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QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS ?

SUBLIME AU GROTESQUE , Dieu et les tables tournantes

. ROBERT KOPP

Victor Hugo n'est pas un voyant des choses de Dieu, mais de l'ombre de l'absence de Dieu. Paul Claudel

e domaine par excellence du sublime, n'est-ce pas la religion ? Nous la concevons couramment en termes d'élévation, donc L de sublime. Toutefois, les pratiques quotidiennes intègrent souvent des éléments venus d'horizons bien différents : foi et superstition ont partie liée, et ceci depuis toujours (1). Souvent, leur cohabitation ne pose guère de problème, comme à certaines époques du Moyen Âge ; mais elle semble être particulièrement conflictuelle aux époques d'incertitude et de doute, lorsque l'arma- ture intellectuelle et morale qui avait prévalu pendant des généra- tions se fissure et que la recherche effrénée de valeurs nouvelles obsède les esprits. C'est bien le cas de nos jours : le succès des sectes les plus grotesques et des croyances les plus ridicules le prouve. Que d'agitateurs de grelots qui envahissent jusqu'à l'espace public ! Ce fut aussi le cas dans la France du XIXe siècle, empêtrée QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes dans les séquelles d'une Révolution qui ne finissait pas de finir et dont l'ombre portée plane encore sur les clivages politiques d'au- jourd'hui. Jamais les régimes ne se sont chassés à un rythme aussi rapide ; jamais les partisans de l'ordre et ceux du mouvement ne se sont combattus avec autant de violence. Or, ce n'est pas la poli- tique qui domine le siècle - ou en apparence seulement - c'est la religion, et ceci au dire même des historiens des idées politiques, tel Michel Winock, qui a raison d'écrire : « La question religieuse est, en ce XIXe siècle, au centre de tous les conflits, au cœur de toutes les interrogations philosophiques et politiques. Siècle de la mort de Dieu et siècle de la Science, le XIXe est aussi celui de la nostalgie inassouvie de la divinité, quand s'épuisent, à peine nées, les espérances de la raison. /.../Aucune époque, peut-être, n'a été aussi profuse en projets religieux : nouveau christianisme de Saint- Simon, religion de l'humanité de Leroux ou de Comte, néo-chris- tianisme de Sand, néo-catholicisme de Lamartine, religiosité pré- gnante des premiers socialismes (jusqu'à l'antithéiste Proudhon hanté par la figure de Jésus), sans parler de la diffusion sans voile de l'occultisme, auquel un Victor Hugo s'adonne tout en fustigeant le parti prêtre (2). » Ces lignes résument parfaitement l'une des problématiques majeures du XIXe siècle (3), à savoir celle, non pas de la religion, mais des religions nouvelles, susceptibles de prendre la suite ou la place d'un christianisme largement démonétisé dès avant la fin de l'Ancien Régime et qui ne se remettra jamais des coups que lui.a portés la Révolution. « Quelle sera la religion qui remplacera le christianisme ? » demande Chateaubriand, dès 1797, à la fin de son Essai sur les révolutions, car il est entendu, pour lui, qu'une société, quelle qu'elle soit, n'est viable et quelque peu solide qu'à condi- tion de reposer sur un fondement religieux (4). On connaît la réponse que Chateaubriand donnera lui-même, cinq ans plus tard, à sa question : le christianisme se remplacera lui-même, puisque l'on n'a pas trouvé de religion plus poétique, c'est-à-dire mieux à même de satisfaire l'imagination des hommes. L'imagination et les sens, faudrait-il dire : car la supériorité du christianisme s'exprime surtout à travers la musique, l'architecture, la peinture, la littérature, bref, tout ce qui ne s'adresse pas à la raison, mais qui soulève ce

11431 Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes que Mme de Staël appelle P« enthousiasme ». Chateaubriand a ainsi tranché la vieille querelle du merveilleux en faveur du merveilleux chrétien (.5). La référence ne sera plus seulement Homère, mais Homère et la Bible, les deux sources d'inspiration que Victor Hugo ne cessera d'invoquer conjointement à son tour. Le Génie du chris- tianisme, dont on a un peu oublié de fêter le bicentenaire en cette année 2002 dévolue trop exclusivement à Hugo, à Dumas et à Zola (6), a été l'un des best-sellers tout au long du XIXe siècle ; il a été constamment réédité ; il est devenu un des livres de prix par excellence et l'on ne compte pas les versions abrégées. La première édition avait paru peu avant le Concordat ; la deuxième était tout naturellement dédiée au Premier consul, l'artisan de la politique de réconciliation. Toutefois, même si ce renouveau catholique, auquel participent, à l'époque, nombre d'auteurs comme Lamennais, Barbey d'Aurevilly, Veuillot ou Lacordaire, est sans doute le courant le plus important dans ce renouveau religieux général, il existe toute une série de religions concurrentes. Et, chose remarquable : leurs fondateurs sont le plus souvent des poètes et des écrivains. Ce sont eux, ces mages romantiques, ces prophètes des temps à venir, qui se croient investis de ce pouvoir spirituel laïque que nous connais- sons bien désormais, grâce aux excellents travaux de Paul Bénichou (7). Ce pouvoir spirituel laïque, Quinet et Michelet et Victor Hugo l'ont explicitement revendiqué, et beaucoup d'autres, tout au long du XIXe siècle. Voici ce qu'écrit Victor Hugo dans un carnet qui date de mai 1853, donc de l'époque de Jersey qui nous intéresse tout particulièrement ici : « II y a dans ma fonction quelque chose de sacerdotal. Je remplace la magistrature et le cler- gé. Je juge, ce que n'ont pas fait les juges ; j'excommunie, ce que n'ont pas fait les prêtres (8). » Ce genre de remarque, on en trouve tout au long de la carrière de Victor Hugo, de ses premiers recueils de vers jusqu'à ses préfaces testamentaires. Elles désignent parfaitement l'idée qu'il se faisait de son métier. C'est donc dans un certain contexte qu'il faut placer ces réflexions sur « Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes » (ou parlantes, ou mouvantes, comme on disait aussi à l'époque). Dieu et les tables tournantes. La conjonction trahit une petite arrière-pensée : à savoir qu'il s'agit

] 144 QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes des deux faces d'une même médaille, de deux aspects, indisso- ciables, de ce phénomène complexe qu'est la religion de Victor Hugo et qui comporte, tout comme ses romans ou ses drames, un curieux mélange de grotesque et de sublime.

