La Crise De La Civilisation Selon Raymond Aron À Travers L'exemple
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Université Paris I Panthéon-Sorbonne École doctorale d’Histoire Doctorat d’Histoire des relations internationales (section 22) La crise de la civilisation selon Raymond Aron à travers l’exemple européen Olivier de Lapparent UMR SIRICE Sorbonne-Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe Unité mixte de recherches (CNRS UMR 8138) Sous la direction de Robert Frank, professeur émérite Paris I Panthéon-Sorbonne 25 novembre 2016 Membres du Jury : Laurence Badel Eric Bussière Robert Frank Sylvain Schirmann Jean-François Sirinelli Résumé Le déclin de l’Europe au XXe siècle est un fait incontestable. Peut-on ou doit-on franchir le pas et affirmer que l’Europe, comme civilisation, est condamnée à la décadence ? Raymond Aron a analysé durant plus de 50 ans l’évolution de l’Europe à travers ses différentes facettes : idée, construction institutionnelle, sentiment. Il affirme la crise de l’Europe, comme crise de civilisation, pour mieux la combattre. L’Europe a un avenir à condition de penser son Histoire. L'Histoire n'est ni la promesse d'un progrès certain ni la condamnation définitive à la décadence. Le réalisme aronien souhaite éviter deux extrêmes : le moralisme et le cynisme. La proposition de cette thèse est l’introduction du terme « oscillation » entre déclin et vitalité historique : de la décadence au déclin, du déclin à la crise, de la crise au conflit, du conflit à la vitalité, de la vitalité à la créativité et de la créativité à l’action. L’oscillation doit mettre en tension l’Europe pour passer de la crise à la métamorphose. La vertu est le chaînon manquant entre déclin et vitalité historique. Elle permet à la tension de revenir à un point d’équilibre. L’accomplissement de la vertu met en pratique la potentialité, la réponse au défi, l’engagement et la vitalité historique. La survie de la civilisation européenne tient en cette ligne de crête fragile mais tremplin vers un renouveau. Mots clés Raymond Aron, Europe, crise, civilisation, décadence, construction européenne, vertu, créativité, conflit, innovation, vitalité, démocratie, sentiment européen, identité, déclin, mythe, oscillation. Summary The decline of Europe in the twentieth century is an indisputable fact. Can or should we go ahead and say that Europe, as a civilization, is doomed to decadence? Raymond Aron analyzed for more than 50 years the evolution of Europe through its various facets: idea, institutional building, feeling. He assures the crisis in Europe, as a crisis of civilization, to better fight it. Europe has a future. This is about thinking History. History is not the promise of some progress nor the final sentence to decadence. The realism of Aron wants to avoid two extremes: moralism and cynicism. The proposal of this thesis is the introduction of the word "oscillation" between decline and historical vitality: from decadence to decline, from decline to crisis, from crisis to conflict, from conflict to vitality, from vitality to creativity, and from creativity to action. The oscillation should literally energize Europe so as to transform crisis and conflict. Virtue is the missing link between decline and historical vitality. It allows energy to become harmonious again, to its point of equilibrium. The fulfillment of virtue puts into practice potentiality, the answer to challenge, commitment and historical vitality. The survival of the European civilization lies in this delicate edge that is a springboard to a revival. Keywords Raymond Aron, Europe, crisis, civilization, decadence, european construction, virtue, creativity, conflict, innovation, vitality, democracy, European feeling, identity, decline, myth, oscillation. Malgré toute la richesse des séminaires et colloques, la thèse, surtout au moment de la rédaction, est un travail solitaire. J’ai emprunté un long chemin semé de doutes, d’embûches et de découragements. J’ai franchi ces obstacles grâce à plusieurs personnes que j’aimerais remercier ici. Je remercie vivement les membres du jury : Laurence Badel, Eric Bussière, Robert Frank, Sylvain Schirmann et Jean-François Sirinelli. Leurs avis et commentaires me seront très précieux. Rien n’aurait commencé sans Robert Frank. Un jour de septembre 1996, il me proposa de travailler sur Raymond Aron. Bien des années plus tard, en 2008, il m’a accueilli à nouveau avec bienveillance. Il a toujours été présent et ce, jusqu’aux derniers moments de la rédaction. J’ai grappillé du temps, des heures et des jours sur une vie professionnelle et familiale bien remplie. Cela aurait été impossible sans l’admirable soutien de ma femme et, à présent, celui de mes enfants, qui ont accepté de me partager pendant des années avec Raymond Aron. Enfin, chaque mot, chaque idée, chaque virgule, ont été discutés et partagés avec ma vénérable mère. Je n’aurais jamais entamé ni terminé ce travail sans son aide. Ce doctorat est un peu le sien. (...) le machiavélisme et les régimes totalitaires