II. BACOMAR : Pourquoi les Mahots ?

Richesse et importance écologique des Dombeyoideae Un questionnement permanent pour les botanistes Un support et un modèle exemplaires

PROJET BACOMAR

SOMMAIRE

1.Contexte général 3 2.L’archipel des Mascareignes : une biodiversité exceptionnelle 3 3.Richesse et importance écologique des Dombeyoideae (Mahots) dans les écosystèmes réunionnais 3 3.1.Une richesse exceptionnelle ...... 4 3.2.Une importance écologique indéniable ...... 4 3.3.Un groupe utile dans le cadre de la restauration écologique...... 5 4.Les Mahots : un questionnement permanent pour les botanistes et les naturalistes 6 5.Les Mahots : un support et un modèle exemplaire pour retracer l’histoire évolutive de la flore des Mascareignes 6 6.Une approche innovante alliant « Identification Assistée par Ordinateur » (IAO) et techniques moléculaires 7 6.1.IKBS : Un outil bien adapté au projet MAHOTS ...... 7 6.2.L’approche moléculaire ou comment statuer sur les affinités entre espèces de Mahots8 7.Un projet aux objectifs précis et explicites 9 8.Des retombées attendues pour les communautés locale, nationale et internationale 9 8.1.Développement des connaissances et des outils de gestion sur les écosystèmes de La Réunion...... 9 8.2.Développement et valorisation des compétences et résultats des laboratoires de recherche de la Réunion ...... 9 8.3.Développement de synergies entre les divers organismes intervenant dans le domaine de la biodiversité ...... 10 8.4.Caution scientifique des connaissances dans une perspective d’utilisation accrue de la flore indigène...... 10 8.5.Ouverture en terme de collaboration régionale ...... 10 8.6.Développement et pratique de la collaboration internationale pluridisciplinaire ...... 10 8.7.Positionnement de La Réunion comme pôle de référence en écologie évolutive ...... 11

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PROJET BASE DE CONNAISSANCES SUR LES MAHOTS DE LA RÉUNION ET DES MASCAREIGNES (BACOMAR)

Richesse et importance écologique des Dombeyoideae Un questionnement permanent pour les botanistes Un support et un modèle exemplaires

(Luc Gigord-UNIL, Timothée Le Péchon-LPP)

1. Contexte général Dans un contexte international où tous les acteurs s’accordent à reconnaître l’importance de la biodiversité dans l’équilibre écologique de notre planète, il paraît fondamental d’intensifier un soutien aux programmes de recherche visant à décrypter et mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes naturels et des espèces qui les constituent. Si les autorités officielles sont conscientes de ce fait et agissent progressivement en ce sens depuis quelques décennies, il est récemment apparu un engouement des mouvements associatifs1 pour la protection des patrimoines naturels. Cette prise de conscience d’une identité culturelle liée à l’originalité d’une biodiversité représente une opportunité unique dans un cadre de progression des connaissances, d’éducation et de formation. Dans ce contexte, il semble pertinent de proposer un programme de recherche fédérateur, réunissant différents acteurs de l’île de La Réunion autour d’une problématique accessible à tous, et présentant moult facettes en termes de bénéfices à court, moyen et long terme. Ce programme devrait faire cas d’étude pilote démontrant que la mise en synergies des compétences et énergies peut non seulement aboutir à une augmentation significative des connaissances de notre patrimoine naturel, mais au delà, à la mise en application de mesures de gestion et de protection se faisant sur des bases scientifiques en accord et avec l’engagement des acteurs de terrain. Nous sommes convaincus de l’impact d’un tel programme dans la vie de l’île de La Réunion, dont le futur repose de manière significative sur son attrait touristique, et de fait, principalement éco-touristique. La création du Parc National de La Réunion contribuera à valoriser au niveau international ce que La Réunion et plus largement l’archipel des Mascareignes ont de remarquable.

