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Petit abécédaire des acteurs du cinéma québécois Pierre Barrette, Marco de Blois, Marcel Jean, Réal La Rochelle, Yves Rousseau et André Roy

Les acteurs et le cinéma québécois Numéro 107-108, automne 2001

URI : https://id.erudit.org/iderudit/23894ac

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Éditeur(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (imprimé) 1923-5097 (numérique)

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Citer ce document Barrette, P., de Blois, M., Jean, M., La Rochelle, R., Rousseau, Y. & Roy, A. (2001). Petit abécédaire des acteurs du cinéma québécois. 24 images, (107-108), 15–25.

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Petit abécédaire DES ACTEURS DU CINÉMA QUÉBÉCOIS

PIERRE BARRETTE (P.B.) MARCO DE BLOIS (M.D.) MARCEL JEAN (M.J.) REAL LA ROCHELLE (R.L.) YVES ROUSSEAU (Y.R.) ANDRÉ ROY (A.R.)

France Arbour Quel exercice périlleux que de dégager quelques Elle pourrait incarner les Je ne l'ai vu qu'une fois sur scè­ noms de la foison de comédiens québécois qui, à héroïnes de Garcia Marquez ne, un choc qui résonne encore. l'avant-plan ou anonymes troisièmes violons, com­ mais je ne suis pas sûr que le Théâtre de la Veillée, dans cinéma québécois, si frileux, soit L'idiot de Dostoïevski. Les posent aujourd'hui le visage de notre cinéma. Entre prêt pour une telle pointure. corps y étaient en mouvement ceux que l'on voit partout à la fois, ceux que l'on ne Il faut voir Requiem pour un incessant, des pantins saisis de beau sans-cœur et bien regarder spasmes, d epilepsie, de frissons, voit pas suffisamment ou ceux que l'on ne voit plus la scène où France Arbour pié­ des enveloppes charnelles hallu­ et que l'on regrette, combien y a-t-il de comédiens dont tine le dentier de son conjoint. cinées, électrocutées. Un Une telle explosion de sauvage­ Gabriel Arcand a contrario du on peut dire qu'ils sont des figures souveraines du rie domestique n'avait rien à cinéma, comédien et metteur en envier aux frasques de son fils,l e scène hors norme. Au cinéma, il grand écran au Québec? Mal-aimés de notre cinéma, criminel incarné par Gildor Roy. ne bouge presque jamais, il est à ils sont surtout, comme nous tous, «orphelins d'une Je me taperais même la série sur mille lieues de la gesticulation, les supermamies de Lise Payette soit-elle minime. Il ressemble vraie cinématographie» (pour reprendre les mots si elle jouait dedans. Surtout uti­ plutôt à un corps tout en lu­ cruellement justes d'Anne-Marie Cadieux). Des di­ lisée dans des rôles d'ouvrière ou mière, tout en sonorités vocales de paysanne (des personnages en graves, comme un violoncelle zaines de présences singulières parmi lesquelles il voie de disparition durant les dont on ne voit pas vibrer les fallait dégager nos préférences, car, faute de pouvoir années 90), France Arbour pos­ cordes mais dont les résonances sède un registre étonnant, une arrivent directement dans les os, être exhaustifs et exempts de tout reproche, ces choix vaste culture et peut jouer dans dans l'estomac. Gabriel Arcand sont ce qu'il y a de plus partial. cinq ou six langues (elle a incar­ possède cette sorte d'intense né une Bosniaque dans la série introspection qui lui fait trans­ Tango). Son parcours est jalonné figurer ses personnages. Par de films atypiques comme exemple, rien de plus mélanco­ Les fantômes des trois lique et poignant que ce qu'il Madeleine ou U homme perché, fait d'Ovide Piouffe, rôle assez mais elle se fait trop rare. mince du film de Carie qui On pourrait la comparer à l'est davantage. Grâce à Françoise Berd, qui a illuminé Arcand, cet Ovide se hisse, en de sa présence quelques-uns des quelques secondes, au niveau meilleurs films québécois des d'un mythe tragique de l'intel­ années 70. — Y.R. lectuel québécois. Cette lumi-

