object and memory. She presented the reconstruction and the transposition of a Catholic place of worship dedicated to a little statue of Our Lady of Santa Cruz, repatriated from Oran (Algeria) to Nîmes (France) in 1965. It is of particular significance to the Christian European Community of Algeria that mostly includes French, but also other nationals. At the annual pilgrimage on the day of Ascension, about one hundred thousand people – natives of Algeria who were uprooted from that country and dispersed in 1962 – gather by this shrine just as they did in the past in Algeria. Baussant interpreted the importance of the statue as a material sign of these people’s Algerian past in the process of the reconstruction of identity and social space. The statue enables the pilgrims to root themselves in a collective place, to inscribe it in a common past, and to thereby transmit a living memory. Marie-Blanche Fourcade (Université Laval, Québec) talked about the representation of Mount Ararat embodied in a multitude of forms – postcards, bas-reliefs, paintings or photographs – in Armenian domestic interiors both in Armenia and in diasporic contexts. In her paper Mount Ararat in Armenian diasporic domestic interiors, or the rebuilding of a new Armenia, Fourcade explored these objects in relation to the narrative of identity in exile. She showed how - whether visible or invisible to the visitor - the acquisition and installation of these objects that symbolize the homeland are ways of endorsing it in spite of distance. Importantly, she pointed out the ambiguity of the notion of “elsewhere” in its double reference to alien and different as well as to similar and familiar, which summarizes the cultural and patrimonial negotiations in diasporic communities.

Part 3: Regimes of Value The paper, Beads, bodies, and regimes of value in France and North America (ca.1500- ca.2000), given by Laurier Turgeon (CELAT, Université Laval, Québec), introduced us to the fascinating history of the appropriation of French glass and shell beads by Amerindian groups in North-eastern North America during the sixteenth, seventeenth and eighteenth 277 Entre Autres

centuries, and compared it to the history of precious stones and metals in Renaissance France. Basing his paper on the “biography of objects”, he reconstructed the trajectories of beads and stones in order to find out how they were used in producing value and, ultimately, in the shaping of group identity. In Renaissance France, precious stones and metals were prized for the same reasons that Amerindians valued beads: they were shiny, hard and small acculturated objects worn as body adornment to express durability and individual as well as collective identity. Turgeon shed light on how regimes of value as “operators of identity” are constructed through intercultural exchange. Amerindians and Europeans produced precious objects in the same way and for similar reasons, although the objects themselves remained fundamentally different because they were the vehicles of different identities. In her paper From curiosities to “Ancient heritage”: The changing significance of Istrian (ethnographic) objects and collections throughout 20th Century, Lidija Nikocevic (Ethnographic Museum of Istria, Pazin) showed how, during the last hundred years, various authorities in Istria (the northwestern region of Croatia) have selected specific objects to illustrate and represent their political and aesthetic projects. While Austrian ethnographers were predominantly interested in exotic objects illustrating the “hybridity” of Istrian culture, completely different types of objects were selected after the Second World War to illustrate the “ancient” and “original” Slavic heritage of Istria in order to legitimate new political ideas of that time. However, they sometimes chose the same objects but gave them different meanings depending on the ideology involved. Within the frames of Croatia since the 1990s, symbolic value is attached to objects in Istria that show the particularity and specificity of its culture – not only in public (political and tourist) campaigns, but also in the privacy of people’s homes. The paper entitled Kilim, soup and village: the popular patrimonialization of a rural culture in an Ankara shantytown dealt with the popular patrimonialization of an Alevi (heterodox minority) villager group, initiated by former migrants to Western Europe. Benoit Fliche (IDEMEC, MMSH, Aix-en-Provence & IFEA, Istanbul) presented a village, deserted some thirty years ago, which is today reinvested in both affective and patrimonial ways. A villager identity feeling is reborn, leading to the reinvention of celebrations and ceremonies, as well as to the rediscovery of “rural culture” and including the construction of domestic museums. This popular patrimonialization of origin culture shows how a group attempts to re-appropriate a culture from which it was disinherited because of the intense folklorization following the construction of the Turkish nation-state. Fliche focused on the dialectics between the folklorization “from above” and “from below”: the same semiotic processes and similar reifications are used in both.

Part 4: Translocal Challenges In the fourth and final sub-session,Helene Brembeck and Magnus Mörck (both from the Department of Ethnology and Centre for Consumer Science, Gothenburg University), addressed some of the predicaments of defining objects as being “from elsewhere” as well as the limits of their inclusion in the category of the familiar or acceptable. Brembeck’s paper Translating the global: “The first-of-its-kind borderless approach” at McDonald’s dealt with the translation of objects from the global marketplace to a local Swedish context. She explained the failure of McDonald’s “i’m lovin’ it” advertising campaign’s ambition to act as a border object, a unifying concept that connects consumers all over the world to the company in a uniform way, by the diversity of interpretations embedded in people’s experiences in the locales of their everyday life. 278 Among Others

Magnus Mörck’s paper entitled Trespassing artefacts: The moral space of a paper doll web-ring, explored new forms of web-based material culture. Traditional paper-crafts, such as the making of paper dolls and card models, have been revitalized by data files and can be downloaded and printed out locally by the users. The new medium thus makes an immense number of artefacts potentially available. However, as the crafts are connected to children and females, the use of this medium in other contexts such as disease, pornography or politics sometimes makes for highly disturbing visual statements.

Conclusions It is worth mentioning that Danny Miller (University College, London), one of the most outstanding scholars in the field of material culture studies, participated in the discussions throughout the session. His comments and questions were especially appreciated by the presenters in the session, who actually conduct research in the private domains of people’s homes - something that Miller pleaded for in his keynote speech at the Congress. As all participants had submitted their papers in advance, the invited discussant Jonas Frykman, Professor at the Department of European Ethnology at Lund University, was able to prepare a discussion that summarized the session and highlighted its main achievements in terms of ethnographic insights and theoretical implications. He outlined the theoretical common denominators of the papers from two aspects. Here follows a quote from Jonas Frykman’s concluding discussion: “In the first place, objects from elsewhere can be looked upon as symbols; representations of something lost or gained. The museum builders were collecting objects to stand as representations of different stages in civilization; as representing ethnic belonging, regional identity and so on. In the private domain, objects like Mount Ararat or things from a deserted home – such as a doll, a book or a small statue of the Holy Virgin – become invested with enormous power. At this level, the objects are often interpreted in connection to a written or narrated discourse, and in a particular way become the very materialisation of such a discourse. The example of how the Lady of Santa Cruz was connected to the destiny of the pied noir tells precisely that tale. Together with other objects from a world lost, they create a sentimental geography with great political potential. The very presence of such objects can contribute to making places into sites of remembrance, mourning, feats and celebration. Secondly, objects are not defined by discourses, and symbols are not the same as texts. To a varying degree, symbols are open-ended and their interpretation will inevitably always be a source of conflict and difference. Symbols that have a clear message are bound to that very message. When a state, an ethnic group, a region or a family is symbolised by a certain monument, that monument is liable to lose its power when the meaning is no longer there. The fate of socialist monuments in Eastern Europe is a good illustration of this. They were hard to integrate with every day’s wear and tear. But symbols people can project something of themselves into are having a stronger emotive capacity. It is precisely when they become vehicles in the forming of a self-identity that they fit smoothly into today’s individualistic culture. It seems as if people are very careful to appropriate things from elsewhere as that makes it possible for them to construct a more interesting or rewarding image of themselves. Objects that are out of their own control are more risky, because the moment you are defined by the thing, or the symbol, your freedom becomes limited. As things, they also have a very practical aspect to them. Many are – as with the beads – used in everyday contexts. They have the capacity to form the practical action of individuals and groups. Instead of being symbols – like the washing machine – they 279 Entre Autres

function as tools. The effect of their presence should be seen in terms of what they do, not what they represent. For example, the home looks different and provokes different ways of moving and handling objects if it is adorned with lace. The subject field of how objects from elsewhere are used in the everyday as well as in the political arena must give considerable attention to variation and complexity. It is too easy to see how people become implicated or interpellated by the objects in question. People happen to be present in their own lives, and they do something practical with the objects that surround them by putting them into new contexts and combining them with objects from here in the most creative and surprising ways. They are only to a limited extent instances of ideologies or discourses. That is why this session calls for more profound ethnography – both in the home and in public spaces. Rather than asking why people have or use objects from elsewhere, the questions should instead explore where, how, by whom and when. Every object has a dynamic life of its own. It is sometimes invested with political importance, and sometimes it has a more concealed function in the everyday. It can even be totally removed from cultural circulation and end up in oblivion, in the dustbin. And sometimes objects change from being politically important symbols to become parts of a cultural heritage that can be looked at by school classes and guarded by professional cultural caretakers.”

280 Among Others

Atelier / Synthèse

Religiosité et idéologie

Thème 7 : Confrontation et mixité de la pratique religieuse en Méditerranée

281 Entre Autres

282 Among Others

Syncrétisme et mixité de la pratique religieuse en Méditerranée

Thomas Hauschild Université de Tübingen / Allemagne

Sabina Magliocco California State University – Northridge / USA

Des mineurs bavarois, des mages maures et sainte Thérèse d’Avila : la sourcellerie entre Europe et Méditerranée (Jean-Yves Durand) Cette intervention traite de la pratique de la sourcellerie, aussi connue sous le nom de radiesthésie : l’utilisation d’un bâton fourchu, d’un pendule ou de tout autre instrument pour localiser l’eau, un trésor ou des minerais dans le sol. La première mention de la sourcellerie date du XVe siècle en Bavière. Elle était utilisée par les mineurs pour localiser les veines de minerais dans la terre. A partir de là, elle semble s’être développée à travers l’Europe jusqu’à la Russie à l’Est et en l’Angleterre à l’Ouest. Les premiers radiesthésistes utilisaient un bâton fourchu comme outil pour localiser ce qu’ils cherchaient. Au tout début du XIXe siècle, le pendule est apparu comme leur instrument de prédilection probablement sous l’influence du siècle des Lumières. A la fin du XIXe siècle, il y eut des tentatives pour prouver la valeur scientifique de la radiesthésie en faisant le lien avec l’électromagnétisme, les lignes de force et autre spéculation pseudo-scientifique. Aujourd’hui, la radiesthésie ou la sourcellerie sont pratiquées par un grand nombre de personnes à travers le monde. Cette pratique n’a rien d’exclusivement méditerranéenne. Les instruments autrefois bâtons fourchus et pendules sont devenus des tiges faites à partir de cintres en fil de fer tordu, même si certains radiesthésistes utilisent des bâtons fourchus en fibre de verre. Alors que les représentations populaires de la radiesthésie ont mis l’accent sur son caractère ancien, rural, paysan, cette pratique n’a rien de particulièrement populaire ou ancienne. Malgré certaines revendications populaires qui veulent faire remonter cette pratique à l’antiquité Il n’existe aucune source qui permette de trouver des traces d’enracinement de cette pratique dans le monde romain ou égyptien. Elle a pu pénétrer en Europe par l’influence arabe à la fin du Moyen Age, après les Croisades. Lemot espagnol (zahorí) pour radiesthésiste est dérivé de l’arabe. Au tout début, la plupart des pratiquants de la radiesthésie faisait partie d’élites instruites et étaient des spécialistes tels que puisatiers ou prêtres. Plusieurs militaires et nobles connus ont publié des traités sur la sourcellerie durant le XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. La pratique ne se limitait pas aux hommes, car il y avait un certain nombre de radiesthésistes femmes connues. 283 Entre Autres