2. L’archipel des Mascareignes : une biodiversité exceptionnelle

L'archipel des Mascareignes, et plus particulièrement l'Île de La Réunion, du fait de sa topologie montagneuse, abrite une exceptionnelle diversité de formations naturelles végétales, et il a d’ailleurs été récemment placé sur la liste officielle des « points chauds » de la Biodiversité mondiale ([15] Myers et al. 2000). Le caractère insulaire de ces territoires a profondément modifié la faune et la flore ancestrales entraînant l'apparition d'espèces, voire de genres endémiques, c’est à dire se trouvant exclusivement dans cet archipel. Le taux d'endémisme chez les plantes à fleurs est estimé à La Réunion à 35% de la flore totale, et chez certains groupes, celui-ci est largement dépassé atteignant les 100%. Au-delà de ce taux remarquable d’endémisme, les espèces ont acquis des caractéristiques uniques dont l’originalité constitue une richesse sans comparaison avec la plupart des flores des différentes régions de la planète. Le groupe des Dombeyoideae, encore appelé Mahots à La Réunion, en est un exemple frappant.

3. Richesse et importance écologique des Dombeyoideae (Mahots) dans les écosystèmes réunionnais

1 À la Réunion, on peut citer la SREPEN (Société Réunionnaise pour l’Etude et la Protection de l’Environnement), l’APN (Association des amis des Plantes et de la Nature), l’IUCN (World Conservation Union), Palmeraie-Union…

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3.1. Une richesse exceptionnelle Parmi les groupes de plantes les plus diversifiés aux Mascareignes, les Mahots présentent 95% d’espèces endémiques. Les Mahots correspondent à la sous-famille des Dombeyoideae (, ex-) avec les genres endémiques Ruizia (1 espèce), (6 espèces) et Astyria (1 espèce), ainsi que le genre indigène (14 espèces dont 13 endémiques et une indigène) (Figure 1).

Figure 1 : Exemples de Mahots réunionnais : Dombeya pilosa (détail d’inflorescence à gauche et ensemble d’inflorescences à droîte), Dombeya elegans (au centre), Trochetia granulata (à droite).

Toutefois, de récentes observations, réalisées en particulier par le Docteur Bernard Pausé (APN), suggèrent que ce nombre ait pu être sous-estimé. Ainsi plusieurs naturalistes s’accordent à reconnaître qu’au moins une nouvelle espèce, Dombeya scabrida, inféodée aux habitats de haute altitude est sur le point d’être décrite. Une constatation similaire semble prévaloir au sein du genre Trochetia qui pourrait lui aussi pouvoir s’enrichir à La Réunion d’une nouvelle espèce. Le groupe n’a donc pas encore dévoilé toute sa richesse. Ce constat est d’autant plus vrai que de nombreux environnements indigènes n’ont jamais été explorés aux Mascareignes, et plus particulièrement à La Réunion. Ces écosystèmes pourraient révéler des espèces de Dombeyoideae encore inconnues, mais aussi permettre la redécouverte de certains taxons considérés comme disparus. Ainsi, à l’île Maurice, l’espèce Trochetia parviflora, considérée comme éteinte pendant plus de 150 ans, a été redécouverte en 2001. Au-delà de cette exceptionnelle diversité spécifique, les Mahots ont aussi, comme nous allons le voir, une importance écologique primordiale au sein des écosystèmes de l’île de La Réunion.

3.2. Une importance écologique indéniable À La Réunion, ce groupe a un intérêt écologique fondamental. Ces arbres et arbustes sont les principaux structurants de la Forêt de Bois de Couleur des Hauts qui abrite sept espèces de Mahots (Figure 2). Ce milieu naturel, hautement symbolique de notre Île, est le milieu le plus étendu de la surface protégée au sein du futur Parc National de La Réunion. Le groupe occupe les strates supérieures de cette forêt structurant ainsi sa canopée et constituant des supports préférentiels pour un grand nombre d'épiphytes (orchidées, fougères, mousses…). De plus, une étude récente menée par l’Insectarium dans la Réserve Biologique des Makes a montré que les Mahots servaient de plantes hôtes à une entomofaune particulièrement riche et diversifiée (richesse spécifique et indice alpha de Fisher ; [3] Gasnier S. 2005). Bien que l'habitat préférentiel des Mahots soit la Forêt de Bois de Couleur des Hauts, ils se répartissent en réalité dans tous les environnements de l'archipel des Mascareignes. Ainsi, le Bois de Senteur Blanc et le Bois de senteur Bleu (respectivement Ruizia cordata et Dombeya populnea) sont des espèces emblématiques des forêts séches et semi-sèches de La Réunion et de Maurice dont la sauvegarde ex situ s’est faite in extremis. Ces deux espèces font aujourd’hui l'objet à La Réunion d'un programme de conservation géré par le Conservatoire National Botanique de Mascarin. De même, les Mahots sont présents dans l’unique reliquat de forêts mégathermes au sein de la Réserve Naturelle de Mare Longue (Saint Philippe) avec Dombeya ciliata et Dombeya ficulnea, ainsi que dans les formations oligothermes d’altitude, jusqu’à 2500 mètres, avec Dombeya ficulnea et Dombeya scabrida. Les Mahots occupent donc tous les biotopes de l’île.

