THESE DE DOCTORAT DE GEOGRAPHIE

L'UNIVERSITE DE NANTES COMUE UNIVERSITE BRETAGNE LOIRE

ECOLE DOCTORALE N° 604 Sociétés, Temps, Territoires

Par Oumar OUATTARA

Diffusion de l’hévéaculture et sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire : approche dans les régions de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa

Thèse présentée et soutenue à Nantes, le 8 février 2019 Unité de recherche : ESO Nantes (UMR 6590) Thèse N° :

Membres du jury:

Christine MARGETIC Professeure des Universités, Université de Nantes (Directrice) Céline Yolande KOFFIE-BIKPO Professeure Titulaire, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody (Co-directrice) Bénédicte THIBAUD Professeure des Universités, Université Bordeaux-Montaigne (Rapporteur) Bernard CHARLERY DE LA MASSELIERE Professeur émérite, Université de Toulouse II- Le Mirail (Rapporteur) Alphonse YAPI-DIAHOU Professeur des Universités, Université Paris 8, Président du jury Patrick POTTIER Maître de Conférences, Université de Nantes (Examinateur)

Dédicace

A la mémoire de mon père feu OUATTARA Bamori, de ma mère feue COULIBALY Rokiatou, trop tôt disparus ;

A la mémoire de mes oncles feu Doulaye OUATTARA et feu Synali OUATTARA également trop tôt disparus ;

A la mémoire de ma fille feue Ouassa Yacine OUATTARA trop tôt partie ;

Qu’ils soient tous au Paradis.

A la vie de Fatima, de Rokiatou et de Zeinab.

Je dédie ce modeste travail

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Remerciements

Cette thèse est l’aboutissement d’un parcours riche d’enseignements et de rencontres. Il paraît illusoire de penser pouvoir remercier toutes les personnes ayant œuvré, de près ou de loin, à la rendre possible tant les rencontres ont été nombreuses et variées. Que tous ceux dont le nom ne figurerait pas dans ces lignes veuillent bien nous en excuser. Nos premiers remerciements vont naturellement à l’endroit de nos deux directrices de thèse, Mesdames Christine MARGETIC (Professeure des Universités, Université de Nantes) et Céline KOFFIE-BIKPO (Professeure Titulaire, Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody) qui ont accepté de diriger ce travail de thèse et de l’inscrire dans le cadre d’une cotutelle. Nous ne saurons trouver les mots justes pour vous exprimer toute notre gratitude et notre infinie reconnaissance pour l’encadrement scientifique reçu durant toutes ces années. Au-delà des connaissances académiques, nous avons surtout appris de vos qualités humaines exceptionnelles. A travers Madame KOFFIE-BIKPO, nous exprimons notre profonde reconnaissance à tous les enseignants de l’Institut de géographie tropicale (IGT) en particulier à feu N’dri OUATA et au Professeur Paul ANOH qui ont guidé nos premiers pas dans la recherche. Nos remerciements s’adressent également aux membres du Comité de suivi individuel (CSI), Messieurs Alphonse YAPI-DIAHOU (Professeur des Universités, Université Paris 8) et Patrick POTTIER (Maitre de Conférences, Université de Nantes) dont les observations et les conseils pertinents nous ont permis d’améliorer ce travail. Nous associons à ces remerciements Monsieur François MADORE (Directeur d’ESO Nantes) pour les bonnes conditions de travail qu’il a su mettre à notre disposition. A travers lui, nous exprimons notre profonde reconnaissance à tous les membres d’ESO, tout particulièrement à Madame Christine LAMBERTS pour son assistance dans le traitement des données statistiques, à Messieurs Simon CHARRIER, Christophe BATARDY et Marius GUEDE pour l’aide spécifique apportée à la réalisation des documents cartographiques. Nous adressons nos sincères remerciements à l’ensemble des membres du jury qui ont bien voulu accepter d’évaluer ce travail de recherche. C’est un insigne honneur de pouvoir bénéficier de vos observations et suggestions en vue de l’amélioration de ce travail. Notre reconnaissance va également au Ministre des Affaires Présidentielles de Côte d’Ivoire, Monsieur Tené Birahima OUATTARA pour avoir rendu possible l’obtention du financement de cette thèse. Qu’il trouve dans ces lignes l’expression de notre infinie gratitude. Nous adressons nos vifs remerciements au Ministère de l’Education nationale à travers Messieurs Assoumou KABRAN (Directeur de Cabinet), Mamadou BARRO (Directeur des ressources humaines), Nanzouan SILUE (Directeur de la pédagogie et de la formation continue) et Madame SILUE née COULIBALY Fatoumata (Directrice du Centre national de formation pédagogique et de production de matériels didactiques) pour avoir facilité les formalités administratives qui ont rendu cette formation possible. Nous associons à ces remerciements nos collègues et amis de service, en particulier Messieurs Blaise MANE et Alexandre KOUADIO pour leurs soutiens constants.

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La réalisation de ce travail doit beaucoup au concours de nombreux acteurs rencontrés sur le terrain. Sans leur collaboration, ce travail n’aurait certainement pas pu être mené à son terme. C’est le lieu d’exprimer notre profonde gratitude à toute la population de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa, en particulier aux planteurs d’hévéas, aux producteurs, grossistes, détaillantes et transporteurs de vivriers ainsi qu’aux responsables régionaux du Ministère de l’agriculture, de l’OCPV, de l’ANADER, etc. A ceux-là, il convient d’associer les autorités administratives et coutumières de toutes les localités visitées et particulièrement les chefs traditionnels des localités de Bettié, d’Affalikro, de Brétihio, de Yacoli-Dabouo et d’Akrébi. Dans le même sens, nous adressons nos remerciements aux responsables des agro-industries (SAPH, SAIC, SOGB) pour avoir mis à notre disposition les données nécessaires à l’étude, de même que pour le soutien logistique accordé lors de l’administration des questionnaires aux hévéaculteurs. Nos remerciements vont particulièrement à Messieurs Delas KOUADIO (SAPH), Maximin KOUAKOU (SAIC) et Pascal DETO (SOGB) qui ont été nos interfaces avec les sociétés agricoles. Nos remerciements s’adressent particulièrement aux encadreurs agricoles dont la connaissance du terrain et des planteurs a été déterminante dans la collecte des données. Nos remerciements vont également à l’endroit de tous les thésards d’ESO notamment à Assiba OHOUSSA, Brahim VOUNSOUMNA, Epiphane MOUVONDO, Sécou DIEDHIOU pour leur constante disponibilité et leur sollicitude à notre égard. Nous remercions particulièrement nos amis Amadou SORO et Francis KONATE pour avoir contribué à notre intégration à Nantes et surtout pour le temps consacré aux relectures des manuscrits de la thèse. Nous exprimons notre reconnaissance à Monsieur Boubacar TRAORE, à Madame Mariam BAMBA, à Monsieur et Madame Aboubacar OUATTARA et à Monsieur Bakari KONE qui nous ont apporté leurs soutiens durant notre séjour à Nantes. A Notre famille à Paris : Aboubacar OUATTARA, Diarra OUATTARA, Nabintou OUATTARA et Mory OUATTARA, merci de nous avoir constamment encouragé durant toutes ces années. Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à tous nos parents et amis en Côte d’Ivoire qui n’ont ménagé d’aucun effort pour soutenir notre petite famille à Abidjan et pour leurs prières et bénédictions. Nous pensons particulièrement à Inza DOSSO, Djakaridja TRAORE, Balla OUATTARA, Abdoulaye OUATTARA, Kassoum KARAMOKO, Innocent EKOU, Yaya OUATTARA, Pierre GUELE, Sibiri OUATTARA. Nous exprimons enfin notre gratitude à Namizata, Fatima, Rokiatou et Zeinab pour avoir supporté cette longue absence. La fin de ce travail apporte la preuve que votre patience n’a pas été vaine.

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Sommaire

Dédicace ...... 1 Remerciements ...... 2 Introduction générale ...... 9

Première partie : Cadre de construction de la recherche ...... 15 Chapitre 1 : Justification du choix du sujet, problématique et objectifs de recherche ... 19 Chapitre 2 : Un cadre théorique au croisement de la théorie de l’innovation, des concepts de filière agro-alimentaire et de sécurité alimentaire ...... 31 Chapitre 3 : Cadre méthodologique de la recherche ...... 63

Seconde partie : Caractéristiques de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 87 Chapitre 4: Les conditions d’évolution de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 90 Chapitre 5 : Modalités de construction de la filière de l’hévéaculture dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa ...... 122 Chapitre 6 : Trajectoires des adoptants et enjeux de l’adoption de l'hévéaculture ...... 159

Troisième partie : Effets du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations des régions de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa ...... 191 Chapitre 7: Diffusion de l’hévéa au détriment des espaces de cultures vivrières ...... 195 Chapitre 8 : De réelles contributions de l’hévéaculture à l’accessibilité des populations aux vivres ...... 220 Chapitre 9 : Des pratiques alimentaires positivement influencées par la hausse et la régularité des revenus ...... 265 Conclusion générale ...... 290 Références bibliographiques ...... 295 Annexes ...... 324

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Sigles et acronymes

ANADER : Agence Nationale d’Appui au Développement Rural APROMAC : Association des Professionnels du Caoutchouc Manufacturé BM : Banque Mondiale BNDA : Banque Nationale pour le Développement Agricole BNETD : Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement CCC : Conseil café cacao CCT : Centre de Cartographie et de Télédétection CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest CIRAD : Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement CNRA : Centre National de Recherche Agronomique CNTIG : Comité National de Télédétection et d’Information Géographique DCGTx : Direction et Contrôle de Grands Travaux DSRP : Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté EASA : Evaluation Approfondie de la Sécurité Alimentaire ENSA Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie ENV : Enquête Niveau de Vie des ménages ESASU : Evaluation de la Sécurité Alimentaire en Situation d’Urgence FAO : Fonds des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation FIRCA : Fonds Interprofessionnel pour le Financement de la Recherche et du Conseil Agricole FMI : Fonds Monétaire International FRAT HEBDO : Fraternité Hebdomadaire IGT : Institut de Géographie Tropical INS : Institut National de la Statistique IPC : Cadre Intégré de Classification de la Sécurité Alimentaire IPRAVI : Inter Profession Avicole Ivoirienne IRD : Institut de Recherche pour le Développement MINAGRA : Ministère de l’Agriculture et des Ressources Animales MSHP : Ministère de la Santé et de l’Hygiène Public OCPV : Office d’aide à la Commercialisation des Produits Vivriers

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OMS : Organisation Mondiale de la Santé ONG : Organisation Non Gouvernementale ORSTOM : Office de Recherche Scientifique et Technique d’Outre-Mer OUA : Organisation de l’Unité Africaine PAM : Programme Alimentaire Mondial PAS : Programmes d’Ajustement Structurel PDCI-RDA : Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement Démocratique Africain PIB : Produit Intérieur Brut RGPH : Recensement Général de la Population et de l’Habitat SAPH : Société Africaine de Plantations d’Hévéa SODEFEL : Société d’Etat pour le Développement de la production de Fruits et Légumes SODEPRA : Société pour le Développement de la Production Animale SODERIZ : Société pour le Développement de la Riziculture SOGB : Société des caoutchoucs de Grand-Béréby UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance

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Introduction générale

Selon l’organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, 2015), dans les pays en voie de développement (PVD), l’agriculture représentait en 2014, le secteur le plus important, occupant près de 46,6 % de la population active contre seulement 4,1 % dans les pays développés (PD). Paradoxalement, alors que les PD parviennent à couvrir leurs besoins alimentaires, les PVD sont le plus souvent en proie à des crises alimentaires. La Côte d’Ivoire, pays d’Afrique occidentale, ne fait pas exception à la règle. Comme d’autres PVD, elle a été touchée par la crise alimentaire de 2008, occasionnant des pertes en vie humaine pendant les émeutes dites de la faim1. Au-delà de son aspect dramatique, la crise de 2008 a mis en évidence les difficultés réelles d’un pays pourtant doté d’énormes potentialités agricoles à couvrir ses besoins alimentaires. Au cours de la première décennie postcoloniale (1960-1970), la question alimentaire s’est posée avec moins d’acuité en Côte d’Ivoire. Largement majoritaire, la population rurale qui est passée de 88,6% en 1955 à 77,7% en 1965 (Dureau, 1987) parvient encore à produire suffisamment de vivres pour son autoconsommation et au profit de villes naissantes. Dépourvus de ressources2 à cette époque, les pouvoirs publics vont faire la promotion des cultures d’exportation, seules capables de procurer des devises au nouvel Etat. C’est ainsi que l’accent a été mis sur le développement de la culture du binôme café-cacao dont les cours mondiaux sont les plus avantageux, au travers d’une politique de facilité d’accès à la ressource foncière, d’ouverture sur l’extérieur, de prix d’achat incitatif, etc. Cette politique est couronnée de succès puisque sous l’effet des deux spéculations, la croissance de l’économie de la Côte d’Ivoire a été si rapide qu’a été évoqué le « miracle économique ivoirien ». Entre 1960 et 1976, en partie grâce aux deux produits d’exportation, le PIB a été multiplié par 7 (Dian, 1985). Cependant, conscients des dangers de l'hyper dépendance de l'économie du pays vis-à-vis du couple café-cacao aux cours mondiaux erratiques, les gouvernants procèdent à la diversification des cultures commerciales avec le palmier à huile, le coco, l’ananas, le coton et l'hévéa. Toutefois, l'intérêt tout particulier accordé aux cultures d'exportation par le biais de subventions publiques contribue à reléguer les cultures vivrières au second plan. A partir de 1970, le décalage entre l’offre alimentaire nationale et les besoins alimentaires des populations s’accentue, conduisant les pouvoirs publics à importer des vivres. Par exemple, les importations de riz s’accroissent rapidement et atteignent 140 000 tonnes en 1973 contre seulement 35 000 en 1960 (Chaléard, 1996). Il faut répondre aux besoins alimentaires d’une

1 Des émeutes de la faim ont eu lieu en Égypte, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Sénégal, au Burkina Faso, en Indonésie, à Madagascar et en Haïti (FAO, 2008). Selon Brunel (2009) et Janin (2009), elles ont fait deux morts en Côte d’Ivoire, 5 en Egypte, 6 au Mozambique, 40 au Cameroun, etc. 2 L'inventaire des ressources dont disposait le pays à la veille de l'indépendance ne mentionnait aucun gisement de pétrole, d'uranium ou de fer. Les seules ressources minières étaient celles de diamant de Tortiya et de manganèse de Lauzoua Port‐Gauthier. Toutefois, elles ne pouvaient pas engendrer de progrès économique (Dian, 1985). 9 population en croissance rapide et constituée d’une part croissante de citadins. Comme l’indique Dureau (ibidem), entre 1960 et 1976, la proportion de la population vivant dans des localités de 10 000 habitants avait triplé pendant que le nombre de villes quadruplait. Afin de réduire la dépendance alimentaire du pays et son corolaire de perte de devises, les pouvoirs publics initient des projets d’envergure en faveur des productions alimentaires. Le contexte international était marqué par une généralisation des politiques d’autosuffisance alimentaire fondées sur la théorie du développement autocentré3. En pleine Guerre froide, l’autosuffisance alimentaire – qui, pour un pays, renvoie à sa capacité à couvrir ses besoins alimentaires à partir de sa production – apparaissait comme un rempart contre les pressions étrangères via le commerce alimentaire. Pour atteindre cette autosuffisance, les autorités ivoiriennes mènent une politique de développement sectoriel par le biais de la création d’un certain nombre de sociétés d’Etat : la SODERIZ4 pour la production de riz, la SODEFEL pour celle des fruits et légumes, la SODEPRA pour le développement de l’élevage, AGRIPAC5 pour la distribution et la commercialisation des différentes productions. De plus, deux sociétés de développement régional (l’AVB et l’ARSO6) vont intégrer dans leur programme des actions en faveur des cultures vivrières. Grâce aux efforts conjugués des sociétés d’Etat et des mesures incitatives, la production alimentaire connaît une croissance rapide vers le milieu des années 1970. Ainsi, selon le Ministère du commerce ivoirien (2013), les importations de riz par exemple passent de 10 000 à 3 000 tonnes par mois en 1974 et 1975, de sorte qu’en 1975, le pays devient exportateur de riz. Cette embellie fut de très courte durée, puisque la SODERIZ est dissoute en 1977 consécutivement, entre autres, à des pertes financières considérables liées à des problèmes de commercialisation et de gestion. Les mêmes raisons vont conduire à la dissolution des autres structures étatiques. En dépit de résultats satisfaisants, la politique d’autosuffisance alimentaire n’a pas atteint ses objectifs. En 1981, le président Houphouët-Boigny7 faisait remarquer en ces termes: « Si la Côte d’Ivoire a écarté les spectres de la faim, si elle a pu se libérer des importations de sucre, elle n’est encore pas moins excessivement tributaire des autres pays, pour un grand nombre de produits alimentaires que le sol et les eaux nationales pourraient fournir plus abondamment » (Fraternité Hebdo, 1982, p. 25). C’est ainsi qu’un nouvel élan va être impulsé à la politique d’autosuffisance alimentaire avec la création en 1981 d’un Secrétariat d’Etat à l’agriculture, chargé des cultures vivrières. Il deviendra en 1983, le ministère du Développement rural avec, entre autres missions, la mise en œuvre du plan vivrier élaboré en 1982. Ce plan s’inscrivait dans un cadre plus global, celui du Plan d’action de Lagos de 1980, proposé par l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et adopté par l’ensemble des chefs d’Etat. Dans tous les pays ouest-africains, du Sahel à la forêt, et au-delà de toute considération locale, l’autosuffisance alimentaire devient le mot d’ordre

3 Elle fait référence à la protection de l’industrie naissante et des productions nationales par la mise en place de barrières douanières et tarifaires. 4 SODERIZ : Société pour le développement de la riziculture. SODEFEL : Société pour le développement des fruits et légumes. SODEPRA : Société de développement des productions animales. 5 Programme d’actions pour l’agriculture 6 AVB : Autorité pour l’aménagement de la vallée du Bandama. ARSO : Autorité pour l’aménagement de la région du sud‐ouest. 7 Premier président de la Côte d’Ivoire de 1960 à 1993. 10 prioritaire (Chaléard, ibidem). La mise en œuvre de ce plan s’est traduite par des campagnes de sensibilisation sur toute l’étendue du territoire ivoirien, invitant les populations à retourner à la terre et les agriculteurs à produire massivement des vivres pour assurer l’autosuffisance alimentaire, l’objectif étant de mettre un frein aux importations excessives de céréales. On veut y voir également un moyen de ralentir l’exode rural qui constituait l’une des préoccupations majeures de cette époque. Ce fût la période de la politique du retour à la terre encouragée par le gouvernement. Les coûts de mise en œuvre de cette politique vont accroître les dépenses publiques dans un contexte de baisse de recettes de l’Etat du fait de la chute du prix du café et du cacao. Face à cette détérioration des termes de l’échange des principales sources de création de richesses et de devises, le pays à l’image de l’ensemble des pays en développement éprouve d’énormes difficultés à honorer ses engagements internationaux. C’est la crise de la dette et elle touche la quasi-totalité des PVD.

Pour résorber cette dernière, au début des années 1980 sous l’impulsion des institutions de Bretton Woods (FMI et la Banque mondiale), les Programmes d’ajustement structurel (PAS) sont imposés à la Côte d’Ivoire. Ces programmes vont se traduire par l’arrêt des financements dans le secteur agricole et la libéralisation de l’appareil de production. Tenu de recentrer ses actions sur ses fonctions régaliennes, l’Etat va réorienter la politique d’autosuffisance alimentaire vers celle de sécurité alimentaire. L’accent est désormais mis sur la disponibilité alimentaire et son accessibilité physique et économique via les importations de vivres. Cela va accroître la dépendance alimentaire du pays aussi bien pour des biens de grande consommation (riz, lait, tomate, oignon, etc.) que pour des biens alimentaires de luxe.

L’arrêt des financements publics dans le domaine agricole et l’ouverture du pays aux denrées importées plus compétitives que les productions locales affectent particulièrement le monde rural. Parallèlement, suite à la libéralisation anarchique des filières d’exportation, les populations ne parviennent pas à écouler leurs productions à des prix rémunérateurs. La pauvreté et la précarité des conditions de vie gagnent du terrain et elles touchent fortement les zones rurales. Le taux de pauvreté en milieu rural qui était de 15,8% en 1985 a quasiment triplé en dix ans, passant à 46,1% en 1995 et à 62,5% en 2008 (ENV, 2008).

Face à ces contraintes, les populations rurales font preuve de créativité et d’initiative pour s’adapter et s’assurer des conditions de vie meilleure. La crise du secteur café-cacao a favorisé le développement de la culture et du trafic de cannabis dans les anciens fronts pionniers cacaoyers du Sud-Ouest de la Côte d'Ivoire au milieu des années 1990 (Léonard, 2001). Elle s’est également traduite par l’intensification de la chasse et du commerce du gibier en particulier en direction de la capitale économique, Abidjan (Ouattara, 2009). Par ailleurs, elle a conduit les producteurs de cacaoyers à la mise en œuvre de stratégies de diversification des revenus reposant sur des valeurs de solidarité et d’entraide (Tano, 2012). L’adoption massive de l’hévéaculture par les populations rurales au début des années 2000, s’inscrit également dans le cadre de la recherche de solutions adaptatives au nouvel environnement économique.

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Introduite en Côte d’Ivoire sous l’ère coloniale en 1955, l’hévéaculture est restée pendant longtemps une production exclusive des sociétés agro-industrielles. L’Etat s’y intéresse en 1963 en s’associant aux agro-industries. Il faut attendre le début des années 1980 pour voir naître des projets publics d'introduction de cette culture dans le milieu villageois. Au début des années 2000, alors même que les projets publics de vulgarisation dans les villages sont stoppés, l'hévéaculture connaît une croissance exponentielle : elle devient la production agricole qui enregistre la plus forte progression en termes de volumes de production et de superficies cultivées. Entre 2000 et 2013, la production de caoutchouc naturel est passée de 120 000 à 289 202 t (APROMAC8, 2014). Cette croissance rapide repose essentiellement sur le dynamisme de la production villageoise. Son apport à la production nationale passe de 44,97 % en 2000 à 73,97 % en 2013. Dans le même temps, le nombre d’adoptants qui était de 16 500 en 2005 atteint 123 000 en 2013 (APROMAC, 2012). Ainsi, l’hévéaculture se retrouve dans toute la zone forestière du pays. Son expansion se traduit par des changements de modes d’occupation de l’espace, d’allocation et d’utilisation des ressources de la part des populations. Comme l’écrit Thibaud (2013, p. 204) « les changements à l’œuvre aujourd’hui au sein des territoires ruraux témoignent tout d’abord d’une capacité de la part des sociétés rurales à faire face aux défis constants auxquels elles sont soumises ». L’essor rapide de l’hévéaculture, s’il constitue une stratégie d’adaptation pour l’obtention de revenus additionnels peut entraîner une baisse voire un abandon de la production vivrière, ce qui avoir des conséquences sur la sécurité alimentaire des zones à forte production. D’ailleurs, cette dynamique alimente de nombreuses controverses au sein de la population. Et celles-ci s’ouvrent rapidement sur des enjeux dans lesquels s’insère la question alimentaire, en particulier après la crise alimentaire de 2008. Les populations sont plus enclines à mettre en avant les effets négatifs de l’hévéaculture sur la production vivrière que son éventuel avantage sur le bien-être des populations. Face aux débats sur la dynamique de cette culture, les pouvoirs publics revisitent leur approche en matière de développement de la culture. En témoigne le fait qu’en 2011, l’Etat signe un accord cadre avec la Compagnie hévéicole de Prikro (CHP)9 pour la réalisation d’un projet intégré d’hévéaculture et de cultures vivrières dans le département de Pikro (Koffié-Bikpo, 2016) alors que les agro-industries s’installaient jusque-là sans considération directe pour la question alimentaire. En dépit des prises de position des uns et des autres, aucune étude scientifique rigoureuse à notre connaissance n’a permis d’établir l'incidence du développement de l’hévéaculture sur l’alimentation des populations. En fait, les études sur l’hévéaculture en Côte d’Ivoire restent peu nombreuses et sont majoritairement réalisées par des économistes ou des agronomes. Ainsi, dans les années 1980, Pillet-Schwartz (1980) s’est attaché à évaluer l’impact des projets publics sur le développement de l’hévéaculture villageoise et a constaté un décalage entre la progression de la culture et les investissements réalisés. Toutefois, au cours des années 2000, Ruf (2009) relève une dynamique d'adoption rapide de la part du secteur villageois. L’analyse socio-spatiale de ce phénomène qui est du ressort de la géographie reste occultée, alors que l’impact spatial et social est réel au sein du système agricole ivoirien. Cette thèse se

8 Association des professionnels du caoutchouc manufacturé de Côte d’Ivoire. 9 La CHP est une entreprise agro‐industrielle, filiale du groupe belge SIAT. 12 propose d'aller au-delà des aspects déjà étudiés en recherchant l’impact du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire. La crise alimentaire de 2008 a montré que les difficultés alimentaires des populations ne résultaient pas seulement de questions de disponibilité de vivres, mais également de l’accessibilité physique et économique aux denrées. Cette étude entend donc se focaliser sur la recherche des liens entre la diffusion de l’hévéaculture et la sécurité alimentaire avec pour terrains d’étude les régions de l’Indénié- Djuablin au sud-est et de la Nawa au sud-ouest de la Côte d’Ivoire (carte1).

Carte 1: Localisation du cadre d’étude

Une question centrale guide la réflexion : quel est l’impact de la diffusion de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin ?

Partant du postulat que l’hévéaculture est une option pour la sécurité alimentaire dans les deux régions, cette thèse est structurée en trois parties comprenant au total neuf chapitres. La première partie intitulée « Cadre de la construction de la recherche », est composée de trois chapitres. Le chapitre 1 s’attache à exposer les justifications de l’étude, la problématique et les objectifs de cette recherche. Le chapitre 2 permet d’expliquer les concepts mobilisés dont

13 les principaux sont l’innovation, la filière agro-alimentaire, la sécurité alimentaire et l’approche systémique. Enfin, dans le chapitre 3, le terrain de recherche est présenté avec l’explicitation de la méthodologie adoptée pour traiter le questionnement de recherche. La deuxième partie de la thèse s’intéresse aux modalités de diffusion de l’hévéaculture. Dans une perspective historique, le chapitre 4 présente le processus de diffusion institutionnel. Le chapitre 5 aborde la question des stratégies utilisées par les producteurs pour insérer l’hévéa dans les systèmes de production agricole des régions à l’étude. Les groupes sociaux à l’œuvre dans l’hévéaculture ainsi que les déterminants de l’expansion de cette production font l’objet du chapitre 6. La troisième partie analyse l’impact de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire. Dans ce cadre, le chapitre 7 aborde la question de ses effets sur la production vivrière et le chapitre 8 est consacré à l’influence de cette culture sur l’accessibilité physique et économique des producteurs aux vivres. Quant au chapitre 9, il traite de l’incidence de la spéculation sur la situation nutritionnelle des producteurs et sur la stabilité de leur alimentation.

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Première partie : Cadre de construction de la recherche

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Introduction

La partie sud de la Côte d’Ivoire est caractérisée par une végétation forestière. Elle est le lieu d’une intense activité agricole dominée par l’arboriculture commerciale (café, cacao, palmier à huile, hévéa, cocotier, etc.) depuis l’ère coloniale (carte 2).

Carte 2: Localisation des principales productions agricoles en Côte d'Ivoire

Même si le cacao reste la plus importante des cultures en termes de surfaces cultivées et d’actifs agricoles, les populations agricoles se tournent de plus en plus vers l’hévéaculture depuis la fin des années 1990 qui est, de ce fait, en pleine expansion. C’est la recherche des impacts de ce développement sur la sécurité alimentaire qui est au centre de ce travail de recherche. Cette première partie se veut un cadre éclairant tout le processus de recherche. Pour ce faire, elle est organisée en trois chapitres. Le premier chapitre fait état du manque de connaissances sur la percée massive de l'hévéaculture. Il dresse une revue des travaux réalisés sur l'introduction des nouvelles

17 cultures en Côte d'Ivoire avant de fixer les orientations de la recherche à travers la déclinaison des principaux questionnements et hypothèses de la thèse. Le deuxième chapitre explique les théories et les concepts mobilisés au fil de l’étude. Il s’agit d’abord de la théorie de la diffusion de l’innovation et du concept de filière qui permettent de représenter les modalités de diffusion de l’hévéaculture. Ensuite, le concept de sécurité alimentaire dont l’analyse nous amène à considérer la notion de système alimentaire et à mieux cerner le concept de régime alimentaire dans le cadre de cette thèse. Dans le troisième chapitre, nous exposons la méthodologie de travail mise en œuvre en vue de collecter les informations qui serviront à la démonstration. Cela passe par la présentation des acquis issus de la revue bibliographique, la présentation et la justification des postures de recherche mises en œuvre sur le terrain.

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Chapitre 1 : Justification du choix du sujet, problématique et objectifs de recherche

L’opportunité d’une étude portant sur l’incidence du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire n’est pas perceptible d’emblée. C’est pourquoi, ce premier chapitre entend apporter des éléments de réponse aux questions que l’on se pose généralement à l’entame de toute activité de recherche : qu’est-ce qui justifie le choix d’un tel sujet ? Quelles interrogations sont suscitées par le sujet ? Quels objectifs assigne-t-on à l’étude ? Selon cette logique, nous présentons successivement les éléments de justification du choix du sujet, la problématique et les objectifs poursuivis par cette recherche.

1.1 Éléments de justification du choix du sujet

La réflexion portant sur l’impact du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire tient à plusieurs raisons que l’on peut classer en trois catégories :

 d’abord, des motivations personnelles liées à notre intérêt pour le milieu rural. En effet, fils d’agriculteur, nous avons toujours été animés par le souci d’apporter notre contribution à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales ;

 ensuite, en raison de l’importance économique grandissante de l’hévéaculture en Côte d’Ivoire ;

 enfin, en raison du manque relatif de connaissances scientifiques rigoureuses de l’impact de l’introduction de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire.

1.1.1 Des motivations personnelles au croisement d’intérêts académiques

Le choix de ce sujet de recherche découle principalement de notre intérêt pour le monde rural qui nous a amené à réfléchir, dans le cadre de notre Diplôme d’Etude Approfondie (DEA) sur les bassins d’approvisionnement des coopératives de commercialisation de produits vivriers des marchés d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Dans cette étude, la plupart des coopératives ont fait état de difficultés croissantes dans la collecte de vivres au niveau de certaines zones traditionnellement pourvoyeuses. Elles liaient cette situation à la montée en puissance de l’hévéaculture qui amènerait de plus en plus d’agriculteurs à négliger les productions vivrières. Dès lors, il nous a paru intéressant d’étudier les liens entre le développement de l’hévéaculture et la production vivrière.

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Dans la même période, survenait les émeutes de la faim qui a fini par conforter notre intérêt pour cette thématique. En effet, comme beaucoup de pays en développement, la Côte d’Ivoire est touchée par les émeutes suite à la flambée des cours mondiaux des produits alimentaires. Dans la société ivoirienne, pour expliquer ces événements ayant montré l’incapacité du pays à couvrir les besoins alimentaires en dépit de nombreuses potentialités, plusieurs raisons ont été avancées au nombre desquelles le développement de l’hévéaculture. Parallèlement, la crise alimentaire de 2009 a le mérite d’inscrire la question alimentaire au niveau des préoccupations de la communauté scientifique. Au sein de l’Institut de géographie tropicale (IGT) de l’Université Felix Houphouët-Boigny de Cocody, le Professeur Koffié-Bikpo initie une série de réflexions sur la thématique de la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire qui vont conduire, en 2011, à la publication d’un ouvrage collectif sur « La production vivrière et la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire ». Dans le prolongement de cette recherche, il nous a été confiée dans le cadre de notre thèse la mission de réfléchir sur la diffusion de l’hévéaculture et la sécurité alimentaire dans ce pays.

1.1.2 Le poids économique de l’hévéaculture

L’hévéaculture est une activité dont l’impact économique ne cesse de croître ; pourtant, jusqu’au milieu des années 1990, c’est une spéculation qui a une importance économique limitée au sein de la population ivoirienne. Sa culture était presqu’exclusivement dominée par le secteur industriel, et seuls quelques paysans localisés près des rayons d’action des complexes agro-industriels avaient la possibilité de produire grâce à des arrangements contractuels avec les agro-industries. Jusqu’en 1994, la production nationale de caoutchouc naturel n’était que de 71 420 t. Le contexte change rationnellement dès le début de la décennie 2000 du fait d’une progression fulgurante du secteur. En effet, la production nationale est passée de 122 752 t en 2000 à 203 102 t en 2009 et atteint 289 200 t en 2013, le tout porté par le secteur villageois. La part de ce secteur dans la production nationale est passée de 44 % à 64 % puis à 73,37 % respectivement en 2000, 2009 et 2013. Cette dynamique a propulsé la Côte d’Ivoire au rang de premier producteur africain de caoutchouc naturel depuis 2009. En 2013, elle fournit plus de la moitié de la production africaine (56 %), suivie de loin par le Libéria (15 %), le Cameroun (11%) et le Nigéria (10 %) (FAO, 2014). Même si cette production place la Côte d’Ivoire à la septième position mondiale, il n’en demeure pas moins qu’elle ne contribue qu’à seulement 2,22 % des 11 500 000 tonnes de caoutchouc naturel produites mondialement en 2013. L’hévéaculture constitue la production agricole ayant connu la plus forte progression en moins d’une décennie. Evoluant au rythme de 5 % par an, la filière hévéa est devenue la troisième production agricole (BNETD, 2010) en valeur après le cacao et le palmier à huile. Dès lors, elles dévient une source de revenus incontournable pour une population de plus en plus nombreuse. En 2012, ce sont 412 312 milliards de FCFA de recettes que la filière a généré permettant la redistribution de 195 milliards de FCFA aux 123 000 planteurs d’hévéas de Côte d’Ivoire (FDH, 2013). C’est une activité à très forte intensité de main-d’œuvre, avec une demande croissante de main-d’œuvre semi-qualifiée dans la greffe des jeunes plantes et la saignée des plantes matures. L’hévéaculture présente un enjeu important, tant elle contribue

20 positivement au développement local, à la réduction de la pauvreté et à l’amélioration des conditions écologiques du milieu. En dépit de la rapidité de son évolution et de son importance économique pour les populations et pour le pays, ce secteur reste relativement peu étudié. Les études existantes sont pour l’essentiel, des rapports de bureaux d’études qui, de plus, ne sont pas récents. Néanmoins, ceux-ci permettent de comprendre les conditions politiques, économiques et sociales de l’évolution de l’hévéaculture en Côte d’Ivoire. Les autres études à caractères scientifique et académique sont le fait d’économistes et d’agronomes. Elles se sont surtout concentrées sur l’évaluation de l’impact des financements publics (ou de leur arrêt) sur son développement. Dans ce registre, évaluant l’influence éventuelle de ces projets de vulgarisation, Schwartz (1980) observe que l’engouement des populations n’est pas à la hauteur des financements réalisés. De plus, il souligne les difficultés rencontrées dans le recouvrement du capital investi auprès des planteurs. Tout ceci l’amène à affirmer que les projets publics de vulgarisation de l’hévéaculture en milieu villageois ont eu des conséquences limitées. En 1994, du fait de l’application des plans d’ajustement structurel imposés par les institutions de Breton Woods (BM, FMI), les programmes publics de vulgarisation de l’hévéaculture en milieu villageois sont stoppés. Pour Fiko (2007), compte tenu du coût élevé des investissements en hévéaculture clonale, ce désengagement est de nature à freiner sa progression en milieu villageois. En revanche, les investissements hors-projet, sans aide publique, reprennent de plus belle vers la fin des années 1990, et la culture connaît une expansion fulgurante, ce qui amène Ruf (2009) à analyser les déterminants de son adoption. Il indique que, si les projets publics ont joué un rôle moteur d’information et d’introduction de la culture auprès des planteurs, c’est d’abord la hausse des prix du caoutchouc, puis la régularité des revenus et, enfin, les effets d’imitation entre individus qui expliquent cette adoption massive. En se basant sur ces éléments, Ruf (ibidem) estime que, dans son état actuel, le processus semble être irréversible.

En définitive, même si ces études fournissent des informations intéressantes sur le processus de diffusion de l’hévéaculture, il n’en demeure pas moins qu’elles ne donnent aucun renseignement sur ses dimensions socio-spatiales. Nous n’avons connaissance d’aucune analyse évaluative de géographe ou ayant une approche géographique de la question des effets de l’hévéaculture en Côte d’Ivoire. Son impact sur le système de production agricole global est ignoré, de même que les logiques des agriculteurs familiaux face à cette innovation. Cette thèse entend modestement contribuer à combler ce manque en orientant la réflexion vers la recherche de l’influence du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations. En effet, cet aspect de l’introduction de nouvelles cultures reste peu abordé.

1.1.3 Une revue des travaux sur l'introduction de nouvelles cultures

En Côte d’Ivoire, de nombreux travaux ont été consacrés à la problématique de l’adoption de nouvelles cultures. Ils émanent de différents auteurs (Peltre-Wurtz et Steck, 1991 ; Colin, 2012 ; Le Roy, 1983 ; Tujague-Gibourg et Moustier, 2009, etc.) et concernent l’introduction d’une diversité de cultures comme le coton, la tomate européenne et l’ananas. Globalement,

21 l’objet de ces travaux est de décrypter les incidences socio-spatiales et économiques de la nouveauté. Nous présentons ici cette littérature en optant pour une analyse thématique des travaux à travers les impacts techniques et socio-économiques des nouvelles cultures.

1.1.3.1 Impacts techniques de l’introduction de nouvelles cultures

Les différents impacts techniques mis en évidence dans les études s’attachent aux progrès du savoir-faire et des savoirs aussi bien mécaniques que ceux concernant la modification de l’occupation des sols.

 Les progrès du savoir-faire et des savoirs de type mécanique

Les types de progrès techniques liés à l’adoption de nouvelles cultures ont été mis en relief par Zagbaï et al., (2006) dans leurs travaux traitant de l’impact de la dynamique cotonnière sur le développement rural des régions nord et centre de la Côte d’Ivoire. Selon eux, la culture du coton a permis aux exploitants de maîtriser les techniques de culture et d’élevage ainsi que l’emploi du matériel des cultures mécanisées. Par ailleurs, ils ont acquis les méthodes de gestion d’une exploitation en termes de planification temporelle et spatiale et ce, pour l’ensemble des opérations culturales. Dans la même lignée, Peltre-Wurtz et Steck (1991) qui ont étudié la culture du coton dans la région de la Bagoué (Nord-ouest) montrent que l’introduction de cette spéculation est à l’origine de la modernisation des exploitations avec l’usage des intrants, de la culture attelée et l’association de l’élevage à l’agriculture. On retrouve au Niger une situation similaire avec l’introduction de la culture de la pomme de terre. En effet, Hassane (2015) indique que le développement de cette culture s’est accompagné de la vulgarisation de l’utilisation de la motopompe. Tous ces progrès ont concouru à l’augmentation des rendements moyens de ces nouvelles cultures. Ainsi, pour le coton-graine, ils sont passés de 460 kg par ha en 1960 à 1 200 kg par ha en 2002 au nord et au centre de la Côte d’Ivoire (Zagbaï et al., ibidem). Les progrès mécaniques réalisés par le biais de l’introduction des différentes cultures ont rendu plus faciles et rapides de nombreuses tâches. C’est par exemple le cas de l’attelage qui permet un gain de temps de labour de 3 à 4 jours à l’hectare. Cette situation a, selon l’auteur, incité les jeunes à travailler la terre et contribué à la réduction de la migration. Par ailleurs, Peltre- Wurtz et Steck (ibidem) constatent que la diminution de la charge de travail du fait des progrès techniques a, d’une part, attiré de nombreux paysans vers la culture du coton et, d’autre part, incité ces derniers à accroître les surfaces cultivées, si bien qu’il s’en est suivi une modification de l’occupation du sol.

 La modification de l’occupation du sol

L’évolution de l’occupation du sol marquée par l’accroissement des superficies cultivées a été analysée par Petre-Wurtz et Steck (ibidem). Ils notent qu’en vingt ans, l’espace de la région de la Bagoué s’est transformé sous l’effet du triplement des surfaces cotonnières, qui sont passées de 13 000 à 45 000 ha entre 1967 et 1977. Le même constat est dressé par Zagbaï et al., (ibidem) indiquant que la culture du coton, qui ne représentait dans le nord et le centre de

22 la Côte d’Ivoire que 10% des superficies cultivées en 1960, est passée en 2002 à 49%. Cette dynamique s'est accompagnée d'un changement de rapport entre cultures. En effet, le coton est de moins en moins associé à d'autres cultures, seulement 6% des surfaces cotonnières sont travaillées en association avec les cultures vivrières contre 96% en 1960. Les changements induits par l'adoption de nouvelles cultures ont également concerné la taille des surfaces cultivées. Ainsi, Dossa et Chia (1993) montrent que l'introduction de la culture du soja associée à la mécanisation de l’agriculture a contribué à un mouvement de concentration des terres dans le sud du Brésil. Ces évolutions ont eu pour conséquence l'expropriation de nombreux paysans de leur terre, contribuant à accélérer l’exode rural. Dans le cadre de l’introduction du maïs hydride dans le Béarn en France, Mendras (1967) révèle également des effets de restructuration des parcelles. En effet, cette culture exigeait l’achat de semences et requérait l’usage d’engrais et d’insecticides. Ces investissements n’étant rentables que sur des surfaces importantes, ils entraînèrent un remodelage des parcelles mais aussi l’endettement des paysans. Plutôt que de conduire à une restructuration parcellaire, l’introduction de la tomate européenne dans le centre-est de la Côte d’Ivoire a induit une valorisation des bas-fonds autrefois délaissés par les autochtones (Tujague-Gibourg, 2004). Ces bas-fonds sont aujourd'hui fortement convoités et font même l'objet de transactions marchandes et d'arrangements divers. Dans le même sens, l’introduction de l’ananas au cours des années 1960 est selon Colins (2012) à l’origine de l’apparition d’un marché des locations de terres dans l’Est de la Côte d’Ivoire.

 L’impact sur la production vivrière

Le Roy (1983) est l’un des premiers auteurs à évoquer l’incidence des cultures d’introduction récentes sur la production vivrière en Côte d’Ivoire. Dans le cadre de son étude sur l’implantation des cultures de rapport dans l’agriculture vivrière senoufo dans le village de Karakpo (nord du pays), il observe une séparation assez nette entre les cultures alimentaires et celles de rapport. Selon lui, le riz est cultivé dans les bas-fonds, le coton près des villages, afin d’être accessible aux équipes d’encadrement, et les cultures vivrières loin des habitations à la recherche de terres plus fertiles. Ce faisant, l’adoption de cette culture n’a pas d’incidence négative sur la production vivrière. Analysant les liens entre le coton et les cultures vivrières dans les savanes, particulièrement au Burkina-Faso, Schwartz (2000) relève que cette incidence est positive. Il note que les quatre provinces les plus marquées par la culture du coton sont celles dans lesquelles les productions alimentaires (mil, sorgho, maïs, riz, niébé, patate douce, voandzou, etc.) sont les plus abondantes. C’est le cas surtout pour les cultures céréalières dont la production moyenne par habitant est de 503 kg dans les quatre provinces et de 275 kg seulement dans les autres. Cette situation s’explique selon l’auteur par le fait que les cultures vivrières bénéficient des effets rémanents de l’engrais utilisé dans la culture cotonnière. Elle est également liée à l’apport de la culture attelée dont le développement est rendu possible par les gains du coton. Cette situation contraste avec celle mise en évidence dans la région de la Bagoué par Peltre-Wurtz et Steck (ibidem). Ces derniers précisent que l’augmentation de la production cotonnière s’est accompagnée d’un accroissement du temps de labeur, notamment en matière de sarclage, de traitements phytosanitaires et de récolte si bien que les paysans avaient du mal à concilier la progression de la culture du coton et le

23 maintien d’une production vivrière suffisante pour la consommation familiale. Mais, la compétition entre cultures ne se limite pas au calendrier agricole, elle est également d’ordre spatial. En effet, Dossa et Chia (ibidem) observent que dans les régions traditionnelles du Brésil, la culture du soja est entrée en concurrence avec, d’une part, le riz, les haricots, le maïs et, d’autre part, avec les productions destinées à l’exportation comme le coton, la canne à sucre, le café, la viande bovine et ovine.

1.1.3.2 Impacts socio-économiques de l’adoption de nouvelles cultures

La question de l’incidence des cultures nouvellement adoptées sur les conditions de vie et d’existence des populations a été abordée par maints auteurs au nombre desquels Zagbaï et al. (ibidem). Selon ces auteurs, la culture du coton s’est positionnée dès son introduction dans le nord et le centre de la Côte d’Ivoire comme le moyen indispensable pour les producteurs d’améliorer substantiellement leur revenu. A ce propos, ils notent que pour 72% du panel de producteurs enquêté, les revenus du coton permettent de vivre au-dessus du seuil de pauvreté. Ces apports économiques ont été à l’origine de mutations sociales dans bien des cas. L’adoption de nouvelles cultures entraîne parfois des conflits sociaux induits par des modifications des comportements des populations. C’est le constat fait par Le Roy (ibidem). Dans ses travaux sur l’introduction des cultures de rapport dans l’agriculture vivrière senoufo, il relève qu’en raison des revenus qu’elles procurent, les cultures de rapport (coton et riz) ont conduit à une remise en cause du système communautaire de production organisé autour du chef d’unité d’exploitation par la multiplication des parcelles individuelles, auparavant peu nombreuses et de petites tailles. Cette situation ne s’est pas faite sans conflits, car elle a entraîné une modification des comportements au sein de l’organisation familiale. L’indépendance financière des membres de la famille vis-à-vis du chef d’unité qui détenait la clé de répartition de la production est désormais bafouée, chacun pouvant subvenir à ses besoins. A l’Est de la Côte d’Ivoire, la culture de la tomate a également permis une autonomisation des catégories sociales défavorisées composées des jeunes, des femmes et des étrangers (Tujague- Gibourg, ibidem). Selon l’auteure, en s'enrichissant, les étrangers producteurs installés depuis longtemps sont parvenus à accéder à une certaine reconnaissance et à une insertion sociale au sein des communautés villageoises. En renforçant leur autonomie vis-à-vis des autochtones, ils ont élargi leur sphère de pouvoir. Quant aux jeunes, considérés auparavant comme des aides familiales, l'activité de la tomate leur a permis de subvenir à leurs besoins, voire de s'affranchir de la tutelle de leurs aînés pour les plus expérimentés et les plus âgés. Parallèlement, les femmes ont trouvé en la tomate un moyen d'élever leur pouvoir d'achat et d'élargir leur champ de pouvoir au sein de la famille. En raison de l'importance de leur contribution aux dépenses familiales, les femmes accèdent à davantage de responsabilités et d'autonomie. Alors que traditionnellement les décisions incombent au mari, désormais leur avis compte et leur aide financière impose au sein de la famille du respect et de la considération. Outre l’autonomisation, Zagabaï et al., (ibidem) soulignent que les femmes ont profité des effets induits par la modernisation du système de production du coton à travers la réduction de la pénibilité du travail aux champs et dans le ménage : le sarclage, activité essentiellement

24 féminine, est devenu moins pénible du fait de la mécanisation du labour et de l'utilisation des herbicides ; le portage de l'eau est rendu moins dur avec l'apparition des puits d'eau potable dans le village financés grâce à la culture du coton.

A l’issue de cette revue, il convient de noter la diversité des approches de la question de l’adoption d’une nouvelle culture par la recherche. Nous observons toutefois que la relation entre les cultures nouvellement adoptées et la sécurité alimentaire n’est pas abordée. Certes, quelques études font référence à la production vivrière mais, manifestement, aucune d’entre elles n’en fait une préoccupation centrale et a fortiori n’aborde la question plus globale de la sécurité alimentaire. Le constat est le même au niveau des analyses portant sur l'hévéaculture dans les principaux pays producteurs de caoutchouc naturel, notamment la Thaïlande et l’Indonésie. Les auteurs se sont pour la plupart intéressés aux formes d'hévéaculture pratiquées afin de saisir les dynamiques en cours dans le sud de la Thaïlande (Simien, 2005) ou de déterminer les atouts et les contraintes inhérents aux différents systèmes d'exploitation en Indonésie (Martin, 2005). Certains comme Robert (2008) ont orienté leurs réflexions vers le fonctionnement des exploitations au travers de l'étude des pratiques des producteurs de caoutchouc thaïlandais et de l'évaluation agro-économique des systèmes de culture en vigueur. D'autres ont conduit des recherches qui ont permis d'expliquer la dynamique de l'hévéaculture thaïlandaise comme fruit des incitations politiques et de l'augmentation des cours mondiaux du caoutchouc naturel (Delarue et Chambon, 2014). En définitive, quelques travaux mentionnent au passage des éléments relatifs à son impact sur la production vivrière (Robert, ibidem ; Simien et Penot, 2011). Cependant, l'accent est davantage mis sur des aspects agro-économiques. On peut avancer l'hypothèse que ces choix découlent du fait que les auteurs sont souvent des agronomes, des économistes et des agroéconomistes. A cela s'ajoute une raison plus objective : ces principaux pays producteurs d’hévéa développent depuis plusieurs décennies des politiques d’autosuffisance alimentaire calquées sur le modèle de la révolution verte. C’est le cas de l’Indonésie et de la Malaisie qui figurent au nombre des grands producteurs mondiaux de riz (Bissonnette et Bernard, 2014) et surtout de la Thaïlande qui, précisons-le, se place dans le peloton de tête des premiers exportateurs mondiaux de riz (FAO, 2013). Enfin, du fait des aménagements hydro-agricoles et de diverses incitations de politiques publiques à la production alimentaire, spécifiquement du riz, les zones et les acteurs de la production vivrière sont relativement peu atteints par le développement de l’hévéaculture. De la sorte, le secteur alimentaire, en particulier rizicole, n’est pas sous la menace directe du développement de l’hévéaculture notamment en Indonésie où, selon Penot (2007), l’hévéaculture paysanne reste à 85% agro-forestière. C’est un système dans lequel les populations associent à l’hévéa, durant toute sa durée de vie, une diversité de plantes utilitaires (alimentaires, médicinales, etc.) sur la même parcelle. Cette situation contraste avec le modèle d’hévéaculture suivi en Côte d’Ivoire qui exclut toute association de cultures à partir de la quatrième ou cinquième année des arbres. De plus, le secteur de la production vivrière ne bénéficie quasiment d’aucun encadrement ou incitation de la part des pouvoirs publics. Il est jusque-là quasiment laissé à la seule initiative des agriculteurs. Or, la grande majorité des adoptants se recrutent parmi ces agriculteurs. Cette

25 situation suggère l'intérêt d’une analyse de l'impact du développement de l'hévéaculture sur la sécurité alimentaire. Eu égard à ce qui précède, une étude spécifiquement tournée vers l’impact du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations semble digne d’intérêt. En effet, une meilleure compréhension de son incidence en termes de sécurité alimentaire est indispensable pour une bonne orientation de la politique agricole des zones affectées par cette culture. 1.2 Problématique et objectifs de recherche

Bien qu’ayant fait le choix d’un modèle agro-exportateur basé sur le binôme café-cacao dès son accession à l’indépendance en 1960, la Côte d’Ivoire a connu jusqu’à la fin des années 1980 une situation alimentaire globalement satisfaisante. De fait, la petite paysannerie a réussi à concilier arboriculture d’exportation et agriculture vivrière. Les biens alimentaires produits dans le cadre de ce système agricole ont permis en plus des importations notamment de riz de ravitailler correctement les cités avec pour conséquence pour le pays, une situation alimentaire bien meilleure que chez ses voisins (Chaléard, op.cit). D’ailleurs, selon cet auteur, en 1989, le nombre de calories par habitant et par jour s'élevait en moyenne à 2 577, soit plus que le minimum nécessaire (2 300 cal./hab./j). Cependant, depuis la fin des années 1990, plusieurs études montrent que l’insécurité alimentaire sous toutes ses formes progresse et s’enracine dans le pays. Par exemple, la prévalence nationale de la malnutrition aigüe chez les enfants de moins de cinq ans est passée de 7,8% en 2000 (MICS, 2000) avant d’atteindre 9 % en 2011-2012 (EDS-MICS, 2011- 2012). Par ailleurs, l’Enquête niveau de vie de ménages (ENV, 2015) a montré qu’en 2015, 12,8% des ménages ivoiriens étaient vulnérables à l’insécurité alimentaire alors que cette prévalence n’était que de 10,1 % en 2009 selon l’Enquête approfondie de sécurité alimentaire (EASA, 2009). Parallèlement, la proportion de ménages en insécurité alimentaire sous la forme sévère a atteint 4,3 % en 2015 contre 2,5 % 2009. C’est en milieu rural que l’insécurité alimentaire est plus accentuée avec un taux de 15 % contre 10,6 % en milieu urbain (ENV, ibidem). Corrélativement, ce sont les ménages agricoles qui sont les plus touchés (14,3 %). Alors que les études indiquent une tendance à la dégradation de la situation alimentaire des ménages agricoles depuis la fin des années 1990, force est de constater que parallèlement ces derniers adoptent massivement l’hévéaculture. En effet, cette culture a connu un développement spectaculaire au cours de ces dernières années.

Au regard de ces considérations, la question centrale qui se pose est : quelle est l’incidence du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations ? L’objectif central de cette étude est alors de montrer l’impact du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations.

Cet objectif central est décliné en quatre objectifs spécifiques au travers de quatre problèmes:

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Problème 1 : méconnaissance des modalités de diffusion de l'hévéaculture villageoise suite à l'arrêt des subventions publiques

L’implantation de l’hévéaculture en milieu villageois relève d’une initiative des pouvoirs publics. Elle a été mise en œuvre dans le cadre de programmes publics de vulgarisation ou « plan hévéa ». La démarche adoptée a d’abord consisté à créer des blocs de plantations industrielles accompagnés d’usines de traitement du caoutchouc naturel. A la périphérie de ces complexes industriels, la promotion de plantations villageoises a été faite par le biais d’un dispositif d’intéressement particulièrement incitatif. En effet, outre le matériel végétal et les intrants qu’ils recevaient à crédit, les planteurs villageois bénéficiaient de l’encadrement technique nécessaire à la conduite des exploitations et de la garantie d’un débouché pour leur production. Pendant près de deux décennies (de 1979 à 1993), c'est cette forme d’économie agricole assistée qui a été le moteur de la vulgarisation de l’hévéaculture villageoise. Toutefois, à partir de 1994, en application des programmes d’ajustement structurel, un terme est mis aux subventions publiques et le secteur villageois semble alors condamné à une certaine léthargie. Paradoxalement, dans un tel contexte, l’hévéaculture villageoise amorce une phase d’expansion rapide, se propageant de façon quasi-simultanée à l'ensemble du sud forestier. De quelques localités où elle était pratiquée à la faveur des programmes publics de vulgarisation, l’hévéaculture s’est généralisée. Corrélativement, les superficies emblavées se sont accrues, induisant un accroissement rapide de la production du secteur villageois qui se voit multipliée par 24 en 10 ans, passant de 7 867 tonnes en 1993 à 185 089 en 2013 (APROMAC, 2014). Derrière cette dynamique se retrouve une adoption massive de la culture par les populations agricoles. Toutefois, une question essentielle se pose : comment parviennent-elles à la pratiquer quand on sait que les facteurs de production (terre et main-d'œuvre) sont très disputés du fait de la concurrence des productions traditionnelles et que les subventions publiques n'existent plus ? En d’autres termes, comment se diffuse l'hévéaculture ?

Objectif 1 : Analyser les modalités de la diffusion de l’hévéaculture villageoise.

Hypothèse 1 : La diffusion de l’hévéaculture se fait par le jeu des acteurs.

Problème 2 : Malgré les besoins de plus en plus importants des populations en produits alimentaires, le développement de l'hévéaculture comme culture exclusive se fait sur des espaces réservés à la production vivrière

Le sud forestier ivoirien est reconnu pour son dynamisme en matière d'agriculture arbustive d'exportation. Parallèlement, comme l'indique Chaléard (2003), c'est la partie du pays où la production vivrière demeure la plus importante. Celle-ci est surtout le fait de planteurs de cacaoyers et de caféiers associant cultures pérennes et vivrières sur l’exploitation ou produisant le vivrier en culture pure, pour l’autoconsommation ou dans le cadre de la diversification des productions pour la vente. Toutefois, ces dernières années, cette petite

27 paysannerie se tourne de plus en plus vers l’hévéaculture. Ainsi, des plantations de cacaoyers et de caféiers qui sont également des lieux privilégiés de production vivrière sont affectées à l’hévéaculture, de même que des parcelles traditionnellement vouées à des productions alimentaires. Même des espaces autrefois considérés comme impropres aux cultures pérennes tels les bas-fonds et exclusivement réservés aux cultures vivrières sont désormais transformés en plantations d’hévéas. La dynamique de l’hévéaculture repose également sur l’intérêt qu’elle suscite auprès des populations traditionnellement en marge de l’économie de plantation. En effet, un nombre croissant de femmes jusque-là très actives en matière d’agriculture vivrière se lancent, comme de nombreux jeunes déscolarisés ou certains jeunes diplômés des villes du fait de l’exacerbation du chômage qui retournent à l’activité agricole via l’hévéaculture ; ou encore des citadins parmi lesquels des cadres de l’administration publique comme privée, des commerçants, des transporteurs, etc., dont l’agriculture n’est pas l’activité principale. Toute cette dynamique contribue à accentuer la pression sur les terres agricoles, en particulier les jachères et les terres occupées par les cultures annuelles. De ce qui précède, la question se pose de savoir « quelle est l’incidence du développement de l’hévéaculture sur la production vivrière locale ? ».

Objectif 2 : Etudier l’incidence de la diffusion de l’hévéaculture sur la production vivrière.

Hypothèse 2 : Le développement de l’hévéaculture a des impacts socio-spatiaux négatifs sur la production vivrière.

Problème 3 : Disparition de l'économie cacaoyère et caféière au profit de l'hévéaculture, pourtant principale source de revenus des populations rurales

L’hévéaculture réalise une percée dans le système de production agricole. Ce dynamisme repose principalement sur la reconversion des plantations cacaoyères, mais surtout des plantations caféières (Ruf, ibidem), en plantations d'hévéa. Or, le système d’économie de plantations traditionnelle constitue l’un des principaux déterminants de l’accès physique et économique des populations aux vivres. En effet, d’une part, il permet la production d’importantes quantités de produits vivriers par association ou parallèlement aux plantations. En ce sens, il permet l'accès physique des populations aux vivres. Par ailleurs, le système de transport mis en place dans le cadre de l'économie des plantations cacaoyères et caféières constitue le vecteur de la circulation des denrées alimentaires dans diverses régions. D'autre part, ces deux cultures constituent les principales sources de revenus des populations, en particulier en milieu rural. Ce qui contribue, d'un point de vue économique, à leur accessibilité aux biens alimentaires via le marché. Compte tenu des mutations induites par le développement de l’hévéaculture au niveau du système d'économie de plantations, il paraît opportun de poser la question suivante : quelle est l’influence du développement de l’hévéaculture sur l’accès physique et économique des ménages aux vivres ?

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Objectif 3 : Evaluer l’incidence de la diffusion de l’hévéaculture sur l’accessibilité physique et économique des ménages aux vivres.

Hypothèse 3 : La diffusion de l’hévéaculture a des effets positifs sur l'accessibilité physique et économique des ménages aux denrées alimentaires.

Problème 4 : Augmentation des revenus due à la diffusion de l'hévéaculture, mais incertitude quant à la situation alimentaire des ménages

En Côte d'Ivoire, les ménages agricoles comptent parmi les plus vulnérables à l'insécurité alimentaire et les études font état d’un taux de 14% (ENV, ibidem). Il s’agit là d’une insécurité fondée sur un régime alimentaire pauvre et monotone du fait de l'importance de l'autoconsommation. Les cultures traditionnelles (café, cacao, etc.) ne leur procureraient pas des revenus suffisants pour permettre une diversification de leur alimentation par le biais du marché. On est alors amené à penser qu'une augmentation de leurs revenus peut conduire à une amélioration de leur régime alimentaire ; toutefois, comme l'indiquent certaines études, il n'existe pas de liens automatiques entre la hausse des revenus et la qualité de l'alimentation. Selon Gellepsie et Kadiyala (2012), cités par Dury et Bocoum (2012), alors que la production alimentaire a cru en Inde et que la pauvreté a diminué, le taux de malnutrition est resté étonnement élevé. De même, la région de Sikasso connaît l’un des taux de malnutrition les plus élevés alors même qu'elle est l’une des plus prospères du Mali (Dury et Bocoum, ibidem.). Sur la base de ces différents constats, on est fondé à se demander si le développement de l’hévéaculture permet une amélioration de la qualité de l'alimentation des populations ?

Objectif 4 : Analyser l’influence de la diffusion de l’hévéaculture sur la qualité de l'alimentation des ménages.

Hypothèse 4 : Les revenus issus de l’hévéaculture permettent aux populations d’améliorer leur alimentation.

Problème 5 : Instabilité des conditions d'accès physique et économique aux vivres

L'alimentation des populations, notamment en milieu rural, est marquée depuis toujours par une certaine instabilité. Les productions vivrières qui sont la base de l'alimentation sont saisonnières puisque principalement fournies entre septembre et janvier. Cela implique que pendant la soudure particulièrement longue (généralement entre février et octobre), les ressources alimentaires mobilisables baissent considérablement, allant souvent jusqu'à la rupture pour certaines catégories de produits comme la banane plantain, le riz local, etc. Ainsi, les prix enregistrent-ils une hausse sur les marchés au moment même où, du fait du ralentissement des activités agricoles, les populations agricoles sont confrontées à la baisse des ressources monétaires. En effet, les cultures traditionnelles (café, cacao), principales

29 sources de revenus des populations n'offrent véritablement qu'un seul revenu annuel, le plus souvent entre octobre et février. C'est dans ce contexte d'instabilité des ressources alimentaires disponibles et des moyens d'existence que les populations s'orientent massivement vers l'hévéaculture. Or, l'hévéa n'est pas une plante alimentaire. On se demande alors si l'engouement qu'elle suscite auprès de la petite paysannerie n'est pas de nature à exacerber les problèmes de stabilité alimentaire. Autrement dit, quelle est l'incidence de la diffusion de l'hévéaculture sur la stabilité de l'alimentation des populations ?

Objectif 5 : Etudier l'incidence de la diffusion de l'hévéaculture sur la stabilité de l'alimentation des populations.

Hypothèse 5 : L’hévéaculture contribue positivement à la stabilité de l'alimentation des ménages hévéaculteurs du fait de la régularité des revenus qu'elle procure.

Conclusion

Ce travail de recherche vise à mettre en évidence l'incidence de la diffusion de l'hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations. Entre autres raisons pouvant justifier une telle approche, nous relevons l'importance économique croissante de l'hévéaculture en Côte d'Ivoire depuis le début des années 2000. Or, cette dynamique qui, rappelons-le, repose sur une adoption massive de la spéculation par les planteurs villageois, reste globalement méconnue tant au niveau de ses aspects spatiaux et des stratégies des acteurs que de ses impacts sur les systèmes de cultures ou sur la sécurité alimentaire. Par ailleurs, cette thèse procède de la volonté de dépasser les études réalisées sur l'introduction de nouvelles cultures dans le système agricole ivoirien. Celles-ci ont plutôt privilégié la recherche des conséquences technique et socio-économique de la nouveauté au détriment des aspects liés à l'alimentation des populations. En prenant en compte la dimension de la sécurité alimentaire, la présente étude se veut donc novatrice. Les questionnements et hypothèses formulés conduisent à la prise en compte de la dimension multidimensionnelle des impacts du développement de l'hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations selon un angle géographique. Afin de parvenir à une bonne appréhension des liens entre la diffusion de l'hévéaculture et la sécurité alimentaire des populations, il convient de clarifier le cadre théorique qui sous-tend cette étude.

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Chapitre 2 : Un cadre théorique au croisement de la théorie de l’innovation, des concepts de filière agro- alimentaire et de sécurité alimentaire

Ce chapitre se concentre sur l’explicitation des concepts et théories mobilisés pour comprendre les liens entre la diffusion de l’hévéaculture et la sécurité alimentaire des populations. Etayer ce rapport requiert préalablement d’avoir compris les bases théoriques permettant d’appréhender les modalités de développement de l’hévéaculture avant de bien cerner les contours du concept de sécurité alimentaire. Dans cette mesure, la théorie de la diffusion de l’innovation est mobilisée afin de mieux assimiler les conditions de développement de l’hévéaculture. En effet, cette dynamique amorcée depuis le début de la décennie 2000 constitue une innovation agricole dans les systèmes de productions locaux dominés par la culture du binôme café-cacao et pour les agriculteurs plus habitués à ces deux cultures. Cette théorie permet la prise en compte des mécanismes d'adoption et de propagation de l’hévéaculture au sein du milieu social et de l'espace. L'utilisation de la théorie de l'innovation ne peut rendre compte à elle seule de toutes les dimensions des transformations en cours. Pour aborder les dimensions institutionnelles, politiques et économiques de la diffusion, nous nous appuyons sur le concept de filière agro- industrielle. Mais, dans la mesure où l'activité des filières agro-alimentaires induit une dynamique des aires de production qu'il faut nécessairement prendre en compte, il convient de mobiliser le concept de bassin de production. Afin de permettre une analyse harmonieuse de l'impact des processus en cours sur la sécurité alimentaire des populations, l’approche systémique est donc employée. Elle vise à autoriser la prise en compte cohérente des différentes composantes du système alimentaire (territoire, acteurs, flux, etc.) dans l’analyse des liens entre le développement de l’hévéaculture et la sécurité alimentaire des populations. En définitive, ce chapitre expose la théorie de la diffusion de l’innovation, les concepts de filière agro-alimentaire et de bassin de production, précise les contours de l'approche systémique avant de développer le concept de sécurité alimentaire.

2.1 L’innovation comme entrée

Le terme « innovation » compte certainement parmi les plus usités de notre époque. Dans presque tous les secteurs d’activité, il est question d’innovation. Le domaine de la recherche n’est pas en reste puisque plusieurs champs disciplinaires – parmi lesquels l’anthropologie, la sociologie, l’économie et la géographie – se partagent son usage. Parce que les études portant sur l’innovation dans ces disciplines des sciences sociales visent quasiment toujours à cerner sa trajectoire sociale, économique ou spatiale, le terme est assez souvent accolé à celui de « diffusion ». De ce fait, la « diffusion de l’innovation » ne recouvre-t-elle pas la même réalité selon que l’expression est employée par un géographe, un sociologue ou un économiste. Il

31 faut donc l’éclaircir de façon à cerner sa signification, ses implications spatiale et temporelle. Sans prétendre faire une revue exhaustive de l’ensemble des travaux réalisés sur la thématique, nous dégageons ici les aspects qui aident à éclairer notre démarche. Dans cette perspective, l’analyse porte sur ce qu’est une innovation, ses différentes typologies et les diverses approches (par la demande d'innovation, par l'offre d'innovation et radicale) de la théorie de la diffusion de l'innovation.

2.1.1 Qu’est-ce qu’une innovation ?

Au sens large, en nous appuyant sur le Dictionnaire Robert (2014), l'innovation est l’action d’évoluer, c’est-à-dire d'introduire une nouveauté dans une chose établie. Toutefois, selon Durand (1999), l’idée de nouveauté doit être relativisée selon le contexte en ce sens que, ce qui peut être nouveau pour une entreprise ou pour un marché pourra sembler bien traditionnel pour d’autres, l’innovation ne se jaugeant pas en tant que telle, intrinsèquement, mais relativement à ceux qui la vivent. Kotler et Dubois (1994) abondent dans ce sens, considérant qu’est innovation toute marchandise, prestation de service ou idée perçue comme nouvelle par quelqu’un. Ils ajoutent qu’un concept même ancien, n’en constitue pas moins une innovation pour la personne qui le découvre pour la première fois. Cela signifie qu’il faut nécessairement prendre en compte les perceptions et les représentations que se font les adoptants de l'objet de référence avant de parler d’innovation. Schumpeter (1935) est l’un des premiers à traiter de l’innovation sous un angle économique. Il l’assimile à un processus de « destruction créatrice » puisqu’elle fait émerger de nouvelles potentialités en même temps qu’elle en détruit d’autres. En d’autres termes, les nouvelles innovations entraînent l’obsolescence et la disparition des anciennes. Ainsi, pour l’économiste, l’innovation est-elle un processus qui contribue à l’évolution continue des structures de production en permettant le passage d’un modèle à l’autre. Dans le champ sociologique, l’innovation peut être définie en suivant Gaglio (2011) comme une invention qui s’est répandue, c'est-à-dire qui est adoptée au moins par et dans le milieu social. Peu importe la taille du groupe social qui la suit, il peut s’agir d’un groupe de pionniers ou du grand public. Il faut donc distinguer l’invention qui n’est "qu’une" création, de l’innovation qui consiste à donner sens et effectivité à cette création (Alter, 2002). Ainsi, si elle apparaît comme « un moyen de tirer profit des inventions », l’innovation est aussi un processus dynamique en ce sens qu’elle permet de transformer une découverte, une technique, un produit ou une conception, en de nouvelles pratiques (Alter, 2000). En géographie, l’innovation désigne l’apparition d’une nouveauté en un temps et un lieu donnés (Brunet et al., 1993), par nature susceptible de se propager dans l’espace (Saint- Julien, 1985). La nouveauté désigne ici un objet de consommation et d’équipement (automobile, télévision, charrue, machine, etc.) mais aussi une pratique culturelle et sociale, voire correspondre à la création en un lieu d’un établissement. Appliquée au champ agricole sur lequel porte cette étude, l’innovation peut être définie, en suivant Pebayle (1974), comme un changement transformant plus ou moins complètement les formes traditionnelles d’occupation et d’utilisation du sol. Plus exactement, elle consiste en l’introduction d’une nouvelle culture, d’un nouveau procédé de culture comme la culture attelée ou d’intrants comme les engrais (Requier-Desjardins, 1992). Ainsi rapporté à notre étude, le nouvel

32 environnement de la production (production de matériel végétal, encadrement des planteurs) marqué par l'avènement de nouveaux acteurs comme les sociétés agricoles, les nouvelles techniques culturales, le nouveau mode d'organisation des producteurs et de la commercialisation, etc. constituent autant de nouveautés induites par le développement de l'hévéaculture.

2.1.2 Différentes typologies de l'innovation

En fonction du type d’objet sur lequel porte l’innovation, on distingue l’innovation matérielle de l’innovation immatérielle. L’innovation est dite immatérielle lorsqu’elle se rattache aux concepts (juridique, économique, technique), aux idées (religieuse ou artistique), aux modes de vie (sociale ou culturelle) ou aux pratiques personnelles ou professionnelles. Par ailleurs, l’apparition en un lieu d’une épidémie ou d’une rumeur est considérée comme une innovation immatérielle. On peut également classer dans ce type d’innovation, tout changement organisationnel (nouveau système de management) ou social (Gaglio, 2011). Quant à l’innovation matérielle, elle renvoie à des biens de consommation (ordinateur, automobile, télévision, etc.). Ainsi, elle concerne tous les types d’objets physiques, ce qui fait qu’elle se rapporte à tout changement technologique dont l’objet est la fourniture de nouveaux produits. Au nombre des innovations matérielles se trouve l’innovation agricole dont l’adoption induit toujours une modification du système d’exploitation. Pebayle (1974) distingue quatre types d’innovation agricole : la recombinaison, la rénovation, la reconversion et la mutation (tableau 1).

Dans la recombinaison, les éléments constituant le système agricole restent identiques, mais le producteur procède à l’accroissement d’une des productions du système agricole au détriment des autres et ce, afin de profiter de la hausse des cours du marché de cette production. La recombinaison est dite sélective lorsqu’elle porte sur une parcelle et convergente quand elle concerne l’ensemble des parcelles de l’agriculteur. Une telle innovation est qualifiée de spontanée parce que le producteur ne bénéficie d’aucun encadrement. Elle est directe car mise en œuvre par l’exploitant lui-même. Spatialement, la recombinaison topique désigne celle qui s’opère en un lieu bien précis de l’exploitation. A l’échelle régionale, elle se manifeste le long des routes et autour des centres urbains et est dite linéaire.

La rénovation est une transformation du système agricole par amélioration, adjonction ou substitution de ses éléments constitutifs. Il y a rénovation par amélioration, lorsque l’agriculteur a recours à l’amendement, à l’irrigation ou au drainage. Elle vise l’accroissement de la productivité de la terre. La rénovation peut en outre se traduire par l’adjonction d’une nouvelle culture au système agricole ou par la substitution d’une variété de semences par une autre. Compte tenu de la maîtrise technique et du coût financier qu’elle requiert, la rénovation est le plus souvent induite, voire pilotée par des institutions. De ce fait, elle peut prendre l’allure d’une innovation qui se répand rapidement au plan régional.

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On constate que ces deux premiers types d’innovation (recombinaison et rénovation) n’éliminent pas la possibilité d’un retour au système agricole initial en ce sens que les transformations structurelles ne sont pas profondes. Quand le changement est plus rapide, voire brutal, on parle de reconversion.

La reconversion procède d’une action endogène. Elle affecte d’abord, un ou plusieurs éléments du système agricole traditionnel avant d’entraîner, à moyen ou long terme, une transformation totale de l’exploitation. Dans ce cas, elle est dite cumulative. Mais lorsqu’elle s’inscrit dans la durée, la reconversion devient une mutation.

La mutation consiste au remplacement du système agricole originel par un autre complètement nouveau. C’est un changement qui se déroule de manière progressive car il induit des coûts, donc une prise de risque de la part de l’agriculteur. Lorsqu’il est le fait d’agriculteurs locaux, on parle de mutation endogène. En revanche, la mutation est qualifiée d’exogène quand elle émane d’agriculteurs extérieurs aux systèmes locaux. Ce sont souvent des citadins ou des migrants ruraux venus d’autres régions agricoles. En s’installant dans une zone, ils montrent l’exemple. Ils se lancent le plus souvent dans cette voie parce qu’ils détiennent les moyens de cette mutation mais surtout parce qu’ils envisagent un profit rapide.

Tableau 1 : Types d’innovation dans l'agriculture au Brésil

Niveau de diffusion spatiale Conditions Types et sous-types d’adoption Au niveau de Au niveau de

l’exploitation la région Sélective Recombinaison Spontanée Topique Ponctuelle Convergente Par amélioration Insulaire Rénovation Par adjonction Induite Linéaire Par substitution Partielle Cumulative Reconversion Stimulée Linéaire Structurelle Pionnière Régionale Mutation Dirigée Globale Néo-pionnière Extrarégionale Source : d’après Pebayle, 1974

Cette classification repose sur une analyse des innovations agricoles au Brésil. Par conséquent, elle est plus représentative des réalités et des dynamiques à l'œuvre dans l’agriculture de ce pays. Elle constitue cependant un outil pertinent pour caractériser les changements en cours dans nos deux terrains d’étude. Au total, si les aspects développés ci-dessus permettent de mieux cerner la notion d’innovation, il reste qu’ils n’apportent que peu de renseignements sur le processus de la diffusion d’une innovation. Nous tenterons donc de le préciser dans la section suivante en explorant les différentes approches de la problématique de la diffusion de l’innovation.

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2.2 Une diversité d’approches pour appréhender la diffusion de l’innovation

La diffusion est une action qui renvoie à différents processus concourant au déplacement et à la dispersion d’une innovation dans l’espace. Rogers (1995) la présente comme le processus par lequel une innovation est communiquée à travers certains canaux, dans le temps et parmi les membres d’un système social donné. La diffusion fait alors référence au passage de l’innovation d’un individu ou autre organisme émetteur à un individu ou groupe d’individus potentiellement adoptant. C’est un processus doté d’une dimension spatiale puisque les membres du système social sont, par définition, disséminés à travers l’espace. Dans la mesure où tous les individus n’adoptent pas l’innovation à la même vitesse, on parle de processus de diffusion spatiale de l’innovation. Cette dimension processuelle se rapporte aux différentes temporalités de la diffusion. Selon Saint-Julien (ibidem), ce terme de processus de diffusion spatiale de l’innovation désigne le phénomène de propagation dans le temps et dans l’espace d’une chose spécifique, objet, institution, idée, pratique, etc., auprès des individus, des groupes ou de toutes autres unités potentielles d’accueil, très précisément localisé. Outre le fait d’être une action, la diffusion est également le résultat des processus engagés en termes d’ensemble d’effets observables à différentes périodes et échelles de l’espace géographique. Globalement, en matière de recherche sur l’innovation, il existe trois approches. On distingue les études qui mettent l’accent sur le processus qui débouche sur l’adoption de l’innovation ou « approche par la demande », celles qui se concentrent sur les vecteurs de la diffusion dites « approches par l’offre » et, enfin, celles s’intéressant aux interactions entre le processus de diffusion de l’innovation et son environnement extérieur, appelées « approches radicales ».

2.2.1 L’approche par la demande

Cette approche a été particulièrement développée dans le champ de la sociologie par Ryan et Gross (1943) ou Rogers (1995, ibidem). Elle se concentre sur la connaissance du processus à l’origine de l’acceptation d’une innovation par les individus ou les organisations. Dans cette perspective, on s’intéresse particulièrement aux caractéristiques de l’innovation et à celles de l’adoptant. L’approche selon la demande conduit à appréhender le processus d’adoption des innovations comme le produit d’une interaction entre les qualités intrinsèques de l’innovation et les caractéristiques des adoptants. Cette voie de recherche a permis de mettre en évidence un certain nombre de critères de succès de l’innovation. Par ailleurs, en se basant sur le postulat d’une égalité de chance d’adopter l’innovation pour tous les acteurs, cette approche aboutit à la caractérisation des individus en fonction de leur aptitude à choisir plus ou moins rapidement l’innovation.

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2.2.1.1 Déterminants du succès d’une innovation selon l’approche par la demande

Certes, plusieurs facteurs tels les caractéristiques du milieu social peuvent conduire au succès d’une innovation ; toutefois, quelle que soit la stratégie mise en œuvre, ses qualités intrinsèques elles-mêmes occupent une place centrale dans son succès futur. Selon Rogers (ibidem), ces qualités concernent l’avantage relatif, la compatibilité avec les valeurs des adoptants, la complexité, la testabilité et l'observabilité de l'innovation. L’avantage relatif est la valeur ajoutée qu’est censée apporter l’innovation. Il repose sur les avantages perçus ou réels de l’innovation par rapport à l'objet qu’elle remplace. Ceux-ci se fondent sur la rentabilité économique, le prestige social, la commodité, la satisfaction ou d’autres types de bénéfices. De la sorte, plus l’avantage relatif d’une innovation sera perçu comme étant élevé, plus elle aura de chance d’être adoptée rapidement. Ainsi, dans le cadre de cette étude, les adoptants de l’hévéaculture sont motivés par la valeur ajoutée qu’elle leur apporte en termes de rentabilité économique. Toutefois, l’avantage relatif d’une innovation doit être associé à sa compatibilité. La compatibilité désigne l’adéquation ou l’adaptabilité de l’innovation avec les valeurs, les expériences passées et les besoins de l’adoptant potentiel. Une innovation se diffusera plus facilement si elle s’intègre bien dans la culture locale. Cela rejoint l’idée de Sylvestre et Muchnik (1995) selon laquelle pour qu’il n’y ait pas de rejet des « greffes innovantes », il faut qu’elles soient cohérentes avec la culture technique locale, qu’elles soient absorbées par les tissus techniques existants. A l’inverse, une innovation qui est incompatible avec les valeurs et les normes d’un système social ne fera pas l’objet d’une adoption rapide. Cela requiert souvent l’admission préalable d’un nouveau système de valeurs, ce qui est un processus lent. La complexité correspond à la perception qu’a l’adoptant des difficultés à comprendre les principes, le fonctionnement et l’utilisation de l’innovation. Plus la difficulté sera perçue comme élevée, notamment quant à son utilisation, moins vite l’innovation sera adoptée. La testabilité recouvre la possibilité d'essayer l'innovation sur un faible périmètre ou à grande échelle afin de jauger la facilité avec laquelle l’innovation peut être utilisée pour ainsi en mesurer les risques et en lever les incertitudes avant l’adoption. Enfin, l’observabilité des effets de l’innovation constitue l’un des déterminants qui concourent à son adoption. Il correspond à la possibilité pour les adoptants potentiels d’observer de l’extérieur les effets de l’innovation. Pour être adoptée, il faut donc que les qualités intrinsèques d'une innovation soient comprises et accessibles de la part des individus. Si l’innovation répond aux critères pour être adoptée, il n’en demeure pas moins que la décision d’adoption n’est pas automatique. En fonction du temps mis avant l’adoption d’une innovation, il est possible de classifier les adoptants.

2.2.1.2 Les multiples profils des adoptants

Tous les individus exposés à une innovation ne l’adoptent pas au même moment. Selon Korsching et Hoban (1990), l’adoption est un processus psychologique et social par lequel l’individu décide, ou non, d’utiliser une nouvelle pratique ou une nouvelle technologie à partir de l’évaluation croisée de ses ressources et de ses besoins personnels ainsi que de la nature de

36 l’innovation elle-même. Ce processus se construit en cinq phases : la prise de conscience de l’innovation, la persuasion, la décision, l’acceptation et la confirmation. Le processus est plus ou moins rapide selon les individus, ce qui permet de les catégoriser. En fonction du temps qui s’est écoulé avant que les individus n’adoptent une innovation, Rogers (ibidem) distingue cinq profils d’adoptants : les pionniers, les premiers adoptants, la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires (fig. 1).

Figure 1 : Les catégories d'adoptants en fonction du moment d'adoption de l'innovation

Source : Rogers (1995)

Les pionniers ou innovateurs sont les premiers (2,5%) des adoptants potentiels qui choisissent effectivement l’innovation. Ils ont en commun le goût de la nouveauté, de l’aventure et du risque, ce qui les pousse à s’insérer dans des réseaux de communication nationaux et internationaux afin d’être informés rapidement de l’apparition de toute nouveauté, l’éloignement géographique n’étant pas pour eux un handicap. De même, le coût et le risque économiques inhérents à l’adoption de l’innovation, tout comme la complexité relevant de sa mise en œuvre ne sont pas, un frein. Leur rôle est primordial dans la diffusion de l’innovation car ils sont à son origine. Les premiers adoptants représentant 13,5% du panel de Rogers ont une plus grande capacité à s'emparer de l'innovation dès qu’elle apparaît localement. Ce sont des acteurs qui sont davantage ancrés dans le système local que les pionniers et qui bénéficient, localement, d’un statut de leader d’opinion. Ils jouent auprès des adoptants potentiels un rôle d’informateur et de conseiller à telle enseigne qu’un nombre élevé (68%) d’individus va leur emboîter le pas. Toutefois, parmi ceux-ci, il faut distinguer ceux qui sont représentatifs d'une majorité précoce (34%), constituée d’individus très actifs dans le système local mais qui ne tiennent pas de rôle de chef de file à l'image de la majorité tardive (34%). Ces derniers sont les plus sceptiques et critiques envers toute nouveauté. Ils attendent la preuve matérielle de la pertinence de l’innovation avant de s’engager. Le facteur déclencheur est souvent à relier à une pression 37 sociale. Le rôle de ces deux dernières catégories est crucial car il détermine le succès ou l’échec de l’innovation. Les retardataires (16%), se singularisent par leur conservatisme. Ils sont peu sensibles à l’influence des leaders d’opinion et aux effets de mode. Cette catégorie regroupe par ailleurs des individus mal intégrés aux réseaux sociaux, dont la faiblesse des ressources financières constitue un frein au changement. Ainsi, l’approche par la demande met en évidence les critères qui président à l’adoption d’une innovation et, par conséquent, à sa diffusion. Ceux-ci reposent tant sur les qualités intrinsèques de l’innovation que sur les caractéristiques des individus. Toutefois, les tenants de l’approche par l’offre d’innovation considèrent cette explication comme trop réductrice. Selon Ilbery (1985), citant Terrant (1974), il est trop réducteur de vouloir expliquer tout le processus de l’adoption et de la diffusion d’une innovation à partir des seules caractéristiques des individus et de l'innovation elle-même. Les raisons de l’adoption, ou surtout de son rejet, peuvent s’inscrire dans un contexte plus large auquel appartient l’individu. Par conséquent, il faut sonder l’approche par l’offre pour comprendre le processus de diffusion de l’innovation dans toute sa plénitude.

2.2.2 L’approche par l’offre d’innovation

Cette approche s’intéresse principalement aux canaux par lesquels l’innovation est diffusée. Initiée par Brown (1981), elle introduit l’idée selon laquelle toute innovation a besoin de promoteurs afin d’être connue par des utilisateurs potentiels avant d’être adoptée et éventuellement diffusée. Un tel postulat fait nécessairement de la diffusion le résultat d'un processus. Pour commencer, il convient d’établir des agences (publiques ou privées) de diffusion qui fournissent des indicateurs quant au lieu et date de la disponibilité de l'innovation. L'étape suivante consiste en la mise en place de stratégies de communication à l'effet de propager l'innovation dans sa sphère de compétence et de la mettre à la disposition des adoptants potentiels. In fine, à un niveau local, la diffusion intègre le passage de l’innovation d’un individu émetteur à un individu potentiel adoptant. En un mot, cette approche se focalise sur la diffusion de l’innovation. C'est un processus qui recouvre deux dimensions : spatiale et temporelle.

2.2.2.1 Les dimensions spatiales de la diffusion

Les dimensions spatiales de l’innovation concernent les canaux de propagation de la diffusion et leurs formes spatiales. Les canaux de diffusion de l’innovation sont les moyens par lesquels les adoptants accèdent à l’innovation. Quant aux formes spatiales, ce sont les empreintes laissées par l’innovation ou encore la manière dont elle se déplace dans l’espace.