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nosité multiforme, Arcand la le prouve. Wake up! mes bons fait trouer les nuirs de amis. — M.J. Réjeanne Padovani, de Gina, du Déclin tie l'empire améri­ cain; elle strie Mémoire bat­ tante d'Arthur Lamothe, La ligne dé chaleur d'Hubert-Yves Rose. Et puis, comme on l'a deviné, Post mortem sans doute ne tiendrait pas la route sans lui. - R.L. Jean-Pierre Claude Blanchard Bergeron Issu de l'univers des cabarets et Marc Béland Après deux réussites dans les traînant avec lui une longue années 70 (L'eau chaude l'eau expérience du monde des varié­ Il a mis son talent au service de frette de Forcier et Les bons tés, Claude Blanchard fait par­ quelques réalisateurs indépen­ débarras de Mankiewicz), il tie de cette catégorie d'acteurs dants (Catherine Martin, semble disparaître dans les que leur physique prédispose Stéphane Laporte, Michèle limbes pour revenir dans les à un casting très ciblé, et pas Cournoyer) et travaille réguliè­ années 90 interpréter des per­ tout à fait celui du jeune pre­ rement pour la télévision. Il y a sonnages le plus souvent antipa­ mier, on s'en doute bien: quelque chose de stupéfiant thiques ou inquiétants. C'est au truand, mafieux, entraîneur de chez ce comédien, qui, avant de théâtre (son agent immobilier boxe, etc. Il est pourtant Cari Béchard passer au théâtre, a longtemps aux abois de Glengary Glen Ross capable de beaucoup de dansé chez La La La Human est une des grandes perfor­ nuances, comme le démontre Une question: Olivier Asselin Steps. Cette expérience lui a mances des années 80) et dans son rôle récent dans le film de est-il le seul metteur en scène de sûrement permis d'exercer un les séries télé qu'on peut le voir Jean Pierre Lefebvre, cinéma à avoir remarqué ce contrôle inhabituel sur son promener sa longue silhouette Aujourd'hui ou jamais. Mais jouissif comédien au tempéra­ maintien et sa gestuelle. Son empesée et sa voix unique et plus encore, ce que soulignent ment comique indéniable? On corps athlétique, ses yeux rieurs, irremplaçable, notamment dans ses rôles récents à la télévision, pourrait malheureusement croi­ son sourire avenant et ses airs de Omertà où il personnifie un vert notamment dans la série re que oui! «Merdre!» dirait le lutin lui donnent une allure ras­ olive de la SQ. Abonné aux Omertà, c'est à quel point Père Ubu en constatant la bour­ surante, mais il y a aussi, derriè­ rôles tertiaires, il laisse pourtant Claude Blanchard est une de, car c'en est une, n'en dou­ re cette physionomie, quelque une empreinte durable là où il valeur sous-exploitée par le tons pas. Le cinéma québécois, chose de trouble. Acteur quasi passe. Yves Dion l'a très bien cinéma d'ici: sa présence à avide de succès populaire, se cérébral, étonnant de précision, utilisé dans Le grand serpent l'écran est comparable à celle perd en comédies douteuses capable de faire vibrer un texte, du monde, film sous-estimé où d'acteurs comme Galabru ou depuis quelques années déjà. Marc Béland donne de l'enver­ il incarne le parfait scénariste Gabin (à la fin de sa carrière) et Or, personne ne semble penser gure à ses personnages. On l'a frustré, tout à fait dans le ton du comme eux, il arrive à exploiter écrire un rôle pour Béchard (ou vu chez Denis Marleau (Le pas­ film où des personnages au au maximum les traits qui simplement lui en offrir un). sage de l'Indiana) partager la scè­ départ simplement originaux définissent sa personnalité sin­ C'est bien dommage, car cette ne avec Jean-Louis Millette et prennent tout à coup une gulière et donne ainsi du relief cinématographie ne peut certai­ Andrée Lachapelle. Dans l'inou­ dimension archétypale. et toujours beaucoup de gueule nement pas se passer d'un talent bliable Quartett, de Heiner Exception notable dans un par­ à tous les personnages qu'il est semblable. Ceux qui vont au Mulier, mis en scène par cours artistique sans faute: amené à incarner. On aimerait théâtre le savent (Denis à l'Espace Prince Lazure, dans lequel on le voir plus souvent. Marleau, lui, le sait très bien). Go, il jouait une sorte d'aristo­ se demande ce qu'il venait y fai­ - P.B. Ceux qui ont regardé 4 et demi, crate décadent, qui se livre à re, à part toucher son chèque, la à la télévision, le savent aussi une effroyable joute intellec­ comédie légère n'étant pas vrai­ Céline Bonnier (plus de deux millions de télé­ tuelle et sexuelle avec sa parte­ ment son meilleur registre. spectateurs ont vu Béchard clai­ naire (interprétée par Anne- Jean-Pierre Bergeron n'a pas, Ou la polyvalence. Il n'y a pas rement voler le show après la Marie Cadieux). On attend que jusqu'à présent, donné au ciné­ de rôle type pour Céline défection de Postigo). Et Olivier le cinéma lui ouvre enfin défini­ ma la pleine mesure de son Bonnier, il n'y a pas de person­ Asselin le sait, Le siège de l'âme tivement ses portes. — M.D. talent. — Y.R. nage dont on pourrait dire qu'il

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texte avec le sex-appeal d'un bile, en accord avec la lumière (Emporte-moi) et Charles manuel d'histoire, ou le morard cinématographique, sa musica­ Binamé (Le cœur au poing), hallucinant d'Hochelaga? lité. Micheline Lanctôt devait elle reste marginale au grand J'ai rarement vu un acteur aussi la retrouver, dix ans plus tard, écran. Au théâtre, parfois mante «poche» dans un film et avec toutes ces confirmations, religieuse, parfois roseau brisé brillant dans un autre. Il a joué pour le rôle adulte et brûlant par le vent, on la retrouve dans pour Forcier, dans des courts de Deux actrices. Entre ces des rôles impressionnants, le métrages, des séries comme pôles et après, la mise en scène plus souvent sous la direction de Diva. Je n'avais jamais remar­ de Jacques Leduc l'aima à sa Brigitte Haentjens. Sa physio­ qué David Boutin. Dans le film manière dans La vie fantôme nomie est l'une des plus singu­ de Michel Brault (qui a pour­ et L'âge de braise. Tout com­ lières qui soient, avec ce visage à tant prouvé qu'il sait diriger me Denis Villeneuve dans Un la fois beau et austère, étrange­ a été conçu pour elle. Céline des acteurs), Boutin m'a sauté 32 août sur Terre où son jeu ment façonné, ce corps longi­ Bonnier, en effet, n'est pas ce au visage parce qu'il ne semble arrive à dépasser la minceur et ligne et cette voix grave, un peu qu'on appelle «une nature», pas croire une seconde à ce la fragile esthétique du film. rauque, qui semble toujours ce n'est pas une actrice qui qu'il dit, un ringard famélique, Les comédiens puissants possè­ venir du bas du corps, des marque tous ses personnages pour reprendre l'expression du dent ce mystère de créativité tripes, là où s'exprime le déses­ d'une même présence naturelle, bédéiste Fred, accentuant le qui les fait parfois habiter poir. Il y a, chez cette comédien­ de son physique, de sa voix. côté loser des patriotes. Je n'ai immensément des architectures ne, une conscience aiguë du Bonnier, en effet, se moule à ses rien contre les perdants, encore éphémères. Devenue un quasar corps, qui heurte parfois la rôles presque jusqu'à la méta­ faut-il un peu de panache dans national et international grâce pudeur. Alors que Haentjens a morphose. Entre la fille sexy, la défaite, sans confondre gran­ à la télévision, au su mettre en valeur tout son sauvage et menteuse du Sphinx deur et grandiloquence. Un an anglais et en France, Pascale talent au théâtre (notamment et l'intellectuelle devenue mys­ plus tard, la salle bondée du Bussières possède des res­ dans Mademoiselle Julie, tique par amour du Vent du dernier cinéma du centre-ville sources rares malheureusement d'August Strindberg), le cinéma Wyoming, il y a un monde! Si de Québec vibre et manifeste trop peu exploitées par de ne lui a pas encore permis de on n'y regarde pas de près, on ne quand il apparaît à l'écran dans solides auteurs de films. révéler ses multiples facettes. reconnaît pas l'actrice d'un film Hochelaga. Superbe fauve, - R.L. À notre plus grand regret. à l'autre. Et entre la fragile machine à tuer, spécimen rare. - M.D. apprentie policière de Caboose La réponse à la devinette se et la lesbienne au caractère fer­ trouve peut-être dans les pro­ me des Muses orphelines, on chains films de Melançon et de dirait que Bonnier a transformé Catherine Martin. — Y.R. jusqu'au grain de sa peau. Voilà le gage d'une longue carrière. - M.J.