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Figure 2 : Forêt de Bois de Couleur des Hauts appelée par Cadet (1980) « forêt à Dombeya et Cyathea ».

3.3. Un groupe utile dans le cadre de la restauration écologique Les Dombeyoideae ont également un rôle écologique fondamental en ce sens qu’ils constituent un groupe de plantes pionnières. Le CIRAD, qui a beaucoup travaillé ces dernières années sur les groupes fonctionnels parmi les plantes indigènes, les classe parmi les post-pionnières ou les « nomades pionnières », c’est à dire un peu plus tard dans la dynamique forestière (dans un milieu non totalement ouvert). Il est néanmoins tout à fait possible et utile de les utiliser en restauration écologique. Après perturbation d’un milieu naturel, que celle-ci soit d’origine anthropique ou naturelle, les Mahots font partie des premières espèces natives à coloniser le milieu ouvert. Ce rôle de colonisateur est des plus fondamental dans un contexte où de nombreuses espèces exotiques envahissantes ont également une grande capacité à occuper ces milieux perturbés et à y former de nouveaux foyers d’invasion. Les Mahots pourraient donc, par exclusion compétitive, participer à la limitation de l’expansion de ces pestes végétales. Une récente étude réalisée dans la Réserve Biologique des Makes, dans le cadre du programme INVABIO2, montre très clairement que l’espèce Dombeya punctata est une des premières et des plus abondantes espèces à coloniser des sous-bois envahis par Hedychium garderianum qui ont été expérimentalement perturbés ([13] Lavergne, C. 2005). Similairement, une étude menée sur des habitats semi-xérophiles de l’Ouest a montré que Dombeya acutangula était l’une des espèce natives de l’île présentant la plus forte résistance aux invasions par des plantes introduites ([5] [6] Gigord, 1999). Les Mahots constitue un groupe très utile dans les opérations de restauration écologique du fait de leur croissance rapide, leur adaptation aux milieux ouverts ou semi-ouverts (même si ce ne sont pas strictement des pionniers), leur capacité à assurer un couvert dense limitant rapidement le développement des espèces exotiques héliophiles, leur production importante de litière permettant de reconstituer les sols, la richesse de la faune et la flore associées et leur diversité assurant une adaptation à la plupart des conditions climatiques rencontrées sur l’île. Ils sont largement utilisés depuis une quinzaine d’années par l’Office National des Forêts, notamment en Réserve Biologique des Makes, Réserve Biologique de Bébour et Réserve Naturelle de la Roche-Ecrite. A cet effet, il est fondamental de bien connaître les taxons utilisés pour éviter toute « pollution génétique » ou inadaptation des espèces/individus qui seraient plantées.

2 Programme « Invasions biologiques » du Ministère de l’écologie et du développement durable (2000-2004)

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4. Les Mahots : un questionnement permanent pour les botanistes et les naturalistes

