NEWS D'ILL MAGAZINE D’INFORMATION RÉGIONALE JUIN 2008 - N°94 - 3 EUROS - 30 RMB En 30 ans, le contrôle des naissances a bouleversé les structures familiales et sociales chinoises. Entraîné pour la compétition, l’enfant unique réinvente ses repères à la vitesse de la croissance. LaLa muemue dede l’écrevissel’écrevisse BIMESTRIEL D’ENSEIGNEMENT DU JOURNALISME - N° ISSN 0996-9624 - CENTRE UNIVERSITAIRE Région Alsace plus proche de vous

Construire, aménager, rénover et entretenir Promouvoir la création et la transmission les lycées est une priorité absolue pour la d’entreprises, faciliter le démarrage et la Région Alsace. Elle dépense chaque jour réussite des projets innovants ou de haute près de 200 000 euros pour les lycéens de technologie, autant d’exemples d’orientations notre région. conduites par la Région Alsace en matière d’aides aux entreprises alsaciennes. Investir en faveur de liaisons régionales plus rapides, rendre les TER plus attrayants, Donner aux salariés alsaciens la possibilité les gares plus accessibles et les horaires de suivre, en dehors ou sur le temps de mieux adaptés, telles sont les principales travail, un cycle de formation validé par un missions de la Région en matière de diplôme, c’est une façon pour la Région transport ferroviaire. La Région y parvient Alsace de répondre aux demandes notamment en donnant la parole aux individuelles des salariés en recherche d’une usagers lors des Comités Locaux d’Animation nouvelle qualification. égion Alsace / Bourgeois, Sautier ; SNCF de Ligne. tos : R rédits pho C Dans les décombres de Shifang, NEWS D'ILL les aiguilles d’une horloge se sont arrêtées à 14h28, CENTRE UNIVERSITAIRE le 12 mai 2008. D’ENSEIGNEMENT DU JOURNALISME Université Robert Schuman 11, rue du Maréchal Juin BP 13 - 67043 Strasbourg Tél : 03 88 14 45 34 E-mail : redactions@cuej. u-strasbg.fr Directeur de la publication : Alain Chanel Encadrement : Alain Chanel, Xavier Delcourt, Sophie Dufau, Alain Peter, Stéphanie Peurière Rédacteur en chef : Loup Besmond de Senneville Responsable iconographique : Louise Fessard Photo de Une : Louise Fessard/CUEJ Réalisation : Manon Aubel, Roman Bernard, Loup Besmond de Senneville, Marion Bonnet, Sarah Brock, Pierre Demoux, Dorothée Doublet, Louise Fessard, Arthur IC Frayer, Ratiba Hamzaoui, Guillemette regagnant après l'école la ferme sera cinq euros par mois pour le Jolain, Dave Kouliche, Pierre-Louis Instant unique Lensel, Liang Sifan, Guilhem Martin familiale tenue par les grands- restant de leurs jours. Saint-Léon, Fabien Mollon, Mathilde L'enfant, l'enfant roi, l'unique enfant parents en l'absence de ses parents A , où, plus que les tours, Morandi, Victor Nicolas, Anne- de l'enfant unique, celui sur lequel partis chercher fortune à la ville, là- les esprits et les cœurs ont été Louise Sautreuil, Solina Prak, repose le sommet d'une pyramide bas, au Sichuan, la terre a tremblé. ébranlés, les gestes et les Tiphaine Reynaud, Maria Wimmer des âges semblable à un tronc élagué 10 000, peut-être 15 000 enfants ont manifestations de solidarité se sont Infographies : Fabien Mollon et de ses branches. Nous avons imaginé péri, victimes de la nature et d'écoles multipliés. Les larmes du chauffeur Alain Peter Photogravure : Shanghai Arrow le saisir dans sa jeunesse, au cours fragilisées par la pauvreté et la du taxi figé dans son trajet pendant Visual Design and Producing de ces années où, entré dans l'arène, corruption ordinaires. Et avec eux, la minute de silence du recueillement Impression : Print Station, Shanghai dix ans de compétition l'attendent souvent, l'unique richesse, le seul national ont donné chair au verbe de pour construire sa destinée. trésor de leurs parents, s'est évanoui. l'étudiante : « C'est la première fois POUR LA TÉLÉVISION : Et puis, là-bas, au nord-ouest de Pauvre trésor. Sa valeur a été fixée : dans l'histoire de la Chine que le ENCADREMENT : Manuel Halliez, Eric Schings, Joël Turlin cette province où, sur les rives du pour les parents de 50 ans dont il peuple pleure pour le peuple. » ETUDIANTS : Julie Algré, Katleen Bilas, Yangzi, nous l'avions croisé était l'espérance et l'assurance, ce Alain Chanel Eloïse Bruzat, Mihaela Carbunaru, Stéphanie de Silguy, Claire Exbrayat, Christiane Kleer, Magali Kreuzer, Frédéric Lorenzon, Fanny Lothaire, Sommaire Rachel Marusak, Nadja Roell

POUR LA RADIO : ENCADREMENT : Lionel Thompson Tremblement de terre Ma vie sexuelle ETUDIANTS : Fabien Benoît, Aude Boilley, Elina Bouchet, Emmanuelle Le Sichuan a tremblé, les Les rencontres se font à la fac, au karaoké, dans les bars Ferrandini, Mathieu Herry, Rachel Shanghaiens ont été gays ou sur le web. Le sexe est encore un sujet tabou, Knaebel, Gaëlle Laleix, Florent Potier, Annabel Walker secoués. Retour sur la ca- mais certains en parlent sans détours. Pages 22 à 25 tastrophe et les actions de AVEC LE CONCOURS soutien. Wang Shiran, étu- des étudiants chinois du diant dont les parents sur- Trouver un travail Département de journalisme de vivent dans une ville dé- l’Institut art et communication et de l’Institut d’urbanisme et truite, témoigne : extraits Le marché de l’emploi se resserre, les diplômes d’architecture de l’université de son blog. Pages 4 à 7 se dévalorisent. Les relations et l’expérience à l’étranger Joël Turlin/CUEJ Tongji : Chen Mengshu, Chen Xi, sont des atouts précieux, et la fonction publique attire. Deng Yao, Dong Xuefeng, Fan Quelques repères Page 9 Pages 26 et 27 Qiurong, Fang Fan, Guo Bingfei, Hu Linying, Jang Songmin, Li Xialu, Lin Yanzan, Liu Xinxin, Nin Yanyan, Su Gavroche ou petit prince Pas pressés Shu, Sun Li, Sun Shuo, Tao Li, Wang Duo, Wang Shiran, Zeng Xiaojuan, Xin Xin, Zhang Hui, Zhang Yiqing, Les enfants de migrants goûtent à une éducation plus libre Le mariage ? Pas maintenant. Zhou Jing ; de l'Université normale que leurs parents. Autre classe sociale, autre origine : Un enfant ? On verra. Les jeunes de l'Est de la Chine : Chen Qi, l’enfant unique shanghaien, programmé pour le succès, Shanghaiens ne veulent pas se Huang Wei, Guo Mengru, Lan Hui, a un emploi du temps de ministre. Pages 10 et 11 ranger tout de suite. Pages 28 à 30 Tang Xiaoyan ; de la Faculté de Louise Fessard/CUEJ journalisme de Fudan : Tang Lei, Wu Xia ; et Gu Yin, du consulat de France à Shanghai La fac ou chauffeur de taxi Un beau mariage

Pour avoir son rôle à jouer dans la mégapole, l’un Les couples sont pressés par leurs parents de convoler REMERCIEMENTS des passages quasi obligés est le concours d’entrée à dans les règles. Après le « oui » officiel, il faut encore Pour la cinquième année consécutive, l’université. Pour les autres, il s’agit de faire ses preuves attendre la cérémonie, parfois deux ans plus tard, pour le CUEJ a installé le dernier semestre en tant que coiffeur, serveuse, etc. Pages 12 à 15 s’installer sous le même toit. Pages 31 à 33 du parcours de formation de ses étudiants à Shanghai. Merci à tous les étudiants chinois qui pendant un mois Pas de sphère privée Pour mon enfant, je veux... nous ont permis d’aller à la rencontre de la génération de l’enfant unique, et de construire nos magazines. Merci au L’habitat collectif est la norme. Réussir professionnellement et gagner beaucoup vice-président des relations extérieures Les étudiants s’entassent dans les d’argent, ce n’est pas qu’une ambition personnelle. C’est de l’université Tongji pour la dortoirs des campus, les mingongs surtout la condition pour offrir à son enfant la meilleure compréhension active qu’il a dans les baraques de chantier. éducation possible, à Shanghai ou dans la campagne où il manifestée pour notre projet. Merci Marion Bonnet/CUEJ Pages 16 et 17 est resté auprès des grands-parents. Pages 34 à 37 aux responsables de l’Institut art et communication de Tongji pour l’aide précieuse apportée dans la résolution Être quelqu’un Un moment clé de questions logistiques. Merci enfin au professeur Zhou Jian qui, une fois Se façonner une identité : un défi après une enfance Au pays de l’enfant unique, l’accouchement revêt encore, a mis à notre disposition les prémâchée. Tiraillés entre ce qu’on attend d’eux et leurs une importance particulière. Chen Ruiying, 30 ans, locaux de nos salles de rédaction. En aspirations, certains doutent. D’autres trouvent leur voie est gynécologue obstétricienne : elle perçoit au quotidien toute liberté et confiance. dans la religion ou le Parti. Pages 18 à 21 les désirs et frustrations des futurs parents. Page 38 NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 3 Joël Turlin/CUEJ « Deuil national - Le cri », titre le Shanghai Morning Post, le 20 mai. Sur sa pancarte, le jeune homme a écrit : « Résiste Wenchuan (épicentre du séisme), Courage la Chine ». 12/05/2008 - 14h28 Le Sichuan a tremblé

૜ޙЄȕङѮ৏澞м߃ԝЬףEST au septième jour après la mort qu’ici, par tradi- ֨И֢߄О࠸ৱҟȔ’ tion, une cérémonie est organisée pour pacifier l’esprit 澝⫷ںޖȕ͹ЈԡޙङȔҶ֢⫸㖜מCdu défunt. Au matin du 19 mai, les drapeaux sont en И֢Р੧дОߊІ ߚԭӳۨ௲गѽ澝Ҡ࠲▲ӤҸһ׼ЩࡴԈ澞ף঻ܕberne, la Une de tous les journaux est imprimée en noir et ۱߄ blanc, tous les divertissements sont suspendus. Pendant ஭Е୍࠽ְ֪ם֫▲ͫޙtrois jours, toute la Chine est en deuil. Au fil des heures de ଑Фӹङ▲յͫм߃ԝи ङम澞شםךla semaine précédente, l’ampleur du trem- дٕ֚ͫ▲Зչ੼ࣰ࣏ٛЉ blement de terre qui, le 12 mai, a ravagé le 澞ێबлճФ଑▲ࢃ؟םSichuan, une région grande comme l’Es- ପଋৠৌͫ pagne, n’a cessé de grandir.Par internet et ыմљՃઆݹӋܔवͫऄંफݮд㦈ݎportable, chacun s’informe et informe. En ব ֪םثӑͺыћ׷ৄەcontinu, la télévision rapporte en direct la ੴࡵଵݵݙࢳԚङ progression des secours civils et militaires et la détresse de ceux qui ont tout perdu. ஭ե۱٫ߛङѿ஭ՃѮ߯ओґܴवઊ㖲澞 ӑЉؠЩ઀ͫەࡊѽՉӱࡑ߯ͫԬ֪ࣿڢ Des répliques de forte amplitude jettent dans les rues une population que guette le ӑ޾ОЕ㉞澞ەࡈٌ҅૨Չஊמrisque d’épidémie. L’eau est souillée, les କ৒஑஧ conditions sanitaires se dégradent, la pluie ङ⸞׉࢖ЭОٕ֚म٫ۨڥ஭֪֜ͫޞincessante aggrave les glissements de ter- գ ક֪ڢйंͫי澞ஔ࠴Фەகםङ୍ޏrain. Des barrages de roches et de boue ߛ créent de menaçants lacs artificiels : les Դଶӱ֪஭ॄְͫыћவЛवԗ؆૽ٗך -risques de pollution chimique et radioac Loup Besmond de Senneville/CUEJ ॐͫު݇ރ࣒ૅࡑ߯ङ׺਄澞߿݇৏ઋذ tive, dus à la destruction de nombreuses usines sont au maximum. ଎ҷЅыͫ଎мघЅރ૭ыעࢳԚ࠸рͫޙ▲Au 1er juin, le bilan s’élevait, selon les sources chinoises, à « Le deuil » ۬࠲ҹ߃ près de 90 000 morts et disparus, 5 millions de réfugiés, en Une du ੴ࠽ͫ঳֚घмوࡇ۰ل֪ڢmillions de personnes à reloger, 45 millions de personnes Shanghai ыۨԅହ஡ͫ▲घмԝЅ 15 Evening ր澞ڧவङѯ؞չސ澝Љգچaffectées. Il faudra trois ans pour reconstruire. Déjà, la pla- ԝЅы֪֜஭ՉӱЉգ३ nification d’un million d’abris temporaires est engagée. Post, le ৥؍ࢳࡇޞघЅЗЛ▲ͫٶ஬੽Іصⴃਙ؟ڏDans les journaux, la question de la mauvaise qualité des bâ- 19 mai. ੽୍ ࣊׿ङ࣋࠾ћؼݾ؆עФИ澞ପଋ׽ѽͫ䡺ڏtiments scolaires est posée par les parents endeuillés. ֪ٝ֨䶠 Pages réalisées par Sarah Brock et Dorothée Doublet avec Lan Hui, Sun Li, Wang Shiran et Deng Yao ࠡङ઺勵䅅ٗ३ݕӟૅए澞 4 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL « J’ai ma mère au téléphone, j’entends le chaos autour d’elle »

Wang Shiran, 20 ans, est étudiant en communica- Sichuan et n’a toujours aucune nouvelle de sa que j’étais à Dujiangyan. L’après-midi, je vais tion. Il y a deux ans, il a quitté Dujiangyan, dans famille. Sur internet, il a vu que sa maison avait jouer au basket. J’ai appelé ma maman ce soir. le Sichuan, où il est né, pour faire ses études à été détruite. Il est si inquiet… Il me dit que s’il Elle m’a dit que huit vies ont pu être sauvées. Shanghai. C’est depuis l’université Tongji qu’il a ne parvient pas à contacter les siens avant Elle s’est lavé les cheveux. Mon père lui a appris le drame du 12 mai. Sur son blog (1), dimanche, il doit se préparer au pire. Je l’aide à acheté des vêtements à . Mon Wang Shiran raconte des instants de vie. Inca- prendre contact avec ses proches. J’ai de la colocataire me soutient en m’invitant à dîner. pable d’écrire après le séisme, il s’y est remis le chance, je réussis à joindre son père, qui me dit Dimanche, je suis immobile et ne veux rien 19 mai et raconte, d’un seul jet, une semaine d’angoisse et d’inquiétude. que toute sa famille est épargnée. Il ne reçoit faire. Il pleut dehors. Je reste à la maison. Au toujours pas les nouvelles de l’extérieur et me programme : jeux vidéo toute la journée. Puis je demande plusieurs fois si son fils va bien. prends un dîner copieux. Maman me dit que A terre a tremblé, il y a tout juste Aujourd’hui mercredi, je réussis enfin à avoir l’homme bloqué dans un immeuble a été sauvé. une semaine. Aujourd’hui, lundi ma mère au téléphone : ils dorment tous dans la Elle n’a pas réussi à trouver le sommeil pendant 19 mai, le deuil national voiture et ont toujours de quoi manger deux jours et elle me dit que mon institutrice, commence et va durer trois jours. suffisamment. Cette nuit, je regarde une vidéo son mari et sa mère sont morts. Par ailleurs, la «LA 14 heures 28, l’alarme se sur Dujiangyan, prise par un amateur, un docteur mère de mon professeur de dessin est morte. Il a déclenche. Elle marque le début qui a filmé dans une ambulance. Je pleure toutes embrassé ma mère en pleurant. Autour d’un des trois minutes de silence, observées par toute les larmes de mon corps en la regardant, sans bâtiment détruit, des immeubles se sont la Chine en mémoire des victimes du Sichuan. arriver à me contrôler. Toutes les rues sur cette écroulés. Personne n’ose y aller pour secourir Encore une fois, je me mets à pleurer. vidéo, tous les immeubles de ce film me les éventuelles victimes. Les survivants sont Quand j’apprends la nouvelle, je suis en cours. rappellent des souvenirs de mon enfance. allés voir ma mère à son travail. En larmes, ils Une amie, avec qui j’étais au lycée, m’appelle Dujiangyan est une toute petite ville. lui ont demandé de sauver les gens de Pékin. Elle m’annonce qu’il y a eu un C’est chez moi. Et il a suffi d’une Sur un chat, qui restent enfermés. Avec les tremblement de terre, près de Chengdu. Au nuit pour que je m’aperçoive que survivants, maman a emprunté un début, je crois que ce séisme est de faible presque toute ma ville est devenue mon meilleur ami camion de l’armée pour ampleur. Je ne m’inquiète pas du tout. Mais un enfer. me dit qu’il n’a s’approcher du bâtiment détruit. quelques minutes plus tard, je reçois un autre Jeudi matin très tôt, je reçois un aucune nouvelle Elle m’explique que le camion est coup de téléphone. En pleurant, une autre amie coup de téléphone de mon père. Sa de sa famille. Et garé dans une petite rue à côté. me dit que Dujiangyan est touché par le voix est un peu étranglée. Je sens Tous les immeubles aux alentours tremblement de terre. Il y a beaucoup de morts qu’il a les larmes aux yeux. Il me dit sur internet, il a vu sont terriblement endommagés et et de nombreux immeubles se sont écroulés. Et que ma ville natale est terriblement que sa maison sur le point de s’écrouler. Les elle n’arrive pas à contacter sa famille. A ce touchée par le séisme. Il ne travaille avait été détruite. répliques se succèdent encore et moment-là, je reste bouche bée. Je ne peux plus pour son entreprise. Ma mère, encore. Ma mère n’a pas peur de prononcer que quelques mots d’encouragement. elle, a déjà recommencé à travailler, mourir, même si elle pense que Je fais ensuite comme tout le monde, je n’arrête comme responsable des secours dans une zone de c’est la pire des choses qui puisse arriver. Elle pas d’appeler ma famille. Pour l’instant, il n’y a la ville. Au bout d’un moment, mon père m’a ne pense qu’à sauver des vies. Je suis inquiet, si rien d’autre à faire. A chaque fois, j’entends : demandé de rentrer pour que je me propose en inquiet. En un instant, la balance penche plutôt “La ligne est occupée.” Fin des cours. Je tant que bénévole. Finalement, j’ai ma mère au vers la vie ou la mort. Je soutiens ma mère n’arrive toujours pas à joindre quelqu’un. Je me téléphone. Au bruit, je comprends que c’est le pendant toute cette épreuve. demande quelle serait ma réaction si je perdais chaos autour d’elle. Plusieurs types de sons se Depuis le 12 mai, une semaine s’est écoulée. mes parents. mélangent. Ma mère m’apprend que pour devenir Au-delà de la tristesse qui m’a accompagné, j’ai Merci ma maman si intelligente ! Elle m’envoie bénévole, je dois avoir la permission de mon été surtout marqué par le réconfort et le soutien un texto et me dit qu’elle et papa sont sains et école. Alors je vais la demander mais, pour des de mon entourage. Dans cette catastrophe, j’ai saufs. Je suis pétrifié et comme insensible quand raisons de sécurité, ils refusent. vu l’esprit de notre nation.“Tu dois chérir ta je vois son message. Je reviens au dortoir pour Ce jour-là, je reste dans le dortoir toute la vie”, m’a dit mon père. Oui, nous devons tous voir sur internet s’il y a du nouveau sur ma ville. journée. Focalisé sur les infos. Effondré. surmonter cette épreuve. Cette douloureuse Je suis terrifié. J’ignore quelles informations Aujourd’hui, le téléphone passe. Ma mère me expérience ne peut que nous rendre plus forts. sont fiables. Toujours impossible d’appeler ma raconte qu’ils essaient d’aider quelqu’un bloqué Comme de nombreuses villes du Sichuan, famille. Il fait nuit quand je reçois un nouveau dans les décombres d’un immeuble. Pendant les Dujiangyan est en ruines. Mais je crois en message. Maman me dit que toute ma famille quatre derniers jours, il a survécu, accroché à la l’avenir de Dujiangyan. est sauve. Mais beaucoup de bâtiments ont été vie grâce à de l’eau sucrée qu’il boit avec une Le Sichuan qui renaît sera meilleur. » détruits. Il y a de nombreux morts. Des corps paille. A cause de la structure complexe du (1) http://31n103e.blogbus.com traînent dans les rues. bâtiment, ils ne peuvent pas l’évacuer sans Le lendemain matin, je vais sur internet dès courir le risque que la structure ne s’effondre. que je me réveille. Je vois les photos de Ce sont les derniers mots de Wang Shiran sur son D’après les informations, cet homme sera extrait blog. « Je dois penser à autre chose. » Depuis, sa Dujiangyan. Tragique. Trop tragique. Toute la six jours après le tremblement de terre. Mais il maison a été dynamitée, sa collection de ma- journée, j’aide mes amis à contacter leur famille. mourra deux jours plus tard. Je ne l’ai pas dit à quettes est partie en fumée. Début juillet, il par- Au bout de trois jours, je repère mon meilleur ma mère, qui n’était pas au courant. tira comme bénévole dans le Sichuan. Avec son ami sur un chat. Il fait ses études dans le Je me lève très tard le cinquième jour, j’ai rêvé appareil photo, il poursuivra son témoignage.

۰׿⸹дސѻङ֪؟પѕێҿટङэТީऱؘङ ৠЇࢃם ਋▲࣌ॱगף۩澜װ㙁؍ஔдޞڢ ஭ե▲յ֪ީמя ୌङऄઢଐީ৻঩ЉЇ ѕճઝ۩੽ީ֨յߍӹ࡚৻঩Ї֛؟ऄઢଐ չܪୌ؟ڪӇ▲ࠩ չ۱߄ы▲߽ஔд۩גङઊ঄ ѴசवЈԠ ыୃ Ծ௅ؽѽѕЭઍд؟પҶێ߽ Ӈࠩݶӱ࠾ъՇङҒۂࡶӟдࡩ ਈ ы৻঩଑ࠩ଍ࡈЉ୪؟ѕչٮՕ㔇д۰׿ йީן؍ٵҸҸ⿾⿾ୃ؍ٵ ࠳ ԩিԩি▲फԩি۩ޞڢӱऄઢપۨୃ֪஭д澜ݎ۩ дІࠩؼ۸ପдܪ੊֨૨ଆ ۵ށыؽѽୃךױ⶧д࠸д עࣾਙ߄ଋ۩ޞЇર ૚֨੼ԧ▲ङ୹Ս֨ ѕ࣋ъ֨ୃ㿄⸞澜ଐ؍ٵыୃ؟ৠ஼रӱдୃ㿄⸞ ѕڐ۸ޝ▲מআи ףھТଋङۂ஭ Ծ࣋࠾եش׷۩ଐЉљОࣀљОՑީڐ▲ Ցީ▲फէ۩୼ێவङࢃי㗃д Љऽଳןো۩ճઝ۩ 㗃ێՇдҒޢ৽⽊۩ױ࡚эТ ଐ Тױѕଐ ٮवڼୃמޅ▲ஔдЇԠЇ޹۰ર ؍ٵыୃ؟યаङୃ㿄⸞߅ Ҷ֪יӱд֨ݎФեՁ ލލୌЭৄй۸ପдऄઢҒ՚؟ୌы▲Зୃ࡚৻঩Ї չ؟ؠङ ߅Մћ৻ৌڥࡣޗީەڶ଻य़ޞڢ Մङऄઢ ՞ङऀङЭୃଐ߄؍ٵୃ؟םৠЇरӱд۩ٕ֚֨યаङ ৒৒֨מআІ ێӱㅪ؜֨ৠЇдઆҒ֛ ױօवճઝ۩ୃ㿄⸞֪஭д࠸дװ ы৻঩Ї श֨૱ୌ GGG؟߅Մѕଐ࡚չױ ץީێЉऽэТҒ؍Зыࢾ彇Љޅ ୌ৻঩ЉЇ؟ы۰׿Җд▲ԡչך NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 5

