Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon

Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Maxime Sauvage Histoire politique des XIX et XX siècels Sous la direction de : Bruno BENOIT, professeur des universités (Soutenu le : 06-09-2011)

Table des matières

Remerciements . . 5 Introduction . . 6 Le chanoine Kir a-t-il existé ?2 . . 6 La mort d’un « enfant terrible de la politique et de l’Eglise »12 . . 10 La presse quotidienne française comme matériau historique . . 12 Le choix des titres de presse . . 12 Historique des titres de presse sélectionnés . . 14 Méthodologie . . 17 Problématique et plan . . 17 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR . . 19 Introduction . . 19 1.1 NOMBRE DE DOCUMENTS RELATIFS A LA MORT DE KIR . . 20 1.1.1 Relevé du nombre total de documents . . 20 1.1.2 Comparaison de la longueur moyenne des documents écrits . . 21 1.1.3 Rapport entre le nombre de documents et la pagination de chaque journal . . 22 1.2 TYPES DES DOCUMENTS RELATIFS A LA MORT DE KIR . . 23 1.2.1 Nature des documents . . 24 1.2.2 Genre des documents . . 24 1.2.3 Origine des documents textuels . . 26 1.3 COUVERTURE DANS LE TEMPS ET DANS L’ESPACE DE LA MORT DE KIR . . 28 1.3.1 Couverture dans le temps de la mort de Kir . . 28 1.3.2 Kir : une mort en Une . . 30 1.3.3 Emplacement des documents relatifs à la mort de Kir . . 32 Conclusion . . 34 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR . . 37 Introduction . . 37 2.1 THEMES DES DOCUMENTS RELATIFS A LA MORT DE KIR . . 37 2.1.1 Les informations factuelles . . 40 2.1.2 Les informations analytiques . . 41 2.1.3 Les réactions . . 41 2.2 ANALYSE LEXICALE DES DENOMMINATIONS DESIGNANT KIR . . 45 2.2.1 Méthodologie et angle d’analyse . . 46 2.2.2 Tableaux d’ensemble et commentaires généraux . . 47 2.2.3 Quelles représentations pour quel journal ? . . 56 2.3 ANALYSE DES ILLUSTRATIONS RELATIVES A LA MORT DE KIR . . 61 2.3.1 Combien et quelles illustrations ? . . 62 2.3.2 Sur quoi portent les illustrations ? . . 63 2.3.3 Les représentations visuelles du chanoine Kir . . 65 Conclusion . . 70 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ? . . 73 Introduction . . 73 3.1 ANALYSE DE LA FORME DES PORTRAITS . . 74 3.2 QUEL PORTRAIT POUR QUELLE MEMOIRE ? . . 75 3.2.1 Le portrait68 du Bien Public : un chanoine courageux . . 75 3.2.2 Le portrait69 de -Soir : un chanoine excentrique . . 78 3.2.3 Le portrait70 de La Croix : un chanoine héros de la Résistance . . 80 3.2.4 Le portrait72 des Dépêches : un chanoine conservateur mais humaniste . . 81 3.2.5 Le portrait74 du Figaro : un chanoine au franc-parler et non pas truculent . . 84 3.2.6 Le portrait75 de L’Humanité : un chanoine doyen de l’Assemblée nationale . . 86 3.2.7 Le portrait76 du Monde : un chanoine politique (juché sur son char) . . 87 3.2.8 Le portrait78 du Parisien-Libéré : un chanoine bâtisseur . . 88 Conclusion . . 90 CONCLUSION . . 92 Annexes . . 98 Bibliographie . . 99 Ouvrages . . 99 Travaux universitaires . . 99 Articles . . 100 Remerciements

Remerciements Je tiens, avant toute chose, à remercier mon directeur de mémoire M. Bruno Benoit, qui m’a soufflé l’idée de ce sujet et dont les conseils m’ont toujours été très utiles dans la rédaction de ce travail. Je souhaite également remercier tous les professeurs d’histoire que j’ai rencontrés tout au long de ma scolarité. Ils m’auront donné le goût de cette merveilleuse discipline. Je leur dédie ce mémoire. Je remercie mes parents et mes deux sœurs pour leur patience, soutien et aide extraordinaires. Enfin, je remercie de tout mon amour ma compagne Emma.

SAUVAGE Maxime - 2011 5 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Introduction

A la suite d’une chute dans l’escalier qui menait à son appartement, le mardi 16 avril 1968, Félix Kir, maire de depuis 1945 et plus connu sous le patronyme de chanoine Kir, s’éteint le jeudi 25 avril à 13h30. « Le plus connu des hommes politiques dijonnais du XXe siècle »1 avait 92 ans. Cette introduction a pour but de répondre à trois questions inhérentes à ce sujet : pourquoi travailler sur le chanoine Kir ? Pourquoi étudier plus précisément sa mort ? Et enfin, pourquoi faire cette étude à travers la presse quotidienne française ?

Le chanoine Kir a-t-il existé ?2

Bien qu’oublié par presque tous aujourd’hui, le chanoine Kir fut et restera une figure emblématique et atypique de l’histoire politique française du XXe siècle. Travailler sur le chanoine Kir, c’est s’intéresser à la fois à un ecclésiastique fidèle à son Eglise et à un homme politique farouchement républicain. Son parcours mérite d’être connu, lui qui eut de multiples vies et qui fut un témoin direct de tous les grands événements de son temps. La lecture de ce mémoire nécessite inévitablement de connaître un tant soit peu le parcours de cet homme, qui aujourd’hui est plus connu pour avoir donné son nom à une célèbre boisson alcoolisée3 que pour ses réalisations politiques. Par conséquent, nous estimons indispensable de faire une rapide biographie du personnage. En raison de la longue et riche vie du chanoine, cet exercice se révèle être périlleux. Comme l’écrit l’un de ses biographes, Louis Muron, « à l’évocation du chanoine Kir, il est bien difficile de faire la part entre la réalité et la légende »4. Tentons tout de même de résumer les grandes étapes de sa vie. Félix Adrien Kir est né à Alise-Sainte-Reine le 22 janvier 1876. Il passe toute sa jeunesse dans ce petit village champêtre de Côte d’Or au glorieux passé. C’est en effet à Alise-Sainte-Reine que se trouvent les vestiges de l’oppidum gaulois Alésia et que vivait la sainte martyre Reine qui refusa au péril de sa vie, au IIIe siècle, d’épouser le préfet romain Olibrius. Félix Kir est le dernier d’une fratrie de cinq enfants. Son père était un ancien cheminot devenu mercier, et sa mère venait d’une famille de vignerons.

1 DEVANCE Louis, Le Chanoine Kir : l’invention d’une légende, Dijon, Ed. universitaires de Dijon, 2007, Collection Sociétés, p. 7 2 D’après le titre du livre de LAPORTE Guillaume (pseudonyme de BAZIN Jean-François, MIGNOTTE Alain), Le chanoine

Kir a-t-il existé ?, Dijon, Imp. F. Massebeuf, 1968, 183 p. 3 Voir à ce sujet le livre de BAZIN Jean-François, MIGNOTTE Alain, Pour le meilleur et pour le kir : le roman d’un mot-culte, Mâcon, JPM éd., 2002, 209 p. 4 MURON Louis, Le chanoine Kir, , Presses de la Renaissance, 2004, p. 7 6 SAUVAGE Maxime - 2011 Introduction

A l’âge de quinze ans, il se décide à devenir prêtre. En 1891, il entre au Petit Séminaire de Plombières-lès-Dijon, puis intègre le Grand Séminaire de Dijon en 1896. Il est ordonné prêtre en juin 1901 par Mgr Le Nordez, évêque dont les démêlés avec le Vatican fut à l’origine directe de la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican. En 1901, il est nommé vicaire de la paroisse d’Auxonne, pour devenir en 1903 curé du petit village de Drée. En 1904, il devient vicaire de Notre-Dame de Dijon, et c’est dans cette position qu’il est aux premières loges des événements liés à la loi de 1905 relative à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Cette loi est vécue comme une agression contre l’Eglise pour l’abbé Kir. Lors des inventaires des biens de l’Eglise à Dijon en février 1906, Kir s’oppose de manière véhémente aux forces de l’ordre. Il raconta par la suite qu’il fut jeté temporairement en prison pour cela. L’épisode des inventaires est pour Kir une motivation pour une future entrée en politique. C’est aussi à ce moment là qu’il se lance dans le catholicisme social. En 1910, il est nommé curé de Bèze, village de Côte d’Or où il s’implique beaucoup dans la vie de la communauté. Il y fonde entre autres une société de gymnastique, « les Marsouins de la Bèze ». Durant la Grande Guerre, l’abbé Kir est d’abord mobilisé dans une section d’infirmiers, pour ensuite être transféré en 1915 dans l’hôpital-dépôt de Nevers. Il finit la guerre comme adjudant des services de santé et obtient la Croix de guerre. Des années après encore, il racontait comment il avait inspiré à Joffre l’idée d’une contre-offensive sur la Marne ou qu’il avait été le navigant de Guynemer, voire un proche du général Pétain. Comme le souligne Louis Devance, « toute sa vie, il se plut à embellir, héroïser, mythifier ses actes.5 » C’est durant l’Entre-deux-guerres que l’abbé Kir s’intéresse de plus en plus à la chose publique. Il publie en janvier 1921 dans le grand quotidien conservateur dijonnais, Le Bien Public, son premier article où il commente l’actualité parlementaire. En 1923, il écrit son seul et unique livre, Le problème religieux à la portée de tout le monde, dans lequel, en trente-neuf preuves, il démontre l’existence de l’âme, de Dieu et du Christ. Au printemps 1924, il s’engage dans la campagne des législatives en soutenant les candidats d’Union républicaine et sociale. Il multiplie les débats face à des contradicteurs radicaux, socialistes ou communistes. A l’automne 1924, il est nommé curé-doyen de Nolay, berceau de la famille Carnot, où il connaît quelques difficultés avec la mairie. En 1925, il anime une semaine apologétique où sa gouaille et sa pugnacité commencent à lui assurer une certaine popularité. Il se fait alors remarquer par le nouvel évêque de Dijon, qui le nomme à Dijon, en 1928, directeur des œuvres d’hommes et de la presse. Au même moment, il devient rédacteur du principal hebdomadaire catholique de Côte d’Or, Le Bien du Peuple. En douze ans de collaboration, il signe plus de sept-cent articles sur tous les sujets importants de l’époque. Durant cette période, il devient militant au sein de la Fédération nationale catholique et intervient comme animateur ou contradicteur dans des centaines de réunion organisées partout dans le département par la Fédération. Kir, le journaliste mais aussi chanoine honoraire depuis 1931, n’a de cesse, à travers ses articles et cela jusqu’à la guerre, de s’attaquer aux hommes politiques de gauche (Blum en particuliers), aux syndicats, à la franc-maçonnerie ou aux droits-de-l’hommiste, tout en défendant les bienfaits du catholicisme face à la crise économique et morale. Nombre de ses articles ont des relents proches de l’antisémitisme. Il est patriote et pacifiste, ce qui le pousse à être pro-munichois. Pour Louis Devance, « Kir ne montre aucune sympathie pour le fascisme qu’il renvoie dos à dos avec le bolchévisme »6. Au début du nouveau conflit

5 DEVANCE Louis, Kir, je te pardonne. Le chanoine et son assassin, Précy-sous-Thil, Editions de l’Armançon, 2006, p. 20 6 DEVANCE Louis, Le Chanoine Kir : l’invention d’une légende, op. cit., p. 60 SAUVAGE Maxime - 2011 7 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

mondial, la virulence de Kir à l’encontre du Front Populaire, qu’il accuse d’être responsable de la guerre, lui vaut de voir plusieurs de ces articles être censurés. La Seconde Guerre mondiale constitue un tournant dans le parcours de Kir. C’est durant cette époque très trouble que notre homme devient « Le chanoine Kir ». Sa deuxième vie peut commencer. Face à l’arrivée imminente des Allemands, la municipalité dijonnaise quitte la ville dans la nuit du 15 au 16 juin 1940. Le 16 juin7, le préfet désigne une délégation municipale pour administrer provisoirement la ville : Kir est un des cinq membres de cette délégation. Son militantisme politique en avait fait un personnage incontournable de la ville. Le lendemain, les Allemands entrent dans Dijon et sont reçus par la délégation. Le chanoine s’illustre alors par son impertinence. L’impertinence est le principal qualificatif pour désigner l’attitude de Kir face à l’occupant, multipliant les provocations verbales. Dans le même temps, il se dit maréchaliste et soutient de tout son cœur l’installation du régime de Vichy. Au sein de la délégation, il est en charge des réfugiés, évacués et prisonniers de guerre. Ce rôle lui permet de faire évader plusieurs milliers de prisonniers parqués dans le camp de Longvic-lès-Dijon. Cette activité pousse les Allemands à l’arrêter le 10 octobre 1940. Kir affirma plus tard avoir été condamné à mort, mais aucune preuve formelle n’a jamais étayé ses propos. Le 07 décembre suivant, il est libéré en raison des demandes incessantes de la mairie et de son statut d’homme d’Eglise. Cette arrestation met un terme à son activité au sein de la délégation municipale. Cela lui est bénéfique : au sortir de la guerre, il n’est pas compromis pour avoir travaillé avec le régime de Vichy. En octobre 1943, il est de nouveau arrêté par les Allemands en raison d’une possible implication dans un réseau de résistants, mais cette accusation ne connaît pas de suite. Le 26 janvier 1944, un commando de cinq français travaillant pour l’Abwehrstelle, tente d’assassiner le chanoine. Sa notoriété de grand résistant à Dijon, bien qu’il ne fasse parti d’aucune organisation, en a fait une cible de choix. Deux balles l’atteignent dans la région du bassin, une troisième est arrêtée par son portefeuille au niveau du cœur. Le chanoine Kir en réchappe et une fois sorti de l’hôpital, il se réfugie en Haute-Marne se sentant menacé par la Gestapo. Il revient à Dijon le 11 septembre 1944, date à laquelle la ville est libérée. Quelques jours plus tard, il est pris en photo assis sur un char. La légende est née : Kir a regagné sa ville le 11 septembre juché sur le premier char de la 1ère armée. Son statut de héros de la Résistance est définitivement ancré dans la mémoire collective dijonnaise. Kir se qualifie lui-même de « premier résistant de France ». Sa carrière politique peut commencer, à 68 ans. Après avoir intégré le Comité départemental de Libération, en tant que « journaliste résistant indépendant », le chanoine Kir a tous les atouts pour se lancer en politique. L’évêque de Dijon, Mgr Sembel, arrivé en 1937 et qui voyait en Kir un « clairon diocésain » avant la guerre, apporte son soutien au chanoine. En septembre 1944, le chanoine Kir est nommé au conseil municipal provisoire. En avril 1945, il présente une liste aux élections municipales, soutenue par le quotidien de droite Le Bien Public. Sa liste de Républicains d’Union sociale, qui se veut indépendante (Kir refuse de s’allier avec le MRP) et gaulliste, remporte 35 des 36 sièges du conseil municipal. Dijon fait figure d’exception nationale : ni les communistes, les socialistes ou les démocrates-chrétiens ne sont majoritaires. Cet événement donne des idées au maire de Beaune, Roger Duchet, qui crée en 1949 le Centre national des indépendants, et qui va faire de la Côte d’Or un lieu d’expérimentation de l’aventure des Indépendants8. En septembre 1945, le chanoine Kir est élu au premier tour conseiller général sous l’appellation de « républicain ». Lors des élections en octobre 1945

7 Kir se disait « premier résistant de France », car sa résistance avait commencé le 16 et non le 18 juin. 8 Voir l’article de RICHARD Gilles, "La renaissance de la droite modérée à la Libération. La fondation du CNIP", in Revue Vingtième Siècle, janvier-mars 2000, n°65, pp. 59-70 8 SAUVAGE Maxime - 2011 Introduction

pour la première Assemblée constituante, sa liste de Républicains indépendants obtient deux des quatre sièges du département. Kir entre au Palais Bourbon pour la première fois, à 69 ans. Pour les élections de la seconde Assemblée constituante, sa liste décroche trois des quatre sièges. En novembre 1946, il est élu député pour la première législature de la IVème République. Sa popularité au niveau local est sans égal. Le Bien Public, où il écrit régulièrement des articles, est un soutien indéfectible. Dans le même temps, son profil atypique et original (il est toujours vêtu de sa soutane noire, même à l’Assemblée, et porte un béret basque) intéresse de plus en plus les médias nationaux, qui multiplient les reportages à son égard. En mai 1946, lors du procès de l’homme qui tenta de l’assassiner, il se distingue en refusant de lui accorder sa grâce : « Kir est partisan de la peine de mort. Il a tout dit sur cette question le 3 mai 1946 dans le cabinet du juge : "Tu m’as loupé, ils ne te louperont pas." Kir pardonnait tout, sauf les offenses9 ». A la suite de ses premiers succès, le chanoine Kir devient un homme d’élection. Aux municipales de 1947, son antipathie naturelle pour le général de Gaulle s’affiche au grand jour en refusant de mener une liste RPF. Aux cantonales de 1949, il se présente face à un candidat RPF, ce qui rend le soutien du Bien Public moins évident. Il remporte néanmoins l’élection. Aux législatives de 1951, en raison de son refus de coopérer avec les gaullistes, il perd le soutien des Républicains indépendants qui décident de s’unir avec les premiers en raison du système des apparentements. Le Bien Public soutient l’alliance RPF-RI. Kir présente sa propre liste, ce qui permet son élection, mais aussi celle d’un communiste et d’un socialiste, au grand mécontentement de la bourgeoisie conservatrice dijonnaise. Aux élections municipales de 1953, dans un contexte de désagrégement du RPF, le chanoine Kir présente une liste « indépendante et sociale d’action municipale », regroupant des gaullistes, des indépendants, et des démocrates-chrétiens et regagne le soutien du Bien Public. Sa liste remporte les élections et il est réélu maire. Aux cantonales de 1955 et aux législatives de 1956, ses réélections ne rencontrent aucune difficulté. Aux premières élections législatives de la Vème République, nouveau régime qu’il exècre car voulu par le général de Gaulle, il se présente face à un candidat UNR mais se revendique dans le même temps gaulliste par pragmatisme : il est réélu, ce qui lui permet d’ouvrir la première législature de la nouvelle République en tant que doyen d’âge. Sa popularité et sa médiatisation sont à leur paroxysme. Il est réélu maire lors des municipales de 1959. Son antigaullisme ressurgit au même moment, confirmant son amorce de virage à gauche des années 1950. Durant cette décennie, Kir se donne le rôle de diplomate bénévole : il multiplie les jumelages de Dijon (avec York et Dallas en 1957, Mayence en 1958, protocole d’amitié avec Stalingrad en 1959), au point de devenir président d’honneur de la Fédération mondiale des villes jumelées. Kir enchaine les voyages à l’étranger et les réceptions à l’hôtel de ville de Dijon, qui devient selon un élu socialiste « le premier débit de boisson de la ville ». La politique de dégel amorcée par Khrouchtchev va dans le sens de son pacifisme, à l’inverse de la politique gaulliste d’indépendance nationale. En 1959, sa candidature pour le prix Nobel de la paix est présentée, afin de récompenser son action pour la paix mondiale. C’est dans l’optique du jumelage avec Stalingrad que le chanoine tente de se rendre en URSS, ce que l’Elysée et le Vatican lui refusent. Son activisme politique pro- soviétique plaît à Khrouchtchev, qui se rend à Dijon lors de son voyage en France en mars 1960 pour y rencontrer le chanoine. Encore une fois, la double opposition du Gouvernement et du Vatican empêche cette rencontre, qui a lieu finalement à l’ambassade soviétique de Paris en mai 1960. Aux cantonales de 1961, il est réélu triomphalement. La même année, un sondage désigne le chanoine comme la deuxième personnalité religieuse la plus connue

9 DEVANCE Louis, Kir, je te pardonne. Le chanoine et son assassin, op. cit., p. 260 SAUVAGE Maxime - 2011 9 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

de France, derrière l’abbé Pierre. Aux législatives de 1962, il est réélu de justesse face à un jeune candidat UNR, Robert Poujade, grâce aux voix des communistes, qui préfèrent le chanoine au jeune gaulliste. Il préside alors, pour la seconde fois, l’ouverture d’une nouvelle législature, en tant que doyen d’âge de l’hémicycle. Aux municipales de 1965, sa liste obtient tous les sièges au conseil municipal. En tant que maire, le chanoine Kir est proche et aimé de ses administrés, mais il fait preuve, avec ses collaborateurs, d’égocentrisme et d’autoritarisme. A l’Assemblée, son accent bourguignon et sa bonhommie sont appréciés. Mais il passe plus pour un personnage folklorique que pour un homme politique professionnel, ce qui l’empêche de réaliser son rêve ultime : obtenir un portefeuille ministériel. Le chanoine est une originalité de la vie politique française : « le père Kir a été un praticien plus qu’un théoricien, un homme polémique plus qu’un homme politique10 ». Dijon se développe doucement sous son règne, il gère sa ville en bon père de famille. Dans les années 1960, il refuse l’implantation d’une usine Michelin de 10 000 salariés à Dijon au nom de la protection des petites entreprises familiales. Il n’encourage pas la construction de logement et s’oppose à l’installation d’une usine de traitement et d’incinération. Sa grande réalisation est la création d’un lac à l’entrée de la ville (Dijon est une ville sans grand cours d’eau), auquel il donne son nom de son vivant. C’est cette absence d’héritage politique qui pousse Jean-François Bazin et Alain Mignotte à se demander si le chanoine Kir a bien existé. Robert Poujade, qui devient maire de Dijon en 1971, écrit à ce propos dans ses mémoires : « il [Kir] mettait Dijon plus à l’abri qu’à la pointe de la modernité11 ». Au milieu des années 1960, sa santé physique et mentale se dégrade fortement. Sa réélection en tant que maire en 1965 est le résultat d’une peur du changement de la part des Dijonnais, plus que d’une adhésion au chanoine. La même année, contre l’avis de tous ses partisans, il soutient François Mitterrand à l’élection présidentielle. L’année 1967 signe la disparition de son capital politique : il perd coup sur coup les élections législatives et cantonales face au candidat gaulliste Robert Poujade. Sa dernière année en tant que maire est extrêmement laborieuse, ses proches le considérant comme gâteux. Le 25 avril 1968, il disparaît à 92 ans, après avoir été maire de Dijon pendant vingt-trois ans et député durant vingt-deux ans.

La mort d’un « enfant terrible de la politique et de l’Eglise »12

Se pencher sur la mort d’un homme de 92 ans, à la vie si longue et si riche, peut au premier abord paraître surprenant. En effet, l’étude de certains événements marquants du parcours du chanoine Kir pourrait sembler plus pertinente. Nous pensons par exemple à son passé de résistant, à ses discours de doyen à l’Assemblée nationale ou encore à son amitié avec Khrouchtchev.

10 LAPORTE Guillaume, Le chanoine Kir a-t-il existé ?, op. cit., p. 179 11 POUJADE, Robert, Avec De Gaulle et Pompidou : mémoires, Paris, L’Archipel, 2011, p. 229 12 France-Soir, 27 avril 1968, p. 9 10 SAUVAGE Maxime - 2011 Introduction

Cependant, le sujet de ce mémoire a un double intérêt historique. Premièrement, il porte sur un moment particulier de la vie du chanoine, à savoir sa mort. Or, cette mort est paradoxalement un retour à la vie pour le défunt : sa disparition amène ceux qui restent à s’intéresser à toute sa vie. Dans sa thèse, Béatrice Gamba estime que : « le mouvement létal dans lequel se précipite l’être est aussi celui qui le ramène à la vie : la structure des récits de presse élabore un espace de résurrection »13. De plus, la mort d’un personnage public est un événement majeur. Pour Delphine Dulong, la mort d’un homme public implique : « la disparition du titulaire d’un rôle, et non pas seulement d’un individu. S’agissant d’un dirigeant politique, la mort révèle […] la présence d’enjeux »14. S’intéresser à la mort du chanoine Kir revient à faire de l’histoire événementielle, qui, d’après François Furet, est un aspect de l’histoire : « avant tout fondée sur l’idée que ces événements sont uniques et impossibles à intégrer dans une distribution statistique, et que cet événement unique est le matériau par excellence de l’histoire »15. Deuxièmement, analyser le traitement de la mort du chanoine Kir par la presse quotidienne française permet de faire un travail historique sur la mémoire et sur les représentations et l’imaginaire qui lui sont liés. En introduction d’une conférence sur le thème « Imaginaires et représentations en Histoire », les historiens Anne-Marie Granet-Abisset et Bruno Benoit estimaient que : « Quelles que soient ses formes (écrit, oral, image, objet, geste), considérons la mémoire comme la matière première, le matériau dont l’historien –ne doit- il pas être un inventeur de sources ? – doit faire un objet de savoir. Toutes ces mémoires-sources sont de fait des discours qui renseignent sur des faits, mais surtout véhiculent des représentations du passé. Ainsi les récits qui, dans une reconstruction inconsciente et complexe, en parlant du passé parlent du présent, intègrent à la fois des éléments réels et des aspects fictionnels. En d’autres termes, ils élaborent une mémoire légendaire, qui loin d’être à rejeter ou à exclure, participe de la compréhension du passé et induit des attitudes, des comportements, des discours et des sensibilités collectives. »16 Etudier les réactions portant sur la mort du maire de Dijon revient à réfléchir sur les représentations que la presse nationale et locale avait du personnage. C’est aussi décrypter les imaginaires qui vont être mobilisés. La presse n’a-t-elle retenu du chanoine que le résistant et l’homme politique ou est-elle aussi revenue sur ses soixante-quatre premières années ? A-t-elle mis en lumière certaines de ses ambiguïtés ou encore sa tendance à réécrire sa vie ? Les quotidiens ont-ils vu en la mort de Félix Kir la disparition d’un personnage débonnaire et atypique ou plutôt celle d’un homme politique pragmatique et autoritaire ? Kir a-t-il été perçu plus comme un « Pepone » que comme un « Don Camillo » ?

13 GAMBA Béatrice, La mort et les morts dans la presse. Etude sémiologique de la presse quotidienne française, Thèse de doctorat Sciences de l’information, Université Panthéon-Assas (Paris 2), 1994 14 DULONG Delphine, "Mourir en politique. Le discours politique des éloges funèbres", in Revue française de science politique, e 44 année, n°4, 1994, p. 629 15 FURET François, "Le quantitatif en histoire", in NORA Pierre, LE GOFF Jacques (dir.), Faire de l’histoire, Paris, Gallimard, 1974, Collection Folio, Histoire, p. 82 16 GRANET-ABISSET Anne-Marie, BENOIT Bruno, "Introduction", in Bulletin du centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale, 1-2 1997, p. 6 SAUVAGE Maxime - 2011 11 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

A sa mort, à l’âge de 92 ans, le chanoine Kir connaissait un déclin autant physique que politique, qui avait commencé quelques années plus tôt. Par conséquent, les différentes mémoires concernant le maire de Dijon avaient pu commencer à se mettre en place. Il est évident qu’elles variaient selon qu’elles avaient été élaborées par des communistes, des catholiques, des gaullistes, des Dijonnais ou des non-Dijonnais.

La presse quotidienne française comme matériau historique

L’intitulé de ce mémoire soulève une troisième question : pourquoi travailler sur la mort du chanoine Kir à travers les articles de presse ? Cela revient à se demander quel est l’intérêt de considérer la presse comme un matériau historique à part entière. Comme nous l’avons vu précédemment, ce travail historique est intimement lié à la notion de mémoire et il s’inscrit dans le cadre de l’histoire événementielle. Ces deux facettes justifient le choix de considérer la presse comme principale source historique. La presse véhicule un type particulier de mémoire, à savoir la mémoire sociale. Selon Jean-Pierre Vernant, « la mémoire sociale, c’est aussi la façon dont, par les journaux, par les récits, par le cinéma, par les écrivains, les poètes, tout ce passé est mis en scène d’une certaine façon, suivant des stratégies, suivant des politiques qui sont diverses17 ». La presse, à travers les imaginaires qu’elle utilise, contribue à élaborer une facette de la mémoire collective. Les journaux ont aussi une place prépondérante dans l’histoire événementielle : la presse est un des vecteurs qui conditionnent l’existence de ces événements. Comme l’a écrit Pierre Nora, « c’est aux mass media que commençait à revenir le monopole de l’histoire. Il leur appartient désormais. Dans nos sociétés contemporaines, c’est par eux et par eux seuls que l’événement nous frappe, et ne peut pas nous éviter18 ». Il va donc être intéressant de voir comment la presse française va faire de la mort du chanoine Kir un événement, et quelles représentations elle va utiliser pour revenir sur la vie du maire de Dijon, contribuant donc à l’élaboration d’une mémoire sociale sur le personnage. Nous avons fait le choix de nous concentrer sur la presse quotidienne, car elle nous permet d’analyser jour par jour l’évolution du traitement médiatique de la mort du chanoine Kir.