Une légende met en relation la radiesthésie avec la légende de sainte Thérèse d’Avila. Selon cette légende, un monastère fut touché par une terrible sécheresse qui le laissa sans eau. Un clerc fit le signe de la croix sur un bâton, puis l’utilisa pour chercher de l’eau ; miraculeusement, il trouva une source et le monastère fut sauvé. La recherche sur le terrain sur laquelle s’appuie cette intervention fut menée dans le Sud de la France, au Portugal, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En Provence, la pratique de la sourcellerie est couramment revendiquée et reconnue comme une ancienne pratique de bergers. C’est un cas de fabrication de tradition, sorte de bricolage moderne. La sourcellerie en Provence fait partie d’un phénomène beaucoup plus répandu qui s’est introduit en Europe au cours du Moyen Age à travers l’influence arabe. Elle s’est diffusée dans beaucoup d’autres régions dans le monde. Sa pratique courante en Provence correspond à une appropriation locale d’un phénomène répandu.

Changer de religion dans la Méditerranée : de la trahison à l’assimilation (Loïc Lepape) Cette intervention porte sur le processus de la conversion religieuse du christianisme à l’islam et vice versa. La conversion est un processus au travers duquel les individus et les groupes s’adonnent à des pratiques, des croyances et des « praxies » sociales différentes de celles qu’ils pratiquaient avant. Ainsi, il n’est pas seulement possible de se convertir à une religion totalement différente, mais il est possible de se convertir d’une forme d’islam à une autre, de la non-religion aux obligations religieuses, et de la religion à la non-religion. De la même façon, l’assimilation est un processus au travers duquel les gens s’adaptent à la culture environnante en délaissant leurs propres caractéristiques culturelles et en adoptant celles de la culture voisine. Le travail sur le terrain, mené dans le Sud de la France, a montré que les convertis apprennent les pratiques principalement en regardant les autres pratiquants – la conversion est ainsi jusqu’à un certain point un processus d’assimilation. L’auteur a étudié le processus de conversion dans les trois religions du Livre – judaïsme, christianisme et islam – en interviewant et en observant les convertis sur un laps de temps prolongé. Il a observé que le processus de conversion est complexe plutôt que simple, et stratiforme plutôt que linéaire.

1. Conversions au judaïsme

Selon la recherche effectuée par l’auteur dans le Sud de la France, la conversion au judaïsme est un long et difficile processus, réglementé par un rabbin et un consistoire. Le processus prend cinq à sept ans, et implique étude et examens en hébreu, histoire, croyance et pratique juives. Le but de la conversion est de permettre au converti d’oublier qu’il est converti. La plupart des convertis au judaïsme se divisent en trois catégories : femmes mariées à un homme juif qui se convertissent à la religion de leur mari pour que leurs enfants soient juifs (le judaïsme est matrilinéaire) – les enfants de pères juifs – et ceux qui sentent une affinité avec peuple juif – en d’autres termes, des convertis politiques. Le judaïsme, cependant, ne présente pas un front uni par rapport à la conversion. Alors que le consistoire rejette les conversions pour raison de mariage, certaines congrégations juives plus libérales l’acceptent.

284 Among Others

2. Conversions au catholicisme et autres formes de christianisme

La conversion est très estimée par les Chrétiens, spécialement par les communautés charismatiques. Dans le catholicisme, c’est un processus en trois phases qui implique la présentation à la congrégation, l’inscription comme membre de l’église et finalement le baptême adulte. La conversion chrétienne est un processus plus court que la conversion juive, prenant approximativement un ou deux ans. Le converti doit rencontrer régulièrement un prêtre ainsi qu’un accompagnateur (compagnon) comme élément-clé du processus de conversion. La plupart des convertis étudiés par l’auteur venaient d’un environnement chrétien, mais avaient été élevés dans aucune église comme chrétiens pratiquants. Pour certains, la conversion représentait une recherche de leurs racines, un retour à la religion de leurs ancêtres ; alors que pour d’autres, la conversion était motivée par une crise durant leur vie, comme une maladie sérieuse ou un échec personnel.

3. Conversions à l’islam

Ces conversions sont de loin les plus faciles des trois à effectuer. La personne qui veut se convertir à l’islam commence par rencontrer un imam qui lui enseigne la théologie et quelques prières de base. Parce que l’islam se dispense de toute autorité centrale présidant aux décisions, il n’y a aucune cérémonie d’acceptation du converti au sein de la communauté. Le processus ne prend qu’une année, et la conversion implique seulement la récitation d’une formule, bien que, pour les hommes non-circoncis, la circoncision soit de rigueur. De nombreuses conversions à l’islam dans cette étude furent instrumentales : c’est-à-dire que leur but était d’autoriser un non-musulman à épouser une musulmane dont la famille s’opposait au mariage pour questions religieuses. Il y eut aussi des cas de conversions intellectuelles ou politiques : des personnes attirées par la philosophie de l’islam, ou qui ressentaient de la sympathie pour l’islam en temps que religion opprimée. Les conversions peuvent être interprétées comme un rejet de la religion de leurs parents – en d’autres termes comme une trahison, mais ce n’est pas nécessairement toujours l’interprétation correcte. Un sens personnel de l’identité se cache souvent derrière de nombreuses conversions religieuses. Dans tous les cas, le converti doit apprendre le cadre, les codes et la culture de la nouvelle communauté religieuse, et ceci s’effectue largement au travers de l’assimilation et de l’imitation.

Une cohabitation secrète : de quelques « ponts » entre religions en Méditerranée (Dionigi Albera) Les cultes des saints représentent un élément partagé et commun qui unit plusieurs religions méditerranéennes : le christianisme, l’islam et le judaïsme. Ces cultes se caractérisent par une intégration des rôles des saints comme intercesseurs entre les êtres humains et Dieu ; par les pèlerinages sur des lieux saints, l’usage d’ex-voto, d’objets commémorant les rapports entre le saint et le fervent ; par la nature locale des saints et leur liaison à des lieux de pèlerinage spécifiques et à des localités ; et enfin par les rôles de thaumaturges joués par certains saints. La recherche pour cette intervention s’est concentrée sur les cultes de saints syncrétiques reconnus par les musulmans, les juifs et les chrétiens du Maroc, de Tunisie et d’Algérie. Le plus important parmi ceux-là est le culte de la vierge Marie, qui occupe un rôle important dans l’islam. Elle est la seule femme dont le nom est cité plus souvent dans le 285 Entre Autres

Coran que dans les évangiles. Le culte marial musulman est présent en Afrique du nord et en Egypte, dans les Balkans et en Syrie. En Algérie, un culte de la vierge Marie fut aussi reconnu localement par des femmes juives : celui de Notre-Dame d’Afrique. Les cultes de saint Georges et de saint Jean-Baptiste sont aussi populaires parmi ces trois religions. Ces syncrétismes ne sont pas destinés à gommer les différences entre ces religions, ni à nier l’existence de conflits entre elles. Cependant, comme l’a suggéré l’anthropologue américain Robert Hayden dans son article paru en 2002 dans Current anthropology, elles existent quelque part entre « tolérance antagoniste » et « partisianisme compétitif ». Elles donnent des modèles pour appréhender les espaces entre conflit et syncrétisme. Alors que les anthropologues avaient tendance à mettre au premier plan le conflit et à accentuer la violence lors des rencontres entre ces religions, ils durent prendre en compte le fait que la tolérance peut succéder au conflit. Par exemple, dans les Balkans, la destruction de lieux de culte durant le récent conflit a quelquefois été suivie d’une collaboration inter- confessionnelle à l’occasion de leur reconstruction et re-sacralisation.

286Co Among Others

Syncretism and Mixed Adhesion to Religious Practice

Thomas Hauschild

Sabina Magliocco

Note: Of 7 projected papers, only 3 were delivered. For précis of undelivered papers, please refer to the conference abstracts.

7.1.1 Des mineur bavarois, des mages maures et Saint Thérèse d’Avila: la sourcellerie entre Europe et Méditeranée On Bavarian miners, Moorish mages and St. Theresa of Avila: dowsing between Europe and the Mediterranean (Jean Yves Durand)

This paper concerns the practice of water witching, also known as dowsing: the use of a forked stick, pendulum or other instrument to locate water, treasure or minerals under the soil. It was first documented in Bavaria in the 51 th century, where it was used by miners to locate veins of minerals in the earth. From there, it appears to have spread throughout Europe as far east as Russia and as far west as England. Early dowsers used a forked stick as their locating tool. In the early 19th century, the pendulum began to appear as the instrument of choice for this procedure, probably through the influence of the Enlightenment. In the late 19th century, there were attempts to prove the scientific validity of dowsing by connecting it with theories about electromagnetism, ley lines and other pseudo-scientific speculation. Today, dowsing or water witching is practiced by a large number of peoples all over the world. There is nothing exclusively Mediterranean about the practice. The tools have changed from forked sticks and pendulums to rods made from bent wire coat-hangers, although a few dowsers use forked sticks made of fiberglass. While popular representations of dowsing have emphasized its ancient, rural, peasant character, there is nothing particularly popular or ancient about it. There are no sources on the practice that can trace its roots to Roman or Egyptian antecedents, in spite of popular claims of its antiquity. It may have entered Europe through Arab influence during 287 Entre Autres

the late middle ages, after the Crusades; the Spanish word for dowser demonstrates an Arab derivation. Most early practitioners were educated elites and specialists such as well-diggers and priests. Several well-known military men and nobles published treatises on water witching during the 18th and early 19th centuries. The practice was also not limited to men, as there were a number of well-known female water witches. One legend connects water witching with a religious tale about St. Theresa of Avila. According to this legend, a monastery was plagued by a terrible drought that left it without water. A cleric made the sign of a cross on a stick, then used it to seek water; miraculously, he found a spring and the monastery was saved. The field research on which this paper was based was conducted in southern France, Portugal, Great Britain and the United States. Currently, in Provence, the practice of water witching is being reclaimed and recast as an ancient indigenous shepherd’s practice. This represents a fabrication of tradition, however: a “bris + collage moderne.” Water witching in Provence is part of a much more widespread phenomenon that probably entered Europe during the middle ages through Arab influence, and diffused to many other regions of the world. Its current practice in Provence represents the local elaboration of a widespread phenomenon.