1

2 9

4

3 5 6 7 8

ԾЍޞش঎ॾ Ѹީ㦈ӟեДޢ 䧶ڹGGG ޮЇरӱд▲Зંை ީ▲դԛֱࣿ ӱୃ㿄⸞ङֽԚ ଻ୌ㗃Љ ճઝ࠾ъێ଑ЗԾЍङࢃ܋࡚߄۩ ্ܡҶ୼ொੴ؆ஓ؍৥ӱ慝Կ ՞ ֜О؍ѕћرङୃ㿄⸞ ѕћҸ՛ٝ৆ܠୌ૱ܔ㦈֨ Љऽଳװ ڶ ஁ޏㅪ؜ Ҽࡨव֨ୃמ▲מЉ߽ۨ׿ ؘ֨ ङѻङୃ߄ আ֚ڱ㡩 օܚଆर ▲ଆ▲ С 㱌ୌ㱌ӱਘڮСڮЇशдޝٛ յҹڮە יչՐװ ׷дٗҁڐٝޝӲЉдਘٜ ৲۩࠾ъݏ इவИङ࠿▲ߚ੪ଳ ࠿▲㯈۰׿ୃ Дѹգзિુ▲ЗԚֿङ㦈ݙ ऄઢٝ৆ਈईପ֪۸д ٜ֨ୃ㿄⸞ ЈԠԾ۸下ࣱ ޮЇչ࠾ъପઢ څћ࠳֨㦈ԉ▲ЗԪ֨װ۩ⱏ ࠾ъճઝٷ дםѭן⽊પ ҂۩ثङۨ୸ ߂ե࣋ъ۩ ڸԭव۩ङ֛ ћ֨଻ߚ੪ԚЇٝ৆㦈ӟдҷЗыװ מਘ۠ৱ ⺆ୌङы ଻Зыٝ৆ֳܴд֚ڢ߽ ⫋۩֛Ծ▲؟۩ङչش ١ֽش㿄⸞ީЗୃ ࣋ъђۨୃ ףЭৄй࡮дЗװמйչ࠾ъЭ۸ପдऄઢ Ҷழ঒׿૿ࡊ ধߛ৓ܴࣿո ֜О۰ яৄ ⺆څ୿ әЧۨдכ▲ ङ੬߆ো࠾ъ݅࡮ޏߒ ▲ԈપЉؔؼ⶧݊ бдזן׿ৈߣ ܔ஺ 㦈גӱд࣋ъङऄઢ ਈ۟ӱ଻ଆࣔӰв ֪ٗङݎޝם▲מআ֚ ▲䞼બ۩ћ՞௒ પީ੽㙁୼ش Эؼީ ޮ௒ מߒ֨▲૜ ۱љ▲फ଑߽ ଑Зы֨ާצ ஺ג஺ٝ৆߄ࢵ⬬ռ ਈ۟ӱѕީ ૱ङג࣋ъ ۩չۃ஄ङؒҾ㦈ӟ Ј呡ۈࢃஅټੴ୍מਘ۠ৱ஬੽؆ஓङચ আҹڢ ۩Ӈ֛ ࠾ъճઝڶڹԕवࡩࡊճઝ۩ ѕٝ৆Љ 6 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL Les jours qui suivent le séisme, sur les campus des universités de Shanghai, des cartes et pancartes illustrent les ravages du tremblement de terre. (1 et 2) Pour exprimer leur compassion, des post-it sont laissés à disposition des étudiants et des enseignants. Ils y écrivent des mots de soutien aux victimes. (3) Des collectes d’argent sont organisées par des bénévoles de la Croix rouge et des entreprises. Au 30 mai, près de quatre milliards d’euros, en provenance du monde entier, ont été collectés. (2 et 4) 14h28, lundi 19 mai. Jour de deuil national. Les voitures s’arrêtent, chacun sort de son lieu de travail pour se recueillir. Dans la ville, klaxons et alarmes retentissent pendant trois minutes. La vie s’interrompt et tout un peuple se fige pour rendre hommage aux 11 victimes. (5 à 10) Pendant trois jours, jusqu’au 21 mai, karaokés et cinémas sont fermés, les spectacles repoussés. L’arrivée de la torche olympique à Shanghai est retardée d’autant. Vendredi 23 mai, le deuil fait place à la liesse. Au premier rang, des étudiants triés sur le volet entonnent des chants patriotiques. La foule, brandissant des drapeaux et arborant des t-shirts « I love », acclame la flamme. (11 à 14)

يЇࢁ௤߻РԄ֪஭֣࣌ ͓ ࢳԚыࡇङ॓क़ثыћӊЈ ͓ ͓ ॑ѫ՟उРԄ⦃݁ࡴԈ 12 ͓ ߃ ޙޞӣࡖ૱澝ࢮ૱澝 淬րͫҶ֢ыܕ参ਥ淬঄ͫஅॱઊ ࡇ௳⫸ӣ୕ Ҡ࠲Ҹһ׼ЩࡴԈ!׭଍ࢮ䎭Ѯଧ ͓ :ыћॲЇȔ۩࣊И֢ȕ!מ޶ҠІ ە澝௤֋֢࠱љ੮֢࣊Фۋ

10 13 14

Photos : Manon Aubel, Loup Besmond de Senneville, Dorothée Doublet, Louise Fessard, Victor Nicolas, Anne-Louise Sautreuil, Joël Turlin, Maria Wimmer/CUEJ

࣋ъճઝ۩ ҂੽࣮㖹҂࣫֨۩ײЉдؼީ࠸ ࠳ם ۝ؼޞڢװ ލੴյ֠ङ۰׿ܺѻ ѿ஭ЉوҖ⸹ङ۰ה▲ ত۸୊ эТޗёࣀ מЭؼީާ ޙյ ЭЉ ङࣿࡴޞࣿ࠸֨࠴ ڶܛԝӣ ڶܛڮ۩ ҟ ۰׿ۨдपԚ ࡚ыԾ଻ୌ㦈ԉ۝પ эТЭЉ۝Љୃ ▲ࡇ ߛӱ࠾ъٗҁङ ଋީ▲ह୿ङз ީङ ۩ћୃ੽۸૜ত॔ߛ ৆Է଑لҲङٸЭЈव஧ йީ昬֨ㅪ؜۸࢕ۧ ۰׿ୌמ ڠ޾ֳڱћଋ Ѹީ۩ݵܴ۩࠾ъ଑߽Ծҟ Ӥ ۩ћՑѫՊװћؼ康Ј օव બװ੿ӱ ސ֪ ЇӟԾ޺௓޺ௐޮ מ▲۸д ١ֽ࣫ךڮٕ֚ յ ୃ㿄⸞࣫֨ީ࠽д▲ޅޅ յд▲ީ מङ Ծ㦈ы ӱдя⺆څ࠾ъ۸ऄઢճઝ۩ ଻ЗԪ֨ ଋд଑▲յ ֨ީ࠽дچ㖒䡺И֨؟ם ଋٴ଑恀׿ୃ࡚଑߽װ ۩ыٝ৆㦈ӟߛ ԰Љऽଳѕٝ৆ԾЍ ࠾ъճઝ ङୃ㿄⸞ѫણױङ߅Մ Ѹީ ۩बҒ▲З޾ސશ ֨۩յ֠չ֨ଓ۟ڮ۩ ыװЈдӋ૱ ࣉЇәЧࡁܩճઝ۩ ۩ ֨૨ଆװ ࡚श઄дמ࠾ъٝ৆Д ङٕ֚ѫણࣿױչ࠾ъ֨଑֪ࠩ஭ ଐ௤ङࡖ૱ ଑▲յ ۩ЉююީѴசव䡺 ЭѴச ࣿ ▲З޾נ▷؆ࣰПѠङش ۩㿄⸞ ঈୃ ؟ 㙁չ॓क़؍ࡇ▲૜ӱ଻㯈Җ⸹ङ۰׿ व҂ћো۩ङلИԾЍд չ଻ѹ ੪ଳЇ յ֠ङ۰׿ ֨଑ࠩࢳ஡வӹ ۩Эरӱд۩ћࡇش֨ڐ૱ ݾ۩इइङ৯٤ङ࠾ъЭԾЍд ѕ ࠾ъપ ङত॔ ࣦ͆ ଠ ࣀޕ व۩࠾ъօ Ҷީ׌ѽ਍੊չ߄੷ড়ङԮ۰ܘ NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 7 insert_rites_Newsd'Ill 28/05/0811:40Page1 RITES DELAMORTEN ALSACE DE LAPRÉHISTOIRE ÀLAFINDUXIX MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE -PALAIS ROHAN WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG PLACEDUCHÂTEAU 2, 25 AVRIL 2008/31 AOÛT 2009 | É.0388525000 TÉL. E SIÈCLE

Jean-Baptiste Pigalle, Mausolée du Maréchal de Saxe en l’église Saint-Thomas de Strasbourg, 1776 (avec l’aimable autorisation de la Fondation Saint-Thomas). Photo : M. Bertola, Musées de la Ville de Strasbourg. Alimentation

Logement

Education et loisirs

Transports et communications

Santé insert_rites_Newsd'Ill 28/05/08 11:40 Page 1 Equipement de la maison

Habillement

Autres

QUELQUES REPÈRES

Shanghai en Le poids de Shanghai en Chine chiffres : Shanghai dans Shanghai dans 10 yuans = la population chinoise le PIB chinois 1 euro. revenu mensuel 1,43% 4,87% moyen : Pékin 2900 yuans. Сࣟ Séisme du Sichuan PIB : 汶川地震 Shanghai 1200 milliards 1,3 milliard 24 660 milliards ഏݡ de yuans. d'habitants de yuans Source : Mission économique française de Shanghai, 2007 Yangzi Ӑࢅ Croissance : 12%. Répartition des dépenses moyennes 18,6 millions d'un ménage shanghaien d’habitants Hong Kong et d'un ménage français -sont officielle ۝བྷ ment recensés 100% dans la Alimentation municipalité- Alimentation Lexique : province de 80 Shanghai,dont Logement Gaokao : Hukou : Mingong : 4,8 millions Logement C’est l’examen Ce mot, qui Venus de la de personnes 60 national d’entrée signifie campagne, titulaires Education Education à l’université. « recensement fa- les « paysans d’un permis et loisirs et loisirs Il est organisé sous milial individuel », ouvriers », souvent de résidence 40 Transports et forme de concours. est un jeunes, forment provisoire. Transports et communications communications permis de résidence la main-d’œuvre Les estima- Santé Mu : permanente, non qualifiée tions de la Santé Equipement maison Cette unité de porteur de droits et de la mégapole. population 20 Equipement maison Habillement mesure de surface de devoirs, utilisé Ils sont nombreux réelle Habillement Autres correspond à comme un instru- sur les chantiers dépassent les Autres 1/15e d’hectare, ment de contrôle de et dans les usines 20 millions 0 Shanghai France soit 666 m2. la mobilité. de la ville. d’habitants. Sources : Insee et Municipalité de Shanghai, 2006 Un se divise en deux

ÉNÉRATION Deng Xiao- 2500 ans de tradition patriar- possible, après neuf ans meilleur lycée, concourir pour ping. Ils sont nés après cale. Ceux des villes sont les d’études, ils prennent le bus, le l’université, grimper toujours G1978, date de l’ouverture enfants de cette expérience in train, pour fuir loin de la malé- plus haut, n’importe où. Chacun, de la Chine aux capitaux étran- vivo. Ici, dit le sociologue Gu diction de la rizière. Ils arrivent à lancé sur sa trajectoire, grandit gers et du lancement de la poli- Jun, on compte une génération Shanghai à 18 ans, sans qualifi- sans jamais reconnaître l’autre. tique de l’enfant unique, avant tous les trois ans. cation, mais alphabétisés. Filent A 30 ans, l’un a construit au 1992, année du décollage éco- immédiatement vers les chan- pays la maison où loger ses pa- nomique de Shanghai. Quatre Loterie. A la campagne, les tiers et les boutiques. Vers le tra- rents et ses enfants. L’autre dé- millions de 18-30 ans vivent coutures cèdent aussi. Certes, la vail payé, même très peu. Ici, couvre un marché du travail où dans la ville aux camélias. Ils fécondité baisse. Mais l’instinct c’est beaucoup moins pire que sa place n’est pas assurée, et où comptent pour 20% d’une po- de survie paysan refuse obstiné- là-bas. L’épreuve la plus dure, les salaires sont loin de ses es- pulation qui a doublé en trente ment de se plier à la loterie de celle de la séparation familiale, pérances. Il devra encore ans tandis que l’espérance de l’unique enfant qui menace de est passée. Ils ont maintenant dix compter sur ses parents pour vie s’accroissait de sept ans. priver du garçon. Alors, deux ans pour épargner, s’enrichir, accéder au logement, toit de Tous ne sont pas des enfants chances, au moins. Trois s’il le sans rien devoir à leurs parents. l’enfant qu’il souhaite conduire uniques. Et un tiers d’entre eux faut. Sœurs et frères prennent le Pour ceux des villes, l’épreuve sur des chemins autres que vient d’ailleurs. chemin de l’école. Et dès que commence : réussir à intégrer le ceux qu’il a suivis. L’enfant unique vient de la ville. Celle-ci ou une autre. Le quadrillage des entreprises d’Etat y a permis d’exercer la RITES DE LA MORT EN ALSACE contrainte sur une population captive en soumettant les femmes à une surveillance E constante. Expérience inouïe DE LA PRÉHISTOIRE À LA FIN DU XIX SIÈCLE dans l’histoire de l’humanité. Entre 1970 et 1980, le taux de fécondité passait de 5,8 à 2,3 enfants par femme. « Un seul enfant L’objectif n’est pas de diminuer favorise les 25 AVRIL 2008 / 31 AOÛT 2009 les bouches à nourrir mais de Quatre concentrer les ressources pour modernisations » MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE - PALAIS ROHAN fabriquer un capital humain (agriculture, profitable : accéder à la ri- industrie, chesse par l’éducation, en hié- défense, 2, PLACE DU CHÂTEAU | TÉL. 03 88 52 50 00 rarchisant et en diversifiant technologie), aptitudes et compétences. proclame cette Contre-révolution culturelle in- affiche de WWW.MUSEES-STRASBOURG.ORG dexée sur l’échelle des di- propagande de plômes et la promesse de l’ave- 1978, au nir radieux de la liberté moment où la économique ; extraordinaire Chine adopte la mutation sociale, familiale, qui politique de

fait craquer les coutures de l’enfant unique. IC Jean-Baptiste Pigalle, Mausolée du Maréchal de Saxe en l’église Saint-Thomas Strasbourg, Saint-Thomas). Photo l’aimable autorisation de la Fondation 1776 (avec : M. Bertola, Musées de la Ville de Strasbourg. NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 9

° VENUS DE LA CAMPAGNE, LES ENFANTS DE LA RUE YUHANG REÇOIVENT UNE ÉDUCATION MOINS STRICTE Q UE CELLE DE

Pour Zhang Lele, 7 ans, tous ses copains de jeu sont essard/CUEJ « ses frères et sœurs ». Louise F

ANS la fumée des grills à rents paternels. La dernière fois, brochettes, sur une tablette c’était lors du Nouvel an chinois. Ils posée sur le trottoir de la Gavroche et... y sont restés un mois, avec Zhu Zi- rue Yuhang, une petite fille hong, son fils de deux ans, qui joue Den robe de princesse fait ses Dans la « rue des écrevisses », les gamins d’origine rurale dans les haricots que trie sa mère à devoirs. Coincée entre le même le sol. A la tristesse de ne pas minuscule étal d’écrevisses écar- grandissent avec leurs frères et sœurs, entre deux échoppes. les voir grandir, Guoan oppose la lates et pimentées de sa mère et les qualité de l’école de la lointaine pe- têtes de poisson décapitées soigneu- d’un « La fortune, la bonne fortune sionnelle qu’elle a dû suivre adoles- tite ville, et le temps dont disposent sement alignées sur le billot du attend ceux qui travaillent dur » cente. ses parents pour s’occuper de ses poissonnier attenant, Yao Suling, 9 écrit en anglais, un peu délavé, Un peu à l’écart du groupe de re- filles, temps qu’ils n’avaient pas ans, s’applique à peaufiner ses exer- passe en contrepoint. traités qui goûtent, assis, la fraî- quand lui était enfant et qu’ils tra- cices de mathématiques et ses lignes cheur du début de soirée, elle confie vaillaient à la ferme. Et puis, il y a d’écriture. Rêve de carrière artistique. En aussi être très préoccupée par son l’espoir de faire fortune. Avec son 16 heures. Dans cette rue à quelques face, six gamins s’agglutinent sur apprentissage de la sexualité, pour commerce de pastèques et deux pe- centaines de mètres au nord du un scooter, gentiment tancés par un que sa fille ne soit pas totalement tits magasins de tissu et de télévision Huangpu, il règne pour quelques vieillard édenté, tandis que deux désarmée, comme elle a pu l’être qu’il loue depuis huit ans, il est cer- instants encore un calme relatif, fillettes en robes noires partagent lors de ses premières expériences. tain d’avoir bientôt assez d’argent avant le flot des chalands attirés par leur glace avec un petit garçon, tous Dans la rue, la nuit tombe, les pour déménager dans le Jiangxi et les mille et une petites échoppes et trois assis au pied du carton où la lampes s’allument et la foule de ba- élever Zihong à plein temps. les marchands à la sauvette. Bientôt mère de l’un d’eux a dis- dauds se fait plus dense. l’heure pour Suling de retrouver ses posé des DVD pornogra- Dans les arrière-boutiques, Sichuan : après le drame. A la copines – les filles des commerçants phiques à 4 yuans. les grands-mères s’occu- lumière vacillante d’une ampoule voisins – pour une partie de cache- Sous des dehors de laxisme pent des plus petits, alors nue, Chang cuisine des écrevisses. A cache entre pastèques, anguilles, ambiant, les parents de la que Zhao Fan et Zhang 32 ans, cet homme au visage buriné tortues et concombres qui débor- « rue des écrevisses » ne dé- Lele, deux copains de 5 et 7 raconte à qui veut l’entendre son dent sur le bitume. laissent pas l’éducation de ans, s’affrontent dans des drame, le drame du Sichuan, qui lui leurs enfants. Seulement, combats de kungfu achar- a enlevé sa mère. A cette douleur « Ceux qui travaillent dur ». Sa après avoir subi les premiers nés derrière le stand de lé- vient s’ajouter la charge de son fils, mère, Shi Longmei, enceinte de la société de compétition gumes ambulant parental. jusqu’à présent élevé par sa grand- quelques mois, la province d’ori- née de la politique de limita- mère dans leur village natal. Il a été gine de son mari autorise un tion des naissances, ils lais- Éducation à distance. évacué à Shanghai, une semaine deuxième enfant quand le premier sent une plus grande liberté à leur S’ils vont à l’école maternelle en- après le séisme, la jambe cassée. De- est une fille, la surveille du coin de progéniture. Ainsi de Du Jianjun, 28 semble, nombre de leurs amis d’en- puis, Chang et sa femme se relaient l’œil, entre deux clients à servir. ans, qui s’engouffre dans une des fance ont quitté le quartier pour re- pour s’occuper de lui et tenir ouvert L’enfant unique est loin d’être la minuscules ruelles perpendiculaires tourner dans la province natale de leur commerce. Dans quelques norme dans ce quartier populaire, et se hâte d’aller chercher sa fille de leur père, pour cause d’école trop jours, il faudra aussi lui trouver une dans lequel la majorité des habitants 4 ans à la maternelle. Contrairement chère, surtout lorsqu’ils ne possè- nouvelle école… viennent de régions rurales qui pra- à Longmei, elle ne veut pas d’autres dent pas le hukou de Shanghai, Il est 21 heures, les parties de cartes tiquent une politique des naissances enfants, déjà débordée de travail comme beaucoup de petits commer- battent leur plein et les enfants se un peu moins restrictive. Pour sa dans son magasin de chaussures. çants. Zhu Guoan ne voit ses deux font plus rares. La fillette en robe de part, la fillette espère bien une petite Pour autant, elle partage son aver- filles de 5 et 12 ans que trois ou bal n’est plus là : couchée, indique la sœur, qui l’aidera peut-être à réali- sion vis-à-vis de l’éducation très quatre fois l’an, quand elles vien- mère. Devant un magasin de ser son rêve : ouvrir un gigantesque stricte qu’elle a reçue de ses pa- nent lors des vacances scolaires ou chaises, un petit garçon dort sur un magasin de hamburgers. Shi Long- rents, ouvriers à Suzhou. Elle ca- quand lui et sa femme se rendent transat, un abat-jour bleu en guise de mei sourit. Devant elles, une ga- resse des rêves de carrière artistique dans la province du Jiangxi où elles moustiquaire sur la tête. mine arborant un t-shirt flanqué pour sa fille, loin de l’école profes- sont élevées par leurs grands-pa- Tiphaine Reynaud 10 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL E Q UE CELLE DE XIAOYU, NÉE A SHANGHAI, 5 ANS ET DÉJÀ SUROCCUPÉE.

Le dimanche soir, Xiaoyu fait du patin à roulettes, une des activités qu’elle pratique, avec la natation, les cours d’anglais... Lothaire/CUEJ Fanny

IAOYU sait écrire les 26 d’abord au lycée, pour passer le re- lettres de l’alphabet latin. ... le petit prince doutable gaokao, porte d’entrée de Elle suit un MBA junior l’université, puis en faculté de lettres (Master of business admi- françaises. « Je portais un fardeau, Xnistration) pour s’exercer à Née dans la mégapole, Xiaoyu, 5 ans, hyperactive et choyée, l’espoir de mes parents, et je me di- vaincre sa timidité et parler sais que je devais beaucoup tra- devant une caméra. Xiaoyu fait du cristallise les espoirs de réussite de ses parents. vailler pour bien gagner ma vie. » patin à roulettes le dimanche soir, apprend à nager le jeudi soir, suit un la redépose au pied de son im- voudrait l’envoyer suivre un cours «L’enfant doit être gros ». cours particulier d’anglais le mer- meuble où l’attend sa nounou, 38 récréatif pour les 3-6 ans, dit « Petit Grâce à cette ascension sociale dure- credi soir, et peut-être bientôt un ans, qui habite en permanence avec prince », à l’Alliance française. ment acquise, sa fille, espère-t-elle, cours de français. Elle s’entraîne la famille. Xiaoyu a rarement des aura « moins de responsabilités à aussi à la calligraphie chinoise deux devoirs ; une fois par semaine, tout Pression sur les enfants. Depuis supporter ». Elle n’aura pas à aider ou trois soirs par semaine avec ses au plus, elle doit recopier des lettres un an que la petite fille participe ses parents. Les grands-parents pa- grands-parents. Le soir, Xiaoyu de l’alphabet latin ou effectuer des tous les samedis matins à un cours ternels et maternels de Xiaoyu n’ha- s’endort à 21 heures, bien fatiguée. additions simples. Après un goûter de MBA junior où elle aborde l’ar- bitent pas très loin, les premiers dans de fruits, Xiaoyu dessine ou joue chitecture, la géographie ou les ma- le même quartier, les seconds à Pu- Apprendre toujours plus. avec sa nounou si celle-ci ne pré- thématiques, Xiaoyu « a beaucoup dong. Mais Lu Wei et son mari ont Xiaoyu a 5 ans et habite au 24e étage pare pas déjà le repas du soir pris en changé. Elle ose s’exprimer devant préféré embaucher une nounou, d’un immeuble de 28 dans le quar- commun vers 18h30, quand les pa- les autres et acquiert l’esprit Yuxiu, pour s’occuper de l’enfant. tier de Yangpu. Son prénom signifie rents rentrent du travail. d’équipe », se félicite Lu « Ecart d’âge et critères d’éduca- « connaissance des langues » en Xiaoyu a appris de nom- Wei. tion incompatibles », a tranché Lu mandarin et « fille sage » en dialecte breux poèmes chinois et an- Le couple débourse chaque Wei. Elle rit : « Un dicton dit “l’en- shanghaien. C’est sa maman, Lu glais à l’école. Lu Wei juge mois 2000 yuans pour fant chinois doit être gros et blanc”. Wei, 34 ans, directrice des relations cet enseignement insuffi- l’école maternelle et au Alors mes parents, qui n’avaient pas internationales du département d’ar- sant et a acheté des cassettes moins 1500 yuans pour les beaucoup à manger petits, seraient chitecture à l’université Tongji, qui a vidéo de dessins animés en activités extra-scolaires de prêts à bourrer Xiaoyu de friandises choisi ce nom. Son mari, 37 ans, di- anglais, comme Mickey. Le la petite-fille, soit l’équiva- si je les laissais faire. » recteur général d’une petite entre- soir, elle lit à sa petite fille lent du salaire d’un diplômé Yuxiu a quitté son Sichuan et la prise d’import-export, travaillant des contes traditionnels chi- sortant de l’université. terre que cultive son époux pour beaucoup, Lu Wei prend d’ailleurs nois et ceux d’Andersen « Dans notre système ac- pouvoir payer l’éducation de sa la plupart des décisions sur l’éduca- dans une version bilingue, tuel d’éducation, dire que propre fille, une lycéenne de 15 ans tion de leur fille. Avec deux priori- d’abord en anglais, puis en chinois. les parents ne mettent pas la pres- restée sur place. Yuxiu n’a pas vu tés: d’abord la santé, puis l’appren- sion sur leur enfant serait faux, ex- sa fille depuis un an. A cause des tissage. Les langues pour le business. plique Lu Wei. Je voudrais que ma conditions sanitaires liées au trem- Le matin, à 7h30, Wang Xiaoyu Mais aux yeux de Lu Wei, l’anglais, fille puisse entrer dans la meilleure blement de terre, elle envisage de la monte dans la navette pour l’école primordial parce qu’il « permet université comme ses parents – tous faire venir à Shanghai. maternelle, en bas de son immeuble. d’entrer dans des entreprises étran- deux diplômés de Fudan – mais si Lu Wei aimerait avoir un second Lu Wei a choisi cette école pour sa gères pour gagner un bon salaire», elle n’y arrive pas je ne serais pas enfant mais elle perdrait alors son réputation et sa proximité, à quatre ne suffit plus. « Il faut maîtriser une fâchée. » Lu Wei souhaite que emploi à l’université. Elle et son kilomètres de leur domicile. « Ce seconde langue étrangère » : le ja- Xiaoyu puisse choisir ce qu’elle époux ont, un temps, envisagé n’est pas une des meilleures mater- ponais « pour le business » car aime, « même si c’est étudier l’his- d’adopter un des orphelins du Si- nelles de Shanghai mais l’environ- beaucoup de compagnies sino-japo- toire de l’Europe ». chuan. Ils y ont renoncé et finance- nement et les instructeurs sont naises sont implantées à Shanghai Enfant unique d’une mère comp- ront plutôt les études d’enfants ne bons », précise Lu Wei. Xiaoyu dé- ou le français « utilisé dans beau- table et d’un père boutiquier, des parvenant pas à payer leurs frais jeune sur place dans une salle atte- coup plus de pays ». Quand « gens pas riches », Lu Wei se sou- scolaires. nante à sa classe. A 17h30, la navette Xiaoyu « aura du temps », Lu Wei vient des soirées passées à étudier Louise Fessard NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 11 « «JEN’AI PAS EU LE CHOIX, C’ÉTAIT LA FAC OU CHAUFFEUR DE TAXI. » LU DA, 28 ANS.

A une semaine du gaokao, dans une salle de classe d’un lycée shanghaien. L’éprouvante épreuve du gaokao Ce concours national ouvre les portes de l’enseignement supérieur. Les élèves les mieux placés intègrent les meilleures universités. Préparés dès le plus jeune âge, les lycéens vivent un véritable marathon la dernière année.