Paradoxalement, si ce groupe de plantes a l’importance écologique et taxonomique que nous venons de décrire, force est de constater qu’il est encore très mal connu, pour ne pas dire très mal «compris». En effet, les Dombeyoideae ont été peu étudiés, une conséquence probable de leur réputation de «groupe difficile». Cette réputation, fondée, est liée à deux faits essentiels : d’une part, la majorité des espèces présentent un extraordinaire polymorphisme, d’autre part, de nombreuses d’entre elles s’hybrident entre elles. Parmi les caractères polymorphiques, il est possible de citer la forme des feuilles (qui peut être différente entre un individu adulte et juvénile (Figure 3) ou encore en fonction des stations considérées), les systèmes de reproduction (les fleurs d’un même individu peuvent être unisexuées - mâle ou femelle (Figure 3) -, hermaphrodites et même les deux simultanément) et une grande plasticité des traits d’histoire de vie de manière générale ([5,6] Gigord et al. 1999a,b, [7] Gigord et al. soumis, [9,10,11] Humeau et al. 1999a,b, 2000, [12] Humeau & Thompson 2001). En outre, il existe de nombreux hybrides naturels entre espèces proches. Ces caractéristiques font que les espèces de Mahots sont difficiles à définir, et leur identification est même parfois impossible. Friedmann ([2] 1987) a proposé une clé dichotomique d'identification pour les espèces des Mascareignes. Malheureusement, cette dernière est relativement rigide et mal adaptée, car elle ne prend pas en compte toutes les variations morphologiques du groupe.

Figure 3 : Illustration de l’hétérophyllie : feuillage juvénile (à gauche) et adulte (à droite) du Bois de Senteur Bleu (D. populnea). Illustration de la dioécie avec des fleurs de D. ficulnea femelle (gauche) et mâle (droîte).

Il paraît pourtant impératif, au vue de leur importance écologique, pour les gestionnaires des milieux naturels, de pouvoir identifier avec le minimum d’ambiguïté les différentes espèces. Ceci semble d’autant plus crucial dans la perspective de l’ouverture du Parc National de La Réunion et la définition de programmes locaux de conservation. En ce sens, la production d’outils aidant à l'identification des Dombeyoideae, l’étude de leur biologie et de leur systématique s’intègrent comme préalables et compléments à la gestion des divers milieux naturels de l’île.

5. Les Mahots : un support et un modèle exemplaires pour retracer l’histoire évolutive de la flore des Mascareignes

La complexité et les difficultés posées par le groupe en font également sa richesse. Plus un groupe de plantes est variable sur le plan de sa morphologie, de ses caractères phénotypiques, plus il est possible d’en tirer des informations présentant un intérêt inestimable pour retracer son histoire évolutive. Cette approche est d’autant plus valable dans un contexte insulaire qu’il est possible de déterminer l’âge de ces îles volcaniques, et par conséquent d’inférer des scénarios de colonisation et d’en déduire la rapidité avec laquelle les caractères morphologiques, végétatifs et reproductifs, évoluent. Ceci peut se faire par la comparaison avec les taxons de Madagascar et d’Afrique de l’Est. Les Mahots représentent en ce sens un groupe idéal puisqu’ils n’ont, à une échelle temporelle géologique, que très récemment colonisé notre archipel.

Ces constatations nous conduisent logiquement à un projet de recherche et d’investigation alliant des outils informatiques et des outils moléculaires de manière à affiner considérablement notre connaissance du groupe, et ultimement, notre pouvoir prédictif en matière d’identification.

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6. Une approche innovante alliant « Identification Assistée par Ordinateur » (IAO) et techniques moléculaires

La première étape du travail proposé concerne la reconsidération des connaissances sur le groupe. Cette approche est indispensable pour redéfinir les espèces de Dombeyoidae. Dans cette perspective, une démarche pertinente réside en la construction d'une base de connaissances informatisée liée à un programme d'identification (Identification Assistée par Ordinateur). Cette base concentrera toutes les connaissances relatives à la morphologie, la biologie et l’écologie des Dombeyoideae. Elle sera construite à l’aide d’un Système de Gestion de Base de Connaissance (SGBC) appelé IKBS3, développé depuis plusieurs années par l’Institut de Recherche en Mathématiques et Informatique Appliquées (IREMIA)4 de l'Université de La Réunion.

6.1. IKBS : Un outil bien adapté au projet MAHOTS Une première approche IAO pour les Mahots a été réalisée avec l’outil Xper2 ([14] Le Péchon, T. 2005), développé par le LIS (Laboratoire d’Informatique et Systématique de l’UPMC (Université Pierre et Marie Curie). Une expérience d’utilisation d’IKBS en Mai 2006 a montré que les fonctionnalités et les interfaces d’IKBS étaient plus adaptées aux objectifs affichés dans le projet Mahots5.