Une religion de bric et de broc

Une des grandes sources du romantisme européen - et par- tant du romantisme français - a été l'occultisme sous toutes ses formes : magnétisme, spiritisme, théosophisme, magie (9). Blake et Novalis, Balzac et Nerval, et beaucoup d'autres, ont puisé à pleines mains dans les œuvres de Swedenborg, de Saint-Martin, de Mesmer, de l'abbé Constant (Éliphas Lévi). Rien d'étonnant que Victor Hugo se soit abreuvé aux mêmes sources (10). Plus près de nous, les surréalistes y ont puisé à leur tour. Et aujourd'hui, c'est un peu à travers les expériences de ces derniers que nous lisons les proto- coles des tables. Mais avant de s'intéresser à l'occultisme, Victor Hugo n'a-t-il pas participé, en bon poète catholique, au renouveau religieux de la Restauration ? La crise mystique, dont parlent tous ses biographes, ne semble pas antérieure à la fin des années 1840 et l'impact qu'elle a eu sur sa création poétique n'est pas facile à déterminer (11). En effet, le jeune Victor Hugo a d'abord été un romantique de droite, royaliste et catholique, à l'instar de Chateaubriand. « La littérature présente - écrit-il dans la préface des Nouvelles Odes parues en mars 1824 -, telle que l'ont créée les Chateaubriand, les Staël, les La Mennais, n'appartient donc en rien à la révolution. De même que les écrits sophistiques et déréglés des Voltaire, des Diderot et des Helvétius ont été d'avance l'expression des innova- tions sociales écloses dans la décrépitude du dernier siècle, la litté- rature actuelle, que l'on attaque avec tant d'instinct d'un côté, et si peu de sagacité de l'autre, est l'expression anticipée de la société religieuse et monarchique qui sortira sans doute du milieu de tant d'anciens débris, de tant de ruines récentes. Il faut le dire et le redire, ce n'est pas un besoin de nouveauté qui tourmente les esprits, c'est un besoin de vérité ; et il est immense (12). »

145 Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes

On sait que quelques années plus tard, Victor Hugo s'est émancipé de ce royalisme catholique pour rejoindre le camp des libéraux, puis des partisans de la révolution de Juillet et des béné- ficiaires de celle-ci, comme député et comme pair de France. Il aurait donc laissé loin derrière lui son enfance et sa jeunesse, mar- quées - comme il le prétendra plus tard - par la « sombre domina- tion cléricale ». Or, il y a une grande part de légende dans cette façon de présenter les choses. Il n'y a jamais eu de « sombre domination cléricale ». Le catholicisme de Victor Hugo était un catholicisme purement littéraire. Victor Hugo - contrairement à Chateaubriand ou à Lamartine - n'a point eu une enfance religieuse. Il n'a pas même été baptisé (13). Pourquoi l'aurait-il été ? Ses parents ne s'étaient point mariés à l'église. Victor Hugo le savait fort bien. Il lui est même arrivé de le dire. Ainsi, dans Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, cette première grande hagiographie dictée à Adèle et publiée en 1863, pendant l'exil : « II n'y eut pas de maria- ge religieux. Les églises étaient fermées dans ce moment [nous sommes en 1797], les prêtres enfuis ou cachés, les jeunes gens ne se donnèrent pas la peine d'en trouver un. La mariée tenait médio- crement à la bénédiction du curé, et le marié n'y tenait pas du tout (14). » La mère de Victor Hugo était une voltairienne ; elle ne fit baptiser aucun de ses enfants. Et lorsqu'elle s'est trouvée en Espagne avec ses fils, elle les a déclarés comme protestants pour leur éviter d'être obligés de servir la messe. Ne pas avoir été bapti- sé, pour le chantre du trône et de l'autel, cela pouvait apparaître comme un manque, surtout au moment où il veut se marier (et que pour ce faire, il lui faut produire un acte de naissance et de baptême). Aussi, l'abbé Lamennais lui suggéra un « baptême sous condition ». Toutefois, au dernier moment, le catéchumène a pré- féré garder sa liberté (15). Voltairien, royaliste et anticlérical : trois qualificatifs qu'il arrive d'ailleurs à Victor Hugo de reprendre à son compte. Il se désignera volontiers, lui aussi, comme « royaliste voltairien » lorsque, rétrospectivement, il parlera de ses débuts. C'est ainsi que dans ses premiers textes, il lui arrive de fustiger à la fois le catholi- cisme et l'athéisme.

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Au départ, donc, nulle tendance au mysticisme. Pas davan- tage lorsqu'il passera du royalisme voltairien de sa mère au roya- lisme chrétien de son grand modèle Chateaubriand. À la suite de ce dernier, il déclare, en tête des (préface de l'édi- tion de 1826) : « De tous les livres qui circulent entre les mains des hommes, deux seuls doivent être étudiés par lui [le poète], Homère et la Bible. C'est que ces deux livres vénérables, les premiers de tous par leur date et par leur valeur, presque aussi anciens que le monde, sont eux-mêmes deux mondes pour la pensée. On y retrouve en quelque sorte la création tout entière considérée sous son double aspect, dans Homère par le génie de l'homme, dans la Bible par l'esprit de Dieu (16). » Or, mettre le génie de l'homme en communication, pour ne pas dire en communion avec l'esprit de Dieu, c'est bien l'une des ambitions de Victor Hugo. C'est aussi l'enjeux des tables, si l'on en croit - mais on a le droit de rester méfiant - cette conversation entre Victor Hugo et Auguste Vacquerie, conversation rapportée par le Journal de l'exil d'Adèle, la fille du poète, sous la date de novembre 1854, les expériences ayant commencé en septembre 1853 :

VICTOR HUGO - Le Phénomène des tables a pour but de ramener l'homme au spiritualisme et de l'y ramener immédiatement. La Révolution est prête ; le parti républicain qui fera la Révolution est également prêt ; seulement, le parti républicain et le peuple ne croient pas. Ils nient Dieu, Dieu, las d'attendre le lent travail de la pensée humaine, se révèle à eux par le phénomène matériel et incontestable des tables. AUGUSTE VACQUERIE - [présente quelques objections et fait remar- quer que l'homme, au cours de l'histoire, s'est affranchi des dieux, est devenu majeur] : Enfin arrive la Révolution de 1793. L'homme est majeur. Que vient faire l'intervention de la divinité en plein XIXe siècle ? VICTOR HUGO - Vous avez raison sur certains points. L'homme fut d'abord sous l'influence directe et palpable de la divinité, plus tard, l'in- fluence s'amoindrit et reste à l'état de conseil, mais en même temps l'homme devient superstitieux et fanatique ; puis, avec Diderot et Voltaire, la littérature tombe dans l'incrédulité, et après avoir échappé au fanatisme, la Révolution verse de l'autre côté, dans l'athéisme. Plus tard, une fausse religion de boudoir, appelée religiosité, et dont Chateaubriand fut l'apôtre, s'est fait jour sous l'Empire. Mais le peuple, cependant, roulait dans le matérialisme. Il fallait un miracle pour que le peuple, représenté par le parti républicain, devînt subitement spiritua- liste. Ce miracle, Dieu l'a fait : les tables parlent (17).

