Marcel Pagnol, Marcel Achard, Henri Jeanson
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MARCEL PAGNOL, MARCEL ACHARD, HENRI JEANSON Il existait vers 1926, square Louvois, tout près de la Biblio• thèque Nationale, une petite auberge tenue par deux anciens comé• diens, dont l'enseigne « La Fleur de Lys » reflétait les opinions politiques du patron nommé Hauterive, un fort brave homme farouchement royaliste. De son ancien métier d'acteur qu'il avait autrefois exercé à L'Œuvre de Lugné Poé, il avait gardé, comme sa femme, la passion du théâtre d'avant-garde, et une sympathie déférente pour les jeunes auteurs, espoirs de la scène de demain, sympathie qui se traduisait par une précieuse négligence à pré• senter sa note. Cette heureuse particularité, transmise de bouche à oreille à travers le jeune théâtre de l'après-guerre, n'avait pas tardé à réunir autour de ce moderne Raguenau la fine fleur, bril• lante mais impécunieuse, de la nouvelle génération dramatique qui, ayant peu à peu fait fuir les rares clients de l'établissement, avait fini par s'y installer comme chez elle. On rencontrait là dans une atmosphère de camaraderie bon enfant, ponctuée de discussions véhémentes sur l'avenir du théâtre, deux jeunes rédacteurs de Bonsoir dont Alfred Savoir assurait la direction de la page consacrée à la scène. L'un en était le « soiriste » et arrivait de Lyon, l'autre, Parisien pur sang en était le cour• riériste. Le premier se nommait Marcel Achard, le second Henri Jeanson. Un autre assidu de « La Fleur de Lys » était un jeune comédien-auteur, élève de Trufïier qui s'appelait Jean Sarment. Drapé dans une cape romantique et féru de poésie, il était accom• pagné de sa jeune femme la blonde comédienne Marguerite Val- mond, qui venait de débuter à la scène avec succès. On rencon• trait aussi Steve Passeur, péremptoire et sarcastique, au demeurant MARCEL PAGNOL, MARCEL ACHARD, HENRI JEANSON 523 le meilleur camarade du monde et débordant de talent, Jacques Natanson toujours entraîné dans des aventures féminines compli• quées, le comédien Georges Lannes qui devait faire carrière au cinéma, son frère le dessinateur Pol Rab, qui disparut trop jeune. On y voyait aussi parfois un jeune peintre, frais émoulu de son Nancy natal qui ignorait encore qu'il allait devenir à bref délai un maître de l'affiche et le décorateur de la Revue Nègre dont la révélation allait être une jeune noire de Harlem, totalement inconnue : Joséphine Baker. Pol Rab avait eu l'idée de réunir périodiquement en un dîner mensuel qui avait lieu au restaurant de « La Belle Aurore », proche du Marché Saint-Honoré, la plupart des habitués de « La Fleur de Lys » au quels se joignit bientôt tout ce qui commençait à compter dans le jeune théâtre, sous le nom de « dîner des moins de trente ans ». De ce dîner auquel participaient de jeunes journalistes comme Paul Achard qui venait d'Alger, le niçois Paul Gordeaux, inven• teur du mot « bla-bla-bla », Pierre Seize, des dessinateurs tels que Jean-Loup Forain, sortit peu à peu ce que l'on nomma à l'époque le mouvement des « moins de trente ans », qui eut sur le plan dramatique un certain retentissement et présenta durant un cer• tain temps une réelle cohésion. Il n'exprimait pas une tendance littéraire ou dramatique clairement définie, chacun de ses membres étant très différent des autres, mais plutôt un commun désir de renouvellement des formes littéraires ou dramatiques, en même temps qu'une inquiète protestation contre la situation lamentable à laquelle était tombé le théâtre dans J'immédiat après guerre. Cette inquiétude de la nouvelle génération était largement justifiée. Dans le tohu-bohu de la guerre, avec l'avènement de nouvelles couches de spectateurs ayant bénéficié du conflit et qui ne deman• daient au théâtre qu'un simple délassement, la qualité de la scène française s'était fortement dégradée. Les théâtres du Boulevard étaient dans les mains d'hommes nouveaux, commerçants avisés, dont la culture rudimentaire et les préoccupations strictement commerciales interdisaient tout espoir de se voir joués un jour aux jeunes écrivains que ne tentait pas la gaudriole. On était en pleine époque Phi-Phi. Un ancien photographe marseillais devenu mar• chand de billets de théâtre à prix réduits, Gustave Quinson, contrô• lait directement ou indirectement une dizaine de scènes qu'il alimentait en spectacles grâce à la production en série d'une équipe de fournisseurs attirés parmi lesquels brillaient au premier rang 524 MARCEL PAGNOL, MARCEL ACHARD, HENRI JEANSON Albert Willemetz, un des auteurs de Phi-Phi, Louis Verneuil, Yves Mirande qui valait mieux que cette besogne, Mouëzy-Eon notoire fabriquant de vaudevilles, et quelques autres. Un marchand de programmes au Moulin Rouge, Léon Volterra, qui avait commencé sa fortune pendant la guerre en achetant à un bookmaker nommé Dumien le music-hall de l'Olympia pour seize mille francs au moment où tous les théâtres étaient fermés, avait remplacé la grande