7.1.3 Changer de religion dans la Méditeranée: de la trahison à l’assimilation / Changing Religion in the Mediterranean: from Treason to Assimilation (Loic LePape) The focus of this paper is the process of religious conversion from Christianity to Islam and vice versa. Conversion is the process through which individuals and groups engage in practices, beliefs and social praxes different from their previous ones. Thus, it is not only possible to convert from one religion to a completely different one, but to convert from one form of Islam to another, from non-religion to religious observance, and from religion to non-religion. Similarly, assimilation is the process through which people adapt to the surrounding culture by dropping some of their own cultural characteristics and adopting those of the adjacent culture. The author’s fieldwork, conducted in southern France, demonstrated that converts learn practices mostly from watching other practitioners – that is, conversion is to some extent a process of assimilation. The author studied the conversion process in three major religions -- Judaism, Christianity and Islam – by interviewing and observing converts over an extended period of time. He observed that the conversion process is complex rather than simple, and layered rather than linear.

1. Conversions to Judaism

According to the author’s research in southern France, conversion to Judaism is a long and difficult process, regulated by a rabbi and a consistoire. The process takes from five to seven years, and involves study and examinations in Hebrew language, Jewish history, belief and practice. The goal of coversion is to make the covert forget that s/he is a convert. Most converts to Judaism fall into three categories: wives in Jewish marriages who convert to their husband’s religion in order for the children to be Jewish (Judaism is matrilineal); the children of Jewish fathers; and those who feel a sense of identity with the Jewish people – in other words, political converts. Judaism, however, does not present a united front in relation to conversion. For example, while the consistoire rejects 288 conversions for the purpose of marriage, more liberal Jewish congregations accept it. Among Others

2. Conversions to Catholicism and other forms of Christianity

Conversion is highly valued by Christians, especially by the charismatic sects. In Catholicism, it is a three-step process that involves presentation to the congregation, inscription as a member of the church, and finally adult baptism. Christian conversion is a shorter process than Jewish coversion, taking approximately one to two years. The convert must meet regularly with a priest as well as an accompagnateur (companion) as a key part of the conversion process. Most converts studied by the author came from a Christian background, but had not been raised within any church as practicing Christians. For some, conversion represented a search for their roots, a return to the religion of their ancestors; while for others, conversion was spurred by a life crisis, such as a serious illness or other personal setback.

3. Conversions to Islam

Of the three, these were by far the easiest to effect. The would-be convert to Islam begins by meeting with an imam who teaches him/her some basic theology and prayers. Because Islam lacks a central authority that governs decisions, there is no formal procedure for accepting the convert into the fold. The process takes only about one year, and the formal conversion involves only the recitation of a formula, although for uncircumcised males, circumcision is also required. Many conversions to Islam in this study were instrumental: that is, their purpose was to allow a non-Muslim to marry a Muslim whose family objected to the marriage on religious grounds. There were also cases of intellectual or political conversion: people attracted to the religious ideology of Islam, or who felt sympathy with Islam as an oppressed religion. Conversions can be interpreted as a rejection of the religion of one’s parents – in other words, a betrayal; but this is not necessarily always the correct interpretation. A personal sense of identity often lies behind many religious conversions. In all cases, the convert must learn the cadre, codes and culture of the new religious community, and this is achieved largely through assimilation and imitation.

7.1.4 Une cohabitation sécrète: de quelques “ponts” entre religions en Méditeranée/ A Secret Cohabitation: on Certain “Bridges” between Religions in the Mediterranean (Dionigi Albera) Saints’ cults represent a common, shared element that united several Mediterranean religions, including Christianity, Islam and Judaism. The features of these cults include the saints’ roles as intermediaries between human beings and a supreme deity; pilgrimages to saints’ shrines; the use of ex-votos, objects commemorating the relationship between the saint and the devotee; the local nature of saints and their connection to specific shrines and localities; and the saints’ thaumaturgical roles. Research for this paper focused on syncretic saints’ cults recognized by Muslims, Jews and Christians in Morocco, Tunisia and Algeria. Foremost among these is the cult of the Virgin Mary, who has an important role in Islam. She is the only woman whose name is cited more often in the Q’ran than in the gospels. The Muslim Marian cult is found throughout North Africa and in Egypt, the Balkans and Syria. In Algeria, one cult of the Virgin Mary was also recognized by Jewish women: Notre Dame d’Afrique. The cults of St. George and St. John the Baptist are also popular among all three religions. 289 Entre Autres

These syncretisms are not intended to erase the differences between these religions, nor to deny the existence of conflict among them. However, as the American anthropologist Robert Hayden suggests in his 2002 article in Current Anthropology, they exist somewhere between “antagonistic tolerance” and “competitive partisanism.” They provide models for understanding the spaces between conflict and syncretism. While anthropologists have tended to foreground conflict and emphasize the violence in encounters between religions, they also need to become aware that tolerance can follow conflict. For example, in the Balkans, the destruction of cult sites during the recent Balkan war has at times been followed by inter-religious collaboration in their reconstruction and re-sacralization.

290 Among Others

Sacralité et piété : conflits passés et présents et convergences en Europe

Arne Bugge Amundsen

Université d’Oslo / Norvège

Dans l’appel à contributions, la perspective de cet atelier était ainsi décrite : Durant les cinq cents dernières années, les questions, les débats et les conflits ouverts autour de sujets religieux ont été les principales causes de division dans l’Europe multi-confessionnelle. Au sein des cultures protestante, catholique et orthodoxe, les vues ont largement divergé par rapport à ce qui était considéré comme “ chrétien ”, et par rapport aux implications liées à la “ sainteté ”. Ces différences sont des idéaux de pensée et de conduite motivés religieusement. L’atelier se devait ainsi de faire le point sur la manière dont les diversités confessionnelles contribuaient aux différences culturelles européennes au niveau régional, national et local. Cependant, les participants étaient aussi encouragés à mettre en exergue les ressemblances et les convergences dans la culture chrétienne européenne. Les perspectives à la fois passées et présentes étaient pertinentes ainsi que les perspectives comparatives. La première session de l’atelier fut ouverte par Jürgen Beyer (Université Södertörn, Baltic and East european graduate School, Huddinge / Suède) - département Estonian and comparative folklore, Tartu University / Estonie) avec une communication intitulée “ Comment créer de l’uniformité religieuse dans une région frontalière ? Le cas de l’Estonie et de la Livonie au XVIIe siècle. ” Dès que les Suédois occupèrent la zone baltique dans les années 1620, leurs lois et leurs stratégies furent mises en application au regard de l’éducation chrétienne de la population locale : il fallait lire, réciter et comprendre le petit Catéchisme de Martin Luther. Cette tactique butta pourtant sur la difficulté de la langue. Entre autres, il n’y avait toujours pas de traductions de la Bible, ni en Estonie, ni en Livonie, et celles du Catéchisme, du recueil de cantiques et des manuels liturgiques qui étaient alors disponibles avaient besoin d’une sérieuse révision. Cela aboutit dans les années 1680 à renouveler les discussions autour de la bonne orthographe des langues vernaculaires, actualisée de surcroît. Les traductions de la Bible furent menées à bien, et des écoles furent établies dans les villages de façon à enseigner la foi chrétienne aux habitants. La plupart des règles suédoises furent conservées, même après 1710 lorsque la Russie reconquit les terres suédoises de la Baltique. Il ressort donc que la Suède au cours du XVIIe siècle réussit bien à établir des institutions religieuses selon les normes et l’enseignement luthérien, sans opposition formelle ni de 291 Entre Autres