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 Les canaux de diffusion

Les canaux de la diffusion spatiale de l’innovation sont les moyens par lesquels les adoptants potentiels accèdent à l’innovation. Même si l'on ne peut nier l'efficacité du rôle des principaux médias dans la prise de conscience de l'existence de l'innovation, il n’en demeure pas moins que les réseaux interpersonnels comptent pour beaucoup dans l'acceptation, ou non, de l'innovation. Ils fonctionnent par le biais du voisinage. La diffusion se fait alors par contact direct, par proximité ; les individus se transmettent les informations, les opinions, les connaissances et s'influencent les uns les autres. Toutefois, l’effet du voisinage diminue au fur et à mesure que la distance entre la source et le récepteur grandit. L’éloignement dont il s'agit ici n’est pas exclusivement physique ; il peut aussi être économique, culturel, psychologique ou temporel. Ainsi, plusieurs types de distances sont intervenus dans la diffusion du maïs hybride dans le Béarn (Saint-Julien, ibidem) : d’abord le voisinage culturel, à travers les premières adoptions des dirigeants agricoles agissant dans le cadre d’une action collective puis, par la suite, c’est la proximité économique et physique des exploitants de base qui a prévalu. La diffusion spatiale d’une innovation peut aussi se faire en suivant le canal de la hiérarchie des lieux. En effet, les grandes villes adoptent les premières un certain nombre d’éléments, les transmettant prioritairement entre elles, avant de les diffuser progressivement en direction des plus petites. La diffusion précoce de l’innovation dans les grandes villes tient au fait que celles-ci comptent un plus grand nombre d’individus potentiellement innovants et disposent d’une plus grande probabilité de contact. Le facteur facilitant la transmission de l'innovation entre les villes du haut de la hiérarchie urbaine reste la position relative occupée par ces villes dans l’organisation du territoire bien plus que la distance physique qui les sépare. Dans le processus de diffusion, un certain nombre de phénomènes se propagent en combinant le canal de la diffusion par contagion et celui survenant selon la hiérarchie des lieux. À côté de ces effets, il existe d'autres facteurs qui interviennent, comme les caractéristiques de l'espace d'accueil de l'innovation, à savoir l'aptitude du milieu à recevoir et à favoriser la diffusion de l'innovation. Ces caractéristiques peuvent être sociales (niveau de formation des potentiels adoptants, appartenance à des réseaux sociaux, mode de vie, etc.), géographiques (organisation démographique, urbaine, réseau d'infrastructures, aptitude physique de l'espace, etc.) et économiques (types d'activité, caractéristiques du marché). La concentration de ces caractéristiques dans un espace peut en faire un centre émetteur d’une innovation. Cette aptitude de l'espace à propager l'innovation peut être renforcée par l'existence d'agents tels les centres de formation, les différents organismes privés ou publics qui trouvent un intérêt économique, ou non, dans la propagation de l'innovation. Dans le domaine agricole, selon Bouzillé-Pouplard (2002) citant Butterworth (1995), elle se diffuse spatialement par l'intermédiaire de trois principaux canaux : les canaux externes au monde agricole (médias nationaux), les canaux périphériques à celui-ci (services de conseil, centres de recherche) et, les derniers, internes au monde agricole (contacts professionnels interpersonnels). Toutefois, notons que chaque canal joue un rôle particulier dans le processus d'adoption et correspond à une étape précise au sein de celui-ci. Le tableau 2 présente les canaux de diffusion spatiale et leurs rôles respectifs.

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Tableau 2 : Les canaux de diffusion spatiale de l'innovation agricole et leurs rôles

Canaux de diffusion Rôle Médias divers (télévision, radio, salon de Prise de conscience de l'existence de l'innovation, l'agriculture, etc.) première prise de contact Communication interpersonnelle (collègues, amis, Informations pratiques sur l’innovation, influence voisins) sur la décision d'adoption

Agences agricoles, structures de formations, Conseils technique et pratique pour la mise en institutions gouvernementales œuvre de l'innovation Information sur les modalités d'acquisition de Organismes privés, coopératives l'innovation, les avantages et conseils pour sa mise en œuvre Source : d'après Butterworth J. D. (1995, p. 71)

Le rôle des canaux de diffusion est d'autant plus important dans le domaine agricole que la mise en œuvre de nouvelles connaissances et de pratiques nouvelles se fait, généralement, en dehors des exploitations (Ilbery, 1985). Toutefois, que l'on soit dans le domaine agricole ou qu’il s’agisse d’un autre, les canaux de diffusion fonctionnent selon des paliers géographiques. À l’échelle locale, la propagation de l’innovation relève principalement des comportements individuels. Le transfert se fait par observation directe et souvent prolongée de la part de l’adoptant potentiel. À l’échelle régionale, l’influence des comportements individuels s’estompe, la diffusion dépendant dès lors d’organismes de propagation et des potentialités de l’espace d’accueil. Enfin au niveau national, les comportements individuels n’interviennent plus, la diffusion se fait par le biais de structures d’encadrement territorial, de grands réseaux de communication, etc. (fig.2).

Figure 2 : Les échelles spatiales de la diffusion

Source : Häggerstrand, 1953

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Ainsi, plusieurs canaux concourent-ils à la diffusion spatiale d'une innovation et ce, selon des modalités et en fonction d’échelles différentes. La question est maintenant de savoir quelles sont les formes de diffusion d'une innovation dans l'espace.

 Les formes spatiales de la diffusion

Une innovation a vocation à se déplacer et à se disperser dans l’espace géographique. Selon Cliff et al., (1981), un phénomène se diffuse dans l’espace selon deux formes : par extension et par migration. On parle de diffusion par extension lorsque, à partir du foyer émetteur, l’innovation conquiert progressivement le territoire, selon l’effet de voisinage sans que son intensité à la source ne diminue. La croissance urbaine est un cas typique de cette forme de diffusion. À partir du peuplement initial du centre-ville, l’urbanisation se diffuse progressivement vers les périphéries sans que le noyau initial central ne perde sa densité de population. La seconde forme de diffusion relève de la migration ou survient par relocalisation. Dans ce cas, le phénomène gagne de nouveaux espaces tout en rompant les liens avec la source initiale qui n’est plus alors le foyer émetteur. En fait, le phénomène migre le plus souvent sous l’effet de l’épuisement des ressources indispensables à son maintien. Le déplacement de certains fronts pionniers d’agriculture de plantation est représentatif de cette forme de diffusion. En effet, les sols épuisés sont délaissés au profit d’espaces disposant des ressources nécessaires à la poursuite de l’activité. C’est le cas en Côte d'Ivoire où l'économie cacaoyère est partie de l'Est du pays pour atteindre l'Ouest tout en disparaissant pratiquement du point initial (Ruf, 1995). Au premier abord, la propagation de l’hévéa tient davantage de l’extension. En effet, la culture est encore dynamique dans les zones pionnières tout en progressant rapidement au sein de nouvelles zones conquises. Un certain nombre d'innovations laissent peu ou pas d’empreintes dans l'espace puisque leur diffusion est entravée par des obstacles.

 Les barrières à la diffusion de l’innovation

Des barrières peuvent empêcher ou du moins retarder la diffusion d’une innovation. En effet, un même objet peut fonctionner comme un obstacle dans un cas et se révéler, par ailleurs, de moindre impact ou tout simplement favorable dans un autre. Sur cette base, Yuill (1964) distingue les barrières externes des barrières internes. Les barrières externes ont une origine indépendante du phénomène à l'étude. Elles font plutôt référence aux caractéristiques de l’espace d’accueil comme peuvent l’être les montagnes, les fleuves, les déserts, etc., qui stoppent la propagation du phénomène. On peut citer par exemple le blocage de la progression de l'épidémie de choléra au début du siècle dernier en Asie par l'Himalaya (Saint-Julien, ibidem). A cela peut s’ajouter l'exemple de la moitié nord de la Côte d'Ivoire qui est exclue de l'économie de plantation (cacao, café, hévéa, palmier à huile, etc.) à l'inverse du Sud et ce pour des raisons pédoclimatiques. Il ne faut cependant pas réduire les barrières externes à de seuls aspects physiques ; elles peuvent tout aussi bien être culturelles, politiques, idéologiques ou encore psychologiques. 41

Ici, nous pouvons évoquer la résistance des paysans béarnais et basques à l’adoption et à la diffusion du maïs hybride en France dans la seconde moitié du XXe siècle, mise en évidence par Mendras (1984). Selon cet auteur, pour certains paysans, ce maïs introduit dans la région après la Seconde Guerre mondiale était artificiel du simple fait qu’il avait été conçu aux Etats- Unis. Pour d'autres, cette culture exigeait une charge de travail et d’investissement en intrants et matériels agricoles trop importante. Quelques-uns estimaient que le maïs local était plus beau que cette nouvelle variété, la jugeant d'ailleurs comme n’étant pas assez nutritive pour les poules et les cochons du fait qu'elle n'était composée que de son. Cependant, le maïs hybride faisait état de rendements bien supérieurs au maïs local et se vendait bien. Quant aux barrières internes, elles sont strictement liées aux limites intrinsèques de l'innovation. Elles déterminent un type d'espace spécifique en dehors duquel celle-ci ne peut être diffusée. En fonction des effets que les barrières exercent sur le processus d'innovation, Thouvenot (1975) établit une classification selon trois grands types : les barrières perméables, les barrières absorbantes, et les barrières réfléchissantes. Selon lui, les barrières perméables sont celles dont l'effet contribue à atténuer l'intensité du processus à divers degrés. Il désigne du nom de barrière absorbante celles qui freinent le processus, l'énergie de propagation étant complètement absorbée par l'obstacle. Dans cette catégorie, on retrouve en particulier les barrières physiques. Ce type de barrière ne détruisant pas l'émetteur au contraire des barrières super-absorbantes qui le font. En revanche, les barrières réfléchissantes ne stoppent pas le processus, ne faisant que le réfléchir dans une autre direction. La diffusion d'une innovation est un processus dont la dimension spatiale se lit à travers les formes, les canaux et les obstacles qui la caractérisent. Qu'en est-il de sa dimension temporelle ?

2.2.2.2 La dimension temporelle de la diffusion

La dimension temporelle de la diffusion de l'innovation met en lumière le temps de réaction de l'individu face à l'innovation et les temporalités de la diffusion de celle-ci. Autrement dit, elle s'appréhende au travers du rythme d’adoption par les individus et de son taux de diffusion. Ce rythme correspond à la vitesse d'adoption au sein d’un système social donné, en nombre d’individus récepteurs par unité de temps. Quant au taux de diffusion, il représente la proportion d’individus d’un système social donné ayant adopté l'innovation à un instant . Pour Hägerstrand (1952, 1967), la courbe décrivant l'évolution du nombre d'adoptants en fonction du temps (y compris dans le cas des innovations agricoles) est une courbe logistique (fig. 3).

42

Figure 3 : La courbe logistique de la diffusion des innovations

Source : d’après Hägerstrand T. (1967)

De fait, le processus se décompose en quatre étapes :

 l'étape primaire, marquée par un nombre réduit d'adoptants, correspond à l'amorce du processus de diffusion avec l'apparition des premiers foyers. Il en résulte une forte opposition entre le centre et le reste de l'espace de l'innovation ;

 l'étape d'expansion, caractérisée par une croissance rapide du nombre d'adoptants, est celle au cours de laquelle se développe le processus proprement dit. Elle conduit fortement à la réduction des contrastes spatiaux ;

 l'étape de condensation, où le nombre d'adoptants tend à diminuer. Il y a une harmonisation de la pénétration de l'innovation dans les centres initiaux et les espaces périphériques ;

 l'étape de saturation, durant laquelle la proportion d'adoptants tend vers zéro, les potentiels adoptants de l'innovation l'ayant déjà adoptée.

Ces quatre étapes du processus de diffusion de l’innovation correspondent au moment de l’apparition des différentes catégories d’adoptants (figure 3). Ainsi, on retrouve au stade primaire les pionniers et les premiers innovateurs, le stade d’expansion est atteint lorsque l’innovation est adoptée par la majorité précoce, celui de condensation est rejoint avec la majorité tardive et celle de saturation est alimentée par les retardataires de l’approche de Rogers (ibidem). En somme, l'approche par l'offre d'innovation met l’accent sur l'analyse des formes et des modalités de diffusion de l'innovation tout en prenant en compte l'existence d'obstacles. L’un des principaux reproches fait à cette approche est qu’elle conduit à considérer que l’innovation est une bonne chose et qu’elle doit se diffuser (biais pro-innovation) (Rogers, ibidem). En d’autres termes, l’approche assimile les adoptants à des « boîtes noires » qui réagissent, ou non, aux stimuli de leur environnement, leur rôle ne se limitant à adopter ou

43 non l’innovation, en fonction de l’influence de facteurs exogènes. De plus, elle passe sous silence, à l'instar de l'approche par la demande, le rôle de l'environnement socio-économique dans le processus de diffusion de l'innovation. L'approche radicale permet de prendre en compte cet aspect.

2.2.3 L’approche radicale

L'approche radicale se focalise spécifiquement, tant sur l’impact de l’environnement socio- économique sur le processus de diffusion que sur l’incidence de la diffusion de l’innovation sur le milieu récepteur et les conditions d’existence des individus et des communautés. Dans ces conditions, l'explication du processus de diffusion passe nécessairement par la compréhension des caractéristiques socio-économique et politique de l’espace d’accueil de l’innovation. Selon l'approche radicale, la réussite d'un tel processus dépend de l’intérêt, de la pertinence et de l’opportunité qu’offre l’innovation au milieu. En d'autres termes, elle est tributaire des particularités de la formation sociale et des caractéristiques de l’espace géographique d’accueil (Gu-Konu, 1999). L'innovation a d'autant plus de chances de succès qu'elle répond à une demande sociale. La notion de demande sociale fait référence à « l’ensemble des besoins qui, de façon évidente, sont à satisfaire, mais qui restent latents par manque de ressources » (Treillon, 1992, p. 62). Toutefois, pour Mendras (1995, p. 112), au moment de son introduction, « l'innovation est acceptée dans la mesure où (et seulement cette mesure) elle ne remet en question ni le système technique, ni le système social, soit qu'elle s'y accole sans s'y intégrer, soit qu'elle s'y intègre et, par conséquent, perfectionne l'un et l'autre système ». Mais, une fois introduite, l'innovation provoque par le biais de l'évolution de l'économie des changements au niveau social. Chacun étant intéressé aux conditions de son adoption, l’innovation devient le prétexte d’un processus de renégociation généralisée. Cependant, dans la mesure où les divers groupes sociaux au sein de la société ne sont pas dotés des mêmes ressources, ils ne subissent pas les mêmes contraintes et, parfois, ils ne partagent pas les mêmes valeurs. L’introduction d’une innovation risque donc de servir certains intérêts et contrarier d’autres (De Sardan, 1995). Elle peut conforter les habitudes ou, au contraire, aboutir à la remise en cause des rapports de pouvoir, des jeux de domination, d’alliance et d’opposition qui traversent tout groupe social. Ce faisant, l'innovation peut inverser les relations traditionnelles : hommes et hommes, hommes et femmes, homme et nature, ou nature et culture. Puisqu'elle peut modifier les équilibres préexistants, on peut dire, en suivant Gaglio (2012), que le processus d’innovation comporte une dimension conflictuelle allant de la négociation pacifique aux conflits francs et massifs. En définitive, l'approche radicale permet de valider l’idée selon laquelle la diffusion d’une innovation n’est pas toujours bénéfique, profitant aux individus de façon inégalitaire. De même, elle peut s’avérer un facteur accentuant les disparités spatiales. En se fondant sur le poids des facteurs endogènes dans le processus d’adoption, l’approche radicale souligne que la non-adoption d’une innovation ne trouve pas son explication dans l’absence du goût du risque, mais dans une inégalité d’accès aux ressources nécessaires à l’adoption (informations, capital, formation, infrastructures, services, etc.).

44

Au total, la théorie de la diffusion de l’innovation constitue une approche pertinente pour comprendre les modalités de diffusion de l’hévéaculture en rapport avec notre première hypothèse de recherche. Pour ce faire, ce travail combine les trois approches de cette théorie telle que présentées dans la figure 4.

Figure 4 : Approche retenue pour l’analyse des modalités de diffusion de l’hévéaculture

Approches de la Approche selon Approche selon Approche théorie de l’innovation l’offre la demande radicale

Approche Etude du Etude des Etude des retenue pour dispositif de adoptants et de interactions entre la thèse vulgarisation de leurs stratégies l’innovation et le l’innovation milieu d’accueil

Réalisation : O. Ouattara, 2015

L’approche selon l’offre d’innovation permet d’étayer le dispositif de vulgarisation institutionnel de l’hévéaculture et de comprendre in fine comment l’innovation « hévéa » se propage dans l’espace. L’approche selon la demande cible les motivations de l’adoption et les stratégies que les individus utilisent pour produire. Enfin, l’approche radicale permet de cerner la place qu'occupent les contraintes locales dans l’essor de l’hévéaculture tout en appréhendant les impacts socio-spatiaux de son développement. Dans cette perspective, il de préciser le concept de filière agro-alimentaire.

2.3 De l'analyse du concept de filière agro-alimentaire

La notion de filière est polysémique. Elle sert tantôt à désigner un circuit économique, tantôt à décrire des formes d’organisation du marché. Les critères de définition et de description des filières sont aussi nombreux que les objets auxquels ils peuvent se rapporter. Les définitions sont aussi nombreuses que les chercheurs qui s'y intéressent (Garrouste, 1995). D’où la nécessité de préciser l’angle sous lequel on l’aborde dans ce travail de recherche.

2.3.1 L’affirmation du concept

L’idée de filière est apparue pour la première fois en 1700 avec les fondateurs des sciences économiques, en particulier avec Boisguillebert et ses essais sur les relations mutuelles unissant les composantes de l’activité économique. A cette époque, le vocable était assimilé au terme de canal ou de circuit économique par lequel transite un produit (Frantzen cité par

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Lebailly et al., 2000). Par la suite, en 1776, dans son ouvrage « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », Smith a proposé une description des filières à des fins pédagogiques dans le but d’illustrer la division du travail à travers l’énumération des différents opérateurs intervenant dans la fabrication d’une paire de ciseaux. Toutefois, si la notion de filière date de l’époque des économistes classiques, son acceptation moderne et son approfondissement remontent aux travaux de Davis et Golberg de la Havard Business school, à la fin de la Seconde Guerre mondiale (Montigaud, 1992). Leurs travaux donneront naissance au concept d’agro-industrie (agri business) formé de trois composantes : les industries qui fournissent l’agriculture, le secteur agricole et les activités de transformation et de distribution dont le but est d’analyser l’industrialisation croissante du secteur agroalimentaire. A cette époque, le concept d’agro-industrie ou de filière constituait un cadre explicatif et descriptif de l’évolution de l’agriculture insérée dans l’économie mondiale (Le Mené, 1994). Progressivement, son usage va s’étendre à d’autres secteurs d’activités en se positionnant tel un outil d’analyse des relations amont-aval qui apparaissent entre les agents dans tout système économique en croissance (Rastoin et Ghersi, 2010). La filière devient alors un concept souple, adaptable à de nombreuses problématiques. En effet, « tantôt la démarche se focalise sur le produit ou le groupe de produits […]. Tantôt, elle privilégie les démarches concernant ce produit ou groupes de produits […]. Tantôt encore, l’approche met l’accent sur les acteurs économiques, avec leurs objectifs et leurs comportements […] débouchant ainsi sur l’organisation et les stratégies » (Lassaourn, 1994, cité par Corniaux, 2003, p. 32). Comme le note Labonne (2001), l'explication de la dynamique de la filière sera influencée par les présupposés de l'auteur, trop souvent implicites. Notion économique construite pour rendre compte de façon structurée de l'interdépendance des activités au sein d'un secteur productif (Vaudois, 2001), le concept de filière n’a pas une définition unanimement partagée. Selon Ledent (1986), qui met l'accent sur la dimension technico-économique, la filière désigne un ensemble d’actes de production, de transformation et de distribution relatifs à un produit (pomme de terre, sucre, bois, etc.) ou à un groupe de produits (céréales, fruits, légumes, viande, etc.) concourant à la satisfaction d’un même besoin final issu de la consommation. Cette approche est partagée par Le Mené (1994) pour qui la filière représente un champ d’observation et d’analyse permettant de décrire, tout en la schématisant, la structure d’ensemble qu’est l’itinéraire suivi par un produit agricole. C'est une approche qui intègre la dimension spatiale dans l'analyse puisqu’elle tient compte de l’espace de production, de transformation et de consommation du produit. On retrouve cette vision technico-commerciale chez Morvan (1991) pour qui la filière est définie comme une succession d'opérations de transformation dissociables entre elles et liées par des enchaînements techniques. Ces actions donnent lieu à un ensemble de relations économiques et commerciales qui débouchent, elles-mêmes, sur des stratégies de la part des acteurs de la filière. Ces définitions n'intègrent pas les composantes du marché final constituées par l'appareil de distribution et le consommateur au contraire de celle que propose Goldberg (1968). Pour ce dernier, la filière englobe tous les participants impliqués dans la production, la transformation et la commercialisation d'un produit agricole. Elle inclut les fournisseurs de l'agriculture, les agriculteurs, les entrepreneurs liés au stockage, les transformateurs, les grossistes et détaillants permettant au produit brut de passer de la production à la consommation. Elle

46 concerne enfin toutes les institutions (telles que les institutions gouvernementales), les marchés, les associations de commerce qui affectent et coordonnent les niveaux successifs sur lesquels transitent les produits. Sur la base des travaux de différents auteurs, Vaudois (2000) définit une filière comme un système à trois composantes :

 le sous-système production-distribution-consommation définit la filière au sens strict. Il regroupe l'ensemble des agents économiques qui participent à la production, à la transformation et à l'acheminement des produits vers leurs destinataires finaux (les consommateurs pour les filières agroalimentaires) ;

 le sous-système d'encadrement englobe l'ensemble des agents économiques, administratifs et politiques agissant de façon directe sur le fonctionnement de la filière, par la fixation de son cadre d'activité et de ses règles de fonctionnement, par la fourniture de moyens matériels et intellectuels de son fonctionnement, par la régulation et l'orientation de la production, des échanges et de la consommation. Il inclut les services de l'État et des collectivités territoriales, les organisations professionnelles et interprofessionnelles, les banques et les organismes et entreprises du secteur recherche/enseignement/développement ;

 le sous-système environnement de la filière dans lequel interviennent, en particulier, les facteurs qui gouvernent l'évolution de l'économie générale, les transformations de la société globale, les relations internationales et les évolutions des autres composantes (agro-filières) du complexe agro-industriel et alimentaire ;

Dans cette thèse, nous adoptons l’approche par composante de Vaudois (ibidem). Le sous- système d'encadrement permet d'appréhender les dimensions institutionnelles et politiques de la diffusion et son impact sur l'évolution du secteur. En l'occurrence, le constat révèle que la libéralisation du secteur a contribué à la modification de la cartographie de l'hévéaculture. Le sous-système de production-distribution-consommation permet d'aborder le rôle des producteurs et les interactions entre ces derniers et les autres agents de la filière. Le sous- système environnement est utile pour expliquer les mécanismes extérieurs agissant sur la dynamique de l'hévéaculture. A cet égard, il permet la compréhension de la dimension économique du processus.

Au total, la mobilisation du concept de filière dans cette étude permet une analyse fine du jeu des acteurs politiques, institutionnels et économiques impliqués dans l'organisation et le fonctionnement de la diffusion de l'hévéaculture. Toutefois, elle n'est pas opérationnelle pour comprendre la dynamique spatiale induite par la diffusion. Le concept de bassin de production permet la prise en compte de cette dimension.

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2.3.2 Le concept de bassin de production pour appréhender la projection spatiale de la filière agro-alimentaire

Afin de réduire les frais de collecte et de livraison, les filières agro-alimentaires favorisent la concentration économique des exploitations et la concentration géographique des productions (Diry, 1987). Pour appréhender les espaces formés par la dynamique des firmes, la notion de bassin de production a été forgée. Ainsi, cette notion a émergé de pair avec celle de filière agro-alimentaire (Philleboue, 2000). Par extrapolation, elle sert également à saisir les périmètres, plus ou moins vastes, dans lesquels les agriculteurs adoptent des spéculations identiques. Les bassins de production présentent des frontières franches ou floues en fonction des dynamiques locales ou de facteurs externes (fig. 5). Selon Vaudois (ibidem), le bassin de production est l'expression territoriale de l'activité des agro-filières et des rapports de ces dernières avec le milieu dans lequel elles s'inscrivent. Autrement dit, agro-industries et territoires ruraux s’articulent au niveau d’un bassin de production (Margétic, 2008). Celui-ci se présente tel un espace géographique spécialisé, structuré par les flux entretenus entre les exploitations productrices, entre ces dernières et les acteurs économiques et institutionnels de la filière considérée, entre l'ensemble ainsi formé et les acteurs du territoire support. La structuration spatiale d’un bassin donné est tributaire des modalités de spécialisation de chacun des acteurs et de leurs formes de sociabilité dans le temps (Margétic, ibidem). Ce qui laisse apparaître que les bassins de production sont des espaces fonctionnels qui se définissent autant par la nature et l'intensité des réseaux (familiaux, syndicaux, techniques, commerciaux) qui les animent que par la nature et le pouvoir d'organisation des équipements qui en constituent les nœuds organisationnels (industrie agro-alimentaire, marchés physiques, centres de collecte, centres d'expérimentation et de recherche). Ainsi, la notion de bassin de production permet-elle de prendre en compte aussi bien l'ensemble des agents impliqués dans le fonctionnement de la filière agricole, le contenu (biens, services, information, argent) et les déterminants de leurs échanges (le marché, la politique, les normes, etc.) que des éléments propres au territoire concerné par la filière.

Figure 5 : Configuration d’un bassin de production

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Au total, le concept de bassin de production constitue une grille de lecture très opérationnelle des processus puisqu’il permet la prise en compte de l’ensemble des facteurs qui interagissent dans les évolutions spatiales constatées. Ce qui, au final, constitue une voie pour appréhender les liens entre le développement de l'hévéaculture et la sécurité alimentaire des populations. Pour établir de façon harmonieuse et cohérente ces relations, il convient d'adopter une approche systémique.

2.4 De l'approche systémique appliquée à l'alimentation

En cherchant à analyser l'impact du développement de l'hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations, cette étude appelle à une caractérisation du système alimentaire. Cela conduit, d'une part, au décryptage des changements qui s'opèrent quant au rôle des acteurs qui animent le système et, d'autre part, à l'appréhension de la dimension territoriale des changements. L’approche systémique est ici mobilisée comme une entrée structurante pour envisager ces différents éléments dans leur globalité et leurs interactions. Dans cette perspective, il convient de préciser les fondements de la pensée systémique. Ensuite, il s'agira de mettre au jour les caractéristiques du système alimentaire afin de comprendre toutes les implications de ce concept. Enfin, nous nous interrogerons sur la place des acteurs dans l'approche systémique.

2.4.1 Fondements de la pensée systémique

Ainsi que l'indique Orain (2001), le terme « système » est l’un des plus communs et des plus équivoques qui soit. Selon lui, son acception la plus classique est celle que l'on retrouve dans l'idée de « système philosophique » ou « de système de pensée » qui renvoie à une grande cohérence théorique dans la pensée d'un individu ou dans une construction idéologique. Suite à la mise au point de la théorie générale des systèmes par le biologiste autrichien, Ludwig von Bertalanffy dans les années 1950 (Rastoin et Ghersi, ibidem), ce qui servait à désigner une construction intellectuelle élaborée et cohérente a été étendu métaphoriquement aux objets de cette construction. Ainsi, dans son acception contemporaine, le terme renvoie-t-il à l'univers des choses, d'où l'émergence, par exemple, d'expressions comme « système sanguin » ou "système nerveux" pour désigner une organisation fonctionnelle d'un élément du corps humain. Désormais, on admet qu'un objet (organisme vivant, machine, société, etc.) est cohérent, organisé et dispose d'une dynamique propre. La théorie des systèmes est aujourd'hui appliquée à l'ensemble des sciences (cybernétique, mécanique, gestion, etc.) et, en particulier, aux sciences sociales depuis les années 1960. La théorie des systèmes a permis la rupture avec la méthode de pensée et d'analyse classique véhiculée depuis le siècle des Lumières par les philosophes français, notamment par Descartes (Rastoin et Ghersi, ibidem). De fait, elle privilégie l'analyse des processus par rapport à celle des structures en avançant l'hypothèse de non-stabilité de ces dernières et d'interactivité entre processus et structures. La pensée systémique est fondée sur l’idée de systèmes, basée sur des relations dynamiques entre divers éléments inter-reliés et formant un tout. Il existe une interdépendance entre les divers éléments de sorte que le dysfonctionnement de l'un des

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éléments du système affecte le fonctionnement d'autres éléments. La pensée systémique permet de mieux comprendre le tout en examinant les divers éléments, leurs caractéristiques, leurs liens et leurs interconnexions. Bien que souvent utilisée pour de la modélisation systémique donnant lieu à des simulations mathématiques, des projections et des scenarii (Orain, ibidem), l'approche systémique est mobilisée ici non pas à des fins de prévision mais pour identifier et comprendre les interrelations réciproques entre l'ensemble des acteurs et les processus à l'œuvre. Pour ce faire, nous nous référons aux différents éléments qu'Orain met en avant pour caractériser ce mode de pensée (fig. 6).

Figure 6 : Les éléments de la pensée systémique

…centrée sur des totalités  Entités regroupées au sein d’ensembles

…fondée sur des éléments solidaires  Interaction entre les éléments du système qui le rendent dynamique

…va au-delà du principe de cause à effet, s’appuie sur des rétroactions et des boucles de rétroaction  Il n’y a pas de cause première, tous les éléments du système sont Pensée des entrées pour le discours systémique …basée sur le concept de complexité  Intégrer la multiplicité d’acteurs et de processus et leurs effets les uns par rapport aux autres

… repose sur la complexité organisationnelle  Les interactions au sein du système sont permises par une structure de relations et de réajustements permanents (dynamique)

…dépend du principe d’holisme  Le système, ce sont des éléments et leur organisation  Certains systèmes ont un élément assurant une fonction cohérente générale (fonction holonique) Source : Orain, 2001

Au total, en prenant en compte l’ensemble des acteurs et des processus, l'approche systémique permet de mettre en évidence les interactions entre les espaces de production spécifiques, les circuits d’approvisionnement et de commercialisation et une diversité d’acteurs avec des logiques et stratégies particulières en s’efforçant d’identifier les changements relevant du développement de l’hévéaculture. Toutefois, tout ceci suppose, au préalable, une bonne maîtrise des contours du concept de système alimentaire.

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2.4.2 Caractéristiques du concept de système alimentaire

Le concept de système alimentaire a émergé et s’est développé dans le champ des études économiques et, en particulier, dans celui de l’économie agroalimentaire. Il apparaît pour la première fois en 1979 avec l’économiste Malassis (1979, p. 122) qui l’utilise pour désigner « la manière dont les hommes s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture ». Le système alimentaire n’est alors qu’un concept général, sans justification théorique, utilisé pour rendre compte de la diversité et de l’interactivité de l’agro- industrie. Toutefois, le concept connaît une évolution grâce aux apports de l’analyse systémique : d’une part, la théorie du système mise au point dans les années 1950 par le biologiste autrichien Von Bertalanffy qui permet d’établir une relation entre les divers éléments d’un ensemble et, d’autre part, la théorie du système complexe de Morin qui implique la recherche de l’intelligibilité des phénomènes observés, tant pour la compréhension (quête du savoir, vieille pulsion humaine) et l’action (praxis) (Rastoin et Ghersi, ibidem, p. 203). En s’appuyant sur ces apports, ces auteurs définissent le système alimentaire comme « un réseau interdépendant d’acteurs […], localisé dans un espace géographique donné […] et participant directement ou indirectement à la création de flux de biens et services orientés vers la satisfaction des besoins alimentaires d’un ou plusieurs groupes de consommateurs localement ou à l’extérieur de la zone considérée ». Cette approche systémique permet l’identification d’un ensemble de caractéristiques spécifiques au système alimentaire comme l’indique la figure 7.

Figure 7 : Caractéristiques d’un système alimentaire

Finalisé

Complexe Biologique Système alimentaire

Partiellement déterminé Ouvert

A régulation A centres de mixte commande multiples

Source : Rastoin et Ghersi (2010)

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Par ailleurs, leur approche invite à prendre en considération la dimension « morphologique » reposant sur l’identification des acteurs composant le système, de la dimension « spatiale » relative à la limitation des « zones géographiques d’activités internes/externes » et de la dimension « dynamique » en déterminant les interactions (ascendantes, descendantes, internes ou externes) en jeu. Il en résulte qu’un système alimentaire se caractérise par son extrême complexité associant des acteurs de nature et de taille très différentes (Rastoin et Ghersi, ibidem). Ainsi, dans le cadre de l’analyse d’un système alimentaire, il faut prendre en compte trois sous-systèmes composés d’un système opérant qui englobe l’ensemble des acteurs de la production et de la distribution des produits alimentaires ; d’un système d’information public ou privé qui renseigne à la fois sur des données liées au marché mais également sur la sécurité alimentaire et, enfin, d’un système de décision composé des institutions chargées de fixer des règlements, les marchés et les organisations. Mais ces facteurs ne sont pas exhaustifs ; ils doivent être complétés par d’autres, susceptibles d’avoir une influence sur le fonctionnement global du système alimentaire. La figure 8 présente l'ensemble des éléments qui concourent au fonctionnement d'un système alimentaire.

Figure 8 : Composition et fonctionnement d’un système alimentaire

Ainsi, conduire une analyse du système alimentaire implique nécessairement la prise en compte du rôle de l’acteur.

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2.4.3 Le rôle central de l'acteur dans la pensée systémique

L’acteur est au cœur de tout système. Di Méo (2014) le définit comme une personne qui agit […], un « actant » désignant une instance, une entité identifiable, un individu, mais aussi une collectivité, institution, organisation, etc. ; un opérateur générique doté d’une capacité d’agir. Les actions engagées par les acteurs sur les territoires font système, c’est-à-dire qu’elles peuvent se lire à l’aide d’un ensemble d’éléments en forte interaction, structurés, organisés et relativement stables. Cette situation explique l’omniprésence de l’acteur dans les recherches en géographie sociale. En effet, cette discipline conserve toujours à l’esprit le décryptage de ce que Veschambre (1999) appelle « la dimension spatiale du social » qui exprime l’inscription spatiale des actions que les acteurs engagent. Ainsi que le note Ripoll (2006), la recherche part de l’hypothèse que tout mouvement social, et plus précisément encore chaque terme de toute action collective (émergence, diffusion, coordination, organisation, mobilisation, stratégie, tactique, revendication, enjeux…) a une dimension spatiale. C’est ce qu’expriment Gumuchian et al., 2003) lorsqu’ils avancent que l'une des modalités de réflexion rendant possible la compréhension de la distribution et de la dynamique des formes spatiales réside dans la prise en compte des acteurs, via leurs comportements et leurs pratiques, mais aussi les discours produits et les valeurs qu'ils mobilisent. Les acteurs interagissent, participant individuellement comme collectivement à des constructions spatiales et sociales tout en intervenant au sein de systèmes d'actions spatialisés, voire territorialisés. C’est ce que relève Di Méo (ibidem, p. 84) en ces termes :

« On peut même affirmer que cet effet de spatialisation- territorialisation confère une véritable consistance, une plus grande solidité et une meilleure lisibilité géographique au système économique et social en question. En fait, tout système d'acteurs sélectionne et découpe l'espace autour d'objectifs centraux de son action... ».

En dépit de la centralité des rôles qu’ils jouent, les acteurs restent difficilement saisissables. Ils se meuvent au sein de scènes multiples de la vie quotidienne, à travers des logiques d’action diverses, confrontés à des expériences plurielles, mobilisant donc des aspects différents, parfois contradictoires, de leur personnalité (Gumuchian et al., ibidem). Toutefois, pour mesurer la portée de l'engagement d'un acteur, il convient d'intégrer aux temporalités et contextes diversifiés de son action, les ancrages territoriaux qui le caractérisent (Di Méo, ibidem). Tenir compte de ces ancrages permet d’intégrer à la fois des dimensions politiques descendantes et des dynamiques de représentation individuelles et collectives ascendantes. Ainsi, l’approche systémique constitue-t-elle un cadre pour penser les interactions entre les dynamiques socio-spatiales engagées par l’hévéaculture et la sécurité alimentaire des populations. Dans cette perspective, il convient de préciser ce que recouvre le concept de sécurité alimentaire.

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2.5 La sécurité alimentaire, un concept polymorphe

Certainement parce que la survie des hommes et la paix dans les cités en dépendent étroitement, la maîtrise de l’alimentation des hommes a toujours été une préoccupation politique essentielle. Dans les pays développés, cette logique justifiera la mise en place de politiques agricoles visant à couvrir les besoins alimentaires des populations dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. De même, dès leur accession à l’indépendance, une majorité de pays en développement initie des politiques agricoles dites « d’autosuffisance alimentaire ». Entendu comme « la capacité d’un pays à satisfaire ses besoins alimentaires sur la base de sa production nationale » (Azouley et Dillon, 1993), le concept d’autosuffisance alimentaire prend la forme d’une révolution verte en Asie à partir du milieu des années 1960. En Afrique, au sud du Sahara et particulièrement en Côte d’Ivoire, un effort de modernisation de l’agriculture est initié à travers la création de plusieurs sociétés d’État. En dépit d’une amélioration notable de la disponibilité alimentaire, les politiques d’autosuffisance alimentaire n’ont pas été en mesure d’empêcher la survenue de crises alimentaires mondiales. Celles-ci atteignent un pic avec les famines du Sahel et du Bengale (1973-1974). Dès lors, les politiques dites d’autosuffisance sont dénoncées au profit de celles dites de sécurité alimentaire qui prennent appui sur la théorie des avantages comparatifs. Près d'un demi-siècle après ce changement de paradigme, quelques 842 millions de personnes n’ont pas les moyens de se procurer une nourriture adéquate et souffrent encore de sous-alimentation chronique (FAO, 2014). Pour cette raison, et pour bien d’autres encore (intoxication alimentaire, marchandisation de l’alimentation), le concept est l’objet de nombreuses controverses. Aussi, il n’est pas certain que le concept soit entendu de la même façon partout. Il faut donc nécessairement l’éclairer.

2.5.1 Conditions d'émergence et définition du concept

La sécurité alimentaire est devenue une préoccupation universelle depuis la Conférence mondiale sur l’alimentation de 1974, organisée suite aux famines du Bengale et du Sahel (1973-1974) pour combattre la faim dans le monde. Des organismes tels que le Conseil mondial de l’Alimentation, le Comité de la FAO sur la sécurité alimentaire mondiale avec son programme d’assistance pour la sécurité alimentaire et le Comité des politiques et programmes d’aide alimentaire ont alors été créés, leur mission étant de contribuer à l’augmentation des productions agricoles nationales et de générer des réserves internationales de céréales. La sécurité alimentaire était alors identifiée en fonction des cours mondiaux des denrées alimentaires et de leur disponibilité, plutôt que selon la demande et la consommation des populations pauvres ou des groupes vulnérables sur le plan nutritionnel (Azoulay et Dillon, ibidem). Cette conception était véhiculée par l’idée que toute augmentation de la production alimentaire devrait conduire à une réduction de la famine et de la malnutrition. Elle prenait fondamentalement sa source dans la première théorie cohérente des famines élaborée par Malthus en 1798. Selon cet auteur, la croissance arithmétique de l’offre de denrées alimentaires ne pouvait, à terme, permettre la satisfaction des besoins en nourriture d’une population en croissance géométrique. Il fallait mettre fin aux limitations de l’offre

54 alimentaire en optimisant la production pour espérer prendre le contre-pied de la théorie malthusienne et, ainsi, permettre la reproduction des individus. De ce fait, depuis le milieu des années 1980, les disponibilités mondiales en vivres ont toujours été suffisantes pour nourrir l’humanité entière (FAO, 2014). Pour autant, certains pays comme ceux du Sahel connaissent des déficits alimentaires chroniques faute de devises nécessaires à l’importation des denrées. Parallèlement, dans des pays d’Asie comme l’Inde et, par ailleurs, le Brésil qui disposent d’une production alimentaire domestique suffisante pour couvrir leurs besoins énergétiques, il existe des populations en proie à la faim et la malnutrition. Ainsi, l’on se rendra bien vite compte que même si elle est nécessaire, une croissance de la production de denrées ne garantit pas à coup sûr l’accès de tous les pays et de tous les individus à la nourriture de façon satisfaisante. A ce propos, suite à des travaux sur une série de famines au Bengale et au Sahel, Sen (1981a) fait valoir que la vraie question n’est pas la disponibilité totale de nourriture mais son accès par les individus et les familles. Si une personne manque de moyens pour acquérir la nourriture, la présence de nourriture sur les marchés n’est pas d’une grande consolation. Sans négliger l’importance de l’offre en termes de présence de denrées sur les marchés, cet auteur fonde son approche sur la demande, c’est-à-dire sur la capacité des individus à accéder aux vivres à travers l’analyse des difficultés rencontrées par certains d’entre eux pour disposer des quantités de denrées nécessaires à la satisfaction de leurs besoins alimentaires. Il retient que la pauvreté ou le manque de droit (la terre, le crédit, le revenu, les structures familiales et sociales) sont les causes majeures de la faim. En ce sens, l’accès à la nourriture, pour un ménage, correspond à ses capacités en termes de production, d’échanges et de transferts. En clair, la capacité d’un individu à accéder à la nourriture dépend de l’ensemble des « droits » qui gouvernent la propriété et l’échange dans une société. Au regard de ces différents constats, en 1983, le Sommet mondial de l’alimentation consacre une nouvelle définition au concept de sécurité alimentaire, désormais entendu comme « l’aptitude à assurer à toute personne et à tout moment un accès physique et économique aux denrées alimentaires dont elle a besoin » (FAO, 1996). On passe donc d’une préoccupation en termes quantitatif au niveau national à celle de satisfaction de la demande à l’échelle familiale ou individuelle axée sur la prise en compte des mécanismes d’accès aux ressources alimentaires et la capacité des plus démunis à se nourrir. C’est le sommet mondial de l’alimentation de 1996 qui, par la suite, va parachever la définition du concept en y intégrant des dimensions liées à l’équilibre nutritionnel de la ration alimentaire, aux qualités sanitaires et hygiéniques des aliments. Selon cette définition, qui fait l'objet d'un consensus international depuis 1996, la sécurité alimentaire existe quand toutes les personnes, en tout temps, ont économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leur préférence alimentaire pour leur permettre de mener une vie active et saine. En somme, l’évolution du concept de sécurité alimentaire se fait à l’aune des périls en présence. Alary et al., (2009) schématisent ainsi cette logique : de la rupture des approvisionnements (1975-1980) on est passé à la prise en compte du pouvoir d’achat (1980- 1985) puis à la qualité nutritionnelle des rations alimentaires (1985-1990). Ainsi, de l’approche définitionnelle universellement partagée de 1996, il faut retenir quatre dimensions concourant de façon concomitante à l’atteinte de la sécurité alimentaire des populations.

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2.5.2 Dimensions de la sécurité alimentaire et leur traitement dans la thèse

Les quatre dimensions de la sécurité alimentaire sont la disponibilité, l’accessibilité, l'utilisation et la stabilité des aliments. Dans cette étude, il s’agit de mettre évidence l’influence de l’hévéaculture sur chacune de ces dimensions :

-la disponibilité fait référence à l’existence d’une offre alimentaire en quantité suffisante, qu’elle soit issue de la production locale, de l’importation ou de l’aide alimentaire et cela dans toutes les portions du territoire considéré. Dans cette thèse, il est question d’évaluer l’incidence de la diffusion de l’innovation sur la production vivrière locale et sur le flux de denrées alimentaires importées ;

-l’accessibilité recouvre l’accès physique et économique aux aliments. L’accès physique est déterminé par la bonne répartition des marchés et autres lieux de distribution alimentaire, la qualité du réseau routier et les performances du système alimentaire. Quant à l’accès économique aux vivres, il repose sur un pouvoir d’achat suffisant et des prix de denrées accessibles sur les marchés. Traiter de l’influence du développement de l’hévéaculture sur l’accessibilité de populations aux vivres revient à évaluer les performances du système alimentaire dans les deux régions en relevant les apports ou les entraves en lien avec la dynamique de diffusion. De plus, cela revient à déterminer les revenus tirés de l’hévéaculture et à dire s’ils suffisent aux ménages pour subvenir à leurs besoins alimentaires ;

-l’utilisation ou qualité de l’alimentation renvoie à la dimension qualitative du concept de sécurité alimentaire. Elle est d’autant plus importante qu’elle constitue l’un des déterminants majeur de l’état nutritionnel des individus à l’échelle nationale, régionale ou locale. C’est une dimension qui interroge les bonnes pratiques alimentaires à travers une alimentation équilibrée10 et variée et l’accès aux ressources liées (eau potable, assainissement). Elle s’intéresse également à l’innocuité11 des aliments et aux préférences alimentaires des consommateurs. Ces préférences alimentaires sont généralement fonction du rapport culturel des individus à l’alimentation.

Dans le cadre de cette thèse, établir le lien entre cette dimension et le développement de l’hévéaculture revient à s’intéresser aux évolutions intervenues au niveau du régime alimentaire et de l’accès à l’eau potable des planteurs après l’obtention des revenus de l’hévéaculture. Dans cette optique, un éclairage sur la notion de régime alimentaire s’impose. Le terme de régime alimentaire a un usage aussi bien médical que biologique. En géographie, il a longtemps constitué une notion centrale autour de laquelle la question alimentaire a été débattue. Sorre (1952) l'a défini comme « l’ensemble des aliments ou préparations alimentaires grâce auquel un groupe humain soutient son existence à travers l’année ». Ce

10 Une alimentation équilibrée doit comporter les trois groupes d’aliments (glucide, lipide et protéine) mais aussi des sels minéraux et des vitamines (Brunel, 2009). 11 L’innocuité des aliments fait référence à la sécurité sanitaire des aliments, préoccupation beaucoup plus présente dans les pays développés surtout depuis les scandales du veau aux hormones, des colorants alimentaires et la flambée des maladies liées à alimentation (obésité, cancer, etc.) (Brunel, idem). 56 régime diffère d’un groupe humain à un autre du fait d’un double déterminisme du milieu géographique. D’une part, celui-ci dicte le choix des plantes à cultiver, ce qui réduit la variété et la permanence des types d’aliments disponibles et, d’autre part, il détermine les exigences alimentaires des groupes humains. En fonction de la composition de l’alimentation des groupes humains, Veyret-Verner (1957) distingue les régimes alimentaires simples de ceux dits complexes :

- les régimes alimentaires simples sont décrits comme l’apanage de vastes régions d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud. Ils se caractérisent par « un petit nombre de produits constitué par un ou deux aliments de base prépondérants » (Veyret-Verner, ibidem, p.257). Cette situation serait liée à la surpopulation mais aussi aux systèmes agricoles n’associant pas l’agriculture à l’élevage, le système d’exploitation qui favorise les bas salaires, les difficultés d’accès à la terre pour les plus pauvres, les échanges alimentaires très limités, etc. ;

- quant aux régimes alimentaires complexes, ils sont ceux des races blanches et plus spécialement des pays de civilisation occidentale. Ce type de régime se caractérise par une grande variété d’aliments au coût plus élevé. Cette situation résulte de la combinaison de l’agriculture à l’élevage dans le système agricole, du développement de l’économie d’échange, de la révolution de l’agriculture et de l’élevage et de la maîtrise de la natalité.

En dépit de l’importance de facteurs spatiaux, le principal élément de différenciation entre régimes alimentaires est d’ordre culturel en ce sens que la manière de travailler les produits issus de l’agriculture au sein des cuisines reste marquée par des cultures locales fortes (Fumey, 2008), lesquelles regroupent l’ensemble des croyances, des habitudes de cuisson et de consommation des aliments. Cela explique les permanences qui caractérisent l’alimentation des sociétés. Ces dernières intègrent de nouveaux produits en les pliant à leurs besoins construits à partir des consommations passées elles-mêmes fondées sur des diététiques et des religions, des outillages et des techniques, des disponibilités et des échanges, des désirs ou des rejets (Fumey, 2007). La dimension culturelle occupe une place importante dans l'alimentation au point qu’en cas de modification non souhaitée de leur régime, les individus peuvent éprouver un sentiment d’insécurité alimentaire. En effet, comme le mentionne Fumey (ibidem), une nourriture choisie ne saurait être interprétée de la même manière qu’une nourriture imposée par le besoin et les nécessités. Pour cette raison, dans l’optique d’une analyse du niveau de sécurité alimentaire des individus et des groupes humains, il convient de prendre en considération le régime alimentaire à travers les représentations et les préférences en la matière. Le régime alimentaire permet de définir la nature et le volume des aliments et de décrire de manière simple ce qui est consommé par un individu ou par un groupe d'individus (Rastoin et Ghersi, op. cit.). La nature fait référence à la variété des aliments à l'intérieur des trois groupes d’aliments fondamentaux (glucides, lipides et protides) dont le volume se rattache par ailleurs au nombre total et au pourcentage de calories provenant de ces groupes.

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Nous nous intéressons dans cette thèse aux évolutions intervenues dans le régime alimentaire des hévéaculteurs suite à l'adoption de l'hévéaculture.

-La stabilité de l’alimentation existe lorsque les trois autres dimensions (disponibilité, accessibilité et utilisation) sont réunies de façon durable. Ainsi, elle renvoie à la garantie d’un accès à court, moyen et long terme de la nourriture face à l’émergence de chocs soudains (crise économique ou climatique) ou d’événements cycliques (insécurité saisonnière). En partant de ce constat, il s’agit dans cette thèse de montrer la contribution du développement de l’hévéaculture au maintien de la qualité de l’alimentation des producteurs face aux différentes crises.

Au regard de ce qui précède, le concept de sécurité alimentaire se positionne, ainsi que le notent Touzard et Temple (2012), comme un cadre général pour caractériser une situation alimentaire. En d’autres termes, il constitue un outil technique d’évaluation des états ou situations alimentaires au travers de ses quatre dimensions qui fonctionnent comme des normes à atteindre de façon simultanée. Cependant, il ne serait pas un cadre adapté pour le renforcement de la capacité opérationnelle des ménages et des acteurs collectifs impliqués dans la lutte contre l’insécurité alimentaire. Pour prendre en compte cette dimension procédurale de la problématique alimentaire, certains auteurs préconisent l'usage du concept de « sécurisation alimentaire » qui renvoie à un ensemble de processus et d’actions visant à limiter les situations d’insécurité alimentaire (Touzard et Temple, ibidem). Ce concept permet de dépasser le concept de sécurité alimentaire plus indiqué pour mesurer des états et des situations alimentaires en fonction des objectifs visés et se révèle plus adapté pour appréhender les nouvelles dynamiques agricoles et alimentaires à l’œuvre, notamment en Afrique subsaharienne (Jannin et Dury, 2012 ; Touzard et Temple, ibidem). En clair, le concept de sécurisation alimentaire se situe dans le prolongement de celui de sécurité alimentaire en se voulant un cadre permettant de renforcer la capacité opérationnelle des ménages et des acteurs collectifs impliqués dans la lutte contre l’insécurité alimentaire.

En définitive, l’objectif de ce travail de recherche étant de caractériser la situation alimentaire des populations face à la diffusion de l'hévéaculture, il convient de retenir les quatre dimensions du concept de sécurité alimentaire. En plus de ces quatre dimensions dites objectives c’est-à-dire pouvant faire l’objet de mesures ou de quantification (Temple et al., 2015), il faut s’intéresser aux dimensions subjectives qui renvoient à des choix collectifs et éthiques. C'est le cas de la dimension politique qui fait référence « à la manière dont sont discutés et se construisent les liens entre l’alimentation et l’agriculture à l’échelle d’un territoire » (Temple et al., ibidem, p.295). Elle permet d'appréhender l'incidence des choix politiques sur le fonctionnement du système alimentaire. C'est également le cas de la dimension culturelle qui se réfère à la notion de régime alimentaire et de la dimension sociale relevant de la vulnérabilité des catégories sociales et des individus par rapport aux risques alimentaires (Touzard et Temple, ibidem) qui renvoie à la notion de justice alimentaire.

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2.5.3 Prendre en compte la notion de justice alimentaire

Suivant Hochedez et Le Gall (2016), la notion de justice alimentaire est davantage installée dans les recherches anglophones que dans les recherches francophones où elle ne fait qu’émerger. Elle est apparue aux États-Unis dans un contexte marqué par une crise économique, une dépendance extrême à l’alimentation d’origine agro-industrielle et par une forte prévalence de maladies nutritionnelles, se traduisant par l’essor de l’agriculture urbaine dans les grandes métropoles. Le concept de justice alimentaire (food justice) s’inscrit dans le cadre global de la recherche d’un système alimentaire alternatif au système actuel (Paddeu, 2012) en ce sens qu'il est à la croisée des discours sur le droit à l'alimentation, sur les objectifs de durabilité appliquée aux systèmes alimentaires et sur les risques d'insécurité alimentaire dans des situations de pauvreté et de précarité (Hochedez et Le Gall, ibidem). Pour ce faire, le concept défend une approche locale de résolution des problèmes alimentaires par le développement des productions alimentaires locales (Paddeu, ibidem). En fait, il repose sur un partage équitable des bénéfices et des risques concernant les lieux, les produits et la façon dont la nourriture est produite et transformée, transportée et distribuée, et accessible et mangée (Gottlieb et Joshi, 2010). Cela doit être vu comme un moyen d'aboutir à la prise en compte de préoccupations sanitaire et environnementale à travers la fourniture d’aliments sains, nutritifs, abordables (accessibles financièrement), culturellement appropriés et produits dans le respect du bien-être de la terre, des travailleurs et des animaux. C’est une notion qui transcende la question alimentaire puisque par le biais de l'alimentation, elle introduit des enjeux de justice sociale et de justice spatiale. Cela permet d'une part, d'envisager la construction de situations d'insécurité alimentaire à partir des inégalités sociales et, d'autre part, de repérer des processus spatiaux à l'origine de problèmes alimentaires. Ainsi, le concept de justice alimentaire se veut un cadre pour transformer notre système alimentaire actuel par le repérage et le traitement des disparités et des inégalités structurelles qui le traversent (Gottlieb et Joshi, ibidem). La mobilisation du concept de justice alimentaire nous conduit à être attentifs aux dynamiques socio-spatiales de l'hévéaculture et à leurs influences sur l'alimentation des populations, notamment les plus défavorisées.

En définitive, cette analyse souligne que pour étudier efficacement l'impact de la diffusion de l'hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations, il convient de s'appuyer sur les quatre dimensions qui la composent (disponibilité, accessibilité, utilisation et stabilité) et de tenir compte des aspects en lien avec les notions de régime alimentaire et de justice alimentaire.

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Conclusion

Ce chapitre a eu pour objet de construire un cadre théorique permettant de comprendre la diffusion de l’hévéaculture et ses rapports avec la sécurité alimentaire des populations (fig. 9).

Figure 9 : Cadre conceptuel de l’étude

Innovation

Diffusion

Filière agro- Bassin de alimentaire production Centrée sur le maillon Structuration spatiale de la production

Jeux Jeux d’échelles d’acteurs

Approche systémique

Sécurité alimentaire

Réalisation : O. Ouattara, 2015

Tenant compte du fait que l’hévéaculture constitue une nouveauté pour les systèmes de production agricole, la théorie de l’innovation est utilisée comme entrée pour assimiler sa diffusion. Elle permet de se représenter, de comprendre et d’expliquer les modalités de la diffusion. Plus précisément, elle autorise la prise en compte de la manière dont l’innovation se propage d’un point de vue social, spatial et temporel, outre les facteurs expliquant son attractivité ainsi que le profil de ses adoptants. Par ailleurs, la théorie est utile pour saisir les interactions entre la diffusion de l’innovation et son environnement d’accueil. Le concept de filière a ensuite été mobilisé afin d’intégrer dans l’analyse les dimensions institutionnelle, économique et politique de la dynamique de diffusion, avec cette précision que seul sera pris en compte le maillon de la production de la filière. Pour comprendre l’organisation et le fonctionnement des espaces générés par l’activité des filières, le concept de bassin de production est mobilisé. Ce qui permet, par ailleurs, de saisir les interactions entre la filière hévéa et les autres filières agricoles, notamment celle du domaine vivrier. 60

Afin de parvenir à une analyse harmonieuse de l’incidence des dynamiques sur la sécurité alimentaire, nous adoptons une approche systémique qui permet de saisir les jeux d’acteurs et les jeux d’échelles structurant les relations entre la diffusion de l’hévéaculture et la sécurité alimentaire. L’étude des concepts a permis la construction d’un cadre méthodologique adapté.

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Chapitre 3 : Cadre méthodologique de la recherche

L’étude de l’incidence de la diffusion de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations met l’accent sur les aspects de cette production qui concourent ou non à l’amélioration de la sécurité alimentaire. Cela revient à s’intéresser particulièrement aux aspects du développement de cette culture qui influent sur chacune des quatre dimensions de la sécurité alimentaire : la disponibilité, l’accessibilité, la stabilité et l’utilisation des aliments. Autrement dit, il s’agit aussi bien d’élucider les rapports existant entre le développement de cette culture et la disponibilité alimentaire, l’accès physique et économique des populations aux aliments, que la permanence des aliments sur les marchés et la manière dont les aliments sont utilisés. Au-delà des aspects strictement liés au développement de cette production, il s’agit aussi d’analyser les contraintes à la production et la circulation des biens alimentaires ainsi que les stratégies déployées par les populations pour faire face aux difficultés alimentaires chroniques ou transitoires. Compte tenu de la rareté des connaissances, notamment en géographie, sur la diffusion de l'hévéaculture constatée en Côte d'Ivoire depuis la fin de la décennie 1990, les matériaux nécessaires pour apporter des réponses aux problèmes posés devraient être recherchés, du moins pour l'essentiel, à travers la réalisation d'un travail de terrain. Ce chapitre s'attèle à l'explicitation des modalités de ce travail de terrain. Dans un premier temps, il convient de présenter les terrains retenus pour la réalisation de l'enquête.

3.1 Présentation des terrains d’étude

Pour répondre aux objectifs, deux terrains d’étude ont été retenus : la région de la Nawa et celle de l’Indénié-Djuablin (carte 1, p.13). Située au sud-ouest de la Côte d’Ivoire et vaste de 9 193 km2, la région de la Nawa se subdivise en quatre départements (Soubré, Méagui, Gueyo et Buyo) et est peuplée de 1 039 118 habitants (RGPH, 2014). Quant à l’Indénié-Djuablin, elle se situe au centre-est avec une superficie de 6 919,55 km2. Elle se compose de trois départements (Abengourou, Bettié et Agnibilékro) qui comptent 560 432 habitants (RGPH, ibidem). A l’image des autres régions forestières de la Côte d’Ivoire, ces deux régions connaissent une dynamique de développement de l'hévéaculture, notamment depuis le début de la décennie 2000. S’ils partagent des conditions physiques globalement similaires, il reste que ces deux espaces se distinguent par leurs situations démographiques et agricoles, raisons qui ont motivé leur choix. Le choix d'étudier simultanément l'impact du développement de l'hévéaculture sur la sécurité alimentaire dans deux régions différentes nous conduit à adopter une approche comparative. Elle est mobilisée tout le long de ce travail. C'est une approche peu usitée en géographie (Woillez, 2014), au contraire des disciplines comme l'histoire (Détienne, 2000) et les sciences politiques (Verdalle et al., 2012 ; Vigour, 2005). Comme l'indique Vigour (ibidem), la démarche comparative correspond à une mise en regard systématique, la confrontation d’au moins deux cas sous un angle particulier défini par le chercheur. Ainsi, elle permet de mettre en relief des similitudes ou des différences entre deux objets tout en répondant à la nécessité de prendre de la distance, d'opérer une rupture vis-à-vis des objets étudiés et des situations

63 concrètes (Levy et Lussault, 2003). C’est un outil de production de connaissances qui peut être mis en œuvre dès lors que le souci de monter en généralité prévaut dans la conceptualisation de la recherche, dans le déroulement de l’enquête et dans les analyses qui suivent (Verdalle et al., ibidem). Toutefois, adopter l’approche comparative suppose une certaine rigueur dans l’acception des objets d’étude et des notions, mais aussi dans la construction de la comparabilité (Levy et Lussault, ibidem). Loin d’être seulement une méthode, la comparaison est plus largement une stratégie d’enquête et de recherche qui imprègne l’ensemble de la démarche du chercheur, de la définition de la problématique au choix du terrain, en passant par la construction des données (Vigour, ibidem). En réalité, le choix des terrains correspond à la mise en regard de deux cas similaires en ce sens qu'il ne s’agit pas de mettre en parallèle les situations telles quelles, mais d’identifier, dans un contexte semblable, les facteurs qui conduisent à deux situations différentes (Vigour, ibidem). Ainsi, plus que de comparaison stricte de deux situations, il est question de comparaison des trajectoires qui ont conduit à ces situations.

3.1.1 Deux espaces d’étude aux caractéristiques physiques proches

Eu égard à leur position commune dans la partie sud de la Côte d’Ivoire, les deux zones d’étude partagent globalement les mêmes caractéristiques tant du point de vue phytogéographique que des points de vue climatologique, pédologique et du relief.

 D'une végétation de forêt primaire à un paysage forestier dégradé

L'Indénié-Djuablin et la Nawa appartiennent au domaine guinéen ou zone forestière de la Côte d'Ivoire. Ce domaine se subdivise en secteurs ombrophile et mésophile. Le secteur ombrophile couvre la quasi-totalité de la région de la Nawa, à l’exception du quart nord-est où l’on retrouve une végétation mésophile. A l’inverse dans l’Indénié-Djuablin, le secteur mésophile couvre la quasi-totalité de l’espace excepté le département de Bettié où on retrouve une végétation de type ombrophile (carte 3). Le secteur ombrophile est l’apanage des zones au sud de l'isohyète 1 600 mm ou du 6e parallèle. Il est caractérisé par la forêt dense humide sempervirente sur des sols fortement désaturés (Perraud, 1979). Cette formation végétale est dominée par la présence de géants (Lophira alata et Brachystegia zeonensis, Tieghemella heckelii, azobé...) atteignant 50 m de haut et une circonférence de plus de 6 m. Ces géants sont le plus souvent dotés de racines palettes, de racines échasses (Uapaca guinéensis) et de contreforts impressionnants. On y retrouve également une abondance de lianes et d'épiphytes, et un sous-bois généralement dense marqué par l'absence ou la rareté d'herbe. C'est une forêt toujours verte où la chute des feuilles est généralement bien répartie dans l'année. Cette formation végétale fermée entretient un microclimat chaud, humide et sombre. Le secteur mésophile est caractéristique des espaces situés entre les isohyètes 1 400 et 1 600 mm, généralement sur des sols sablo-argileux. C’est un secteur de forêts denses humides semi-décidues. Les essences forestières rencontrées dans cette zone sont de types Triplochycton scleroxylon (samba), Mansonia altissima (bété), Celtis sp. A la différence du précédent, dans ce secteur, certaines essences perdent leurs feuilles en saison sèche selon un 64 rythme spécifique à chaque essence, les lianes sont moins nombreuses, les épiphytes rares et la strate herbacée est davantage représentée.

Carte 3: Types de paysages végétaux dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin

Ces deux grands types de paysages végétaux connaissent de nos jours un niveau de dégradation avancé par suite d’une exploitation prolongée des essences précieuses, de la collecte du bois de chauffe pour les usages domestiques, mais surtout du fait d’un vaste mouvement de colonisation foncière consécutive au développement de l’arboriculture marchande d’exportation depuis le début du siècle dernier. L’extension des plantations caféières et cacaoyères ainsi que des cultures vivrières a entrainé la formation d’un autre peuplement presque mono-spécifique de « Chromoléana odorota » (plantes buissonnantes). Introduite comme plante de couverture au début des années 1950, cette composée buissonnante a envahi l’ensemble du sud forestier à partir de 1975 au fur et à mesure de l’avancée du front pionnier cacaoyer (Brou, 1997). Dans ce milieu recomposé, les strates supérieures sont claires et discontinues, les strates inférieures riches en herbacées, plantules d’arbres et surtout en sous-ligneux très développés. L’essentiel du patrimoine forestier restant est constitué par les domaines classés par l’Etat et quelques forêts sacrées, dont les mieux protégées donnent à voir ce qu’étaient les forêts primaires.

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 Deux régions sous influence de la mousson ouest-africaine

Le climat dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa se présente comme un régulateur des activités agricoles en définissant aussi bien l'éventail des plantes cultivées que le calendrier agricole. C'est un climat de mousson comme dans l'ensemble de la Côte d'Ivoire, voire de l'Afrique de l'Ouest, dont les mécanismes ont été amplement étudiés par Eldin (1971). A l'échelle de la sous-région ouest-africaine, ce climat est sous l'influence permanente des principaux centres d'actions atmosphériques que sont les anticyclones des Açores et de Sainte-Hélène, des anticyclones et des dépressions sahariennes, ainsi que de l'équateur météorologique (EM) ou axe des basses pressions intertropicales. Ces composantes atmosphériques subissent des variations régionales et/ou locales en lien avec l'orographie (effet Foehn), le couvert végétal (recyclage des eaux de pluie), l'évaporation des eaux continentales et océaniques, etc. Dans les deux espaces étudiés, le climat est davantage déterminé par le balancement saisonnier du front intertropical (FIT). Le FIT ou zone de confluence ou zone de convergence intertropicale (ITCZ) est une zone de contact entre deux masses d'air. L’une, humide et froide, d’origine océanique, l’alizé de l’hémisphère austral, dénommée « mousson » de secteur SW, est déviée sur sa droite par la force de Coriolis après franchissement de l’équateur. L’autre, sèche et chaude, l’alizé de l’hémisphère boréal (Harmattan), de secteur NE, émane du continent (figure 10). Ces masses d’air et le FIT se déplacent sous l’effet principal des variations spatiales ou temporelles de la pression atmosphérique. La dépression thermique saharienne située entre l’anticyclone des Açores et la cellule anticyclonique libyenne a un rôle moteur. Lorsqu'elle remonte en latitude, elle crée un appel de mousson qui repousse le FIT vers le nord et inversement quand elle descend vers l’équateur (Eldin, 1979). La convergence de ces masses d'air n'étant pas accompagnée d'une augmentation de leur vitesse, il se produit une ascendance de l'air qui entraîne la formation de nuages. L'air austral humide et relativement froid passe sous l'air boréal (figure 10).

Figure 10 : Front de convergence intertropicale (FIT) et masses d’air

HARMATTAN FIT (air sec, chaud)

MOUSSON (air humide, relativement

S.W Trace du FIT au sol N.E.

Source : d’après Eldin et al. (1971)

Cette situation produit différents types de temps. Au nord du FIT, c'est le domaine de l'harmattan marqué par une nébulosité nulle, une faible humidité et une amplitude thermique

66 journalière élevée induisant une sécheresse quasi absolue. En fait, la zone est rarement atteinte par des incursions d'air polaire. Le Sud du FIT est en revanche le domaine de la couche d'air austral responsable de mouvements convectifs (bulle de convection). Cette masse d’air humide (mousson) forme des cumulo-nimbus (nuages à développement vertical) qui culminent à 200 hPa et pénètrent la couche d’air boréal sous l'effet des flux du Jet d'Est Tropical (TEJ), un vent fort continu circulant à une altitude d'environ 4 km. Selon l’épaisseur atteinte par la mousson, il se produit des formations nuageuses à développement vertical qui se traduisent soit par des pluies abondantes si la convergence est modérée, soit par des orages, des coups de vent ou des grains si la convergence est forte. En clair, en fonction des mouvements du FIT et de la latitude, les régions traversées rencontrent successivement différents types de temps. Ainsi, le climat de l'Indénié-Djuablin, comme celui de la Nawa, est marqué par deux saisons de pluie : la plus intense et la plus longue atteint un maximum en juin ; la plus courte est centrée sur octobre. Ces périodes pluvieuses sont séparées par la petite saison sèche d'août et septembre. La grande saison sèche qui dure en moyenne 3 à 5 mois s’étend de décembre à février. Ces distinctions se traduisent par l'existence de mois à faible pluviométrie, de mois à pluviométrie intermédiaire et de mois à forte pluviométrie.

- Les mois à faible pluviométrie

Les mois de janvier, février et mars sont les mois à faible pluviométrie où la hauteur moyenne mensuelle de pluie est inférieure à 100 mm. Ils marquent la grande saison sèche dans le sud de la Côte d'Ivoire et en particulier dans les deux régions cibles. Au cours de ces mois, les événements pluviométriques journaliers enregistrés sont insignifiants. La hauteur journalière maximale pour chacun des mois n’atteint pas les 20 mm. D’août à septembre, la petite saison sèche est marquée par la présence d’un air humide stable, qui ne donne pas de pluie, mais un temps nuageux et frais.

- Les mois à pluviométrie intermédiaire

Ce sont les mois d'avril, d'octobre et de novembre. Les hauteurs moyennes mensuelles de pluie y sont comprises entre 100 et 200 mm. Ces mois correspondent à la petite saison des pluies. Le mois d’avril est un mois intermédiaire qui annonce généralement l’arrivée de la grande saison pluvieuse. Le nombre de jours de pluie connaît également une hausse par rapport à mars, avec plus de 8 jours de pluie.

- Les mois de forte pluviométrie

Les mois de mai, juin et juillet sont les plus pluvieux de l’année, avec des hauteurs moyennes mensuelles entre 200 et 500 mm. Cette période est qualifiée de grande saison des pluies Les moyennes de pluie peuvent atteindre plus de 500 mm en juin avant de connaitre une légère diminution pendant le mois de juillet. Au cours de cette période, au moins 10 jours de pluie

67 par mois sont enregistrés dans les deux régions. Le niveau de pluie journalier peut atteindre 50 mm. Le régime pluviométrique connaît d’importantes perturbations depuis plus de cinq décennies (Brou, 2005). Ces perturbations se caractérisent par une baisse importante des quantités de pluies précipitées, un rétrécissement de la saison culturale et une forte occurrence des pauses pluviométriques avec de réelles conséquences sur les activités agricoles et le développement rural. De fait, le milieu ambiant climatique qui a facilité l’implantation humaine dans ces régions, et surtout le développement de l'arboriculture d'exportation, est en pleine mutation. Cette situation favorise les cultures moins exigeantes en ressources hydriques, tels l'hévéa et le manioc, même s'il convient de préciser qu'elle n'exclut pas la pratique d’autres spéculations traditionnelles. Comme le régime pluviométrique, les températures participent également à la dynamique de l'agriculture. Comme partout en milieu tropical, elles restent globalement fortes et constantes toute l'année avec un impact positif dans l'ensemble sur la croissance d'une gamme variée de plantes. Les températures moyennes interannuelles se situent autour de 26 °C. L'amplitude thermique varie entre 5 et 7 °C. Les températures présentent un maximum en août qui correspond en général à la courte période de transition humide. Elles présentent un maximum entre mars et avril à l'approche de la grande saison humide et entre janvier et février qui correspond à une période sans pluie sous l'influence des masses d'air chaud et sec (Harmattan).

En somme, il fait chaud toute l'année dans les deux régions avec une pluviométrie relativement forte, ce qui, associé à un relief peu accidenté est profitable à la pratique de l’agriculture et à une grande variété de plantes.

 Deux régions au relief quasi uniforme

Situées globalement entre le 6e et le 8e parallèle, les deux régions offrent, comme l’ensemble de la Côte d'Ivoire, des reliefs peu contrastés et monotones (carte 4). L'Indénié-Djuablin occupe la partie orientale de la zone de transition entre les plateaux étagés dans la zone nord et les plaines mamelonnées dans la zone sud, tandis que la Nawa se retrouve dans la partie occidentale. Ce sous-ensemble structural assurant la transition entre la zone nord et la zone sud correspond à des glacis. Dans l’Indénié-Djuablin, les glacis reposent entièrement sur un substratum de schistes birrimiens. Le trait dominant du modelé (glacis) est l'abaissement sensible en direction de la mer, de 400 m au nord à 200 m d’altitude vers le sud. Les surfaces restent à peu près tabulaires dans l’ensemble, mais les interfluves s’effilochent, tandis que les collines et vallonnements deviennent de plus en plus fréquents au fur et à mesure que l'on descend vers le sud (Avenard, 1971). Ces glacis s'établissent préférentiellement sur les sols schisteux aux alentours d’Abengourou. Dans la Nawa, on retrouve des glacis aplanis indifféremment établis sur schistes ou sur granites et s’abaissant de 300 m à 200 m d’altitude. Ils occupent le grand interfluve entre le Sassandra et le Bandama jusqu’à la latitude d’une ligne passant à peu près par Soubré et Divo. Au final, comme dans l'Indénié-Djuablin, le relief dans la Nawa présente peu de contraste. Il est favorable à l'implantation humaine et au développement, notamment de l'activité agricole.

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Carte 4: Type de relief dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin

Ce relief résulte en partie de la présence d'un système hydrographique composé d’un important fleuve avec de nombreuses ramifications. Dans l’Indénié-Djuablin, le principal cours d’eau est la Comoé qui, par ailleurs, est le plus long fleuve du pays avec ses 1 160 km (carte 4). Prenant sa source dans les plateaux gréseux du Burkina-Faso, il traverse le pays – et l’Indénié-Djuablin – du nord au sud puis se jette dans l’Océan Atlantique. Son parcours est marqué par de faibles dénivellations jusqu’à Aniassué près d’Abengourou où il devient plus tourmenté avec des rapides et de multiples sinuosités (Monnier, 1974). Son bassin est étroit du fait qu’il ne reçoit pas d’affluents importants. Son régime dépend fortement de celui des précipitations des zones qu’il traverse. Ainsi, du nord au sud, dans la zone de savane, il a un régime hydrologique tropical de transition, puis un régime équatorial atténué dans la zone pré- forestière et, à partir de la zone forestière dont fait partie l’Indénié-Djuablin, il a un régime équatorial de transition (Girard et al., 1971). Quant à la Nawa, sa couverture hydrographique est assurée par le fleuve Sassandra (carte 4). Il prend sa source en Guinée près de Beyla et a une longueur totale de 840 km, mais son parcours en Côte d’Ivoire couvre 620 km. Comme la Comoé, il traverse le pays du nord au sud avant de se jeter dans l’Océan Atlantique. Il comprend, le long de son parcours, de nombreux affluents dont les plus importants dans la Nawa sont le Lobo et le Debo. Son lit s’encombre de nombreuses îles et de nombreux rapides qui se succèdent jusqu’à son

69 embouchure, principalement entre Soubré et Gaoulou (Camus, 1969). De ce fait, il n’est navigable qu’en pirogue. Le Sassandra est un cours d'eau assez irrégulier et son débit varie en fonction des saisons et suivant les années. Il présente plusieurs régimes pluviométriques : un régime tropical de transition au-dessus du 8e parallèle, un régime équatorial de transition atténué entre le 8e parallèle et Soubré, et enfin, un régime équatorial de transition après Soubré. Son bassin couvre une superficie d’à peu près 75 000 km2. A la latitude de Soubré, il est aux trois-quarts de son cours (62 000 km2). Sur la rive droite, au sud de cette localité, son bassin drainé par de très petits affluents ne s’étend que sur 2 600 km². Le réseau hydrographique dans les deux régions est d'utilisation difficile pour l'agriculture car aucun des fleuves ou affluents n'a fait l'objet de travaux d'aménagement dans ce sens. Il convient néanmoins de signaler la construction en 1980 d'un barrage hydroélectrique d’une capacité de 165 mégawatts sur le fleuve Sassandra dans le département de Buyo. La construction d'un second barrage d’une capacité plus importante (275 mégawatts) en 2017 près de Soubré.

 Des sols peu contraignants pour l'activité culturale

Les sols sont relativement de bonne qualité dans les deux régions. Ce sont des sols typiques du domaine guinéen qui appartiennent au groupe des sols dits ferralitiques (carte 5). Ils résultent d'un processus d'altération des roches mères sous l'effet du climat chaud et humide. Ce qui fait qu'ils sont lessivés et contiennent une forte concentration d'hydroxyde de fer et d'alumine. Ce sont également des sols profonds (10 m), meubles mais dont l'horizon humifère reste très mince (5 à 10 cm) et qui sont moyennement argileux, très acides et très pauvres en bases échangeables du PH. On distingue principalement deux types de sols ferralitiques dans les deux espaces d'étude :

 Les sols ferralitiques fortement désaturés sous forte pluviométrie (où les quantités de pluie sont supérieures à 1 500 mm) correspondant à peu près à la zone de forêt ombrophile. Ce type de sols se retrouve dans la partie méridionale de l'Indénié-Djuablin et de la Nawa ;

 Les sols ferralitiques fortement désaturés sous pluviométrie atténuée (où les quantités de pluie sont inférieures à 1 500 mm correspondant globalement à la zone de forêt mésophile). Ce type de sol recouvre la partie septentrionale des deux espaces d'étude. Dans l'ensemble, les sols de la Nawa et de l'Indénié-Djuablin ont des propriétés physiques et chimiques qui conviennent à une variété de cultures arbustives comme le café et le cacao et de cultures annuelles telles que l'igname, la banane plantain, la patate douce, etc.

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Carte 5: Types de sols dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin

Au final, le cadre biophysique dans les deux régions n'oppose pas de résistance particulière à la mise en valeur agricole du milieu. Ces potentialités ont été exploitées par les populations à différentes dates, donnant lieu à des situations agricoles contrastées dans les deux régions.

3.1.2 Deux régions aux situations agricoles contrastées

L’Indénié-Djuablin appartient à la zone pionnière de l’économie de plantation dans le Sud-Est du pays alors que la Nawa en est le dernier front pionnier. Ce faisant, la première région citée est une région en déprise agricole au contraire de la Nawa qui se positionne comme la principale région agricole du pays. La culture du couple café-cacao est signalée dans l’Indénié-Djuablin autour des années 1920 (Schwartz, 1977 ; Gastellu, 1978 ; Kindo, 1978 ; Balac, 2002). D’une agriculture d’autoconsommation, ses populations sont progressivement passées à une agriculture de profit. Pour autant, les superficies cultivées ont évolué de manière relativement lente jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale du fait de la faiblesse du prix d’achat aux planteurs et de la pratique du « travail forcé » qui était à l’origine de la fuite de la main-d’œuvre vers la colonie anglaise voisine de la Gold-Coast (actuel Ghana). C’est après la Seconde Guerre mondiale que la culture du couple café-cacao devient attractive du fait de la hausse des cours mondiaux du café et du cacao et de la suppression du travail forcé en 1946. A l’indépendance en 1960, les nouveaux gouvernants accentuent les efforts de développement du binôme café- cacao dans le but de financer le développement du pays. Ils s’attachent à mettre en place des conditions favorables au développement de l’économie de plantation : accès aux terres 71 forestières, politique d’intégration des étrangers, amélioration des prix et des conditions de commercialisation des productions. Les mouvements migratoires commencés pendant la période coloniale en direction du sud-est s’intensifient sur fond de défrichement de la forêt primaire. Jusqu’en 1970, la zone pionnière du Sud-Est devient le théâtre d’un boom cacaoyer qui va servir de moteur à toute l’économie nationale (Ruf, 1995). Toutefois, cette dynamique a pour conséquence l’épuisement des réserves de forêts primaires, en particulier dans l’Indénié-Djuablin. De ce fait, les créations de nouveaux vergers se raréfient dans la région et les parcelles existantes sont progressivement gagnées par le vieillissement. Cette situation est illustrée par une baisse régulière des productions cacaoyère et caféière à partir du milieu de la décennie 1980. De 90 000 tonnes de cacao produites en 1985, la région n'en produira que 60 000 en 1989 et 40 000 en 1998 (MINAGRI, 2000). En 2014, la production cacaoyère n’est que de 32 000 tonnes (MINAGRI, 2016). La baisse est encore plus significative pour le café qui passe de 20 000 tonnes en 1985 à 10 000 tonnes en 1998 et à seulement 5 000 tonnes en 2014. Les populations tentent de maintenir leur pouvoir d'achat – en baisse du fait du déclin des spéculations traditionnelles – en se tournant vers de nouvelles spéculations. C’est dans ce contexte que l’on assiste à l’émergence d’une agriculture vivrière marchande dans la région (Chaléard, op. cit.) et particulièrement à l’essor de la culture de la tomate européenne entre 1990 et 2000 (Tujague-Gibourg et Moustier, op. cit.). Contrairement à l'Indénié-Djuablin, jusqu’à la fin de la décennie 1950, la Nawa est une région enclavée, faiblement mise en valeur avec emprise limitée de l’agriculture d’exportation (Chaléard, op.cit). Sa mise en valeur, encore timide au cours des années 1960, s’accélère à partir du milieu de la décennie 1970 à la suite de la construction du pont sur le Sassandra, mais surtout du fait de l'épuisement des massifs forestiers du Sud-Est et du Centre-Ouest. La région accueille alors de nombreux migrants venant de ces régions pionnières d’économie de plantation mais aussi des flux importants de migrants en provenance d’autres régions ivoiriennes et de pays limitrophes encouragés par la hausse des cours mondiaux du cacao et du café en 1975 et 1977. Dès le milieu de la décennie 1980, la Nawa devient la nouvelle boucle du cacao et fournit régulièrement près du tiers de la production nationale. En 2014, elle a fourni 34 % de la production nationale de cacao soit 492 000 tonnes, ce qui équivalait à 15 % de la production mondiale (CCC, 2015). Parallèlement, cette dynamique a conduit à l'épuisement des réserves forestières et à la fin de la reproduction des exploitations par propagation des fronts pionniers (Léonard et Oswald, 1996 ; Chauveau, 1998 ; Ruf, 1996). Mais la production régionale se maintient encore, en partie grâce aux dernières plantations réalisées au début de la décennie 1990 ou à celles réalisées par les paysans dans les forêts mis en défens par l'Etat. S’y ajoutent les efforts de replantation et de régénération des vieilles cacaoyères entrepris par les acteurs de la filière café-cacao. En plus de son rôle majeur dans les productions d’exportation, la Nawa est également une région productrice de vivriers.

De ce qui précède, il ressort que, par opposition à l’Indénié-Djuablin, la Nawa est une région d’intense activité agricole, notamment en matière d’agriculture d’exportation. Les deux régions présentent également des situations démographiques dissemblables.

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3.1.3 Deux régions aux dynamiques démographiques inégales

L'Indénié-Djuablin et la Nawa présentent des caractéristiques de population dissemblables tenant à la différence du peuplement d'origine, à la densité et à la proportion des populations étrangères dans la population totale. Dans l’Indénié-Djuablin, la population d'origine est exclusivement composée du groupe ethnique Agni (carte 6). Appartenant au grand groupe Akan, les Agni se sont installés par vagues successives à l’est de la Côte d’Ivoire à partir de la première moitié du XVIIIe siècle, fuyant les guerres successorales du Ghana voisin et la suprématie du peuple ashanti du Ghana (Amon d’Aby, 1960 ; Boutillier, 1960 ; Kindo, 1978 ; Gastellu, 1989). Ce groupe se subdivise en plusieurs entités parmi lesquelles on distingue les Agni Diabé ou Agni Djuablin dans le département d’Agnibilékro, les Agni Bettié dans le département de Bettié et les Agni N’dénéan dans celui d’Abengourou. Ce dernier sous-groupe comprend les Ahua, les Dinkira, les Feyassé, les Allangoua, les Abradé et les Assonvon (carte 6). Avant la période coloniale, les Agni avaient pour principale activité la pratique de l’agriculture de subsistance basée sur la production de l’igname. La terre était la propriété collective du lignage et aucun membre ne pouvait l’aliéner. En complément de l’agriculture, ils pratiquaient la chasse, la cueillette, la pêche et l’orpaillage pour garnir le trésor familial. La société agni est organisée en royaume, avec à sa tête un souverain assisté d’un conseil. Elle est hiérarchisée et composée de nobles, d’hommes libres et de captifs. Au sommet de l’édifice, se trouve le roi, intermédiaire entre les hommes, Dieu et les divinités subalternes. A l’inverse de l’Indénié-Djuablin, la Nawa témoigne d'une diversité ethnoculturelle comme le note la carte 6. A chacun des quatre départements correspond une population autochtone : les départements de Soubré et de Buyo sont peuplés des Bété. Ceux de Méagui et de Gueyo le sont respectivement des Bakwé et des Godié. Ces différents groupes ethniques appartiennent tous au grand groupe Krou. Les Krou seraient originaires principalement des régions situées au nord et au nord-est de l’interfluve Sassandra-Cavally (Chauveau, 1994). Leur implantation se serait faite progressivement à partir des XIVe et XVe siècles sous la poussée des Mandé du Nord et, à partir du XVIIe siècle, sous celle des Akan (Amon d’Aby, ibidem). Les Krou sont dépourvus de structures politiques d’ensemble. Le niveau d’organisation se limite au village ou groupe de villages. Ils ont cependant en commun une société de type lignager, à filiation patrilinéaire et une civilisation du riz. Les Krou sont à l’origine des agriculteurs, des chasseurs-cueilleurs ou pêcheurs pour qui l’accès à la terre était libre : il n’existait ni division lignagère du terroir, ni droit permanent privé sur une parcelle cultivée, seul un droit d’usage préférentiel est reconnu au dernier occupant en fin de jachère (Chauveau, ibidem).

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Carte 6: Les différents groupes ethniques de la Nawa et de l’Indénié- Djuablin

Les structures des populations et leur organisation dans les deux régions ont été considérablement modifiées suite à l'introduction de l'arboriculture marchande sous l’ère coloniale. Cette activité a attiré dans ces régions de nombreux migrants en quête de terre pour la pratique de l’économie de plantation. Selon Bouquet (2003), jusqu’en 1965, les migrations agricoles se dirigeaient vers le Sud-Est ivoirien. Ainsi, au début des années 1950, cette région pionnière a reçu environ 420 000 migrants convoyés de force à partir de la Haute-Volta (actuel Burkina-Faso) dans le but d'alimenter en main-d'œuvre les chantiers d'exploitation forestière et les plantations de café-cacao. Les vagues migratoires se sont inversées à partir des années 1970. Les régions pionnières de l'économie de plantation sont devenues des centres d'émigration agricole d'abord en direction du Centre-Ouest du pays, puis du Sud- Ouest. Cette dernière région va attirer d'importantes vagues migratoires entre 1970 et 1990 du fait d'une grande disponibilité forestière et en raison de son sous-peuplement. Ainsi, elle est devenue une des régions les plus dynamiques du pays sur le plan démographique. Le taux d'accroissement naturel qui est de 2,89 % est supérieur au taux national (2,55 %), alors que celui de l'Indénié-Djuablin est de 2,35 % (RGPH, ibidem). C'est une population vivant majoritairement en milieu rural car principalement constituée d'agriculteurs. La région de la Nawa comptait au début de la décennie 1970 une densité de population inférieure à 2 habitants au km2 (Chaléard, op.cit. ; Chauveau, 1998). Aujourd'hui, elle atteint 74

114,55 habitants au km2 – au-delà des 97,20 habitants au km2 de l'Indénié-Djuablin (RGPH, ibidem). Cette densité, relativement forte pour cette région agricole pose des problèmes de cohabitation, mais surtout de gestion des ressources foncières. Les conflits fonciers parfois meurtriers entre populations sont légions et sont amplifiés par une forte présence de populations étrangères. Dans le département de Méagui, la proportion de non autochtone atteint 68,54 % de la population totale (RGPH, ibidem).

En définitive, cette analyse montre qu'en dépit de conditions naturelles globalement proches, la Nawa et l'Indénié-Djuablin présentent des spécificités en termes de configurations agricoles, socioculturelles et démographiques. Ces éléments de différenciation offrent cependant une diversité de situations et d'informations complémentaires pour étudier l'impact de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire.