Le choix des titres de presse

En raison de la pléthore de titres de presse en France en 1968 et face aux multiples brèves et articles concernant le sujet de ce mémoire, il a fallu délimiter le nombre de journaux étudiés. Un premier choix a été, tout d’abord, de ne prendre en compte que la presse

17 VERNANT Jean-Pierre, "La mémoire et les historiens", in GUILLON Jean-Marie, LABORIE Pierre (dir.), Mémoire et Histoire, la Résistance, Toulouse, Privat, 1995, pp. 342-343 18 NORA Pierre, "Le retour de l’événement, in NORA Pierre, LE GOFF Jacques (dir.), Faire de l’histoire, Paris, Gallimard, 1974, Collection Folio, Histoire, p. 285 12 SAUVAGE Maxime - 2011 Introduction

quotidienne d’information générale. Mais cela étant, le nombre de titres concernés était encore très large : en 1968, la presse quotidienne était constituée de quatre-vingt-dix-huit titres (quatre-vingt-cinq quotidiens locaux et treize quotidiens parisiens)19. De plus, il a été nécessaire de circonscrire dans le temps, l’étude de chaque journal. Au final, huit titres de presse intégreront notre corpus de recherche tout au long de ce mémoire : deux titres côte d’oriens (ou dijonnais), Le Bien Public et Les Dépêches, et six titres nationaux (ou parisiens), L’Humanité, La Croix, Le Figaro, Le Monde, France-Soir et Le Parisien-Libéré. Les éditions retenues de ces journaux iront du vendredi 26 avril 1968 (lendemain de la mort du chanoine Kir) au mardi 30 avril 1968 (lendemain de son enterrement). Il faut cependant aborder le cas des journaux du soir. Cela concerne trois des huit titres de notre corpus : France-Soir, La Croix et Le Monde. Le décès du maire de Dijon étant survenu au début de l’après-midi, ces trois quotidiens pouvaient matériellement parler de cet événement dans leur édition du 25 avril (mais datée du lendemain). Par conséquent, notre période d’étude prendra en compte ces éditions. Une autre précision doit être faite au sujet de France-Soir. Plusieurs éditions (« Dernière heure », « Toute dernière spéciale »…), sont imprimées tout au long de la soirée pour coller au mieux à l’actualité. Nous inclurons dans notre relevé une seule édition de chaque jour, qui sera celle où l’on trouve le plus de documents liés à Kir. La sélection des huit titres de presse se trouve justifiée par notre problématique de travail qui tourne autour de trois clivages principaux : le clivage géographique (local/national) et un double clivage concernant le type de lectorat de chaque titre (élitiste/populaire, gauche/ droite). Le premier clivage explique la présence de titres locaux (les deux titres dijonnais de l’époque) et de titres nationaux. Le double clivage suivant nous a amenés à choisir un ensemble de titres de presse qui touchent une grande partie de la société française de l’époque. Les quotidiens France-Soir et Le Parisien-Libéré sont à l’époque des journaux à fort tirage et donc populaires plutôt ancrés à droite. Les quotidiens Le Monde et Le Figaro touchent un public plus cultivé, et le dernier revendique clairement un positionnement à droite. Les quotidiens La Croix et L’Humanité ont un public qui leur est propre, pour le premier les Catholiques, pour le second l’électorat communiste. Le premier de ces deux titres peut aussi être considéré comme un journal à forte qualité journalistique. Quant à L’Humanité, il possède certaines caractéristiques de la presse populaire (type de lectorat, mise en page…). Comme il est précisé plus haut, trois des six titres nationaux sélectionnés sont du soir (France-Soir, Le Monde et La Croix), quand l’autre moitié est du lendemain (à noter que les deux quotidiens dijonnais sont du matin). Cette caractéristique peut avoir son importance. Comme l’explique Jacqueline Freyssinet-Dominjon, « la presse du soir joue ici [à la mort de François Mitterrand], au niveau national, la fonction de “journal officiel“ à destination du grand public. La presse du lendemain trouve une beaucoup plus grande liberté d’énonciation et n’annonce plus le fait tel quel. Même sous une forme épurée, le temps du commentaire est venu20 ». Concernant le clivage politique, il est possible qu’il soit trop simpliste pour se retrouver dans notre étude. En effet, nous avons conscience qu’il est réducteur de qualifier Les Dépêches et L’Humanité de journaux de gauche. Entre un journal socialiste local et un quotidien national communiste, le fossé idéologique est très important. Il en est de même pour les titres dits de droite. Toutefois, il est probable que les orientations idéologiques de chaque journal déterminent en partie leur vision du chanoine. C’est la raison pour laquelle nous incluons tout de même dans notre étude le clivage politique.

19 BELLANGER Claude (dir.), Histoire générale de la presse française, Tome V : De 1958 à nos jours, Paris, PUF, 1976, p. 208 20 FREYSSINET-DOMINJON Jacqueline, "Une mort aux quotidiens : le portrait de François Mitterrand à la une des journaux nationaux du 9 janvier 1996", in Sociétés et Représentations, 2001/2, n°12, p. 94 SAUVAGE Maxime - 2011 13 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Ce corpus a donc pour objectif d’être à l’image d’une société française pluraliste. Et dans le même temps, il intègre les titres les plus susceptibles d’élaborer une mémoire sociale sur le chanoine. En effet, le chanoine était avant tout une personnalité publique locale dijonnaise, mais aussi, à une échelle moindre, nationale. D’où le choix du clivage géographique. Il sera intéressant de voir la presse nationale et la presse locale ont accordé la même l’importance à la mort du maire de Dijon. Comme le relève Christian Delporte, « pour devenir un événement médiatique, il faut, certes, que le disparu ait compté dans l’histoire récente, mais aussi que la nouvelle trouve un écho particulier dans la population21 ». En raison de sa personnalité atypique, débonnaire voire folklorique, Félix Kir était un personnage médiatique qui plaisait aux gens. D’où l’intérêt que pouvait lui porter la presse populaire. Mais dans le même temps, le chanoine Kir était un homme, qui a eu un certain poids politique durant la IVe République et au début de la Ve République. La presse élitiste ne pouvait donc pas l’ignorer. De plus, Kir ayant été tout au long de sa vie un homme d’Eglise, il sera intéressant d’observer le regard que portait le journal La Croix sur le chanoine. Enfin, nous avons intégré L’Humanité dans notre corpus, car le maire de Dijon, malgré son passé d’homme de droite, avait développé une sympathie pour le Bloc soviétique et son dirigeant, Nikita Khrouchtchev. Le maire de Dijon était donc susceptible d’intéresser le quotidien communiste.

Historique des titres de presse sélectionnés

Nous allons tout d’abord faire un bref historique des huit titres de presse intégrés au corpus de recherche, pour ensuite dresser un panorama général de l’état de la presse dans les années 1960 et plus particulièrement en 1968. Le Bien Public, vice-doyen de la presse régionale française après Le Journal de Saône- et-Loire, est né en 1868 de la fusion de L’Impartial bourguignon (apparu en 1854) et de L’Union bourguignonne (apparu en 1851). Il se développe petit à petit, avec l’étiquette d’un journal de droite modéré, et il devient très vite le journal de la bourgeoisie dijonnaise. Son tirage, avant la guerre de 1914, atteint 25 000 exemplaires22. En 1917, il adopte comme sous-titre « Libéral-Anticollectiviste ». En 1922, la famille Thénard reprend le journal et perpétue sa ligne conservatrice modérée. Le 15 juin 1940, il se saborde quelques jours avant l’arrivée des Allemands à Dijon. Il peut donc reparaître sous le même titre le 12 septembre 1944, le lendemain de la libération de la ville. Après 1945, la ligne éditoriale du journal va osciller entre un soutien au général de Gaulle et un soutien à la figure politique locale incontournable de l’époque, le chanoine Kir. A la fin des années 1960, le tirage quotidien du Bien Public tourne autour des 50 000 exemplaires. Les Dépêches est un quotidien dijonnais qui apparaît en janvier 1937 sous le nom La Bourgogne Républicaine, porté par la vague du Front populaire. Il est fondé par le député socialiste de Côte d’Or Jean Bouhey. Contrairement à son principal concurrent, c’est un journal de gauche, plutôt modéré. En 1939, son tirage quotidien tourne autour des 25 000 exemplaires. Il se saborde le même jour que Le Bien Public, et reparaît au sortir de la

21 DELPORTE Christian, "Mise en scène médiatique de la mort de Chaban-Delmas", in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2006/2, n°90, p. 141 22 VIANSSON-PONTE Jean, "La presse quotidienne de Côte d’Or", in CAUSSE Jacques, LE JAY Jean-Edmé (dir.), Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, tome 136, 1997-1998, p. 385 14 SAUVAGE Maxime - 2011 Introduction

guerre. En 1945, Pierre Brantus, ancien résistant et vice-président du Comité régional de la Libération, reprend le journal et adopte une stratégie d’expansion : « sous son impulsion, La Bourgogne républicaine va se développer avec une politique d’extension aux départements voisins23 ». En 1960, le journal est renommé pour devenir Les Dépêches. A la fin des années 1960, son tirage journalier oscille entre 45 000 et 50 000 exemplaires. La Croix est un journal fondé en 1883 par les Pères assomptionnistes. Il va devenir le seul quotidien catholique de diffusion nationale. Pierre Albert définit ce journal comme « catholique sans sectarisme ni faiblesse, fort de ses traditions, il veut expliquer le monde et orienter la réflexion de ses fidèles abonnés24 ». Son développement va être le résultat de sa capacité à affirmer sa crédibilité journalistique tout en s’imposant comme journal catholique. En mars 1968, le quotidien adopte le demi-format. Tout au long des années 1960, sa diffusion tourne autour des 110 000 exemplaires quotidiens. Le Figaro est né en 1826 et a traversé de nombreux avatars. Ce n’est d’abord qu’une « feuille » de quatre pages satiriques. En 1854, il devient hebdomadaire et quotidien mondain en 1866. Il soutient l’Empire jusqu’en 1870, pour ensuite réclamer le retour de la monarchie. Il commence à jouer la carte républicaine à la fin des années 1870. Le journal se saborde en novembre 1942 pour reparaître en 1944 sous la direction de Pierre Brisson, qui va en faire le journal incontournable de l’intelligentsia française de droite. Claire Blandin qualifie sa ligne éditoriale de « libéralisme modéré de la droite classique25 ». Les années 1960 sont pour le journal une décennie d’essor (notamment économique) et de crises (en 1965, le départ de Pierre Brisson entraîne une crise interne). A la fin des années 1960, le journal tire à un peu plus de 400 000 exemplaires par jour. France-Soir, héritier du journal résistant Défense de la France, est apparu au lendemain de la Libération. Pierre Lazareff devient directeur général en 1949 et fait du journal le premier quotidien de France en nombre d’exemplaires sous la IVe République et la Ve République gaullienne. Sa recette à base de faits divers et de titres à sensation fonctionne, ce qui pousse Pierre Nora à écrire : « les titres de France-Soir, par exemple, fabriquent à chaque édition des événements dont la plupart sont mort-nés26 ». En 1955, le tirage quotidien est de 1 500 000 exemplaires. Le journal ne réussit pas à s’adapter aux changements de mentalité de la fin des années 1960 : en 1966, le tirage quotidien passe sous la barre des 1 000 000 d’exemplaires. L’Humanité est fondée en 1904 par Jean Jaurès. C’est le premier grand journal des travailleurs. Il est jusqu’en 1920 le journal de la SFIO, avant de devenir celui du Parti communiste français. Suspendu en août 1939 par le gouvernement français, le journal paraît clandestinement pendant toute la guerre, puis reparaît officiellement en août 1944. A la Libération, son audience est à son apogée (en 1947, le tirage journalier est en moyenne de 400 000 exemplaires), pour ensuite décliner régulièrement. Le journal officiel du PCF passe sous la barre des 200 000 exemplaires au milieu des années 1960. Le Monde est né en décembre 1944 comme quotidien du soir daté du lendemain. Avec son absence de photo et sa typographie austère, il rappelle d’autant plus le quotidien d’avant-guerre Le Temps qu’il compte plusieurs anciens collaborateurs du journal au sein de sa rédaction, dont son directeur Hubert Beuve-Méry. Dès le départ, le journal vise un lectorat

23 ibidem, p. 386 24 ALBERT Pierre, La presse française, Paris, La Documentation française, 1990, p. 145 25 BLANDIN Claire, Le Figaro, deux siècles d’histoire, Paris, Armand Colin, 2008, p. 177 26 NORA Pierre, "Le retour de l’événement", op. cit., p. 296 SAUVAGE Maxime - 2011 15 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

cultivé, en privilégiant le sérieux et la qualité de l’information. Son développement est lent, résultat d’une volonté de rester indépendant. Ce n’est que dans les années 1960 que l’essor du journal se précipite : « de 1961 à 1969, en tout cas, la diffusion contrôlée du Monde a – en huit années – doublé27 ». En 1968, le tirage moyen est de 350 000 exemplaires. Le Parisien Libéré est apparu à la Libération, sous la direction d’Emilien Amaury. Dès le départ, il adopte une posture de journal à clientèle populaire, à tendance nationaliste et gaulliste. Il est célèbre pour ses faits divers et sa rubrique hippique. Il multiplie les éditions pour l’Ile-de-France dans les années 1960 et adopte le format tabloïd en 1965. Sur cette décennie, son tirage tourne autour des 900 000 exemplaires. La presse des années 1960 subit plusieurs mutations. Tout d’abord, on assiste au début du phénomène de concentration, qui a pour conséquence la diminution lente des titres de presse, sans pour autant avoir un impact négatif sur le tirage total de la presse. En effet, en 1960, il existait cent-onze titres de presse pour un tirage total de 11 300 000 exemplaires sur l’année. En 1970, le nombre de titre n’était plus que de quatre-vingt-quatorze pour un tirage de 11 900 000 exemplaires. On ne créait plus de journaux, mais ceux qui existaient voyaient leur audience s’élargir. La hausse des tirages est associée à une augmentation massive des recettes issues de la publicité : ces recettes étaient de 16,5 millions de francs (environ 2,5 millions d’euros) en 1963, elles vont atteindre 65 millions de francs en 1969 (environ 9 millions d’euros). L’essor de nouveaux médias comme la télévision va être à l’origine d’autres transformations. Pour contrer l’expansion de la radio et de la télévision, les journaux vont jouer sur des améliorations techniques (comme l’offset ou la photocomposition), la coloration des pages et l’accroissement de la pagination. Pour Violette Morin, l’essor de la télévision va pousser les journalistes à modifier leur style d’écrite. Elle considère que : « [la presse] témoigne chaque jour davantage d’une telle volonté dans l’art de transformer la durée narrative d’un événement en spectacles instantanés, qu’on est en droit de se demander si elle n’innove pas une certaine forme d’expression » et parle « d’écriture filmique28 ». Face à la concurrence télévisuelle, certains estiment que la disparition de la presse est inéluctable, quand d’autres prédisent une bipolarisation du monde de la presse écrite autour de titres sérieux et de magazines dont le seul objectif est la distraction. Dans tous les cas, à la fin des années 1960, les Français se tournent davantage vers la télévision. Un sondage de l’Institut français d’opinion publique, d’avril 1969, sur la confiance accordée par les Français aux grands moyens d’information à propos du référendum à venir donne les résultats suivants : 29% des sondés font confiance à la télévision de l’O.R.T.F. contre 25% des sondés à leur quotidien habituel29. Le chanoine Kir étant décédé en avril 1968, intéressons-nous maintenant à cette année particulière de la décennie 1960. Particulière car les événements qui ont eu lieu cette année là ont modifié provisoirement le paysage de la presse française. Le général de Gaulle envisageait l’année 1968 « avec confiance » et allait même jusqu’à la saluer « avec sérénité »30. Dans un article du Monde daté du 15 mars 1968, le journaliste Pierre Viansson- Ponté écrivait que « ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient […]. La jeunesse s’ennuie… ». Les événements de mai-juin 1968 vont contredire ces deux réflexions. Concernant la presse, de nouveaux titres éphémères vont fleurir à cette période et le tirage total d’exemplaires de la presse quotidienne atteint cette 27 BELLANGER Claude (dir.), Histoire générale de la presse française, op. cit., pp. 229-230 28 MORIN Violette, L’écriture de la presse, Paris, Mouton édit., 1969, p. 88 29 Sondage cité dans BELLANGER Claude (dir.), Histoire générale de la presse française, op. cit., p. 210 30 voir la présentation des vœux du Président de la République à la nation du 31 décembre 1967 16 SAUVAGE Maxime - 2011 Introduction

année-là le chiffre de huit millions (record qui n’a plus jamais été atteint). Mais nous ne nous attarderons pas sur mai 1968 et ses conséquences, le chanoine Kir disparaissant quelques jours plus tôt, le jeudi 25 avril.

Méthodologie

Un des écueils à éviter dans ce mémoire est d’oublier que ce travail est avant tout historique. L’historien français Michel de Certeau se posait ainsi la question : « Que fabrique l’historien, lorsqu’il “fait de l’histoire“ ? A quoi travaille-t-il ? Que produit-il ?31 ». Tout au long de cette étude, dans laquelle nous analyserons le traitement médiatique de la mort du maire de Dijon, et qui nous amènera à la frontière des sciences politiques et des sciences de l’information, nous ne perdrons pas de vue notre objectif premier qui est de déconstruire et analyser les différentes mémoires, portées par la presse, associées au chanoine Kir. Pour ce faire, notre étude reprendra une approche méthodologique inspirée de l’excellent mémoire d’histoire de François Tardy sur le traitement par la presse canadienne de la mort du général de Gaulle32. Nous recourrons à l’analyse quantitative pour comparer les différentes couvertures, par les huit titres de presse préalablement sélectionnés, de l’événement que fut la mort du chanoine Kir. Dans notre corpus, l’arbitraire et le subjectif se traduiront respectivement comme suit : notre relevé, qui se fera sur une période de cinq jours, portera sur tous les articles de presse et photos concernant la mort de Félix Kir. Par article de presse, nous entendrons aussi bien la brève que l’article de plusieurs colonnes. Grâce à cette analyse arithmétique, nous verrons si comme l’écrit Christian Delporte : « quel que soit l’événement, sa couverture par les médias obéit à un rituel qui s’exprime par la mise en place d’un dispositif de l’information codifié auquel n’échapp[e] […] la presse écrite...33 ». Nous recourrons aussi à des analyses du contenu des documents relevés, afin de mettre en évidence les imaginaires et représentations qui constituent les différentes mémoires du chanoine, portées par chaque journal. Tout au long de ce travail, nous aurons recours à l’utilisation de tableaux afin de pouvoir comparer les données relevées dans les différents journaux. La plupart de ces tableaux auront deux versions : l’une indiquera les données en valeur absolue, l’autre en valeur relative. Cette double présentation aura l’avantage de donner plus de sens aux résultats obtenus. Pour des raisons d’espace, chaque tableau apparaîtra sous une forme particulière dans le corps du mémoire, tandis que la deuxième présentation se retrouvera en annexe. Les données en valeur relative seront arrondies au dixième près.

Problématique et plan

31 DE CERTEAU Michel, "L’opération historique", in NORA Pierre, LE GOFF Jacques (dir.), Faire de l’histoire, Paris, Gallimard, 1974, Collection Folio, Histoire, p. 17 32 TARDY François, Le traitement de la mort du général de Gaulle dans la presse canadienne, Mémoire de recherche d’histoire, IEP de Lyon, Université Lumière Lyon II, 2004/2005, 144 p. 33 DELPORTE Christian, "Mise en scène médiatique de la mort de Chaban-Delmas", op. cit., p. 141 SAUVAGE Maxime - 2011 17 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Voici la problématique de ce mémoire d’histoire : Félix Kir, homme au parcours long et riche et aux multiples facettes, n’a jamais laissé indifférent en 92 ans d’existence. Les multiples vies qu’il a menées, ses successives orientations politiques et sa capacité à réécrire ce qu’il a vécu ont fait du chanoine Kir un personnage difficile à cerner et à prendre au sérieux. L’étude du traitement médiatique par huit titres de presse, ces derniers reflétant différents courants d’opinion de la société française à un moment donné, de la mort du maire de Dijon nous permettra de dégager les différentes mémoires associées au personnage. Grâce aux trois clivages qui ont servi de base à la sélection du corpus, nous verrons si la disparition du chanoine Kir bénéficie de la même couverture selon que le journal est dijonnais, parisien, populaire, élitiste, ou plutôt marqué à droite ou à gauche et si ces quotidiens se représentent Kir de la même manière. Nous pouvons nous attendre à trouver une presse locale privilégiant son côté « maire » et une presse nationale appuyant le fait d’être député. Cependant, seule une analyse poussée des documents relevés pourra confirmer ou infirmer cela. Il semblerait aussi évident qu’un journal comme La Croix s’intéresse plus à son passé d’homme d’Eglise, et L’Humanité à sa proximité avec Khrouchtchev et certains régimes socialistes. Enfin, cette étude nous permettra de comparer les différentes opinions à l’encontre du chanoine. Félix Kir sera-t-il jugé plus sévèrement par la presse nationale ? Par la presse élitiste ? Ce mémoire se décomposera en trois parties : Dans une première partie, nous nous intéresserons non pas au fond, mais à la forme du traitement médiatique de chaque journal. Nous procéderons en trois étapes : la comptabilisation du nombre de documents relatifs à la mort du chanoine, l’étude du type des documents de notre relevé et l’analyse des différentes couvertures dans le temps et dans l’espace. Chaque journal va-t-il offrir la même couverture à l’événement? Dans une deuxième partie, nous nous focaliserons sur le fond de tous les documents relevés concernant la disparition du maire de Dijon. Nous comparerons les thèmes abordés par chaque journal et les différentes représentations et images qu’ils associent au personnage. Chaque journal va-t-il voir le chanoine de la même manière ? Dans une troisième et dernière partie, nous nous pencherons exclusivement sur les portraits qui reviennent sur la vie de Kir. L’étude de ces petites biographies nous permettra de mettre en évidence la mémoire que chacun des quotidiens associe au parcours du maire de Dijon, et si cette mémoire est positive ou non. Chaque journal fait-il le même récit de la vie du chanoine ?

18 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Introduction

Dans ce premier chapitre, nous allons comparer quantitativement les couvertures de l’événement par les huit titres de presse sélectionnés. Dans son édition du 26 avril 1968, Le Bien Public écrivait : « L’émotion fut considérable aussi bien à Dijon qu’en France et dans le monde. La presse parlée comme la presse écrite lui ont consacré ou lui consacreront de longs commentaires34 ». Dans son édition du 27 avril 1968, Les Dépêches légendent une de leurs illustrations comme suit : « Le chanoine Kir, artisan des jumelages et apôtre de la paix, était connu dans le monde entier. La nouvelle de sa mort a été annoncée et commentée par toute la presse nationale française…35 ». Or, les journaux ont-ils accordé le même crédit à la disparition du chanoine Kir ? S’attacher à étudier les différents niveaux de couverture va nous permettre de comparer l’intérêt que chaque journal porte à la disparition du maire de Dijon. Une couverture plus ou moins large est une preuve évidente de l’importance ou non que revêt l’événement pour le journal. La mort du chanoine est-elle une nouvelle parmi de nombreuses autres qui chaque jour trouvent leur place dans les pages des quotidiens ? Cet événement fait-il la une ? Est- il seulement considéré comme un événement ? Voici quelques unes des nombreuses questions auxquelles nous allons pouvoir répondre en se penchant sur les volumes de la couverture médiatique de l’événement. Pour se faire, nous procéderons en trois étapes. Tout d’abord, nous allons comptabiliser le nombre de documents relatifs à l’événement qui nous intéresse dans chaque titre de presse. Pour aller au-delà d’un simple relevé quantitatif, nous établirons la longueur de chaque document et nous comparerons le nombre de documents par rapport au nombre de pages dans chaque journal. Puis, nous nous attacherons à analyser la nature, le genre et les auteurs des documents. Enfin, nous mènerons une comparaison des huit couvertures de l’événement dans le temps (entre le 26 et le 30 avril 1968) et dans l’espace (à quelle(s) page(s) et dans quelle(s) rubrique(s) trouve-t-on les documents qui nous intéressent).

34 Le Bien Public, 26 avril 1968, p. 18 35 Les Dépêches, 27 avril 1968, p. 9 SAUVAGE Maxime - 2011 19 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

1.1 NOMBRE DE DOCUMENTS RELATIFS A LA MORT DE KIR

Notre étude de la couverture de la mort du chanoine Kir va débuter avec la comptabilisation du nombre de documents relatifs à cet événement dans chacun des huit journaux de notre corpus. Ensuite, nous comparerons la longueur moyenne des documents écrits dans chaque titre de presse. Nous terminerons cette première analyse en rapportant le nombre de documents au nombre de pages moyen de chaque journal. Ces trois étapes vont nous permettre de tirer des premières conclusions sur la visibilité médiatique de la nouvelle dans Le Bien Public, Les Dépêches, France-Soir, Le Parisien-Libéré, La Croix, L’Humanité, Le Figaro et Le Monde.

1.1.1 Relevé du nombre total de documents

Tableau 1: Nombre total de documents relatifs à la mort de Kir par journal BP FS LC LD LF LH LM PL Total Nombre de 98 7 6 91 10 2 7 4 225 documents relatifs à la mort du chanoine Kir

(Source : calculs de l’auteur) * Tout au long de ce mémoire, l’abréviation BP renverra au Bien Public, FS à France- Soir, LC à La Croix, LD aux Dépêches, LF au Figaro, LH à L’Humanité, LM au Monde et PL au Parisien-Libéré. ** Dans notre relevé, nous entendons par document toute dépêche, brève, article ou photo relatifs à la mort du chanoine Kir, sur la période allant du vendredi 26 avril 1968 au mardi 30 avril 1968, et tirés des journaux sélectionnés. Tous les documents en question ont un lien direct avec la disparition du maire de Dijon. Nous n’avons pas pris en compte dans notre relevé, les documents qui font référence à la mort du chanoine de manière indirecte ou secondaire. Ne sont pas inclus dans ce relevé les avis de décès envoyés par des organisations ou des particuliers. En revanche, nous comptabilisons les déclarations des personnalités (quand ces déclarations ne sont pas incluses dans un article ou une brève), qui réagissent à la disparition du chanoine Kir. En effet, le choix des journalistes de porter à la connaissance du public ou non des réactions d’hommes publics se doit d’être analysé. A la lecture de ce tableau, l’extrême différence de niveau de couverture médiatique de la mort du chanoine Kir entre la presse locale dijonnaise et la presse nationale saute aux yeux. Le clivage géographique semble donc se révéler être pertinent. Par exemple, Le Bien Public parle presque cinquante fois plus de cet événement que L’Humanité. On remarque que parmi les deux journaux locaux, c’est Le Bien Public qui traite le plus largement de l’événement. Cela a-t-il un lien avec le fait que l’orientation politique du journal correspond à celle du chanoine ? Nous ne pouvons pas encore tirer cette conclusion, surtout que l’écart de documents concernés n’est que de six. Seules d’autres analyses pourront nous éclairer plus précisément. Concernant la presse nationale, il n’y a pas de grande disparité dans la couverture de l’événement en termes quantitatifs. Le Figaro est le quotidien qui mentionne le plus la disparition du maire de Dijon avec dix documents. L’Humanité ne mentionne cette

20 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

disparition que deux fois. A partir de ces chiffres bruts, nous constatons que la mort du maire de Dijon n’est pas un événement majeur pour la presse parisienne, mais d’autres analyses seront indispensables pour comparer les différences dans la couverture médiatique des six titres nationaux. C’est la raison pour laquelle nous allons maintenant comparer la longueur des documents écrits de notre relevé par journal. Un document écrit d’une cinquantaine de mots n’aura par exemple pas la même valeur qu’un document de plus de mille mots.

1.1.2 Comparaison de la longueur moyenne des documents écrits

Tableau 2: Longueur moyenne des documents écrits* relatifs à la mort de Kir par journal BP FS LC LD LF LH LM PL Total 1-100 mots 28 2 2 12 6 / 3 1 54 101-250 mots 10 2 2 18 2 1 1 1 37 251-500 mots 6 / / 11 1 1 2 1 22 501-1000 mots 6 1 1 3 / / 1 / 12 1001-2000 mots 2 / / 1 / / / / 3 >2000 mots 1 / / 1 / / / / 2 Total 53 5 5 46 9 2 7 3 130

(Source : calculs de l’auteur) * Nous entendons par document écrit, tous les documents du relevé à l’exception des photos avec et sans légende. La lecture de ces tableaux36 nous éclaire un peu plus sur les différents niveaux de couverture médiatique. Premièrement, nous pouvons constater la forte proportion de documents très courts dans le total des documents écrits relatifs à la mort du chanoine Kir. 41,7% de ces documents comportent moins de cent mots. A contrario, seulement 1,5% des cent-trente documents écrits ont une longueur qui dépasse les deux mille mots. La brève ou l’article court représentent 87% du total des documents écrits de notre relevé. La mort du chanoine Kir ne fait donc pas l’objet d’une couverture minutieuse, avec de longs articles qui reviendraient sur la vie du maire de Dijon et sur son œuvre. Ici encore, les deux journaux dijonnais se distinguent. Ce sont les seuls titres de presse de notre corpus qui ont couvert l’événement à l’aide de documents textuels de plus de mille mots. Cependant, en termes de longueur d’article, leur couverture médiatique comporte quelques nuances. Le Bien Public privilégie, en valeur absolue et relative, les documents écrits très courts (moins de cent mots), tandis que Les Dépêches ont recours de manière plus régulière aux documents d’une longueur comprise entre 101 et 500 mots. En ce qui concerne les deux autres clivages qui nous intéressent dans ce travail, le clivage de l’orientation politique et le clivage du type de lectorat, ces deux tableaux ne les rendent pas pertinents. Nous pouvions nous attendre à des documents écrits plus longs dans la presse dite de qualité, or c’est Le Figaro, qui en pourcentage, a publié le plus grand nombre de documents très courts (66,7%). On retrouve dans trois journaux parisiens des documents écrits de plus de cinq-cents mots : ce sont France-Soir, La Croix et Le Monde.

36 Le tableau 2’ se trouve en Annexes SAUVAGE Maxime - 2011 21 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Cette constatation sort des clivages prédéfinis. Il se dégage de ces tableaux une manière commune à France-Soir et La Croix de couvrir l’événement. D’autres grilles d’analyse nous permettront de voir si cette similitude se confirme. Enfin, L’Humanité, qui en valeur absolue revient le moins sur la nouvelle, est le seul journal qui n’use pas de document écrit inférieur à cent mots. La mort du chanoine Kir n’est pas considérée par le quotidien communiste comme un événement majeur, mais il estime que cette disparition ne mérite tout de même pas un traitement médiatique composé d’une ou deux brèves. La comparaison de la longueur moyenne des cent-trente documents écrits relatifs à la mort du chanoine Kir dans notre corpus de titres de presse nous confirme la spécificité de la presse locale concernant la couverture de l’événement. En revanche, les autres clivages ne se trouvent pas confirmer. Nous devons donc continuer notre analyse pour tenter de préciser ces enseignements.