ES lycéens l’appellent fesseurs répétaient : “Tu dois vœu d’intégrer l’université même son emploi du temps. Il « juin noir », car le aller dans un bon lycée pour des langues étrangères de lui arrive certes de rester au L’enseignement concours se tient les 7, avoir une bonne note au gao- Shanghai, l’un des anciens vi- lycée jusqu’à 23 heures, cer- supérieur 8 et 9 juin. Pour Chen kao et intégrer une des viers de la diplomatie, aujour- tains soirs, pour bachoter compte plus de LHanyang, 19 ans, scola- meilleures universités”. Jus- d’hui porte d’entrée vers l’El- avec ses camarades et bénéfi- risé en troisième et der- qu’au lycée, je ne voulais pas dorado des multinationales. cier du soutien scolaire. Mais 450 000 nière année à Shanghai Est, trop y penser, mais mainte- « Mais j’ai peu de chances il aime mieux se concentrer étudiants un « lycée-clé du district » de nant, il est au coin de la d’atteindre la barre, estime-t- dans le calme de l’apparte- à Shanghai, ce Yangpu, « c’est l’affronte- rue. » Elle se lève tous les elle. Comme second choix, ment coquet de ses parents. qui représente ment final », auquel il se pré- matins à 4 heures pour révi- j’ai inscrit Donghua, très ré- Dans sa petite chambre, un 19% de la pare depuis son entrée au ba- ser. A 7 heures, elle enfourche putée dans le domaine de la ordinateur portable est posé classe d’âge hut, il y a trois ans. 55% des son vélo, direction le lycée du mode. C'est moins demandé sur le lit, le bureau est envahi concernée. Ils candidats au gaokao, le Yangpu, un établissement-clé que d’autres filières comme de livres d’exercices, une pile sont répartis concours national d’entrée municipal (lire page sui- l’anglais ou la comptabilité, par matière : chinois, mathé- dans 60 aux universités, franchissent vante) – la crème du secon- et là j’ai mes chances. » La matiques, anglais, et phy- établissements, chaque année cette ultime daire. Retour à la maison vers jeune fille rêve de devenir sique, son épreuve « X » (lire dont 11 épreuve conduisant à la terre 16h30, et exercices de bacho- styliste. page suivante). Zhu Ge dé- universités promise. A Shanghai, pro- tage jusqu’à 23 heures. Seules plore que le gaokao soit plus d’excellence. vince particulièrement courti- pauses autorisées : le dîner et Par cœur. Empiler les orienté sur la validation du Les frais sée par les lycéens pour son le journal télévisé. Le ven- cours privés, pas question par cœur, via les épreuves de de scolarité niveau d’éducation réputé, le dredi soir, elle s’accorde un pour Zhu Ge, 18 ans, scolarisé questions à choix multiples, coûtent environ taux de réussite est de plus peu de musique, de télé, de au lycée de l’Université nor- que sur l’expression person- 5000 yuans de 80%.Wu Xiaoxing, 18 ans, surf sur internet. Samedi, male de Shanghai, autre éta- nelle : « Notamment en chi- par an. Près fait partie des candidats. cours d’anglais toute la jour- blissement-clé municipal. Il nois, c’est désavantageux de 20% de la « J’ai entendu parler du gao- née dans une école privée de souhaite devenir professeur pour ceux qui aiment écrire», population est kao pour la première fois à la ville. Le dimanche, retour d’anglais ou de chinois et sur- estime-t-il. Il apprécie peu la diplômée du l’âge de 10 ans, se souvient- aux révisions. A la rentrée tout gagner beaucoup d’ar- compétition avec ses cama- supérieur. elle. Puis au collège, les pro- prochaine, Wu Xiaoxing a fait gent, et préfère organiser lui- rades : «Avant chaque exa- 12 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL XI. » LU DA, 28 ANS.

nyang croit valoir au moins 510 points au gaokao, sur un L’enseignement à trois portes maximum de 630. Du coup, il a revu ses ambitions à la A chaque étape de la scolarité, son concours. baisse. Initialement, il voulait intégrer une université de Pé- ÉLECTION et compétition tiques, anglais et chinois le kin. Mais après avoir accompagnent l’enfant premier jour, physique et chi- constaté, l’an dernier, que la Stout au long de sa scolarité. mie le deuxième ; le troi- barre d’admission s’élevait Si elle peut commencer à 3 sième, l’ultime épreuve com- à 560 points, il s’est replié sur ans, elle n’est obligatoire que bine politique, géographie et des universités de Shanghai de 6 ans à 15 ans depuis 1998. histoire. Son classement déter- qui ont recruté à 540. Il lui Cette obligation n’est pas as- minera le lycée où le candidat faudra donc progresser encore sortie de gratuité. L’enseigne- étudiera selon ses choix (trois un peu. Après d’interminables ment supérieur a perdu la vœux dans chaque catégorie : discussions avec son père, il sienne en 1996. L’effort finan- lycée-clé municipal, de dis- a, sur sa suggestion, demandé cier s’est donc reporté de trict ou de troisième zone). Un en premier choix le départe- l’Etat sur les familles. bon lycée, c’est plus de ment automobile de l’univer- chances d’intégrer une sité Tongji, et en second l’uni- Classement. L’étudiant qui meilleure université. Pour les versité de droit de la Chine de suit le parcours classique doit recalés – 50% à Shanghai –, la l’Est. Il resterait ainsi à Shan- faire face à « trois portes » dé- seule voie qui demeure ou- ghai, où Chen Lisheng a crites dans le roman éponyme verte est le lycée profession- choisi de s’installer il y a de Han Han. Franchie celle de nel. Sans aucune préparation deux ans et demi, afin d’offrir l’école primaire, l’écolier a en au gaokao, ils n’auront quasi- à son unique enfant une ligne de mire le zhongkao ment aucune chance d’accéder meilleure éducation que dans qu'il passera au terme de sa à l'enseignement supérieur et leur ville d’origine, Suzhou, quatrième année de collège. ne pourront ouvrir la troisième dans la province du Jiangsu. Petit frère du gaokao, le porte. En revanche, au terme Sa mère, qui continue à vivre zhongkao conditionne l’entrée d'un concours en mai, ils pour- à Suzhou, a pris un congé de au lycée. Pour passer cette ront accéder au supérieur deux mois pour venir soutenir deuxième porte, le candidat se technique, le zhuanke, qui dé- son fils pendant la période penche sur huit épreuves de livre un diplôme après deux cruciale qui précède le deux heures chacune sous ans d'études. concours. Issu d’un lycée forme de QCM. Mathéma- R.H et F.M shanghaien, Chen Hanyang pourra aussi bénéficier du quota préférentiel que la mu- nicipalité a imposé aux uni- Un concours à géographie variable versités qu’elle subventionne. Selon la région d’obtention, le gaokao n’a pas la même valeur. Compétitivité. De l’avis de tous les lycéens, le rôle des pa- rents est de créer un environne- ment de travail propice à la réussite. Ce qui signifie surtout : cuisiner vite et bien. « Mes parents, employés dans un magasin, s’occupent des pe- tites choses de la vie quoti- dienne, témoigne Xiaoxing. Ils Mathilde Morandi/CUEJ me disent : “Ton devoir est men, chacun cherche à d’aller au gaokao toute seule, connaître le temps qu’on le nôtre est de te soutenir”. Ils passe à réviser, pour savoir ne m’en demandent pas trop, ils qui bosse dur et mesurer ses veulent simplement que je fasse chances, raconte-t-il. S’ils de mon mieux. » D’autres ont planchent sur le même sujet pris les devants bien avant le que moi et que je vois qu’ils lycée, en inscrivant leur enfant avancent plus vite, ça aug- dans des activités susceptibles mente mon stress... » d’accroître leur compétitivité. C’est ainsi que Zhu Ge a com- Examen blanc. Tout le mencé le piano à l’âge programme de la troisième de 3 ou 4 ans, avant de se année est consacré à des révi- mettre à la guitare au collège. sions et exercices qui préfigu- L’instrument est posé dans un rent les épreuves du concours. coin de sa chambre. S’il réus-

Chaque mois, un examen sit au gaokao, il compte Fabien Mollon/CUEJ blanc. Les résultats ne sont mettre à profit ses années E gaokao, autrement dit le quer les douze universités qu’il Tous les pas publics, mais « les profes- d’université, qui lui laisseront Pudong Gaodeng Xuexiao a choisies, quatre pour chacun matins, les seurs annoncent à chaque davantage de temps libre, LZhaosheng Kaoshi, littérale- des trois niveaux selon lesquels lycéens élève le rang auquel il s’est pour monter un groupe de ment « épreuve commune de sé- elles sont classées, suivant la passent classé. Dans mon lycée, nous musique. Wu Xiaoxing, elle lection des lycéens », c’est la qualité de leur enseignement : devant le sommes 500 candidats, et je aussi, aimerait apprendre la porte d’entrée pour les universi- les universités-clés d’Etat – les décompte fluctue entre la 18e place et la guitare dès les portes de l’uni- tés chinoises. Sésame vers de meilleures –, les universités- des jours 200e, explique Zhu Ge. Quand versité franchies. Quant à meilleures perspectives profes- clés municipales ou les établis- avant je dégringole, je ne me sens Chen Hanyang, il affirme sionnelles, il est incontournable sements supérieurs de bas étage. l’examen. pas déprimé pour autant... vouloir continuer à « tra- pour les 9,5 millions de lycéens mais mes parents et mes vailler dur », même s’il est qui s’apprêtent à le passer. Dé- Casse-tête. Pour chaque profs, oui !» admis dans l’université de son but mai, chaque candidat a rem- université demandée, un choix Le père de Chen Hanyang, lui choix. Rien ne sera gagné. Il pli un formulaire qui nécessite de filière différent. Pour les no- aussi, est sensible aux perfor- restera encore à trouver l’em- un calcul de probabilité préa- vices, comme Dong Songmin, mances des autres. Assis dans ploi le mieux payé possible, lable : le nombre de points re- mal remplir ce formulaire peut le bureau de son appartement en atteignant le haut de quis pour chaque université, le mener à l’échec. « A l’époque, de fonction, ce professeur l’échelle des diplômes. A côté nombre de points espérés, es- je ne savais rien des codes du d’université s’enquiert du de lui, son père approuve timé selon le score obtenu au gaokao et je n’avais personne classement, des méthodes de vigoureusement du chef. concours blanc et la filière de- pour m’aider, se souvient l’étu- travail et des notes des cama- Ratiba Hamzaoui mandant le plus de points. Une diante. J’ai obtenu le gaokao et rades de son fils. Chen Ha- Fabien Mollon fois ce calcul fait, il doit indi- j’ai même été bien GGG NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 13 ... LA FAC OU CHAUFFEUR DE TAXI ...

GGG classée, mais comme je n’avais demandé que les meilleures universités, je n’ai été acceptée nulle part. » Echouer à cet examen, c’est s’exclure du système éducatif classique. Ceux qui ne peu- vent pas se permettrent d’étu- dier dans une université privée intègrent alors une classe spé- ciale, où ils révisent le pro- gramme de dernière année de lycée, pour le repasser l’année suivante. Si les dates et les épreuves principales sont les mêmes, le contenu du gaokao varie selon la province. En plus d’un même tronc commun (chinois, anglais et mathématiques), les candidats choisissent une qua- trième épreuve, appelée « X ». Cette dernière peut être scien- tifique (biologie, physique ou chimie) ou littéraire (histoire, géographie ou politique), se- lon la filière d’origine de l’étudiant, choisie en deuxième année de lycée. Chaque épreuve de deux à trois heures est créditée de 150 points, auxquels il faut ajouter 30 points pour l’épreuve de synthèse trans- disciplinaire, basée moins sur la restitution de connaissances que sur la compréhension et l’analyse. Le gaokao, corrigé au niveau provincial, est donc noté sur 630 points. L’excep- tion shanghaienne permet aux lycéens de choisir entre les six matières du « X », quelle que soit leur orientation, littéraire ou scientifique, et de se pen- cher sur des sujets définis par Des légions d’étrangères entrent en salle leur municipalité. Aujour- d’hui, 16 provinces et munici- Par milliers chaque année, des migrants sans qualification viennent chercher palités sont dans ce cas. fortune dans les restaurants de la ville. Inégalités. Des contenus différents, des barêmes locaux, L est presque minuit. L'heure facile. Les Shanghaiens ne sont en attendant de trouver un tra- mais aussi des quotas d’admis- de la pause arrive enfin au pas vraiment accueillants avec vail. Dès leur arrivée, la sion à géographie variable. En IDawantang Mianguan, restau- les provinciaux, qu'ils recon- traque aux affichettes sur les effet, les universités définissent rant spécialisé dans la prépa- naissent à leur physionomie et vitrines et les murs des restau- elles-mêmes des quotas, appli- ration de nouilles fraîches, ou- à leur accent. Je me fais régu- rants commence. Les contacts cables à chaque province et à vert 24 heures sur 24. Song Cui lièrement insulter dans la rue de la famille sont mis à contri- chaque filière. Les meilleures profite de l'accalmie pour s’of- ou par les clients. Ils ne man- bution pour décrocher un job ouvrent plus largement leurs frir un massage rapide adminis- quent pas une occasion de vous qui rapportera en moyenne portes aux lycéens issus de pro- tré par son petit ami cuisinier. faire sentir que vous êtes des entre 1000 et 2000 yuans par vinces au niveau d’éducation Elle travaille depuis 17h30 et péquenots. » mois. Généralement, il ne faut réputé. « Passer son gaokao à ne quittera pas les lieux avant La douzaine de serveurs du Da- pas plus d’une semaine pour Shanghai est une chance car 5h30 du matin. « Le boulot est wantang Mianguan a suivi un décrocher un emploi peu nous pouvons intégrer de très pénible, mais je suis là pour parcours analogue : ils débou- qualifié. bons établissements, et si un ly- gagner de l'argent. » Comme lent principalement de l’Anhui Sans vraiment savoir quel mé- céen shanghaien veut aller étu- la majorité des serveurs de et du Jiangsu. Selon la munici- tier elle voulait exercer, Song dier dans une autre ville, Shanghai, Song Cui a débarqué palité de Shanghai, en 2007, Cui a frappé à la première 20 points supplémentaires lui de sa province d’origine – le sur une population de 18,6 mil- porte ouverte : le restaurant sont attribués », se réjouit Chen Jiangsu – pour fuir un temps sa lions d'habitants, environ 5 où travaillait sa sœur a juste- Hanyang, candidat de 19 ans. A Chaque année, condition de paysanne et millions sont originaires d'une ment besoin d'une serveuse de l’autre extrémité du spectre, entre mettre de l'argent de côté. autre province. Sans compter nuit supplémentaire. Sa nou- l’expérience de Lu Da, titulaire C’était il y a cinq ans. Song Cui les migrants non enregistrés. velle vie a commencé. du gaokao en 1999, est diffé- 120 000 avait décidé de quitter le col- Or presque personne dans le rente : « Je suis originaire de et 130 000 lège. Sans aucune qualification monde fourmillant de la restau- Six par chambres. Elle Chifeng, une petite ville de migrants venus en poche, elle a suivi les traces ration ne semble déclaré. Les passe d’abord quelques temps Mongolie intérieure. Quand d’autres de sa sœur aînée pour trouver patrons expliquent que cela avec sa sœur qui la loge. j’ai passé le concours, seules provinces sont son premier travail. coûterait beaucoup trop cher. Lorsque celle-ci retourne en 5% des places de l’université officiellement Ils sont donc des centaines de province pour se marier, elle que j’avais demandée étaient recensés. Mais Insultes. « Jusque-là, mes milliers dans la profession à quitte ce logement et emmé- réservées aux lycéens de cette ce chiffre ne parents me prenaient en travailler à leurs risques dans la nage dans le petit meublé gra- province, se souvient-il. D’où prend en charge. J’ai pensé qu’il était plus totale précarité : ils ne pré- cieusement fourni au person- je partais, je n’avais que très compte que temps que je m’assume, ra- tendent à aucune couverture nel par son nouveau patron. peu de chances d’entrer à les nouveaux conte-t-elle. Ce qui m'a frappé sociale. « J'habite juste en face du res- l’université mais je n’ai pas eu Shanghaiens en arrivant, c'est la modernité. Les employés sont générale- taurant. Ce n'est pas un en- le choix : c’était la fac ou deve- ayant obtenu Ici, cela n'a rien à voir avec ment arrivés à Shanghai grâce droit très propre, ni très bien nir chauffeur de taxi. » un permis chez moi. Les bâtiments et la à un ami ou un membre de rangé. Nous sommes six ser- Ratiba Hamzaoui de résidence ville sont immenses, confie-t- leur famille déjà installé en veuses à partager la chambre. Fabien Mollon provisoire. elle. L'adaptation n'a pas été ville, ce qui permet d'être logé C’est trop. C'est pire que chez 14 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL ... LA FAC OU CHAUFFEUR DE TAXI ...

Le hukou, permis de bien vivre en ville

Rural ou urbain, le hukou est un certificat de Les étudiants d’autres provinces peuvent, en recensement local délivré à la naissance par la revanche, espérer acquérir un hukou s’ils police de chaque commune. Celui de cumulent un certain nombre de points Shanghai est attribué aux natifs, sous réserve dépendant de différents critères : être inscrit qu'au moins un des parents en soit titulaire. Ce dans une université de Shanghai, être diplômé, sésame, initialement instauré sous Mao pour avoir un bon niveau en anglais et en entraver la mobilité, donne accès aux services informatique. sociaux locaux, notamment aux droits de L’arrivée des migrants est normalement scolarité réduits dans les écoles publiques. contrôlée par les comités de quartier, vestige Il est pratiquement impossible aux travailleurs du quadrillage territorial qui maintenait peu qualifiés venus d’autres provinces de s’en chacun sous surveillance permanente. Ils procurer un. Ils ne bénéficient donc d’aucune s’assurent que chacun d’entre-eux est en règle, des assurances chômage, santé ou vieillesse, mais une multitudes d’employeurs logeant du qui sont du ressort de la municipalité. Ils ne petit personnel illégallement n’hésite pas à peuvent pas non plus prétendre aux emprunts leur graisser la patte. immobiliers à des taux bonifiés. G.J

Se faire la main sur la tête des citadins Apprendre le métier de coiffeur sans contrat de travail. Jeunes et disciplinées, ISTRICT de Changning, sent également un petit moment du salon et je m’amuse quand les dans l’ouest de Shanghai. 18 d’évasion. Ici, les discussions je ne travaille pas, raconte Jian serveuses Dheures. A l’ordre du gérant, entre clients et coiffeurs sont Jiabing, gérant du lieu. La diffé- du restaurant coiffeurs, masseuses et réception- rares. Le premier se contente sou- rence avec ma province de En Hui nistes sortent du salon de coif- vent de fermer les yeux et se l’Anhui, c’est qu’ici, je suis écoutent les fure. Comme chaque jour de la laisse manipuler. Le deuxième moins contrôlé par mes dernières semaine, la trentaine d’employés reste concentré sur ses gestes. proches. Je peux sortir sans consignes de s’aligne sur quatre rangs, entre Crâne, cou, épaules mais aussi rendre des comptes tout le bonne tenue les deux colonnes tournantes aux bras, poignets et doigts : pendant temps. » dictées par couleurs vives qui balisent l’en- près de quarante-cinq minutes, le Miao Qiyang travaille dans ce sa- le gérant, trée des salons shanghaiens. Ils client se laisse bercer par une sé- lon depuis son arrivée à Shan- avant attendent la musique. Face à eux, rie de massages. ghai, en 2001. « Le plus dur a été d’entamer quatre masseuses en uniforme La plupart des employés ont de s’habituer au rythme de tra- leurs 12 bleu marine mènent la danse. appris les gestes sur le tas, sans vail », raconte-t-il. La cadence heures de Pendant près d’une demi-heure, avoir suivi aucune formation. est soutenue : chaque employé

Guillemette Jolain/CUEJ service. les chorégraphies s’enchaînent, « Je viens de la province de Fu- travaille douze heures par jour, avec plus ou moins d’entrain. La jian. Je suis arrivé à Shanghai de 8h45 à 21h ou de 11h45 à moi, en province. Mais mes synchronisation n’est pas parfaite sans rien connaître de la coif- 23h50. Mais les pauses sont collègues sont très sympa, on mais les badauds s’arrêtent pour fure, témoigne Miao Qiyang, nombreuses pendant la journée. prend soin les unes des observer la scène. Puis vient le 25 ans. Au début je ne gagnais Miao Qiyang passe ses temps autres. » temps du coaching. D’une voix que 500 yuans. Aujourd’hui, morts à discuter et chahuter avec Pour elle, la vie se résume au forte, le gérant motive ses j’ai acquis de l’expérience et ses collègues. Ou devant un mi- restaurant, qui la nourrit troupes : « Il faut poursuivre le j’en gagne quatre fois plus. » roir, pour soigner sa coupe bran- aussi. De Shanghai, Song Cui bon travail et servir les clients Ce salaire lui permet d’épar- chée. « Il faut s’adapter à la mo- ne connaît rien, ou presque. correctement. Vous devez être gner et d’envoyer environ dernité de la ville, plaisante-t-il. Elle ne s'est jamais promenée productifs pour gagner un maxi- 500 yuans chaque mois à ses En temps que coiffeurs, nous de- sur le Bund ou sur la place du mum d’argent !» Le discours, parents, qu’il ne voit qu’une à vons rester à la mode. » Peuple. C'est sur son lieu de ponctué de réponses en cœur, deux fois l’an. Lors de son travail qu'elle a noué des ami- dure une bonne dizaine de mi- congé hebdomadaire, il s’auto- Expérience provisoire. tiés et qu'elle a rencontré Sun nutes. Sur un dernier cri de rise également quelques sorties Comme c’est le cas dans de nom- Youwei, son petit ami. Ils sont guerre, le groupe se disloque et entre collègues au karaoké ou breux métiers non qualifiés, les ensemble depuis deux ans. Le chacun retourne à sa place. dans des bars. Les employés du coiffeurs viennent pour la plupart jeune homme est arrivé Shalong disent prendre le de provinces voisines de Shan- en 2003, tout comme son frère Formation sur le tas. Postés temps de sortir de leur quartier ghai. Ils n’ont pas de contrat de et sa sœur. La fratrie rejoi- devant l’entrée du salon, une et de s’aventurer en ville. travail et ne peuvent prétendre au gnait ses parents, venus en masseuse et un coiffeur ac- « J’aime la modernité de Shan- hukou, le permis de résidence, éclaireurs il y a dix ans. cueillent le client et le dirigent ghai. Au début, ce n’était pas qui leur permettrait de s’installer Aujourd'hui, toute la famille vers un siège libre. On ne vient facile car je ne connaissais que durablement. Pour beaucoup, travaille ici, comme aide-cui- pas seulement pour une coupe ou mon frère qui m’a accueilli. Au- Shanghai est une expérience pro- sinier, cuisinier ou serveur. un shampoing. Les salons propo- jourd’hui, je sors avec les amis visoire. « Plus tard, une fois ma- « Je ne savais pas faire la riée, je voudrais retourner chez cuisine avant de venir ici. J'ai moi, au calme. J’apprend beau- appris sur le tas », témoigne coup à Shanghai sur ce travail, je le fils cadet âgé de 20 ans, pense que cela me servira plus Sun Youjun. Sun Youwei, lui, tard à ouvrir mon propre salon. confie qu’il entend épouser Je me donne jusqu’à 30 ans pour Song Cui d’ici à un an. Mais y parvenir », confie Zha Xiz- elle ne paraît guère emballée. huoma, 25 ans. Comme elle, la « Le mariage me fait peur. Je plupart de ses collègues envisage sais que je dois maintenant de retourner dans leur province penser à mon avenir car je pour y fonder une famille. Quitte vieillis. Mais je me sens en- Comme à abandonner la profession. Entre core trop jeune pour l’ins- chaque jour de deux coupes, Jiang Jiabing tant. » En tout cas, elle a déjà la semaine, évoque son avenir : « Je voudrais planifié qu’elle ne fondera scéance avoir un garçon et une fille. Mais pas sa famille à Shanghai, coaching pour je ne veux pas qu’ils aient une vie mais sur ses terres d’origine. les coiffeurs aussi pénible que la mienne. Je Pour elle, les lumières de la du salon voudrais qu’ils aillent à l’univer- ville n’auront brillé qu’un Shalong, avec sité et qu’ils gagnent beaucoup temps. chorégraphie d’argent. » obligatoire. Guillemette Jolain Guillemette Jolain/CUEJ Guillemette Jolain NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 15 IL EST IMPOSSIBLE D’AVOIR UNE SPHÈRE PRIVÉE DANS UNE CH AMBRE OÙ VIVENT QUATRE PERSONNES. » YANG ZHEHUI, 21 ANS.

Depuis 1978, la« surface habitable a été multipliée par dix, tandis que la population doublait. Le nombre de mètres carrés disponible par personne est passé de 4 à 20.