Le logiciel IKBS a déjà été utilisé avec succès sur les coraux des Mascareignes6 qui présentent des difficultés d’identification comparables à celles que posent les Mahots.

Figure 4 : Arbre d’aide à la décision pour l’identification des familles de Scleractiniaires (gauche) et planche d’illustration des caractères (droite).

L’originalité d’IKBS réside dans le fait qu’il a été conçu pour raisonner sur des spécimens décrits à partir d’observations réelles. Son atout principal est de proposer un système de reconnaissance dynamique et évolutif, en ce sens que les descriptions de chaque espèce s’affinent au fur et à mesure que les descriptions d’échantillons récoltés sont assignées à une ou plusieurs espèces avec une certaine probabilité.

3 Iterative Knowledge Base System http://www.univ-reunion.fr/ikbs/ 4 http://iremia.univ-reunion.fr/ 5 Signalons qu’une collaboration entre le LIS et l’IREMIA est en cours, pour faire converger à terme les deux produits Xpert2 et IKBS. 6 Programme « Base de Connaissances sur les Coraux des Mascareignes (CMP3) » financé (DOCUP mesure A9-04) par l’Europe et la Région Réunion, http://coraux.univ-reunion.fr

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Les descriptions morphologiques seront effectuées à partir du matériel biologique collecté lors de la récente mission de terrain de Gigord L. et Le Péchon T. en Avril - Mai 2006 ainsi que de toute autre collecte réalisée par les partenaires du projet, dont les riches collections de Dombeyoideae de l’herbier de l’Université de La Réunion, du Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris) et du Jardin Botanique Royal de Kew (Londres). Ces collectes seront affinées et complétées dans le cadre de deux missions de terrain effectuées par Gigord L. et Le Péchon T. Le logiciel IKBS intègre un indice de similarité morphologique entre taxons définis dans la base. Cet outil utilisé sur des hybrides présumés, permettra de renseigner l’utilisateur sur les espèces proches et ainsi d’émettre des hypothèses sur le croisement présumés dont l’hybride est issu. Les possibilités qu'offre IKBS devraient permettre de reconnaître précisément toutes les espèces de Dombeyoideae des Mascareignes, d’identifier les taxons hybrides et leurs parents. Cette base sera transmise aussi rapidement que possible aux différents gestionnaires des milieux protégés de l’île de La Réunion afin de vérifier son ergonomie sur le terrain. Les remarques faites par ces acteurs de la protection des environnements réunionnais seront implémentées dans la base sur les Mahots. Ainsi, cette base IKBS sera optimisée pour la reconnaissance sur le terrain des espèces de Dombeyoideae, et sera en perpétuelle évolution pour être la plus exacte possible dans la perspective d’identification des cas rencontrés in situ. Cette démarche orientée base de connaissances et IAO se situe parfaitement dans la vision et l’action du réseau international GBIF7 dont l’objectif premier est de rendre les données de la biodiversité mondiale accessibles, n'importe où et par tous, dans le monde via les technologies de l’informatique et de l’Internet.

Au-delà de l’aide à l’identification, essentielle dans le cadre d’une politique optimale de gestion et de conservation des milieux naturels, les Dombeyoideae peuvent être des organismes modèles pour l’étude de la diversification et l’évolution des plantes à fleurs en milieux insulaires.

