ANNIE SARTRE-FAURIAT AVENTURIERS, VOYAGEURS ET SAVANTS À LA DÉCOUVERTE ARCHÉOLOGIQUE DE LA SYRIE | XVIIe - XXIe SIÈCLE

Aventuriers, voyageurs et savants À la découverte archéologique de la Syrie (xviie-xxie siècle)

ANNIE SARTRE-FAURIAT

Aventuriers, voyageurs et savants À la découverte archéologique de la Syrie (xviie-xxie siècle)

CNRS ÉDITIONS 15, rue Malebranche – 75005 Paris © CNRS ÉDITIONS, Paris, 2021 ISBN : 978-2-271-13738-8 Sommaire

Abréviations...... 9 Introduction...... 15 Préambule. Pèlerinages, affaires commerciales et premières observations (ive-xviie siècle)...... 21 Première partie. Le temps des « antiquaires » aventuriers (fin xviie-début xixe siècle)...... 35 I. L’aventure passe par Palmyre...... 37 II. En route vers la Syrie du Nord et la vallée de l’Euphrate...... 55 III. Retour à Palmyre : Wood, Cassas et autres aventuriers...... 77 IV. La découverte d’un nouvel espace : le Hauran en Syrie du Sud...... 99 Deuxième partie. Le temps des savants et des expéditions scientifiques (milieu xixe-début xxe siècle)...... 147 I. Les premiers savants : Wetzstein, Waddington et de Vogüé...... 151 II. La permanence des aventuriers...... 159 III. De l’exploration individuelle aux expéditions collectives...... 169 Troisième partie. L’archéologie en Syrie du mandat français à la guerre civile (1920-2011)...... 193 I. Le mandat français et l’organisation de l’archéologie au Levant...... 195 II. Les grands chantiers archéologiques en Syrie sous le mandat...... 203 8 Aventuriers, voyageurs et savants

III. La Syrie indépendante et le développement des recherches...... 221 IV. Bilan depuis 2011 et perspectives d’avenir pour la recherche en Syrie...... 261 Conclusion...... 281 Bibliographie...... 285 Index des lieux...... 289 Index des personnes...... 295 Abréviations

AAAS Annales Archéologiques Arabes Syriennes, Damas (antérieurement AAS Annales Archéologiques Syriennes) APSA2011 Association for the Protection of Syrian Archaeology, Strasbourg BAH Bibliothèque Archéologique et Historique, Presses de l’Ifpo, Beyrouth BEO Bulletin d’Études Orientales, Presses de l’Ifpo CRAI Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, Paris DGAMS Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie, Damas GCS Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte, Leipzig Ifpo Institut français du Proche-Orient IGLS Inscriptions Grecques et Latines de la Syrie I.Syrie W. H. Waddington, Inscriptions Grecques et Latines de Syrie, recueillies et expliquées, Paris, F. Didot, 1870 JRGS Journal of the Royal Geographical Society, Londres PEFQSt Palestine Exploration Fund Quarterly Statement, Londres REA Revue des Études Anciennes, Bordeaux Travels AT J. S. Buckingham, Travels among the Arab Tribes inhabiting the countries East of and Palestine including a journey from Nazareth to the moun- tains beyond the Dead Sea and from thence through the plains of Hauran to Bozra, , Tripoly, Lebanon, Baalbeck and by the valley of the Orontes to Seleucia, Antioch and , Londres, 1825 ZAE Zeitschrift für Allgemeine Erdkunde, Berlin ZDPV Zeitschrift des deutschen Palästina-Vereins, Wiesbaden

Carte générale de la Syrie

36° E 38° E 40° E42° E Roum Kalè Nisibe/Nusaybin Gaziantep /Ourfa Tig TURQUIE Édesse re Birecik Qamichli Harân DJEZIREH Alexandrette Hiérapolis- Cyrrhus Membidj

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a a 36° N Antioche h c

36° N Alep K Séleucie Harim A s de Piérie s a d Halabiyeh Maaret Tabqa Resafa- Eu Ougarit en-Noman ph Zelabiyeh Sergiopolis ra Lattaquié/ t Laodicée Isriyeh e Jeblé Apamée Deir ez-Zor Banias Salamiyeh Arados/Rouad Tartous Krak des chevaliers Amrith Doura-Europos Anat Mer Palmyre-Tadmor Tell Hariri/Mari Tripoli Hermel Abu Kemal Méditerranée Baalbek Laboué Byblos 34° N 34° N Dayr-Atiyeh Beyrouth Saydnaya LIBAN BEQAA Qutayfeh Dmeir Sidon Bludan Fidjé IRAK Joun Damas Litani Jebel Seis Tyr Kafr 50 km el-Awamid Qasr HAURAN al-Abyad Jourdain Ezra Sidon Nom ancien Lacde