Une chambre de quatre à l’université Normale de l’Est. Les facs chinoises doivent fournir un logement collectif aux

étudiants. Wimmer/CUEJMaria

surnommées « ayi » (tantines), lorsque les étudiantes, origi- Solitudes superposées qui en détiennent les clés. « Une naires de provinces différentes, fois, j’ai surpris la gardienne en ne parlent pas le même dialecte, train de faire du hula hoop avec la communication peut s’avérer Sous l’œil inquisiteur des surveilllantes, les étudiantes apprennent le cerceau que j’avais caché compliquée. sous mon lit », raconte Jang bon gré mal gré à vivre ensemble dans les dortoirs. Songmin, étudiante en journa- « Chacune de notre côté.» lisme. Propreté, rangement, tout Dans ces moments difficiles, ÈS le hall d’entrée Mao. «L’hiver, il fait vrai- est passé au peigne fin. Et le seul véritable espace person- du dortoir numéro ment froid, admet Lou chaque chambrée est notée. « Si nel reste le lit. C’est là, caché 10, sur le campus Yun, 26 ans, étudiante en les “ayi” tombent sur des objets derrière des moustiquaires de l’université communication. Alors, interdits, comme des bouteilles et des tentures, que les Dnormale de l’Est, nous mangeons plus, et d’alcool, elles les confisquent étudiantes peuvent se retrancher un panneau pré- nous faisons plus d’exer- immédiatement », précise Tang pour pleurer. « Impossible vient : « dortoir de filles, cice. » Les couvertures Xiaoyan, étudiante en commu- d’avoir une sphère privée dans entrée de garçons chauffantes, radiateurs nication. Toute entorse est en- une chambre où vivent quatre interdite ». Une sur- électriques et autres sèche- suite mentionnée dans le dossier personnes, soupire Yang Zhe- veillante en uniforme, pas cheveux sont strictement de l’étudiante. hui, 21 ans, étudiante en toujours accueillante, interdits, et l’utilisation de deuxième année d’architecture veille au grain. l’électricité fermement rè- Communication difficile. à l’université Tongji. Ce Chambre 403, Tang glementée. Dans certains Mais les « ayi » sont aussi là n’est pas comme dans ma Xiaoyan, Lou Yun et leurs dortoirs, les occupantes pour rendre service : elles distri- chambreàla maison...» La deux coturnes se partagent d’une même chambre ne buent le courrier, prêtent jeune fille aux cheveux ondulés 15 m2. Sol en béton, simples Pour leur toilette, peuvent utiliser leurs ordina- quelques outils, appellent les ré- a quand même pris soin d’em- planches pour tout sommier et les étudiantes teurs simultanément, dans parateurs en cas de besoin. porter avec elle son confident de pas de chauffage, comme par- doivent se rendre d’autres, le courant est carré- Contre quelques cigarettes, elles toujours : sa peluche Winnie tout au sud du Yangzi, vieux dans les douches ment coupé à 23 heures. Les sont même prêtes à laisser la lu- l’ourson. Sans oublier le poster souvenir des économies d’éner- communes. Maria chambres sont régulièrement mière un peu plus longtemps. de l’attaquant Lukas Podolski, gies décidées par le président Wimmer/CUEJ inspectées par les surveillantes, Le bureau du logement étudiant son joueur de football favori. attribue les chambres d’autorité, Lorsqu’elle souhaite se retrou- en fonction des cursus et des ni- ver seule, elle attend que ses ca- Course aux logements veaux d’études. Les étudiantes marades aient quitté le dortoir, qui se retrouvent pour la plupart ou bien sort marcher un peu. Dès leur admission à l’université, une Les mieux lotis demeurent les docto- à vivre pendant quatre ans dans Elle compte aussi sur son blog chambre est automatiquement octroyée rants, logés dans des chambres doubles la même chambre se découvrent pour oublier le quotidien. Elle y aux étudiants par le bureau du loge- avec sanitaires. Les prix varient en le jour de la rentrée. passe de nombreuses heures, y ment. En plus d’être camarades de fonction du niveau de confort (de 450 à Jang Songmin a passé ses deux livre ses états d’âme, ses ré- chambrée, les filles du dortoir sont sou- 2000 yuans par an). Depuis 2006, sur premières années d’études à flexions, ce qu’elle a vu d’inté- vent aussi camarades de classe. En cas le campus de l’université Tongji, les l’université centrale des natio- ressant dans la journée. «Avant de cohabitation difficile, elles peuvent étudiantes peuvent choisir leur nalités de Pékin, dans un dortoir je pensais que nous allions être demander à changer de chambre. Cela chambre sur internet. Le site est ouvert à dix. Une expérience qu’elle ai- inséparables, comme une fa- n’est possible qu’une fois par an, pen- pendant deux jours à la rentrée. Com- merait oublier. « J’ai vécu dans mille. En fait, nous vivons notre dant dix jours. Si les étudiants de pre- mence alors une véritable course contre l’ombre des étudiantes les plus vie chacune de notre côté. Nous mier cycle sont habituellement logés la montre pour éviter les chambres trop riches, se souvient-elle. Elles se sommes juste des personnes de dans des chambrées de quatre à huit, bruyantes, à proximité des escaliers, ou moquaient de moi et crânaient provinces différentes qui vivent voire dix personnes, ceux de master les chambres trop chaudes, situées dans avec leurs robes hors de prix. ensemble. » sont en principe quatre par chambre. les étages supérieurs. En plus, elles refusaient de faire Marion Bonnet leur part de ménage. » Et Maria Wimmer 16 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL CH AMBRE OÙ VIVENT QUATRE PERSONNES. » YANG ZHEHUI, 21 ANS. Derrière la palissage, le village de mingongs Zhao Jinping, 19 ans, vit avec ses parents sur le chantier du métro 10, où il travaille six jours sur sept.

IX-SEPT heures trente, le so- recharger leurs télé- le regard moqueur, et passe sans leil commence à descendre phones portables ici, un mot. Zhao n’a pas beaucoup Dsur la petite enclave de trois dans la seule pièce à d’amis ici, quatre ou cinq tout au baraquements de tôle entourés de être équipée de prises plus, tous cousins éloignés et qui murs au cœur de la ville. Zhao électriques. souvent travaillent quand lui se Jinping attend sur le pas de la repose. porte de sa chambre que sa mère Cul-de-sac près finisse de préparer le dîner. Le des latrines. Dans le Matelas rachitiques. Zhao frêle jeune homme de 19 ans, dédale de baraque- pénètre dans une chambre d’ou- fines lunettes cerclées de fer sur ments où logent une vrier dont la porte est restée le nez, t-shirt maculé de pous- centaine d’ouvriers, grande ouverte. L’un de ses cou- sière sur le dos, revient de sa celui qui abrite les sins habite ici. journée de travail. Neuf heures deux pièces de la fa- Huit lits superposés occupent la passées dans la bouche béante du mille Zhao est situé pièce dans sa longueur. Des chantier de la ligne 10 du métro dans un cul-de-sac à planches de bois fatiguées font sur l’avenue Siping à deux sta- proximité des latrines office de sommiers sur lesquels tions de l’université Tongji. Une et des douches. Un maigre filet profitent du crépuscule pour faire Le chantier reposent des matelas rachitiques. journée de bruits, de sueur et de d’eau s’échappe de l’extérieur de leur lessive; d’autres encore du métro de Le sol jonché de papiers, de cris dans un ballet incessant de celles-ci pour venir mourir dans transportent à bout de bras la ligne 10 casques, de vêtements en boule grues et de pelleteuses géantes. le caniveau de l’allée centrale. d’énorme baquets d’eau qu’ils devrait et de thermos d’eau chaude po- Du bout de l’index, le garçon Zhao Jinping l’enjambe d’un amènent jusqu’à leurs chambres. s’achever en sés à la tête de chaque lit, n’a pas pousse négligemment sa paire de saut. Des hommes au pas indo- Zhao Jinping esquisse un maigre 2009. Arthur rencontré de balai depuis long- lunettes qui glisse sur son nez et lent le regardent faire. sourire. L’unique machine à la- Frayer/CUEJ temps. Après quelques secondes, passe à table. Quelques haricots, Slip remonté jusqu’au nombril, ver du campement, dont dispose Zhao ressort. La chambre est du poulet, du bœuf, un bol de les ouvriers de l’équipe de jour sa famille, le dispense de cette vide. tofu, du concombre saupoudré se dirigent savon et serviette en tâche. 19 h 30, la nuit s’est installée. La d’épices, composent le repas, ar- main vers les sanitaires. Le bruit Sur son chemin Zhao Jinping moiteur de la journée est retom- rosé de bière tiède. Le buste pen- sourd de l’eau contre les parois croise un groupe de jeunes gar- bée. En fermant la porte de sa ché sur son bol de riz, le geste de béton étouffe les conversa- çons de son âge, le torse nu, la chambre où la lumière s’éteindra lent, Zhao Jinping mange en si- tions ; une fumée blanche et va- salopette de chantier retombée à 22 heures, Zhao salue furtive- lence ; c’est à peine s’il remarque poreuse s’échappe des fenêtres ; sur les hanches, la cigarette aux ment ses collègues du service de les trois ouvriers, résidents de un homme sifflote un vague air lèvres. Les visages sont noircis nuit qui prennent la relève. Dans l’enclave, qui viennent de fran- de musique. Un peu plus loin, par la crasse et les casques de douze heures, il les croisera à chir la porte. Faute d’électricité d’autres, en bras de chemise, chantier n’ont pas encore été re- nouveau. En sens inverse. dans leurs chambres, ils viennent courbés sur les éviers collectifs tirés. Le groupe dévisage Zhao, Arthur Frayer

Les devis > 24H MAXI

Contrôle qualité > LA QUALITÉ TOUT AU LONG DU PROCESSUS

Le rythme de production > PAS DE TEMPS MORT “soyez exigeant” Le façonnage > UN ÉVENTAIL DE POSSIBILITÉS EN INTERNE

Le transport et la livraison > UN SUIVI RIGOUREUX

Environnement > UN ENGAGEMENT DURABLE

ZI DE LA JUSTICE RUE GEORGES BESSE BOITE POSTALE 169 90003 BELFORT CEDEX TEL 03 84 58 69 69 F AX 03 84 22 25 64 [email protected] realgraphic www.realgraphic.fr IMPRIMEUR CONSEIL JE VEUX ÊTRE QUELQU’UN DE BIEN. » SUN WEN, 21 ANS. «Chercheuse en sens de la vie

Poussée par sa famillle à gravir l’un après l’autre les échelons universitaires, Fan Siyun est partagée entre ses doutes d’étudiante et l’impératif de satisfaire ceux qui se sont sacrifiés pour elle.

’OUBLIE pas d’où tu viens », lui a intimé son père pour qu’elle se souvienne toujours Nde ses origines. Etu- diante en quatrième année d’informatique à l’uni- versité Tongji, Fan Siyun se souvient de la leçon. Né dans une famille pauvre et nom- breuse d’une ville de la pro- vince de Hubei, son père est un des rares de sa condition à avoir été diplômé d’une école professionnelle d’Etat. « Il a payé cher et travaillé dur pour s’en sortir.»Aujourd’hui, il est fonctionnaire fiscal comme son épouse. A eux deux, ils ga- gnent 50 000 yuans par an et possèdent deux maisons. Ascension sociale. « Mes parents m’ont toujours dit : “Si tu étudies dur, tu auras une meilleure vie”. » Et, dans cette petite ville où tout le monde se connaît, l’ascension sociale ne se mesure pas par l’argent mais par la réussite scolaire. « Celui dont l’enfant va le plus loin dans les études est plus respecté. » Depuis son enfance, les parents de Fan Siyun lui dessinent son avenir : devenir professeur d’université ou fonctionnaire. Elle refuse fermement la deuxième option. « Ma mère, fonctionnaire, a trop d’avan- tages et de pouvoirs. Je trouve ça injuste. » Pour son examen d’entrée à l’université, son père la pousse à demander ar- chitecture, une section très re-

nommée et disputée par de Reynaud/CUEJ Tiphaine nombreux candidats. Elle ne l’aura pas, et se retrouve ins- moins d’attentes et ne les vient-elle. Pour réfléchir et Aujourd’hui, à la fin de l’année crite dans une discipline poussent pas autant à grimper prendre du recul, elle prolonge universitaire, elle voudrait en- qu’elle n’a pas choisie : l’in- l’échelle universitaire pour son cursus par une année de chaîner avec un master de so- formatique. Son père l’encou- devenir professeur ou cher- langue allemande, d’arts plas- ciologie. Mais ses parents rê- Après une rage cependant à tenir les cheur. » Pendant sa troisième tiques et de dessin. vent que leur fille continue ses enfance quatre années de licence après année d’études, la jeune fille études à l’étranger, de préfé- choyée, lesquelles elle pourra se ré- s’interroge de plus en plus sur Etudes de sociologie. Aux rence de l’autre côté de l’océan parfois orienter. son avenir. Elle n’est sûre que questions qu’elle se pose sur pacifique, aux Etats-Unis. surprotégée, A Shanghai, Fan Siyun ren- d’une chose : l’informatique elle-même et sur le monde, elle « C’est une grande décision. il est souvent contre des personnes ayant des ne l’intéresse pas. Ses notes espère, grâce à la sociologie, Mes parents me disent de ne pas difficile de idées et des buts différents des restent médiocres, elle n’est trouver des réponses. « Je veux me soucier de l’argent, qu’ils trouver sa siens. Beaucoup, étudiants pas motivée. « Je me sentais apprendre à regarder à travers vont vendre une maison pour fi- voie et de se d’origine shanghaienne aisée, déchirée, je m’inquiétais pour les choses, à trouver la vérité. nancer ce séjour. La pression construire n’ont pas de grandes ambi- mon futur. Alors j’écrivais Je veux avoir des méthodes est forte. Mais ce que mes pa- une identité. tions. « Leurs parents ont beaucoup de poèmes », se sou- pour mieux l’appréhender.» rents veulent pour moi, sera le 18 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL meilleur. Tout ce que je veux, c’est les rendre heureux. » Etats d’âme et bons avis sur la toile

Heavy metal. Ce sera donc Les blogs des jeunes deviennent souvent leur espace intime. la sociologie, parce qu’elle garde le cap d’une carrière uni- HAO Yanna le reconnaît offrir en cadeau : « Le jour où shanghaienne Dragon TV, ne versitaire, mais aux Etats-Unis. bien volontiers, elle est je serai sûre du sérieux de se prive pas de livrer ses Pour l’heure, bien que Fan Sune « romantique ». notre relation », confie-t-elle observations sur l’actualité. Siyun préfère les articles théo- Depuis neuf mois déjà, elle en rougissant. « Je m’intéresse peu à la riques aux romans, à 21 ans elle consigne, tous les deux ou Entre des photos de baisers politique, qui m’ennuie, mais ne se voit pas encore cher- trois jours, les aléas et les volés par son soupirant et de lorsqu’un événement me cheuse. « J’adore bouger, sor- détails de sa vie de couple gâteaux au chocolat ornés touche, j’aime faire part de tir, être en contact avec les avec Shin Bing. Les petits d’alliances enlacées, elle mes émotions », explique-t-il. gens. Je ne m’imagine pas res- tracas du quotidien, les publie de longues lettres Bouleversé par le ter à la bibliothèque tout le disputes et tout ce qu’elle ne enflammées. Shao Yanna ne tremblement de terre du temps. » Pour déstresser, elle peut pas lui dire en face : le manque pourtant guère de Sichuan, Yang Lu a publié un écoute du heavy metal ou de la blog de cette étudiante en temps pour se consacrer à sa long billet où il exprime sa musique électronique. Au ka- deuxième année de publicité relation : Shin Bing est aussi solidarité envers les victimes raoké, elle chante avec une in- s’apparente à un journal son camarade de classe. et leurs familles. Extrait : tensité qui laisse tout le monde intime. Si intime qu’elle est la « Où que tu sois, même si les bouche bée. D’après une seule à en connaître Epanchement. Cayman, le chances de te retrouver sont Cheveux attachés, joues rebon- étude CNN-IC l’existence. Même son petit blog de Yang Lu, 21 ans, vise infimes, nous y parviendrons dies, Fan Siyun ne s’intéresse parue en dé- ami, auquel ce blog s’adresse, un public plus large que le et nous te tendrons la main. » ni à la mode ni au maquillage. cembre 2007, ignore sa démarche. Pourtant, seul cercle des amis. En deux Un épanchement inhabituel Mais elle est gourmande et l’ar- si ce blog s’intitule « Only ans, plus de 20 000 lecteurs pour ce jeune homme gent de poche qu’elle reçoit de 47 millions speak to you », c’est qu’elle sont tombés, souvent par sérieux : écrasé de travail à ses parents ne suffit pas tou- de Chinois tien- espère secrètement qu’il le hasard, sur ses chroniques l’université et dans son jours. « Quand je dois les appe- nent un blog, découvrira par lui-même. musicales, télévisées et entreprise, il dit ne pas avoir ler pour leur en demander plus, dont 30 mil- « Mais c’est impossible », cinématographiques. Mais ce encore trouvé le temps d’avoir je suis mal à l’aise », sourit- lions ont rejoint confie la jeune femme, 20 ans chef de classe, qui effectue une petite amie. elle. la blogosphère tout juste. Elle nourrit une formation en alternance Roman Bernard Maria Wimmer en 2007. cependant l’espoir de le lui au sein de la chaîne Dave Kouliche « Mon père, rééduqué à la campagne, y a rencontré ma mère... » Li Weina, 28 ans Retour sur un parcours entre le calme provincial et les espoirs de la ville.

ON père avait 16 ans en 1966 quand il a été «Menvoyé comme beau- coup de jeunes de sa généra- tion à la campagne pour y être rééduqué. Il s’est retrouvé dans une petite ville de mon- tagne, Meitan, dans la pro- vince de Guizhou. Il a travaillé dix ans dans une ferme collec- tive avant de devenir respon- sable du musée de la ville. C’est là que j’ai grandi, au mi- lieu des collines et des rivières Li Weina et sauvages. J’ai eu une enfance sa classe à très heureuse. Mon père venait 10 ans. me chercher à la sortie de Seuls l’école et nous allions nous quelques uns promener dans les bois. Je ra- de ses massais les pierres que je ra- camarades menais à la maison. Je les col- étaient eux lectionne toujours. Ma mère aussi des cuisinait quand nous rentrions. « enfants de Comme je suis fille unique, ma la Révolution mère craignait que je ne m’en- culturelle ». nuie. Heureusement, j’avais D.R. plusieurs cousins et cousines campagne lui a appris beaucoup pectives d’évolution dans son parents. Les relations avec les dans le village. Je passais des de choses sur la société et les travail. J’avais 12 ans et je ne autres membres de la famille heures à jouer avec une de mes hommes. L’entraide et la soli- réalisais pas du tout ce qui se étaient tendues. cousines sur un petit îlot au darité notamment. A la mort de passait. Bien que mes parents Nous avons finalement démé- milieu de la rivière dont nous Mao Zedong en 1976, il n’est m’aient expliqué, je ne com- nagé dans notre propre apparte- avions fait notre repaire. pas rentré à Shanghai, il avait prenais pas que nous ne revien- ment. Mon école s’est du coup refait sa vie ici. Devenu respon- drions plus chez nous. retrouvé à deux heures de bus Nourrir les cochons. Très sable du musée de la ville, il a de notre logement. Je profitais tôt, mon père m’a raconté les appris à dessiner aux paysans Vendeuse de fruits. Les six des trajets pour lire mes livres raisons de sa venue ici. Ado- du coin. Il s’est même rendu premiers mois ont été très durs. de classe. Et puis la situation lescent, il voulait devenir une année à Pékin pour exposer Mon père avait trouvé un tra- s’est améliorée. Mon père est peintre. Son arrivée à Meitan, quelques unes de leurs œuvres vail dans une imprimerie et ma devenu propriétaire de l’impri- les longues heures de travail, dont certaines ont été vendues. mère, jusque là cadre dans une merie et ma mère est venue tra- l’ont coupé dans son élan. Il Et puis en 1992, lui et ma mère entreprise de thé, s’est mise à vailler avec lui comme comp- s’est retrouvé à nourrir les co- ont tout de même décidé de vendre des fruits. Nous vivions table, j’ai pu aller à l’université chons et porter d’énormes rentrer à Shanghai. Jiang Ze- dans une petite maison sur et faire des études d’architec- charges de 90 kilos toute la ming venait d’arriver au pou- deux étages avec mes grands- ture. Je me suis mariée il y a journée. Le choc a été rude ! voir, la situation devenait plus parents, deux de mes oncles et deux ans. Il ne me reste plus La Révolution culturelle a facile. Surtout mes parents leurs familles, soit onze per- qu’à avoir un enfant, d’ici deux aussi eu du bon. C’est grâce à voulaient que je bénéficie de la sonnes au total. Toutes les ans si tout va bien. » elle qu’il a rencontré ma mère meilleure éducation possible et nuits, je pleurais dans mon lit Propos recueillis par qui habitait alors ici. Surtout la mon père n’avait plus de pers- installé dans la chambre de mes Arthur Frayer

NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 19

... ÊTRE QUELQU’UN ... Trouver sa voie dans les églises chrétiennes... Catholiques, luthériens ou évangéliques, 50 à 70 millions de jeunes Chinois font le choix du christianisme. Loup Besmond de Senneville/ CUEJ Chaque dimanche, de nombreux évangéliques se réunissent pour des célébrations exaltées et démonstratives.

ERCREDI 28 mai, prières. Mais l’excitation va bruyamment. La jeune Sichua- père les a laissés faire, sans mot 19 heures, rue Hengshan. maintenant decrescendo. Le naise prie Jésus d’apaiser ses dire. M400 à 500 jeunes, bras au pianiste se met à jouer quelques souffrances et celles de ses « Pour les catholiques comme ciel, frappent dans leurs mains notes douces. L’officiant invite proches. pour les protestants, la révéla- et chantent à tue-tête les paroles une jeune femme à monter sur tion de Dieu a souvent lieu à qui défilent sur deux écrans l’estrade. Elle arrive à l’instant Voyage à l’étranger. Parmi l’occasion de la rencontre géants. Dans le plus grand du Sichuan, sa province natale. les fidèles, Xu Naier, 22 ans, d’étrangers, ou à la suite d’un temple protestant de Shanghai, Au bord des larmes, elle ra- étudiante, a découvert Dieu voyage en Europe ou aux Etats- l’office hebdomadaire destiné conte le terrible tremblement de dans sa ville natale, dans le Unis », confirme le père Fran- aux jeunes a des allures de culte terre qui a touché la région. Shanxi. Il s’est manifesté par cis, curé de Saint-François-Xa- du middle west américain. Evoque le moment où tout s’est l’intercession d’un couple amé- vier, rue Dongjiadu. Un laïc, micro en main et or- effondré. Un silence total s’abat ricain qui lui a longuement Sun Wen, catholique de 21 ans chestre à ses côtés, chauffe la sur l’assemblée. Au fond du parlé de Lui. Sa mère s’est baptisé à Pâques dernier, s’est salle en alternant chants et temple, une femme sanglote même convertie avec elle. Son converti en 2005 après avoir appris que son amie était at- teinte d’un cancer dont elle est morte depuis. Il décide alors de ... dans les temples traditionnels bouddhistes... commencer une « nouvelle vie ». « Je veux être quelqu’un e temple bouddhiste, situé de bien, explique ce jeune sty- au cœur du quartier d’af- liste qui travaille dans une so- Cfaires Jingan, accueille de ciété japonaise. Lorsque je nombreux touristes chinois ve- pense que je peux aider quel- nus brûler des bâtons d’encens qu’un, je tâche de le faire. et jeter une pièce dans le monu- Avant, j’étais beaucoup plus in- ment central. dividualiste. Ce qui importe, Mais certains jeunes viennent c’est le pardon. Celui que l’on également s’y recueillir demande aux autres et à comme Chen Xiaoyun et Zhu Dieu. » Quand il est entré à Jia. De parents athées, les deux l’université, il a dû vivre seul. jeunes filles de 24 ans ont été « J’ai besoin de quelqu’un chacune initiées par leurs pour me juger et je pense que grands-mères. Dieu peut jouer ce rôle », pour- Elles viennent ici chaque fois suit-il. Depuis, il dit savoir que qu’elles « se sentent tristes ou sa copine est à ses côtés et ne rencontrent des difficultés ». l’a pas quitté. Xiaoyun pense que, même si L’Eglise protestante, avec son elle ne connaît pas le nom des prosélytisme à la page, ren- dieux bouddhistes, si elle rend contre davantage de succès au- hommage à chacun d’eux, « ça près des jeunes. Officiellement, fonctionnera ! » Louise Fessard/CUEJ 16 millions de protestants cô- 20 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL ... ÊTRE QUELQU’UN ...

toient, en Chine, les cinq mil- lions de catholiques. Officieu- sement, les catholiques seraient près de 10 millions et les pro- testants de 40 à 60 millions, calvinistes, évangéliques ou lu- thériens. Si on peut difficilement parler de vague de conversion à Shan- ghai, le pasteur Liu, du temple de la rue Hengshan, revendique pourtant pour sa communauté plus de 300 baptêmes en 2007. Beaucoup sont jeunes, de 20 à 30 ans. Pour lui, la « grande crise » se situe autour du pre- mier emploi. « Les jeunes sont perdus, explique-t-il. Ils n’ont pas forcément de questions. Ils veulent surtout parler. »