1.1.3 Rapport entre le nombre de documents et la pagination de chaque journal

Tableau 3: Pagination moyenne entre le 26 avril 1968 et le 30 avril* 1968 par journal BP FS LC LD LF LH LM PL Pagination 18 19 18 17,7 25,6 11 25 14,6 moyenne**

(Source : calculs de l’auteur) * Nous estimons nécessaire de repréciser notre attitude à l’égard des trois journaux du soir de notre corpus : France-Soir, La Croix et Le Monde. Etant publiés en fin de journée et datés du lendemain, le journal du 26 avril 1968 est en réalité celui du 25 avril 1968. France- Soir édition « Toute dernière spéciale » et la dernière édition de La Croix du 26 avril 1968 annoncent le décès du chanoine Kir survenu dans l’après-midi. Il est donc inclus dans notre relevé. La question ne se pose pas pour Le Monde, qui commence à traiter de l’événement dans son édition du 27 avril 1968. En revanche, notre relevé s’arrête bien sur les journaux datés du 30 avril, car aucun des trois titres de presse du soir ne revient sur la mort du maire de Dijon dans leur édition du 01 mai 1968. ** Dans notre calcul de la pagination moyenne, n’est pris en compte que le cahier général de chaque journal. En effet, aucun cahier thématique ne comporte de documents relatifs à la mort du chanoine Kir. Le Monde des livres, Le Monde de l’économie, ou les différents suppléments télé pour ne citer qu’eux ne sont donc pas comptabilisés. Ce tableau nous enseigne que les huit quotidiens sélectionnés ont une pagination moyenne de leur cahier principal qui n’est pas la même. Nous remarquons que les journaux dits élitistes, Le Monde et Le Figaro, sont les deux journaux qui ont une pagination moyenne supérieure à vingt pages quotidiennes. L’Humanité, qui s’est distingué précédemment par le nombre total le plus faible de documents relatifs au décès du maire de Dijon, est aussi le quotidien dont la pagination moyenne est la plus faible (onze pages). Les journaux dijonnais ont sensiblement la même taille, comme France-Soir et La Croix. Nous allons maintenant rapporter le nombre de documents sélectionnés au nombre de pages moyen par journal. Cette opération nous permettra de dégager la moyenne du nombre de documents relevés par page, afin d’avoir une idée plus précise de l’étendue de la couverture de l’événement pour chaque journal.

22 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Tableau 4: Nombre moyen par page de documents relatifs à la mort du chanoine Kir par journal BP FS LC LD LF LH LM PL Moyenne 5,4 0,4 0,3 4,7 0,4 0,2 0,3 0,3 par page

(Source : calculs de l’auteur) Nous pouvons tirer plusieurs enseignements de ce tableau. Vu le nombre total de documents relatifs à la mort du maire de Dijon dans les journaux dijonnais, il n’est pas surprenant de retrouver ces derniers de nouveau en tête en ce qui concerne le nombre moyen de documents liés au chanoine par page. Nous remarquons d’ailleurs que ce tableau révèle encore une couverture plus large de l’événement dans Le Bien Public que dans Les Dépêches. Cette moyenne par page nous montre aussi que ce sont France-Soir et Le Figaro qui sont les titres parisiens revenant le plus sur l’événement. En valeur absolue (dix documents) et en valeur relative (0,4 document par page), Le Figaro est le premier quotidien national pour son volume de la couverture de la mort de Kir. Est-ce en raison de la proximité idéologique qu’il y a pu avoir entre le grand quotidien national de droite et l’ancien député- maire conservateur de Dijon ? Il est encore trop tôt pour le dire. A l’inverse, L’Humanité est, en valeur absolue et relative, le quotidien qui s’intéresse le moins à l’événement. Apparemment, l’amitié entre les deux K (Kir et Khrouchtchev) n’a pas été suffisante pour que le quotidien communiste couvre de manière détaillée la mort du chanoine Kir. La Croix, Le Monde et Le Parisien-Libéré ont la même moyenne de documents par page. Bien que Le Monde couvre, en valeur absolue, plus largement l’événement, le quotidien pâtit de sa pagination moyenne plus importante. Il est à noter que La Croix se distingue ici de France-Soir, journal avec lequel le quotidien catholique partageait précédemment des caractéristiques. En moyenne par page, La Croix revient moins sur l’événement que France- Soir. Après ces différentes comptabilisations pour comparer en volume les couvertures de l’événement par les huit journaux de notre corpus, nous allons ausculter de manière précise le type des deux-cent-vingt-cinq documents de notre relevé.

1.2 TYPES DES DOCUMENTS RELATIFS A LA MORT DE KIR

Après s’être focalisés sur le volume de la couverture de la mort du chanoine Kir, nous allons nous intéresser aux types de documents qu’utilisent les journaux pour traiter de l’événement. La question centrale de cette deuxième étape de notre analyse est la suivante : comment les huit titres de presse sélectionnés couvrent la mort du maire de Dijon ? Cette interrogation porte ici non pas sur le fond des documents, mais sur leur forme. Nous commencerons par comparer la nature des documents de chaque journal, puis leur genre, pour enfin regarder qui sont les auteurs de ces documents.

SAUVAGE Maxime - 2011 23 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

1.2.1 Nature des documents

Tableau 5: Nature des documents relatifs à la mort de Kir par journal BP FS LC LD LF LH LM PL Total Texte 53 5 5 46 9 2 7 3 130 Illustration 45 2 1 45 1 / / 1 95 (dont (45) (1) / (17) / / / (1) (63) photographie légendée) Total 98 7 6 91 10 2 7 4 225

(Source : calculs de l’auteur) Comme nous pouvions nous y attendre37, la majorité des documents de notre relevé sont des documents écrits (58%). Concernant les photographies, presque deux tiers sont légendées. Ici encore, les deux quotidiens dijonnais se distinguent des six quotidiens parisiens. Ce sont les deux seuls titres de presse qui ont un pourcentage de photographies supérieur au pourcentage moyen de photographies du corpus dans son ensemble, et par conséquent un pourcentage de documents textuels inférieur au pourcentage moyen de documents écrits du corpus dans son ensemble. Les Dépêches ont d’ailleurs recours à presque autant de documents visuels que de documents textuels dans sa couverture de l’événement. Il n’est pas surprenant de voir que tous les documents du Monde sont textuels. Sa traditionnelle présentation austère dépourvue de photographie se retrouve ici. En revanche, le fait que L’Humanité partage cette caractéristique est étonnant. Il est le seul quotidien avec Le Monde à ne pas utiliser de document visuel pour couvrir l’événement. Or, l’absence de photographie n’est pas un trait qui correspond habituellement au quotidien communiste. Encore une fois, nous notons que sa couverture de la disparition du chanoine est minimaliste. Les deux quotidiens populaires que sont France-Soir et Le Parisien-Libéré ont le point commun d’avoir un quart de leurs documents être des documents visuels. Ces journaux utilisent traditionnellement beaucoup de photographies pour illustrer leurs documents textuels. Cette habitude se retrouve ici. La Croix et La Figaro, qui ont pour habitude de recourir à une présentation moins austère que celle du Monde, mais plus sobre que les journaux populaires, reproduisent leur mise en page classique, avec une priorité donnée aux documents textuels, sans pour autant exclure la présence d’illustration (ici, une par journal). Il est dorénavant temps d’analyser plus précisément ces documents, en nous penchant sur leur genre.

1.2.2 Genre des documents

Avant de commenter les tableaux ci-dessous38, il est utile de faire une précision. Les documents qui sont inclus dans ce tableau ne sont que les documents textuels. En effet, il

37 Le tableau 5’ se trouve en Annexes 38 Le tableau 6’ se trouve en Annexes 24 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

est compliqué de parler du genre d’une photographie sans détailler ce qu’elle représente exactement. Or, dans cette partie, nous nous cantonnons à analyser uniquement la forme des documents et non leur fond. Par conséquent, l’étude du genre des photographies se fera dans le chapitre suivant.

Tableau 6: Genre des documents textuels relatifs à la mort de Kir par journal Genre BP FS LC LD LF LH LM PL Total Informatif* Annonce 3 / / 3 1 / 2 / 9 Brève 5 2 2 2 1 / / 1 13 Filet 5 2 / 5 2 1 / / 15 Article 9 / 1 8 1 / 2 1 22 Communication 2 / / 4 / / / / 6 officielle Sous-total 24 4 3 22 5 1 4 2 65 Commentaire **Témoignage 4 / / 3 / / / / 7 Déclaration 23 / 1 9 3 / 2 / 38 Portrait 1 1 1 11 1 1 1 1 18 Sous-total 28 1 2 23 4 1 3 1 63 Autre Citation dans 1 / / 1 / / / / 2 l'ordre de la Légion d'honneur Sous-total 1 0 0 1 0 0 0 0 2 Total 53 5 5 46 9 2 7 3 130

(Source : calculs de l’auteur) * Nous entendons par genre informatif, tous les documents textuels qui communiquent de la matière brute, sans la commenter. Les annonces sont tous les documents textuels en une qui renvoient aux documents textuels à l’intérieur du cahier principal. Les brèves sont des documents textuels qui ne dépassent pas un paragraphe. Les filets se situent entre la brève et l’article, ils ont généralement un titre. Les articles sont les documents textuels qui dépassent généralement les trois paragraphes. Les communications officielles sont des retranscriptions de messages émanant d’organisations publiques, telles que la mairie. ** Nous entendons par genre de commentaire, tous les documents textuels qui commentent l’information. Les témoignages sont des textes écrits par des personnalités. Les déclarations sont des propos oraux rapportés par le journal. Les portraits sont des articles biographiques qui reviennent sur la vie et le parcours du chanoine Kir. Le premier enseignement que nous pouvons tirer de la lecture de ces deux tableaux est que les genres journalistiques d’information et de commentaire se valent dans la couverture générale concernant la mort du chanoine Kir. Il y a quasiment autant de documents écrits qui informent sur l’événement que de documents qui commentent l’événement. Un point caractérise tous les titres de presse : l’utilisation du portrait. Cela n’est pas surprenant. La presse, lors de la disparition d’un personnage public, revient nécessairement sur sa vie. Nous étudierons ces portraits dans le dernier chapitre de ce travail. Les journaux dijonnais se distinguent de plusieurs façons de leurs homologues parisiens. Ce sont les seuls titres de presse qui intègrent dans le traitement de la mort du chanoine Kir des communications officielles émanant de la mairie de Dijon. Ils sont aussi les

SAUVAGE Maxime - 2011 25 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

seuls à laisser des personnalités ayant côtoyé le chanoine écrire des témoignages au sein de leurs colonnes, et à publier la citation dans l’ordre de la Légion d’honneur du maire de Dijon. Ces particularités s’expliquent par le fait que ce sont des journaux locaux. Ils sont les vecteurs de la mairie pour porter à la connaissance de leur public (des Dijonnais donc) ses communications officielles. D’autre part, leur lectorat étant très majoritairement dijonnais, la mort de leur maire les concerne plus directement. Le ratio genre informatif/ genre de commentaire est sensiblement le même chez les deux titres côte d’oriens. Cependant, chacun de ces deux journaux ont des caractéristiques très particulières. Concernant Le Bien Public, 43.4% de ses documents textuels sont des déclarations, qui sont généralement assez courtes39 et qui proviennent de personnalités ou d’anonymes. De son côté, Les Dépêches ont beaucoup moins recours à ce genre de document textuel. En revanche, ce dernier titre privilégie les portraits. A côté du très long portrait principal40 publié par le journal de gauche dijonnais, on trouve aussi une multitude de petits portraits qui accompagnent des ensembles de photographies41. Dans Le Bien Public, il n’y a qu’un seul document textuel qui fait figure de portrait, ce qui est très peu en comparaison du nombre total de documents de notre relevé. Visiblement, le journal conservateur dijonnais a préféré donner la parole aux autres pour parler du chanoine Kir. France-Soir et Le Parisien-Libéré se distinguent par un genre informatif très dominant (trois quarts des documents écrits). Quand on sait que l’on accorde généralement moins de valeur journalistique à ce genre journalistique, il n’est alors pas surprenant de retrouver ces deux titres populaires l’utiliser grandement. Cependant, Le Monde, La Croix ou Le Figaro, journaux réputés pour leur sérieux et la qualité de leurs analyses, ont recours eux aussi, mais à un niveau moindre, majoritairement au genre informatif. Nous pouvons en conclure que la disparition du chanoine, qui ne bénéficie pas d’une large couverture par ces journaux (voir tableau 1 et 5) et par les titres parisiens en général, n’a pas poussé leurs journalistes à commenter en longueur l’événement. Un portrait et quelques déclarations ont suffi à commenter la mort du maire de Dijon, sans autre analyse plus poussée. La majorité de leurs documents textuels n’ont donc qu’un rôle informatif. La prochaine étape de notre analyse va être de s’intéresser à ceux qui s’expriment sur la mort du chanoine Kir.

1.2.3 Origine des documents textuels Nous allons nous intéresser ici aux auteurs des documents textuels de notre relevé. Il va s’agir de voir à quelles signatures les journaux vont faire appel pour couvrir la mort du chanoine Kir. Tous les documents sont-ils signés ? Ne sont-ils le fruit que de journalistes de la rédaction ? Quelle est la proportion de documents textuels provenant de l’extérieur des rédactions ? Il va donc s’agir d’analyser la propension de chaque titre à ouvrir leurs colonnes à des signatures externes.

39 Ce qui explique en partie l’importance en valeur absolue et relative, des documents dont la longueur est inférieure à cent mots (tableaux 2 et 2’). 40 C’est le document textuel supérieur à deux mille mots du tableau 2 41 Ces petits portraits expliquent l’importance du nombre de documents dont la longueur est comprise entre cent-un et deux- cents-cinquante mots (tableaux 2 et 2’). Comme ils accompagnent des photographies, cela permet de comprendre pourquoi seulement dix-sept des quarante-cinq photographies (tableau 5) des Dépêches sont légendées. 26 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Tableau 7: Auteurs des documents textuels relatifs à la mort de Kir par journal Signature Genre BP FS LC LD LF LH LM PL Total Interne Filet / / / / 1 (ESP)/ / / 1 Article / / / 2 (J) / / 2 (CP) / 4 Portrait / 1 (J) 1 (J) 1 (J) 1 (ESP)/ 1 (J) / 5 Sous-total 0 1 1 3 2 0 3 0 10 Externe Communication 2 / / 4 / / / / 6 officielle Témoignage 4 / / 3 / / / / 7 Déclaration 23 / 1 9 3 / 2 / 38 Citation de 1 / / 1 / / / / 2 l'Ordre de la Légion d'honneur Sous-total 30 0 1 17 3 0 2 0 53 Non- Annonce 3 / / 3 1 / 2 / 9 signé Brève 5 2 2 2 1 / / 1 13 Filet 5 2 / 5 1 1 / / 14 Article 9 / 1 6 1 / / 1 18 Portrait 1 / / 10 / 1 / 1 13 Sous-total 23 4 3 26 4 2 2 3 67 Total 53 5 5 46 9 2 7 3 130

(Source : calculs de l’auteur) * ESP : envoyé spécial permanent ; CP : correspondant particulier ; J : journaliste (le document est signé avec le nom de son auteur, sans qualificatif particulier, on utilisera donc le terme générique de journaliste) ; R : rédaction. Avant de commenter ces deux tableaux42, nous émettons l’hypothèse que les documents non-signés sont l’œuvre de journalistes des rédactions de chaque journal. Ils engagent donc la parole du journal, au même titre que les documents dont la signature est interne. Le premier enseignement que nous pouvons tirer de la lecture de ces tableaux est que trois journaux, France-Soir, L’Humanité et Le Parisien-Libéré partagent la caractéristique de ne pas inclure dans leurs lignes de signature externe. Seuls des écrits de leurs journalistes couvrent l’événement. Le degré d’ouverture de leur couverture est donc nul. Cette observation n’est pas surprenante quand on constate que ces trois titres sont des journaux populaires. Un des traits traditionnels de ce type de presse est de ne pas avoir recours à différentes sources d’information et de privilégier un traitement des événements interne et pauvre en diversité. Le Bien Public se différencie de tous ses confrères, y compris Les Dépêches, en préférant, en valeur relative, couvrir l’événement à travers des documents textuels dont la provenance ne vient pas de la rédaction du journal. Ici, le degré d’ouverture de la couverture est très importante (57%). Comme nous l’avons déjà remarqué dans nos commentaires

42 Le tableau 7’ se trouve en Annexes SAUVAGE Maxime - 2011 27 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

des tableaux 9 et 10, le quotidien dijonnais préfère traiter la disparition du chanoine Kir en donnant la parole à d’autres personnes plutôt qu’à ses journalistes. La Croix, Les Dépêches, Le Figaro et Le Monde ont un ratio signature externe sur nombre total de documents textuels plus classique. La majorité de leurs documents est la parole du journal, tout en laissant une place aux signatures extérieures, ce qui apporte une richesse à leur couverture de l’événement. A noter que Les Dépêches signent leur long portrait sur le chanoine avec les initiales du journal, « L.D. », ce qui fait ouvertement de ce document la voix de toute la rédaction. Les quatre titres parisiens énumérés dans le paragraphe précédent, ainsi que France- Soir, signent au moins un de leurs documents. Mais, seuls Le Monde et Le Figaro se distinguent vraiment en faisant cela. Ces deux journaux précisent la fonction de leur journaliste qui couvre la mort du chanoine. Le Figaro a un « envoyé spécial permanent », tandis que Le Monde a un « correspondant particulier ». Par cette précision, les deux quotidiens montrent à leurs lecteurs qu’ils sont au plus près de l’événement avec un membre de leur rédaction qui se trouve à Dijon. Cela donne une crédibilité supplémentaire à l’information. Et ce n’est pas un hasard si cela concerne les deux journaux de référence de notre corpus. Ces deux tableaux confirment, pour la première fois de notre travail, la pertinence du clivage presse populaire/élitiste. Mais va-t-on encore le retrouver dans l’étape suivante de notre analyse, portant sur la couverture dans le temps et dans l’espace de la mort du maire de Dijon ?

1.3 COUVERTURE DANS LE TEMPS ET DANS L’ESPACE DE LA MORT DE KIR

Nous allons maintenant travailler sur la visibilité dont dispose la disparition du chanoine Kir au sein de chaque journal. Pour ce faire, nous procéderons en trois temps. Tout d’abord, nous examinerons le traitement de l’événement dans le temps. Pour rappel, nous nous focalisons sur les journaux datés du vendredi 26 avril 1968 (le jeudi 25 avril pour les journaux du soir), lendemain de la mort de Kir, aux journaux datés du mardi 30 avril 1968, lendemain de son enterrement. Cet examen nous permettra de voir l’évolution de la couverture de l’événement dans le temps. Puis, nous étudierons le traitement de l’événement dans l’espace. La mort du chanoine fait-elle la une ? Est-ce une information qui a sa place dans les premières pages des quotidiens ? Cette disparition est-elle traitée dans les rubriques politiques ou les rubriques religieuses ? Toutes ces questions trouveront leur réponse dans les pages qui suivent.

1.3.1 Couverture dans le temps de la mort de Kir La disparition du chanoine Kir est-elle un événement qui trouve dans la presse un écho sur toute la période de notre étude ? Les tableaux qui suivent vont nous apporter la réponse.

28 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Tableau 8: Evolution de la couverture dans le temps par journal Journée BP FS LC LD LF LH LM PL Total 25/04/1968 / 2 1 / / / / / 3 26/04/1968 45 3 4 51 8 1 5 2 119 27/04/1968 12 / / 15 / / / / 27 28/04/1968 Dimanche 29/04/1968 12 2 1 8 1 / 2 1 27 30/04/1968 29 / / 17 1 1 / 1 49 Total 98 7 6 91 10 2 7 4 225

(Source : calculs de l’auteur) * Jour de parution du quotidien. Aucun des titres sélectionnés ne paraît le dimanche43. Comme nous pouvons le constater44, la majorité des documents relatifs à la mort du chanoine Kir se trouve dans les éditions du 26 avril 1968, au lendemain de la disparition du chanoine. Il y a un nouveau pic (moindre que le premier) au lendemain de sa mort. Ce schéma n’est pas inattendu. Il est classique de voir la presse traiter de la mort d’un personnage public principalement au moment de sa mort, puis de son enterrement. Même L’Humanité, qui couvre de manière extrêmement limitée l’événement, respecte ce schéma. Nous voici donc en présence d’un des « rituels45 » dont parle Christian Delporte dans son article sur le traitement de la mort de Jacques Chaban-Delmas par la presse française. Concernant la presse du soir, seuls France-Soir et La Croix annoncent la disparition du chanoine dans l’édition du jour même. Ils jouent donc leur rôle de « journal officiel46 », pour reprendre l’expression de Jacqueline Freyssinet-Dominjon, en annonçant les premiers la nouvelle au public. Le Monde attend son édition datée du 27 avril pour parler de l’événement. Le décès du chanoine s’étant produit autour de 13h30, heure où l’édition du jour n’est pas encore sortie de l’imprimerie, Le Monde a délibérément fait ce choix. Deux hypothèses sont envisageables : soit la nouvelle n’était pas assez importante pour que le grand quotidien du soir modifie au dernier moment son contenu, soit il a préféré au temps de l’annonce celui du commentaire. Le nombre47 et le type (un article, un portrait et deux déclarations) de documents revenant sur l’événement dans l’édition du Monde datée du 27 avril tendent à prouver que la seconde hypothèse serait la bonne, puisque le journal s’est laissé le temps de couvrir de manière sérieuse la mort de Kir. Cela corrobore sa réputation de journal de qualité. En revanche, Le Monde, comme les deux autres titres du soir, relate les obsèques du maire de Dijon uniquement dans leur édition datée du 30 avril. Ils ne reviennent donc pas sur l’ensemble des funérailles dans leurs pages du lendemain. La durée de la couverture est donc courte, ce qui est encore une preuve du relatif manque d’intérêt que porte la presse parisienne (ici du soir) sur l’événement. Cette remarque vaut également pour Le Figaro et Le Parisien-Libéré. Ces derniers couvrent la nouvelle dans seulement trois de leurs éditions : celle du vendredi pour annoncer la mort du chanoine et revenir sur sa vie, celle du lundi pour annoncer ses obsèques et le

43 Certains quotidiens ont des versions dominicales (exemple : L’Humanité Dimanche), mais elles n’ont pas la même forme que les éditions de la semaine. Nous avons donc fait le choix de ne pas les prendre en compte. 44 Le tableau 8’ se trouve en Annexes 45 Voir la citation en page 16 de notre mémoire 46 Voir la citation en page 11 de notre mémoire 47 Et leur longueur : on trouve un article de plus de 250 mots et un portrait de plus de 500 mots SAUVAGE Maxime - 2011 29 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

mardi pour revenir sur le déroulement de ces dernières. Cependant, Le Figaro se distingue du Parisien-Libéré, avec une couverture dans l’édition du 26 beaucoup plus importante. Le grand quotidien de droite parisien se rapproche, par cette caractéristique, du Monde. Les deux titres s’attachent à transmettre le maximum d’informations à leurs lecteurs en une édition, concernant une nouvelle qui n’est pas considérée comme un événement majeur, mais qui mérite tout de même un traitement convenable. Là encore, nous retrouvons un des traits de la presse de qualité. Une nouvelle fois, la presse dijonnaise se démarque des autres titres du corpus. Ce sont les seuls journaux à parler dans quatre éditions différentes de l’événement. Ce sont donc eux qui couvrent de manière la plus complète la disparition de Kir dans le temps. Cependant, nous trouvons une différence notable dans leur façon de le faire. Avant le dimanche, ce sont Les Dépêches qui reviennent le plus sur l’événement (en valeur absolue et relative). Après le week-end, c’est Le Bien Public qui couvre de manière plus complète la nouvelle. Comment expliquer cette différence ? Peut-être que l’événement perd plus vite de son importance pour le journal de gauche dijonnais. Est-ce en raison des anciennes divergences idéologiques entre le journal et l’ancien député-maire ? Il est difficile de répondre, mais cette hypothèse n’est pas à exclure. Orientons maintenant notre regard sur la couverture de la mort de Kir dans l’espace. Nous commencerons par une étude des unes des journaux

1.3.2 Kir : une mort en Une Quoi de mieux pour évaluer l’importance qu’accorde un journal à un événement que d’examiner sa une. C’est la raison pour laquelle nous allons maintenant nous pencher sur les unes des titres du corpus. La mort du chanoine Kir est-elle en page une ? Si oui, fait- elle la une ?

Tableau 9: Nombre de documents en une et de une* par journal Journée BP FS LC LD LF LH LM PL Total 25/04/1968 / 2 1 / / / / / 3 26/04/1968 3 / 1 4 1 / 1 / 10 27/04/1968 1 / / 2 / / / / 3 28/04/1968 Dimanche 29/04/1968 2 / / 2 / / 1 / 5 30/04/1968 2 / / 2 / / / / 4 Total 8 2 2 10 1 0 2 0 25

(Source : calculs de l’auteur) * Les chiffres en gras correspondent aux documents en une qui font « la une » du journal. Commençons par des remarques générales. La mort du chanoine Kir apparaît en une le plus souvent au lendemain de sa mort. Ce fait n’est pas surprenant. Il est logique de retrouver, lors de la disparition d’une personne publique, la nouvelle en première page, car c’est le moment où elle suscite le plus d’émotion. Nous pouvons constater aussi que les six journaux, qui parlent au moins une fois de l’événement sur leur une, sont les six journaux du corpus qui reviennent le plus sur la nouvelle en nombre total de documents (voir tableau 1). 30 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Pour ne pas changer, Le Bien Public et Les Dépêches sortent du lot. Ce sont les deux titres qui mentionnent le plus la disparition de Kir sur leur première page et qui abordent le sujet en une dans toutes leurs éditions de la période sélectionnée. Et ils sont les seuls à faire leur une sur l’événement. Pour ces deux quotidiens, la nouvelle est l’événement du jour dans leur édition du 26 avril. Des nuances, toutefois, sont à relever dans leur couverture respective. Pour une fois, ce sont Les Dépêches qui abordent de manière plus fournie la mort du maire de Dijon (dix documents contre huit pour Le Bien Public). Cependant, Le Bien Public est le seul titre qui fait deux fois sa une sur le chanoine : au lendemain de sa mort et le jour qui suit ses obsèques. Cette donnée semble, encore une fois, confirmer le fait que le journal du baron Thénard accorde une importante plus grande à la nouvelle que Les Dépêches. Concernant les deux quotidiens du soir qui parlent de l’événement dès le jeudi, à savoir France-Soir et La Croix, on constate que leur nombre de documents en une ce jour-là (tableau 14) correspond au nombre total de documents relatifs à la disparition du chanoine Kir dans leur édition du même jour (tableau 12). On peut imaginer que les deux titres ont fait le choix de parler de l’événement immédiatement, en lui faisant une petite place en une, sans pour autant revenir sur la nouvelle à l’intérieur de leurs pages. Par manque de temps ou par manque d’intérêt ? Pour Le Figaro et Le Monde, leurs documents en une se résument à des annonces très succinctes, qui renvoient à un traitement plus complet de l’information à l’intérieur des pages des deux journaux. Il faut noter que Le Monde, qui ne parle de la disparition de Kir que dans deux éditions seulement, annonce les deux fois en une qu’il va revenir sur la nouvelle dans les pages intérieures. Cela prouve que le grand quotidien du soir accorde quand même une relative importance à cette information. Une autre façon de comparer les couvertures dans l’espace est de s’intéresser aux pages exclusivement consacrées à la disparition du chanoine Kir. En effet, une page pleine de documents revenant sur l’événement donne à ce dernier une exposition extrêmement importante aux yeux des lecteurs.

Tableau 10: Nombre de pages exclusivement consacrées à la mort du chanoine Kir par journal Journée BP FS LC LD LF LH LM PL Total 25/04/1968 / / / / / / / / 0 26/04/1968 2 / / 3 / / / / 5 27/04/1968 0 / / 1 / / / / 1 28/04/1968 Dimanche 29/04/1968 0 / / 0 / / / / 0 30/04/1968 4 / / 2 / / / / 6 Total 6 0 0 6 0 0 2 0 25

(Source : calculs de l’auteur) Seuls Le Bien Public et Les Dépêches réservent des pages entières à la disparition du chanoine Kir. Arrivés à ce moment là de l’analyse, cette différence de traitement entre la presse parisienne et la presse locale n’est plus une surprise en soi. Mais, il est nécessaire de s’attarder quand même sur ces résultats. En effet, ce tableau nous prouve, une fois de plus (voir tableaux 12, 13 et 14), que Les Dépêches accordent le plus d’importance à l’événement dans les deux premiers jours, comparé au traitement du

SAUVAGE Maxime - 2011 31 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Bien Public. Ce dernier, quant à lui, se focalise davantage sur la disparition du chanoine dans son édition racontant ses funérailles. Visiblement, l’ancien journal avec lequel le chanoine avait collaboré dans le passé a eu plus de mal que son homologue dijonnais de gauche à dire au revoir à l’ancien député-maire de Dijon. Il est temps, désormais, d’analyser l’emplacement par page et par rubrique des documents relatifs à la mort de Kir.

1.3.3 Emplacement des documents relatifs à la mort de Kir Après avoir examiné le nombre de unes et de pleines pages, intéressons-nous à l’emplacement des documents à l’intérieur des pages de chaque journal. Nous procéderons d’abord par une analyse d’après le numéro de page, puis par une étude des rubriques où l’on trouve les documents de notre relevé. Nous présupposons que plus les documents sont au début du journal, plus ils bénéficient d’une meilleure visibilité aux yeux des lecteurs. D’autre part, l’analyse des rubriques nous montrera le sens que chaque journal donne au décès du chanoine.

