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LES HOMMES DE MAIN DES PRÉSIDENTS Le « Benallogate », devenu en quelques jours une affaire d’Etat, est révélateur d’un système de pouvoir où la confiance du Président semble aveugler ceux qui le servent. Des gros bras du SAC sous de De Gaulle aux gendarmes de l’Elysée sous Mitterrand, la Vème République est fertile en dérives des « hommes de main » du président, qui se croient parfois tout permis.

Par Charles Jaigu et Vincent Nouzille

d’élite, qui dépend officiellement du dérives, imputables aux présidents ministère de l’Intérieur. Objectif : don- eux-mêmes. Souvent méfiants à ner plus de liberté aux hommes de l’égard des services officiels, ils préfè- l’Elysée pour faire ce qu’ils veulent. rent parfois s’entourer d’hommes de Omniprésent lors des voyages, promu toute confiance, davantage choisis au rang de lieutenant-colonel dans la pour leur loyauté aveugle que pour réserve opérationnelle de la gendarme- leurs compétences. es barbouzes sont-elles de retour ? L’af- rie sur ordre de l’Elysée, Alexandre Ceux qui reçoivent les injonctions de faire Benalla – ce proche du président Benalla bénéficiait visiblement d’ap- ces « hommes du Président » peuvent Macron accusé de violences lors des puis et de sésames hors du commun. difficilement résister à leurs pres- manifestations du 1er Mai et long- Ses dérapages et les dysfonctionne- sions. L’ancien préfet Rémy Pautrat, temps couvert par l’Elysée – semble en ments qui ont suivi révèlent à quel qui prit en 1985 les rênes de la Direc- Lattester. L’incident initial s’est trans- point le pouvoir élyséen peut aveugler tion de la surveillance du territoire formé en quelques jours en véritable ceux qui ont pourtant promis de chan- (DST), eut ainsi une « explication scandale d’Etat. Les révélations des ger les règles. Emmanuel Macron, qui orageuse » avec les collaborateurs du médias et des enquêtes déclenchées fonctionne, depuis les débuts de son as- président François Mitterrand, lors- dans la foulée n’ont pas fini de sur- cension politique météorique avec une qu’il arrêta de transmettre des rensei- prendre : l’ancien garde du corps du équipe restreinte de collaborateurs, a gnements sur des personnes privées candidat Macron était devenu, depuis entraîné avec lui des militants dévoués que l’Elysée exigeait avec insistance. l’élection de son mentor, un homme tout autant que des carriéristes pressés. A la DST, une « brigade du chef » re- tout-puissant dans l’ombre du Prési- L’ivresse de la victoire et celle du pou- cueillait des informations sensibles dent. Nommé adjoint au chef de cabi- voir ont fait tourner les têtes. réclamées et les transmettait chaque net d’Emmanuel Macron en Il est vrai que les présidents successifs semaine au directeur de cabinet du juin 2017, Alexandre Benalla avait, de la Ve République n’ont jamais lésiné Président. Rémy Pautrat put mettre semble-t-il, la haute main sur la sécu- sur l’emploi de séides et de fidèles, prêts fin à cette pratique parce qu’il avait rité des déplacements présidentiels. Il à tout pour les servir, y compris à fran- l’appui de son ministre de l’Intérieur s’est même vu confier par son patron chir les lignes jaunes. Des sombres his- de l’époque, l’intraitable Pierre Joxe, la mission de réformer le dispositif de toires du Service d’action civique qui avait peu de considération pour sécurité : celui-ci repose essentielle- (SAC), le service d’ordre du parti gaul- l’équipe entourant alors François ment sur le Groupe de sécurité de la liste, aux scandales de la cellule des Mitterrand. Tous les titulaires de la présidence de la République (GSPR), gendarmes de l’Elysée sous François Place Beauvau n’ont pas eu cet esprit composé de gendarmes et de policiers Mitterrand, la liste est longue de ces de résistance ! V.N. ____u

