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Séquences La revue de cinéma

Le Bal des vampires (analyse) The Fearless Vampire Killers Réal La Rochelle

Le cinéma imaginaire III Number 56, February 1969

URI: https://id.erudit.org/iderudit/51615ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this article La Rochelle, R. (1969). Le Bal des vampires (analyse) : The Fearless Vampire Killers. Séquences, (56), 30–33.

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30 SÉQUENCES 56 C'est le beau risque mis en marche, la plongée dans la nuit, la poésie. Françoise Mallet-Joris, Trois âges de la nuit (histoires de sorcelle­ rie).

.A. 2b,'ocumentatio la tic n

1. Générique lanski raconte des histoires inquiétan­ tes de névroses modernes, films d'hor­ Film américain tourné en Grande- reur au sens fort du terme, où le sang, Bretagne — 1967 — En Panavision et le sexe, la violence, la peur, en séquen­ Merrocolor — Prod. : Gene Gutowski, ces serrées et mordantes, composent la Cadre-Filmways, M.G.M. — Real. : Roman matière obsessionnelle de sujets traités Polanski — Assistant : Roy Stevens — en maître, avec une lucidité démonia­ Scén. : Gérard Brach et que et une hypersensibilité craquante. — Mont. : Alistair Mclntyre — Images : Douglas Slocombe — Mus. : Christopher Komeda — Int.: Jack McGowran (Pro­ 3. Scénario fesseur Ambrosius), Sharon Tate (Sarah), Roman Polanski (Alfred), Ferdy Mayne Dans la version originale anglaise, (Le Comte Von Krolock), Alfie Bass il y a un dessin animé en pré-généri­ (Yoine Chagall), Jessie Robins (Rebecca), que (dessin supprimé dans la version Fiona Lewis (Magda), lain Quarrier française), où les deux protagonistes du (Herbert), Terry Downes (Koukol) — film, dans un cimetière, essaient les re­ Durée : 90 m. — Distr. : M.G.M. mèdes classiques anti-vampires : cruci­ fix, gousses d'ail, lumière du soleil . . . 2. L'auteur contre un monstre à face verte. En en­ chaîné, les deux compères tombent dans Réalisateur d'origine polonaise, Ro­ le sigle de la compagnie M.G.M., où man Polanski, après quelques courts non seulement le lion rugit, mais fait métrages, tourne, avec des moyens de voir deux crocs "vampiriques" et une fortune, son premier long métrage, qui goutte de sang qui tombe dans le gé­ le fait connaître : Le Couteau dans nérique, puis rebondit, tantôt en lar­ l'eau ( 1962 ). Le Dictionnaire des ciné­ me, tantôt en flamme, tantôt en chau­ astes (éd. du Seuil) analyse ainsi l'au­ ve-souris, d'un nom à l'autre. teur : "D'une fantaisie entraînante et Le générique déroule son program­ un peu ricanante, avec un excellent me de bas en haut, sur un fond tour­ sens du gag poétique . . ." C'est, avant noyant gris bleuté, qui se détache en le temps et bien qu'en très bref, te dernier par un zoom arrière, et fait ap­ qui convient le mieux au Bal des vam­ paraître une lune glaciale sur uh pay­ pires (1967). sage d'hiver de la Transylvanie sub­ Mais cela ne décrit pas les produc­ antarctique, au coeur des Karpathes. . . tions anglo-américaines suivantes : Le professeur Ambrosius et son dis­ Repulsion (1965), Cul-de-sac (1966) ciple Alfred y arrivent, à la recherche et Rosemary's Baby (1968), où Po- de vampires authentique". Ils appro- FÉVRIER 1969 31 chent du but. En effet, l'auberge de ils ratent leur chance de détruire le Shagall, où ils descendent, offre plu­ vampire Von Krolock et son fils Her­ sieurs indices : gousses d'ail suspendues bert, vampire homosexuel qui tente aux poutres, terreur des villageois de plus tard de croquer Alfred ! révéler un château des environs, et, Sarah est prisonnière de Von Kro­ surtout, apparition d'un monstre : le lock, grand-prêtre du vampirisme scien­ valet Koukol. tifique et idéologique, qui veut offrir Les intuitions d'Ambrosius sont jus­ la belle en menu au bal annuel des tes. Quelques heures plus tard, les évé­ vampires, troupe macabre qui sort jus­ nements vampiriques se précipitent : tement du cimetière du château. Mais d'abord la fille de l'aubergiste, Sarah les astuces d'Ambrosius et d'Alfred ( dont Alfred s'est épris ), se fait vampi- vont délivrer Sarah de ce milieu pes­ riser par le Comte Von Krolock ; puis tilent. Shagall lui-même qui, à son tour, La fuite est réussie . . . jusqu'au mo­ "initie" une servante de l'auberge, sa ment où, dans le traîneau à clochettes, maîtresse. Sarah vampirise Alfred. Ainsi, grâce De fil en aiguille, au milieu de pé­ au professeur Ambrosius, le mal qu'il ripéties burlesques, les deux compères voulait détruire pourra-t-il se répandre parviennent au château démoniaque, où librement à travers le monde . . .