Tibériade JAWLAN Villes repères ISRAËL Suweida BEQAA Régions Dera JORDANIE Sites archéologiques ou possédant TERRITOIRE des monuments d’intérêt particulier PALESTINIENS La Syrie du Nord

Afrin Villes mortes JEBEL JEBEL RIHA Jebel du Massif Calcaire Vers SEMAN Villes repères Antioche

Brad Kafr Nabu Qalota Qal’at Sim’an Basufan Kharab Shams Deir Seman Burj Haidar Réfadé Sitt er-Rum Fafertin TURQUIE Qatura Burjkeh JEBEL Deir Tazzé HALAQA Sheikh Barakat Qasr el-Banat Bab al-Hawa Mushabbak Tourmanin Harim Dar Qita Babisqa Dana-Nord Bettir Baqira Alep Banaqfur Sarmada Qirqbizé Surkanya Qalb Lozeh Dehès Beshindeleya Behyo JEBEL BARISHA JEBEL Deir Seta AL-ALA SYRIE JEBEL DUWEILI

Idlib

JEBEL WASTANI

Riha JEBEL Kafr Lata RIHA Ebla-Tell Mardiq

Mghara JEBEL Ruweiha ZAWIYEH Frikya Djeradeh Deir Sambil Ramé Dana-Sud Serjilla Al-Bara Tarutin Ba’uda Khibet Hass Kafr Ambil Maaret en-Noman 10 km Hass La Syrie du Sud (Hauran)

Ghabagheb Buraq

Quneitra Mutbin Mismiyyeh Sawarat al-Kebireh

Shaara Umm Hartein El-Harrah Sanamein Sahr Basir Eib Kholkholeh Khirbet Mleihat Hizqin LEJA Dhakir al-Umbashi Khabab Zbireh Deir Dami Tibné Zbair Jassem Mjaidel Sur Jaddel SAFA Muahdjeh El-Asim Hayat Qirata Hit Umm Jneineh BATANÉE Nawa Shaqra az-Zeitoun Rdeimeh Amra Sheikh Saad- Busr Breikeh Deir Eyub Al-Hariri Nejran Rimet Tsil Ezra al-Lohf Shahba Sheikh Meskin Mleihat Nimreh Kafr Laha Murduk Dur Sleim Obta Namer Majdal Umm Ar-Ruaq Tell Nahiteh Sijin Dail Alma Hrayek Rimet Atil Qanawat Heit Ashtarah Tafas Hazem Kteibeh Hrak Tahleh Sia Mushennef Tell al-Ashari Khirbet Rakkam Walgha HARRA Sammak Kérak Dara Suweida Saneh Mzerib Ataman Kenakir Jebel Kuleib Dera Umm Walad Ain Mousa Saleh NUQRAH Kafr Iré Ramtha Sheikh Hussein Sahwet Al-Khodr Kharaba Mujaimir Hebran Jizeh Jmarrin Uyyun Qreyeh Bosra Mnaidré Orman Salkhad

JORDANIE SYRIE

JEBEL DRUZE/AL-ARAB LEJA Région Villages avec des ruines Umm al-Jimal Sites avec des vestiges importants 10 km La Syriecentrale et la valléedel’Euphrate

39° E40° E41° E42° E Sites archéologiques Villes modernes Chagar Tigre TURQUIE Bazar Nisibe/ Aintab/ Tell Beydar Nusaybin Gaziantep Edesse/Ourfa Tell Halaf Birecik Ras Karkemish Tell El-Ain Harân Chuera Jérablous Arslan Tash Tell Ahmar Tell Brak Hierapolis- KaraKazak Membidj Serrîn Tell Roumeilah Hassakè Shash Hamdan Tell Sueihat Alep Tell al-Hajj Shams Ed-Din Jebel Aruda Tell Al-Abd L Mumbaqat 36° N Habuba Kabira a Anab es-Safina SYRIE Habuba-Qannass c 1 2 Tell Bya A s 3 Raqqa Emar/Meskene s a d 5 Dibsi Faraj 4 TabqaEuphr Abu Houreira a t e Zelabiyeh r Anderin Resafa- Halabiyeh u o Sergiopolis b Isriyeh a 1 Halaweh h 2 Tell Sheikh Hassan Deir ez-Zor K 3 Mureybet IRAK 4 Tell Al-Fray Taybé Qasr al-Hair 35° N 5 Qalaat Jaber al-Sharqi Mayadin Soukhneh Rahba Doura-Europos Sadad Palmyre Tell Hariri-Mari Baghouz Abu Kemal Hawarin a t e Qasr al-Hair Gharbiyeh Euphr Anat Qaryatain 40 km Introduction