24/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018 Alexandre Benalla, 26 ans, adjoint au chef de cabinet du président de la République, aux côtés d’Emmanuel Macron. STÉPHANE GEUFROI/OUEST /MAXPPP

25/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018 ANNÉES DE GAULLE : LES GROS BRAS DU SAC

On est très loin, dans le temps, et dans le style, des barbouzeries me- nées dans les années 1960 au nom du général de Gaulle à l’intervention ponctuelle et erratique d’Alexandre Benalla dans une manifestation qui tourne mal. Les turbulences histori- ques en cours dans ces années-là sont d’une autre gravité. Elles por- tent les germes d’une guerre civile. La guerre d’Algérie d’abord, les évé- nements de 1968 ensuite suscitent des initiatives rugueuses de la part du pouvoir gaullien en place. Les ar- chives de Jacques Foccart l’attes- Jacques Foccart, conseiller du général de Gaulle, officiellement en charge de l’Afrique à tent. Le conseiller de De Gaulle à l’Elysée, avait la haute main sur les services secrets et les officines liées au pouvoir. l’Elysée, de 1958 à 1969, a donné des ordres ciblés d’élimination pendant la guerre d’Algérie. Même quand il qui agissait depuis Londres, et Jac- confie dans un livre d’entretien que n’est pas question d’exécutions dis- ques Foccart, lui aussi résistant de la ce sont surtout les événements de crètes – une pratique que François première heure. Ce dernier est le 1968 qui ont ouvert le SAC à des in- Hollande a revendiquée contre les plus en vue. Il est, dès 1958, repéré dividus venus de l’extrême droite ou djihadistes – les services parallèles par la presse comme « homme de du gangstérisme. « Quand il y a le de la Républiques font ce qu’il faut main » du Général, dont il est un fi- feu, on ne demande pas leur casier ju- pour déstabiliser l’ennemi du mo- dèle depuis le début des années diciaire aux pompiers volontaires, des ment : FLN, OAS ou gauchistes de 1950. A l’Elysée, il est chargé de gens peu recommandables en avaient tout poil. Le Service d’action civi- l’Outre-Mer et de la fameuse cellule profité pour s’infiltrer », dit-il à pro- que (SAC) est l’un des canaux de Afrique. Foccart est avant tout pos de la lutte contre les émeutiers cette politique. Il a été créé en 1960 d’une fidélité indéfectible à de de Mai 68. On attribue au SAC une « pour faire connaître la pensée et Gaulle malgré son opposition à l’in- longue liste de forfaits, dont le ta- l’action du général de Gaulle », décrit dépendance de l’Algérie, comme bassage de manifestants devant le sobrement le statut de l’association. l’établit la biographie méticuleuse QG de la France libre, rue de Solfe- Il ne s’agit pas d’un service dépen- de Frédéric Turpin parue en 2015 rino, le 11 mai. L’enlèvement du chef dant de l’Elysée, mais plutôt du bras Jacques Foccart. Dans l’ombre du de l’opposition marocaine Mehdi armé des mouvements gaullistes qui pouvoir (CNRS éditions), qui décrit Ben Barka, en 1965, qui lui a été im- sera dissous par François Mit- un personnage moins noir que sa lé- puté, n’aurait pas été une initiative terrand en 1982, après un règlement gende, et surtout voué corps et âme du SAC. Jacques Foccart est main- de comptes entre anciens du SAC à son chef – il n’amassera aucune tenu à l’Elysée par Georges Pompi- entraînant la mort d’un certain Jac- fortune personnelle. dou. La longévité de sa carrière, ques Massié et de toute sa famille, y Les collaborations du SAC avec « le l’importance politique de son rôle compris un enfant de 7 ans. Au com- milieu » auraient commencé dans dans les années de décolonisation le mencement du SAC, on trouve les années de la guerre d’Algérie, placent très au-dessus des habituels Pierre Debizet, un ancien de la après le départ des grognards du hommes de confiance chargés des France libre et du Bureau central de gaullisme, hostiles à sa nouvelle po- basses œuvres qui entourent depuis renseignements et d’action (BCRA) litique d’indépendance. Foccart toujours les présidents en exercice.