Eglises domestiques. De- puis 1949, le pouvoir commu- niste contraint les protestants de toutes les Eglises à se réunir en une association nationale, dont les membres sont dûment enre- gistrés. Mais cette branche offi- cielle se double aujourd’hui

d’une multitude de communau- Dorothée Doublet/CUEJ tés dites « domestiques ». Devant le musée du parti communiste chinois. Etre membre du PC : un sésame dont rêvent de nombreux étudiants. Zhang Yi a 29 ans. Lui a rencon- tré Dieu en Allemagne, où il a ... ou à l’ombre du Parti étudié puis travaillé sept ans le domaine de la chimie. Une fois rentré à Shanghai, il rejoint une Difficile de refuser l’offre passer l’examen, confesse Liang soirée, avait lieu la cérémonie communauté d’une vingtaine de Kang, le camarade de classe de d’intronisation à cette « plate- personnes, ou « famille ». Cha- du Parti communiste lorsque Cheng Qiang. J’ai un peu fai- forme des gens bien », comme il cun des 18 districts de Shanghai l’on songe à faire carrière. néanté l’an dernier... » À 18 ans, dit. Deux camarades chargés de a les siennes. Elles regroupe- il a du temps devant lui. Selon les le parrainer, l’ont aidé à préparer raient plus d’un millier de fi- HEN Qiang rayonne. En principes édictés dans le petit sa lettre de demande d’adhésion. dèles. deuxième année de licence livre rouge de Mao, les nou- « Je suis plein de passion, j’aime Chaque dimanche matin, un des Cen environnement, elle est veaux membres doivent « être mon pays et je soutiens les prin- membres accueille à tour de rôle l’une des trois de sa classe sélec- matures » au moment où ils re- cipes du parti », a-t-il développé le reste de la communauté chez tionnés pour aller acclamer la joignent les rangs du parti. En en trois parties. Devant dix lui pour une célébration autour flamme olympique ce vendredi première et deuxième année de membres de sa cellule étudiante, du pasteur. Dans la sienne, 23 mai avec 2000 autres étu- la fac de communication, 29 étu- Zhao Kan l’a lue à voix haute. Zhang Yi a rencontré « quatre ou diants de l’université Tongji. diants sur 340 sont encartés. En Ses parrains ont ensuite passé en cinq amis » qu’il voit très régu- C’est la deuxième bonne nou- première année de master, cinq revue ses qualités et ses défauts lièrement, mais surtout sa future velle du mois. Comme la moitié ans plus tard, ils sont 19 sur 27. et finalement plaidé pour qu’il femme. Ils se marient le 7 juin. de sa classe, elle a aussi été choi- « Les exigences intellectuelles et soit reçu. Zhao Kan a quitté la Ce dimanche matin, le culte a sie pour se présenter à l’examen morales sont élevées », assure salle pendant le vote. « Si je ne lieu au onzième étage d’un im- d’entrée au Parti communiste Zhu Jie, responsable pour l’orga- commets pas de faute, comme de meuble. Zhang Yiyainvité une (PCC), un test en 40 questions. nisation des activités du parti et me prononcer en faveur de Tai- jeune fille rencontrée en Alle- Depuis trois semaines, elle y a de la Ligue de la jeunesse, orga- wan ou du Tibet indépendant, magne, à laquelle il demande de consacré six TD de préparation, nisation affiliée rassemblant la souligne-t-il, je deviendrai peut- se présenter. L’assemblée l’ap- donnés par des enseignants de quasi totalité des jeunes entre 13 être membre à part entière d’ici plaudit chaleureusement. De re- psychologie de sa faculté, tous et 28 ans. « Il leur faut manifes- un an. » Il pourra alors participer tour à Shanghai depuis trois membres dûment encartés. ter une compréhension globale aux réunions avec droit de vote. jours, elle avouera plus tard que L’examen a plutôt été facile. « Je du monde. En tant que membre Surtout, il pourra inscrire son ap- son ami lui a un peu forcé la pense avoir parfaitement ré- du parti, ils doivent aussi être partenance au parti sur son CV : main. Elle ne reviendra pas. « Je pondu », se félicite Cheng Qiang. des modèles pour leurs col- « Je suis persuadé qu’il est plus ne crois pas en Dieu. » Mais dans la carrière d’un lègues. » facile de devenir professeur « Très peu de gens de ma géné- membre du parti, ce n’est que la quand on est au parti. » ration ont une religion, dit première étape d’un parcours S’exprimer avec son cœur. La plupart des jeunes avouent à Zhang Yi. Mais de plus en plus long et toujours incertain. « Si Une fois l’examen d’entrée demi-mot adhérer par opportu- trouvent leur chemin vers Dieu. j’ai été pressentie pour présenter passé, les postulants doivent nisme. « Je veux voyager, dé- Dieu, pour moi, c’est celui à qui ma candidature, c’est parce que rendre tous les trois mois un rap- clare l’un d’eux. Pour cela il faut l’on peut se confier. Quand je ne j’ai de très bonnes notes et que port sur leur vision de l’actualité. gagner pas mal d’argent. Être sais pas vers qui me tourner, je mes profs ont observé que je don- Exemple : le parcours de la encarté aide beaucoup à trouver m’adresse à lui. » nais toujours tout pour les torche olympique ou le séisme du un bon job, parce que les patrons Depuis sa conversion, il prie autres », assure-t-elle. Preuve de Sichuan. Le rapport est manus- comprennent qu’on est quel- tous les jours et s’efforce d’ou- son esprit collectif, elle organise crit. « C’est la meilleure façon qu’un de bien qui a réussi. » vrir la Bible régulièrement. Sa l’accueil de scientifiques étran- d’être sûr qu’ils expriment leurs Yang Shu, 26 ans, a choisi jus- lecture préférée : l’épître de saint gers dans sa faculté. Le bénévo- sentiments avec tout leur cœur, qu’ici de se tenir à l’écart. Cet in- Paul aux Romains. « Ce texte lat, affirme-t-elle, est une ques- lâche Zhu Jie, et c’est aussi un génieur d’une entreprise d’auto- m’évoque immédiatement les va- tion d’honneur, comme son désir moyen d’éviter qu’ils copient- mobile sino-allemande s’est leurs chinoises. Beaucoup de d’adhérer. Son père et son grand- collent des versions digitales sur contenté d’organiser des tournois règles se rapprochent : celles père, qui en sont membres l’un et le web », où les rapports-modèles de foot pour la Ligue de la jeu- qui concernent les rapports l’autre, l’ont émerveillée en lui abondent. nesse. Mais aujourd’hui il s’in- entre hommes et femmes, les re- contant l’histoire et les idéaux Les rapports de Zhao Kan, terroge. La semaine dernière, lations entre parents et enfants. des communistes chinois lors- 26 ans, étudiant en master de de- son patron lui a amicalement En les respectant, on honore qu’elle était petite. sign, a convaincu Zhu Jie de son suggéré de rédiger sa lettre de aussi bien les valeurs du chris- N’entre pas au parti qui veut. engagement sincère. Lors de la demande d’intégration au PCC tianisme que les valeurs Seuls les élèves repérés par les réunion de cellule, ses profes- s’il voulait rapidement progres- traditionnelles de la Chine », professeurs habilités peuvent y seurs et camarades l’ont autorisé ser dans l’entreprise. conclut-il. postuler. « Je n’ai pas encore osé à franchir une étape supplémen- Sarah Brock Loup Besmond de Senneville demander à mes enseignants de taire. Mardi 23 mai, en début de Dorothée Doublet NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 21 MES PARENTS NE SONT PAS AU COURANT DE MA VIE SEXUELLE. MAIS S’IL FALLAIT LE UR EN PARLER «Couples : la révolution si douce

Les rapports sexuels restent, sauf exception, un sujet tabou. Officiellement, les partenaires attendent de se glisser la bague au doigt avant de passer à l’acte. Dans les faits, les relations pré-conjugales trouvent refuge un peu partout dans la ville. ,Wimmer/CUEJ Maria Eric Schings essard, urlin, Louise F Joël T Joël

HANG Kanwen, 28 ans, Pensez-vous que la jeunesse les profs ne sont pas encore de tion très privée en Chine, nous Pour réalisateur indépendant, chinoise vive une période de notre génération. Mais chaque n’en parlons jamais en public. s’acoquiner a produit en 2006 un do- libération sexuelle comme les garçon a des DVD pornogra- Ensuite, il existe un fossé entre en toute cumentaire sur la sexua- pays occidentaux en ont phiques et les jeunes s’infor- les parents et leurs enfants. Les tranquillité, lité des jeunes, diffusé connu il y a 40 ans ? ment sur internet. premiers n’acceptent pas que les jeunes Z amants se sur internet. Dans Hor- On peut dire qu’une libération leurs enfants aient des relations mones des années 80 (1), sub- sexuelle a lieu actuellement en Qu’est-ce qui distingue les sexuelles avant le mariage, donc retrouvent ventionné par un fabricant de Chine. Mais en raison du poids garçons des filles en matière les enfants n’en parlent pas. dans les préservatifs, une dizaine de per- de la tradition, elle n’est pas de sexualité ? parcs, sonnes racontent leurs expé- aussi complète qu’en Occident. Les garçons vont rapidement Où les jeunes peuvent-ils se voitures et riences amoureuses. Les Chinois sont plus conserva- parler sentiments et dire à la retrouver pour faire autres teurs. Notre culture influence fille qu’ils l’aiment bien, qu’ils l’amour ? dortoirs de Votre film distingue la géné- profondément nos sentiments et ne veulent que coucher avec Ils trouvent plein de moyens de garçons. ration des années 80 de celle ne peut être changée totale- elle. La fille, elle, va espérer s’isoler ! Le plus souvent, le des années 90. Qu’est-ce qui ment, quelle que soit l’ouver- que le garçon l’épousera un sexe se pratique à la maison les caractérise ? ture d’esprit des jeunes. Cette jour si elle accepte de faire quand les parents ne sont pas Je suis né en 1981. J’ai voulu tradition pèse davantage sur les l’amour avec lui. là. C’est plus confortable. Si- faire un film sur ma génération, jeunes filles que sur les jeunes Son copain lui promettra le ma- non, pour les étudiants, il y a la première à parler plus ouver- garçons. riage tout en sachant qu’il ne les dortoirs de garçons acces- tement de la sexualité. Prenons tiendra pas parole. sibles aux filles. Bien sûr, les cette séquence de mon film : au Comment les jeunes accè- relations y sont interdites, mais matin, un garçon se réveille et dent-ils à l’information sur le En public, la plupart des c’est juste une règle. Le garçon Shanghai se rend compte que la fille avec sexe ? jeunes affirment qu’ils n’ont dit à ses colocataires : ce soir, baby, laquelle il a fait l’amour est Moi, je n’ai reçu aucune réelle pas eu ou n’envisagent pas je veux la chambre pour moi, déjà partie. Il éprouve un senti- éducation sexuelle à l’école. d’avoir de relations sexuelles vous ne rentrez pas. Une fois, à le livre de Zhou ment de vide et de regret. C’est Pendant une heure, un prof avant le mariage. Est-ce cré- mon université, on a été supris Weihui, une typique de la génération 80 qui nous a seulement présenté les dible ? par le gardien, et la fille a dû se jeune attache beaucoup d’importance organes sexuels. Alors il fallait Je suis certain que la plupart cacher dans le placard ! Mais il auteure aux sentiments, aux émotions. se débrouiller tout seul, imagi- des couples ont des relations y a aussi les parcs la nuit, les chinoise, a fait Un garçon né dans les an- ner, puis pratiquer ! On en par- sexuelles avant le mariage, voitures, et bien sûr l’hôtel. scandale à sa nées 1990, lui, ne regrettera lait entre copains dans le dor- c’est le cas de tous mes amis. (1) www.tudou.com/programs/view/ sortie en 1999. rien. Il serait content de ce qui toir, au coucher, quand la Mais le faire est une chose, le ROALQzlevcM Trop porté sur lui arrive et se vantera d’une lumière était éteinte, c’était dire en est une autre. Propos recueillis par le sexe, il a été nouvelle aventure auprès de ses plus facile. A l’école, ce n’est Les raisons en sont multiples : Chen Mengshu interdit dans amis pour faire le fier. pas mieux aujourd’hui, puisque d’abord, le sexe reste une ques- et Maria Wimmer son pays. 22 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL LE UR EN PARLER, JE CROIS QUE JE POURRAIS LE FAIRE. » SUN TINGTING, 22 ANS. Sous les jupes des jeunes filles sages Quatre amies étudiantes en théâtre parlent pudiquement de relations amoureuses. Fleurs bleues, elles croient au grand amour comme leur mère.

ANS une al- un semblant de lée ombragée supériorité. Ddu campus « Mais mainte- de Tongji, quatre nant que tu l’as jeunes filles fait, tu l’aimes bruyantes en plus, ton jupes courtes et copain ? », de- t-shirts fluores- mande Chunyu, cents arrêtent les intéressée. « Ça passantes en n’a rien changé. montrant du Au contraire, je doigt les effets regrette un peu, p ersonnels c’est un peu trop qu’elles ont éten- tôt. » « Au moins, dus sur une toile toi, tu as fait se- en plastique. lon la volonté de Robes du soir un Mathilde Morandi/CUEJ Jiying, 21 ans, Chunyu, Mengxue, Jiliang toutes trois 19 ans. tes parents qui te peu délavées, l’ont présenté », longs colliers fantaisie et san- sont locataires sur le campus rappelle Mengxue, qui consi- dales haut-perchées sont fière- mais le manque d’intimité des dère d’un œil sévère les filles ment exposés sous le regard sa- dortoirs ne leur pose pas pro- qui font l’amour sans être en- tisfait de Chunyu, Jiliang, blème. « On ne dort pas avec gagées. Mengxue et Jiying, les ven- nos copains, c’est préma- deuses d’une après-midi. En- turé », sanctionne Mengxue, Virginité. L’idée de mentir semble, les quatre Shan- accroupie dans l’herbe dont un jour sur leur virginité ne les ghaiennes profitent pleinement elle arrache des brins. Silence effleure même pas. Obsédées du temps libre que leur laisse gêné. Jiying, la seule à avoir par l’idée du grand amour et de leur première année d’études de franchi le pas, devient tout sa consécration, le mariage, théâtre. d’un coup la cible des regards elles évoquent en cœur l’expé- taquins et un brin réprobateurs rience de leurs mères. « La Ne plus se cacher. Après des trois autres. « Oui, j’ai mienne, elle s’est mariée en- leur garde-robe, les hommes déjà couché avec mon copain core vierge à 28 ans avec mon occupent une large part de qui a 30 ans, répond-elle, tête père, choisi par sa famille. Et leurs conversations. «L’uni- baissée. Mais ce n’est pas pa- ce fut un véritable coup de versité, c’est la liberté, on peut reil, je suis fiancée depuis deux foudre », raconte Chunyu d’un avoir des copains sans se ca- mois. » « Et comment tu fais air inspiré. « Moi aussi, moi cher comme au lycée ! », lance pour te protéger ? », interroge aussi, pour ma mère c’était Chunyu en provoquant l’hila- Jiliang, faussement ingénue, exactement pareil ! », consta- rité complice de ses trois co- dont l’éducation sexuelle s’est tent-elles l’une après l’autre, pines. « Avec mon copain, on a faite sur internet. « La pilule, gaiement. Remballant leurs gardé notre relation secrète c’est facile à se procurer en stocks invendus dans la cha- pendant notre année de termi- pharmacie, mais c’est cher. leur tombante, les quatre amies nale, maintenant on peut sortir C’est à l’homme de se proté- rentrent au dortoir, confiantes. le week-end, aller au cinéma », ger, tu vois bien comment, Mathilde Morandi poursuit-elle. Toutes quatre non ? », rétorque Jiying avec Anne-Louise Sautreuil « J’ai eu quatre expériences amoureuses depuis mes 16 ans » Sun Tingting, 22 ans revendique sans complexe son indépendance et sa vie sentimentale.

UAND mon copain est en faire un bon ami. Tu lui ra- ne savais pas quoi faire. Ma Qparti pour Londres en contes tes disputes pour avoir mère a refusé de comprendre. « décembre dernier, j'ai son avis. Et puis, je ne sors pas Aujourd’hui, je vis en coloca- décidé de ne pas le suivre. avec n’importe qui. Je suis une tion et je paie moi-même un Bien sûr, c'était un choix diffi- fille raisonnable. J'ai eu quatre loyer de 800 yuans par mois. cile, mais je veux être une expériences amoureuses de- Je travaille dans les relations femme indépendante. Je dois puis l’âge de 16 ans. Trois sé- publiques pour le musée d'art d'abord finir mes études d'ingé- rieuses. J’ai commencé jeune, moderne de Shanghai. Ça me nieur, même si cela ne me plaît j’étais à l’internat, c’était plus plaît beaucoup. J’aimerais ou- pas trop. simple. Aujourd’hui, mes pa- vrir un magasin de design sur En ce moment, je sors avec un rents ne sont pas au courant de la rue Taigeng, créer ma propre étudiant que j'ai rencontré dans ma vie sexuelle mais s’il fallait marque. Peu m’importe d’être un café design sur la rue bran- leur dire, je pense que j'en se- connue. Je veux surtout gagner chée de Xinle. On a réalisé rais capable. En fait, ils n'ai- assez d’argent pour voyager où qu’on était sur le même cam- ment pas mon comportement : je veux. pus, on ne s’était jamais croisé. j'ai l'image d'une mauvaise L'amour est une belle histoire Je l’ai trouvé drôle. Ici la élève parce que je suis capable mais je ne crois pas que cela drague commence par un re- de sécher les cours, de faire puisse m'arriver. Il me semble gard. Si tu fixes un mec pen- plusieurs petits boulots, de sor- qu'en Chine, une fois mariée, dant longtemps, alors peut-être tir le soir... J'aime faire la fête, beaucoup de femmes devien- qu’il viendra te demander ton c'est vrai. Il m'arrive de boire, nent comme des roseaux. numéro de portable. S’il em- mais dès que ça me tourne trop Elles se courbent. Je pense brasse bien, c’est un plus. la tête, j’arrête. qu'il est préférable d'être un Après pour l’étincelle, c’est J’ai quitté le campus universi- arbre, avec des racines so- une autre histoire. taire il y a un an parce qu’une lides. » Il y a aussi le genre ringard : tu de mes amies me draguait. On Propos recueillis par

ne sors pas avec, mais tu peux partageait le même dortoir. Je Manon Aubel Manon Aubel/CUEJ

NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 23 ... MA VIE SEXUELLE ... La mégapole, un espace de liberté pour les gays Assumer son homosexualité est difficile quand les parents attendent une descendance.

quent d’être déçus si je les mets un éphèbe avec des ailes dans au courant. » Dans cinq ans, il le dos, qui enlace un autre se voit avec une femme et un jeune homme. Etudiant en mar- enfant et il arrêtera de fréquen- keting, Chen Feng organise ter des hommes : « Je ferai tout souvent des soirées réunissant ça pour satisfaire mes parents, quelques uns des 750 membres par devoir. » du Shanghai LGBT, un réseau homosexuel shanghaien qui Peur des regards. Elwin et reste en contact via un forum Tao Shitang, 24 et 27 ans, l’air internet. L’homosexualité de ce timide, picorent des graines de jeune homme en couple depuis tournesol, serrés l’un contre quatre ans n’est un mystère l’autre. Etudiants à Shanghai pour personne dans son univer- depuis un an, ils se sont connus sité. Un jour, il envisage même sur internet, via une messagerie de la révéler à ses parents. gay. Pour sortir, ils se rendent dans des bars homosexuels : Pression du mariage. Un «Vivre son homosexualité au peu après 23 heures, Linson et grand jour n’est pas simple ses amis patientent devant le dans une ville où de nom- Home Pink, l’une des disco- breuses personnes n’acceptent thèques gay de référence. A l’in- pas les homos. Contrairement térieur, il n’y encore personne. aux filles, on n’ose pas se pro- Agé de 23 ans, à Shanghai pour

Louise Fessard/CUEJ mener main dans la main dans six mois avant de retourner étu- la rue, par peur des regards ré- dier à Melbourne, Linson est bi- il est difficile AMEDI soir, 20h30, nées, bien mis, en chemise bleu probateurs. » Pour les homo- sexuel. Un jour ou l’autre, il sait pour les une poignée de clients ciel, discute avec un jeune mi- sexuels venus de la campagne, qu’il devra renoncer à fréquen- hommes masculins sirote un gnon en sweat-shirt sombre. l’existence d’une communauté ter des hommes : « Je suis en- de se tenir verre dans l’ambiance Attablé devant un jus de fruits, gay à Shanghai représente mal- fant unique, j’ai cinq cousines par la main lounge du Eddy’s Bar Peter, 25 ans, fait savoir dès les gré tout un véritable espace de et aucun cousin. Je suis donc le à Shanghai. S 1924, l’un des plus an- premiers mots qu’il est céliba- liberté. seul à pouvoir transmettre le ciens bars gays de Shanghai. taire. Plutôt élégant, en jean et Vers 22 heures, Chen Feng, 24 nom de ma famille. Mes parents Tableaux d’art contemporain polo, ce jeune homme « gay de- ans, l’un des membres actifs de vont me mettre une grosse pres- aux murs, lumière rouge tami- puis six mois », originaire du cette communauté, discute au sion pour que je me marie. » sée qui émane du comptoir, mu- Hunan, est vendeur à Shanghai bar du Shanghai Studio, une Pour l’instant, il attend que la sique douce... Dans l’un des depuis deux ans. Ses amis et ses galerie d’art située un peu plus boîte se remplisse, pour danser presse_news_d_ill_CUEJnombreux 14/05/07 coins d’ombre, 14:54 Pageun parents1 ignorent son homo- loin dans l’avenue Huaihai. Sur dans les lumières multicolores. homme d’une quarantaine d’an- sexualité : « Mes parents ris- les murs, un tableau représente Victor Nicolas

ROHM AND HAAS imagine the possibilitiesTM www.rohmhaas.com www.rohmhaas.com/lauterbourg ROHM AND HAAS, UN GROUPE INTERNATIONAL QUI IMAGINE L'AVENIR AVEC VOUS

Rohm and Haas crée et développe des technologies innovantes Votre projet : vous impliquer dans une entreprise qui affirme et des solutions pour l’industrie des matériaux de spécialités. sa volonté d’anticiper. Venez rejoindre nos salariés qui, chaque Ses technologies sont utilisées dans le bâtiment et la construction, jour, s’investissent pour que Rohm and Haas donne au présent le les produits pour l’électronique, l’industrie, l’emballage, les trans- meilleur avenir. ports, les cosmétiques, les produits d’entretien, l’eau, l’alimentation, la distribution ainsi que le papier.

Rohm and Haas France S.A.S - Route du Rhin - 67630 Lauterbourg - Tel., : 03 88 73 60 00 ... MA VIE SEXUELLE ... Supporter Salle à louer, pour soirée karaoké à plein temps Contre le stress des examens, les étudiants affectionnent les salles KTV. Gu Yui, fan du LS s’appellent Teo et Yang pour les filles, Tao et Zhi- Shenhua, consacre Ikuan pour les garçons. Ils ont l’essentiel de ses entre 20 et 22 ans et étudient les arts plastiques, la décora- revenus à son équipe. tion d’intérieur ou l’architec- ture. Tous vont, à des fré- ’EST devenu un rituel pour quences diverses, chanter au les Blue Boys, l’un des karaoké. Ils évoquent le besoin Ctrois clubs de supporters du de se « relaxer », après le Shenhua, la grande équipe de stress des cours ou des exa- football de Shanghai. Tous les mens, parfois à l’occasion de dimanches après-midi, au len- soirées d’anniversaire. demain du match de leur Pour eux, le KTV est aussi le équipe, ils se retrouvent pour moyen de rencontrer de nou- une partie amicale sur le terrain veaux amis, par l’intermé- omnisports du lycée Sitang, diaire d’une connaissance dans le district de Baoshang. commune. Les deux filles, L’occasion pour eux de refaire d’une part, et les deux garçons, le match de la veille, et sur- d’autre part, ne se connais- tout de préparer le prochain saient pas avant la soirée. Leur auquel ils assisteront. ami commun, Shuo, les a pré- C’est la tâche de Gu Yui, in- sentés à cette occasion. A la fin formaticien de 21 ans et orga- de la soirée, les jeunes gens nisateur des activités des Blue échangeront leurs numéros de Loup Besmond de Senneville/CUEJ Boys. A la fin de l’après-midi, téléphone. Outre les variétés chinoises fluence. Une sortie abordable Pour 400 il recueille les noms des fans comme les tubes Snail du Tai- pour les jeunes, majoritaires yuans, désireux d’assister au pro- Esprit intimiste. Contraire- wanais Jay Chou ou Eyes on dans ces lieux de divertisse- on peut chain match du Shenhua. Au ment aux karaokés européens, me du Hong-Kongais Wong ment : la location d’une salle passer cours de la semaine, il collecte où le chanteur amateur se pro- Faye, les classiques de la revient à 400 yuans environ une soirée leur participation aux frais. duit devant toute une salle, les chanson anglo-saxonne domi- pour quatre heures, à partager à dix. L’organisation est plus com- karaokés chinois sont plus in- nent. entre les participants, jusqu’à pliquée quand le Shenhua joue timistes : chaque groupe ré- Les soirées de karaoké, qui dé- une dizaine de personnes par à l’extérieur. Il faut réserver serve à l’avance une salle pri- marrent en général assez tôt, salle. Pour prendre part à une les billets de bus, de train ou vative. A l’intérieur, un grand peuvent durer jusqu’au petit soirée, nul besoin d’être un au- d’avion, voire l’hôtel lorsque écran, des canapés et une matin. Même s’ils sont ouverts thentique mélomane : Zhikuan la destination est lointaine. borne informatique, sur la- toute la semaine, c’est surtout avoue ne jamais écouter de Les Blue Boys comptent 1200 quelle les chanteurs effectuent le week-end que les KTV re- musique chez lui. fans, dont près de 200 assis- la programmation. çoivent leur plus forte af- Roman Bernard tent à tous les matches, dépla- cements compris. « Une évolution lente des mentalités » L’exemple européen. Pour l’heure, « il n’y a pas de véri- Si la publicité est partout, les annonceurs s’interdisent trop d’audace. table culture des fans de foot- ball comme en Europe », dé- CRANS plasma dans la cher de nouveaux territoires de aux jeunes qu’ils sont uniques plore Gu Yui. rue diffusant en perma- communication pour construire pour les attirer. Mais aussi Pour lui, l’implication dans le Enence leur lot de spots pu- une image basée sur des va- jouer sur les codes américains, club de supporters est insépa- blicitaires, bus et appuie-tête leurs plus abstraites. auxquels ce public est de plus rable de son attachement à sa des taxis dotés de petits en plus sensible. » ville. Quelques années après la écrans où défilent des an- Trois modèles. Camilla Yu Un phénomène que les entre- création de la Ligue profession- nonces. Les jeunes Shan- distingue trois modèles publi- prises chinoises commencent à nelle de football, la Jia A, en ghaiens, qui ont grandi dans citaires émergents. Le premier, appréhender : des marques de 1994, il devient fan du Shen- cet univers de communication très présent à l’approche des vêtements de sport locales hua. C’est seulement en 2006 intrusive, n’ont pas pour au- JO de Pékin, est l’exaltation de comme Metersbrown ou Anta qu’il adhère, entraîné par un tant le même rapport à la pu- la fibre patriotique des jeunes. copient souvent, en flirtant ami, aux Blue Boys. Il s’im- blicité que leurs congénères De grandes firmes comme avec le plagiat, les spots de pose rapidement comme l’un européens ou nord-améri- Adidas ont saisi l’intérêt firmes américaines du secteur, des leaders du club, prenant no- cains. qu’elles pouvaient tirer de ce au premier rang desquelles fi- tamment en charge l’organisa- « Les agences de pub doivent regain de nationalisme. Le der- gure Nike. tion des déplacements. composer avec l’évolution, nier spot de la marque aux Pour une saison entière, la par- parfois assez lente, des menta- trois bandes, dont tous les Jeunes conservateurs. Quant ticipation va jusqu’à 30 000 lités, analyse Wei Liang, jeunes se délectent, met en aux espaces de diffusion les yuans : 70% du revenu de Gu concepteur-rédacteur chez JJ scène l’équipe nationale fémi- plus prisés pour toucher les Yui. Un dévouement qui Communication Group. En ce nine de volley-ball épaulée par jeunes, ce sont, sans surprise, l’oblige pour l’instant à vivre qui concerne la cible jeunes, le peuple chinois tout entier. « les émissions de télé-réalité », chez sa mère, 45 ans, qui a une nous ne pouvons pas encore Deuxième modèle, inspiré affirme Ivy Liu, chercheuse à bonne situation financière de- nous permettre d’utiliser l’hu- des techniques occidentales, Ipsos-Shanghai. Les annon- puis qu’elle a fondé son entre- mour décalé des publicités eu- l’utilisation de stars consen- ceurs se livrent à de véritables prise de confection de vête- ropéennes. Nous devons rester suelles et fédératrices. Ac- batailles rangées pour obtenir le ments, dans les années 1990. très terre-à-terre. » Une asser- tuellement, le chanteur taïwa- droit de sponsoriser ces shows. Aucune raison pour lui, donc, tion confirmée par Camilla Yu, nais Jay Chou remporte de Dernier grand vainqueur : de quitter le domicile maternel, consultante senior au sein de loin les suffrages des annon- Sprite, qui diffuse un clip de 15 où, débarrassé de tout souci do- l’agence de planning-média ceurs visant le public jeune. secondes au générique de « My mestique, il peut réserver tout 167 : c’est, Mediashare, filiale du britan- Le troisième modèle concerne show », l’une des Star Academy son temps libre à sa passion. pour 100 nique GroupM. « Le paysage les moins de 20 ans. « Cette gé- locales. Le slogan : « Fresh and Même s’il a conscience qu’il ne foyers, le commence à changer, mais jus- nération est plus individua- cool ». Un message suffisam- pourra s’investir durablement à nombre de té- qu’à présent les annonceurs liste, plus sensible à la mode, ment vague pour ne pas cho- ce point dans son club, Gu Yui léviseurs cou- restent prudents et privilégient au design et au bien-être, ex- quer une jeunesse que Wei considère qu’à 21 ans, avec leur recensés les spots focalisés sur le pro- plique-t-elle. Elle dispose de Liang, créatif parfois frustré, déjà un emploi, il a encore le en 2006. Il n’y duit et ses attributs. » davantage d’argent de poche, désigne comme étant « encore temps de voir venir. en avait que Les marques internationales c’est une cible importante. Les très conservatrice ». Roman Bernard 25 en 1990. commencent toutefois à défri- annonceurs doivent faire sentir Dave Kouliche NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 25 « JE DOIS ABSOLUMENT TROUVER UN TRAVAIL, ET VITE, CAR JE NE VEUX PLUS ÊTRE UN POIDS POUR MA FAMILLE », LI XIAOJIE, 23 ANS.