6.2. L’approche moléculaire ou comment statuer sur les affinités entre espèces de Mahots

Comprendre comment les Mahots se sont diversifiés est un moyen de comprendre comment s’est constituée la flore exceptionnelle de La Réunion, et plus largement celle des Mascareignes. L’étude de séquences d’ADN spécifiques aux différentes espèces de Dombeyoideae va générer un autre type de données à partir desquelles il est possible d’établir des relations d’apparentement plus ou moins marquées entre les espèces. L’utilisation des techniques moléculaires devrait permettre de déterminer l’origine des Mahots des Mascareignes, et plus précisément de déterminer s’ils ont oui ou non une origine commune. De même il sera possible de voir si les espèces d’un habitat donné, par exemple de milieu xérophile par rapport à un milieu hygrophile, sont plus proches entre elles ou non, ou encore de déterminer les préférences écologiques d’un potentiel ancêtre commun. Ainsi l’étude des caractères moléculaires permettrait de savoir si les Mahots des Mascareignes sont issus d’un seul ou plusieurs événements de colonisations différentes, et ultimement de déterminer si la ou les espèces originelles provenaient de Madagascar ou d’Afrique continentale. Dans un cadre d’écologie évolutive, elle permettra de proposer un scénario de la colonisation des différents milieux naturels, et d’inférer l’évolution de certains caractères particulièrement variables, tels que les systèmes de reproduction ou les différences de morphologie foliaire. L’approche moléculaire permettra aussi d’aborder des mécanismes peu connus comme le possible rôle de l’hybridation dans des processus de spéciation, i.e. formation des espèces, en sympatrie. Une partie significative de ce travail se fera en collaboration avec les meilleurs spécialistes du monde de ce domaine au Jardin Royal Botanique de Kew à Londres (Royaume-Uni). Une adaptation d’IKBS sera développée par l’IREMIA pour intégrer l’approche moléculaire dans la base de connaissances.

En d’autres termes, les résultats issus de chacune des approches (informatique et moléculaire) peuvent confirmer ou non la congruence des deux méthodes. Par ailleurs, et comme le suggère Humeau ([11] Humeau, L et al. 2000), la biologie moléculaire peut nous permettre de vérifier ou de rejeter les hypothèses émises, via le logiciel IKBS, sur le croisement à l’origine des hybrides. Ainsi, cette combinaison aboutit nécessairement à un enrichissement sur le plan méthodologique et sur le plan des connaissances d’un groupe d’êtres vivants apparentés.

7 Global Biodiversity Information Facility, http://www.gbif.org/

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7. Un projet aux objectifs précis et explicites

Ce projet global et ambitieux, qui bénéficie dès à présent de collaborations multiples, est amorcé dans le cadre d’une thèse de doctorat qui se fixe cinq directions principales :

O1. Une étude taxinomique de chaque espèce qui permettra de créer une base de connaissances informatisée articulée autour d’outils d’identification (IAO) afin d’affiner considérablement la détermination des taxons et donc de distinguer toutes les espèces ainsi que les formes hybrides. O2. Caractériser ces espèces et vérifier les hypothèses de parenté des hybrides établies à partir de la base de connaissances et d’IKBS, et établir leur degré relatif de parenté grâce à l’étude de séquences d'ADN. O3. Vérifier la congruence entre les données morphologiques et moléculaires, cette démarche pouvant permettre de redéfinir les relations spécifiques au sein des Dombeyoideae. O4. Replacer les Dombeyoideae des Mascareignes dans la phylogénie des Malvaceae pour comprendre l’histoire biogéographique, l’évolution et l’écologie du groupe, e.g. pour mieux comprendre son fort taux d’endémisme aux Mascareignes. O5. Enfin et ultimement permettre à tous les acteurs de l’île d’enrichir une base de données accessibles à tous, et de s’en servir pour la progression et la pérennité dynamique des connaissances dans un contexte éducatif.

8. Des retombées attendues pour les communautés locale, nationale et internationale

Les retombées attendues concernent aussi bien les connaissances fondamentales et les outils de gestion dérivés que des avancées sur le plan méthodologique, les pratiques et usages des chercheurs et acteurs concernés. On décline ci-dessous celles qui nous paraissent les plus importantes.

8.1. Développement des connaissances et des outils de gestion sur les écosystèmes de La Réunion Le groupe des Dombeyoideae malgré leur importance écologique, leur diversité et leur abondance dans les écosystèmes naturels réunionnais sont globalement méconnus et ont besoin d'une révision complète des connaissances. Accroître le savoir sur ce groupe, c'est augmenter le niveau de connaissance sur les forêts réunionnaises, et faciliter ainsi à la fois la tâche des gestionnaires de ces écosystèmes et la sauvegarde du patrimoine riche et unique de l’île de La Réunion. Il est important que l’outil d’aide à l’identification soit opérationnel pour les gestionnaires de terrain, qui ne sont pas nécessairement des spécialistes scientifiques. L’ergonomie de l’outil devra être testée auprès de ces gestionnaires.