Tableau 11: Emplacement par page des documents relatifs à la mort de Kir par journal Pages* BP FS LC LD LF LH LM PL Total Premier 29 3 6 49 10 / 6 4 107 tiers Deuxième 33 4 / 36 / 2 / / 75 tiers Troisième 36 / / 6 / / 1 / 43 tiers Total 98 7 6 91 10 2 7 4 225

(Source : calculs de l’auteur) * La division de la taille des journaux en tiers s’est basée sur la pagination moyenne de chaque journal communiquée dans le tableau 4. La lecture de ces tableaux48 nous apprend que quasiment la moitié des documents de notre relevé se trouve dans le premier tiers des éditions de chaque journal. Bien que la nouvelle ne soit pas un événement majeur pour la presse parisienne, elle n’est néanmoins pas reléguée dans ses dernières pages. L’Humanité est le seul quotidien qui ne parle pas de la mort du chanoine Kir dans ses premières pages. Toutefois, la pagination moyenne du journal communiste est relativement faible (onze pages). Donc, cet emplacement garde une visibilité relativement correcte. Mais de toute manière, le constat a déjà été fait précédemment : L’Humanité accorde relativement peu d’importance au décès de l’ancien député-maire de Dijon. La Croix, Le Figaro et Le Parisien-Libéré offrent, quant à eux, une belle visibilité à la disparition du chanoine Kir, en parlant de l’événement toujours dans le premier tiers de leurs éditions. Concernant France-Soir et Le Monde, le bilan est plus mitigé. Dans France-Soir, plus de la moitié des documents concernés se trouvent dans le deuxième tiers du journal. Les deux journaux côte d’oriens utilisent de manière différente leur pagination pour couvrir l’événement. Les deux tableaux nous montrent que Les Dépêches, en valeur absolue et relative, offrent une meilleure visibilité à l’événement en termes d’emplacement

48 Le tableau 11’ se trouve en Annexes 32 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

par page des documents. Plus de la moitié de ses quatre-vingt-onze documents concernés sont situés dans le premier tiers du journal, partie du journal traditionnellement la plus lue. Le Bien Public, quant à lui, place moins d’un tiers de ses documents dans les premières pages de ses éditions. C’est même dans ses dernières pages que le journal de la droite dijonnaise revient le plus sur la disparition du maire de Dijon. Ces données mitigent donc le statut de meilleure couverture que Le Bien Public a acquis au fil des pages précédentes. Procédons maintenant à une analyse de l’emplacement des documents par rubrique.

Tableau 12 : Emplacement par rubrique des documents relatifs à la mort de Kir par RubriqueBP* FS LC LD** LF LH LM PL Total journal Première 8 2 2 10 1 / 2 / 25 page Nouvelles 48 / / / / / / / 48 locales Autour de 42 / / 75 / / / / 117 Dijon / Dijon et la Côte d'Or Informations / / / 6 / / / / 6 régionales Politique / / 4 / 9 2 4 4 23 française*** Dernières / / / / / / 1 / 1 nouvelles Articles / 5 / / / / / / 5 divers**** Total 98 7 6 91 10 2 7 4 225

(Source : calculs de l’auteur) * Dans Le Bien Public, la rubrique qui suit habituellement la première page est intitulée « Nouvelles locales », on trouve généralement plus loin la rubrique « Actualité régionale », puis la rubrique « Autour de Dijon ». ** Dans Les Dépêches, la première rubrique de chaque édition est intitulée « Dijon et la Côte d’Or ». Vient quelques pages suivantes la rubrique « Informations régionales ». *** Cette rubrique change de nom selon les titres de presse : « Politique intérieure » pour La Croix, « Informations politiques » pour Le Figaro, « La vie en France » pour L’Humanité, « L’actualité politique » pour Le Monde et « Affaires intérieures » pour Le Parisien-Libéré. **** Dans France-Soir, il n’y a pas de rubrique à proprement parler. Chaque page mélange les genres, entre nouvelles françaises et internationales, faits divers et informations plus sérieuses. Le clivage presse locale/nationale est une nouvelle fois le principal enseignement que nous pouvons tirer de la lecture de ces tableaux49. Dans Le Bien Public et Les Dépêches, les documents relatifs à la mort du chanoine se trouvent tous dans des rubriques locales. Nous pouvons en tirer deux enseignements : la disparition du chanoine Kir est perçue comme un événement avant tout local, mais aussi comme un événement apolitique. En effet, l’aspect géographique de la nouvelle prend le pas sur sa dimension politique. Ici, ce 49 Le tableau 12’ se trouve en Annexes SAUVAGE Maxime - 2011 33 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

n’est pas un homme politique à la réputation nationale qui disparaît, mais une figure de la région. Toutefois, les deux quotidiens dijonnais ne traitent pas tout à fait de l’événement dans les mêmes rubriques. On constate que Le Bien Public, par le biais des titres de ses rubriques, associe l’événement à une aire géographique plus restreinte que ne le fait Les Dépêches. Dans le premier journal, le traitement médiatique se situe dans les rubriques propres aux nouvelles dijonnaises. Dans le second journal, l’aire géographique est plus vaste : on parle de Dijon, mais aussi du département de la Côte d’Or et de la région. On peut avancer l’idée, à la lumière de cette constatation, que Les Dépêches accordent un peu plus d’importance à la disparition du maire de Dijon, en considérant son impact géographique de manière plus étendue. La presse parisienne, quant à elle, cantonne l’événement à leur rubrique de politique intérieure. La mort du chanoine Kir est vue comme un événement politique : un homme politique connu est décédé. On aurait pu s’attendre, dans un ou deux titres, à voir cette nouvelle apparaître dans les informations religieuses. Or ce n’est pas le cas. Kir n’est visiblement plus perçu comme un homme d’Eglise. A deux occasions, l’événement n’apparaît pas dans la rubrique sur la politique française. Dans Le Monde, on revient sur la mort de Kir dans la rubrique « Dernières nouvelles » (c’est la dernière page du quotidien). Est concerné le document en fin de journal (voir tableau 16) de l’édition datée du 30 avril (voir tableau 12). Ici, Le Monde revient une dernière fois sur la nouvelle en racontant les funérailles du chanoine qui ont eu lieu un peu plus tôt dans la journée. Dans France-Soir, l’événement est noyé au milieu d’autres nouvelles. Cette absence de rubrique est d’ailleurs une des caractéristiques classiques de la presse populaire.

Conclusion

Dans cette première partie, nous nous sommes attachés à comparer la couverture accordée par chaque journal à la disparition du chanoine Kir. Pour ce faire, nous avons analysé chacun des traitements médiatiques selon leur volume et leurs formes. Nous avons d’abord comparé ces traitements sur un plan quantitatif, pour ensuite distinguer les différents types de document de chaque couverture. Enfin, nous avons étudié ces couvertures sur un plan temporel, puis spatial. Par cette première étape, nous pouvons commencer à discerner les différentes positions qu’occupent les huit titres de notre corpus concernant la mort du maire de Dijon. En effet, plus un quotidien traite de manière minutieuse cet événement, plus cela signifie qu’il lui accorde de l’importance. Dans ce cas, la mémoire associé au personnage aura des chances d’être plus riche. Comparons maintenant les différentes couvertures, à travers dix thèmes, dans un tableau récapitulatif. Voici notre système d’évaluation : pour chaque thème, des points seront attribués (de huit à un) aux journaux selon l’exhaustivité de leur traitement médiatique. Plus le journal aura de points, plus cela signifiera que sa couverture de l’événement aura été complète.

34 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA COUVERTURE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Tableau 13: Classement des couvertures relatives à la mort de Kir par journal Thème BP FS LC LD LF LH LM PL Nombre de documents 8 5 3 7 6 1 5 2 total Longueur des 4 3 3 6 1 8 7 5 documents* Nombre de documents 8 6 4 7 6 1 4 4 par page Nombre de documents 7 6 4 8 3 0 0 5 visuels** Nombre de documents 8 1 3 7 5 6 4 2 de commentaire *** Degré d'ouverture 8 0 4 7 6 0 5 0 Couverture dans le 8 6 4 7 3 2 1 5 temps**** Nombre de documents 7+1 *****6 6 8 3 0 6 0 en une Nombre de pleines pages 8 0 0 8 0 0 0 0 Couverture dans 2 3 8 4 8 0 5 8 l'espace ****** Total 69 36 39 69 41 18 37 31

(Source : calculs de l’auteur) * Classification basée sur le % de documents dépassant les deux-cent-cinquante mots. ** Nous présupposons ici que la présence de photographies donne un plus à la couverture. *** Nous partons du principe que le genre journalistique du commentaire est un gage de qualité de la couverture. **** Classification basée sur le nombre d’éditions parlant du sujet et sur une répartition équilibrée des documents sur la période. ***** Le point bonus correspond au nombre de une sur le sujet. ****** Classification basée sur le % de documents présents dans le premier tiers du journal. Ce tableau récapitulatif doit être pris avec précaution. Il a l’avantage de permettre de se faire une idée générale des différents niveaux de couverture de chaque journal. Il met par exemple bien en évidence le clivage presse locale/presse nationale, ou le faible traitement médiatique accordé à la nouvelle par L’Humanité. Cependant, il faut garder en tête que d’autres critères auraient pu modifier le classement concernant France-Soir, La Croix, Le Figaro et Le Monde. Le Bien Public est le quotidien qui traite le plus, en volume, de la disparition du chanoine Kir et qui offre la meilleure couverture dans le temps. La visibilité de la nouvelle est relativement importante avec le plus grand nombre de unes et de pleines pages (égalité avec Les Dépêches). Pour nuancer ce constat, nous pouvons remarquer que plus de la moitié de ces documents textuels sont très courts (inférieurs à cent mots) et que la plupart d’entre eux ne se trouvent pas dans le premier tiers du journal.

SAUVAGE Maxime - 2011 35 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

France-Soir a offert à l’événement une couverture relativement faible en quantité et en diversité. Le journal se distingue le jour de la mort du maire de Dijon, dans son édition « Toute dernière spéciale », en publiant une brève en une accompagnée d’une photographie annonçant le décès du chanoine. Le journal La Croix ne considère pas la mort de Kir comme un événement majeur, mais le quotidien confère à la nouvelle une visibilité correcte avec des documents tous dans le premier tiers du journal, dont deux en page une (dans deux éditions différentes). Les Dépêches offre à la disparition du maire de Dijon une très large couverture, qui se rapproche du Bien Public. Le journal dijonnais se distingue avec un nombre important de photographies, de documents en une et de pleines pages. Toutefois, le traitement médiatique est inégal dans le temps. Le Figaro est le titre parisien qui revient le plus sur Kir de manière quantitative, même si sa couverture reste modeste. Le traitement médiatique du journal de droite se distingue avec une très bonne couverture dans l’espace et un bon degré d’ouverture. L’Humanité, en revanche, est le titre de notre corpus qui s’intéresse le moins au décès du chanoine. Deux documents seulement en parlent, sans photographie ni retranscription de déclarations officielles. On peut toutefois remarquer que les deux documents en question ont l’avantage de ne pas être trop court. Le Monde ne s’intéresse que partiellement à la mort du chanoine. Un nombre correct de documents (pour un titre parisien), un certain degré d’ouverture et deux annonces en une pour les deux éditions qui parlent de l’événement sont les points forts de la couverture du grand journal du soir. Mais, cette dernière pâtit d’une absence de documents visuels (une marque de fabrique du quotidien) et d’une couverture dans le temps relativement faible. Le Parisien-Libéré mentionne très peu la disparition du chanoine (quatre documents), mais il offre tout de même une visibilité correcte à la nouvelle, grâce à une photographie et des couvertures dans le temps et dans l’espace plutôt convenables. Cette première étape dans notre analyse du traitement médiatique de la mort du chanoine Kir par huit titres de presse tend à nous prouver la pertinence du clivage géographique. Le clivage sur le type de presse est, quant à lui, très faiblement mis en lumière. Le Monde et Le Figaro se distinguent de leurs homologues parisiens avec une utilisation du commentaire et un degré d’ouverture supérieures. Mais est-ce bien suffisant pour parler d’un clivage presse populaire/presse élitiste ? Rien n’est moins sûr. Concernant le clivage politique, aucun de nos tableaux précédents tendent à montrer l’existence d’une couverture de droite et d’une couverture de gauche. Les doutes que nous émettions en introduction sur l’intérêt réel de ce clivage se trouvent confirmés. Cependant, notre analyse est loin de s’achever. Nous allons maintenant nous intéresser au fond et non plus à la forme du traitement par la presse de la mort du chanoine Kir.

36 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Introduction

Après nous être intéressés à l’importance qu’accorde chaque journal à la disparition du chanoine Kir, nous allons analyser le contenu de chacune des couvertures. Ce faisant, nous pourrons étudier ce que les huit titres de notre corpus donnent à lire à leurs lecteurs sur le sujet. Vont-ils seulement se cantonner à une annonce de sa mort et de ses funérailles, ou vont-ils revenir sur son très long parcours ? A qui vont-ils donner la parole pour parler du maire de Dijon ? Quelles représentations ont-ils du chanoine ? Par quelles images vont-ils illustrer leurs documents ? En répondant à ces différentes questions, nous allons pouvoir nous faire une idée précise des représentations que chaque journal associe au chanoine Kir. Ce sera alors la première étape (qui se terminera dans le chapitre suivant) de notre analyse qui vise à mettre à jour les mémoires du chanoine élaborées par chaque quotidien. Voilà comment nous allons procéder dans ce chapitre : nous comparerons d’abord les thèmes abordés par les documents relevés dans chaque journal, en répondant à la question « de quoi parle-t-on ? ». Puis, nous nous attacherons à répondre à la question « de qui parle-t-on ? » dans le but de révéler les imaginaires liés au chanoine. La troisième question de ce chapitre sera « qui montre-t-on ? » pour compléter notre analyse de la mémoire que chaque journal a du défunt.

2.1 THEMES DES DOCUMENTS RELATIFS A LA MORT DE KIR

Nous allons commencer à analyser le contenu du traitement médiatique accordé par chaque journal à l’événement par une étude des thèmes principaux des documents écrits relatifs à la mort du chanoine Kir. Nous avons relevé quarante thèmes parmi les cent-trente documents textuels. Il faut préciser que nous avons fait le choix de réduire chaque document à un thème particulier. Certains textes évoquent plusieurs sujets, mais nous nous sommes focalisés seulement sur leur thème principal en écartant les sujets secondaires. Ces quarante thèmes se divisent en trois types : les thèmes informatifs, les thèmes analytiques et les déclarations. Les thèmes informatifs (thèmes 1 à 21) correspondent aux

SAUVAGE Maxime - 2011 37 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

documents écrits qui portent sur des informations factuelles. On y retrouve entre autres les articles relatifs aux circonstances de la mort du chanoine Kir, à ses funérailles ou encore à l’annulation des réceptions prévues à l’hôtel de ville de Dijon. Les thèmes analytiques (thèmes 22 à 34) vont plus loin que la simple diffusion d’informations factuelles. En revenant sur la vie du chanoine lui-même, ils correspondent à des analyses de son parcours et de son œuvre. A travers eux, nous pouvons commencer à entrevoir les représentations que chaque quotidien a du personnage. Les thèmes 35 à 40 correspondent aux déclarations et communiqués officiels réagissant à la mort du maire de Dijon. A qui les journaux vont-ils donner la parole pour parler de l’événement ?

38 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Tableau 14: Thèmes principaux des documents écrits relatifs à la mort de Kir par journal Thème BP FS LC LD LF LH LM PL Total 1. Annonce du / / 1 / 1 / 1 3 décès 2. Circonstances 2 1 / 1 1 / / / 5 de la mort 3. Corps de / / / 1 / / / / 1 Kir exposé à la mairie 4. Défilé de 4 1 / 3 / / 1 / 9 personnalités et/ ou d'anonymes devant la dépouille mortelle 5. Hommages / / 1 1 / / / / 2 venant du monde entier 6. Adieu de ses / / / 1 / / / / 1 proches 7. Annonce et 4 1 1 2 2 / 1 1 12 programme des funérailles 8. Honneurs 1 / / 1 / / / / 2 militaires accordés pour les obsèques 9. Compte-rendu 2 1 / 1 1 1 1 1 8 des funérailles 10. Le cortège 1 / / / / / / / 1 funèbre et la foule 11. Messe 1 / / / / / / / 1 célébrée à la cathédrale de Dijon 12. Eloge 1 / / 1 / / / / 2 funèbre 13. Présence de 1 / / 1 / / / / 2 l'ambassadeur d'URSS aux obsèques 14. Présence de 2 / / 1 / / / / 3 personnalités aux obsèques 15. Kir enterré 1 / / 2 / / / / 3 dans son village natal 16. Fermeture 1 / / 1 / / / / 2 des classes le lundi SAUVAGE Maxime - 2011 39 17. Changement / / / 1 / / / / 1 de salle pour les mariages à la mairie 18. Annulation 1 / / 1 / / / / 2 des réceptions prévues à la mairie 19. Annulation 1 / / / / / / / 1 des expositions prévues à la mairie 20. Mesures 1 / / 1 / / / / 2 spéciales concernant la circulation 21. Election 1 / / / / / / / 1 complémentaire pour deux conseillers municipaux Sous-total 25 4 3 20 5 1 4 2 64 22. Vie de Kir 1 1 1 2 1 1 1 1 9 23. Kir enfant / / / 1 / / / / 1 24. Kir homme / / / 2 / / / / 2 d'Eglise 25. Kir soldat / / / 1 / / / / 1 26. Kir / / / 1 / / / / 1 journaliste 27. Kir résistant 1 / / 2 / / / / 3 28. Kir maire 1 / / 2 / / / / 3 29. Kir apôtre / / / 1 / / / / 1 des jumelages 30. Kir 1 / / 1 / / / / 2 bourguignon 31. Kir / / / 1 / / / / 1 l'anticonformiste 32. Kir héros / / / 1 / / / / 1 d'images d'Epinal 33. Décorations / / / 1 / / / / 1 du chanoine 34. Citation dans 1 / / 1 / / / / 2 l'Ordre de la Légion d'honneur Sous-total 5 1 1 17 1 1 1 1 28 35. Réactions 8 / 1 6 3 / 2 / 20 d'hommes politiques 36. Réactions 1 / / 1 / / / / 2 de personnalités religieuses 37. Réactions 13 / / / / / / / 13 d'anonymes 38. Hommage de / / / 1 / / / / 1 la radio et de la télévision 39. Réactions / / / 1 / / / / 1 des partis politiques 40. Communiqué 1 / / / / / / / 1 des anciens combattants Sous-total 23 0 1 9 3 0 2 0 38 Total 53 5 5 46 9 2 7 3 130 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

(Source : calculs de l’auteur)

2.1.1 Les informations factuelles

Ces tableaux50 nous rappellent nos conclusions tirées de l’analyse des tableaux 6 et 6’. Quasiment la majorité des documents textuels relatifs à la mort du chanoine Kir ont des thèmes informatifs, ce qui signifie qu’un document écrit sur deux, traitant de la mort du maire de Dijon, rapporte des faits bruts. Les quatre thèmes les plus abordés sont, dans l’ordre décroissant, l’annonce et le programme des funérailles (thème 7), suivi du défilé d’anonymes et de personnalités devant la dépouille de Kir à l’hôpital puis à la mairie (thème 4), puis le compte-rendu des funérailles (thème 9) et la mort même du chanoine (thèmes 1 et 2 ). La présence importante des thèmes 1, 2,7 et 9 n’est pas surprenante. Il est traditionnel pour la presse, lors de la disparition d’une personnalité, d’annoncer tout d’abord sa mort, puis ses obsèques, avant de revenir sur le déroulement des funérailles. Ce sont les trois étapes incontournables du traitement médiatique pour ce genre de sujet. Il est notable de constater que ce sont les deux journaux qui couvrent le moins l’événement, à savoir L’Humanité et Le Parisien-Libéré, qui ne respectent pas ce schéma. La Croix est aussi concernée par ce constat, en ne revenant pas sur le déroulement des funérailles de Kir dans son édition datée du 30 avril. Parmi les quatre thèmes informatifs les plus populaires, il est curieux de trouver celui portant sur le défilé d’anonymes et de personnalités devant la dépouille mortelle de Kir. Cela s’explique par la présence de nombreux documents sur ce thème dans la presse locale. En effet, Le Bien Public et Les Dépêches reviennent dans les éditions du 27, 28 et 29 avril sur la présence nombreuse de visiteurs qui rendent un dernier hommage au corps du chanoine exposé d’abord dans une chapelle ardente à l’hôpital de Dijon puis dans une salle de l’hôtel de ville. Bien qu’en valeur relative les deux quotidiens dijonnais traitent moins de l’événement par des informations factuelles, en valeur absolue, ce n’est évidemment pas le cas. Pour ne pas changer, leur couverture de la disparition du chanoine se distingue très nettement de celle de leurs homologues parisiens. Tous les thèmes informatifs de notre relevé sont abordés par au moins un des deux titres dijonnais, à l’exception du thème 1, mais cela s’explique par le fait que ce thème se retrouve, de manière sous-jacente, dans leurs nombreux autres documents textuels. Quinze des vingt-et-un thèmes informatifs sont, quant à eux, uniquement présents dans Le Bien Public et Les Dépêches. Ils concernent principalement les funérailles en apportant des précisions sur leur déroulement (thèmes 10 à 15) et sur des conséquences locales liées à la mort de Kir (thèmes 16 à 21). Encore une fois, en leur qualité de journaux locaux, Le Bien Public et Les Dépêches sont plus directement concernés par l’événement. Leur intérêt pour ce dernier est donc évidemment très important. Et il est de leur devoir d’informer la population dijonnaise des mesures provisoires et exceptionnelles qui ont été prises par les autorités en réaction à la disparition du chanoine. Les tableaux 8 et 8’ avaient permis de mettre en lumière une différence majeure dans le traitement de l’événement entre les deux journaux dijonnais. Les Dépêches avaient bien plus couvert l’événement au moment même de la mort de Kir qu’au moment de ses funérailles, alors que Le Bien Public avait couvert l’événement de manière plus régulière. Ce constat se retrouve dans le tableau 14. On retrouve plus d’informations factuelles relatives au décès même du chanoine et à l’exposition de son corps au public dans Les Dépêches que dans Le Bien Public, mais concernant les informations directement 50 Le tableau 14’ se trouve en Annexes 40 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

ou indirectement liées aux funérailles, le traitement médiatique du second journal dépasse celui du premier. Passons maintenant à l’analyse des documents analytiques.

2.1.2 Les informations analytiques En nous penchant sur les thèmes des documents analytiques, nous allons pour la première fois dans ce travail, mais encore de manière très partielle, pouvoir nous faire une idée des représentations que les huit journaux sélectionnés associent au chanoine Kir. De manière générale, environ un document sur cinq est un document qui revient sur la vie et l’œuvre du chanoine Kir. Les six journaux nationaux ont le point commun de n’aborder l’événement sous l’angle analytique qu’une seule fois chacun, dans un portrait général du maire de Dijon. Par conséquent, ce n’est pas dans cette sous-partie, mais plus tard dans notre étude, que nous analyserons les représentations associées au chanoine Kir par les quotidiens parisiens. Les deux journaux dijonnais ne se cantonnent pas à un seul portrait général de Kir, en revenant dans certains documents sur des moments précis de la vie du chanoine. Il convient cependant de préciser que les quatre documents concernés du Bien Public (autre que le portrait général) se retrouvent à l’identique dans Les Dépêches. Nous parlons de la citation dans l’Ordre de la légion d’Honneur et trois témoignages écrits par des proches du chanoine Kir exclusivement pour les deux titres locaux. Le portrait du résistant Kir est l’œuvre de Jean Mairey, ancien grand résistant et commissaire de la République à Dijon. Le portrait sur le maire Kir est écrit par le docteur Jean Veillet, premier adjoint du chanoine et président du Conseil général de Côte d’Or. Enfin, le portrait sur le tempérament bourguignon de Kir est rédigé par François Japiot, conseiller municipal de Dijon et ancien député de Côte d’Or. Les Dépêches sont donc le seul titre qui fait l’effort de revenir de manière minutieuse sur de nombreuses facettes du chanoine Kir. En effet, Les Dépêches, à travers plusieurs petits portraits, décomposent et reviennent sur l’ensemble de la longue vie du chanoine. On retrouve toutes les grandes étapes de la vie de Félix Kir que nous avons présentées en introduction : son enfance, sa carrière ecclésiastique, son expérience de soldat, son passé de journaliste, son œuvre de résistant, ses mandats politiques, sa passion pour les jumelages et sa personnalité pittoresque. Le journal de gauche dijonnais énumère aussi toutes les décorations du chanoine et publie sa citation dans l’Ordre de la Légion d’honneur. Le Bien Public, quant à lui et seulement à travers trois témoignages et une citation officielle, s’attarde seulement sur quatre facettes du chanoine : le résistant, le maire, le Bourguignon et le héros décoré. Se concentrer sur le thème des documents analytiques est donc finalement peu intéressant et par conséquent faiblement pertinent pour appréhender les représentations associées au chanoine par chaque journal. Nous devrons attendre de nous plonger plus précisément dans le corps de chaque document pour pouvoir mettre en lumière les différents imaginaires associés à Kir. Intéressons nous désormais aux déclarations et réactions officielles concernant la disparition du chanoine Kir.

2.1.3 Les réactions

SAUVAGE Maxime - 2011 41 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Comme nous pouvons le remarquer, trois documents sur dix relatifs à la mort du chanoine Kir sont des propos rapportés. Il y a donc plus de déclarations et communiqués officiels que de documents qui reviennent sur la vie du maire de Dijon. Comme il a déjà été dit dans le premier chapitre, Le Bien Public se démarque des autres quotidiens avec un nombre très important de documents textuels dont l’origine est extérieure à la rédaction, et les trois titres populaires se distinguent par une absence, dans leur traitement de l’événement, de déclarations officielles. Ces précisions faites, nous pouvons maintenant nous attacher à l’étude de ces réactions. Dans un premier temps, nous porterons notre regard sur les auteurs des réactions pour savoir qui a le droit à la parole pour s’exprimer sur la mort du chanoine Kir. Puis, nous analyserons le contenu de chaque réaction, afin de connaître le jugement de chaque auteur sur le maire de Dijon.

42 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Tableau 15: Auteurs des réactions relatives à la mort de Kir par journal Auteur BP FS LC LD LF LH LM PL Total Personnalités Robert 1 / 1* 1 1 / 1 / 5 françaises Poujade Jacques 1 / 1* / 1 / 1 / 4 Chaban- Delmas Gaston 1 / / / 1 / / / 2 Gérard François 1 / / 1 / / / / 2 Mitterrand Pierre-Jean 2 / / 2 / / / / 4 Moatti Partis / / / 1 / / / / 1 politiques** Mgr André 1 / / 1 / / / / 2 de la Brousse Sous-total 7 0 2 6 3 0 2 0 19 Personnalités Valerian / / / 1 / / / / 1 étrangères Zorine Jakob Fuchs 1 / / 1*** / / / / 2 Fritz Duppré 1 / / 1*** / / / / 2 Sous-total 2 0 0 3 0 0 0 0 5 Divers Radio et / / / 1 / / / / 1 télévision française Anciens 1 / / / / / / / 1 combattants et victimes de guerre Sous-total 1 0 0 1 0 0 0 0 2 Anonymes Un 1 / / / / / / / 1 responsable syndical Un garçon 1 / / / / / / / 1 de café Une 1 / / / / / / / 1 personne âgée Un employé 1 / / / / / / / 1 municipal Un pêcheur 1 / / / / / / / 1 dijonnais Un prêtre 1 / / / / / / / 1 Un préposé 1 / / / / / / / 1 des P.T.T. Un 1 / / / / / / / 1 Marseillais de passage à Dijon SAUVAGE Maxime - 2011 43 Un agent de 1 / / / / / / / 1 police Un chauffeur 1 / / / / / / / 1 de taxi Une vieille 1 / / / / / / / 1 Dijonnaise Un 1 / / / / / / / 1 secrétaire honoraire F.O. Un 1 / / / / / / / 1 marchand de journaux Sous-total 13 0 0 0 0 0 0 0 13 Total 23 0 2 10 3 0 2 0 39 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

(Source : calculs de l’auteur) * Ces deux déclarations sont combinées en un seul document ** Les partis politiques en question sont le Centre national des indépendants et le Parti communiste français. *** Ces deux déclarations sont combinées en un seul document Avant de commenter ce tableau, nous allons brièvement présenter les personnalités françaises et étrangères de ce tableau. Robert Poujade est à l’époque secrétaire général de l’Union des démocrates pour la Ve République. Il avait enlevé un an plus tôt au chanoine Kir ses sièges de député et conseiller général. Jacques Chaban-Delmas était le président de l’Assemblée nationale. Gaston Gérard a été le maire de Dijon de 1919 à 1935 et député de Côte d’Or de 1928 à 1932 et de 1936 à 1940. François Mitterrand est alors le président du Conseil général de la Nièvre et ancien candidat à l’élection présidentielle de 1965 (avec le soutien du chanoine Kir). Pierre-Jean Moatti est à ce moment préfet de Bourgogne. Valerian Zorine avait la fonction d’ambassadeur d’URSS à Paris. Jakob Fuchs était le maire de Mayence, ville avec laquelle le chanoine Kir avait jumelé Dijon. Fritz Duppré est à l’époque ministre-président de Rhénanie-Palatinat, Land allemand avec lequel Kir avait multiplié les partenariats. Mgr André de la Brousse était, quant à lui, évêque de Dijon. Commençons tout d’abord par analyser la partie du tableau sur les personnalités françaises. Les cinq titres qui incluent dans leurs colonnes des réactions de personnalités reprennent tous la déclaration de Robert Poujade. Visiblement, le tombeur de Kir lors des élections législatives et cantonales de 1967 est celui dont la réaction est la plus attendue (La Croix ne reprend que cette déclaration d’ailleurs). Par ses récents succès qui mettent fin au règne incontesté de Kir depuis 1945, sa parole a une valeur unique, celle de l’héritier illégitime qui tue le père. Le clivage politique peut pour une fois se retrouver à deux endroits, avec la présence de la déclaration de Gaston Gérard (figure historique de la droite dijonnaise à la réputation nationale) uniquement dans les pages du Bien Public et du Figaro, deux quotidiens clairement positionnés à droite ; et avec l’absence de la déclaration de ce même homme dans Les Dépêches (alors que c’est un ancien maire de Dijon et un opposant politique du chanoine), ainsi que de celle du président gaulliste de l’Assemblée nationale. Le journal de gauche dijonnais est le seul quotidien incluant des déclarations qui ne cite pas Chaban- Delmas. En revanche, le clivage presse parisienne/dijonnaise se révèle être encore une fois pertinent. En raison de leur nature locale, Le Bien Public et Les Dépêches sont les seuls journaux à reprendre les déclarations de François Mitterrand (une figure politique nationale mais aussi bourguignonne), du préfet de Bourgogne et de l’évêque de Dijon. Ce clivage se retrouve aussi concernant les personnalités étrangères. On ne trouve de réactions de personnalités étrangères que dans la presse locale. Il s’agit d’hommes politiques allemands qui connaissaient bien le chanoine Kir pour avoir collaboré ponctuellement avec lui et qui allaient faire le déplacement pour assister à ses funérailles. Les Dépêches se distinguent du Bien Public en reprenant la déclaration de l’ambassadeur d’URSS qui avait fréquenté le maire de Dijon à l’époque de son amitié avec Khrouchtchev. La décision du Bien Public de passer sous silence cette déclaration est-elle un choix politique ? Il est difficile de le dire, mais c’est envisageable. Le journal du baron Thénard sort du lot des journaux de notre corpus en étant le seul titre à donner la parole à des anonymes pour commenter la disparition du chanoine Kir.