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Mais avant de nous pencher sur ce « miracle », revenons à l'époque d'avant l'exil. Dans les années 1820, la grande référence littéraire de Victor Hugo est Chateaubriand. Dans les articles du Conservateur littéraire et dans les Odes et ballades, Victor Hugo utilise le christianisme comme une mythologie particulièrement bien adaptée aux sentiments et au goût de ses lecteurs. La littéra- ture moderne est chrétienne, donc : soyons moderne, faisons de la littérature chrétienne ! En revanche, Victor Hugo n'est pas du tout un adepte de René qui a enchanté tant d'écrivains de sa génération, dont Balzac et Sainte-Beuve, par exemple. Lorsque, dans les Misérables, il évo- quera sa jeunesse à travers la figure de Marius, il ne prête à ce dernier aucune des inquiétudes métaphysiques qui tourmentent un Louis Lambert ou un Joseph Delorme. Pour l'ennui, le spleen, Victor Hugo n'est pas un enfant du siècle. Il n'empêche que Dieu existe et que l'âme est immortelle, quelle que soit la définition que l'on donne de Dieu et de l'âme. D'ailleurs, le génie poétique n'est- il pas mandaté directement par Dieu ? C'est ce que suggère le poème liminaire des Odes (1822), « Le Poète dans les Révolutions », daté de mars 1821 :

Le mortel qu'un Dieu même anime Marche à l'avenir, plein d'ardeur ; C'est en s'élançant dans l'abîme Qu'il sonde la profondeur (18).

Ce poème préfigure « Les Mages », grande composition datant de 1855 - donc de l'époque des tables - et se trouve dans la sixième partie des Contemplations, peu avant « Ce que dit la bouche d'ombre » :

Pourquoi donc faites-vous des prêtres Quand vous en avez parmi vous ? Les esprits conducteurs des êtres Portent un signe sombre et doux. Nous naissons tous ce que nous sommes. Dieu de ses mains sacre des hommes Dans les ténèbres des berceaux ; Son effrayant doigt invisible

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Écrit sous leur crâne la bible Des arbres, des monts et des eaux.

Ces hommes, ce sont les poètes ; Ceux dont l'aile monte et descend ; Toutes les bouches inquiètes Qu'ouvré le verbe frémissant ; Les Virgiles, les Isaïes ; Toutes les âmes envahies Par les grandes brumes du sort ; Tous ceux en qui Dieu se concentre ; Tous les yeux où la lumière entre, Tous les fronts d'où le rayon sort.

Contrairement à l'homme de tous les jours devant lequel « le ciel se tait », le poète sait interroger le mystère.

Eux, ils parlent à ce mystère ! Ils interrogent l'éternel, Ils appellent le solitaire, Ils montent, ils frappent au ciel, Disent : Es-tu là ? dans la tombe, Volent, pareils à la colombe Offrant le rameau qu'elle tient, Et leur voix est grave, humble ou tendre, Et par moment on croit entendre Le pas sourd de quelqu'un qui vient (19).

Très tôt, Victor Hugo a été pénétré du sacerdoce du poète et il est toujours resté très attaché à cette idée ; très tôt, il a commencé à se construire une philosophie religieuse très personnelle, où se mêlaient, à un peu de christianisme, du saint-simonisme, du fou- riérisme, du magnétisme, du socialisme, sans parler de la théoso- phie et de la kabbale. Religion pétrie au gré de lectures aussi nom- breuses que désordonnées. Cet éclectisme a déjà frappé ses contemporains. Ainsi Paul Stapfer, qui a partagé son exil, note-t-il dans ses Souvenirs :

Le spiritualisme de Victor Hugo étant constitué, non par quelque doctrine homogène et solide, mais par toutes les idées belles et généreuses qu'il est possible de concevoir, ou plutôt d'imaginer, sur Dieu et sur l'âme, comportait à la fois l'orthodoxie et l'hérésie, le christianisme et le paga-

1491 QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS ? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes nisme, le théisme et le panthéisme, la foi en la survivance de la personne et la croyance en la métempsycose, les arguments classiques de Socrate exposés dans le Phédon de Platon et les mystiques rêveries d'un Swedenborg ou d'un Lavater, l'odyssée planétaire de Jean Reynaud et la palingénésie terrestre de Pierre Leroux ; on y trouve tout ensemble la vieille affirmation de la séparation absolue de l'âme et du corps, et l'anti- cipation confuse des grandes doctrines du spiritualisme nouveau sur la matière, considérée comme si peu génératrice de l'esprit qu'elle en est issue au contraire et qu'elle doit y rentrer (20).

Il ne s'agit pas ici de démêler cet écheveau ; Auguste Viatte, Maurice Levaillant, Jean Gaudon et d'autres ont essayé de le faire. Ce qu'il faut retenir, c'est la conviction que Victor Hugo partage avec beaucoup de ses contemporains, que derrière l'univers visible s'en cache un autre, qui commence à la limite de nos sens pour s'étendre jusqu'à ce que le poète continue d'appeler Dieu, faute d'un terme plus approprié. Dès la préface aux Odes (1822), Victor Hugo affirme l'existence de cet autre monde :

Sous le monde réel, il existe un monde idéal, qui se montre resplendissant à l'œil de ceux que des méditations graves ont accoutumé à voir dans les choses plus que les choses (21).

Or, cet univers qui est situé au-delà de l'univers visible, c'est au poète qu'il appartient de le déchiffrer grâce à son don de « seconde vue », comme l'appelait Balzac. Le poète est le grand déchiffreur ; voyez le poème liminaire des Voix intérieures :

Notre esprit éperdu, Chaque jour, en lisant dans le livre des choses, Découvre à l'univers un sens inattendu (22).

Ou dans , « À propos d'Horace », le der- nier vers :

Ô nature, alphabet des grandes lettres d'ombre (23).

Cette « seconde vue » n'emprunte pas les chemins de la connaissance rationnelle ; elle utilise l'intuition, la connaissance par analogie, les « correspondances » (chères à Baudelaire) et, QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes pourquoi pas, la divination. Tous les moyens d'élargir le champ de notre conscience méritent d'être expérimentés. Il s'agît de décloi- sonner notre esprit, diront les surréalistes qui cultiveront, du moins un certains temps (car les résultats étaient décevants), les som- meils hypnotiques, les rêves éveillés, les drogues, l'automatisme psychique, la télépathie, etc. Tous les moyens sont recevables. C'est pourquoi Victor Hugo, pourtant acquis à la notion de progrès (comme Michelet, et au contraire de Flaubert et de Baudelaire) et croyant fermement, non seulement au progrès social, mais aussi au progrès dans les sciences, est résolument opposé au scientisme d'un Taine ou d'un Zola. En 1860, il écrit dans une longue note intitulée « Philosophie » et destinée sans doute aux Misérables :

La science s'est effarouchée devant le chloroforme, devant les phénomènes biologiques, devant l'étrange question des tables, devant Mesmer, devant Deleuze, devant Puységur, devant l'extase magnétique, devant la catalepsie artificielle, devant la vision à travers l'obstacle, devant l'homéopathie, devant l'hypnotisme ; la science, sous prétexte de « merveillosité » s'est soustraite au devoir scientifique, qui est de tout approfondir, de tout examiner, de tout éclairer, de tout critiquer, de tout vérifier, de tout classer ; elle a balbutié des railleries ou aventuré des négations au lieu de faire des expériences ; elle a laissé, au grand profit des charlatans, la foule en proie à des visions mêlées de réalité ; elle a chancelé, lâché le pied, et, là où il fallait avancer, rétrogradé. Elle a fermé les portes, elle, la science, qui n'a d'autre fonction que de les ouvrir, et qui n'est rien, si elle n'est pas une clef (24).