3.2 La recherche bibliographique

La recherche bibliographique a permis d’avoir un regard global et théorique sur le thème en participant à la construction de la réflexion. Elle s’est appuyée sur les diverses sources traditionnelles de la géographie (ouvrages, revues, rapports, etc.) consultées dans les bibliothèques de l’université de Nantes et celles de l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody en Côte d’Ivoire, particulièrement à l’Institut de géographie tropicale et dans les centres de documentation du BNETD, du MINAGRI, de l’ANADER, du FIRCA et de la SAPH. A ces sources, il convient d’ajouter celles émanant des sites web. A travers la revue bibliographique, nous avons réalisé un inventaire des travaux sur l’hévéaculture en Côte d’Ivoire, soit une quinzaine de rapports d’étude et une vingtaine d’articles. Cette revue a permis de mieux cerner la filière de l’hévéa et son évolution. Des lectures sur d'autres filières, comme celles du café-cacao et du palmier à huile ont été faites pour mieux cerner la spécificité de l'hévéa. D’autre part, la revue a favorisé une meilleure connaissance de nos deux terrains d’étude sur les plans socio-économique et physique à partir de la lecture d’ouvrages sur l’économie de plantation et d’études diverses relatives à ces zones (Chauveau, 1985 ; Kindo, ibidem ; Gastellu, 1978 ; Chaléard, ibidem ; Léonard, 1997, 2005 ; Lessourd, 1982, etc.). Parallèlement, des données statistiques sur l’évolution des superficies, des productions et des exploitants des principales spéculations agricoles (de rente et vivrières) ont été collectées sur le plan national, mais principalement sur les deux régions à l’étude. Elles proviennent surtout des annuaires descriptifs des données agricoles du MINAGRI, de l’ANADER et de l’OCPV. De même, des données cartographiques ont étés acquises auprès de l’Institut de géographie tropicale (IGT) et du Centre de cartographie et de télédétection (CCT) du Bureau national d’étude et de développement (BNETD). Ce sont des cartes destinées à la représentation de diverses informations issues de l’enquête de terrain et de différentes structures (SAPH, SOGB, SAIC, ANADER, MINAGRI, INS, etc.). Nonobstant leur contribution à la construction et à l’orientation de l’étude, les informations obtenues à cette étape restent éloignées de notre principal centre d’intérêt. En effet, ces sources passent sous silence les impacts socio-spatiaux du développement de l’hévéaculture, en particulier ceux relatifs à la sécurité alimentaire. 75

En raison de l’insuffisance des informations livresques et les données secondaires recueillies pour clarifier les hypothèses, nous avons procédé à une collecte de données de terrain.

3.3 Les enquêtes de terrain

La collecte de l’information de terrain s’est faite par le biais de quatre méthodes : l’observation participative, l’enquête par questionnaire, l'entretien semi-directif et les focus groups. La combinaison de ces méthodes a permis le recueil d’informations diversifiées. En d’autres termes, l’observation participative a permis de saisir les pratiques et les faits, le questionnaire d’enquête d'appréhender la représentativité des pratiques, l’entretien (individuel et collectif) de comprendre les logiques, stratégies et représentations des acteurs. L’enquête de terrain proprement dite a été précédée d’une visite de prise de contact avec les principales autorités administratives et coutumières des deux régions ainsi qu’avec les responsables des sociétés agricoles impliquées dans le développement de l’hévéaculture. Globalement, cette approche a permis d’affiner notre connaissance des deux terrains et l’accès aux personnes ressources dans différentes localités. Par ailleurs, elle a favorisé la construction de statistiques sur l’hévéaculture à partir de données d’enquête sous la forme de la liste nominative des planteurs d’hévéa dans les différentes régions et d’obtenir l’appui logistique des sociétés agricoles (SAPH, SAIC) pour l’administration des questionnaires. Ce cadre a également été mis à profit pour tester le questionnaire mais aussi pour repérer quelques acteurs clés en vue de la collecte d’informations qualitatives.

3.3.1 L’observation participative

L’observation apprend au chercheur à la fois ce qu’il peut apprendre et comment il peut l’apprendre (Peretz, 1998). En l’occurrence, elle est apparue utile pour appréhender à une échelle plus fine la manière dont se pratique l'hévéaculture, ses rapports avec les autres cultures, en particulier les cultures vivrières, dans le temps et dans l’espace. En un mot, l’observation devait aboutir à une meilleure appréhension des modes de mise en valeur locale des terres. Pour ce faire, nous avons choisi, dans chacune des deux régions, une localité à forte production d’hévéas et une autre où l’hévéaculture est à un stade embryonnaire. Ce sont d’une part, Bettié et Yacoli-Dabouo et d’autre part, Brétihio et Kabrankro. Dans chacune de ces localités, 4 exploitants d’hévéas (16 au total) ayant des exploitations à différents stades d’évolution (en production ou immatures) ont été choisis en fonction de leurs caractéristiques ethnoculturelles (2 autochtones et 2 allogènes). L’idée ici est de savoir si les modalités d’insertion du vivrier dans le système hévéa diffèrent d’une communauté à l’autre. L’observation a été de type participatif en ce sens que nous avons participé aux activités quotidiennes des planteurs (travaux des champs, repas, réunions de coopératives, etc.). Ainsi, nous avons pu accéder aux domiciles des planteurs pour observer le cadre de vie, les femmes aux tâches culinaires et les conditions d’accès du ménage à l’eau potable. Un autre volet de l’observation dans les localités retenues a consisté en des visites dans les marchés afin de déceler les types d'aliments proposés, leur variété et leur niveau d’approvisionnement. L’accent a aussi été mis sur l’observation de l’état des voies de communication, les flux des moyens de transport de vivres et les conditions d’accès des

76 populations aux vivres tout comme la qualité du cadre de vie. Ces derniers types d’observation ont aussi été menés dans les chefs-lieux de région que sont Abengourou et Soubré. En définitive, l’observation a permis d'appréhender la pratique de l'hévéaculture et son lien avec les autres productions agricoles en particulier les productions vivrières. Dans la mesure où le chercheur n’est pas sourd aux propos émis par les individus au cours de leurs actions sociales (Peretz, ibidem), l’observation participative a en outre donné l’occasion de se familiariser avec le vocabulaire spécifique à cette production. Cela a constitué un atout lors des échanges avec les différents acteurs. Globalement, toutes les informations recueillies au cours de cette phase d’enquête ont servi à enrichir et à affiner le questionnaire d’enquête.

3.3.2 L’enquête par questionnaire

Le questionnaire est un outil couramment utilisé en sciences sociales, en psychologie ou en marketing pour collecter des données quantitatives afin de mesurer la représentativité d’un phénomène. Nous l’avons utilisé dans le cadre de cette thèse pour récolter des données auprès des producteurs d’hévéas (annexe 1, p. 324). Le questionnaire comportait trois rubriques structurées autour de questions relatives:

˗ aux caractéristiques de l’exploitant et de l’exploitation. Cette rubrique a permis de saisir le profil sociodémographique du planteur (âge, nationalité, profession, etc.), les motivations de l’adoption de l’hévéaculture, etc. D’autre part, elle avait pour but de connaître la taille de l’exploitation, les modalités d’accès aux facteurs de production (capital, terre, main-d’œuvre), les itinéraires techniques mis en œuvre, etc ; ˗ au rapport de l’exploitant à la production vivrière. A travers cette rubrique, il s’est agi d’évaluer les superficies de vivrier cultivé par les exploitants avant l’adoption de l’hévéaculture, au moment de la mise en place de la plantation d’hévéa et après l’entrée en production de la plantation, ce qui permet d’appréhender la place du vivrier dans le système hévéa ; ˗ à l’évolution du pouvoir d’achat, du régime alimentaire, à l’accès à l’eau potable et à la stabilité de l’alimentation après l’adoption de l’hévéaculture. Cette rubrique a permis d’estimer le pouvoir d’achat des exploitants ainsi que les dépenses alimentaires avant et après l’obtention des revenus de l’hévéaculture. Elle a par ailleurs servi à relever les aliments consommés et le nombre de repas journalier pris avant et après le relèvement du pouvoir d’achat.

En somme, le questionnaire a été conçu pour saisir l’incidence du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des planteurs d’hévéas. Son administration s’est faite préalablement à la construction d’un échantillon représentatif de la population cible.

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3.3.2.1 Echantillonnage

La population cible de l’enquête est constituée des ménages d’hévéaculteurs constitués par les planteurs d’hévéa des régions de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa. Compte tenu du nombre et de la dispersion de cette population, l’enquête a concerné un échantillon de planteurs. Dans le cadre de cette thèse, une base de sondage sous la forme de la liste nominative quasi- exhaustive des planteurs d’hévéa par localité a été obtenue auprès des agro-industries opérant dans les deux régions (la SAPH, la SAIC et la SOGB). Outre le nom du chef d’exploitation, la base de données fournissait des informations sur la taille et l’âge de l’exploitation. Le traitement de cette base a permis de comptabiliser le nombre total de ménages hévéaculteurs par localité dans chacune des deux régions. Sur la base de ces informations, la technique de sondage aléatoire simple avec stratification a été retenue comme méthode d’échantillonnage. Ainsi a été appliquée la méthode de détermination suivante: Soit la proportion des ménages où le chef ou au moins un membre du ménage pratique l’hévéaculture. L’estimation par intervalle de p dans le cas d’un sondage à plusieurs degrés est de la forme :

où deff est l’effet de sondage (design effect)

Si on impose ; où est la contrainte de précision, alors ;

La taille minimum pour obtenir la marge d’erreur souhaitée (5%) est déterminée en utilisant la formule :

Pour (enquête ANADERSTAT 2013), et , l’application de la formule est programmée dans une feuille de calcul (tableur Excel). Ainsi, selon les estimations statistiques, pour une marge d’erreur fixée à 5 %, la taille minimale de l’échantillon est de 1 000 producteurs d’hévéa si l’on considère une variable d’intérêt comme la proportion de producteurs d’hévéa dans les départements de l’étude. Une liste nominative de 1 000 planteurs d’hévéa répartis entre 25 localités (carte 7) a été générée sur la base de critères de proportionnalité en croisant 4 variables:

1. nombre de planteurs au prorata de chaque région (département et localité); 2. nombre de planteurs par taille d’exploitation (1 à 10 ha, 10 à 20 ha, 30 à 50 ha et 50 et plus), 3. nombre de planteurs selon l’âge de l’exploitation (en saignée, immature ou les deux types); 4. nombre de villages dans chaque région.

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Carte 7: Localisation des sites d’enquête

Cette méthode d’échantillonnage a permis de sélectionner 1000 ménages hévéaculteurs répartis dans 25 localités, soit 10 localités dans l'Indénié-Djuablin et 15 dans la Nawa, ce qui fait une moyenne de trois localités par département. Le nombre de planteurs enquêtés par questionnaires est de 391 dans l’Indénié-Djuablin contre 609 dans la Nawa. En définitive, les données collectées par le biais de l’enquête par questionnaire permettent de saisir les caractéristiques des exploitants et des exploitations tout en permettant de mettre en évidence l’incidence du développement de l’hévéaculture sur les quatre dimensions de la sécurité alimentaire des populations. Toutefois, afin d’approfondir ou de compléter les informations collectées par les moyens de l’enquête par questionnaire, des entretiens semi- directifs et des focus groups ont été menés.

3.3.3 Les entretien semi-directifs et focus groups

L’entretien est un outil de recueil de données qualitatives à partir d’une situation sociale se traduisant par un contact direct entre le chercheur et ses interlocuteurs. Il est considéré comme la méthode d’enquête la plus adaptée au recueil des représentations (Abric, 2003). Mais dans un souci d’efficacité, comme l’indique Berthier (2010), l’entretien doit combiner une attitude non directive pour favoriser l’exploration de la pensée dans un climat de confiance et un projet directif pour obtenir les informations sur des points définis à l’avance. Dans le cadre de cette thèse, nous avons eu recours à des entretiens individuels sous la forme d’entretiens semi- directifs c’est-à-dire structurés autour des quelques thèmes à aborder (annexe 2, p. 331) et à

79 des entretiens collectifs ou focus groups dans les deux régions de l’étude (carte 7). Ces deux formes d’entretien ont permis de recueillir des informations auprès d’une diversité de catégories d’acteurs (tableau 3). Pour les entretiens individuels, on distingue:

 les acteurs institutionnels composés des responsables des structures en charge des questions agricoles et alimentaires (ANADER, MINAGRI, OCPV, SAPH, SOGB et SAIC) dans les deux chefs-lieux de région (Abengourou et Soubré) et dans deux chefs-lieux de département (Bettié et Méagui). Les investigations auprès de ces acteurs institutionnels ont été utiles pour cerner l’environnement global de l’agriculture et la déclinaison des politiques publiques agricoles et alimentaires dans les deux régions ;

 les ménages de planteurs d’hévéa, choisis de façon raisonnée dans l’échantillon de ménages hévéaculteurs enquêtés par questionnaire selon le type d’information recherchée. Ces entretiens semi-directifs ont permis de saisir les stratégies de production des planteurs mais également les changements intervenus dans leur alimentation (stratégie alimentaire, budget alimentaire, régime alimentaire, stabilité de l’alimentation) après l’obtention des revenus de l’hévéaculture. Au sein des ménages, les informations relatives à l’incidence de la pratique de l’hévéaculture sur l’alimentation ont été principalement collectées auprès des femmes (au nombre de 48) car, en vertu de la répartition sexuée des rôles encore prégnante dans la société ivoirienne, c’est la femme qui est en charge de la gestion des questions liées à l’alimentation du ménage ;

 les représentants de coopératives de planteurs de café-cacao, de palmiers à huile, de vivrier et d’hévéa. Ces échanges ont permis une meilleure compréhension de la dynamique interne à chaque filière agricole et sa relation avec le développement de l’hévéaculture ;

 les saigneurs et manœuvres des plantations à Bettié et à Yacoli-Dabouo, à Affalikro, à Kabrankro, à Gblétia et Brétihio. Ces investigations étaient destinées à saisir le fonctionnement spécifique à ces différents métiers. Nous voulions aussi connaître le niveau de revenu de ces acteurs et comprendre leurs stratégies alimentaires ;

 les commerçantes grossistes et détaillantes de vivrier et les transporteurs. Les échanges avec ces différents acteurs ont permis de cerner l’organisation et le fonctionnement du système alimentaire dans les deux régions à travers : - la localisation des bassins d’approvisionnement des principaux marchés des deux régions afin de déceler les éventuels changements et voir s’ils sont imputables au développement de l’hévéaculture ; - la connaissance des stratégies d’approvisionnement des commerçantes, les relations entre elles mais également celles existant elles et les

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transporteurs, le but étant de déceler, entre autres, les entraves à la circulation des vivres et à la stabilité de l’alimentation ; - l’identification des prix, leurs variations dans le temps et dans l’espace et l’explication de ces variations ; - la perception de ces acteurs en lien avec l’incidence du développement de l’hévéaculture sur leurs activités.

Tableau 3 : Nombre d’entretiens en fonction de la catégorie d’acteurs

Formes d’entretien Catégorie d’acteurs Nombre Ménages producteurs de caoutchouc naturel 65 Responsables régionaux du MINAGRI, de l’OCPV, de la 10 SAPH, de la SOGB, de la SAIC, de l’ANADER Commerçants de vivier (grossistes et détaillants) 18 Individuel Transporteurs de vivrier 8 Saigneurs et manœuvres agricoles 16 Encadreurs agricoles 8 Responsables de coopératives de producteurs de cacao, de 7 palmiers à huile et de caoutchouc naturel Collectif Planteurs d’hévéa, producteur de café-cacao 22 (focus groups) Groupe de femmes, groupe de jeunes 20 Total 174 Source : Enquêtes, O. Ouattara, 2015

Les entretiens collectifs ont été administrés aussi bien à des planteurs d’hévéa qu’à des producteurs de cacao afin de comprendre et de comparer leur rapport à la production vivrière et leur stratégie alimentaire. Au nombre de trois, ces entretiens ont regroupé 5 à 6 personnes, à Yacoli-Dabouo, à Brétihio et à Affalikro. Les autres catégories d’acteurs pris en compte par le focus groups sont les femmes et les jeunes producteurs de caoutchouc naturel. Ces entretiens ont permis d’avoir un éclairage sur les effets sociaux de l’adoption de l’hévéaculture sur ces deux catégories d’acteurs. Au total, les enquêtes qualitatives ont permis d’interviewer 174 personnes entre août et octobre 2014 et entre juillet et octobre 2015.

3.3.4 Déroulement des enquêtes et difficultés rencontrées

L'administration des questionnaires s'est faite avec l’appui logistique des agro-industries (SAPH, SAIC) et la participation effective de leurs encadreurs agricoles (photos 1 et 2). Elle s'est déroulée en deux périodes : une première d'août à octobre 2014, au cours de laquelle 600 questionnaires ont été administrés ; une seconde de juillet à septembre 2015 a concerné 400 questionnaires. La visite des localités à l’effet de rencontrer les planteurs échantillonnés s’est faite en compagnie des encadreurs parfois en voiture mais le plus souvent à moto. La maîtrise du terrain par ces agents a été un grand atout dans la réalisation de cette enquête et des échanges que nous avons pu avoir avec les planteurs. Le questionnaire a été dans la majorité des cas administré au domicile des planteurs, ce qui a permis la participation des femmes. Il convient 81 de préciser que les questionnaires ont été administrés en totalité par les agents de la SAPH dans les départements de Buyo (73 questionnaires). Préalablement à cette démarche, nous leur avons dispensé une formation afin qu’ils cernent mieux le questionnaire et les attentes de l’étude en cours. Ces agents, pour la plupart habitués à ce type d’échange, n’ont pas eu de difficultés à cerner tous les contours du questionnaire.

Photo 1 : Administration de questionnaire à Kabrankro (Indénié-Djuablin)

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Une séance d’administration du questionnaire d’enquête en compagnie d’un agent de la Société agro‐industrielle de la Comoé (SAIC) qui permet de relever la diversité de catégories de planteurs avec notamment un fonctionnaire retraité, de jeunes planteurs et une dame au fond de la photo.

Photo 2 : Administration de questionnaire Brétihio (Nawa)

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Une séance d’administration des questionnaires d’enquête en compagnie d’un agent de la SAPH mettant en scène des planteurs adultes pour la plupart et une dame d’un certain âge. 82

Dans l’ensemble, les planteurs se sont prêtés aux questions sans difficulté majeure. Toutefois, ceux-ci tenaient à obtenir de nous des informations relatives à la baisse des cours du caoutchouc constatée depuis des mois et voyaient dans notre démarche un moyen de faire connaître leurs mécontentements face à cette situation. En dépit de nos mises au point sur le caractère exclusivement académique de notre démarche, près d'une soixantaine de planteurs d’hévéa n’ont pas perdu l’espoir de voir notre étude contribuer à l’amélioration des cours du caoutchouc naturel. La principale difficulté est venue des planteurs non-résidents, constitués pour l’essentiel de citadins qui investissent dans l’hévéaculture. Vingt de ces planteurs absentéistes ont été retrouvés grâce aux coordonnées téléphoniques fournies par les gestionnaires de leurs exploitations, dans les chefs-lieux de région mais aussi dans la capitale ivoirienne, Abidjan. Parmi eux, cinq ont été interviewés par téléphone faute de pouvoir les rencontrer physiquement. Il s’agissait surtout dans ces cas particuliers de vérifier ou de compléter les informations recueillies auprès des gestionnaires des exploitations.

3.4 Traitement et organisation des données

Les données collectées ont fait l’objet, en fonction de leur nature, soit d’un traitement statistique, soit d’un traitement thématique. Le premier type de traitement a été appliqué aux données issues de l’enquête par questionnaire tandis que le second l’a été aux informations émanant des grilles d’entretien. Le traitement statistique a d’abord consisté à enregistrer les informations recueillies via le questionnaire sur une maquette de saisie réalisée à l’aide du logiciel Sphinx. Cette opération a permis le croisement de différentes variables à l’aide de requêtes. Ces croisements qui ont porté sur deux ou plusieurs variables ont permis de faire ressortir des informations significatives en mesure d’éclairer les modalités de développement de l’hévéaculture ainsi que les rapports entre ce processus et la sécurité alimentaire. Au final, les informations les plus pertinentes ont été importées sous forme de tableau sur Excel, ce qui a permis la réalisation de graphiques. Le traitement thématique des données collectées à partir des grilles d’entretien a consisté d’abord à ressortir les thèmes récurrents dans les propos des enquêtés sur une question particulière pour ensuite opérer un classement par thème. Cette démarche a permis de générer, à partir des données éparses recueillies auprès d’une pluralité d’acteurs, des informations pertinentes mobilisables dans l’analyse. Outre les graphiques, certains tableaux statistiques générés lors du traitement des données issues de l’enquête par questionnaire ont permis la réalisation de cartes thématiques portant sur la distribution et la caractérisation des planteurs dans les deux régions. Comme ces cartes, les autres cartes (de localisation, d’occupation du sol, etc.) ont été réalisées à partir du logiciel Arc-Gis avant d’être finalisées sur le logiciel Adobe Illustrator.

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Conclusion

Ce troisième chapitre a permis l'expliquer le cadre méthodologique mis en œuvre dans ce travail de recherche. Il repose sur la combinaison de plusieurs techniques d'enquêtes de terrain (observation, enquête par questionnaire et par entretien individuel et collectif) menées à la suite d'un travail de recherche documentaire. La combinaison de ces différentes approches a permis le recueil d'informations diverses et variées permettant de comprendre les mécanismes qui sous-tendent l'expansion de l'hévéaculture, les stratégies de mobilisation des facteurs de production mises en œuvre par les acteurs. De plus, elles ont permis de cerner les motivations et représentations des acteurs et la place du vivrier dans le système de production de l'hévéaculture et d'évaluer le niveau de revenu des producteurs. L’intérêt de ce cadre méthodologique réside également dans le fait qu’il favorise une approche multi-scalaire (région, département, localité et ménages) de l’analyse des effets du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations. Par ailleurs, il permet la prise en compte de la dimension temporelle de la diffusion de l’innovation à travers la déclinaison des différents stades d’évolution de l’hévéaculture dans les régions cibles. En définitive, l'ensemble des données collectées a permis d'établir des combinaisons d'analyse utilisant différentes échelles spatiales et temporelles et a contribué à l'analyse des liens entre le développement de l'hévéaculture et la sécurité alimentaire des populations.

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Conclusion de la première partie

L'expansion de l'hévéaculture en Côte d'Ivoire depuis la fin de la décennie 1990 alors que le pays importe une part croissante de sa consommation alimentaire amène à questionner l'incidence de cette dynamique sur la sécurité alimentaire des populations ivoiriennes. Dans le cadre de la démarche de résolution de cette interrogation majeure, un cadre théorique a été conçu avec comme entrée, la théorie de l'innovation. Croisée avec les concepts de filière, de bassin de production, elle permet de penser le processus de diffusion de l'hévéaculture d'un point de vue socio-spatial, institutionnel, politique et économique. Cela permet d'envisager l'incidence des dynamiques de changement sur la sécurité alimentaire selon une approche systémique. Le cadre méthodologique utilisé pour la collecte de l'information nécessaire à la vérification de nos hypothèses repose sur une combinaison d'approches qualitatives (observation participative, entretiens individuels et collectifs) et d'approche quantitative (enquête par questionnaire). Au final, cette première partie a permis de poser les bases de la recherche, étape indispensable à la mise au jour des liens entre l'hévéaculture et la sécurité alimentaire.

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Seconde partie : Caractéristiques de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

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Introduction

Introduite en Côte d’Ivoire vers le milieu de la décennie 1950, l’hévéaculture est restée pendant longtemps l’apanage du secteur industriel et de quelques planteurs villageois situés dans les périmètres des plantations industrielles avant d’amorcer une phase d’expansion rapide dans le milieu villageois, notamment celui de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa, à partir de la fin de la décennie 1990. Comment cette culture passe-t-elle du secteur industriel au milieu villageois ? Comment expliquer cette expansion rapide ? Comment les planteurs parviennent-ils à se l’approprier et à l’insérer dans l’espace ? Quelles dynamiques sociales accompagnent la diffusion de l’hévéaculture ? Qu’est-ce qui explique l’engouement des populations pour cette spéculation ? Ce sont autant de questions qui motivent la deuxième partie de la thèse. Cette partie vise donc la compréhension des conditions de la diffusion de l’hévéaculture à l’échelle de l’Indénié- Djuablin et de la Nawa. Dans le chapitre 2 de la première partie, consacré au cadre théorique, nous avons inscrit l’étude dans le cadre de la théorie de la diffusion de l’innovation. Cette théorie véhicule trois approches pour analyser la diffusion d’une innovation : l’approche selon l’offre d’innovation relevant des stratégies de conquête spatiale des détenteurs de l’innovation ; l’approche selon la demande relative à la manière dont les individus s’approprient l’innovation et l’insèrent dans l’espace ; et l’approche radicale qui s’intéresse aux impacts socioéconomiques de la diffusion. Sur la base des travaux caractérisant donc la théorie de l’innovation, la seconde partie de la thèse s’organise en trois chapitres. Ainsi, dans le chapitre 4, nous nous intéressons à la stratégie de vulgarisation mise en œuvre par les détenteurs de l’innovation, ce qui revient à prendre en compte la dimension institutionnelle et spatiale de la diffusion au travers de l’approche de l’innovation selon l’offre. Le chapitre 5 mobilise l’approche de l’innovation selon la demande pour mettre en évidence les stratégies de mobilisation des facteurs de production employées par les producteurs et le système cultural en vigueur dans l’hévéaculture. Le chapitre 6 s’appuie sur l’approche radicale de l’innovation pour étudier la structure des producteurs d’hévéas et les déterminants de l’adoption de l’hévéaculture.

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Chapitre 4: Les conditions d’évolution de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Ce chapitre a pour objectif de comprendre l’évolution de l’hévéaculture dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa à la lumière de la théorie de la diffusion de l’innovation. En d’autres termes, il s’agit de mettre au jour le processus spatial de propagation de l’hévéaculture dans les deux régions. Selon Brown cité par Saint-Julien (op. cit.), il convient d’adopter une approche fonctionnaliste comme préalable à toute étude spatiale de la diffusion. Cela revient, dans ce chapitre, à s’intéresser à l’organisation et au fonctionnement des structures en charge de la promotion de l’hévéaculture. En un mot, il s’agit d’analyser les stratégies de vulgarisation mises en œuvre dans la filière de l’hévéaculture. Une telle approche recouvre une dimension spatiale puisqu’elle permet de suivre le processus de déplacement de la culture dans l’espace ainsi que ses effets spatiaux dont l’analyse renvoie à la notion de bassin de production. Elle permet également l’appréhension de la dimension temporelle du processus de diffusion qui s’exprime à travers le rythme d’adoption et le taux de diffusion. En définitive, ce chapitre entend élucider les conditions d’évolution de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa. Auparavant, puisque nous nous situons dans une approche diffusionniste, il convient de retracer le cheminement de l’hévéa à partir de son aire d’origine. Ainsi, les deux premières sections s’attachent à reconstituer le parcours de l’hévéaculture à travers le monde puis en Côte d’Ivoire, avant d’aborder des conditions de son évolution dans les deux terrains d’étude.

4.1 De l’extraction sauvage de l’hévéa à la diffusion de l’hévéaculture dans le monde tropical

L’hévéa12 est une plante de la famille des Euphorbiacées originaire du bassin amazonien (Brésil) dont les Indiens Maïpas nomment la résine qu'ils en tirent « cahuchu », qui se prononce « caoutchou », ce qui signifie « larme de bois » (Serier, 1993). Il existe une dizaine d’espèces d’hévéas (H. benthamiana, H. brasiliensis, H. camporum, H. guianensis, H. microphylla, H. nitida, H. pauciflora, H. rigidifolia, H. spruceana et H. camargoana) répertoriées dans le monde, mais seul l’hévéa brasiliensis (photo 3) est cultivé pour la qualité et la quantité de son latex (Finlay, 2013).

12 Il peut atteindre 30 m de hauteur pour un mètre de circonférence et a un cycle de vie d’au moins 30 ans en situation de culture.

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Photo 3 : Une plantation villageoise d’hévéas brasiliensis

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Une plantation d’hévéa de 9 ans mise en saignée avec des arbres ayant un potentiel de développement encore important surtout au niveau du tronc.

Bien avant la découverte de l'hévéa par les Européens, les Indiens en récoltaient le latex13 pour en faire des chaussures, des balles, etc. Aux yeux des Aztèques et des Mayas, cette matière avait un caractère sacré. Au XVIe siècle, les Aztèques établissaient une étroite association, presque une identification, entre le caoutchouc et la force de vie, le sang et le cœur humain dont l'offrande faisait tourner le soleil et assurait la vie sur terre. Le caoutchouc, sang de l'arbre, était le symbole et le substitut du sang humain, la substance la plus digne d'être offerte en sacrifice aux dieux (Serier, ibidem). Les Mayas l’utilisaient mélangé avec du copal, comme encens. Le mélange dégageait en brûlant des nuages de fumée dont les volutes s'élevaient vers le dieu de la pluie. C’est à partir de 1775 que les premiers usages du caoutchouc sont signalés en Europe, notamment en France et en Angleterre, sous forme de produits artisanaux, en particulier la gomme à effacer. Par la suite, les premières chaussures et les tissus imperméables firent leur apparition sur les marchés. L’approvisionnement des unités de fabrication de ces produits est alors assuré par l’extraction sauvage des hévéas de la forêt amazonienne. Cette activité s’intensifie en devenant de plus en plus lucrative à partir du milieu du XIXe siècle lorsque le caoutchouc naturel14 devient une matière première pour l’industrie à la suite d’une série d’inventions. La plus décisive est sans doute celle de Goodyear et d’autres savants qui

13 Le latex permet le stockage des réserves de la plante, sa protection contre les blessures, les maladies et les attaques des animaux. Outre l’hévéa, il est présent dans des milliers d’espèces végétales (Finlay, op. cit.). 14 Sur le plan chimique, le latex est un polymère hydrocarboné présent dans de nombreuses plantes. 92 parviennent à mettre au point le procédé de vulcanisation15 du caoutchouc naturel. Le caoutchouc vulcanisé gagne en élasticité, en durée de vie et en résistance chimique. Il peut surtout être expédié, stocké et décliné en d’innombrables produits industriels (Finlay, ibidem). Dans la continuité de cette découverte, en 1888, l’écossais Dunlop invente le premier pneumatique pour vélo et en installe une usine de fabrication à Dublin. En France, les frères Michelin améliorent la qualité des pneus de Dunlop en mettant au point le pneu démontable pour bicyclette en 1891. En s’inspirant de cette invention, ils réussissent à fabriquer le premier pneumatique pour automobile en 1895. Parallèlement à la multiplication des produits industriels à base de caoutchouc naturel, mais surtout du fait de l’essor de l’industrie automobile, la demande en caoutchouc naturel s’accroit tandis que l’extraction devient une activité économique rentable dans les pays ayant en partage la forêt amazonienne, comme la Bolivie, le Pérou, la Colombie, l'Equateur et en particulier le Brésil. Du fait de cette activité, la ville de Manaus au Brésil, dotée d’un port pour l’exportation du caoutchouc naturel, était considérée comme une des villes les plus prospères du monde (Serier, ibidem). Progressivement, le bassin amazonien ne parvient plus que difficilement à satisfaire la demande parce que la consommation en caoutchouc naturel des industries de l’automobile, du cycle et de l’électricité est multipliée par six entre 1980 et 1910 (Finlay, ibidem), mais également parce que les hévéas se raréfient d’autant plus que les procédés d’extraction consistent à abattre systématiquement les arbres. Anticipant l’épuisement des réserves amazoniennes, certains industriels avaient lancé l'idée de la culture des arbres à caoutchouc. Mais, les efforts portant sur la culture du Ficus élastica en Algérie en 1858 par les Français ou du Ficus indica par les Anglais en Inde en 1860 se sont soldés par des échecs16. Suivant la même idée, en 1876, l'anglais Henri Wickman prélève 70 000 graines d'hévéas de la forêt amazonienne et parvient à les acheminer rapidement au jardin botanique londonien de Kew (Angleterre) où elles sont semées. L'année suivante, 1 900 jeunes plants transitent par le jardin botanique de Colombo, Ceylan (actuel Sri Lanka) avant d’être acheminés vers celui de Singapour. Seulement 22 plants arrivent à bon port, dont la moitié est aussitôt transférée en Malaisie où les botanistes se lancent dans un effort laborieux et systématique de transformation de la plante sauvage en une culture digne de ce nom en parvenant à mettre au point des méthodes probantes de multiplication des plants, de défrichage de parcelles de jungle et de saignée (Finlay, ibidem). Ainsi dès 1897, les colons britanniques disposaient de plants pour pratiquer l'hévéaculture. En 1907, les clones issus des 11 graines étaient à l'origine d'une dizaine de millions d'arbres plantés en Malaisie, au Sri Lanka, aux Indes et dans les autres possessions britanniques.

15 Ce procédé lui permet par la suite de fabriquer des canots de sauvetage, des ressorts, des roues, des vêtements, des instruments de musique, des billets de banque, etc. Mais Thomas Hancock le découvre et dépose avant lui le brevet de la vulcanisation en 1843, ce qui explique que Charles Goodyear ne tirera presque aucun bénéfice de ses inventions (Serrier, op. cit.). 17 Ces plantes produisent au bout de 25 ans et les productions triennales à l'hectare ne sont au mieux que de 25 kg (Serier, op. cit.).

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Parallèlement, en Indonésie, les Hollandais démarrent le processus d’introduction en 1883 et parviennent à créer les premières plantations en 1900. De leur côté enfin, les Français créent des plantations en Indochine en 1906 à la suite d’un processus d’acclimatation des plants lancé en 1897. A la suite de ces différents processus engagés par les puissances coloniales, en quelques années, l’Asie du Sud-Est devient le principal bassin d’approvisionnement du monde industriel au détriment de l’Amérique du Sud, notamment du Brésil qui contrôlait près de 90 % de l’activité. Encore actuellement, en 2015, selon l’International rubber study group (IRSG), l’Asie du Sud-Est a fourni près de 90 % de la production mondiale de caoutchouc naturel, par le biais de la Thaïlande (35 %), de l’Indonésie (26 %), du Vietnam (9 %), de la Malaisie (6 %), etc. (figure 11).

Figure 11 : Répartition de la production mondiale de caoutchouc naturel (en millier de tonnes).

Vietnam; 1 080 t; Autre Asie; 360 t (3%) (9%)

Indonésie; 3 120 t Chi ne; 840 t (7%) (26%)

Amérique; 360 t; (3%)

Ma l aisie; 720 t (6%)

Afrique; 600 t (5%) Thaïlande; 4 200 t (35%) Inde; 720 t (6%)

Source: IRSG (International rubber study group), 2016

En Afrique, où les puissances coloniales avaient donné la priorité à l’extraction de plantes à caoutchouc sauvage comme le manihot, le funtumia et la landolphia, la première plantation d’hévéa est créée au Libéria en 1924 par la Firstones Tire and rubbers company, un des quatre géants du pneu américain. En 1926, c’est au tour des Français de créer les premières plantations au Cameroun par le biais de la Société financière des caoutchoucs (Socfin) (Clarence-Smith, 2012). Les Anglais font de même au Ghana en 1925 et au Nigéria en 1929. A la faveur de la Seconde Guerre mondiale, le caoutchouc naturel devient une matière à valeur stratégique. En effet, en 1941, le Japon détruit la base navale américaine de Pearl Harbor, prend le contrôle de l’Asie du Sud-Est, puis annexe en 1942 les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et la Birmanie. Ainsi, les pays alliés se retrouvèrent-ils

94 coupés du principal bassin de production de caoutchouc naturel du monde. L’issue de la guerre devint incertaine pour les alliés d’autant plus que le caoutchouc naturel constitue une matière première indispensable au bon fonctionnement de l’activité militaire17. Cette situation va susciter l’industrie du caoutchouc synthétique en particulier aux Etats-Unis et en Allemagne alors sous blocus américain. Ce caoutchouc de synthèse fabriqué à partir des dérivés du pétrole se positionne dès les années 1950 comme un redoutable concurrent du caoutchouc naturel. En 2013, il représentait 60 % de la production mondiale, contre 40 % issus des plantations d’hévéas brasiliensis (Finlay, ibidem). En fait, cette concurrence est directement induite par les cours du pétrole. Plus son prix augmente, plus la demande pour le caoutchouc naturel augmente car il devient attractif. La demande n’est pas seulement à relier au prix du pétrole. En effet, du fait de ses qualités de résistance et d’élasticité, le caoutchouc naturel est indispensable dans l’industrie pneumatique et pharmaceutique, ce qui explique qu’il continue de jouer un rôle important dans l’économie des pays producteurs de latex, aux premiers rangs desquels la Thaïlande, l’Indonésie et la Malaisie. En Afrique, comme l’indique la carte 8, les principaux pays producteurs en 2015 sont la Côte d’Ivoire (410 000 t), le Nigéria (164 000 t), le Libéria (71 000 t), le Cameroun (59 000 t) et le Ghana (25 000 t).

Carte 8: Principaux bassins de production de caoutchouc naturel en Afrique

17 Il entre dans la fabrication de masques à gaz, des joints, de matériels de transfusion sanguine, de poches à plasma, d’isolant pour les lignes télégraphiques, de pneus pour les automobiles et engins de guerre, etc.

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En Côte d’Ivoire, principal producteur africain, l’introduction de l’hévéaculture est intervenue en 1955 à l’initiative de compagnies françaises qui cherchaient à se mettre à l’abri des effets des troubles politiques en Asie.

4.2 Des pionniers du secteur industriel aux petits producteurs villageois : le processus de diffusion de l’hévéaculture en Côte d’Ivoire

Dans le processus de diffusion de l’hévéaculture, on distingue deux grandes périodes qui correspondent d’une part à l’implantation de la culture et d’autre part à sa généralisation dans toute la partie forestière de la Côte d’Ivoire. L’année 1994, qui marque le début de la privatisation du secteur, constitue la limite entre les deux périodes.

4.2.1 La phase d’implantation de l’hévéaculture des années 1950 au milieu des années 1990

L’implantation de l’hévéaculture en Côte d’Ivoire peut être regroupée en deux principales phases. La première est caractérisée par l’action pionnière de sociétés agricoles et la seconde est marquée par l’interventionnisme de l’Etat.

4.2.1.1 Le rôle des pionniers du secteur industriel

Si en matière de plantes à caoutchouc, les populations ivoiriennes connaissaient déjà le funtumia élastica dont l’extraction a servi à l’approvisionnement de la métropole en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est plus tardivement qu’elles découvrent l’hévéaculture. Son introduction intervient en 1953 sous l'ère coloniale, longtemps après celle du café (1880) et du cacao (1888). Selon Monnier (1974), cette situation trouve son explication dans le fait que l'empire colonial pouvait compter sur les productions de caoutchouc naturel émanant de sa colonie indochinoise. Mais, avec la guerre de décolonisation qui oppose la France à sa possession à partir de la fin des années 1940 et dont l'issue lui est défavorable, il devint impérieux de rechercher une autre source d'approvisionnement. Ainsi, en 1952, deux sociétés viennent prospecter en Côte d’Ivoire en vue de la création de plantations industrielles d’hévéas : la Compagnie française de caoutchouc d'Extrême-Orient en Indochine et la Société indochinoise de plantation d'hévéas (SIPH). Dès 1953, par le biais de son directeur Malcrost, la compagnie française de caoutchouc d'Extrême-Orient en Indochine rachète 400 ha de vieille palmeraie improductive à Alaeis près de Bonoua à la Société commerciale de l'Ouest africain (SCOA), une entreprise française, (carte 9). Cela lui permet de créer dès 1953, la première plantation d’hévéas en Côte d’Ivoire, en utilisant du matériel végétal transporté d’Indochine par avion. En 1954, rebaptisée Compagnie des caoutchoucs de Pakidié (CCP), la société de Malcrost obtient deux concessions par bail emphytéotique:

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˗ la première de 1 600 ha dans la savane à Toupah près de Dabou ; cet espace de plantation était considéré par les populations autochtones comme impropre aux cultures traditionnelles ; ˗ la seconde de 1 250 ha sur la rive nord de la lagune Adjin près d'Abidjan, constituée d'une vieille caféière. Parallèlement, la Société indochinoise de plantation d'hévéas (SIPH) sous sa nouvelle appellation de Société Africaine de Plantation d'Hévéas (SAPH) obtient aussi par bail emphytéotique deux concessions en 1954 : ˗ l'une de 7 000 ha dans la savane de Dabou, comme la CCP, près du village de Toupah ; ˗ l'autre de 9 000 ha dans la forêt de Bongo, au nord de Bonoua.

Carte 9: Les premières plantations industrielles en hévéaculture

C'est en 1956 que la SAPH peut commencer la mise en valeur de ses surfaces. Comme la CCP, les premiers investissements sont faits à partir de fonds transférés à temps d'Indochine. En 1962, à peine l’exploitation de ses premières plantations commencées que la SAPH se trouve confrontée à de sérieuses difficultés de trésorerie du fait de la dépression des cours mondiaux du caoutchouc. L’année suivante, cette situation amène l’Etat ivoirien à prendre une participation majoritaire dans son capital. Ainsi, la période à partir de 1963 se caractérise par l’interventionnisme de l'Etat.

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4.2.1.2 La phase d'interventionnisme de l'Etat

L’intervention de l’Etat a d’abord consisté en la consolidation du secteur des plantations industrielles puis en l’introduction de l’hévéaculture en milieu paysan.

4.2.1.2.1 Les actions étatiques en faveur des plantations industrielles

En parallèle de son soutien aux agro-industries, comme l'indique Grilli (1980) cité par Clarence-Smith (ibidem), les autorités ivoiriennes se lancent dans la voie des grandes plantations d’hévéas, au moment où les petits planteurs triomphaient en Asie. En réalité, par ce choix, l'Etat ivoirien entendait diversifier ses sources de devises pour faire face à la détérioration des termes de l'échange et la tendance baissière affichée par les cours mondiaux du café et du cacao, les deux mamelles de l'économie du jeune Etat indépendant. Son intervention est passée par la promotion de deux plans hévéas. En 1965, le premier plan aboutit à la création d'une plantation industrielle d'Etat de 1 430 ha à Anguédédou. La Société de développement d'hévéa (SODHEVEA), en charge de sa gestion est dissoute en 1972 des suites de graves irrégularités de gestion. Malgré cette situation, dans un contexte marqué par la flambée des cours mondiaux du caoutchouc naturel résultant du premier choc pétrolier, l'Etat lance un deuxième plan hévéa. Celui-ci s'inscrit dans le plan d'aménagement du Sud-Ouest du pays. Pour sa réalisation, l'Etat s'allie à des partenaires privés :

 Avec la SATAC, une filiale du groupe français Michelin, il crée en 1972 la Société de Grand Béréby (SOGB). Cette société d’économie mixte se voit confier la réalisation de plantations de 13 500 ha à Grand-Béréby et à Rapide-Grah.

 Sur la même lancée, l'Etat s'appuie sur des financements émanant d'autres partenaires financiers18 pour la réalisation en 1975, au travers de la SAPH, d'une autre plantation industrielle de 6 000 ha à Rapide-Grah.

Le deuxième plan hévéa est le dernier en faveur de l'hévéaculture industrielle, l'ensemble des plantations couvre ainsi une superficie totale de 30 418 ha en 1990.

Le paysage de l’hévéaculture uniquement présente sous forme de plantations industrielles, contribue à donner aux populations rurales, l’image de la plante « la plus inaccessible des grandes cultures industrielles de la forêt ivoirienne » aux populations rurales (Pillet-Schwartz, op.cit.). Entre la fin de la décennie 1970 et le milieu des années 1990, période de retrait de l'Etat du secteur du fait de l'application des programmes d'ajustement structurel, ce paysage n'évoluera pas fondamentalement puisque les surfaces exploitées par le secteur industriel ne passent que de 30 418 ha à 41 500 ha. On peut observer que ces unités agro-industrielles, très

18 La Banque mondiale, la Caisse centrale de coopération économique (CCCE) et le groupe britannique Commonwealth Development Corporation (CDC).

98 inégalement réparties sur le territoire, étaient exclusivement implantées sur le littoral, notamment dans le Sud-Est du pays (carte 9). Si la décennie 1970 est marquée par la promotion de l'hévéaculture industrielle, celle des années 1980 se positionne incontestablement comme la période de vulgarisation en milieu villageois.

4.2.1.2.2 L’introduction de l'hévéaculture en milieu villageois via les programmes publics

La promotion de l'hévéaculture en milieu villageois intervient vers le milieu de la décennie 1980, au moment où l'agriculture ivoirienne commençait à être confrontée à un début d'épuisement des réserves forestières (Léonard, 1997). C'est une des raisons, comme le note Ruf (2013), pour lesquelles les pouvoirs publics et le secteur privé ont intégré la promotion de l’hévéaculture villageoise dans leurs stratégies de développement. Par ailleurs, les pouvoirs publics entendaient par ce moyen créer de nouveaux pôles de dynamisme agricole. En effet, la marche vers le développement du pays, entamée dès son accession à la souveraineté internationale en 1960, avait généré d’importantes disparités entre les régions, mais aussi et surtout entre le monde rural et les zones urbaines. Corriger ces disparités signifiait que des efforts devaient être faits pour relever le niveau de vie dans de nombreuses zones rurales plus ou moins défavorisées. A cet égard, la vulgarisation de l'hévéaculture en milieu paysan a été envisagée comme un moyen d'assurer un accroissement du niveau de revenu des ruraux à travers, entre autres, la création d’emplois nouveaux et la promotion d’activités agricoles nouvelles. Mis à part un modeste projet expérimental de 100 ha en hévéaculture villageoise réalisé en 1968 dans les environs de la plantation industrielle d'Etat d'Anguédédou, on peut affirmer que c'est véritablement à partir de 1978 que l’Etat ivoirien commence à planifier ce processus de diffusion en milieu villageois. Cette vulgarisation va se faire comme pour les plantations industrielles à travers le programme connu sous le nom de programme de plantations villageoises d'hévéa (PVH). Sur le plan pratique, l'Etat opte pour une vulgarisation selon le système noyau-plasma (Penot, 2001) déjà expérimenté pour la vulgarisation de l'hévéaculture familiale en Indonésie et dans celle de la culture du palmier à huile dans la petite paysannerie en Côte d'Ivoire. Il consiste en la mise en place d’un complexe agro-industriel comprenant une plantation industrielle et une usine de traitement du latex (noyau), puis au développement ultérieur de plantations villageoises (plasma) autour de l’usine. Selon cette logique, en plus du complexe agro- industriel d’Anguédédou construit en 1970, deux complexes agro-industriels vont être mis en place à Bettié dans l’Est du pays à partir de 1979, puis à Guiglo dans le Sud-Ouest à partir de 1985. Les plantations industrielles sont censées assurer la solidité économique du projet en évitant un trop grand décalage entre les prévisions et les résultats obtenus. De plus, en tant que propriété des unités agro-industrielles, ces plantations doivent permettre d'assurer une certaine rentabilité grâce à la continuité de la production et à la régularité de l’approvisionnement des usines. Dans le même temps, pour les planteurs villageois, les plantations industrielles sont censées servir de modèle technique. Les plantations villageoises devaient se situer dans un rayon de 30 km autour du noyau du complexe agro-industriel, afin de faciliter le suivi agronomique des parcelles, l'encadrement efficient des planteurs via les encadreurs techniques de la structure de gestion. De plus, la localisation des plantations villageoises près de l'usine permet aussi de collecter rapidement et

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à moindre frais le latex. On estimait surtout qu'au-delà de cette distance de 30 km, la collecte ne pouvait être économiquement rentable. Pour espérer être retenu par le projet, les planteurs devaient faire la preuve qu'ils étaient propriétaires de terres exploitées par la fourniture d'un certificat de propriété. Par cette conditionnalité, les promoteurs voulaient limiter les abandons de parcelles en lien avec des conflits fonciers. Dans le même sens, l’obligation était faite aux postulants, surtout ceux âgés de plus de 50 ans, de désigner au moment de la signature du contrat un héritier capable d'assurer la pérennité du projet en cas de décès. C'est seulement après avoir répondu à ces critères de base, que les planteurs pouvaient s'engager dans un système de relation contractuelle avec, outre la SAPH – opérateur technique du projet –, la Banque Nationale pour le Développement Agricole (BNDA) qui en assure le volet financier (figure 12).

Figure 12 : Organisation de la filière au moment du programme public de vulgarisation de l'hévéaculture villageoise entre 1979 et 1992

Source: Enquêtes O. Ouattara, 2014

Le rôle de la BNDA a consisté à centraliser tous les financements des programmes initiés par l’Etat et en liaison avec la SAPH à les distribuer aux planteurs demandeurs sous forme de crédit agricole à la création. Au moment de l’entrée en production des plantations, la BNDA s’occupe de la collecte mensuelle des montants dus et du transfert à la Caisse autonome d’amortissement (CAA). Cet autre organisme financier était chargé par l’Etat de gérer les emprunts et d’assurer les remboursements auprès des bailleurs de fonds intéressés aux projets. Outre les planteurs villageois, deux types de population étaient ciblés dans cette démarche : les jeunes ruraux d'une part et les cadres d'autre part.

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L'intéressement des jeunes au programme s'inscrivait dans le cadre de la politique de retour à la terre et de lutte contre l’exode rural initiée par les pouvoirs publics de l'époque. L'hévéaculture devait permettre de les intéresser à l'agriculture et de les sédentariser. Les promoteurs désignaient cette catégorie de planteurs sous l’appellation de jeunes agriculteurs modernes d’hévéas (JAMH) pour les différencier des planteurs traditionnels appelés, eux, planteurs villageois d’hévéa (PVH). L’adjonction de cadres au programme était liée à la volonté de donner un écho favorable à l’appel au retour à la terre qui leur avait été adressé en 1965 par Felix Houphouët-Boigny, premier président du pays. A la différence des autres planteurs qui détenaient de petites plantations aux superficies généralement inférieures à 3 ha, les cadres avaient des plantations de plus de 10 ha en moyenne, ce qui leur valait d'être désignés comme des promoteurs de moyennes plantations d’hévéa (PMPH). Quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent (JAMH, PVH ou PMPH), en vertu de l’engagement les liant à l'agro-industrie, les exploitants devaient se plier à un certain nombre d’obligations en termes de respect de l'itinéraire technique en vigueur :

 le défrichement, le dessouchage et le nettoyage de la parcelle de culture ; celle-ci ne devait présenter aucune contrainte majeure pour la culture de l'hévéa (existence de pentes importantes, parcelle inondable) ;  la réalisation des opérations de piquetage et de planting en suivant les instructions des encadreurs en termes d'espacement entre les plants, de profondeur des trous, etc. ;  l'utilisation exclusive du matériel végétal sélectionné fourni par l'agro-industrie ;  l'obligation d'installer des plantes de couverture en vue de limiter la végétation adventice assortie de l'interdiction formelle de complanter l'hévéa avec d'autres cultures ;  la réalisation en phase juvénile de la plante de quatre opérations de sarclage au cours de l'année et l’utilisation efficiente de tous les fertilisants et autres produits d'entretien mis à sa disposition par la SAPH.

Afin de placer les exploitants dans les meilleures dispositions de respect de l'itinéraire technique et du calendrier agricole, la SAPH leur assure un certain nombre de prestations. Elles consistent à les assister dans le choix du site de culture, dans sa préparation et dans le semis des plants. En vue de cette dernière opération, l’agro-industrie leur fournit à crédit tous les intrants (matériel végétal sélectionné, fertilisants et autres pesticides) nécessaires à l'évolution optimale du verger. Parallèlement, les exploitants perçoivent de la BNDA où ils ont préalablement ouvert un compte, une avance financière pour faire face aux dépenses générées par la mobilisation de la main-d'œuvre commise à l'entretien des parcelles. Enfin, quand les plantations entrent en production, généralement la septième année suivant leur mise en culture, la SAPH se charge de la collecte, de l'achat et de l'usinage de la production. Tous les quinze jours, la société est tenue de procéder à la collecte du latex auparavant récolté par les soins du planteur en suivant un calendrier établi par l'encadreur technique. Le latex est acheminé vers les usines par des camions via un circuit de pistes de collecte bord-champs dont s'est dotée la SAPH, ce qui permet d'assurer, outre la liaison entre les plantations et l'usine, le désenclavement des villages desservis par le projet. Une fois la pesée effectuée, la SAPH communique à la BNDA le montant à verser à chaque exploitant au prorata de sa production. La BNDA procède à la paie tous les 5 du mois en effectuant des retenues au titre du remboursement des avances perçues (sous forme d'intrants, en numéraires) par le planteur.

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Ce prélèvement se présentait sous la forme d'une retenue proportionnelle au poids de la récolte livrée par le planteur, à raison du cinquième du prix unitaire pratiqué, et pouvait s'étendre sur six à dix années suivant le montant de la dette contractée. Sur la base du schéma de vulgarisation ainsi présenté, trois programmes de plantations villageoises ont été réalisés entre 1979 et 1993. En application des programmes d’ajustement structurel imposés par les institutions financières internationales, les programmes publics prennent fin en 1993. La carte 10 présente la situation de l’hévéaculture familiale au moment de l’arrêt des financements publics.

Carte 10: Occupation spatiale de l’hévéaculture familiale en 1994

La carte reflète la répartition spatiale des bassins de production issus des programmes publics. En fait, ces projets n’ont généré la vulgarisation que dans neuf localités regroupées en cinq zones de production dans tout le sud forestier. A une échelle plus fine, ce sont même trois sites – que sont Dabou, Anguédédou et Bonoua – qui constituent les principaux bassins de production du caoutchouc naturel puisqu'ils totalisent 63 % des superficies plantées et près de 77 % de la production totale de latex. Ainsi, le schéma de vulgarisation adopté a permis le développement de l'hévéaculture villageoise sur la frange côtière, au sud-ouest et au sud-est du pays. Le reste de la zone forestière est restée en marge de cette dynamique du fait de sa mise à l'écart par les programmes publics de vulgarisation. Cette situation était également expliquée par le fait que le potentiel écologique du matériel végétal disponible à cette époque ne permettait pas une pratique optimale de l’hévéaculture au-delà des zones recevant au moins 1 500 mm de pluie par an (plan hévéa 1982-1990) c’est-à-dire au-delà des zones pionnières (carte 11).

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Carte 11: Evolution des secteurs favorables à l'hévéaculture entre 1986 et 2015

Toutefois, cette contrainte a été levée vers le milieu des années 1990 à la suite d’un processus de recherche agronomique. En effet, les premières recherches datent des années 1940 avec la création par Malcrost d’une parcelle expérimentale d’hévéas de 50 ha à Bingerville (1941) puis d'une autre de 30 ha à Olodio près de Tabou en 1944 (Clarence-Smith, op. cit.). Ces parcelles sont abandonnées par la suite, mais permettent d’apporter la preuve que l’hévéaculture peut se pratiquer de façon optimale dans les conditions pédoclimatiques du sud-est et du sud-ouest de la Côte d’Ivoire. Ainsi, la CCP en 1953, puis la SAPH en 1956 ont dû créer leurs premières plantations, les premières du pays à partir de plants ou de graines transportées par avion depuis l’Extrême-Orient (Monnier, 1974). Toutefois, ce recours aux seedlings (c'est à dire des plants obtenus par simple germination de graines) ne pouvait être durable car ils étaient connus pour être faiblement résistants aux vents et aux maladies. De plus, ils pouvaient présenter une forte variabilité en ce qui concerne la période d’entrée en production pour des grains plantés au même moment et donnaient de faibles rendements. C’est en 1956 que la première véritable structure de recherche voit le jour, avec la création de l’Institut pour la recherche sur le caoutchouc19 (IRCA). Implanté à Bimbresso (près d'Abidjan) sur une concession de 1 000 ha, l’IRCA a pour mission d’une part, la production et la fourniture de clones sélectionnés performants et d’autre part l’amélioration des techniques de transformation du latex au bénéfice des agro-industries. Dans cette optique, l’IRCA teste

19 A l’origine, cet institut est le prolongement africain de l’Institut français du caoutchouc créé en 1934 par les compagnies privées productrices de caoutchouc en Indochine. Son financement est d’abord français avant de devenir ivoirien à partir de 1960, à l’indépendance de la Côte d’Ivoire.

103 dans les conditions pédoclimatiques du pays, un certain nombre de variétés importées d’Asie. Puis, par reproduction asexuée, il obtient les clones des variétés PB235, PB217, PB254, RRICI121, PR107 et RRIM703, plus adaptées aux conditions pédoclimatiques du pays. Par la suite, l’IRCA réussit à mettre au point des variétés hybrides telles que l’IRCA18, l’IRCA41, l’IRCA111 et l’IRCA20. Ces clones destinés au secteur industriel présentent, entre autres, de bons rendements à l’hectare et une résistance aux maladies plus élevée ainsi que des résultats plus homogènes que les seedlings. A partir de 1978, les recherches de l’IRCA se focalisent davantage sur la mise en œuvre de conditions techniques idoines pour le développement de l’hévéaculture en milieu villageois. Elles aboutissent à la définition d’un itinéraire technique spécifique à l’hévéaculture villageoise et à la mise au point d’un certain nombre de clones tels que le GT1 plus adapté à ce milieu du fait de sa rusticité. Suite à la dissolution de l’IRCA en 1986, les recherches agronomiques continuent avec le Centre national de recherche agronomique-département de plante à latex (CNRA-DPL) et le Centre de recherche hévéicole du Gô (HEVEGO)20. Elles aboutissent par manipulation génétique à l’amélioration de la rusticité du matériel végétal existant et à la mise au point par hybridation de nouvelles variétés végétales à l’intention du monde paysan. Au nombre de ces dernières, il y a les clones IRCA1300, IRCA1400 et IRCA300 mis au point à la station de recherche du Gô (BNETD, 2010). Parallèlement, la recherche a aussi permis des évolutions en matière de lutte contre le Fomès noxius, la principale pathologie des hévéas en Côte d’Ivoire, de gestion de panneaux de saignée et de conduite de l’association de l’hévéa à d’autres cultures. En somme, depuis le milieu des années 1990, la nouvelle génération de matériel végétal permet de cultiver l’hévéa de façon optimale dans toute la zone forestière ivoirienne, y compris celle située à des isohyètes inférieurs à 1 500 mm. Suite au désengagement de l’Etat, de nouveaux acteurs de la filière se saisissent de cette opportunité pour diffuser la culture dans de nouvelles aires de production à partir de la fin des années 1990.

4.2.2 Contexte et stratégies de diffusion de l’hévéaculture à partir des années 2000

La crise économique des années 1980 a conduit la plupart des Etats africains à adopter sous l’impulsion des bailleurs de fonds (FMI et BM) des politiques d’ajustement structurel tant au niveau macro-économique que sectoriel. Dans ce cadre, les filières agricoles en Afrique sub- saharienne ont connu d’importantes transformations qui se sont traduites par la privatisation des actifs détenus par l’État, le démantèlement de l’administration des filières, etc. (Fraval et

20 Au milieu des années 1980, la station de recherche de 1 000 ha de Bimbresso ne dispose plus d’espace suffisant pour réaliser des champs de clones à l’issue des recherches en laboratoire. C’est ainsi qu’en 1986, l’Etat crée dans la région de San‐Pedro (Sud‐Ouest) le Centre de recherche hévéicole du Gô (HEVEGO) doté d’un espace d’une superficie de 5 500 ha. Ainsi, les recherches mises au point dans les laboratoires à Bimbresso peuvent être testées à travers des champs de clones à grande échelle suivis par HEVEGO. En 1998, l’Etat décide de regrouper toutes les structures de recherche agronomique au sein du Centre national de recherche agronomique (CNRA). L’IRCA disparait tandis que HEVEGO devient une structure de recherche en aval de CNRA‐ DPL.

104 al., 2000). Dans le secteur de l’hévéaculture, elle a favorisé l’émergence de nouveaux acteurs et induit l’avènement de nouvelles méthodes de gestion.

4.2.2.1 Un contexte nouveau de développement de l'hévéaculture familiale

Entamée au début des années 1990, la politique de privatisation menée dans la filière hévéa a connu son épilogue le 31 décembre 1995 avec la cession des actifs de l’Etat au secteur privé (BNETD, 2006). Dans ce cadre, le groupe ivoirien Octide finances rachète la SAPH en 1994 avant de la céder en 1999 à la Société immobilière et financière de la côte africaine (SIFCA) basée en Côte d’Ivoire. La même année, le Groupe SOCFIN, associé à un investisseur national, acquiert une participation majoritaire dans le capital de la SOGB. Outre les sociétés d’économie mixte, l’Etat cède également ses trois complexes agro- industriels ou Domaine hévéicole d’Etat (DHE) d’Anguédédou, de Bettié et de Cavally au secteur privé en 1995 :

˗ le DHE de Bettié passe sous le contrôle du groupe Eurofond et devient la Société agricole et industrielle de Bettié (SAIBE) avant d’être racheté à son tour par la SAPH en 2007 ; ˗ le DHE d’Anguédédou est racheté par la Société africaine pour la promotion hévéicole et l’industrie du caoutchouc (SAPHIC) émanation de privés ivoiriens, qui le renomme Tropical Rubber de Côte d’Ivoire (TRCI) ; ˗ le DHE de Cavally est acquis par la Commonwealth Development Corporation (CDC), un groupe d’intérêt britannique et prend l’appellation de Compagnie hévéicole de Cavally (CHC). En somme, de 4 agro-industries (SAPH, CCP, SOGB, DHE) avant la privatisation en 1995, on passe à 7 à la faveur de la privatisation (SAPH, CCP, SOGB, TRCI, SAIBE, CHC). Entre 1996 et 2000, 6 nouvelles agro-industries (HEVETEC, SCC, SAIC, IDH, ITCA, EDEM Export, AGRO ELITE) sont créées qui vont porter le nombre à 13. En 2007, le rachat de SAIBE par la SAPH ramène le nombre d’opérateurs agro-industriels à 12. A l’image de leurs devancières, ces sociétés agro-industrielles ont toutes installé des unités de transformation de caoutchouc naturel à l’exception d'EDEM Export, avec pour conséquence un surdimensionnement des capacités d’usinage par rapport à la production nationale (BNETD, 2010). Ainsi, alors qu’en 2000 la production nationale du caoutchouc était de 122 752 tonnes, le potentiel d’usinage était de 173 000 tonnes, soit un écart de 50 248 tonnes à combler. Cet écart n’a eu de cesse de se creuser puisqu’en 2009, il atteint 142 898 tonnes, résultat d’une capacité d’usinage de 346 000 tonnes pour une production de 203 102 tonnes (tableau 4).

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Tableau 4 : Evolution de la capacité d’usinage des agro-industries entre 1995 et 2009

Sociétés Capacité d’usinage avant la agricoles privatisation (en 1995) en Capacité d’usinage Capacité d’usinage tonne de caoutchouc coagulé en 2000 en tcc/an en 2009 en tcc/an par an (tcc/an) SOGB 40 000 50 000 70 000 SAPH 50 000 65 000 120 000 CCP 6 000 11 000 20 000 DHE 10000 TRCI - 22 000 30 000 CHC - 12 000 30 000 SAIBE - 10 000 - HEVETEC - 3 000 6 000 EXAT - - 15 000 SCC - - 15 000 ITCA - - 15 000 IDH - - 10 000 SAIC - - 15 000 EDEM export - - - Total 110 000 173 000 346 000 Source : APROMAC, 2009 et BNETD, 2010.

Ce surdimensionnement est d'autant plus problématique que la majorité des nouvelles sociétés ne disposent que de modestes superficies de plantations industrielles, et même, pour certaines d'aucune surface (ITA, SCC, Agro Elite et EDM export). Or le contexte n'est pas très favorable au développement de plantations industrielles en raison de la réduction considérable des disponibilités du foncier rural. Le risque est en effet élevé d’être confronté à des conflits avec les populations rurales. De plus, l'Etat qui a par le passé procédé à des décalcifications de forêt pour permettre l'installation d'unités agro-industrielles (BNETD, 2006), ne peut se permettre ce type d'action eu égard à l'intérêt croissant que les communautés nationale et internationale portent à la préservation de ces sites. Dès lors, le secteur villageois est apparu comme une source d’approvisionnement incontournable, ce qui va induire des effets de concurrence féroce entre les sociétés pour le contrôle de la ressource villageoise. Afin d'assurer la pérennité de leurs approvisionnements, le développement du secteur villageois s’est retrouvé au centre des stratégies des acteurs de la filière. En même temps, ce développement était perçu par les agro-industries comme une opportunité pour effectuer un transfert des risques de production à la charge des paysans (Ruf, op. cit.).

4.2.2.2 Stratégie de diffusion post-privatisation

Suite au retrait de l’Etat qui a administré la filière durant près de trois décennies (1963-1994), l’APROMAC devient le véritable instrument de développement de la filière. Elle regroupe en son sein tous les acteurs de la filière (figure 13). Si, depuis sa création en 1975, elle avait pour mission la défense des intérêts des professionnels du caoutchouc et manufacturiers auprès des pouvoirs publics et la gestion du mécanisme de fixation du prix d’achat aux planteurs, à partir

106 de la fin de la décennie 1990, il s’y ajoute la charge du développement de l’hévéaculture villageoise.

Figure 13 : Organisation de filière de l’hévéaculture après la privatisation

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Pour réussir sa mission de dynamisation du secteur villageois, l’APROMAC met en place un système d’autofinancement de la filière21. Ce système de financement autocentré a l’avantage de doter la filière hévéa d’une autonomie financière essentielle à la réalisation de ses objectifs. Par la suite, elle met en œuvre une stratégie de conquête de l’espace du sud forestier consistant au découpage de cet ensemble en secteurs d’activité. De 7 secteurs en 1995, on est passé à 12 en 2003 avant d’atteindre 18 secteurs d’activité en 2012, ce qui a permis de couvrir l’ensemble de la zone forestière du pays (carte 12). Pour permettre un encadrement plus

21 Le financement de la filière hévéa est assuré par trois niveaux de prélèvement. Le premier provient de l’ensemble des acteurs de la filière et s’élève à 0,35 FCFA le kg de caoutchouc humide. Il est destiné au fonctionnement de l’APROMAC. Le deuxième est opéré sur l’ensemble des acteurs de la filière à hauteur de 2 % du cours international du caoutchouc coté à Singapour. Il alimente le fonds de développement de l’hévéaculture (FDH). Le troisième niveau de prélèvement est réalisé sur les ventes des planteurs, à hauteur de 6 FCFA par kg de caoutchouc humide. Il est destiné au financement du conseil agricole et aux frais de gestion des structures associatives de la filière (BNETD, 2010). 107 rapproché des planteurs d’hévéas, ces secteurs ont ensuite été subdivisés en 55 lots, lots qui ont été attribués à différentes sociétés agro-industrielles sur la base d’un appel d’offre national piloté par le FIRCA22. Des 9 sociétés retenues, il ressort que la SAPH contrôle près 50 % des lots existants soit 27 lots sur 55. Si on raisonne par secteur, elle est présente dans 11 des 18 secteurs (carte 12), et dans 6 de ces 11 secteurs, elle exerce seule (Bettié, Bonoua, Gagnoa, Daloa, Aboisso, Man).

Carte 12: Distribution des sociétés agricoles dans les secteurs d’activité hévéicole en 2012

L’omniprésence de la SAPH dans l’encadrement technique peut s'expliquer par l’expérience acquise du fait de son rôle de pionnier dans le domaine dès les années 1970. La société a en effet accumulé au fil des ans une expertise technique associée à des moyens humains et logistiques importants. Cette prédominance peut aussi être mise en relation avec les modestes moyens techniques et humains dont disposent ses principaux concurrents. Dans les secteurs d’activité qui leur sont confiés, les sociétés agricoles s’attèlent à l’encadrement des planteurs. Il consiste à dispenser des formations tant théoriques que pratiques, de façon à leur permettre d’acquérir les bases indispensables à la mise en place et à la gestion d’une parcelle et pour effectuer correctement les opérations de saignée des hévéas. A la formation, s’ajoute le suivi agronomique des exploitations consistant en des visites des

22 Il fallait pour être retenue que ces sociétés donnent à travers leur dossier de réponse à l’appel d’offre la preuve qu’elles disposaient des moyens techniques et humains adéquats pour assurer l’encadrement des planteurs. De plus, elles devaient disposer d’un budget de fonctionnement conséquent pour mener l’activité compte‐tenu du fait que le paiement des prestations pouvait être différé.

108 exploitations afin de s’assurer que l’itinéraire technique spécifique à l’hévéaculture est correctement appliqué. Il convient de préciser que le travail d’encadrement confié aux sociétés agricoles se fait sous la supervision du Fond interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricole (FIRCA), un organisme public créé en 2003. Parallèlement aux mesures concernant l’encadrement des planteurs, l’accent a été mis sur des actions visant à faciliter l’accès des populations agricoles au matériel végétal. Dans ce cadre, en 2007, l’APROMAC crée le Fonds de développement de l’hévéaculture (FDH). Cette structure a pour mission de rendre davantage accessible physiquement, mais surtout économiquement, le matériel végétal aux adoptants. Ainsi, elle procède à la formation de jeunes ruraux déscolarisés et de planteurs lettrés au métier de pépiniériste et à leur installation (photo 4).

Photo 4 : Une pépiniériste à Yacoli-Dabouo

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Comme d’autres jeunes du milieu rural, cette pépiniériste a reçu une aide du FDH pour son installation. Elle produit les pépinières et les commercialise aux adoptants. Les revenus de cette activité agricole viennent en appoint de ceux du petit commerce qu’elle effectue. En 2014, cette activité lui rapporté 315 000 FCFA (480 euros).

Comme l’indique la carte 13, en 2014, les pépiniéristes installés étaient au nombre de 431, disséminés dans les différents secteurs d’activité afin de faciliter l’accès au matériel végétal sélectionné au plus grand nombre de planteurs.

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Carte 13: Distribution des pépiniéristes et des plants produits en 2014 dans les secteurs hévéicoles

Ainsi, on observe que le secteur de Bettié est le principal lieu de concentration avec 52 % de pépiniéristes suivi de celui de Bonoua avec 13 % et d’Anguédédou avec 8 %. Ensemble, ces trois secteurs pionniers de l’hévéaculture, concentrent 73 % des pépiniéristes et jouent un rôle de centre émetteur de la diffusion de l’hévéaculture, puisqu’ils fournissent 72 % des 11 034 36423 plants produits avec 41 % de la production pour Bettié, 19 % pour Anguédédou et 12 % pour Bonoua. Il convient de noter que, dans le cadre du contrat le liant au FDH, chaque pépiniériste a l’obligation d’installer au minimum 1 ha de pépinière et 0,5 ha de jardin de bois de greffe (JBG)24 par an. Avant leur mise en marché, les plants font l’objet de certification de la part d’une équipe spécialisée du FDH. Le système de subvention qu’il a mis en place permet d’alléger le prix du

23 Avec ces 11 034 364 plants, ce sont 8 300 ha de plantation qui peuvent être emblavés (BNEDT, 2008). 24 Un jardin de bois de greffe est constitué par une collection de clones, spécialement conduits en vue de fournir les bourgeons qui seront greffés sur les plants en pépinières (Memento de l’agronome, 2009).

110 matériel végétal pour les planteurs. Ainsi, la souche ou stumps est cédée à 100 FCFA (0,15 euro) au lieu de 250 FCFA (0,38 euro), quand le plant en sachet est à 200 FCFA (0,30 euro) au lieu de 350 FCFA (0,53 euro), la différence étant reversée au pépiniériste par le FDH. Néanmoins, parallèlement au système d’approvisionnement mis en place par le FDH s’est développé un circuit informel de production de matériel végétal émanant d’acteurs individuels ruraux qui valorisent ainsi les connaissances acquises lors des formations. Ces initiatives individuelles qui foisonnent dans le milieu rural soulèvent le problème de la qualité du matériel végétal. En effet, ces acteurs n’étant pas agréés par le FDH, leurs plants échappent à toute certification avant la mise en marché. Or, la qualité du matériel végétal constitue une condition indispensable pour une pratique rentable de l’hévéaculture, et ce pour deux raisons essentielles : d’abord parce qu’avec un matériel végétal de mauvaise qualité, la productivité de la plante est fortement réduite et sa durée de vie limitée, ce qui constitue un facteur de précarité de l’investissement ; ensuite parce que le caoutchouc obtenu de matériel tout-venant est de qualité médiocre sur le plan industriel. Somme toute, le dispositif d’approvisionnement mis en œuvre a permis la disponibilité et l’accessibilité au matériel végétal partout dans la zone forestière. Pour faciliter l’écoulement des productions, les acteurs ont procédé à la libéralisation du système de commercialisation en autorisant les agro-industries à procéder à l’achat du latex partout. Il convient de noter qu’avant cette mesure en 1995, les sociétés agricoles ne pouvaient procéder à l’achat du latex en dehors de leurs secteurs d’activité. En conséquence, les circuits d’écoulement du caoutchouc naturel ne couvraient au mieux que les zones prises en compte par les programmes publics. Ce faisant, dans les autres zones, les planteurs qui adoptaient la culture ne pouvaient pas aisément écouler leur production. La nouvelle mesure a donc de ce point de vue contribué à lever une contrainte à la propagation de la spéculation. Dans le même sens, l’installation de nouvelles unités de traitement du caoutchouc naturel a contribué à faciliter la mise en marché des productions par les planteurs. La carte 14 met évidence cette dynamique. En effet, de 8 unités avant la privatisation en 1994, on est passé à 14. On note surtout que certaines de ces structures ont été installées dans les nouvelles zones d’hévéaculture, ce qui constitue pour les populations agricoles proches, un élément de motivation supplémentaire d’adoption de la culture.

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Carte 14: Dynamique des unités de traitement du caoutchouc naturel après la privatisation de 1994

Au total, pris dans sa globalité, le dispositif mis en œuvre s’avère très complet puisqu’il a permis de lever les entraves dans trois domaines essentiels au bon fonctionnement de la filière : l’encadrement des planteurs, la disponibilité et l’accessibilité du matériel végétal, et des opportunités de commercialisation pour les planteurs villageois. Cet ensemble de services mis à la disposition des acteurs ruraux par la filière a grandement contribué à la diffusion de l’hévéaculture dans l’ensemble de la partie forestière du pays, au travers des différents secteurs d’activité de la filière. Si l'on raisonne en termes de régions administratives (carte 15), il apparait que les principaux bassins de production sont situés sur le littoral, c’est-à-dire dans les zones pionnières (Sud-Comoé, Lagunes, Grands-Ponts, San-Pedro et Loh-Djibouah). C’est en effet dans celles-ci que les superficies plantées sont les plus importantes. L’on note cependant que dans certaines régions nouvellement conquises, les surfaces cultivées avoisinent celles des régions pionnières. C’est le cas du Haut-Sassandra et de la Marahoué. A l’image des autres régions administratives du sud du pays, l’Indénié-Djuablin et la Nawa participent de cette dynamique de la culture de l’hévéa.

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Carte 15: Répartition des superficies d’hévéas villageois (en ha) par région en 2014

4.3 L’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Si l’économie de plantation, à travers la culture du café et du cacao est ancienne dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, ce n’est que vers la fin de la décennie 1970 que ces deux régions découvrent l’hévéaculture. Cette section vise à mettre au jour l’itinéraire de cette adoption et à caractériser le rythme et les étapes de sa diffusion.

4.3.1 Lieux de départ de l’innovation

Dans l’Indénié-Djuablin, ce sont les populations de la localité de Bettié, dans le département éponyme, qui ont été les premières à découvrir l’hévéaculture. C’était en 1983 à la faveur des programmes publics de vulgarisation. La gestion fut confiée à la SAPH qui a démarré la même année la création d’un complexe agro-industriel comprenant une plantation industrielle et une usine de traitement de caoutchouc naturel. Parallèlement, l’agro-industrie commence l’installation des planteurs villageois. Les premiers adoptants à Bettié sont le chef et plusieurs notables. Ils ont une obligation morale de donner l’exemple, d’autant plus que les promoteurs et l’administration les ont associés aux différentes démarches de réalisation du projet. Par la suite, ils ont réussi à convaincre quelques grands planteurs de cacaoyers dans leurs relations à adopter la nouvelle culture. C’étaient d’abord des amis et ensuite des parents. Ces derniers ont à leur tour usé de leur influence pour faire accepter l’hévéa à d’autres planteurs.

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Deux ans après le démarrage du projet à Bettié, un premier village Akrébi situé à 7 km adopte l’hévéaculture en faisant appel au programme (carte 16). Son chef – qui s’était laissé convaincre par celui de Bettié, son ami – avait réussi à sensibiliser une dizaine de ses proches pour la création des premières plantations dans le village. En 1986, un autre village, nommé Djahakro, situé à environ une quinzaine de kilomètres de Bettié, adopte aussi la culture par le biais d’un grand planteur de caféiers et de cacaoyers. Les promoteurs avaient réussi à le convaincre d’essayer l’hévéa comme réponse au vieillissement de ses caféières. Globalement, les adoptants sont restés peu nombreux au regard des objectifs de départ. Seulement 6 planteurs se sont installés la première année et ce nombre n'est porté à 132 qu’en 1986 pour 492 ha de plantation alors que les promoteurs escomptaient atteindre 1 500 ha. Il faut attendre 1990 pour voir l’hévéaculture franchir les limites du département de Bettié. Alors que leur village est situé dans le département d’Abengourou, à plus de 100 km du centre de diffusion, le chef d’Affalikro et un cadre décident d’y introduire l’hévéaculture. Ils réussissent à acquérir le matériel végétal auprès des promoteurs à Bettié et recrutent sur place des employés capables de conduire la mise en place de nouvelles parcelles d’hévéas.

Carte 16 : Itinéraire de la diffusion de l’hévéaculture dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin

Dans la région de la Nawa, le village de Mayo a été le premier à découvrir l’hévéaculture en 1984. Mais, à la différence de Bettié, cette introduction s’est faite non pas à travers les programmes publics, mais à l’initiative d’un cadre du village du nom de Charles Boza Dawahi. A l’époque cadre d’une société de la place, il décide d’expérimenter la culture de l’hévéa et celle du palmier à huile dans son village. Auparavant, en 1983, il envoie des jeunes

114 de son village en formation aux métiers de l’hévéaculture dans le complexe agro-industriel d’Anguédédou près de Dabou. Un an plus tard, il emblave 30 ha d’hévéas. Au bout de la troisième année, il réussit à mettre en place 150 ha. Pendant ce temps, plusieurs cadres du village lui emboitent le pas. Ensemble, ils s’organisent pour offrir à moindre frais le matériel végétal, l’intrant et l’encadrement technique aux villageois désireux de créer une plantation. Mis en confiance par l’exemple donné par leurs fils, ces derniers adoptent massivement la culture. A la septième année de l’introduction de l’hévéaculture, chaque famille dans le village possédait au moins deux ha d’hévéas. Toutefois, les villages environnants sont restés à la marge du processus de diffusion. C’est plutôt Yacoli-Dabouo, un village situé à plus de 100 km de Mayo, qui va adopter l’hévéaculture en 1986 (carte 16). Comme à Mayo, l’introduction de la culture résulte de l’action d’un cadre en la personne de Marcel Zadi Keshi. Il était à cette période cadre à la Compagnie ivoirienne d’électricité avant d’en devenir le directeur général. Afin de financer le projet, il encourage ses parents à cultiver du riz dans les nombreux bas-fonds qui ceinturent le village et ses environs. A cet effet, il se procure les semences d’une variété de riz chinois à haut rendement. Après trois ans consacrés à la riziculture, les premières plantations d’hévéas sont installées en 1986. On comptait à l’époque en moyenne trois ha par famille.

4.3.2 Des obstacles à la percée de l’innovation

Dans l’Indénié-Djuablin, l’engouement des populations pour la nouvelle culture est resté faible les premières années en dépit des facilités qui leur étaient offertes par les programmes publics. Ce manque d’intérêt était lié d'abord à l'incertitude quant à la rentabilité de la production de caoutchouc, ensuite à l’attachement aux anciennes spéculations (café, cacao) nonobstant les fluctuations des cours de ces dernières années, et enfin au sort réservé à leur terre s’ils ne parvenaient à rembourser les frais engagés par les promoteurs. C'est ce qu’exprime un des pionniers de l’hévéaculture à Bettié :

« Au début, les villageois me disaient que j’avais gâché ma terre car ils considéraient que cette plante ne me rapporterait rien. Pour eux, c’est parce que l’hévéaculture n’est pas rentable que les promoteurs fournissent tout ce qu’il faut pour produire et que cela n’a pas été le cas avec le cacao dont les prix sont bons. Beaucoup de gens craignaient de se voir arracher leur terre s’ils ne parvenaient pas à rembourser les frais engagés par les promoteurs » (entretien le 4 août, 2014).

A ces raisons s’ajoute le fait que cette culture était considérée par les villageois comme contraignante. Il fallait s’occuper des plantes pendant 7 ans avant son entrée en production, subir les contrôles des agents et respecter l’interdiction d’associer du vivrier. Toutes ces considérations ont freiné l’expansion jusqu’à l’entrée en production des premières plantations en 1988. En effet, lorsque les pionniers ont commencé à se rendre à la banque pour percevoir leurs gains chaque fin de mois comme des fonctionnaires de l’administration publique, à acheter des motos et même à construire de nouvelles maisons, cette opportunité a

115 véritablement commencé à attirer les planteurs de tous les villages situés dans le périmètre du projet, c’est-à-dire dans une zone de 30 km autour du complexe agro-industriel. Progressivement, les planteurs de Bettié et de certains villages environnants ont dédié l'intégralité de leurs ressources foncières à l'hévéaculture, se spécialisant ainsi dans cette culture. Si dans l’Indénié-Djuablin les obstacles au développement de l’hévéaculture ont été globalement d’ordre psychologique, dans la Nawa ils relevaient en revanche de raisons techniques. En effet, dans la mesure où elle ne s’inscrivait pas dans le cadre des programmes publics, sa diffusion en dehors des villages pionniers s’est heurtée au manque d’information sur la culture en termes de production de matériel végétal, à la méconnaissance des itinéraires techniques spécifiques et aux difficultés éventuelles d’écoulement des productions. Ainsi, l’hévéaculture y est globalement restée confinée dans les localités de Mayo et de Yacoli- Dabouo jusqu’à la fin des années 1990.

4.3.3 Rythme d’adoption et étapes de la diffusion de l’hévéaculture

Dans l’Indénié-Djuablin comme dans la Nawa, c’est réellement à partir du début des années 2000 que l’hévéaculture atteint une dimension régionale. Le schéma de vulgarisation mis en œuvre par la filière à la suite de la privatisation qui a facilité l’accès des populations rurales à l'encadrement technique, au matériel végétal et au circuit de commercialisation a contribué à la naissance d’une dynamique d’adoption spontanée dans pratiquement toutes les localités des deux régions. Toutefois, cette dynamique est passée par différentes phases qu’il est possible de lire à travers les cinq profils d’adoptants identifiés par Rogers (op. cit.). Nous procédons ici à une analyse croisée des catégories d’adoptants à Affalikro et à Brétihio, deux localités parmi les plus dynamiques en hévéaculture, respectivement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa. A Affalikro comme à Brétihio, le début de l’hévéaculture se situe au début des années 1990. Dans la première localité citée, les innovateurs sont le chef du village et un cadre du village résidant à Abidjan. Ils ont introduit la culture en allant chercher le matériel végétal et la main- d’œuvre spécialisée à Bettié, centre d’émission de la culture au niveau régional. Ils ont emblavé chacun une dizaine d’hectares au bout de trois ans, avec à l’époque un coût de réalisation de l’hectare proche de 500 000 FCFA (763 euros) et aucune garantie de succès de la culture. Dans le cas de Brétihio, le pionnier est un fonctionnaire à la retraite qui a créé une parcelle de trois ha avec du matériel végétal acquis à Yacoli-Dabouo grâce à un réseau d’amitié. Il s’est limité à cinq ha parce qu’il n’était pas assuré de vendre la récolte du fait de l’éloignement des centres d’achat mais aussi du mauvais état des voies de circulation. Ces pionniers correspondent au profil relevé par Rogers (op. cit.), à savoir que ce sont des individus ayant le goût du risque et pour qui le coût économique de l’innovation ne constitue pas un frein à l’adoption. En effet, ces pionniers sont de catégorie sociale relativement aisée, ce qui leur a permis de prendre le risque de tester l’innovation. L’examen de la figure 14 met en évidence une différence au niveau du rythme d’adoption dans les deux localités. La phase pionnière s’étend de 1990 à 1993 à Affalikro et de 1990 à 1997 à Brétihio.

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Figure 14 : Courbe d’adoption de l’hévéaculture à Affalikro et à Brétihio de 1992 à 2014

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Ainsi, à Affalikro, c’est au bout de la troisième année d’introduction de la culture que d’autres adoptants emboitent le pas aux pionniers. Cette seconde catégorie d’adoptants (1993-1997), appelée premiers adoptants par Rogers (op. cit), provient surtout du cercle d’amitié du chef et de la notabilité. Ce sont de grands planteurs de cacaoyers et de caféiers qui ont été rassurés par l’évolution des vergers des pionniers avant de s’engager. Ils ont alors profité des réseaux du chef de village pour créer leurs plantations. A la différence d’Affalikro, les premiers adoptants apparaissent à Brétihio entre 1997 et 2002. C’étaient surtout des planteurs autochtones, confrontés à un problème de main d’œuvre. Ces derniers s’étaient rendu compte que l’hévéa demandait moins d’entretien parce que bien qu’ayant été laissée à l’abandon pendant une période relativement longue, la première plantation du village avait pu être réhabilitée par son propriétaire et le caoutchouc récolté et vendu. Ainsi, quelques-uns ont commencé à reconvertir une partie de leur caféière en plantations d’hévéa, suivant les conseils du pionnier. Ils se disaient qu’ils n’avaient rien à perdre compte tenu du fait qu’ils ne tiraient pratiquement plus rien des cultures du café et du cacao. La troisième catégorie d’adoptants ou majorité précoce, à Affalikro est celle qui adopte l’hévéaculture depuis 1998 (jusqu’après 2014) par imitation. Cette phase d’imitation est déclenchée par l’entrée en production de la plantation des pionniers, selon les dires d’un imitateur qui a créé sa première plantation en 1999.

« On a commencé à prendre au sérieux cette affaire d’hévéa quand le chef a acheté en même temps deux véhicules pour le transport de la production de caoutchouc de ses plantations. En ce temps-là, il allait vendre sa récolte à Bettié. Après, son régisseur s’est acheté une grosse moto. Quand on a vu 117

tout ça, c’était la concurrence dans le village, chacun voulait créer rapidement son champ » (entretien le 14 août 2015).