Bien que, dès la fin de l’Antiquité, le Proche-Orient ait tou- jours été une terre de passage pour les voyageurs, on constate que les raisons pour lesquelles ils se déplacent et leurs centres d’intérêt n’ont pas toujours été identiques. Non seulement ils ont varié au cours du temps mais, d’une manière assez générale, la curiosité à l’égard des monuments du passé n’est survenue qu’as- sez tard. C’est en effet seulement à partir de la fin du xviie siècle que se manifeste l’envie d’aller voir des vestiges archéologiques pour eux-mêmes et c’est seulement deux siècles plus tard que l’on se préoccupe d’en faire réellement l’étude. Plusieurs rai- sons peuvent expliquer ce phénomène : d’une part, les motifs du voyage et, d’autre part, les régions que les voyageurs parcourent, ou sont autorisés à parcourir en fonction des dangers potentiels. Jusqu’au xviie siècle, en effet, à une ou deux exceptions près, la plupart des voyageurs ne passent en Syrie que dans le but de se rendre en pèlerinage à Jérusalem et ils ne s’aventurent guère en dehors des itinéraires préétablis. Ceux qui arrivent par le nord, par voie de terre, entrent en Syrie par Antioche et ceux qui choisissent la voie maritime abordent le pays soit par le port d’Alexandrette soit, plus fréquemment, par celui de Tripoli, plus au sud, avant de descendre par voie terrestre le long de la côte phénicienne jusqu’en Palestine. Ceux qui arrivent par le sud débarquent à Jaffa et effectuent le parcours inverse pour s’arrêter, comme la plupart des autres voyageurs, essentiellement à Damas 16 Aventuriers, voyageurs et savants et à Alep. D’une manière générale, ce qui les intéresse avant tout ce sont les mœurs des habitants et plus particulièrement de ceux qu’ils appellent les « Turcs », c’est-à-dire les musulmans sédentaires et, de manière moins évidente, celles des « Arabes » c’est-à-dire les Bédouins du désert.

Il n’est peut-être que l’itinéraire suivi dans le dernier quart du ve siècle par Isidore de Gaza et Damascius en Syrie qui se distingue de tous ceux qui ont pour but principal Jérusalem ou des lieux évoqués dans les Écritures. Les deux philosophes néoplatoniciens pérégrinent en effet en Syrie en quête des traces du paganisme dans un monde devenu chrétien. Ils se rendent notamment en Syrie du Sud, réputée pour être un conservatoire de la culture antique et censée abriter des lieux mythiques, en particulier les eaux du Styx, fleuve des Enfers qui, selon la mythologie grecque, séparait le monde des morts de celui des vivants1. Une tradition littéraire plaçait le fleuve en Arabie dans la haute vallée du Yarmuk qui, par plusieurs aspects, corres- pondait à l’image que s’en faisaient les Anciens2. Des propos de Damascius dans la Vita Isidori, on croit déduire que voyager à son époque n’est pas chose exceptionnelle, car il oppose les désirs d’Isidore qui veut être « le témoin direct » de l’existence des « endroits étonnants ou sacrés ou célèbres », aux aspirations de ceux qui voyagent de manière « futile et amollissante et dont le but est de béer d’admiration­ devant les édifices humains et les beautés des villes3 ». On ne sait à quels lieux Damascius fait allusion et si la Syrie fait partie de ces destinations touristiques de luxe et superficielles qu’il dénonce. D’une manière générale en effet, les témoignages de ce type de voyages dont nous pos- sédons les traces concernent plutôt la Grèce ou l’Égypte4 et il ne