Anne-Marie Cadieux France Castel

Au cinéma, Anne-Marie Elle vient d'une autre planète Cadieux reste associée à Robert culturelle (rélévision des varié­ Pascale Bussières Lepage. Dans Le confessionnal, tés et chanson populaire), mais elle joue une strip-teaseuse désa­ se trouve tellement à l'aise et si Elle est née en 1983 grâce à busée, qui se produit dans un dense au cinéma qu'on croirait David Boutin son adolescence éblouissante et club de deuxième ordre. Ce rôle qu'elle ne fût toujours faite que musicale. C'était Sonatine. l'a révélée aux cinéphiles et pour cet art. Dans son envelop­ Devinette: qui est le vrai David Dans ce film, un des plus ache­ constitue d'ailleurs l'une des pe étonnante de femme lunaire Boutin? Celui qui incarne vés du cinéma québécois, un bonnes surprises de ce film à et grave, elle surgit, la même Chevalier De Lorimier dans des plus originaux aussi, moitié réussi. Dans Nô, elle année 1988, dans Trois pom­ Quand je serai parti... vous Pascale Bussières fut immédia­ cabotinait. Bien qu'ayant joué mes à côté du sommeil de vivrez encore, ânonnant son tement, et de manière indélé­ également pour Léa Pool Jacques Leduc et dans A corps

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perdu de Léa Pool. À partir de (dont Atomic saké), mais sur­ Leduc, elle fait une apparition cette matrice, elle réapparaîtra tout du travail au théâtre (elle a mémorable; elle s'y révèle dans L'âge de braise (Leduc été une parfaite ingénue chez tout à coup ouvertement encore), mais surtout, en inva­ Molière, dirigée par Luc furieuse, mettant brutalement riable des plus récents Forcier, Durand) et à la télévision (un à nu tout ce que les person­ Une histoire inventée, Le vent personnage complexe et intense nages cachent en eux. du Wyoming, La comtesse de dans Sous le signe du lion), qui - M.D. Baton Rouge. Il y a une énigme laisse entrevoir qu'elle a tous France Castel. Comment une les atouts. On attend le grand chanteuse populaire et populis­ rôle. — M.J. te, toute extravertie et scin­ tillante, peut-elle se métamor­ phoser, dans le cinéma d'auteur, en femme sarcasrique et tra­ gique, sachant jouer le drame Que serait le cinéma québécois avec une surprenante économie sans Guy L'Écuyer et Pierre de moyens et une irradiation Curzi? L'un comme l'autre s'y soutenue? Comédienne d'excep­ sont engagés par goût du risque tion, qui entretient avec la autant que par défi personnel, y caméra une complicité secrète et multipliant leurs apparitions mystérieuse, elle a mérité comme autant de défenses et depuis longtemps les premiers Michel Côté illustrations du cinéma d'ici. rôles que le cinéma québécois Très en demande et infatigable, n'a pas encore su lui inventer. Frédérique Collin Acteur polyvalent, célèbre pour Pierre Curzi mène depuis trente - R.L. sa prestation plus de mille fois ans une triple carrière au Frédérique Collin est une répétée dans la pièce Broue, théâtre, à la télévision et au authentique comédienne de Michel Côté offre la pleine cinéma. Son nom peut faire en cinéma. Elle se fait maintenant mesure de son talent lorsqu'il sorte qu'un projet de film soit très discrète, ayant été, à toutes évolue dans le registre mené à terme. On lui en est fins utiles, délaissée par comique. À ce titre, sa presta­ reconnaissant. Dans les seconds l'industrie. Autodidacte, tion époustouflante dans rôles comme dans les premiers, guidée par l'instinct, elle a Cruising bar (1989) donnait à entre Gilles Carie, Jean Pierre pourtant imprimé sa personna­ ce petit film l'allure d'une Lefebvre et , il lité sur bon nombre de films performance athlétique, tout n'attire que sympathie et com­ québécois des années 70, en offrant un échantillon préhension. Sauf pour son rôle notamment ceux de Denys convaincant de l'étendue de dans Le déclin de l'empire Arcand. Déroutante, elle sait ses capacités. Acteur très américain, c'est le bon garçon, jouer aussi bien les femmes en demande autant pour les floué d'avance, dépassé par les fortes que les filles faibles. téléséries que pour le cinéma faits, incapable de trouver des Suzanne Clément Arriviste froide et calculatrice (il joue souvent au théâtre éga­ solutions à des situations dans Réjeanne Padovani ou lement, mais toujours dans la simples, triste et pauvre, Peut-être le plus beau visage ouvrière aliénée dans Gina, même pièce...), il faut noter brave et désillusionné, qu'il du cinéma québécois depuis la peu importe le rôle, les person­ en ce sens qu'il semble être habite avec une complexité jeune Geneviève Bujold. nages de Frédérique Collin un des rares acteurs au Québec plus philosophique que Troublante, tourmentée et semblent toujours habités par à se faire offrir presque autant psychologique car il sait muette dans Le confessionnal, des sentiments violents, prêts à de rôles comiques que transformer en idées concrètes apparition fugitive mais déter­ déborder. La plus grande quali­ dramatiques; dans le second et bigarrées des sentiments minante pour les deux person­ té de cette actrice, qui a égale­ cas, il apparaît souvent dans la courants et stéréotypés. nages principaux dans ment réalisé deux films peau de personnages un peu - A.R. 2 secondes, droite et fière dans (La cuisine rouge, avec Paule machos, des durs à cuire au Quand je serai parti... vous Baillargeon, et Le voyage cœur mou, et là son registre Paul Dion vivrez encore. Trois longs d'Inée), est d'arriver à s'intro­ paraît moins étendu, son jeu métrages dans lesquels, au duire sans heurts dans les peut-être un peu plus figé éga­ À la question: «Qui est Paul total, elle ne doit pas compter univers de réalisateurs diffé­ lement (par exemple dans Dion?» plusieurs membres de la dix répliques. Au milieu de rents. Dans Trois pommes à Moody Beach ou Liste noire). rédaction de 24 images ont été tout ça, trois courts métrages côté du sommeil, de Jacques - P.B. collés. C'est que Dion est un