Réjane, morte en 1920, à la direction de la salle qu'elle avait illustrée de son nom. Il allait y joindre rapide• ment la direction de l'Apollo, du Casino de Paris et du Théâtre Marigny. Le Vaudeville, devenu aujourd'hui le cinéma Paramount, était entre les mains d'un ancien comédien, Victor Silvestre, per• sonnage pittoresque, dont la carrière mouvementée de directeur fourmillait d'anecdotes savoureuses. C'est lui qui, recevant un créancier dans son cabinet directorial qu'il venait de retrouver alors qu'il venait de subir une opération douloureuse, avait eu ce mot, resté célèbre — « Monsieur, quand un homme vient de souffrir ce que j'ai souffert, il ne doit plus rien à personne ! ». Les frères Isola, deux anciens prestidigitateurs, au reste gens charmants, gouvernaient la Gaieté Lyrique et s'apprêtaient à diriger le Théâtre Mogador. Tous ces gens se moquaient de l'art dramatique comme d'une guigne, ne voyant dans le théâtre qu'une occasion de réaliser des affaires fructueuses. Il ne fallait pas compter qu'ils assumeraient le moindre risque financier pour permettre les débuts d'un jeune auteur. De leur côté les écrivains de théâtre confirmés, soucieux de préserver leur indépendance et de continuer à voir représenter leurs oeuvres sans être contraints de subir une dictature commerciale, voire la collaboration imposée d'un Quin• son, qui se piquait aussi d'être auteur dramatique, durent se faire eux-mêmes directeurs afin d'assurer la représentation de leurs propres pièces, échappant ainsi aux fourches caudines de ce trust de la médiocrité. Henry Bernstein au Gymnase, Sacha Guitry au Théâtre Edouard VII, Edouard Bourdet à la Michodière, Alfred Savoir aux Mathurins exploitèrent leur répertoire dans des salles dont ils assumaient directement ou indirectement la direction financière. Devant cette situation toute nouvelle, la Société des Auteurs fut obligée de modifier ses statuts qui interdisaient à un directeur de se jouer lui-même. Mais ces auteurs connus, aimés du public, ne prenaient pas de tels risques dans le dessein de faciliter la carrière MARCEL PAGNOL, MARCEL ACHARD, HENRI JEANSON 525 de leurs cadets. Ils géraient leurs propres affaires sans se soucier le moins du monde de faciliter celles de jeunes gens qui ne pou• vaient devenir que des concurrents. La nouvelle génération d'écri• vains de théâtre se trouvait donc en 1920 devant un barrage aussi hermétique que celui qu'avait, trente cinq ans plus tôt, emporté d'assaut celle des auteurs du Théâtre Libre. Antoine, toujours passionné et dynamique, mais ruiné, ne possédait plus le théâtre qui eût permis de cristaliser les forces neuves et de faire la brèche. Il ne pouvait aider les jeunes gens que par la plume et la parole. Ce qu'il fit jusqu'à la fin de sa vie. Trois hommes allaient assurer la relève et se partager la besogne de bon jardinier qu'il avait jadis accomplie seul. Deux de ces hommes étaient des anciens lieutenants d'Antoine, le troisième était un nouveau venu : Gémier, Lugné-Poé, Jacques Copeau. Jacques Rou- ché, dès 1912, leur avait ouvert le premier la voie. C'est seulement dix ans plus tard que leurs successeurs du cartel, qu'ils avaient formés et éduqués élargirent peu à peu le mouvement et parvinrent, après bien des difficultés à y intéresser le grand public. Ils trouvaient au départ une doctrine, depuis longtemps formulée par Rouché, des salles, des écoles, des interprètes, des auteurs, une certaine fraction du public déjà alertée, une presse dont la partie jeune devait les soutenir. Ils le devaient aux hommes qui les avaient formés : Jacques Rouché pour Copeau, Copeau lui-même pour Jouvet et Dullin, Gémier pour Gaston Baty, Lugné Poé pour la plupart des nouveaux écrivains de la scène. Nulle part il n'y eut rupture, mais seulement transmission. Je m'étais lié à cette époque d'une étroite amitié qui dure encore avec Henri Jeanson et Marcel Achard. Il m'est impossible d'évoquer cette première décade de l'après-guerre sans que m'appa- raissent aussitôt les visages de ces deux compagnons de ma jeu• nesse, à la fois si semblables et si différents. • Henri Jeanson habitait encore chez ses parents, non loin du Jardin des Plantes. Je n'ai jamais su ce que faisait son père. Sa mère était employée au services des comptes-courants à la B.N.C.I., Boulevard des Italiens. Jeanson écrivait à Bonsoir et dans diffé• rents journeaux des articles mordants, étincelants d'esprit et de bon sens. Il attaquait par le ridicule tout ce qui nous semblait faux 526 MARCEL PAGNOL, MARCEL ACHARD, HENRI JEANSON et suranné. Il vivait dans un état de perpétuelle indignation qui se traduisait par des mots féroces, d'une implacable drôlerie. Il me faisait songer au Bixiou de Balzac. C'est lui qui inventa cette forme de chronique courte, percutante, démontant une oeuvre ou un homme en quelques lignes explosives, qui allait influencer le style de toute une génération de journalistes et dont on peut encore discerner le reflet chez quelques jeunes actuels.