la part de la population locale, ni des représentations marginales d’autres religions ou confessions dans cette zone. Dans ce cas, la stratégie de l’état luthérien faisait figure de mission chrétienne, de discipline sociale et de confessionalisation. La religion semble avoir été l’instrument majeur du contrôle politique et culturel dans cette zone frontière de la Baltique. La communication de Dániel Bárth (Département de folklore, Université Eötvös Lorand, Budapest / Hongrie), intitulée “ A la frontière de la chrétienté occidentale et orientale. La co-existence et les conflits de religions en Hongrie du Sud au XVIIIe siècle ”, abordait la question religieuse dans la région historiquement complexe de Bácska, située au sud de l’ancien territoire hongrois, entre la rivière Tisza et le Danube. Depuis 1920, Bácska fait partie de la Serbie (Yougoslavie). Suite à l’occupation turque du XVIIe siècle, ainsi qu’à la reconstruction et la réorganisation économique et administrative qui s’ensuivirent, la région fut peuplée par plusieurs groupes ethniques de différentes confessions. En plus des orthodoxes serbes (grecs), les groupes clairsemés d’Arméniens et d’Uniates de la région furent considérés comme relevant de la chrétienté orientale. S’agissant de la chrétienté occidentale (exception faite des congrégations protestantes mineures), les catholiques romains, fort précieux aux yeux des autorités ecclésiastiques, se sont toujours distingués par la diversité de leurs identités d’origine. Le champ d’investigation de D. Bárth se réfère au peuplement, et plus précisément, aux circonstances et aux manières de la coexistence religieuse à partir d’exemples de communautés villageoise ou urbaine données. Sa principale source de recherche, qu’il a décrite comme requérant des méthodes anthropologiques micro-historiques et historiques, consistait en archives religieuses du XVIIIe siècle des autorités locales ecclésiastiques catholiques. Il s’est alors focalisé sur la religiosité populaire et la pratique religieuse quotidienne au sein des populations catholiques romaines et orthodoxes. Entre autres découvertes intéressantes de son enquête, l’auteur a montré l’ampleur de la co-existence entre les deux confessions. A un niveau local, il y avait évidemment peu de problèmes linguistiques entre les groupes, qui comprenaient ainsi les prières et les versets religieux des autres. Dans de nombreux cas, ils se rendaient dans les mêmes sites de pèlerinage et sur les mêmes fontaines sacrées. Ces échanges de textes et de lieux sacrés se doublaient de partage de clergés. D. Bárth a analysé précisément le cas d’un religieux franciscain arrivé dans la ville de Zombor en 1766. Entre autres activités, il se fit connaître comme prédicateur et guérisseur, et fut admiré à la fois par les catholiques romains et par les orthodoxes. Malgré une situation confessionnelle remarquablement complexe, il semble au final que la région de Bácska ait connu une relative harmonie en ce qui concerne la religion et la pratique religieuse. Le manque de nationalisme pourrait expliquer cette situation (lors même que son réveil dans la même région déclencha des conflits religieux et ethniques dès le XIXe siècle). En outre, au XVIIIe siècle, les habitants de Bácska, récemment arrivés d’autres régions, avaient dû établir à nouveau leur structures culturelles et religieuses. Peter Jan Magry (Département d’ethnologie, Institut Meertens, Académie Royale hollandaise des Arts et Sciences (KNAW), Amsterdam / Pays-Bas), a présenté une intervention intitulée “ Divergence et convergence dévotionnelles : la politique de l’Eglise catholique romaine concernant la religiosité informelle ”. L’auteur constate que, depuis ces quatre dernières décennies, l’Eglise catholique romaine est de plus en plus confrontée à des pratiques informelles de religiosité et de dévotions qui divergent de l’église institutionnelle et de sa liturgie. Ces cultes ou dévotions sont souvent rejetés ou bannis par l’évêque local ou par le Vatican. Ces cultes, ses leaders et 292 partisans s’opposent à l’église, qui pourtant se modernise. Plus ils dévient de l’église et Among Others plus ils gagnent en popularité, et plus grande est leur chance qu’à un certain moment, avec l’église, ils veuillent converger et trouver une solution totalement satisfaisante pour résoudre le conflit actuel. P.J. Magry a analysé ce processus à partir des sanctuaires mariaux de Medjugorje en Bosnie- Herzégovine, de Schio en Italie et “ Notre-Dame de tous les peuples ” à Amsterdam. L’un de ses objectifs consistait à leur faire montrer cet important conflit mondial entre le contrôle d’influence et le pouvoir de l’Eglise et la nouvelle religiosité individuelle, globale. La position “ classique ” de l’Eglise ne semble pas avoir été couronnée de succès. D’un côté, les nombreuses visions mariales soutiennent la position catholique conservatrice en considérant la vierge Marie comme co-rédemptrice, et les divers incidents mystérieux intégrés par son iconographie insistent sur le transfert historiquement établi de la grâce divine sur les croyants. De l’autre côté, le point crucial des conflits semble se concentrer sur la question de l’authenticité : le clergé veut montrer son droit exclusif à décider si les visions ou les miracles sont sincères et authentiques. Ces différents processus – conflits, rejets et convergences – sont pour le moment dans une phase très dynamique. L’Eglise romaine catholique dans de nombreux cas a montré une politique plutôt trouble, et quelques-uns des représentants officiels de l’Eglise semblent plus enclins à accepter ou à tolérer ces phénomènes. Cependant, l’intérêt international croissant et la dévotion qui leur sont accordés indiquent un développement plutôt indépendant de la religiosité informelle. L’utilisation mondiale d’internet constitue ici un facteur important. Il permet en effet d’établir des groupes d’intérêt qui échangent des informations de première main, sans influence ni contrôle de la part des représentants ou des stratégies de l’Eglise catholique romaine. La seconde session fut ouverte par Maria Santa Montez (Nouvelle université de Lisbonne / Portugal) intervenant sur “ Les empreintes de la culture et de la religion juives dans les coutumes locales et régionales portugaises ”. Le contexte historique de son exposé se situe en 1469, lorsque la communauté juive portugaise, l’élite séfarade, fut expulsée du Portugal et contrainte de s’installer en Europe centrale et septentrionale. L’un d’eux fut Erasme, né à Rotterdam de parents portugais, qui emportèrent avec eux leurs coutumes et leurs habitudes depuis la péninsule ibérique. Certains Juifs, pourtant, décidèrent de rester au Portugal, moyennant conversion au christianisme. Nombreux se convertirent – ou prétendirent l’avoir fait. De toute manière, ceux qui restèrent durent changer d’habitudes et de coutumes de façon à survivre au milieu de la société catholique, où la Réforme n’était pas encore d’actualité mais où l’Inquisition –et jusqu’en 1810 !- était une perpétuelle menace. Dans certains cas, ces Juifs “ convertis ” venaient à la messe dominicale et prenaient part aux prières, mais avec l’usage de la dite “ prière de la réserve mentale ”. D’autres se marièrent avec des Chrétiens, mais faisaient secrètement suivre la célébration chrétienne d’un rite juif à la maison. Il en était de même avec le baptême chrétien. Les Juifs pouvaient aussi offrir à l’église locale des images de la Vierge Marie portant des symboles tels que l’étoile de David, associée alors au culte de la reine Esther et la fête juive de Pourîm fut associée à celle de Carnaval ou entrudo. Ceci n’était pas le seul cas d’interprétation parallèle des jours de fêtes chrétiennes. Pâques était mise en parallèle avec la Passa’h, la fête de la moisson avec le Sabuot, Noël avec Hanoukká et Pentecôte avec Shavouôth. Les Juifs pouvaient avoir des problèmes avec les images de leur église chrétienne locale. Ils pouvaient alors établir d’autres stratégies de réserve mentale, comme par exemple en visitant l’église, allumer des cierges à la sainte Vierge en disant “ Dans cette église j’entre, mais je n’adore ni le bois ni la pierre, j’adore juste Adonaï qui est le seul qui gouverne le monde ”. 293 Entre Autres

Certaines de ces habitudes et coutumes que les Juifs portugais durent adopter survivent encore de nos jours dans de petites communautés du Portugal intérieur. Elles se trouvent à la croisée de pratiques sociale, religieuse, architecturale et populaire. Le crypto- judaïsme est devenu un mélange de pratiques catholiques et juives. La tradition juive circula oralement à travers les générations, particulièrement de mère en fille, puisque l’écrit était considéré comme trop dangereux. L’empreinte juive survivant dans la culture locale portugaise contemporaine est un exemple de convergence pour éviter le conflit. Barbro Blehr (Département d’ethnologie, Université de Stockholm / Suède) se donnait l’objectif suivant : “ Comprendre le mariage chrétien : perspectives populaires et professionnelles dans une ancienne Eglise d’état ”. Replaçant d’abord sa communication dans le cadre de ses recherches, il mentionna un projet sur les rites de passage dans la Suède contemporaine, dont l’Etat se sépara officiellement de l’ancienne église luthérienne en 2000. Ce fait isolé s’inscrit dansle contexte plus large des changements religieux et de la sécularisation de la société suédoise actuelle. Les rituels sont au centre de sa réflexion. Pour B. Blehr, ils ont le pouvoir de mettre les participants en contact avec des pensées se référant aux réalités existentielles. D’après elle, les religions sont des ensembles de symboles, de significations, de mythes et de pratiques utilisés de façon à donner un sens à l’existence humaine. Ces univers de pensée sont liés aux traditions, lesquelles ont besoin d’être exprimées de façon répétitive par la pratique sociale, dont relèvent les rites de passage. Il est clair aussi que l’expérience des rituels varie suivant les participants. Les rituels dès lors outrepassent leur fonction de soutien, ils changent aussi les traditions qu’ils matérialisent. Abordant la question du récent changement rituel (toutefois dégagé des théories de sécularisation et de transformation religieuses), les mariages contemporains lui semblent constituer un exemple particulièrement intéressant parce qu’ils mettent en contact des compréhensions populaires -parfois lourdement laïcisées- du mariage, de l’humanité, de Dieu (ou de son absence) en contact étroit avec un sanctuaire chrétien. En 2002, 57,9% des couples mariés en Suède ont choisi de se marier à l’église luthérienne de Suède. Si ce taux est presque constant depuis la fin des années soixante dix, les formes etles significations des cérémonies de mariage, elles, ne le sont pas nécessairement. Pour ce qui concerne les pasteurs luthériens et leur interprétation du rite du mariage, ils semblent être conscients des décalages entre leur propre compréhension du rituel et les attentes et humeurs des fidèles. Ils sont surtout soucieux d’éviter des cérémonies creuses et une perfection rituelle superficielle. Leur idéal consiste à imprégner le rituel de présence, humaine aussi bien que divine. Les rituels de mariage devraient ainsi être chargés de ferveur et non pas de pure forme. Les pasteurs luthériens transmettent une générosité qui semble parfois friser l’aveuglement ou l’impérialisme religieux. Les données récentes de cette enquête suggèrent que dans de nombreux cas, la distance entre les cadres de référence populaire et professionnel peut être immense. Il convient, selon elle, de vérifier à quel point ce constat -qui reste à explorer- conditionne ou pas les compréhensions et incompréhensions mutuelles, passées et présentes. Avec sa communication, Katerina Seraïdari (Université Le Mirail, Toulouse / France) pose la question suivante : “ Grecs orthodoxes et Grecs catholiques, ou comment définir son identité par la religion ”. Les Catholiques romains constituent une petite minorité en Grèce. Selon une récente étude statistique, ils représentent 0,5% de la population totale soit un groupe de 45.000 à 50.000 personnes. La minorité catholique romaine des Iles des Cyclades, compte 7800 habitants à Syros, 2600 à Tinos (soit un tiers de la population de cette île) et seulement 90 à Naxos, qui fut le centre du duché de l’Archipel 294 depuis l’arrivée en 1205 d’un aventurier noble de Venise, Marco Sanudo. Among Others