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c'est ressentir l'intensité émo­ un fan-club au nom ringard, médiatisé au théâtre dans Don tionnelle dans toute sa grandeur. «The Royettes», dédié moins à Quichotte. Spécialisé dans les Cette comédienne sait exprimer sa vie et à son œuvre qu'à sa emplois comiques, il a large­ le désarroi le plus profond tout gueule massive et à ses yeux ment contribué au succès popu­ en le rendant intelligible, clair et perçants. Avant cette éclatante laire de films comme La Flo­ logique. Deux mots pour la gloire, il a mené cahin-caha une rida ou Les boys ( 1, 2 et bientôt décrire: exigence et empathie, et carrière québécoise (en français) 3), mais il occupe le registre les amateurs de théâtre, eux, et canadienne (en anglais), dramatique de manière généra­ connaissent très bien ses mul­ commençant par de petits rôles lement tout aussi convaincante, tiples talents. Au cinéma, il en (Comment faire l'amour avec traînant avec lui cette sorte de va autrement. Elle a rarement un nègre sans se fatiguer, bonhomie un peu naïve qui le l'occasion d'aller aussi loin que le Jésus de Montréal) qui lui ont caractérise sans jamais trahir la homme discret qui, en 25 ans lui permet sa fougue. Le grand tout de même donné une excel­ vérité du personnage qu'il inter­ de carrière et une trentaine écran, où on lui donne des rôles lente visibilité et permis de prète. Enfant chéri du public, il de films, n'a jamais eu de pre­ de bonnes filles, paraît trop petit devenir une vedette du petit et incarne plus que tout autre mier rôle. Cependant, cet «ex- pour elle, qui a l'envergure d'une du grand écran, sans pourtant acteur québécois et avec une élé­ Monsieur Montmagny» a long­ Gena Rowlands. Il a fallu que réussir à effacer de notre esprit gance unique l'homme ordinai­ temps été l'acteur costaud par Pierre Falardeau lui offre un per­ l'impression durable que ses re, celui auquel on s'identifie excellence sur lequel les sonnage en or dans 15 février talents d'acteur sont restreints. facilement et massivement sans cinéastes québécois pouvaient 1839 pour qu'enfin on découvre Seul Cap Tourmente l'a détour­ pour autant qu'il ait pour cela à compter. Éx-motard dans qu'il est possible d'être tragé­ né de la trivialité mâle où il modifier sa personnalité, qu'on Hochelaga (c'est lui Popeye, dienne à la fois au théâtre et au était cantonné, par un rôle fié­ sent naturellement ouverre, que la mère envoie à la rescousse cinéma. Quand elle apparaît der­ vreux, tout en tension. Mais joviale, sympathique. — P.B. de son fils perdu), policier dans rière , le visage défait, quel sera son avenir maintenant Pas de répit pour Mélanie, les yeux boursouflés de douleur qu'il est plongé dans la machine fêtard raciste dans La sarrasine, et de colère, avec la ferme inten­ américaine jusqu'au cou et où fermier dans Vacheries, Dion tion d'arracher aux bourreaux son statut d'image risque de fai­ apparaît aussi dans Parlez-nous «son» homme promis à la mort, re de lui un acteur à la mode, d'amour, Liste noire, La le film gagne soudainement une seulement sûr de son aura? conciergerie, Les muses orphe­ intense puissance dramatique. - A.R. lines et La vie après l'amour. Nous attendons pour elle un Un parcours atypique pour un cinéaste de la trempe de John fidèle travailleur du cinéma. Cassavetes. — M.D. ~- /VI.J.

Élise Guilbault

L'année 2001 aura consacré la rencontre d'une actrice (Élise Guilbault) et d'un réalisateur (Bernard Émond). La femme qui boit constitue l'un des plus Rémy Girard convaincants portraits de femme qu'ait produit le cinéma québé­ Un poids lourd du cinéma qué­ cois depuis longtemps. Force est bécois, tant pour le nombre de d'admettre qu'à l'intelligence Sylvie Drapeau ses prestations que pour son d'un réalisateur répond ici savoir-faire, qui, jusqu'à il y a l'intelligence d'une comédienne. Sylvie Drapeau est une «comé­ Le beau Roy Dupuis, comme on quelques années, multipliait les Voilà qui est rare. Cette femme, dienne de théâtre». Que signifie se plaît à le nommer, mène rôles (surtout au cinéma et à la qu'on a également pu voir dans cela? Pas grand-chose, en som­ actuellement une carrière épous- télé) de manière ahurissante; il Nuits d'Afrique ( 1990) de me, mais le milieu du cinéma touflante à la télévision améri­ n'était pas rare de le voir Catherine Martin et Cap Tour­ aime bien apposer des étiquettes. caine (dans la série La femme concurremment dans une, deux mente (1993) de Michel Lan­ Dans les faits, il se méfie d'elle. Nikita) et fait un tabac auprès séries télé et au grand écran, glois, possède un sens aigu de Car voir jouer Sylvie Drapeau, des jeunes filles, qui ont formé sans compter son rôle très l'analyse psychologique. Elle