Or, ce que la science récuse, la poésie l'accueille. C'est ce que Victor Hugo appelle - tout comme Nerval et Baudelaire - le surnaturalisme. Ainsi, le terrain a été, en quelque sorte, préparé. Victor Hugo ne pouvait pas passer à côté de l'expérience des tables. D'autant que le sujet était à la mode, ou revenait à la mode tous les quatre ou cinq ans. De même que d'autres phénomènes spiritistes. En 1847, par exemple, la presse parisienne se fait l'écho d'une nou- velle offensive des magnétiseurs. Jules Janin, Frédéric Soulié, Paul Féval, Scribe, Gautier, Jules Sandeau et beaucoup d'autres sont fas- cinés par les phénomènes d'extase magnétique. Dumas s'en empare dans un de ses romans, Joseph Balsamo. Il y reproduit notamment Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes une conversation avec un des familiers de Victor Hugo, Henri Delaage, auteur d'un Monde occulte, que le poète a sans doute lu. Victor Hugo a d'ailleurs lui-même participé à des séances de magnétisme chez la vicomtesse de Saint-Mars. Son obsession est de retrouver sa fille morte, Léopoldine, qui s'est noyée à Villequier, avec son mari, Charles Vacquerie, le 4 septembre 1843, alors qu'il est en voyage avec , sa maîtresse en titre :

Est-ce qu'il est vraiment impossible, doux ange De lever cette pierre, et de parler un peu ?

écrit-il dans un fragment de 1846. On sait que Victor Hugo a été profondément affecté par ce drame, que cette perte devait endeuiller le reste de sa vie, que sa réflexion tourne de plus en plus autour de la mort, de l'au-delà, qu'il se remet à prier (il en parle dans ses lettres à Adèle, sa femme, mais aussi dans celle à Juliette Drouet), qu'il cède souvent à la superstition : « Tu sais combien le coup qui vient de nous frapper m'a rendu faible et craintif - écrit-il à Adèle, le 3 octobre 1844 - et je ne voudrais pas vous revoir un vendredi (25). » II aimerait croire aux fantômes qui nous reviennent de l'autre monde, comme dans cette autre ébauche de 1846 :

Parfois, quand j'étais là, derrière moi la lune Se levait, et, pensif, les yeux de pleurs noyés, Je voyais une forme humaine, vague et brune Croître sous la fosse à mes pieds.

Et je te parlais, ange, ô ma fille que j'aime, Et je ne savais plus, dans ce sombre entretien, Si cette ombre sortait de l'herbe ou de moi-même, Si c'était mon spectre ou le tien.

De plus en plus, le poète s'identifie à Orphée descendant dans le royaume des ombres pour retrouver l'être aimé :

Ô Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit Afin que je m'en aille et que je disparaisse ! QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes

Un autre deuil devait le frapper en 1845 : Claire Pradier, la fille de Juliette Drouet, était morte à son tour. Elle avait eu l'âge de Léopoldine. Désormais, le poète et son amante communieront dans le souvenir de ces deux jeunes femmes mortes. 1845 ou 1846 : c'est le début d'un nouveau travail poétique qui conduira aux Contemplations. Mais ce livre, placé sous le signe de Léopoldine, et dont la première partie réunit des poèmes écrits entre 1830 et 1843, n'a reçu son vrai visage qu'à travers l'exil et - en partie - à travers les tables.

L'expérience de Jersey

« Hugo serait mort en 1848 - écrit Henri Guillemin - que l'on citerait son nom, dans les dictionnaires, comme celui d'un poète distingué, un peu frondeur autour de 1830, mais qui sut se ranger assez vite pour accomplir une belle carrière de bourgeois juste-milieu. [...] L'exil rendra Hugo à lui-même (26). » Disons qu'il l'a transformé pour faire ressortir dans son œuvre les aspects qui nous intéressent le plus aujourd'hui, qui nous semblent les plus novateurs. Hugo a d'ailleurs reconnu, le premier, tout ce qu'il doit à son long exil : « Ma proscription est bonne et j'en remercie la destinée » ; « Je trouve de plus en plus l'exil bon ; j'y mourrai peut- être, mais accru. » Les remarques de ce genre sont nombreuses sous sa plume. Et c'est bien parce que l'exil lui était bénéfique - était bénéfique à son œuvre - qu'il l'a supporté pendant près de vingt ans, refusant de profiter de la loi d'amnistie qui lui aurait permis de rentrer en France, refusant aussi de céder aux pressions de son entourage et notamment de ses enfants, qui estimaient qu'ils perdaient leurs plus belles années. "Il n'y a pas lieu de revenir sur l'évolution de la pensée poli- tique de Victor Hugo entre 1848 et 1851 ; on connaît son parcours, son rôle de notable de la monarchie de Juillet, ses hésitations face à la révolution de Février, son acheminement progressif vers l'idée républicaine, son soutien au prince-président, puis son refus du coup d'État (27). Expulsé de France, il se réfugie d'abord à Bruxelles, le 11 décembre 1851. Il se met aussitôt à la rédaction de QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes ce qui deviendra l'Histoire d'un crime. Toutefois, au bout de quelques mois, il abandonnera ce texte, qui ne sera repris et publié que vingt-cinq ans plus tard, au profit de Napoléon-le-Petiï, qui sera imprimé à Londres, en août 1852, et publié par Hetzel à Bruxelles. Cette publication coïncide avec l'arrivée de Victor Hugo et de sa famille à Jersey, le gouvernement, belge lui ayant signifié qu'en cas d'attaques contre le prince-président, il serait prié de partir. Dès la fin juillet 1852, Victor Hugo avait donc commencé à prendre congé des autres proscrits au cours d'une série de ban- quets d'adieux organisés pour lui tant à Bruxelles qu'à Anvers. Le 2 août, il s'embarque pour Londres, où il rencontre Mazzini, Kossuth, Louis Blanc et Schœlcher, et trois jours plus tard, il arrive à Saint-Hélier avec Charles et Juliette Drouet (incognito). Sa femme, sa fille et Auguste Vacquerie, ainsi que de nombreux proscrits l'avaient précédé. Les premiers mois de l'exil ont été entièrement placés sous le signe de la politique, au détriment d'un livre de poésie com- mencé en 1846 et qui deviendra les Contemplations. Ainsi, il écrit le 7 septembre 1852 à Hetzel : « J'ai pensé, - et autour de moi car c'est l'avis unanime, qu'il m'était impossible de publier en ce moment un volume de poésie pure. Cela ferait l'effet d'un désar- mement, et je suis plus armé et plus combattant que jamais. Les Contemplations en conséquence se composeraient de deux volumes, premier volume : autrefois, poésie pure, deuxième volume : aujourd'hui, flagellation de tous ces drôles et du drôle en chef (28). » Ce n'est toutefois pas ce programme-là qu'il exécutera ; la « flagellation de tous les drôles et du drôle en chef », il s'y livrera dans un volume à part, les Châtiments, composé presque entière- ment à Jersey, entre octobre 1852 et septembre 1853, et publié en novembre 1853, sous deux formes différentes : l'une complète mais clandestine, l'autre expurgée mais publique. Parallèlement, Victor Hugo avait préparé deux volumes d'Œuvres oratoires, la première partie des futurs . Ils avaient paru à Bruxelles en août 1853. Toute la production de Victor Hugo semble donc placée sous le signe de Tacite et de Juvénal, de Dante et des prophètes

154! QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes de l'Ancien Testament. Toutefois, sous l'imprécation perce parfois une poésie de la nature, une poésie de l'aube, d'un ailleurs, qui semble inspirée par le spectacle que Victor Hugo a sous les yeux à Marine-Terrace. Rappelons, à titre d'exemple, ces quelques vers de « Stella » :

Je m'étais endormi la nuit près de la grève. Un vent frais m'éveilla, je sortis de mon rêve, J'ouvris les yeux, je vis l'étoile du matin (29).

Et puis, il y a cette « Vision de Dante », datée du 24 février 1853 (30), dans laquelle Victor Hugo reprend certains thèmes abordés dans les Odes ou dans (en parti- culier dans * Fonction du poète »). Il s'agit d'un poème apocalyp- tique, sorte de jugement dernier dicté par Dieu au poète :

J'étais comme est un prêtre au seuil du saint parvis, Songeant, et, quand mes yeux se rouvrirent, je vis L'ombre : l'ombre hideuse, ignorée, insondable, De l'invisible Rien vision formidable, Sans forme, sans contour, sans plancher, sans plafond, Où dans l'obscurité l'obscurité se fond ; Point d'escalier, de pont, de spirale, de rampe ; L'ombre sans un regard, l'ombre sans une lampe ; Je vois de l'inconnu, d'aucun vent agité ; L'ombre, voile effrayant du spectre Éternité (31).

Le poète se fait prophète, voyant ; il délivre une cosmogo- nie ; il prend la place du prêtre (contre le parti prêtre). C'est alors, précisément, que Victor Hugo fait une nouvelle expérience de spi- ritisme et ceci, grâce à l'arrivée de Delphine de Girardin à Jersey, le 6 septembre 1853. Ancienne égérie des écrivains romantiques, auteur elle-même, femme d'Emile de Girardin, l'inventeur de la presse à quarante francs, elle était une vieille amie de Victor Hugo. Lorsqu'elle lui rendit visite à Jersey, elle était déjà fortement marquée par le cancer qui allait l'emporter deux ans plus tard. Elle apportait aux exilés les dernières nouvelles de Paris. Or, en cette année 1853, Paris était en proie à une nouvelle vague de spiri- tisme. « Pendant près d'une année - raconte Alex Erdan, ancien QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes collaborateur de l'Événement (32) et auteur d'une France mystique - Paris et la France furent occupés à faire tourner les tables. Ce fut une'monomanie universelle. /.../Bref, la table parlante fut l'événement caractéristique de l'année 1853, le point de mire de tous les esprits. » Comment les exilés ne se seraient-ils pas intéressés à ce phénomène ? Ne fût-ce que pour se divertir. Certains ont décrit leur existence comme celle de morts-vivants perdus au milieu des vagues. Toute distraction était la bienvenue, surtout si elle cadrait avec les préoccupations du maître des lieux. Après quelques essais infructueux, la table se met à parler pour la première fois, le 11 septembre 1853, en présence de Victor Hugo, de sa femme, de ses fils Charles et François-Victor, de sa fille Adèle, du général Flô, de M. de Treveneuc et d'Auguste Vacquerie. C'est madame de Girardin et Vacquerie qui se mettent à la table. C'est madame de Girardin qui pose les premières questions et, comme par enchantement, c'est l'esprit de Léopoldine qui se manifeste, pour dire que c'est le Bon Dieu qui l'envoie, qu'elle est dans la lumière, qu'elle est heu- reuse, qu'elle voit la souffrance de ceux qui l'aiment et qu'elle reviendra (33)- On comprend l'émotion de l'assistance et son envie de se livrer à une autre séance dès le lendemain. Cette fois, c'est Victor Hugo qui pose les questions et à sa grande stupéfaction qui fait très vite place à une non moins grande satisfaction, c'est l'esprit de Napoléon III qui se présente devant lui (pendant que l'Empereur dort aux Tuileries). Envoyé par son oncle, il avoue à son adver- saire qu'il le craint (contrairement à Lamartine et Cavaignac), que Napoléon-le-Pettt est un livre terrible, qu'il a par avance lu ses devoirs dans le recueil non encore publié des Châtiments, qu'après lui la France sera républicaine (34). Quelques jours plus tard, Napoléon Ier vient lui-même maudire son neveu et conforter Victor Hugo dans son combat : « Au secours ! à l'assassin ! Ma race me sacrifie ; elle pille ma vie ; elle assassine ma mort. Ô ma vieille garde ! ô mes drapeaux ! ô mes victoires ! ô mon fils ! Austerlitz, ô pureté du sang versé pour la patrie ! ô mon saule ! ô idée, viens à mon aide ! Mon titre usé salit ma gloire. On vole mes os. Ah ! suaire ferme- toi ! Le violateur de la France a violé la sainteté du tombeau. Le fossoyeur Bonaparte ronge le mort Napoléon (35). »

JI56 QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes

Ce sera ensuite le tour des confrères : Chateaubriand (qui a beaucoup apprécié Napoléon-le-Petif), Dante (qui a bien entendu lu « La Vision de Dante », destinée d'abord aux Châtiments, mais publiée seulement vingt-cinq ans plus tard), Eschyle, Molière, Cervantes et bien d'autres. Parmi les plus diserts, Shakespeare qui, après avoir affirmé la supériorité du français sur l'anglais, dicte, au cours de plusieurs séances, trois longs poèmes en alexandrins fran- çais. Si l'art est immortel sur Terre, il est inutile au ciel, devant Dieu :

Laissons donc, ô vivants, nos œuvres à la terre, Les hommes à genoux en seront les valets ; Mais lorsque vous viendrez chez le maître Mystère Laissez cette poussière au seuil de son palais.

