L'affaire Du Massilia. Été 1940
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L'AFFAIRE DU MASSILIA DU MÊME AUTEUR Le Procès de Riom (en collaboration avec Pierre Béteille) Plon, 1973 La Gazette d'un Parisien sous la Révolution (de Nicolas Ruault, éditeur de Voltaire) présentation Perrin, 1976 52 Millions d'enfants au travail Plon, 1980 Participation à la rédaction du Dictionnaire de France Perrin 1981 92 CHRISTIANE RIMBAUD L'AFFAIRE DU MASSILIA ÉTÉ 1940 ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VI ISBN 2-02-006764-1 © ÉDITIONS DU SEUIL, MARS 1984. La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. A la Libération, devant la Haute Cour de justice, Édouard Herriot salua la mémoire de Jean Zay, « parti là-bas, préférant aller servir en Afrique plutôt que de se laisser faire prisonnier en France », et celle de Georges Mandel, « patriote admirable, patriote inflexible, patriote indomptable » - tous deux passagers du Massilia, tous deux assassinés par la Milice. Félix Gouin devait déclarer de son côté : « L'épisode du Massilia, à mon sens, doit être considéré comme le symbole de la prérésistance, le sursaut conscient de la Nation représentée par ses élus devant l'abîme creusé sous ses pas par la complaisance et la trahison », tandis que Paul-Boncour, voyant une seule et même démarche dans le voyage du Massilia et le refus des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, écrivait : « C'est par eux (les 80 parlementaires qui ont voté contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain) et par ceux des embarqués du Massilia, partis sur la terre d'Afrique pour y continuer la lutte que, dès la première heure, s'est d'abord affirmée la volonté de résistance. » Pourtant un doute a subsisté dans l'esprit de nombreux contem- porains de l'événement sur les conditions réelles de ce voyage et sur les mobiles de ceux qui y participèrent. La conviction est même encore largement répandue que cette affaire n'était pas tout à l'honneur de ceux qui y furent mêlés et qu'il était plus sage et plus prudent de la laisser dormir au fond d'un des tiroirs oubliés de l'Histoire. Rétablir la vérité sur les circonstances exactes du voyage du Massilia était une nécessité. La recherche et l'étude des docu- ments d'archives, les récits des témoins directs de l'événement ont à la fois permis d'établir avec le réalisateur Philippe Prince un scénario de film pour la télévision et d'écrire ce livre. Ce travail est aussi un hommage rendu aux passagers du Massilia, particulièrement à Georges Mandel, Jean Zay, Pierre Viénot et Pierre Mendès France. Le 16 mai 1940, lorsque le jour se lève sur Paris, rien ne peut laisser supposer que, pour le gouvernement, le moment de vérité est arrivé. Rappelé en toute hâte de Louveciennes, où il habite, le président du Conseil Paul Reynaud, livide, vient d'entendre Game- lin, commandant en chef des Armées françaises, confirmer par téléphone à Édouard Daladier, ministre de la Défense nationale et de la Guerre, que « les Allemands peuvent être à Paris le soir même », qu'aucune fortification, aucune armée ne s'interposent plus entre Paris et les Panzerdivisionen qui se sont engouffrées dans la brèche de Sedan le 13 mai. Quelques heures plus tard, les passants s'étonnent de voir s'élever de la cour du palais d'Orsay un nuage bas qui laisse pleuvoir des fragments de papier noir : les archives du ministère, précipitamment jetées par les fenêtres, sont brûlées sur les pelouses. On s'interroge, l'anxiété monte, menace de déferler; il faudra que le président du Conseil démente à la radio le départ du gouvernement pour que la tension retombe. Pieux mensonge. Pendant quelques heures la situation a été jugée si alarmante qu'ordre a été donné de transférer à Tours le siège du gouvernement. Envisageant même le pire, Reynaud a annoncé à son entourage son intention de continuer, s'il le faut, la guerre en Afrique du Nord. Mais il s'apercevra vite que tout le monde n'a pas la même « idée » sur la conduite à tenir si la formidable offensive allemande ne peut être contenue. Une autre éventualité est bientôt évoquée, celle d'une cessation des hosti- lités, d'un armistice. Les deux termes du dilemme dans lequel l'étau allemand va enfermer la France : armistice ou repli en Afrique, sont dès lors posés. Lorsque Churchill, alarmé par le message que vient de lui envoyer Reynaud, accourt à Paris, il s'indigne du pessimisme de ses hôtes français. Il ne peut croire que le danger soit si pressant. En obliquant vers le nord pour prendre dans sa nasse les armées alliées du front des Flandres, ce qui épargne Paris, Hitler lui donne provisoirement raison. Mais la gravité de la situation n'a pas été