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épure pour garder l'essentiel et même sérieux dans l'approche l'essentiel, chez elle, devient des personnages. Un acteur puissant. On se souvient aussi exemplaire, qui est là pour rester. de son rôle d'agente d'immeubles - MJ. dans Cosmos, un film pourtant mineur. Quand elle y apparaît, il se passe tout à coup quelque cho­ se. Par son regard, par ses gestes, par son aplomb, elle installe un univers. Regarder jouer Élise Guilbault procure une forme de délectation. — M.D. (Caboose) et une fois chez incarne un mélomane suici­ (Le poly­ daire. Une prestation suave! graphe). Côté cinéma et D'évidence, Yves Jacques est télévision, il ne manque pas de un acteur nuancé, capable de travail; pourtant, il paraît tou­ travailler sur les plus infimes jours y vivre en périphérie. Il y détails. Encore faut-il, cepen­ est comme une présence sans dant, l'amener jusque-là et ne Micheline Lanctôt nom. Acteur de théâtre, il a pas se contenter de son joué à La Veillée, au Quat'Sous, comique naturel. — M.J. Existe-t-il un lien entre le fait à l'Espace Go, avec une passion que Micheline Lancôt, cinéaste, continuelle pour l'aspect expé­ n'arrive plus à tourner et son rimental de son métier. Hynd­ grand retour comme actrice man campe des hommes à la après une décennie (1980-1990) psychologie complexe, presque de quasi-absence? Car ce serait Ronald Houle opaque, fuyant toutes les facili­ dommage qu'on doive se priver tés. Physiquement baraqué, il d'une réalisatrice de ce talent Deux rôles, deux pôles. Dans La n'est pourtant pas Marlon pour pouvoir renouer avec la liberté d'une statue, il apparaît Brando, ni Roy Dupuis. Mais grande actrice, capable de ten­ comme un corps burlesque, voilà: il est contraint de se sou­ dresse (La vraie nature de délicieusement maniéré, léger mettre à cette bien vilaine Bernadette) et de cruauté malgré son évidente rondeur, invention qu'est le casting. Au (L'oreille d'un sourd) autant que agréable réminiscence d'Oliver cinéma, il est donc le grand de fierté solide (Ruth, Quand je Hardy. Dans Hochelaga, chau­ gars bizarre au crâne rasé. C'est serai parti... vous vivrez ve, barbu et tatoué, il traîne dommage, puisque le cinéma encore). Pour les amateurs de tout le poids d'un monde sou­ s'enrichirait d'entendre cette Lanctôt l'actrice, un film à redé­ terrain et transpire la violence. voix et d'intégrer cette person­ Alors qu'il avait tout pour lui, couvrir, dans lequel sa beauté On comprend tout de suite que nalité, pas populiste pour deux David La Haye n'est jamais irradie: Souris, tu m'inquiètes ses désirs sont des ordres. Entre sous. Pour cela, il lui faudrait devenu une star, au sens com­ (1973), d'Aimée Danis. - MJ. ces deux rôles, entre ces deux un réalisateur qui, lui non plus, mercial du terme. Au contraire, pôles, une pluie de personnages ne soit pas populiste pour deux son parcours est plutôt jalonné Jean Lapointe secondaires. Ronald Houle est sous. — M.D. de films difficiles (Full Blast, donc un acteur à surveiller, L'invention de l'amour) ou à L'histoire du cinéma québécois qui peut faire rire autant que Yves Jacques tout le moins risqués (Cosmos), est pleine de comédiens déto­ terrifier. On en redemande! avec ici et là quelques valeurs nants qui y sont apparus après - M.J. On ne refera pas ici la filmo­ plus sûres (Nelligan, L'enfant avoir appris leur métier au graphie de cet excellent acteur d'eau). Et au milieu d'une dou­ music-hall et aux variétés. Ils James Hyndman pas toujours bien utilisé. On zaine de longs métrages, beau­ convenaient tout à fait à une rappellera cependant à quel coup de courts films, qui dé­ sorte d'idéal du cinéma d'ici, un Il est apparu à deux reprises point il avait convaincu en his­ montrent que cet excellent «réalisme humaniste» marqué chez Charles Binamé (Eldorado torien de l'art dans Le déclin acteur n'a pas peur de l'incon- par une affection profonde pour et La beauté de Pandore), une de l'empire américain et on fort. En bout de ligne, peu les gens. Jean Lapointe, c'est le fois chez soulignera le plaisir qu'on a eu importe la qualité générale des père de famille emprisonné des (Souvenirs intimes, sans à le voir évoluer dans Requiem films dans lesquels il apparaît, Ordres, c'est l'usurier de Leau compter les téléséries), une contre un plafond, de Jeremy David La Haye offre la même chaude l'eau frette, le simple fois chez Richard Roy Peter Allen, dans lequel il intensité, la même intériorité, le d'esprit dej. A. Martin photo-

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uniquement au cinéma. On l'a lui a confié là un de ses plus découverte alors qu'elle était beaux rôles à l'écran, dit d'elle jeune adolescente, dans Les qu'elle est de la classe des bons débarras, aux côtés de grandes actrices. Et c'est vrai! et de Roger Le Bel. Irradiante, sensuelle sans Quand la caméra s'approche de l'inconvenance sexuelle, d'une Charlotte Laurier, on sent qu'il force aussi altière que délicate, y a, derrière ses yeux, dans sa elle sait encore aiguiser le tête, de tumultueux orages. regard du spectateur, qui Or, cette qualité exige que le devient un vrai laser quand il réalisateur soit prêt à une sorte est braqué sur elle. On ne voit de confrontation. Préférant res­ pas assez souvent cette actrice graphe. Plus près de nous, il ter en surface, Manon Briand a Charlotte Laurier incarnant qui aurait pu être la Ingrid ajoutait une note de gravité à surtout fait appel à sa force Manon dans Les bons Bergman du cinéma québécois. Une histoire inventée. musculaire dans 2 secondes. La débarras: même désinvolture Les aléas de sa carrière cinéma­ Toutefois, son plus grand rôle comédienne y est pleine agressive, même talent brut, tographique n'ont pourtant reste sûrement celui du «cheuf» d'énergie, bien que son person­ même énergie débridée aussi jamais entamé son aura qu'il tenait dans la mythique nage ne possède, comme inten­ (malheureusement, les rôles, d'héroïne tourmentée et de télésérie Duplessis. Il y aurait une sité, que celle que tente de lui eux, ne se comparent pas...). femme passionnée. Entre longue analyse à faire de ce per­ donner artificiellement une Puis, dans La femme qui boit, YL7L 811 et External Affairs sonnage et de l'angle sous lequel réalisation tapageuse. Pour que elle se transforme complète­ (car elle joue dans les deux le comédien l'aborde. Un aspect le miracle des Bons débarras ment pour incarner le person­ langues) en passant par bouffon caractérise ce Maurice se produise à nouveau, il lui nage principal dans sa jeunesse, l!arrache-cœur et Anne Duplessis. Les gestes du faut un réalisateur plus sen­ et elle fait la démonstration Trister, c'est Une histoire comédien grossissent la réalité sible et sagace, ou alors plus que son registre est large et inventée qui a dit une fois (sa façon de placer ses mains, fassbindérien. Le consensus ne nuancé; on a affaire à une véri­ pour toutes, avec une drôlerie notamment), cependant, Jean lui convient pas, et c'est ce qui table comédienne. Elle n'aura sublime, la vérité sur elle: elle Lapointe réussit à donner à ce la rend attachante et imprévi­ pas attendu longtemps pour fait tourner toutes les têtes, rôle une dimension saisissante, sible. Mais l'actrice se fait rare. décrocher un premier rôle, rend les hommes fous. Sa beau­ composant là un authentique Dans Le party, de Pierre puisque c'est elle qui le joue té grave, son élégance réservée, archétype du pouvoir politique Falardeau, elle jouait non pas dans La jeune fille à la sa voix cuivrée et son intelli­ québécois. Ce personnage, joué la strip-teaseuse, mais fenêtre, premier long métrage gence suave lui permettent de par un acteur dont l'envergure l'authentique «topless». Bien de fiction de , faire déraper le réel le plus tri­ est méconnue, est l'un des plus qu'on l'y sente un peu intimi­ un rôle de maturité déjà pour vial, le plus terrien. Elle nous grands de la dramaturgie dée, son numéro de déshabil­ une jeune comédienne que emporte! — A.R. «audiovisuelle» québécoise. Jean lage restait convaincant et nous n'avons pas fini de voir au Lapointe sera-t-il à la hauteur témoignait de son goût du grand écran. — P.B. dans son rôle de sénateur? risque. Cette femme pourrait - M.D. être pour nous à l'origine d'expériences passionnantes, si seulement le cinéma québécois osait. — M.D.