Par la suite, beaucoup de villageois ont été attirés par l’hévéaculture, comme partout dans le pays, du fait de la hausse des cours mondiaux du caoutchouc naturel à partir des années 2000, au moment où l’accès au matériel végétal et à la main-d’œuvre qualifiée commençait à être moins contraignant. Ces imitateurs sont composés de riches planteurs, de planteurs aux conditions modestes, de jeunes déscolarisés, de citadins, de commerçants, de femmes, etc. En ce qui concerne Brétihio, la majorité précoce apparait à partir de 2003. Comme à Affalikro, ce sont des imitateurs encouragés par la réussite du pionnier qui, en 2000, a achevé la construction d’une belle villa qu’il a mise en location dans la ville voisine de Gueyo. Au départ, cette catégorie d’adoptants était majoritairement constituée de planteurs autochtones du village. Mais à partir de 2004, on y dénombre de nombreux jeunes déscolarisés en provenance des villes. Ce retour s’expliquait par le fait qu’ils avaient vu leur condition de vie se dégrader en ville suite au déclenchement de la crise militaro-politique de 2002. Après avoir enregistré un ralentissement en 2010 et en 2011, le processus d’adoption retrouve de la vigueur en 2012 parce que les migrants installés dans le village et dans les campements voisins se sont mis à planter. En effet, avant la fin de la guerre en 2011, les conflits fonciers étaient récurrents dans la région et notamment à Brétihio. De ce fait, plusieurs nouvelles plantations, en particulier d’hévéa, créées par les migrants ont été détruites par les autochtones. En somme, dans les deux localités, le rythme des adoptions de l’hévéaculture – timide au départ – s’est accéléré à partir du début de la décennie 2000. Ce constat reflète la tendance générale à l’échelle des deux régions au regard de la courbe d’adoption de la culture entre 1993 et 2015 (fig. 15), réalisée à partir des données fournies par les agro-industries.

Figure 15 : Courbe d’évolution des adoptions de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa entre 1993 et 2015

12000 11000 10000 9000 8000 7000 Phase de Phase 6000 décollage d’expansion d'adoptants Indénié‐Djuablin 5000 Nawa 4000 Nombre 3000 2000 1000 0 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013 2015 Années

Source : SAPH, 2015 ; SAIC, 2015 ; SOGB, 2015

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En faisant référence à la courbe logistique de la diffusion des innovations de Hägerstrand (1967) présentée dans le chapitre 2, la phase de décollage ou étape primaire des adoptions dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa a été lente jusqu’en 2002. Seulement 1 456 et 986 adoptants sont enregistrés respectivement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa à cette date. L’essentiel des adoptions enregistrées à cette époque provient de la zone pionnière de Bettié dans le cas de l’Indénié-Djuablin et de Yacoli-Dabouo et de Mayo dans celui de la Nawa. Toutefois, à partir de l'année 2003, l’hévéaculture est rentrée dans sa phase d’expansion ou de diffusion, elle rencontre un nombre croissant d’adoptants. Petit à petit, la culture se dissémine dans l’espace des deux régions. Les phases de condensation et de saturation ne sont pas encore atteintes, ce qui veut dire que la culture dispose encore d’une bonne marge de progression. Cependant, au regard de son stade d’évolution dans les deux régions en 2016, on peut parler d’une adhésion massive à l’hévéaculture (carte 17). Néanmoins, le processus d’adoption n’est pas homogène à l’échelle de deux régions. Dans l’Indénié-Djuablin, la localité de Bettié, centre de diffusion, compte le plus grand nombre d’adoptants (2 150) alors que des localités proches comme Aka Comoékro ou Diamarakro en comptent beaucoup moins (respectivement 250 et 330). Pourtant, des localités plus éloignées comme Affalikro, Satikran ou Zinzenou enregistrent un plus grand nombre d’adoptants avec respectivement 851, 543 et 435 adoptants (carte 17). Dans la Nawa, les localités pionnières de Mayo et Yacoli-Dabouo concentrent 712 et 513 adoptants tandis que celles de Lessiri et de Liliyo, plus proches, en comptent seulement 175 et 212. Cependant, Grand-Zattry (au nord) et Méagui (au sud), plus éloignées des centres de diffusion, totalisent plus d’adoptions avec 815 et 863 adoptants. Dans ce même registre, la localité de Brétihio (à l’est) totalise 425 adoptants. Au-delà de son inégale répartition dans l’espace, on observe que dans les deux régions, à partir des lieux historiques, l’hévéaculture s’est diffusée dans les espaces voisins avant de se propager dans de nouvelles zones. Cela correspond à un modèle de diffusion « de proche en proche » ou diffusion par « effet de voisinage » combinée à un modèle de diffusion par « migration » ou par « relocalisation » (Saint-Julien, op. cit.). Mais, contrairement à la culture du cacao par exemple, cette relocalisation ne s’est pas accompagnée d’une diminution de l’intensité de la culture au niveau du foyer émetteur. Par ailleurs, l’observation de la carte 17 permet de relever que dans les deux régions, les planteurs d’hévéas se concentrent principalement dans les localités situées le long des principaux axes de communication. Ce constat peut être lié au fait que ces localités ont un accès plus facile à l’information que les zones mal desservies.

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Carte 17 : Distribution des planteurs d’hévéas dans la Nawa et l’Indénié- Djuablin en 2016

Conclusion

Ce chapitre visait à comprendre le processus de propagation de l’hévéaculture à l’échelle de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa et à caractériser son évolution au niveau de ces deux régions. L’analyse révèle que, dans les deux espaces, l’introduction de l’hévéaculture obéit à des processus différenciés. Dans l’Indénié-Djuablin, la culture a été introduite par le biais des programmes publics de vulgarisation lancés en 1983 à partir de Bettié. En dépit des avantages offerts par le projet (fourniture des intrants à crédit, crédit pour l’entretien des parcelles, garantie d’achat de la production), la vulgarisation de la culture est passée par l’implication du chef du village et de la notabilité. Dans cette région, les pionniers de l’hévéaculture sont

120 essentiellement issus de la chefferie traditionnelle. Les premiers adoptants sont surtout de producteurs de café-cacao proche des pionniers. En revanche, dans la Nawa, l’introduction de l’hévéaculture qui s’est faite à partir de Mayo en 1982 relève de l’action d’un cadre. Par la suite, la culture a été adoptée à Yacoli-Dabouo sous l’initiative d’un autre cadre. Cependant, comme dans l’Indénié-Djuablin, l’hévéaculture est restée confinée dans ses lieux historiques jusqu’à la fin de la décennie 1990. A partir du début des années 2000, la culture se répand rapidement dans la majorité des villages des deux régions à cause, entre autres, de l’organisation mise en œuvre par la filière qui facilite l’accès des potentiels adoptants à l’encadrement, à la technique de culture, au matériel végétal et au circuit d’écoulement des productions. Dans le Nawa, les pionniers de l’hévéaculture sont des cadres. Les premiers adoptants sont aussi des urbains des conditions relativement modestes. Les populations rurales font globalement partie de la catégorie d’adoptants appelés majorité précoces. En définitive, la culture est entrée dans une phase d’expansion dans les deux régions, même si des disparités importantes en termes de nombre d’adoptants existent entre localités. Au-delà de ces constats, nous nous attacherons à comprendre, dans le chapitre suivant, comment les populations parviennent à insérer l’hévéaculture dans les différents systèmes de production.

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Chapitre 5 : Modalités de construction de la filière de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

L’étude du processus de diffusion de l’hévéaculture dans le chapitre précédent a permis de mettre en évidence la manière dont l’hévéa comme innovation est parvenue aux populations agricoles de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa. Dans ce chapitre, il sera opportun de s’attacher à saisir comment les exploitants parviennent à s’approprier cette innovation. En d’autres termes, il s’agira de comprendre comment les planteurs mobilisent les facteurs de production (terre, intrants, force de travail et capital) pour cultiver l’hévéa. Cette dimension prend toute son importance d’autant plus dans les deux régions de l’étude, à l’image de toutes les autres régions forestières du pays, que plusieurs spéculations agricoles et catégories d’acteurs agricoles sont en compétition aussi bien pour les ressources foncières, humaines que financières. Par ailleurs, il est question d’élucider les choix et les logiques des exploitants au travers d’une grille de lecture permettant la description des pratiques des agriculteurs et leur mise en relation. Dans cette optique, nous faisons le choix de mobiliser le concept de système de culture. Selon Ferraton et Touzard (2015, p.31), celui-ci désigne « l’ensemble des modalités techniques mises en œuvre sur des parcelles traitées de manière identique ». Par les modalités techniques, il faut entendre l’association des cultures, leur succession, les itinéraires techniques et les calendriers d’exécution qui leur sont appliqués. En ce sens, le concept permet la mise en relation des actes techniques successivement mis en œuvre par l’agriculteur dans le cadre de la production agricole. A partir de données émanant d’enquêtes menées via des questionnaires et des entretiens semi- directs, ce chapitre présente, après une approche historique de la question du foncier agricole, les modes d’accès des planteurs à la culture de l’hévéa dans les régions enquêtées. Il expose ensuite l’itinéraire technique suivi par les agriculteurs et précise enfin la force de travail et le financement nécessaire.

5.1 L’évolution des pratiques foncières dans l’économie de plantation

Les terres agricoles occupent une place de premier plan pour les communautés rurales. Elles constituent l’un des principaux facteurs de production pour la petite paysannerie et, de fait, lui procurent l’essentiel de ses ressources économiques et alimentaires. Par ailleurs, au plan symbolique, leur détention traduit l’appartenance à la communauté villageoise, ce qui assure à son propriétaire un pouvoir politique. En Côte d’Ivoire, à l'époque précoloniale, le foncier agricole était la propriété exclusive des premiers habitants ou autochtones du village. C’était une ressource commune, un cadre de production et de reproduction communautaire. Tout individu membre de la collectivité villageoise avait accès à la terre afin de pouvoir assurer sa subsistance et celle de sa famille (Colin, 2008) mais sa distribution et son exploitation se faisaient sous le contrôle des chefs de

123 lignage. La terre ne faisait pas l'objet de marchandage étant donné l'absence d’économie d'échange. A partir du début du 20e siècle, suite à l’introduction par le colonisateur de l'arboriculture cacaoyère et caféière, nous sommes passés d’une gestion collective de la terre à une forme d’appropriation privée (Adjamagbo, 1999). En effet, les nouvelles cultures, conduisant à une occupation prolongée du sol (20 à 40 ans) à la différence des cultures vivrières, présentent un enjeu économique. Pour les autochtones, l’accès à la terre est gratuit, le fait d’être né dans le village suffit pour obtenir le droit de défricher, à condition que cette terre ne soit pas déjà mise en valeur par quelqu’un d’autre (Gastellu, 1982). Quand cette terre a été plantée en arbres, un droit d’usage a été créé au bénéfice de celui qui a procédé à cette opération. Ainsi, pour l’autochtone, l’acquisition de la terre agricole passait-elle globalement par le défrichement de la forêt. Par la suite, ce patrimoine pouvait être transmis à la descendance, puis de génération en génération. De fait, l’héritage est-il devenu une forme privilégiée d’accès au foncier agricole pour les populations. A la même période, comme les autochtones, de nombreux migrants attirés par les gains que procurent les spéculations arbustives se lancent dans la course à l’appropriation foncière pour la création de plantations. Notons que ce mouvement s’amplifie avec l’indépendance du pays en 1960 lorsque les nouvelles autorités décident de faire de l’arboriculture cacaoyère et caféière le pilier de l’économie nationale. Afin d’accélérer le développement de ces cultures, le président Houphouët annonce par le biais d'un discours prononcé en 1963 que, dans l’intérêt du pays, « le gouvernement et le parti-Etat décident de reconnaître à tout citoyen ivoirien d’origine ou d’adoption, qui met une parcelle de terre en valeur quelle qu’en soit l’étendue, le droit de jouissance à titre définitif et transmissible à ses héritiers ». Ce qui signifie que « la terre appartient à celui qui la met en valeur ». Sans jamais avoir été codifié, ce principe, qui eut force de loi pendant plusieurs années (Nancy et al., 2009), visait à favoriser l’appropriation des terres et leur mise en valeur individuelle par le plus grand nombre tout en étant une protection contre une quelconque contestation de la part des autochtones. Ainsi, du début de l’économie de plantation sous l’ère coloniale aux prémices du blocage foncier au début des années 1980, différentes modalités d’accès à la terre se sont succédées dans le temps pour ces migrants. En phase pionnière de l’économie de plantation, alors que la ressource foncière était abondante, l’accès à la terre se faisait par don et échange de travail. En pratique, la cession foncière renvoyait au principe du tutorat (Chauveau et al., 2006). Il consiste pour le demandeur à solliciter, en compagnie du représentant de sa communauté (qui fait office de témoin), l’obtention d’une parcelle auprès du chef de terre. En cas d'accord, le migrant offre à titre symbolique une bouteille d’alcool, s'engage à verser une rente annuelle une fois la plantation cacaoyère entrée en production et à apporter assistance à son bienfaiteur en cas d'événement malheureux. En l'absence de réglementation clairement définie, de nombreux migrants ont profité de ces opportunités pour s’accaparer d'importantes surfaces (Affou, 1982). Parallèlement à cette forme d'obtention, les migrants pouvaient également accéder à la terre en échange de leur force de travail (Gastelu, ibidem). Dans ce cas, il s'agit soit d'un geste de reconnaissance du chef de terre envers son employé pour sa fidélité, soit d'une opération de

124 fidélisation d'un travailleur. Cet arrangement permettait aux propriétaires fonciers d’accroître les superficies cultivées et aux manœuvres de créer leur plantation. Les ventes de terre ont commencé à faire partie des modes de cession foncière à partir du milieu des années 1980 du fait de la raréfaction des forêts primaires consécutives à l’accroissement du flux migratoire. Rares au début de l’économie de plantation à l’Est du pays (Boutillier, 1960), les ventes de terre se sont surtout développées dans le Centre-Ouest et le Sud-Ouest du pays (Léonard, op.cit.). Depuis la fin des années 1970 pour l'Indénié-Djuablin et des années 1980 pour la Nawa, l'économie cacaoyère et caféière, par le biais de ces différentes modalités d'accès à la terre, a donné lieu à une appropriation totale de toutes les forêts primaires. Cette pression accrue sur les ressources foncières, mais surtout le flou juridique qui entoure la gestion foncière, a engendré de nombreux conflits notamment entre autochtones et migrants à partir du milieu de la décennie 1990. Afin de juguler les conflits suscités par le vide juridique, les autorités démarrent la mise en œuvre d’un programme de sécurisation foncière au travers d’un plan foncier rural en 1990. Selon Yapi-Diahou (1991), outre des objectifs sociaux et juridiques, ce plan s’inscrivait dans le cadre de la politique d’aménagement rural en vue de faciliter l’établissement des jeunes à la campagne par le biais des politiques de « retour à la terre ». Parallèlement, le plan était une réponse à la demande des bailleurs de fonds, notamment la Banque mondiale en vue de la consolidation des droits fonciers ; cette dernière constituant un préalable à l’exécution d’un système de crédit rural avec la terre pour garantie (Yapi-Diahou, ibidem). En décembre 1998, le plan foncier prend donc forme à travers le vote d’une loi dont le but est d’organiser une transition vers un droit de propriété privé individuel privatif (Colin, 2005). Elle stipule que les étrangers n’ont pas droit à la propriété foncière dans le pays et que les droits acquis sont conservés à titre personnel tout en étant non cessibles. Les héritiers souhaitant maintenir un droit d’usage sur les terres peuvent le faire sur la base d’un contrat de location établi selon un bail emphytéotique signé avec l’Etat. Outre la prévention des conflits et la sécurisation des transferts fonciers en milieu rural, cette loi est censée permettre l’éclosion d’un « véritable » marché foncier (Colin et Tarrouth, 2017). Son application a cependant été retardée par la survenue de la crise sociopolitique que le pays a connue pendant la décennie 2000. On peut d’ailleurs signaler que les conflits fonciers ont été cités comme l’une des raisons de cette guerre. Ainsi, ce n’est qu’en février 2010 que les premiers certificats fonciers ont été délivrés (Colin et Tarrouth, idem). Pour autant, comme l’écrivait Charlery de la Masselière (2002, p. 127) « l’exercice foncier relève plus de la procédure que de l’application stricto sensu de la loi ». En effet, les transactions foncières à l’œuvre dans l’économie de plantation continue d’intervenir dans leur grande majorité, selon le régime du droit coutumier dans un contexte de raréfaction de la ressource foncière. Mais alors, dans ces conditions, comment les producteurs d'hévéa accèdent-ils à la terre agricole ?

125

5.2 Modalités d’accès au foncier des planteurs d’hévéa dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa

Comme le dit Charlery de la Masselière (2014), la question de la succession et de la reproduction sociale du foncier agricole implique de cerner les pratiques sociales, en particulier la construction des droits sur la terre, dans un cadre où les évolutions et les contraintes démographiques mettent en jeu les rapports et les écarts de genre, tels les modes d’alliance. A cet égard, il s’agit ici de mettre en lumière les modes d’accès au foncier des hévéaculteurs en s’intéressant particulièrement à la situation des citadins mais également à celle des femmes et des jeunes que Bayart (1985, 1989 et 1992) et Meillassoux (1992 et 1994), dans une construction de rapport de pouvoir entre genre et génération appelle « cadet sociaux ». Auparavant, nous traitons des caractéristiques générales de l’accès des planteurs enquêtés à la terre.

5.2.1 Approche générale de l’accès à la terre de culture

Il existe une diversité de modes d’accès à la terre pour les planteurs d’hévéa dans les deux régions considérées. Il s’agit de l’héritage, du don et de l’achat. A ces modes traditionnels s’ajoute le contrat de partage de plantation ou « planter-partager » dont le développement se conjugue avec l’expansion de l’hévéaculture. Si les modes d’accès sont pluriels, il convient de souligner qu’ils restent différents d’une catégorie d’acteurs à l’autre. L’accès sans achat représente le moyen le plus répandu pour obtenir une terre à cultiver. On distingue l’héritage (qui désigne l’accès d’un tiers à la terre à la mort du détenteur) et le don (qui est l’obtention de la terre par un tiers à titre gracieux venant d’une personne vivante). En effet, ce sont respectivement 76,47% des planteurs interrogés dans l’Indénié-Djuablin et 69,95% dans la Nawa qui ont accédé à la terre arable par ces deux moyens (tableau 5).

Tableau 5 : Mode d’accès à la terre des planteurs d’hévéa de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa Indénié-Djuablin Nawa Mode d’accès Effectifs Pourcentage (%) Effectifs Pourcentage (%) Héritage 240 61,38 311 51,07 Don 59 15,09 115 18,88 Achat 64 16,37 116 19,05 Contrat de partage 28 7,16 67 11,00 Total 391 100 609 100 Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

L’accès à la terre via l’achat est le second moyen par lequel les planteurs acquièrent le foncier agricole dans l’Indénié-Djuablin (16,37%) et la Nawa (19,05%). De manière générale, cela renvoie à une acquisition définitive auprès d’un tiers moyennant rétribution mais, comme l’indique Colin (ibidem), les transactions de ce type restent le plus souvent « incomplètes »

126 car il n’y a pas, du point de vue des partenaires de la transaction, une cession définitive, claire et incontestable qui délivre l’acquéreur de tout devoir à l’égard du cédant, ce qui constitue souvent une source de conflits entre les acteurs. Cette situation s’explique surtout par le fait que les acteurs préfèrent le plus souvent faire les transactions en dehors du cadre juridique tracé par la loi foncière de 1998. Comme l’achat, le contrat de partage ou « planter-partager » est une voie d’accès non gracieux au foncier que les planteurs utilisent. C’est un type d'arrangement consistant pour un propriétaire foncier dépourvu de moyens financiers à mettre une parcelle, d'étendue variable, à la disposition d'un exploitant plus solvable. Ce dernier y installe une plantation d'hévéa, en assure l'entretien jusqu'à la phase de production. Une fois parvenu à ce stade, généralement au bout de sept ans, un partage de la plantation est réalisé. Elle est alors divisée en trois parties (deux tiers revenant au preneur et un tiers au cédant) ou bien partagée à parts égales. En fonction des termes de l'accord, la terre est acquise définitivement par le preneur ou, au contraire, elle devra être rétrocédée au cédant à la fin de la durée de vie de la plantation (entre 30 et 40 ans). Ce type d'arrangement est connu de longue date. Selon Colin (ibidem) citant lui- même Antheaume (1982) et Polly Hill (1956), il est pratiqué en Afrique de l'Ouest, notamment au Togo et au Ghana, où il a en particulier été utilisé lors de la phase pionnière du développement de l'économie de plantation. En Côte d'Ivoire, son usage est signalé dans l’économie cacaoyère dans le sud-ouest du pays depuis le milieu des années 1980. En perte de vitesse, cette pratique retrouve depuis le début des années 2000, une nouvelle vitalité via le développement de l'hévéaculture. Comme les contrats de vente, ceux de partage sont souvent source de conflits en raison de l’imprécision de l’objet de la transaction. Pour les cédants, elle porte sur la plantation alors que pour les preneurs, au contraire, elle porte sur la terre et la plantation (Colin, ibidem).

Au total, il apparaît que 23,53% des 391 planteurs enquêtés dans l’Indénié-Djuablin et 30,05% des 690 rencontrés dans la Nawa ont acquis la terre moyennant des dépenses monétaires (achat et contrat de partage). Ce qui témoigne de l’existence d’un marché foncier dans les deux régions.

5.2.2 Des modes d’accès au foncier différenciés d’une catégorie de planteur d’hévéa à l’autre

Si plusieurs moyens d’acquisition de la terre sont pratiqués par les planteurs, il convient de noter que ces modes d’accès diffèrent en fonction de la situation résidentielle, le sexe ou l’âge du planteur.

5.2.2.1 L’accès des citadins et des ruraux à la terre agricole

Dans notre échantillon, on dénombre 298 planteurs ruraux dans l’Indénié-Djuablin et 464 dans la Nawa pour, respectivement, 93 et 145 planteurs d’origine urbaine. Ces deux catégories accèdent au foncier selon des moyens différenciés. En effet, l'héritage constitue le principal mode pour les ruraux tant dans l'Indénié-Djuablin (75,50%) que dans la Nawa

127

(65,58%) (fig. 16). Ce mode d’accès au foncier est parfaitement en phase avec le statut d'autochtone de la majorité des propriétaires de plantations. Ce sont des patrimoines fonciers constitués au début de l'économie de plantation par certaines familles par droit d'usage, achat ou don et transmis, par la suite, de père en fils ou à un membre du lignage.

Figure 16 : Mode d’accès à la terre des planteurs d’hévéa dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Indénié- Indénié-Djuablin Nawa Djuablin

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Au contraire, les planteurs urbains accèdent majoritairement à la terre par achat. Ils sont 52,69% dans l'Indénié-Djuablin et 48,27% dans la Nawa à avoir acquis le foncier par ce moyen. La constitution d’un marché foncier n'est pas un phénomène qui émerge avec l'avènement des citadins dans l'hévéaculture. Colin et Ruf (2011) situent son essor au tournant des années 1970-1980 et l’expliquent par les migrations accélérées dans le sud-ouest du pays. Cependant, l'intérêt des citadins pour les terres rurales a contribué à leur spéculation eu égard à un pouvoir d'achat relativement important. Ce faisant, les terres cultivables qui coûtaient entre 60 000 et 70 000 FCFA l'hectare (~92 à 107 euros) à la fin des années 1990 ont vu leur prix doubler à partir des années 2004 et 2005. En 2014, un hectare de forêt, même si elle est dégradée, se négociait entre 200 000 (~305 euros) et 225 000 FCFA (~343 euros). A ce propos, un planteur villageois rencontré à Anuassué révèle :

« Depuis que les gens de la ville ont commencé à acheter la terre, elle est devenue trop chère. Ces gens-là, ils ne discutent pas beaucoup, dès qu’on leur dit un prix, ils paient. Maintenant, c’est impossible pour un planteur d’acheter même une petite parcelle » (entretien le 17 août 2014).

Le contrat de planter-partager est le second mode d'accès des planteurs urbains à la terre. Il concerne 22,58% des planteurs urbains de l’Indénié-Djuablin et 37,94% de la Nawa. Certains

128 citadins préfèrent ce type d’arrangement à l’achat car ils le trouvent moins porteur de conflits. C’est ce que nous confirme ce planteur urbain interrogé à Anuassué dans l’Indénié-Djuablin :

« On m’avait proposé une terre à vendre, mais j’ai opté pour le contrat de partage. Je me dis que ce type de contrat me permet de sécuriser mon investissement car ayant une parcelle qui lui rapportera de quoi gagner sa vie, le planteur aura tendance à me poser moins de problème. Si au contraire, je lui achète la terre, il peut se retourner contre moi une fois qu’il n’aura plus rien (entretien le 17 août).

De plus en plus de propriétaires de terre préfèrent contracter ce type d'arrangement avec les urbains censés avoir davantage de moyens pour entretenir convenablement les parcelles comme le soutient l’un deux à Anuassué :

« J’ai préféré faire le contrat de partage avec un cadre qui a plus de moyens. Il peut bien prendre soin de la parcelle qui me revient. Un paysan ne peut avoir les moyens pour bien s’occuper d’une grande plantation. Et puis, entre nous paysans, il y a toujours des palabres à cause du manque de confiance » (entretien le 17 août).

Cette attitude peut expliquer la faible proportion de ruraux ayant acquis des terres en contrat de partage, à savoir 2,36% dans l'Indénié-Djuablin et 2,59% dans la Nawa.

5.2.2.2 Les femmes et l’accès au foncier agricole

En Côte d’ivoire, les femmes occupent une place centrale dans la petite production agricole et dans les activités de transformation et de commercialisation des produits agricoles (Bikpo et Adayé, 2014). Pour autant, elles ne disposent que de droits de jouissance précaires et révocables concernant la terre agricole. Cette situation tient au fait que le droit coutumier qui structure encore l’accès des individus au foncier est marqué par de fortes discriminations et une importante inégalité d’accès pour les femmes. En effet, en droit traditionnel, la femme ne peut hériter de biens (matériels et fonciers) en tant que fille, nièce ou épouse du défunt, elle est incorporée à l’héritage ; elle fait partie des bien susceptibles d’être transmis par héritage (Koné et Ibo, 2009). Selon les croyances traditionnelles, accorder le droit de propriété à la femme revient à hypothéquer une partie du patrimoine foncier de la communauté en ce sens que, d’un côté, elles sont amenées à quitter leur famille à l’occasion de leur mariage et que, de l’autre, elles peuvent quitter leur époux pour retourner dans leur famille paternelle (Brondeau, 2009 cité par Amalaman, 2014). Du fait de toutes ces considérations, les femmes ne pouvaient recevoir la terre que par l’intermédiaire des individus de sexe masculin de leur famille (père, frère, oncle, mari). Toutefois, les parcelles allouées ne devaient servir qu’à la production vivrière destinée à l’autoconsommation (Koné et Ibo, ibidem), ce qui a contribué à leur marginalisation dans l’économie de plantation cacaoyère et caféière. Au début des années 1990, le contexte change. On observe une montée de revendications de la part de la société civile dans une diversité de domaines, dont la question foncière. Dans le

129 prolongement de ces actions sociales, est votée la loi foncière 98-750 du 23 décembre 1998. Bien que neutre en matière de genre, elle n’induit pas de bouleversement dans les pratiques traditionnelles, au moins dans un premier temps. En effet, les femmes revendiquent alors d’autant moins la propriété des terres qu’elles sont investies dans une production vivrière pour laquelle la question de l’accès ne se pose pas. De fait, les prêts et les locations de terres se font plus aisément car elle ne donne pas lieu à une occupation prolongée du sol. A partir des années 2000, du fait de la bonne rentabilité de l’hévéaculture, des femmes commencent à revendiquer leur droit foncier dans l’optique de pratiquer cette culture lucrative. Ainsi, l’innovation sociale suit l’innovation technique en décalé, selon des modalités différentes dans l’Indénié-Djuablin et dans la Nawa. Alors qu’elles sont quasiment absentes dans les principales cultures traditionnelles (café, cacao), les femmes sont de plus en plus présentes dans l’économie de plantation via l’hévéaculture. Dans notre échantillon, on compte 53 femmes sur 391 planteurs enquêtés (13,35%) dans l’Indénié-Djuablin et 74 sur 609 (12,15%) dans la Nawa. Ces femmes accèdent à la terre arable principalement par le biais de l’héritage et du don dans les deux régions (figure 17). Ainsi, 81% des femmes dans l’Indénié-Djuablin et 77% dans la Nawa ont réussi à planter de l’hévéa via ces deux moyens.

Figure 17 : Mode d’accès des femmes au foncier dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Contrat de partage

Achat terre

la

à Don

Héritage d'accès

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% Mode

Pourcenatge de femmes Nawa Indénié‐Djuablin

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Ces acquisitions se font, le plus souvent, par négociation et certaines fois par action judicaire comme le soulignent ces deux agricultrices rencontrées respectivement à Affalikro et à Anuassué :

« Notre père avait une plantation de cacao de plus de trente hectares. A sa mort, c’est notre aîné qui s’en occupait. Mais, tous les cacaoyers sont devenus vieux. Quand l’hévéa est arrivé dans le village, je lui ai demandé de me céder cinq hectares pour ma plantation. Il a accepté parce qu’il sait que je vais moins le solliciter pour mes problèmes financiers une fois que la plantation commencera à produire » (entretien le 14 août 2014).

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« J’ai demandé à mon frère de me donner une parcelle sur les terres que notre père a laissées avant sa mort. Il a refusé mais se cachait pour en vendre aux gens. On ne voyait pas l’argent et puis il ne s’occupait pas de nous. On est allé chez le chef du village, il a promis de me donner ma part. Après, je n’ai rien vu. Un matin, je suis allée au tribunal, on l’a convoqué là-bas. Et puis le juge a dit de partager. Les agents du ministère sont venus mesurer la plantation, comme on est sept enfants, chacun de nous a obtenu quatre hectares. Moi, j’ai fait de l’hévéa sur trois et j’en ai gardé un pour produire de la nourriture. Mon frère était très fâché mais maintenant ça va. Il a compris que les choses ne sont pas comme avant… » (entretien le 17 août 2014).

Ainsi, de plus en plus de femmes connaissent et revendiquent leur droit à l’héritage et n’hésitent pas aller devant les juridictions pour faire triompher leur droit. En parallèle, une faible proportion de femmes accède à la terre par achat. Cela est le signe de la faiblesse de leur pouvoir d’achat. Généralement, seules les citadines exerçant des activités génératrices de revenus ou quelques pionnières de l’hévéaculture vivant en milieu rural parviennent à acquérir le foncier par achat :

« Je suis du Centre du pays où on ne peut pas faire de l’hévéaculture. Je suis venue à Anuassué ici pour acheter la terre pour créer ma plantation. J’ai choisi ce village parce que c’est celui de mon ami d’enfance, donc j’ai confiance qu’il n’y aura pas de problème. Et puis ce n’est pas loin d’Abidjan où je travaille. C’est mon épargne sur mon salaire qui m’a permis d’acheter la terre » (entretien à Anuassué le 17août 2014).

5.2.2.3 Les jeunes et l’accès au foncier agricole

Comme les femmes, les jeunes ont un accès précaire à la terre. Traditionnellement, ce sont les aînés qui détiennent les droits de propriété, ce qui leur permet de répartir et de règlementer son accès et son usage (Babo, 2010). De ce fait, ils s’octroient le droit de pratiquer des cultures pérennes et n’affectent aux cadets que des parcelles pour un choix cultural limité à la production de cultures annuelles (Chauveau et al., 2006). Le maître de terre en s’appropriant une portion d’espace non négligeable se crée des possibilités de percevoir des prestations, signes matériels de son autorité (Charléry de la Masselière, 1984). Ainsi, longtemps les jeunes ont été exclus de l’économie de plantation ou bien, dans le meilleur des cas, étaient-ils utilisés comme auxiliaires de production au bénéfice des aînés. Mais beaucoup de jeunes ont commencé à s’insérer dans l’économie de plantation quand les pouvoirs publics ont initié une politique de retour à la terre comme solution à la chute des emplois urbains consécutive à la crise économique des années 1980. Cette dynamique s’est renforcée à partir du début des années 2000 après l’éclatement du conflit armé dans le pays. Pour échapper à la dégradation de leurs conditions de vie en ville du fait de la guerre, de nombreux jeunes déscolarisés et chômeurs se sont repliés dans leur village d’origine. Ils ont, pour la plupart, choisi l’hévéaculture comme moyen d’insertion dans la vie rurale.

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Dans notre échantillon, les jeunes (dont l’âge varie entre 19 et 35 ans) sont au nombre de 77 dans l’Indénié-Djuablin (20% des enquêtés) et 135 dans la Nawa (22% des enquêtés). Pour planter de l’hévéa, ils accèdent à la terre principalement par héritage, soit 64% des jeunes de l’Indénié-Djuablin et 54% de ceux de la Nawa (figure 18).

Figure 18 : Mode d’accès des jeunes à la terre dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Nawa Indénié-Djuablin

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Ce mode d’accès a nourri beaucoup de conflits intra familiaux mais surtout intercommunautaires en particulier dans la région de la Nawa. Dans le village de Brétihio, dans le département de Gueyo par exemple, nombre de jeunes autochtones revenus de la ville ont affirmé avoir revendiqué parfois avec violence, tout ou partie des terres que leurs parents avaient cédées à des allochtones.

« Après le lycée qui n’a pas marché, je me débouillais dans une entreprise dans la zone portuaire de Vridi. Mais, quand la guerre a éclaté, l’entreprise a fermé et les choses étaient devenues difficiles. Comme tout le monde disait que la culture de l’hévéa rapportait beaucoup d’argent, je suis revenu au village pour créer une plantation. Comme mon père avait prêté beaucoup de terres à des étrangers pour faire du cacao, je suis allé leur demander de me céder une partie des plantations qui ne produisaient plus bien, pour me permettre de faire de l’hévéa. Ils ont refusé en me disant qu’ils ont acheté la terre à mon père. Comme plusieurs jeunes du village étaient dans mon cas, on s’est organisé et on s’est dit soit nous tous on cultive la terre soit personne ne la cultive dans le village. On ne pouvait pas accepter d’être des étrangers dans notre propre village. Après des mois de palabres, on s’est entendu. C’est comme ça que j’ai pu hériter de six hectares de mon père » (entretien à Brétihio le 18 septembre 2014).

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Comme à Brétihio, beaucoup de jeunes dans la Nawa ont accédé à la terre par héritage en remettant en cause les transactions passées entre les générations précédentes. Outre l’héritage, ils en ont reçu suite à une donation (36% dans l’Indénié-Djuablin et 44% dans la Nawa). Dans plusieurs cas, les aînés octroient des terres aux jeunes pour ne plus avoir à les prendre en charge économiquement. C’est également une manière de responsabiliser le jeune et de tester sa capacité à prendre correctement en charge son ménage dans le cas où il a fondé une famille. La faiblesse du pouvoir d’achat des jeunes justifie qu’ils n’accèdent que très marginalement à la terre par achat et par contrat de partage. En définitive, l’héritage et le don constituent les principaux modes d’accès des planteurs d’hévéa au foncier dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa qui sont principalement utilisés par les planteurs villageois, les jeunes et les femmes. La prédominance de ces modes traditionnels d’acquisition du foncier agricole témoigne de la stabilité des modes de tenure foncière. L’achat et le contrat de partage qui sont les moyens secondaires d’accès à la terre sont principalement utilisés par les planteurs urbains. Les conditions d’acquisition de la terre étant précisées, il convient d’envisager la manière dont les planteurs pratiquent l’hévéaculture.

5.3 Des pratiques culturales calquées sur un modèle extensif

Les pratiques culturales des planteurs d’hévéa constituent la succession d’opérations qu’ils mettent en œuvre dans le cadre de leurs cultures (photo 5). En d’autres termes, ces pratiques recouvrent l’itinéraire technique adopté par les planteurs. Selon Ferraton et Touzard (ibidem), celui-ci est l’ensemble des pratiques culturales ordonnées dans le temps, appliquées à une culture ou à une association de cultures, depuis la préparation du sol et le choix des variétés jusqu’à la récolte.

5.3.1 La préparation et l’aménagement de la parcelle de culture

Pour pratiquer l’hévéaculture, la parcelle de culture doit être choisi en tenant compte de certains critères : le sol doit être meuble, de nature sablo-argileuse à argileuse et profond. De plus, il doit être bien drainé, bénéficier d’une pluviométrie annuelle bien répartie d’au moins 1 200 mm et ne pas comporter de pentes supérieures à 8% afin d’éviter l’érosion. Dans la pratique, ces recommandations ne sont pas toujours respectées. On observe par exemple que des plantations sont créées dans des bas-fonds hydromorphes, en particulier dans les zones pionnières (Bettié et Yacoli-Dabouo) du fait de la saturation foncière. Dans les nouvelles zones, cette pratique est souvent le fait des planteurs aux conditions modestes. La préparation du terrain proprement dite débute généralement entre octobre et novembre pour les parcelles couvertes de forêt et entre février et mars pour les jachères. La préparation des parcelles au détriment des forêts nécessite un délai plus long parce qu’il faut abattre les grands arbres, procéder à l’extirpation et à la destruction des souches ; sinon, celles-ci peuvent constituer des foyers de contamination pour les maladies de racines affectant l’hévéa. Après ces premiers travaux, le planteur procède au débroussaillage total de la parcelle avec l’enlèvement des plantes herbacées. Cette opération est suivie de celle du piquetage dont le but est de parvenir à l’occupation géométrique et rationnelle de la parcelle. Le planteur le

133 réalise en tenant compte de la densité des arbres qu’il souhaite introduire par hectare ; elle varie de 510 à 666 arbres:  pour obtenir 510 arbres par hectare, les lignes de piquets sont séparées de 7 m et les piquets entre eux de 2,80 m ;

 pour 555 arbres par hectare, les interlignes sont de 6 mètres et la distance entre les piquets de 3 m ;

 pour 666 arbres par hectare, les lignes sont distantes de 5 m et les piquets de 3.

Il convient de noter qu’un grand écartement permet d’éloigner les racines des plantes les unes des autres et ainsi de réduire les pertes dues aux maladies liées au contact entre les racines. Cependant, la majorité des planteurs enquêtés disent préférer les fortes densités en ayant à l’idée qu’il faut planter beaucoup pour qu’en cas de maladie, il puisse en rester un nombre important. Ensuite, en lieu et place de chaque piquet, le planteur creuse des trous destinés à recevoir les jeunes plants d’hévéa. Ceux-ci ont généralement un diamètre de 40 cm et une profondeur de 60 cm. Certains planteurs de condition modeste ou n’ayant pas de réserves foncières réalisent les opérations de piquetage et de creusage des trous dans leurs vieilles cacaoyères ou caféières. Ces cas sont surtout légion dans la région de la Nawa et tout particulièrement dans le département de Méagui. Cette pratique vise à retarder la décapitalisation que constituerait la destruction du verger tout en permettant d’entretenir une seule plantation au lieu de deux. Par ailleurs, cette pratique permet de différer les dépenses liées au débroussaillage et à la destruction des souches des cacaoyers et caféiers sur la parcelle. En effet, comme l’indique le tableau 6, les différentes opérations liées à la préparation et à l’aménagement du terrain de culture génèrent des coûts de réalisation, en particulier pour les planteurs qui ne disposent pas d’une main-d’œuvre familiale.

Tableau 6 : Coût des opérations de préparation d’un hectare de culture

Opérations Coût à l’hectare (en CFA) Abattage des arbres et enlèvement des souches 25 000 à 35 000 Débroussaillage 25 000 à 30 000 Piquetage 7 650 à 9 900 Creusage des trous 12 750 à 16 500

70 400 à 91 400 Total (de 107 à 140 euros)

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

En fonction de la zone de culture et de la densité de plantes souhaitée, la préparation d’une parcelle d’un hectare pour la culture de l’hévéa coûte entre 70 400 FCFA et 91 400 FCFA.

134

Dans tous les cas, les opérations de préparation et d’aménagement du terrain sont suivies de la mise en terre des plants.

Photo 5 : Etapes de création d’une plantation d’hévéa

Photo 5 a Photo 5 b

Photo 5 d Photo 5 c

Photo 5 e Photo 5 f

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Photo 5 a : Défrichement et piquetage d’une parcelle en vue de la création d’une plantation d’hévéa à Kabrankro (Indénié‐Djuablin). Photo 5 b : Une parcelle bien sarclée avec réalisation de trous destinés à recevoir des pépinières d’hévéa. Photo 5 c : Des pépinières en sachet. Photo 5 d Une plantation d’hévéa d’une année. Photo 5 e : Une plantation de trois ans. Photo 5 f : Une plantation de 10 ans mise en saignée.

135

5.3.2 La mise en terre des plants

Bien avant l’opération de plantation, le planteur se procure le matériel végétal auprès des pépiniéristes agréés ou des agro-industries. Il a le choix entre plusieurs variétés de plants aux caractéristiques différentes (tableau 7).

Tableau 7 : Principaux clones améliorés et leurs caractéristiques

Rendement moyen en caoutchouc Nom du clone naturel (kg/ha) Caractéristiques principales frais sec GT1 Peu sensible à l’encoche sèche et à la casse 3 250 2 000 due au vent PB 217 Résistant à l’encoche sèche et à la casse due 4 000 2 500 au vent IRCA 18 4 000 2 500 Peu sensible à l’encoche sèche et à la casse IRCA 41 4 000 2 500 Résistant à l’encoche sèche et à la casse IRCA 230 Résistant à l’encoche sèche et à la casse due 4 000 2 500 au vent PB 235 4 000 2 500 Sensible à l’encoche sèche et à la casse PR 107 4 000 2 200 Très résistant à l’encoche sèche et à la casse PB 260 4 000 2 500 Montée en production très rapide Source : CNRA, 2016

Les planteurs enquêtés préfèrent majoritairement les GT1 et PB 217 parce qu’ils seraient plus rustiques et moins exigeants en termes d’apport en fertilisant. Dans tous les cas, le matériel végétal se présente sous la forme de racines nues ou souches (de vingt mois en moyenne), ou de plants en sac (de dix mois en moyenne). En 2014, le stump (souche) était cédé aux planteurs à 100 FCFA l’unité tandis que le plant en sachet coûtait le double. Ainsi, pour emblaver un hectare d’une densité de plants comprise entre 510 et 660, le planteur devait débourser entre 51 000 et 66 000 FCFA (100 euros). Pour les plants en sac, les dépenses à l’hectare étaient de l’ordre de 110 000 et 132 000 FCA (198 euros). Ces sommes sont jugées élevées par un certain nombre de planteurs notamment les ruraux. Ainsi, pour espérer minimiser le débours lié à cet achat, ceux-ci se tournent vers l’autoproduction nonobstant les recommandations des encadreurs de s’approvisionner auprès des pépiniéristes agréés. Ainsi, si les planteurs ruraux s’approvisionnent majoritairement chez les pépiniéristes agréés (52 %), il reste qu’une proportion élevée d’entre eux, 37 %, recourt à l’autoproduction (fig. 19). Or, il n’est pas sûr qu’une proportion aussi importante de ces acteurs ait suivi une formation de pépiniéristes ; ce qui alimente un doute sur la qualité du matériel végétal utilisé.

136

Figure 19 : Mode d’approvisionnement des planteurs en matériel végétal selon le statut résidentiel

Mode d'approvisionnement mixte

Autoproduction

Acaht chez un pépinièriste agrée

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90%

Planteurs urbains Planteurs villageois

Source: Enquêtes O. Ouattara 2014

La part de planteurs citadins s’approvisionnant en matériel végétal auprès de pépiniéristes agréés est de 83% ; elle est plus importante que chez les planteurs ruraux. Même si cela peut être relié au fait que les citadins sont globalement plus solvables, l’acquisition de matériel végétal dans le circuit officiel relève surtout de la volonté des planteurs absentéistes de se conformer autant que possible à l’itinéraire technique de production recommandé. L’idée est de parvenir à mettre en place un outil de production durable, performant et rentable. Les planteurs ruraux n’ont généralement pas cette préoccupation, car ils sont plus habitués au mode de production extensif de l’économie cacaoyère. Après l’acquisition du matériel végétal, le planteur procède à l’opération de plantation. Mais, il est recommandé de ne réaliser cette mise en place que lorsque la saison des pluies est bien établie, généralement entre mai et juillet car, sans humidité, il y a de forts risques que les racines des plants soient attaquées et détruites par les bactéries. Pour la plantation, le planteur retire d’abord les sacs lorsqu’il s’agit de plants ainsi conditionnés. Ensuite, il place verticalement les plants dans les trous préalablement creusés, le collet au niveau du sol et le greffon orienté vers le sud-ouest afin que celui-ci ne soit pas directement en contact avec les rayons du soleil. Enfin, le planteur bouche le trou en commençant par la partie de la terre prélevée en superficie au moment du creusage car elle est jugée plus fertile que celle retirée en profondeur. Après l’opération de plantation, divers soins sont nécessaires au développement optimal des jeunes plants.

5.3.3 L’entretien de la plantation

L’entretien de la plantation comprend deux volets : le sarclage de la parcelle et l’utilisation de fertilisants et de pesticides. Mais, avant ces deux étapes proprement dites, le planteur doit procéder à la suppression des bourgeons qui apparaissent sur la partie supérieure du porte- greffe et sur la tige du greffon jusqu’à trois mètres de hauteur sur chaque jeune plant. Cela 137 permet à l’arbre de se développer en ayant un tronc fort et droit, ce qui va plus tard favoriser une saignée plus abondante. En outre, le planteur devra procéder à l’élimination et au remplacement des arbres défaillants durant leurs deux premières années de vie.

5.3.3.1 Le sarclage de la parcelle

La parcelle doit être protégée de l’envahissement de la couverture végétale qui est susceptible de concurrencer les jeunes hévéas notamment en matière de consommation d’eau. Au début de l’hévéaculture villageoise, la lutte contre les mauvaises herbes se faisait au travers du semis de plantes de couverture comme le centrosema pubescens et le pueraria phaseolides. Ces plantes contribuaient à la conservation des propriétés du sol et à la limitation de la prolifération des adventices sur la parcelle. Parallèlement, une somme était allouée au planteur par le programme public pour la mobilisation de la main-d’œuvre servant au nettoyage de ceux-ci. En contrepartie, il ne devait rien associer à l’hévéa sur la parcelle. Depuis, la fin des années 1990, les planteurs ne reçoivent plus de financement au titre de l’entretien des parcelles. Or, ils doivent réaliser en moyenne quatre sarclages par an durant les deux premières années des jeunes hévéas. Cela constitue une charge supplémentaire de travail et génère, en termes de coût de la main-d’œuvre, une dépense minimale de 100 000 FCFA par an et par hectare. Toutes ces contraintes ont amené les planteurs à remplacer les plantes de couverture par le vivrier. Ainsi, depuis la fin de la décennie 1990, l’entretien des parcelles d’hévéa en milieu paysan se fait dans le cadre de l’association du vivrier aux jeunes hévéas sur la parcelle (photo 6). C’est ce qu’explique un planteur d’hévéa d’Affalikro :

« Pour diminuer les dépenses de nettoyage des parcelles, on plante du vivrier dedans. L’argent qu’on a avec la vente nous aide à payer les manœuvres » (entretien le 14 août 2014).

Photo 6 : Association de jeunes hévéas à l'arachide et au maïs

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

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L’association du vivrier aux jeunes hévéas permet en outre, un gain de temps en ce sens qu’un seul sarclage est réalisé pour les deux cultures. Par ailleurs, elle constitue un moyen de minimiser les frais puisqu’elle permet de réaliser une seule dépense d’entretien pour les deux spéculations. Les cultures vivrières les plus couramment associées sont l’igname, le taro, la patate douce, la banane plantain, le maïs, les légumes (gombo, piment, aubergine), l’arachide ou encore le haricot. Cependant, l’association se fait selon des temporalités différentes. Globalement, les plantes sont choisies en fonction de leur utilité socio-économique tout en tenant compte des exigences agronomiques de l’hévéa. Généralement, le manioc intervient en tête d’assolement l’année 0, juste après les premiers travaux de défrichement de la parcelle (tableau 8). Il est choisi car il s’agit d’une plante peu exigeante en travail et de valeur marchande élevée. Les gains procurés par sa vente contribuent le plus souvent au financement des opérations de préparation du terrain de culture. Au cours des années 1 et 2, le manioc disparaît car sa récolte nécessite un travail profond du sol, lequel peut nuire aux racines de l'hévéa. De plus, les planteurs évitent d’associer le manioc à l’hévéa au motif qu’il serait vecteur du fomès, la principale pathologie qui l’affecte.

Tableau 8 : Les vivriers associés suivant l’âge de l’hévéa

Année 0 Années 1 à 2 Années 3 à 4 Années 5 et 6

Igname, maïs, patate, Maïs, haricot, arachide, Aucune culture Manioc, maïs douce, taro, banane légumes associée plantain, légumes

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Si tous les autres types de vivriers sont possibles, l’igname, la banane plantain et la patate douce l’emportent. A l’inverse, le riz pluvial est rarement requis du fait de la charge de travail que sa culture exige comme l’atteste les propos de cet agriculteur :

« Moi, je ne plante plus de riz dans l’hévéa, j’ai essayé c’est trop difficile. Il faut nettoyer au moins trois fois, il faut chasser les oiseaux, il faut couper et puis battre. Après tu vas aller décortiquer à la machine. Quel temps tu vas prendre pour t’occuper de l’hévéa là, même. Si tu fais tout ça et puis tu gagnes un peu d’argent c’est bon. Mais avec le riz, s’il ne pleut pas bien, tu as perdu tout ton temps. Si tu plantes le riz, il prend trop de place, tu ne peux faire un autre vivrier dedans. Pour moi, payer le riz à la boutique est mieux » (entretien à Brétihio le 18 août 2014).

Durant les années 3 et 4, les racines de l’hévéa se développent de façon horizontale dans la partie superficielle. De ce fait, l’igname, le taro, la patate douce et la banane plantain dont la culture nécessite un travail plus ou moins profond du sol, ne sont plus cultivés sur les conseils des encadreurs. A ce stade, prédominent sur la parcelle des plantes telles que le maïs, le haricot, l’arachide ou les légumes qui n’exigent qu’un travail de sol léger. Il convient de

139 souligner que le maïs est la spéculation la plus associée à l’hévéa sans discontinuer de l’année 0 jusqu’à l’année 4 au moins.

Au total, l’association du vivrier à l’hévéa permet une économie, aussi bien au niveau de la charge de travail que des dépenses monétaires, d’autant que cela permet d’assurer l’entretien simultané de deux cultures. De plus, dans un contexte de raréfaction et de renchérissement de la force de travail, cette pratique est devenue un moyen de mobilisation à coût quasi nul de la main-d’œuvre. Cet aspect sera plus amplement abordé dans la section en lien avec la mobilisation de la force de travail.

5.3.3.2 Une utilisation aléatoire de fertilisants et de pesticides

L’hévéa fait partie des plantes faisant preuve d’une grande adaptabilité au milieu. Ses exigences sont bien plus considérables en matière d’eau que de fertilité du sol (Martin, 1970). Toutefois, il convient de faire des apports aux sols présentant une déficience en potassium, magnésium et azote. Cette situation peut avoir pour conséquence un retard de maturité des plantes, ce qui peut repousser le moment de la première mise en saignée et aboutir à la faiblesse du niveau de production. Selon les préconisations du Centre national de recherche agronomique (CNRA), une parcelle d’hévéa doit recevoir différents types d’apports en engrais durant ses cinq premières années avec une concentration lors des trois premières années de culture. Ces apports varient selon que l’on est dans la région du Sud-Est ou dans la région du Sud-Ouest (tableau 9).

Tableau 9 : Type et dose d’engrais (en grammes par âge) à épandre selon l’âge et la région de localisation de la parcelle en Côte d’Ivoire

Régions sud-est Régions sud-ouest

Année Urée PCa3 KCI Urée PCa3 KCI A0 110 125 138 68 294 98

A1 110 125 69 68 156

A2 151 175 69 68 156

A3 et A4 Selon le diagnostic foliaire

A5 69 78

Source : CNRA, 2016, http://www.cnra.ci

Au moment du semis des plants (année 0), l’engrais phosphaté25 (Pca3) est mis dans le trou puis, entre novembre et décembre, l’engrais azoté (urée) et potassiques (KCI) est ajouté à l’aplomb de la couronne.

25 Les sols du Sud‐Ouest du pays ont généralement un déficit plus important en phosphate que ceux du Sud‐Est, ce qui explique la différence du dosage en Pca3 entre les deux zones. 140

Au cours des années 1 et 2, deux applications d’engrais sont prévues. La première se fait comme en année 0 à l’aplomb de la couronne et concerne l’urée et le KCI, la deuxième, à la volée, dans les interlignes. Durant les autres années (3 et 4), les apports ne sont nécessaires que si un jaunissement apparaît au niveau des feuilles des arbres. Dans ce cas, le planteur sollicite les encadreurs qui établissent un diagnostic foliaire afin de proposer les apports adéquats. En année 5, c’est essentiellement du potassium qui est apporté à la parcelle. Toutes ces opérations visant une optimisation des rendements à l'hectare ne sont pas suivies de manière rigoureuse. Si la part des enquêtés déclarant agir en conformité avec ces prescriptions s’élève à plus de 86 % chez les planteurs urbains, en revanche elle est de seulement 36 % en ce qui concerne les planteurs ruraux. Ces derniers sont surtout des planteurs ayant une première plantation en rapport, ce qui leur permet de faire face aux dépenses inhérentes à l’achat d’engrais. Ce constat montre que le manque de moyens financiers peut expliquer la faiblesse de l’utilisation des fertilisants. Un autre facteur explicatif tient au fait que les planteurs sont pour la plupart habitués aux méthodes extensives.

« Nous, on n’a pas l’habitude d’utiliser l’engrais. L’hévéa est comme le cacao et le café, même quand tu ne mets pas d’engrais, ça pousse bien. Tout dépend de la pluie » (entretien le 18 août, 2014).

En revanche, les planteurs ne font pas preuve de négligence lorsqu’il s’agit d’achat de pesticides pour lutter contre le fomès, la principale pathologie de l’hévéa. Cette attitude s’explique par le fait qu’ils ont conscience que cette maladie constitue une sérieuse menace contre l’outil de production. En effet, le fomès entraîne la pourriture des racines et par la suite la mort de l’arbre. Mais, une autre difficulté vient du fait que l’arbre malade transmet la maladie à ses voisins par contact racinaire. Toutes ces raisons conduisent les planteurs à l’achat de produits comme le Bayfidan et l’Atémi S, les fongicides les plus utilisés. En somme, on constate que les méthodes de production extensives héritées des cultures traditionnelles sont assez répandues dans l’hévéaculture. Ces pratiques de contournement de l’itinéraire technique ont permis à une majorité de planteurs ruraux en particulier, dépourvus de capital de s’insérer dans l’hévéaculture et, par conséquent, de contribuer à sa diffusion rapide.

5.4 La main-d’œuvre déployée au sein des exploitations hévéicoles

Le travail dans les plantations villageoises d’hévéa repose exclusivement sur des méthodes de productions traditionnelles. Au contraire des plantations industrielles où certaines actions, notamment concernant la préparation des sols sont réalisées à l’aide d’engins motorisés, toutes les phases d’implantation d’une plantation familiale, de la préparation des parcelles à la saignée en passant par l’entretien se réalisent manuellement. Indispensable au succès, voire à la survie des exploitations, la force de travail employée dans les exploitations hévéicoles diffère selon que celles-ci se trouvent en phase d’implantation ou en phase de production.

141

5.4.1 La main-d’œuvre mobilisée en phase d’implantation de l’exploitation

La phase d’implantation comprenant la préparation et l’aménagement du terrain de culture ainsi que l’entretien de la plantation (partie 5.3) est comparativement plus exigeante en force de travail que la phase de production. Au cours de celle-ci, la base de la force de travail employée par les planteurs enquêtés est constituée d’une main-d’œuvre familiale, du travail à la tâche, du travail à l’année et de celui au mois. Toutefois, on observe que le type de main- d’œuvre utilisé varie en fonction de la situation résidentielle du planteur (figure 20).

Figure 20 : Type de main-d’œuvre principalement employée en fonction de la situation résidentielle du planteur

80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Main d'œuvre Travailleurs à la Travailleurs à Travailleurs au mois familiale tâche l'année

Planteurs ruraux Planteurs urbains

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Lors de la phase d’implantation, les planteurs ruraux enquêtés (71 %) ont principalement eu recours à la main-d’œuvre familiale. Elle était généralement constituée du chef de l’exploitation, de ses enfants et de sa ou ses femme(s). Dans certains cas, la présence du neveu peut être relevée. Les planteurs ruraux peuvent d’autant plus mobiliser ce type de main- d’œuvre qu’ils résident sur le lieu de leur exploitation et qu’ils ont des cellules familiales plus habituées aux travaux agricoles. On compte en moyenne trois personnes par hectare lors de la phase de préparation du terrain. Dans ce cadre, le chef de l’exploitation et les membres les plus âgés de la famille s’occupent des tâches les plus difficiles comme l'abattage des arbres, le dessouchage des troncs, le débroussaillage, etc. Pour la réalisation des autres travaux, la participation des autres membres de la famille est effective. Ainsi, les plus jeunes et les femmes apportent-ils leur aide pour le piquetage, le creusage des trous, le transport des plants du lieu de stockage à l’exploitation et la mise en terre des plants. Enfin, ils apportent leur concours au moment du sarclage de la parcelle. La main-d’œuvre familiale ne reçoit pas de rémunération. De fait, son utilisation contribue à la réduction des dépenses liées à la création des plantations.

142

Au contraire des planteurs ruraux, les citadins sont obligés de recourir à des formes rémunérées de travail agricole (travail à la tâche, au mois ou à l’année). Cela tient au fait que cette catégorie ne réside pas sur le lieu de l’exploitation. Par ailleurs, il n’est pas certain que, dans leur grande majorité, les citadins et leur famille aient le temps, mais surtout l’aptitude, nécessaire pour conduire correctement les opérations agricoles. Pour 29 % des planteurs urbains enquêtés, ce sont les travailleurs à la tâche qui ont effectué le travail dans l’exploitation lors de la phase d’implantation. Ce sont des manœuvres agricoles sollicités en vue d’exécuter des tâches bien précises dans l’exploitation, à l’issue desquelles ils reçoivent une rémunération dépendant du type de tâche accompli. Par exemple, le désherbage d’un hectare coûte entre 25 000 et 30 000 FCFA (de 38 à 45 euros) dans l'Indénié- Djuablin et entre 30 000 et 35 000 FCFA (de 45 à 53 euros) dans la Nawa. Cet écart peut s’expliquer par le fait que l’activité agricole est plus intense dans la Nawa alors que la main- d’œuvre y est plus rare. Cette catégorie d’actifs agricoles est surtout sollicitée par les planteurs urbains dont les finances sont limitées et qui ne parviennent pas à mobiliser de travailleurs permanents. Pendant les périodes de forte activité agricole, cette catégorie de main-d’œuvre se raréfie. Ce qui explique que la majorité des planteurs urbains (47 %) préfère mobiliser des travailleurs à l’année. Ces manœuvres agricoles engagés pour la réalisation de toutes les tâches perçoivent une rémunération à la fin du douzième mois suivant leur embauche qui oscille entre 190 000 FCFA et 215 000 FCFA/an dans l'Indénié-Djuablin et 210 000 FCFA et 250 000 FCFA/an dans la Nawa. Les planteurs urbains préfèrent ce type d’actifs agricoles aux autres parce qu’il permet une certaine stabilité de la force de travail dans un contexte de raréfaction de la main- d’œuvre. Outre le traitement en numéraire, le travailleur est logé sur l'exploitation ou dans le village le plus proche. Il bénéficie par ailleurs d'une prise en charge alimentaire en espèces ou en nature. L'importance de cet apport se réduit considérablement lorsqu'un lopin de terre est mis à sa disposition pour la production de sa nourriture. Il convient de souligner que les citadins sont jugés responsables de l’augmentation continue du prix de la force de travail. Pour les ruraux, ceux-ci ne marchanderaient pas assez les conditions de rétribution des employés et pratiqueraient, le plus souvent, la politique du plus « offrant » dans le but de débaucher certains de leurs manœuvres. D’ailleurs, dans des conditions identiques de travail et de rémunération, une majorité de travailleurs à l’année préfère un employeur citadin pour les motifs qu’expose cet actif agricole rencontré à Anuassué : « J’ai déjà travaillé pendant deux ans avec un vrai planteur, mais j’ai rencontré trop de problèmes avec lui. Ça fait 3 ans maintenant que je travaille avec un type de la ville. Avec lui, dès que la date indiquée pour la paie arrive, il me donne mon argent sans attendre. L’autre, il me faisait tourner en rond. Une fois, il m’a payé en deux fois. Quand tu travailles bien les gens de la ville t’encouragent avec des cadeaux venant de la ville, souvent en cas de problèmes, ils t’aident sans en tenir compte à la fin. Concernant le travail, il n’est pas sur ton dos chaque matin » (entretien 19 août 2014).

En fait, derrière l’intérêt des annuels pour les planteurs urbains se trouve le fait que la plupart espère mettre à profit la situation de relative autonomie induite par l'absence des patrons pour 143 offrir leur service à d'autres planteurs moyennant rétribution. Dans cette logique, certains manœuvres agricoles n'hésitent pas à se convertir, à l’insu de leur employeur, en travailleur à la tâche ou en journalier, ce qui soulève le problème de la surveillance des actifs agricoles employés par les planteurs urbains. Au lieu des travailleurs à l’année, certains planteurs urbains ont plutôt mobilisé des travailleurs au mois lors de la phase d’implantation. Comme les travailleurs à l’année, ils s’occupent de toutes les tâches liées à la création de l’exploitation, la différence étant qu’ils perçoivent une rémunération mensuelle variant entre 18 000 et 25 000 (27 à 38 euros) dans l’Indénié-Djuablin et 25 000 à 35 000 FCFA (38 à 53 euros) dans la Nawa. A l’identique du travailleur à l’année, le travailleur mensuel est logé, nourri et soigné par son employeur. La plupart du temps, les planteurs urbains ne sollicitent ce type d’actifs agricoles que lorsqu’ils ne parviennent pas à se procurer une main-d’œuvre à l’année. En effet, en plus du fait qu’il revient plus cher au planteur sur une année, le travailleur mensuel n’est pas une force de travail stable car il peut décider de partir à tout moment, en revanche, les planteurs ruraux ne sollicitent pas de travailleurs mensuels en phase d’implantation parce qu’ils ne peuvent faire face aux dépenses annuelles liées à l’emploi de ce type de main-d’œuvre. Dans certaines grandes exploitations (plus de 20 ha) détenues par les planteurs urbains, les actifs agricoles exécutent des opérations directement sous le contrôle de régisseurs. Ce sont des employés agricoles engagés par les planteurs urbains en vue de superviser les travaux pour leur compte. C'est une catégorie d'actifs agricoles à laquelle les cadres urbains ont eu recours pour gérer leurs exploitations cacaoyères au moment du boom cacaoyer des années 1970-1980 (Affou, op. cit.). Elle émerge à nouveau à la faveur de l'essor de l'hévéaculture par le biais de ces mêmes planteurs urbains. Le régisseur s'occupe du bon fonctionnement de l'exploitation. A ce titre, il a en charge le recrutement de la main-d'œuvre, la répartition des tâches et le contrôle de leur bonne exécution. Sans que cela ne repose sur aucune base juridique, la rémunération mensuelle du régisseur est un peu partout comprise entre 45 000 et 60 000 FCFA (68 et 91 euros). Il lui est aussi assuré d’un logement, d’une moto pour ses déplacements et d’une dotation en carburant. Compte tenu du fait que le régisseur est appelé à organiser et à surveiller le processus technique dans les exploitations, les planteurs portent le plus souvent leur choix sur des personnes ayant une compétence technique en matière d’hévéaculture. Dans l’Indénié-Djuablin, les constats indiquent que les employés agricoles proviennent majoritairement du Togo suivis des ressortissants du Bénin. Ces pays étant situés à l’Est, cette région est la première qu’ils atteignent en entrant en Côte d’Ivoire. Aussi, choisissent-ils de s’y installer. Les Ivoiriens qui semblent les moins nombreux sont pour la plupart originaires du nord-est du pays. Ce sont des Koulango, des Abrons et des Lobi. En revanche, dans la Nawa, ce sont principalement des Burkinabés et des Maliens. Cette région constitue une destination traditionnelle pour les employés agricoles de ces nationalités depuis des décennies en raison de l’économie cacaoyère. Concernant les Ivoiriens, on retrouve aussi une forte population du nord-est du pays (Koulango, Lobi et Abron) à laquelle il faut ajouter des Senoufo et des Malinké. Au-delà du type et de l’origine de la main-d’œuvre utilisée, le constat majeur tient à l’insuffisance de la force de travail dans les exploitations. De fait, on dénombre une moyenne

144 de 0,83 actif agricole par exploitant. Cette insuffisance de main-d’œuvre peut être reliée à l’absence de crédit agricole mais aussi à la raréfaction et à la cherté de la force de travail. Pour combler le déficit, on assiste à la généralisation de pratiques de mobilisation de la main- d’œuvre agricole quasi gratuite à travers l’échange du droit de culture sur la terre contre la force de travail. En effet, elle consiste pour le planteur d’hévéa à autoriser des agriculteurs « sans terre » à cultiver du vivrier dans les interlignes des jeunes hévéas ou sur des terres destinées à la culture de l’hévéa. Dans le cas où la plantation d’hévéa est déjà constituée, l’agriculteur « sans terre » y complante le vivrier pour son propre compte en assurant tous les travaux inhérents à la production (semis des plantes, sarclage, récolte, etc.). Ces opérations contribuent à l’entretien de la parcelle, ce qui constitue une économie et un gain de temps pour le planteur d’hévéa propriétaire terrien. Dans le cas où l’arrangement porte sur une parcelle non encore mise en valeur, le producteur « sans terre » assure le débroussaillage de la parcelle avant de cultiver le vivrier. Ensuite, il s’occupe de son entretien pendant tout le cycle du vivrier. Entre ces deux phases de culture, le propriétaire terrien intervient pour mettre en place sa plantation d’hévéa au milieu des cultures vivrières ou après la récolte en économisant sur les frais de débroussaillage et d’entretien de la parcelle. Il convient de préciser que dans le cadre de l’échange de droit de culture contre la force de travail, un même planteur peut autoriser plusieurs agriculteurs sans terre à cultiver concomitamment du vivrier sur sa plantation. Outre l’échange de terre contre la force de travail, une autre pratique des planteurs d’hévéa qui permet de combler le déficit en main-d’œuvre est l’utilisation des herbicides. Elle est surtout le fait des planteurs qui sont confrontés au manque de moyens financiers nécessaires à la mobilisation de la main-d’œuvre et dont les parcelles ne sont pas sollicitées par des producteurs sans terre. Le traitement par herbicide consiste à appliquer le produit sur une largeur d’un mètre de part et d’autre des hévéas. En 2015, les dépenses liées à cette pratique revenaient à 6 000 FCFA par hectare, ce qui est plus à la portée du planteur par comparaison au coût du sarclage d’un hectare qui oscille entre 25 000 et 30 000 FCFA. Malgré son coût relativement bas, cette pratique reste relativement peu suivie parce que les planteurs sont peu convaincus de son efficacité, surtout durant la saison des pluies. Ils considèrent que les eaux pluviales réduisent les effets des produits chimiques sur les herbes.

5.4.2. La main-d’œuvre mobilisée en phase de production

Durant la phase d’exploitation, qui débute à partir de la 6ème ou 7ème année, les besoins en main-d’œuvre pour l’entretien de la plantation se réduisent considérablement. En effet, les herbes croissent plus lentement et moins abondamment à cause de la canopée qui limite l’infiltration des rayons du soleil (photo 7). Si le sous-bois ne peut plus constituer une menace sérieuse pour l’existence des hévéas, il convient tout même d’effectuer annuellement au moins trois fois le désherbage de la plantation comme le recommandent les encadreurs. Cela permet outre la réduction de la compétition entre différentes espèces floristiques sur la parcelle pour l’eau et les sels minéraux, de faciliter la circulation dans la plantation pour la saignée ainsi que pour le repérage des arbres atteints de maladie et leur traitement à temps. De

145 plus, le désherbage permet de limiter la prolifération des reptiles dans la plantation, sinon la saignée devient une opération risquée.

Photo 7 :Sous-bois d’une plantation d’hévéa en production

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

En pratique, les planteurs estiment majoritairement que deux opérations de désherbage dans l’année suffisent contre trois préconisées par les encadreurs. Dans tous les cas, les besoins en main-d’œuvre pour l’entretien sont occasionnels et d’autant plus faciles à supporter par le planteur que la plantation est en rapport. En fait, les besoins les plus importants en force de travail en phase d’exploitation concernent la mobilisation des saigneurs pour la récolte du latex. Ces derniers constituent une main- d’œuvre à mobiliser de façon permanente en ce sens que les opérations de saignée se font 2 à 3 fois par semaine et ce, tout au long de la durée de vie des hévéas. Les saigneurs constituent une catégorie d’actifs agricoles relativement disponible car la plupart des jeunes ruraux dans les villages sont attirés par le métier. Comme l’indique l’un d’eux rencontré à Affalikro, plusieurs raisons conduisent les ruraux vers ce métier :

« Au village ici, je ne connais pas un jeune qui n’a pas suivi la formation pour devenir saigneur parce que la formation est gratuite. Et puis, le métier de saigneur est le seul moyen pour se faire un peu d’argent chaque fin de mois. C’est un métier difficile mais pas comme celui de manœuvre dans une plantation de cacao que je faisais avant. Comme la saignée finit chaque jour avant 11 heures, j’arrive à faire chaque année mon champ de vivrier pour nourrir ma petite famille. Je suis en train d’économiser pour pouvoir créer ma propre plantation d’hévéa » (entretien 13 août 2014).

Parmi les jeunes ruraux qui proposent leurs services en qualité de saigneurs, les Ivoiriens sont de loin les plus nombreux comme par exemple à Affalikro. En 2014, sur quarante-quatre saigneurs recensés dans ce village, on dénombrait seulement cinq non ivoiriens. Cette faible représentativité des étrangers peut s’expliquer par le fait qu’ils sont réticents à suivre la

146 formation au métier de saigneur au motif qu’ils ne savent pas lire et écrire. De toute façon, ils trouvent déjà leur compte dans l’hévéaculture comme travailleur annuel ou mensuel. Par ailleurs, même si la saignée reste un métier largement dominé par les hommes, il n’en demeure pas moins que beaucoup de femmes la pratiquent. Cependant, elles sont plus nombreuses dans la Nawa que dans l’Indénié-Djuablin. Selon les encadreurs, elles avoisineraient le tiers de l’effectif dans la Nawa soit une centaine de femmes pour seulement une vingtaine dans l’Indénié-Djuablin, toutes concentrées dans la localité de Bettié. Dans la Nawa, qui reste la principale région agricole du pays, l’intérêt des femmes pour ce métier peut s’expliquer par le fait qu’elles sont plus habituées à l’agriculture de plantation à travers leur participation aux différents travaux aux côtés des hommes :

« Au début, j’avais un peu peur, mais j’ai accepté de m’essayer dans la saignée parce que j’avais l’habitude de travailler dans les plantations de cacaoyers avec les hommes. Après, je me suis rendue compte que c’est plus facile. C’est pourquoi, ça fait 6 ans que je pratique» (entretien à Yacoli- Dabouo le 23 sept. 2014).

En revanche, dans le cas de Bettié, les femmes se sont tournées vers ce métier essentiellement parce qu’elles n’avaient plus la possibilité de pratiquer l’agriculture vivrière. En effet, dans cette localité, l’hévéaculture est la seule activité agricole du fait de la forte spécialisation privilégiée. Au-delà de la diversité des profils et des motivations, il convient de noter que le saigneur est engagé par contrat oral par le planteur pour une durée indéterminée. En règle générale, il s’occupe de la saignée d’un hectare par matinée afin d’éviter toute précipitation dans les opérations. S’il est expérimenté, il peut se voir confier la saignée de deux hectares par matinée. Dans tous les cas, le mode de rémunération du saigneur est partout identique. En effet, la rétribution se fait mensuellement au prorata du poids de caoutchouc naturel récolté. En 2014, le kilogramme de caoutchouc naturel récolté rapportait au saigneur 35 FCFA. En fait, cette somme fluctue en fonction du prix d’achat du latex aux planteurs. Ainsi, en 2012, elle valait 50 FCFA quand le prix d’achat du kilogramme de caoutchouc naturel atteignait 571 FCFA. Ces augmentations n’ont pas d’incidence réelle sur les revenus des planteurs puisqu’elles sont corrélées au prix d’achat du latex.

En somme, c’est en phase d’implantation que les planteurs notamment les ruraux rencontrent le plus de difficultés d’accès à la main-d’œuvre, en partie du fait d’un manque d’accès au financement.

5.5 Mécanismes de financement des exploitations hévéicoles

La création d’une plantation d’hévéa nécessite des moyens financiers importants à la fois pour la préparation du terrain de culture, l’achat du matériel végétal et l’entretien de la parcelle (sarclage, fertilisation et traitement contre les maladies). En 2015, sur la base des déclarations des planteurs et des encadreurs, les dépenses pour la réalisation d’une plantation d’un hectare sur les cinq premières années, c’est-à-dire avant l’entrée en production, étaient estimées entre

147

777 400 et 910 000 FCFA (1 185 à 1 387 euros), ce qui équivaut annuellement à une dépense moyenne de l’ordre de 155 480 à 182 000 FCFA (tableau 10).

Tableau 10 : Dépenses liées à la création d’une plantation d’hévéa d’un hectare

Etape de la Opérations Coût à l’hectare création (en FCFA) Abattage des arbres et enlèvement des [25 000, 35 000[ souches Débroussaillage 25 000 à 30 000 Phase Piquetage 7 650 à 9 900 d’implantation Creusage des trous 12 750 à 16 500 Acquisition du matériel végétal : En stumps 51 000 à 66 000 En sachet 110 000 à 132 000 Sarclage (4 fois/an pendant 5 ans) 500 000 Fertilisation Année 0 Epandage d’engrais phosphaté 36 000 Epandage d’engrais azoté 22 000 Epandage d’engrais potassique 18 000 Phase d’entretien Année 1 Epandage d’engrais azoté 22 000 Epandage d’engrais potassique 18 000 Année 2 Epandage d’engrais azoté 22 000 Epandage d’engrais potassique 18 000 777 400 à 910 000 Total (1 185 à 1 387 euros) Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

A l’époque des programmes publics de vulgarisation traitant de l’hévéaculture en milieu villageois, les intrants (plants, engrais et produits phytosanitaires) et une somme valorisant son travail pendant la période d’immaturité des hévéas étaient donnés sous forme de prêt aux planteurs. Le remboursement se faisait ensuite de façon échelonnée dès l’entrée en production de la plantation. Depuis l’arrêt desdits programmes au milieu des années 1990, les planteurs assument seuls toutes les charges en lien avec la création de ces cultures. Pour ce faire, ils s’appuient sur des sources de financement tant informelles que formelles : les premières reposent sur les gains tirés de l’activité agricole (cacaoculture, agriculture vivrière, contrats de partage de plantation), des salaires et de l’épargne, alors que les secondes proviennent des banques commerciales et des institutions de microfinance (figure 21).

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Figure 21 : Différentes sources de financement des planteurs d’hévéa enquêtés dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Les planteurs ruraux font davantage appel à des gains provenant du secteur agricole. Ainsi, dans l’Indénié-Djuablin comme dans la Nawa, les revenus du cacao constituent la principale source de financement des planteurs d’hévéa. Pour diversifier leur revenu les producteurs de cacao convertissent une partie de leur plantation ou encore tout ou partie de leur patrimoine foncier en réserve en plantation d’hévéa. Ils utilisent alors les revenus cacaoyers pour financer la préparation du terrain de culture, l’acquisition des plants et la mobilisation de la main- d’œuvre d’appoint. La hausse du prix d’achat du cacao entre 2004 et 2005, et surtout à partir de 2010, a constitué une opportunité ayant permis à de nombreux planteurs de réinvestir une partie des gains dans l’hévéaculture comme l’indique un planteur de Gblétia :

« C’est depuis l’année 2000 que j’ai voulu planter de l’hévéa. Mais, je n’avais pas d’argent pour commencer la plantation car chaque année le cacao était mal payé. Finalement, c’est en 2005 que j’ai réussi à créer ma première plantation avec l’argent du cacao de 2004. En 2004, le prix d’achat du cacao était assez bon » (entretien le 03 octobre 2014).

Une autre source de financement des exploitations hévéicoles est constituée par les revenus tirés de l’agriculture vivrière, en particulier pour les femmes et les jeunes hommes qui sont des catégories moins actives dans l’économie cacaoyère. La culture la plus pratiquée dans ce cadre dans les deux régions est le manioc en raison de sa forte valeur marchande et parce qu’il s’écoule facilement et à toute période du fait de la forte demande urbaine26. D’autres raisons expliquent le choix du manioc comme culture de rapport pour le financement des plantations d’hévéa comme le mentionne un jeune planteur rencontré à Anuassué :

« J’ai fait la culture du manioc pour financer ma plantation parce que ça rapporte et son entretien est facile. Ça te donne le temps de faire autre chose. Et puis, tu n’es pas obligé de récolter le manioc dès sa maturité comme pour les autres vivriers : chaque fois que tu as besoin d’argent pour

26 Le manioc est l’un des vivriers les plus demandés parce qu’il entre dans la fabrication de l’attiéké (une semoule), l’un des mets les plus consommés du pays, notamment en milieu urbain. 149

travailler dans ta plantation, tu récoltes un peu pour vendre. Le manioc peut rester au champ pendant plus d’un an. Ça te permet toujours d’avoir de l’argent le plus longtemps possible pour suivre ta plantation. Le manioc peut se vendre à tout moment… » (entretien le 19 août 2014).

Dans la région de l’Indénié-Djuablin, outre le manioc, la culture de la banane plantain est aussi pratiquée comme moyen de financement, mais à un moindre degré. Ce sont surtout les jeunes hommes qui l’exploitent tandis que les femmes préfèrent l’aubergine africaine comme culture secondaire. Ces produits sont cependant moins rentables que le manioc. Il convient de signaler que dans les deux régions, certains jeunes planteurs ont combiné la pratique du métier de saigneur à l’agriculture vivrière dans le but de réunir les fonds nécessaires à la création de leur propre plantation. Un autre moyen de financement repose sur le contrat de partage de plantation. Comme déjà souligné plus haut, cette pratique permet à des planteurs généralement urbains disposant de moyens financiers suffisants d’avoir accès à la terre pour pratiquer l’hévéaculture. Inversement, elle permet à des planteurs propriétaires de terre mais dépourvus de moyens financiers d’avoir une plantation d’hévéa « clé en main ». En effet, dans le contrat « planter- partager », le planteur qui reçoit la terre s’attache à la mettre en valeur en créant une plantation d’hévéa à ses frais. Une fois arrivée à maturité, une partie de cette dernière est cédée au propriétaire foncier. Ce type d’arrangement a permis à 7,16 % de planteurs enquêtés dans l’Indénié-Djuablin et 14 % dans la Nawa de posséder une plantation d’hévéa sans pour autant avoir à s’endetter. A la différence des planteurs ruraux, la principale source de financement mobilisée par les planteurs urbains repose sur l’épargne et le salaire dans la mesure où cette catégorie est essentiellement composée de travailleurs salariés. Généralement, ils utilisent l’épargne pour acquérir la terre de culture et comptent sur le salaire pour la création et les travaux d’entretien. Toutefois, quand ces financements n’arrivent pas à couvrir les besoins, certains recourent au crédit bancaire ainsi que le mentionne ce planteur rencontré à Abengourou :

« J’ai financé ma plantation avec beaucoup de difficultés, j’ai d’abord utilisé mes économies pour l’achat de la terre de culture. Ensuite, j’ai utilisé une partie du salaire pour préparer le terrain et planter. Pour l’entretien entre les 2e et 5eannées, j’ai dû recourir chaque année à un emprunt bancaire » (entretien le 13 août 2014).

Il convient de signaler que les institutions bancaires traditionnelles n’octroient pas de crédit pour le financement de l’agriculture. Toutefois, ceux-ci sont sollicités par les planteurs pour d’autres motifs avant d’être investis dans l’hévéaculture comme le note par exemple le même planteur urbain :

« En fait, chaque année, à la rentrée des classes, je sollicitais des prêts scolaires dont les taux d’intérêt sont parmi les plus bas, pour le financement de ma plantation. Dans tous les cas, mon salaire servait toujours de garantie. Sinon, je ne connais pas une seule banque ici, qui donne des prêts agricoles… surtout pour une culture comme l’hévéa qui produit au bout de 6 ans ».

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Pour les planteurs ruraux, ce type de financements est quasiment inaccessible. Moins de 2 % d’entre eux ont déclaré avoir eu recours au financement formel mais par le biais des structures de microfinance. Il s’agit presque toujours de planteurs ayant une première plantation en production servant de garantie au prêt consenti. Le faible niveau d’accès des planteurs au crédit agricole s’explique par l’inexistence de structures bancaires spécialisées dans le financement de l’agriculture. Entre 1968 et 1991, la Banque nationale pour le développement de l’agriculture (BNDA) se chargeait de mobiliser et de distribuer des crédits à des taux d’intérêt subventionnés aux paysans (Djato, 2001). Au cours de l’année 1969, il a eu à distribuer 1,4 milliard de FCFA de crédits. Ce montant a même atteint 30,2 milliards en 1976. Cette structure octroyait des crédits individuels directs aux paysans, des crédits collectifs aux coopératives en même temps qu’elle finançait des programmes publics de développement agricole à l’image de celui de l’hévéaculture. Toutefois, suite à des pratiques de mauvaise gestion et à des impayés atteignant un taux de 64%, la BNDA fut dissoute en 1991 dans le cadre de l’application des PAS. Depuis, nonobstant le renforcement du tissu bancaire dans le pays, l’accès des planteurs au crédit demeure faible et aléatoire parce que les institutions bancaires sont insuffisamment présentes en milieu rural. De plus, ces banques sont peu intéressées par le financement des petites exploitations. Comme l’indique Djato (ibidem), leurs interventions dans le domaine agricole se limitent essentiellement au financement des opérations commerciales au détriment du stade de la production. Par ailleurs, elles préfèrent accorder du crédit à de gros producteurs et exportateurs de produits agricoles comme le cacao, le café, l’hévéa, la banane, etc. qu’à de petits exploitants présentant moins de garanties et pour lesquels leurs taux d’intérêt sont hors de portée. Au contraire des banques traditionnelles, les institutions de microfinance ou systèmes financiers décentralisés (SFD) comme la COOPEC (coopérative d’épargne et de crédit) dont le nombre d’acteurs est en pleine croissance en Côte d’Ivoire depuis le milieu de la décennie 1990, offrent des produits et services financiers plus adaptés aux populations n’ayant pas accès aux services bancaires traditionnels. Cependant, elles se concentrent en zones urbaines et péri-urbaines. Même si ces structures sont spécialisées dans les offres de crédits aux populations pauvres, il n’empêche qu’elles font preuve d’une grande méfiance quand il s’agit d’investir dans le secteur agricole via de petits exploitants agricoles. Les blocages sont fondés sur les problèmes de garantie et d’aval de la paysannerie et les difficultés éventuelles de recouvrement des créances.

5.6 Récolte et commercialisation du latex

L’exploitation de l’hévéa se fait par la saignée. C’est une opération qui consiste, à l’aide d’une gouge (photo 8) ou d’un couteau muni de lames aux extrémités, à procéder à une incision dans l’écorce de sorte que l’épaisseur coupée fasse entre 1 et 1,5 mm et que la profondeur de la coupe parvienne à plus de 1,5 mm du cambium. Le liquide blanchâtre ou latex qui s’écoule de l’entaille ou encoche est recueilli dans une tasse en plastique de 500 à 1 000 mm fixée à l’arbre par un fil de fer enroulé autour du tronc. Une gouttière en fer munie de deux arrêtoirs légèrement enfoncée dans l’arbre à 15 cm au-dessus de la tasse permet l’écoulement du latex dans ledit récipient (photo 9).Outre la gouge, l’équipement du saigneur

151 comprend un panier pour conserver le latex coagulé de la saignée précédente, une curette de tasse et un seau (d’environ 20 litres) qui sert au ramassage du latex contenu dans les tasses vers le point de collecte.

Photo 8 : Gouge, instrument servant à la saignée

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Photo 9 : Hévéa mis en saignée

Source: Enquêtes O. Ouattara, 2015

La blessure répétée du cambium, situé entre les vaisseaux laticifères et le bois, peut entraîner l’improductivité de l’arbre du fait de la mise à nu du bois. C’est pourquoi, seules des personnes ayant préalablement reçu une formation de saigneur auprès d’encadreurs des agro- industries sont habilitées à réaliser cette opération.

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La mise en saignée de la parcelle se fait généralement entre la 6e et la 7e année, à condition toutefois que 60% des arbres situés sur un hectare aient atteint 50 cm de circonférence, mesurée à un mètre du sol. A ce stade, l’arbre a une longueur d’encoche et une épaisseur d’écorce suffisantes permettant une bonne qualité de saignée et une production acceptable sans nuire à son évolution. Le rythme de saignée par hectare est de deux fois par semaine dans la plupart des cas. Ainsi, un saigneur peut-il récolter deux hectares par semaine. La saignée débute généralement entre 5 et 6 heures du matin et doit prendre fin au plus tard à 11 heures, avant le pic de chaleur. Quand il fait très chaud, l’écoulement du latex n’est pas optimal. La plupart des planteurs sollicitent des saigneurs pour l’exploitation de leur plantation. Seulement 3% des planteurs enquêtés dont les plantations sont matures affirment réaliser eux- mêmes, ou par le biais de la main-d’œuvre familiale, l’opération de saignée. Le caoutchouc récolté sur chaque arbre est recueilli dans un seau de ramassage l’après-midi ou le lendemain de la saignée et stocké dans un endroit aménagé de la plantation, à proximité des voies d’accès. Selon une fréquence de deux semaines à un mois, le planteur met en vente la quantité de caoutchouc naturel collectée. Trois modes de commercialisation sont généralement pratiqués (fig. 22). Figure 22 : Mode de mise sur le marché de la production des planteurs d’hévéa enquêtés

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

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Certains planteurs, de loin les plus nombreux dans les deux régions, cèdent le latex directement aux usiniers (la SAPH et la SAIC dans l’Indénié-Djuablin ; la SAPH et la SOGB dans la Nawa). En fonction de la distance les séparant de centre d’achat et de l’usine de traitement, les productions sont acheminées dans des tricycles, des tracteurs ou dans des camionnettes (photo 10 à 12).

Photo 10 : Un tricycle servant au transport du caoutchouc naturel à Bettié

Le tricycle est généralement utilisé sur les courtes distances (moins de quinze km)

et pour l’acheminement de production

appartenant à un seul planteur.