surestimée et ce que le Premier Anglais qualifiait de défaitisme le 16 mai deviendra le seul choix possible lorsque les succès foudroyants de la Wehrmacht rendront impos- sible toute poursuite de la guerre sur le sol métropolitain. Le 25 mai, le coup de filet d'Hitler est sur le point de réussir. Les armées du Nord sont pratiquement encerclées, leurs commu- nications coupées. La situation n'est guère meilleure sur le reste du front où les troupes françaises en sont réduites à tenter de tenir coûte que coûte sur leurs positions. La pénible tâche d'informer le Comité de guerre 1 de ces tragiques nouvelles revient au général Weygand que Reynaud a appelé quelques jours plus tôt pour remplacer Gamelin comme généralissime. Un silence pesant accueille son exposé. La tension est extrême. C'est alors que le mot d'armistice est « officiellement » prononcé pour la première fois. Mot chargé de honte que le président de la République Albert Lebrun, le président du Conseil et le géné- ralissime se reprocheront mutuellement d'avoir lancé. « Tous considéraient que la défaite était inévitable, notera l'Américain William L. Langer, mais nul n'osait exprimer encore cette pen- sée. » Les trois hommes s'opposeront des démentis passionnés, finalement dérisoires, l'attitude de chacun dans les jours qui suivront se révélant suffisamment éloquente. 1. Assistaient à cette réunion du Comité de guerre : Paul Reynaud, président du Conseil, ministre de la Défense nationale; le maréchal Pétain, vice-président du Conseil; Campinchi, ministre de la Marine; Laurent Eynac, ministre de l'Air; Rollin, ministre des Colonies; le général Weygand, commandant en chef des Armées; l'amiral Darlan, amiral de la flotte; le général Vuillemin, commandant les Forces aériennes; le général Bührer, commandant les troupes coloniales, Paul Baudouin, secrétaire du Comité de guerre. Le 29 mai, l'issue de la bataille des Flandres ne faisant plus de doute, Weygand remet au président du Conseil une longue note. En cas de dislocation de la nouvelle ligne de résistance qu'il s'est fixée, sur la Somme et l'Aisne, il sera de son devoir, souligne-t-il, d'« examiner, en raison de la gravité des circons- tances, toutes les hypothèses ». Rien de précis n'est suggéré, mais le maréchal Pétain et lui-même ne laissent aucun doute, dans leurs conversations privées, sur la seule issue qu'ils envisagent. En réponse, Reynaud lui demande d'étudier la mise en état de défense d'un « réduit breton », ultime forteresse d'où le gouver- nement pourrait continuer à diriger la guerre si le reste du territoire national était occupé. Proposition assez inattendue, accueillie avec le plus grand scepticisme par l'état-major, mais qui avait le mérite d'être « l'étape vers les décisions énergiques », c'est-à-dire avant tout le repli en Afrique du Nord. L'appréciation est du général de Gaulle 1 que personne, ou presque, ne connaît alors. Seuls quelques initiés savent qu'il avait prévu la guerre des chars dont Hitler est en train de donner une magistrale démonstration. Reynaud avait été le premier homme politique à prendre conscience, envers et contre la quasi-totalité de l'état-major, de la valeur de sa théorie militaire. Il connaît aussi l'inébranlable volonté de lutte qui anime l'homme. Il vient enfin de juger de son efficacité sur le terrain, à Montcornet et devant Abbeville, où il a mené la vie dure aux Allemands pendant quelques jours, à la tête de la 4e division cuirassée. Lors du remaniement de son cabinet, le 5 juin, il l'appelle au sous- secrétariat d'État à la Guerre et le charge immédiatement des liaisons avec la Grande-Bretagne. Le 10 juin, il est désormais certain que rien ne pourra plus sauver Paris. Dans le dramatique message qu'il adresse au président Roosevelt quelques heures avant de quitter la capitale, Reynaud réaffirme sa détermination : « Nous lutterons en avant 1. Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome I, L'Appel 1940-1942, Paris, Plon, 1954, p. 55. de Paris, nous lutterons en arrière de Paris, nous nous enfermerons dans une de nos provinces et, si nous en sommes chassés, nous irons en Afrique du Nord et au besoin dans nos possessions d'Amérique... » Mais lorsque, peu avant minuit, les convois minis- tériels quittent Paris, tous feux éteints, c'est pour prendre la route d'Orléans et non celle de Quimper. Réflexe « historique » partagé par des centaines de milliers de réfugiés qui ne verront de salut que par-delà la Loire, suprême obstacle opposé à l'en- vahisseur. En réalité, Reynaud n'a pas encore renoncé au « réduit breton ». Il choisit Tours comme premier lieu d'asile pour son gouvernement car c'est un point de bifurcation ouvert à toutes les éventualités.