1 2 3

(De gauche à droite) Plus de mille Après les études, c’est pas gagné étudiants (1) étaient au forum de l’emploi, à Les jeunes diplômés jouent des coudes pour décrocher leur premier travail. Partent avec une longueur d’avance Shanghai, pour convaincre les Shanghaiens qui savent faire jouer leur réseau. Les autres doivent parfois revoir leurs ambitions à la baisse. des recruteurs privés (2 et 3). ’EST le dernier forum seau et surtout, je ne parle sans hukou, affirme-t-il, per- bauche. « Le problème est D’autres ont pour l’emploi avant pas le dialecte shanghaien, ce suadé de pouvoir s’en sortir. qu’ils n’ont aucune expé- choisi de la remise des di- qui, est éliminatoire. Et beau- Ce sera plus compliqué et rience professionnelle et au- servir l’Etat, plômes 2008. coup d’entreprises n’embau- moins rémunérateur mais je cune idée de ce qui les attend. comme ces Quelque mille étu- chent que des Shanghaiens. » suis prêt à faire des conces- Si 95% des étudiants d’une militaires (4). C diants se bousculent Autre problème : le hukou de sions, car il faut bien payer le bonne université trouvent un devant les stands de grandes Shanghai, indispensable à loyer.» emploi, avec la concurrence, entreprises. Tailleur et chi- terme, pour travailler ici dans le salaire n’atteint pas la gnon stricts, la main agrippée de bonnes conditions. Pour Légende urbaine. « De moitié de leurs espérances.» à ses CV, Li Xiaojie, 23 ans, l’obtenir, les non-Shan- plus en plus d’étudiants vien- Une fois face aux proposi- attend patiemment son ghaiens privilégient les nent à Shanghai avec l’idée tions de salaire, c'est en effet tour. « Je dois absolument concours de fonctionnaire ou qu’on peut y faire fortune, souvent le choc pour ces fu- trouver un travail, et vite, postulent auprès d’une grande mais c’est une légende ur- turs actifs. « Le meilleur sa- confie cette future diplômée entreprise publique. Lu Yon- baine », constate Zhu Huaz- laire qu'on m'ait proposé en génie civil. Mais la grui a renoncé depuis long- hen, responsable du bureau après toutes ces années concurrence est rude, il y a temps à entrer dans une d’aide pour les diplômés de d'études, c'est 3000 yuans par environ dix candidats pour chaîne publique faute de l’université Tongji, à Shan- mois, s'étonne Li Xiaojie. Le une seule offre. » Pour éviter Guansci local, l’indispen- ghai. pire, c'est que si je ne trouve de se retrouver au chômage, sable réseau d’obligations Tous les ans, 50 à 60 étu- pas mieux, il va falloir accep- cette jeune Shanghaienne mutuelles qui, seul, ouvre ef- diants viennent lui demander ter car je ne veux plus être un s’est lancée dans la recherche ficacement les portes. « Je une aide pour rédiger un CV poids pour ma famille. » d’emploi il y a plus d’un an. resterai à Shanghai avec ou ou réussir un entretien d’em- Ratiba Hamzaoui « Entre internet et les forums, tout mon temps libre tourne autour de ça, raconte-t-elle. Après les cours, je passe au moins cinq heures par jour Quand les tortues de mer rentrent au pays sur les sites de recherche d’emploi. Mais bon, c’est in- En 2007, la utile, car, dans une grande De plus en plus d’étudiants, partis à l’étranger, reviennent dans leur pays population ville comme Shanghai, rien active des ne vaut les relations. » natal pour y travailler, comme les tortues de mer pour y pondre leurs œufs. 15 à 59 ans a baissé pour Avec ou sans hukou. Des E la famille des reptiles, la souhaiter réellement travailler à Etudiant au centre sino-alle- la première relations, Lu Yongrui, 23 ans, tortue de mer possède la ca- l’étranger. Etudier en Europe ou mand de l’université Tongji fois à Shan- originaire de Suzhou, dans la Dractéristique de revenir aux Etats-Unis par exemple, (Chinesisch-Deutsches Hoch- ghai, passant à province du Jiangsu, n’en a pondre à l’endroit où elle est c’est avant tout se donner une schulkolleg, CDHK), Dong pas. « Je ne suis pas de Shan- née. Un parcours qu’emprun- plus-value pour trouver le Xuan prépare son mémoire 9,76 ghai, alors pour moi, la re- tent aussi les étudiants chinois meilleur job possible. En 2006, d’ingénierie mécanique et il a millions de tra- cherche d’emploi se com- qui tentent l’aventure à l’étran- la municipalité de Shanghai re- effectué deux stages en Alle- vailleurs contre plique, affirme ce futur ger et qui, pour la plupart, re- censait 10 582 Shanghaiens dans magne. Déjà, Volkswagen lui a 9,81 diplômé d’une licence en au- viennent travailler au pays. ce cas. Un chiffre en augmenta- obtenu un poste à Shanghai. en 2006. diovisuel. Je n’ai aucun ré- Peu d’étudiants chinois disent tion de 25% par rapport à 2004. « Connaître l’allemand vaut de 26 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL TRE UN POIDS POUR MA FAMILLE », LI XIAOJIE, 23 ANS.

3 4 Photos Ratiba Hamzaoui (1,2 et3)etL ouiseFessard (4)/CUEJ

l’or, surtout ici, s’exclame-t-il. sion utilisée pour qualifier ces Shanghai est C’est un énorme avantage pour expatriés qui rentrent au pays la première La fonction publique, ma carrière. » L’année der- après une expérience à l’étran- ville de Chine nière, le consulat allemand de ger – à Shanghai. à avoir un cocon très prisé Shanghai a délivré plus de 1600 Toutefois, si parler une langue instauré un visas étudiants. étrangère permettait d’assurer salaire mini- un salaire mirobolant il y a une mal, en 1993. La carrière dans l’appareil d’Etat attire les jeunes. Réussite assurée. Au dizaine d’années, cela reste au- En 2008, A la clé, stabilité de l’emploi et avantages sociaux. CDHK, les 300 camarades de jourd’hui toujours payant, mais il est passé Dong Xuan n’ont guère de sou- ce n’est plus synonyme de jack- de 840 à cis sur leur avenir pro- pot. 27 ans, Zhou Wenjia fait « Je ne stresse pas trop, ex- fessionnel. 100% des élèves du Marion Bonnet 960 yuans Apartie des 1 389 000 Shan- plique cette Shanghaienne pur centre trouvent un emploi à la Victor Nicolas par mois. ghaiens qui travaillent souche. C’est juste une histoire sortie de leurs études. Le pour l’Etat. Diplômée en ma- d’étiquette : que je sois prise CDHK, qui propose un double nagement du sport, cette jeune ou pas, je garderais le même cursus avec l’université de la femme grande et élancée a travail et le même salaire. Ruhr, est financé par une tren- Anglais obligatoire choisi la filière publique au Mais la concurrence est forte taine d’entreprises allemandes, détriment du privé et de ses car il y a de plus en plus de parmi les plus importantes : Maîtriser une deuxième langue est salaires plus rémunérateurs. candidats pour un nombre de Volkswagen, Siemens, Bosch, indispensable pour gravir les échelons. « J’ai hésité entre les deux à places quasi équivalent (1). » Bayer, Thyssenkrupp... Elles la sortie de l’université, ra- piochent dans ce vivier formé à L’English Corner of Wall Street English conte-t-elle, attablée à la ter- Atouts. La carrière pu- l’allemande et par des Alle- Institute du district de Hongkou ne désemplit rasse d’un Starbucks proche blique séduit toujours les mands. « Pour recruter, les en- pas. Des Shanghaiens viennent y parfaire leur du stade de Shanghai. Mais le jeunes, notamment les diplô- treprises s’adressent directe- niveau d’anglais à travers des discussions rapport salaire-stabilité de més. Au dela de la sécurité de ment à nous, explique Anja thématiques avec un professeur. Aujourd’hui, la l’emploi est meilleur dans la l’emploi, travailler pour l’Etat Feldmann, professeur d’alle- conversation porte sur le tremblement de terre fonction publique. En tra- est souvent synonyme de réus- mand au CDHK. Les em- au Sichuan. Occasion pour de nombreux vaillant pour le gouverne- site et d’avantages sociaux. bauches passent beaucoup par participants de faire part de leur émotion, dans ment, je ne risque pas d’être Assurance chômage, santé, les contacts personnels des un anglais parfois approximatif. renvoyée à cause d’une erreur caisse de retraite et aide pour professeurs qui, bien souvent, La plupart de ces étudiants sont jeunes. Quand de management.» l’accès à la propriété : les coti- travaillent dans ces firmes. » on les interroge sur ce qui les pousse à sations sociales représentent Selon elle, le salaire de départ améliorer leur niveau d’anglais, on retrouve Une histoire d’étiquette. un quart du salaire brut de n’est pas primordial. sans cesse les mêmes réponses : avoir de Chargée de communication au Zhou Wenjia (1000 yuans). bonnes notes aux examens universitaires, département des sports de la « Les avantages sont moins Monter dans la hiérarchie. obtenir un meilleur emploi ou partir vivre à municipalité de Shanghai, elle importants que dans le secteur « J’aimerais travailler dans l’étranger. gagne environ 4000 yuans net bancaire mais ils comptent une entreprise allemande, « La maîtrise de l’anglais est devenue un par mois : « J’ai gravi les parmi les plus élevés, dit-elle. parce qu’elles ont bonne répu- véritable enjeu pour la jeune génération, insiste échelons petit à petit et au- Et le montant des cotisations tation, et on peut y atteindre Iain Young, cadre au sein du Wall Street jourd’hui, je travaille sur les augmentera si je deviens fonc- une situation élevée », English Institute de Pudong. Ceux qui ne grands événements comme le tionnaire.» confirme Shi Zhigang, en pre- parlent que le chinois ont désormais un réel grand prix de Formule 1, les Dans ce contexte, certains mière année de master d’ingé- handicap : par exemple, une réceptionniste de matches de football, de ping- atouts peuvent changer la nierie automobile au CDHK. banque incapable de converser en anglais pong... » Contractuelle depuis donne pour les aspirants fonc- « Maîtriser la langue de l’en- verra son salaire mensuel plafonné à 2000 ou ses débuts, il y a cinq ans, elle tionnaires. Si avoir la carte du treprise permet en effet d’entrer 3000 yuans maximum. » vise aujourd’hui les galons de parti n’est pas obligatoire, plus facilement en contact avec Mais tous les jeunes ne parient pas sur fonctionnaire. « cela peut faire la différence les dirigeants, et donc de mon- l’anglais : certains choisissent de se démarquer En janvier, elle passera l’exa- entre deux candidats de même ter dans la hiérarchie plus ra- en étudiant l’allemand, l’espagnol, le japonais men pour le devenir : un test niveau lors des examens », as- pidement », confirme Nicolas ou le français. Objectif : séduire les entreprises écrit portant sur ses capacités sure Zhou Wenjia. Minolas, directeur d’une so- étrangères. de synthèse et de gestion ad- Pierre Demoux ciété de recrutement et de pla- Pierre-Louis Lensel ministrative, puis un entretien (1) Le nombre de fonctionnaires à cement de returneers – expres- avec ses futurs supérieurs. Shanghai était de 1 809 000 en 2000. NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 27 « ON SORT, ON N’EST PAS PRESSÉES DE SE MARIER ET TANT PIS SI ÇA DÉRAN GE », SUZIE Q, 26 ANS.

Malgré la compétition et le stress, les étudiants s’autorisent quelques instants de détente. Anne-Louise Sautreuil/CUEJ Une carrière planifiée au millimètre A 25 ans, Joyce affiche ses ambitions . Pour percer dans la finance, elle est prête à tous les sacrifices.

RAVAILLER dans une cidé : dans un an, elle compte portefeuilles d’entreprises. » sion sur ses épaules. Enfant société internationale se marier, dans deux, elle met- Ainsi, tous deux poursuivent unique, elle était pour ses pa- est un rêve partagé par tra au monde son unique en- une carrière similaire, dans le rents une promesse de réussite de nombreux fant. Mais pas ques- domaine bancaire, et souhai- et la dépositaire de toutes les Tétudiants. Pour tion que sa vie tent rester à Shanghai. « Au- attentes. « Mon enfance a été Chen Yi, qui personnelle compro- jourd’hui, je ne parle plus de assez préservée, se souvient- préfère qu’on l’ap- mette sa carrière pro- “mes plans” mais de “nos elle. La pression s’est accen- pelle Joyce, il est de- fessionnelle : son fils plans” », assure la jeune tuée en grandissant. Une fois venu réalité lorsqu’en ou sa fille sera confié femme dans un éclat de rire. diplômée, je devais trouver ra- 2006, fraîchement di- à ses parents, Shan- pidement un bon travail pour plômée d’un « double ghaiens installés de- Une promesse de réussite. qu’ils n’aient pas gaspillé bachelor degree » en puis peu à Haikou, au « Devenir chef » : une des am- l’argent dépensé pour mon économie et en mana- bord de la mer. « Il bitions affichées sans ambages éducation. » gement de l’Univer- n’est pas possible de par Joyce. Elle s’attend, bien Mais son métier actuel et ses sité de Shanghai, elle gérer en même temps entendu, à devoir faire face à ambitions de carrière ne sont a intégré la Hang Pierre-Louis Lensel / CUEJ Le shopping une carrière et l’édu- la concurrence de ses col- qu’une étape vers son vrai Entre février Seng Bank, filiale permet à Joyce cation d’un enfant, lègues masculins : «A mon rêve : « Je n’en suis qu’au 2007 et d’HSBC. Depuis, de se relaxer. cela serait beaucoup poste actuel, c’est plutôt un début, affirme-t-elle. Ce que je février 2008, sans compter ses trop stressant. Haikou avantage d’être une femme voudrais, à terme, quand j’au- l’inflation était heures, elle s’est taillée une est à deux heures et demi de car j’exerce un métier basé rai gagné assez d’argent pour de place dans l’équipe des ges- Shanghai, je pourrai y aller sur le contact et le relationnel vivre confortablement, ce se- tionnaires de portefeuilles ban- souvent. » Joyce fait entière- avec les particuliers. Mais je rait de ne plus avoir à tra- 8,7 %, caires de particuliers. Six jours ment confiance à sa mère, an- sais que pour la suite de ma vailler tous les jours. Pour- la plus forte sur sept, de 9 à 21 heures, elle cien médecin, et à son père, re- carrière, ce sera plus diffi- quoi ne pas ouvrir, quand enregistrée travaille au 27e étage de la tour traité de l’immobilier, pour cile. » Joyce dit aimer les dé- j’aurai autour de quarante depuis douze de la bourse de Shanghai, à prendre soin de son en- fis, elle en parle avec cet air à ans, une boutique de ans en Chine. Pudong. Un poste obtenu après fant : « Ils m’ont toujours en- la fois sérieux et détendu. Elle fleuriste ? » Les prix à la deux ans de bons et loyaux ser- couragée et soutenue », in- est habituée à porter la pres- Pierre-Louis Lensel consommation vices dans une agence du quar- siste-t-elle. augmentent tier du temple Jingan, un lieu fortement où elle a conservé des habi- Rester à Shanghai. Son pe- Le choix de la liberté depuis le tudes : cinq heures de shop- tit ami et futur mari, lui aussi milieu de ping hebdomadaires dans le enfant unique, Joyce l’a ren- l’année 2007. gigantesque centre commer- contré sur son lieu de Amoureuse des femmes et de la cuisine, Cette inflation cial, pour se «relaxer ». « Ce travail : « Nous travaillions Sailing, s’assume presque au grand jour. générale est changement de poste m’a éloi- ensemble et, rapidement, nous due gnée de mon appartement mais sommes tombés amoureux. notamment l’essentiel est d’avoir un bon Dès lors, il fallait que l’un de ROITE, la tête penchée sur semble carrés de légumes et à la forte travail », insiste-t-elle. nous deux change d’em- son plan de travail, Sailing gingembre coupé qu’elle fait augmentation Joyce sait ce qu’elle veut et, au ployeur. On a un peu discuté Dfait courir son couteau le atterrir sur le fond crépitant des prix des sujet de son avenir, elle n’hé- et c’est finalement lui qui a re- long d’une aubergine fraîche- d’une cocotte en fonte. denrées site pas à parler de « ses joint une autre banque, spé- ment lavée. De ses doigts aux Dans un nuage de vapeur âcre, alimentaires. plans ». Tout semble dé- cialisée dans la gestion de extrémités noircies, elle ras- cette cuisinière de profession 28 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL AN GE », SUZIE Q, 26 ANS.

de 28 ans parsème d’herbes ci- en profite pour vivre à ciel ou- « C’était difficile de voir ma pas de trouver l’âme sœur, mais selées et de piment rouge sang vert son homosexualité, dont mère souffrir, mais c’était le de rencontrer des femmes avec son plat sichuanais. Aujour- elle a eu la révélation au lycée. prix à payer pour être libre », lesquelles je peux discuter li- d’hui, elle a des invités. « Tout A Melbourne, elle emménage affirme-t-elle. brement. » l’attrait de la cuisine consiste à avec une femme. En attendant l’arrivée de deux A l’approche de sa colocataire passer du temps en coulisses, femmes rencontrées grâce à dans la pièce, Sailing, qui ne afin de donner aux autres le Confrontation difficile. De son profil lesbien sur QQ chat, lui a encore rien dit de sa plus de plaisir possible », ex- retour en Chine, ses parents un site de discussion, elle ins- sexualité, baisse la voix. « Je plique-t-elle, un œil sur ses cas- l’assaillent. Ils lui présentent talle le cuiseur à riz à terre, ne veux pas qu’elle ait l’im- seroles. « Et dire que j’ai failli des hommes et lui trouvent une près de la table dressée. pression de vivre avec un rester comptable », lance cette place de comptable dans un hô- homme », justifie-t-elle, en

enfant rebelle de Yuan qui, tel tenu par un ami. « J’étais Stéphanie de Silguy / CUEJ Priorité à la discussion. ébouriffant ses cheveux courts. après son refus de passer le incapable de rédiger une lettre Sailing, « Depuis mon arrivée, il y a un Adossée au pas de la porte, une gaokao — le concours d’entrée de motivation, encore moins de 28 ans, est mois je n’ai pas encore eu le main dans la poche de son ber- à l’université— avait dit oui à me marier. Le temps était venu devenue temps de me faire beaucoup muda, elle guette les craque- ses parents pour un cursus de de leur parler », relate Sailing. cuisinière d’amis », raconte-t-elle de son ments de pas de ses convives comptabilité en Australie. La confrontation est difficile professionnelle timbre grave, au lendemain de encore inconnues dans l’esca- Loin de sa ville d’origine, elle pour cette fille unique qui ne contre l’avis sa première sortie dans l’une lier en bois sombre. s’inscrit en secret dans une parvient qu’à avouer une bi- de ses parents. des rares boîtes lesbiennes de Mathilde Morandi école de cuisine occidentale et sexualité, peut-être passagère. la ville. « Ma priorité n’est Anne-Louise Sautreuil Talons hauts et dessous chics pour le bonheur des shoppeuses Fières de leur réussite professionnelle, elles revendiquent leur statut de femmes indépendantes. LLES se surnomment les « Sex in the city ». EComme leurs héroïnes, elles affichent leur célibat, leur réussite professionnelle et leur pouvoir de consomma- trices. Ce samedi après-midi, Yan Yan, Diane et Suzie Q. se sont donné rendez-vous devant le Starbucks du Xintiandi (Nou- veau paradis), enclave à la mode occidentale, au cœur du quartier d’affaires de Luwan. Mini-jupes en jean, porte- feuille en bandoulière, elles fixent les derniers détails de leur journée autour d’un café frappé. Sans trop d’hésita- tions, leur choix se porte sur « la rue des chaussures ». Dans un cliquetis de talons, les trois copines se lèvent et hèlent le premier taxi. « Le métro c’est bondé et avoir sa propre voiture c’est un gouffre financier, justifie Yan Yan, titulaire du permis. L’autorisation de conduire à Shanghai coûte 50 000 yuans soit la moitié du prix d’une Anne-Louise Sautreuil/CUEJ voiture, sans compter l’entre- Suzie Q., Diane et Yan Yan terminent leurs emplettes du samedi dans une boutique de lingerie du district de Xuhui, tien et la parking estimés à avant de poursuivre la soirée dans une boîte de nuit. 2000 yuans par mois ! » dans un tiroir de culottes. vesti pour nos études et nous Essayages. La course est Tour à tour, elles se bouscu- avons travaillé avec acharne- Mi-cigales, mi-fourmis rapide et elles s’engouffrent lent devant la cabine d’es- ment », justifie Yan Yan. sans plus tarder dans les mi- sayage et se lancent des re- Rassasiées, déjà apprêtées, Diplômée d’HEC et travaillant pour Publicis nuscules boutiques de la rue gards charmeurs autour du elles prennent le chemin depuis un an, Yan Yan gagne environ Yueyan. L’œil expert, elles miroir central. La nuit tom- d’une boîte mexicaine en 15 000 yuans par mois, cinq fois plus que le ouvrent une à une et en jouant bée, le trio amateur de cuisine plein air, « le karaoké c’est revenu moyen d’un Shanghaien (2900 yuans). des coudes les centaines de aigre-douce fait escale dans trop calme ». A peine arrivées Elle consacre 20% de son budget à la location de boîtes d’escarpins dégriffés, un restaurant tenu par la mu- sur place, Suzie Q, qui com- son appartement. Shopping et sorties représentent qui s’entassent dans 10m2. nicipalité. mande au serveur un cocktail 15% de ses dépenses. La nourriture près de 5%, Trois échoppes plus loin, Yan Sex on the beach, essuie les les cours de danse et de formation professionnelle Yan ressort avec un premier Rassasiées. Satisfaites de sarcasmes réprobateurs d’une environ 10%. Le reste, la moitié de ses revenus, objet de convoitise aux pieds, leur moisson, les filles se femme plus âgée, assise à est placé sur un compte. « En Chine, on ne se sent marchandé avec assurance. mettent à parler argent. « Au- leur table. « Elle nous a prise jamais vraiment en sécurité, on ne sait pas de Quant à Diane, elle essaie jourd’hui j’ai dépensé 1300 pour des prostituées, cette quoi demain sera fait », justifie-t-elle. Un tout ce qu’elle trouve d’extra- yuans. Une grosse journée idiote» , réagit Diane cho- exemple que Suzie Q, assistante de direction dans vagant, en quête des compli- shopping comme celle ci quée. « On se fiche de ne pas une société chinoise, aimerait pouvoir suivre. « Je ments de ses acolytes. n’arrive qu’une à deux fois faire comme tout le monde, n’économise qu’entre 20 et 30% de mes revenus, Bredouille, Suzie Q, la benja- par mois », explique Yan Yan, s’emporte Suzie Q. On sort, regrette-t-elle. Même si mon salaire augmente de mine de 26 ans, entraîne les 27 ans. on n’est pas pressées de se 15% par an, c’est difficile de suivre la flambée deux autres dans une bou- Privilégiées dans les faits, les marier et tant pis si ça dé- des prix. » Les deux femmes espèrent gagner plus tique de lingerie où la pro- trois jeunes filles refusent de range. » pour s’acheter un appartement sans compter ni priétaire les accueille en se considérer comme des nan- Main dans la main, elles dis- sur leur famille, ni sur celle de leur futur époux. amie. « C’est nouveau pour ties. « D’accord, on gagne paraissent, sans plus tarder, Si tout se passe comme prévu, elles pourront les Chinoises de s’intéresser plus que la moyenne, mais dans la foule des danseurs. bientôt verser 10% de leur salaire à leurs parents, aux dessous. On s’occidenta- c’est loin d’être de la chance. Mathilde Morandi restés à Nankin et en Mongolie intérieure. lise », note Suzie Q, les mains Nos parents ont beaucoup in- Anne-Louise Sautreuil NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 29 ... PAS PRESSÉES DE SE MARIER ...