Pour de nombreux historiens, la minorité catholique romaine en Grèce résulte de la prise de Constantinople durant la IVe croisade (1204). Aujourd’hui, quelques catholiques romains expliquent que les habitants des Cyclades, sommés de détruire leurs icônes durant la controverse iconoclaste des VII-IXe siècles, ont demandé la protection du Pape. K. Seraïdari a ainsi étudié les différents discours contemporains relatifs à la construction de cette identité communautaire à travers la religion. Ils évoquent des questions telles que les coutumes religieuses, le langage liturgique, l’intérieur des églises, les saints et les fêtes religieuses, et expriment le problème de “ l’origine ” : les éléments propres aux catholiques romains en Grèce sont-ils d’origine grecque ou étrangère ? Suivant la réponse, chaque position propose respectivement aux Grecs catholiques romains l’identité d’un étranger ou d’un natif : est-il plus grec ou plus catholique (entendons anti-grec) ? La venue du Pape à Athènes, le 4 mai 2001, a relancé l’intérêt de montrer les convergences entre les deux communautés au niveau local. Mais elle a aussi montré au niveau national que cette minorité est liée à une Eglise mondiale et multinationale. Mare Kõiva (Département de folkloristique, Université de Tartu / Estonie) présentait une communication intitulée “ Récentes et anciennes tombes sacrées ”. Depuis les années soixante dix, les sites d’anciennes tombes sacrées (désaffectés d’après les sources depuis les XVIIe et XVIIIe siècles) ont été rénovés en Estonie. Cette remise en état s’est faite parallèlement à celle d’anciennes pierres sacrificielles ainsi qu’à l’établissement de nouvelles tombes sacrées. Ces restaurations et réouvertures font, bien sûr, référence dans le travail public actuel au patrimoine national : les anciens sites estoniens sont présentés au public. Mais les événements font aussi référence aux conflits entre différents mouvements religieux dans l’Estonie contemporaine. La question centrale de ces querelles concerne l’interprétation et de l’utilisation de ces sites. Dans de nombreuses communautés locales, la préservation de ces sites a eu diverses conséquences. Ces dernières années, des habitants avec le soutien public ont réussi par exemple à arrêter la transformation de ces anciens sites sacrés en objets culturels, sportifs, économiques ou autres. Ils ont voulu préserver les sites vierges du tourisme moderne et du mercantilisme. Dans d’autres cas, ces sites sont devenus l’objet de luttes sévères entre différents groupes religieux. A la fin des années quatre vingt, plusieurs affrontements dramatiques eurent lieu entre les dits “ Païens ” ou “ Croyants de Taara ” et le mouvement chrétien pentecôtiste “ le Monde de la vie ” sur l’interprétation et l’usage de ces anciens sites estoniens. L’auteur aborda ainsi les objectifs et les idéologies des différents groupes prenant part à la reconstruction et au maintien de ces lieux sacrés. Elle a expliqué l’importance de ces sites par leur faculté à unir un groupe social avec ce qu’il considère comme son passé et à le relier au monde surnaturel et à ses ancêtres. Il s’avère aussi que les Néo-paganistes, souvent mieux éduqués, entraînés à l’ethnologie et aux folklores, utilisent les archives estoniennes comme source importante de leur idéologie et de leurs pratiques. Ce faisant, ils ont créé des “ histoires sacrées ” dans une société laïque et exprimé leur opposition à d’autres groupes, à la société industrialisée et polluante, la communauté européenne et la religion chrétienne. Avec des sources collectées durant ses propres recherches de terrain, Marju Torp- Kõivupuu (Université de pédagogie, Tallinn / Estonie) a présenté une communication sur les “ Repas rituels dans les usages funéraires luthériens du Sud-Est de l’Estonie ”. Les universitaires n’avaient eu jusqu’à présent que peu d’information sur ces anciennes coutumes. Elle a particulièrement insisté sur l’offrande de nourriture durant le rituel funéraire, dans la mesure où, ne faisant pas partie du rituel luthérien, il avait même été critiqué par le clergé durant des générations. Nourriture et alcool étaient offerts aux 295 Entre Autres

invités durant la période où le corps du mort restait dans sa maison ; il était placé dans le cercueil par commodité pour le défunt lui-même, comme partie de divers rituels liés au chemin du mort de sa demeure à la porte du cimetière. Torp-Kõivupuu interprète ces repas rituels funéraires du Sud-Est de l’Estonie comme des survivances d’éléments pré- chrétiens dans la culture populaire contemporaine.

Conclusions Le but de cette session était d’inviter les intervenants de toute l’Europe à aborder les conflits et les convergences dans notre aire géographique sous l’angle de lareligion. Les communications ont présenté plusieurs perspectives d’analyse de la religion et envisagé les processus culturels. Des questions liées aux minorités religieuses, aux zones marginales faisant l’objet d’un processus civilisateur sous contrôle de culture majoritaire, à la religiosité populaire dans les relations complexes à la théologie et à l’ordre ecclésiastique, aux changements rituels en période de laïcisation, et aux discours des minorités religieuses. Presque aucun exposé ne considère la distinction entre conflit et convergence comme un donné. Au contraire, la majorité des intervenants a souligné que la rencontre entre différentes confessions chrétiennes est marquée à la fois par une définition de la différence et la possibilité de coopérer. Pour être plus précis, la situation le plus souvent semble dépendre du niveau social ou culturel. Une situation qui du point de vue d’une élite idéologique sera considérée comme un conflit, pourrait être considérée comme la possibilité d’une attitude convergente, du point de vue de membres laïcs d’une confession au sein d’une communauté locale. Une autre possibilité consiste, bien sûr, en ce qu’une différence entre les confessions chrétiennes soit traduite en d’autres termes ou fasse partie d’autres discours, qu’elle devienne par exemple un élément dans les débats sur les origines ethniques ou nationales ou dans les controverses sur la soumission ou les droits civils. Dans ces cas, il ne fait aucun doute que les différences religieuses ou les controverses aient le formidable pouvoir d’être source de conflit. D’un autre côté, appartenir à un groupe (chrétien ou non) et particulièrement un groupe minoritaire, apparaît comme une position culturellement fort créative, qui autorise à vivre et à agir “ comme si ” de génération en génération. L’interférence entre les différents niveaux culturels et sociaux au sein des confessions chrétiennes est un point intéressant qui ressort de plusieurs interventions. Dans certains cas, le clergé chrétien pense clairement que sa tâche la plus importante relève de la médiation, en négociant avec les fidèles aux rites chrétiens ou en gérant les différences à un niveau régional. Dans d’autres cas, et dans la mesure où la puissance culturelle des experts religieux diminue – ou a toujours diminué – les possibilités de nouvelles coutumes ou de nouvelles interprétations pour survivre ou être reconnu sont légion. En résumé, l’atelier Sacralité et piété : conflits passés et présents et convergences en Europe a fait le point sur la question capitale de l’expérience humaine passée et présente habituellement définie par le concept de ‘religion’. B. Blehr en a ainsi établi sa définition : “ Les religions sont un ensemble de symboles, de significations, de mythes et de pratiques dont les personnes peuvent se servir pour donner du sens à l’existence humaine dans le monde ”. Quoiqu’il en soit, il ne fait aucun doute que la question de la religion, de la sacralité et de la piété a le pouvoir de créer des conflits, mais il est aussi évident que les mêmes questions sont un champ actif de convergences. Conflits et convergences peuvent à la fois être perçus comme des moyens de survie dans ce monde complexe. 296 Among Others

Atelier / Synthèse

Religiosité et idéologie

Thème 8 : La violence intra et interculturelle

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La violence intra et interculturelle

Abderahmane Moussaoui

MMSH-IDEMEC, Université de Provence, Aix-en-Provence / France

Perçue d’abord et le plus souvent comme une atteinte à l’intégrité de la personne, la violence recouvre bien d’autres aspects. Elle peut aussi bien s’attaquer au corps qu’aux facultés qui permettent à l’individu d’exercer son autonomie. Pour s’effectuer, elle peut passer par des contraintes personnelles ou institutionnalisées, comme le rappelle la notion de violence symbolique développée par P Bourdieu242. En tous cas, la violence physique ne peut à elle seule rendre compte de ce qu’est la violence qui se manifeste de manière polymorphe dans des comportements dévastateurs de l’intégrité de la personne. Si l’on devait sacrifier au rituel des définitions préalables et, malgré le flou qui entoure la notion, nous emprunterions la définition qu’en donne F. Héritier : « Appelons violence toute contrainte de nature physique ou psychique susceptible d’entraîner la terreur, le déplacement, le malheur, la souffrance ou la mort d’un être animé; tout acte d’intrusion qui a pour effet volontaire ou involontaire la dépossession d’autrui, le dommage ou la destruction d’objets inanimés (…) »243. Voilà une définition qui, comme souvent les bonnes définitions, a l’avantage de l’exhaustivité et l’inconvénient d’un manque de pertinence quand il s’agit de saisir concrètement les logiques de phénomènes aussi disparates. L’usage du concept de violence est si large qu’à la fin toute forme de domination peut être qualifiée de violente. Cependant, ne confondons pas la violence avec les composantes indissociables de toute relation humaine tel que le conflit, l’hostilité, voire l’agressivité. Ces expressions sont certes des facteurs de tension mais également des vecteurs de changement et d’adaptation, alors que la violence est par définition destructrice. L’atelier consacré à « La violence intra- et interculturelle » a tenté d’aborder quelques manifestations de ce phénomène en les articulant autour de problématiques ou de terrains fédérateurs de manière à mettre en résonance des points de vue différents ou complémentaires autour de sujets et/ou de terrains semblables. Un tour d’horizon a permis d’examiner les expressions de la violence dans des domaines aussi disparates que le monde de l’industrie automobile, la Rome moderne ou l’affaire Dutroux en Belgique. Différentes manifestations de la violence ont été examinées à partir des théâtres classiques de la violence comme en Israël ; mais aussi, selon des angles de vue parfois inhabituels, comme par exemple la violence des filles en Norvège. La

242. Bourdieu (Pierre) : Raisons pratiques, 1994, p. 188. 243. Héritier (Françoise) : De la violence, Paris : Odile Jacob, 1996, tome 1, p.17. 299 Entre Autres

diversité des terrains et des problématiques a permis également de mesurer les écarts et de situer les invariants dans les motivations et les conduites face à ce phénomène. Les questions abordées vont de l’économie à la jeunesse en passant par le politique et les représentations.