Fanny Mallette

Elle n'a pas tout à fait le phy­ sique de la jeune première, et pourtant elle en a le charisme; pour cela (et c'est tant mieux), Alexis Martin on lui offre des rôles qu'on se serait attendu à voir distribués Pour ce dramaturge, qui est à des comédiennes à la beauté aussi scénariste et poète, le jeu Charlotte Laurier plus classique. Dans Les muses C'est une princesse, que dis-je? semble n'être qu'une des orphelines, elle est l'adolescen­ une reine. Le cinéaste français facettes d'un talent multifor­ Elle est l'une de nos rares te rebelle et perturbée, et elle Jean-Claude Guiguet, qui l'a me. Acteur très visible et très comédiennes vouée presque n'est pas sans rappeler fait tourner dans Le mirage et en vue depuis quelques années

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(au théâtre, bien entendu, rôles au cinéma; mais on sent d'autres que Louis Bélanger mais également dans plusieurs chez elle une retenue, une lui offrent des personnages à sa téléséries ainsi qu'au cinéma), manière d'entrer dans ses rôles mesure. On a le goût de voir il possède à l'écran une qui rappellent peut-être un peu jusqu'où elle peut aller. présence fort caractéristique trop sa prestation dans — M.J. qui le suit dans tous ses rôles Sous un ciel variable, de et qui semble faire sa force en mémoire de téléphage un des même temps que sa faiblesse. téléromans les plus «party de Porteur d'une sorte d'ironie cuisine» des quinze dernières ontologique, en décalage années. On dirait que son côté constant avec lui-même, madame-tout-le-monde, jouant sans cesse sur la frontiè­ entièrement assumé dans le re entre jeu et non-jeu, film de Demers et qui semble Igor Ovadis il s'est surtout consacré, peut- la solliciter dans celui de être pour certe raison, à des Binamé malgré tous les tics Igor Ovadis est russe. À cause rôles d'intellectuel nerveux et névrotiques qu'elle ajoute au de son physique baraqué, un peu perdu (dont l'archétype personnage, l'empêche de de ses bacchantes généreuses et serait le rôle de Gilles dans donner sa pleine mesure, la for­ de son accent prononcé, Matroni et moi). Cela ne ce à se cantonner dans des il a de forres chances de devoir va pas sans un certain manié­ interprétations sans grand jouer les Européens de l'Est risme qui lui fait adopter des relief. On serait tenté toutefois Calabrais de naissance, Antonio toute sa vie (soient-ils du tics et un débit bien à lui, d'en imputer une bonne part Luigi Nardi mène une triple Kosovo ou du Kazakhstan...). reconnaissables entre cent, de la responsabilité aux carrière puisqu'il parle Ovadis, c'est plus qu'un Igor mais qui menacent de le trans­ réalisateurs avec qui elle a tra­ parfaitement trois langues de service. Il y a, chez lui, former en caricature de lui- vaillé sur ces films... — P.B. (français, anglais, italien). Mais comme une puissance de la même, risque qu'il n'esquive cet avantage, qui lui ouvre plu­ présence, alimentée par une pas tout à fait dans Un 32 sieurs portes, ne le sert pas conscience de la théâtralité du août sur Terre de Denis encore: on lui donne toujours corps et du mouvement. Sur Villeneuve. — P.B. des rôles d'Italien. Mais il scène, il est un irrésistible échappe heureusement aux cli­ point focal, pouvant se faire chés de l'Italien type par la attachant comme un nounours qualité de son jeu, tout en ou inquiétant comme un ins­ réserve, mais qui laisse bien pecteur de la Gestapo. Dans deviner les sentiments et la Cosmos, il jouait avec bonheur sensibilité ancrés en lui. le conducteur de taxi faisant le Comédien altruiste, c'est-à-dire lien entre les sketches, qui sait ne pas prendre toute insufflant à son personnage une la place à l'écran, il excelle force tranquille. Il y était com­ Sylvie Moreau dans les rôles dramatiques me un récif sur lequel même si le comique lui sied s'abîment des vagues inutile­ Elle n'a pas encore beaucoup bien, comme l'a prouvé ment agitées... De plus, il joué au cinéma, mais cette fille Kalamazoo d'André Forcier. donnait une saveur irrésistible Pascale est une nature. Post mortem l'a C'est Paul Tana qui lui a donné au sketch final d'Arto Montpetit révélée au public comme à la jusqu'ici ses deux plus beaux Paragamian, Ovadis s'inrégrant critique et - bonne nouvelle! - rôles: dans La sarrasine et à merveille dans un monde où On entend dire d'elle depuis il s'agissait d'un rôle drama­ La déroute, il a su charger les choses les plus banales peu- une dizaine d'années qu'elle est tique alors que tout le monde d'émotion des personnages qui venr devenir tout à coup une de nos meilleures actrices l'attendait dans le registre n'avaient aucunement invraisemblables. Il réussissait de théâtre, mais il lui reste comique, où elle s'illustre à la la carrure (physique) du héros à donner du piquant à son per­ encore à faire la preuve au télévision. Sylvie Moreau n'a mais étaient l'exemple même sonnage en sachant regarder les cinéma de ce grand talent que donc plus à prouver qu'elle de l'homme fragile et blessé, choses de biais, de manière à tout le monde lui prête. peut jouer autre chose que les qu'il a pris à bras le corps et demeurer décalé, comme un Non pas que son jeu soit inin­ filles rigolotes aux courbes défendus avec une modestie peu en retrait, mais sans téressant dans Le cœur au invitantes, son casting le plus fébrile. Son jeu: quelque chose oublier qu'il y a, pas trop loin, poing ou dans L'invention de évident (voir La bouteille). comme une présence minérale, une caméra qui filme. l'amour, ses deux principaux Souhaitons-lui maintenant que noire, endeuillée. — A.R. - M.D.