cher sur une barge aux murs au supermarché. Les hautes tours bleus tachés de rouille amarrée de Pudong, le Bund et les centres dans le petit port de Sancha, un commerciaux ne l’intéressent hameau à flot sur la rive droite de pas. « Mes amis n’y vont jamais la rivière, tout au nord de Shan- et moi, je ne veux pas y aller tout ghai. Là, non loin de l’embou- seul. » Il ne possède pas le permis chure du fleuve Yangzi, s’aggri- de résidence de Shanghai : pent un temps quelques coques « Mon ancien patron travaille ici de passage : bateaux de pêche, depuis plus de dix ans et n’en a péniches transportant du carbu- jamais obtenu. » rant, du sable ou collectant des Le Nouvel an chinois, en février, métaux... est l’unique occasion où Tang Qingbing retrouve ses proches. Gagner de l’argent. Le jeune Rallier la province du Hebei, en marin partage une cabine d’envi- train, lui prend 18 heures. Il reste ron 8 m2 avec deux couples dont alors 20 jours chez ses parents l’un avec un enfant en bas-âge. âgés d’« environ la cinquantaine, Quatre lits occupent la longueur. je crois » qui cultivent coton, blé Un minuscule couloir central sert ou maïs selon les saisons et aux- d’espace commun pour cuisiner, quels il a envoyé 4000 yuans l’an regarder la télévision... Son cou- dernier. sin, sa femme et son fils occupent la pièce mitoyenne meublée à Demande sans réponse. Là- l’identique. C’est lui, installé à bas, il aime passer du temps avec Shanghai depuis 12 ans, qui a sa petite amie, du même âge que Guilhem Martin-Saint-Léon / CUEJ aidé Tang Qingbing à vivoter lui, qui travaille dans la ferme de quand il est arrivé à l’âge de ses parents et avec ses sœurs de Loin des yeux, près du fleuve 15 ans dans la mégalopole. « Je 27 et 22 ans, toutes deux mariées. n’ai pas eu de bons résultats à L’aînée vend des pièces déta- l’école. Je voulais gagner de chées de voiture à Shijiazhuang, Dragueur de boue, Tang Qingbing passe tout son temps sur l’argent, raconte-t-il. J’ai quitté dans la capitale de la provinciale. le Hebei, ma province natale, L’autre travaillait à Pékin mais le Huangpu. Sa petite amie, elle, est restée au village. pour le rejoindre ici. » Tang Qingbing n’a aucune idée Au bout de quelques mois, son de ce qu’elle fait maintenant. Il Lors de ses L en avait assez de travailler deux jours de repos. Ses revenus cousin lui a trouvé un emploi n’a pas de projet professionnel : jours de sept jours sur sept. Il y a trois n’ont pas souffert du changement dans un supermarché, à 200 « Peu importe que mon job me repos, Tang Imois, Tang Qingbing, 21 ans, a d’activité : le patron du magasin mètres de là. Le même lui a der- plaise ou pas. Je dois continuer à Qingbing quitté son emploi de magasinier le payait 1200 yuans par mois. nièrement dégoté une place dans travailler. Je n’ai pas le choix. » joue au dans un supermarché pour deve- Grâce à un système de primes la compagnie où il travaille. La dernière fois qu’il a séjourné mahjong nir mousse à tout faire, sur un na- son nouveau job peut lui en rap- Les jours de récupération qui font dans sa province natale, il a parlé avec vire qui drague la boue du porter jusqu’à 2000. l’intérêt de son nouveau boulot, de mariage à sa petite amie. Elle d’autres Huangpu. Il effectue les tâches Quand il ne navigue pas sur le Tang Qingbing les occupe en lui a souri. Mais elle ne lui a pas immigrés du les plus ingrates mais, après deux Huangpu, Tang Qingbing y vit. jouant aux cartes et au mah jong répondu. Hebei. jours de service, il bénéficie de Sa compagnie lui fournit le cou- avec les rares amis qu’il a connus Guilhem Martin-Saint-Léon Ma boutique à moi Parti de rien, Zhang Peng possède son échoppe et rêve d’une chaîne de magasins à son nom.

ON rêve est de créer une les marchandises occupent grande chaîne de maga- presque la totalité de l’espace, Msins de tapis, comme les empilées ou accrochées, ne fast-food KFC ! » A 30 ans, laissant qu’un passage étroit à Zhang Peng voit les choses en l’entrée. Souriant, bien coiffé, grand. Arrivé en 2000, les chemise blanche impeccable et

poches vides malgré six ans de montre clinquante, Zhang Peng Reynaud / CUEJ Tiphaine petits boulots, il possède au- veut donner l’image du parfait Plus de loisirs pour Zhang Peng depuis qu’il est son propre patron. jourd’hui son propre fonds de businessman. commerce. Sept jours sur sept, précié. C’est là que lui est ve- ne les voit que très rarement, à au numero 468 de la rue Tenter sa chance. Aîné nue l’idée d’en faire commerce. l’occasion de grandes fêtes. Et Tianmu, dès 7 heures du matin, d’une famille de paysans, il a Je l’ai rejoint, et j’ai travaillé ne leur envoie de l’argent que il ouvre les portes de sa bou- arrêté ses études à 16 ans. « Je deux ans avec lui. » s’ils lui en demandent. tique Kai Mao (développer la n’aimais pas l’école, que mes « En ce moment, ça marche richesse) située sous le périphé- parents ne pouvaient d’ailleurs 700 yuans par mois. Il ap- doucement. Je vends plus aux rique en les calant avec un tas pas payer. » En 1994, il tente prend le métier et noue des re- entreprises qu’aux particuliers. de paillassons. « Les gens du l’aventure à Chongqing. Pen- lations avec fournisseurs et re- Et ma clientèle est plutôt âgée, Zhejiang ont l’habitude de se dant six ans, il y vend des ma- vendeurs. En 2004, Zhang Peng car les jeunes n’ont pas les lever à l’aube », lâche-t-il avec tériaux de construction. Insatis- décide de prendre son indépen- moyens. Mais, je suis un sourire. Il n’en repartira qu’à fait de son travail et espérant un dance en commençant par em- confiant. » Il a les yeux réguliè- 21 heures. « Quand je rentre sort meilleur, il décide en 2000 prunter de l’argent à sa famille. rement rivés sur son écran : il chez moi, je me repose. Je ne de tenter sa chance a Shanghai. Les premiers mois sont diffi- vient juste de créer un site in- sors jamais. » Durant deux ans, Zhang Peng ciles. Il se souvient de longues ternet pour commercialiser ses Dans son local d’une vingtaine est vendeur de chaussures à la journées passées à attendre les tapis. de mètres carrés, véritable ca- sauvette. « C’était fatigant de clients. Mais les affaires se dé- Installé à Zhabei, quartier en- pharnaüm, qu’il loue 6000 devoir ranger ma marchandise veloppent progressivement. core abordable de Shanghai, yuans par mois, il y en a pour à chaque fois que j’apercevais « Aujourd’hui, j’ai enfin pu Zhang Peng loue un minuscule toutes les bourses : tapis de la police. » En 2002, son oncle, rembourser tout le monde. » appartement avec sa petite bains, grands tapis à fleurs, en installé à Shanghai depuis plus Discret sur le montant de ses amie, 700 yuans par mois, à soie, en laine, ou en synthé- de vingt ans, ouvre un magasin revenus, il déplore payer 30% dix minutes à pied de sa bou- tique, essuie-pieds en plas- de tapis à côté de l’université de taxes. Son frère de 27 ans tique. Pour l’heure, il n’envi- tique... Fabriquées beaucoup à Fudan. « Alors qu’il était em- travaille maintenant dans sa sage ni de se marier, ni d’avoir la machine, un peu à la main, ployé à China Mobile, il a un boutique. Le plus jeune, 23 ans, d’enfant. Son unique ambition provenant d’usines chinoises et jour offert un tapis à un de ses étudie le secrétariat à l’univer- reste de gagner plus. même importées de Belgique, supérieurs, qui a beaucoup ap- sité de . Ses parents, il Solina Prak 30 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL

«UNE BELLE CÉRÉMONIE COÛTE BEAUCOUP D’ARGENT. » WANG KAI, 26 ANS. Photos Manon Aubel/CUEJ Un mariage à tout prix Étape indispensable en Chine, l’union de deux personnes permet aux grands-parents de s’assurer une place centrale au sein de la famille.

ARC du Peuple, pour mettre au monde l’enfant moment où, devenu adulte, il comme chaque di- unique. « Un bébé qui naît cesse d’être dépendant. Invo- manche, une centaine hors de ce cadre légal n’aura quant la tradition, les parents de retraités sont postés pas le même accès au système ne participent pas seulement à Psur leurs bancs avec de protection sociale », ex- la quête du prétendant. Ils d’étranges pancartes. plique Luo Fang, professeur prennent une part active à l’or- Parmi eux, madame Zhou, de droit civil à l’université ganisation de la cérémonie et à 68 ans. Depuis deux ans, elle Tongji. l’installation du jeune couple. est fidèle au rendez-vous de Pour les quatre parents des L’investissement se compte en ces parents de célibataires. mariés, la naissance program- temps, en énergie mais, sur- Munie de l’album photo fami- mée de l’héritier est la tout, en argent. lial, elle vient ici vanter les meilleure assurance de conti- Rue Renmin, un centre com- qualités de ses deux filles, res- nuer à exister au sein de la cel- mercial de trois étages, entiè- pectivement architecte et lule familiale. De la solidité rement dédiés à l’événement, tradition chinoise, les jeunes En Chine, cadre dans une grande entre- du lien conjugal dépend sou- accueille la noria des fiancés, époux doivent disposer de leur une prise. La trentaine entamée, vent leur subsistance écono- accompagnés de leurs parents. propre habitation le jour de la cérémonie elles n’ont pas trouvé de mique. Car à Shanghai, dans Décorations, robes et cartes cérémonie du mariage. La représente mari : « Les hommes qui réus- les années 1990, l’ouverture à d’invitation : ces derniers en- charge en incombait jadis à la jusqu’à huit sissent cherchent des femmes la concurrence des entreprises tendent bien avoir leur mot à famille du marié car elle dé- ans de plus jeunes et moins qualifiées d’Etat s’est soldée par des li- dire sur la préparation et les possédait l’autre de sa fille. salaire qu’eux. Moi, tout ce que je de- cenciements massifs et la dis- choix de mise en scène. Soixante ans de communisme moyen mande, ce sont de gentils ma- parition du système social Selon l’Institut de recherche et trente ans de politique de d’un ouvrier. ris, et des parents avec qui je qu’elles géraient. sur la famille et le mariage, l’enfant unique ont mis un bé- m’entende bien », glisse-t- une cérémonie représente jus- mol à cette pratique, en faisant elle, très sérieuse. Solidarités. Sans pension qu’à huit ans de salaire moyen de la fille un capital aussi pré- Car le mariage n’est pas une de retraites, ni assurance mala- d’un ouvrier. Les parents sont cieux que le garçon. Mais mince affaire. Pour le couple, die, une génération de quaran- presque toujours les princi- dans l’économie socialiste de cela signifie pouvoir s’instal- tenaires a vu se lever devant paux contributeurs d’une dé- marché, l’accession à la pro- ler et garantir une descen- elle le spectre d’une vieillesse pense qui atteint facilement priété est un impératif social dance. En Chine, cette étape précaire. Le recours ? Se 100 000 yuans. de plus en plus difficile à sa- est obligatoire car elle condi- rendre indispensable au foyer Même empressement autour tisfaire, tant les prix de l’im- tionne la délivrance du permis fondé par son enfant choyé, au du futur logement. Dans la mobilier à Shanghai GGG NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 31 ... BELLE CÉRÉMONIE...

GGG ont flambé ces dernières d’habiter avec leurs parents, années. Au delà du troisième une solution souvent vécue périphérique, dans un vieil im- comme un échec. » meuble des années 1950, le Dans la recherche du loge- mètre carré s’élève déjà à en- ment idéal, même locatif, ha- viron 8000 yuans, soit près du biter près de ses parents est un tiers d’un revenu annuel critère majeur pour des jeunes moyen. mariés à qui l’on a répété de- Selon la Commission natio- puis l’enfance que « lorsqu’on nale du développement et des rapporte la soupe de chez ses réformes, depuis cinq mois, la parents, mieux vaut qu’elle hausse atteint 9%. Seul le soit encore chaude ». sommet de la classe moyenne peut désormais prétendre em- Trois générations réunies. ménager chez elle. Encore ces Cette proximité offre aussi des « fang nu », ou esclaves du lo- ressources aux couples obligés gement, s’endettent-ils jus- de travailler pour épargner, qu’au cou, pour plusieurs dé- rembourser leurs emprunts et fi- cennies. nancer les études de leur enfant. La plupart n’ont d’autre alterna- Galère. Même pour les tive que de faire appel à leurs plus aisés, la double aide pa- parents pour élever le petit. rentale est presque indispen- Le week-end, les parcs publics sable pour l’apport en capital de Shanghai sont le terrain de exigé par les banques. « Elles jeux de ces nouvelles équipes ne prêtent que 70 à 80% du inter-générationnelles. Le ver- La cérémonie coût de l’appartement. Pour rou du mariage redonne ainsi de mariage le reste, il faut payer cash. une place centrale aux grands- constitue Des jeunes mariés, en début parents. Pour eux, boucler à un véritable de carrière, ne peuvent pas double tour l’union de leurs en- investissement avancer une telle somme, ex- fants, c’est parachever le nou- pour les jeunes plique Lu Bin, directrice de vel édifice social où trois géné- couples, l’agence immobilière De Zhi, rations – parfois quatre – en temps, dans le nord de Shanghai. De cohabiteront sous un même toit. en énergie plus en plus de personnes sont Manon Aubel et en argent.

contraintes de louer ou Photos Manon Aubel/CUEJ Pierre-Louis Lensel Avant la bague au doigt, le boulet au pied Quand la cérémonie est impossible, de jeunes couples se marient civilement sous la pression familiale.

HEN Xi et Wang Jun, en couple depuis trois ans, ha- Cbitent ensemble, s’aiment et font des plans pour le fu- tur… mais ne sont pas mariés. Pour Chen Xi, 23 ans, ça ne pose pas problème, mais les parents ne voient pas cela du même œil. Pour leur faire plai- sir, dans deux mois, les amou- reux passeront dans un bureau de mariage et seront déclarés mari et femme. Le père et la mère de Wang Jun ont particu- lièrement insisté. Les amis de leur fils de 27 ans sont presque Deux mois tous mariés et certains ont des après enfants. Tant pis si la célébra- la célébration tion publique n’a lieu que dans du mariage, deux ans. le couple recevra une Pas une fin en soi. C’est autorisation que le départ imminent de du Chen Xi en France pour

gouvernement 18 mois a fait craindre le pire essard/CUEJ d’avoir au père de Wang Jun. « Les pa-

un enfant. rents voulaient une assurance, Louise F au cas où il arriverait un acci- dent », explique Chen Xi de sa Mercredi 21 mai, vers époux de 26 ans recoivent un rassemblera selon lui que les voix douce, même si le ma- 15 heures, au bureau de ma- certificat de mariage. Ils célè- parents et les amis proches, en riage n’est pas une fin en riage de Yangpu, un district de breront la cérémonie dans un tout une vingtaine de personnes. soi : « Mon père m’a dit que, Shanghai, Wang Kai et Yue an environ, et choisiront la date Cet étudiant en filmographie pour lui, l’homme avec qui je Hongxia sont venus s’unir de- selon le calendrier lunaire. qui juge cette célébration « ma- suis mariée, ce n’est pas im- vant la loi, accompagnés par térialiste » s’y conformera tout portant. Ce qui compte, c’est le les parents de l’époux. Lui est Un mariage coûteux. Pour de même, pour ses parents. Elle père de mes enfants. » Dans né dans cet arrondissement. eux, la raison de ce délai entre devrait avoir lieu dans deux ou deux mois, les époux recevront Pour que le mariage soit pro- mariage civil et cérémonie est trois ans, alors qu’il est marié donc l’autorisation gouverne- noncé, l’un des deux membres financière, « car il faut beau- civilement depuis le 10 mai. mentale de faire un enfant. du couple doit être né dans le coup d’argent pour organiser Même s’il ne cherche pas à Mais pas de risque de voir leur district où se trouve le bureau une belle cérémonie », selon s’enrichir, il attend que son progéniture batifoler dans deux de mariage. Après avoir rempli Wang Kai, qui pense inviter en- couple ait des revenus stables ans. Chen Xi veut attendre deux fiches d’état civil, donné viron 500 convives. La cérémo- pour célébrer son mariage, der- 2012 avant sa première gros- les photos et sacrifié à l’exa- nie de mariage de Dong Shu, 27 nière étape avant les enfants. sesse. men médical facultatif, les ans, sera plus intime, et ne Victor Nicolas 32 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL ... BELLE CÉRÉMONIE... Lan Hui/ECNU Rachel Marusak/CUEJ Dans l’espoir de trouver un conjoint à leur enfant, de nombreux parents viennent les week-ends au parc du Peuple déposer et lire des annonces. Ces petits textes décrivent les qualités du fils ou de la fille et celles désirées pour l’aspirant. Souvent, un numéro de téléphone permet de prendre contact. Une troisième fête «pour satisfaire tout le monde » Zhu Dawei, 28 ans, et Liu Wanting, 24 ans, (re)célèbrent leur union en compagnie de leurs proches.

’EST la troisième fois Wanting, 24 ans, est originaire tables avec crabes, crustacés et Crystal Palace où le couple qu’ils jouent la comédie, du Hunan. Elle aussi a tenu à autres mets raffinés. L’investis- s’est rencontré il y a deux ans. Cpour le meilleur et pour le honorer ses parents en organi- sement est un choix assumé. Elle était serveuse et comp- pire. Le script est occidental et le sant une cérémonie dans sa « Il faut bien faire plaisir aux table, lui, déjà chef de la sécu- public, jeune et décontracté. A ville natale, dix jours plus tard. 120 amis et collègues rité de l’établissement. Chan- 19 heures, sous une pluie de « Nous avons accompli les ri- présents », s’exclame le marié. gement d’ambiance pour une paillettes multicolores, les ma- tuels locaux dans chaque fa- soirée privée, réunissant une riés entrent dans la salle en fou- mille afin de ne pas les vexer », Soirée musicale. 21 heures, majorité d’hommes. « Les lant le tapis rouge qui les se justifie le jeune époux. La la salle se vide. Les derniers in- amies de ma femme sont par- conduit à l’estrade. Robe cérémonie d’aujourd’hui est vités, échauffés par l’alcool, se ties. Elles ont peur de nous voir blanche et costume, ils sont réservée au cercle relationnel bombardent à coup de pièce saouls », plaisante Zhu Dawei. jeunes et beaux. Sur la scène des époux. Aucun membre de montée, barbouillés de crème. Plusieurs de ses homologues rouge pourpre décorée de bal- la famille n’est présent. Une si- La mariée a rejoint une table shanghaiens sont présents. Shi lons, le spectacle va commencer. tuation impensable selon les plus calme alors que les ser- Chongguang, 32 ans, travaille Environ règles du mariage traditionnel. veurs commencent a desservir au Forbidden City. Il appelle le Timide baiser. Un premier « Déplacer les familles, c’est les plats. Traditionnellement, marié « son frère»mais « ne 300 000 témoin s’avance pour réciter vraiment compliqué », admet la soirée devrait se poursuivre connaît pas sa femme ». mariages sont un hommage au couple. La Tan Youchou, 23 ans, coiffeur dans le nouvel appartement des Liu Wanting les rejoint plus célébrés chaque compagnie chargée d’organi- du mari et originaire de l’An- époux. Mais avec un revenu tard, encadrée par deux amies. année à ser la soirée fournit le texte hui. Invité la veille, il a glissé mensuel de 7000 yuans, Zhu Dans sa troisième tenue de la Shanghai, dans son packaging. Quelques 300 yuans dans la petite enve- Dawei et Liu Wanting n’ont soirée, une veste noire et dont 50 000 minutes plus tard, micro en loppe rouge traditionnelle pas eu les moyens d’acheter à blanche, on distingue à peine un remariages. main, l’animatrice se lance : (hongbao) remise au couple à Shanghai. Ils sont locataires ventre arrondi. L’enfant naîtra Le nombre « Est-ce que vous vous aimerez son arrivée. Cet argent servira ensemble depuis un an, à cinq en novembre avec le permis de annuel de toujours ? », « Oui », bien à rembourser une partie des minutes de leur lieu de travail, résidence de son père, divorces est sûr. Ils s’échangent les bagues. frais : plus de 50 000 yuans dans le district de Putuo. La dans l’Anhui. de près de S’embrassent d’abord timide- pour distraire et régaler onze fête se poursuit au karaoké du Manon Aubel 100 000. ment, un peu gênés. Le public apprécie. L’animatrice leur souhaite de mettre au monde des jumeaux. Un art où le hasard n’a pas sa place A quatre mains, ils coupent le gâteau et font couler le La date du mariage est parfois fixée ses beaux-parents. Lors du dîner champagne qui se déverse sur par les parents, en accord avec un commun, la cérémonie se déroule une cascade de coupes. « L’al- astrologue. L’idéal étant d’obtenir souvent selon le scénario occidentalisé cool est sucré », commente le à la fois une date faste du calendrier de l’échange de la bague et du lancer marié. « Est-il sucré pour ton lunaire et un chiffre pair ou porte- de bouquet. Mais la tradition chinoise, cœur ? », insiste l’animatrice. bonheur, comme la cérémonie est également présente : chaque invité « Oui. » Applaudissements. d’ouverture des Jeux olympiques, le offre aux mariés une enveloppe rouge Puis pendant une heure, de 8/8/2008, le 8 étant le chiffre porte- (hongbao) remplie d’argent et les plats table en table, les deux époux bonheur. A Shanghai, le jour du sont chargés de sens. La soupe de trinquent copieusement avec mariage, l’homme va chercher la jujube (zao shang) signifie que l’on chaque invité. C’est la troi- femme chez elle. La famille et les amis pourra bientôt avoir des enfants (zao sième fois qu’ils se marient en bloquent la porte en échange du shang guizi). Et le dessert final est ce mois de mai. La course a laissez-passer symbolisant la difficulté souvent une soupe de « tuan yuan » commencé le 1er, chez lui, dans d’obtenir la main de son épouse : (soupe de petites boulettes de pâte la province de l’Anhui. « Nous « Est-ce que tu t’occuperas bien sucrées), mot qui fait référence au avons obtenu notre certificat d’elle ? », « Qui s’occupera de la proverbe « tuantuan yuanyuan » : la de mariage civil en dix mi- vaisselle ?»Puis c’est au tour de la famille sera bientôt rassemblée.

nutes », se souvient Zhu Da- Manon A ubel/CUEJ jeune femme d’aller servir le thé chez M. A. wei, 28 ans. Sa femme, Liu NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 33 « JE VEUX QUE MON ENFANT PUISSE CHOISIR SEUL SON CHEMIN. » XU CUNJIN, 30 ANS. Lan Hui/ECNU Les parties de mahjong constituent le principal loisir de Shen Dongmin (en blanc) et Xu Cunjin (à sa droite). Cheng Wenwen, l’épouse de Shen Dongmin, observe la scène avec sa fille dans les bras. S’agrandir en famille Issus du même village, Shen Dongmin et Xu Cunjin sont venus tenter leur chance dans la mégapole. Modestes vendeurs de fruits, puis grossistes, ils rêvent d’une chaîne de supermarchés. Leur priorité : l’éducation de leurs enfants.

L y a dix ans, Xu Cunjin et les productions locales pour à cette période que chacun Dongmin, lui, nage rapide- Shen Dongmin abandon- les revendre dans la méga- rencontrera sa future femme ment entre les étals et les naient leurs fermes fami- pole. « J’ai quitté le lycée au et que les deux amis d’en- odeurs, portable à l’oreille, liales en rêvant d’une vie bout de deux ans pour les imi- fance se retrouveront pour pour rejoindre l’un des deux Imeilleure. Avec, pour seuls ter », se souvient Xu Cunjin. s’associer, car entre temps, magasins de fruits qu’il co- bagages, une centaine de Shen Dongmin, lui, pensait Shen Dongmin est devenu lui gère avec Xu Cunjin. Ils ont yuans en poche, un diplôme pouvoir monnayer ses com- aussi vendeur de fruits à ouvert le second stand en professionnel en électronique pétences en électronique à Yuqiao. mai, trois ans après le pre- pour Shen Dongmin, l’envie Shanghai. « Je m’endormais mier, lancé grâce aux écono- de se lancer dans le com- tous les soirs en rêvant de Ascension. La vie de la- mies réalisées pendant trois merce pour Xu Cunjin. Au- Shanghai, raconte-t-il. On beur à laquelle ils se prépa- années à sillonner la Chine en jourd’hui, à 28 et 30 ans, ils voyait la ville dans les films, raient s’accommodait mal des quête de valeur ajoutée. « Au sont grossistes en fruits à Yu- à la télévision, je me disais obligations parentales. De- départ, on achetait des pas- qiao, l’un des plus importants que je pourrais faire carrière venu père d’un petit garçon, tèques à des petits produc- marchés de gros de Chine. rapidement là-bas. Mais en Xu Cunjin décida d’envoyer teurs locaux pour les vendre arrivant, tout était énorme, Le taux de son bébé d’un an à la cam- à Yuqiao, où l’on sous-louait Ambitions. C’est dans leur au delà de mon imagination. natalité à pagne, pour qu’il soit élevé des emplacements, raconte village natal de Dangshan, Je n’étais qu’un grain de Shanghai est par ses grands-parents. A une Xu Cunjin. Ensuite, nous dans la province de l’Anhui, sable. » Il se retrouve bal- d’environ quinzaine de minutes des sommes allés sur l’île de Hai- que les deux amis, chacun lotté de chantier en chantier gratte-ciels du quartier finan- nan pour ramener des ana- aîné de trois enfants, se sont comme simple mingong, sur- 5‰ depuis cier, les 8000 échoppes de nas, dans le Shandong et le connus. Au milieu des ri- vivant avec 25 yuans par 15 ans, alors Yuqiao, sorte de Rungis ver- Shanxi pour les pommes, zières, des vignes et des ver- jour. qu’il s’élevait à sion chinoise, s’étalent sur dans le Guangdong... C’était gers, ils ont grandi avec l’es- Xu Cunjin, lui, vit 24 heures 10,25‰ en plus de 25 hectares. Dès la grande aventure. » poir de quitter un jour les sur 24 au marché de gros de 1990. Le solde 4 heures du matin, sept jours Aujourd’hui, les deux plus lopins familiaux de huit mus Yuqiao, où il travaille comme naturel est né- sur sept, les scooters chargés jeunes patrons du marché de pour Shanghai. Au village, vendeur de fruits, partageant gatif depuis de demi-carcasses de porc, Yuqiao dirigent sept em- l’image de la réussite est in- un box de quelques mètres 1993 (-16 800 les funambules en triporteurs ployés, disposent de leur carnée par ces négociants de carrés au fond d’un hangar personnes en et les camions de livraison propre réseau de fournisseurs fruits et légumes qui achètent avec un autre employé. C’est 2006). foncent dans les allées. Shen et gagnent 150 000 GGG 34 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL

U CUNJIN, 30 ANS.