Le monde de l’économie Les différentes interventions qui ont abordé le questionnement de la violence à partir du monde de l’économie ont toutes montré la part importante que prennent les contextes historique, politique et culturel. Avec l’exemple de l’industrie automobile, et sur la base de données recueillies dans trois terrains européens aussi contrastés que la Suède, la République Tchèque et le Royaume- Uni, Gösta Arvastson expose comment la violence prend les traits de procédés culturels où, à travers différents modèles adaptés aux réalités culturelles de l’un ou l’autre pays, la finalité demeure la même : maintenir l’ordre. Des recherches ethnologiques menées par Véronique Klauber auprès d’une communauté urbaine hongroise permettent d’entrevoir les articulations entre violence et économie à partir du phénomène du chômage qui suivit la désindustrialisation postcommuniste. Parmi les anciens employés de la sidérurgie locale, un quart de la population de la ville relève de la plus grande minorité européenne, celle des Roms (Tsiganes). Depuis la fermeture de l’usine et la mise au chômage d’une majorité d’hommes, les formes de violence intercommunautaire passent par l’exclusion économique ou territoriale, la discrimination scolaire et la répression policière qui est loin d’être atténuée par la privatisation du monopole de la violence légitime. La violence intracommunautaire désigne celle des groupes maffieux usuriers et la violence autodestructrice, qui s’exerce dans une totale dépendance des subventions publiques, est alourdie encore par l’emprise coercitive de psychotropes et de jeux de hasard ruineux. Les différentes formes de violence ont trait à la monolithisation brutale d’identités auparavant plurielles de la population ouvrière de la ville. Manuela P. da Cunha, parle à nouveau d’économie mais du point de vue de l’informel et du criminel. Elle explique que les circuits et les réseaux du trafic de drogue exsudent la violence, tout en allant au-delà de cette constatation courante. Elle remet en cause l’avis considérant les circuits et les réseaux du trafic de drogue comme étant à l’origine de la violence. Elle va même plus loin en défendant l’idée que violence et réseaux de trafic ne sont pas nécessairement liés. Ces présuppositions doivent être nuancées et étudiées dans les contextes sociaux et historiques où elles se développent. Son approche comparative mise en place pour l’analyse des narco-marchés détaillants au Portugal permet de mettre en lumière d’importantes différences dans les formes du trafic, notamment la part variable de la violence dans la structuration de ce trafic.

La jeunesse et la violence Offrant une lecture de la presse norvégienne, Kari Telste met en exergue la violence des jeunes de ce pays, phénomène peu connu à l’étranger. Son travail tente de montrer le contraste entre la période actuelle et celle des années 1950 qui désormais, dans les représentations des Norvégiens, est considéré comme un moment de bonheur et d’innocence, une époque où des enfants étaient mieux élevés et où les mères ne travaillaient pas et restaient à la maison. 300 Among Others

Le contexte social étudié est celui d’Oslo, la capitale de la Norvège, pays où l’immigration a une histoire assez récente. Les premiers immigrés proviennent d’Afrique et d’Asie et sont presque tous des hommes arrivés dans les années 1970. Les problèmes sociaux de la deuxième génération d’immigrés sont mis en rapport avec la violence urbaine ; cette dernière étant expliquée par une culture virile et violente, étrangère à la culture norvégienne. Le questionnement porte sur les représentations de la culture de la jeunesse en tant que culture de violence plus que sur la culture et la violence elles-mêmes. L’analyse porte sur les médias en tant que véhicule d’une image de la jeunesse norvégienne montrant l’écart entre les nouvelles rapportées et les événements qui se sont réellement produits. Dans les nouvelles il y a une tendance à reproduire des stéréotypes de la jeunesse « dangereuse » d’aujourd’hui par opposition à la jeunesse « pacifique » des années 1950. De telles images noires et blanches de la jeunesse correspondent aux espérances et aux ajustements culturels, aux catégories bien connues se rapportant à des oppositions stéréotypées entre bon et mauvais, héros et bandits. L’impression de la brutalité croissante est soutenue par l’évidence statistique montrant une augmentation des actes criminels commis par les jeunes au cours des dix dernières années. Or, Kari Telste signale que la situation actuelle n’est guère différente de celle de la deuxième moitié des années 1950. Elle attire notre attention aussi sur l’usage des statistiques. Servant souvent à démontrer les augmentations d’actes de violence, les statistiques ne peuvent être considérées comme un moyen de mesure objective. Les changements des attitudes et des manières de concevoir les actes de violence sont tributaires des présupposés culturels et des contextes historiques. Les représentations de la violence changent dans leurs significations et leurs appréciations morales. Finalement, la violence de la jeunesse devient un vecteur par lequel s’expriment les craintes et les inquiétudes de la société norvégienne elle-même. Les réflexions et recherches liées au genre et à la violence sont devenues assez fréquentes dans les pays nordiques. Cependant, au cours des discussions sur la violence de la jeunesse, un thème quelque peu nouveau a émergé dans le discours public nordique ces dernières années. Il s’agit de la violence perpétrée par des jeunes filles, âgé de quatorze à vingt ans. C’est à cet aspect de la violence qu’est consacré le travail de Sidsel Natland. Son exposé a trait au discours public norvégien sur la violence de la jeunesse, et notamment des jeunes filles comme actrices de violence. Il s’agit d’une approche culturelle du phénomène. Ces adolescentes, selon les statistiques officielles, sont minoritaires en tant qu’actrices, mais pas totalement absentes dans les actes de violence et d’agression. À Oslo, capitale de la Norvège, 10 % des actes de violences sont commis par des filles. A connotation masculine, le discours public sur la violence en fait une caractéristique étroitement liée au sujet masculin. La presse est souvent obligée de préciser ses termes et ses expressions quand les filles sont impliquées : « bande de filles », « jeunes filles », « fille-violence ». Le générique « jeunes » ou « adolescents » ne suffit plus. Les filles « malfaiteurs » apparaissent comme une anomalie culturelle dans le discours sur la jeunesse et la violence. En prenant une part active dans cette violence, les filles transgressent les frontières traditionnelles érigées par les conceptions culturelles entre féminité et masculinité. Les médias jouent un rôle important dans le maintien de ces frontières faisant de la violence un trait de la masculinité et, partant, d’une certaine normalité. Le discours des médias présente la violence des filles comme quelque chose, sinon d’étrange, du moins de singulier. Toutefois, des recherches récentes expliquent la violence des filles avec les mêmes facteurs que l’on retrouve dans la violence des garçons. Ces recherchent soulignent ainsi les mêmes conduites de violence de la part des filles et 301 Entre Autres

des garçons : comportement antisocial, victimes d’abus, expériences avec des drogues, niveau d’instruction limité, facteurs psychologiques. Avec ce travail, Sidsel Natland, laisse entrevoir l’importance de ce champ de recherche concernant les images culturelles mettant en lien genre et violence. Une telle posture permet d’aller au-delà de modèles biologiques traditionnellement mis en œuvre pour expliquer la violence.

Violence et représentations Une des dimensions importante de la violence est sans conteste celle des représentations qui lui sont liées. Ces dernières peuvent être ritualisées ou fantasmées. L’analyse des rites dans la Rome de l’époque moderne et l’étude de leur évolution a permis à Martine Boiteux d’interroger en historienne l’instrumentation symbolique d’un groupe minoritaire ; et poser la question de la légitimation de la violence. Partant de l’analyse de rites dans la Rome de l’époque moderne et de leur évolution, Martine Boiteux interroge l’instrumentation symbolique du groupe minoritaire que représente la communauté juive, la plus ancienne de la diaspora et la plus importante. Au XVème siècle, Rome comptait 2000 juifs sur une population totale de 50 000 personnes environ. A la fin du XVème siècle, Rome va accueillir encore 4 000 juifs, expulsés d’Espagne, du Portugal et de Sicile. C’est dans ce contexte romain d’une société pluri-culturelle et non homogène que se déroulent les rites que Martine Boiteux a pu étudier dans la longue durée et analyser pour mettre en lumière l’expression de l’instrumentation des juifs en tant que groupe minoritaire. Il s’agit de deux rituels : le premier relatif à l’accueil et à l’intronisation du pape et de l’empereur ; le second est un rituel carnavalesque. Le moment des ces deux rituels est homologue car il correspond toujours à l’ouverture d’un nouvel espace temps. Le rituel carnavalesque rejoue l’entrée dans un royaume temporaire, tandis que celui de l’intronisation marque la fin de la période de vacances du siège apostolique. Ces deux moments sont des moments de crise et de retournement du temps et, à ce titre, ils donnent lieu à une importante expression ritualisée. Ce rite où juifs et chrétiens se rencontrent est l’occasion de rappeler que la rencontre entre ces deux communautés est toujours marquée par la violence. La problématique choisie par l’auteur est de montrer comment un rite (au lieu de découler d’un mythe) donne naissance à des mythes et à des légendes. La présence absence du juif sur la scène rituelle romaine exprime la place de la communauté juive dans la société romaine et, dans le même temps et inversement, ce rituel joué, réagit sur le vécu réel. Le rite devient acteur du jeu social. Par le biais du rite, l’altérité du juif devient une infériorité et les injures rituelles ont des conséquences sur la vie réelle. Quand le juif est montré comme mi-homme mi-porc, allusion à l’interdit alimentaire juif, cette ritualisation est dénoncée par les juifs qui y voient une injure et une atteinte humiliante à leurs croyances. Spécialiste de la rumeur, Véronique Vincent-Campion montre la part que prennent les « légendes urbaines » dans l’exacerbation des psychoses ou la banalisation des violences. L’analyse des écrits et documentaires télévisés ainsi que des sites Web se spécialisant dans la « dénonciation de la pédophilie », interroge les croyances aux méga-complots internationaux, comportant des ramifications multiples, mêlant parfois satanisme et pédophilie et unissant les élites pédophiles dans leur combat contre les gens ordinaires et décents. Trouvant des échos surprenants dans les médias de qualité, ces croyances entraînent l’éclosion de nombreuses « histoires exemplaires » ou « légendes urbaines ». S’interroger sur cette vision très répandue des « méga-complots » peut être assez fécond quand de telles réalités sont replacées dans le contexte où de nombreux interdits sexuels sont remis en cause par l’évolution des mœurs, et que les faits criminels ne sont pas que 302 fantasmés mais bien réels et de plus en plus fréquents. Among Others