44 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Ces anonymes, au nombre de treize, sont principalement des Dijonnais, qui pour certains avaient rencontré Kir. Le Bien Public les qualifie en fonction de leur âge, de leur activité professionnelle ou non, ou de leur lieu d’habitation. On peut imaginer que l’absence de petits portraits, comparé aux pages des Dépêches, est un choix de la rédaction du Bien Public qui a préféré donner aux petites gens de Dijon la possibilité de parler de « leur chanoine ». Etudions maintenant la teneur de ces différentes réactions. Les journaux ont-ils fait le choix de publier des réactions élogieuses sur le chanoine ou bien des réactions plus mitigées ? Pour répondre à cette question, la présence d’un tableau sera inutile. En effet, toutes les réactions rapportées dans les journaux étudiés sont très favorables à la personne du chanoine. Il est classique dans la presse, quand une personnalité disparaît, de ne citer dans un premier temps que des propos positifs à son égard. Puis vient le temps de l’analyse, qui succède au temps de l’émotion, et à ce moment, la réalité complexe du personnage est plus à même d’apparaître. Dans le cas de Kir, la couverture médiatique est très courte. Trop courte pour revenir sur l’homme en mettant de côte l’émotion suscitée par son décès. Tout juste peut-on noter quelques petites inflexions moins positives dans certaines déclarations. Gaston Gérard déclarait : « Chacun sait qu’il n’y avait pas d’amitié entre nous51 ». Robert Poujade disait : « Nous nous étions opposés certes sur bien des points… »52. Dans la déclaration de Jacques Chaban-Delmas, l’hommage est aussi très fort, mais il n’est pas loin d’être à double-sens : « En dépit, et peut-être à cause de singularités qui lui étaient bien personnelles, le chanoine Kir demeurera une figure de la vie parlementaire53 ». Les treize déclarations d’anonymes respectent le même schéma hagiographique. Pour le responsable syndical, « c’était un homme brave54 » ; pour le pêcheur, le chanoine « c’était quelqu’un et pour tout le monde55 » ; le préposé des P.T.T. parlait lui de « grand monsieur56 ». Il est temps désormais de nous intéresser aux noms et expressions utilisés par la presse pour désigner le chanoine Kir.

2.2 ANALYSE LEXICALE DES DENOMMINATIONS DESIGNANT KIR

Nous allons maintenant procéder à une analyse des termes utilisés par la presse pour désigner le chanoine Kir. Nous partons de l’hypothèse que les journalistes, en rédigeant leurs papiers sur la mort du chanoine Kir et en désignant le défunt d’une manière ou d’une autre, laissent transparaître volontairement ou non leur(s) représentation(s) du maire de

51 Le Bien Public, édition du 26 avril 1968, p.18 ou Le Figaro, édition du 26 avril 1968, p. 7 52 Le Bien Public, op. cit. ou La Croix, édition datée du 27 avril 1968, p.4 ou Les Dépêches, édition du 26 avril 1968, p.5 ou Le Figaro, op. cit.ou Le Monde, édition datée du 27 avril 1968, p. 8 53 Le Bien Public, op. cit. ou Le Figaro, op. cit. ou Le Monde, op. cit. 54 Le Bien Public, op. cit 55 ibidem 56 ibidem SAUVAGE Maxime - 2011 45 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Dijon. Cela concerne tant les portraits généraux sur la vie du chanoine que les comptes- rendus brefs des funérailles par exemple. Nous avons toutefois fait le choix de limiter notre relevé des désignations relatives à Kir aux documents textuels de source interne. Ici, ce sont les propos des journalistes qui nous intéressent et non ceux de personnalités ou d’anonymes extérieurs aux rédactions. Nous estimons que chaque journal, quand il décide d’inclure des déclarations dans ses colonnes, se focalise plus sur l’identité de leurs auteurs et leur tonalité générale (très positive comme nous l’avons constatée) que sur la valeur et la pertinence des termes utilisés pour parler du chanoine Kir. Notre étude lexicale va s’effectuer en trois temps. Nous allons tout d’abord définir précisément notre méthodologie, pour ensuite commenter de manière générale les données des différents tableaux, et enfin analyser journal par journal les résultats mis en évidence.

2.2.1 Méthodologie et angle d’analyse Pour analyser l’ensemble des termes utilisés par la presse pour désigner le chanoine Kir, et ce faisant pour pouvoir mettre en lumière les imaginaires associés au maire de Dijon, nous avons relevé de manière minutieuse tous les noms (propres ou communs) et périphrases qui renvoient à Kir. Se dégagent alors quatre-vingt-neuf termes que nous avons répartis en douze thèmes. Ces thèmes se rapportent à un modèle type de traitement médiatique que nous avons défini. Nous entendons par modèle type, un traitement médiatique qui reviendrait sur toutes les principales étapes de la vie du chanoine Kir et sur les principales facettes de sa personnalité. Toutefois, nous avons conscience qu’en élaborant un modèle- type, nous ne sommes, nous aussi, pas à l’abri de nous laisser influencer par notre propre imaginaire associé à Kir, qui se serait imposé à nous au fil de notre travail et de nos recherches. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes efforcés de rendre le moins subjectif possible ce modèle. Voici les douze thèmes de notre modèle-type : appellations liées au patronyme Kir (thème 1), origines de Kir (thème 2), enfance de Kir (thème 3), Kir homme d’Eglise (thème 4), Kir polémiste (thème 5), Kir acteur des deux conflits mondiaux (thème 6), Kir maire (thème 7), Kir homme politique (thème 8), œuvre politique de Kir (thème 9), personnalité de Kir (thème 10), Kir être vivant (thème 11) et Kir décédé (thème 12). Le premier thème nous permettra de voir les utilisations faites du patronyme du chanoine par les journalistes. Dans le deuxième thème, nous examinerons les termes qui ramènent Kir à ces origines géographiques et familiales. Le troisième thème correspond aux appellations renvoyant à une période très reculée de la vie de Kir, son enfance. Dans le quatrième thème, nous nous intéresserons à toutes les désignations qualifiant Kir à travers sa carrière d’ecclésiastique. Le cinquième thème renvoie au passé de journaliste polémique qui marque sa vie dans l’entre-deux-guerres. Le sixième thème regroupe tous les termes désignant le chanoine qui rappelle son expérience de soldat et de résistant et donc de héros durant les deux guerres mondiales. Dans le septième thème, nous retrouverons toutes les appellations du chanoine concernant ses fonctions municipales à Dijon. Le huitième thème réunit l’ensemble des termes relatifs à la carrière politique du chanoine (excepté son mandat de maire). Le neuvième thème rassemble toutes les désignations de Kir liées à son œuvre d’homme politique. Les trois derniers thèmes se rapportent à toutes les appellations de Félix Kir en tant qu’homme : sa personnalité en thème dix, son physique et son âge en avant- dernier thème et sa dépouille en dernier thème.

46 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Avant de commencer à commenter les tableaux, nous tenons à faire une précision. L’emplacement de certains termes peut surprendre. Par exemple, comment se fait-il que le terme « roi » appartient au thème 7 (Kir en tant que maire) et non aux thèmes 6 ou 10 ? Cela s’explique par le fait que quand il a été utilisé57, c’était pour désigner le chanoine Kir en tant que maire de Dijon. La précision faite, nous pouvons commencer notre analyse des tableaux suivants.

2.2.2 Tableaux d’ensemble et commentaires généraux

Tableau 16: Thème 1 Termes Nombre d'occurrences En valeur absolue En valeur relative par rapport aux par rapport à documents du thème l'ensemble des thèmes Chanoine 262 (34) 91,6 (11,9) 38,3 (4,9) Kir (*) abbé Kir 9 3,2 1,3 Félix Kir 6 2,1 0,9 Père Kir 5 1,7 0,7 Kir 3 1,1 0,4 Félix 1 0,3 0,1 Total 286 100 41,7

(Source : calculs de l’auteur) * nombre de fois où le qualificatif « chanoine » n’est pas associé à Kir. Nous estimons que l’utilisation du mot chanoine n’a pas pour but premier de rappeler la position de Kir dans la hiérarchie de l’Eglise catholique, mais qu’elle est plutôt un raccourci de la formule générique « chanoine Kir ». Le tableau 25 nous apprend que la presse, quand elle désigne le maire de Dijon par son patronyme, utilise très majoritairement l’appellation « chanoine Kir ». Cette fonction ecclésiastique est devenue indissociable de Kir. Plus d’un tiers des désignations (38,3%) de notre relevé prennent cette forme. Kir est né publiquement en tant que chanoine, et disparaît de la même façon, quitte à en perdre son prénom. En effet, le patronyme complet du chanoine est utilisé très rarement (généralement en début de portrait). Personne ne connaît Félix Kir, tout le monde connaît le chanoine Kir.

57 France-Soir, édition datée du 27 avril 1968, p. 9 SAUVAGE Maxime - 2011 47 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 17: Thème 2 Termes Nombre d'occurrences En valeur absolue En valeur relative par rapport aux par rapport à documents du l'ensemble des thème thèmes Bourguignon 4 80 0,5 fils de 1 10 0,1 cheminot Total 5 100 0,7

(Source : calculs de l’auteur) Nous constatons que les origines sociales et géographiques sont très peu utilisées par les journalistes pour parler du chanoine Kir. Moins de 1% des termes désignant le chanoine fait référence à sa région natale où à la profession de son père. Faut-il en conclure que les racines du maire de Dijon intéressent peu les rédactions au moment de sa mort ? Seule notre analyse minutieuse des portraits dans le chapitre trois pourra nous apporter une réponse claire.

Tableau 18: Thème 3 Termes Nombre d'occurrences En valeur absolue En valeur relative par rapport aux par rapport à documents du thème l'ensemble des thèmes élève 3 75 0,4 séminariste 1 25 0,1 Total 4 100 0,6

(Source : calculs de l’auteur) Dans la même veine que les résultats du tableau 26, nous notons que les termes faisant référence à l’enfance du chanoine Kir sont extrêmement rares pour qualifier ce dernier. L’enfant Kir n’est pas une des images principales que les journalistes ont de Kir.

48 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Tableau 19: Thème 4 Termes Nombre d'occurrences En valeur absolue En valeur relative par rapport aux par rapport à l'ensemble documents du thème des thèmes prêtre 11 36,7 1,6 curé 7 23,3 1 vicaire 6 20,2 0,9 curé-doyen 2 6,6 0,3 chanoine- 1 3,3 0,1 honoraire directeur 1 3,3 0,1 des œuvres d'hommes ecclésiastique 1 3,3 0,1 prédicateur 1 3,3 0,1 Total 30 100 4,4

(Source : calculs de l’auteur) A la lumière de ce tableau, nous retrouvons toutes les fonctions exercées par Kir homme d’Eglise. Cependant, aucune n’est utilisée régulièrement par les journalistes. Ce n’est pas surprenant. L’appellation « chanoine Kir », avec laquelle le maire de Dijon s’est fait connaître, a perdu son sens premier de référence à une fonction religieuse, tout en le rappelant indirectement en permanence. Parler de Kir en employant le terme « chanoine » n’avait pas le but premier de rappeler sa place dans la hiérarchie catholique, mais la dimension religieuse de l’homme politique était indubitablement toujours là.

Tableau 20: Thème 5 Termes Nombre d'occurrences En valeur En valeur relative absolue par rapport aux documents par rapport à l'ensemble du thème des thèmes conférencier 4 40 0,5 rédacteur en chef 3 30 0,4 journaliste 2 20 0,3 polémiste 1 10 0,1 Total 10 100 1,4

(Source : calculs de l’auteur) Le passé de journaliste polémique est quasiment passé sous silence quand il s’agit de désigner Kir par un des termes de ce thème. Visiblement parler de Kir en tant que journaliste ou polémiste ne correspond pas aux représentations communes associées au chanoine. Les positions parfois extrêmes du journaliste Kir sont-elles à l’origine de cette constatation ? Il est vraisemblable que certaines rédactions, notamment celles couvrant le moins la disparition du chanoine, ont fait le choix de passer sous silence cette partie complexe de la vie de Kir

SAUVAGE Maxime - 2011 49 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 21: Thème 6 Termes Nombre d'occurrences En valeur absolue En valeur relative par rapport aux par rapport à documents du l'ensemble des thème thèmes résistant 15 35,6 2,3 titulaire de 7 16,6 1 nombreuses décorations patriote 5 11,7 0,7 commandeur 2 4,8 0,3 de la Légion d'honneur héros 2 4,8 0,3 infirmier 2 4,8 0,3 lion 2 4,8 0,3 combattant 1 2,4 0,1 curé-poilu 1 2,4 0,1 délégué 1 2,4 0,1 municipal grand 1 2,4 0,1 Français homme du 1 2,4 0,1 16 juin symbole 1 2,4 0,1 Tartarin 1 2,4 0,1 Total 42 100 6,1

(Source : calculs de l’auteur) Alors que les occupations de Kir entre les deux conflits mondiaux sont très peu employées pour désigner Kir, ses activités durant ces deux événements se retrouvent de manière plus importante dans les appellations utilisées pour parler du maire de Dijon. Le mot résistant est relevé quinze fois, ce qui correspond à une moyenne d’environ deux occurrences par quotidien. Six appellations sur cent font référence au passé glorieux de Kir. On retrouve quatorze termes rappelant les actions courageuses du chanoine. Visiblement, le combattant Kir est plus présent dans l’imaginaire des journalistes que le polémiste Kir.

50 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Tableau 22: Thème 7 Termes Nombre d'occurrences En valeur absolue En valeur relative par rapport aux par rapport à documents du l'ensemble des thème thèmes maire 98 87,6 14,3 administrateur 4 3,6 0,5 patron 3 2,8 0,4 premier 3 2,8 0,4 magistrat doyen d'âge 1 0,8 0,1 du conseil municipal maître 1 0,8 0,1 roi 1 0,8 0,1 serviteur 1 0,8 0,1 Total 112 100 16,4

(Source : calculs de l’auteur) Un des représentations les plus populaires associées au chanoine est sa fonction de maire. C’est une des caractéristiques majeures que retiennent les journalistes de Kir. Si le terme générique de « maire » est le plus récurrent, la présence de mots tels que « patron », « maître » ou « roi » fait indirectement référence à une facette ambigüe du personnage, à savoir son autoritarisme.

SAUVAGE Maxime - 2011 51 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 23: Thème 8 Termes Nombre d'occurrences En valeur En valeur relative absolue par rapport aux documents par rapport à l'ensemble des du thème thèmes député 22 32,3 3,2 doyen de 18 26,4 2,6 l'Assemblée nationale conseiller 9 13,2 1,3 général indépendant 4 5,9 0,5 homme 4 5,9 0,5 politique candidat 3 4,4 0,4 doyen du 2 2,9 0,3 Conseil général Anti-gaulliste 1 1,5 0,1 fondateur du 1 1,5 0,1 groupe des indépendants parlementaire 1 1,5 0,1 premier vice- 1 1,5 0,1 président du Conseil général secrétaire de 1 1,5 0,1 la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales secrétaire de 1 1,5 0,1 la Commission de l'Education nationale Total 68 100 9,9

(Source : calculs de l’auteur) En ce qui concerne sa carrière politique hors son mandat de maire, le chanoine Kir est avant tout vu comme un député, mais aussi comme le doyen de l’Assemblée nationale. C’est deux fonctions sont celles qui lui permis d’avoir une envergure et une réputation nationales. Il n’est donc pas étonnant de constater que ce sont les deux termes relatifs à sa carrière politique le plus utilisés pour le désigner. Bien qu’ayant était député et conseiller général le même nombre d’années par exemple, c’est le premier mandat qui a marqué les esprits. C’est donc plus souvent en député qu’en conseiller général que les journalistes vont se représenter Kir.

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Tableau 24: Thème 9 Termes Nombre d'occurrences En valeur En valeur relative absolue par rapport aux par rapport à l'ensemble documents du thème des thèmes apôtre/artisan/pionnier 4 28,6 0,5 de la paix président de la 3 21,5 0,4 Fédération mondiale des villes jumelées artisan du 2 14,3 0,3 rapprochement franco- allemand apôtre/artisan des 2 14,3 0,3 jumelages défenseur des 1 7,1 0,1 jumelages, de l'amitié internationale et de la paix partisan du 1 7,1 0,1 rapprochement entre les peuples partisan du 1 7,1 0,1 rapprochement franco- soviétique Total 14 100 2,1

(Source : calculs de l’auteur) L’œuvre politique du chanoine se retrouve peu dans l’imaginaire associé à Kir. Nous sommes frappés par l’absence de référence à des réalisations concrètes, déjà d’un point de vue local, en tant que maire de Dijon, mais aussi d’un point de vue national, en tant que député dans les désignations du chanoine. Preuve que le chanoine n’a laissé qu’un très faible héritage en tant qu’homme politique ? Sans aucun doute. En revanche, les journalistes associent le chanoine à des représentations très élogieuses, en lien avec ses engagements internationaux. Ces engagements lui ont permis d’acquérir une notoriété internationale, et bien qu’ils n’aient débouché sur aucune réalisation concrète (hormis des jumelages), ils ont marqué les esprits. Toutefois, il faut garder à l’esprit que ces appellations représentent un pourcentage très faible de la totalité des termes relevés.

SAUVAGE Maxime - 2011 53 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 25: Thème 10 Termes Nombre d'occurrences En valeur En valeur relative absolue par rapport aux documents par rapport à l'ensemble du thème des thèmes homme 13 22,5 1,9 personnage 9 15,6 1,3 figure 7 12,2 1 personnalité 5 8,6 0,7 lutteur 5 8,6 0,7 ami 4 6,9 0,5 enfant terrible 4 6,9 0,5 doctrinaire 2 3,4 0,3 image d'Epinal 2 3,4 0,3 anticonformiste 1 1,7 0,1 célébrité 1 1,7 0,1 corsaire 1 1,7 0,1 organisateur 1 1,7 0,1 personne 1 1,7 0,1 tempérament 1 1,7 0,1 tribun 1 1,7 0,1 Total 58 100 8,4

(Source : calculs de l’auteur) Deux enseignements peuvent être tirés de ce tableau. Tout d’abord, les journalistes font preuve d’une grande imagination pour parler du chanoine. De « lutteur » à « enfant terrible » en passant par « corsaire », les rédactions rivalisent d’imagination pour désigner le chanoine en fonction de sa personnalité. Mais le terme « homme » est le plus utilisé de ce thème. La dualité homme/personnage n’est pas tant au détriment du premier mot. On aurait pu s’attendre, en raison de la personnalité originale du chanoine, a une avalanche d’occurrences de termes comme « personnage » ou « figure » pour désigner Kir, mais ce n’est pas le cas. Peut-être est-ce en raison du fait que l’appellation « chanoine Kir » sous- entend forcément ces qualificatifs.

Tableau 26: Thème 11 Termes Nombre d'occurrences En valeur En valeur relative absolue par rapport aux documents du par rapport à l'ensemble des thème thèmes silhouette 2 40 0,3 petit père 1 20 0,1 nonagénaire 1 20 0,1 vieux chêne 1 20 0,1 Total 5 100 0,7

(Source : calculs de l’auteur) Kir était un original par sa personnalité, mais aussi par son extraordinaire longévité et son allure physique. D’ailleurs concernant cette dernière, Louis Devance estime que :

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« son charisme (celui de Kir) devait peu à son physique58 ». Cependant, à la lecture de ce tableau, on constate que les journalistes se réfèrent peu au physique ou à l’âge du chanoine pour le désigner. Il sera intéressant de se pencher sur les documents visuels accompagnant les documents textuels afin d’analyser plus précisément les représentations physiques associées à Kir. Nous le ferons un peu plus loin dans ce travail. Les références au statut de doyen de Kir dans les différents hémicycles où il siégeait peuvent cependant être considérées comme des allusions à son âge.

Tableau 27: Thème 12 Termes Nombre d'occurrences En valeur En valeur relative absolue par rapport aux documents du par rapport à l'ensemble des thème thèmes dépouille 25 48,1 3,6 défunt 13 25,1 1,9 disparu 10 19,2 1,4 mort 2 3,8 0,3 malade 2 3,8 0,3 Total 52 100 7,6

(Source : calculs de l’auteur) Kir est mort, c’est la raison pour laquelle les journaux en parlent. Il n’est donc pas étonnant de noter que quasiment 8% des termes désignant Kir font référence à son décès. La présence en première position du mot « dépouille » (ou « dépouille mortelle ») s’explique par l’exposition du corps dans une chapelle ardente puis sur un catafalque durant les trois jours séparant la mort du chanoine de ses funérailles.

Tableau 28: les dix termes* les plus utilisés Position Terme Occurrence Thème d'appartenance 1 chanoine Kir 262 1 2 maire 98 7 3 député 22 8 4 doyen de l'Assemblée 18 8 nationale 5 résistant 15 6 6 homme 13 10 7 prêtre 11 4 8 abbé Kir 9 1 - conseiller général 9 8 - personnage 9 10

(Source : calculs de l’auteur) * Les trois termes du thème 12 qui ont leur place dans ce tableau ont été délibérément écartés. En effet, si les journalistes désignent Kir par des mots relatifs à la mort, c’est uniquement en raison de son décès, mais on peut aisément concevoir que ces termes ne sont pas pertinents pour analyser les imaginaires liés au chanoine.

58 DEVANCE Louis, Le Chanoine Kir : l’invention d’une légende, Dijon, Ed. universitaires de Dijon, 2007, Collection Sociétés, p. 182 SAUVAGE Maxime - 2011 55 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Ce tableau est très intéressant, car il nous permet de mettre en lumière les représentations les plus répandues associées au chanoine Kir. Commençons par parler des thèmes absents, à savoir les thèmes 2, 3, 5, 9 et 11. Un adage historique dit que la mémoire, c’est d’abord oublier. Visiblement, la mémoire sociale bâtie par les journalistes tend à oublier les origines de Kir, son enfance, ses activités de journalistes, son œuvre politique et son apparence. Ils ne trouvent pas pertinent, car ne correspondant pas à leurs représentations du personnage, de désigner Kir en tant qu’ancien polémiste ou homme politique en action pour prendre ces exemples. En revanche, le portrait-type, se dégageant d’une étude générale des différents termes désignant Kir dans l’ensemble du corpus de titres de presse, est le suivant : chanoine Kir, maire de Dijon, député doyen de l’Assemblée, résistant et ecclésiastique. L’homme politique fait oublier l’homme d’Eglise. Le chanoine courageux prend le pas sur le chanoine polémiste. Analysons maintenant les représentations associées au chanoine Kir par journal.

2.2.3 Quelles représentations pour quel journal ? De quel Kir chaque journal parle-t-il ? L’imaginaire associé au personnage diffère-t-il selon le quotidien étudié ? Ce qui revient à se demander si les représentations utilisées sont façonnées selon la nature du journal. Ce sont à ces questions que nous allons répondre dans cette partie. Pour ce faire, nous allons analyser tous les termes utilisés (toujours en écartant les mots du thème 12) par quotidien pour désigner le chanoine Kir. Les relevés détaillés des huit journaux se trouvent en annexe.

Tableau 29: Occurrences par thème dans Le Bien Public Thèmes Occurrence En valeur absolue En valeur relative 1 89 49,8 2 1 0,5 3 1 0,5 4 8 4,5 5 2 1,1 6 15 8,4 7 34 19 8 15 8,4 9 2 1,1 10 12 6,7 11 0 0 Total 179 100

(Source : calculs de l’auteur) Le Bien Public est le journal qui recourt le plus à l’appellation « chanoine Kir » (et ses dérivés) pour désigner Kir. Quasiment un terme sur deux utilise le patronyme du maire de Dijon. Cela peut être perçu comme un manque d’originalité de la part de la rédaction du quotidien dijonnais, qui préfère répéter cette dénomination plutôt que de varier les désignations. Nous pouvons aussi constater que l’image de « Kir maire » est très présente, avec de nombreuses variations comme « patron » (une fois), « administrateur » (deux fois) ou « premier magistrat » (deux fois). Suivent les représentations de Kir comme héros

56 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

et comme homme politique. Concernant ce dernier thème, Le Bien Public multiplie les différentes dénominations mettant en lumière toutes les fonctions politiques occupées par Kir dans sa carrière. C’est le journal qui détaille le plus ce point, visiblement pour appuyer l’image de Kir comme politicien aguerri. Le journal de la droite dijonnaise aborde tous les thèmes que nous avons prédéfinis, ce qui va dans le sens du constat fait dans notre premier chapitre sur la couverture exhaustive du journal dijonnais. Seul le thème 11 est mis de côté. Mais, la présence de nombreuses photos dans les pages du quotidien compense l’absence de dénomination relative au physique du chanoine. Tandis que les cinq appellations relevées faisant référence au statut de doyen du chanoine dans les assemblées où il siégeait rappellent aux lecteurs la grande longévité du maire de Dijon.

Tableau 30: Occurrences par thème dans France-Soir Thèmes Occurrence En valeur absolue En valeur relative 1 19 41,3 2 0 0 3 0 0 4 2 4,4 5 0 0 6 1 2,2 7 10 21,7 8 7 15,2 9 0 0 10 6 13 11 1 2,2 Total 46 100

(Source : calculs de l’auteur) Comme nous le constaterons pour tous les journaux, les dénominations du chanoine liées à son patronyme sont les plus récurrentes dans France-Soir. Le quotidien du soir mentionne assez souvent Kir par des désignations relatives à son mandat de maire et à sa carrière politique. France-Soir se distingue par son utilisation de termes provocateurs et originaux. Il y a le mot « curé-poilu » qui rappelle l’action du chanoine lors de la Première Guerre mondiale et sa fonction ecclésiastique, mais aussi le mot « roi » (une fois) pour qualifier sa fonction de maire, ou celui « d’enfant terrible » (trois fois) pour évoquer sa personnalité forte. Ces termes piquants sont des classiques de la presse populaire. Il n’est donc pas surprenant de les retrouver concernant France-Soir. A noter l’absence de termes appartenant à quatre des cinq thèmes les moins associées au chanoine, ce qui n’est pas anormal pour un journal ayant l’habitude de traiter l’information de manière essentiellement superficielle.

SAUVAGE Maxime - 2011 57 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 31: Occurrences par thème dans La Croix Thèmes Occurrence En valeur absolue En valeur relative 1 11 40,8 2 0 0 3 0 0 4 1 3,7 5 0 0 6 1 3,7 7 7 25,9 8 4 14,8 9 0 0 10 3 11,1 11 0 0 Total 27 100

(Source : calculs de l’auteur) Concernant La Croix, nous sommes frappés par le faible nombre de dénominations différentes désignant le chanoine Kir, notamment celles liées à sa carrière d’ecclésiastique. Le terme « chanoine » seul ou « abbé Kir » ne sont pas utilisés, et seul le mot « curé » (qui n’était pas le terme le plus attendu de la part de La Croix) est employé (une fois) pour faire référence à Kir. Visiblement pour la rédaction du grand journal catholique, Kir est avant un homme politique, maire de Dijon.

Tableau 32: Occurrences par thème dans Les Dépêches Thèmes Occurrence En valeur absolue En valeur relative 1 106 44 2 2 0,8 3 3 1,2 4 15 6,2 5 5 2,1 6 20 8,3 7 39 16,2 8 14 5,8 9 6 2,5 10 29 12,1 11 2 0,8 Total 241 100

(Source : calculs de l’auteur) Les Dépêches sont le seul quotidien qui utilise tous les thèmes a priori incontournables pour désigner Kir. Le fait, mis en évidence dans le chapitre premier, que le journal dijonnais soit le titre de presse qui revient le plus grand nombre de fois sur la vie du chanoine se retrouve donc dans ce tableau. La dénomination « chanoine Kir » est bien entendu la plus récurrente, mais c’est dans ce journal qu’elle fait l’objet du plus grand nombre de variations, comme « abbé Kir » (quatre fois), « Félix Kir » (trois fois) ou « Kir » (une fois). Les références à Kir maire de Dijon sont aussi très présentes et le terme « serviteur » (une fois) apporte

58 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

une tonalité très positive à cet imaginaire. L’homme est aussi mis en avant, de manière détaillée, permettant d’obtenir un tableau représentatif (et non simplement hagiographique) de la personnalité de Kir : « le doctrinaire » (une fois) et « l’enfant terrible » (une fois) est aussi une figure (quatre fois », « un ami » (deux fois), voire « un corsaire » (une fois). Avant l’homme d’Eglise et l’homme politique, Kir est pour Les Dépêches un homme d’action dans les heures troubles. Bien que très élogieuses de manière générale, les représentations associées à Kir que l’on retrouve sont tout de même nuancées : « le résistant » (huit fois), « homme du 16 juin » (une fois) et « lion » de la Seconde Guerre mondiale et « Tartarin » lors de la Première Guerre mondiale. A noter que la tentative des Dépêches de dresser, au fil de ses articles, un portrait minutieux et donc moins laudatif se retrouve avec plusieurs références au passé de journaliste du chanoine. C’est dans ce journal d’ailleurs que le mot « polémiste » (une fois) est utilisé pour parler de Kir.

Tableau 33: Occurrences par thème dans Le Figaro Thèmes Occurrence En valeur absolue En valeur relative 1 22 48,9 2 0 0 3 0 0 4 3 6,7 5 1 2,2 6 2 4,4 7 7 15,6 8 8 17,8 9 0 0 10 1 2,2 11 1 2,2 Total 45 100

(Source : calculs de l’auteur) Le Figaro a la particularité de développer une mémoire du chanoine essentiellement axée sur sa carrière politique. « Le maire » (sept fois), « le doyen de l’Assemblée nationale » (quatre fois) et « le député » prennent le pas sur tous les autres aspects de la vie de Kir. Cependant, l’action politique du maire de Dijon n’est pas utilisée pour désigner Kir. Le grand quotidien de droite se distingue de ses homologues nationaux (avec Le Monde) en étant le seul à employer une dénomination qui se réfère au passé de journaliste du chanoine. Cependant, cette référence est brève et non-connotée. C’est aussi uniquement dans les colonnes du Figaro que nous avons relevé un terme faisant directement référence à l’âge avancé du chanoine, celui de « nonagénaire » (une fois).