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cret de François Mitterrand : l’exis- tence de sa « deuxième famille », à savoir sa maîtresse Anne Pingeot et sa jeune fille Mazarine, qui sont lo- gées quai Branly, dans une annexe de l’Elysée. Les gendarmes com- mencent donc à accompagner Ma- zarine à l’école ou, lorsqu’elle passe le week-end avec sa mère, dans le do- maine présidentiel de Souzy-la-Bri- che, à l’abri des regards indiscrets. Le système dérape rapidement. Après l’attentat de la rue des Ro- siers, le 9 août 1982, le Président dé- cide de réorganiser la lutte antiter- roriste, dont il dénonce les « carences ». Le commandant Prou- teau, qui supervise déjà sa sécurité personnelle, est chargé de piloter une nouvelle « cellule » élyséenne de coordination et d’action contre le terrorisme. Il a carte blanche pour recruter des agents, procéder à des Le commandant Christian Prouteau (à droite), fondateur et patron du groupe d’élite de la écoutes, recueillir des renseigne- gendarmerie (GIGN), devenu le protecteur des secrets du président François Mitterrand. ments, hors de tout cadre habituel. « J’ai constitué un système paral- lèle », admettra Prouteau. Ses François Mitterrand se repose donc « hommes du Président », venus ANNÉES sur ses fidèles. Son conseiller spécial principalement du GIGN, mais François de Grossouvre, le ministre aussi d’autres services, se croient MITTERRAND : de l’Intérieur, Gaston Defferre, et le tout permis. Au sein de la cellule, ils ministre de la Défense, Charles constituent un « groupe d’action LES COW-BOYS Hernu, estiment que le Président est mixte » (GAM), composé d’une mal protégé. Au printemps 1982, douzaine de policiers et de gendar- DU PRÉSIDENT des agents du service action de la mes. Ces cow-boys effectuent des DGSE, en mission commandée, missions nocturnes en Corse pour FONT LES réussissent à approcher le président surveiller des nationalistes. Ils es- 400 COUPS sans être repérés, ce qui démontre la saient d’assassiner un mercenaire perméabilité du dispositif de sécu- d’extrême droite suspecté de vouloir rité. Fils de gendarme, Charles tuer le président. Ils se rendent en Les dérives prennent une nouvelle Hernu conseille François Mit- Suisse durant les fêtes de fin d’année tournure sous l’ère Mitterrand. Elu terrand d’avoir recours aux services 1982 pour tenter de « neutraliser » le le 10 mai 1981, le président socialiste du Groupe d’intervention de la gen- terroriste Carlos, censé venir sur se méfie comme de la peste des servi- darmerie nationale (GIGN), dirigé place ! ces secrets et de la police, suspectés par son fondateur, le commandant Surtout, le bras droit de Prouteau, d’être truffés d’ennemis politiques. Christian Prouteau. Convoqué à Paul Barril, qui dirige le GIGN, a François Mitterrand redoute d’être l’Elysée par François de Grossou- son bureau à l’Elysée. Ce spécialiste victime de complots ourdis par des vre, le chef du GIGN se voit confier des barbouzeries est incontrôlable. officines liées à la droite gaulliste vi- la tâche, en juillet 1982, de créer, Le 28 août 1982, avec ses hommes, il sant à le renverser, voire de subir le avec ses hommes, le Groupe de sécu- interpelle trois présumés terroristes destin tragique de Salvador Al- rité de la présidence de la Républi- irlandais dans un appartement de lende, le leader socialiste chilien tué que (GSPR). Dévoué, Prouteau ap- Vincennes. Sur place, les gendarmes lors d’un coup d’Etat militaire en prend en même temps qu’il doit saisissent des armes et des explosifs. ____u RUE DES ARCHIVES/AGIP ; AFP 1973. protéger à tout prix « le » grand se- Problème : c’est Paul Barril qui les a