L’autre aspect des représentations relève des schèmes incorporés et qui deviennent des matrices légitimantes comme le montre les trois communications qui se sont intéressées au cas israélo-palestinien. Israël – Palestine, région de la Méditerranée dans laquelle la violence et la guerre sont des actes quotidiens, a été l’objet de trois interventions. Partant du terrain israélien, Lisa Anteby-Yemini montre combien les formes de violence font appel à des discours religieux et politiques. Ici, ils mettent en jeu des interprétations bibliques divergentes du droit à la terre ainsi que des questions essentielles de citoyenneté, d’identité nationale et de frontières de l’Etat. Dans le cadre du conflit global israélo-palestinien, la violence locale entre les Israéliens habitants les colonies de Judée et Samarie et le reste de la population israélienne se fait sentir. Cette violence intra-culturelle se caractérise d’abord par la violence verbale diffusée par les média crées par les colons ainsi que par les slogans et discours à des manifestations ou à la suite d’attentats. Elle se traduit aussi par la violence physique, en particulier contre les soldats israéliens (lors du démantèlement d’une implantation), contre les manifestants de mouvements pour la paix, et enfin contre les jeunes recrues qui refusent le service militaire dans les “ territoires occupés ”. Lisa Anteby-Yemini rappelle enfin que le terrorisme est apparu, avec l’assassinat d’Itzhak Rabin par un Israélien ultra-nationaliste, mais aussi avec le meurtre d’un Israélien pro- palestinien. Karine Michel rappelle qu’Israël n’a jamais existé en temps de paix, puisque c’est sa création même qui a engendré l’état de conflit actuel. Il suffit d’évoquer la première guerre israélo-arabe en 1948, au lendemain de la proclamation de l’Etat d’Israël, pour s’en convaincre. Sur un seul territoire sont aujourd’hui en conflit deux pays : Israël et la Palestine, chacun luttant pour une reconnaissance de sa légitimité à posséder, à vivre sur ce territoire. Cependant, bien que les buts poursuivis soient semblables, la manifestation de la violence d’un côté et de l’autre est fort différente ; elle est, en ce sens, révélatrice de logiques sociales complexes. Les trois « grandes guerres », si l’on peut les nommer ainsi, de 1948 (guerre d’indépendance), 1967 (guerre des 6 jours) et 1973 (guerre de Kippour) ont permis à Israël de se poser en maître militaire du conflit, et par là même d’affirmer sa prédominance et un certain droit à l’existence. Du côté palestinien, le terrorisme s’est développé pour pallier la faiblesse militaire au travers de groupuscules toujours plus extrémistes. Les deux formes de violence en présence s’opposent de façon quasi-radicale aujourd’hui : le terrorisme est considéré comme une violence illégale, revendiquée par des minorités anti-israéliennes, alors que la violence israélienne se réclame d’une simple défense politique, par la puissance militaire, contre les attaques terroristes. Au travers de l’étude des formes de violence palestinienne et israélienne, ainsi que de leur traitement médiatique de part et d’autre, Karine Michel revient sur les circonstances historiques et politiques du début du conflit, pour mieux appréhender la signification de celui-ci. Pénélope Larzillière s’est intéressée à l’attentat–suicide et son discours de légitimation. Martyre pour les uns, terrorisme pour les autres, la technologie de l’attentat-suicide se trouve désormais largement utilisée dans de nombreux conflits contemporains. Elle est généralement thématisée comme l’utilisation par le plus faible d’une arme permettant de contrebalancer sur le court terme le rapport de force dans le cadre de conflits asymétriques. Cependant, au-delà de l’apparente similitude du vocabulaire d’action, différents contextes peuvent être distingués, d’une utilisation transnationale à la forte inscription dans le cadre d’une lutte nationale, d’organisations préparant leurs candidats pendant de longs mois à celles qui n’ont que l’embarras du choix et s’appuient sur des sociétés sans horizon d’attente et imprégnées d’imaginaire sacrificiel. Le discours de légitimation autour de l’attentat-suicide et l’horizon de sens dans lequel il s’inscrit pour 303 Entre Autres

les acteurs renvoient de façon générale à la construction d’une figure de martyr. Mais le sens social que peut revêtir cette figure et son impact vont largement varier d’un contexte à l’autre. P. Larzillière a concentré son exposé sur les modalités de construction d’une telle figure de martyr, les conditions de son impact plus ou moins grand dans une société et les possibilités de circulation transnationale d’un tel modèle à travers des identifications croisées, notamment d’une lutte nationale à une autre. Partir de terrains concrets dans l’étude de la violence permet d’éviter les discours moralisateurs et les risques de surenchère politicienne dans l’approche de questions aussi délicates que brûlantes. Cela permet également de transcender les explications essentialistes qui verraient dans la violence un produit inéluctable de telle culture, telle religion ou telle race. A la lumière des cas étudiés, certains mécanismes qui président à l’explosion de la violence ont été examinés e les insérant dans les logiques qui les nourrissent. Loin des a priori éthico-normatifs et des herméneutiques philosophico-religieuses qui tantôt perçoivent la violence comme nécessaire au procès de civilisation (Karl Marx) et tantôt comme une survivance primitive relevant du stade de l’infrahumain, ce sont surtout les dimensions anthropologiques liés aux contextes sociaux, historiques et culturels qui ont été privilégiés.

304 Among Others

Index auteur

 A Chevallier Denis 222, 263 Christou Anastasia 169, 170, 171, 172, Aarnipuu Tellervo 160, 166 173 Akgönül Samim 148, 152 Colovic Ivan 141, 144, 145, 146 Albera Dionigi 285, 289 Cunha Luis 130, 136, 137 Amundsen Arne Bugge 291 D Anteby-Yemini Lisa 303 da Cunha Manuela P .300 Arrif Abdelmajid 2, 215 da Silva Maria Cardeira 170, 173, 174 B Debary Octave 225, 227, 228 Bárth Dániel 292 de Brito Joaquim Pais 263 Baskar Bojan 147, 151 de Jong Adeiaan 222 Basson Jean-Charles 256 Delavigne Anne-Elène 222 Baussant Michèle 57, 58, 59, 60, 271, Del Giudice Luisa 193, 199, 203 277 Del Negro Giovanna 188 Belkis Dominique 130, 136, 137, 142 de Rapper Gilles 129, 131, 136, 138 Bérard Laurence 233 der Horst 270, 276 Beyer Jürgen 291 Dias Nelia 205, 211 Black Rachel 108, 116, 170, 173, 174, 201 Dimitrijevic Dejan 225, 226, 227 Blehr Barbro 294, 296 Donnan Hastings 132, 136, 139 Boiteux Martine 302 Durand Jean-Yves 180, 283, 287 Botea Bianca 215 E Bouquet Mary 205, 211 Eggeling Tatjana 239, 244, 247, 252 Brembeck Hélène 273, 278 Ernst Audrey 258 Bromberger Christian 222, 263 Buturovic Lada 196, 202 F C Färber Alexa, 206, 207, 212, 213 Ferez Sylvain 257 Calado Virginia Henriques 148, 152 Feschet Valérie 126 Carabott Philip 147, 151 Fialkova Larisa 170, 172, 173 305 Entre Autres Fliche Benoît 272, 278 K Franquesa Jaume 215 Kaftantzoglou Roxani 227 Freire Francisco 215 Kaijser Lars 161, 167 Fretz Nicole 150, 154 Karamanes Evangelos 234 Friedmann Susanna 193, 194, 195, 199, Kerrou Mohamed 127 200, 201 Khadhar Farah 127 Frykman Jonas 64, 273, 279 Kirshenblatt-Gimblett Barbara 65, 72, 73, Frykman Maja Povzanovic 6, 269, 275 79, 207, 213 G Klauber Véronique 300

Gabor Barna 179, 180 Klein Barbro 81, 83, 91, 95, 96, 97, 104, 105, 106 Gandolfi Paola 271, 276 Klobčar Marija 196, 202 Gessat-Anstet Elisabeth 179 Kõiva Mare 295 Gibout Christophe 239, 247, 248 Krastanova Krassimira 215 Giles Wenona 169, 170, 171, 172 Kuzma Inga 127 Givre Olivier 141, 143, 144 Godinho Paula 129, 135, 136 L Goldstein Judith L .205, 206, 211, 212 Lai Franco 221

Golež-Kaučič Marjetka 196, 201 Larzillière Pénélope 303 Gustavsson Anders 129, 132, 135, 136, Leal João 169 139 Legrand Caroline 169, 170, 171, 172 Gyr Ueli 177 Lepape Loïc 284 H Lestrelin Ludovic 256 Hauschild Thomas 283, 287 M Heimo Anne 222 Maffi Irène 149, 153 Holst-Warhalf Gail 193, Magliocco Sabina 283, 287 Husmann Rolf 239, 247 Magry Peter Jan 292, 293 J Marcellini Anne 255, 257

Jeanjean Agnès 127 Marchenay Philippe 233 Jepson Anne 235 Markou Katerina 148, 152 Jesus Miranda 215 Mauny Christophe 239, 247, 248 Jönsson Håkan 234 Michel Karine 2, 215, 303 306 Jürgenson Aivar 154 Midol Nancy 256 Among Others

