2018-1 Actographe Complet 1-259.Pdf
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35 Actographe, 2018, n° 1 Revue de sciences humaines, sociales et politiques : Arts, Langages et Frontières Review of human, social and political sciences: Arts, Languages and Borders Revue scientifique plurilingue à comité de lecture Périodique, édition électronique www.actographe.eu Rédacteur en chef : David Krasovec. Comité rédactionnel : Margarita Loyevskaya (Moscou), Elena Pevak (Moscou), Alexandra Krasovec (Moscou). Comité scientifique : Annick Morard (Genève), Katja Šmid (Madrid), Jerca Kramberger Škerl (Ljubljana), Asli Aksoy (Erlangen). ISSN 2490-9459 © Actographe. Copyright sur l’intégralité des éléments de ce numéro, sauf mention contraire. TABLE DES MATIERES Avant-propos 5 Avant et après 1917 Articles 11 DAVID KRASOVEC 1917 dans les livres et les habits de la Russie de 2017 69 ALEVTINA КOZLOVA Les mouvements végétariens en Russie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle 145 ALEXANDRA KRASOVEC Le groupe poétique du Parnasse de Moscou (1921–1923) 215 АНАСТАСИЯ ЕГОРОВА [ANASTASIA EGOROVA] Великая темпоральная революция: уроки Октября. Опыт культурологического исследования 233 МАКСИМ КАЗЮЧИЦ [MAKSIM KAZIUCHITS] Советский полиэкранный фильм в художественной и политической системе СССР 1970-х годов Recension de livre 247 La Révolution russe, une histoire française : Lectures et représentations depuis 1917, d'Eric Aunoble, recensé par David Krasovec Avant-propos Avant et après 1917 Ce numéro d'Actographe n'est pas à proprement parler consacré à l'année 1917, mais à l'avant et à l'après : c'est-à-dire que nous explorons les méan- dres de la mémoire russe en 2017, superposition de faits passés, de leurs conséquences, et des interprétations qui en ont découlé. Si on a souvent dit que l'année 1917 n'avait pas été célébrée comme il se doit en 2017, en Russie, David Krasovec montre dans sa contribution « 1917 dans les livres et les habits de la Russie de 2017 » que ce n'est pas si simple. Un survol de la littérature publiée en Russie donne une première impression mitigée, mais au final plusieurs livres ressortent et prouvent que le centenaire a stimulé la réflexion plus que ne le laissent soup- çonner les apparences. Et les apparences justement sont très révélatrices : il ne faut pas chercher 1917 dans une parade vite faite mal faite sur la place Rouge, mais aussi dans le cinéma et la mode, domaines très riches en enseignements. La recension du livre d'Eric Aunoble, La Révolution russe, une histoire française : Lectures et représentations depuis 1917, toujours par D. Krasovec, est d'une certaine façon le prolongement de l'article précédent. On ne se place plus du point de vue russe en 2017, E. Aunoble fait le bilan historiographique des recherches sur la révolu- tion russe en France pendant un siècle. C'est beaucoup plus qu'une bibliographie commentée, c'est un état des lieux des pensées en action aujourd'hui, une analyse fine des tenants et aboutissants des débats qui 5 Actographe 2018/1 ont eu lieu en France, c'est surtout un stimulant ouvrage qui remet la recherche historique (et non l'interprétation) au centre de l'histoire et indique les voies à suivre pour les futures recherches. Il en ressort que le sujet est loin d'être épuisé, bien au contraire ! Mais 1917 ce n'est pas seulement des révolutionnaires, des tsars, et des Lénine, c'est avant tout une société entière qui bascule dans l'inconnu et voit tous ses points de repère radicalement chamboulés. Dans « Les mouvements végétariens dans l'Empire russe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle », Alevtina Kozlova [Алевтина Козлова] s'attache à ceux qui font le choix de changer leur régime alimentaire, en dehors du cadre religieux du jeûne, grandement influencés par les préceptes de Tolstoï. Bien que ces idées soient déjà présentes dans la culture russe, c'est un élan plus profond lié à l'évolution de la perception de la société. Une première Association végétarienne est fondée à Saint-Pétersbourg dans les années 1860, il y en a 73 dans 37 villes de l'Empire russe en 1914, et entre 1904 et 1917 plusieurs revue végétariennes paraissent. Si ces associations souffrent la révolution, c'est principalement pour des raisons matérielles et le mouvement ne disparaît que lentement dans les années 1930. Alexandra Krasovec, dans « Le groupe poétique du Parnasse de Moscou (1921–1923) », fait redécouvrir l'un des groupes les moins connus de cette période. Ils sont dans la continuité des expressionnistes russes, eux aussi peu connus, et seuls Boris Lapin peut se targuer aujourd'hui d'être lu et étudié par un cercle restreint de lecteurs. De nombreux témoignages et textes-programmes de ce mouvement sont traduits en français pour la première fois. En 1917 ils sont jeunes, n'écrivent pas encore, c'est ce qui fait leur différence avec ceux qui sont les chantres de cette époque : ils chantent un