1. Une histoire extraordinaire la chair se laissent aspirer avec déli­ ces et horreur (un peu, en somme, On pourrait dire que Polanski, au­ comme le spectateur naïf qui rit, "de teur de films, est sorcier, si la sorcel­ peur" de révéler sa peur). lerie, comme le dit Françoise Mallet- Joris dans son livre déjà cité, "est es­ Ici, Polanski nous donne (ou nous sentiellement technique, bricolage, enlève) d'avance cette arme défensive mise en oeuvre de l'incompréhensible". contre les appréhensions du fantastique, Comme Repulsion, comme Rosemary's et cette astuce est déjà le signe que le Baby, Le Bal des vampires est un as­ réalisateur ne se détachera pas de son semblage de matériaux nocturnes, bien vrai sujet : la nuit possible des mons­ que, à prime abord, on soit plutôt tenté tres. Dans un récent et passionnant in­ de n'y voir qu'une comédie de bons terview à Téléciné, Polanski déclarait : drilles, une pochade habile, ou même "Je suis fier d'être un nomade. J'ai un canular. toujours pensé à aller ailleurs" {au Cependant, le comique, dans ce film, 147). C'est là la démarche même en­ est bien ce qu'il y a de plus faible ou treprise dans Le Bal des vampires, où plutôt de plus mince, puisque, situé' il ' s'agit, malgré tout (le rire, le sar­ dans une autre perspective, Le Bal casme, l'ironie, le scepticisme amusé), s'ingénie à camoufler, derrière le rire d'aller dans cet ailleurs certain de simple et sans prétention, la lourde sé­ l'imaginaire, ce pays intérieur où existe crétion des vapeurs vampiriques, sortes toute' l'histoire "extraordinaire" (au d'eaux glauques où l'esprit, le coeur et sens bàudelairien du terme) du vam-

32 SÉQUENCES 56 pirisme, son pays, son habitation, ses dalles sonores, candélabres à demi- morts-vivants, ses désirs de sang, la calcinés, tapisseries lourdes et délavées, perpétuité de son incarnation, sa réa­ portraits des monstres de famille. Toi­ lité. Je suis tout porté à croire que les d'araignées partout. The Fearless Vampire Killers soit plus La crypte du château. Grille de fer près de Chagall que d'Abbott et ouvragé. Cercueils en noir d'ébène et Costello ! décorations d'or. Oeil-de-boeuf pour laisser entrer le soleil et la lune. 2. Excusez-moi : vos dents Le bal, le plus beau bal de vampi­ sont dans mon cou res jamais filmé. Cinquante figurants, tous plus hâves les uns que les autres. Voilà donc cette toile de Polanski, Clavecin, menuet ou gavotte, costumes comme si c'était un Chagall dont elle anciens défraîchis par de trop longs a les sourires et les extravagances poé­ séjours dans les tombes. tiques, les couleurs en fusée et les par­ Paysage d'hiver en Transylvanie, lu­ ties en mosaïque éclatée : ne et neige, clochettes de chevaux im­ Paysage d'hiver en Transylvanie, passibles ; savant gelé. Sarah, nouveau lune et neige, clochettes de chevaux vampire, met ses dents dans le cou impassibles ; savant gelé, l'oeil de ver­ d'Alfred. re tourné vers le progrès inutile, et puis son apprenti timide et pâle. Les 3. Vampirisme et poésie loups s'avancent et reculent. Anne de Chantraine, une des sorciè­ Une auberge grasse. Patronne énor­ res de Mallet-Joris, est une enfant dont me et mari gringalet. Fumée, saucis­ la lucidité est extraordinaire : "Déjà sons aux poutres, chapelets d'ail. Sarah, elle sait que l'humilité cache souvent la fille du patron, (Yoine Chagall!), la haine, que l'objet le plus rassurant est somptueusement belle et aime les a d'effrayantes ombres. Mais que l'om­ bains fréquents. L'aubergiste a une bre elle-même ait son visage de pitié, maîtresse, une servante blonde et do­ son instant de douceur, cela aussi est due, logée au grenier. vrai" (p. 12). Dans la cour, l'élève Alfred termine De même, le Comte Von Krolock, un bonhomme de neige. Le visage fin père des vampires, est-il au fond de de Sarah dans le rond dégelé d'un car­ lui-même un enfant mélancolique, reau de fenêtre. quand, au milieu de l'or pourri de son Koukol, le valet-monstre de son Ex­ lieu des Karparhes, il soupire : "when cellence, attaque un loup, l'égorgé de I was a young man . . ." ou quand en­ ses dents et boit son sang, au détour core, dressé sur le paysage lunaire de d'un sentier d'hiver. la Transylvanie, il perçoit l'éternité à Sarah prend un bain de mousse et venir de ces longues soirées de plu­ de chaleur. D'une lucarne ouverte, la sieurs hivers . . . Nous sommes trop neige se met à tomber. Le Comte Von près, ici, de Poe et de Baudelaire Krolock, superbe vampire, descend lé­ pour ne pas sentir surgir, comme les gèrement et magnifiquement dans le violoncelles, petit à petit, dans Triitan bain. Puis met ses dents dans le cou et Isolde de Wagner, toute la poésie blanc de l'héroïne . . . Quelques baroque d'un univers affreux et doux, gouttes de sang sur la mousse de savon, grimaçant et nostalgique, dont l'amour : et Sarah qui n'y est plus. et la mort sonr les coordonnées. Le château de Von Krolock : voûtes, Réal La Rochelle

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