SAUVAGE Maxime - 2011 59 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 34: Occurrences par thème dans L’Humanité Thèmes Occurrence En valeur absolue En valeur relative 1 6 27,3 2 0 0 3 0 0 4 0 0 5 0 0 6 2 9,1 7 4 18,2 8 7 31,8 9 2 9,1 10 1 4,5 11 0 0 Total 22 100

(Source : calculs de l’auteur) L’Humanité, journal de notre corpus s’intéressant le moins à la disparition de Kir, est aussi celui qui a recours au plus faible nombre de termes désignant le chanoine Kir. Cependant, ce tableau mérite notre attention. En effet, les représentations associées à Kir sont très connotées. Kir est autant vu comme maire que comme doyen de l’Assemblée nationale (quatre occurrences à chaque fois : termes les plus populaires après l’appellation « chanoine Kir »). Pourquoi cette utilisation si importante de l’image du doyen de l’Assemblée nationale ? Cela s’explique par l’orientation idéologique même du journal. Le prédécesseur de Kir comme doyen de l’Assemblée nationale était Marcel Cachin, grande figure du communisme français. En décédant en 1958, il permet à Kir d’ouvrir la première législature de la nouvelle république. Kir doyen de l’Assemblée nationale, voilà une représentation qui parle aux lecteurs du journal communiste. L’orientation idéologique du journal éclaire aussi la présence de l’appellation « partisan du rapprochement franco- soviétique » (une fois). L’Humanité est le seul quotidien qui met en lumière cette facette de l’œuvre politique de Kir. Facette qui, encore une fois, parle aux lecteurs du journal.

Tableau 35: Occurrences par thème dans Le Monde Thèmes Occurrence En valeur absolue En valeur relative 1 19 42,3 2 1 2,2 3 0 0 4 1 2,2 5 2 4,4 6 0 0 7 8 17,8 8 8 17,8 9 3 6,7 10 2 4,4 11 1 2,2 Total 45 100

(Source : calculs de l’auteur) 60 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Le Monde, comme Le Figaro, met en avant la carrière politique du chanoine. Mais contrairement au journal anciennement dirigé par Pierre Brisson, Le Monde s’efforce d’associer Kir à son action politique. C’est le journal qui utilise le plus de termes différents pour en parler. En effet, nous avons relevé trois appellations : « président de la Fédération mondiale des villes jumelées » (une fois), « défenseur des jumelages, de l'amitié internationale et de la paix » (une fois) et « partisan du rapprochement entre les peuples » (une fois). Comme il est dit plus haut, Le Monde partage la caractéristique avec Le Figaro d’aborder, même furtivement, le passé journalistique de Kir. Il est toutefois surprenant de constater l’absence de dénominations liées à ses faits de gloire. Cet oubli, nous le verrons dans le dernier chapitre de notre travail, est cependant compensé par plusieurs références (dont une fausse !) au résistant Kir dans le portrait établi par un journaliste de la rédaction.

Tableau 36: Occurrences par thème dans le Parisien-Libéré Thèmes Occurrence En valeur absolue En valeur relative 1 14 48,4 2 1 3,4 3 0 0 4 0 0 5 0 0 6 1 3,4 7 3 10,3 8 5 17,2 9 1 3,4 10 4 13,9 11 0 0 Total 29 100

Le Parisien-Libéré est le seul journal qui désigne directement Kir par ses origines sociales : « fils de cheminot ». Cela peut s’expliquer par le type de lectorat du journal parisien, constitué majoritairement de personnes appartenant aux classes populaires. Parler de Kir comme un fils de cheminot est évocateur pour le public du journal. C’est la preuve que le quotidien représente Kir à travers un prisme sociologique le plus à même d’intéresser ses lecteurs. En valeur relative, Le Parisien-Libéré est, avec France-Soir, le quotidien qui recourt le plus à des dénominations liées à sa personnalité. Ce constat est lié à leur statut de presse populaire. Ce qui a des chances d’intéresser le plus leurs lecteurs, ce sont les traits originaux de la personnalité du chanoine qui prêtent à sourire. Analysons maintenant les illustrations relatives à la disparition de Kir. Va-t-on retrouver les mêmes représentations ?

2.3 ANALYSE DES ILLUSTRATIONS RELATIVES A LA MORT DE KIR

SAUVAGE Maxime - 2011 61 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Comment illustre-t-on dans la presse la mort du chanoine Kir ? Les documents visuels ne servent-ils que de mise en image des sujets abordés dans les documents textuels et des représentations associées au chanoine Kir ou vont-ils les compléter, voire les détailler ? Dans un premier temps, nous comptabiliserons toutes les illustrations relevées dans notre corpus de journaux et nous distinguerons leurs types. Dans un deuxième temps, nous analyserons les thématiques montrées par les documents visuels. Enfin dans un troisième et dernier temps, nous étudierons les représentations visuelles du chanoine.

2.3.1 Combien et quelles illustrations ?

Tableau 37: nombre d’illustrations* relatives à la mort de Kir par journal Nombre de BP FS LC LD LF LH LM PL documents 45 2 1 45 1 0 0 1 Total 95

(Source : calculs de l’auteur) * Nous entendons par illustration tout document visuel relatif à la mort de Kir. Comme nous avons déjà pu nous en apercevoir dans le premier chapitre, les deux quotidiens dijonnais ont fait le choix d’utiliser un grand nombre d’illustrations pour couvrir l’événement, quand leurs homologues parisiens limitent de manière drastique le nombre de documents visuels. Le Monde n’introduit aucune illustration, comme à son habitude pour n’importe quel type d’événement, tandis que L’Humanité fait le même choix, sans doute en raison de la faible importance que le journal communiste accorde à la nouvelle. France-Soir, journal friand d’illustrations, se distinguent des autres titres nationaux avec deux photos, ce qui reste très faible malgré tout.

Tableau 38: Nature des illustrations relatives à la mort de Kir par journal Nature BP FS LC LD LF LH LM PL Total Photographie d’actualité* 26 2 1 19 1 0 0 1 50 Photographie d’archive 19 0 0 21 0 0 0 0 40 Fresque 0 0 0 1 0 0 0 0 1 Montage 0 0 0 1 0 0 0 0 1 Reproduction 0 0 0 3 0 0 0 0 3 Total 45 2 1 45 1 0 0 1 95

(Source : calculs de l’auteur) * Les photographies représentant Kir en format portrait et sans repère chronologique (ce qui est le cas des illustrations de la presse nationale) sont considérées d’actualité si elles montrent un homme d’apparence similaire à celui qui décède à l’âge de 92 ans. Ces tableaux59 nous apprennent que les documents visuels relatifs à la mort du chanoine Kir sont principalement des photographies. La nature des illustrations est donc très peu diversifiée. Cela concerne à la fois les journaux nationaux et Le Bien Public. De toute évidence, les rédactions ont fait le choix d’illustrer sobrement l’événement.

59 Le tableau 38’ se trouve en Annexes 62 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Les Dépêches se distinguent de deux manières. D’une part, elle intègre plusieurs types d’illustration dans son traitement médiatique. On retrouve une majorité de photographies, mais aussi la reproduction d’une fresque murale, un montage associant différentes coupures de presse et trois reproductions tirées soit d’un journal, soit d’un catalogue, soit d’un livret scolaire. On voit donc que le journal dijonnais a fait l’effort de diversifier sa couverture visuelle de l’événement. D’autre part, c’est le seul titre à privilégier les photographies d’archive aux photographies d’actualité. Incontestablement, cette caractéristique est en lien avec un constat plusieurs fois établi concernant la volonté du quotidien de revenir sur le long parcours du chanoine.

2.3.2 Sur quoi portent les illustrations ?

SAUVAGE Maxime - 2011 63 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 39 : Thème des illustrations relatives à la mort de Kir par journal Thème BP FS LC LD LF PL Total Kir* 18 2 1 25 1 1 48 Journée du Drapeau en berne 1 / / / / / 2 25 avril Personnalités / / / 1 / / présentes à l’hôpital Journées du Cercueil à la mairie 1 / / 1 / / 9 26, 27 et 28 Personnalités 3 / / 1 / / avril présentes à la mairie Hommage des 2 / / 1 / / Dijonnais Journée du Cérémonie à la 3 / / 5 / / 28 29 avril mairie Cortège funèbre 4 / / 2 / / Personnalités du 7 / / / / / cortège Anonymes du 1 / / / / / cortège Cérémonie à 2 / / 1 / / l’Eglise Cortège à Alise- 1 / / 2 / / Sainte-Reine Divers Caveau des Kir 1 / / / / / 8 Maison natale de 1 / / 1 / / Kir Une d’une édition / / / 1 / / du Bien du Peuple Locaux du Bien du / / / 1 / / Peuple Porte de café / / / 1 / / Livret scolaire de / / / 1 / / Kir Montage d’articles / / / 1 / / de presse Total 45 2 1 45 1 1 95

(Source : calculs de l’auteur) * Les illustrations représentant Kir seront analysées dans la partie suivante. Comme nous pouvons le constater, l’étude de ce tableau ne va concerner que les deux titres dijonnais. Le Bien Public consacre plus de la moitié de ses illustrations (vingt-cinq photos) à la chronologie des événements qui ont eu lieu du 25 au 29 avril 1968, dont dix-huit photos portant uniquement sur le déroulement des funérailles du chanoine Kir. On remarque que le journal de la droite dijonnaise accorde une large couverture visuelle au cortège et à sa composition. Les Dépêches privilégient aussi les illustrations portant sur la journée des obsèques, mais de manière beaucoup moins importante que son homologue côte d’orien.

64 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Cela est à mettre en lien avec les enseignements tirés des tableaux 12, 14, 15 et 20. Le Bien Public couvre de manière plus large et plus précise l’événement que Les Dépêches, en ce qui concerne le déroulement des obsèques du chanoine. Le premier quotidien offre donc au chanoine un ultime hommage plus conséquent que celui du second journal. Cependant, le traitement de la mort de Kir par Les Dépêches se distingue par son originalité dans sa diversité. La rubrique « divers » du tableau ci-dessus est en cela très intéressante. Nous découvrons une photographie (les locaux du Bien du Peuple) et une reproduction (une une du Bien du Peuple) qui rappellent le passé de journaliste du chanoine, sans pour autant le représenter directement. La photographie est neutre, tandis que la une de l’édition du journal catholique nous donne à voir un article de Kir au titre véhément : « Pour une politique loyale et propre60 ». Cette illustration est donc très représentative du polémiste de l’époque qu’il était. Les Dépêches utilisent aussi une photographie d’une porte d’un café, où le nom de boisson « kir » est affiché. En cela, le journal nous prouve le succès de cette appellation, qui est encore récente à l’époque. Comme nous l’avons vu dans le tableau 32, Les Dépêches sont le quotidien qui désigne le plus Kir par des dénominations ramenant à son enfance. Il n’est donc pas étonnant de retrouver une reproduction d’une page d’un de ses livrets scolaires, qui met en lumière ses bons résultats en géologie. Résultats dont Kir parlait régulièrement au conseil municipal pour prouver sa légitimité dans sa gestion du projet de création d’un grand lac à l’entrée de Dijon : « Personne ici, je m’excuse, en dehors de moi n’a fait de la géologie61 ». Enfin, Les Dépêches incorporent dans leur édition du 27 avril un montage photographique réunissant plusieurs coupures de différents titres de presse parlant de la disparition du chanoine. Ce montage62 serait d’ailleurs une parfaite illustration de notre travail. On aperçoit le portrait rédigé par L’Humanité, celui du Parisien- Libéré, ou encore celui du Figaro. Pour mettre en avant la réputation internationale du maire de Dijon, le journal intègre à ce montage des articles du Herald Tribune, du Daily Telegraph et du Frankfurter Allgemeine. Intéressons-nous maintenant aux représentations visuelles du chanoine.

2.3.3 Les représentations visuelles du chanoine Kir

60 Les Dépêches, 27 avril 1968, p. 6 61 Bulletin municipal officiel de la ville de Dijon, 30 juin 1958 62 Voir en Annexes SAUVAGE Maxime - 2011 65 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 40: Thèmes des illustrations représentant Kir par journal Thème BP FS LC LD LF PL Total Enfance / / / 2 / / 2 Homme 1 / / 3 / / 4 d’Eglise Héros 2 / / 4 / / 6 Homme 8 / / 3 / / 11 politique d’envergure locale Homme 1 / / / / / 1 politique d’envergure nationale Homme 1 / / 3 / / 4 politique d’envergure internationale Homme 4 / / 3 / / 7 Mort 1 / / 4 / / 5 Portrait officiel* / 2 1 / 1 1 5 Autre / / / 3 / / 3 Total 18 2 1 25 1 1 48

(Source : calculs de l’auteur) * Par portrait officiel, nous entendons toutes les photographies en format portrait du chanoine, le représentant avec ses attributs classiques (béret et soutane) et à un âge avancé (il est toujours difficile de dater les photographies du chanoine non-légendées, étant donné que de 1945 à 1968, son apparence physique évolue très peu). A la lecture de ces tableaux63, nous remarquons que mes quatre journaux parisiens utilisent des photographies du chanoine Kir semblables les unes aux autres, pour illustrer leurs articles. Ayant fait le choix de n’inclure qu’une photographie, ces quotidiens ont choisi de représenter le chanoine à l’aide d’une image neutre permettant à leurs lecteurs de l’époque de le reconnaître immédiatement. En effet, Kir est apparu sur la scène politique française avec un style vestimentaire bien à lui (un béret basque et une soutane noire), qu’il a conservé jusqu’à sa mort. C’est par cet accoutrement original, entre autres, qu’il s’est fait connaître et qu’il est resté dans les mémoires64. Ces photographies jouent donc un rôle de photographies d’identité. Nous pouvons aussi en conclure que la presse parisienne partage une même mémoire visuelle du personnage. Le Bien Public et Les Dépêches représentent le chanoine Kir de manière beaucoup plus diversifiée. Le premier titre est le seul quotidien à ne pas utiliser de portrait officiel. Quasiment la moitié de ses photographies représentent Kir exerçant ses fonctions politiques au niveau local (sept photos sur Kir maire et une photo sur Kir conseiller général). Le second titre répartit plus également le nombre de ses illustrations entre les différentes facettes de Kir. A noter toutefois, l’absence de photographie représentant Kir en tant que député. 63 Le tableau 40’ se trouve en Annexes 64 Il suffit d’observer les couvertures des trois biographies du chanoine que nous avons utilisées : celle de Louis Devance, celle de Jean-François Bazin et d’Alain Mignotte, ainsi que celle de Louis Muron. 66 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

Examinons désormais plus précisément les documents visuels représentant Kir dans ces deux journaux.

SAUVAGE Maxime - 2011 67 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Tableau 41: Thèmes des illustrations représentant Kir dans Le Bien Public et Les Dépêches Thème Description BP LD Total Enfance Kir à 10 ans 0 1 2 Photo de famille 0 1 Homme L’abbé Kir et sa bicyclette 0 1 4 d’Eglise L’abbé Kir et sa société de gymnastique 0 1 Kir menant la cérémonie en hommage à Sainte-Reine 0 1 Kir en tête d’une procession religieuse 1 0 Héros Kir en uniforme lors de la Première Guerre mondiale 0 1 6 Kir assis sur un char à la Libération 1 1 Kir témoignant au procès de ses assassins 0 1 Kir commandeur de la Légion d’honneur 1 0 Kir portant de nombreuses décorations 0 1 Homme Kir lors d’une réception à la mairie 0 1 11 politique Kir reçoit le général de Gaulle à Dijon 1 1 d’envergure Kir reçoit le maire de Mayence 1 0 locale Kir reçoit B.Bardot venue tourner un film à Dijon 1 0 Kir rencontre Henri Tissot 0 1 Intervention de Kir au Conseil général 1 0 Kir fait visiter au secrétaire d’Etat le chantier du lac 1 0 Kir inaugure le lac de Dijon 1 0 Kir remet à la mairie d’Auxonne un buste de 1 0 Napoléon Kir signe des papiers apportés par sa secrétaire 1 0 Homme Discours du doyen Kir à l’Assemblée nationale 1 0 1 politique d’envergure nationale Homme Kir rencontre Khrouchtchev 1 1 4 politique Kir se rend à Mayence 0 1 d’envergure Kir en visite dans les Caraïbes 0 1 internationale Homme Kir fait la circulation dans les rues de Dijon 1 0 7 Kir déguisé en sapeur-pompier 1 0 Kir assis derrière une moto 1 1 Kir vote 1 0 Kir monte à la corde 0 1 Kir donnant à manger à un cygne 0 1 Mort Kir reposant sur un catafalque à l’hôpital 1 1 5 Kir reposant sur son catafalque avec ses décorations 0 1 Kir reposant sur son catafalque entouré de ses 0 2 proches Autre Buste de Kir en pierre 0 1 3 Santon chanoine Kir 0 1 Fresque représentant une sirène sortant de l’eau 0 1 pour saluer Kir debout sur un piédestal Total 18 25 43

68 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

(Source : calculs de l’auteur) A la lecture de ce tableau, nous allons pouvoir dégager les images que chacun des deux journaux associent au chanoine Kir. Commençons par nous pencher sur les cinq illustrations communes aux deux quotidiens. Les photographies en question représentent Kir assis sur un char, Kir rencontrant De Gaulle et Khrouchtchev, Kir faisant de la motocyclette et Kir reposant mort sur un catafalque. Il n’est pas étonnant de retrouver dans Les Dépêches et Le Bien Public la photographie de Kir assis un char de la première division blindée lors de la libération de Dijon. Cette photographie a une longue histoire. Prise quelques jours après la libération de Dijon, le 11 septembre 1944, le bruit va rapidement et durablement courir que cette photographie a été prise le 11 septembre, au moment de l’arrivée de la colonne de blindés dans Dijon. Kir va alors apparaître comme le libérateur de Dijon, juché sur le premier char qui entra dans la ville. Ce n’est qu’en 1962, au cours de la campagne des législatives, que l’auteur de la photographie va révéler la supercherie. Cependant, cette image va rester ancrée dans la mémoire collective dijonnaise. Le Bien Public, en légendant la photo, ne va d’ailleurs pas rappeler le coup monté. Les deuxième et troisième photographies ne sont pas non plus une surprise. Montrer Kir en compagnie de deux des plus grands hommes de l’époque est un choix compréhensible pour mettre en avant sa stature internationale. La présence dans les deux quotidiens dijonnais d’une photographie du cadavre du maire de Dijon posé sur un catafalque est tout aussi compréhensible. C’est une des illustrations incontournables pour représenter l’événement. Concernant la photographie de Kir sur motocyclette, le choix commun des deux journaux est plus difficilement explicable. C’est une coïncidence qui sans doute découle de la volonté des deux titres de montrer Kir comme un vieil homme original dynamique et téméraire. Cette facette d’original se retrouve d’ailleurs dans de nombreuses autres photographies sélectionnées par Le Bien Public et Les Dépêches. Quand Kir est représenté en train de faire la circulation à Dijon, de monter à la corde ou de porter un déguisement, cela indique que les deux quotidiens ont eu la volonté de retenir de l’homme le personnage pétulant et pittoresque. Seules deux photographies (une par journal) de Kir montrent un homme plus posé et moins atypique. Il y a la photographie montrant Kir faire son devoir de citoyen et une autre où l’homme est seul, courbé donnant à manger à des cygnes blancs (ce qui contraste d’ailleurs avec sa soutane noire) au bord du lac qui est son œuvre. Cette dernière illustration détonne par rapport à toutes les autres, en représentant Kir perdu dans sa solitude devant sa plus grande réalisation de maire. Hormis cette photographie à l’interprétation plus complexe, Le Bien Public et Les Dépêches véhiculent une mémoire sociale du chanoine très positive. Kir savait se mettre en avant et sur la plupart des photographies relevées, il est en action. Ce sont les autres qui l’écoutent ou le regardent. Par exemple, deux des quatre photographies le représentant dans sa fonction d’homme d’Eglise montrent Kir menant une cérémonie ou un cortège. En faisant la circulation, il est entouré de passants médusés de le voir faire. Sur les illustrations en compagnie de Maurice Herzog, Brigitte Bardot ou Nikita Khrouchtchev, c’est Kir qui parle. Représenté en conseiller général ou en député, le chanoine Kir délivre son message à des assemblées attentives à ses paroles. Quand Kir est représenté comme maire de Dijon, c’est presque seulement au moment de réceptions officielles. Kir est l’hôte, il est au centre des attentions. Concernant les personnalités en photo avec le chanoine, on s’aperçoit que cela va des grandes figures politiques de l’époque à une actrice très célèbre, en passant par un imitateur populaire. Kir, le politicien aguerri était aussi un homme populaire et médiatique, amené à rencontrer d’autres célébrités. Les actions glorieuses du

SAUVAGE Maxime - 2011 69 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

maire de Dijon sont rappelées sur plusieurs illustrations. Les Dépêches vont même jusqu’à publier une photographie du défunt allongé sur un catafalque en compagnie de toutes ses décorations. Même mort, le chanoine en impose. Cependant, Le Bien Public et Les Dépêches ne sont pas les porteurs d’une même mémoire visuelle. Par exemple, Le Bien Public ne représente pas une seule fois Kir avant 1944, à l’inverse des Dépêches. Ce n’est pas un constat nouveau : ce dernier journal s’est efforcé de représenter, à l’écrit comme à l’image, le chanoine Kir pour chaque grande étape de sa vie. Ici, cela va de son enfance à sa mort. Nous avons relevé pas moins de quatre photos du défunt. Ce tableau nous montre même que le quotidien va plus loin en publiant des illustrations portant sur des représentations que des personnes extérieures à la rédaction associent au maire de Dijon : il y a le buste en pierre d’un Kir au visage sérieux et solennel, un santon qui prouve que le chanoine est entré dans la culture populaire et une fresque le déifiant presque. Jean-François Bazin et Alain Mignotte en parlent ainsi dans leur biographie du maire de Dijon : « l’iconographie naïve et populaire le montre (le chanoine Kir), sur le mur d’une salle de bistrot, enlacé par une nymphe impertinente, au cœur du lac artificiel de Dijon65 ».

Conclusion

Dans ce chapitre, nous nous sommes attachés à analyser le contenu des traitements médiatiques de la mort du chanoine Kir. De manière générale, les huit titres sélectionnés ont privilégié les documents informatifs aux documents analytiques et les déclarations de personnalités politiques pour commenter l’événement. Dans ces documents textuels, les représentations les plus courantes de Kir rappellent essentiellement ses fonctions politiques à savoir son mandat de maire et celui de député doyen de l’Assemblée nationale. Certaines périodes de sa vie sont passées sous silence. Visiblement, elles ne correspondent pas à l’imaginaire associé à l’homme. Son œuvre politique est, quant à elle, délaissée. Il est étonnant de ne jamais relever une dénomination faisant référence à son lac ou à la réalisation d’équipements publics qu’il a impulsée. A noter que Kir n’est pas connu sous son nom et prénom, mais sous l’appellation « chanoine Kir ». C’est sous celle-ci qu’il s’est fait connaître, c’est sous ce nom que la presse parle de lui, car l’appellation parle à tout le monde. La presse nationale a fait le choix de ne pas couvrir ou presque l’événement visuellement. Une photographie en mode portrait illustre les propos de France-Soir, La Croix, Le Figaro et Le Parisien-Libéré. Ces photographies sont neutres et correspondent à l’imagerie traditionnelle du personnage. La presse dijonnaise, quant à elle, a recours à de nombreuses illustrations pour couvrir l’événement. En règle générale, tous les documents relevés sont favorables à l’ancien député-maire de Dijon. Le Bien Public est le quotidien qui intègre le plus de réactions à la mort du chanoine dans ses colonnes et le seul à faire intervenir des anonymes pour commenter la nouvelle, cela au détriment des documents analytiques revenant sur la vie de Kir. Les informations factuelles sont très diversifiées, ce qui s’explique par son statut de journal local. Le quotidien est celui qui a recours le plus souvent à l’appellation « chanoine Kir » et qui associe le plus Kir à ces différents rôles politiques. Il préfère aussi utiliser des photos d’actualité plutôt que

65 LAPORTE Guillaume (pseudonyme de BAZIN Jean-François, MIGNOTTE Alain), Le chanoine Kir a-t-il existé ?, Dijon, Imp. F. Massebeuf, 1968, p. 141 70 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 2 : LE CONTENU DU TRAITEMENT MEDIATIQUE DE LA MORT DU CHANOINE KIR

des photos d’archive. Sa couverture visuelle des manifestations liées au décès du maire de Dijon est donc la plus complète de toutes les couvertures visuelles étudiées. France-Soir, comme tous les titres nationaux, n’analyse que dans un seul document la vie du chanoine Kir. 80% des informations sont factuelles et aucune déclaration n’est reprise dans les colonnes du journal populaire. L’imaginaire associé au chanoine Kir se distingue par des dénominations provocantes à la fois dues au style du personnage et au vocabulaire choc régulièrement employé par le journal. C’est le seul journal national qui utilise deux photos dans sa couverture de l’événement. Ces dernières sont toutefois neutres en représentant le chanoine en format portrait dans son accoutrement habituel. La Croix traite l’événement de manière très sobre (majorité de documents informatifs, avec un portrait et deux déclarations) et ne prend pas la peine de revenir sur le déroulement des funérailles. Kir est perçu essentiellement comme un homme politique. Le journal ne considère visiblement pas Kir comme un homme d’Eglise. Nous observons aussi une très faible diversité de dénominations. Comme il est dit plus haut, la photographie n’a qu’une fonction de photo d’identité. Les Dépêches s’illustrent par un grand nombre de documents analytiques. Il n’est donc pas étonnant de découvrir que le journal est celui qui associe le plus Kir à un imaginaire représentatif de son parcours, et qui préfère intégrer des illustrations d’archive plutôt que des illustrations d’actualité. Kir est majoritairement représenté comme le maire de Dijon, mais les différentes facettes de l’homme sont mises en lumière, permettant de nuancer un peu les représentations très majoritairement favorables à Kir. Concernant Le Figaro, la répartition informations factuelles, analytiques, déclarations est sensiblement la même que la répartition moyenne des huit journaux. Le journal communique des informations majoritairement factuelles, accompagnées d’un portrait et de quelques déclarations. Kir est représenté principalement comme une figure politique nationale, à la fois député et doyen d’âge de l’Assemblée nationale. Une photographie accompagne l’article retraçant la vie du personnage. L’Humanité se distingue une nouvelle fois par un traitement sommaire de l’événement : ni illustration, ni déclarations n’étayent le propos des journalistes de la rédaction. Ce qui est frappant, c’est la tendance du journal communiste à représenter Kir comme le doyen de l’Assemblé nationale, car en occupant ce rôle, il est le successeur de Marcel Cachin. L’imaginaire associé à Kir, ici, est clairement influencé par l’orientation idéologique du journal. Il n’est donc pas étonnant de relever la dénomination faisant du chanoine un partisan du rapprochement franco-soviétique. Le Monde se rapproche du Figaro en ce qui concerne la propension à communiquer principalement des informations factuelles, mais aussi à retranscrire quelques déclarations et à revenir, au cours d’un portrait sur la vie de Kir. Le journal s’applique, et c’est ce qui le distingue de ses confrères, à détailler l’action politique du chanoine, en mettant en avant son action en faveur des jumelages et pour la paix. Le journal donne donc une consistance concrète à la carrière politique du maire de Dijon. A noter l’absence attendue d’illustration. Le Parisien-Libéré, comme son homologue populaire France-Soir, n’intègre pas de déclarations dans ses colonnes et privilégie les informations factuelles. Comme pour L’Humanité, il n’y a aucun document textuel qui annonce la mort du chanoine Kir ou les circonstances de son décès, si ce n’est au début de leur portrait respectif du maire de Dijon. Le journal se différencie de tous les autres titres de presse en désignant Kir par ses origines sociales. Origines qui rapprochent d’ailleurs le chanoine des lecteurs du journal parisien. Enfin, il illustre son article sur le parcours de Kir avec une photographie du portrait de Kir.

SAUVAGE Maxime - 2011 71 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Pour compléter et terminer notre étude des représentations associées au chanoine Kir, nous allons analyser en profondeur les portraits de chaque journal revenant sur la vie du maire de Dijon.

72 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

Introduction

Après avoir analysé de manière quantitative les différentes couvertures de la mort du chanoine Kir, puis après s’être intéressés aux différentes représentations associées à Kir, nous allons maintenant nous focaliser sur la notion de mémoire. Le quotidien Les Dépêches écrivait dans son édition du 26 avril : « Le chanoine Kir a-t-il vécu une vie, ou en a-t-il vécu plusieurs ? Etirée sur près de cent années, son existence présente tant d’actes divers qu’elle paraît être le fruit de plusieurs destins.66 » Ces destins ont-ils induit l’apparition de plusieurs mémoires ? La presse n’a pas les mêmes devoirs que l’historien. Ce dernier cherche toujours, sans jamais pouvoir complètement s’affranchir de sa subjectivité, à atteindre une vérité scientifique. La presse n’est pas confrontée aux mêmes contraintes quand elle se penche sur le passé. Bien entendu, sa fonction d’organe d’information l’oblige à une certaine rigueur intellectuelle (qui varie selon les titres de presse), mais la presse ne fait pas d’histoire. Au contraire, elle élabore une mémoire où les événements sont sélectionnés et interprétés de manière particulière. Cette remarque implique qu’en tant qu’historien, il est indispensable d’avoir un regard critique et scientifique sur la presse. En effet, analyser le discours journalistique, ici relatif à la mort du chanoine Kir, revient à être confronté à un discours subjectif, souvent téléologique et qui fonctionne par successions d’images. Par exemple, on trouve une pleine page des Dépêches, qui revient sur la disparition de Kir en intitulant ses petits portraits et ses illustrations avec la formule « Un héros d’images d’Epinal67 ». La vie de Kir est donc réduite à un ensemble d’images. Dans ce chapitre, nous allons donc analyser en profondeur les différentes mémoires du chanoine Kir développées par les huit titres de presse de notre corpus. Pour ce faire, nous nous focaliserons sur les documents les plus à même de véhiculer cette mémoire : les portraits. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur la forme de chaque portrait. Puis dans un second temps, nous analyserons le fond de ces portraits. Ce faisant, nous pourrons mettre en évidence les mémoires du chanoine portées par les différents journaux. Ces mémoires sont-elles positives, neutres ou négatives ? Passent-elles par des déformations de la réalité ? Sont-elles forgées par les caractéristiques particulières de

66 Les Dépêches, 26 avril 1968, p. 6 67 Les Dépêches, 26 avril 1968, p. 7 SAUVAGE Maxime - 2011 73 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

chaque quotidien qui nous intéressent, à savoir le critère géographie, l’orientation politique et le type de presse ?