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apportés lui-même pour charger les suspects ! Les procédures sont illé- gales, le scandale énorme. Paul Bar- ril est mêlé à d’autres sombres his- toires : des contacts avec le chef du groupe terroriste Action directe, Jean-Marc Rouillan, des préparatifs d’un coup d’Etat à Haïti, des livrai- sons d’armes au Nicaragua, le cam- briolage d’un magasin de métaux précieux à . La justice le blan- chit, mais il finit par être écarté du GIGN et de l’Elysée. Cela n’empêche pas le commandant Prouteau de poursuivre les coups tordus. A grande échelle cette fois. Car la mission antiterroriste finit par se confondre avec la sécurité du Président et de ses proches. La cel- lule profite, en effet, de ses contin- gents d’écoutes téléphoniques pour surveiller tous ceux qui pourraient révéler l’existence de sa « deuxième famille » cachée. Cela commence fin 1983 avec l’écrivain Jean-Edern Hallier qui veut faire publier un pamphlet au vitriol sur le sujet, pré- Jean-Edern Hallier, surveillé par les hommes de Mitterrand à propos d’un projet de pamphlet, publiera son manuscrit « L’honneur perdu de François Mitterrand ». titré Tonton et Mazarine. L’entou- rage d’Hallier est écouté, de sa cuisi- nière à son valet de chambre en Dans leur jugement, les magistrats ment. Prudent, il préfère se reposer passant par le restaurant où il dé- mettront en évidence la responsabi- sur quelques hommes bien placés ou jeune et le bar où il achète ses ciga- lité cruciale du président Mit- en marge du système. Il fait parfois rettes. « Je sais où il est et ce qu’il fait terrand, principal « inspirateur et appel à Jean-Charles Marchiani, à tout moment du jour et de la nuit », décideur » de ce système occulte. ancien du SDECE (l’actuelle se vante François Mitterrand. Inci- DGSE) et protégé corse de Charles demment, la cellule « branche » de Pasqua, notamment pour des libé- plus en plus de supposés ennemis – ANNÉES rations d’otages. Le Président rap- et même des amis – du Président : pelle également à ses côtés en 2001 avocats, journalistes, actrices, hom- CHIRAC : DES Philippe Massoni, ancien patron mes d’affaires, et même Paul Barril ! des RG et préfet de police de Paris, Au total, au moins 150 personnes FIDÈLES POUR un homme sûr, fort de réseaux soli- sont écoutées de manière totale- des. ment illicites entre 1983 et 1986, et DOUBLER LES Pour sa part, le secrétaire général de plus de 2 000 de leurs contacts ré- l’Elysée, Dominique de Villepin, re- pertoriés dans des fichiers illégaux. SERVICES çoit régulièrement des visiteurs du Une information judiciaire, ouverte soir au profil controversé, qu’il en 1995, conduira plusieurs respon- Lorsque arrive à s’agisse de l’avocat de la Françafri- sables de l’Elysée devant le tribunal l’Elysée en mai 1995, il prend soin de que Robert Bourgi ou de l’intermé- correctionnel de Paris fin 2004. ne pas retomber dans le même tra- diaire Alexandre Djouhri. Et il fait Christian Prouteau et Gilles Mé- vers caricatural que son prédéces- le point deux fois par mois avec Yves nage, qui était directeur adjoint du seur. Néanmoins, l’ancien maire de Bertrand, inamovible patron des cabinet du Président, seront Paris et ex-Premier ministre cultive RG de 1992 à 2004 et détenteur des condamnés à des peines de six mois la même défiance instinctive à secrets les plus inavouables de la Ré- avec sursis, puis amnistiés peu après. l’égard des services de renseigne- publique. « Je rapportais tout ce que