Source : Enquêtes O. Ouattara

Photo 11 : Un tracteur servant au transport du latex à Yacoli-Dabouo

Le tracteur sert surtout au transport sur moyenne distance (entre 10 et 20 km), il est également recherché par les planteurs dont les plantations sont difficiles d’accès.

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Photo 12 : Une camionnette en attente de livraison du caoutchouc naturel à l’usine de Yacoli-Dabouo

La camionnette est surtout affrétée par les planteurs des localités éloignées de l’usine (plus de 20 km).

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

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Notons que certains petits planteurs s’associent pour affréter des camions bennes. Tous les planteurs qui vendent leur production aux usiniers sont préalablement identifiés par ces derniers sur la base d’un matricule. A la fin de chaque mois, le gestionnaire de l’usine effectue le paiement de sa production à chaque planteur par chèque en fonction du prix d’achat fixé chaque mois par l’APROMAC. Cette pratique explique que de nombreux planteurs d’hévéa soient titulaires d’un compte en banque, notamment dans les institutions de microfinance. Plutôt que la vente individuelle de leur production aux usiniers, des planteurs préfèrent celle par le biais de coopératives. Cela leur permet de profiter de la logistique de cette dernière (camions de ramassage, planification de la vente à l’usinier, etc.). Ce système de vente est surtout développé dans la zone pionnière de Bettié, de Yacoli-Dabouo et autour de la localité de Soubré. Les coopératives de commercialisation ont un pouvoir de négociation plus important vis-à-vis des usiniers que lorsque les planteurs vendent individuellement. Certaines réussissent à obtenir des prix de vente nettement plus intéressants comme en témoigne l’un des responsables de la coopérative « Benian » de Bettié :

Cette année (en 2015), nous avons réussi à signer un contrat de vente avec un usinier situé à près de 120 km d’ici. Il nous accorde un prix d’achat plus intéressant (entre 10 et 25 FCFA) que le prix d’achat officiel du caoutchouc naturel. A la fin de l’année, il nous verse une ristourne de 14 FCFA sur chaque kg de latex que nous lui auront cédé. Il accorde également des prêts scolaires à nos membres au moment de la rentrée scolaire (entretien le 06 août 2014).

L’organisation en coopératives permet aux planteurs de bénéficier de conditions de commercialisation avantageuses entre autres parce que certains usiniers ne disposent que de petites surfaces en propre quand d’autres n’en possèdent pas du tout. De ce fait, ils se trouvent dans l’obligation d’offrir certaines facilités aux planteurs afin de capter leurs productions. Enfin, dans les deux régions de production étudiées, nous relevons des planteurs qui cèdent leur production aux acheteurs ambulants appelés « pisteurs ». Généralement, il s’agit là de planteurs qui sont éloignés des usines ou qui résident dans des zones mal couvertes par les coopératives. Ce mode de vente leur évite les tracasseries liées à la recherche de camions de transport. Ainsi, pour eux, la présence des pisteurs dans les villages constitue-t-elle une opportunité d’écoulement de la production. Les pisteurs sont des traitants opérant pour le compte de certains usiniers installés en dehors de la région et qui ne parviennent pas à couvrir leurs besoins en matière première. La vente auxdits pisteurs garantie toujours la récupération immédiate des revenus en ce sens que ces derniers paient comptant. Pour cette raison, il arrive que des planteurs membres d’une coopérative ou qui vendent habituellement aux usiniers profitent du passage des pisteurs pour écouler une partie du latex lorsqu’ils ont un besoin urgent de trésorerie. Ces faits sont sanctionnés durement lorsqu’ils sont connus. Ainsi, avons-nous découvert que des planteurs ont été exclus de leur coopérative à Soubré. Pour l’achat du latex, les pisteurs s’appuient sur des intermédiaires présents dans les villages. Ces derniers ont une bonne connaissance de la zone et des planteurs, ce qui constitue pour eux

155 un atout quant au recrutement des planteurs. Un même intermédiaire peut recruter des planteurs dans plusieurs villages de sa zone. Quand le nombre de planteurs contactés est suffisamment important, il établit un calendrier de passage avec le pisteur et en informe les vendeurs, le plus souvent via le téléphone portable. Le jour convenu, le pisteur sillonne les villages retenus à bord d’un camion d’une contenance de dix à vingt tonnes, équipé d’instruments de pesage. La capacité du camion est fonction de l’état des pistes villageoises mais aussi de l’estimation de la production des planteurs visités. Les pisteurs sont rémunérés par les usiniers qui les mandatent. En 2015, cette rétribution variait entre 15 000 et 25 000 FCFA (de 23 à 38 euros) la tonne de caoutchouc livré. Par ailleurs, l’usinier leur fournit un fonds pour l’achat des productions, ainsi que le camion de ramassage et le carburant. Quant à la rémunération des intermédiaires, elle est prise en charge par les pisteurs eux-mêmes. Même si l’activité des pisteurs est globalement considérée comme une opportunité par les planteurs, il n’en demeure pas moins que ceux-ci se plaignent du fait qu’elle a favorisé la recrudescence du vol de latex dans les plantations. En effet, des individus dérobent les récoltes dans les plantations et les proposent par la suite aux pisteurs. Cela s’explique par le fait que ces derniers ne procèdent pas à une identification préalable des planteurs avant l’achat comme c’est le cas avec les usiniers. En raison de ces vols, beaucoup de planteurs font le choix de stocker leur production à domicile, avant la mise en vente (photo 13). Cela constitue une perte de temps et d’argent puisque le transport plantation-domicile se fait moyennant rétribution.

Photo 13 : Conditionnement du latex dans des sacs

Chaque semaine, afin d’éviter le vol de sa production, ce planteur de Yacoli‐Dabouo conditionne le caoutchouc naturel dans des sacs pour en faciliter le transport vers son domicile. Le stock est ensuite livré à l’usine au bout d’un mois.

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

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Conclusion

Dans le cadre de la culture de l’hévéa, les planteurs mobilisent la ressource foncière selon des modalités variables mais qui restent dominées par des modes d’accès traditionnels (héritage et don), ce qui permet à des catégories sociales défavorisées de s’insérer dans la dynamique de production agricole. La prédominance de ces modes d’accès ne peut toutefois pas occulter l’existence d’un marché foncier reposant sur les ventes et achats de terres et le contrat de partage de plantations. Ce marché foncier favorise l’intégration de nouveaux acteurs que sont les citadins dans l’agriculteur via l’hévéaculture. L’analyse du système de culture met en évidence la prédominance des pratiques de production extensives chez les exploitants au travers de l’utilisation de matériel végétal dont la qualité est sujette à caution et d’une utilisation aléatoire des fertilisants. Par ailleurs, apparaît dans les exploitations un déficit de main-d’œuvre qui se traduit par une généralisation de pratiques de minimisation des dépenses comme l’association du vivrier aux jeunes hévéas et l’échange de travail contre le droit de cultiver du vivrier sur la parcelle d’hévéa. Ces constats trouvent leurs explications, entre autres, dans l’absence de système de financements adapté aux besoins et à la situation des planteurs dans un contexte de désengagement de l’Etat. De fait, le capital investi dans les exploitations enquêtées provient principalement de l’autofinancement. Nonobstant l’existence de nombreuses contraintes, une population nombreuse et hétéroclite adopte l’hévéaculture pour une diversité de motivations. C’est cette dynamique que le chapitre 6 entend contribuer à élucider.

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Chapitre 6 : Trajectoires des adoptants et enjeux de l’adoption de l'hévéaculture

Quel que soit le modèle de développement agricole suivi en région, sa diffusion passe par son appropriation par des acteurs d’origines diverses (Pierre et al., 2008). C’est le cas de l’Indénié-Djuablin et la Nawa où la progression de l’hévéaculture repose sur son adoption massive par des populations résidant aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Mais, quelles sont les différentes catégories sociales à l’œuvre dans l’hévéaculture et quel est le poids réel de chacune d’elles ? Quels types d’exploitations parviennent-elles à mettre en place ? Quelles sont les raisons qui les amènent à adopter l’hévéa ? Ce chapitre vise donc plusieurs objectifs. D’abord, il s’agit d’étudier la structure de la population agricole impliquée dans l’hévéaculture afin de saisir les ruptures et permanences induites par la diffusion de l’innovation. Ensuite, il est question de mettre en évidence les typologies des exploitations mises en place par les planteurs et, enfin, d’analyser les déterminants et les motivations qui conduisent à l’adoption, ce qui permet d’appréhender des éléments structurants ou limitants l’expansion de la culture. Ainsi, après l’étude des caractéristiques sociodémographiques des planteurs d’hévéa pour comprendre les dynamiques sociales à l’œuvre dans l’hévéaculture, nous nous intéresserons à la typologie des exploitants qui renvoie, dans une certaine mesure, à celle des exploitations, avant d’analyser les facteurs qui déterminent l’adoption de l’hévéaculture.

6.1 Quelles dynamiques sociales se cachent derrière le développement de l’hévéaculture ?

Dans les deux régions étudiées, l’hévéaculture draine une population aussi nombreuse qu’hétérogène. Cette dynamique contribue à la recomposition de la population agricole traditionnelle de l’économie de plantation. Ces changements se traduisent par la prédominance des populations ivoiriennes dans l’hévéaculture et la percée d’urbains, de femmes et de jeunes.

6.1.1 Une activité largement contrôlée par les Ivoiriens

L’hévéaculture est une activité largement dominée par les populations ivoiriennes au regard de notre échantillon. Elles représentent 93,35 % et 86,04 % des 391 et 609 planteurs enquêtés respectivement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa. La prépondérance des Ivoiriens dans cette culture marque un changement par rapport au modèle dominant de l’économie de plantation. En effet, alors que l’économie cacaoyère et caféière repose principalement sur des dynamiques migratoires en provenance des régions savanicoles du pays, mais surtout des pays limitrophes (Burkina-Faso, Mali, etc.) celle de l’hévéa tient à l’implication directe des Ivoiriens. Une étude plus fine permet de se rendre compte que cette prépondérance des

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Ivoiriens repose sur une prédominance de populations autochtones au sein des planteurs d’hévéa. Comme l’indique la carte 18, les autochtones représentent la majorité des exploitants enquêtés dans les régions et dans chacun de leurs départements. La prédominance des autochtones dans l’hévéaculture a également été mise en évidence par Ruf (2011) dans une enquête dans le centre-ouest du pays.

Carte 18 : Proportion d'autochtones, d'allogènes et d'allochtones dans l'hévéaculture dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin

Cette situation est en partie le reflet de la politique menée par les promoteurs de programmes publics de vulgarisation de l’hévéaculture en milieu villageois. Afin de réduire les risques d’abandon liés aux conflits fonciers, ceux-ci avaient exigé des postulants la production d’un titre de détenteur de droit foncier. Cela a constitué un avantage certain pour les autochtones davantage en mesure de prouver leur droit de propriété sur les terres agricoles de leur village. De plus, compte tenu du fait que les complexes agro-industriels ont été installés sur des terres appartenant à des terroirs villageois, il fallait apaiser les relations avec ces populations en leur permettant de bénéficier des avantages de l’hévéaculture. Par ailleurs, les autochtones étaient plus avantagés parce que les projets publics retenaient prioritairement les localités faciles d’accès disposant de routes et de pistes en bon état au contraire des campements mal desservis où vivaient principalement les allochtones et allogènes (Ruf, 2009).

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A la fin des programmes publics, en 1994, et jusqu’au milieu de la décennie 2000, les autochtones ont conservé leur avance numérique sur les migrants parce que l’information a davantage circulé selon une proximité sociale et une autre géographique. En effet, l’information sur les techniques de culture et l’accès au matériel végétal ont principalement circulé entre autochtones au sein des villages et entre villages autochtones. Il faut noter que c’est à partir de 2002 que la filière hévéa à commencer à déployer ses encadreurs partout en vue d’une large diffusion des informations sur la culture. Après cette période, les mouvements d’adoption des migrants plus particulièrement des allochtones ont été freinés surtout dans la Nawa du fait du climat de tension qui régnait autour de la question foncière en relation avec la crise militaro-politique. Les revendications foncières des autochtones ont pris la forme d’une interdiction de pratiquer l’hévéaculture comme le fait observer cet autochtone de Brétihio dans le département de Gueyo :

« Actuellement, beaucoup de jeunes sont revenus au village à cause de la crise, ils ont besoin de terres pour planter l’hévéa. C’est pourquoi, nous n’acceptons pas que les étrangers remplacent les cacaoyers par l’hévéa. S’ils ont fini de faire le cacao là, ils n’ont qu’à nous remettre la terre. Quand, ils demandaient la terre à nos parents, ils ont dit qu’ils allaient planter le cacao. Est-ce que hévéa c’est du cacao ? » (entretien le 18 septembre 2014).

En fait, cette position est assez répandue dans la région de la Nawa. Elle est liée au fait que les populations autochtones ont le sentiment d’avoir été dépouillées de leurs terres par les étrangers. La crise militaro-politique survenue entre 2002 et 2011, sur fond de crise identitaire, a contribué à exacerber ce sentiment. Cette ambiance de conflit latent et de crainte de représailles a dissuadé certains migrants d’investir dans l’hévéaculture. Cependant, depuis la fin de la crise, de plus en plus de migrants adoptent la culture. C’est du moins ce que relève un planteur burkinabé rencontré à Gblétia (Région de la Nawa) :

« Avant, on avait peur de planter l’hévéa, quand tu plantes, les jeunes-là l’arrachent. Ça provoque des palabres et on peut même te chasser du village. On a été découragé et puis on a laissé tomber. Mais dans les campements loin des villages, il y a des planteurs qui ont planté en cachette. Depuis la fin de la guerre, tout le monde plante. Les jeunes ne veulent pas mais nous plantons quand même… » (entretien le 03 septembre 2014).

Avec la normalisation progressive du climat politique qui signifie pour les migrants une plus grande liberté de planter (Ruf, op. cit.), l’écart entre autochtones et migrants aura tendance à se réduire dans la Nawa. A l’inverse, les migrants sont moins nombreux dans l’économie de plantation dans l’Indénié- Djuablin. En effet, les autochtones Agni y ont été les principaux acteurs de l’explosion fulgurante de la cacaoculture, ce qui leur a permis de contrôler l’essentiel des ressources foncières. De plus, à l’image de toutes les régions marquées par le déclin de l’économie

161 cacaoyère entamé depuis la fin de la décennie 1970, l’Indénié-Djuablin a été le théâtre d’un important mouvement d’émigration agricole en particulier des allogènes et des allochtones en direction du sud-ouest du pays (Chauveau, op. cit.). Toutes ces raisons contribuent à expliquer, d’une part, la relative rareté des conflits fonciers dans l’Indénié-Djuablin et, d’autre part, la faible participation des migrants à la dynamique de l’hévéaculture.

6.1.2 Un métier masculin mais de plus en plus pratiqué par les femmes

Dans notre échantillon, en considérant les deux espaces étudiés, les femmes ne représentent que 12,70 % des 1000 acteurs enquêtés, avec des taux quasi identiques dans chacune des régions (13,55 % pour l’Indénié-Djuablin et 12,15 % pour la Nawa). Ainsi, comme dans les cultures pérennes traditionnelles (café et cacao), les hommes constituent les principaux acteurs puisqu’ils sont les principaux détenteurs du patrimoine foncier et de la force de travail domestique. Toutefois, la proportion de femmes est plus élevée dans l’hévéaculture que dans les autres cultures d’exportation. Au plan national, en 2015, elle était de 12% dans l’hévéaculture (APROMAC, 2016) pour seulement 5% dans la culture du couple café-cacao et 7% dans celle du palmier à huile (MINAGRI, 2016). Concernant l’économie cacaoyère et caféière, la sous-représentation des femmes peut être reliée au poids des traditions qui ont longtemps favorisé les discriminations de genre en matière d’accès au foncier, confinant les femmes au rôle d’épouses, de mères, de nourrices et de main-d’œuvre familiale (Koné et Ibo, op. cit.). De plus, elle tient au fait que les femmes n’étaient pas particulièrement attirées par la culture du couple café-cacao en raison de sa pénibilité. En effet, dans une cacaoyère ou une caféière, chaque année, en plus du désherbage à assurer à trois ou quatre reprises, il faut récolter les cabosses, en extraire les fèves, les faire fermenter et les sécher avant l’étape de la vente. Ces tâches sont particulièrement pénibles, mais elles commandent en plus une mobilisation quasi permanente du planteur même s’il dispose d’une main-d’œuvre, ce qui exclut de fait les femmes puisqu’elles doivent consacrer l’essentiel de leur temps à la gestion de la maisonnée. Au contraire, l’hévéaculture est perçue comme moins pénible et moins chronophage par les femmes comme l’atteste cette exploitante à Brétihio (région de la Nawa) :

« Avant, je faisais le vivrier seulement parce que le cacao-là, c’est trop difficile pour une femme et puis il n’y a pas de repos dedans. J’ai planté de l’hévéa parce que c’est plus facile. Quand ça commence à produire, il n’y a pas beaucoup de chose à faire. Je prends un saigneur pour récolter et puis quand les herbes poussent je nettoie moi-même deux à trois fois par an ou des fois je prends un manœuvre, ça me donne le temps de m’occuper de ma famille et de mon commerce » (entretien le 19 septembre 2014).

Ainsi, de plus en plus de femmes adoptent l’hévéaculture. Pour ce faire, certaines n’hésitent pas à revendiquer leur droit à l’héritage foncier, chose qu’elles n’osaient pas réclamer auparavant entre autres à cause du manque d’attractivité des cultures pérennes traditionnelles. En conséquence, les femmes chefs d’exploitation se retrouvent dans tous les départements des deux régions à l’étude (carte 19).

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Carte 19 : Proportion d'hommes et de femmes dans l'hévéaculture dans l'Indénié-Djuablin et la Nawa

Cependant, les proportions sont plus élevées dans les départements de Gueyo (20,48 %), Bettié (18,39 %) et Soubré (15,29 %). Il faut noter que les femmes actrices de l’hévéaculture proviennent tant du milieu rural que de l’urbain, même si la part des femmes rurales reste plus importante dans l’Indénié-Djuablin (71,7 %) comme dans la Nawa (68,92 %). Elles ont d’autant plus d’opportunités d’investir dans ce domaine que les citadines qu’elles résident en campagne. Qu’elles soient des villages ou des villes, les exploitantes enquêtées sont toutes de nationalité ivoirienne. Cela peut s’expliquer par le fait que celles-ci ont un accès relativement plus aisé au foncier que les femmes d’origine étrangère.

6.1.3 Vers un dualisme ruraux-urbains ?

La pratique de l’hévéaculture n’est pas réservée aux seules populations des campagnes. Ces dernières sont de plus en plus en concurrence avec celles qui vivent dans les villes. Ruf (2012) avait déjà mis en évidence le phénomène dans une étude portant sur la dynamique de la culture dans la zone de Gagnoa en Côte d’Ivoire et nos analyses montrent qu’il s’étend à presque toutes les zones d’implantation. Dans l’Indénié-Djuablin comme dans la Nawa, les populations urbaines forment à peu près le quart des planteurs enquêtés avec respectivement 23,79 % et 23,15 %. En se référant à la carte 20, on observe une assez bonne dispersion du phénomène à l’échelle des deux régions puisqu’on retrouve les planteurs urbains dans tous les départements.

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Carte 20: Répartition des planteurs d’hévéa de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa selon la situation résidentielle

Ces urbains qui invertissent dans l'agriculture bénéficient de plusieurs appellations dans la société ivoirienne. Ils sont tantôt désignés sous le vocable de planteurs du dimanche, de planteurs-citadins ou de citadins-planteurs ou encore, en suivant Affou (op. cit.), de planteurs absentéistes. Ce dernier qualificatif étant donné pour marquer la non-présence de ces acteurs sur les lieux de production. Tenus éloignés de leur plantation du fait de leur activité principale en ville, ils délèguent tout ou partie de leurs pouvoirs à des actifs agricoles. L’intérêt des urbains pour l’espace agricole n’est pas singulier à la Côte d’Ivoire. Au Cameroun on retrouve particulièrement les élites urbaines dans la culture du palmier à huile, de l’ananas et des cultures maraîchères (Elong, 2013). L’auteur lie ce phénomène à l’adoption des politiques agricoles accordant davantage de place au secteur privé suite au désengagement des Etats du secteur agricole, à la recherche d’une visibilité et d’un positionnement politique dans les villages après l’instauration du multipartisme, à des stratégies d’auto- approvisionnement en produits alimentaires et de diversification des sources de revenus, etc. En Côte d’Ivoire, l’avènement des planteurs absentéistes, particulièrement des cadres, dans l'agriculture de plantation est antérieur à leur engouement pour l'hévéaculture constaté ces dernières années. Il procède d'abord du fait que ceux-ci sont pour la plupart issus du milieu agricole, avec lequel ils gardent des liens assez forts. Toutefois, cet intérêt va être décuplé lorsqu’en 1965, lors du Ve congrès du PDCI-RDA, ex-parti-unique du pays, Houphouët- Boigny lança un appel de « retour à la terre » en direction des élites urbaines. Ce retour devait se traduire par la création de plantations de cacao et/ou de café par des ministres, des députés,

164 des hauts cadres de l’administration, etc. afin de donner l'exemple, contribuant ainsi à la modernisation de l'agriculture (Baudin, 1982 cité par Lapido, 1989). L’appel reçut un écho favorable puisqu’en 1970, le président de l’assemblée nationale recevait solennellement la distinction de premier planteur individuel de palmier à huile sélectionné, de cocotier ainsi que celle de premier producteur de bananes à l’export. Dans la continuité de l’appel au retour à la terre, les projets publics de vulgarisation de l’hévéaculture en milieu villageois donnent l’opportunité à de nombreux cadres de constituer des plantations de dimensions relativement importantes. De jeunes urbains déscolarises sont également intégrés auxdits projet afin de les fixer dans les villages. Au cours des années 1990, du fait de la chute des cours mondiaux du café et du cacao et de l’arrêt des projets publics de l’hévéaculture, le mouvement des cadres vers l’arboriculture commerciale s’essouffle, ce qui amène à penser que leur intérêt pour l’espace agricole tient essentiellement à des questions de rentabilité. Toutefois, au début de la décennie 2000, on constate un retour en force des cadres dans l’espace agricole via l’hévéaculture. Mais, en réalité, il s’agit d’une dynamique plus hétéroclite à laquelle prennent part diverses autres couches urbaines. On peut classer celles-ci en cinq catégories au regard de leur position dans la société. On distingue les cadres supérieurs (hauts gradés de l’armée, médecins, enseignants- chercheurs, diplomates, magistrats, hommes politiques, etc.) ; des fonctionnaires de classe moyenne (policiers, gendarmes, instituteurs, employés du secteur privé, infirmiers, etc.), des entrepreneurs du secteur des services (commerçants, transporteurs, restaurateurs, etc.), ainsi que des entrepreneurs du secteur de l’artisanat (menuisiers, mécaniciens, couturiers, etc.) et des retraités du privé et du public (carte 21). Parmi ces planteurs absentéistes, les cadres supérieurs viennent en tête avec 48,39 % dans l’Indénié-Djuablin et 40,02 % dans la Nawa. Mais, leur taux va bien au-delà de ces moyennes régionales dans les départements d’Abengourou (65,12 %) et de Soubré (51,94 %). Dans le premier département, les enquêtes montrent que les cadres y ont un accès plus aisé au foncier. En effet, y subsistent encore de nombreux pans de forêts secondaires reconstitués à la faveur du déclin de l’économie cacaoyère du milieu des années 1980. Ce qui rend possible la création de grandes parcelles d’un seul tenant comme l’affectionnent le plus souvent les cadres. Dans le second, la prédominance des cadres se situe dans la continuité de l’action pionnière de deux figures de proue de l’hévéaculture dans ce département : Zadi Keshi Marcel et Charles Boza Donwahi.

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Carte 21 : Distribution des planteurs urbains dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa en fonction de l’activité pratiquée au moment de l’adoption de l’hévéaculture

A l’inverse, dans le département de Méagui prédominent les travailleurs du secteur des services. Ce sont surtout des personnes dont une partie des activités est orientée vers le négoce et le transport du café-cacao. A la faveur de la crise militaro-politique, plusieurs d’entre-deux ont racheté des cacaoyères appartenant à des migrants burkinabés en instance de retour dans leur pays pour y installer des plantations d’hévéa. Comme les planteurs urbains, les planteurs ruraux ou encore planteurs villageois sont constitués d’une diversité de professions agricoles. En tenant compte de l’activité exercée par le planteur au moment de l’adoption de l’hévéaculture, on distingue des planteurs de caféiers et/ou de cacaoyers, des producteurs vivriers, des employés agricoles, des planteurs de palmier à huile et des néo-ruraux constitués de retraités et jeunes déscolarisés des villes revenus s’installer dans leur village d’origine pour qui l’hévéaculture constitue la première véritable expérience dans le domaine agricole. Selon la carte 22, les producteurs de café-cacao fournissent le plus gros contingent des planteurs villageois d'hévéa de l’Indénié-Djuablin avec 74,16 % des adoptants. Le constat est similaire dans la Nawa puisque cette même catégorie d'acteurs forme 77,56 % des ruraux qui ont planté l'hévéa. Les planteurs de caféiers et de cacaoyers disposent d’un patrimoine foncier qui leur a permis de saisir plus rapidement l’opportunité que les autres ruraux. De plus, ils bénéficient de

166 sources de revenus relativement plus stables leur permettant d’investir plus facilement que les autres composantes rurales. Loin derrière cette catégorie de planteurs se trouvent les producteurs vivriers avec 7,05 % dans l’Indénié-Djuablin et 5,77 % dans la Nawa. La faible proportion des producteurs vivriers dans la dynamique d’adoption est certainement en lien avec leur condition sociale généralement modeste et leur situation foncière précaire.

Carte 22 : Distribution des planteurs villageois dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa en fonction de l’activité pratiquée au moment de l’adoption de l’hévéaculture

Au niveau départemental, c’est à Méagui qu’on observe la plus forte présence de planteurs de cacaoyers parmi les planteurs d’hévéa (88,46 %). Dans ce département, qui est la première zone cacaoyère du pays, l’adoption massive de l’hévéaculture relève d’une stratégie de diversification des sources de revenus. Par ailleurs, dans le département de Bettié, 21,58 % des adoptants n’exerçaient pas une activité agricole avant l’hévéaculture. Ce sont des néo-ruraux composés de jeunes et de personnes retraitées pour lesquels la pratique de l’hévéaculture a constitué, à un moment donné, un motif de retour à la terre et d’installation en milieu rural dans le village d’origine.

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6.1.4 Vers un rajeunissement des chefs d’exploitation ?

De nombreux jeunes participent à la dynamique de développement de l’hévéaculture en qualité de chefs d’exploitation aux côtés des catégories plus âgées dans les deux espaces étudiés. Ils ont un âge compris entre 19 et 35 ans. Il convient de préciser que la notion de « jeunes » ici ne se limite pas à un critère d’âge. Au-delà, comme l’indique Montaz (2015), être jeune signifie être sous la coupe des aînés dans les rapports sociaux et être tenu à l’écart de l’autorité. Autrement dit, la notion de jeunesse renvoie ici à une catégorie sociale particulière dont les membres sont pris dans les relations de parenté, dans des rapports de pouvoir et de dépendance, dans des situations matérielles et symboliques particulières. Dans notre échantillon, les exploitants appartenant à la catégorie sociale des jeunes représentent 22,50 % des planteurs enquêtés. Dans la Nawa, ils atteignent près du quart (24,30%) des enquêtés soit 148 sur 609. Dans l’Indénié-Djuablin, 77 planteurs sur 391 (19,69%). En revanche, dans les départements de Soubré et de Méagui (83,78 %), dans le département Bettié (48,05 %) et secondairement dans celui d’Abengourou avec 32,47 % (tableau 11). On retrouve beaucoup de jeunes chefs d’exploitation dans les départements de Soubré et de Bettié par effet de mimétisme. Dans ces deux départements pionniers de l’hévéaculture, les jeunes ont été attirés par ladite culture après avoir perçu ses avantages à travers la réussite de leurs aînés et d’autres jeunes.

Tableau 11 : Répartition des planteurs de moins de 35 ans dans la Nawa et l’Indénié- Djuablin

Régions Départements Effectifs de Pourcentage planteurs de moins de 35 ans (%) Soubré 79 53,38 Méagui 45 30,40 Nawa Gueyo 17 11,49 Buyo 7 4,73 Total région de la Nawa 148 100 Abengourou 25 32,47 Agnibilékro 15 19,48 Indénié-Djuablin Bettié 37 48,05 Total région de l’Indénié-Djuablin 77 100 Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Même si la proportion de jeunes dans l’hévéaculture reste, dans l’ensemble, encore modeste, le niveau déjà atteint constitue une évolution par rapport à ce qui avait cours dans l’économie cacaoyère. En effet, les jeunes comme les femmes étaient rarement chefs d’exploitation, ils faisaient partie des exclus de l’économie cacaoyère et caféière (Ruf, 1995 ; Chaléard, op. cit ; Tujague-Gibourg, op.cit.). L’environnement socio-culturel de la production fortement hiérarchisé et très gérontocratique, donnait la priorité à l’aîné dans la gestion de l’exploitation

168 familiale. Dans certains cas, c’est au moment du mariage que les plus jeunes pouvaient prétendre à une exploitation indépendante. Par ailleurs, la faible représentativité des jeunes dans l’économie de plantation était liée à la stratégie de scolarisation et d’insertion urbaine adoptée par les planteurs, en particulier les autochtones (Chaléard, ibidem ; Vimard, 1991). En effet, en majorité, ceux-ci envoyaient leurs enfants à la ville afin d’y poursuivre des études avec l’espoir qu’ils accèdent à un emploi salarié après l’obtention d’un diplôme. Ces jeunes préféraient résider en ville même après un échec scolaire plutôt que de revenir au village pour pratiquer l’agriculture. Parallèlement, les villes exerçaient une certaine attractivité sur les jeunes ruraux. Ils choisissaient d’y migrer dans l’espoir d’améliorer leur condition de vie à travers l’obtention d’un emploi salarié. Ainsi, la période du boom cacaoyer entre le milieu des années 1970 et celui des années 1980, a été particulièrement marquée par un exode rural massif, en particulier des jeunes au point de susciter la mise en œuvre de politique de lutte contre ce fléau. Cette émigration rurale était d’autant plus forte que les jeunes étaient peu attirés par les travaux agricoles, notamment la cacaoculture et la caféiculture, qui étaient jugés pénibles. Au milieu des années 1980, comme le notent Affou (1985) et Brou et Charbit (1994), de nombreux programmes de retour à la terre ont été initiés par l’Etat ivoirien pour intéresser la jeunesse à l’agriculture. Ils proposaient aux jeunes de rejoindre le milieu rural pour prendre en charge des exploitations modernes, clefs en main, après une période de formation. Mais, ces programmes se sont soldés par des échecs parce que les jeunes ont abandonné les exploitations pour repartir vers le milieu urbain. Depuis le milieu de la décennie 1990 cependant, on assiste à un retour progressif des jeunes urbains vers les campagnes. Selon Adjamagbo (op. cit.), ce mouvement s’expliquerait par la diminution des opportunités d’emploi dans le secteur tertiaire de l’économie moderne suite à l’effondrement des cours mondiaux des principales productions d’exportation du pays. Ce mouvement migratoire s’est accentué au cours des années 2000 suite à la dégradation de la situation économique dans les villes due la crise militaro-politique de 2002-2011. Si dans les années 1990, les jeunes assuraient leur retour au village à travers des activités comme l’agriculture vivrière, l’artisanat, le commerce et l’élevage moderne (Beauchemin, 2002), depuis le début de la décennie 2000 en revanche, leur insertion se fait également par le biais de l’hévéaculture. Désormais cette activité est perçue, d’une part, comme moins pénible et moins chronophage que les cultures pérennes traditionnelles (café et cacao) et, d’autre part, procure mensuellement des gains dès l’entrée en production au contraire du couple café-cacao qui ne donne lieu qu’à deux périodes de vente, d’importance inégale, dans l’année. Si les jeunes sont de plus en plus nombreux à s’orienter vers l’hévéaculture, il n’en reste pas moins qu’ils ne poursuivent pas toujours les mêmes objectifs en adoptant cette spéculation. Certains espèrent réussir leur vie économique et sociale en qualité de planteurs en prenant appui sur l’hévéaculture quand d’autres considèrent son adoption comme une solution provisoire. Dans ce dernier cas, elle est conçue comme un moyen d’accumuler de la richesse en vue d’un nouveau départ vers la ville. Les trajectoires de deux jeunes chefs d’exploitation à Brétihio et à Affalikro permettent de bien appréhender les différents objectifs poursuivis par les jeunes à travers l’adoption de l’hévéaculture.

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Nestor est un jeune Godié né en 1988 à Brétihio, un village du département de Gueyo dans la région de la Nawa. Il est l’aîné et l’unique garçon d’une fratrie de quatre enfants. Il a 27 ans au moment de l’entretien en 2015. A six ans, son père qui est planteur de cacao, le confie à son oncle alors instituteur dans la capitale économique Abidjan. Nestor connaît une scolarité normale jusqu’en classe de 3e puisqu’il obtient son Brevet d’étude de premier cycle (BEPC) et est admis à poursuivre des études en classe de 2nde. En première, son oncle décède subitement, le laissant sans soutien véritable. Il ne peut compter sur l’aide de son père resté au village car celui-ci ne dispose que d’une vieille cacaoyère de 8 hectares. Mal entretenue, elle ne lui rapporte pas grand-chose. Malgré toutes les difficultés, Nestor parvient à passer en classe supérieure. Cependant, en terminale, ses conditions de vie se dégradent de sorte que certaines fois, il lui manque jusqu’au minimum vital. En conséquence, ses résultats scolaires se dégradent et c’est tout naturellement qu’il échoue à son examen de fin cycle. Il est admis à reprendre sa classe mais préfère chercher un emploi afin de pouvoir se prendre en charge. En 2007, alors qu’il n’a que 19 ans, il obtient son premier emploi dans une usine située dans la zone industrielle de Yopougon. Ce travail lui permet de pourvoir à ses besoins, de venir en aide de temps en temps à sa famille et même de réaliser une petite épargne. Mais, en 2011, son entreprise ferme à cause du conflit armé qui éclate à Abidjan après les élections présidentielles de la fin de l’année 2010. Nestor retourne dans son village d’origine. Une fois sur place, son attention est attirée par la dynamique de création des plantations d’hévéa. Il observe que des jeunes de sa génération ont créé les leurs. Quelques-uns parmi eux qui ont des plantations en production ont acheté des motos, construit leur maison dans le village, etc. C’est ainsi qu’il se décide de tenter l’expérience. Pour ce faire, son père lui cède 6 hectares de sa vieille plantation. Entre 2012 et 2015, il en emblave quatre d’hévéas avec le peu d’économie qu’il a ramené de la ville complété par les revenus tirés des cultures vivrières, en particulier le manioc qu’il pratique. En dépit de tout son enthousiasme dans le travail, Nestor ne compte pas passer le reste de sa vie dans l’agriculture et au village. A partir des gains tirés de l’hévéaculture, il espère mettre à profit son expérience urbaine pour se lancer, plus tard, dans le commerce et la restauration en ville. (entretien le 19 septembre 2015).

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Jean-Pierre est un jeune Agni de Affalikro près d’Abengourou, âgé de 31 ans au moment de l’entretien en 2015. Il est le troisième enfant d’une fratrie de sept enfants. A 7 ans, comme tous ses frères et sœurs, Jean-Pierre est scolarisé dans l’école primaire du village. Il échoue par deux fois à son examen d’entrée en 6e et n’est pas autorisé à reprendre le CM2 une troisième fois. Toutefois, en 1998, son père l’inscrit dans un collège privé à Abengourou. Ses performances au collège ne sont franchement pas bonnes, puisqu’il reprend sa classe de 5e et échoue par la suite à son examen de fin de cycle. En 2003, suite à cet échec, son père lui demande de revenir auprès de lui afin de l’épauler dans la gestion de son exploitation. De retour au village, il aide son père dans les travaux d’entretien de sa cacaoyère de 10 hectares et cultive parallèlement du vivrier pour l’autoconsommation et pour se faire un peu d’argent. En 2005, jugeant les travaux dans les champs trop pénibles et peu rentables, il décide de rejoindre son ami dans la capitale économique Abidjan. Entre 2006 et 2007, il travaille comme docker en zone portuaire. A l’aide des économies qu’il réalise, il passe son permis de conduire en 2008 et obtient un emploi de chauffeur dans le secteur des transports urbains. En 2010, il abandonne cet emploi et retourne précipitamment au village au chevet de son père alors gravement malade. En 2011, sur insistance de son père, sorti très affaibli de la maladie, Jean-Pierre accepte de prendre en charge l’exploitation paternelle. Il commence par convertir progressivement la vieille cacaoyère devenue improductive en plantation d’hévéa. Pour financer ce processus qu’il a prévu d’étaler sur six années, il cultive du manioc en culture pure sur une partie des sept hectares de jachère du père. Parallèlement, il plante 1,5 hectare de ce lopin de terre de la nouvelle variété de cacaoyers ou « cacao Mercédès ». Comme celle-ci entre en production au bout de la troisième année, les revenus qu’elle génère contribuent au financement de l’extension de la plantation d’hévéa. Il ne plante pas davantage de surface de cacaoyers en raison de la contrainte de main-d’œuvre quasi permanente liée à cette culture. Jean-Pierre envisage de terminer la mise en valeur de l’exploitation avant ses quarante ans. Il ne veut pas passer toute sa vie au village et consacrer tout son temps à l’agriculture. Il espère repartir s’installer à Abidjan, où il souhaite investir les revenus tirés de l’hévéaculture dans le secteur des transports. Pour ce faire, en temps opportun, il prévoit de placer quelqu’un sur l’exploitation et revenir souvent au village pour s’assurer de sa bonne gestion. (entretien le 15 août 2015).

A l’image de Nestor et Jean-Pierre, les jeunes chefs d’exploitation de notre échantillon sont presqu’exclusivement de nationalité ivoirienne. Les Ivoiriens représentent en effet 96 % de cette catégorie d’acteurs dans l’Indénié-Djuablin et 91 % dans la Nawa. On dénombre parmi eux beaucoup de déscolarisés qui regagnent leur village d’origine après une expérience urbaine généralement peu concluante. Pour ces derniers, l’adoption de l’hévéaculture s’inscrit le plus souvent dans le cadre de la recherche d’un capital d’investissement dans une activité lucrative en milieu urbain. Même si leur présence contribue au rajeunissement des populations des planteurs d’hévéa, il reste que les différents projets affichés par une majorité de jeunes chefs d’exploitation enquêtés posent la question de la relève paysanne.

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En définitive, l’étude des caractéristiques sociodémographiques des planteurs d’hévéa contribue à mettre en évidence l’avènement dans l’hévéaculture de catégories sociales traditionnellement en marge de l’économie de plantation à l’image des urbains, en particulier les cadres, mais aussi des jeunes et des femmes. Ce processus participe à la recomposition de la population agricole traditionnellement à l’œuvre dans l’économie de plantation. Toutefois, il faut noter que la majorité des adoptants conservent leur activité professionnelle initiale après l’adoption de l’hévéaculture. En effet, 88 % des ruraux enquêtés déclarent avoir conservé leur activité initiale contre 93 % d’urbains. Ainsi, le processus de recomposition que sous-tend l’hévéaculture repose une logique de diversification de sources de revenus plutôt que de reconversion professionnelle. Par ailleurs, elle rend compte de la forte diversité de profils des acteurs présents.

6.2 Typologie des exploitants à l’œuvre dans l’hévéaculture

Partitions conçues pour décrire la diversité au sein d’une population donnée et pour en rendre compte, les typologies sont avant tout une méthode de simplification de la réalité permettant de passer d’une multiplicité de cas individuels à un nombre réduit de cas (Dobremez et Bousset, 1996). Toutefois, comme le disent Brossier et Petit (1977), il n’est pas possible de construire une typologie objective, scientifique, utilisable dans n’importe quel but. Nombreux et complexes, les critères qui président à la construction des typologies dépendent des objectifs sous-jacents visés par le chercheur et des variables disponibles. Dans le cas de cette étude, en croisant des variables tenant à la taille des exploitations, aux caractéristiques sociodémographiques, au type de main-d’œuvre utilisée, etc. et en utilisant la méthode de classification ascendante hiérarchique dont l’objet est de repérer des profils de réponses similaires dans un échantillon, on a pu classer les planteurs enquêtés en différentes catégories : les très petits exploitants, les petits exploitants, les exploitants moyens, les grands producteurs et les très grands producteurs.

6.2.1 Les très petits exploitants

Les très petits exploitants cultivent de petites superficies dont la taille est comprise entre 0,75 are et 2 hectares. Ils représentent 14,8 % de l’ensemble des enquêtés soit 148 planteurs. Ils sont au nombre de 95 dans la Nawa et de 53 dans l’Indénié-Djuablin. Les petits exploitants sont majoritairement des femmes. En effet, elles représentent 68,24 % de ce groupe soit 101 pour 47 hommes. Ce sont à l’origine surtout des productrices de vivrier et secondairement des femmes au foyer. Les hommes de cette catégorie sont des employés agricoles ou des producteurs de vivrier. On retrouve une forte proportion de femmes parmi les très petits exploitants parce que, faute de moyens financiers notoires, elles ne peuvent acquérir de surfaces arables plus importantes. Elles accèdent au foncier principalement par don et par héritage. Or, elles doivent faire face à la concurrence des hommes en ce qui concerne ce mode d’accès. Compte tenu du manque de ressources financières, les très petits exploitants travaillent généralement seuls sur leur exploitation. Toutefois, la petite taille de la plantation permet son

172 entretien plus ou moins correct. Pour des raisons toujours liées au manque de moyens financiers, ils n’utilisent quasiment pas d’engrais.

6.2.2 Les petits exploitants

Cette catégorie de planteurs possède des plantations variant de plus de 2 hectares à 5 hectares. Elle se compose de 179 planteurs soit 17,9 % des enquêtés dont 104 dans l’Indénié-Djuablin et 75 dans la Nawa. Dans ce groupe, les jeunes de moins de 35 ans sont majoritaires, ils sont 135 sur l’ensemble des 179 petits exploitants de l’échantillon. Ce sont surtout des hommes, des ruraux pour une part qui secondaient leurs parents dans les plantations de cacaoyers avant de créer leur plantation d’hévéa, et de jeunes urbains de retour dans leur village d’origine pour la pratique de l’hévéaculture d’autre part. Ce dernier cas de figure se retrouve beaucoup plus dans la région de la Nawa. Les petits exploitants accèdent principalement à la terre arable par don et par héritage. Les surfaces détenues sont relativement plus grandes que celles des très petits exploitants, majoritairement constitués de femmes, rappelons-le, parce que les familles préfèrent céder les parts les plus importantes du patrimoine foncier aux jeunes hommes dans l’espoir de les sédentariser et de bénéficier de leur aide au niveau de la gestion de l’exploitation de la cellule familiale. Les petits exploitants assurent eux-mêmes l’essentiel des travaux de création, d’entretien et d’exploitation de leur plantation parce qu’ils sont encore plein de vigueur mais aussi parce qu’ils ont, pour la plupart, suivi des formations qui leur permettent de maîtriser l’itinéraire technique. Ils comblent éventuellement leur déficit en main-d’œuvre en mobilisant des travailleurs à la tâche. Les petits exploitants financent leur exploitation à l’aide des revenus tirés de la culture du manioc et/ou en offrant leurs services aux autres planteurs en tant que saigneurs. Du fait de la modicité de leurs moyens financiers, l’usage d’intrants chimiques est quasiment nul.

6.2.3 Les exploitants moyens

Cette catégorie regroupe les planteurs dont les plantations ont des superficies de plus de 5 hectares pouvant s’étendre sur 10 hectares. Ces exploitants moyens représentent 51,3 % de l’ensemble des planteurs enquêtés. Dans l’Indénié-Djuablin, ce sont 153 planteurs sur 309, soit 39,13 %, qui appartiennent à ce groupe tandis que dans la Nawa on en dénombre 360 sur 609, soit 59,11 %. La catégorie des exploitants moyens est principalement composée de planteurs de cacaoyers et de caféiers (78,16 %) et secondairement de planteurs urbains (21,84 %) parmi lesquels des fonctionnaires moyens, des artisans, des travailleurs du secteur des services, etc. Ces acteurs, d’une moyenne d’âge de 48 ans, sont engagés dans une logique de diversification des sources de revenus à travers l’adoption de l’hévéaculture. Dans ce groupe, on dénombre seulement 1,75% de femmes. Leur faible proportion est liée à la faiblesse de leurs moyens financiers. Or, la mise en place d’une exploitation moyenne

173 requiert un capital d’investissement plus ou moins important. Les femmes concernées par cette catégorie sont des citadines ayant un emploi salarié ou exerçant dans le commerce. Les exploitants moyens accèdent à la terre arable principalement par héritage, don ou encore par achat. Les deux premiers modes d’accès concernent surtout les acteurs ruraux (planteurs de cacao et de café). Ces terres ont d’abord servi, au sein des familles, à la culture du couple café-cacao ou sont restées en jachère avant d’être affectées à l’hévéaculture. Il convient de noter que les planteurs ruraux sont, le plus souvent, installés dans leur village d’origine, ce qui facilite l’accès au patrimoine foncier familial par don et par héritage au contraire des planteurs urbains. Ces derniers accèdent au foncier surtout par achat. La force de travail mobilisée provient de la cellule familiale complétée par des travailleurs à la tâche en ce qui concerne les planteurs de cacaoyers et de caféiers. Quant aux planteurs absentéistes, ils font appel à des travailleurs permanents. Il s’agit de travailleurs rémunérés à l’année ou au mois. Le financement des exploitations repose sur l’activité exercée par l’exploitant moyen au moment de l’adoption c’est-à-dire les revenus tirés de la vente du cacao et du café pour les ruraux et l’emploi salarié pour les urbains. L’usage d’intrants chimiques reste moyennement répandu pour cette classe d’exploitants.

6.2.4 Les grands exploitants

Les grands exploitants sont ceux qui disposent de plantations de plus de 10 hectares pouvant atteindre jusqu’à 20 hectares. Ils sont minoritaires représentant seulement 7,3 % des planteurs de notre panel, soit 73 exploitants repartis dans l’Indénié-Djuablin (30) et la Nawa (43). Les grands exploitants sont principalement recrutés parmi les planteurs de cacaoyers et de caféiers (53,42 %) puis des cadres de l’administration publique et privée (38,35 %) que complètent des fonctionnaires moyens et des travailleurs urbains du secteur des services. Ces acteurs sont surtout engagés dans une logique d’accumulation de richesses puisqu’ils sont à l’origine des grands planteurs de cacaoyers et de caféiers et des cadres ayant une certaine assise financière. Ils ont une moyenne d’âge de 54 ans et ne comptent parmi eux que deux femmes. Les terres agricoles mises en valeur par les planteurs ruraux de cette catégorie d’exploitants ont été le plus souvent obtenues par héritage mais aussi par don. En revanche, chez les planteurs urbains l’accès au foncier agricole s’est fait via l’achat et le contrat de partage. Les grands exploitants mobilisent une force de travail composée essentiellement de travailleurs permanents payés annuellement ou mensuellement. Ils disposent de moyens financiers considérables leur permettant de faire face à l’engagement de ce type de main- d’œuvre dès l’entame de l’activité. Le financement des exploitations provient avant tout, de l’épargne personnelle réalisée à partir de l’activité antérieure à la pratique de l’hévéaculture, et quelques-uns ont recours au crédit bancaire. Une majorité de grands exploitants applique rigoureusement l’itinéraire technique recommandé par les encadreurs dans le but d’obtenir de bons rendements et, ainsi, d’optimiser l’investissement. De fait, l’utilisation des intrants chimiques est plus fréquente chez eux.

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6.2.5 Les très grands exploitants

Cette catégorie d’exploitants possède des exploitations de plus de 20 hectares jusqu’à 200 hectares. Elle compte 87 exploitants, soit 8,7 % des planteurs enquêtés. On en dénombre 51 dans l’Indénié-Djuablin et 36 dans la Nawa (respectivement 13,04 % et 5,91 %). Les très grands exploitants sont surtout des cadres supérieurs de l’administration publique et privée (80,46 %) ainsi que des producteurs de café-cacao (17,24 %) et des entrepreneurs du secteur artisanal urbain (2,30 %). Cette catégorie de planteurs, tout comme celle des grands planteurs, se trouve dans une logique d’accumulation de richesses. Les très grands exploitants qui résident en milieu rural sont des pionniers de l’hévéaculture ou des chefs de communauté ou de village à l’image de celui d’Affalikro qui possèdent plus d’une trentaine d’hectares. La moyenne d’âge des très grands exploitants est de 58 ans. A cela s’ajoute le fait qu’ils sont tous de sexe masculin. Leur mode d’accès au foncier repose sur l’héritage, l’achat et le contrat de partage. Mais, il faut noter que les acteurs urbains y accèdent beaucoup plus par achat et par contrat de partage que les ruraux. Les grands planteurs ont un pouvoir d’achat suffisamment élevé leur permettant d’assurer l’entretien correct de leurs exploitations, notamment à travers l’usage d’engrais, d’herbicides et d’insecticides et la mobilisation de salariés permanents comme les mensuels et les annuels. En plus de ces travailleurs, afin de parvenir à une gestion optimale de l’exploitation, certains grands exploitants, en particulier les urbains, s’attachent les services d’un régisseur. Les grands planteurs combinent autofinancement et crédit bancaire comme mode de financement de l’exploitation mais avec une prédominance pour le premier mode eu égard à leur pouvoir d’achat globalement plus élevé que celui des autres catégories d’exploitants. En définitive, les planteurs enquêtés peuvent être regroupés en cinq catégories en combinant leurs caractéristiques sociodémographiques et celles de leurs exploitations. Au-delà de cette classification, la question se pose de savoir ce qui pousse les uns et les autres à adopter l’hévéaculture.

6.3 Les déterminants de l’adoption de l’hévéaculture dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa

Après avoir été pratiquée quasi exclusivement pendant près de deux décennies par quelques habitants des localités pionnières de Bettié et de Mayo et Yacoli-Dabouo respectivement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, le nombre de planteurs d’hévéa a beaucoup progressé depuis 2000. Des adoptants sont apparus quasi simultanément dans presque toutes les localités des deux régions. Plusieurs facteurs ont joué un rôle moteur dans cette dynamique d’adoption et de propagation de l’hévéaculture. Ce sont notamment les facteurs locaux, les facteurs externes et les avantages relatifs de l’hévéaculture.

6.3.1 Les facteurs locaux explicatifs de l’adoption de l’hévéaculture

L’adoption de l’hévéaculture s’inscrit dans le cadre de la recherche par les populations de solutions face à la conjoncture locale à laquelle elles sont confrontées depuis quelques années. 175

Ces facteurs locaux qui sous-tendent l’afflux des populations vers l’hévéaculture reposent sur la dégradation des facteurs naturels de production, les crises cacaoyères et l’action des encadreurs agricoles.

6.3.1.1 La dégradation des facteurs naturels de production

Comme le notent Thibaud et François (2010, p.6) : « en tant que mode de structuration et d’utilisation de l’espace et des ressources, les systèmes de production apparaissent comme étant les plus exposés aux changements environnementaux mais sont également l’un des principaux agents de ces changements ». Dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, comme d’ailleurs dans tout le sud forestier ivoirien, la dégradation des composantes de l’environnement (forêt, pluie, sol, etc.) entamée depuis plus de trois décennies favorise l’adoption de l’hévéaculture. Caractérisé par une végétation de forêt dense, le milieu naturel originel de ces deux régions fait l’objet depuis l’ère coloniale d’une intense exploitation à travers l’introduction de l’arboriculture commerciale et du commerce du bois. Cette dynamique va s’accentuer à partir de 1960 en raison du choix de la Côte d’Ivoire indépendante de faire de l’activité agricole l’axe majeur pour son développement économique et social. Il s’ensuit un vaste mouvement de colonisation foncière, principalement animée par des migrants venus des savanes ivoiriennes et des pays limitrophes. La mise en culture des espaces forestiers se fait de façon anarchique, sur la base de méthodes de cultures extensives sur brûlis où les performances économiques reposent sur une extension des superficies cultivées et non sur une recherche d’augmentation des rendements. Ces pratiques culturales permettent malgré tout à la Côte d’Ivoire d’atteindre des performances agro-économiques inégalées en Afrique au sud du Sahara en occupant notamment, depuis le milieu des années 1970, le 1er rang mondial des producteurs de cacao. Toutefois, elles conduisent à la disparition rapide du couvert forestier dans les régions pionnières d’agriculture de plantation du sud-est du pays à la fin de cette même décennie. Les migrations agricoles s’orientent alors d’abord vers le centre-sud puis vers l’ouest et le sud-ouest, entraînant l’épuisement des dernières réserves forestières du pays. Ainsi, est-on passé entre 1960 et 1999 de 12 millions d’hectares de forêt à moins d’1,5 million (Brou et al. 2005). Sur le plan agro-économique, la disparition de l’écosystème forestier entraîne un blocage de nature structurelle du système agricole ivoirien. En effet, comme le mentionnent Léonard et Ostwald (1996), l’épuisement des réserves forestières ne permet plus la reproduction de la société agraire par propagation des fronts pionniers. Autrement dit, cette situation réduit considérablement les possibilités de pratiquer l’agriculture de plantation basée notamment sur la culture du couple café-cacao. Certains paysans rencontrés évoquent cette contrainte pour justifier l’adoption de l’hévéaculture. C’est le cas de ce producteur rencontré à Kablankro dans l’Indénié-Djuablin :

« Quand tu plantes le cacao dans une jachère, tu travailles pour rien. En 1995, je suis revenu au village et j’ai replanté la vieille plantation de cacaoyers de mon père. Mais, beaucoup de cacaoyers sont morts avant même d’entrer en production, les autres ont produit de très petites cabosses. En 2002, quand l’hévéa est arrivé ici, j’ai essayé sur la même parcelle et ça a marché » (entretien le 16 août 2014).

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Selon Brou et al. (ibidem), l’épuisement des réserves foncières consécutif aux mobilités spatiales des populations agricoles a pour conséquence la déstructuration du régime climatique. Ainsi que l’explique Otterman (1974) cité par Leroux (1995), la disparition de la forêt augmente la réflexivité de la surface du sol. Ces variations du rayonnement solaire impactent le climat d’une région en ce sens qu’elles se traduisent par l’augmentation continue et accélérée du gaz carbonique, suivie de la modification des flux d’évapotranspiration. Les modifications climatiques constatées sont caractérisées, entre autres, par une baisse des totaux pluviométriques de près de 25 % depuis les années 1970 (Brou et Chaléard, 2007). En effet, il existe une différence notable entre les quantités d’eau précipitées annuellement avant et après la décennie 1970 (carte 23). Sur la période qui couvre 1950-1969, le niveau des précipitations annuelles est nettement supérieur à 1 000 mm sur l’ensemble du territoire. Mis à part le quart nord-est, ce niveau de pluie excède 1 200 mm dépassant même 1 400 mm dans tout le sud forestier et les secteurs montagneux de l’ouest. En contraste, après les années 1970, la plupart des stations enregistre des volumes de précipitations plus faibles que par le passé. Alors qu’elles ne concernaient que la zone du quart nord-est, la zone de pluviométrie inférieure à 1 200 mm s’étend désormais au centre-sud (à la latitude de Tiassalé) et le centre-ouest (incluant les stations de Bouaflé, Daloa et Séguéla). Les modifications de l’environnement se traduisent également par une dégradation du contexte climatique.

Carte 23: Quantité pluviométrique moyenne annuelle avant et après la décennie 1970 Avant la décennie 1970 Après la décennie 1970

Cette diminution du niveau de pluie concerne également les stations du sud du pays, notamment une partie sud-ouest à la limite de Soubré et de Gagnoa proche de la région de la Nawa. Dans ces stations qui comptaient parmi les plus pluvieuses, les quantités d’eau ne 177 dépassent plus 1 400 mm. En ce qui concerne les stations du sud-est, autour d’Abengourou dans l’Indénié-Djuablin, les niveaux de pluie sont tombés en dessous de 1 200 mm après les années 1970. Au contraire des autres secteurs, seul l’extrême sud-ouest du pays, qui reste la partie la plus arrosée, n’a pas enregistré de baisse significative de la pluviométrie. Les niveaux de précipitations sont demeurés supérieurs à 2 400 mm. La variabilité climatique constitue une contrainte supplémentaire pour la paysannerie en ce sens qu’elle modifie le calendrier agricole et limite l’éventail des plantes cultivées. Le contexte agricole est ici celui d’une agriculture essentiellement pluviale où les saisons agricoles sont déterminées par les quantités des précipitations. C’est ce qui fait dire à Chaléard (op. cit.) que la pluviométrie constitue le facteur le plus limitant pour l’agriculture. La déforestation et la baisse de la pluviométrie se sont accompagnées de la dégradation des ressources pédologiques. De fait, comme le notent Brou et al., (op. cit.), la réduction du couvert végétal favorise l’érosion des sols les exposant à l’ensoleillement, ce qui limite leur humidité dans un contexte marqué par des conditions hydriques défavorables. Il convient de signaler que la baisse de fertilité des sols est un phénomène lié à leur surexploitation consécutive à la réduction du temps de jachère. Dans tous les cas, pour une paysannerie n’utilisant pas ou peu d’intrants, la raréfaction de bons sols concourt à la baisse des rendements et au recul de certaines spéculations. A cet égard, comme le note Brou (2009), le passage de la culture extensive à la culture intensive apparaît comme la seule voie pour maintenir le potentiel de production agricole du pays. Même si l’impact du développement de l’hévéaculture sur le sol et les services écosystémiques associés restent encore peu étudiés (IRD, 2013), force est de constater que la dynamique hévéicole contribue à la reconstitution du couvert forestier dans certaines zones, ce qui peut avoir un impact positif sur le climat, du moins à une échelle locale. En effet, Diby et al., (2017) montrent que dans le département d’Aboisso au sud-est de la Côte d’Ivoire, les hauteurs de pluies ont progressé au fil du développement de l’hévéaculture. En effet, alors qu’elles se situaient entre 1 100 et 1 200 mm dans les premières années de la culture entre 1983 et 2000, les hauteurs de pluie ont oscillé entre 1 200 et 1 400 mm entre 2000 et 2004 concomitamment à l’essor prodigieux de cette culture. Outre la dégradation des conditions naturelles de production, l’essor de l’hévéaculture s’explique aussi par la récurrence des crises cacaoyères.

6.3.1.2 Les crises cacaoyères

Les crises cacaoyères qui favorisent l’adoption de l’hévéaculture recouvrent plusieurs dimensions. Elles concernent avant tout le processus naturel du vieillissement du verger et la difficulté de replantation des cacaoyers. Dans l’Indénié-Djuablin, la diffusion de l’économie de plantation débute à partir de 1918 avec la création des premières plantations de cacao et de café (Boutillier, op. cit.). Le processus prend de l’ampleur à l’indépendance en 1960 et connaît un point de blocage à la fin des années 1970 suite à l’épuisement de la forêt. Le cycle de vie de la plante se situant autour de 30 ans, le verger régional se retrouve confronté au problème de vieillissement vers la fin des années 1980. Ce schéma renvoie au « modèle des cycles du cacao » mis en évidence par Ruf (op. cit). Selon celui-ci, tout grand boom du cacao comme celui qu’a connu la Côte d’Ivoire repose sur un processus de migration et de conquête

178 pionnière des forêts tropicales. En continuité, celui-ci décline lorsque l’accélération des défrichements et des migrations conduit à un essoufflement des réserves forestières et donc à l’impossibilité de créer de nouvelles exploitations. Dès lors s’ouvre une phase de récession progressive marquée par un processus naturel de vieillissement des vergers et des planteurs. Cette situation se traduit par une réduction des rendements à travail égal d’entretien et, par la suite, par une multiplication des maladies et autres agents pathogènes dans les exploitations. Ce processus se solde par un abandon massif desdites plantations et un déplacement du front pionnier de l’est vers l’ouest entre le début du siècle dernier et la fin des années 1990. Le recul de l’économie cacaoyère dans les zones pionnières reste aussi lié aux difficultés de replantation des cacaoyers. En effet, le taux de mortalité des jeunes plantes pendant la replantation est particulièrement élevé. Notons par ailleurs que c’est une opération exigeante en force de travail et en intrants. Selon Ruf (1988), alors que 86 journées de travail suffisaient pour la plantation après défrichement de la forêt primaire la première année, la replantation en exigeait 168. En outre, le maintien de la production nécessitait des intrants en plus du surcoût de travail. Pour autant, il convient de nuancer ces propos car, depuis 2002, une nouvelle variété de cacaoyers, appelée « cacao Mercédès27 », promue par la filière, permet la replantation avec un peu plus de succès. Dans la région de la Nawa appartenant au dernier front pionnier ouvert à partir des années 1970, le verger est pour partie vieillissant. La récession climatique contribue à l’accélération de cette situation, participant à la diminution des rendements et à la prolifération des maladies dont la plus préoccupante reste le swollen-shoot, surnommée « sida » du cacao en raison de sa virulence et de l’inexistence de traitements appropriés. Cette maladie est provoquée par un virus (Theobroma virus ou cacao swollen shoot virus), détecté pour la première fois dans le centre-ouest ivoirien en 2004. Transmis par la cochenille par simple piqûre sur la plante, le swollen shoot provoque, à terme, le gonflement des tiges et le dessèchement complet du cacaoyer. Le pire est qu’il s’agit d’une pathologie hautement transmissible. En pleine croissance dans les zones cacaoyères, en particulier la Nawa, la seule solution pour freiner sa progression dans le verger consiste en l’abattage des plantes atteintes. Dans ce cadre, à l’échelle nationale, 160 000 ha de plantation cacaoyère ont été abattus en 2015. En 2018, les prévisions portent sur 310 000 autres ha. Pour les planteurs, cette opération est synonyme de réduction de la superficie cultivée, de la production et, par conséquent, des revenus. Cette situation profite à l’hévéaculture comme on peut le noter dans les propos de ce planteur d’hévéa rencontré à Brétihio dans la Nawa :

« J’ai commencé à planter de l’hévéa parce que mes plantations de cacao ne donnaient plus rien. On m’a dit que c’est parce que c’est vieux. En tout cas, il y avait beaucoup de maladies dedans. Dans les plantations, on comptait

27 Le cacao Mercédès est une variété hybride mise au point par le CNRA en Côte d’Ivoire. Cette variété produit en 18 mois (le Mercédès est en référence à cette rapidité) contre 6 années pour les plants traditionnels, pour un rendement allant jusqu’à 7 tonnes à l’hectare. D’une longévité pouvant atteindre 40 ans, la nouvelle plante produit des cabosses contenant des fèves plus grosses et plus lourdes et reste jusqu’ici épargnée par le virus du Swollen shoot (CNRA, 2015).

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plus de cabosses pourries que de bonnes. Et puis les plantes ont commencé à mourir. Après, les encadreurs m’ont dit que c’est le sida des cacaoyers qui provoque ça. Ils m’ont demandé de tout couper pour replanter. Comme je n’étais pas sûr que ça peut bien pousser, j’ai préféré planter l’hévéa. Je n’avais plus confiance. Mais j’ai gardé un peu de parcelle. Actuellement, j’essaie leur nouveau cacao » (entretien le 20 septembre 2014).

Outre la multiplication des pathologies du cacaoyer, la désorganisation des circuits de commercialisation du café et du cacao, à partir de 2000, a constitué un facteur ayant conduit nombre de producteurs à s’intéresser à l’hévéaculture. En effet, entre 2001 et 2010, alors que les cours internationaux du cacao étaient à la hausse, les planteurs ont éprouvé d’énormes difficultés à écouler leur production à des prix rémunérateurs du fait de la mauvaise application de la politique de libéralisation du secteur prônée par les bailleurs de fonds (BM et FMI). Au contraire de l’ancien système dans lequel la CAISTAB, un organisme étatique, garantissait un prix unique sur toute l’étendue du territoire, la libéralisation a instauré un système de prix indicatif. En théorie, cette mesure était censée instaurer la concurrence en permettant aux producteurs de négocier un prix bord champ plus rémunérateur. Mais faiblement organisés, ceux-ci avaient un pouvoir de négociation très limité face à une explosion du nombre d’intermédiaires et autres acheteurs de tout acabit déterminés à tirer le maximum de profit de la situation, le tout dans un contexte marqué par la crise militaro- politique. De cette manière, les prix payés aux producteurs sont restés inférieurs aux prix indicatifs mentionnés par le gouvernement. Souvent, les productions étaient cédées à la moitié de leur valeur. Un responsable de coopérative de producteurs de café-cacao rencontré à Méagui s’en souvient encore :

« Jusqu’en 2000, le cacao et le café se vendaient bien, on était sûr de vendre les productions aux prix indiqués par le gouvernement, mais à partir de 2001, les acheteurs ont commencé à ne plus respecter les prix fixés par le gouvernement, ils nous proposaient souvent la moitié du prix du gouvernement. On était obligé de vendre… Pendant ce temps, le prix du caoutchouc était bon, et puis les sociétés aidaient les planteurs en baissant les prix des pépinières d’hévéas. C’est là que moi j’ai commencé à planter, comme beaucoup d’autres producteurs de cacao » (entretien le 10 septembre 2014).

Même si la gouvernance de la filière du cacao s’est améliorée après 2011 avec la normalisation de la situation socio-politique, force est de constater que la plupart des producteurs de cacao s’était déjà inscrite dans une dynamique de diversification des productions en vue d’échapper aux incertitudes de la monoculture. C’est ce que révèle ce producteur interrogé à Méagui :

« Moi, je ne fais plus confiance à un seul produit… leurs prix changent à tout moment. A cause de cela, je fais un peu de tout, un peu de cacao, un peu d’hévéa. Si le prix d’un produit baisse, l’autre te soutient. Même si les prix des deux produits tombent ensemble, tu souffres moins que celui qui a fait confiance à un seul » (entretien le 10 septembre 2014).

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Au total, les crises des productions commerciales traditionnelles (café-cacao) liées à des facteurs tant structurels (vieillissement du verger, récession climatique, etc.) que conjoncturels (instabilité des cours du café-cacao, volonté de diversification…) permettent d’expliquer la dynamique d’adoption de l’hévéaculture. Toutefois, ces facteurs n’auraient pas pu agir sans l’action des encadreurs agricoles en hévéaculture au niveau local.

6.3.1.3 L’action des encadreurs agricoles en hévéaculture

Avant 2000, beaucoup d’obstacles empêchaient l’adoption de l’hévéaculture par les populations agricoles situées en dehors des localités pionnières de la culture. Ces contraintes qui étaient liées à la non-maîtrise de l’itinéraire technique, à l’accès au matériel végétal et au marché ont été globalement levées après 2000, grâce à la stratégie de vulgarisation mise en œuvre par la filière. L’un des maillons essentiels de cette stratégie repose sur le travail des équipes d’encadrement sur le terrain. Elles se composent d'un chef de secteur, de contrôleurs, de moniteurs ayant chacun un rôle précis à tenir (figure 23).

Figure 23 : Structure des équipes d'encadrement des planteurs d'hévéa

Chef de secteur

Administration du secteur, coordination des activités des contrôleurs, encadrement des gros planteurs possédant plus de 50 ha

Contrôleurs

Encadre les planteurs possédant des plantations comprises entre 10 et 50 ha, coordonne et suit les activités des moniteurs, assure le suivi des pépinières et des JBG dans chaque village.

Moniteurs

Assure l'encadrement au quotidien des petits planteurs possédant entre 1 à 9 ha.

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2014

Compte tenu du fait qu'il a en charge l’encadrement quotidien de la catégorie de planteurs la plus nombreuse, c'est-à-dire celle dont les parcelles sont comprises entre 1 et 9 hectares, le

181 moniteur se positionne comme le personnage le plus en vue de l'équipe d'encadrement technique. On compte 1 moniteur pour environ 180 planteurs dans les nouvelles zones de production contre 1 pour 100 planteurs dans les zones pionnières comme Bettié et Yacoli- Dabouo. Selon nos entretiens, c’est lorsque l’encadrement technique a effectivement démarré dans les villages que l’on a assisté à une multiplication du nombre d’adoptants. Cela tient au fait que l’arrivée des encadreurs a permis aux planteurs d’avoir un accès direct à des informations fiables et crédibles concernant, entre autres, la disponibilité du matériel végétal, les techniques de culture de l’hévéa et les conditions d’écoulement des productions futures. En pratique, les encadreurs agricoles, notamment les moniteurs, apportent leur assistance aux planteurs dans le cadre du choix des parcelles de culture, de leur préparation et de leur mise en culture. Généralement, cette assistance se matérialise par la présence des moniteurs lors des différentes opérations de création de la plantation. Dans le cadre de l’opération de piquetage, par exemple, qui est une phase de préparation du terrain de culture et dont la bonne conduite permet le respect des espacements entre les plants, le moniteur participe aux opérations aux côtés de l’adoptant afin de le guider utilement. Dans certains cas, les autres adoptants de la localité ou à proximité sont invités à assister et/ou à participer aux opérations afin de pouvoir reproduire les techniques apprises sur leur parcelle. Notons que cette formation pratique est accompagnée d’explications théoriques de la part de l’encadreur visant à bien faire comprendre aux planteurs le bien-fondé des pratiques apprises en les amenant à les respecter rigoureusement. L’ensemble des actions entreprises par les équipes d’encadrement au sein de leur espace a contribué à lever les principaux blocages et appréhensions autant techniques que psychologiques par rapport à la culture de l'hévéa, plante encore inconnue pour la majorité des adoptants au début des années 2000. C’est ce qui transparaît des propos de la majorité des planteurs rencontrés, à l’image de l’un d’eux de Kabrankro :

« J’ai commencé à planter l’hévéa quand l’encadreur a commencé à venir au village ici pour nous montrer comment on cultive. Avant, on ne pouvait pas planter parce qu’on savait rien sur l’hévéa. On ne sait pas où trouver les bonnes pépinières. Tu peux te renseigner auprès d’un autre planteur, mais ce qu’il te dit n’est pas sûr, mais quand c’est l’encadreur on a confiance parce que lui, c’est son travail. Et puis comme ils sont toujours présents à côté de nous, on sait que s’il y a un problème, ils vont nous dire ce qu’il faut faire » (entretien le 16 août 2014).

Progressivement, beaucoup de planteurs, notamment les jeunes ayant bénéficié de l’accompagnement des encadreurs, sont devenus autonomes en matière de mise en place des plantations. Ceux-ci ont par la suite mis leur savoir-faire à la disposition d’autres adoptants soit moyennant rétribution, soit dans le cadre des échanges entre planteurs, ce qui a grandement facilité les adoptions et contribué à l’extension des superficies cultivées. Pour conclure sur ce point, on peut établir un lien fort entre la disponibilité de l’assistance technique au plan local et les décisions des planteurs d’adopter l’hévéaculture.

182

Au total, la péjoration du climat, les crises cacaoyères et la présence d’encadreurs techniques dans les campagnes constituent les facteurs qui, au plan local, incitent les planteurs à opter pour l’hévéaculture. Toutefois, quoiqu’ayant leur importance, les facteurs locaux ne peuvent expliquer à eux seuls la dynamique d’adoption constatée. Il faut nécessairement prendre en compte les facteurs externes aux deux régions.

6.3.2 Facteurs externes de l’adoption de l’hévéaculture dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa

Les facteurs externes ayant contribué à l’adoption de l’hévéaculture sont, d’une part, les politiques publiques et l’intervention des cadres et, d’autre part, la hausse des cours internationaux du caoutchouc naturel au début des années 2000. En effet, dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa, ce sont respectivement les projets publics et les initiatives des cadres qui ont permis au milieu des années 1980 l’introduction de l’hévéaculture, particulièrement dans les localités pionnières comme Bettié, Mayo et Yacoli-Dabouo. Afin d’intéresser les populations à cette nouvelle culture, les programmes ont permis aux populations d’accéder aux intrants (matériel végétal, fertilisants, produits phytosanitaires) à crédit. Ces crédits à long terme rendaient le coût d’investissement supportable par la majorité des planteurs. En même temps, ces projets ont organisé l’assistance technique aux planteurs, garantissant un débouché commercial aux productions. De nombreux planteurs ont profité de ces programmes pour se lancer dans l’hévéaculture sans au préalable tenir compte de ce que cette culture pourrait leur rapporter comme le révèle l’un des gestionnaires des programmes d’introduction de l’hévéaculture à Bettié :

« Au début de l’hévéaculture, ici, beaucoup de personnes n’avaient pas confiance dans l’hévéaculture. Ce qui est normal, puisque personne n’avait vu cette culture auparavant. Mais, si elles ont finalement accepté de planter, c’est parce que les programmes leur donnaient la possibilité de le faire sans rien débourser. Les gens se sont dit qu’il fallait profiter de cela pour essayer autre chose. Ils ne se souciaient pas trop des gains qu’ils allaient réaliser dès l’entrée en production des plantations. Dans tous les cas, au début, personne n’en avait une idée précise » (entretien le 4 août 2014).

Les localités pionnières ont par la suite joué, dans les deux régions, un rôle de centre émetteur de diffusion de la culture en permettant l’accès à l’assistance technique et au matériel végétal aux premiers villages ayant adopté la spéculation hors projet comme Affalikro et Brétihio. Dans ces deux villages, mais plus globalement dans tous les espaces nouvellement conquis par la culture, du fait de l’absence de mesures incitatives semblables à celles dont les planteurs ont pu bénéficier dans les lieux historiques, au départ, le nombre d’adoptants a été très limité. Ce n’est que lorsque le prix d’achat du caoutchouc naturel a commencé à croître significativement que les adoptions se sont multipliées comme en témoigne la situation à Affalikro dans l’Indénié-Djuablin et à Brétihio dans la Nawa (fig. 24).

183

La figure 24 met en évidence la lente évolution du nombre d’adoptants entre 1990 et 2004 dans les deux localités. En revanche, à partir de 2006, le nombre d’adoptants s’accroît significativement dans les villages. Entre 1990 et 2004, nous relevons en moyenne 7,7 adoptants par an à Affalikro. Cette moyenne est de 30,20 par an entre 2006 et 2014. A Brétihio, dans le première période, on retrouve une moyenne de 2,94 adoptants par an pour une moyenne de 17,3 adoptants dans la seconde. Dans cette dernière localité, la chute du nombre d’adoptants en 2010 peut être reliée au climat de conflit social et à l’insécurité qui a régné dans la région et particulièrement dans le village en marge des élections présidentielles.

Figure 24 : Evolution du nombre d’adoptants et du prix d’achat du caoutchouc naturel à Affalikro et à Brétihio

Affalikro Brétihio

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015. APROMAC : Prix du caoutchouc naturel

La multiplication des adoptions dans les deux villages, voire dans tous les autres villages dans les deux régions à partir de 2006, est liée au fait que cette année-là, les prix d’achat du caoutchouc naturel aux producteurs ont franchi le seuil de 300 FCFA le kilogramme et n’ont cessé de croître jusqu’en 2012. Dans les campagnes, beaucoup de planteurs rencontrés ont affirmé n’avoir réellement perçu la rentabilité de l’hévéaculture que lorsque ce seuil de prix a été atteint. Selon la plupart d’entre eux, c’est à ce moment-là que les premiers planteurs ont commencé à réaliser des dépenses inhabituelles (achat de motos, début de construction de logement, création de nouvelles plantations, scolarisation des enfants, etc.). Une étude de Ruf (2009) confirme que l’hévéaculture a atteint des performances économiques exceptionnelles en 2007 et 2008 (tableau 12).

Tableau 12 : Performances économiques de l’hévéaculture en plantations familiales

Année considérée 1999 2007 2008 Rendement (kg/ha) (en sec) 1 800 1 800 1 800

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Prix du kg de caoutchouc acheté aux producteurs 126 348 432 Revenu brut (FCFA/ha) 378 000 1 044 000 1 296 000 Coût de la main-d’œuvre (FCFA/ha) 77 000 92 400 92 400 Charges en intrants (FCFA/an) 17 728 30 000 30 000 Nombre de journées de travail 77 77 77 Valorisation de la journée de travail 4 679 13 169 16 442 Revenu net à l’hectare et par an 283 272 921 600 1 173 600 Source : Ruf, 2009

En effet, comme l’indique le tableau 12, au cours des années 2007 et 2008, la journée de travail du planteur a atteint des niveaux de rémunération respectifs de 13 169 FCFA et 16 442 FCFA quand les prix d’achat étaient de 348 FCFA et 432 FCFA, soit trois voire quatre fois plus que le niveau de rémunération de 1999 quand les prix d’achat s’élevaient à 126 FCFA. Au total, les facteurs externes d’ordre politique, social et économique, ont grandement contribué à l’adoption de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa. Mais, les facteurs locaux et externes seraient sans effet sans les atouts spécifiques de l’hévéa.

6.3.3 Les qualités intrinsèques de l’hévéa

Selon Rogers (op. cit.), les qualités intrinsèques d’une nouveauté occupent une place centrale dans son succès au sein d’un milieu. En l’occurrence, l’une des qualités de l’hévéa favorisant son adoption repose sur sa compatibilité avec le nouveau contexte de dégradation forestière et de péjoration du climat. En effet, alors que la replantation de spéculations traditionnelles (café-cacao) sur précédent de forêt secondaire donne des résultats mitigés avec des taux de mortalité élevée, l’hévéa se développe relativement bien. Il supporte bien les sols lessivés et rendus moins fertiles par des décennies de pratiques agricoles extensives parce que son système racinaire plus profond est capable d’aller chercher des minéraux dans une couche où les racines du cacaoyer ne sont pas allées (Ruf, op. cit.). Une autre qualité de l’hévéa réside dans le fait que sa technique de culture reste accessible aux planteurs. Bien que différents de ceux des autres cultures pérennes traditionnelles, les itinéraires techniques sont loin d’être complexes et les producteurs en ont une certaine maîtrise, notamment grâce à l’accompagnement technique des encadreurs agricoles. La pratique de la culture est rendue d’autant plus aisée que les outils de production sont les mêmes que ceux habituellement utilisés par les planteurs (daba, machette, pulvérisateur, etc.). Même si les produits phytosanitaires et les fertilisants utilisés sur l’hévéa sont de nature différente, ils ne sont pas particulièrement difficiles d’utilisation. D’ailleurs, beaucoup de planteurs parviennent à cultiver l’hévéa selon des méthodes extensives c’est-à-dire en utilisant peu ou pas d’engrais, mais aussi avec du matériel végétal autoproduit, sans pour autant obtenir des résultats catastrophiques. Cette adaptabilité de l’hévéa aux pratiques extensives explique aussi, pour une part la multiplication des adoptions. Plus que la compatibilité avec le milieu physique et les pratiques agricoles traditionnelles, ce sont les avantages relatifs de l’hévéa qui font qu’il est très recherché par les planteurs. Au nombre de ces avantages, se trouve le fait que la plante génère un revenu mensuel dès son entrée en production, en faisant quasiment du planteur un fonctionnaire. A l’inverse, le café et le cacao qui demeurent encore les principales sources de revenus des populations rurales

185 donnent lieu à deux périodes de vente au plus. De ce point de vue, l’hévéa constitue une réponse aux problèmes que pose l’instabilité chronique des revenus liée à la saisonnalité des productions agricoles, c’est ce que révèle un planteur rencontré à Brétihio :

« Quand je produisais seulement le cacao, j’avais beaucoup de difficultés pour gérer ma famille. Le cacao donne une seule fois de l’argent dans l’année. Avant l’autre récolte, il n’y a plus d’argent, je suis souvent obligé de prendre un crédit pour régler les cas de maladie, pour la rentrée scolaire… » (entretien le 20 septembre 2014).

Si beaucoup de planteurs, notamment les ruraux, se lancent dans l’hévéaculture afin de pouvoir accéder mensuellement à des revenus, d’autres l’adoptent pour sa rentabilité. Ce type d’adoptants se retrouve surtout parmi les urbains comme le confirme un cadre propriétaire d’une plantation de plus de 30 hectares à Anuassué dans l’Indénié-Djuablin :

« C’est vrai que j’aime l’agriculture notamment parce que j’ai passé mon adolescence dans ce milieu. Mais, le choix spécifique de l’hévéaculture repose sur le fait qu’elle est rentable. Toutes les études le montrent. Si, je n’étais pas certain du retour sur investissement, il est clair que j’aurai choisi de faire autre chose » (entretien à Abengourou le 13 août 2014).

Selon Ruf (op. cit.), en 2008, l’hévéaculture était de loin la culture pérenne la plus rentable du pays. Sur la base du niveau de rémunération de la journée, le tableau 13 met en évidence l’écart de rentabilité entre les principales cultures pérennes pratiquées dans le pays.

Tableau 13 : Performances économiques comparées entre plantations de cacaoyers, palmiers et hévéas en 2008

Type de spéculation Plantation de Plantation Cacaoyère bien palmiers bien d’hévéa bien entretenue entretenue entretenue Production (kg/ha) 700 8 000 1,80 Prix (FCFA/kg) 450 35 432 Revenu brut (FCFA/ha 315 000 280 000 1 296 000 Revenu net après main-d’œuvre 169 000 80 000 1 204 000 Valorisation de la journée de travail 3 313 4 043 16 442

Source : d’après Ruf, 2009

En effet, après avoir pris en compte le rendement à l’hectare, les coûts de production et les prix d’achat pratiqués à l’égard des producteurs des différentes spéculations, la rémunération de la journée de travail dans une plantation d’hévéa est apparue quatre à cinq fois supérieure à celle d’une plantation de palmiers à huile et de cacaoyers. En dehors des aspects purement économiques, un autre avantage de l’hévéa tient à la facilité d’entretien en phase productive. Dès son entrée en production, cette plante exige une moindre charge de travail au planteur parce que la présence des feuillages des arbres réduit la 186 prolifération des adventices. Ainsi, deux sarclages (au maximum trois) suffisent annuellement pour maintenir la plantation dans de bonnes conditions de production. Cela permet au planteur de se consacrer à d’autres activités d’autant que la récolte du latex est généralement confiée à une main-d’œuvre spécialisée. Cette catégorie d’actifs agricoles est relativement disponible dans les villages. Ainsi, la gestion d’une plantation d’hévéa est-elle relativement plus facile que, par exemple, celle d’une cacaoyère. Cette dernière exige, au même stade, au minimum quatre sarclages par an. Pour la récolte, il faudra cueillir les cabosses, procéder à l’écabossage, à la fermentation puis au séchage de la fève. Cette multiplicité de tâches, plus ou moins pénibles, justifie le recours massif aux employés agricoles dans la cacaoculture. Ce facteur de production se faisant de plus en plus rare, la solution a été, pour certains planteurs, de choisir d’adopter l’hévéa. Même les planteurs migrants, notamment les Burkinabès réputés pour avoir une grande capacité de mobilisation de main-d’œuvre eu égard aux réseaux sociaux et familiaux qu’ils entretiennent avec leur pays d’origine, ne sont pas épargnés par le problème de rareté de la main-d’œuvre.

« Avant, j’allais chercher les manœuvres de mes plantations de cacaoyers dans mon pays au Burkina-Faso. Mais, depuis un moment, c’est difficile de trouver un jeune qui va accepter de venir travailler ici. Maintenant, ils préfèrent faire de l’orpaillage. C’est à cause du manque d’employés que j’ai planté l’hévéa » (entretien à Méagui le 10 septembre 2014).

Au total, les qualités intrinsèques de l’hévéa reposant sur sa compatibilité avec le milieu difficile et aux pratiques agricoles des planteurs, sur la régularité des revenus qu’il procure et sur sa rentabilité, constituent des avantages notoires par rapport aux autres cultures qui favorisent son adoption par les populations agricoles.

Conclusion

Au terme de ce chapitre, il ressort que dans les deux régions de l’étude, l’hévéaculture draine une population aussi nombreuse qu’hétéroclite. Elle se compose majoritairement d’Ivoiriens avec une forte proportion d’autochtones, ce qui constitue un changement notable par rapport à l’économie de plantation traditionnelle (café et cacao) dominée par les migrants. Dans le même sens, des catégories sociales habituellement en marge de l’arboriculture commerciale comme les urbains, les femmes et les jeunes ont fait leur apparition dans l’hévéaculture dans les deux régions. Si la proportion de citadins et de femmes reste à peu de chose près identique dans les deux espaces, celle des jeunes représente près du quart des planteurs dans la Nawa (24,30 %) et dans l’Indénié-Djuablin (19,69 %). L’afflux de ces nouveaux acteurs participe, dans une certaine mesure, à la recomposition de la population agricole traditionnellement à l’œuvre dans l’économie de plantation. De ce qui précède, on peut résumer les différentes catégories d’exploitants en fonction des caractéristiques sociodémographiques et des facteurs de production (tableau 14).

187

Tableau 14 : Principales caractéristiques des catégories d’exploitants

Catégories Caractéristiques Superficie cultivée Mode d’accès au Type de main- d’exploitants sociodémographiques foncier d’œuvre dominantes mobilisée Très petits Majorité de femmes et De 0,75 à 2 ha Don et héritage Auto-emploi exploitants d’employés agricoles Petits Majorité de jeunes de Plus de 2 ha à 5 ha Don et héritage Main-d’œuvre exploitants moins de 35 ans domestique Exploitants Majorité de planteurs de Plus de 5 ha à 10 ha Héritage et achat Main-d’œuvre moyens cacaoyers et domestique fonctionnaires moyens Grands Grands planteurs de Plus de 10 ha à 20 Héritage, achat et Travailleurs exploitants cacaoyers et cadres du ha contrat de partage mensuels ou public et du privé annuels Très grands Cadres du public et du Plus de 20 ha Héritage, achat et Travailleurs exploitants privé et chefs de contrat de partage mensuels, communauté annuels et régisseurs Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

La percée de l’hévéaculture constatée dans les deux espaces étudiés relève d’une combinaison de facteurs d’ordre local et externe ainsi que des avantages comparatifs de la plante elle- même (fig. 25). En effet, la dynamique d’adoption constitue une réponse des populations à la détérioration de leurs conditions de vie face à la péjoration du climat et de l’environnement et à la récession cacaoyère. L’encadrement technique a joué un rôle déterminant dans ce processus en ce sens qu’il a permis de lever les principaux obstacles techniques et psychologiques inhérents à la culture de l’hévéa. C’est le cas également pour les politiques publiques qui ont permis la mise en place d’infrastructures de transformation et de débouchés pour le caoutchouc naturel. A cet élément d’ordre externe aux deux régions, s’ajoute la hausse des cours mondiaux du caoutchouc naturel. Elle a accru les revenus des pionniers de la culture, contribué au renforcement de l’attractivité de cette culture en enclenchant des vagues d’adoption par mimétisme. Ce qui va dans le sens de Ruf et Götz (op. cit.), citant eux-mêmes les économistes Bateman (1965), Berry (1976), Akiyama et Duncan (1982), lorsqu’ils disent que les choix des investissements – et les décisions de planter, voire de diversifier les cultures – sont déterminés par les prix et les revenus actuels et anticipés. Outre ces facteurs, si l’hévéa intéresse les ménages agricoles, c’est parce qu’il s’adapte au contexte de changements climatiques et aux pratiques extensives des planteurs et surtout en raison de la régularité des revenus qu’elle leur procure dès son entrée en production.