Miller Daniel 107, 108, 110, 111, 115, Selberg Torunn 159, 165 273, 279 Seraïdari Katerina 294, 295 Mondardini Gabriella 183, 187 Siivonen Katriina 161, 166 Monnet Nadja 126, 130 Siniscalchi Valeria 219, 221, 222 Mörck Magnus 273, 278, 279 Sjögren Annick 183, 184, 187, 188 Morell i Tipper Marc Andreu 215 Smith Andréa 169, 271, 277 Moulden John 193, 195, 196, 199, 201, 202 Strijdhorst dos Santos Irène 169, 171 Moussaoui Abderrahmane 299 Svensson Birgitta 157, 163 Szego Kati 193, 194, 199, 200 N T Nagy Reluca 178 Negre Rodica 130, 136, 137 Telste Kari 300, 301 Nicolas Maud 258 Thompson Tok 178 Nikocevic Lidija 272, 278 Torp-Kõivupuu Marju 295 Toundassaki Irène 225, 227 O Turgeon Laurier 272, 277 Olloz Sebastian 150, 154 V P Valtchinova Galia 132, 136, 139 Palmsköld Anneli 162, 167 Vincent-Campion Véronique 302 Papachristophorou Marilena 149, 153 Vissel Anu 239, 242, 243, 247, 251, 252 Papuga Daniel Winfree 235 Vranješ Matej 149, 153 Pirinoli Christine 147, 151 W R Watenpaugh Hegnar 206, 208, 212, 214 Ramiréz Angeles 170, 173, 174 Welz Gisela, 6, 233, 236 Rautenberg Michel 215 White Hayden 159, 164 Ronström Owe 157, 160, 163, 166 Y Roy Frédérique 222 Yelenevskaya Maria 170, 172, 173 S Z Sánchez-Carretero Cristina 170, 173, 174 Zerilli Filippo 220 Santa Montez Maria 293 Zlatkova Meglena 125 Sarv Mari 196, 202 Žmega Jasna Capo 55, 56, 58, 59, 64 Schippers Thomas K .177, 179, 180 307 Entre Autres

308 Among Others

Index thématique

A H

Authenticité 157, 158, 159, 161, 207, Handicapé 111, 257, 259 208, 293 I Balançoire 242, 243 Internet 108, 116, 145, 170,172, 184, B 188, 227, 293 Beatles 161, 167 Jeu 89, 142, 148, 206, 240, 241, 242, 248, 249, 250, 251, 258, 259, 269, 302, C 303

Carnaval 263, 293 Jumelage 145, 146 Cartographie 148, 180 L

Communauté juive portugaise 293 Législation 233 Contrebande 130, 132, 133 Lieu de culte 271 D Lieu de mémoire 222

Danse 62, 130, 177, 195, 255, 258, 266 Logement 82, 88 E M

Enseignement supérieur 184 Mariage 196, 233, 264, 266, 284, 285, 294 F Masques 130 Femmes musulmanes 87, 184 Migrant 61, 172 Fête 160, 178, 266, 273, 293 Migration 55, 56, 57, 60, 98, 100, 169, 170, 171, 172, 174, 187, 194, 195, 200, Football 220, 221, 239, 240, 241, 242, 201, 269, 275 247, 248, 249, 250, 251, 255, 256 Monument 220, 274, 279 Frontière 57, 59, 63, 64, 129, 130, 131, 132, 136, 141, 142, 196, 273, 292 Multiculturalisme 71, 81, 89, 91, 92, 169, 170, 173, 174 G Musée 2, 3, 65, 67, 69, 70, 71, 72, 159, Genre 71, 107, 145, 171, 180, 184, 194, 160, 205, 206, 207, 216, 222, 225, 227, 200, 221, 244, 259, 273, 301, 302 229, 263, 264, 265, 266, 272 Geste 71 Musée-Mémorial 225, 227 Guides touristiques 71 Musique 111, 193, 194, 195 Mutilation sexuelle 170, 173 309 Entre Autres O S

Objet 59, 70, 109, 112, 125, 127, 131, Sport 62, 146, 239, 242, 243, 244, 247, 145, 157, 161, 195, 216, 217, 219, 220, 248, 251, 252, 253, 255, 256, 257, 258 222, 225, 228, 235, 240, 248, 264, 265, 266, 271, 273, 274, 295, 296, 303 T

P Terrorisme 71, 303

Patrimoine 5, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, Tourisme 69, 90, 129, 132, 146, 149, 72, 149, 157, 158, 159, 160, 161, 191, 157, 161, 170, 171, 172, 177, 178, 183, 195, 205, 206, 207, 208, 209, 215, 217, 184, 205, 217, 235, 295 220, 221, 211, 212, 215, 216, 217, 219, Tradition 60, 68, 75, 82, 96, 107, 109, 220, 221, 222, 223, 235, 236, 263, 272, 115, 116, 117, 143, 144, 158, 160, 164, 274, 295 166, 178, 183, 187, 196, 201, 202, 207, Patrimoine mondial 66, 67 211, 213, 220, 225, 234, 235, 236, 242, 251, 284, 288, 294 Patrimoine naturel 221 V Patrimoine naturel 67, 150, 221 Patrimonialisation 215, 216, 217, 219, Ville 3, 59, 60, 82, 83, 84, 86, 88, 89, 221, 222, 235, 263, 265, 272 110, 111, 126, 127, 128, 132, 142, 146, 148, 150, 152, 173, 179, 215, 216, 217, Paysage 82, 89, 105, 111, 132, 147, 148, 221, 222, 235, 243, 292, 300 149, 151, 173, 222 Violence 6, 132, 139, 172, 193, 195, 199, Pêche 183, 184 201, 239, 248, 256, 286, 290, 297, 299, 300, 301, 302, 303, 304 Pédophilie 302 Voile 127, 160, 264 Pèlerinage 68, 160, 161, 170, 174, 196, 271, 285, 292 Perles 272 Petit commerce 133 R

Réderie 228 Relance 263 Religion 84, 92, 97, 104, 144, 160, 184, 188, 195, 266, 284, 285, 288, 289, 292, 293, 294, 295, 296, 304 Religiosité informelle 292, 293 Rituel 65, 143, 242, 294, 295, 299, 302 Rituel funéraire 295 Roms 300 310 Among Others

Index géographique

A E

Albanie 129, 131 Egypte 286 Algérie 56, 58, 61, 271, 285 Espagne 125, 126, 129, 131, 170, 173, 174, 215, 220, 221, 265, 302 Allemagne 55, 57, 61, 131, 226, 233, 239, 244, 283 Estonie 150, 193, 220, 222, 242, 243, 291, 295 Amsterdam 270, 276, 292, 293 Europe centrale 145, 179, 180, 293 Angleterre 71, 283 Arménie 271 F B Finlande 83, 160, 161, 220, 222, 242, 243 Bâle 150 France 56, 57, 60, 109, 116, 126, 127, Balkans 55, 132, 139, 141, 143, 144, 145, 130, 131, 135, 136, 141, 148, 169, 171, 286, 289, 290 177, 179, 180, 196, 202, 206, 207, 212, 213, 215, 219, 220, 221, 222, 225, 233, Barcelone 126 234, 243, 252, 258, 259, 263, 264, 265, 271, 272, 277, 284, 288, 294, 299 Basse-Normandie 240, 249 Bosnie 144, 193, 196, 197, 226, 293 G Bosnie-Herzégovine 226, 293 Grèce 55, 57, 60, 129, 130, 131, 142, 148, 149, 169, 170, 171, 173, 193, 194, Bulgarie 83, 125, 129, 130, 131, 132, 197, 227, 234, 294, 295 141, 142, 148, 215 Canada 169, 170, 171, 193, 199 H Chypre 235 Hawaï 69, 193, 194 Colombie 193, 194, 195 Hongrie 56, 179, 180, 292 Congo 69, 77, 159, 165 I Croatie 55, 56, 57, 59, 64, 169, 226, 272 Irlande 110, 131, 132, 170, 171, 178, D 193, 194, 195 Israël 110, 147, 172, 299, 303 Damas 196, 206 Istrie 180, 235, 272 Danemark 83, 131, 234 Italie 170, 173, 174, 183, 193, 220, 221, 222, 243, 265, 269, 271, 293 311 Entre Autres J 148, 152, 169, 170, 171, 173, 174, 180, 215, 263, 284, 288, 293, 294, 300, 302 Jordanie 149 Provence 3, 126, 129, 131, 136, 177, 179, 205, 208, 211, 214, 215, 219, 265, 272, K 278, 284, 288, 299 Kosovo 56, 141 R

L Rome 299, 302 Lens 256 Roumanie 56, 129, 130, 131, 178, 220 M Russie 179, 283, 291

Macédoine 132, 147, 234 S

Maghreb 125, 127 Sardaigne 183, 221 Maramures 178 Serbie 56, 129, 132, 141, 142, 225, 292 Maroc 206, 207, 208, 269, 271, 285 Sibérie 150 Marseille 2, 3, 56, 59, 215, 247, 256, 258, Slovénie 147, 149, 193, 195, 196, 197 263, 266, 275 Suède 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, Mauritanie 215 91, 132, 157, 159, 160, 161, 183, 184, 222, 234, 269, 273, 291, 294, 300 Méditerranée 2, 3, 6, 125, 147, 169, 180, 196, 205, 206, 207, 208, 215, 216, 217, Suisse 126, 145, 147, 150, 177, 180 220, 223, 263, 264, 265, 266, 269, 283, 284, 285, 303 Syrie 83, 84, 206, 207, 286 Montpellier 127, 255, 257, 258 T

N Toronto 170, 171

Nice 127, 225, 256 Transylvanie 215 Nord-Pas-de-Calais 240, 249 Tunis 125, 127 Norvège 81, 110, 129, 131, 132, 159, Tunisie 125, 127, 285 235, 291, 299, 301 Turquie 55, 82, 83, 84, 148, 264, 270 P

Palestine 147, 151, 303 Paris 56, 60, 61, 67, 109, 126, 127, 170, 171, 217, 220, 221, 222, 223, 225, 226, 228, 240, 241, 249, 256, 263, 299 Pays-Bas 132, 220, 222, 270, 292 Poitou-Charentes 240, 249 Pologne 56, 127 312 Portugal 129, 130, 131, 135, 136, 137, Au 21e siècle nous vivons tous “entre autres”. La société est ressentie comme culturellement hétérogène, depuis les grands centres métropolitains attirant les travailleurs migrants du monde entier aux villages de montagne isolés mais néanmoins visités par les touristes et touchés par l’impact des mass-média et de la réalité virtuelle. les lieux, les objets et les pratiques culturellesque nous étudions pour identifier leurs propriétés sont tous impliqués dans une profonde remise en cause de l’histoire et du présent des cultures autres.

In the 21st century, we all live “among Others”. Society is eperienced as culturally heterogeneous, be this in metropolitan centres attracting labor migrants from around the world, or in isolated mountain hamlets visited by tourists and embraced in the global reach of mass media and virtuality. Places, objects, and the cultural practices we devise to experience their ownership are all engulfed in reflections and negotiation vis-à-vis historic and present cultural Others.