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comme par exemple celui des frères Jean et Serge Gagné, pour qui il a joué dans Le royaume ou l'asile et La folie des crinolines. Avec les années, cependant, ce spécialiste des seconds rôles s'est construit une filmo impressionnante: Un zoo la nuit, Une histoire inventée, Le party, Le cœur au poing. L'oreille d'un sourd, Full Blast, La veuve de Saint- Pierre, 15 février 1839, etc. Luc Picard 1973, on a toujours l'impres­ pour un acteur tant la caricatu­ Sans compter les nombreux sion (malheureuse) que le ciné­ re est énorme. Et Poulin y offre courts métrages dans lesquels il Une des valeurs les plus sûres ma, dans les seconds rôles com­ son corps à la caméra comme apparaît, notamment chez de notre cinématographie. me dans les premiers on signe sa carte de dons Claude Demers (Le bonheur, Acteur dramatique avant tout, (Cordelia, Sous-sol, Full d'organes: avec générosité, sans Le diable est une petite fille) même s'il a déjà démontré qu'il Blast, entre autres) qu'il lui a arrière-pensée, pour le bien des et Jean Châteauvert (Le cham- peut jouer une vaste gamme de offerts, n'a jamais été à la hau­ autres - mais qui? En consé­ breur, Déjà vu). Comment personnages (il faut l'avoir vu teur de cette comédienne aux quence, rarement aura-t-on vu définir Proulx? Une silhouette dans La petite vie...), il donne airs canaille. Louise Portai était un acteur jouer à ce point avec musclée, une carrure petite en général aux rôles qu'il in­ faite pour la comédie (la série son embonpoint, sa mauvaise mais solide et un regard dense, carne une profondeur et une télévisée Du tac au tac l'a prou­ dentition, sa calvitie. Le geste qui le font exceller lorsque intensité qui rappellent vé), mais on lui a toujours don­ étonne, car il faut une assuran­ vient le temps de jouer les quelque peu le meilleur Patrick né des rôles qui frisaient le ce remarquable pour mettre hommes peu bavards. Économe Dewaere, avec qui il partage mélodrame. On ne l'imagine son corps en jeu de cette façon, de mots comme de gestes, tel une dégaine relâchée cachant pas en femme sage ni en mère avec cette absence de pudeur est cet acteur. — M.J. un puissant feu intérieur. La idéale, mais en aventurière ou cette abnégation. Poulin riche collaboration qu'il entre­ inexpérimentée, collante ou en semble n'avoir aucune image à tient de longue date avec Pierre vieille fille concupiscente, car protéger et sa carrière lui don­ Falardeau (il tenait des rôles de son jeu est vigoureux, presque ne raison, c'est-à-dire qu'en tout premier plan dans Le par­ rageur, et sa vivacité à toute même temps il tient ses ty et dans Octobre) a été cou­ épreuve (on la verrait bien pro­ meilleurs rôles, dans un ronnée récemment par sa pres­ voquer désastre sur désastre). registre tout à fait différent, tation dans 15 février 1839: la Cette actrice attachante, dans des films comme Le dimension tragique du rôle et capable de nous bouleverser, party, Le dernier souffle et le côté plus grand que nature possède toute la générosité 15 février 1839. — M.J. du personnage de De Lorimier qu'il faut pour jouer la comé­ lui vont parfaitement bien, et il die, genre idéal pour déployer sait les rendre en offrant une (et révéler aussi) tous ses performance extrêmement rele­ talents (et elle en a beaucoup). vée. Mais, preuve de sa polyva­ Sa forte présence à l'écran ren­ Ginette Reno lence et de son talent, on pour­ drait enfin totalement jouissive rait tout aussi bien croire qu'il son image cinégénique. On l'a d'abord vue dans de est né pour jouer le petit mari - A.R. petits rôles à la télévision, des irresponsable et flambeur de la caméos pour l'essentiel, où la La femme qui boit où, avec Julien Poulin chanteuse et l'actrice se confon­ Élise Guilbault, il forme un dent, mais qui révèlent déjà un duo d'acteurs redoutable Longtemps cantonné dans des fort tempérament, une présence d'intelligence. — P.B. rôles secondaires (voyous en à l'écran hors du commun. Puis tout genre), Poulin a été révélé Jean-Claude Lauzon lui offre de Louise Portai par le célèbre personnage Luc Proulx jouer la mère dans son second d'Elvis Gratton. Cela mérite long métrage, Léolo, un rôle Malgré qu'elle ait joué dans qu'on s'y attarde, car il s'agit là Longtemps, on a associé Luc difficile pour lequel il exige plus de vingt films depuis d'une célébrité dangereuse Proulx à un cinéma des marges, qu'elle aille au bout de son

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talent: le résultat est étonnant Talent protéiforme, constance et prouve, si c'était encore et générosité, un brin de folie. nécessaire, toute l'importance Gildor Roy serait multimil­ de la direction d'acteurs. lionnaire dans le star-system Personnalité attachante et com­ américain. Gageons qu'il s'en plexe, déjà personnage dans la fout. — Y.R. vie, Ginette Reno joue comme elle semble vivre: intensément et sans compromis. Chez elle, le peu de technique et le petit côté forcé du jeu (qu'elle sait la plupart du temps rendre plutôt sympathique) sont compensés Sainte-Marie était probable­ Gilbert Sicotte par une sincérité à toute épreu­ ment la comédienne la plus ve, une sorte de naturel désar­ (injustement) méprisée par Avec sa filmographie comptant mant et généreux qui rendent le milieu du cinéma. Cinq ans plus de trente courts et longs notables chacune de ses appari­ plus tard, qui a fait travailler métrages, Sicotte est ce qu'on tions à l'écran (dernièrement Chloé Sainte-Marie dans un appelle un acteur de cinéma, dans C't'à ton tour, Laura long métrage? Personne, c'est-à-dire un acteur qui don­ Cadieux 1 et 2, de Denise Marcel Sabourin évidemment. Signe du manque ne sa pleine mesure dans les Filiatraulr d'après Michel flagrant d'imagination des subtilités et les nuances Tremblay). — P.B. Voici un phénomène: dans une responsables de casting ou qu'autorise le jeu pour et avec cinématographie qui brûle ses malédiction poursuivant les la caméra. Son parcours ne lais­ acteurs comme un condamné à compagnes de Gilles Carie? Et se aucune place à la facilité et mort fume ses cigarettes, pourtant, la comédienne l'étendue de son registre se Marcel Sabourin apparaît régu­ connaît son métier et sait mesure entre la naïveté du lièrement au cinéma depuis 35 livrer la marchandise. Louis Pelletier qu'il campe ans et n'est jamais passé de S'il existe un système chez Labrecque (Les vautours, mode. Ainsi, sa filmographie, Sainte-Marie, il est fait de Les années de rêves) et les per­ qui compte plus de cinquante tâtonnements et d'erreurs, sonnages en eaux troubles qu'il titres, ne se compare à aucune mais les erreurs ne sont pas incarne chez Michel Langlois autre. Sur le plan du jeu, répétées, signe d'intelligence, (... comme un voleur, Cap Sabourin suit un parcours qui qualité que plusieurs hésitent Tourmenté). Entre ces deux va de l'économie (La chambre encore à accorder aux belles pôles, il jongle avec les mots de blanche, J.A. Martin photo­ femmes. Sa carrière musicale Ducharme dans Les bons Gildor Roy graphe, La maudite galette) à est à cette image: si son pre­ débarras avec la même facilité des prestations plus extraver­ mier disque ne valait pas qu'il met à se montrer raciste Un corps de prolétaire qui peut ties (Sous les draps, les étoiles, tripette, elle s'est drôlement et calculateur dans La sarra­ se mouvoir avec la grâce d'un Le vent du Wyoming, L'oreille bien reprise à son deuxième sine. Rares sont ceux qui, félin, un grand sens du d'un sourd). Comme si à essai. Résultat: Je pleure, tu comme lui, peuvent faire alter­ comique et une violence conte­ l'acteur sobre des débuts avait pleures est un disque mer­ ner la violence (Visage pâle) et nue qui peut vous sauter au succédé - avec le temps, l'expé­ veilleux qui malheureusement la candeur (Maria Chapde­ visage, le tout additionné d'un rience et l'assurance - un cabo­ se heurte à l'idée reçue énon­ laine) avec la même force de bon capital de sympathie du tin de génie, façon Pierre cée plus haut. Ce disque se conviction. — M.J. grand public. Gildor Roy peut Brasseur (ce qui n'est pas la termine d'ailleurs par ces passer dans les pires émissions pire des comparaisons). paroles de Denise Boucher: Dino Tavarone de télé, il reste brillant et drô­ Sabourin prend des risques, il Je ne sais pas si vous aurez le le. Il peut pousser une chanson en a toujours pris, mais ce ne courage de ne pas me donner la Dino Tavarone est ce qu'on country ou un rock'n'roll, sont plus les mêmes qu'avant. piqûre qui préservait votre appelle «un cas». Un demi- incarner le gangster le plus - M.J. regard de mon refus de m'en siècle dans le corps et pourtant convaincant du cinéma québé­ aller, et me prêterait la fierté c'est devant l'objectif de la cois à ce jour dans Requiem Chloé Sainte-Marie que je n'ai jamais eue. série Omertà qu'il est né, en pour un beau sans-cœur et fai­ J'espère que le monde de la 1996, dans la peau d'un parrain re la police de manière tout À la sortie de Pudding chanson lui fera meilleur de la maffia montréalaise. aussi crédible dans une série chômeur, j'écrivais en substan­ accueil que celui du cinéma. Depuis, la télévision, mais aus­ comme 10-07, Laffair e Kafka. ce dans ces pages que Chloé - Y.R. si le cinéma, n'ont cessé d'avoir