Figure 25 : Principaux facteurs explicatifs de l’adoption de l’hévéa

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Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

189

Conclusion de la deuxième partie

Cette seconde partie de la thèse a permis montrer à partir de la théorie de la diffusion de l’innovation les conditions de la diffusion de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa. Il convient de noter que la dynamique de la nouvelle culture engagée depuis le début de la décennie 2000 relève essentiellement du dispositif de diffusion mis en œuvre par la filière. A travers un maillage prenant en compte tout l’espace régional, ce dispositif a permis à toutes les localités d’avoir aisément accès au matériel végétal, à l’encadrement technique et aux circuits de commercialisation du caoutchouc naturel. En raison des crises des systèmes de production agricole locale, les populations ont saisi l’opportunité que leur offrait la filière pour adopter l’hévéaculture. Au-delà de cet aspect, la culture s’est surtout imposée du fait de sa rentabilité à laquelle il faut associer la régularité des revenus qu’elle procure. Du fait de ses avantages, l’hévéaculture a drainé en plus des acteurs traditionnels de l’économie de plantation, des femmes, des jeunes et des citadins. Ce processus de recomposition induit des changements au niveau des pratiques foncières. Même si l’héritage et le don reste les principaux modes d’accès au foncier, les transactions foncières deviennent monnaie courante. Du fait de l’inexistence de système de financement, il apparaît une généralisation de méthodes extensives de production à travers le recours à du matériel végétal de qualité douteuse, une utilisation irrégulière de fertilisants, etc. Pratiquée dans de telles conditions, on peut se demander si l’hévéaculture permet aux adoptants d’améliorer leurs conditions de vie ? C’est à cette préoccupation que la troisième partie de la thèse va tenter d’apporter un éclairage à travers la recherche des effets de cette culture sur la sécurité alimentaire.

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Troisième partie : Effets du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations des régions de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa

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Introduction

La troisième partie de cette thèse tente de contribuer à la recherche de l'incidence de la diffusion de l'hévéaculture sur l'alimentation des populations en privilégiant l’approche en termes de sécurité alimentaire. Elle permet de dépasser le seul aspect en lien avec la production vivrière et de prendre en compte les effets sur l'accessibilité physique et économique ainsi que sur la stabilité de l'alimentation. Dans cette optique, nous analysons d’abord les effets du développement de l’hévéaculture sur la disponibilité alimentaire (chapitre 7). Ensuite, nous procédons à une évaluation de son influence sur l’accessibilité des populations aux vivres tant du point de vue physique qu’économique (chapitre 8). Enfin, le dernier chapitre (chapitre 9) s’attache à décrypter l’incidence de la pratique de l’hévéaculture sur l’alimentation des populations en termes de qualité et de stabilité.

193

194

Chapitre 7: Diffusion de l’hévéa au détriment des espaces de cultures vivrières

Ce chapitre vise à saisir les effets de la diffusion de l’hévéaculture sur la disponibilité alimentaire des populations de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa. Cette disponibilité repose essentiellement sur les productions vivrières locales, et secondairement sur des apports extérieurs, notamment les importations. Eu égard à l’indisponibilité des données sur les importations alimentaires dans les deux régions, il s’agira uniquement dans cette étude de mettre évidence la relation entre le développement de l’hévéaculture et les productions vivrières. Cette thématique a déjà fait l’objet de plusieurs écrits. Dans les années 1960 et 1970, Dumont (1961) a soutenu que les cultures d’exportation, notamment celle du coton se développaient au détriment des cultures vivrières en Afrique subsaharienne. En revanche, bien plus tard, Schwartz (1992) fait valoir que c’est en terme de complémentarité avec les cultures vivrières qu’il convient d’appréhender le développement de la culture cotonnière dans les savanes de l’Afrique subsaharienne, et particulièrement au Burkina-Faso. Dans le même sens, Chaléard (2003) montre qu’en Côte d’Ivoire, l’essentiel des productions commerciales ou vivrières est fournie dans le cadre d’une agriculture paysanne associant les deux types de cultures. De fait, l’espace de l’économie de plantation caféière et cacaoyère est celui dans lequel la production vivrière est la plus élevée. Compte tenu de la variabilité des résultats des différentes études, il est indispensable de mener une étude spécifique sur les relations entre le développement de l’hévéaculture et la production vivrière. Dans cette optique, nous traitons de la question de son incidence sur les espaces dédiés aux cultures vivrières avant d’examiner les effets sociaux de sa diffusion sur le secteur vivrier. Préalablement à cette démarche, il convient de préciser la méthode et les données mobilisées.

7.1 Présentation des données et de la méthode utilisée

L’approche choisie pour mettre en évidence l’incidence du développement de l’hévéaculture sur les cultures vivrières au niveau spatial, repose sur la télédétection. Ainsi que le notent Corgne (2004), cette technique constitue un puissant outil de localisation et de quantification des changements spatiaux. Cette approche a déjà été mise en œuvre par Ademola-Ouattara et al., (1999) dans l’étude des changements spatiaux induite par le développement de l’agriculture vivrière en pays Adioukrou dans la région de Dabou en Côte d’Ivoire. Dans la présente étude, il s’agira au travers de cette méthode de montrer l’ampleur de la progression de l’hévéaculture entre deux dates puis de déterminer les types d’espace au détriment desquels cette culture s’est répandue. Bien avant, il convient de présenter les données et les méthodes utilisées.

195

7.1.1 Les données utilisées

Les données satellitaires utilisées dans le cadre de cette analyse sont des images Landsat TM d’une résolution de 30 m obtenues gratuitement sur le site internet USGS28. Selon Fotsing et Sayem (2002), ce type d’image fait partie des plus utilisés pour le suivi de l’occupation du sol et la détection des changements. Ainsi que le révèle le tableau, les années d’acquisition des images pour la région de l’Indénié-Djuablin sont de 2002 et 2016 tandis que celles de la Nawa datent de 2001 et 2016, soit un intervalle de temps de plus ou moins 14 ans, ce qui permet une bonne lecture des dynamiques en cours. Les périodes d’acquisition se situent en pleine saison sèche, période permettant une meilleure différenciation des éléments d’occupation du sol. Le tableau 15 récapitule les caractéristiques des données satellitaires utilisées.

Tableau 15 : Caractéristiques des données satellites mobilisées

Région Satellite Type de capteur N° de scène Date d’acquisition

Landsat ETM+ 196 - 055 31 décembre 2002

Indénié- Landsat OLI- TIRS 196 - 055 06 février 2016 Djuablin

Landsat ETM+ 197 - 056 18 février 2001

Nawa Landsat OLI- TIRS 197 - 056 06 février 2016

Source : Landsat, 2016

7.1.2 Méthode de traitement des données

Les deux principales méthodes de traitement mise en œuvre reposent essentiellement sur la phase de prétraitement des images et sur la classification de l’occupation du sol.

7.1.2.1 Prétraitements réalisés

La phase de prétraitement a consisté en la correction atmosphérique de l’image, à l’extraction de la zone d’étude et à la création de néo canaux dans le but d’améliorer la qualité de l’information spectrale à détecter.

 Correction atmosphérique

Cette phase concerne les diverses corrections atmosphériques qui visent à soustraire du signal mesuré au capteur, celui induit par les effets de l’atmosphère (Kergomard, 2000). Autrement dit, elle consiste à corriger les effets atmosphériques sur les images mobilisées afin d’améliorer la détection des différentes unités d’occupation du sol et de faciliter la comparaison des données (images et classification). Ce travail réalisé par le biais du module

28 United State Geological Survey, images consultables à l’adresse www.usgs.com. Cette structure et la NASA collectent et archivent des images de la surface de la terre depuis plus d’une quarantaine d’années. 196

FLAASH (Fast Line-of-sight Atmospheric Analysis of Spectral Hypercubes) implémenté dans le logiciel Envi 5.1 est passé par deux grandes étapes : - la conversion en réflectance exo-atmosphérique des valeurs de luminance des comptes numériques des pixels. - la transformation des réflectances exo-atmosphériques en réflectance des surfaces au sol (ou au niveau du sol). Au final, cette étape a permis d’optimiser la détection des différentes unités d’occupation du sol et de faciliter la comparaison des données (images et classification).

 L’extraction de la zone d’étude

A partir d’un fichier vecteur (shape), nous avons extrait une zone d’étude d’un rayon de 20 km autour de la localité d’Affalikro dans l’Indénié-Djuablin et de celle de Yacoli-Dabouo dans la Nawa que présentent respectivement les cartes 24 et 25 soit un espace couvrant une superficie de 160 000 ha dans chacun des cas. Ces deux localités figurent parmi les plus dynamiques en hévéaculture et la zone délimitée autour d’elles correspond la principale zone de développement de la culture depuis la fin de la décennie 1990. De la sorte, les changements d’occupation du sol liés au développement de l’hévéaculture dans la zone d’étude peuvent être considérées comme représentatifs de la dynamique à l’échelle des deux régions.

 Amélioration de la qualité de l’information spectrale via la création de néo canaux

Afin d’améliorer la qualité de l’information spectrale à détecter, il a été procédé à la création de néo-canaux. Utilisés en combinaison avec certaines bandes initiales de l’image dans les classifications permettant de cartographier un paysage, ce procédé permet de mettre en relief certains éléments géographiques tels que la végétation et les sols nus. En effet, dans le cadre des études de la couverture végétale, la création des indices de végétation est de rigueur et permet d’améliorer la détection des surfaces végétales (Benkrid, 2008). Les indices les plus couramment dérivés pour la réalisation des cartes d’occupation du sol sont l’indice normalisé de végétation (NDVI) et l’indice de brillance (Mas et al., 2003). Le NDVI est lié au rayonnement photosynthétique actif absorbé par le couvert végétal (Turker et Seller, 1986) et permet de discriminer les formations végétales. L’Indice de brillance permet de mettre en relief les éléments des espaces dénudés de couverture végétale ou les sols nus. Les bandes du proche infrarouge (PIR) et du rouge (R) sont aussi utilisées. Pour les images Landsat ETM+, ce sont les bandes 4 et 3 qui ont été mises en rapport pour produire une image NDVI alors que pour le capteur OLI-TIRS, ce sont les Bandes 5 et 4 qui sont utilisées. Au total, cette phase préliminaire indispensable pour la classification des images satellitaires a permis de disposer de données de qualité radiométrique optimale enregistrées dans un canevas géographique identique propice à une analyse spatio-temporelle de la couverture végétale des territoires étudiés (cartes 24 et 25).

197

Carte 24: Situation de l’occupation du sol autour d’Affalikro en 2002 et en 2016

198

7.1.2.2 La classification de l’occupation du sol

La classification consiste à traduire sémantiquement les objets extraits d’une image selon une nomenclature d’occupation du sol. C’est une démarche réalisée sur la base de pixels qui fait appel à différents algorithmes qui prennent en compte l’information spectrale du pixel pour la convertir en donnée thématique. En effet, sur la base des valeurs radiométriques dans différentes bandes spectrales, les pixels sont regroupés pour donner des classes thématiques. Ce sont les méthodes de classification les plus couramment utilisées depuis le développement des techniques de traitement d’images aériennes et satellitaires par télédétection (Chuvieco, 1993 ; Bonn et Rochon, 1996). Dans ce cas, la classification automatique de l’image se fait selon deux approches (non supervisée et supervisée) qui impliquent une connaissance à priori ou non de la zone étudiée. Dans le cadre de cette étude, c’est la méthode de classification supervisée qui a été privilégiée. Ce choix repose entre autres sur le fait que nous disposions d’échantillons de données terrains pour évaluer et reconnaître les caractéristiques spectrales de chaque classe. A ce propos, deux missions de terrain d’une semaine ont été réalisées en août 2015 et 2016 sur chacun des deux terrains étudiés dans le but de géolocaliser à l’aide d’un GPS différentes parcelles caractéristiques de l’occupation du sol de l’espace étudié. La classification supervisée des images satellitaires a consisté à assigner à chacune des classes thématiques des échantillons représentatifs (parcelles d’entrainement) qui peuvent être identifiés sur l’image. Aussi, sur une composition colorée NDVI/ IB/ Bande 2 pour le capteur ETM+ et NDVI/ IB/ Bande 3 pour le capteur OLI-TIRS, des différentes images, avons-nous déterminé des zones de même valeur radiométrique matérialisées par une coloration unique. Pour chaque classe thématique, 5 à 8 parcelles reparties de façon homogène sur toute l’image ont été sélectionnées puis caractérisées lors des différentes visites terrain. Une partie des parcelles pour chaque unité d’occupation du sol a servi à réaliser la classification proprement dite tandis que l’autre partie a été utilisée pour la vérification et la validation des résultats obtenus. Afin d’établir une cartographie diachronique de l’occupation du sol dans les deux zones, la méthode de classification par maximum de vraisemblance a été appliquée à une image combinant les néocanaux (NDVI et Indice de Brillance) et différentes bandes spectrales des données sources. Ainsi, pour ce qui concerne les données Landsat, les bandes 2 et 3 des capteurs ETM+ et OLI-TIRS ont été associées à ces deux néocanaux. La performance de ces classifications a pu être évaluée à partir de l’élaboration d’une matrice de confusion pour chacune des cartes en s’appuyant sur les données terrain. En effet, lors des campagnes de terrains, un certain nombre de parcelles de validation avait été identifiées et caractérisées.

A l’issue de la phase de traitement, six classes d’occupation du sol ont été retenues pour la zone d’Affalikro et 7 classes pour celles de Yacoli-Dabouo (carte 24 et 25):

- les plantations d’hévéa : la catégorie de plantation d’hévéas concerne des plantations en production d’âges avancés (entre 7 et 25 ans) et des plantations jeunes, généralement moins de 7 ans en moyenne.

199

- les plantations de cacaoyers et de caféiers : cette catégorie désignent les plantations de cacao et /ou de café. Ces deux spéculations se retrouvent souvent sur la même parcelle même s’il convient d’indiquer que la catégorie est nettement dominée par les plantations de cacaoyers.

- les cultures annuelles et jachères : cette catégorie représente toutes les formes de cultures vivrières et de végétation herbeuse marquée par une couverture végétale décharnée. Elle inclue les parties couvertes par des herbes annuelles et les jachères laissées au repos plus d’une dizaine d’années environ.

- les plantations de palmiers à huile : la catégorie de plantation de palmiers à huile concerne des plantations en production d’âges compris entre 5 et 25 ans et des plantations immatures ayant généralement moins de 5 années de vie en moyenne. Ce type d’occupation de sol typique n’est présent que dans la région de la Nawa.

- la forêt secondaire : cette catégorie d’occupation du sol renferme aussi bien les forêts naturelles largement intactes et peu dégradées par l’emprise humaine que les formations végétales fortement appauvries notamment par l’agriculture de plantation mais en voie de régénérescence suite à une période d’abandon plus ou moins longue.

- les sols nus/ habitat : Cette catégorie d’occupation du sol caractérise les surfaces dénuées de couverture végétale et d’eau. Elle représente le plus souvent des sites d’habitations groupées (ville, villages) et dispersées (campements de colonisation agricole) tout comme les espaces non habités. La recrudescence des feux de brousse dans ces zones pendant la saison sèche peut contribuer à donner plus d’importance aux surfaces représentant les sols nus/ habitats.

- les plans d’eau : cette catégorie d’occupation se rapporte dans la Nawa aux assiettes du fleuve Sassandra et dans l’Indénié-Djuablin du barrage situé au sud de la ville d’Abengourou.

Au total, le choix de ces six ou sept types d’occupation du sol a été possible via un compromis entre la qualité de l’image, la spécificité du terrain et les objectifs poursuivi par l’étude.

200

Carte 25 : Situation de l’occupation du sol autour de Yacoli-Dabouo entre 2001 et 2016

201

7.2 Une dynamique d’occupation du sol en faveur de l’hévéaculture

Les résultats issus de l’approche par télédétection mettent en évidence des transformations majeures au niveau de l’occupation du sol dans les deux zones étudiées, entre le début des années 2000 et le milieu de la décennie 2010 et, parallèlement de saisir la situation agricole prévalant dans chacune d’elles.

 La dynamique d’occupation du sol autour d’Affalikro (Indénié-Djuablin)

L’analyse des documents issus de l’approche par télédétection (carte 24 et tableau 16) révèle des changements majeurs dans l’utilisation du sol dans la zone autour d’Affalikro entre 2002 et 2016. Elles se traduisent par la régression entre ces deux dates des surfaces de cultures dédiées au café et au cacao qui passent de 960 ha soit de moins de 1% de la surface totale (158 912 ha) à 640 hectares. La régression des deux principales cultures traditionnelles s’explique entre autres par le vieillissement du verger et l’épuisement de la forêt qui ne permet pas le renouvellement des cultures. Les parcelles abandonnées par les planteurs se transforment en jachères, ce qui explique la disponibilité relativement grande de ce type de formation végétale qui est principalement utilisé dans le cadre de l’agriculture vivrière. Corrélativement, dans le même laps de temps, on remarque que les surfaces des cultures annuelles et jachères ont connu un accroissement sensible, passant de 49 376 ha à 51 742 ha soit un taux d’évolution positif de 4, 57 % sur la période. En effet, dans la zone étudiée et plus généralement dans la région de l’Indénié-Djuablin, face au déclin des cultures traditionnelles, nombreux sont les agriculteurs qui se sont lancés dans l’agriculture vivrière. En contraste, les surfaces de forêts secondaires se sont réduites. De 75 408 ha, soit 47,45 % de la superficie totale en 2002, ces forêts ne couvrent plus en 2016 que 22 192 ha (13,87 %), ce qui fait un recul de 53 216 ha en 15 ans. Parallèlement, les espaces dédiés à l’hévéaculture ont progressé de 113 % dans la même période. Ils sont passés de 28 656 ha en 2002 soit 18,03 % de l’espace considéré à 61 040 ha en 2016, faisant de l’hévéaculture est le principal mode d’occupation (38,15 %).

Tableau 16 : Evolution des modes d’occupation du sol autour d’Affalikro en 2002 et en 2016

Valeurs Valeurs Valeurs Valeurs Taux Type d’occupation du sol absolues (ha) relatives absolues (ha) relatives d’évolution Gains (en ha) en 2002 (%) en 2016 (%) (%) Vergers café-cacao 960 < 0,60 640 < 0,40 -33,33 - 320 Cultures annuelles et/ou 49 376 31,07 51 742 32,56 4,57 2 366 jachères Forêt secondaire 75 408 47,45 22 192 13,96 -70,57 -53 216 Hévéa 28 656 18,03 61 040 38,41 113 32 384 Sols nus/habitats 3 200 2,01 22 002 13,84 587,56 18 802 Eau 1 312 < 0,84 1 296 0,83 -1,22 - 16 Total 158 912 100 158 912 100 - - Source : Enquêtes O. Ouattara, 2016

202

En définitive, principalement sous l’effet du développement hévéicole, la surface agricole utilisée dans la zone autour d’Affalikro (vergers café-cacao, plantation d’hévéas, cultures annuelles et jachères) a connu un taux d’évolution de 43, 57 % en 15 ans soit 2,9 % par an.

 La dynamique de l’occupation du sol dans la zone autour de Yacoli-Dabouo (Nawa)

Comme celle d’Affalikro, la zone autour de Yacoli-Dabouo est également traversée par des mutations spatiales importantes. L’analyse de la carte 25 et du tableau 17 met en lumière la régression des principales formes d’occupation du sol (forêt, cultures annuelles/jachères) à l’exception des plantations d’hévéa et des vergers de palmiers à huile, ce qui témoigne d’une forte dynamique au niveau du mode de consommation de l’espace. La dynamique de régression concerne les espaces forestiers qui connaissent un taux d’évolution négatif de 9,25 % sur la période, soit une perte de 5 712 ha en 14 ans (2002- 2015). Quelques massifs forestiers qui existaient dans la zone en 2001 (quart nord-est et quart sud-est de la carte) ont quasiment disparu en 2016. Ils ont disparu sous l’effet de l’activité agricole, ce qui montre que la pression anthropique est assez forte sur ce territoire. De fait, le défrichement de la forêt pour le développement de l’économie de plantation a connu une ampleur particulière dans le sud du pays et particulièrement dans la région la Nawa. Après plus de trois décennies d’exploitation, les espaces forestiers existant font le plus souvent office de dernières réserves forestières des planteurs. La raréfaction des ressources foncières mise en évidence par la forte dispersion de l’item forêt sur la carte peut contribuer à expliquer le recul des surfaces dédiées aux vergers café-cacao puisqu’elle rend difficile, voire impossible la création de nouvelles plantations alors même que celles déjà crées sont gagnées par le vieillissement. Les surfaces des plantations de café- cacao sont passées entre 2001 et 2016, de 19 200 ha à 12 856 ha soit une perte de 6 344 ha. Une autre explication de la baisse de l’emprise spatiale réside dans le fait que beaucoup de planteurs préfèrent abattre les caféiers même productifs au profit de spéculations jugée plus rentables et moins exigeantes en force de travail. Nonobstant ces contraintes, il convient d’indiquer que cette spéculation demeure encore à l’échelle de la Nawa voire de celle du pays, la plus importante spatialement et économiquement. Bien plus que les espaces de forêts, ce sont les espaces de cultures annuelles et/ou jachères qui ont connu les plus fortes baisses sur la période. Ils ont reculé de 10 200 ha entre 2002 et 2015 soit un taux de régression de 16,48 %. Si elles occupaient 39,18 % de l’espace étudié en 2002, les cultures annuelles et/ou jachères n’en occupent en 2015 que 32,71 %. Face à la disparition des ressources forestières, les jachères et les espaces dédiés aux cultures annuelles sont plus sollicités par les populations villageoises, le plus souvent dans le cadre de l’arboriculture de plantation. En contraste avec les surfaces couvertes par la forêt, les vergers café-cacao et les cultures annuelles/jachères, celles des plantations de palmier à huile et d’hévéa connaissent une dynamique positive. Les surfaces de palmier à huile se sont étendues sur la période étudiée. Les superficies plantées estimées à 3 840 ha en 2001 ont progressé de 4 040 ha pour atteindre 7 880 ha en 2016, ce qui équivaut à un taux d’évolution de 105,20 % sur la période. Introduite en milieu villageois autour de la localité d’, par la Société internationale de plantation et de

203 finance en Côte d’Ivoire (SIPEF-CI), cette spéculation se maintient bien en dépit des incessantes baisses du prix d’achat aux producteurs du fait de la régularité des revenus qu’elle génère et de la facilité d’écoulement des productions qu’offre la SIPEF-CI. Ce sont les superficies en hévéa qui ont enregistrées les plus fortes progressions avec un taux d’évolution de 381 % sur la période soit 23,81 % par an. Elles bondissent de 3 480 ha à 16 765 ha en 15 ans, soit un gain de 13 285 ha, ce qui fait une progression moyenne de 885 ha par an dans cette zone.

Tableau 17 : Evolution des modes d’occupation du sol autour de Yacoli-Dabouo en 2001 et en 2016 Valeurs Valeurs Valeurs Valeurs Taux Type d’occupation Gains absolues relatives absolues relatives d’évolution du sol (en ha) (ha) en 2001 (%) (ha) en 2016 (%) (%) Vergers café-cacao 19 200 12,15 12 856 8,14 - 33, 04 -6 344 Cultures annuelles 61 880 39,18 51 680 32,71 -16, 48 -10 200 et/ou jachères Vergers palmier à 3 840 2,43 7 880 5 105,20 4 040 huile Forêt secondaire 61 736 39,08 56 024 35,47 - 9,25 - 5 712 Plantations d’hévéa 3 480 2,20 16 765 10,61 381 13 285 Habitat et sol nu 6 793 4,3 11 722 7,42 72, 55 4 929 Eau 864 0,66 1 024 0.65 18,51 160 Total 157 951 100 157 951 100 - - Source : Enquêtes O. Ouattara, 2016

De ce qui précède, il ressort que tant dans la zone d’Affalikro que de celle Yacoli-Dabouo, toutes les classes d’occupation du sol ont été affectées par des changements plus ou moins importants sur les périodes retenues (2002/2016 et 2001/2015). Le facteur majeur de la dynamique du paysage demeure bien le fort développement de l’hévéaculture dans les deux zones. Sur la période concernée, les superficies d’hévéas ont été multipliées par 2,13 dans la zone autour d’Affalikro et de 4,81 dans celle autour de Yacoli-Dabouo. La question se pose ici de savoir si ces dynamiques se sont faites au détriment des surfaces réservées à la production vivrière.

7.3 Des superficies d’hévéa évoluant principalement au détriment des espaces dédiés à la production vivrière

Le croisement des cartes d’occupation du sol de 2001 et 2016 de la zone d’Affalikro et de 2002 et 2016 de celle de Yacoli-Dabouo, a permis de déterminer en les quantifiant les types d’occupation du sol qui ont alimenté l’expansion spatiale de l’hévéaculture et in fine de déduire de l’influence spatiale de l’hévéaculture sur la production vivrière. L’examen de ces documents laisse apparaitre que la progression des superficies d’hévéas ne s’est pas faite de façon identique dans les deux localités.

204

 La situation dans la zone d’Affalikro

Dans cette zone, entre 2002 et 2016, les superficies d’hévéas ont connu une progression de 32 384 ha (tableau 16). La figure 26 et la carte 26 présentent les unités spatiales sur lesquelles l’expansion de l’hévéaculture a reposé.

Figure 26 : Apports des différentes catégories d’occupation du sol à la dynamique spatiale de l’hévéaculture entre 2002 et 2016 dans la zone d’Affalikro

Vergers café-cacao

777,2 ha (2,4 %) Sol nu/ habitat 97,2 ha (0.30 %)

Forêt Superficies d’hévéa secondaire gagnées entre 2002 et 2016 32 384 ha 22 720,6 ha (70,16 %) Plan d’eau 35,6 ha (0,11 %) Cultures annuelles et jachères 8 753,4 ha (27,03 %)

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2016

Il ressort de l’analyse de ces deux documents que dans la zone d’Affalikro, ce sont les forêts secondaires qui ont été principalement utilisées dans le cadre de la création des plantations d’hévéas. En effet, 70,16 % des 32 384 ha d’hévéa emblavés entre 2000 et 2016 soit 2 2720 ha ont été acquis au détriment de ce type d’unité spatiale. Dans la zone étudiée et plus généralement dans l’Indénié-Djuablin, une majorité de planteurs disposent d’espaces de forêts secondaires reconstitués après la quasi-disparition de l’économie cacaoyère qu’ils utilisent dans le cadre de l’adoption de l’hévéaculture. C’est ce qui explique sans doute que les

205 surfaces de cultures annuelles et jachères aient moins servi à la création de plantations d’hévéa. Leur apport à la dynamique hévéicole s’élève à 8 753,4 ha, ce qui représente 27,03 % des superficies d’hévéa emblavées sur la période indiquée. Ce type d’unité spatiale est le plus souvent utilisé par des planteurs manquant de ressources en forêt secondaire. Le développement de l’hévéaculture dans la zone a eu un impact très limité voire quasi nul sur la culture du couple café-cacao puisque c’est seulement 76,84 ha de ce type d’occupation du sol qui a été utilisé. Cela représente 0,24 % des superficies d’hévéa conquises sur la période étudiée.

Carte 26 : Antécédent cultural des terres transformées en plantations d’hévéa dans la zone d’Affalikro entre 2002 et 2016

Eu égard à la faible utilisation des surfaces de cultures annuelles et jachères dans la création des plantations d’hévéas , il est possible d’avancer que dans la zone d’Affalikro et plus généralement dans l’Indénié-Djuablin, le développement de l’hévéaculture a une influence négative mais modérée sur la production vivrière.

 La situation dans la zone de Yacoli-Dabouo

Dans la zone autour de Yacoli-Dabouo (tableau 17) les superficies d’hévéa ont enregistré une hausse de 13 285 ha entre 2001 et 2016. La figure 27 et la carte 27 permettent de visualiser les contributions des différentes catégories d’occupation du sol à l’extension spatiale de l’hévéaculture.

206

Figure 27 : Apports des différentes catégories d’occupation du sol à la dynamique spatiale de l’hévéaculture entre 2001 et 2016 dans la zone de Yacoli-Dabouo

Vergers café-cacao

2 977,16 ha (22,41%)

Sol nu/ habitat 1 531 ha (11,53 %) Forêt secondaire 4 494,31 ha (33,83 %) Superficies d’hévéa acquises entre 2001 et 2016 Plan d’eau 13 285 ha 29,23 ha (0,22 %)

Palmier à huile 42,51 ha (0,32 %) Cultures annuelles et jachères 4 210,01 ha (31,69 %)

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2016

Comme l’indique les documents mobilisés, trois types d’espaces (forêts secondaires, cultures annuelles et jachères, vergers café-cacao) ont principalement contribué à la mise en place des plantations d’hévéa autour de Yacoli-Dabouo au contraire d’Affalikro où cette dynamique a essentiellement été alimentée que par les forêts secondaires. Ainsi, les forêts ont contribué à hauteur de 33,83 % à l’augmentation des superficies d’hévéa en cédant 4 494,31 ha alors que pour les cultures annuelles, cet apport a atteint 4 210,01 ha soit 31,69 % des superficies formées sur la période étudiée.

207

Carte 27 : Antécédent cultural des terres transformées en plantations d’hévéa dans la zone de Yacoli-Dabouo entre 2001 et 2016

Dans la Nawa qui est la première région agricole du pays et plus particulièrement dans la zone étudiée, il existe une forte pression foncière du fait de la forte densité de population agricole induite par la culture du couple café-cacao. Pour adopter l’hévéaculture dans ce contexte de forte saturation foncière, beaucoup de planteurs ont choisis d’utiliser leurs dernières réserves de forêt. Ceux qui ne disposaient que d’espaces de cultures annuelles et jachères les ont converties en plantations d’hévéa (photos 14 et 15). En raison de son ampleur, cette pratique constitue une contrainte à la production vivrière.

208

Photo 14 : Une plantation d’hévéa créée sur une parcelle de riziculture

Source : Enquêtes O. Ouattara

Près du village de Koreyo (Nawa), une jeune plantation d’hévéa créée sur un espace habituellement réservé aux cultures vivrières. On observe encore la présence d’un champ de riz sur la parcelle. Le planteur nous a appris qu’il ne dispose plus de lopin de terre.

Photo 15 : Une plantation d’hévéa sur une parcelle servant auparavant à la culture de l’igname et du maïs

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Les vergers de café-cacao ont eux aussi subi l’extension des superficies d’hévéa. Ce type d’espace représente 22,41 % soit 2 977,16 ha des surfaces d’hévéas plantées entre 2001 et 2016. On a déjà souligné que ces reconversions sont dictées par le vieillissement et les

209 pathologies du cacaoyer. Mais, certains planteurs abattent tout ou partie de leur plantation productive afin de profiter de l’avantage comparatif de l’hévéa qui est moins exigeante en main-d’œuvre tout en procurant un revenu annuel. Dans tous les cas, la reconversion contribue d’une certaine manière à la baisse de la production vivrière. En effet, même si c’est dans des proportions limitées, les cacaoyères et les caféières constituent aussi des espaces de productions vivrières par association des deux types de cultures et, ce quelle que soit l’âge de la culture pérenne (photo 16), ce qui n’est pas le cas de l’hévéa.

Photo 16 : Une plantation de cacaoyers en association avec du vivrier

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Une plantation de cacaoyers matures en association avec du vivrier notamment avec des bananiers plantains près du village de Lessiri dans le département de Soubré (Nawa). Son propriétaire estime qu’il peut ainsi produire jusqu’à 4 tonnes de vivriers, ce qui lui permet de couvrir une bonne partie des besoins alimentaires de sa famille pendant 4 à 6 mois et de vendre le surplus sur les marchés.

Or cette association n’est possible dans le cas de l’hévéaculture que les trois à quatre premières années de la culture, essentiellement parce que la canopée prive ensuite le vivrier de l’ensoleillement nécessaire à sa croissance. Il convient de préciser que l’hévéa atteint en moyenne 3 m à la différence du cacaoyer et du caféier qui sont des arbustes faisant en moyenne moins de 1,5 m, ce qui lui permet son association avec d’autres plantes. En synthèse, il est possible d’avancer que dans la zone de Yacoli-Dabouo, le développement de l’hévéaculture influence négativement la production vivrière et de façon beaucoup plus sévère compte tenu de l’importance des superficies de cultures annuelles et jachères affectées à cette spéculation et de la reconversion de plantations de cacaoyers et de caféiers.

210

En somme, sur la base des résultats des deux études de cas présentées, il nous est possible de conclure que tant dans l’Indénié-Djuablin que dans la Nawa, l’essor de l’hévéaculture influence négativement la production vivrière à travers l’accaparement des espaces de cultures annuelles et jachères, mais à des degrés divers. De fait, au regard de la situation prévalant autour d’Affalikro, cette influence reste modérée dans l’Indénié-Djuablin. Elle est en revanche plus marquée dans la Nawa en ce sens qu’une part plus importante d’unités spatiales traditionnellement destinées à la production vivrière y est reconvertie. Pour autant, cette situation ne semble avoir conduit à la baisse de la production vivrière dans les deux régions, du moins au regard des statistiques des principales productions. En effet, la figure 28 reflète une évolution quasi linéaire des principales productions vivrières avec une tendance à la hausse pour le maïs et le manioc dans l’Indénié-Djuablin.

Figure 28 : Evolution des principales productions vivrières entre 2002 et 2014 dans l’Indénié-Djuablin (en t)

1 000

100 tonnes

de

10 Milliers

1 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 Riz Manioc Igname Banane plantain Maïs Source : ANADER Abengourou, 2015

Dans la Nawa, les principales productions ont connu des fluctuations notamment entre 2009 et 2011 avant d’afficher une légère reprise (figure 29). L’activité agricole a été perturbée dans la région au cours de cette période du fait de la recrudescence de conflits communautaires induite par les enjeux des élections présidentielles de 2010 et ce, dans un contexte de crises militaro-politiques.

211

Figure 29 : Evolution des principales productions vivrières entre 2002 et 2014 dans la Nawa (en t)

1 000

100 tonnes

de

10 Milliers

1 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 Années Riz Manioc Igname Source : ANADER Nawa, 2015

En définitive, est surtout repérée une certaine stabilité des principales productions vivrières, ce qui tend à relativiser notre analyse selon laquelle le développement de l’hévéaculture constitue une contrainte à la production vivrière. Mais, il convient de prendre les statistiques agricoles mobilisées avec beaucoup de prudence car elles émanent de structures spécialisées manquant le plus souvent de moyens techniques et financiers pour une collecte plus rigoureuse de l’information statistique. Plusieurs autres facteurs peuvent également contribuer à expliquer le relatif maintien de la production vivrière:

 D’abord, en dépit d’un essor rapide, l’hévéaculture a une emprise relativement faible sur la surface agricole utilisée (SAU). Le processus est encore à ses débuts. Dans l’Indénié-Djuablin, elle occupe moins du quart (22,6 %) des surfaces (fig. 30). Parallèlement, la région reste dominée par l’agriculture vivrière qui occupe près de la moitié (49,27 %).

Figure 30 : Part des différentes spéculations agricoles dans la surface agricole utilisée dans l’Indénié-Djuablin (en ha)

Cacao 87 211 170 285 (25,13 %) 2 003 (0,58 %) Café (49,27 %) Anacarde 8 900 (2,56 %) Hévéa Cultures vivrières 78 628 (22,66 %) Source : ANADER Abengourou, 2015

212

Dans la Nawa, l’hévéaculture n’occupe que 8,11 % de la SAU contre 79,9 % pour la culture du cacao (fig. 31).

Figure 31 : Part des différentes spéculations dans la surface agricole utilisée dans la Nawa (en ha)

48 314 (8,11 38 935 (6,54 %) %)

28 504,90 Cacao (4,78 %) Café 3 999 (0,67 %) Palimier à huile 476 000 Hévéa (79,9 %) Cultures vivrières

Source : ANADER Nawa, 2015

 Ensuite, l’association de la production vivrière est possible avec les jeunes hévéas. Cette pratique est d’ailleurs quasi systématiquement employée par les planteurs entre autres afin de minimiser les dépenses d’exploitations. Cette production vivrière est d’autant plus importante selon les données de l’APROMAC (2016) que 61 % des superficies d’hévéas dans l’Indénié-Djuablin et 54% dans la Nawa avaient moins de 5 ans en 2015.

 Enfin, cette situation tient aussi au fait que la disponibilité foncière reste encore relativement bonne dans les deux régions. La plupart des paysans font un effort de conservation d’un lopin de terre pour les cultures vivrières. Ainsi, dans notre échantillon, 87 % des planteurs enquêtés dans l’Indénié-Djuablin affirment détenir une réserve foncière contre 53 % dans la Nawa. En moyenne, les superficies de terre en réserve atteignent 2,16 ha dans l’Indénié-Djuablin mais restent beaucoup moins importantes dans la Nawa avec une moyenne de 0.88 ha par planteur.

C’est donc à un niveau local que les effets du développement de l’hévéaculture sur la production vivrière sont plus palpables. Ainsi, autour de la localité de Bettié, on peut observer qu’il n’existe quasiment plus de production vivrière, les populations ayant dédié toute la ressource foncière à l’hévéaculture. C’est le cas également autour de Yacoli-Dabouo où cette spéculation exerce une emprise quasi exclusive sur l’espace agricole. Au total, le développement de l’hévéaculture se fait au détriment des cultures vivrières du moins d’un point de vue spatial. Mais on ne peut interpréter le rapport entre culture commerciale et cultures vivrières uniquement en terme de conflit de superficies cultivées (Charlery de la Masselière, 1984 ; Chaléard, 2003). Ce qui nous conduit à nous intéresser aux autres aspects du développement de l’hévéaculture dans les deux régions. 213

7.4 De nombreuses contraintes à la production vivrière induites par l’essor de l’hévéaculture

Avec le développement de l’hévéaculture, de nombreuses contraintes à la production vivrière apparaissent dans les campagnes. Au nombre de celles-ci, il y a l’exacerbation des problèmes d’approvisionnement des producteurs de vivriers en main-d’œuvre. En plus de la concurrence des planteurs de café-cacao, ils doivent faire face à celle de plus en forte des planteurs d’hévéa. Ces derniers en particulier les urbains attirent d’autant plus de potentiels salariés qu’ils rémunèrent mieux la journée de travail. De plus, ils proposent généralement une plus grande diversité de tâches rémunérées (défrichement, piquetage, trouaison, planting, sarclage, épandage d’engrais et de pesticide, etc.) durant la saison agricole, ce qui assure au manœuvre une plus grande régularité de revenu, à la différence des producteurs vivriers qui ne proposent au mieux que le défrichement et le sarclage. C’est dans le département d’Abengourou (Indénié-Djuablin), plus particulièrement dans les zones autour d’Affalikro et d’Anuassué et dans celui de Soubré (Nawa) autour de Yabayo et Grand-Zatri où l’activité de création de plantation est intense que les producteurs de vivriers peinent le plus à se procurer des journaliers ou des travailleurs à la tâche pour leurs travaux. C’est ce que confirme une responsable de coopérative de productrices de vivrier rencontrée à Yabayo :

« Depuis que les gens ont commencé à planter l’hévéa partout, c’est devenu difficile de trouver des manœuvres. Ils partent tous travailler dans l’hévéa. Pour trouver un, il faut payer plus cher. Avant, on faisait dix à quinze hectares pour vendre, maintenant pour faire la moitié, c’est difficile » (entretien le 9 septembre 2015).

Outre l’accaparement de la main d’œuvre, un autre facteur qui contribue à la baisse de la production vivrière tient à la négligence ou à l’abandon des surfaces en culture pure à cause de la surcharge du calendrier agricole occasionnée par l’adoption de l’hévéaculture (fig. 32). Composés pour la plupart de producteurs de café-cacao qui pratiquent parallèlement l’agriculture vivrière pour l’autoconsommation et la diversification des revenus, les planteurs ruraux d’hévéa se retrouvent à gérer de façon concomitante trois activités agricoles. Cette gestion se révèle particulièrement difficile voire impossible d’autant que la phase de création de la plantation d’hévéa est particulièrement chronophage et que les différentes phases des travaux agricoles (défrichement, semi, sarclage, récolte, etc.) des cultures traditionnellement pratiquées se chevauchent. Cette situation amène la plupart des planteurs à affecter en priorité la force de travail dont il dispose aux cultures pérennes jugées plus rentables.

214

Figure 32 : Calendrier agricole des planteurs dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Types de spéculation Activités J FMAMJJ A S O N D Igname Défrichement Planting Sarclage Récolte Riz pluvial Défrichement Semis Sarclage Récolte Maïs Défrichement Semis Sarclage Récolte Manioc Défrichement Bouturage Sarclage Récolte Banane plantain Défrichement Planting Sarclage Récolte Hévéa Défrichement Piquetage Trouaison Planting Sarclage Sarclage Cacao-café Grande récolte Pétite récolte Période de pic de demande en main-d'oeuvre Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Cela implique un changement d’attitude de la part des planteurs envers la production vivrière pratiquée en culture pure. Alors qu’ils produisaient presque tous le vivrier en culture pure (98 % dans l’Indénié-Djuablin et 93 % dans la Nawa) avant l’adoption de l’hévéaculture, 56 % de planteurs dans l’Indénié-Djuablin contre 64 % dans la Nawa de notre échantillon d’enquête affirment avoir cessé ensuite ce mode de production (fig. 33). Parallèlement, ce sont respectivement 14 % et 26 % qui déclaraient avoir réduit les surfaces en culture pure, en témoigne un planteur interviewé à Yabayo :

Chaque année, je faisais au moins trois hectares de vivrier à part pour la nourriture et pour vendre. Depuis que j’ai commencé à faire de l’hévéa, je fais un seul hectare parce qu’il y a trop de travail à faire. Je dois m’occuper de l’hévéa, du cacao et du café, ça fait beaucoup de travail en même temps. Je fais les cultures où je peux avoir plus d’argent…» (entretien le 19 septembre 2015).

En revanche, 30 % des planteurs dans l’Indénié-Djuablin contre seulement 10 % dans la Nawa ont maintenu la même surface au moment de la création de leur plantation d’hévéa. Mais, la plupart des planteurs admettent un retard de la période de semis et une négligence du sarclage des parcelles de vivrier en culture pure. La faible proportion de planteurs dans la

215

Nawa peut s’expliquer par le fait qu’ils doivent s’occuper de plantations de cacaoyers de plus grandes taille que dans l’Indénié-Djuablin.

Figure 33 : Part de planteurs ruraux ayant des surfaces de vivrier en culture pure lors de la phase de création de la plantation d’hévéa (en %)

70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% Abandon du vivrier en culture Réduction de la surface de Maintien d'une surface pure vivrier en culture pure identique en culture pure Indénié-Djuablin Nawa

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Certes, en remplacement des surfaces en culture pure, la plupart des planteurs produisent du vivrier en association avec les jeunes hévéas, mais, cette pratique ne comble que partiellement le manque à gagner lié à la négligence ou à l’abandon des parcelles en culture pure en ce sens qu’elle ne porte que sur un éventail de cultures limitées. En effet, certaines plantes comme le manioc, l’igname, la banane plantain ne sont généralement pas associées à l’hévéa parce que pouvant causer des dégâts aux racines notamment au moment de leur récolte. Si la surcharge du calendrier agricole et les difficultés de trésorerie sont avancées pour justifier la négligence de la production vivrière chez les planteurs qui sont en phase de création d’une plantation d’hévéa, on pouvait s’attendre à ce qu’une fois libéré de ces contraintes avec l’entrée en production de la plantation qui signifie régularité de revenu et moins de charge de travail, les planteurs produisent plus de vivriers. Au contraire, sur la base des résultats de l’enquête par questionnaire (fig. 34), on remarque que plus de 54 % contre 63 % de cette catégorie de planteurs respectivement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa déclarent avoir abandonné ou réduit les surfaces de cultures vivrières. Seulement 5 % des planteurs dans l’Indénié-Djuablin et 8 % dans la Nawa déclarent avoir accru les surfaces de cultures vivrières cultivées.

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Figure 34 : Proportion de planteurs d’hévéa pratiquant l’agriculture vivrière après l’entrée en production de la plantation d’hévéa (en %)

45% 40% 35% 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0% Abandon de la culture Réduction de la Maintien d'une surface Augmentation de la vivrière surface de vivrier identique de vivrier surface de vivrier cultivé cultivé

Indénié-Djuablin Nawa

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Les planteurs d’hévéa ayant cessé toute production vivrière dans l’Indénié-Djuablin (16 %) et dans la Nawa (21%) se concentrent pour la plupart dans les localités pionnières de Bettié et de Yacoli-Dabouo et aux alentours. Comme le confirme un planteur rencontré à Bettié, la transformation des surfaces de cultures vivrières en plantation d’hévéa relève d’une logique purement économique :

« J’avais réservé des parcelles pour le vivrier, mais vers le milieu des années 2000, j’ai choisi de les planter en hévéa suite à l’augmentation des prix du caoutchouc. Je me suis rendu compte qu’avec un hectare de vivrier, tu ne pouvais pas nourrir ta famille toute l’année, mais transformé en hévéa, les gains te permettent de nourrir ta famille toute l’année et même de réaliser un peu d’épargne» (entretien le 4 août 2014).

En effet, se basant sur les revenus réguliers et substantiels que procure l’hévéaculture, la très grande majorité de planteurs de cette zone a converti tout son patrimoine foncier à tel point qu’il rend impossible de pratiquer l’agriculture vivrière. Cela constitue une transformation majeure de l’attitude du planteur vis-à-vis du vivrier par rapport à ce qui se faisait dans l’économie de cacaoyère. Dans cette économie, il était rarissime qu’un planteur se passe de l’agriculture vivrière parce qu’en raison de l’annualité et de la modicité des gains issus du cacao, la production vivrière permettait de réduire les dépenses alimentaires et de se procurer un complément de revenus à travers la vente du surplus. C’est ce qui a fait dire à Chaléard (op.cit.), qu’un producteur de cacao est avant tout un producteur vivrier. Outre l’abandon pur et simple de la production vivrière, on observe parallèlement une réduction de ses surfaces. De fait, 38 % des enquêtés dans l’Indénié-Djuablin et 42 % dans la Nawa ont déclaré en avoir réduit les surfaces depuis qu’ils bénéficient de revenus mensuels du caoutchouc naturel. Cette catégorie de planteurs, dispersée dans les deux régions, a réduit

217 les superficies de vivrier en moyenne de près de 50 %. En réalité, ce sont majoritairement des planteurs qui ont fait le choix de produire le vivrier uniquement pour l’autoconsommation familiale bien que disposant de réserves foncières et de revenus suffisant pour effectuer les dépenses liées à cette production. Un planteur de Brétihio nous expose les raisons qui l’ont amené à opérer un tel choix :

« Avec l’argent de l’hévéa, j’ai produit pendant trois à quatre ans du vivrier pour la vente. Mais, j’ai arrêté. C’est très fatigant et puis on ne gagne pas beaucoup d’argent surtout quand les pluies ne sont pas bonnes. Maintenant, je produis le vivrier seulement pour la consommation de ma famille. Je fais du commerce et de l’élevage, je trouve que ça rapporte plus » (entretien le 13 août 2015).

A l’image de cet interlocuteur, la grande majorité des planteurs ruraux préfèrent diversifier leurs revenus vers une diversité d’activités jugées plus rentables que l’agriculture vivrière marchande. Globalement, ils trouvent que l’activité de production vivrière n’est pas suffisamment rentable alors qu’elle est pénible. Ainsi, les planteurs villageois d’hévéa investissent dans des domaines variés dès lors que l’hévéaculture leur rapporte des gains (fig. 35).

Figure 35 : Activités de diversification des planteurs ruraux à partir des revenus tirés de l’hévéaculture

Agriculture vivrière Commerce de vivrier Petite restauration Immobilier locatif Transport (taxi-moto, tricycle, camoinnette) Petit commerce (boutique, téléphonie, vente… Elévage (volaille, ovin) Aucune activité de diversification

0% 5% 10% 15% 20% 25% 30%

Indénié‐Djuablin Nawa

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Dans l’Indénié-Djuablin, les planteurs réinvestissent principalement dans le petit commerce (27 %), l’élevage de volaille et d’ovin (18 %) et dans le transport (14 %) sous forme de taxi- motos, de moto-tricycles et de camionnettes affectées au transport de marchandises diverses. Ces trois activités de diversification mobilisent 59 % des planteurs enquêtés. Dans la Nawa en revanche, les planteurs diversifient surtout dans le secteur du transport (22 %) et secondairement dans l’immobilier locatif (18 %) et la petite restauration (13 %).

218

Conclusion

Ce chapitre contribue à montrer l’évolution rapide de l’hévéaculture dans les deux régions cibles. L’exploitation des images satellitaires montre qu’entre 2001 et 2016, elle est la spéculation agricole qui a connu la plus forte progression tant dans l’Indénié-Djuablin que dans la Nawa. En cela, elle se positionne comme le principal catalyseur de la modification de l’occupation du sol. L’analyse de l’antécédent cultural des espaces gagnés par l’hévéaculture au cours de la période de référence met en relief des logiques différenciées dans les deux régions. Dans l’Indénié-Djuablin, la culture se propage principalement au détriment des forêts secondaires et très marginalement aux dépens des espaces de cultures annuelles et jachères. Dans cette région, l’essor des friches dû à l’abandon de longue date de vieilles plantations cacaoyères permet la préservation des espaces de cultures vivrières au moment de la création des plantations d’hévéas. A contrario, dans la Nawa, la dynamique est presqu’autant alimentée par les forêts secondaires que les espaces dédiés aux cultures annuelles et jachères. Outre l’accaparement des surfaces de cultures vivrières, le développement de l’hévéaculture induit une surcharge du calendrier agricole, ce qui amène notamment les nouveaux planteurs à réduire ou à abandonner les surfaces de vivriers en culture pure au profit de l’entretien des cultures pérennes (café-cacao, hévéa). La même négligence est constatée chez les producteurs ayant des plantations matures, puisqu’ils réduisent majoritairement les surfaces vivrières au profit d’activités considérées comme plus lucratives comme le petit commerce, la petite restauration, l’élevage, etc.

En définitive, le développement de l’hévéaculture dans les deux régions cibles constitue une contrainte à l’agriculture vivrière. Quel est son impact sur l’accessibilité des populations aux vivres ? C’est ce à quoi le chapitre suivant tente d’apporter une réponse.

219

220

Chapitre 8 : De réelles contributions de l’hévéaculture à l’accessibilité des populations aux vivres

Si la disponibilité des aliments dans un espace (pays, région, localité, etc.) se présente comme une condition sine qua none pour la sécurité alimentaire des populations, elle reste néanmoins insuffisante pour garantir l’accès des individus et des ménages à l’alimentation. En effet, comme l’a fait remarquer Brunel (2009), il ne suffit pas que la nourriture existe, il faut aussi que l’on puisse se la procurer. Autrement dit, il faut qu’elle existe matériellement à proximité des populations et que celles-ci aient les moyens de s’en procurer financièrement. Sen et Drèze (1990) disaient à juste titre que si une personne manque de moyen pour acquérir la nourriture, la présence de cette dernière sur les marchés n’est pas d’une grande consolation. Ce chapitre qui s’attache à l’analyse de l’influence du développement de l’hévéaculture sur l’accessibilité des populations de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa aux vivres s’intéressera dans un premier temps aux habitudes alimentaires des populations ivoiriennes. Dans un second temps, il s’agira de s’assurer que les aliments couramment consommés sont physiquement accessibles à travers l’étude de la géographie des principaux lieux d’accès à l’alimentation et l’animation de leurs circuits d’approvisionnement. Enfin, on s’attachera à déterminer si l’hévéaculture procure un pouvoir d’achat suffisant pour l’accès économique des populations aux vivres.

8.1 Les habitudes alimentaires des Ivoiriens

Les habitudes alimentaires peuvent être saisies à travers la structure des repas quotidiens. Cette consommation alimentaire journalière s’organise autour de trois repas quelque que soit la situation résidentielle. En effet, qu’on soit en ville ou en campagne, les repas journaliers sont classiquement au nombre de trois : un petit déjeuner entre 6 heures et 8 heures, un déjeuner souvent entre midi et 13 heures, et un dîner entre 19 et 20 heures. La composition de chacun de ces trois repas est étroitement liée aux préférences alimentaires, à la disponibilité des aliments et aux pouvoirs d’achat des ménages ou des individus. Ainsi en ville, certains citadins se privent du petit déjeuner par manque de temps ou de moyens financiers quand d’autres se contentent d’un en-cas sous forme de sandwich. En règle générale, pour les couches relativement aisées, le petit-déjeuner se compose de café (avec ou sans lait) et de pain au beurre ou à la confiture, de spaghetti, de viande, de poisson, etc. L’accompagnement est beaucoup plus limité, voire inexistant pour les plus défavorisés. Pour ces deniers, le petit déjeuner est, comme en zone rurale, le plus souvent composé:

 d’une tasse de bouillie de mil, de maïs ou de riz accompagnée de galette de farine de blé, de mil ou de maïs ;  d’un plat de placali (pâte de manioc bouillie à l’eau) accompagné de sauce ou d’attiéké accompagné de poisson, etc. ;

221

 des restes du repas consommé au dîner la veille, surtout en zone rurale où il faut prendre un repas consistant en raison de la pénibilité des travaux champêtres.

Les deux autres repas sont structurés autour d’une dizaine de plats représentant l’essentiel de l’alimentation ivoirienne (Courade et al., 1989). Ces plats sont identiques tant en ville qu’en campagne mis à part le fait que certains citadins ont la possibilité de s’offrir en plus des mets européens notamment dans les divers restaurants en ville. Les plats locaux sont confectionnés à base de céréales ou de racines et de tubercules et consommés avec une sauce présentée séparément. Les plats à base de céréales sont le riz cuit à l’eau et le toh qui est une pâte obtenue à partir de la poudre de maïs, de mil, de sorgho ou de manioc cuite à l’eau. Les plats à base de racines ou de tubercules sont le foutou d’igname, de manioc ou de banane plantain (mélangé ou non à du manioc). Ces aliments sont préalablement cuits à l’eau avant d’être pilés puis servis sous forme de « pains ». En plus de ces différents plats, l’on a l’attiéké, une semoule très prisée préparée à partir de manioc et le placali qui est une pâte de manioc cuite à l’eau. Les sauces qui accompagnent les différents plats sont de plusieurs types. Ce sont des associations de plusieurs types de légumes, de corps gras, de produits animaux (viande ou poisson) et de condiments. De la sorte, la sauce est la pièce maîtresse de l’équilibre nutritionnel de l’individu par la variété des nutriments qu’elle fournit (Courade et al., ibidem). En général, le légume de base utilisé dans la sauce lui confère son nom. On a ainsi, la sauce arachide, aubergine, tomate, graine (à base d’huile de graine de palme), la sauce feuille (à base de feuille de manioc, d’aubergine, etc.), de gombo (frais ou sec), etc. De façon générale, c’est une « portion » de la sauce consommée au déjeuner qui sert également pour le repas du soir. Outre les plats accompagnés de sauce, il existe un certain nombre de plats en sauce dont les plus prisés sont le riz au gras, le ragout d’igname ou de banane. Si les plats sont consommés indistinctement par les populations, on peut toutefois constater que les choix alimentaires sont influencés par l’appartenance socioculturelle. Ainsi, les populations du nord du pays optent le plus souvent pour des plats à base de céréales et d’igname quand celles du sud préfèrent généralement les féculents et les tubercules et celles de l’ouest le riz. Bien souvent, la prégnance de l’identité culinaire est telle que l’individu qui n’a pas accès à l’alimentation de son terroir d’origine développe un sentiment d’insécurité alimentaire.

En somme, l’analyse indique que les trois repas journaliers sont structurés autour de produits locaux. Ces choix sont faits en fonction du niveau de revenu mais les préférences sont souvent fonction de l’appartenance culturelle de l’individu. Ainsi esquissé le cadre général des usages alimentaires tant en milieu urbain et rural, la question est de savoir si les populations ont physiquement accès à ces aliments.

222

8.2 Distribution spatiale et circuit d’approvisionnement des marchés dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, les boutiques, les restaurants et maquis, ainsi que les marchés constituent les principaux lieux d’accès à l’alimentation. Les boutiques ne proposent qu’une gamme limitée de produits manufacturés (bouillon cube, huile de table, sel, pâte alimentaire, etc.) et de produits importés (riz, farine de blé, etc.) même si elles sont bien réparties dans l’espace. Selon l’ENV (op. cit.), pour 79 % des ménages ivoiriens, l’accès à une boutique prend moins d’un quart d’heure. Les restaurants et les maquis proposent généralement des mets locaux à leur clientèle mais sont mal répartis dans l’espace. Aussi, ils restent peu fréquentés par la majorité de la population dont la préférence va à l’alimentation domestique. Quant aux marchés, ils sont les lieux majeurs du commerce de vivrier, même s’ils n’en ont pas l’exclusivité (Chaléard, op. cit.). En même temps, comme le soulignent Paulais et Wilhelm (2000), ils sont les terminaux des circuits d’approvisionnement […] en produits manufacturés.

Ainsi, comme partout en Côte d’Ivoire, les marchés restent les lieux les plus indiqués pour accéder de façon régulière à une gamme complète et diversifiée de denrées alimentaires qu’elles soient d’origine locale, importés ou manufacturés. Dès lors, se pose le problème de l’accessibilité de ces marchés aux populations.

8.2.1 Distribution spatiale des marchés

Une bonne couverture de l’espace par les marchés est indispensable à l’accès physique des populations à l’alimentation dans la mesure où quasi journellement les ménagères doivent faire leurs courses en vue de la confection du repas quotidien. Cette pratique relève tant de l’irrégularité des moyens de subsistance que de l’inexistence de moyen de conservation des aliments. Elle explique en partie pourquoi les marchés sont presque toujours animés. Si, dans nos deux régions, les marchés tiennent les mêmes fonctions socioéconomiques auprès des populations, il existe cependant des divergences en ce qui concerne la temporalité et les processus de leur création. Selon Chaléard (op. cit.), les principaux marchés de l’Indénié- Djuablin à l’image de ceux d’Abengourou, d’Agnibilékro et de Bettié datent de l’époque coloniale. Leur création par l'administration coloniale s'inscrivait dans le cadre de l'exploitation et du contrôle du territoire, la région ayant été l’une des pionnières de l’économie de plantation coloniale. Dans la Nawa en revanche, les marchés ont été globalement implantés au cours de la période postcoloniale par les pouvoirs publics ivoiriens ou à l'initiative de populations désireuses de créer un cadre d'échange (Encadré 1).

223

Encadré 1: Processus de création des marchés dans la Nawa

Alors que sous la période coloniale, les autorités incitaient à la création de marchés dans chaque poste, veillaient à la construction puis à l’embellissement du bâtiment, les marchés se créent aujourd’hui de façon spontanée. Ce sont d’abord des agricultrices qui viennent vendre leurs denrées sur la place d’un gros campement ou à un carrefour. Elles y rencontrent des commerçantes qui leur achètent leurs récoltes et des colporteurs qui proposent des produits de la ville. D’abord occasionnels ou saisonniers, ces échanges deviennent réguliers. Le nombre d’intervenants, modeste au début, augmente peu à peu. Des stands permanents sont installés. Un contrôle rapidement s’opère, fait des autorités locales, chef du campement ou maître de la terre villageois. Lorsque le marché est suffisamment important et stable, l’administration le reconnaît, ce qui signifie qu’il est contrôlé, que des taxes y sont perçues et qu’en retour une aide, pour son aménagement, peut être fournie. (Chaléard, op. cit., p. 514).

Au-delà de la diversité des processus de création, les marchés se dispersent dans les espaces étudiés (cartes 28). On aboutit ainsi à un véritable maillage du territoire régional. En fait, chaque localité a son marché, ce qui est un atout en termes d’accessibilité physique des populations aux biens de consommation courante.

Carte 28 : Distribution des marchés dans les régions de l'Indénié-Djuablin et de la Nawa

224

D’ailleurs, selon l’ENV (op. cit.), 81 % des ménages ivoiriens mettent moins d’une demi- heure pour accéder à un marché. La grande majorité de ces ménages (64,4 %) rallient ce lieu à pied. S’ils ont en commun d’être des lieux de convergence des consommateurs et des commerçants pour acheter et pour vendre, et des lieux où s’établissent les échanges commerciaux entre les différentes localités de l’espace régional et au-delà, les marchés se distinguent cependant par leur fonction, leur ampleur et le nombre d’acteurs. Ainsi, peut-on relever des marchés ruraux qui génèrent des échanges de proximité, des marchés semi-urbains qui occasionnent des échangent de courte distance et des marchés urbains qui sont à l’origine de flux de longue distance.

8.2.1.1 Les marchés ruraux

Ces marchés désignent ceux des campagnes et des petits villages. Ils se localisent le plus souvent sur les places centrales des villages ou le long de la voie principale qui traverse les localités. Ils sont spécialisés dans la vente de produits vivriers et d’élevage locaux mais proposent secondairement certains produits manufacturés provenant des villes environnantes. Les vendeuses sont principalement des agricultrices ou des femmes d’agriculteurs qui viennent vendre leurs productions mais également acquérir les denrées qui leur font défaut. Le coût du vivrier y est relativement bas compte tenu de l’absence d’intermédiaire et de frais de transport. Les marchés ruraux attirent les grossistes et facilitent l’accès des populations des campagnes aux denrées, en particulier, pendant la période de soudure. Suivant la tradition de chaque espace, la plupart de ces marchés sont à jour fixe ou à jour variable. Cette circularité permet aux commerçants de visiter les autres marchés alentours et aux populations de s’approvisionner en biens de consommation courante. Cette forme d’organisation permet à toutes les localités, même les plus reculées, d’être ravitaillées en une diversité de produits. Leur aire d’influence se limite aux campements et villages proches. Un exemple de marché qui permet de mieux juger la structure et le fonctionnement des marchés ruraux est celui de Gblétia dans la Nawa.

 Le marché de Gblétia

Glétia est une localité située sur l’axe bitumé Soubré-Méagui. Si son marché se tient journellement, le vendredi reste néanmoins le jour de grande affluence car selon les croyances locales, c’est un jour sacré où toute activité champêtre est déconseillée. Le marché se tient sur un espace dépourvu d’installations durables et les activités débutent autour de 6 heures du matin. Le 28 août 2015, jour de notre passage sur ce marché, on pouvait dénombrer 57 commerçants dont 39 femmes. Parmi eux, seule une dizaine réside sur place. Les autres ont rejoint le marché à pied ou à vélo et une minorité à moto, ce qui induit que l’aire de ravitaillement de ce type de marché est assez réduit. Il n’excède guère un rayon de 10 kilomètres selon les commerçants interrogés. Plusieurs types de vivriers produits dans les champs (légumes, fruits, tubercules, banane plantain, manioc, etc.) sont proposés. Les hommes vendaient essentiellement des céréales (riz blanchi et maïs) et de la volaille (poule, pintade) quand les femmes écoulaient des légumes (tomates, gombo sec et frais, aubergines, 225 manioc frais et séché). En moyenne, on peut estimer le poids de la marchandise proposée par personne à 20 Kg. Elle est acheminée en cuvette ou en sac. Les acheteurs sont les femmes du village mais beaucoup viennent d’, la Sous-préfecture la plus proche. Bien que leur nombre soit réduit, cette clientèle a une capacité d’achat beaucoup plus importante. En effet, ils arrivent que certaines achètent la totalité des marchandises proposées par les vendeurs quand les autres font de micro-achats.

8.2.1.2 Les marchés semi-urbains

Ce sont les marchés des sous-préfectures ou de gros villages généralement situés aux confluents de deux axes routiers importants. Ce sont des marchés relais entre les marchés ruraux et les marchés des principaux centres urbains des deux régions. Ils servent à la fois de lieux d’achat pour les consommateurs finaux, de points de collecte secondaire et de lieu de groupage pour les grossistes. Ces marchés sont également des lieux où s’approvisionnement les colporteurs et commerçants qui fournissent les petits villages et campements proches en produits issus du reste du pays (mil, sorgho, etc.) et en produits manufacturés. Leur activité est quotidienne mais souvent avec des jours d’affluence particulière, le vendredi et le dimanche. Pendant ces deux jours, de nombreuses personnes viennent des campements et petits villages pour prendre part à la prière dans les mosquées et églises des localités semi- urbaines et en profitent pour écouler de la marchandise ou faire des achats. Ces marchés engendrent en général des relations de courte distance. L’affluence sur ces marchés varie en fonction des saisons. Elle est grande pendant la période post-récolte des produits agricoles locaux qui correspond à la saison sèche, entre les mois de décembre à mars. En revanche, elle est faible pendant la saison de pluies d’une part, parce que les populations sont occupées par l’ensemencement des champs et d’autre part, en raison de la diminution des quantités de produits agricoles commercialisables à cette période. Le marché de Doufrébo permet d’appréhender le fonctionnement et la structure d’un marché semi-urbain.

 Le marché de Doufrébo

Doufrébo est un des quatre chefs-lieux de Sous-préfecture du département d’Agnibilékro dans l’Indénié-Djuablin, situé à l’écart du principal axe de circulation (carte 28, p. 224). Son marché est bâti sur une superficie d’environ 650 m² et est constitué d'une partie centrale couverte sous laquelle des commerçants exposent leurs marchandises. Il se tient de façon quotidienne avec deux principaux jours d’affluence : le vendredi et le dimanche. Au contraire des marchés ruraux, les vendeuses ne sont pas toutes des agricultrices. Elles sont, pour la plupart des commerçantes, à plein temps. Sur 213 commerçants dénombrés sous le préau lors de notre passage le 15 novembre 2015, 173 étaient des détaillantes de vivriers locaux dominés par les produits frais (tomate, oignon, igname, piment, banane plantain, etc.). A ces produits, s’ajoutent des produits locaux transformés (poudre de piment, de roucou ou de gombo, attiéké, pâte d'arachide, manioc séché, etc.) ainsi que du poisson fumé ou séché et divers produits alimentaires manufacturés (bouillons cubes, sel, sucre, pâte alimentaire, huile, conserves, etc.) provenant essentiellement du chef-lieu de département (Agnibilékro) ou de 226 région (Abengourou). Les autres commerçants sous le préau, composés d’hommes et de femmes exposaient essentiellement une diversité de produits manufacturés (vêtements, chaussures, ustensiles de cuisine, etc.). Tout autour de la structure centrale du marché, on peut observer une pléthore de petits magasins constitués d'ateliers artisanaux de couture ou de coiffure, d’une boucherie mais surtout de boutiques qui proposent des produits alimentaires manufacturés.

8.2.1.3 Les marchés urbains

Les marchés urbains désignent ceux des chefs-lieux de département ou de préfecture, soit cinq localités: Abengourou, Bettié et Agnibilékro dans l’Indénié-Djuablin et Soubré, Méagui, Gueyo et Buyo dans la Nawa. Dans le paysage de ces villes, on distingue un marché central et un à deux, voire 3 marchés secondaires. Le marché central est le plus ancien et le plus important en termes de capacité et d’aire d’influence. Il joue un rôle de marché de gros car il sert de lieu de déchargement et de distribution des vivres aux détaillantes des marchés secondaires. Ces derniers sont en fait des marchés de proximité qui rapprochent les populations des quartiers périphériques des denrées. Ils complètent la fonction de redistribution de vivres dans le paysage urbain. Les marchés centraux constituent dans leur espace (département ou région) des interfaces indispensables entre les grandes métropoles du pays, notamment la capitale et la campagne. Ainsi, ils constituent des points de passage obligé des produits manufacturés et des produits non cultivés localement destinés à l’arrière-pays. Ces marchés, qui polarisent d’importants flux, se caractérisent également par la quotidienneté de leur activité. Ils rythment les échanges commerciaux régionaux et départementaux et contribuent à la mise en place d’un important réseau de marchés. Un focus sur le marché central d’Abengourou permet d’appréhender le fonctionnement des marchés urbains.

 Le marché central d’Abengourou :

Parmi les marchés centraux de nos terrains d’étude, seul celui d’Abengourou est en étage, les autres étant plutôt composés de plusieurs hangars. Assurément, l’un des plus modernes du pays, le marché central pour lequel la municipalité a consacré un investissement financier de 178 000 000 F CFA (271 755 euros) a été construit en 2010 en plein centre-ville sur le site du premier marché ravagé par un incendie à la fin des années 1990. Il occupe une superficie d’environ 2 ha pour une capacité d’accueil de plus de 2000 places (photo 17). Tout autour, on retrouve l’essentiel des grands magasins de commerce de la ville. Ils proposent en demi-gros ou en gros des produits alimentaires importés ou en provenance des usines de la capitale économique (riz, farine de blé, huile, pâtes alimentaires, etc.) et en biens d’équipements ménagers, pièces détachées, tissus, pagnes, etc.

227

Photo 17 : Vue d’ensemble du marché principal d’Abengourou

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Le rez-de-chaussée est réservé au commerce de produits alimentaires et à l’étage se mêlent commerçants d’articles vestimentaires, de produits cosmétiques et diverses catégories d’artisans (couturiers, coiffeuses, tresseuses, etc.). Selon les statistiques fournies par les différentes coopératives de vendeuses, 708 personnes assurent le commerce de produits alimentaires. Les femmes, au nombre de 635, contrôlent le commerce des produits locaux frais (banane plantain, tomate, aubergine, oignon, etc.) et transformés (poudre de gombo, de piment, pâte d’arachide, attiéké, etc.). Elles sont majoritairement originaires du nord (54 %) de la Côte d’Ivoire, suivies des autochtones Agni (26 %). Les autres ivoiriens représentent 16 % et les ressortissantes des pays de la sous-région (4 %). Ces femmes ont dans leur grande majorité plus de 45 ans et totalisent en moyenne une quinzaine d’années d’activité, ce qui témoigne d’une certaine stabilité dans la profession. Selon Paulais et Wilhelm (ibidem), la contrainte majeure conditionnant l’activité des détaillantes est la faiblesse du capital commercial de la majorité d’entre elles. Quant aux hommes, ils commercialisent principalement des produits alimentaires manufacturés (huile, sucre, farine, sel, conserves, etc.) et des produits locaux issus des autres régions (igname et riz importés, mil, maïs). Au nombre de 73, ils sont, comme les femmes essentiellement originaires du nord du pays (65 %) et secondairement des pays limitrophes (35 %). Comme dans les autres types de marché, la commercialisation de la marchandise dans ce marché se fait sur des étals maçonnés ou en bois. Le marché central est d’accès facile car toutes les voies d’accès sont bitumées et régulièrement pratiquées par des taxis-villes. Dans tous les cas, chacun des plus importants quartiers de la ville (Cafétou, Dioulakro ou Agnikro, Relais) disposent d’un marché de proximité où les ménagères de la périphérie urbaine peuvent s’approvisionner quotidiennement en vivres. Les détaillantes de ces marchés secondaires se ravitaillent auprès des grossistes du marché central.

228

De ce qui précède, il ressort que dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, il existe un réseau de marché spatialement bien réparti dont l’accès est globalement aisé pour les populations. En matière d’accessibilité des populations aux vivres, le tout n’est pas d’avoir des marchés facile d’accès, encore faut-il qu’ils soient en permanence bien approvisionnés.

8.2.2 Circuits de ravitaillement des marchés en produits alimentaires

En fonction de leur origine géographique, les produits alimentaires commercialisés sur les marchés peuvent être classés en quatre principaux groupes : les produits végétaux d’origine locale, les produits végétaux en provenance des autres régions du pays, les produits animaux, et enfin les produits manufacturés ou importés en provenance de la capitale économique Abidjan. Pour chaque groupe de produits, il existe un circuit et des acteurs de ravitaillement variables d’un type de marché à l’autre.

8.2.2.1 Circuits d’approvisionnement des marchés ruraux

L’approvisionnement des marchés ruraux en vivriers produits localement comme la banane plantain, l’igname, le manioc ou les cultures maraîchères (tomates, aubergine, gombo, oignon, etc.) se fait principalement selon un circuit direct (fig. 36) en ce sens que les productrices livrent directement leurs productions aux consommateurs.

Figure 36 : Circuit d’approvisionnement des marchés ruraux en vivriers produit localement

Agricultrices / agriculteurs Consommateur final

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

En effet, dans la majorité des cas, les détaillantes elles-mêmes sont pour la plupart des agricultrices qui viennent écouler leurs propres productions ou celles de leur conjoint. Elles résident dans la localité abritant le marché ou proviennent des gros campements et petits villages situés dans un rayon de 2, voire 5 km. Elles acheminent les denrées commercialisées vers le marché principalement par portage sur la tête, à vélo ou à moto. L’approvisionnement atteint son maximum entre septembre et janvier, correspondant à la période de pointe de la récolte des productions vivrières. C’est aussi la période où les producteurs ont besoin de liquidité pour la rentrée scolaire et les fêtes de fin d’année. Au cours de cette période, la plupart de ces marchés se tiennent quasiment tous les jours. En revanche, l’approvisionnement baisse considérablement entre mai et août parce que les

229 productrices sont accaparées par les travaux champêtres mais également à cause de l’amenuisement des productions commercialisables. Ainsi, certains marchés ruraux ne fonctionnent réellement qu’un seul jour dans la semaine. Dans la Nawa et plus particulièrement dans le département de Méagui, ce jour est le plus souvent le vendredi car il correspond à un jour de culte pour la plupart des producteurs et productrices. Dans l’Indénié- Djuablin, dans le département d’Abengourou, ce jour varie entre le vendredi et le dimanche. En dehors des produits végétaux, on retrouve également sur ces marchés des produits animaux, surtout une variété de poisson fumés ou séchés, et secondairement de la viande de bœuf. Ces produits sont proposés par des commerçants ambulants qui sillonnent les différents marchés ruraux à bord d’engins à moteur à deux roues. Ils se ravitaillent auprès de commerçants grossistes ou demi-grossistes des marchés semi-urbains et urbains. Au bilan, il ressort que le circuit d’approvisionnement des marchés ruraux permet une desserte correcte des petites localités en produits alimentaires. Au cours des périodes de baisse d’approvisionnement les populations dont l’écrasante majorité est constituée d’agriculteurs ont recours à leurs réserves alimentaires ou aux marchés semi-urbains les plus proches.

8.2.2.2 Circuits d’approvisionnement des marchés semi-urbains

L’approvisionnement des marchés semi-urbains en vivriers produits localement se fait au travers d’un circuit indirect court. En effet, les producteurs cèdent contrairement à la situation dans les marchés ruraux, leurs récoltes aux détaillantes des marchés (fig. 37). Ces dernières sont majoritairement des femmes pour qui le commerce de détail constitue une activité quasi permanente.

Figure 37 : Circuit d’approvisionnement en vivriers produits localement des marchés semi-urbains de l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Détaillantes des Consommateur

Producteurs marchés final

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Les producteurs qui approvisionnent les marchés semi-urbains résident sur place ou proviennent des villages proches. Dans le cas du marché de Yabayo par exemple, les échanges avec des détaillantes de vivriers montrent qu’une part non négligeable du ravitaillement du marché est fournie par les agriculteurs de la cité. Ce qui peut s’expliquer par le fait que la majorité de sa population a comme activité principale l’agriculture. A Yabayo comme à Douffrebo, nos observations permettent de dire que les moyens d’acheminement des productions au marché sont le portage sur tête, le vélo, la moto ou la

230 camionnette. La période de pointe des approvisionnements se situe comme sur les marchés ruraux entre septembre et janvier. C’est entre mai et août qu’intervient généralement une baisse importante des approvisionnements directs par les producteurs. Cela amène les détaillantes à aller chercher la marchandise dans les zones de production les plus reculées, souvent à plus de 20 km du marché dans le cas de Douffrebo. En parallèle, les détaillantes des marchés semi-urbains se ravitaillent auprès de grossistes des marchés urbains en tomate, aubergine blanche, riz blanchi, maïs, en mil, sorgho etc. dont la production locale voire régionale est insuffisante, car ces produits sont peu cultivés dans la région. Certains produits animaux comme la viande de bœuf, le poisson frais, le poisson fumé ou séché vendus sont fournis également par les grossistes des marchés urbains. Il en est de même pour les produits manufacturés comme l’huile de table, le bouillon cube, la tomate concentrée, la pâte alimentaire, etc.

8.2.2.3 Circuits d’approvisionnement des marchés urbains

Les marchés urbains comme ceux d’Abengourou (Indénié-Djuablin) et de Soubré (Nawa) proposent aux consommateurs du vivrier produit dans la région, du vivrier en provenance des autres régions du pays, des produits manufacturés en provenance des usines de la capitale économique et des produits importés.

8.2.2.3.1 Circuits d’approvisionnement en vivriers produits dans la région

L’approvisionnement des marchés urbains en vivriers produits localement repose sur deux types de circuits complémentaires. Le premier, comme dans les petites localités, repose sur un circuit direct en ce sens que les producteurs livrent les denrées directement aux détaillantes des marchés. Mais, ici, ce circuit porte principalement sur les cultures maraichères (oignon, tomates, choux, gombo, etc.). Les producteurs viennent principalement des localités situés dans un rayon de 10 à 20 km des centres urbains. Sur les marchés d’Abengourou, chef-lieu l’Indénié-Djuablin, l’essentiel des cultures maraichères commercialisées provient des localités proches comme Anuassué, Kodjina et Adaou. C’est le cas également pour le marché de Soubré, chef-lieu de la Nawa qui reçoit cette catégorie de denrées principalement des villages alentours et des localités proches comme Oupoyo et Yabayo. Le second est un circuit indirect court (fig. 38) marqué par la présence des grossistes dans la chaine de commercialisation. Il est plus important en volume comme en variétés de vivriers livrés et porte sur des denrées comme la banane plantain, l’igname, le manioc, le riz local, le produits maraîchers, les fruits, etc. Les grossistes sont exclusivement des femmes. Selon l’OCPV, elles sont au nombre de 57 (en 2015) à approvisionner le marché d’Abengourou. Elles sont pour près de la moitié (43 %) des autochtones Agni de la région contre 38 % de femmes originaires du nord la Côte d’Ivoire. Les autres (19 %) sont originaires d’autres régions du pays et des pays limitrophes. La grande majorité de ces femmes ont entre 40 et 55 ans et elles exercent le métier en moyenne depuis

231 plus de dix ans. Ce qui apporte la preuve que l’approvisionnement du marché est une activité stable. Par ailleurs, l’OCPV indique que le marché de Soubré était approvisionné par 68 grossistes en 2015, composés à plus de 80 % de femmes originaires du Nord et du Centre du pays. Les autres sont des autochtones bété et des ressortissantes burkinabé. Elles sont un âge compris entre 30 et 50 ans et cumulent en moyenne une dizaine d’années de métier.

Figure 38 : Circuit d’approvisionnement en vivriers produits localement des marchés urbains

Producteurs Grossistes Détaillantes Consommateur des marchés final

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Dans les deux régions, les grossistes organisent l’approvisionnement des marchés urbains, selon trois modalités :

- l’achat bord champs : dans ce cas, le grossiste convient d’une date de passage avec un ou plusieurs producteurs dont les champs sont situés dans la même zone. Ces derniers entreposent leurs productions dans des endroits faciles d’accès et le grossiste affrète un véhicule pour l’enlèvement des productions. Le paiement se fait généralement sur place ou après la vente. La capacité de charge des véhicules utilisés varie entre 5 et 10 t.

- l’achat sur les marchés ruraux : Les grossistes sillonnent le plus souvent à l’improviste ce type de marché pour acheter les récoltes que viennent proposées les paysans des campements et petits villages environnants. Dans ce cadre, elles font souvent face à la concurrence d’autres grossistes venant d’autres villes, notamment d’Abidjan. Cette concurrence est plus vive dans la Nawa. Dès que la quantité collectée est suffisante pour un chargement généralement au bout de deux à trois jours, la marchande affrète un véhicule pour le transport de la marchandise vers le centre urbain.

- le groupage des produits dans des localités faciles d’accès : cette méthode est employée surtout en saison sèche quand les quantités proposées individuellement par les producteurs sont faibles. Le jour convenu, les planteurs contactés acheminent à vélo, à moto ou portage sur la tête leur production préalablement conditionnée dans des sacs au point de groupage indiqué. La marchandise est payée cash avant d’être chargée par le grossiste dans le véhicule affrété.

Une fois acheminés en ville, les produits sont déchargés dans un endroit en plein air à proximité du marché avant d’être livrés par les grossistes aux détaillantes installés sur les

232 marchés (photo 18). Les produits sont généralement cédés à une ou plusieurs d’entre elles contre paiement immédiat de la moitié de leur valeur, le reste du montant devant être réglé dans un délai maximum de trois jours afin de permettre un renouvellement rapide du ravitaillement.

Photo 18 : Un véhicule de transport de vivrier sur le quai de déchargement du marché central d’Abengourou

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Une commerçante grossiste du marché central d’Abengourou assistant à la tombée de la nuit au débarquement de son chargement de vivrier collecté dans le département d’Agnibilékro. Faute de magasin, la cargaison composée de banane plantain, d’aubergine blanche, de manioc (dans les sacs en plastique), d’orange, etc. est déchargée et stockée en plein air avant d’être distribuée le plus rapidement possible aux détaillantes. La location du véhicule lui a coûté 90 000 CFA (137 euros).

Aux dires des grossistes du marché d’Abengourou, les principaux bassins d’approvisionnement se situent dans le département de d’Abengourou et d’Agnibiliékro. Les localités d’Anuassué, de Satikran, de Niablé dans le premier département cité et celui de Damé, d’Amélékia et de Doufrébo dans le second sont cités par les grossistes comme les principaux bassins d’approvisionnement du marché d’Abengourou. Le département de Bettié et son arrière-pays est selon elles très peu sollicité en raison de la forte dynamique de l’hévéaculture. A la question de savoir si le développement a conduit un changement de zones d’approvisionnement, une responsable de coopératives de grossistes révèle :

233

« Ça change lentement, parce que certains planteurs qui nous livraient beaucoup de vivriers ne nous livrent plus rien à cause de l’hévéaculture. Avant dans un village comme Affalikro, on pouvait acheter beaucoup de vivriers pendant au moins six mois. Maintenant après un ou deux mois, il n’y plus rien à acheter » (entretien à Abengourou le 12 août 2014).

En ce qui concerne l’approvisionnement du marché de Soubré, les grossistes indiquent que tous les départements les plus sollicités sont ceux de Méagui et de Soubré. Les zones autour des localités d’Oupoyo, de Progréagui et de Touanié dans le département de Méagui sont de l’avis de grossistes celles qui fournissent le plus de vivres au marché de Soubré. Dans celui de Soubré, ce sont les zones autour de Yabayo, d’Okrouyo et Kéitadougou qui sont les plus citées. Comme les grossistes du marché d’Abengourou, celle de Soubré estiment que le développement de l’hévéaculture contribue à l’émiettement de la production dans les villages.

« En 2005, quand j’ai commencé ce commerce, on pouvait avoir le chargement d’un camion de 10 tonnes dans un seul campement parce que les planteurs de cacao produisaient beaucoup de vivrier pour vendre. Maintenant, ils font l’hévéa à la place du vivrier et il faut faire trois ou quatre campements pour avoir la même quantité de vivrier qu’avant» (entretien à Soubré le 7 juillet 2015).

8.2.2.3.2 Circuits d’approvisionnement en vivriers entrant dans la région

Parallèlement au vivrier produit dans la région, les marchés urbains sont approvisionnés en une diversité de vivriers venant d’autres horizons. Ce sont des produits maraîchers tels que la tomate, l’aubergine blanche, le choux, etc. ou des féculents comme l’igname, le maïs, le riz blanchi, le mil, le sorgho, etc. Ces denrées sont insuffisamment produites à l’échelle des régions concernées (igname, maïs, riz, tomate, aubergine blanche, etc.) ou n’y sont pas produites pour des raisons pédoclimatiques (mil, sorgo). Les circuits d’approvisionnement des marchés dans les productions comme la tomate, le gombo, l’aubergine blanche, etc. sont animés par des femmes. Elles partent des marchés urbains pour collecter la marchandise dans les régions voisines où la production est excédentaire. En revanche l’approvisionnement des produits comme le riz blanchi, le maïs, le mil et le sorgho, l’igname, se fait selon un circuit indirect long marqué par l’intervention d’un grand nombre d’acteurs avant la livraison des produits au consommateur final (fig. 39). Ainsi, on retrouve dans la chaine d’approvisionnement, les collecteurs qui après avoir acheté les récoltes aux producteurs les cèdent aux grossistes des zones de production. Ces derniers se chargeant ensuite d’expédier la marchandise aux grossistes des marchés urbains. C’est dans les magasins détenus par ces derniers que les détaillants viennent se ravitailler. Il convient de noter que les acteurs contrôlant ce commerce sont essentiellement des hommes.

234

Figure 39 : Circuit indirect long dans le ravitaillement des marchés urbains dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Détaillantes Producteurs Collecteurs Grossistes Consommateur des marchés final

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Les données fournies par l’OCPV permettent de se faire une idée des flux et des quantités des principaux produits entrant dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa.

 Flux d’igname

L’igname est le féculent le plus produit en Côte d’Ivoire avec 7 298 144 t en 2015 (OCPV, 2015). Si toutes les régions du pays en cultivent, l’essentiel de la production se retrouve dans les régions savanicoles du Centre et du Nord du pays. Ainsi, à l’image de la plupart des régions de la moitié sud du pays, l’Indénié-Djuablin et la Nawa reçoivent des approvisionnements en provenance des principales régions productrices. Comme l’indique la carte 29, les principales régions d’approvisionnement de l’Indénié- Djuablin sont le Gontougo (3260 t), le Bounkani (1 180 t) et le Gbêké (432 t). Selon la plupart des grossistes rencontrés à Abengourou, les critères de choix des régions expéditrices reposent sur la proximité qui influe sur le coût du transport, la variété d’igname disponible, les prix pratiqués sur le lieu de production et le type de relation entre les grossistes expéditeurs et les grossistes locaux. Suivant cette logique, la Nawa a été principalement ravitaillée par les régions du Gbêkê (Bouaké), du Poro (Korhogo) et du Gontougou (Bondoukou) respectivement à hauteur de 2 457 t ; 1 342 t et 879 t.