8.2. Développement et valorisation des compétences et résultats des laboratoires de recherche de la Réunion Ce projet s’inscrit de surcroît dans une démarche logique et de longue date. D’une part, les Mahots ont déjà donné lieu à deux thèses de 3ème Cycle soutenue par la Région Réunion (Thèses Gigord 1997 et Humeau 1999). D’autre part les outils méthodologiques que l’on propose d’utiliser et de valoriser sur les Mahots ont été développés avec le soutien de la Région Réunion (Thèse Grosser 2001) et de l’Europe (programme CMP3). Il s’agit aujourd’hui d’investir et de valoriser ces résultats dans un projet riche et novateur tant par sa vision globale et l’ambition de ses objectifs que par la convergence et la modernité des outils mobilisés. Dans le cadre d’une démarche projet inductive, le projet de valorisation ETIC8 pourrait « hériter » des méthodologies et résultats du projet Mahots.

8 ETIC est un programme de recherche et de valorisation des connaissances en Environnement Tropical Insulaire par les Technologies de l'Information et de la Communication de l’Université de La Réunion. Il est transdisciplinaire, piloté par l’IREMIA et financé par la Région Réunion, l’État et l’Europe (DOCUP Mesure A9-04). http://etic.univ-reunion.fr/

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8.3. Développement de synergies entre les divers organismes intervenant dans le domaine de la biodiversité De nombreux organismes sont concernés par la défense de l’environnement et la protection de la biodiversité. On constate en particulier qu’au côté du secteur institutionnel de nombreux mouvements associatifs se mobilisent non seulement pour des actions d’information et de défense militante, mais, de plus en plus dans la formation et l’investigation de terrain apportant ainsi une contribution précieuse pour une meilleure connaissance des écosystèmes réunionnais. Rompant avec les frilosités et les tendances protectionnistes, ce projet doit être l’occasion de mobiliser les compétences et les énergies des différents acteurs sur un projet, au corpus certes limité, mais concret et aux objectifs bien identifiés. À cet effet un appel à collaboration a été lancé vers divers organismes : DIREN, Conseil Général, Conseil Régional, UMR C53 PVBMT, CIRAD, CBNM, ONF, Mission Parc des Hauts, Museum, SREPEN, APN, IUCN, Palmeraie-Union. Dès à présent, un certain nombre de réponses positives ont été enregistrées.

8.4. Caution scientifique des connaissances dans une perspective d’utilisation accrue de la flore indigène On assiste depuis plusieurs années à une tendance « lourde » et croissante de recours aux espèces indigènes pour l’ornement des jardins privés et la végétalisation des espaces publics (routes, bâtiments publics,...). Dernier exemple en date : un million de d’espèces indigènes pour le chantier de la Route des Tamarins conduit par la Région Réunion. Cette tendance fait suite à la diffusion de la connaissance sur le patrimoine naturel original de La Réunion et traduit une forme d’appropriation par la population et les décideurs. Elle présente un intérêt certain en termes de valorisation du patrimoine et de sensibilisation à son respect, mais elle n’est cependant pas sans risques (pollution génétique, identifications erronées etc.). Il semble plus judicieux de l’accompagner d’une démarche scientifique que de tenter de la contrer et la rejeter dans une marginalité risquée et socialement inacceptable. Les Mahots sont et seront de plus en plus utilisés comme espèces ornementales à caractère « identitaire » car ils présentent des caractéristiques intéressantes (croissance rapide, forme, feuillages et floraisons à fort potentiel esthétique, espèces mellifères, bonne résistance, diversité et adaptation à des zones écologiques différentes, etc.). Les résultats du projet devraient fournir une base scientifique solide sur laquelle des recommandations pourraient être établies (par le CBNM par exemple) pour l’utilisation des Mahots dans les milieux anthropisés. Par ailleurs, les retombées économiques liées à la production accompagnée des espèces indigènes pour un usage ornemental ou de végétalisation ne sont pas à négliger.

