Conrad Celtes, L'archihumaniste, Et L'université De Cracovie [W:] Rocznik
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CLAUDE RAKOWSKA-JAILLARD Conrad Celtes, l’archihumaniste, et l’université de Cracovie Toutes les époques, tous les mouvements, toutes les mo des ont eu leurs vedettes, et les vedettes leurs "fans". L’Humanisme, mouvement d’esprit, ne fit pas exception à la r è g l e . Dans la cour d'honneur de l'université de Vienne un mo nument se dresse qui porté cette inscription: "Conradus Cel- tis Protucius, Ostrofrancus, triformis philosophiae Doctor, primus inter Germanos Imperatorius manibus Poeta Laureatus Collegii poetarum et mathematicorum in aima Universitate V ien n en si quondam P r a e fe c tu s e t S u p e rin te n d e n s". Sur le coté est de la cathédrale Saint-Stéphane, une plaque commémore Conradus Celtes dont la dépouille mortelle f u t con d u ite i c i en grande pompe par tou s le s membres de l ’Université et tous les notables de la ville. De mémoire d’homme on n’avait vu pareille cérémonie. Ce n'était pas seulement Vienne ni même l'Autriche qui rendaient un der nier hommage à celui qui, le 4 février 1508, était passé de vie è trépas: tous les pays de langue allemande étaient en deuil. Par la suite, le 1-er février fut fêté comme "nata- lem renascentium in Germania litterarum" parce que Conradus Celtes avait vu le jour 1-er février. Si le conseil de l'Université avait organisé et réglé le cortège funèbre, la pierre tombale, elle, était due au projet du défunt lui-mêtae: une feuille de parchemin pliée 143 en deux, d’un coté les insignes du Collège des Poètes, de l ’autre les titres de celui qui en était le fondateur. Astrologue, il avait prévu la durée exacte de sa vie laquel le devait être, selon ses calculs, de sept fois sept ans, à quoi la mort, peu généreuse, semblait avoir ajouté trois jours supplémentaires. Qui dope était ce personnage si célèbrone dont bien peu de gens aujourd’hui connaissent encore le nom? Professeur, il fonda de nouvelles chaires dans plusieurs universités allemandes, réforma les méthodes d’enseignement, contribua à purifier le latin et introduisit l ’enseignement du g r e c . Poète, il surpassa tous ses prédécesseurs par l ’impor tance quantitative de son oeuvre et par la m ultiplicité des sujets traités. Ses Odes - quatre livres - connurent un grand succès. Ses Elégies et ses Epigrammes - cinq livres - ont une moindre valeur et sont par endroits vulgaires et impertinentes. Géographe, il fit connaitre la célèbre carte de l ’Empi re romain qu’il légua à Conrad Peutinger d’oh le nom de Tabula Peutingeriana sous lequel elle passa à la postérité. Parmi ses oeuvres géographiques retenons: Germania Genera- lis et De origine situ moribus et institutis Norimbergae l i b e l l u s . Etait-ce le géographe, le poète, le professeur ou le fondateur du Collège de Poésie et de Mathématiques que l ’on conduisait avec tant de respect à sa dernière demeure? Son testament confirmait la liquidation dudit Collège qui déjà avant le décès de son fondateur avait cessé de fonctionner. P ro fe sse u r , i l é t a i t fortem en t c r itiq u é pour son manque de conscience professionnelle, ses fréquentes absences et le mépris avec lequel il traitait ses élèves. Ecrivain, il avait la réputation - bien méritée - d’être irrespectueux, mauvais plaisant et mauvais chrétien au point qu’en Espagne 144 Conrad C eltes re ço it la couronne de laurier des mains de Maximilien 1er (Attribué à A. Dürer) 145 le Conseil de l ’Inquisition l ’avait mis à l ’Lndex. Quant à ses travaux géographiques, on s'en souciait fort peu à l ’époque. Alors pour qui toute cette pompe? Celui qu’on enterrait à Saint-Stéphane, c’était Conrad Celtes l ’humaniste celui que ses futurs biographes appelle ront unanimement ”der Erzhumanist", l ’humaniste par excellen ce, 1’archj.humaniste, l 'apôtre de cet évangile nouveau qu’ é t a i t l ’ humanisme au début du XVIe s i è c l e . Toutes les époques ont leurs représentants typiques, des etres qui sont comme le reflet vivant de leur temps. Conrad Celtes fut un de ceux-là. Principale cheville ouvriè re de l'humanisme qu’il incarna, en lui se cristallisèrent les aspirations les plus nobles comme les plus mesquines de ses compatriotes, leurs enthousiasmes et leurs doutes, leurs vertus et leurs vices, leur esprit, leur lourdeur, leur ru desse. On ne songe pas toujours en regardant une cathédrale à en admirer le soubassement. Celtes fut une des poutres maitresses sur lesquelles repose l'édifice qu'est l'huma nisme allemand: sur le plan des réformes