3.1 ANALYSE DE LA FORME DES PORTRAITS

Tous les quotidiens étudiés reviennent sur le parcours du chanoine Kir dans leur traitement de sa disparition. Cependant, chaque journal a recours au portrait de manière différente. L’analyse des caractéristiques générales des portraits nous dira quelle importance chacun des journaux accorde au fait de revenir sur le long parcours de Kir.

Tableau 42: Analyse de la forme des portraits revenant sur la vie de Kir par journal Caractéristiques BP FS LC LD* LF LH LM PL Edition 26/04 27/04 27/04 26/04 26/04 26/04 27/04 26/04 Numéro de page 10 9 4 1 et 5 7 5 8 3 Longueur (en 1516 647 519 2107 496 261 905 392 mots) Signature non oui oui oui oui non oui non Illustration 7 1 1 0 1 0 0 1

(Source : calculs de l’auteur) * Les Dépêches reviennent plusieurs fois sur la vie du chanoine Kir à l’aide de multiples portraits. Nous avons fait le choix de n’étudier que le grand portrait revenant sur l’ensemble de la vie de Kir. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce tableau. Tout d’abord, tous les journaux dressent le portrait du chanoine Kir au même moment, c’est-à-dire dans l’édition qui parait le lendemain de la disparition du chanoine Kir. Les huit titres de presse respectent donc le même schéma. La mort du maire de Dijon étant connue de tous, il est désormais temps de faire sa biographie. C’est une manière de le faire définitivement mourir. En revanche, l’emplacement des portraits dans chaque journal varie. Les Dépêches le commencent en page une pour le terminer quatre pages plus loin. La presse parisienne, comme nous l’avons constaté dans le tableau 18, place le portrait dans ses rubriques sur la politique française. Le Bien Public le relègue en page 10 tout en lui accordant une pleine page. La longueur est aussi une variable très fluctuante. Les deux quotidiens dijonnais sont ceux qui reviennent le plus longuement sur la vie de Kir (sachant que Les Dépêches complètent ce portrait par de multiples autres petits portraits). Hormis pour Le Bien Public, les portraits correspondent aux documents textuels les plus longs de chaque quotidien (voir tableaux 2 et 3). C’est un signe de la grande importance qu’ils accordent à ce document. Le Monde, connu pour être un journal de qualité et d’analyse, justifie sa réputation en revenant longuement sur la vie du chanoine, alors que sa couverture médiatique n’est quantitativement parlant pas la plus conséquente. Il est surprenant de constater le relativement long portrait dressé par France-Soir. Le journal populaire du soir raconte de manière plus détaillée le parcours du chanoine que ne le font Le Figaro ou La Croix par exemple. Il sera donc particulièrement intéressant d’étudier ce qui se trouve dans ce portrait.

74 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

Ce tableau nous apprend aussi que tous les journaux qui signent au moins un de leurs documents (voir tableau 10), à savoir France-Soir, La Croix, Les Dépêches, Le Figaro et Le Monde, affichent une signature à la fin de leur portrait. Les deux journaux du soir le font par l’intermédiaire d’un journaliste de la rédaction. Le journal dijonnais fait le choix de signer le portrait avec les initiales de la rédaction, ce qui semble indiquer que le document est explicitement désigné comme la parole de toute la rédaction. Le Figaro, quant à lui, dresse un portrait dont l’auteur est l’envoyé spécial permanent du journal à Dijon. Tous les titres parisiens qui utilisent des illustrations, placent une photographie du chanoine Kir à côté de leur portrait. Comme nous l’avons fait remarquer un peu plus haut dans ce travail, ces photographies sont comme des photographies d’identité qui attesteraient l’identité de la personne en question. Concernant Les Dépêches, bien que des photographies se trouvent sur les mêmes pages que celles du portrait, elles ne se rattachent pas à ce dernier et donc nous considérons qu’elles ne servent pas à illustrer son propos. En revanche, Le Bien Public illustre clairement son portrait par sept photographies. Nous verrons un peu plus loin leur utilité. Après ces quelques remarques générales, allons plus loin dans l’analyse des portraits en étudiant la mémoire qu’ils véhiculent du chanoine Kir

3.2 QUEL PORTRAIT POUR QUELLE MEMOIRE ?

Pour mettre en évidence les différentes mémoires de Kir développées par les titres de notre corpus et les comparer, nous avons défini une grille d’analyse. Présentons-la avant de l’utiliser. Quel titre pour le portrait ? L’analyse de la titraille pourra nous permettre de dégager l’orientation générale du portrait. Un titre laudatif par exemple sera la première preuve d’une mémoire positive du chanoine Kir. Le portrait est-il décomposé selon un plan apparent ? Si la réponse est positive, la décomposition du portrait montrera les facettes que le journal a retenues du maire de Dijon. Quels sont les thèmes et qualificatifs utilisés dans chaque portrait pour revenir sur la vie et la personne du chanoine ? Les réponses obtenues seront déterminantes pour comparer le contenu et la tonalité de la mémoire dont chaque journal est porteur. Synthèse : nous ferons le bilan des trois étapes précédentes pour chaque journal. Nous pourrons alors mettre au grand jour les différentes mémoires issues des quotidiens de notre corpus, qui ont apporté leur contribution à la mémoire sociale sur le chanoine Kir

3.2.1 Le portrait68 du Bien Public : un chanoine courageux Titre : « Le chanoine Kir n’est plus. En lui disparaît un homme dont Dijon et toute la Bourgogne conserveront longtemps le souvenir ».

68 Le Bien Public, 26 avril 1968, p. 10 SAUVAGE Maxime - 2011 75 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Ce titre très favorable au chanoine Kir nous rappelle une de nos remarques tirées de l’analyse du tableau 18. Nous avions souligné le fait que Le Bien Public couvre la disparition de Kir dans des rubriques abritant habituellement des nouvelles concernant Dijon et ses environs. La lecture du titre du portrait semble confirmer cette tendance du Bien Public à localiser localement la portée de la mort de Kir. Intertitres : Dans l’ordre du texte : « Le prêtre » ; « Le résistant » ; « L’homme politique » ; « L’administrateur » ; « L’apôtre de la Réconciliation ». Par ses intertitres, Le Bien Public met en avant des facettes précises de la vie de Kir. En faisant cela, le journal pousse ses lecteurs à ne retenir que ces cinq dénominations. En effet, ceux qui n’ont fait que parcourir le texte à l’époque ont eu tendance à ne s’arrêter que sur ces quelques mots. Ce faisant, l’infirmier ou le journaliste Kir par exemple ne sont pas des images que ces lecteurs ont associées au chanoine. Thèmes et qualificatifs : Origines, date et lieu de naissance originaire d’Alsace « Le prêtre » : Elève au séminaire Ordonné prêtre Ses différentes paroisses Participation à la Première Guerre mondiale Energique et téméraire Nommé à la direction des œuvres et groupements d’homme Journaliste et conférencier Touche à tous les problèmes du monde moderne Nommé chanoine honoraire « Le résistant » : Entre dans la délégation municipale Fait évader des prisonniers Généreux et téméraire Doit quitter l’administration municipale sous la pression des occupants Représente l’espoir pour ses concitoyens Indomptable, courageux Tentative d’assassinat et fuite en Haute-Marne Retour à Dijon pour la Libération Acclamé par la foule Membre du CDL et de la municipalité provisoire « L’homme politique » :

76 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

Election et réélections à la mairie de Dijon Election, réélections et rôles occupés au Conseil général de Côte d’Or Election et réélections à l’Assemblée nationale Doyen des députés Défaite aux législatives de 1967 Etat de santé déficient « L’administrateur » : Nombreuses et importantes réalisations municipales Création du lac artificiel « L’apôtre de la Réconciliation » : Son travail pour la paix et réussite des jumelages Voyages en tant que maire Récompensé pour son action Décorations Réceptions à la mairie Incarne sa ville Synthèse : Le portrait du Bien Public est organisé de manière rigoureuse. Il débute par des informations sur sa naissance, puis se divise en cinq parties. Les deux premières sont chronologiques. La troisième est chronologico-thématique, tandis que les deux dernières sont thématiques. L’ensemble du portrait est élogieux à l’encontre du chanoine. Son passé de polémiste à la parole et à la plume très incisives est incorporé dans la partie sur sa carrière ecclésiastique. Et plutôt que de revenir sur les propos excessifs qui caractérisaient son style, le journal préfère mettre en avant son engagement dans un journal catholique, qui lui permettait de toucher à tous les grands problèmes de l’époque. La partie sur son passé de résistant (quatre ans de sa vie) est plus longue que celle sur sa carrière ecclésiastique (étalée sur trente-neuf ans) et quasiment aussi longue que celle sur sa carrière politique (étalée sur vingt-trois années). Il est donc évident que Le Bien Public accorde énormément d’importance à ce moment-là de la vie du chanoine et contribue à développer une mémoire du chanoine sous un angle héroïque. Les thèmes et qualificatifs nous montrent un chanoine bravant seul ou presque l’occupant, contribuant à donner de l’espoir aux Dijonnais. A l’inverse, la partie sur les réalisations municipales de Kir est très courte et souffre de la comparaison avec la partie sur son action internationale. L’œuvre de Kir en tant que maire n’est en effet pas détaillée. Mais elle est décrite de manière élogieuse. Le Bien Public préfère visiblement mettre en avant ses engagements sur la scène internationale. Cependant, ses relations de proximité avec certains régimes socialistes et son amitié avec Khrouchtchev ne sont pas abordées. En revanche, ses actions en faveur du rapprochement franco-allemand sont soulignées, comme sa visite à Dallas, « capitale du Texas » (c’est en réalité Austin). Visiblement, le journal conservateur dijonnais préfère mettre en avant un chanoine penchant pour le bloc occidental, plutôt que pour le bloc soviétique. On peut aussi considérer que cette mise en avant de l’action internationale du chanoine peut nuancer nos remarques sur la tendance du Bien Public à localiser la portée de l’événement. SAUVAGE Maxime - 2011 77 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Sept photographies accompagnent ce long portrait. Quatre illustrent les deux parties les plus détaillées de la vie du chanoine Kir : une photographie concerne son activité résistante, trois autres ses mandats politiques (le maire, le conseiller général et le député). La première représente Kir assis sur un char de la première division blindée et Le Bien Public la date du jour de la libération de Dijon (comme nous l’avons déjà noté dans nos commentaires du tableau 41). Le journal redonne donc du crédit à un montage mis à jour six ans plus tôt. Une photographie représente Kir se voyant remettre la cravate de commandeur de la Légion d’honneur. On peut la considérer comme une preuve en image du passé héroïque du chanoine. A noter que les deux autres photographies servent à boucler la boucle du portrait. L’une montre la maison natale du chanoine, là où tout a commencé un matin de janvier 1876, l’autre montre la tombe familiale où Kir va être enterré, et où tout va se terminer.

3.2.2 Le portrait69 de France-Soir : un chanoine excentrique Titre : « Le chanoine Kir : un enfant terrible de la politique et de l’Eglise » Même sans savoir que ce titre était de France-Soir, il n’était pas difficile de le deviner. Le propos est enlevé et provocateur. La vie sacerdotale et la carrière politique du chanoine sont renvoyées dos-à-dos, tandis que sa personnalité forte est soulignée. Ce titre nous laisse penser que le portrait à venir sera sans doute moins lisse que celui du Bien Public, mais aussi moins rigoureux sur le plan du style. Sous-titre : « L’écharpe tricolore tranche sur la soutane noire. Le dernier vœu du chanoine Kir a été exaucé : il est mort maire de Dijon. C’était le dernier titre qui lui restait, celui auquel il tenait le plus » Le style reste familier, mais le propos est moins tapageur. Ici, France-Soir s’intéresse au maire de Dijon, tout en nous en donnant une description visuelle. Le journal joue sur le côté monarchique de Kir, son mandat de maire est vu comme un titre, mais le monarque était sur sa fin, il n’avait plus qu’un titre. Là encore, le message du quotidien du soir est plus complexe qu’il n’y paraît. La référence à la monarchie rappelle l’attitude autoritaire que Kir pouvait avoir quand il exerçait ses fonctions de maire. Thèmes : Hommage des Dijonnais au corps exposé à l’hôpital Décorations au pied du catafalque Anecdote sur ces décorations lors d’un conseil municipal Doyen de l’Assemblée nationale Se fait remarquer par son comportement Tentative de désobéissance à son évêque pour rencontrer Khrouchtchev Relation ambivalente avec les Dijonnais Attachant et déroutant Organisateur de la Résistance à Dijon

69 France-Soir, 27 avril 1968, p. 9 78 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

Règle la circulation à Dijon Maire qui donne son nom a une boisson alcoolisée Date et lieu de naissance origine modeste Expérience de la Première Guerre mondiale apparence cocasse, franc-parler, Prêtre organisateur goût de l’action et des responsabilités Activités pendant l’occupation Succès électoraux gestion sage de la ville Ses activités d’homme politique : congrès gastronomiques, jumelages et relation avec Khrouchtchev Député à l’Assemblée nationale turbulent, frondeur, hostile au gouvernement, éloigné des véritables enjeux Défaites électorales de 1967 Son dernier éclat Réalisation du lac artificiel Synthèse : Le portrait de France-Soir se présente de manière radicalement différente du précédent. Il commence par commenter l’actualité pour ensuite aborder des sujets qui n’ont aucun lien entre eux. Le portrait semble s’organiser à partir du paragraphe sur sa naissance. Le chanoine de France-Soir est très loin de celui du Bien Public. Bien que Kir soit avant tout vu comme un homme politique, le portrait présente un homme atypique, original, au caractère très affirmé. Le propos est la plupart du temps excessif et caricatural, mais il a parfois l’avantage de mettre en évidence des facettes moins glorieuses de la personnalité du chanoine. En effet, le caractère autoritaire, irascible et parfois grossier du personnage apparaît au détour d’anecdotes ou de citations de Kir. La référence monarchique du sous- titre se retrouve dans le corps du portrait, au moment où Kir est représenté comme le « roi de Dijon ». Cette désignation peut être considérée comme un reproche implicite. Ce n’est d’ailleurs pas la seule fois où le journal critique plus ou moins ouvertement l’œuvre du chanoine. Il est présenté comme un député déconnecté des réalités, un maire gérant sa ville comme un bon père de famille et comme le créateur d’un lac menaçant d’inonder certains quartiers. Cependant, la plume provocatrice de France-Soir donne aussi une image fantaisiste et finalement attachante du chanoine. Les anecdotes sur sa manie de faire la circulation à Dijon ou sur le nom qu’il a donné à une boisson alcoolisée ne peuvent que faire sourire les lecteurs du journal du soir. Mais, France-Soir a aussi la tendance à exagérer les actions glorieuses du chanoine Kir, quitte à déformer totalement la réalité. Le passage le plus frappant concerne son action pendant la Seconde Guerre mondiale. L’homme est d’abord décrit comme celui qui s’occupe seul de Dijon au moment de la débâcle, ce qui n’a pas été le cas. Kir n’était qu’un des cinq membres de la délégation municipale, et n’y était même pas à sa tête. Puis il est écrit qu’il a organisé « la Résistance dans la ville ». Là encore,

SAUVAGE Maxime - 2011 79 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

la réalité est déformée et exagérée. Kir n’a jamais appartenu à aucune organisation, il n’a donc pas été un organisateur des réseaux locaux. Par ces raccourcis historiques, l’image du chanoine est glorifiée de manière extraordinaire. Le portrait de France-Soir est donc une succession d’images souvent excessives et parfois mises bout-à-bout sans lien direct. L’exemple parfait de cela concerne le passage où le journaliste, pour décrire les facettes très diverses de la personnalité du chanoine, cite à la fois sa capacité à organiser la Résistance et sa tendance à faire la circulation dans les rues de Dijon.

3.2.3 Le portrait70 de La Croix : un chanoine héros de la Résistance Titre : « Le chanoine Kir » Le titre du portrait de La Croix est court et sobre. Il ne fait que donner l’identité de la personne concernée. Cela annonce-t-il un portrait sur le même ton ? Thèmes : Date et lieu de naissance Carrière ecclésiastique entrecoupée en 1914-1918 existence sacerdotale classique Auteur d’articles dans un journal catholique local et pour La Croix Gère Dijon en 1940 et organise de nombreuses évasions tient tête à l’occupant maintient l’ordre secoure les réfugiés Condamnation à mort audace tranquille Activités clandestines Tentative d’assassinat et fuite Election et réélections à la mairie de Dijon follement acclamé Elu député pittoresque Jumelage et rencontre avec Khrouchtchev Politiquement indépendant Doyen de l’Assemblée nationale discours incisifs Fidélité politique des Dijonnais à leur maire Défaites électorales

70 La Croix, 27 avril 1968, p. 4 80 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

très diminué physiquement Chute fatale robuste Décorations Synthèse : Le portrait de La Croix est à rapprocher de celui du Bien Public en ce qui concerne sa structure interne. Mais comme France-Soir, le plan n’est pas apparent. Les soixante-trois premières années de la vie de Kir sont résumées en trois paragraphes elliptiques. Il n’est fait référence à l’homme d’Eglise que dans deux petits paragraphes, dont un qui aborde très indirectement sa participation à la Première Guerre mondiale. Son passé de journaliste est survolée et le quotidien met en avant sa collaboration avec des journaux catholiques. C’est l’activité résistante de Kir que La Croix a décidé de mettre en valeur, puisque presque un tiers du portrait lui est consacrée. Cette partie se distingue du reste de l’article en raison de la présence de nombreuses erreurs historiques, qui nourrissent la légende du chanoine. Il est présenté comme le seul gestionnaire de Dijon en 1940 (cela nous rappelle le portrait de France-Soir), celui qui protège les Dijonnais et qui fait évader les prisonniers. Le journal reprend aussi deux faits, donnés ici pour vrais, dont l’existence réelle n’est pas sûre. Le premier fait concerne la condamnation à mort du chanoine par les Allemands. Pour Louis Devance : « Au cours de ses (le chanoine Kir) premiers interrogatoires, les Allemands lui signifièrent certainement que ses actes étaient passibles de la peine capitale. Est-ce cela qu’il entendit comme une condamnation à mort ? Il ne fut probablement pas jugé71 ». Le second fait avance que le chanoine Kir faisait passer des évadés en Angleterre. En effet, il a été interrogé par la Gestapo en octobre 1943, qui le soupçonnait d’être impliqué dans un réseau d’évasion, mais jamais elle ne put le prouver et le condamner. Après ce passage sur le résistant Kir, La Croix résume sa carrière politique. Sa personnalité de politicien original est soulignée plusieurs fois, notamment à travers des qualificatifs, le récit de sa relation avec Khrouchtchev ou sa volonté d’être (un) indépendant. La Croix dresse donc un portrait du chanoine Kir très positif, bien que sans emphase.

3.2.4 Le portrait72 des Dépêches : un chanoine conservateur mais humaniste Titre : « La mort du chanoine Kir. Un destin hors série » Le titre du portrait des Dépêches est pour le moment celui qui est le plus élogieux sur le chanoine Kir. Il se décompose en deux parties. La première partie est classique et austère. Ce qui accroît l’effet de la deuxième phrase du titre. La vie de Kir est vue comme « un destin », qui n’est d’ailleurs pas ordinaire, puisqu’il est « hors série ». Cela laisse présager un portrait très favorable au chanoine Kir, à la hauteur de la tonalité laudative de son titre. Thèmes : Légende vivante

71 DEVANCE Louis, Le Chanoine Kir : l’invention d’une légende, op. cit., p. 81 72 Les Dépêches, 26 avril 1968, p. 1 et 5 SAUVAGE Maxime - 2011 81 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

extraordinaire, hors série Date et lieu de naissance, origines originaire d’Alsace Séminariste brillant Carrière ecclésiastique caractère rude, sportif Contradicteur et journaliste populaire redoutable, truculent, sans concession, populaire Arrivée des Allemands à Dijon et anecdote courageux, audacieux Délégué municipal et résistant Condamnation à mort Tentative d’assassinat et fuite coriace Succès triomphaux à la Libération acclamé follement Réalisations de maire autoritaire, rude Quatre anecdotes sur son originalité Nombreuses réceptions à la mairie de Dijon La boisson kir L’indépendant en campagne seul vrai indépendant pittoresque Doyen de l’Assemblée nationale Volonté de tendre la main au bloc de l’Est Jumelage et visite de Stalingrad Relation difficile Kir-De Gaulle Visite de Khrouchtchev à Dijon Volonté de créer un lac et réalisation fougueux 1962 : début du déclin politique : ballotage aux législatives Voyages dans le bloc soviétique 1965 : ballotage aux municipales autoritaire

82 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

Soutien au candidat Mitterrand Défaites électorales vieux, affaibli Mort et héritage hors série non visionnaire Synthèse : Les Dépêches sont le quotidien qui revient le plus longuement sur la vie du chanoine Kir, ce qui lui permet d’aborder certains points de manière très détaillée. Comme pour France- Soir ou La Croix, il n’y a pas de plan apparent, mais l’article est structuré. Le portrait est d’abord chronologique, puis thématique, pour revenir à une organisation chronologique. Ce portrait est extrêmement intéressant. Contrairement à ce que laissait penser le titre, le propos est nuancé. Le portrait n’est donc pas hagiographique. Pourtant, le premier tiers du portrait, celui qui se trouve en page une et qui revient sur les soixante-neuf premières années de la vie du chanoine, est dithyrambique. Le premier paragraphe en est d’ailleurs l’illustration parfaite. Les qualificatifs ne manquent pas pour parler d’un homme qui a su entrer vivant dans la légende. L’élève est doué, le prêtre est dynamique, le polémiste est rude mais populaire. Le résistant est courageux et plein d’impertinence envers les Allemands. Une anecdote raconte que Kir refusa de serrer la main à un officier allemand, car il était colonel et non général. Ici encore, il est fait référence à la condamnation à mort du chanoine. Puis, le portrait continue en page cinq pour s’intéresser à l’homme politique. Le propos devient alors moins élogieux, sans être totalement défavorable au maire de Dijon. Les Dépêches nous présentent trois facettes du personnage, deux plutôt positives et la troisième plutôt négative. Tout d’abord, l’homme est perçu comme fantasque (plusieurs anecdotes soulignent cela) et aimé par ses administrés. L’homme politique regardant vers l’Est est présenté sur plusieurs paragraphes. On note que le journal dijonnais revient de manière très précise sur la volonté de Kir de tendre la main au bloc socialiste. La parole du journal est neutre, mais l’attention accordée à ce sujet tend à prouver que la rédaction des Dépêches n’était pas hostile à cet engagement du chanoine. A noter que dans ce portrait, les mauvaises relations que Kir entretenait avec le général de Gaulle sont abordées, comme le soutient du chanoine au candidat Mitterrand en 1965. Les engagements nationaux et internationaux du politicien Kir mis en avant dans ce portrait sont des engagements qui penchent à gauche. Kir apparaît comme un homme de gauche, et le journal dijonnais, à tendance socialiste, semble juger positivement cette facette du chanoine. En revanche, la troisième facette de Kir, celle relative à son mandat de maire, n’est pas abordée dans des termes élogieux. Tout d’abord, le journal rappelle plusieurs fois l’autoritarisme du maire de Dijon. Puis même si le journal salue quelques-unes de ses réalisations, comme un nouveau quartier ou le lac artificiel (plusieurs paragraphes sont consacrés à sa réalisation), son bilan est jugé globalement négatif. Les cinq derniers paragraphes du portrait sont très durs à ce sujet. Et ils ne sont pas sans nous rappeler la réflexion de Jean-François Bazin et Alain Mignotte sur l’absence d’héritage laissé par Kir, dont nous avons parlé à la fin de notre rapide biographie sur le chanoine. En effet, le portrait des Dépêches s’achève en pointant du doigt la stagnation de la ville de Dijon sous les mandats de Kir. La dernière phrase du portrait tombe comme un couperet (on est très loin des propos du premier paragraphe du portrait) : « L’administrateur ne semble pas avoir été à la mesure de l’apôtre de la paix73 ».

73 Les Dépêches, 26 avril 1968, p. 5 SAUVAGE Maxime - 2011 83 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Les Dépêches préfèrent donc l’humaniste au conservateur, ce qui n’est pas étonnant pour un journal de gauche. C’est peut-être aussi ce jugement critique à l’égard du maire qui est à l’origine du fait, mis en évidence dans le chapitre premier, que Les Dépêches traitent moins de l’événement dans les rubriques locales que ne le fait Le Bien Public.

3.2.5 Le portrait74 du Figaro : un chanoine au franc-parler et non pas truculent Titre : non Intertitres : Dans l’ordre du texte : «Héros de la Résistance » ; « Légende et folklore » Les intertitres du Figaro peuvent paraître surprenants au premier abord. Or, il nous rappelle les deux portraits déjà étudiés de deux quotidiens nationaux : La Croix et France- Soir. Le premier journal a insisté principalement sur le passé résistant du chanoine. Le second journal a préféré souligner la personnalité originale de Kir. Ces deux facettes sont celles mises en valeur par Le Figaro. Le résistant et la personnalité atypique seraient-ils les deux pôles principaux de la mémoire du chanoine Kir portée par la presse nationale ? L’analyse du portrait du Figaro nous permettra de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Thème : Date et lieu de naissance Scolarité Carrière ecclésiastique Expérience journalistique anti-marxiste, franc-parler, populaire « Héros de la Résistance » Délégué municipal et résistant donne du courage à la population Condamnation à mort Tentative d’assassinat et fuite Retour à Dijon acclamé Ses différents mandats indépendant Doyen de l’Assemblée nationale opposé à De Gaulle Défaite aux législatives de 1967 « Légende et folklore » : Légende vivante et folklore bourguignon

74 Le Figaro, 26 avril 1968, p. 7 84 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

populaire Réputation aux Etats-Unis et dans le monde… truculent, rabelaisien … différente de la réalité sans compromission, franc-parler, scrupuleusement honnête, totalement désintéressé Synthèse : Le portrait du Figaro est plutôt court par rapport à sa couverture globale de l’événement. Il va donc être intéressant de voir quelles informations le quotidien parisien a décidé d’intégrer à sa biographie du chanoine. Cette dernière se décompose en trois parties. Les deux premières sont chronologiques, la dernière est thématique. Le portrait débute par deux paragraphes, qui n’appartiennent à aucune des deux parties, et qui résument très succinctement les soixante-trois premières années du chanoine. Son expérience d’infirmier lors de la Grande Guerre est oubliée. Quelques lignes reviennent sur son passé de journaliste. Comme Les Dépêches, Le Figaro insiste sur le franc-parler du conférencier qui le rendit populaire, mais le journal parisien se distingue en qualifiant le journal catholique Le Bien du Peuple d’anti-marxiste. Ce faisant, c’est aussi le rédacteur en chef de l’hebdomadaire, l’abbé Kir, qui est visé. Le journal, dont la devise était : « Dieu-Patrie-Famille, La Croix et la Charrue ont fait la France », avait en effet une ligne éditoriale anti-marxiste, mais ce n’était ni la seule ni la principale. Que Le Figaro ait choisi ce qualificatif pour parler de l’hebdomadaire dont s’occupait le chanoine, vient sans doute de la volonté du journal d’utiliser une image qui parle et qui marque les esprits de ses lecteurs. En effet, cet engagement anti-marxiste permet de rapprocher les lecteurs du chanoine, ou inversement de rapprocher le chanoine des lecteurs du Figaro. La partie sur Kir résistant condense en trois paragraphes le parcours du chanoine Kir de 1940 à 1967. Le premier paragraphe, dont la taille équivaut aux deux autres, se focalise sur la Seconde Guerre mondiale. Toutes les activités plus ou moins développées dans les portraits étudiés précédemment sont présentes : la participation dans la Délégation municipale, l’aide aux prisonniers, la condamnation à mort, la tentative d’assassinat, la fuite en Haute-Marne et le retour sous les acclamations de la foule à la Libération. Aucun de ces points n’est précisément détaillé, hormis celui concernant la condamnation à mort. Une citation de Kir, qu’il aurait prononcée devant ses juges, est retranscrite. Elle montre un chanoine affrontant la mort et ses ennemis avec courage et dignité. Or, il est très probable que cette phrase ait été inventée par Kir après coup, puisqu’il n’y a aucune preuve, comme nous l’avons expliqué plus haut, de l’existence réelle de ce jugement et de cette condamnation à mort. Ici encore, la vérité est déformée et renforce l’image de héros du chanoine. Deux autres petits paragraphes énumèrent ses fonctions politiques locales et nationales. Puis le journal consacre la dernière partie du portrait à l’homme et à sa personnalité fantasque. On retrouve la formule « légende vivante » utilisée par Les Dépêches, et le journal parisien met en avant la renommée internationale du maire de Dijon, qui serait due, toujours selon le titre de droite, à sa truculence. Cependant, Le Figaro tente de montrer que cette originalité n’est pas de la truculence mais une tendance à toujours vouloir donner son avis. Le journal parisien porte donc une mémoire du chanoine qui essaye de rectifier une représentation largement partagée par l’opinion concernant la personnalité de Félix Kir. Ici, Le Figaro impose ouvertement sa mémoire, en tentant de corriger la légende, qui est aussi une autre forme de mémoire. Mémoire qui est avant tout positive : le portrait s’achève sur des qualificatifs très élogieux pour le chanoine.