Seuls, vous ne passez pas dans le monde où l'on passe, Dans la vie où l'on meurt, l'art est seul immortel, Mais avant d'approcher l'Éternel face à face Suicidez-vous tous à la porte du ciel (36).

Toutefois, pour les hommes, l'art garde toute sa valeur de témoignage et Shakespeare remercie Victor Hugo de continuer l'œuvre de ses aînés. Il n'en fallait pas plus pour déchaîner l'enthousiasme d'Auguste Vacquerie qui a établi le protocole de quelque soixante- dix séances. Fin février 1854, il écrit à Paul Meurice : « Je n'ai jamais été plus en train. Je fais de tout, entre autres choses beau- coup de vers. Shakespeare, Eschyle et Molière sont venus nous parler en vers. Au commencement, cela a été à merveille ; ils fai- saient leurs vers et nous les donnaient pour rien avec la prodiga- lité des génies morts ; mais ils sont devenus plus exigeants et ne veulent plus répondre que quand on les interroge en vers. Viens donc ici. Tu manques tout simplement la seule chose qui vaille la peine de vivre. » Les procès-verbaux de Vacquerie n'ont été publiés qu'en 1923. Ils n'étaient pas totalement inconnus. Paul Meurice avait communiqué quelques fragments à des curieux dès la fin du XIXe siècle. Mais la critique de la IIIe République n'était pas très friande de ce genre de révélation ; sans doute craignait-elle que l'on accusât le grand homme d'obscurantisme. Mais à l'époque où QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes les surréalistes se livraient à des expériences analogues, le moment semblait venu de s'intéresser à cet aspect de la religion de Victor Hugo. Toutefois, Gustave Simon n'a publié qu'un choix. Il voulait surtout montrer que Victor Hugo n'avait emprunté aux tables aucun de ses vers. Sans doute, sa démonstration n'aurait- elle pas été aussi nette s'il avait publié l'intégralité des quatre cahiers. Tous les protocoles ne sont pas de Vacquerie ; certains ont été établis par Hugo lui-même, par sa femme, par Adèle. Après Gustave Simon, d'autres textes ont été révélés par une série de livres et d'articles : de Claudius Grillet (37), de Paul Hazard (38), de Henri Guillemin (39), la publication la plus importante étant celle de Maurice Levaillant en 1954 (40). Enfin, le dossier a été considérablement augmenté et complété en 1968 par Jean et Sheila Gaudon ; il figure au tome IX de l'édition des Œuvres com- plètes publiée par Jean Massin (4l) [1968]. Or, depuis la publica- tion de Jean et de Sheila Gaudon, de nouveaux documents ont fait leur apparition. À l'origine, le « livre des tables » se composait de quatre cahiers ; ils ne figurent pas dans l'inventaire des papiers établi par Me Gatine après la mort du poète, mais ils ont été exposés à la Maison Victor Hugo en 1933. Après quoi, ils disparaissent à nou- veau. L'un d'entre eux passe dans une vente en 1962 et entre à la Bibliothèque nationale. Un autre suit quelques années plus tard. Ce sont ces deux cahiers, plus des fragments, qui ont été exposés à la BNF à l'occasion du bicentenaire de la naissance du poète.

L'impact des tables

Que nous apprennent les livres des tables ? Pour la plus grande partie, rien que nous ne sachions déjà avec plus ou moins de certitude. Comme les expériences des tables tournantes prati- quées de nos jours, celles de Jersey confirment d'abord ce que le groupe réuni autour de la table pense, ouvertement ou de façon inavouée. Il s'agit de vérifier ses repères, de rappeler certaines valeurs. Il s'agit donc de rassurer. Aussi longtemps que les exilés vivaient à Bruxelles, ils évoluaient au milieu d'une société structu- QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS Ou sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes rée ; ils avaient des contacts avec Paris, avec Londres. À Jersey, ils étaient repliés sur eux-mêmes, tournant en rond, sans véritable perspective. Même le courrier arrivait irrégulièrement. Il était d'ailleurs étroitement surveillé. Il n'est donc pas étonnant que le groupe ait eu besoin de réconfort, et quelle aubaine de recevoir celui-ci d'un au-delà, fût-il de pacotille. Ainsi, les grandes idées politiques de Victor Hugo et ses convictions esthétiques sont-elles passées en revue. À travers la table sont réaffirmés, voire ressassés les principes essentiels de sa philosophie, de sa politique, de sa religion. Mais le regard est également entraîné au-delà de l'horizon forcément limité d'une petite île peuplée d'exilés, tantôt exaltés, tantôt déprimés, toujours impatients. Victor Hugo, paralysé dans son action politique immédiate, se souvient qu'il est un grand poète romantique, un poète du mystère et de la mort, un poète de l'in- conscient. Les tables lui rappellent quelles sont les sources de son lyrisme. Elles l'aident à faire son travail de deuil et le poussent à écouter à nouveau et avec une attention accrue ce que dit la bouche d'ombre. Elles contribuent ainsi à créer un climat favorable à l'éclo- sion des Contemplations. La plupart des poèmes qui composent la deuxième partie du recueil ont en effet été écrits à Jersey entre septembre 1853 et août 1855. Ce sont les mois les plus féconds de toute la carrière de Victor Hugo. Le volume paraîtra en avril 1856, un an et deux mois exactement avant les Fleurs du mal (42). À l'égard des tables, Victor Hugo semble avoir oscillé entre méfiance et crédulité. Par moment, il avait l'impression que la table allait lui révéler une nouvelle cosmogonie. Dans une lettre du 4 janvier 1855 à madame de Girardin, il précise que « tout un système quasi cosmogonique, par moi couvé et à moitié écrit depuis vingt ans, avait été confirmé par la table avec des élargisse- ments magnifiques (4.3) ». En effet, c'est à l'époque des tables qu'il conçoit son grand poème « Satan pardonné » qui devait relater la remontée, à la fin des temps, de Lucifer vers la lumière originelle, l'existence du mal ayant été l'une des conditions nécessaires de la création. Comme dans Éloa de Vigny, l'Ange Liberté vaincra Satan, avec la complicité de celui-ci, car il n'a jamais cessé d'aimer Dieu... On aura reconnu , qui restera fragment et ne paraîtra qu'en 1886, un an après la mort de son auteur. QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes

De même, le grand poème « Ce que dit la bouche d'ombre » qui termine la dernière section des Contemplations n'est pas sans rapport avec la séance du 24 avril 1854 au cours de laquelle la table demande au poète des vers appelant la pitié sur les êtres et les choses.