GGG yuans annuels chacun. Mais avec sept jours de va- Quatre mois de ville et puis s’en va cances par an, ils profitent peu de cet argent : d’autres Serveuse dans un restaurant depuis son arrivée en février, Zhang Xiufeng retournera, projets monopolisent leurs économies. à la demande de son mari, élever son fils dans son village d’origine, en juin. Derrière l’enceinte du mar- ché, le quartier de Yuqiao HANG Xiufeng, 26 ans, a abrite un millier d’habitants. quitté sa province de l’An- Quelques jardins, une ca- Zhui pour Shanghai en février mionnette dans un fossé, des dernier, laissant derrière elle ruelles bétonnées entre des mari et enfant. Dans son village immeubles de deux à trois d'origine, elle passait la matinée étages : l’endroit est modeste dans les champs pour cultiver mais bien tenu. « Vivre ici les 3 mus de terre destinés à n’est pas idéal mais ce n’est nourrir sa famille. Lorsqu’elle qu’une étape : je préfère rentrait, elle préparait le repas, mettre de l’argent de côté entretenait la maison et s'occu- pour réaliser notre projet », pait de son fils de deux ans. dit Cheng Wenwen, l’épouse Aujourd'hui, elle travaille de Shen Dongmin. comme serveuse dans un res- taurant populaire du district de Chaîne de supermarchés. Changning. Elle prend son ser- Cette belle jeune femme de vice à 7 heures et ne sort du res- 24 ans, arrivée à Shanghai à taurant qu'à partir de 19 heures. 17 ans, sans diplôme, depuis une petite ville de l’Anhui, Séances de shopping. Dans est le troisième moteur de la l'après-midi, lorsque les clients success story. C’est elle qui a se font plus rares, elle se repose poussé son mari à avancer sur un coin de table et profite quand celui-ci se désespérait d'un massage offert par un ses

dans les petits boulots, lui collègues. Le soir, sa principale Guillemette Jolain/CUEJ achetant des livres sur les mé- distraction est de se détendre thodes de réussite. C’est avec devant la télévision. cadence de travail intensive : nouveau métier. Il ne la rejoin- Zhang elle aussi que les deux asso- Ses amis sont ses collègues de « Etre serveuse est plus repo- dra pas et insiste pour qu’elle Xiufeng ciés ont construit leur projet travail, qu'elle ne voit qu'au res- sant que de travailler à la cam- rentre s'occuper de son fils. (à gauche) de monter une chaîne de su- taurant ou dans l'appartement pagne. Au moins, quand je sors Un peu déçue de ne pas profiter dans permarchés de fruits dans les de 20 m2 qu'elle partage avec du restaurant, je n'ai plus rien à plus longtemps de sa vie cita- le restaurant beaux quartiers de Shanghai. cinq d'entre eux. Elle empoche faire. » La belle vie ! dine, elle quittera Shanghai dé- où elle sert. « En ce moment, nous cher- chaque mois près de Mais il y a quelques jours, la but juin, à l’aube de la saison chons les meilleurs emplace- 1500 yuans. De quoi épargner mauvaise nouvelle est tombée : des moissons. Avec le projet de ments où nous installer », as- un peu et s’adonner, de temps son mari ne veut pas tenter faire un deuxième enfant, en es- sure Shen Dongmin. Dans ses en temps, à quelques séances de l’aventure. Il dit ne rien savoir pérant que, cette fois, ce sera bras, sa fille de six mois, née shopping. Son nouveau rythme faire d'autre que cultiver la terre une fille. quelques mois après son ma- de vie lui convient, malgré une et ne souhaite pas apprendre un Guillemette Jolain riage, réclame un retour ex- press à ses jeux. A l’inverse de Xu Cunjin, 7000 yuans mensuels, loin des siens... Shen Dongmin n’a pas voulu se séparer de son enfant, Ouvrier imprimeur, Zhou Zhangchun gagne bien sa vie. Sa famille est restée « quitte à travailler plus dur » : « Ma femme voulait dans le Jiangsu car il trouve la vie beaucoup trop chère à Shanghai. l’envoyer à la campagne pour reprendre son travail de ven- 30 ans, Zhou Zhangchun semaine, douze heures par jour Shanghai. « Je ne pourrais pas deuse dans l’affaire, dit-il. est un nanti. A 7000 yuans et 1h30 de trajet quotidien en retrouver le même salaire si je Mais je veux que ma fille re- Apar mois, le salaire de cet moto. rentrais maintenant. » Quand çoive la meilleure éducation ouvrier imprimeur dépasse de Rapidement, le salaire de Zhou il reviendra et commencera possible ici. » Allongée sur le très loin les 2900 yuans men- Zhangchun augmente : 400 réellement à côtoyer son fils, lit, qui occupe une bonne par- suels que gagnent en moyenne yuans mensuels la première celui-ci aura seize ans. tie des 20 m2 de l’apparte- les Shanghaiens. Les ouvriers année, 600 la seconde, 1000 la Malgré le très bon salaire de ment décrépi, l’enfant qualifiés dans le petit monde troisième année… Des Zhou Zhangchun, sa femme s’amuse avec une peluche. de l’imprimerie sont rares et se 7000 yuans mensuels qu’il travaille en vendant des bou- « Elle est calme et posée, re- monnayent à prix d’or. gagne aujourd’hui, il en teilles de gaz et finance, avec prend le père, elle ferait une C’est par hasard qu’il est ar- conserve 1800 pour lui et sa la recette tirée de leur vente, bonne fonctionnaire. Ainsi, rivé à l’impression. Il y a famille et dépose les 5200 res- les études d’architecture de la elle pourrait peut-être amé- huit ans, un de ses amis, origi- tants à la banque. sœur cadette de Zhou Zhang- liorer la situation de notre naire comme lui de la province Son succès professionnel a un chun. Pendant ce temps, ses campagne. » voisine du Jiangsu, lui propose prix : celui de l’éloignement parents, agriculteurs à la re- de venir s’essayer au métier. de sa famille. Zhou Zhangchun traite, s’occupent de son fils. «L’école qui lui plaira. » Zhou Zhangchun travaille a dû se résigner à laisser sa Grâce à l’argent économisé Quelques rues plus loin, Xu alors depuis un an comme femme, son petit garçon de six depuis huit ans, Zhou Zhang- Cunjin et sa femme, ouvrière comptable dans une entreprise ans et ses parents à Huaian, sa chun a installé toute sa petite sur une chaîne de fournitures d’Etat. Ses perspectives de petite ville du Jiangsu. « La vie famille dans une vaste maison automobiles qui jouxte le carrière sont maigres et son sa- à Shanghai est trop chère pour de 120 m2 construite en 2006 marché, se préparent au re- laire faible. Il décide de tenter une famille. » et intégralement payée. C’est tour de leur fils de quatre sa chance. « Je suis allé à là qu’il s’installera à son re- ans. Après trois années à le Shanghai en me donnant cinq, Retour dans dix ans. Il ne tour. voir en pointillés quelques six ans pour faire fortune et re- retourne les voir que deux, De l’argent économisé, Zhou jours par an, ils ont décidé de venir ensuite chez moi », se trois fois l’an, à l’occasion des Zhangchun ne sait pas encore le rapatrier à Shanghai. A la souvient-il. vacances ou du Nouvel an chi- très bien quoi faire. Peut-être rentrée, il rejoindra l’école Son ami lui fait intégrer l’im- nois. « Au début, mon bébé ne ouvrira-t-il sa propre imprime- du quartier. Xu Cunjin veut primerie dans laquelle il tra- me reconnaissait pas quand je rie. « Ce serait quelque chose qu’il puisse « choisir seul vaille et lui apprend le métier : revenais chez moi après plu- de tout nouveau pour moi que son chemin, en ayant la pos- le dosage des couleurs, la véri- sieurs mois d’absence, se sou- d’être mon propre patron. » A sibilité d’aller dans l’école fication de l’encre et de la vient-il. Je les appelle quatreà sa mort, son fils qu’il n’a pour ou l’université qui lui presse… Le jeune homme cinq fois par semaine pour le moment presque jamais vu, plaira. » s’investit sans compter dans sa donner de mes nouvelles. » Il héritera de tous ses biens. Pierre Demoux nouvelle activité : six jours par pense encore rester dix ans à Arthur Frayer NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 35 ... QUE MON ENFANT PUISSE CHOISIR...

« J’aurais préféré une famille sans enfant, j’avais peur qu’il monopolise l’attention » Zhang Jie, 24 ans Sa grossesse surprise a précipité son mariage. Elle est, pour l’instant, contrainte de vivre avec ses beaux-parents.

’AI 24 ans et mon en- noise. Sans l’enfant, je me se- pour l’inciter à marcher. Je fant en a un. Il s’appelle rais peut-être mariée mais pas l’ai choisi car c’était scienti- «JXi Binze, ce qui signi- aussi tôt. Je trouve très incon- fique, mais ça n’a pas fonc- fie « bonnes manières » parce fortable de vivre avec mes tionné et, depuis cet échec,

Louise Fessard/CUEJ que nous voulons qu’il ac- beaux-parents, que nous ai- ma belle-mère a pris les Installés dans quière un sens moral et une dons à tenir leur petit hôtel. choses en main. Par exemple, Portraits sur des maternités bonne conduite. Née dans la J’aimerais changer de maison j’ai lu qu’il faut donner au ou des centres province du Zhejiang, je suis mais nous avons besoin de bébé du lait toutes les d’accom- venue à Shanghai pour étu- quelqu’un pour garder l’en- quatre heures, toujours la commande pagnement dier l’économie. C’est fant et nous n’avons pas en- même quantité. Mais ma post-natal, les d’ailleurs là que j’ai rencon- core assez d’argent. Mon belle-mère lui donne n’im- Han Guoliang, peintre, baby-spas tré mon mari qui terminait mari gagne 6000 yuans par porte quand, dès qu’il a soif. accueillent des études d’électronique. mois chez Volkswagen et moi Et quand il ne veut pas de compte avoir un les bébés Mon éducation a été la même 4000 dans une banque. Nous lait, elle lui donne autre deuxième enfant. jusqu’à un an. que celle de beaucoup de travaillons de 9 à 17 heures, chose. Quand il aura Une bouée Chinois. J’ai beaucoup tra- avec trois heures de transport trois ans, l’âge d’entrer à autour de la vaillé. Mes parents étaient aller-retour. l’école maternelle, nous dé- E qu’aime Han Guoliang, tête, les très stricts. Ils ont mis beau- ménagerons. Cc’est peindre la forêt, des enfants coup d’espoir dans mon futur Belle-mère omniprésente. femmes nues et lui-même, barbotent et étaient très heureux que je J’ai inscrit mon bébé à un Lui épargner la pression. parfois nu sous un torrent. dans de sois admise à l’université cours de développement mo- Je veux évidemment que Xi Pour gagner sa vie, il peint petites Tongji. teur parce que mon mari et Binze aille à l’université, des portraits sur commande piscines moi sommes toujours telle- comme ses parents, mais pas pour de riches Chinois ou emplies Avortement à risque. Le ment occupés et pressés ! qu’il revive la pression que des étrangers. Il touche d’une eau bébé a été une surprise. En Nous avons beaucoup à faire nous avons subie. Ce genre 5000 yuans par tableau. spécialement août 2006, j’ai appris que pour gagner de l’argent. J’es- d’éducation n’encourage pas Il est arrivé à Shanghai en préparée pour j’étais enceinte et j’ai gardé père ainsi pouvoir apprendre la créativité. Dans 20 ans, 2005, à 25 ans. Né à la cam- ressembler au l’enfant parce que le docteur comment l’éduquer, jouer et j'aurai 45 ans, peut-être beau- pagne, dans la province du liquide a dit que si j’avortais je ris- communiquer avec lui. Il y a coup d'argent et mon fils sera Shandong, entre Pékin et amniotique. quais de devenir stérile. A parfois des conflits entre ses peut-être diplômé. Il aura Shanghai, il s’est vite révélé En comptant l’époque nous ne vivions grands-parents et nous à pro- 21 ans et cherchera un travail. doué pour la peinture. Ses pa- les grands- même pas ensemble. Nous pos de l’éducation de Xi Je souhaite qu'il trouve un rents, paysans, se sont saignés parents, les nous sommes mariés en no- Binze. Je suis d’accord avec travail de son choix parce que pour qu’il étudie au Collège parents et les vembre. J’aurais préféré une l’éducatrice quand elle dit moi, j'ai toujours été contrô- d’art du Shandong, une école assistantes, famille sans enfant, car que mon fils est trop gâté lée par mes parents et mes très réputée. jusqu’à six j’avais peur qu’il monopolise mais ma belle-mère désap- professeurs. Je veux que mon A son arrivée, un artiste lui a personnes l’attention. C’est ce qui se prouve. Elle cède toujours au fils vive selon ses propres fait découvrir ce centre muni- peuvent passe aujourd’hui : mon mari bébé, même quand il veut plans. » cipal de la rue Taicang, au sud entourer et sa famille s’occupent plus quelque chose de dangereux, Propos recueillis de la place du Peuple. Une l’enfant, de mon fils que de moi. Ça comme un stylo ou des ci- par Louise Fessard vingtaine d’artistes y louent cherchant à fait partie de la tradition chi- seaux. J’ai acheté un jouet et Tiphaine Reynaud une pièce qui leur sert à la capter son fois d’atelier et de boutique, attention et pour 3000 yuans par mois. la diriger vers Après avoir vécu six mois l’objectif de dans ces 20 m2, Han Guo- l’appareil liang a trouvé un appartement photo ou de près de là et fait venir sa la caméra. femme de sa province. La baignade « Après deux années diffi- est parfois ciles, j’ai trouvé mon équi- suivie d’un libre», résume-t-il. massage. Dans la Hukou rural. Dans un tradition coin de l’atelier, une jeune chinoise, femme silencieuse berce un le mois après bébé couché dans un landau. la naissance La petite fille qui dort est née de l’enfant en novembre. Le jeune est crucial peintre compte bien profiter pour la santé de son hukou rural pour avoir de la mère un deuxième enfant. « J’y ai qui doit rester droit puisque mon premier en- calfeutrée et fant est une fille. » entourée La petite deviendra-t-elle ar- d’attention. tiste ? « Pourquoi pas, répond Depuis peu, le jeune père. De toute façon, des centres je ferai de mon mieux pour privés, dotés payer l’éducation de mes de médecins deux enfants. » et de Pas question d’imiter ses pa- nutritionnistes, rents qui ont donné la priorité proposent au financement de ses propres d’accom- Louise Fessard/CUEJ études. Ses deux sœurs, elles, pagner la Exceptionnellement, Zhang Jie et son mari ont réussi à se libérer un dimanche après-midi sont restées à la ferme. mère pendant de mai pour emmener leur fils au parc du Siècle à Pudong. Loup Besmond de Senneville cette période. 36 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL ... QUE MON ENFANT PUISSE CHOISIR... L’aïeul et l’enfant Toutes les attentions des parents, grands-parents, voire arrière-grands-parents, sont rivées sur le seul héritier.

OURIANT, buste dressé, Tu bats contre cela. » Assise à côté Shuiwang a rejoint un groupe de son grand-père dans la brise Sde manieurs de sabre du parc matinale, Chen Jialan est prise de Luxun. A ses côtés, trottine sa frissons. Approchant d’elle dans petite-fille de sept ans, Chen Jia- son fauteuil roulant, une femme lan, qui jette des regards par en âgée lui recouvre les épaules d’un dessous aux habitués. « C’est gilet immense. «Voici ma mère, mon unique petite fille. C’est Tu Zhaoxia », introduit Tu Shui- comme ma propre fille », ex- wang. A 81 ans, l’arrière-grand- plique ce Shanghaien de 59 ans, mère a coutume d’accompagner pré-retraité d’une aciérie de la son fils au parc tous les di- province du Jianxi. manches. « J’habite avec mon En charge de Jialan le week-end, fils. C’est plus petit et plus ancien Tu Shuiwang entend jouer tout que chez ma fille, mais j’ai de son rôle dans l’éducation de sa bonnes relations avec les petite-fille, dont le hukou est en- voisins », note Tu Zhaoxia, d’une registré chez lui pour qu’elle bé- voix basse. En jetant un regard néficie plus tard de l’éducation triste sur son unique arrière-pe- Une grand- du district de Hongku. tite-fille qui sautille en récitant mère Saisissant deux longs bâtons de une poésie, elle soupire : « J’au- promène combat, il entraîne Jialan sur la rais bien aimé avoir d’autres ses petits- piste et entame avec elle quelques arrière-petits-enfants, des ar- enfants mouvements d’art martial. « J’ai rière-petits-fils. » dans le parc envie de lui transmettre la capa- Surprise à l’époque par la poli- Luxun. cité de combattre, cette rigueur, tique de l’enfant unique, elle Des justifie-t-il. Que ce soit un garçon avoue avoir regretté que son fils jumeaux. ou une fille, c’est pareil pour ne puisse avoir qu’un seul en- Un hasard moi. » Lui n’a eu qu’un seul en- fant. « Il en faudrait au moins biologique fant, la mère de Jialan. « Les en- deux. » Sans grande descen- qui permet fants uniques ont tendance à être dance, privée de l’effusion fami- d’échapper trop gâtés, déplore-t-il. Lorsque liale à laquelle elle avait été ha- à la loi sur j’étais jeune, on respectait l’avis bituée dans sa fratrie de quatre l’enfant des anciens. A présent, tout frères et sœurs, elle se sent seule. unique. Joël Turlin tourne autour de l’enfant. Je me Mathilde Morandi

L’arrivée de la Ligne Grande Vitesse et du TGV Est Européen offrent de nouvelles perspectives de séjours en Haute-Alsace. De Nantes à Paris ou Stuttgart et Zürich, notre belle Destination région représente plus que jamais l’un des plus prestigieux carrefour européen et culturel Haute-Alsace de l’Europe rhénane. Gagnez votre temps et savourez sans Côté Ville et Gares TGV modération toutes le patrimoine sur toute la ligne. les richesses de Les multiples facettes du patrimoine rhénan de la la Haute-Alsace. Haute-Alsace sont complétées par le pluralisme culturel de ses deux cités : Colmar et Mulhouse. Désormais respectivement à 2h50 et à 3h00 de Paris, Colmar l’Inspirée conjugue à merveille tradition et innovation et Mulhouse l’Audacieuse nous surprend toujours davantage par sa modernité renouvelée à l’avant-garde de l’art contemporain.

ASSOCIATION DÉPARTEMENTALE DU TOURISME DU HAUT-RHIN Maison du Tourisme de Haute Alsace Les Itinérances 1, rue Schlumberger - BP 60337 par monts et par vaux et au fil de l’eau. F 68006 Colmar Cedex Tél. 33 (0)3 89 20 10 68– Fax 33 (0)3 89 23 33 91 Les nouvelles perspectives de séjours profitent E-mail: [email protected] également à l’ensemble des sites remarquables de la

03 89 47 24 44 • [email protected] – RCS COLMAR Haute Alsace par le maillage relais du très performant www.tourisme68.com réseau TER Alsace. Aux célèbres sites qui émaillent la Tél./Fax Route des Vins et la Routes des Crêtes s’ajoutent pour votre plus grand plaisir les innombrables possibilités d’itinérances offertes au fil de l’Ill comme le long des rives du Rhin. Routes pittoresques, pistes et itinéraires cyclables, chemins de halage et sentiers forestiers, l’itinérance en Haute Alsace devient un plaisir à part entière ; à découvrir ou à redécouvrir.

Graphisme : Soferic. Crédits photograhiques. C. Meyer ; Culturespaces/C. Recoura ; S. Niess ; Musée Unterlinden ; Thomas Itty ; Studio Jean-Paul ; D.Bringard/PNRBV NEWS D’ILL - n°94 - JUIN 2008 - 37 ON INTERVIENT À UN MOMENT CLÉ DE LA VIE DES FEMMES. » CHEN RUIYING, 30 ANS «Gynécologue, métier à haute responsabilité

Au pays de l’enfant unique, les obstétriciens comme le docteur Chen Ruiying sont au cœur des tensions qui traversent les couples. Louise Fessard/CUEJ

Trois femmes NE fesse sur le lit d’un d’origines diverses. « Sans risque d’être abîmé », témoigne- établit un diagnostic et confie la patientent bloc des urgences, dissi- compter que l’on bénéficie d’une t-elle, non sans amusement. patiente à une collègue. dans la salle mulée derrière un rideau vraie reconnaissance sociale, in- Au grand dam des futures mères, Egalement en charge des avorte- d’attente de blanc, Chen Ruiying siste Chen Ruiying. On inter- pour le sexe du bébé, Chen ments, Chen Ruiying n’oublie la maternité avale à toute vitesse des vient à un moment clé de la vie Ruiying n’a pas de recette. jamais de préconiser une contra- de l’Hôpital U nouilles lyophilisées, un des femmes, d’autant plus Conformément à la loi chinoise, ception adaptée à ses patientes numéro 1 œil sur son bipeur. De garde à qu’elles ne peuvent avoir qu’un les médecins n’ont pas le droit lorsque celles-ci repartent de la pour femmes l’Hôpital numéro 1 pour femmes seul enfant », poursuit-elle, de révéler si c’est un garçon ou clinique un couffin à la main. et bébés de et bébés de Puxi jusqu’à minuit, consciente de sa responsabilité. une fille avant l’accouchement. Mais ces femmes-là ont pour la Puxi. cette gynécologue obstétricienne « Comment faire pour avoir un « Lorsqu’on leur met dans les plupart déjà intégré cet impéra- sait qu’elle peut à tout moment garçon intelligent et en bonne bras un nouveau-né du deuxième tif, contrairement aux plus être interrompue. « Ce métier est santé ? », lui demandent, comme sexe, certains parents s’effon- jeunes, qui viennent en nombre épuisant, je n’ai jamais une mi- croissant se faire avorter. nute à moi, mais j’ai l’habitude », explique-t-elle 200 000 avortements par par dessus ses petites lunettes an. «L’éducation sexuelle est to- carrées. Engagée dans cette ma- talement absente jusqu’à l’uni- ternité il y a sept ans, Chen versité », déplore Chen Ruiying, Ruiying travaille six jours sur pour qui cette carence est en par- sept et n’a jamais connu les tie responsable des 200 000 congés annuels. « Si, il y deux avortements annuels à Shanghai. ans, j’ai pris quatre jours de va- Un chiffre qu’elle explique aussi cances », rectifie cette Shan- par le fait qu’il est « matérielle- ghaienne de 30 ans. ment impossible pour une Shan- Fille unique d’une mère pé- ghaienne d’élever seule un en- diatre, brillante élève, elle en- fant » tame à 17 ans des études de mé- Depuis son arrivée à la maternité

decine. « En dernière année, j’ai ndi/CUEJ il y a sept ans, les procréations comme beaucoup de femmes assistées sont en augmentation. choisi la gynécologie, où la com- «L’enfant est tellement impor- pétition avec les hommes est tant dans la société chinoise que

moins forte que dans les autres Mathilde M ora les couples stériles subissent une domaines », relate cette petite Le docteur Chen Ruiying exerce la gynécologie depuis sept ans. pression psychologique terrible, femme tonique aux allures d’étu- rend compte Chen Ruiying. diante. un leitmotiv, ses patientes an- drent, en larmes, assure-t-elle. Après un ou plusieurs avorte- goissées. « Mangez des œufs, du Dans les villes, peu d’entre eux ments, certaines femmes ne peu- Moins lucratif que le privé. poisson et n’hésitez pas à lui vont jusqu’à abandonner leur vent plus avoir d’enfant. C’est En choisissant de travailler dans faire écouter Mozart dès le bébé. En revanche, dans les or- une cause courante de divorce. » le public, Chen Ruiying n’a pas deuxième mois de grossesse », a- phelinats de campagne, il n’y a Il est tard. D’un geste un peu emprunté la voie la plus lucra- t-elle coutume de répondre. que des filles. » nerveux, elle sort son téléphone tive. « C’est clair, on gagne L’heure de la naissance venue, Une infirmière l’appelle de sa portable avec sa fille de 4 ans en moins que dans le privé », inter- nombreuses sont les femmes qui voix stridente derrière le rideau. fond d’écran. Ce soir encore, rompt une collègue aux yeux préfèrent accoucher par césa- Aussitôt, elle saute, agile, et dis- c’est sa grand-mère qui la mettra cernés, qui se joint à elle pour rienne. « Environ deux patientes paraît dans le couloir. Venue au lit. L’enfant s’appelle Bao Jin- une courte pause. De concert, sur trois choisissent ce mode consulter en urgence, une femme gyi, « Intelligente et heureuse ». elles évoquent la possibilité of- d’accouchement. Elle pensent se plie de douleur sur une chaise. Mathilde Morandi ferte de soigner des patientes qu’ainsi leur enfant n’a aucun En trois questions, le médecin Anne-Louise Sautreuil 38 - JUIN 2008 - n°94 - NEWS D’ILL