1. M. Tardieu, Les paysages reliques. Routes et haltes syriennes, d’Isidore à Simplicius, Louvain-Paris, Éditions Vrin, 1990. 2. Porphyre, Περì Στυγόν, qui envisageait toutes les localisations de ce fleuve mythique. 3. Damascius, Vita Isidori, édit. C. Zintzen, Hildesheim, 1967, fr. 38. 4. A. Sartre-Fauriat, « Le monument à l’époque romaine en Méditerranée orientale : de l’histoire au mythe », dans La visite du monument, Clermont- Ferrand, PUBP, coll. « Histoires croisées », 2004, p. 49‑60. Id., « Voyages et Introduction 17 semble pas que des lieux particuliers, témoins des civilisations passées, aient fait l’objet de déplacements touristiques en Syrie. Même lorsque l’empereur romain Hadrien vient en 129‑130 dans la partie orientale de l’Empire, rien n’est signalé comme particulièrement remarquable en Syrie sur le plan historique ou monumental qui ait motivé l’arrêt ou un détour de l’empereur. Cela tranche avec son passage en Asie Mineure où il semble s’être rendu en divers endroits célèbres par leur histoire, leurs grands hommes ou leurs paysages exceptionnels. C’est ainsi qu’il s’arrêta à Ilion, prétendument le site de Troie, où il reconstruisit la « tombe d’Ajax » tombée en ruine, mais aussi à Pergame capi- tale des Attalides dont certains monuments, comme le spectacu- laire théâtre, témoignaient de l’époque hellénistique (iie siècle av. J.-C.), ou encore aux sources sulfureuses de Pamukkalé près de Hiérapolis de Phrygie et à Sattai dont les « terres brûlées » étaient la conséquence d’éruptions volcaniques5.

Que pouvait-il rester de visible des temps anciens en Syrie qui aurait pu attirer le « touriste » à l’époque romaine ? Les sources sont trop peu nombreuses pour le savoir précisément mais, de toute façon, rien ne pouvait être comparé à la monumentalité de la Grèce ou de l’Égypte. Beaucoup de sites des hautes époques s’étaient évanouis sous les tells et sous les sables, désintégrés en surface par l’érosion en raison des modes de construction en argile crue. Les sites d’époque grecque ayant été, quant à eux, bien souvent détruits par les tremblements de terre, les recons- tructions successives en avaient fait des villes neuves. C’était le cas ­d’Antioche ou d’Apamée, rebâties constamment, où plus grand-chose de spectaculaire ne subsistait du passé grec.

Le passage par la Syrie resta donc longtemps plus utilitaire que touristique et cela le demeura jusqu’au xviie siècle, malgré l’inté- rêt que suscita à partir du ive siècle le pèlerinage aux lieux saints voyageurs en Orient dans l’Antiquité romaine », Les Dossiers de l’Archéologie, n° 285, juillet-août 2003, p. 40‑53. 5. A. Sartre-Fauriat, « Hadrien et les voyages dans l’Orient grec », Les Dossiers de l’Archéologie, n° 273, avril 2002, p. 46‑53. 18 Aventuriers, voyageurs et savants dont les itinéraires pouvaient conduire, en dehors des ports et des villes de la côte méditerranéenne, à Alep ou à Damas. Utilitaire, la Syrie le devint encore plus à partir du xvie siècle lorsque les puissances occidentales nouèrent des relations diplomatiques avec l’Empire ottoman pour des raisons autant politiques et reli- gieuses qu’économiques6. France, Saint-Empire romain germa- nique, villes d’Italie, Britanniques, délèguent alors diplomates, espions et commerçants à Constantinople, puis à Alep. Certains d’entre eux, hommes cultivés, se prennent toutefois d’intérêt pour les monuments du passé ; c’est le cas du diplomate prussien Augier Ghiselin von Busbeck, en poste à Constantinople entre 1553 et 1558, auquel on doit la découverte et la première publi- cation du texte des Res Gestae Divi Augusti, gravé sur le temple d’Auguste à Ancyre (aujourd’hui Ankara7). Grand amateur d’ob- jets d’art, il est sans doute aussi l’un des premiers diplomates à contribuer à enrichir les collections royales ou privées grâce aux quelque deux cent quarante œuvres et collections numismatiques qu’il rapporta de son séjour dans l’Empire ottoman. Un peu plus tard, en 1590, c’est le joaillier italien Gasparo Balbi qui séjourne à Alep avant de partir pour l’Inde8, et qui y précède dans cette quête de pierres précieuses le marchand français Jean-Baptiste Tavernier qui en fait commerce pour le compte de Mazarin et de