SAUVAGE Maxime - 2011 85 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

3.2.6 Le portrait75 de L’Humanité : un chanoine doyen de l’Assemblée nationale Titre : « Ancien doyen de l’Assemblée. Le chanoine Kir est mort » A la lecture de ce titre, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, L’Humanité impose d’emblée à ses lecteurs une représentation précise du chanoine Kir. Cela nous rappelle nos remarques issues de l’analyse du tableau 34. Va-t-on retrouver cette représentation dans le portrait ? Il ne fait pas de doute. La seconde remarque concerne la deuxième phrase du titre : le journal annonce la mort du chanoine Kir. Comme nous l’avons montré plus haut dans ce travail, la couverture de la disparition du maire de Dijon est extrêmement succincte dans L’Humanité. Le portrait a donc deux fonctions : il va informer les lecteurs de la mort de Kir et il va revenir sur sa vie. Thèmes : Annonce de la mort du maire de Dijon et doyen de l’Assemblée nationale Son expérience pendant la Seconde Guerre mondiale : résistant, arrêté, condamné et blessé Parcours politique : maire, député et conseiller général (jusqu’en 1967), et doyen de l’Assemblée nationale Engagements internationaux : amitié franco-soviétique, jumelage avec Stalingrad, rencontre avec Khrouchtchev dynamique Décorations Synthèse : Le portrait de L’Humanité est le plus court des huit portraits de notre corpus. Il est principalement organisé de manière thématique. Il est toutefois loin d’être le portrait le moins intéressant à analyser. En effet, la mémoire du chanoine portée par le quotidien communiste est la plus marquée idéologiquement. La présence de toutes les informations ou presque que l’on peut trouver sur la vie du maire de Dijon dans ce portrait peut s’expliquer en fonction de l’orientation idéologique du journal. Le premier paragraphe, qui annonce le décès de Kir, commence par rappeler sa fonction de doyen des députés. Cela nous renvoie au titre du portrait et à notre réflexion sur la particularité de cette fonction pour les communistes français. La biographie de L’Humanité occulte complètement la carrière ecclésiastique du chanoine. De toute évidence, l’homme d’Eglise à tendance anti-marxiste n’est pas une facette de Kir qui intéresse le quotidien. L’orientation idéologique du journal est-elle à l’origine de ce choix ? Cette hypothèse n’est pas à exclure. L’Humanité commence donc son portrait à partir de la Seconde Guerre mondiale. Les principaux événements qui marquent le parcours du chanoine à cette époque sont abordés brièvement. La carrière politique du chanoine est aussi rapidement traitée. On note d’ailleurs que la fonction de doyen de l’Assemblée nationale occupée par Kir est reprécisée. Le portrait se termine sur les actions internationales du chanoine. Pour la seule et unique fois, un adjectif qualificatif est utilisé pour décrire Kir : « dynamique ». Cette partie n’est en fait qu’une énumération des

75 L’Humanité, 26 avril 1968, p. 5 86 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

différents engagements pro-soviétiques du maire de Dijon. La mémoire du chanoine portée par L’Humanité est donc assez neutre sur l’homme, puisqu’aucun qualificatif ou presque ne concerne la personnalité du chanoine. En revanche, son action internationale est mise en avant quand elle est en lien avec le bloc soviétique. La vie de Kir n’est vue qu’au travers un prisme idéologique bien précis, qui met de côté des pans entiers et nombreux du très long parcours du chanoine. A la lecture de ce portrait, on pourrait presque croire que Kir était communiste.

3.2.7 Le portrait76 du Monde : un chanoine politique (juché sur son char) Titre : non Thèmes : Un député pas comme les autres pittoresque, bonhomie, accent rocailleux, turbulent Arrivé à 69 ans en politique au sortir de la Résistance Mission sacerdotale et journalisme Date et lieu de naissance Séminariste Résistant, arrêté, puis victime d’un attentat Retour à Dijon sur un char Succès électoraux populaire Orientations politiques indépendant, anti-gaulliste Pacifisme et développement des jumelages Ses difficultés avec sa hiérarchie à propos de Khrouchtchev Fonction de doyen de l’Assemblée nationale et discours ton de prédicateur Déclin et défaites politiques, se classe dans l’opposition Déclin physique Synthèse : La structure du portrait du Monde correspond à la mise en page traditionnellement sobre du journal. C’est la biographie la plus longue de la presse parisienne, atteignant quasiment les mille mots. L’agencement interne du portrait est original, notamment au début, et combine une présentation thématique et une présentation chronologique.

76 Le Monde, 27 avril 1968, p. 8 SAUVAGE Maxime - 2011 87 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Le portrait du chanoine Kir rédigé par André Laurens77 est atypique. Le ton se veut neutre tout au long du document, sauf dans le premier paragraphe. En effet, les vingt- huit premières lignes dépeignent Kir comme un député pittoresque, au style vestimentaire orignal et à la bonhommie communicative. Le chanoine Kir est donc dès le départ présenté comme un personnage folklorique, représentation que rejette d’ailleurs Le Figaro comme nous l’avons vu. Cette entame de portrait équivaut en fait à une photographie textuelle du chanoine. En la lisant, le lecteur peut se représenter visuellement le chanoine et peut même imaginer entendre sa voix marqué par un fort accent bourguignon. Après la description de l’homme, le journaliste s’attache à la description de sa vie. Il préfère commencer par parler de la deuxième naissance du chanoine, sa naissance politique en 1945, plutôt que de la première qui eut lieu en 1876, ce qui peut être interprété comme une preuve de l’intérêt porté à Kir homme politique plutôt qu’à Kir homme d’Eglise. En effet, une fois encore, les soixante-quatre premières années de la vie du chanoine sont résumées en quelques lignes. Le journal du soir s’arrête sur les principaux événements qui affectent le parcours du chanoine à ce moment-là : les activités clandestines, l’arrestation par les Allemands ou la tentative d’assassinat par la Milice. Mais le plus étonnant est de constater que le journaliste reprend la légende du char sans préciser l’imposture. Le quotidien, délibérément ou non, donne du crédit à un montage découvert six ans auparavant. Dans les deux cas, cette erreur journalistique est surprenante de la part d’un journal de référence comme Le Monde, alors même que le quotidien du soir est un des seuls journaux de notre corpus à ne pas abusivement parler de condamnation à mort. La suite du portrait se focalise essentiellement sur l’homme politique, ses partis pris nationaux et ses engagements internationaux. Le journal s’attarde en effet sur les successives orientations politiques du chanoine, sur les thèmes de ses discours de doyen à l’Assemblée nationale, ou sur sa volonté de rapprocher les peuples, entre autres par le jumelage. Le portrait offre donc une véritable consistance à la carrière politique du chanoine, consistance qui cependant met de côté ses réalisations au niveau local. Cet intérêt porté à l’homme politique se retrouvait déjà dans le tableau 35. André Laurens, au nom du Monde, développe une mémoire du chanoine positive et à la teneur politique.

3.2.8 Le portrait78 du Parisien-Libéré : un chanoine bâtisseur Titre : « Le chanoine Kir, ancien doyen de l’Assemblée nationale, maire de Dijon, est mort » Le titre a deux fonctions. Premièrement, il annonce aux lecteurs la disparition du chanoine Kir. Deuxièmement, il le désigne à travers deux de ses fonctions politiques, peut-être les deux qui ont le plus marqué l’opinion : le maire et le doyen de l’Assemblée nationale. Sous-titre : « Ancien doyen de l’Assemblée nationale, maire de Dijon, député et conseiller général de la Côte d’Or pendant vingt-deux ans, le chanoine Félix Kir est mort, hier après-midi, au centre hospitalier ultra moderne du Bocage, à Dijon, qu’il avait fait construire. Il avait fait une chute, le 16 avril, dans ses escaliers ».

77 André Laurens est par la suite directeur de la publication du journal Le Monde, de 1982 à 1985. 78 Le Parisien-Libéré, 26 avril 1968, p. 3 88 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

Le sous-titre a aussi plusieurs utilités. D’une part, il permet de présenter plus longuement le chanoine Kir, ici à travers ses mandats politiques. D’autre part, il contextualise l’événement temporellement et géographiquement, tout en donnant son origine. Ce sous-titre a finalement la fonction d’une brève. La précision sur le lien entre Kir et le Bocage est surprenante. Peut-être que l’analyse du portrait pourra nous apporter quelques explications sur cette remarque. Intertitre : « Un personnage et une personnalité » Le seul intertitre du portrait concerne la personnalité de Kir. Cela peut laisser imaginer que c’est principalement sur l’homme que Le Parisien-Libéré va revenir. Thèmes : Date et lieu de naissance, origines sociales Nombreuses réalisations locales populaire Création du lac et inondation qui faillit le tuer « Un personnage et une personnalité » Député atypique truculent et légendaire Action pour les jumelages, notamment Stalingrad Rencontre avec Khrouchtchev annulée sur demande de l’évêque Défaite aux législatives Résistant, traqué par la Gestapo, blessé par la Milice Décorations Synthèse : Le portrait du Parisien-Libéré est un des plus courts de notre corpus. Sa structure partage des similarités avec celle de France-Soir. Ce sont les seuls journaux à avoir eu recours à une titraille aussi développée pour annoncer le portrait. Cela s’explique par leur mise en page habituelle. Ces deux journaux populaires ont tendance à multiplier les articles courts, qui se succèdent de manière pas toujours organisée. L’utilisation de titres et de sous- titres permet de donner de la visibilité à un article. C’est le cas pour les portraits du chanoine Kir. Une autre similarité concerne l’agencement interne du portrait. Les portraits des deux titres populaires sont organisés de manière désordonnée. Les paragraphes se succèdent sans justification chronologique ou thématique. Le portrait du Parisien-Libéré se rapproche aussi de celui de France-Soir au niveau du fond. L’originalité du chanoine est continuellement mise en avant, à travers des anecdotes légèrement exagérées ou à l’aide d’un vocabulaire familier. Par exemple, le journal parisien raconte qu’un jour d’inondation au lac artificiel, la voiture du chanoine est menacée par les eaux. Kir en réchappe en décidant d’abandonner sa « 2 CV » et de courir « la soutane retroussée ». L’image prête à rire. A noter que Kir se déplaçait en DS (elle appartenait à la mairie) et non en 2 CV. L’erreur vient sans doute du fait que quelques semaines avant la disparition du maire de Dijon, le film « Le gendarme se marie » était sorti sur les écrans français. C’est dans ce film que le maréchal des logis-chef Ludovic Cruchot, interprété par Louis de Funès, croise la route d’une bonne-sœur dévalant les routes de Saint-Tropez SAUVAGE Maxime - 2011 89 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

avec sa 2 CV. Le Parisien-Libéré a très certainement confondu les deux ecclésiastiques. Toutefois, le ton général du portrait est moins provocateur que celui de son homologue populaire du soir. Le portrait est original sur plusieurs points. Tout d’abord, il n’évoque pas une seule fois la carrière religieuse de Kir. De plus, ses deux premiers paragraphes (un tiers du document) se focalisent sur les réalisations locales du maire de Dijon. En proportion de la taille du portrait, c’est le journal qui s’intéresse le plus à ce point. On comprend mieux la précision du sous-titre, informant les lecteurs que l’hôpital flambant neuf de Dijon est une des réalisations de Kir. Le quotidien met en avant la construction de nouveaux quartiers et bâtiments, ainsi que la création du fameux lac. On peut expliquer cet intérêt pour le développement urbain de Dijon impulsé par le chanoine par le fait que les lecteurs du Parisien-Libéré sont avant tout des urbains, confrontés quotidiennement aux problématiques des infrastructures urbaines. La politique municipale du chanoine peut donc légitimement intéresser les lecteurs du journal. De manière plus classique, le quotidien aborde le passé résistant, l’action internationale et le rôle de doyen de l’Assemblée. Toutefois, quelques remarques doivent être faites. Son activité résistante est exagérée. En aucun cas, Kir n’a mis en place un réseau d’évasion vers l’Angleterre. Concernant son entrevue avec Khrouchtchev, Le Parisien-Libéré, comme France-Soir, soulignent le fait que cette rencontre a été rendue impossible sur ordre express de l’évêque. Visiblement, les deux journaux populaires s’amusent de l’image d’un chanoine se faisant sermonner par son évêque. Enfin, son statut de doyen de l’Assemblée nationale est évoqué pour mettre en avant sa truculence. Par conséquent, le portrait du Parisien-Libéré cherche à développer une mémoire du chanoine que l’on pourrait qualifier de bienveillante.

Conclusion

Ce chapitre constituait la dernière étape de notre étude sur le traitement de la mort du chanoine Kir par la presse nationale française et la presse côte d’orienne, et il portait sur une étude comparée des portraits revenant sur la vie du chanoine Kir pour chaque journal. Notre objectif était de montrer que chaque titre de presse développe sa propre mémoire du chanoine Kir. Certaines mémoires se ressemblent, tandis que d’autres sont radicalement différentes. En sélectionnant huit journaux, nous avons mis en évidence huit mémoires différentes du personnage. Cependant, certaines facettes du maire de Dijon se retrouvent dans tous les portraits analysés. Dans notre deuxième chapitre, l’étude de toutes les dénominations désignant Kir nous avait permis de dégager un premier portrait-type du chanoine. Avec notre démarche du chapitre trois, nous pouvons préciser ce portrait. Félix Kir, connu sous l’appellation « chanoine Kir » et né à plus de soixante ans (sa vie d’avant la Seconde Guerre mondiale est soit éludée, soit résumée très sommairement), est un ancien grand résistant, arrêté par les Allemands et grièvement blessé par la Milice, qui s’est lancé avec succès en politique à la Libération, porté par le soutien sans faille des Dijonnais. Ses mandats de maire et de député-doyen de l’Assemblée nationale lui ont apporté une réputation nationale, devenue internationale par son engagement en faveur du rapprochement des peuples. Cet engagement est illustré à merveille par son action en faveur des jumelages et par sa main tendue au Bloc soviétique. Mais sa renommée devait aussi beaucoup à sa personnalité atypique, que beaucoup considéraient comme truculente.

90 SAUVAGE Maxime - 2011 CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DU CHANOINE KIR, QUELLE(S) MEMOIRE(S) ?

Ce portrait-type est donc favorable à l’ancien député-maire de Dijon. Seules Les Dépêches dressent un portrait du chanoine un peu plus nuancé. Cela confirme nos hypothèses des deux premiers chapitres qui voyaient dans la couverture large et diversifiée du journal dijonnais, une possibilité pour une analyse plus poussée sur le parcours du chanoine. Comme nous l’avons dit, chaque journal porte une mémoire particulière. Chacune des mémoires est conditionnée par le type de lectorat des quotidiens. En effet, les titres de presse ont des publics déterminés. Les différents portraits du chanoine sont écrits de manière à ce qu’ils intéressent les lecteurs. Nous sommes donc bien loin d’une démarche historique de la part des journalistes, comme nous le présupposions d’ailleurs. Mais, si chaque journal a son audience particulière, c’est parce qu’il possède des caractéristiques précises. Les lecteurs font le journal et le journal fait les lecteurs. Ces caractéristiques nous renvoient à nos trois clivages. En effet, si L’Humanité par exemple axe son portrait de Kir sur son rôle de doyen de l’Assemblée nationale et sur sa sympathie pour l’U.R.S.S., c’est à la fois un moyen de susciter l’intérêt du lecteur et une façon de mettre en avant l’orientation idéologique du journal. Si Les Dépêches et Le Bien Public reviennent aussi longuement sur la vie du chanoine, c’est en raison du grand intérêt porté à l’événement par les lecteurs dijonnais du journal. Si France-Soir adopte un ton familier pour raconter le chanoine, c’est autant par tradition éditoriale que par volonté de correspondre aux attentes des lecteurs. Par conséquent, les trois clivages qui nous intéressent se retrouvent validés. La presse locale, par des longs portraits, développe une mémoire plus dense du chanoine que la presse nationale, tandis que l’orientation idéologique influe soit sur la tonalité du portrait, soit sur les images retenues qui composent la mémoire. Enfin, le clivage presse de qualité/presse populaire est souligné par la tendance des journaux populaires à porter une mémoire axée sur l’homme et donc sur le personnage.

SAUVAGE Maxime - 2011 91 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

CONCLUSION

Nous voici arrivés au terme de notre étude sur le traitement de la mort du chanoine Kir par la presse nationale française et la presse côte d’orienne. Dans le premier chapitre, nous avons comparé quantitativement les couvertures de l’événement de chaque journal. Les résultats obtenus nous ont permis de déterminer l’importance que chaque quotidien a accordée à la disparition du maire de Dijon. Dans le deuxième chapitre, nous nous sommes intéressés au fond de chacune des couvertures, afin de mettre en évidence les thèmes abordés et les représentations associées au chanoine Kir. Dans le troisième et dernier chapitre, nous avons focalisé notre regard critique sur les portraits retraçant la vie de maire de Dijon dans chacun des huit titres de presse de notre corpus, dans le but de comparer les différentes mémoires de Kir que porte la presse. Faisons maintenant un bilan du traitement de la mort du chanoine Kir par journal : Le Bien Public La couverture la plus large Le Bien Public est le quotidien qui, en volume, accorde le plus de place au traitement de la disparition du chanoine Kir. Nous pouvons donc affirmer que c’est le quotidien qui donne le plus d’importance à l’événement. C’est aussi le journal qui, sur la durée, revient le plus sur l’événement. Presque un tiers des documents relatifs à la mort de Kir relevés dans Le Bien Public se trouvent dans l’édition du 30 avril 1968. Approche par les commentaires, la facette politique de Kir et les photos d’actualité Le Bien Public a recours à un traitement médiatique qui privilégie les réactions aux documents analytiques. Les informations factuelles rendent compte de manière très précise la chronologie des événements sur la période étudiée. Le quotidien dijonnais se distingue en désignant régulièrement Kir par ses nombreuses fonctions politiques. Le journal inclut un grand nombre de photographies, qui illustrent principalement le déroulement des événements de la mort du chanoine à ses funérailles. Portrait élogieux et détaillé Le Bien Public dresse un long portrait du chanoine Kir, dans lequel l’homme privé et l’homme public sont jugés favorablement. Ses actions héroïques sont mises en avant, quand d’autres facettes sont édulcorées voire oubliées (son passé de polémiste, son autoritarisme, ses relations avec Khrouchtchev). France-Soir Une couverture sommaire mais visible France-Soir se distingue par la couverture immédiate de l’événement, qui correspond à sa fonction de journal officiel, notion chère à Jacqueline Freyssinet-Dominjon.

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Cependant, l’ensemble de la couverture est quantitativement sommaire et faiblement diversifiée, avec une absence de documents de commentaire. Approche factuelle, à l’illustration neutre, mais aux dénominations provocantes France-Soir privilégie en grande majorité les informations factuelles dans son traitement de la mort du chanoine Kir. C’est le titre parisien qui illustre le plus l’événement, mais les deux photographies utilisées montrent un chanoine comme il pourrait apparaître sur ses photographies d’identité. Le quotidien du soir n’hésite pas à recourir à des désignations chocs pour désigner le chanoine. Portrait acidulé mais tout de même positif France-Soir revient sur la vie du chanoine Kir de manière désordonnée, partielles et souvent anecdotiques. Les bons mots cachent parfois des légers reproches, mais le portrait véhicule une image globalement positive et affectueuse de Kir. La Croix Une couverture modeste mais visible La Croix s’illustre, comme France-Soir, par une couverture qui débute dans l’édition datée du 26 avril 1968, avec une brève en première page. Le journal catholique revient peu sur l’événement, mais il le traite dans ses premières pages et intègre une déclaration. Approche factuelle, à l’illustration neutre, sobre lexicalement La Croix couvre l’événement principalement à travers des informations factuelles, mais le journal ne considère pas utile de revenir sur le déroulement des funérailles du chanoine. La seule illustration du chanoine est neutre, montrant le visage d’un homme tel qu’il était dans la dernière partie de sa vie. Le journal catholique ne se distingue pas par une utilisation massive et variée de dénominations pour parler du chanoine, bien au contraire. Les désignations renvoient essentiellement à sa fonction de maire de Dijon. Portrait glorifiant l’action du résistant Kir La Croix consacre une grande partie de son portrait à l’expérience de Kir pendant la Seconde Guerre mondiale. Les faits sont exagérés et le chanoine apparaît comme un très grand résistant. Le reste du portrait est plus sobre et évoque brièvement la carrière politique de Kir. Les Dépêches Une couverture complète Les Dépêches offrent à ses lecteurs une couverture large et diversifiée de la disparition du maire de Dijon, avec un grand nombre de documents de commentaire et d’illustrations. Il faut toutefois noter que la couverture est inégale dans le temps, avec un traitement médiatique qui s’essouffle après le weekend.

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Approche par les documents analytiques, les photographies d’archive et les différentes facettes de Kir Les Dépêches sont le journal qui utilise le plus de documents analytiques pour couvrir l’événement. Les portraits, revenant sur la vie de l’homme, sont préférés aux informations factuelles, concernant les préparatifs et le déroulement des cérémonies. Ce choix se retrouve dans les illustrations, qui sont pour la plupart des photographies d’archive, représentant Kir à différents moments de sa vie. Les représentations du chanoine véhiculées par les nombreuses dénominations utilisées par le journal sont un prolongement des deux remarques précédentes. Le chanoine, bien que principalement désigné par des termes renvoyant à sa carrière politique, est vu sous plusieurs angles, permettant de saisir un peu mieux la complexité du personnage. Portrait détaillé et nuancé Les Dépêches sont le quotidien qui dresse le plus long portrait du chanoine. De nombreux moments de sa vie sont abordés, certains de manière très détaillée. Le portrait adopte tout d’abord un ton dithyrambique (notamment pour décrire ses actions durant l’Occupation), puis il devient plus nuancé pour parler de l’après-1945. Il se termine par une descente en règle du bilan de maire de Kir. Les Dépêches distinguent deux hommes : l’apôtre de la paix, qu’elles jugent favorablement, et le maire conservateur, qu’elles jugent très négativement. Le Figaro Une couverture correcte et diversifiée Le Figaro est le titre parisien qui accorde le plus d’importance à l’événement en termes quantitatif. Mais, son traitement médiatique est tout de même très inférieur à celui de la presse dijonnaise. De plus, sa couverture bénéfice d’une bonne visibilité et fait intervenir des signatures extérieures à la rédaction Approche factuelle, à l’illustration neutre, axée sur les mandats nationaux de Kir Le Figaro aborde le sujet du décès du chanoine d’une manière majoritairement factuelle. Le journal de droite intègre une photographie représentant Kir à sa couverture de l’événement, mais celle-ci, de format portrait, représente Kir de manière la plus classique qui soit. Tout au long des documents, le relevé des dénominations désignant le chanoine montre que le quotidien le représente essentiellement comme un homme politique national. Portrait élogieux, qui se veut objectif Le Figaro porte une mémoire positive du chanoine Kir. Là encore, le résistant est mis en avant, puis c’est l’homme politique. Le portrait du journal de droite estime nécessaire de mettre fin à une idée reçue sur la personnalité du chanoine (sa truculence) et essaye d’imposer ouvertement sa vision de l’homme (personnage au franc-parler, qui ne sait pas se taire). L’Humanité

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Une couverture confidentielle L’Humanité est le journal qui revient le moins sur la mort du chanoine Kir, avec un total de deux documents relevés. Cette couverture dérisoire exclut donc la présence d’illustrations ou même de déclarations. Approche mi-factuelle mi-analytique, sans illustration, peu variée lexicalement L’Humanité aborde la disparition de Kir à travers un document aux informations factuelles et un portrait. Aucune photographie n’est utilisée pour illustrer l’événement Les dénominations désignant Kir mettent en avant l’homme politique et notamment le doyen de l’Assemblée nationale. Portrait idéologiquement connoté L’Humanité dresse un portrait de Kir très bref et extrêmement marqué par l’orientation politique du journal. La vie de Kir est vue à travers un prisme communisant, qui écarte la plupart de son parcours pour ne conserver que ses aspects acceptables (d’un point de vue communiste bien sûr). Le Monde Une couverture visible mais partielle Le Monde est le seul journal du soir qui ne parle pas de la disparition de Kir dans son édition du jeudi. Cependant, dans ses deux éditions qui reviennent sur l’événement, une annonce en première page attire l’attention des lecteurs sur le sujet. Approche factuelle, sans illustration, axée sur des représentations politiques de Kir Le Monde couvre le décès de l’ancien député-maire de Dijon d’une manière principalement factuelle. L’absence d’illustration est une marque de fabrique du grand quotidien du soir. Les termes employés pour désigner le chanoine renvoient surtout à la carrière politique du natif d’Alise-Sainte-Reine. Portrait favorable au chanoine Le Monde est le journal parisien qui dresse le plus long portrait du chanoine. Le propos est sobre, sauf à deux occasions, ce qui rend la tonalité générale du document favorable à l’égard du chanoine. Le portrait commence par décrire l’allure atypique et la personnalité pittoresque du chanoine. Ce faisant, l’image ne peut que séduire les lecteurs. D’autre part, le passé de résistant de Kir est enjolivé, ce qui, là encore, n’est pas à la défaveur du maire de Dijon. A noter que le quotidien du soir s’efforce de donner de la consistance à l’œuvre politique de Kir Le Parisien-Libéré Une couverture discrète

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Le Parisien-Libéré offre une couverture modeste à l’événement, avec seulement quatre documents relevés. Toutefois, une visibilité correcte et la présence d’une photographie donne un peu plus de valeur au traitement médiatique du journal parisien. Approche factuelle, à l’illustration neutre, axée sur le politicien et l’homme Le Parisien-Libéré privilégie les informations factuelles pour aborder le sujet du décès du maire de Dijon. Le choix de l’illustration est le même que pour France-Soir, La Croix et Le Figaro. Les termes relevés servant à désigner Kir le représentent essentiellement comme un homme politique, mais le journal se distingue en utilisant plusieurs dénominations qui renvoient à l’homme et à sa personnalité. Portrait désordonné, mais globalement positif Le Parisien-Libéré dresse un portrait du chanoine Kir qui n’aborde que très partiellement sa vie. Ses réalisations municipales sont soulignées, lui donnant l’image d’un maire bâtisseur. Sans adopté un ton laudatif, le portrait porte tout de même une mémoire positive du chanoine qui passe avant tout pour un original et un grand résistant. Abordons maintenant la problématique des clivages. La sélection des titres de presse de notre corpus s’est faite autour de trois clivages : le clivage géographique, le clivage politique et le clivage concernant le type de presse. Se sont-ils révélés pertinents dans l’analyse du traitement de la mort du chanoine Kir par la presse nationale française et côte d’orienne ? Le premier clivage, le clivage géographique, a été le plus déterminant pour expliquer les différences de traitement entre les journaux. En effet, les deux quotidiens dijonnais, par leur statut particulier et privilégié de presse locale, ont accordé nettement plus d’importance à l’événement que la presse parisienne. Sur la période étudiée, la mort de Kir était la grande nouvelle de l’actualité. Pour la presse parisienne, cette disparition était considérée comme une nouvelle parmi de nombreuses autres. En volume, la couverture des Dépêches et du Bien Public est sans commune mesure avec celles de leurs homologues parisiens. Concernant la structure interne de cette couverture, ce sont les deux seuls journaux à ne pas privilégier une approche factuelle et à illustrer abondamment l’événement. Ces deux quotidiens sont aussi ceux qui dressent les plus longs portraits du chanoine. Kir était une gloire locale, et non une gloire nationale. Cela s’est ressenti vivement tout au long de ce travail. Le clivage politique, comme nous le pressentions, s’est avéré être un facteur nettement moins déterminant pour expliquer les différents traitements médiatiques. Les journaux dits de gauche n’ont pas développé un type particulier de couverture médiatique. Et il en est de même pour les journaux dits de droite. Là où l’orientation politique a joué un rôle concerne l’élaboration des mémoires associées au chanoine Kir. Si pour Le Bien Public, son orientation politique marquée à droite a sans doute justifié son oubli (qui reste mineur) de mentionner la relation particulière qu’entretenait Kir avec Khrouchtchev, l’orientation politique de L’Humanité a entièrement conditionné ses représentations du chanoine Kir. Cela ne veut cependant pas dire que les quotidiens situés dans le même camp politique ont nécessairement développé un même imaginaire sur le personnage

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Le clivage presse de référence/presse populaire s’est révélé être pertinent épisodiquement. Le premier chapitre nous a appris que les quotidiens dits populaires avaient un degré d’ouverture très faible, tandis que les journaux de qualité estimaient indispensable la présence de réactions pour couvrir convenablement l’événement. Le deuxième chapitre a mis en évidence la tendance des journaux populaires à utiliser de nombreuses dénominations renvoyant à la personnalité du chanoine. Le troisième chapitre est celui où le clivage en question dans ce paragraphe est apparu le plus clairement. En effet, France-Soir et Le Parisien-Libéré ont tous les deux développés un imaginaire semblable associé au chanoine Kir. En fin de compte, ce sont les caractéristiques communes à ces deux journaux qui ont rendus pertinent ce clivage et non les caractéristiques partagées par Le Figaro et Le Monde, qui sont apparues moins évidentes tout au long de ce mémoire.

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Annexes

(A consuter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon)

98 SAUVAGE Maxime - 2011 Bibliographie

Bibliographie

Ouvrages

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Travaux universitaires

GAMBA Béatrice, La mort et les morts dans la presse. Etude sémiologique de la presse quotidienne française, Thèse de doctorat Sciences de l’information, Université Panthéon-Assas (Paris 2), 1994, 376 p. TARDY François, Le traitement de la mort du général de Gaulle dans la presse canadienne, Mémoire de recherche d’histoire, IEP de Lyon, Université Lumière Lyon II, 2004/2005, 144 p. SAUVAGE Maxime - 2011 99 Le traitement de la mort du chanoine kir par la presse nationale française et côte d'orienne

Articles

DELPORTE Christian, "Mise en scène médiatique de la mort de Chaban-Delmas", in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2006/2, n°90, pp. 141-153 DULONG Delphine, "Mourir en politique. Le discours politique des éloges funèbres", in Revue française de science politique, 44e année, n°4, 1994, pp. 629-646 FREYSSINET-DOMINJON Jacqueline, "Une mort aux quotidiens : le portrait de François Mitterrand à la une des journaux nationaux du 9 janvier 1996", in Sociétés et Représentations, 2001/2, n°12, pp. 89-106 GRANET-ABISSET Anne-Marie, BENOIT Bruno, "Introduction", in Bulletin du centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale, 1-2 1997, pp. 5-10 RICHARD Gilles, "La renaissance de la droite modérée à la Libération. La fondation du CNIP", in Revue Vingtième Siècle, janvier-mars 2000, n°65, pp. 59-70

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