28/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018 net noir » au service de Chirac n’a fait que s’amplifier avec cette his- toire. ANNÉES SARKOZY- HOLLANDE : LE TEMPS DES COMBINES a fait l’objet de nombreuses poursuites judiciaires avant et après sa présidence, qui por- tent sur le financement de ses cam- pagnes présidentielles, mais il n’a pas été visé par un scandale lié aux services de sécurité de l’Elysée dans ses années élyséennes. En revanche, son cabinet a été mis en cause dans l’affaire dite des sondages, où ses services auraient surfacturé des en- quêtes d’opinion en faveur de son Le général Philippe Rondot, homme de confiance du président Chirac et de Dominique conseiller extérieur, Patrick Buis- de Villepin, lors du procès de l’affaire Clearstream, fin 2009, où il ne fut que témoin. son. Ironiquement – ou cruellement – cette enquête a été ouverte après je savais à Dominique de Villepin, té- Japon. Le Président écrit à Jospin l’ouverture des livres de l’Elysée au moignera Yves Bertrand dans Ce pour lui dire son courroux. Réélu en contrôle par la Cour des comptes, que je n’ai pas dit dans mes carnets… 2002, il fait tomber les têtes à la voulue par Nicolas Sarkozy, pour la (Fayard). Jacques Chirac n’attendait DGSE et à la DST, qui est égale- première fois dans l’histoire de la Ve. pas du directeur des RG qu’il lui ré- ment soupçonnée d’avoir voulu dés- Les liens de son ancien secrétaire gé- vèle des secrets d’alcôve. Ce qu’il pri- tabiliser l’Elysée. néral, Claude Guéant, avec des « in- sait, c’était le renseignement politi- Jacques Chirac et Dominique de termédiaires sulfureux », intéres- que. Il voulait être au courant des Villepin font toute confiance au gé- sent également les juges, mais ces coups tordus qui se préparaient néral Rondot afin de piloter des in- affaires se sont développées après la contre lui et contre l’Etat. » vestigations parallèles. Désormais fin de la présidence Sarkozy. Par Lorsque, en septembre 2001, Jac- ministre des Affaires étrangères, ailleurs, les soupçons d’un « cabinet ques Chirac suspecte le cabinet de Villepin, alerté par son ami Jean- noir » élyséen, par exemple pour Lionel Jospin à Matignon, via la Louis Gergorin, croit que son rival faire tomber Dominique Strauss- DGSE, de préparer des boules Nicolas Sarkozy peut tomber dans Kahn, n’ont jamais été clairement puantes pour la future campagne une affaire de liste de comptes étayés. En revanche, le quinquennat présidentielle, il demande à un autre offshore de la chambre de compen- Hollande a connu quelques turbu- homme de l’ombre, proche de Ville- sation luxembourgeoise Clears- lences qui montrent la difficile ges- pin, le général Philippe Rondot, de tream. Début 2004, Rondot est tion des questions de sécurité à mener une enquête. Ce gradé, qui chargé par Villepin, sur instruction l’Elysée. La première est une affaire occupe un poste clé pour les affaires de l’Elysée, de vérifier discrètement restée peu médiatisée qui implique sensibles auprès du ministre de la la validité de ses listings, qui s’avére- le service de sécurité du Palais et Défense, constitue un épais dossier ront falsifiés. Villepin et Rondot se- l’entourage proche du président sur une équipe de la DGSE qui ront finalement blanchis de toute d’alors. Elle a été révélée par Ber- aurait enquêté sur un présumé accusation dans l’affaire Clears- nard Muenkel, ancien chef du ser- ____u GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES ; RICHARD VIALERON/LE FIGARO compte secret de Jacques Chirac au tream. Mais la rumeur d’un « cabi- vice informatique de l’Elysée, dans

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une interview à Valeurs actuelles en octobre 2013. Il lui aurait été de- mandé d’accomplir des recherches illégales de documents numériques susceptibles de mettre directement en cause Nicolas Sarkozy. Cette fois-ci, le personnage clé s’appelle Eric Bio-Farina. Son profil est plus classique. Il est devenu le comman- dant militaire de l’Elysée en 2012. Ancien patron du groupement de gendarmerie en Corrèze, il fait par- tie des hommes de confiance de François Hollande, de cette « pro- motion corrézienne » que le chef de l’Etat a placée à divers postes clés, comme le directeur de cabinet ad- joint Alain Zabulon, qui a été préfet de Corrèze de 2008 à 2011. Le colonel Eric Bio-Farina, commandant militaire de l’Elysée à partir de 2012, avec le