sont-ils la fatalité de notre époque ou bien reste-t-il une place pour une doctrine réaliste qui ne sombre pas dans le cynisme, pour une restauration de l'équilibre social et d'une élite virile, sans les excès de l'autorité arbitraire, sans le déchaînement des régimes barbares et la terreur organisée techniquement par les chefs de bande, rusés et violents ? Raymond Aron, « Pareto et le machiavélisme du XXe siècle », ce texte fait partie de quelques inédits rédigés entre 1937 et 1940 publiés dans : Machiavel et les tyrannies modernes, Paris, Editions de Fallois, 1993, 418 p., p. 116. INTRODUCTION Époque : la nôtre. Tonner contre elle. Se plaindre de ce qu'elle n'est pas poétique. L'appeler époque de transition, de décadence. Gustave Flaubert1 Sans adopter l'interprétation spenglérienne selon laquelle la civilisation urbaine, utilitaire, démocratique marque en tant que telle une phase de décadence des cultures, il est légitime de se demander, à la suite de Pareto et de beaucoup d'autres, si l'épanouissement des libertés, le pluralisme des convictions, l'hédonisme individualiste ne mettent pas en péril la cohérence des sociétés et leur capacité d'action. Raymond Aron2 Le mot grec krisis désigne le jugement, le tri, la séparation, la décision : il indique le moment décisif, dans l'évolution d'un processus incertain qui va permettre le diagnostic, le pronostic et éventuellement la sortie de crise. A l'inverse, la crise paraît aujourd'hui marquée du sceau de l'indécision, voire de l'indécidable. Ce que nous ressentons, en cette période de crise qui est la nôtre, c'est qu'il n'y a plus rien à trancher, plus rien à décider, car la crise est devenue permanente. Nous n'en voyons pas l'issue. Ainsi dilatée, elle est à la fois le milieu et la norme de notre existence. Myriam Revault d’Allonnes3 L’Europe en crise(s) au singulier et au pluriel, fin d’une civilisation, déclin économique, politique, culturel, intellectuel, militaire… , défaitisme, immobilisme, décadence, mort certaine, fin de l’idée européenne : la crise de l’Europe et ses déclinaisons ont envahi l’espace médiatique. Pas un jour ou presque4 sans que soit annoncé et analysé ce qui apparaît (depuis 2008) comme la plus grande crise de l’Europe depuis ses débuts officiels en tant qu’institution au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. 1 Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, publié à titre posthume en 1913. Disponible intégralement sur : http://www.pitbook.com/textes/pdf/idees_recues.pdf 2 Raymond Aron, Mémoires, Paris, Julliard, 1983, p. 680. 3 Myriam Revault d’Allonnes, La crise sans fin, essai sur l'expérience moderne du temps, Paris, Seuil, La couleur des idées, 2012, 197 pp., p 10. 4 Nous étayerons par la suite cette affirmation. Voir notamment dans cette introduction et au chapitre 9. Introduction 5 L’Europe en crise n’est pas une thématique nouvelle En 1957, Aron dresse le constat sombre du destin de l’Europe depuis la Première Guerre Mondiale : « Depuis que l’Europe est sortie, décimée et amère, de la grande tuerie où elle s’était lancée, bourgeoise et aveugle, elle n’a jamais chassée de sa conscience l’angoisse de la décadence5 ». Plus de 50 ans après, cette angoisse est toujours présente. Preuve en est, par exemple, le dossier spécial proposé par la revue Europe’s World en 20076. À l’occasion du cinquantième anniversaire du Traité de Rome, il propose à des personnalités politiques de premier plan de l’Union européenne de réfléchir sur l’état de l’Europe. Certains articles de ce dossier, par la terminologie de leur titre, montrent que la question du déclin de l’Europe sera une des problématiques principales des 50 prochaines années de l’Europe. Déclin à désamorcer ou renaissance à espérer, la tonalité des articles est significative. Notons par exemple : « Si nous visons juste, nous pourrons tous dire un jour : "je suis européen"7 » par Simeon Saxe-Coburg-Gotha, dernier « tsar » des Bulgares en 1943- 1946 (il est alors enfant) et ancien Premier ministre de la république Bulgare (2001- 2005) ; « Nous pouvons encore échapper au déclin annoncé8 » par Toomas Hendrik Ilves, président de l'Estonie ; et « Pour une renaissance de l’Europe dans le "siècle asiatique"9 » par Bela Kádár, ancien ministre hongrois des relations économiques extérieures. Ce dernier écrit notamment : Marche triomphale d'une zone de libre-échange vers un marché et une monnaie unique, élargissement à 27 pays, positionnement dans le domaine du commerce mondial, capacité de négociation… Les progrès de l'Europe au cours des 50 dernières années sont impressionnants. Ils ne peuvent cependant masquer une certaine lassitude. L'Europe accuse du retard dans des domaines importants.10 5 Raymond Aron, Espoir et peur du siècle, partie sur « La décadence », chapitre IV « L’affaiblissement de l’Europe », Paris, Calmann Lévy, 1957, p. 206. 6 Europe’s World, Automne 2007, 7, Edition française publiée avec la fondation Robert Schuman, disponible en ligne : http://www.europesworld.org/portals/0/PDF_version/EW7_FINAL_FR.pdf 7 Ibidem.