Carte 29 : Flux d’igname entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays

235

 Flux de maïs

Tout comme l’igname, le maïs est cultivé dans toutes les régions agro-écologiques du pays. Selon l’OCPV, la production nationale a été de 1 025 743 t en 2015 avec comme principales régions productrices le Poro (Korhogo), le Haut-Sassandra (Daloa) et le Kabadougou (Odiénné) qui cumulent près de 45 % de la production. Autrefois beaucoup plus consommé dans le Nord, la consommation de ce féculent s’est petit à petit diffusée un peu partout dans le pays, notamment en lien avec les migrations de populations. Pour satisfaire la demande de consommation de leurs populations, l’Indénié-Djuablin et la Nawa reçoivent des apports des autres régions du pays. Selon la carte 30, le Poro est la principale région d’approvisionnement de l’Indénié-Djuablin avec 8 420 t. Elle est suivie de celle Bélier (Yamoussoukro) et Gbêkê avec respectivement 6 541 t et 3 675 t. Il convient de souligner que dans l’Indénié-Djuablin, en dehors de la consommation des ménages, le maïs est beaucoup plus utilisé dans l’alimentation de la volaille. Or, la région est l’un des principaux pôles de production du pays à travers le département d’Agnibilékro, ce qui peut expliquer que les tonnages reçus soient relativement élevés. Ce point est confirmé au regard des quantités reçues moins importantes dans la Nawa : 1 114 t du Haut-Sassandra (Daloa), 9 521 t du Gbêkê et 6 210 t du Poro.

Carte 30 : Flux de maïs entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays

236

 Flux de mil

Le mil est traditionnellement cultivé dans la région Nord de la Côte d’Ivoire entre le 8e et le 11e degré de latitude nord (CNRA, 2004). Cette céréale est produite pour les besoins alimentaires des ménages et le marché local. Majoritairement consommé par les populations du Nord notamment pendant la période du mois de Ramadan, le mil est de plus en plus apprécié par les autres composantes de la population ivoirienne notamment sous forme de bouillie et de galettes. L’accroissement de la demande tient également au fait qu’il est entre autres utilisé dans la fabrication d’une bière locale très prisée et dans l’alimentation animale. La production nationale de 47 500 t (OCPV, 2015) étant insuffisante pour couvrir la demande de consommation, la Côte d’Ivoire importe du mil en provenance de Burkina-Faso et du Mali. Dans l’Indénié-Djuablin les flux émanent du, Poro à hauteur de 1 342 t ; de Gbêké pour 966 t et du Tchologo de 827 t (carte 31). Quant à la Nawa, elle est approvisionnée à partir du Poro (1 184 t) ; du Tchologo (1 082 t) et du Gbêke (658 t).

Carte 31 : Flux de mil entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres

régions du pays

 Flux du riz blanchi

Le riz est cultivé dans toutes les régions de la Côte d’Ivoire, mais certaines, parviennent à dégager plus d’excédents qui sont commercialisés dans le reste du pays. L’Indénié-Djuablin et la Nawa font partie des régions destinataires de ces surplus. La carte 32 met en évidence les principales régions qui les approvisionnent. Pour ce qui est de l’Indénié-Djuablin, les régions expéditrices sont la région du Moronou (Bongouanou) avec 1 013 t. Elle est suivie de la Marahoué (Bouaflé) avec 736 t et du Gbêkê (330 t). La Nawa reçoit quant à elle des

237 approvisionnements depuis le Haut-Sassandra (1 302 t), le Bélier (514 t) et le Goh (Gagnoa) à hauteur de 345 t. Parallèlement à ces approvisionnements en riz blanchi local, les deux régions étudiées sont approvisionnées en riz importé principalement des pays asiatiques à partir du port d’Abidjan. En effet, la production nationale est largement insuffisante pour couvrir les besoins de consommation des populations ivoiriennes. Cependant, elle est en pleine croissance depuis le début des années 2010, passant de 984 000 t en 2012 à 1 399 407 t en 2015 sous l’effet des politiques publiques en cours de mise en œuvre dans le secteur.

Carte 32 : Flux de riz blanchi local entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays

 Flux de la tomate

La tomate fait partie des aliments les plus consommés en Côte d’Ivoire. Entre le milieu des années 1970 et le début des années 1990, la production nationale qui était encadrée par la SODEFEL était quasiment suffisante pour couvrir la demande nationale. Après la dissolution de cette structure, des sociétés privées ont tenté de prendre le relais au début des années 2000 avant de se retirer. Depuis, la production qui repose essentiellement sur des initiatives individuelles est largement insuffisante pour couvrir les besoins de consommation. En effet, les besoins estimés à plus de 130 000 tonnes ne sont couverts qu’aux 2/3 par la production nationale (MINAGRI, 2016). Cependant, certaines régions comme le Tchologo, le Poro, le Bélier et le Gbêkê dont les populations agricoles ont pu bénéficier des expériences de la SODEFEL et des structures privées parviennent à dégager des excédents qu’elles expédient vers les autres. Les régions qui approvisionnent l’Indénié-Djuablin sont le Tchologo avec 1 310 t, le Belier (967 t) et la Marahoué (Bouaflé) avec 435 t (cartes 33). Du milieu des années 1990 jusqu’à la fin des années 2000, cette région dégageait d’importants surplus pour le marché national. Mais, elle a enregistré une chute de sa production suite au retrait des

238 structures d’encadrement. En ce qui concerne la Nawa, les approvisionnements proviennent du Haut-Sassandra avec 1 130 t, du Bélier avec 865 t et de la région de San-Pedro avec 256 t. Carte 33 : Flux de tomate entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays

 Flux de l’aubergine blanche

L’aubergine blanche ou «N’drowa» est l’un des légumes traditionnels rencontrés sur les marchés ivoiriens. Deux espèces sont principalement cultivées en Côte d’Ivoire, les espèces Solanum aethiopicum (de forme ronde avec les extrémités aplaties) et Solanum macrocarpon (de forme ovale). Sous forme ovale, ronde, de couleur rouge, jaunâtre ou blanche, le N’drowa est couramment utilisé dans l’alimentation des ivoiriens. Bien adaptée aux climats tropicaux, il se cultive partout dans le pays principalement par les femmes en culture intercalaire ou sur de petites surfaces. L’aubergine est abondante en début de saison pluvieuse, et devient rare lorsque les pluies deviennent abondantes avant de refaire surface à partir de juillet jusqu’en septembre. Dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa où la production est surtout destinée à l’autoconsommation, les marchés sont alimentés à partir des autres régions du pays qui dégagent des surplus pour le marché. Selon la carte 34, les régions qui approvisionnent l’Indénié-Djuablin sont le Moronou qui a fourni 1 687 t en 2015, la Marahoué avec 852 t et le Haut-Sassandra (264 t). Les approvisionnements de la Nawa proviennent du Haut-Sassandra à hauteur de 1 325 t, de la Marahoué avec 1 115 t.

239

Carte 34 : Flux d’aubergine blanche entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays

 Produits animaux

A ces produits végétaux, il convient d’ajouter des produits animaux issus également des autres régions du pays ou de l’importation. Au nombre de ceux-ci, il y a les produits halieutiques notamment les poissons frais, séchés ou fumés que les deux régions produisent en très faible quantité. Les poissons frais sur le marché de Soubré proviennent pour une grande part de la zone portuaire de San-Pedro et secondairement de la pêche artisanale maritime pratiquée autour des villes comme Tabou et Sassandra. L’approvisionnement est assuré par des grossistes hommes venant des zones de production et dotés de camions frigorifiques. Ils livrent la marchandise aux grossistes résidant auprès desquels viennent se ravitailler les commerçantes des marchés de Soubré et des autres marchés de la région. A l’inverse le poisson fumé ou séché est livré par des grossistes femmes à d’autres grossistes femmes disposant de magasins autour de la zone du marché. C’est là que viennent se ravitailler les détaillantes des différents marchés. Dans le cas du marché d’Abengourou, le poisson frais provient pour une part du port de pêche d’Abidjan et pour l’autre de l’importation en provenance des pays d’Asie. Comme pour Soubré, cet approvisionnement est le fait de grossistes venant des zones de production plus lointaines. Mis à part le poisson, les autres produits animaux commercialisés sont la volaille, les œufs de consommation, la viande de bœuf et de porc. Pour les productions avicoles, les détaillants du marché d’Abengourou ont une aire de chalandise centrée sur le département d’Agnibilékro. En 2015, ce département et le district d’Abidjan ont fourni près de 80 % de la viande de poulet et 90 % des œufs consommés dans le pays (IPRAVI, 2015). En ce qui concerne la

240 viande de bœuf, la production régionale était très insignifiante, les animaux proviennent pour l’essentiel des pays du Sahel en transitant par le marché de gros de Bouaké au Centre du pays. Quant à la viande porcine, elle émane en grande partie de la ceinture Abidjanaise et de l’importation issue des pays d’Asie. Elle est livrée aux détaillantes par des grossistes venant d’Abidjan. Pour ce qui est du marché de Soubré, les produits avicoles vendus proviennent surtout de la zone d’Abidjan et du département d’Agnibilékro. Selon les détaillants, ils les reçoivent de grossistes venant des zones de production. Pour la viande de bœuf, les animaux proviennent des pays sahéliens après un transit par le marché de gros de Bouaké. En revanche, la viande porcine vendue provient de l’importation via le port de San-Pedro et à un degré moindre de l’élevage traditionnel local. En définitive, plusieurs circuits concourent à l’approvisionnement permanent des marchés de l’Indénié-Djuablin et la de Nawa dans une diversité de vivriers (légumes, féculents, etc.) mais également des produits animaux et manufacturés (photos 19). Ces circuits s’appuient sur un système de transport parfois peu performant.

Photo 19 : Quelques denrées alimentaires vendues sur les marchés de l’Indénié- Djuablin et la Nawa

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

241

Photo a : Boucher vendant accessoirement des produits manufacturés au marché central de Soubré. Photo b : Vendeuse de produits manufacturés et végétaux au marché central de Soubré. Photo 19 c : Boucher commercialisant occasionnellement des produits maraîchers au marché central de Soubré. Photo 19 d : Etals de produits locaux transformés au marché central de Soubré. Photo 19 e : Etals de produits maraîchers au marché central d’Abengourou. Photo f : Etals de produits vivriers locaux au marché central de Soubré. Photo g : Etals de produits vivriers au marché de Bettié. Photo 19 h : Tas de banane plantain destiné à la vente au marché de Méagui.

8.3 Apports et limites du système de transport dans l’approvisionnement des marchés

Quel que soit le lieu envisagé, le transport routier est le vecteur exclusif de la circulation des hommes et des marchandises notamment des vivres. L’unique ligne de voies ferrées du pays ne dessert aucune des deux régions en même temps qu’aucun des nombreux cours d’eau qui les parcourent ne se prête au transport fluvial. Très tôt perçue comme un secteur stratégique pour le rayonnement économique du pays, les pouvoirs publics ont mis un accent particulier sur le développement et la modernisation des infrastructures routières. Cela a permis de doter la plupart des régions d’un réseau routier plus ou moins dense. Dans l’Indénié-Djuablin et Nawa, il se compose de routes bitumées, de routes secondaires et de pistes (cartes 35).

Carte 35 : Réseau routier de la Nawa et de l’Indénié-Djuablin

242

Les axes bitumés sont en fait des routes d'intérêt national dites de classe "A" qui relient les deux régions aux autres tout en permettant la connexion entre certains départements et Sous- préfectures. De plus, ils assurent l’ouverture de chacune des régions sur les différents ports du pays. En somme, ces routes interrégionales sont utiles pour le ravitaillement en produits importés et manufacturés, notamment alimentaires, et l’évacuation des productions agricoles. En état de dégradation avancée depuis des années du fait de la crise économique puis de la crise militaro-politique, certains de ces axes ont été reconstruits depuis 2015. C’est le cas de la voie bitumée qui pénètre l'Indénié-Djuablin par l’ouest jusque dans la partie nord de la région. Aux routes bitumées, viennent se brancher les routes en terre qui se subdivisent en routes d'intérêt régional et en routes d'intérêt local. Les routes en terre d'intérêt régional de classe "B" relient les départements, les sous-préfectures au sein de la région. Dans la Nawa, selon les populations l'entretien de ces axes a été quasiment abandonné pendant la décennie de crise militaro-politique (2002 à 2011) occasionnant des perturbations au niveau du trafic. Il a toutefois repris avec une certaine régularité comme c’est le cas sur l’axe Soubré-Gueyo depuis 2012 (photo 20).

Photo 20 : Travaux d'entretien routier sur l'axe Soubré-Gueyo en juillet 2015

Source: Enquêtes Ouattara, 2014

Ces travaux sont souvent le fait du Conseil café cacao (CCC), organisme de gestion de la filière ou des pouvoirs publics. A contrario, aucune action de ce type n’était perceptible dans l’Indénié-Djuablin. En fait, dans la mesure où le cacao reste le principal pilier de l’économie ivoirienne, la priorité est souvent donnée à l’entretien des routes dans les grandes régions cacaoyères comme la Nawa. Cette situation impacte négativement l’état des routes de l’Indénié-Djuablin. C’est en particulier le cas de celle qui relie le département de Bettié au reste de la région. Longue de 93 km, cette route cahoteuse et poussiéreuse en saison sèche est difficilement praticable, voire quelquefois impraticable en saison des pluies. Du fait de sa mauvaise connexion avec le reste de la région, les populations de Bettié, notamment les commerçantes du marché préfèrent, se ravitailler en vivres dans la région voisine de La Mé,

243 ou d’Abidjan plus facilement accessibles. La route en terre reliant Bettié et son arrière-pays est régulièrement entretenue par la SAPH. Elle l’utilise pour transporter le caoutchouc naturel produit dans le cadre de sa plantation de Bettié. La construction d’un pont sur le fleuve Comoé en 2016 en remplacement du vieux bac qui limitait le trafic a contribué au renforcement de la circulation sur ce tronçon (photo 21).

Photo 21 : Bac sur le fleuve Comoé reliant Bettié à la région de la Mé

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Ce bac a permis pendant plus de deux décennies la traversée du fleuve Comoé et permis de réduire la distance entre Bettié et la capitale économique Abidjan via la région de la Mé. Son entretien durant cette période a été principalement assuré par la SAPH qui l’utilisait également pour l’évacuation du caoutchouc usiné vers le port d’Abidjan.

La véritable difficulté vient des routes de classe « C » qui sont des voies pénétrantes en terre. Elles sont d’intérêt local puisqu’elles assurent la liaison d’une part entre les villages et d’autre part entre les villages et les campements ou les champs. Autrement, elles desservent les principales zones de production vivrière. Or, elles ne bénéficient pas toujours d’entretien de la part des pouvoirs publics, ce qui explique qu’elles restent difficilement praticables surtout en saison des pluies. Afin de contourner les nombreuses pertes de productions que cela occasionne, les populations sont le plus souvent obligées de transporter les productions par portage, bicyclette, moto ou tricycle vers des zones mieux desservies.

244

Aux contraintes liées au réseau routier, s’ajoutent celles inhérentes aux acteurs de la logistique. Ces principales contraintes dans ce domaine tiennent au fait qu’il n’existe pas de transporteurs ni de moyens de transport spécialisés dans le transport des produits vivriers. Ainsi, les commerçantes de vivriers se retrouvent dans l’obligation d’affréter les mêmes véhicules que ceux utilisés pour le transport des productions d’exportation (café-cacao). Or, les transporteurs préfèrent affectés en priorité leurs véhicules au transport des productions d’exportation qu’ils jugent plus rentables. Dans la Nawa, nos investigations indiquent que les propriétaires de moyens de transport sont majoritairement des commerçants de café-cacao qui utilisent prioritairement leurs véhicules dans le cadre de leurs activités. Toutefois, selon les grossistes rencontrées dans les deux régions étudiées, le développement de l’hévéaculture contribue à régler dans une certaine mesure le problème de disponibilité de moyens de transport en ce sens que beaucoup de planteurs ont acquis des camionnettes et des tricycles qu’elles peuvent affréter pour la collecte ou le transport du vivrier.

Au total, même si l’acheminement des produits des villages vers les villes est affecté par le mauvais état des routes et des tracasseries policières couplées à une inadéquation des modes de transports (Koffié-Bikpo, 2011), il reste que les marchés sont dans l’ensemble bien approvisionnés. Cependant, force est de constater que l’accès aux vivres dépend également des prix pratiqués sur les marchés.

8.4 Caractéristiques des prix des denrées sur les marchés et leur évolution dans le temps

Les prix des denrées sur les marchés constituent un important déterminant de l’accès des populations à l’alimentation. La hausse des prix produits alimentaires dans les pays en développement peut constituer une réelle menace pour les ménages les plus pauvres qui consacrent une part importante de leur budget à cet achat. Entre 2003 et 2008 par exemple, les prix élevés des aliments ont contribué à accroître de 75 millions le nombre de personnes sous- alimentées dans le monde (FAO, 2008). En outre, comme le soulignent Blein et al. (2008), la hausse des prix peut être source de mouvements de contestation pouvant conduire à une situation d’insécurité, y compris alimentaire dans les pays ouest africains. L’analyse de l’évolution des prix de détail des principaux produits locaux au cours de l’année 2016 et sur une période plus longue (2004-2016) permet d’apprécier leur accessibilité et leur stabilité.

8.4.1 L’évolution des prix mensuels des produits vivriers

En Côte d’Ivoire et particulièrement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, le mouvement mensuel des prix des productions vivrières peut être appréhendé à travers les données fournies par l’OCPV. Les figures 40 et 41 présentent l’évolution mensuelle des prix des principales productions vivrières (manioc, banane plantain, igname, riz blanc local) en 2016 respectivement dans l’Indénié-Djuablin et dans la Nawa. L’analyse comparée des courbes dans les deux régions met en lumière les variations saisonnières des prix des denrées.

245

Figure 40 : Evolution mensuelle des prix de détail des produits vivriers à Abengourou (Indénié-Djuablin) en 2016

700 600 500 400 300 200 Prix Prix aukg en FCFA 100 0

Banane plantain Igname kponan Riz blanc (local) Manioc

Source : OCPV, 2017

Figure 41 : Evolution mensuelles des prix de détail des produits vivriers à Soubré (Nawa) en 2016

800 700 600 500 400 300 Prix Prix aukg en FCFA 200 100 0

Banane plantain Igname kponan Riz blanc (local) Manioc

Source : OCPV, 2017

Globalement, de septembre à décembre, voire à janvier correspondant à la période de récolte des denrées et donc de forte disponibilité de la plupart des produits vivriers, les prix atteignent leur niveau le plus bas. Inversement, ils sont plus élevés en période post récolte c’est-à-dire

246 globalement entre avril et août. A l’occasion de cette fluctuation des prix résultant du caractère pluvial de l’agriculture ivoirienne, on observe des différences entre les produits. Ainsi, on constate que l’igname Kponan est le produit qui connaît les plus importants écarts de prix au cours de l’année. Dans l’Indénié-Djuablin, les valeurs connaissent une baisse de septembre à février (en période de récolte), les prix oscillent entre 200 et 240 FCFA/kg. Ils remontent ensuite entre mars et août en allant de 350 à 600 FCFA avec des pics en juin et en juillet. La demande en igname est constamment forte sur les marchés alors que sa production reste saisonnière et modeste car essentiellement circonscrite à la partie nord du pays, ce qui explique la forte variabilité des prix d’une saison à l’autre. Il existe d’autres variétés d’igname sur les marchés comme bètè-bètè, le florido ou le klinglais mais leurs cours sont moins élevés que le kponan car ils sont moins appréciés. Les prix du manioc témoignent d’une plus grande régularité tout au long de l’année car ils se retrouvent en toute saison sur les marchés. En effet, sa production et sa récolte peuvent être étalées sur toute l’année. Dans la Nawa, les prix les plus bas du manioc sont de 140 FCFA/ kg en janvier et en février tandis que les plus élevés sont de 200 FCFA/kg en octobre, soit une amplitude de 60 FCFA. Comme pour le manioc, les prix de la banane plantain affichent une certaine régularité au cours de l’année. Les prix connaissent une hausse de mai à août passant de 190 à 220 FCFA/kg dans l’Indénié-Djuablin et de 190 à 250 dans la Nawa. Les prix oscillent entre 110 et 130 de novembre à mars dans la première région citée et entre 130 et 140 FCFA/kg de novembre à février dans la seconde. Il faut noter que la faible fluctuation du prix de la banane peut être en lien avec l’essor de cette culture en contre saison, notamment dans les bas-fonds dans la plupart des régions forestières du pays. L’évolution des prix du riz est également régulière même si on constate des niveaux élevés entre mai et août dans l’Indénié-Djuablin et entre mai et septembre dans la Nawa. La faible fluctuation des prix de cette céréale tient certainement à sa grande capacité de conservation et à la concurrence du riz importé.

En somme, les prix des vivriers constatés sur les marchés se caractérisent par une instabilité en raison du caractère saisonnier des récoltes. Ils sont généralement à la hausse d’avril à août.

8.4.2 L’évolution des prix des vivriers de base sur la longue durée (2004- 2016)

L’évolution des prix alimentaires sur la longue durée dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa peut être appréciées à travers des données fournies par l’OCPV sur les prix des principales productions vivrières (manioc, banane plantain, riz blanc local et igname kponan) entre 2004 et 2016. L’analyse de l’allure des courbes tant dans l’Indénié-Djuablin (fig. 42) que dans la Nawa (fig. 43) met globalement en évidence une tendance à la hausse des prix alimentaires au cours de la période de référence. Les évolutions sont inégales selon les produits.

247

Figure 42 : Evolution des prix des principaux produits vivriers dans l’Indénié-Djuablin (2004- 2016)

400

350

300

250

200

150

Prix Prix aukg en FCFA 100

50

0 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Manioc Igname kponan Banane plantain Riz blanc (local)

Source : OCPV, 2017

Figure 43 : Evolution des prix des principaux produits vivriers dans la Nawa (2004- 2016)

400

350

300

250

200

150

Prix Prix aukg en FCFA 100

50

0 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Manioc Igname kponan Banane plantain Riz blan (local)

Source : OCPV, 2017

248

Dans les deux régions, on observe globalement que les prix de l’igname et du riz sont plus élevés que ceux des autres denrées. Cela s’explique par le fait que les prix de ces aliments intègrent d’importants coûts de transport et marges des commerçants dus au fait qu’ils sont essentiellement produits dans d’autres régions. Mais, ces prix évoluent différemment dans les deux régions. Dans l’Indénié-Djuablin, après avoir évolué en dents de scie entre 2004 et 2006, le prix de l’igname kponan se stabilise entre 2007 et 2010 avant d’enregistrer une hausse assez régulière et à un rythme modéré jusqu’en fin de période. Ainsi, de 2004 à 2016, il est passé de 290 FCFA/kg à 335 FCFA/kg, soit une hausse de 15,5% sur la période. Comme l’igname Kponan, le prix du riz blanc local évolue également en dents de scie en début de période (entre 2004 et 2008). Mais entre 2009 et 2012, cette irrégularité est moins prononcée car les écarts annuels sont de l’ordre de 10 FCFA. De 2013 jusqu’en 2016 par contre, on observe une hausse régulière du prix qui passe de 300 à 325, ce qui équivaut à un renchérissement de 20%. Il convient toutefois de noter que le prix moyen du riz au cours de la période étudié est de 292 FCFA/kg. Parallèlement, dans la Nawa, le prix de l’igname kponan connaît une baisse entre 2004 et 2007 en passant de 290 FCFA/kg à 240 FCFA/kg puis connait une progression par saccade pour atteindre 345 FCFA/kg en 2016. En clair, entre 2007 et 2016, le prix de l’igname Kponan enregistre une hausse de 44%. En ce qui concerne le prix du riz blanc local, il est quasi stable autour de 230 FCFA/kg entre 2004 et 2007. A partir de cette date, il amorce une progression irrégulière pour atteindre 345 FCFA/kg en 2016, ce qui équivaut à une augmentation de 50% entre 2007 et 2016. Contrairement à l’igname et au riz blanc local, la banane plantain est le produit dont la hausse de prix est la plus faible dans les deux régions. Dans l’Indénié-Djuablin, son prix évolue au cours de la période étudiée de façon saccadée autour du prix moyen de 215 FCFA/kg. Dans la Nawa, il évolue de façon irrégulière de 2004 à 2012 en oscillant entre 165 FCFA/kg et 210 FCFA/kg avant de stagner de 2013 à 2016 à 190 FCFA/kg. En ce qui concerne le manioc, il reste l’aliment le plus abordable dans les deux régions avec un prix évoluant relativement peu. Dans l’Indénié-Djuablin, il enregistre des oscillations sur toute la période étudiée avec une tendance globale à la hausse. Il est passé de 110 FCFA/kg en 2004 à 150 FCFA/kg en 2016 suivant une moyenne de prix de 140 FCFA/kg sur la période étudiée. Dans la Nawa, on peut observer trois grandes périodes dans l’évolution du prix du manioc. En effet, il connaît une hausse régulière entre 2004 et 2008 (de 130 FCFA/kg à 170 FCFA/kg) avant d’enregistrer une baisse de 2009 à 2012 (de 140 à 150 FCFA/kg) et de répartir à la hausse de 160 à 180 FCFA/kg entre 2013 et 2016.

Au terme de cette analyse, il ressort que tant dans l’Indénié-Djuablin que dans la Nawa, les prix des principaux produits vivriers ont globalement connu une hausse. L’igname kponan et le riz blanc local sont les deux produits qui ont enregistrés les plus fortes hausses de prix au cours de la période étudiée. Quant aux prix de la banane plantain et du manioc, ils ont progressé en dents de scie et de façon modérée. En raison des contraintes qu’elle exerce sur la production vivrière, il est possible d’avancer que la dynamique de l’hévéaculture contribue à la hausse des prix alimentaires dans les deux régions.

249

8.5 Hévéaculture et accessibilité économique aux denrées alimentaires dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Cette section vise à interroger la capacité de l’hévéaculture à procurer un pouvoir d’achat suffisant aux populations dans l’acquisition des denrées alimentaires sur les marchés. Dans cette perspective, l’analyse portera sur deux acteurs de cette culture, les planteurs d’hévéa et les saigneurs, représentatifs des acteurs de l’hévéaculture. L’approche choisie consiste dans un premier temps à déterminer leur revenu annuel puis à comparer ce niveau de revenu au seuil de pauvreté en Côte d’Ivoire.

8.5.1 Les revenus annuels des planteurs d’hévéa et des saigneurs

Les revenus des planteurs et des saigneurs ne sont pas générés de manière identique dans l’exploitation hévéicole. Aussi, leur détermination se fait sur des bases différentes.

8.5.1.1 Un revenu annuel des planteurs d’hévéa qui dépasse à minima les 400 000 FCFA

Pour saisir le revenu moyen annuel des planteurs d’hévéa, nous évaluons de prime à bord les performances économiques annuelles d’un hectare d’hévéa. A partir des résultats obtenus, il sera possible de l’estimer en fonction de la catégorie du planteur au prorata des superficies d'hévéa détenues. Cette méthode d’évaluation est celle qu’utilisent les encadreurs agricoles rencontrés sur le terrain. Elle a par ailleurs déjà été utilisée par Ruf (op. cit.) dans le cadre de ses recherches portant sur l’hévéaculture dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Les facteurs qui permettent de saisir les performances économiques d’un hectare d’hévéa sont multiformes et variés. Ils prennent en compte le prix d’achat du caoutchouc naturel aux planteurs, le rendement du caoutchouc produit par hectare et les charges (main-d’œuvre, intrants).

 Les prix d’achat du caoutchouc naturel

Les prix d’achat du caoutchouc naturel sont fixés mensuellement par la filière au regard des cours internationaux qui restent très erratiques. On en distingue deux types : celui du caoutchouc sec obtenu après un premier usinage et qui concerne beaucoup plus les usiniers et celui du caoutchouc humide directement issu de la plantation. C’est ce dernier prix qui nous intéresse parce qu’il est celui qui est appliqué aux producteurs. Nous retenons pour notre analyse, le prix d’achat moyen du caoutchouc humide pratiqué au cours de l'année 2015 et correspondant à la période de notre enquête, soit 285 FCFA le kg.

250

 Les rendements moyens à l’hectare

A la différence des prix, les autres variables de l’analyse (les rendements et les charges) ont été obtenues sur la base d’entretiens avec les producteurs. Les questionnaires se révèlent peu efficaces dès qu’il s’agit d’aspects liés aux revenus car ils suscitent la méfiance des planteurs tout en limitant les possibilités de vérification des informations obtenues. Afin de saisir le rendement moyen à l’hectare, 30 producteurs choisis parmi les planteurs enquêtés par questionnaire à raison de quinze par région ont été interviewés. Ces producteurs qui ont été sélectionnés avec le concours des encadreurs des agro-industries étaient ceux dont les dimensions des plantations étaient connues avec un haut degré de fiabilité et qui pouvaient nous présenter des bulletins d'achat sur une année. Cette précaution nous a permis d’éliminer de l’analyse les exploitations pour lesquelles les quantités vendues n’étaient pas régulières afin de ne pas biaiser les résultats. En effet, l’irrégularité des quantités commercialisées pouvait s’expliquer par la vente de la production à plusieurs acheteurs à la fois dont certains comme les pisteurs ne délivrent le plus souvent pas de bulletins d’achat. Elle peut relever également du vol de fond de tasse qui est devenu une pratique courante dans les zones de production tout comme elle peut signifier la difficulté pour le planteur de s’attacher régulièrement les services d’un saigneur. Sur la base de ces précautions, seulement 20 producteurs sur les 30 initialement contactés ont été retenus pour l’analyse. La figure 44 présente le rendement en caoutchouc humide en fonction de l’âge du verger dans nos deux zones d’étude.

Figure 44 : Rendement en caoutchouc humide dans les exploitations familiales en fonction de l’âge des arbres

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Il en ressort que les rendements moyens à l’hectare varie en fonction de l’âge de la plantation :

251

˗ pour une plantation de 8 ans, le rendement à l’hectare peut se situer annuellement entre 1 500 et 2 500 kg.

˗ pour une plantation de 11 ans, la production se situe entre 2 900 et 3 400 kg de caoutchouc humide par an tandis qu’à 16 ans, elle se situe entre 3 800 et 4 300 kg.

˗ pour une plantation de 19 ans, la production annuelle oscille entre 3 700 et 5 000 kg.

Il convient de noter que ces rendements diffèrent quelque peu de ceux mis en évidence par Ruf (op. cit.) dans la région de Gagnoa en 2007. En effet, il indique des rendements que les exploitations de 18 ans correspondent à ceux que nous obtenons pour les exploitations de 11 ans, soit de l’ordre de 3000 kg/ha. Cette différence des performances agronomiques peut s’expliquer par le suivi agronomique du verger, l’improductivité des arbres suite aux maladies (notamment le fomès) ou à la casse liée au vent, ou encore la qualité du matériel végétal utilisé. De ce qui précède, nous retenons pour notre analyse 3 000 kg comme rendement moyen annuel à l’hectare.

 Les charges d’exploitation d’un hectare d’hévéa

Les charges liées à l’exploitation d’un hectare d’hévéa renvoient d’une part à la mobilisation de la main-d’œuvre et d’autre part à l’acquisition des intrants. Les dépenses de main-d'œuvre sont affectées en grande partie à la rémunération des saigneurs. Sur la base des investigations menées auprès des saigneurs et des planteurs d’hévéa, on peut estimer que les saigneurs sont payés au kg de latex récolté à raison de 40 FCFA le kg. Au contraire des autres tâches (désherbage, transport du latex, etc.) le plus souvent réalisées par la main-d'œuvre familiale, la saignée est le poste de dépense essentiel et coûteux pour les paysans. Elle nécessite une formation et de l’expérience que la plupart des planteurs n’ont pas. En pratique, le prix moyen couramment pratiqué dans les zones étudiées s’élève à 40 FCFA, rémunération que nous avons retenue pour nos calculs. L'acquisition des intrants constitue le second poste de dépense de l'exploitation. Dans ce domaine, on distingue essentiellement les produits phytosanitaires et les stimulants pour la saignée. Les produits phytosanitaires couramment utilisés servent à la lutte contre une diversité de maladies, en particulier le fomès. Ils sont indispensables aux exploitations atteintes par ces maladies. Les charges liées aux intrants selon nos investigations sont estimées à 66 600 FCFA (101 euros) par an. Toutefois, ces charges ne sont pas fixes et peuvent varier selon que l’exploitation est gravement atteinte par le fomès ou pas ou par d’autres maladies. Fort de toutes ces estimations, le tableau 18 présente le compte d’exploitation d’un hectare d'hévéa à partir de nos investigations.

252

Tableau 18 : Compte d'exploitation d’un hectare d’hévéa en 2015

Rendements (kg/ha/an) en caoutchouc humide 3 000 Prix du kg humide (FCFA/kg) 285 Marge brute/ha (FCFA/ha) 855 000 Charges Charge main-d’œuvre : Main d’œuvre pour la récolte du latex (40 FCFA x 3000 kg) 120 000 Main d’œuvre pour le transport du latex vers le point de ramassage (25 FCFA 75 000 x 3 000 kg) Main-d’œuvre pour deux désherbages (2 x 30 000 FCFA) 60 000 Main-d’œuvre pour application des intrants (2 x 30 000 FCFA) 60 000 Total main d’œuvre : 315 000 Charges d’intrants : Pâte fongicide, 2 boîtes (2 x 11 000 FCFA) 22 000 Belfidan pour le traitement du fomès, 2 boites (2x 6 800 FCFA) 13 600 Stimulant pour la saignée, 5 boites annuelles (5 x 4200 FCFA) 21 000 Remplacement du matériel de récolte (tasses, couteau de saignée) 10 000 Total intrants : 66 600 Total charges 381 600 Marge nette Marge brute/ha 855 000 Total charges 381 600 Total marge nette/ha/an 473 400 Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Au final, dans les conditions d’exploitation décrites plus haut, un hectare d’hévéa rapporte annuellement 473 400 FCFA (710,85 euros). Cette marge nette à l’hectare est inférieure à celle obtenue par Ruf (2009) en 2008. Selon cet auteur, un hectare d’hévéa générait par an 1 072 900 FCFA (1 635,63 euros). L’écart entre les deux estimations peut s’expliquer essentiellement par la différence du prix d’achat du caoutchouc naturel qui s’élevait à 430 FCFA le kg en 2008 contre 285 FCFA en 2015. Dans tous les cas, avec un tel niveau de gain à l’hectare, l’hévéa l’emporte sur la plupart des cultures pérennes en termes de rentabilité. En guise de comparaison, un hectare de cacaoyers générait en 2015 entre 212 500 FCFA et 340 000 FCFA si on table sur l’hypothèse d’un rendement à l’hectare compris entre 250 et 400 kg/an29 (Assiri et al., 2016) et d’un prix bord champs de 850 FCFA/kg. De ce revenu brut, il faut déduire les frais divers30 (main-d’œuvre, produits d’entretien, etc.) inhérents à l’exploitation de la plantation.

En synthèse, le tableau 19 répartit les tranches de revenu annuel des planteurs en fonction des catégories définies au chapitre 6.

29 La variabilité du rendement à l’hectare dépend, entre autres de l’âge de l’exploitation et du niveau de soin qu’on lui apporte en termes d’entretien (sarclage, utilisation de produits phytosanitaires, intrants, etc.). Dans la mesure où la plupart des planteurs n’ont pas les moyens de suivre rigoureusement l’itinéraire technique, il est rare qu’une plantation de cacaoyers atteigne le maximum de rentabilité à l’hectare. 30 En règle générale, les charges de la main‐d’œuvre avoisinent à elles seules le tiers du revenu à l’hectare. 253

Tableau 19 : Les classes de revenu annuel d’hévéa en fonction de la catégorie de l’exploitant

Catégories d’exploitants Superficie cultivée Gains 402 390 à 946 802 FCFA Très petits exploitants [0,85 à 2 ha] (614 à 1 445 euros) 954 802 à 2 367 000 FCFA Petits exploitants [2 à 5 ha] (1 458 à 3 613 euros) 2 367 000 à 4 734 000 FCFA Exploitants moyens [5 à 10 ha] (3 613 à 7 227 euros) 4 734 000 à 9 468 000 FCFA Grands exploitants [10 à 20 ha] (7 227 à 14 454 euros) > 9 468 000 FCFA Très grands exploitants [+ de 20 ha [ (+ de 14 454 euros) Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

On observe qu’en fonction de la taille de leurs plantations, les planteurs accèdent annuellement à des revenus qui oscillent entre 402 390 FCFA et 9 468 000 FCFA voire plus. Ces revenus sont identiques dans les deux régions car les conditions d’exploitation sont les mêmes. Qu’en est-il des saigneurs ?

8.5.1.2 Un revenu annuel des saigneurs au même niveau que pour les très petits planteurs

Les saigneurs assurent la récolte du latex circulant dans les vaisseaux laticifères de l’hévéa dès que l’arbre atteint la maturité. Faute de compétence nécessaire ou de temps du fait de leur pluriactivité, une très grande majorité sollicitent leurs services. Ainsi, très peu des planteurs réalisent eux-mêmes cette opération. Beaucoup parmi eux sont au départ des saigneurs qui ont réussi à créer leur propre plantation. Cette situation participe à la forte demande en personnel en ce domaine dans les différentes localités productrices. Il existe une diversité de modalités de travail et de rémunération des saigneurs dans les deux régions étudiées, mais dans l’ensemble, il prend en charge l’exploitation d’une plantation de trois hectares soit environ 1650 arbres. Ces arbres sont saignés deux fois par semaine selon une organisation qu’il met lui-même au point. Par exemple, la saignée du premier hectare est faite le lundi et le jeudi, celle du second le mardi et le vendredi et celle du troisième le mercredi et le samedi. Certains saigneurs plus expérimentés peuvent récolter entre un hectare et demi et deux hectares par matinée, ce qui leur permet de disposer de plus de jours libres mis à profit pour vaquer à d’autres occupations. Il convient d’indiquer que la journée de travail du saigneur débute le matin entre 5 heures et 6 heures et doit prendre fin au plus tard à 11 heures, avant le pic de chaleur, car l’ardeur du soleil amenuise l’écoulement du latex. Ce rythme de travail lui permet de récolter mensuellement en moyenne 750 kg de caoutchouc humide en raison de 250 Kg/ha. Sur la base d’un niveau de rémunération moyen de 45 FCFA/kg de caoutchouc récolté en 2015, le revenu mensuel du saigneur peut être de l’ordre de 33 750 FCFA/ mois (51,45 euros), soit 405 000 FCFA/an (617,42 euros). Le prix du kg de caoutchouc récolté payé au saigneur est fixé en fonction du prix d’achat du caoutchouc

254 naturel. En 2016, il est passé à 50 FCFA le kg suite à l’amélioration des cours du latex. Depuis, le gain mensuel du saigneur atteint 37 500 FCFA ce qui fait annuellement 450 000 FCFA (686,02 euros). Somme toute, nous retenons dans le cadre de cette étude, le revenu annuel du saigneur au moment de notre enquête de terrain, c’est-à-dire celui de 405 000 FCFA par an. Ce niveau de revenu classe le saigneur parmi les employés agricoles les mieux rémunérés. A titre de comparaison, le travailleur annuel dans l’économie cacaoyère touche en moyenne moins de 250 000 FCFA par an tout en ayant une charge de travail plus importante que le saigneur. Ce dernier bénéficie en plus d’une liberté relativement plus grande dans l’organisation de son travail.

Au total, les revenus des hévéaculteurs et des saigneurs sont plus importants respectivement que ceux des producteurs de cacao et des manœuvres dans l’économie cacaoyère. Mais sont- ils suffisants pour couvrir leurs besoins alimentaires ?

8.5.2 L’hévéaculture, une activité qui favorise l’accès économique aux denrées alimentaires

Afin de savoir si l’hévéaculture permet aux planteurs de faire face à leurs besoins alimentaires, nous comparons les revenus qu’elle génère au seuil de pauvreté fixé par l’enquête sur le niveau de vie des ménages (ENV, op. cit.). Cette enquête indique que près de 46,3 % de la population ivoirienne vit en dessous du seuil de pauvreté et 10 % en dessous de celui de l’extrême pauvreté. La figure 45 met en évidence l’évolution du taux de pauvreté dans le pays, en milieu urbain et rural entre 1985 et 2015.

Figure 45 : Evolution comparée du taux de pauvreté en Côte d’Ivoire

70

60

50

40

30

20 Taux de pauvrété (% ) de pauvrété Taux 10

0 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020

Urbain Rural Ensemble

Source : ENV 2008 et ENV 2015

D’une manière générale, l’importance du taux de pauvreté dépend avant tout de la conjoncture économique. Ainsi, entre 1985 et 2008, les courbes sont toujours croissantes 255 marquée par la chute des cours des matières premières agricoles et la crise militaro-politique. Cependant, entre 2008 et 2015, la proportion de pauvres a enregistré une baisse (46,3 %). Cette embellie tient à la normalisation de la situation socio-politique et au renchérissement du cours des principaux produits d’exportation, notamment du café ou du cacao. En milieu rural, après une hausse de 15,8 % à 62,5 % entre 1985 et 2008, ce pourcentage connaît une baisse en 2015 (56,8 %). A l’inverse en milieu urbain, elle est en constante augmentation depuis 1985. De 5 % en 1985, le ratio est passé à 29,5 % en 2008 avant de se hisser à 35 % en 2015.

Le seuil de pauvreté retenu par l’enquête en 2015 est de 737 FCFA par jour, soit 269 075 FCFA par an tandis que celui de l’extrême pauvreté est de 335 F CFA, soit 122 385 FCFA par an. Or, les planteurs d’hévéa ont des revenus annuels situés au-dessus de ce seuil. En effet, les très petits exploitants ont des gains annuels qui vont de 402 390 FCFA à 946 802 FCFA (613,44 à 1 443, 39 euros) tandis que ceux des autres catégories d’exploitants (des petits aux grands exploitants) se situent au-delà de 954 802 FCFA (1455,59 euros). Quant aux saigneurs, ils ont un revenu annuel de 405 000 FCFA. Les revenus perçus par les planteurs d’hévéa et les saigneurs nous permettent d’affirmer qu’ils n’appartiennent pas à la catégorie des pauvres. De ce constat, on peut affirmer que l’hévéaculture contribue à la réduction de la pauvreté dans les deux régions cibles. Dans la Nawa, le taux de pauvreté est passé de 45,5 % en 2008 à 37,4 % en 2015 soit une régression de 8,1 points. Elle se classe parmi les régions les moins pauvres du pays puisque le taux de pauvreté national était de 46,3 en 2015. Ce recul a été plus significatif en milieu rural, puisqu’il a baissé de 10,5 points passant de 49,9 % en 2008 à 39,4 % en 2015. Dans l’Indénié-Djuablin parallèlement, la même tendance baissière est observée même si elle reste relativement moins importante. En effet, de 53,7 % en 2008, la prévalence de la pauvreté est passée à 48,7 % en 2015 soit une baisse de 5%. En définitive, dans la mesure où les revenus hévéicoles annuels les plus bas qui correspondent à ceux des très petits planteurs se situent au-dessus du seuil de pauvreté, il est possible d’avancer que l’hévéaculture garantit aux adoptants l’accessibilité économique aux denrées alimentaires.

Même si les résultats de cette approche par le seuil national de pauvreté sont intéressants, il convient de les consolider avec des données empiriques. Dans cette perspective, nous rapprochons les gains hévéicoles annuels des planteurs de leurs dépenses de consommation annuelles. Ces dépenses de consommation composées de dépenses alimentaires et non alimentaires telles que la santé, le transport, l’éducation, etc. ont été collectées via notre questionnaire d’enquête. Les dépenses alimentaires collectées portent sur celles qui ont été effectuées au moins un mois avant l’enquête. Quant aux dépenses non alimentaires, elles portent sur une période de rappel de six mois31. Le tableau 20 présente les données recueillies après leur harmonisation sur une base annuelle.

31 Cette précaution permet de prendre en compte les dépenses non alimentaires qui surviennent une à deux fois par trimestre tels les frais de santé, de scolarité, etc. 256

Tableau 20 : Revenus hévéicoles moyens annuels et dépenses de consommations moyennes annuelles selon la catégorie de l’exploitant

Dépenses de consommation moyenne annuelles

Gains Part des Dépenses non Dépenses dépenses hévéicoles Total des Catégorie de alimentaires alimentaires alimentaires moyens dépenses de l’exploitant moyennes moyennes dans les annuels (en consommation annuelles annuelles dépenses de FCFA) annuelles (en FCFA (en FCFA) consommation (en %) Très petits 678 596 404 208 304 572 708 600 43,74 exploitants Petits exploitants 1 660 901 495 600 380 940 876 540 43,45 Exploitants 3 550 500 644 280 457 500 1 101 780 41,52 moyens Grands 7 101 000 1 008 780 511 620 1 520 400 33,65 exploitants Très grands 11 650 000 1 415 580 631 860 2 047 440 30,68 exploitants Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

L’analyse du tableau 20 montre que les gains moyens annuels tirés de l’hévéaculture sont supérieurs aux dépenses de consommation moyennes annuelles de toutes les catégories d’exploitants, mis à part pour les très petits exploitants. En effet, ces derniers ont des revenus hévéicoles moyens qui s’élèvent annuellement à 678 596 FCFA alors que dans le même temps leurs dépenses de consommation moyennes annuelles atteignent 708 600 FCFA. Ce constat montre que pour cette catégorie de planteurs, les revenus de l’hévéaculture ne suffisent pas à couvrir les dépenses essentielles du ménage. La figure 46 montre que ces dernières se composent à 56,26 % de dépenses non alimentaires et à 43,74 % de dépenses alimentaires. Figure 46 : Distribution des dépenses alimentaires et non alimentaires des très petits exploitants

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

257

Les deux types de dépenses sont quasi-incompressibles car elles concourent à la satisfaction des besoins essentiels des ménages. Les dépenses alimentaires les plus importantes sont consacrées à l’achat de poisson (33 %), de riz (18 %) et de condiments (9 %). La faible proportion des dépenses affectées au groupe igname/manioc et taro (2 %) et banane plantain (3 %) s’explique par l’importance de l’autoconsommation. Quant aux dépenses non alimentaires, elles sont en lien avec le bien-être et le fonctionnement des activités des ménages. Ces dépenses sont surtout consacrées à l’acquisition de source d’énergie (14 %) et aux soins de santé (12 %). De ce qui précède, il ressort que les gains de l’hévéaculture ne permettent pas de couvrir la totalité des dépenses de consommation annuelles (95 %) chez la catégorie des très petits exploitants. Ainsi, la contribution de cette culture à leur accessibilité économique aux aliments peut être qualifiée d’insuffisante. Malgré tout, l’hévéaculture permet à cette catégorie composée essentiellement de populations défavorisées (femmes, employés agricoles, etc.) auparavant sans sources de revenus d’échapper à l’insécurité alimentaire chronique qu’elles connaissaient. De ce point de vue, on peut affirmer que l’hévéaculture favorise la justice alimentaire aux sens de Ballet et al., (2016) qui définit cette notion comme une situation où les ressources alimentaires sont équitablement réparties au sein de la population.

Au final, on peut retenir que l’hévéaculture contribue positivement à l’accès économique des planteurs et des saigneurs aux denrées alimentaires sur les marchés. Mais, il convient de poser la question de la durabilité de cet apport en raison du caractère fluctuant des cours du caoutchouc naturel. En effet, ainsi que l’indique la figure 47, après avoir enregistrés de 1998 à 2012 une hausse continue passant de 200 FCFA/kg à 571 FCFA/kg, les prix du latex suivent une tendance à la baisse depuis cette date.

Figure 47 : Evolution du prix d’achat du caoutchouc naturel aux producteurs de 1998 à 2018

600 500 400 naturel 300 200 100 caoutchouc

du 0 19982000200220042006200820102012201420162018 Prix

Années Source : APROMAC, 2018

Ils sont ainsi passés de 285 FCFA/kg en 2015 à 269 FCFA en 2018. Pour l’heure, cette baisse de prix ne remet pas fondamentalement en cause nos analyses faites sur la base des cours du

258 latex de 2015. Elle pourrait cependant avoir des conséquences dramatiques sur les conditions de vie des ménages si elle s’accentuait. Au-delà de la problématique de la fluctuation des prix, c’est la question de la pérennité même de l’hévéaculture comme activité économique qui mérite d’être posée. En effet, la recherche tente de développer depuis quelques années la culture de plantes à caoutchouc naturel comme le guayule et le pissenlit. Ce sont des arbustes capables de se développer dans des conditions pédoclimatiques plus difficiles que l’hévéa. Le guayule en particulier est une plante peu exigeante capable de s’acclimater facilement aux climats secs et aux sols arides et se révèle résistant à la plupart des maladies et parasites classiques (Michelin, 2013). Selon le CIRAD (2012), les premiers pneus fabriqués à partir de caoutchouc de guayule et de pissenlit russe ont été produits en Europe32. Ces deux plantes pourraient sérieusement concurrencer l’hévéa si leur culture devenait économiquement rentable et l’extraction de leur caoutchouc mieux maitrisée à l’échelle industrielle.

En attendant, la pratique de l’hévéaculture est économiquement viable avec des effets positifs sur l’alimentation. Parallèlement, le développement de cette culture génère de nombreux effets sociaux.

8.6 De nombreux effets sociaux induits par le développement de l’hévéaculture

Grâce à l’hévéaculture, certaines catégories sociales défavorisées, notamment les femmes et les jeunes, accèdent à des revenus substantiels réguliers et immédiats dont ils ont la jouissance. Ce faisant, elles parviennent à se prendre en charge et à jouer un rôle de soutien économique au sein des familles. Cela a une incidence sur les rapports sociaux qui tendent à changer d’autant que les femmes et les jeunes réussissent à consolider leur position au sein des familles et de la société tout en acquérant une certaine autonomie. Selon Ramos (2011), l’autonomie relève de catégories subjectives qui impliquent que l’individu doit participer plus à l’élaboration de ce monde, de l’univers dans lequel il vit. De ce fait, elle renvoie aux facultés qu’à l’individu de participer aux prises de décisions le concernant et relatives à son environnement de vie. D’un point de vue économique, l’autonomie permet aux acteurs concernés de participer davantage aux activités économiques qui se déroulent autour d’eux de sorte qu’ils obtiennent une répartition plus équitable des gains économiques que celle-ci procurent (SACO, 2013). Dans le cadre de ses travaux sur les effets de la culture de la tomate en économie de plantation cacaoyère, Tujague (op. cit.) a établi que les femmes parviennent à bénéficier d’un poids et d’une autorité au sein de la famille et dans les relations conjugales. Alors que traditionnellement les décisions incombaient aux maris, désormais leur avis et leur aide

32 Ce résultat constitue une application de la mise au point d’un procédé d’extraction du latex à laquelle le CIRAD a participé. Le guayule (un buisson originaire du Mexique) et le pissenlit russe (une plante herbacée du Kazakhstan) ont des propriétés comparables à celles du latex d’hévéa. Arbuste des déserts et des régions semi‐arides, le guayule se développe rapidement et résiste à la sécheresse. Sa culture parait possible en climat méditerranéen chaud. Quant au pissenlit russe, il peut se cultiver dans toutes les régions tempérées du globe. https://www.cirad.fr/actualites/toutes‐les‐actualites/communiques/ consulté le 20/6/2016. 259 financière s’imposent au sein de la famille. Si dans l’économie cacaoyère de tels changements ont pu être observés, Adjamagbo (op. cit.) note que la mévente des cultures d’exportation sur le marché international, la baisse corrélative du pouvoir d’achat des paysans, la diminution des réserves forestières, etc., sont autant d’aléas qui ont conduit à une réintroduction des anciennes situations de dépendance économique et sociale entre les générations et en termes de genre. Cette section vise à mettre en évidence, par le biais des entretiens et des focus groups réalisés, les changements engendrés par l’hévéaculture au niveau des rapports sociaux entre genre (hommes/femmes) et génération (jeunes/aînés).

8.6.1 Vers une autonomisation des femmes via l’hévéaculture?

En Côte d’Ivoire et particulièrement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, l’économie de plantation est restée pendant longtemps le domaine quasi exclusif des hommes. Les femmes y sont très faiblement représentées, entre autres à cause de la mainmise des hommes sur les ressources foncières et de la pénibilité de la cacaoculture qui reste la principale forme de l’économie de plantation. Elles se sont massivement orientées vers des secteurs comme le vivrier (production et commercialisation), le petit commerce et la petite restauration. Toutefois, avec le développement de l’hévéaculture, un nombre croissant de femmes réussissent à s’insérer dans l’économie de plantation. Pour rappel, elles représentent 13,55 % des planteurs de notre échantillon dans l’Indénié-Djuablin et 12,15 % dans la Nawa. Ces femmes sont pour la plupart de petites exploitantes ayant des plantations de taille comprise entre 0.85 ares et 2 hectares. Alors qu’elles avaient un niveau de revenu très faible et aléatoire, elles peuvent désormais vivre au-dessus du seuil de pauvreté. En effet, alors que celui-ci approchait les 270 000 FCFA en 2015, elles dégageaient 364 518 FCFA de revenu au minimum. En fonction des opportunités, certaines femmes réinvestissent leurs gains dans d’autres activités lucratives, individuellement ou collectivement. Par exemple, à titre individuel, une dizaine de femmes de Bettié sont propriétaires de motos tricycles utilisées pour le ramassage et l’acheminement du caoutchouc naturel des champs vers l’usine moyennant rétribution. Ces engins sont aussi utilisés pour le transport de multiples marchandises vers les villages voisins ou la ville. Autre cas de figure, dans la localité d’Anuassué dans l’Indénié-Djuablin, des productrices de caoutchouc naturel ont créé une coopérative de production et de commercialisation du vivrier. Elles mutualisent leurs moyens financiers pour l’expédition de leurs légumes vers la capitale régionale Abengourou et Abidjan, la capitale économique. Les femmes urbaines réinjectent leurs gains dans un spectre plus large d’activités, comme le transport, le commerce de vêtements, la restauration ou l’immobilier locatif. Ce dernier est d’ailleurs au centre de projets futurs pour la quasi-totalité des exploitantes enquêtées. Grâce aux revenus de l’hévéaculture, les femmes ont acquis une position plus centrale au sein de certaines communautés villageoises. A Yacoli-Dabouo par exemple, elles ont contribué au même titre que les hommes au financement de la construction de l’école maternelle et du collège. Du fait de leur contribution aux dépenses communautaires, elles sont associées et participent aux prises de décision concernant l’avenir du village.

260

Au-delà de ces aspects, le plus souvent mariées (76 % dans l’Indénié-Djuablin et 67 % dans la Nawa), l’hévéaculture permet à certaines femmes de renverser les rapports de force et d’accéder à une certaine autonomie. Afin de mieux appréhender la nouvelle position sociale des femmes dans le couple, nous proposons la trajectoire d’une exploitante.

 Dame Benié Clémentine : la pionnière

Dame Benié Clémentine est native et originaire de Bettié, mariée et mère de 6 enfants. Elle avait 34 ans en 1986 au moment du lancement du programme public de vulgarisation dans son village. Dès le début, elle s’intéresse à la culture en participant aux différentes réunions de sensibilisation qui se tenaient chez le chef du village. Elle avait confiance parce que plusieurs personnalités politiques et administratives étaient présentes. Comme les responsables du projet n’exigeaient aucune contribution financière, elle s’est convaincu qu’elle ne perdait rien à essayer. Elle n’a pas accordé de crédits aux propos des personnes qui prétendaient que le projet était une ruse pour s’accaparer les terres des villageois et qu’aucune culture ne pouvait rapporter plus d’argent que le cacao. Avant même l’ouverture de la liste des intéressés, elle entame des démarches auprès de son père pour obtenir un lopin de terre. Face à son refus, elle fait appel à son meilleur ami pour le convaincre. Finalement, il accède à sa demande en mettant à sa disposition 1 ha, ce qui lui permet de faire partie du projet. A l’entrée en production, elle a entrepris un petit commerce de vivres dont les revenus lui ont permis d’acquérir chaque année un ou deux hectares de vieilles plantations cacaoyères. Il fallait rapidement se constituer une réserve foncière avant que les populations ne perçoivent les avantages de la nouvelle culture. Cinq ans après l’entrée en production de sa première plantation, elle a commencé à emblaver les terres acquises. En 2000, elle avait 16 ha autour de Bettié et plus 10 ha de palmier à huile dans la région voisine de Bonoua. Sa plus grande satisfaction est d’avoir pu assurer les études de ses enfants, dont trois en France. Elle a aussi pu construire plusieurs logements à Abidjan qui lui rapportent aujourd’hui autant que ses plantations d’hévéa et de palmier réunis. Avec ses gains, elle contribue pleinement aux charges du ménage notamment l’alimentation, la santé et la scolarisation des enfants :

« Au début, quand je gagnais peu, je prenais en charge mon habillement et celui des enfants. Pendant l’année scolaire, je leur donnais l’argent pour la récréation. Mon mari me donnait l’argent pour la nourriture de la famille, mais ça manquait, je complétais. Quand j’ai commencé à avoir un peu de moyen, j’ai commencé à payer la scolarité et les fournitures scolaires des enfants. Mon mari s’occupe des dépenses de santé et de la nourriture mais souvent je l’aide quand il manque de moyen » (entretien le 16 octobre 2015).

En devenant indispensable à l’équilibre du ménage, dame Benié affirme avoir acquis respect et considération au sein de son foyer. Son époux sollicite son avis pour les projets importants et en tient le plus souvent compte :

261

« Avec le temps, l’entente entre mon mari et moi s’est beaucoup améliorée peut-être parce qu’on a plus d’expérience maintenant. Mais je pense que c’est aussi parce qu’il peut compter sur moi. Il demande mon avis sur tout ce qu’il veut faire d’important. Souvent quand je ne suis pas du tout d’accord avec une idée, il l’abandonne ».

Au total, si l’hévéaculture permet à certaines exploitantes de bénéficier d’une reconnaissance et d’une certaine autonomie au sein de leur famille, il n’en demeure pas moins qu’elle ne donne pas lieu à un bouleversement des normes de vie au sein du ménage.

8.6.2 Des jeunes de moins en moins dépendants de leurs aînés grâce à l’hévéaculture

Dans l’économie cacaoyère, il était rare de voir un jeune chef d’exploitation être à son propre compte. En vertu du droit d’aînesse, ce sont les aînés qui assuraient le contrôle et la gestion des ressources productives de la famille. Dans ce contexte, le jeune avait l’obligation d’apporter son soutien à la production des biens pour la survie de l’unité familiale. Ainsi, il était systématiquement employé dans les plantations comme main-d’œuvre. En retour, l’aîné devait lui garantir le gîte et le couvert jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge adulte, matérialisé par la fondation d’une famille, le plus souvent avec le concours de l’aîné. Ainsi, cette pratique était révélatrice d’une double subordination des hommes jeunes à l’égard des aînés à la fois matrimoniale et foncière (Chauveau, 1975 ; Léna, 1979). Dans la perspective d’accéder à une certaine autonomie assez rapidement, beaucoup de jeunes étaient tentés par une aventure en ville. Les différentes crises économiques depuis le milieu des années 1980 et la crise militaro politique de 2002 ont rendu l’expérience urbaine des plus incertaines. Si malgré tous les jeunes hésitaient encore à s’investir complètement dans l’agriculture, les avantages de l’hévéaculture les ont convaincus. Il faut dire que contrairement à la culture du cacao, celle de l’hévéa jugée moins pénible attire plus les jeunes. Son adoption participe progressivement à une redéfinition des rapports entre génération car sa production ne se fait plus dans le cadre de l’autorité de l’aîné basée sur l'inégalité et la dépendance. Elle ouvre de nouvelles perspectives aux jeunes qui aspirent à prendre part activement, mais pour leur propre compte, à la vie économique et leur offre la possibilité d'accéder à une certaine autonomie économique et sociale vis à vis du groupe familial élargi. En offrant des opportunités d'enrichissement aux jeunes, l’hévéaculture contribue dans une certaine mesure à niveler les inégalités statutaires entres aînés et cadets. Ces mutations sont illustrées par la trajectoire d’un jeune que nous avons interviewé à Brétihio.

 Godji Daniel, le jeune néo rural

Marié et père d’une fillette, Godji Daniel est né en 1986 à Brétihio. Il est le troisième d’une famille de six enfants. Comme tous les enfants du village, comme il le dit lui-même, il a eu la chance d’aller à l’école. Mais sa scolarité est prématurément interrompue puisqu’il quitte

262 l’école dès la classe de 5e pour insuffisance de résultats. Il revient au village afin d’aider son père et son frère aîné dans la gestion de la plantation de cacaoyers familiale. Habitué à la vie urbaine pendant son séjour scolaire à Soubré dans la capitale régionale, il supporte difficilement sa nouvelle vie en milieu rural. Mais le plus dure reste les travaux champêtres dont d’ailleurs les gains sont gérés par son père et son frère aîné. En 2003, alors qu’il n’a que 17 ans, il décide contre l’avis de son père de tenter l’aventure urbaine à Abidjan, suivant en cela d’autres jeunes du village. Dans la capitale économique, sans formation ni diplôme, il peine à trouver un bon emploi. Il exerce différents petits boulots tels le lavage auto, la coiffure, la gestion de cabine téléphonique, etc. au gré des opportunités. Du fait, de la crise militaire déclenchée en 2002, la situation économique va de mal en pis à tel point que les occasions de petits boulots se raréfient suivies d’une recrudescence de l’insécurité. Sentant que ses chances de s’en sortir s’amenuisaient de jour en jour, il décida de regagner son village en 2005 avec la ferme volonté de planter de l’hévéa. Il avait appris dans la presse que cette culture était très rentable sans compter que tout le monde ou presque en parlait à Abidjan. Au début, son père était hésitant à lui céder une portion de terre et souhaitait qu’il l’aide à travailler sur son exploitation. A force d’insister, il finit par lui accorder une parcelle de 3 hectares. Financée par la culture du manioc et les emplois de manœuvre qu’il exerce de temps en temps, sa plantation est entrée en production en 2013. Cela lui permet d’être utile à sa famille et de subvenir à ses besoins et ceux de sa famille comme il le soutient :

« Depuis que ma plantation est en production, je ne demande plus d’argent à quelqu’un. L'année passée, j’ai fait mon mariage. J’ai dépensé près d’un million (FCFA) sans l’aide de quelqu’un. Dans le même temps, mon père est tombé malade, je suis allé le soigner à Soubré sans rien demander à quelqu’un. Mon père et mon frère voulait faire seulement le cacao. C’est maintenant qu’ils ont compris que l’hévéa rapporte » (entretien le 13 août 2015).

Conclusion

Aux termes de ce chapitre, il ressort que les populations de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa ont une bonne accessibilité physique aux denrées alimentaires. Cela repose sur le fait que les deux espaces régionaux sont dotés d’un réseau de marchés bien distribué dans l’espace. Cela tient également au fait que ces centres commerciaux sont dotés de circuits d’approvisionnement permanents et dynamiques. En dépit de contraintes diverses liées à entre autres l’inadaptation des moyens de transport et à la saisonnalité des productions vivrières, ces circuits parviennent à ravitailler de façon régulière les marchés en une diversité des produits correspondant à la demande alimentaire des populations. Le développement de l’hévéaculture n’a pas d’incidence notable sur la géographie des bassins d’approvisionnement puisque l’essentiel de la production vivrière rencontrée sur les marchés est d’origine intra

263 régionale. La dynamique hévéicole n’a pas non plus d’incidence réelle sur les prix des denrées pratiqués sur les marchés. Ceux-ci n’ont enregistré que de faibles évolutions au cours de ces dernières années. Les fluctuations saisonnières des prix qui sont constatées sur les marchés sont traditionnelles et relèvent principalement de la saisonnalité de l’activité agricole. L’hévéaculture influence positivement l’accès économique des planteurs et saigneurs aux vivres disponibles sur les marchés. Globalement, les revenus hévéicoles qui se situent au- dessus du seuil national de pauvreté offrent un pouvoir d’achat suffisant aux adoptants pour couvrir leurs besoins alimentaires voire leurs dépenses de consommation. Au-delà de ces aspects, les revenus de cette culture permettent à certaines catégories sociales comme les femmes et les jeunes d’acquérir plus d’autonomie et de jouer un rôle social plus accru au sein de leur famille et de leur communauté. Au regard de tout ce qui précède, notre hypothèse 3 selon laquelle le développement de l’hévéaculture a un effet positif sur l’accessibilité physique et économique des ménages aux denrées alimentaires est vérifiée. Mais quels sont ses effets réels en termes d’amélioration des conditions nutritionnelles et de stabilité de l’alimentation et des ménages ? Le chapitre qui suit tente d’apporter un éclairage sur certains de ces aspects.

264

Chapitre 9 : Des pratiques alimentaires positivement influencées par la hausse et la régularité des revenus

Dans l’ensemble du territoire ivoirien, et plus particulièrement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, il n’existe pas d’insécurité alimentaire en termes de rupture absolue de la disponibilité physique de vivres. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la malnutrition, résultante de régimes alimentaires déficients et/ou de problème de santé (Maire et al, 2003) touche de nombreux ménages avec une prévalence de 10,6 % en milieu urbain et de 15 % dans les campagnes (ENV, op. cit.). Entre autres raisons à l’origine de cette forme d’insécurité alimentaire que Brunel (2002) appelle la faim sous sa forme pernicieuse, se trouve la pauvreté. Cette situation explique par ailleurs l’instabilité de l’alimentation des individus et des ménages dans les campagnes notamment pendant la période de soudure. Pour autant, l’hévéaculture a permis à de nombreux adoptants notamment les plus défavorisés de sortir de la pauvreté monétaire en accédant à des revenus substantiels les situant même au- dessus de seuil de pauvreté. Le relèvement du pouvoir d’achat a donné lieu à l’adoption d’une alimentation plus variée et plus riche au niveau protéinique. Parallèlement, du fait de leur régularité, les revenus tirés du caoutchouc naturel sont devenus le socle de la stabilité de l’alimentation dans le temps. Ce chapitre montre que par le biais des revenus de l’hévéaculture, les ménages hévéaculteurs parviennent à améliorer au quotidien leur consommation alimentaire et, d’autre part, que la régularité de ces revenus concoure à la stabilité de leur alimentation. La construction du chapitre repose sur l’exploitation d’entretiens semi-directifs et du questionnaire adressé aux ménages hévéaculteurs sur les changements intervenus dans la structure alimentaire (régime et budget alimentaire) et la stabilité de l’alimentation après l’obtention des revenus de l’hévéaculture. Après avoir précisé les caractéristiques de l’alimentation des ménages en Côte d’Ivoire, on montrera les changements intervenus dans la consommation alimentaire des ménages enquêtés. Ensuite sera abordée la problématique de la soudure alimentaire avant de traiter de la question de l’apport de l’hévéaculture à la stabilisation de l’alimentation des ménages enquêtés.

9.1 Caractéristiques de la consommation alimentaire des ménages en Côte d’Ivoire

L’alimentation des ménages en Côte d’Ivoire repose pour une très grande part sur la consommation de denrées d’origine locale en dépit d’un mode de vie de plus en plus moderne de la population. La structure de cette alimentation est dominée par la consommation quasi- quotidienne des aliments tels que les céréales, les tubercules, les protéines et des feuilles (ENV, op.cit.). Les autres groupes d’aliments comme les produits laitiers, les fruits et les légumineuses sont très peu mobilisés. En 2012, l’analyse des disponibilités alimentaires nationales a révélé que les groupes des racines et tubercules et des céréales constituaient la plus importante contribution en matière d’offre calorique disponible (plus de 65% des

265 apports) suivis des huiles végétales avec environ 10% des apports, des fruits (7% des apports) et des édulcorants (près de 4% des apports). La contribution des viandes et épices est quasiment marginale (2%) quand les poissons n’apportent qu’environ 1,5% du total énergétique d’ensemble. Les autres groupes de produits alimentaires ont chacun une contribution marginale inférieure à 1% (ESASU, op. cit.). Si la couverture des besoins en tubercules et racines est assurée par la production nationale, le pays est confronté à un déficit structurel en céréale, notamment le riz, l’un des principaux aliments de consommation de base sur l’ensemble du territoire mais également en poissons et en viande. La production nationale estimée à 700 000 tonnes de riz blanchi ne couvre que 50% des besoins de la consommation intérieure. Pour combler ce déficit, la Côte d’Ivoire a recours aux importations en provenance des pays asiatiques. En 2011, ce sont au total 935 000 tonnes de riz semi-blanchi qui ont ainsi été importées par la Côte d’Ivoire (ESASU, op. cit.). Cette situation d’ensemble masque d’importantes disparités entre les ménages. En effet, étant donné que le principal mode d’acquisition des aliments demeure l’achat selon leur niveau de revenu ceux-ci n’ont pas le même potentiel d’accès. Il en résulte que les ménages plus aisés consomment régulièrement cinq différents groupes d’aliments (céréales, tubercules, protéines, feuilles et huile) qui couvrent leurs besoins. Ils sont en sécurité alimentaire à l’inverse des ménages pauvres qui ne consomment que trois groupes (céréales, tubercules et feuilles). Les produits alimentaires tels que les protéines, les produits laitiers, les légumineuses ou le sucre sont quasiment absents (ENV, op. cit.). On peut donc les considérer en insécurité alimentaire. Cette situation avait déjà été observée par Janin (1998) qui montrait que les apports en protéines animales issues de viandes (bœuf, mouton, volaille ou porc) dans l’alimentation des personnes pauvres notamment en milieu rural sont modérés et épisodiques. En fait, ces apports viennent surtout de la consommation de poissons secs ou fumés (carpe, machoiron, tilapia), la consommation quotidienne de poissons frais étant beaucoup moins fréquente. Selon le rapport sur l’analyse de la situation nutritionnelle en Côte d’Ivoire (2015), 20,5% de la population en 2014 n’a pas atteint le niveau minimal d’apport calorique et le régime alimentaire est resté peu diversifié dans tous les groupes d’âges. Cet apport calorique moyen par habitant était de 2534 Kcal/pers/jour contre 2806 Kcal/pers/jour recommandée par l’OMS. A la faible diversité alimentaire des ménages pauvres, s’ajoute une faible fréquence de consommation alimentaire (tableau 21).

266

Tableau 21 : Fréquence de consommation alimentaire selon la situation alimentaire des ménages

En insécurité En insécurité En sécurité alimentaire Ensemble alimentaire modéré alimentaire sévère Groupes Nombre moyen Nombre moyen de Nombre moyen de Nombre moyen de d’aliments de jours de jours de jours de jours de consommation consommation consommation consommation Céréale 2 4,3 5,9 5,6 Tubercule 3,3 4,9 5,7 5,5 Protéine 0 1,2 5,9 5,2 Légumineuses 0 1,2 2,9 2,7 Feuilles et 1,7 4,7 6,6 6,2 légumes Fruits 1 1 2,5 2,3 Produits laitiers 0 0 1 1 Sucre 0 1 2,2 2 Huile 1 2,6 4,5 4,2 Source : d’après l’ENV2015

Le tableau 21 confirme que les aliments comme les légumineuses, les feuilles et légumes, les fruits, les produits laitiers et le sucre n’apparaissent que de façon épisodique dans la consommation alimentaire des ménages pauvres.

Au final, on peut retenir que les ménages pauvres sont caractérisés par une consommation alimentaire monotone et pauvre en protéines. Mais les revenus de l’hévéaculture leur permettent-ils d’améliorer qualitativement leur alimentation ?

9.2 Contribution des revenus de l’hévéaculture à l’amélioration de l’alimentation des ménages hévéaculteurs

Les revenus constituent l’un des facteurs les plus importants en matière de qualité du régime alimentaire des ménages. Un pouvoir d’achat élevé offre plus de possibilité de diversification du régime alimentaire aux ménages. Quelle est l’incidence de l’hévéaculture sur les revenus des ménages ? Comment le budget et la consommation alimentaire des ménages ont-ils évolué ? Afin de répondre à ces interrogations, les analyses porteront exclusivement sur la situation de planteurs ruraux plus exposés aux difficultés nutritionnelles.

9.2.1 Un relèvement du pouvoir d’achat induisant une revalorisation du budget alloué à l’alimentation

L’adoption de l’hévéaculture a conduit à une hausse des revenus des exploitants. Les revenus de cette nouvelle activité se sont ajoutés à ceux de l’activité initiale de l’exploitant. L’analyse du tableau 22 indique que ce sont les plus grands exploitants qui ont enregistré les plus fortes 267

variations de revenu après son adoption. Chez les très grands exploitants, les revenus mensuels sont passés de 234 000 à 784 000 FCFA soit un taux de variation de 235,04 %, tandis que chez les grands exploitants, ils ont connu une variation de 216,54 % en passant de 162 613 à 514 734 FCFA. Les autres catégories (exploitants moyens, petits exploitants et très petits exploitants) qui concentrent les revenus les plus bas ont des taux de variation de moindre importance, respectivement de 109,31% ; 189,9 % et 157,14 %. Le relèvement du pouvoir d’achat a été suivi chez toutes les catégories d’exploitants par une augmentation du budget mensuel consacré à l’alimentation. Cette augmentation a été plus significative chez les très petits exploitants : De 8 500 FCFA avant l’obtention des revenus de l’hévéaculture, les dépenses alimentaires mensuelles ont atteint 25 831 FCFA, ce qui fait un taux de variation de 203,89 %. Les très petits exploitants ont consenti les plus fortes augmentations parce que le besoin d’amélioration y était plus fort. Chez les grands exploitants et les très grands exploitants, elle est respectivement de 164 % et de 152,2 %. Nonobstant cette hausse, on assiste à une baisse de la part des dépenses alimentaires dans le budget des ménages ayant les revenus les plus élevés. Elle est de -24, 77 % chez les très grands exploitants et de -16,62 % chez les grands exploitants. Chez les exploitants moyens et les très petits exploitants par contre, elle est en hausse respectivement de 35,31 % et 18,18 %.

Tableau 22 : Part des dépenses alimentaires mensuelles des ménages avant et après les revenus de l’hévéaculture selon la catégorie de l’exploitant

Dépense alimentaire moyenne Revenu moyen mensuel (en FCFA) mensuelle Part du budget alimentaire (en %) (en FCFA) Catégorie de l’exploitant Avant Après Variations Avant Après Variations Avant Après Variations l’adoption l’adoption (en %) l’adoption l’adoption (en %) l’adoption l’adoption (en %)

Très petits 28 000 72 000 157,14 8 500 25 831 203,89 30,36 35,88 18,18 exploitants

Petits 63 000 182 256 189,29 10 500 31 745 202,33 16,67 17,42 4,50 exploitants

Exploitants 125 096 261 837 109,31 13 465 38 125 183,1 10,76 14,56 35,31 moyens

Grands 162 613 514 734 216,54 16 150 42 635 164 9,93 8.28 -16,62 exploitants

Très grands 234 000 784 000 235,04 20 875 52 655 152,2 8,92 6,71 -24,77 exploitants Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Dans tous les cas, il convient de souligner que suite au relèvement du pouvoir d’achat, les ménages hévéaculteurs consacrent en moyenne 38 200 FCFA par mois à leur alimentation. Cette somme représente plus du double des sommes allouées à l’alimentation par les populations rurales en général car en 2015, elle s’élevait à 14 561 FCFA, (ENV, ibidem). Un tel niveau de dépense alimentaire garanti aux ménages hévéaculteurs une plus grande

268 diversité alimentaire et l’accès à des aliments à plus haute valeur nutritionnelle que les autres ménages ruraux. On peut dès lors en déduire qu’ils sont globalement moins vulnérables à l’insécurité nutritionnelle que les autres ménages du milieu rural.

En résumé, on peut retenir que, suite à l’augmentation des revenus, les différentes catégories d’adoptants ont procédé à une revalorisation des dépenses alimentaires. Ces changements qui relèvent d’un arbitrage entre le niveau de revenu des planteurs, les prix des denrées et l’importance du groupe de commensalité donnent les premiers indicateurs de l’impact de l’adoption de l’hévéaculture sur la consommation alimentaire des ménages.

9.2.2 Des évolutions notables dans le régime alimentaire des exploitants

La mise en parallèle de la consommation alimentaire des exploitants avant et après la hausse des revenus permet de mettre en évidence les changements intervenus dans l’alimentation. Les évolutions peuvent être saisies au travers de la consommation des plats solides, des produits animaux, etc.

 Les évolutions au niveau des plats solides

Comme le met en évidence la figure 48, il y a presqu’autant de ménages qui consomment l’igname, la banane plantain et le manioc avant et après l’obtention des revenus de l’hévéaculture. On peut expliquer ce maintien par le fait qu’ils font partie des habitudes alimentaires et l’autoproduction de la majorité des ménages. Le détail par produit de base donne les pistes suivantes. Si la consommation de l’igname et de la banane plantain se retrouve à peu près de façon équivalente dans toutes les catégories de planteurs, il faut souligner que le manioc est plus consommé par les très petits planteurs. Cela peut s’expliquer par son prix abordable qui fluctue peu et sa disponibilité presqu’en toute saison. Par ailleurs, il offre la possibilité d’une consommation sous diverses formes (manioc frais, séché, attiéké, placali). Autre aliment de poids dans le régime alimentaire du pays, le riz local est progressivement délaissé (- 52 %) sous une double influence. En 1er lieu, ce produit cède de la place en termes d’occupation du sol, donc de volumes produits par les ménages ; en second lieu riz importé qui revient globalement moins cher que le riz local.

269

Figure 48 : Types d’aliments de base consommé avant et après l’obtention des revenus de l’hévéaculture (en %)

120 100 80 60 40 20 0 Nombre de ménages (en %) (en ménages de Nombre

Type d'aliments consommés

Avant les revenus de l'hévéaculture Après les revenus de l'hévéaculture

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Ainsi, on a assisté à un glissement de la consommation du riz local vers le riz importé (+53 %) sous l’impulsion des planteurs moyens (+23 %), des grands planteurs (+14 %) et des très grands planteurs (+8 %). Deux produits peu appréciés par les ménages, la patate douce et le taro sont généralement consommés pendant la soudure par les catégories d’exploitants les plus modestes (très petits exploitants et petits exploitants). Mais leur consommation est abandonnée dès que les ménages disposent d’un peu de moyens. Dans l’Indénié-Djuablin et plus largement dans toute la région de l’Est, la patate douche est très peu consommées par les hommes car elle a la réputation de les rendre impuissants. Dans le cas d’espèce, les ménages enquêtés se sont massivement reportés sur les pâtes alimentaires et le haricot. Quasi-exclusivement consommés par les grands planteurs et les très grands planteurs avant le relèvement de leur pouvoir d’achat, la pomme de terre se retrouve dans les assiettes de toutes les autres catégories de planteurs. Mais les plus gros consommateurs restent les grands exploitants (27 %), les très grands planteurs (18 %), les exploitants moyens (13 %).

 Une consommation des produits carnés plus accrue

La figure 49 présente la consommation des produits animaux avant et après l’obtention des revenus de l’hévéa. De manière générale, le choix se porte avant le relèvement du pouvoir d’achat surtout sur la viande de brousse (73 %), le poisson séché (52 %), le poisson fumé (39 %) et la viande de porc (33 %).

270

Figure 49 : Répartition des ménages selon le type de produits carnés consommé avant et après l’obtention des revenus de l’hévéaculture (en %)

90 80 70 60 50 40 30 20 10 Nombre de méanges (en %) (en méanges de Nombre 0 Poisson Poisson Poisson Viande de Vainde de Viande de Produits Œufs fumé séché frais bœuf porc brousse laitiers

Type de produits carnés consommés

Avant les revenus de l'hévéaculture Après les revenus de l'hévéaculture

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Ces différents produits animaux se classent parmi les plus abordables du marché (tableau 23). En effet, le poisson séché est le moins cher des produits carnés, suivi de la viande de brousse. Mais, il faut noter que la plupart des ménages ruraux accèdent à la viande de brousse sans débours à travers la chasse.

Tableau 23 : Prix au kg de quelques produits carnés sur les marchés de l’Indénié- Djuablin et de la Nawa Type de produits animaux Indénié-Djuablin Nawa Viande de bœuf 1400 1600 Viande de brousse 300 350 Viande de porc 700 800 Poisson séché 225 240 Poisson fumé 600 700 Poisson frais (tilapia) 1200 1400 Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Après l’augmentation du pouvoir d’achat, la consommation de poisson fumé a progressé de 43 points, celle du poisson frais de 35 points tandis que celle du porc était multipliée par 2 passant de 33 % à 66%. Inversement, la consommation du poisson séché a chuté de 40 points et celle de la viande de brousse de 69 points. Plus souvent inclus dans les achats alimentaires des ménages en difficulté économique, le poisson séché est abandonné au profit de protéines jugées plus nobles dès que le niveau de revenus s’améliore. Par ailleurs, on peut expliquer la baisse importante de la consommation de viande de gibier par l’interdiction par les pouvoirs publics ivoiriens de la chasse, de la commercialisation et de la consommation de la viande de brousse entre avril 2014 et septembre 2016. Cette interdiction visait à contenir l’épidémie d’Ebola qui endeuillait alors le

271

Liberia et la Guinée, deux pays frontaliers, et dont le gibier est souvent un porteur sain. Ce faisant, de nombreux ménages ont substitué la consommation de cette denrée par les autres protéines animales. Cette évolution de la consommation des produits carnés renvoie à la situation qui s’observe en Chine. Dans son rapport sur les tendances mondiales de son commerce extérieur en octobre 2017, le ministère de l’agriculture et de l’agroalimentaire canadien affirmait que « l’effet de la hausse des revenus de la classe moyenne et des revenus disponibles permet aux consommateurs chinois de se procurer des produits alimentaires de qualité supérieure. Ainsi, le poisson haut de gamme est de plus en plus populaire parmi ces nouveaux consommateurs chinois ». Cette tendance générale de l’évolution du comportement alimentaire des exploitants cache des disparités de consommation entre les différentes catégories d’exploitants. Il convient donc de préciser la situation par type d’exploitants :

- Les ménages de grands exploitants et de très grands exploitants

Ces ménages consommaient avant l’accès aux revenus de l’hévéa principalement de la viande de bœuf (86 %), du poisson frais (67%), du poisson fumé (53 %) et de la viande de porc (37 %). Ce niveau de consommation de protéine peut s’expliquer par le fait que cette catégorie d’exploitants concerne des personnes de conditions sociales aisées bien avant l’adoption de l’hévéaculture. Suite à la hausse des revenus, la consommation de la viande bœuf s’est maintenue de même que celle de la viande de porc et du poisson fumé. La fréquence de consommation de la viande de bœuf n’a pas varié non plus, elle est toujours de 5 à 6 fois par semaine. On constate que parallèlement celle de poisson frais a connu une légère hausse de 7 points. Par ailleurs, il faut ajouter que la consommation de produits laitiers a progressé de 18 % et celle des œufs de 23 %.

- Les ménages d’exploitants moyens

Avant la hausse des revenus, 68 % des ménages consommaient essentiellement du poisson fumé, 46 % de la viande de porc et 36 % de la viande de brousse. Les revenus de l’hévéa ont quelque peu modifié cet ordre de consommation. La consommation de poisson fumé a perdu 13 points, celle du porc 23 points et celle de la viande de brousse 32 points. Ces changements ont profité à la viande de bœuf dont la consommation est passée de 12 à 32 % et au poisson frais qui enregistre une hausse de consommation de 23 points. La fréquence de consommation de la viande de bœuf est passée de 3 à 4 fois par semaine contre 1 à 2 fois auparavant. Dans ce type de ménage, la consommation de produits laitiers a connu également une hausse (13 %) ainsi que celle des œufs (8 %).

- Les ménages des petits exploitants

La consommation protéinique de ces ménages portait, avant le relèvement du pouvoir d’achat, principalement sur la viande de brousse (52 %), le poisson séché (47 %) et sur le poisson fumé (18 %). Seulement 6 % de ce type de ménage consommaient la viande de bœuf. Après

272 l’accroissement des revenus, la consommation de la viande de brousse a régressé de 49 points et celle du poisson séché de 31 points. A l’inverse, on constate un quasi triplement de la consommation de poisson fumé (53 %) et une hausse de celle de viande de porc de 15 %. La consommation de poisson frais à faiblement progressé (+ 4 %) tandis que celle de viande de bœuf passait de 6 % à 15 %. La fréquence de consommation de cette denrée reste de 3 à 4 fois par mois contre pratiquement une fois par mois auparavant. La consommation de produits laitiers et d’œufs reste marginale dans cette catégorie de ménages avec respectivement 3 % et 5 %.

- Les ménages de très petits exploitants

Selon nos entretiens avec certaines ménagères de cette catégorie, la viande de bœuf était auparavant consommée de façon occasionnelle plus particulièrement à l’occasion d’évènement marquants (fête, mariage, naissance, etc.). C’est le cas également pour les produits laitiers et les œufs. Ces ménages consommaient avant l’augmentation des revenus, surtout de la viande de brousse (63 %), du poisson séché (51 %) et à un moindre degré du poisson fumé (13 %). Après le relèvement des revenus, la consommation de viande de brousse est retombée à 6 % quand celle du poisson séché perdait 46 points. Inversement, le nombre de ménages consommant du poisson fumé a progressé de 34 points. Dans la même dynamique, se trouve la consommation de viande de porc qui progresse de 26 points. Dans ce type de ménage, la consommation de viande de bœuf a progressé de 8 points passant de 3 % à 11. La fréquence de consommation de cette denrée est de 2 à 3 fois par mois. Nos entretiens avec une ménagère de la catégorie des très petits exploitants permettent de préciser les changements intervenus dans l’alimentation suite à l’obtention des revenus de l’hévéaculture :

« Avant l’argent de l’hévéa, on n’avait pas beaucoup de choix. On mangeait surtout ce qu’on produisait nous-même. On mangeait beaucoup l’igname et le manioc, au moins cinq jours dans la semaine. Dans la sauce, on mettait surtout du poisson séché ou fumé ou la viande de brousse. La consommation du poisson frais mais surtout celle de la viande bœuf était rare parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’argent pour les acheter. Depuis qu’on a les gains de l’hévéa, il y a des changements au niveau de la nourriture. On consomme beaucoup le riz local et le riz importé, au moins trois jours par semaine. On mange beaucoup le poisson fumé, le poisson frais au moins trois fois dans le moins. La viande de bœuf, on la mange au moins une fois par semaine».

En définitive, les revenus hévéicoles ont permis aux exploitants de diversifier leur régime alimentaire, ce qui va dans le sens d’une amélioration qualitative de l’alimentation. Les évolutions portent également sur la quantité des aliments consommés notamment les protéines animales. Selon nos entretiens avec les ménagères, les portions individuelles de viande ou de poissons se sont accrues en même temps que leur fréquence de consommation. Par ailleurs, 93

273

% des ménages de notre échantillon indiquent qu’ils continuent d’avoir accès aux aliments correspondants à leurs préférences alimentaires, ce qui signifie que le développement de l’hévéaculture n’a pas entrainé la disparition des principales productions vivrières dans les deux régions cibles.