président François Hollande. Or, le 8 avril 2013, le colonel Bio-Fa- rina a expliqué à Muenkel qu’il avait reçu une demande d’un juge pour ef- matinée, il convoque Bernard Muen- Frémont, qui décrit le manque de fectuer des recherches dans les ar- kel, en présence de la responsable des coopération de l’équipe Hollande, chives informatiques de l’Elysée sur archives, Mme Van den Neste, et du et souligne que cela « pose un sérieux une série de noms et de mots-clés. commandant Minet, un gendarme problème de fond ». De « A » comme arbitrage à « T » qui a, lui aussi, été en poste en Cor- Le préfet Alain Zabulon, l’autre comme Tapie en passant par Bor- rèze. « Le colonel Bio-Farina veut que « Corrézien » impliqué dans la ges- loo, Bredin, Lagarde et Mazeaud. l’archiviste du palais me restitue ce tion du dossier Muenkel, a été mis Pas besoin d’être grand clerc pour disque pour que je fasse les recherches en cause dans l’affaire Cahuzac et comprendre que cette recherche demandées. La responsable des archi- auditionné par la commission de d’information, présentée comme ves du palais explique à son tour avec l’Assemblée nationale en juin 2013. « strictement confidentielle » par beaucoup de calme que cela ne peut se Ses explications très vagues ont Bio-Farina, aurait eu pour objectif faire sans autorisation du cabinet de donné le sentiment d’une volonté de de nourrir l’équipe Hollande en mu- l’ancien président », raconte Muen- protéger le ministre du Budget, nitions. On est alors au cœur de l’of- kel. Le colonel sort de ses gonds. « On alors qu’il avait reçu par téléphone, fensive judiciaire et parlementaire regardait tous le bout de nos chaussu- dès décembre 2012, un témoignage qui accuse Nicolas Sarkozy de col- res », confie-t-il. Jointe par Le Figaro, très clair de l’ancien maire de Ville- lusion avec Bernard Tapie dans la Mme Van den Neste a confirmé neuve-sur-Lot, Michel Gonelle, qui résolution de son contentieux avec l’existence de cette réunion, elle est à l’origine du fameux enregistre- le Crédit lyonnais. confirme aussi qu’elle était dans ment de Cahuzac où il évoque son Muenkel sait que le cabinet de Fran- l’impossibilité de restituer le disque compte en Suisse. Pour le remercier çois Hollande n’est pas autorisé à dur à Bio-Farina. – ou l’éloigner de l’Elysée – Zabulon consulter ces documents, qui sont Cette guerre des archives a notam- a été promu en juillet 2013 coordon- normalement entreposés aux Archi- ment été confirmée par Jean-Louis nateur national du renseignement, ves nationales. Seul Nicolas Sarkozy Debré, qui l’évoque dans Ce que je où il restera moins de deux ans. peut en autoriser la consultation, ne pouvais pas dire, ses carnets de la Enfin, l’organisation de la sécurité sauf si une instruction judiciaire en période 2007-2016, à la date du du président Hollande a fait l’objet exige la mise à disposition. Il se dé- 16 mai 2013. Il relate que Nicolas de plusieurs polémiques en 2015. pêche donc de remettre aux Archi- Sarkozy lui dit ne pas pouvoir accé- « La sécurité du Président n’est pas ves nationales le disque dur conte- der à ses propres archives, toujours assurée », ont fait savoir à l’époque nant toutes les correspondances retenues à l’Elysée, « contre toutes plusieurs gendarmes du Groupe de mails de l’époque Sarkozy. les règles de droit ». Il cite également sécurité de la présidence de la Répu- Informé, le colonel Bio-Farina ne ca- la lettre de l’ancien directeur de ca- blique (GSPR). ■ che pas sa colère. Le 11 avril, en fin de binet de Nicolas Sarkozy, Christian Charles Jaigu et Vincent Nouzille DENIS/REA

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LE 11 QUAI BRANLY Alexandre Benalla avait reçu l’accord de l’Elysée pour s’installer dans l’une des résidences parisiennes les plus discrètes de la République. Enquête sur un lieu du pouvoir insoupçonnable.