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prestation dans le rôle de la cependant une erreur, car minimum qu'on attend d'une mère de la jeune Manon Guylaine Tremblay vaut bien actrice de cet âge. Elle possède (Charlotte Laurier) passera en plus que cela. Voyez Petites cependant une présence indé­ effet à l'histoire comme une des chroniques cannibales - niable que de mauvais choix plus attachantes et des mieux 1. Rosalie de Pierre Jutras et d'emplois risquent de gâcher. senties de notre cinématogra­ vous découvrirez une comé­ Je pense à cette apparition à un phie. Puis vont s'enchaîner dienne à l'aise dans un disposi­ spécial des Beaux dimanches où durant les années 80 plusieurs tif exigeant qui fait reposer elle était enfouie sous un apparitions à la télévision com­ toute l'architecture du récit sur maquillage et des costumes me au cinéma (Dans le ventre sa performance. Voyez aussi désastreux de cyberpoupée. du dragon et Pouvoir intime l'adaptation télévisuelle Karine, faut pas accepter tout de Simoneau ), parmi lesquelles d'Albertine en cinq temps de ce que ton agent propose, recours à sa physionomie son rôle dans Kalamazoo de Michel Tremblay, réalisée par même si c'est payant. — Y.R. d'Italien type. Restaurateur de Forcier ressort probablement André Melançon: elle s'y impo­ son métier, Dino Tavarone a comme sa prestation la plus se avec toute la finesse nécessai­ pourtant la trempe d'un intéressante. Depuis, on la re, sans ostentation. — M.J. authentique comédien. Éton­ trouve étonnamment discrète, namment, c'est son rôle de pro­ puisque à part le téléfilm T'es priétaire d'un commerce de belle, Jeanne en compagnie de bicyclettes dans 2 secondes qui Michel Côté, puis plus récem­ confirme cela hors de tout ment son rôle dans L'île de doute alors qu'il parvient à Sable de Johanne Prégent, on rehausser d'un bon cran tout ce n'a pas souvent eu l'occasion de qui était susceptible de l'être profiter de sa présence toujours dans ce film. Sa présence, en mesurée mais intense, de sa ours solitaire et bourru, grâce discrète et affable qui imposée de façon judicieuse­ nimbe d'une lumière particu­ Jean-Nicolas ment économe et nuancée, par­ lière toutes les scènes où elle Verreault vient à elle seule à donner de apparaît. — P.B. l'épaisseur à un récit d'une Lors du FFM 2000, Jean- extrême indigence. Marque Nicolas Verreault s'est fait supplémentaire de la valeur de Elle était parfaite dans remarquer en donnant deux cette «vocation» tardive. Emporte-moi, avec le redou­ images opposées de lui-même - M.-C.L. table honneur de porter le film en 24 heures: speedé à l'os dans sur ses épaules. C'est la nouvel­ Hochelaga et cool autant qu'on le petite fiancée du cinéma peut l'être dans Maelstrom. québécois et on espère très fort Mises côte à côte, ces deux per­ qu'elle fera mentir les statis­ formances ont attisé la curiosi­ tiques de longévité des té: vivement un premier rôle mariages. Bien peu des enfants pour ce grand bonhomme, on ou adolescents stars tiennent veut savoir ce qu'il a vraiment longtemps la route dans un dans le ventre. — M.J. • Guylaine Tremblay monde assoiffé de chair fraîche. Magnifique gamine avec son En voilà une qui a un tel front un peu bombé, son regard bagout qu'elle incite à la pares­ «qui voit plus loin», son nez se. Elle apparaît à l'écran, elle qui pointe comme l'aiguille Marie Tifo parle et sa présence s'impose d'une boussole vers la bonne immédiatement. Et en plus, direction. Personne n'a vu Du Au départ, Marie Tifo annon­ c'est d'abord une actrice pic au cœur? Mais qui a vu çait de grandes et belles choses. comique. Cela suffit pour Sonatine à sa sortie? Et qu'est Sa performance dans Les bons qu'on se contente de lui donner devenue Pascale Bussières? débarras établissait des stan­ des rôles sans subtilité de filles Difficile de se prononcer sur les dards de jeu extrêmement éle­ qui parlent fort. Si le personna­ capacités profondes de la jeune vés, qui seront difficiles à ge n'a pas de consistance, il res­ comédienne, la fraîcheur et le reproduire par la suite; cette tera toujours sa présence! C'est naturel n'étant que le strict

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