6. O. Salmon, Alep dans la littérature de voyage européenne pendant la période ottomane (1516‑1918), Alep, Dar al-Mudarris et Dar Mardin, 2011. 7. Itinera Constantinopolitanum et Amasianum, 1581. Ce texte, qui était gravé sur des tables de bronze apposées sur les obélisques en façade du tombeau ­d’Auguste à Rome, fut reproduit pour être exposé en divers lieux de l’Empire. Plusieurs fragments en grec ont été retrouvés dans des villes d’Asie Mineure (Ancyre, Antioche de Pisidie et Sardes). Auguste y développait ses actes et réali- sations depuis le début de sa carrière politique ; à défaut d’être totalement objectif, le texte est un témoignage irremplaçable sur le règne d’Auguste. H. Omont se trompe quand il dit que c’est à un certain Laisné, qui voyage en 1670‑1671, que l’on doit la première mention du temple d’Auguste à Ancyre et de son inscrip- tion (Missions archéologiques françaises en Orient aux xviie-xviiie siècles, Paris, 1902, p. 47‑49) ; toutefois, ce voyageur qui cherchait à acquérir des manuscrits pour le compte de Louis XIV fit un croquis du bâtiment et en donna une courte description. 8. G. Balbi, Viaggio dell’Indie orientali di Gasparo Balbi, gioielliero Venetiano, Venise, 1590. Introduction 19

Louis XIV. Dans la relation des six voyages qu’il fit en Orient entre 1631 et 1644, il s’arrête à chaque fois à Alep où il décrit et énumère toutes les marchandises qui s’y échangeaient (soie, poil de chèvre, noix de gale et écorces de glands utilisées dans le corroyage, savon, etc.) au milieu d’une foule cosmopolite­ de marchands venus d’Orient et d’Occident, sur les intérêts et les droits desquels veillaient des consuls de leur nationalité. L’étape d’Alep, comme le dit Tavernier, est absolument indispensable « tant pour disposer de ses affaires que pour attendre que la caravane soit assemblée quand on ne veut pas aller seul avec un guide9 ».

C’est cet afflux de marchands aventuriers à partir du xvie siècle qui va contribuer progressivement à la découverte de la Syrie et de son passé. Ce sont en effet des marchands anglais qui, partis d’Alep en 1678, furent les premiers occidentaux connus à réussir à gagner Palmyre, et ce sont aussi des marchands se rendant en Perse qui décrivirent les premiers la vallée de ­l’Euphrate, route moins périlleuse que celle du désert où des chefs arabes rançon- naient les caravanes et menaçaient la vie des voyageurs. Mais il faut attendre la fin du xviie siècle et surtout le xviiie siècle pour voir se développer réellement les voyages destinés exclu- sivement à la découverte de sites archéologiques, soit depuis l’Occident par ceux que l’on appelle les « antiquaires », soit de la part de diplomates ou de missionnaires installés sur place. Malgré cela, certaines régions, plus ou moins faciles à explorer, devront attendre encore un siècle avant d’être connues : c’est le cas de la Syrie du Sud où le premier véritable explorateur n’arriva qu’en 1805.

Sans que les voyages d’agrément ou de curiosité pour découvrir les vestiges du passé ne cessent, entre le milieu du xixe siècle et le début du xxe, la Syrie voit progressivement arriver des scien- tifiques et des savants. Leur but est d’inventorier les richesses

9. J.-B. Tavernier, Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier écuyer baron d’Aubonne, en Turquie, en Perse et aux Indes, Paris, G. Clouzier et Cl. Barbin, 1776. 20 Aventuriers, voyageurs et savants patrimoniales de ce pays que les voyageurs ont fait connaître, et d’en faire l’étude. C’est la période des premiers corpus d’inscrip- tions, des missions de prospections archéo­logiques en Syrie du Nord et du Sud de la part de savants venus d’Europe ou d’Amé- rique. La Première Guerre mondiale met un coup d’arrêt aux travaux d’un grand nombre de missions et c’est sous le mandat de la France sur la Syrie et le Liban à partir de 1920 que sont relancées les recherches, désormais organisées et appuyées par des institutions chargées de les gérer. Les travaux des archéolo- gues et des historiens se multiplient et bon nombre de chantiers ouverts durant cette période se poursuivent après l’indépendance (effective en 1946). À la suite de l’appel de la Syrie, des missions de pays étrangers sont envoyées sur place. De nombreux autres sites vont être explorés et leurs découvertes vont contribuer à faire progresser les connaissances sur l’histoire plurimillénaire de la Syrie.