Pourquoi, vous, poètes, parlez-vous toujours avec amour des rosés et des papillons et jamais des chardons, des champignons vénéneux, des crapauds, des limaces, des chenilles, des mouches, des vers, des acarus, des vermines, des infusoires ? Assurément ce sont là des êtres malheu- reux ; et les cailloux et les coquillages donc ! Pourquoi ne parlez-vous pas des punaises ? des puces ? des poux ? des scolopendres ? des scor- pions ? des cancrelas, des crabes, des homards, des oies ? Pourquoi ne plaignez-vous pas les souffrances des êtres immondes ? Pourquoi ne plai- gnez-vous pas les tortures des infiniment petits, condamnés à être l'ex- crément de l'infiniment grand (44) ?

Les fleurs souffrent sous le ciseau, Et se ferment ainsi que des paupières closes ; Toutes les femmes sont teintes du sang des rosés ; La vierge au bal, qui danse, ange aux fraîches couleurs, Et qui porte en sa main une touffe de fleurs, Respire en souriant un bouquet d'agonies. Pleurez sur les laideurs et les ignominies, Pleurez sur l'araignée immonde, sur le ver, Sur la limace au dos mouillé comme l'hiver, Sur le vil puceron qu'on voit aux feuilles pendre, Sur le crabe hideux, sur l'affreux scolopendre, Sur l'effrayant crapaud, pauvre monstre aux doux yeux, Qui regarde toujours le ciel mystérieux ! Plaignez l'oiseau de crime et la bête de proie.

LJ

Sur ces tombeaux vivants, marqués d'obscurs arrêts, Penchez-vous attendri ! versez votre prière ! La pitié fait sortir des rayons de la pierre. Plaignez le louveteau, plaignez le lionceau. La matière, affreux bloc, n'est que le lourd monceau Des effets monstrueux, sortis des sombres causes. Ayez pitié ! voyez des âmes dans les choses. Hélas ! le cabanon subit aussi l'écrou ; Plaignez le prisonnier, mais plaignez le verrou (45). QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes

À d'autres moments, Victor Hugo insiste sur le fait qu'aucun des vers dictés par la table ne se retrouve dans son œuvre. « Jamais je n'ai mêlé à mes vers un seul des vers venus du mystère, ni à mes idées une seule de ces idées. Je les ai toujours religieuse- ment laissés à l'inconnu, qui en est l'unique auteur. /...] La muraille qui sépare ces deux faits doit être maintenue, dans l'intérêt de l'observation et de la science (46). » Lorsque le poète précise de cette façon son rôle, il est revenu des expériences de Jersey. Elles s'étaient terminées en juillet 1855. Il en parle désormais avec déta- chement, mais sans rien renier. Ainsi dans son William Shakespeare, lorsqu'il établit un parallèle entre le trépied des anciens, notam- ment celui de Delphes, et les tables tournantes : « Du reste, quoi que la crédulité en ait dit ou pensé, ce phénomène des trépieds et des tables est sans rapport aucun, c'est là que nous voulons en venir, avec l'inspiration des poètes, inspiration toute directe. La sibylle a un trépied, le poëte non. Le poète est lui-même trépied. Il est le trépied de Dieu (47). » Les tables, il n'y a pas de doute, ont conforté Victor Hugo dans son rôle de mage. Au cours des deux années que duraient ces expériences, tous les grands problèmes de la philosophie hugolienne défi- laient : le problème du mal, l'échelle des êtres, le paradis futur de la civilisation universelle, la loi des progrès dans le règne animal et dans le règne humain. Mais aucune des réponses de la table n'apporte un élément que l'on ne retrouverait pas dans un ou plu- sieurs textes de l'immense œuvre de Victor Hugo. Aussi l'intérêt pour ces séances allait-il diminuant. Il est vrai que des accidents étaient survenus, comparables d'ailleurs aux accidents que connaî- tront dans des circonstances analogues les surréalistes. L'esprit d'un des participants, J. Allix, se désagrégeait, en quelque sorte, sous les yeux des participants. On enregistra des défections. Le fidèle secrétaire des séances, Auguste Vacquerie, ne peut lui-même réprimer son scepticisme : '« Tu as reçu mes procès-verbaux des tables, n'est-ce pas ? écrit-il à Paul Meurice vers la fin de 1854. Nous continuons à causer avec elles, moins passionnément, car je penche beaucoup plus à croire maintenant qu'ils [les esprits] nous rendent notre pensée, et que c'est tout bonnement un effet de mirage (48). » Faut-il, après cet aveu, se perdre encore en conjec- .QUELS RQMANIIQUES SQMMESJOUS? Du. sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes turcs sur la réalité de l'existence des esprits et leur présence dans les tables ? Une fois la parenthèse refermée, en été 1855, elle ne se rouvrira plus jamais. Les tables avaient donné ce qu'elles pou- vaient offrir à un moment précis de la carrière du poète. Victor Hugo et les siens étaient d'ailleurs obligés de quitter Jersey en octobre de la même année. Quelle est finalement l'influence de cette expérience de spi- ritisme sur l'œuvre et sur la pensée de Victor Hugo ? Les historiens - à la suite du poète lui-même - l'ont tantôt exagérée, tantôt mini- misée. S'il arrive à Hugo de penser que les révélations faites par la table de Marine-Terrace et publiées après la mort des exilés fonde- ront une « nouvelle religion qui englobera le christianisme en l'élar- gissant, comme le christianisme avait englobé le judaïsme », il ne manque pas de préciser, à d'autres moments, qu'aucune des phrases, qu'aucun des vers dictés par la table ne sont entrés dans son œuvre qui n'appartient qu'à lui. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler une fois encore que, arrivé à Jersey en août 1852, le poète est d'abord occupé par la confection et la publication des Châtiments. Si ce recueil marque, après des années de prose, le retour de Victor Hugo à la poésie, ce n'est pas encore de poésie pure qu'il s'agit, mais bien de poésie militante, faisant écho à l'Histoire d'un crime et à Napoléon-le-Petit. Or, l'isolement, la solitude, le contact avec la nature favorisaient d'autres formes de lyrisme, à la fois intimes et cosmiques. L'expérience des tables a contribué à Péclosion de celles-ci. Elles n'ont pas inspiré les Contemplations, ni la Fin de Satan ; mais elles ont créé un climat dont ces œuvres ont profité. Elles ont contribué à révéler Victor Hugo à lui-même : « Dans l'exil (Contemplations, 1856) j'ai dit le mot qui explique toute ma vie : J'ai grandi (49). »

1. Voir par exemple Robert Turcan, les Cultes orientaux dans le monde romain. Les Belles Lettres, 1979. 2. Michel Winock, les Voix de la liberté, Le Seuil, 2001, p. 11 ; livre qui ne contient pas moins de trois chapitres consacrés à Victor Hugo et à son engagement poli- tique. QUELS ROMANIIQUES SOMMESJOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes

3. Parfaitement mise en lumière, aussi, par Philippe Muray, te XIXe Siècle à travers les âges, Denoël, 1984 ; réédition Gallimard, 1999, coll. « Tel ». 4. Chateaubriand, Essai sur les révolutions. Génie du christianisme, p. p. Maurice Regard, Gallimard, 1978, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 428 ss. M. Regard, dans ses commentaires (p. 1574), rapproche, de façon très pertinente, la question posée par Chateaubriand de cette remarque de Joseph de Maistre, dans les Considérations sur la France (Neuchâtel, 1796, Londres, 1797) : « La Révolution est une lutte à mort entre le christianisme et la philosophie. Ou bien la Révolution vaincra et une nouvelle religion apparaîtra, mais ce sera une religion satanique, ou bien le christianisme l'emportera et alors apparaîtra une nouvelle société rajeunie. » 5. Voir Marc Fumaroli, « Les abeilles et les araignées », étude figurant en tête de l'anthologie de textes consacrés à la Querelle des Anciens et des Modernes (XVII" et XVIIie siècles), Gallimard, 2001, coll. « Folio classique ». 6. Exception faite d'une exposition consacrée au Génie du christianisme à la Vallée- aux-Loups dont il reste un excellent catalogue et d'un colloque de la Société Chateaubriand (Paris, 14 et 15 octobre 2002). 7. Voir Paul Bénichou, le Sacre de l'écrivain (1750-1830). Essai sur l'avènement d'un pouvoir spirituel laïque dans la France moderne, José Corti, 1973 ; réédition Gallimard, 1996 ; le Temps des prophètes. Doctrines de l'âge romantique, Gallimard, 1977 ; les Mages romantiques, Gallimard, 1988 ; l'École du désenchan- tement (Sainte-Beuve, Nodier, Musset, Nerval, Gautier), Gallimard, 1992. 8. Victor Hugo, Œuvres complètes, édition chronologique publiée sous la direction de Jean Massin, Le Club français du livre, t. VIII, 1968, p. 1120. Cité désormais ŒC, suivi du tome et de la page. 9. Voir l'étude fondamentale d'Auguste Viatte, tes Sources occultes du Romantisme : illuminisme-théosophie (1770-1820), Champion, 1928, réimpression 1965. 10. Auguste Viatte, Victor Hugo et les illuminés de son temps, Montréal, Les Édi- tions de l'Arbre, 1942 ; Genève, Slatkine Reprints, 1973 et 2002. 11. Voir Maurice Levaillant, la Crise mystique de Victor Hugo (1-843-1856), d'après des documents inédits, Paris, José Corti, 1954. 12. ŒC, N, 473. 13. Voir Gérard Vinzac, les Origines religieuses de Victor Hugo, Blond et Gay, 1955. 14. ŒC, I, 836. Bien plus tard, dans un Carnet publié par Henri Guillemin et cité en note, Victor Hugo écrira : « Ma mère n'aimait pas les prêtres : cette forte et aus- tère femme n'entrait jamais dans une église ; non à cause de l'église, mais à cause des prêtres. Elle croyait à Dieu et à l'âme ; rien de moins, rien de plus. » 15. Voir la lettre de Léopold Hugo à son fils, du 3 septembre 1822 : « Quant à l'ex- trait baptistaire, la chose est plus difficile, car ta mère ne t'a pas fait donner le sacrement qui te fait chrétien, je suis parfaitement sûr que tu ne l'as pas eu. » ŒC, II, 1354. On trouvera l'ensemble des documents connus à ce jour dans la note de Jean Massin, « Victor Hugo face au baptême », ŒC, II, 1371-1379.

1631 QUELSRQMANIIQUESSOMMESJJOUS? Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes

16. ŒC, 11,712-713. 17. ŒC IX, 1497. 18. ŒC, 1,811. 19. ŒC IX, 354 et 361. 20. Auguste Viatte, Victor Hugo et les illuminés de son temps, op. dt, p. 157-158. 21.ŒC, II, 5. 22. ŒC V, 562. 23. ŒC IX, 90. 24. Victor Hugo, Œuvres complètes, Laffont, coll. « Bouquins », Critique, p. 518. 25. ŒC VII, 725. 26. Victor Hugo par lui-même. Le Seuil, 1959, coll. « Les Écrivains de toujours », p. 16. 27. Voir Guy Rosa, « 1848 : trois écrivains face à l'histoire [Hugo, Michelet, Flaubert] », 48/14. La Revue du musée d'Orsay, n° 8, printemps 1999, p. 58-83, ainsi que Michel Winock, « Victor Hugo devient républicain », dans les Voix de la liberté, op. cit., p. 347-359. 28. ŒC, VIII, 1033. 29. Les Châtiments, VI, 15 ; ŒC, VIII, 736. 30. Destinée d'abord à servir de conclusion aux Châtiments, mais publiée vingt- cinq ans plus tard seulement. 31.ŒC VIII, 818-819. 32. Le journal dirigé par Victor Hugo. 33. Voir ŒC IX, 1186ss. 34. ŒC IX, 1193. 35. ŒC IX, 1232. 36. ŒC, XI, 1305. 37. Victor Hugo spirite, Paris, Lyon, Emmanuel Vitte, 1929. 38. Avec Victor Hugo en exil, Paris, Les Belles Lettres, 1931. 39. Dans le Figaro littéraire du 26 février 1949 et du 20 décembre 1952, ainsi que dans la Revue de Paris de septembre 1952. 40. La Crise mystique de Victor Hugo (1843-1856), d'après des documents inédits, Paris, José Corti, 1954. Faut-il rappeler que José Corti était un proche d'André Breton ? 41. Club français du livre, 18 volumes, 1967-1970. Ainsi « Ce que disent les tables » se trouve inclus dans les œuvres de Victor Hugo, ce qui n'est plus le cas dans l'édition « Bouquins », publiée sous la responsabilité de Jacques Seebacher et de Guy Rosa (Paris, Laffont, 1985-1989, 15 volumes réédités en 2002). 42. Voir, pour de plus amples détails, la thèse de Jean Gaudon, le Temps de la contemplation. L'œuvre poétique de Hugo de 1845 à 1856, Flammarion, 1969. 43. ŒC, IX, 1087. 44. ŒC, IX, 1360. 45. ŒC, IX, 385. 46. La Légende des siècles, cité par A. Viatte, op.cit, p. 146-147.

I64 QUELS ROMANTIQUES SOMMES-NOUS Du sublime au grotesque Victor Hugo, Dieu et les tables tournantes

47. William Shakespeare, cité d'après Victor Hugo, Œuvres complètes, Laffont, 1985, coll. « Bouquins », Critique, p. 262-263. 48. Cité par Maurice Levaillant, op. cit., p. 201. 49. Note de 1868, Œuvres complètes, Laffont, 1989, coll. « Bouquins », Océan, p. 286.

• Professeur de littérature française à l'université de Baie (Suisse). Robert Kopp est directeur littéraire de la collection « Bouquins Laffont ».

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