de l'enseigneme t notamment, il est sans conteste celui dont l'influence fut décisive dans le changement d'orientation que subirent les universités au XVIe siècle. D’autres que lui défendirent les idées nouvelles et cer tains trouvèrent grace devant l ’inexorable Oubli: Rodolphe Agricole, Reuchlin, Erasme, Ulrich von Hutten, et cependant aucun d'eux n’a mobilisé les esprits comme Conrad Celtes. C’est cela que ses contemporains savaient, sentaient, com prenaient. En portant Celtes en terre, Vienne et tous les pays de langue germanique hissaient l ’étendard de l'huma nisme: son nom était cet étendard, lui-même le fidèle miroir de son époque. Si fidèle qu’à travers sa vie on peut suivre l ’évolution précise des idées et des moeurs. Pour nous, l ’influence qu'exerça l ’université de Cracovie sur Conrad Celtes est l ’image même de l ’apport polonais à l ’humanisme allemand en général. U 6 Fils d’un vigneron nommé Pickel ou Meissel, Konrad était né le 1er février 1459 à Wimpfeld sur le Main. Il échangea plus tard son nom contre celui de Celtes ou Celtis, et com me la mode voulait que tout poète eut trois noms il y ajou ta Protucius. A l ’age de dix-huit ans il quitta la maison paternelle. La jeunesse d’alors prenait volontiers la route. C ’ é t a i t , c e r t e s , un moyen de s ’ in s t r u ir e que de parcou rir des pays lointains, mais aussi prétexte ô échapper aux obligations fam iliales, au travail, à l ’autorité paternelle et souvent aux créanciers voire aux jugea. Celtes ne devait pas être au fait de l ’actualité humaniste sens quoi il n’aurait pas choisi pour premier point de chute l ’universi té de Cologne où l ’esprit conservateur régnait en maitre. Il y suivit les cours de philosophie scolastique qu’il dé laissa rapidement au profit de la poésie et de la rhéto rique. Puis il alla d’université en université: Heidelberg, Erfurt, Rostock, Leipzig, etc., sans s’inscrire régulière ment nulle part et sans qu’on puisse déterminer ce qu’il étudiait ni s ’il obtaint un quelconque diplôme. En 1486 il se rendit en Italie, visita Rome, Florence, Bologne, Padoue et Venise. Ce voyage au berceau de l ’huma nisme semble avoir fort peu impressionné l ’humaniste Cel tes. Les oeuvres d’art elles-memes l ’ont laissé indifférent. Il parcourut l ’Italie plutôt qu’il n'y séjourna, et sa con naissance du pays-connaissance superficielle- lui servit essentiellement à étayer ses mordantes critiques; du pays de Dante il n’appréciait ni les gens ni les moeurs. Ce fait assez surprenant mérite d’être signalé. Celtes qui se fixa comme but principal d’existence de libérer l ’Allemagne de sa barbarie, pour employer sa propre expression, détestait l ’Italie. Etre humaniste au XVe siècle et refuser l ’apport i t a l i e n , c ’ é t a i t une c o n tr a d ic tio n , une i m p o s s ib ilit é . En fa it, Celtes subit le rayonnement italien, mais il le reçut indirectement: des Slaves. Cette même année I486, il publia sa première oeuvre, Ars Versificandi et Carminum. qu’il dédia au duc Frédéric de Saxe. Les "arts poétiques" pullulaient à l ’époque si bien qu’on peut dire que là encore Celtes se pliait à la mode et ne manifestait aucune originalité. Ars Versificandi n’avait rien de remarquable et serait probablement passé inaperçu s ’il n’avait été accompagné d’une série de poèmes dithyrambiques chantant les vertus et les mérites de per sonnes haut placées, riches et influentes. Le prince Elec teur de Saxe intercède auprès de l'empereur Frédéric III a fin que c e l u i - c i décore son adm irateur du nom de p rin ce des poètes. L’empereur y consent et, en 1487, au soürs d’une grandiose cérémonie, Conrad Celtes reçoit la couron ne de lauriers. Dévalorisée en Italie parce que trop libé ralement accordée, cette distinction est décernée pour la première fois en Allemagne et honore grandement celui à qui elle est attribuée. Le titre de docteur s’y attache, mais il est seulement honorifique, et Celtes ne s’en sert pas. Il doit probablement redouter qu’en se faisant appeler docteur on vienne à lui demander ses diplômes universitaires, or il n’en a pas. Un humaniste, affirm e-t-il, n'est digne de ce nom que s ’il possède de solides sonnaissances en physique, en ma thématiques et en astrologie. De nouveau il prend la route, cette fois en direction de Cracovie dont l'université est renommée pour l ’enseigne ment qu’on y donne èn ces matières? En effet, l ’Université Jagellonne est la seule d’Europe Centrale à posséder depuis le début du siècle deux chaires permanentes d’astrologie et une chaire permanente de mathématiques.