Ce patrimoine d’une richesse exceptionnelle, qui remontait à l’aube de l’humanité, et dont ce pays était dépositaire, subit depuis 2011 la plus grande catastrophe que l’on ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Destructions et pillages massifs de tous les sites par les armées et les fanatiques religieux ont anéanti des vestiges qui avaient survécu à des milliers d’années, privant à jamais, non seulement les Syriens, mais aussi le reste du monde, de connaître des pans entiers d’une histoire qui leur était commune. 302 Aventuriers, voyageurs et savants

La poursuite des visites à Palmyre au début du xixe siècle...... 92 IV. La découverte d’un nouvel espace : le Hauran en Syrie du Sud...... 99 Une première reconnaissance par Vassili Grigorovitch Barski en 1734...... 100 Une exploration plus complète : Ulrich Jasper Seetzen (1805‑1806)...... 102 Johann Ludwig Burckhardt (1810 et 1812)...... 112 Otto Friedrich von Richter (1815), James Silk Buckingham (1816) et William John Bankes (1816 et 1818)...... 119 La poursuite de l’exploration du Hauran (1821‑1857)...... 137 Deuxième partie. Le temps des savants et des expéditions scientifiques (milieu xixe-début xxe siècle)...... 147 I. Les premiers savants : Wetzstein, Waddington et de Vogüé...... 151 II. La permanence des aventuriers...... 159 Les explorations du consul d’Angleterre Richard Francis Burton (1869‑1872)...... 159 Palmyre (1870)...... 160 Liban, Syrie centrale et Palestine (1870‑1871)...... 163 Safa, Hauran et Syrie du Nord (1871‑1872)...... 164 III. De l’exploration individuelle aux expéditions collectives...... 169 Les Français étendent leurs explorations en Syrie...... 169 Les missions allemandes et américaines de la fin du xixe et du début du xxe siècle...... 172 Gertrude Bell : première femme à explorer la Syrie (1900, 1905 et 1909)...... 178 1er voyage en Syrie du Sud et à Palmyre (1900)...... 180 2e voyage en Syrie du Sud, au Liban et en Syrie du Nord (1905)...... 183 La route de l’Euphrate (1909)...... 187 Troisième partie. L’archéologie en Syrie du mandat français à la guerre civile (1920-2011)...... 193 I. Le mandat français et l’organisation de l’archéologie au Levant...... 195 La formation d’un service des Antiquités...... 196 L’organisation de la recherche...... 199 Table des matières 303

Les débuts de l’ouverture aux autres nations...... 200 II. Les grands chantiers archéologiques en Syrie sous le mandat...... 203 La poursuite des recherches en Phénicie...... 204 Doura-Europos : une découverte fortuite d’importance considérable (1920)...... 205 Ougarit/Ras Shamra : un nouveau chantier sur la côte syrienne (1928)...... 209 Palmyre : restaurations de grande ampleur et fouilles sur le site (1929‑1930)...... 210 Tell Hariri : un coup de pioche providentiel et la découverte de Mari (1933)...... 215 Antoine Poidebard et la prospection aérienne (1925‑1934)...... 218 III. La Syrie indépendante et le développement des recherches...... 221 La reprise des anciens chantiers...... 222 Ougarit/Ras Shamra...... 223 Mari...... 224 Doura-Europos...... 227 Palmyre...... 228 Apamée-sur-l’Oronte...... 232 Les chantiers archéologiques nouveaux...... 236 Tell Mardikh/Ebla...... 236 « La vallée engloutie »...... 241 Le Hauran en Syrie du Sud...... 245 Les villes mortes de Syrie du Nord...... 250 La grande aventure des corpus des Inscriptions Grecques et Latines de Syrie...... 255 IV. Bilan depuis 2011 et perspectives d’avenir pour la recherche en Syrie...... 261 Les sites de l’Euphrate et de Syrie centrale...... 262 La Syrie du Sud au Nord...... 264 Palmyre et ses destructions irréparables...... 266 Restaurer ou reconstruire les sites détruits ? : le cas de Palmyre...... 275 Conclusion...... 281 Bibliographie...... 285 Index des lieux...... 289 Index des personnes...... 295