 Les évolutions de la consommation des autres types de denrées alimentaires

Mis à part les plats solides et les produits animaux, la consommation des divers autres produits (vin et bière, soda, pain, café au lait, fruits et légumes frais) a été impactée par les revenus de l’hévéa (fig. 50). Dans ce registre, on aperçoit que le taux de ménages ayant incorporés les boissons industrielles en particulier la bière et le vin dans leur alimentation a connu une hausse suite à l’amélioration des revenus. De 31 %, il a atteint 75 %. Selon les entretiens avec certains ménages, les sommes consacrées à cette consommation peuvent se situer mensuellement entre 10 000 et 15 000 FCFA. Il convient de noter que c’est paradoxalement dans les catégories des très petits exploitants et des petits exploitants que la consommation de vins et bière a connu les plus fortes progressions. De 7 % à 33 % dans la première catégorie citée et de 12 à 52 % pour la seconde catégorie. On reprend ici les mêmes constatations de Banerjee et Dufflo (2007) selon lesquelles les pauvres dans les pays en développement préfèrent dépenser souvent des sommes importantes dans le tabac, l’alcool ou diverses cérémonies qui auraient pu leur permettre d’améliorer significativement leur consommation alimentaire. La proportion de ménages consommant des fruits est restée presqu’identique (7 à 9 %) après l’accroissement des revenus. Pourtant, ces denrées sont disponibles à bas prix. De plus, ils font le plus souvent partie des productions des ménages. La grande majorité des ménagères interviewées ont affirmé ignorer l’importance de la consommation de fruits sur le plan nutritionnel. En fait, en milieu rural, les fruits sont consommés généralement comme en-cas et en dehors des repas. Comme l’indique Janin (1998), dans les campagnes, les représentations subjectives du bien mangé conduisent à négliger la consommation des aliments qui n’entrent pas directement dans la composition des mets de base. La consommation de pain et de café au lait au petit déjeuner a également progressé. Cette évolution est surtout portée par les petits planteurs et les planteurs moyens. La consommation de légumes frais (salade, carotte, tomate…) a quasiment été multipliée par trois (13 % à 32 %). Si cette consommation stagne chez les grands planteurs et très grands planteurs, elle est en progression même modeste chez les très petits planteurs (de 2 à 8 %), les petits exploitants (de 1 à 12 %) et chez les planteurs moyens (7 à 14 %).

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Figure 50 : Répartition des ménages selon le type de produits consommé avant et après l’obtention des revenus de l’hévéaculture (en %)

80 70 60 50 40 30 20 10 0 Vin et bière Soda Pain Café au lait Fruits Légumes Nombre de ménages (en %) (en ménages de Nombre frais

Type d'aliments consommés

Avant l'hévéculture Après l'hévéaculture

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Parallèlement à la consommation alimentaire proprement dite, la question se pose de savoir si la hausse des revenus a permis aux hévéaculteurs d’améliorer leur accès à l’eau potable. A ce propos, convient-il de rappeler que depuis le milieu de la décennie 1990, cet accès est considéré par l’OMS et la FAO comme un paramètre de la sécurité alimentaire et nutritionnelle et que, depuis 2010, il est proclamé par les Nations unies comme un droit humain fondamental. En Côte d’Ivoire, suivant en cela les recommandations de l’OMS, sont considérées comme sources d’eau potable l’eau courante, les pompes hydrauliques, ainsi que les puits et les eaux de surface s’ils sont protégés par des constructions maçonnées. Dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, les revenus de l’hévéaculture ont permis à beaucoup de planteurs d’améliorer leur accès à l’eau potable (tableau 24).

Tableau 24 : Répartition des ménages selon la principale source d’approvisionnement en eau avant et après les revenus de l’hévéaculture (en %)

Eau Pompe Puits Eau de Source d’eau courante hydraulique protégé surface Avant les 18 26 22 34 Indénié- revenus Djuablin Après les 30 17 45 8 revenus Avant les 13 31 15 41 revenus Nawa Après les 20 22 46 12 revenus Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Parmi notre échantillon, on note la progression de la proportion de ménages branchée à un réseau d’eau courante après l’accès aux revenus de l’hévéa (Indénié-Djuablin 12 % ; Nawa 7

275

%). Si le taux de branchement reste relativement faible, c’est parce que beaucoup de planteurs résident dans des localités qui ne sont pas dotées d’un système d’adduction en eau potable. Au contraire, le taux de ménages disposant de puits protégés a bondi de 23 % dans l’Indénié- Djuablin et de 31 % dans la Nawa. Dans les campagnes, la construction d’un puits protégés garantie aux ménages un accès plus durable à l’eau potable que les eaux de surface qui ont tendance à tarir pendant la saison sèche ou les pompes villageoise sujettes à des pannes intempestives. De plus, il dispense la ménagère de parcourir des distances importantes à la recherche d’eau potable (photo 22). En fonction de la localité, la construction d’un puits protégé nécessite des débours qui oscillent entre 75 000 FCFA et 150 000 FCFA (entre 114 et 228 euros).

Photo 22: Un puits protégé construit à Okrouyo (Nawa) par un hévéaculteur

Ce puits approvisionne en eau de consommation plusieurs ménages d'une même concession. Sa cavité maçonnée est couverte par une porte métallique. Ses abords sont cimentés. Ces aménagements permettent d’éviter toute contamination par l'eau de ruissellement.

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

Dans la mesure où beaucoup de planteurs se sont fait construire des puits, la proportion de ménages s’alimentant principalement en eau à partir de pompes hydrauliques villageoises a baissé. Les pompes hydrauliques sont des dispositifs mécaniques construites dans les villages importants par les pouvoirs publics (photo 23). Cependant, il revient aux populations locales d’en assurer l’entretien, ce qui nécessite une contribution financière. C’est dans ce cadre que les revenus de l’hévéaculture participent à l’accès de certains ménages à l’eau potable. Enfin, 8 % des ménages (dans l’Indénié-Djuablin) et 12 % (dans la Nawa) s’approvisionnent en eau de surface. Ce cas de figure concerne plutôt les familles dont l’entrée en production de la plantation est récente, et donc qui manquent encore d’épargne pour effectuer les dépenses liées à la construction d’un puits. Pour autant, on peut retenir que la grande majorité des ménages a globalement réussi à améliorer leur accès à l’eau potable grâce aux revenus de l’hévéaculture.

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Photo 23 : Une pompe hydraulique à motricité humaine installée à Adamagui (Nawa)

Cette pompe procure de l'eau de consommation aux habitants d'un village. Ses abords cimentés et une clôture isolent son espace immédiat de toute source de contamination (substances fécales des animaux, eau de ruissellement). Afin de préserver la propreté des lieux, les chaussures ne sont pas admises dans l'espace clôturé. Son accès est libre pour tous.

Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

En somme, l’analyse révèle qu’après le relèvement du pouvoir d’achat, les hévéaculteurs ont amélioré leur régime alimentaire en adoptant de nouveaux aliments (pâtes alimentaires, pomme de terre, haricot, etc.) et en diversifiant leur consommation de protéine (viande de bœuf, poisson frais, poisson fumé, etc.). De ce constat, on peut affirmer que l’hévéaculture contribue à l’amélioration de la situation nutritionnelle dans les deux régions à l’étude.

9.3 Une évolution positive de la situation nutritionnelle dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa

Nonobstant la propagation rapide de l’hévéaculture, une culture non alimentaire, l’analyse des différentes études de nutrition33 indiquent une tendance à l’amélioration de la situation nutritionnelle et alimentaire des populations de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa. Bien qu’il n’existe pas d’indicateur unique de l’état nutritionnel en soi (Marie et al., ibidem), nous avons retenu les mesures anthropométriques des enfants. Étant donné que les enfants constituent le groupe le plus vulnérable, les mesures les concernant donne une situation plus fiable du taux

33 Ces enquêtes (EDS‐MICS, 2000, 2006 ; EDS‐SMART 2008, 2009, 2010, 2011 et 2015) se sont multipliées depuis le début de la décennie 2000. Du fait de la situation de crise militaro‐politique et son corolaire de déplacements massifs des populations, de difficultés de productions et d’accès aux denrées alimentaires, de destruction des infrastructures sociales de base notamment sanitaires et la hausse du niveau de pauvreté, les pouvoirs publics avec l’appui des partenaires internationaux (OMS, UNICEF, PAM etc.) ont créé un cadre de surveillance de l’état nutritionnel des populations en particulier des enfants en vue l’instauration des mesures correctives. En dépit de leur foisonnement, seules les enquêtes de 2006 et 2012 et 2016 couvrent toute l’étendue du territoire national au contraire des autres qui n’ont visé que quelques régions comptant parmi les plus défavorisées du pays. Elles sont également les seules à couvrir nos deux espaces d’étude.

277 de malnutrition chronique, de malnutrition aigüe et celui de l’insuffisance pondérale dans la population totale. La malnutrition chronique indique chez l’enfant un déficit alimentaire chronique. Elle se manifeste par un retard de croissance ou un déficit de la taille par rapport à l’âge. Cet indice compare la taille de l'enfant à la taille moyenne d'une population de référence. L’indice taille pour âge permet ainsi d’estimer les effets à long terme de la malnutrition. Les valeurs de référence utilisées sont celles de l’OMS (standards de croissance de 2006). L’observation de l’évolution de la malnutrition chronique entre 2006, 2012 et 2016 (carte 36) montre un recul de cette forme d’insécurité alimentaire dans les deux régions de notre l’étude.

Carte 36 : Prévalence de la malnutrition chronique dans les grands pôles régionaux de Côte d’Ivoire

De fait, la prévalence de la malnutrition chronique dans l’Indénié-Djuablin était jugée sérieuse en 2006, selon les normes de l’OMS, avec un taux de 35 %. Elle est passée à 26,9 % en 2012 soit un recul de 8.1 points, ce qui représente un taux faible. Cette baisse s’est poursuivie en 2016 puisque le taux d’enfant en retard de croissance est tombé à 22.2%. Même si ce 278 pourcentage reste encore supérieur au 20 % recommandé par l’OMS, il n’en reste pas moins que la malnutrition chronique perd du terrain. La même tendance baissière est observée dans la Nawa, mais avec une plus grande vigueur. En effet, de 47,3 % en 2006, ce taux descend à 28,4 % en 2012 soit un recul de 18.9 points. Ainsi, l’on est passé d’un taux jugé critique au regard des normes de l’OMS à un taux considéré comme faible. Ce recul important peut s’expliquer par l’amélioration des conditions de vie globale des populations du fait de la fin de la crise militaro-politique en 2011 ainsi que de l’amélioration des prix d’achats des principales productions commerciales comme celui du caoutchouc latex issu de l’hévéaculture. En 2016, ce recul s’est confirmé pour atteindre 21,6 %, soit un niveau proche du seuil acceptable de 20 % recommandé par l’OMS. Bien qu’éloigné des taux relevés sur Abidjan (9.8 %), du Centre-Nord (16,6 %) et du Sud (1,8 %), les résultats constatés sont encourageants dans nos terrains d’étude.

A l’inverse de la malnutrition chronique, la malnutrition aigüe ou émaciation traduit des chocs nutritionnels survenus au cours d’une période relativement récente par rapport à la date de mesure des données anthropométriques. Les pourcentages de malnutrition aiguë sont estimés à partir des valeurs de l’indice poids pour taille combinées avec la présence d’œdèmes. Cet indice compare le poids de l’enfant mesuré au poids médian d’une population de référence pour la même taille. Les valeurs de référence utilisées sont également celles de l’OMS (standards de croissance de 2006). Comme pour la malnutrition chronique, les taux de malnutrition aigüe connaissent une régression dans les régions à l’étude (carte 37). Certes, sa prévalence est passée dans l’Indénié-Djuablin de 6,8 % à 7,1 % entre 2006 et 2012, une hausse qui peut s’expliquer par les effets de la crise post-électorale de 2011, cependant, en 2016, l’indice est retombé à 5,2 %, en dessous du niveau national (6%) mais bien supérieurs aux 5 % de l’OMS. Dans la Nawa également, on observe une tendance baissière, mais moins linéaire. De fait, de 6 % en 2006, la prévalence de la malnutrition aigüe a gagné 3 points pour atteindre 9 % en 2012, avant de se résorber en 2016 (6,6 %). Au total, de 2006 à 2016, bien qu’ayant enregistrée quelques variations, la prévalence de la malnutrition aiguë est faible dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa. Dans la même période, les régions de l’Ouest, du Nord, du Nord-Ouest et du Centre-Nord sont passées d’un niveau de sévérité de la malnutrition aigüe jugé sérieux en 2006 à un niveau considéré comme faible en 2016. Mais pour atteindre ce résultat, ces régions ont bénéficié d’un programme de lutte contre la malnutrition sous l’égide des pouvoirs publics ivoiriens, de l’OMS et de l’UNICEF à la différence de la Nawa et de l’Indénié-Djuablin,

279

Carte 37 : Prévalence de la malnutrition aigüe dans les grands pôles régionaux de Côte d’Ivoire entre 2006, 2012 et 2016

Dernier critère pour apprécier la situation nutritionnelle, l’insuffisance pondérale correspond à une inadéquation entre le poids et l’âge, les valeurs de référence utilisées sont celles de l’OMS (standards de croissance de 2006). L’indice poids pour âge est un indice combiné car un déficit de poids par rapport à l’âge peut être provoqué par une maigreur comme par une taille trop petite. Ainsi, l’insuffisance pondérale révèle à la fois une malnutrition chronique et une malnutrition aigüe. L’insuffisance pondérale est l’indicateur le plus souvent utilisées par les services de santé pour mettre en évidence les progrès nutritionnels et la croissance des enfants. Toutes les régions du pays connaissent en 2016 une prévalence de l’insuffisance pondérale que l’on peut qualifier de faible car les taux se situaient entre 10 et 20 %, à l’exception d’Abidjan avec un taux acceptable (8,7 %). Même dans le Nord et e Nord-Est où ce seuil

280 atteignait entre 20 et 30 % en 2012, il est retombé en 2016 à un niveau d’insuffisance pondérale classé comme faible. Comme dans les deux précédents types de malnutrition, la prévalence de l’insuffisance pondérale est jugée faible, en dessous de la moyenne nationale (12,8 %) avec respectivement 13,4 % en 2012 et 12,7 % en 2016 dans l’Indénié-Djuablin et de 12,9 % en 2012 et 12,3 % en 2016 dans la Nawa (carte 38).

Carte 38 : Prévalence de l’insuffisance pondérale dans les grands pôles régionaux en 2012 et 2016

Au regard des trois catégories d’indices analysés, il apparait que dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa, la malnutrition chronique, la malnutrition aiguë ou l’insuffisance pondérale entre 2006 et 2016 suivent une tendance baissière. Dans la mesure où l’hévéaculture permet l’amélioration des régimes alimentaires et l’accès des ménages à l’eau potable, il est possible de déduire qu’elle participe à l’amélioration de la situation nutritionnelle constatée dans les deux régions à l’étude. Mais peut-on aussi affirmer que cette activité concoure à la stabilité de l’alimentation des ménages hévéaculteurs ?

281

9.4 La régularité des revenus de l’hévéaculture, un levier contre l’instabilité de l’alimentation

En raison de leur régularité, les revenus de l’hévéaculture permettent à de nombreux ménages d’assurer la stabilité de leur alimentation dans le temps. Ce faisant, ils constituent une réponse à l’insécurité alimentaire saisonnière qui sévit chaque année dans les campagnes. Après avoir précisé les déterminants de l’instabilité de l’alimentation des ménages en Côte d’Ivoire, on s’attachera à montrer l’apport des revenus de l’hévéaculture dans la stabilisation de l’alimentation des ménages dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa avant une analyse de l’évolution de la situation de sécurité nutritionnelle et alimentaire.

9.4.1 La problématique de l’instabilité de l’alimentation

Pour de nombreux ménages dans les villes mais surtout dans les campagnes, l’alimentation est caractérisée par une instabilité dans le temps qui procède entre autres non seulement de l’épuisement rapide des stocks alimentaires familiaux, mais également de la baisse de l’offre de productions vivrières locales disponibles sur les marchés durant une partie de l’année. L’instabilité de la disponibilité des productions vivrières locales dans le temps est liée à la faiblesse de l’agriculture locale qui repose essentiellement sur des méthodes de productions traditionnelles. Ainsi que le mentionnait Janin (2003) qu’ils soient de simple subsistance ou qu’ils soient associés à une culture de rentes, les systèmes agraires très extensifs ne permettent pas de dégager des réserves alimentaires ou monétaires pour éviter aux populations le risque alimentaire. Le risque d’insécurité alimentaire fait référence à la possibilité pour un individu de ne pas pouvoir accéder, en temps opportun, à une ration adéquate, en quantité et en qualité, pour qu’il soit en bonne santé dans le respect de ses choix culinaires. En dehors de la faible productivité de l’agriculture, le risque alimentaire est accentué par la faible capacité de transformation et de conservation des produits. Selon Bikpo (2011), des pertes interviennent à tous les maillons de la chaine du vivrier. Au niveau des producteurs et des commerçants, elles sont provoquées par les insectes, les rongeurs, les oiseaux et l’humidité relative tandis que chez les transporteurs, elles sont liées à la chaleur qui règne dans les camions et aux mauvais états des routes. Dans les campagnes, la probabilité de voir les ménages basculer dans l’instabilité alimentaire augmente significativement pendant la période de la soudure alimentaire (fig. 51). Selon Makki (2001) cité par Janin(2004), la soudure alimentaire désigne l’intervalle de temps entre la fin des réserves disponibles produites sur l’exploitation et la prochaine récolte. Outre la baisse du disponible alimentaire mobilisable par les familles, cette période est aussi celle où les populations rurales manquent le plus de liquidités en raison de la raréfaction des activités lucratives induites par la morte saison agricole. Ce manque de moyen financier diminue les possibilités d’accès des ménages pauvres aux vivres via le marché et, ce d’autant plus que les prix des denrées sont très élevés du fait de la faiblesse de l’offre des produits vivriers locaux. Dans tous les cas, l'intensité et la gravité de la soudure dépendent fortement de la capacité économique des ménages, en situation de pénurie alimentaire, à acquérir des denrées sur les marchés physiques. Pour tenter de faire face à la soudure dans un contexte d’insolvabilité, 282 certains adoptent une palette limitée de stratégies dont la première est généralement la diminution de la ration journalière consommée (en ne prenant qu'un seul repas ou en préparant de plus petites quantités). Ce choix contraint va souvent de pair avec la consommation d’aliments moins prisés comme le taro, la patate douce, etc. D'autres ménages plus vulnérables ou moins entreprenants s’accrochent aux relations traditionnelles d'échange (entraide, dons et contre-dons) existant au sein des communautés pour compenser les déficits saisonniers. Si la pratique des cultures commerciales traditionnelles (café et cacao) se révèlent inefficaces pour sortir les petits exploitants de l’instabilité alimentaire du fait de la saisonnalité de leurs revenus, l’hévéaculture en raison de la mensualité des gains qu’elle procure se positionne comme une réponse à l’insécurité alimentaire saisonnière.

Figure 51 : Schéma conceptuel de la soudure

Source : D’après Janin (2004)

283

9.4.2 Vers une plus grande stabilité de l’alimentation des ménages grâce à la régularité des revenus de l’hévéaculture

Lorsqu’on sollicite leur point de vue sur la stabilité de leur alimentation depuis qu’ils pratiquent l’hévéaculture, les discours se focalisent rapidement sur les contraintes qu’ils rencontraient dans leur vie de tous les jours en particulier sur le plan alimentaire au moment où ils n’avaient pas encore les revenus du caoutchouc naturel. En effet, cette période présentée comme plus difficile était caractérisée par une plus grande précarité de la qualité de vie du fait d’une faible résilience aux différents chocs. Un planteur rencontré à Kabrankro se souvient encore de l’époque où il n’avait que les revenus tirés du binôme café-cacao :

« Avec, l’argent du café-cacao, c’était difficile de vivre correctement. Il y a tous les jours des dépenses à faire alors que l’argent de la récolte vient une seule fois dans l’année. Tu vis un peu bien pendant six mois et après ça devient difficile. Tu es obligé de t’endetter à la rentrée scolaire pour que les enfants puissent partir à l’école. Ça devient plus compliqué s’il y a un problème de santé » (entretien le 20 octobre 2015).

Et sa femme d’ajouter :

« La période difficile pour nous, c’était entre avril et août. Là, il n’y avait plus d’argent et de nourriture à la maison alors que c’est là que le marché devient cher. On ne mangeait pas bien. Souvent, on mangeait seulement deux fois dans la journée sans mettre de poisson dans la sauce».

La période décrite par cette ménagère fait référence à celle de la soudure correspondant à la morte-saison agricole de la zone forestière ivoirienne. Pour 87 % des ménages enquêtés, c’est la période à laquelle ils ont connu des difficultés alimentaires avant les revenus de l’hévéa. Nos entretiens confirment les stratégies de contournement évoquées. Ainsi, peut être privilégiée la consommation plus fréquente d’aliments moins préférés (taro, patate douce, poissons séchés, etc.) ou des ajustements au niveau de la quantité et de la qualité des repas. La forme la plus extrême consiste en la suppression de certains repas journaliers. La mensualisation des gains bouleverse cette situation et l’insécurité alimentaire saisonnière a fortement reculé dans les ménages comme le note une ménagère interrogée à Affalikro :

« Depuis qu'on a l'argent de l'hévéa, on n’a jamais manqué de nourriture. On mange tous les jours au moins trois fois. Maintenant, mon mari ne peut plus dire qu’il n’y a plus d’argent comme avant. Chaque mois quand il reçoit l'argent de l'hévéa, il me donne l’argent pour la nourriture. Maintenant, même pendant la rentrée scolaire où il y a beaucoup de dépenses, on n’a pas de problèmes pour la nourriture …. » (entretien le 18 octobre 2015).

L’analyse du tableau 25 permet de confirmer l’amélioration de la stabilité de l’alimentation après les revenus de l’hévéaculture dans toutes les catégories de ménages enquêtés.

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Tableau 25 : Nombre de repas quotidien avant / après les revenus de l’hévéaculture selon le type de ménages (en %)

Très petits Petits Exploitants Grands Très grands exploitants exploitants moyens exploitants exploitants 3 repas 63 / 87 78 / 91 89 / 97 98/ 100 95 / 100 2 repas 27 / 13 22 / 09 11/ 3 02 / 0 5 / 0 1 repas 10 / 0 0 / 0 0 / 0 0 / 0 0 / 0 Source : Enquêtes O. Ouattara, 2015

En effet, on constate que la proportion de ménages prenant 3 repas par jour s’est accrue dans toutes les catégories d’exploitants. Si avant les revenus de l’hévéaculture, seulement 63 % des ménages de très petits exploitants arrivaient à maintenir ce principe, ils y arrivent pratiquement tous ensuite (87 %). Et ce taux est d’autant plus confortable que les revenus liés à l’hévéa sont élevés (91 % chez les petits exploitants, 97 % chez les exploitants moyens et même 100 % pour les très grands exploitants). Nonobstant ces progrès, ces chiffres montrent que les ajustements par suppression de repas continuent. Ainsi, 13 % de ménages de très petits exploitants, 9 % de petits exploitants et 3 % d’exploitants moyens n’avaient accès qu’à 2 repas journaliers. On peut expliquer cette situation par un malheureux concours de circonstance. En effet, beaucoup de ces ménages ont profité de la hausse exceptionnelle des prix en 2010 pour contracter des prêts en vue de diverses réalisations comme l’achat de motos ou de camions, la construction de logement, etc. Alors que les échéanciers de remboursement couraient encore et que les fonds n’avaient le plus souvent été judicieusement utilisés, les cours internationaux du caoutchouc naturel ont brutalement chuté, quasiment de moitié, passant de 570 FCFA en 2010 à 271 FCFA en 2013. Certains planteurs se sont alors retrouvés en situation d’insolvabilité vis-à-vis des établissements de microfinance quand d’autres ne percevaient que des montants dérisoires après le prélèvement des sommes dues. En conséquence, de nombreux ménages ne parvenaient plus à assurer une ration alimentaire convenable comme cet exploitant à Yacoli- Dabouo :

« Actuellement, c’est un peu difficile. Des fois, on mange seulement deux fois, et puis souvent, c’est de l’attiéké à midi et le soir. On ne peut plus manger le riz tous les jours comme avant. On va se débrouiller comme ça en attendant. Comme les enfants sont partis en vacances chez leur oncle à Abidjan, on ne sent pas trop. Quand, ils vont revenir, je ne sais pas comment on va faire… » (entretien le juillet 2015).

Pour contourner cette difficulté, certains planteurs nous ont révélés qu’ils vendaient une partie de leur production aux pisteurs qui paient cash afin de pouvoir couvrir un minimum de besoins familiaux. Sinon, en vendant la totalité à la SAPH, les gains sont domiciliés chez l’organisme prêteur qui procède à un prélèvement automatique. Une autre stratégie de contournement a consisté en l’augmentation du nombre de saignée hebdomadaire. Au lieu de

285 deux saignées auparavant, un planteur nous a déclaré qu’il en faisait désormais quatre voire cinq :

« Je sais que ce n’est pas bon pour les hévéas, mais, si les hévéas meurent, c’est mieux que je meurs de faim et de honte avec mes enfants. Bon…, je fais ça en attendant de finir de rembourser mes crédits, il reste 8 mois. Après, je vais arrêter… » (entretien à Bettié le 16 octobre 2015).

En définitive, les situations où des planteurs d’hévéas ne parviennent pas à maintenir la stabilité de leur alimentation relève le plus souvent de circonstances exceptionnelles. On peut ainsi avancer que l’hévéaculture contribue à la stabilité de la sécurité alimentaire dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa. Ce constat repose toutefois sur des prix du caoutchouc naturel stable et rémunérateur.

9.5 Deux régions à la situation de la sécurité alimentaire stable en dépit de l’essor de l’hévéaculture

A l’image de l’état nutritionnel, la situation de la sécurité alimentaire des populations dans l’Indénié-Djuablin et de la Nawa s’améliore elle aussi d’année en année. C’est du moins ce qui ressort de l’analyse des données du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire34 (IPC). Adopté par le ministère de l’Agriculture, cet outil permet de disposer de statistique par région du pays depuis 2007. Depuis cette date jusqu’en 2011, il ressort que les régions de la moitié sud de la Côte d’Ivoire à l’image de celles de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa, sont globalement en situation de sécurité alimentaire. Par contre, celles de la moitié nord alterne entre situation de sécurité alimentaire et insécurité alimentaire chronique. C’est par exemple le cas des régions du Nord-Est et de l’Ouest. A partir de 2012, prédomine une insécurité alimentaire modérée dans la plupart des régions du pays dont la Nawa, à l’exception du Centre, du Sud et de l’Indénié-Djuablin (carte 9). Cette généralisation d’une insécurité modérée à l’échelle du pays est à mettre sur le compte des conflits postélectoraux marqués par la désarticulation des circuits de commercialisation des vivres dans différentes régions ou encore à relier à la recrudescence des conflits fonciers qui ont négativement impacté le calendrier agricole. A ces deux éléments s’est ajouté le dysfonctionnement des circuits de commercialisation des principales productions commerciales, ce qui a privé les populations de liquidité dans un contexte de hausse des prix des biens de consommation courante. Dans la Nawa spécifiquement, Adayé (2013) relève entre autres explications à cette situation d’insécurité alimentaire modérée, des perturbations climatiques caractérisées par l’arrêt des pluies au moment des phases agricoles sensibles (semis, levée, croissance végétative, épiaison), particulièrement entre mai et juillet et entre septembre et octobre 2011 et des

34 Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) est un outil d’analyse de la situation alimentaire promue de manière consensuelle par les principaux acteurs de la sécurité alimentaire au niveau international (PAM, FAO, OXFAM, SCF, ACF, FEWSNET, etc.). Outil d’analyse commun, il permet de classifier la nature et la sévérité de l’insécurité alimentaire, d’assurer la comparaison de la situation alimentation d’un espace à l’autre. 286 conflits fonciers intercommunautaires ayant entrainé des abandons ou des confiscations localisées de parcelles de culture. A ces deux situations, s’ajoute la détérioration des termes de l’échange du fait de l’achat du cacao largement en deçà du prix officiel de 1000 FCFA. Ce contexte qui a favorisé la progression de la pauvreté dans la région qui est passée d’un taux de 29,10 % avant 2010 à 77,8 % en 2012 (ESASU, op. cit.), a considérablement limité l’accès des ménages aux denrées alimentaires. Si en 2014, l’insécurité alimentaire modérée était une réalité dans la majorité des régions à l’image de la Nawa, en 2016, seules deux régions (Nord et Ouest) sont toujours touchées par ce fléau. Cette évolution peut s’expliquer par la normalisation progressive de la situation socio-politique accompagnée de la reprise des activités économiques dans le pays.

Carte 39 : Evolution de la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire en 2012 et 2016

287

En définitive, on constate que la situation de la sécurité alimentaire s’est globalement améliorée dans les deux régions depuis le début de la décennie 2010. En tant que source de devises permettant un accès stable de nombreux ménages aux denrées alimentaires, on peut avancer que l’hévéaculture constitue un levier pour la stabilisation de la sécurité alimentaire dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa.

Conclusion

L’hévéaculture présente des avantages certains pour les planteurs qui la pratique, surtout en matière d’alimentation. Avant sa diffusion, l’alimentation des populations reposait pour une grande part sur les revenus des cultures traditionnelles comme le café, le cacao et à moindre degré le vivrier marchand. Toutefois, la modicité des gains qu’elles en tiraient induisait une alimentation de qualité limitée tandis que leur saisonnalité constituait un important facteur de l’instabilité alimentaire chronique dans les campagnes. L’hévéaculture a contribué à l’amélioration de l’alimentation mais elle est devenue également une solution à l’insécurité alimentaire chronique qui touchait les couches les plus défavorisées dans les campagnes. En effet, cette culture a permis un relèvement du pouvoir d’achat que les ménages ont mis à profit pour diversifier leur alimentation en y incorporant de nouveaux aliments (pomme de terre, riz importé, haricot, etc.) et en consommant de façon plus régulière une gamme plus étendue de produits carnés (viande de bœuf, poisson frais ou fumé, etc.). Ces constats corroborent notre hypothèse selon laquelle les revenus de l’hévéaculture permettent aux populations d’améliorer leur régime alimentaire. Parallèlement, du fait de leur régularité, les revenus de l’hévéaculture ont permis aux ménages hévéaculteurs, notamment les plus défavorisés de se prémunir contre les ajustements tant quantitatifs que qualitatifs de l’alimentation et les suppressions de repas auxquels ils étaient le plus souvent contraints pendant la période de soudure. Ces évolutions confirment notre cinquième hypothèse selon laquelle la régularité des revenus de l’hévéaculture contribue positivement à la stabilisation de l’alimentation des populations.

288

Conclusion de la troisième partie

Cette troisième partie avait pour objectif de comprendre les liens entre le développement de l’hévéaculture et la sécurité alimentaire dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa. L’utilisation de la technique de télédétection montre que l’expansion de l’hévéaculture se fait au détriment des espaces traditionnellement dédiés aux cultures annuelles, ce qui montre qu’elle a un impact négatif sur la production vivrière dans les deux régions. Cette incidence est toutefois plus significative dans la Nawa où l’hévéaculture participe avec les cultures traditionnelles (café et cacao) au recul de l’agriculture vivrière que dans l’Indénié-Djuablin du fait de l’essor des friches consécutif au déclin de l’économie cacaoyère. Par ailleurs, on constate que l’essor de l’hévéaculture entraine la surcharge du calendrier agricole du planteur avec pour corolaire la réduction ou l’abandon des surfaces vivrières. Pour autant, l’hévéaculture favorise la sécurité alimentaire des ménages qui la pratique. Les revenus générés par cette activité sont suffisants pour assurer la couverture de leurs besoins alimentaires au regard du seuil de pauvreté fixé par l’ENV (op. cit.) et pour couvrir les dépenses de consommation de la majorité des producteurs. Le relèvement du pouvoir d’achat induit par les revenus de l’hévéaculture a permis aux ménages de diversifier et de maintenir la stabilité de leur alimentation en particulier pendant la soudure. Cette situation contribue à l’amélioration de la situation nutritionnelle et celle de la sécurité alimentaire dans les deux régions depuis le milieu des années 2006.

289

290

Conclusion générale

Cette thèse a cherché à appréhender les effets du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa. De ce fait, elle traite d’une thématique peu abordée dans les travaux réalisés sur l’économie de plantation en Côte d’Ivoire. Ce travail de recherche montre que l’hévéaculture connaît un développement rapide en Côte d’Ivoire et plus particulièrement dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa depuis la fin des années 1990. La théorie de la diffusion de l’innovation a permis que montrer que la filière hévéa a joué un rôle important dans cette expansion rapide puisqu’elle a mis en œuvre un dispositif de vulgarisation facilitant l’accès de la majorité des populations rurales au matériel végétal, à l’encadrement technique agricole et au circuit de commercialisation. L’hévéaculture s’est surtout imposée en raison de sa forte rentabilité liée à la hausse des cours du caoutchouc naturel au début des années 2000 et en lien avec la régularité des revenus qu’elle procure aux adoptants contrairement aux cultures traditionnelles. A cet égard, son adoption massive fait partie des stratégies adaptatives mises en œuvre par les populations pour faire face à la détérioration de leurs conditions de vie induite par les contraintes écologiques locales et les crises multiformes de l’économie de plantation (fluctuation des cours, vieillissement des plantations, problème replantation, prolifération de maladies du verger, épuisement des réserves forestières, etc.).

L’engouement des populations pour l’hévéaculture s’est traduit par l’extension rapide des surfaces cultivées induisant un changement de modes d’occupation du sol dans les deux régions cibles. Partout, des plantations d’hévéas sont créées, permettant de rompre avec la monotonie du paysage agricole constitué auparavant uniquement de cultures vivrières et d’exportation traditionnelle (café, cacao, palmier à huile). L’avènement de l’hévéaculture s’est accompagné dans les campagnes de l’apparition de nouveaux métiers comme celui de pépiniériste, de greffeur et de saigneur. Il a permis à d’autres en voie de disparition comme celui d’employé mensuel, d’employé annuel, de régisseur de retrouver une nouvelle vitalité dans le secteur agricole. Ainsi, cette nouvelle culture permet à certaines populations, notamment les plus défavorisées, d’accéder à des revenus en vendant leur force de travail.

Plus que les cultures traditionnelles, la dynamique de l’hévéaculture draine une population hétéroclite composée majoritairement de producteurs de café et de cacao mais également de catégories de populations auparavant en marge de l’économie de plantation comme les citadins, les jeunes et les femmes. L’intérêt des urbains pour l’hévéaculture s’inscrit dans la continuité des relations villes-campagnes. Si la ville est traditionnellement présentée comme un débouché voire un exutoire pour la campagne, l’incursion des citadins dans l’agriculture via l’hévéaculture montre que le rural à son tour peut constituer une ressource pour la ville, particulièrement en Afrique. L’afflux des citadins vers les campagnes associé à l’attrait des jeunes et des femmes pour la nouvelle spéculation induit une évolution des formes traditionnelles d’accès à la terre. Si l’héritage et le don restent les formes prédominantes, il n’en reste pas moins que l’achat et le contrat de partage de plantation tendent de plus en plus à

291 devenir des modes couramment utilisés par les acteurs pour accéder au foncier. Le flou et l’informalité qui entourent ces transactions peuvent cependant conduire à une multiplication des conflits fonciers dans un contexte national déjà marqué par la conflictualité de la question foncière. Par ailleurs, ces transferts fonciers peuvent induire à terme une exclusion des catégories les plus défavorisées comme les femmes et les jeunes de la dynamique foncière.

Outre les changements des formes d’accès au foncier, l’hévéaculture participe aussi à l’évolution des rapports sociaux dans la société par la réduction des inégalités sociales liées au genre et à la génération. En effet, quasiment exclues de l’économie cacaoyère, les femmes négocient leur accès au foncier par héritage et par don parvenant alors à produire et à obtenir des revenus substantiels qu’elles réinvestissent dans d’autres secteurs d’activité plus ou moins rentables. Ainsi, elles acquièrent une certaine autonomie financière et, par le jeu de leur participation aux charges familiales, réussissent à consolider leur place dans le foyer accroissant ainsi leur estime de soi. Comme les femmes, les jeunes accèdent aux terres de culture par le biais de l’héritage et du don. Les revenus qu’ils tirent des exploitations leur permettent de s’engager dans une pluralité d’activités génératrices de revenu. Ce faisant, ils parviennent à se prendre en charge et à venir en aide à leur famille, ce qui contribue à la redéfinition des rapports entre génération traditionnellement dominés par l’ascendance des aînés.

Au regard de ces éléments, la question se pose de savoir si les hypothèses émises se sont vérifiées. Pour rappel, l’hypothèse 1 affirmait que la diffusion de l’hévéaculture se fait par le jeu des acteurs. L'étude a permis de montrer que cette activité qui se pratiquait seulement dans quelques localités s'est généralisée à toute la partie forestière du pays après la libéralisation en 1994. En effet, avec le changement de politique, la filière s'est confortée avec l'avènement de nouvelles agro-industries pour qui le développement du secteur villageois était l’unique moyen de garantir l'approvisionnement de leurs unités de transformations. Pour cette raison, il fut procédé à un maillage de toute la région forestière du pays (dont nos deux terrains d'étude font partie) à l'effet de faciliter l'accès aux intrants, à l'encadrement et aux structures d'achat aux populations. Les adoptants potentiels ont alors pu se saisir de l'opportunité offerte pour planter l'hévéa. Ils lui ont alloué une partie des facteurs de production dont ils disposent. Cependant, faute de subventions publiques comme par le passé, des modes de productions plus proches de l'extensif ont été mis en œuvre. De ce qui précède, dans la thèse, il ressort que l'hypothèse 1 est confirmée.

L'hypothèse 2 stipulait que le développement de l'hévéaculture influence négativement la production vivrière. L’analyse d’images de télédétection a permis de montrer que dans les deux régions, l’hévéaculture s’est développée entre 2001 et 2016 au détriment des espaces de productions vivrières. Dans la Nawa, cette influence négative était plus prononcée en raison de la raréfaction foncière due à la charge démographique sur les terres de culture. Par ailleurs, en phase de création d’une plantation, l’hévéaculture entraîne une surcharge du calendrier agricole du planteur et conduit à la négligence de la production vivrière en culture pure. Les planteurs qui ont des plantations matures ne produisent pas pour autant plus de vivrier, car ils

292 préfèrent investir les gains de l’hévéaculture dans des activités qu’ils considèrent comme plus lucratives. Tous ces résultats sont des éléments qui corroborent l’hypothèse 2.

Dans l'hypothèse 3, nous indiquions que le développement de l'hévéaculture a un effet positif sur l'accessibilité physique et économique des ménages aux vivres. Les marchés qui sont leurs principaux lieux de distribution sont spatialement bien répartis sur l’ensemble des deux terrains d’étude et leur assez bon niveau d’approvisionnement constitue une garantie à l’accès physique régulier des populations aux denrées alimentaires. En ce qui concerne l’accessibilité économique aux denrées, il convient de noter que les revenus annuels les plus bas correspondant à ceux des très petits planteurs d’hévéas enquêtés sont de l’ordre de 402 390 F CFA. Ces revenus se situant largement au-dessus du seuil de pauvreté estimé à 269 075 FCFA (INS, 2015). On peut donc affirmer que l’hévéaculture garantit aux planteurs l’accessibilité économique aux denrées alimentaires. Ces différents constats plaident en faveur de la validation de l’hypothèse 3.

L'hypothèse 4 stipulait que la diffusion de l'hévéaculture participe à l'amélioration du régime alimentaire. Dans ce cadre, la recherche a mis en évidence que l’obtention des revenus de l’hévéaculture a globalement permis aux ménages d’améliorer leur régime alimentaire à travers l’adoption de nouveaux aliments et la consommation d’une plus grande diversité de produits carnés. L’augmentation du pouvoir d’achat a également permis l’accès à l’eau potable à une proportion plus importante de ménages. Ces éléments permettent de valider l’hypothèse 4.

Enfin, dans l’hypothèse 5, nous énoncions que le développement de l’hévéaculture contribuait positivement à la stabilité de l’alimentation. Alors que l’alimentation des très petits et des petits exploitants était marquée par une instabilité aussi bien sur le plan qualitatif que quantitatif surtout pendant la période de soudure, nos analyses montrent que les revenus de l’hévéaculture ont permis à une forte majorité d’entre eux de s’assurer de façon régulière trois repas journaliers. Cette tendance à l’amélioration de la stabilité de l’alimentation participe d’une dynamique plus globale. En effet, l’analyse de données sur la situation alimentaire entre 2006 et 2016 indique que l’Indénié-Djuablin et la Nawa sont deux régions où la sécurité alimentaire s’est plutôt améliorée. A la lumière de ces constats, on peut affirmer que l’hypothèse 5 est confirmée.

Limites et perspectives de la thèse

En dépit des résultats obtenus, il convient de noter que ce travail de recherche présente des limites. Elles tiennent pour une part au manque criant de données statistiques ou au refus de certaines administrations de divulguer celles qui existent. Notre recherche s’est construite autour des effets de la diffusion de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire en axant l’analyse sur la situation des exploitants et, à un degré moindre sur celle des saigneurs. Même si elles restent de loin les plus nombreuses, ces catégories de populations ne sont pas les seules impliquées dans l’hévéaculture. On y dénombre également des encadreurs techniques agricoles, des employés des usines de traitement du caoutchouc

293 naturel, le personnel administratif de la filière hévéicole, etc. Il aurait été intéressant d’étendre l’analyse à leurs situations. Cela aurait permis de conforter davantage les résultats obtenus. Dans le même sens, l’étude de la perception des populations non impliquées dans la pratique de l’hévéaculture aurait sans doute permis d’approfondir les analyses. Par ailleurs, certains pistes abordées non pas été suffisamment approfondies. C’est le cas des effets de l’hévéaculture sur les rapports entre genre et entre génération. Nos analyses se sont davantage focalisées sur les effets bénéfiques de l’adoption sur les rapports sociaux. Or, il ne peut être exclu que la gestion des ressources induites par cette nouvelle activité est porteuse de conflits multiformes. A travers l’incursion massive de citadins dans l’hévéaculture, les relations villes-campagnes méritaient également d’être analysées plus en profondeur afin de mieux saisir leurs influences sur le secteur agricole et sur les conditions de vie des populations rurales. En définitive, une compréhension globale des effets de l’hévéaculture induit nécessairement des évaluations sur d’autres dimensions des conditions de vie des population tels l’habitat, la santé, la scolarisation des enfants, etc. sont pertinentes. Ces dimensions constituent des pistes de travail pour des recherches futures.

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Table des matières

Dédicace ...... 1 Première partie : Cadre de construction de la recherche ...... 15 Chapitre 1 : Justification du choix du sujet, problématique et objectifs de recherche ... 19 1.1 Éléments de justification du choix du sujet ...... 19 1.1.1 Des motivations personnelles au croisement d’intérêts académiques ...... 19 1.1.2 Le poids économique de l’hévéaculture ...... 20 1.1.3 Une revue des travaux sur l'introduction de nouvelles cultures ...... 21 1.1.3.1 Impacts techniques de l’introduction de nouvelles cultures ...... 22 1.1.3.2 Impacts socio-économiques de l’adoption de nouvelles cultures ...... 24 1.2 Problématique et objectifs de recherche ...... 26 Chapitre 2 : Un cadre théorique au croisement de la théorie de l’innovation, des concepts de filière agro-alimentaire et de sécurité alimentaire ...... 31 2.1 L’innovation comme entrée ...... 31 2.1.1 Qu’est-ce qu’une innovation ? ...... 32 2.1.2 Différentes typologies de l'innovation ...... 33 2.2 Une diversité d’approches pour appréhender la diffusion de l’innovation ...... 35 2.2.1 L’approche par la demande ...... 35 2.2.1.1 Déterminants du succès d’une innovation selon l’approche par la demande ...... 36 2.2.1.2 Les multiples profils des adoptants ...... 36 2.2.2 L’approche par l’offre d’innovation ...... 38 2.2.2.1 Les dimensions spatiales de la diffusion ...... 38 2.2.2.2 La dimension temporelle de la diffusion ...... 42 2.2.3 L’approche radicale ...... 44 2.3 De l'analyse du concept de filière agro-alimentaire ...... 45 2.3.1 L’affirmation du concept ...... 45 2.3.2 Le concept de bassin de production pour appréhender la projection spatiale de la filière agro-alimentaire ...... 48 2.4 De l'approche systémique appliquée à l'alimentation ...... 49 2.4.1 Fondements de la pensée systémique ...... 49 2.4.2 Caractéristiques du concept de système alimentaire ...... 51 2.4.3 Le rôle central de l'acteur dans la pensée systémique ...... 53 2.5 La sécurité alimentaire, un concept polymorphe ...... 54

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2.5.1 Conditions d'émergence et définition du concept ...... 54 2.5.2 Dimensions de la sécurité alimentaire et leur traitement dans la thèse ...... 56 2.5.3 Prendre en compte la notion de justice alimentaire ...... 59 Chapitre 3 : Cadre méthodologique de la recherche ...... 62 3.1 Présentation des terrains d’étude ...... 63 3.1.1 Deux espaces d’étude aux caractéristiques physiques proches ...... 64 3.1.2 Deux régions aux situations agricoles contrastées ...... 71 3.1.3 Deux régions aux dynamiques démographiques inégales ...... 73 3.2 La recherche bibliographique ...... 75 3.3 Les enquêtes de terrain ...... 76 3.3.1 L’observation participative ...... 76 3.3.2 L’enquête par questionnaire ...... 77 3.3.3 Les entretien semi-directifs et focus groups ...... 79 3.3.4 Déroulement des enquêtes et difficultés rencontrées ...... 81 3.4 Traitement et organisation des données ...... 83 Seconde partie : Caractéristiques de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 87 Chapitre 4: Les conditions d’évolution de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 90 4.1 De l’extraction sauvage de l’hévéa à la diffusion de l’hévéaculture dans le monde tropical ...... 91 4.2 Des pionniers du secteur industriel aux petits producteurs villageois : le processus de diffusion de l’hévéaculture en Côte d’Ivoire ...... 96 4.2.1 La phase d’implantation de l’hévéaculture des années 1950 au milieu des années 1990 ...... 96 4.2.1.1 Le rôle des pionniers du secteur industriel ...... 96 4.2.1.2 La phase d'interventionnisme de l'Etat ...... 98 4.2.1.2.1 Les actions étatiques en faveur des plantations industrielles ...... 98 4.2.1.2.2 L’introduction de l'hévéaculture en milieu villageois via les programmes publics ...... 99 4.2.2 Contexte et stratégies de diffusion de l’hévéaculture à partir des années 2000 ..... 104 4.2.2.1 Un contexte nouveau de développement de l'hévéaculture familiale ...... 105 4.2.2.2 Stratégie de diffusion post-privatisation ...... 106 4.3 L’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 113 4.3.1 Lieux de départ de l’innovation ...... 113

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4.3.2 Des obstacles à la percée de l’innovation ...... 115 4.3.3 Rythme d’adoption et étapes de la diffusion de l’hévéaculture ...... 116 Chapitre 5 : Modalités de construction de la filière de l’hévéaculture dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa ...... 122 5.1 L’évolution des pratiques foncières dans l’économie de plantation ...... 123 5.2 Modalités d’accès au foncier des planteurs d’hévéa dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 126 5.2.1 Approche générale de l’accès à la terre de culture ...... 126 5.2.2 Des modes d’accès au foncier différenciés d’une catégorie de planteur d’hévéa à l’autre ...... 127 5.2.2.1 L’accès des citadins et des ruraux à la terre agricole ...... 127 5.2.2.2 Les femmes et l’accès au foncier agricole ...... 129 5.2.2.3 Les jeunes et l’accès au foncier agricole ...... 131 5.3 Des pratiques culturales calquées sur un modèle extensif ...... 133 5.3.1 La préparation et l’aménagement de la parcelle de culture ...... 133 5.3.2 La mise en terre des plants ...... 136 5.3.3 L’entretien de la plantation ...... 137 5.3.3.1 Le sarclage de la parcelle ...... 138 5.3.3.2 Une utilisation aléatoire de fertilisants et de pesticides ...... 140 5.4 La main-d’œuvre déployée au sein des exploitations hévéicoles ...... 141 5.4.1 La main-d’œuvre mobilisée en phase d’implantation de l’exploitation ...... 142 5.4.2. La main-d’œuvre mobilisée en phase de production ...... 145 5.5 Mécanismes de financement des exploitations hévéicoles ...... 147 5.6 Récolte et commercialisation du latex ...... 151 Chapitre 6 : Trajectoires des adoptants et enjeux de l’adoption de l'hévéaculture ...... 158 6.1 Quelles dynamiques sociales se cachent derrière le développement de l’hévéaculture ? ...... 159 6.1.1 Une activité largement contrôlée par les Ivoiriens ...... 159 6.1.2 Un métier masculin mais de plus en plus pratiqué par les femmes ...... 162 6.1.3 Vers un dualisme ruraux-urbains ? ...... 163 6.1.4 Vers un rajeunissement des chefs d’exploitation ? ...... 168 6.2 Typologie des exploitants à l’œuvre dans l’hévéaculture ...... 172 6.2.1 Les très petits exploitants ...... 172 6.2.2 Les petits exploitants ...... 173 6.2.3 Les exploitants moyens ...... 173

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6.2.4 Les grands exploitants ...... 174 6.2.5 Les très grands exploitants ...... 175 6.3 Les déterminants de l’adoption de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 175 6.3.1 Les facteurs locaux explicatifs de l’adoption de l’hévéaculture ...... 175 6.3.1.1 La dégradation des facteurs naturels de production ...... 176 6.3.1.2 Les crises cacaoyères ...... 178 6.3.1.3 L’action des encadreurs agricoles en hévéaculture ...... 181 6.3.2 Facteurs externes de l’adoption de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 183 6.3.3 Les qualités intrinsèques de l’hévéa ...... 185 Troisième partie : Effets du développement de l’hévéaculture sur la sécurité alimentaire des populations des régions de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa ...... 191 Chapitre 7: Diffusion de l’hévéa au détriment des espaces de cultures vivrières ...... 195 7.1 Présentation des données et de la méthode utilisée ...... 195 7.1.1 Les données utilisées ...... 196 7.1.2 Méthode de traitement des données ...... 196 7.1.2.1 Prétraitements réalisés ...... 196 7.1.2.2 La classification de l’occupation du sol ...... 199 7.2 Une dynamique d’occupation du sol en faveur de l’hévéaculture ...... 201 7.3 Des superficies d’hévéa évoluant principalement au détriment des espaces dédiés à la production vivrière ...... 204 7.4 De nombreuses contraintes à la production vivrière induites par l’essor de l’hévéaculture ...... 214 Chapitre 8 : De réelles contributions de l’hévéaculture à l’accessibilité des populations aux vivres ...... 220 8.1 Les habitudes alimentaires des Ivoiriens ...... 221 8.2 Distribution spatiale et circuit d’approvisionnement des marchés dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 223 8.2.1 Distribution spatiale des marchés ...... 223 8.2.1.1 Les marchés ruraux ...... 225 8.2.1.2 Les marchés semi-urbains ...... 226 8.2.1.3 Les marchés urbains ...... 227 8.2.2 Circuits de ravitaillement des marchés en produits alimentaires ...... 229 8.2.2.1 Circuits d’approvisionnement des marchés ruraux ...... 229 8.2.2.2 Circuits d’approvisionnement des marchés semi-urbains ...... 230

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8.2.2.3 Circuits d’approvisionnement des marchés urbains ...... 231 8.2.2.3.1 Circuits d’approvisionnement en vivriers produits dans la région ...... 231 8.2.2.3.2 Circuits d’approvisionnement en vivriers entrant dans la région ...... 234 8.3 Apports et limites du système de transport dans l’approvisionnement des marchés ...... 242 8.4 Caractéristiques des prix des denrées sur les marchés et leur évolution dans le temps ...... 245 8.4.1 L’évolution des prix mensuels des produits vivriers ...... 245 8.4.2 L’évolution des prix des vivriers de base sur la longue durée (2004-2016) ...... 247 8.5 Hévéaculture et accessibilité économique aux denrées alimentaires dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 250 8.5.1 Les revenus annuels des planteurs d’hévéa et des saigneurs ...... 250 8.5.1.1 Un revenu annuel des planteurs d’hévéa qui dépasse à minima les 400 000 FCFA ...... 250 8.5.1.2 Un revenu annuel des saigneurs au même niveau que pour les très petits planteurs ...... 254 8.5.2 L’hévéaculture, une activité qui favorise l’accès économique aux denrées alimentaires ...... 255 8.6 De nombreux effets sociaux induits par le développement de l’hévéaculture ...... 259 8.6.1 Vers une autonomisation des femmes via l’hévéaculture? ...... 260 8.6.2 Des jeunes de moins en moins dépendants de leurs aînés grâce à l’hévéaculture . 262 Chapitre 9 : Des pratiques alimentaires positivement influencées par la hausse et la régularité des revenus ...... 265 9.1 Caractéristiques de la consommation alimentaire des ménages en Côte d’Ivoire ...... 265 9.2 Contribution des revenus de l’hévéaculture à l’amélioration de l’alimentation des ménages hévéaculteurs ...... 267 9.2.1 Un relèvement du pouvoir d’achat induisant une revalorisation du budget alloué à l’alimentation ...... 267 9.2.2 Des évolutions notables dans le régime alimentaire des exploitants ...... 269 9.3 Une évolution positive de la situation nutritionnelle dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 277 9.4 La régularité des revenus de l’hévéaculture, un levier contre l’instabilité de l’alimentation ...... 282 9.4.1 La problématique de l’instabilité de l’alimentation ...... 282 9.4.2 Vers une plus grande stabilité de l’alimentation des ménages grâce à la régularité des revenus de l’hévéaculture ...... 284 9.5 Deux régions à la situation de la sécurité alimentaire stable en dépit de l’essor de l’hévéaculture ...... 286 Annexes ...... 324

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Liste des cartes

Carte 1: Localisation du cadre d’étude ...... 13 Carte 2: Localisation des principales productions agricoles en Côte d'Ivoire ...... 17 Carte 3: Types de paysages végétaux dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin ...... 65 Carte 4: Type de relief dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin ...... 69 Carte 5: Types de sols dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin ...... 71 Carte 6: Les différents groupes ethniques de la Nawa et de l’Indénié-Djuablin ...... 74 Carte 7: Localisation des sites d’enquête ...... 79 Carte 8: Principaux bassins de production de caoutchouc naturel en Afrique ...... 95 Carte 9: Les premières plantations industrielles en hévéaculture ...... 97 Carte 10: Occupation spatiale de l’hévéaculture en 1994 ...... 102 Carte 11: Evolution des secteurs favorables à l'hévéaculture entre 1986 et 2015 ...... 103 Carte 12: Distribution des sociétés agricoles dans les secteurs d’activité hévéicole en 2012 ...... 108 Carte 13: Distribution des pépiniéristes et des plants produits en 2014 dans les secteurs hévéicoles ...... 110 Carte 14: Dynamique des unités de traitement du caoutchouc naturel après la privatisation de 1994 ...... 112 Carte 15: Répartition des superficies d’hévéas villageois (en ha) par région en 2014 ...... 113 Carte 17 : Distribution des planteurs d’hévéas dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin ...... 120 Carte 18 : Proportion d'autochtones, d'allogènes et d'allochtones dans l'hévéaculture dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin ...... 160 Carte 19 : Proportion d'hommes et de femmes dans l'hévéaculture dans l'Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 163 Carte 20: Répartition des planteurs d’hévéa de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa selon la situation résidentielle ...... 164 Carte 21 : Distribution des planteurs urbains dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa en fonction de l’activité pratiquée au moment de l’adoption de l’hévéaculture ...... 166 Carte 22 : Distribution des planteurs villageois dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa en fonction de l’activité pratiquée au moment de l’adoption de l’hévéaculture ...... 167 Carte 23: Quantité pluviométrique moyenne annuelle avant (à droite) et après (à gauche) la décennie 1970 ...... 177 Carte 24: Situation de l’occupation du sol autour d’Affalikro en 2002 et en 2016 ...... 198 Carte 25 : Situation de l’occupation du sol autour de Yacoli-Dabouo entre 2001 et 2016 ... 201 Carte 26 : Antécédent cultural des terres transformées en plantations d’hévéa dans la zone d’Affalikro entre 2002 et 2016 ...... 206 Carte 27 : Antécédent cultural des terres transformées en plantations d’hévéa dans la zone de Yacoli-Dabouo entre 2001 et 2016 ...... 208 208 Carte 28 : Distribution des marchés dans les régions de l'Indénié-Djuablin et de la Nawa .. 224 Carte 29 : Flux d’igname entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays235 Carte 30 : Flux de maïs entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays .. 236 Carte 31 : Flux de mil entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays .... 237

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Carte 32 : Flux de riz blanchi local entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays ...... 238 Carte 33 : Flux de tomate entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays ...... 239 Carte 34 : Flux d’aubergine blanche entre l’Indénié-Djuablin et la Nawa et les autres régions du pays ...... 240 240 Carte 35 : Réseau routier de la Nawa et de l’Indénié-Djuablin ...... 242 Carte 36 : Prévalence de la malnutrition chronique dans les grands pôles régionaux de Côte d’Ivoire ...... 278 Carte 37 : Prévalence de la malnutrition aigüe dans les grands pôles régionaux de Côte d’Ivoire entre 2006, 2012 et 2016 ...... 280 Carte 38 : Prévalence de l’insuffisance pondérale dans les grands pôles régionaux en 2012 et 2016 ...... 281 Carte 39 : Evolution de la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire en 2012 et 2016 ...... 287

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Liste des figures

Figure 1 : Les catégories d'adoptants en fonction du moment d'adoption de l'innovation ...... 37 Figure 2 : Les échelles spatiales de la diffusion ...... 40 Figure 3 : La courbe logistique de la diffusion des innovations ...... 43 Figure 4 : Approche retenue pour l’analyse des modalités de diffusion de l’hévéaculture ..... 45 Figure 5 : Configuration d’un bassin de production ...... 48 Figure 6 : Les éléments de la pensée systémique ...... 50 Figure 7 : Caractéristiques d’un système alimentaire ...... 51 Figure 8 : Composition et fonctionnement d’un système alimentaire ...... 52 Figure 9 : Cadre conceptuel de l’étude ...... 60 Figure 10 : Front de convergence intertropicale (FIT) et masses d’air ...... 66 Figure 11 : Répartition de la production mondiale de caoutchouc naturel (en millier de tonnes)...... 94 Figure 12 : Organisation de la filière au moment du programme public de vulgarisation de l'hévéaculture villageoise entre 1979 et 1992 ...... 100 Figure 13 : Organisation de filière de l’hévéaculture après la privatisation ...... 107 Figure 14 : Courbe d’adoption de l’hévéaculture à Affalikro et à Brétihio de 1992 à 2014 .. 117 Figure 15 : Courbe d’évolution des adoptions de l’hévéaculture dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa entre 1993 et 2015 ...... 118 Figure 16 : Mode d’accès à la terre des planteurs d’hévéa dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 128 Figure 17 : Mode d’accès des femmes au foncier dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 130 Figure 18 : Mode d’accès des jeunes à la terre dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 132 Figure 19 : Mode d’approvisionnement des planteurs en matériel végétal selon le statut résidentiel ...... 137 Figure 20 : Type de main-d’œuvre principalement employée en fonction de la situation résidentielle du planteur ...... 142 Figure 21 : Différentes sources de financement des planteurs d’hévéa enquêtés dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa ...... 149 Figure 22 : Mode de mise sur le marché de la production des planteurs d’hévéa enquêtés... 153 Figure 23 : Structure des équipes d'encadrement des planteurs d'hévéa ...... 181 Figure 24 : Evolution du nombre d’adoptants et du prix d’achat du caoutchouc naturel à Affalikro et à Brétihio ...... 184 Figure 25 : Principaux facteurs explicatifs de l’adoption de l’hévéa ...... 188 Figure 26 : Apports des différentes catégories d’occupation du sol à la dynamique spatiale de l’hévéaculture entre 2002 et 2016 dans la zone d’Affalikro ...... 205 Figure 27 : Apports des différentes catégories d’occupation du sol à la dynamique spatiale de l’hévéaculture entre 2001 et 2016 dans la zone de Yacoli-Dabouo ...... 207 Figure 28 : Evolution des principales productions vivrières entre 2002 et 2014 dans l’Indénié- Djuablin (en t) ...... 211 Figure 29 : Evolution des principales productions vivrières entre 2002 et 2014 dans la Nawa (en t) ...... 212

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Figure 30 : Part des différentes spéculations agricoles dans la surface agricole utilisée dans l’Indénié-Djuablin (en ha) ...... 212 Figure 31 : Part des différentes spéculations dans la surface agricole utilisée dans la Nawa (en ha) ...... 213 Figure 32 : Calendrier agricole des planteurs dans l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 215 Figure 33 : Part de planteurs ruraux ayant des surfaces de vivrier en culture pure lors de la phase de création de la plantation d’hévéa (en %) ...... 216 Figure 34 : Proportion de planteurs d’hévéa pratiquant l’agriculture vivrière après l’entrée en production de la plantation d’hévéa (en %) ...... 217 Figure 35 : Activités de diversification des planteurs ruraux à partir des revenus tirés de l’hévéaculture ...... 218 Figure 36 : Circuit d’approvisionnement des marchés ruraux en vivriers produit localement ...... 229 Figure 37 : Circuit d’approvisionnement en vivriers produits localement des marchés semi- urbains de l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 230 Figure 38 : Circuit d’approvisionnement en vivriers produits localement des marchés urbains ...... 232 Figure 39 : Circuit indirect long dans le ravitaillement des marchés urbains dans l’Indénié- Djuablin et la Nawa ...... 235 Figure 40 : Evolution mensuelle des prix de détail des produits vivriers à Abengourou (Indénié-Djuablin) en 2016 ...... 246 Figure 41 : Evolution mensuelles des prix de détail des produits vivriers à Soubré (Nawa) en 2016 ...... 246 Figure 42 : Evolution des prix des principaux produits vivriers dans l’Indénié-Djuablin (2004- 2016) ...... 248 Figure 43 : Evolution des prix des principaux produits vivriers dans la Nawa (2004-2016) 248 Figure 44 : Rendement en caoutchouc humide dans les exploitations familiales en fonction de l’âge de l’exploitation ...... 251 Figure 45 : Evolution comparée du taux de pauvreté en Côte d’Ivoire ...... 255 Figure 46 : Distribution des dépenses alimentaires et non alimentaires des très petits exploitants ...... 257 Figure 47 : Evolution du prix d’achat du caoutchouc naturel aux producteurs de 1998 à 2018 ...... 258 Figure 48 : Répartition des ménages selon le type d’aliments de base consommé avant et après l’obtention des revenus de l’hévéaculture (en %) ...... 270 Figure 49 : Répartition des ménages selon le type de produits carnés consommé avant et après l’obtention des revenus de l’hévéaculture (en %) ...... 271 Figure 50 : Répartition des ménages selon le type de produits consommé avant et après l’obtention des revenus de l’hévéaculture (en %) ...... 275 Figure 51 : Schéma conceptuel de la soudure ...... 283

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Liste des photos

Photo 1 : Administration de questionnaire à Kabrankro (Indénié-Djuablin) ...... 82 Photo 2 : Administration de questionnaire Brétihio (Nawa) ...... 82 Photo 3 : Une plantation villageoise d’hévéas brasiliensis ...... 92 Photo 4 : Une pépiniériste à Yacoli-Dabouo ...... 109 Photo 5 : Etapes de création d’une plantation d’hévéa ...... 135 Photo 6 : Association de jeunes hévéas à l'arachide et au maïs ...... 138 Photo 7 :Sous-bois d’une plantation d’hévéa en production ...... 146 Photo 8 : Gouge, instrument servant à la saignée ...... 152 Photo 9 : Hévéa mis en saignée ...... 152 Photo 10 : Un tricycle servant au transport du caoutchouc naturel à Bettié ...... 154 Photo 11 : Un tracteur servant au transport du latex à Yacoli-Dabouo ...... 154 Photo 12 : Une camionnette en attente de livraison du caoutchouc naturel à l’usine de Yacoli- Dabouo ...... 154 Photo 13 : Conditionnement du latex dans des sacs ...... 156 Photo 14 : Une plantation d’hévéa créée sur une parcelle de riziculture ...... 209 Photo 15 : Une plantation d’hévéa sur une parcelle servant auparavant à la culture de l’igname et du maïs ...... 209 Photo 16 : Une plantation de cacaoyers en association avec du vivrier ...... 210 Photo 17 : Vue d’ensemble du marché principal d’Abengourou ...... 228 Photo 18 : Un véhicule de transport de vivrier sur le quai de déchargement du marché central d’Abengourou ...... 233 Photo 19 : Quelques denrées alimentaires vendues sur les marchés de l’Indénié-Djuablin et la Nawa ...... 241 Photo 20 : Travaux d'entretien routier sur l'axe Soubré-Gueyo en juillet 2015 ...... 243 Photo 21 : Pont mobile sur le fleuve Comoé reliant Bettié à la région de la Mé ...... 244 Photo 22: Un puits protégé construit à Okrouyo (Nawa) par un hévéaculteur ...... 276 Photo 23 : Une pompe hydraulique à motricité humaine installée à Adamagui (Nawa) ...... 277

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Types d’innovation dans l'agriculture au Brésil ...... 34 Tableau 2 : Les canaux de diffusion spatiale de l'innovation agricole et leurs rôles ...... 40 Tableau 3 : Nombre d’entretiens en fonction de la catégorie d’acteurs ...... 81 Tableau 4 : Evolution de la capacité d’usinage des agro-industries entre 1995 et 2009 ...... 106 Tableau 5 : Mode d’accès à la terre des planteurs d’hévéa de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa ...... 126 Tableau 6 : Coût des opérations de préparation d’un hectare de culture ...... 134 Tableau 7 : Principaux clones améliorés et leurs caractéristiques ...... 136 Tableau 8 : Les vivriers associés suivant l’âge de l’hévéa ...... 139 Tableau 9 : Type et dose d’engrais (en grammes par âge) à épandre selon l’âge et la région de localisation de la parcelle en Côte d’Ivoire ...... 140 Tableau 10 : Dépenses liées à la création d’une plantation d’hévéa d’un hectare ...... 148 Tableau 11 : Répartition des planteurs de moins de 35 ans dans la Nawa et l’Indénié-Djuablin ...... 168 Tableau 12 : Performances économiques de l’hévéaculture en plantations familiales ...... 184 Tableau 13 : Performances économiques comparées entre plantations de cacaoyers, palmiers et hévéas en 2008 ...... 186 Tableau 14 : Principales caractéristiques des catégories d’exploitants ...... 188 Tableau 15 : Caractéristiques des données satellites mobilisées ...... 196 Tableau 16 : Evolution des modes d’occupation du sol autour d’Affalikro en 2002 et en 2016 ...... 202 Tableau 17 : Evolution des modes d’occupation du sol autour de Yacoli-Dabouo en 2001 et en 2016 ...... 204 Tableau 18 : Compte d'exploitation d’un hectare d’hévéa en 2015 ...... 253 Tableau 19 : Les classes de revenu annuel d’hévéa en fonction de la catégorie de l’exploitant ...... 254 Tableau 20 : Revenus hévéicoles moyens annuels et dépenses de consommations moyennes annuelles selon la catégorie de l’exploitant ...... 257 Tableau 21 : Fréquence de consommation alimentaire selon la situation alimentaire des ménages ...... 267 Tableau 22 : Part des dépenses alimentaires mensuelles des ménages avant et après les revenus de l’hévéaculture selon la catégorie de l’exploitant ...... 268 Tableau 23 : Prix au kg de quelques produits carnés sur les marchés de l’Indénié-Djuablin et de la Nawa ...... 271 Tableau 24 : Répartition des ménages selon la principale source d’approvisionnement en eau avant et après les revenus de l’hévéaculture (en %) ...... 275 Tableau 25 : Nombre de repas quotidien avant / après les revenus de l’hévéaculture selon le type de ménages (en %) ...... 285

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ANNEXES

Annexe 1 : questionnaire planteur d’hévéa

Ce questionnaire est réalisé dans le cadre de recherche universitaire. Le traitement et l’analyse qui vont en résulter ne seront utilisés qu’à des fins académiques.  Renseigner le questionnaire en entourant les réponses de votre choix ou en complétant les pointillés.

Fiche n° :……. Date :…… /……… /…… Lieu de l’enquête : ………………………………….…….………… I. Identification de l’exploitant 1. Votre nom ?………………………….. 10. Quelle activité exerciez-vous au 2. Sexe de l’exploitant a- M b- F moment de la création de votre 3. Age ? …………………………. plantation ? 4. Niveau d’étude : a-planteur de café-cacao b-producteur vivrier a- aucun b- primaire c- planteurs de palmier à huile c- secondaire d- universitaire d-transporteur e- commerçant f-directeur de société g- mécanicien 5. Nationalité : h- menuisier i- instituteur a- Ivoirien b- Burkinabè c- Malien d- Togolais e- Guinéen f- Béninois j- professeur k-militaire g- autres (préciser)……………………. 6. Situation matrimoniale : l- gendarme m- policier a- marié b- célibataire n- enseignant-chercheur c- divorcé d- veuf o-officier de l’armée/police/gendarmerie… p-cadre de l’administration publique q- autres (préciser)…………………………...… 7. Combien de femmes avez-vous ? a- une b- deux c- trois d- trois e- quatre f- autre (préciser)………………… 11. Continuez-vous d’exercer cette profession ? a-oui b- non 8. Combien d’enfants avez-vous ? a-aucun b- un c- deux d- trois 12.Pourquoi ?....………………… e- quatre f- cinq g- six h- sept i- huit j- neuf k – autre (préciser)………

9. Quelle est votre origine ethnique ? (uniquement pour les ivoiriens) a- Agni b-Baoulé c- Dioula d-Senoufo e- Bété f-Abron g-Dida h-Koulango i- Néo j- Godié k- autres

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II-Caractéristiques de l’exploitation 11. Combien de plantations avez-vous ? ………..

12. Préciser l’âge et la superficie de chacune d’elle. Nombre de Age du Superficie Localisation* plantation verger a‐dans votre village d’origine b‐ dans votre région d’origine c‐ autres 12.1 Plantation 1 12.2 Plantation 2 12.3 Plantation 3 12.4 Plantation 4 12.5 Plantation 5 * Ecrire dans la case la lettre qui correspond votre situation

13. Vous résidez habituellement : a- dans un village e- autres (préciser)………………………….. b- dans un chef-lieu de département/région c. autres (préciser)………………………… 18. Quelles sont les variétés utilisées ? a- le GT1 b-PB235 c- IRCA18 14. Comment avez-vous obtenu la terre de d- ne sait pas e- autres………………………. culture ? a- héritage b- don c- achat 19. Pourquoi ce choix ?...... …………. d-location e- contrat de partage f- autres (préciser)………………………… 20. Utilisez-vous des intrants sur vos plantes ? a- oui b- non 13. A quoi servait la parcelle avant son affectation à l’hévéaculture ? 21. Si oui lesquels…………………….… ? a-jachère b- forêt secondaire c- parcelle de production vivrière 22. Si non, pourquoi ...... ? d- plantation de café-cacao 23. Etes-vous confrontés à des maladies de 14. Disposez-vous d’une réserve foncière l’hévéa ? a- oui b- non après la création de votre plantation ? a-oui b- non 24. Si oui lesquels…………………………

15. Si oui, précisez-en la superficie (en ha) 25. Quels sont les outils de productions ………………………….……..…….. utilisés ?

a- machette b- daba c- binette d- pioche 16. Comment avez-vous financé votre e- pulvérisateur plantation ? f-autres………………………...... a- revenu du café-cacao b-revenu du vivrier c-aide parentale d-prêt bancaire 26. Quel type de main-d’œuvre avez-vous e- épargne personnelle f- autres…………… utilisé pour la création de la 17. Quelle est l’origine des plants utilisés plantation ? sur votre exploitation ? a-familial b- journalier d- travailleur mensuel a-agro-industries b-pépiniéristes agrées e- travailleur annuel c- travailleurs à la tâche c-tout-venant d-pépinière personnelle f- autres……………………………………….

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27. Quelle est la nationalité de votre main- e- plantes légumière (aubergine, tomate, d’œuvre ? gombo, etc.) f- autres …………………………

a-ivoirienne b- malienne c- burkinabè d- guinéenne e-togolaise f- béninoise 31. Y-a-t-il des cultures exclues de cette g- autres…………………………………..… association ? a- oui b- non Si oui, lesquelles ?...... 28. Associé-vous du vivrier à l’hévéa sur la 32. Pourquoi sont-elles exclues? ………… parcelle ? a- oui b- non

33. Quelle est la destination des 29. Si non, pourquoi ?...... productions vivrières associées ? a-autoconsommation b- vente 30. Quelles sont les cultures associées ? c-autres (préciser) …..………………… a- manioc b- igname c- riz d- maïs

III. Type d’encadrement du planteur 34. Bénéficiez-vous d’un encadrement de la part d’une société agricole ? 39. Si non pourquoi ?...... a- oui b- non 40. Etes-vous membre d’une coopérative 35. Si oui, laquelle ?...... de planteurs ? a-oui b- non

36. Si non, pourquoi ?...... 41. Si oui, laquelle ?......

37. Quelle est la nature de cet 42. Si non, pourquoi ? …………………. encadrement ? ………………………... ………………………………………... 43. Quels avantages tirez-vous de votre appartenance à cette structure?.…… 38. Etes-vous satisfait de cet …...... encadrement ? a- oui b- non

IV- Commercialisation de la production de caoutchouc naturel 44. A combien estimez-vous votre a- vous-même b-votre coopérative production mensuelle de caoutchouc c-autres (préciser) ……………………………. naturel à l’hectare? (en kg)…………... 47. A qui la production est-elle vendue ? a- l’usine b- aux intermédiaires 45. En moyenne combien vous rapporte un c- autres (préciser)………………………… hectare d’hévéa ? …………………….. 48. Comment se fait le transport vers le ………………………………………... lieu de vente ? a- par tricycle b- par camionnette 46. Qui se charge de la commercialisation c- par camion d- autres (préciser)…………… de votre production ?

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VI- Utilisation des revenus du caoutchouc naturel 49. Comment sont utilisés les revenus du 50. Quelles sont les activités génératrices caoutchouc naturel ? de revenus réalisées avec les gains du a- alimentation b- scolarisation caoutchouc naturel ? c- dépenses sociales d- habillement a- agriculture vivrière b- commerce du vivrier e- dépense de santé c- petite restauration d- immobilier locatif f- activités génératrices de revenus f- transport g-petit commerce h- autres (préciser)……………………………. h- élevage i- aucune j- autres (préciser)……………………………

VII- Production vivrière en culture pure avant et après l’obtention des revenus de l’hévéa 51. Produisiez-vous du vivrier pour la 59. Le vivrier produit couvre-t-il vos vente avant les revenus de l’hévéa ? besoins alimentaires toute l’année ? a-oui b- non a-oui b- non 52. Sinon, pourquoi ?...... 60. Comment a évolué la durée de l’autoconsommation de la production 53. Si oui, précisez la superficie vivrière ? cultivée ?...... Tranche de durée Durée de l’autoconsommation* Avant l’adoption Après l’adoption de l’hévéaculture de l’hévéaculture 54. Quelles étaient les plantes 62.1 1 à 3 mois 62.2 3 à 5 moins cultivées :...... 62.3 5 à 6 mois 62.4 > 6 moins *Mettre une croix en fonction dans la colonne en fonction de la 55. Continuez-vous de produire du vivrier durée estimée pour la vente après les revenus de 61. Les vivrier est-il disponible sur les l’hévéa ? a-oui b- non marchés votre localité? a- oui b- non

56. Sinon, pourquoi ?...... 62. Si non, pourquoi ?......

57. Si oui, précisez la superficie 63. Selon vous les prix des vivriers sur le cultivée :……………………………… marché ont-ils connu une hausse ? a- oui b- non 58. Quelles sont les plantes cultivées ?...... 64. Si oui, pourquoi ? …………………...

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VIII-Pratique d’autres cultures pérennes

65. Pratiquez-vous d’autres cultures Type de cultures Cultures Superficie pérennes pratiquées pérennes en plus de l’hévéa ? 68.1 Cacao a-oui b- non 68.2 Café 68.3 Palmier à huile 68.4 Anacarde 66. Si oui, lesquels ?...... 68.4 Autres

VIII-Evolution des revenus et des dépenses alimentaires et non alimentaires 67. Quels sont vos revenus ? Piments, Cube, etc.) 70.16 Fruits 70.17 Aliments consommés en Avant ceux de l’hévéa Après ceux de l’hévéa dehors de la maison 70.18 Autres (préciser)

70. Quelles sont les dépenses non

alimentaires effectuées au cours des six 68. Quels sont les activités génératrices de derniers mois ? revenus menées ? Avant l’adoption de Après les revenus de Postes de dépenses Montants dépensés l’hévéaculture l’hévéaculture au cours des 6 derniers mois

(FCFA)

71.19 Éducation/Frais Scolaires 69. Quelles sont les dépenses alimentaires 71.20 Transport effectuées au cours du mois 71.21 Carburant/pétrole/bois de chauffe précèdent ? 71.22 Eau/Électricité Catégorie de produits Montant dépensé dans 71.23 Amendes ou taxe le mois par catégorie de 71.24 Remboursement de dettes produits 71.25 Semences/engrais/intrants 70.1 Riz 71.26 Équipement productif/outils 70.2 Maïs 71.27 Dépenses de main d’œuvre 70.3 Autres Céréales (mil, 71.28 Habillement/Chaussures sorgho) 71.29 Produits d’hygiène (savon, 70.4 Manioc / Igname/taro pâte dentifrice, etc.) 70.5 Pâte alimentaire 71.30 Équipement du ménage 70.6 Pomme de terre 71.31 Fêtes/événements sociaux / 70.7 Banane Plantain funérailles 70.8 Viande/volaille 71.32 Alcool ou tabac 70.9 Poisson 70.10 Lait/œuf 70.11 Arachides 71. A combien estimez-vous vos dépenses 70.12 Légumineuses (Haricots, lentilles) alimentaires avant l’adoption de 70.13 Huile de cuisson l’hévéaculture ? ………………………. 70.14 Légumes et feuilles vertes ………………………………………... 70.15 Condiments (Sel,

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IX. Evolution du régime alimentaire du ménage de l’exploitant 72. Quels sont les aliments consommés avant et après les revenus de l’hévéaculture ? Consommés* Fréquence de consommation** Types d’aliments a-1 fois/semaine b-2 fois/semaine Avant les Après les c-3 fois/semaine d- plus de 3 fois/semaine revenus revenus e-1 fois/mois f- 2 fois/mois g-3 fois/mois h- plus de 3 fois/mois Avant Après 74.1 Igname 74.2 Manioc 74.3 Banane plantain 74.4 Maïs 74.5 Riz local 74.6 Riz importé 74.7 Pâte alimentaire 74.8 Pomme de terre 74.9 Haricot 74.10 Patate douce 74.11 Poisson fumé 74.12 Poisson séché 74.13 Poisson frais 74.14 Viande de bœuf 74.15 Viande de porc 74.16 Viande de brousse 74.17 Produits laitiers 74.18 Œufs 74.19 Vin et bière 74.20 Soda 74.21 Café au lait 74.22 Fruits 74.23 Légumes frais 74.24 Autres *Mettre une croix en fonction du type d’aliment consommé avant et après **Ecrire la lettre correspondante à la fréquence de consommation

75. Avez-vous accès aux aliments qui correspondent à vos préférences alimentaires ? a- oui b- non. Si non pourquoi ?...... ………………………………………………………………………………………………… X. Evolution de l’accès des ménages à l’eau potable 73. Quels sont vos sources d’approvisionnement en eau avant et après les revenus de l’hévéa ? Principale source d’eau du ménage Source d’eau utilisée* Avant les revenus de l’hévéa Après les revenus de l’hévéa 75.1 Eau courante 75.2 Pompe hydraulique 75.3 Puits protégés 75.4 Eau de surface 75.5 Autres *Mettre une croix en fonction de la source utilisée

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XI. Evolution de la stabilité de l’alimentation 74. Avez-vous eu à sauter de repas avant les revenus de l’hévéa ? 76. Quels sont les mois au a- oui b- non

75. Si oui pourquoi ?...... 77. cours étiez-vous le plus confrontés à 78. Quels sont les repas qui n’étaient pas cette situation? pris dans les périodes difficiles? ……………………………... a- petit-déjeuner b- déjeuner c-diner ………………………………………...

79. Quel est le nombre de repas régulièrement pris avant et après les revenus de l’hévéa ? Nombre de repas Période Avant les revenus Après les revenus 80.1 3 repas 80.2 2 repas 80.3 1 repas

Annexe 2 : Thème des entretiens 1/ Avec les chefs de villages - Evolution de l’hévéaculture dans le village (pionniers, superficies initiales, contraintes, facteurs de développement de la culture, etc.) - Avantages et inconvénients de l’hévéaculture pour le village (emploi, richesse, conflits fonciers…) - Incidence de l’hévéaculture sur les conditions de vie / sur les jeunes, les femmes - Relation entre le développement de l’hévéaculture et la production vivrière dans la localité - Evolution de la situation alimentaire suite au développement de l’hévéaculture - Apports de l’hévéaculture au développement local. - Evolution de la situation foncière dans la localité. - Perspectives de l’hévéaculture dans la localité 2/Avec les producteurs d’hévéa - Motivation du choix de l’hévéaculture - Mode d’accès à la terre - Mode de financement de la création de la plantation - Type de main-d’œuvre mobilisée/ origine et niveau rémunération/contraintes - Origine et type de matériel végétal utilisé/ Motivation des choix opérés. - Appartenance à une coopérative/ Avantage de l’adhésion à la coopérative - Mode de commercialisation du latex/ moyen de transport utilisé/contraintes - Contraintes à la pratique de l’hévéaculture - Changements induits par l’hévéaculture dans la communauté/avantages/contraintes

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- Evolution du pouvoir d’achat et des revenus/Utilisation des revenus du caoutchouc naturel - Les changements intervenus dans le quotidien - Stratégie de production vivrière avant et après l’adoption de la culture - Evolution de la sécurité alimentaire du ménage (nouveaux aliments adoptés, nombre de repas, etc.) - Evolution de l’estime de soi 3/ Avec les femmes - Motivation du choix de la culture - Mode d’accès à la terre/ contrainte/ évolution - Mode de financement de l’activité - Type de main-d’œuvre mobilisée sur l’exploitation - Origine et type de matériel végétal utilisé - Adhésion à une coopérative/ Avantages obtenus - Mode de commercialisation du latex/moyen de transport - Contrainte à la pratique de l’hévéaculture - Evolution du pouvoir d’achat et des revenus/ Utilisation des revenus - Evolution des rapports dans le couple et au sein des familles - Perception de l’évolution de la place de la femme dans la localité en lien avec le développement de l’hévéaculture. - Evolution de l’estime de soi - Activités génératrices de revenus réalisées avec les gains de l’hévéaculture. - Incidence de l’hévéaculture sur la production vivrière au niveau personnel et dans le village/ Evolution de l’alimentation dans la cellule domestique (nouveaux aliments, nombre de repas, fréquence de consommation, etc.). 4/Avec les jeunes - Motivation du choix de la culture - Mode d’accès à la terre/ contrainte/ évolution - Mode de financement de l’activité - Type de main-d’œuvre mobilisée sur l’exploitation - Origine et type de matériel végétal utilisé - Mode de commercialisation du latex - Contrainte à la production de la pomme de terre - Evolution du pouvoir d’achat et des revenus - Utilisation des revenus - Types d’activités génératrices de revenus menés avec les revenus de l’hévéaculture - Evolution des rapports avec les aînés/ Evolution de la place des jeunes suite à l’avènement de l’hévéaculture dans la localité - Quelques projets réalisés/futurs avec les revenus hévéicoles - Perspectives d’évolution de l’hévéaculture dans le village - Evolution de sécurité alimentaire dans le village (production vivrière, prix des denrées, etc.).

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Titre : Diffusion de l’hévéaculture et sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire : approche dans les régions de l’Indénié-Djuablin et la Nawa

Résumé : En Côte d’Ivoire, depuis le milieu des années à la disponibilité alimentaire du fait de l’accaparement 1980, l’économie de plantation traditionnelle traverse des espaces traditionnellement dédiés aux cultures des crises multiformes avec pour corolaire la annuelles. Sa diffusion reste néanmoins bénéfique pour détérioration des conditions de vie des ménages la sécurité alimentaire, les revenus générés permettant à agricoles. Entres autres stratégies adaptatives, les la majorité des hévéaculteurs de se hisser au-dessus du populations adoptent massivement l’hévéaculture. seuil de pauvreté et contribuant positivement à Inversement à cette dynamique, la situation alimentaire l’accessibilité économique aux vivres sur les marchés. dans le pays montre des signes de dégradation comme Ainsi les ménages parviennent-ils à diversifier et à en témoigne les émeutes de la faim de 2008. A la enrichir leur régime alimentaire. Parallèlement, du fait lumière de la théorie de la diffusion de l’innovation, de la régularité des revenus du caoutchouc naturel, leur cette thèse interroge les effets du développement de alimentation gagne en stabilité aussi bien l’hévéaculture sur l’alimentation des populations selon quantitativement que qualitativement. Ces évolutions une approche en termes de sécurité alimentaire dans posent toutefois la question de leur durabilité compte l’Indénié-Djuablin et la Nawa. L’étude de la dynamique tenu du caractère erratique des cours du caoutchouc spatiale montre que cette culture constitue une contrainte naturel.

Mots clés : Côte d’Ivoire, diffusion, hévéaculture, sécurité alimentaire, Indénié-Djuablin, Nawa, régime alimentaire

Title: The spread of rubber tree cultivation and food security in Côte d’Ivoire: the approach of the Indénié-Djuablin and Nawa regions

In Côte d’Ivoire, since the middle of the 1980s, the constitutes a constraint to food availability owing to the traditional plantation (coffee, cocoa, oil palm) economy monopolization of spaces traditionally allocated to goes through multifaceted crises with deteriorating annual crops. Its diffusion however remains beneficial in consequences of the living conditions of agricultural terms of food security. The income generated permits a households. The population massively adopts among great number of growers to rise above the poverty other adaptive strategies, the rubber tree cultivation. threshold and contributes positively to the economic Contrary to its expansion, the food situation in the accessibility of food on the market. Hence rubber tree country reveals signs of degradation as attested by the cultivation households are able to diversify and enrich food riots of 2008. In the light of the innovation diffusion their food regime. In parallel, due to the income theory, this thesis interrogates the effects of the regularity from natural rubber, their feeding gains in development of the rubber tree cultivation on the diet of stability both quantitatively and qualitatively. These the population according to an approach in line with food evolutions however raise questions of their durability due security in Indénié-Djuablin and Nawa regions. The to the erratic nature of the price of natural rubber. study of spacial dynamics shows that this culture

Keywords: Côte d’Ivoire, Indénié-Djuablin, Nawa, Rubber tree cultivation, innovation, food security, diet

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