changement, ils connaissent l'avant, tandis que les poètes du Parnasse de Moscou sont marqués par l'ambiance agitée et dramatique après la révolution, ce qui se ressent dans leur esthétique. Cette nouvelle perception de l'environ- nement et du temps est justement le sujet de « La grande révolution temporelle : les leçons d'Octobre » d'Anastasia Egorova [Анастасия Его- 6 Avant-propos рова]. En étant surtout attentive aux futuristes, elle étudie les change- ments dans le paradigme temporel, comment le modèle cyclique du temps a été remplacé par un modèle linéaire, utopique, caractérisé par la prédominance du mode futur. Ce modèle a duré jusqu'à la fin du XX e siècle, après quoi une nouvelle orientation temporelle prend place, celle du présentisme. Maksim Kaziuchits [Максим Казючиц] retrace également une continuité entre la révolution et les époques ultérieures. Dans « Le film soviétique à écran divisé dans le système artistique et politique de l'URSS des années 1970 », il remarque que l'impulsion innovatrice communiquée aux artistes en 1917 perdure longtemps, et l'Etat sovié- tique a donné aux cinéastes les moyens techniques de poursuivre leurs recherches expérimentales. Dans ce contexte, on ouvre de nouvelles voies techniques et esthétiques pour développer l'écran divisé (split screen) dans le cinéma russe des années 1970. Le cinéma multi-image occupe alors une position intermédiaire entre le film documentaire de chroni- ques, le film de genre et le film journalistique. Ou comment on peut simultanément appréhender le monde autour de soi avec une seule ima- ge composée. C'était une question ouverte par bien des créateurs en 1917 et c'est une question toujours d'actualité en 2017 pour savoir comment comprendre 1917. 7 vant et après 1917 David KRASOVEC [France] 1917 dans les livres et les habits de la Russie de 2017 1917 est une date évocatrice chargée de significations et de beaucoup de lieux communs ont été sortis des armoires pour commenter les célé- brations de 1917 en 2017. Lieux communs plus ou moins justifiés, mais pris ensemble on n'échappe pas à l'impression qu'un siècle plus tard la confusion n'est pas moindre. Il est trop facile de dire que le gouverne- ment russe, pour diverses raisons que nous allons exposer, se dérobe lors de ces célébrations, et que les discussions se déroulent dans des cercles de spécialistes : en réalité, pour l'historien, la façon d'aborder 1917 en 2017 est tout aussi passionnante que l'analyse des célébrations précédentes, elle l'est même beaucoup plus. Quand on voudra répondre, avec recul, à la question de savoir qui sont les Russes de 2017, quel est leur rapport à leur pays et à leur histoire, ce sera un véritable chantier pour les cher- cheurs à venir. On décrypte les discours officiels, mais nous disposons de trop peu d'informations sur ce qui se passe dans les têtes des gens, eux- mêmes ne sachant pas comment formuler leurs pensées. Avant de pré- tendre quoi que ce soit sur la façon dont les événements ont été célébrés, il faut préciser de qui on parle. Un Etat n'est pas sa population (bien que ce devrait l'être dans l'idéal) et la question qui se pose est de savoir que repré- sentent vraiment ceux qui sont intervenus dans l'organisation des diver- ses manifestations mémorielles. Cela pose plus profondément la question de la représentativité des élites actuelles (pas seulement politiques). 11 Actographe 2018/1 Faire une fixation sur la « volonté » ou les « intentions » du pou- voir politique actuel c'est se dérober à la fois aux phénomènes profonds qui ont eu lieu en 1917, et à ceux qui ont lieu en 2017, c'est reproduire une erreur courante en histoire qui est de se concentrer sur quelques figures « historiques » et de négliger les rôles « secondaires » qui font que chaque jour est inéluctablement un monde qui remplace celui de la veille. D'autant que les personnalités les plus visibles disposent de moyens pour élaborer des images qui vont traverser le temps, agir, vont masquer et faire oublier ceux qui constituent une population et la société. Il serait discourtois de rabaisser au rang d'« anonymes » ou de « masse » les « autres », ce n'est pas une dénomination, c'est un choix contestable, hautain ou ignorant. Ces dernières années, il y a eu de nombreuses tentatives de renouveler les études sur les débuts de l'Union soviétique en donnant la paroles au plus de monde possible – par exem- ple Orlando Figes. Pour comprendre 1917, il faut revenir à la diversité des individus de la société d'alors, pour se donner les moyens de se débar- rasser des images construites (pensons aux interminables duplications de Lénine), qui ont certes modelé la perception des faits historiques et ont ensuite eu une influence indéniable sur certains événements, mais ces images ne sont pas la cause des séismes historiques, elles sont souvent l'explication rétrospective de fables qu'on veut imposer pour faire oublier les récits dissonants ou gênants.