8.5. Ouverture en terme de collaboration régionale Dans une première étape, le projet est centré sur La Réunion, mais il vise à terme l’archipel des Mascareignes. Dès à présent et suite à une visite officielle de l’association Palmeraie-Union dans les zones des Parcs Nationaux insulaires (Ile Ronde, Ile Plate, Ile aux Aigrettes), Luc Gigord (DEE) a jeté les bases d’une collaboration avec les Parcs Nationaux et la « Mauritian Wildlife Foundation » pour étudier les Mahots mauriciens et rodriguais. Un étudiant de Master réalisera les premières expériences au printemps 2007. La démarche ne se limite pas à recueillir et exploiter des données de terrain, mais se conçoit dans le cadre d’une collaboration équitable avec les acteurs concernés de Maurice et plus généralement de La Zone Océan Indien.

8.6. Développement et pratique de la collaboration internationale pluridisciplinaire La défense de l’environnement est une préoccupation mondiale et fait l’objet d’initiatives des organismes internationaux et des États. Cela ne doit pas exclure les initiatives de terrain plus modestes, mais susceptibles, sur des problématiques bien ciblées, de mobiliser des collaborations internationales permettant de sortir La Réunion de l’isolement dans lequel sa situation géographique la confine trop souvent.

Ainsi le projet Mahots de La Réunion s’appuie directement sur quatre organismes :

 Laboratoire de Paléobotanique et Paléoécologie UMR 5143 CNRS-MNHN-UPMC-EPHE « Paléobiodiversité et Paléoenvironnements » Université Pierre et Marie Curie, Paris Contact : Pr. Jean-Yves Dubuisson ( [email protected] )

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 Département d'Ecologie et d'Evolution (DEE) Université de Lausanne CH-1015 Lausanne-Dorigny Contact : Dr. Luc GIGORD ( [email protected] )

 Institut de REcherche en Mathématiques et Informatique Appliquées (IREMIA) Université de La Réunion 15 Avenue René Cassin 97489 Saint Denis Cedex, La Réunion Contacts : Dr. Noël Conruyt ( [email protected] ), Dr David Grosser ( [email protected] )

 Royal Botanic Gardens of Kew Jodrell Laboratory Royal Botanic Gardens, Kew Richmond TW9 3DS, London UK Contact : Dr. Vincent Savolainen ( [email protected] )

8.7. Positionnement de La Réunion comme pôle de référence en écologie évolutive Ce projet devrait également permettre à La Réunion de se positionner à l’instar de Hawaii, sur la scène internationale en matière de recherche fondamentale portant sur l’évolution de la flore de notre planète, et de devenir, pour peu que le relais soit pris dans le cadre d’un programme fortement accompagné, un pôle d’excellence en la matière. Ce travail fondamental serait d’autant plus nécessaire et urgent qu’un nombre croissant d’équipes de recherche étrangères prennent de plus en plus conscience de l’atout incomparable que représente l’île de La Réunion pour l’étude des processus évolutifs en milieux insulaires9.

En ce sens, l’intensification de l’étude du groupe des Dombeyoidae pourrait démontrer, dans un contexte d’intérêt croissant des autorités européennes10 et françaises11 pour la biodiversité tropicale, que l’île de La Réunion peut être un vivier de problématiques et un lieu de rencontre de compétences et de ressources humaines, sous la forme d’un pôle international de recherche en écologie évolutive.

9 Après s'être concentré sur les familles et genres endémiques de Madagascar pendant plus de vingt années, le Missouri Botanical Garden (Saint Louis, USA) a récemment décidé d’étudier le groupe de plantes le plus riche de la Grande Ile, i.e. les Dombeyoideae. Dans ce contexte, il est flagrant, et d’une certaine manière logique, que les Mascareignes soient considérés comme partie intégrante de Madagascar. 10 L’Union Européenne développe une Stratégie à long terme en faveur de la biodiversité – en Europe comme ailleurs – qui s’articule autour de quatre thèmes principaux : Conservation et exploitation durable de la diversité biologique; Partage des bénéfices de l’utilisation des ressources génétiques; Recherche, identification, suivi et échange d’information; Education, formation et sensibilisation. http://ec.europa.eu/research/leaflets/biodiversity/index_fr.html 11 Au niveau du gouvernement français, l’ANR a lancé un APR 2006 sur la biodiversité (Deuxième édition) dont la gestion est confiée à l’IFB (Institut Français de la Biodiversité)

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Références

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