uand Nicolas Sarkozy a négocié la conces- sion du quai Branly avec les Russes, certains dignitaires de la République se sont émus, ra- conte un haut fonctionnaire. On se doutait bien que les bulbes de la cathédrale ortho- Qdoxe cacheraient quelques micros et camé- ras… » Le chantier de Vladimir Poutine avait de quoi in- quiéter le voisinage. Adjacent à l’édifice religieux, un vaste quadrilatère accueille en effet, sans autre signe ap- parent qu’un drapeau tricolore, certaines des personna- lités les plus exposées de la République. Celles qui ont un contact direct et quotidien avec le chef de l’Etat. Le bâti- ment, construit en 1861 pour servir d’écuries, devenu dé- pendance de l’Elysée en 1881, s’étend sur une surface de 5 300 mètres carrés sur laquelle sont répartis 63 appar- tements de fonction de taille variable. « Il est impossible Entre le musée du Quai Branly et la cathédrale russe, habitent d’obtenir un bail dans ce lieu très prisé et bien situé sans une soixantaine de collaborateurs du Président et leur famille. la signature expresse du directeur de cabinet du président de la République », assure un ancien résident. ceux qui sont « tenus par un service d’astreinte » s’acquit- Une trentaine de locataires, considérés comme répon- tent d’une redevance égale à 50 % de la valeur locative, dant à une nécessité absolue de service (« NAS »), sont indexée sur les références les plus basses des logements dispensés de loyer. Selon les informations du Monde, anciens du quartier. Alexandre Benalla y était officiellement domicilié de- Dimanche dernier, quatre têtes blondes en trottinette puis le 9 juillet. En tant que chef adjoint de cabinet, il en composaient un code pour ouvrir l’une des trois portes aurait été exempté au même titre que les conseillers di- derrière lesquelles s’étend une cour arborée avec une plomatiques, le patron de la DGSE, le chef d’état-major vingtaine de voitures garées à l’ombre de marronniers, des armées, le coordonnateur national du renseigne- de ginkgos bilobas et de tilleuls. Au loin, un portique de ment, le chef des cuisines ou celui de l’intendance qui ré- balançoires laisse deviner une résidence familiale. « A sident là avec leur famille. Une liste non confirmée par mon avis, cette colocation ne diffère en rien d’une autre, l’Elysée. Ces résidents paient toutefois des charges, ce note Hubert Védrine qui a refusé l’appartement mis à sa qui représenterait environ, selon une information de disposition à l’époque où il était secrétaire général de 2013, 200 000 € par an. l’Elysée (1991-1995), préférant rester chez lui. La coha- bitation est très discrète, bonjour bonsoir, pas plus que DES APPARTEMENTS BIENTÔT RÉNOVÉS dans n’importe quelle résidence avec un gardien. Ce site Outre sa situation exceptionnelle, sur les rives de la est utile pour loger des personnels techniques et quelques Seine, à quelques pas de la tour Eiffel, l’immeuble ne collaborateurs du Président, peu nombreux, qui doivent se donne pas une impression de luxe excessif. Classé monu- rendre très disponibles. » ment historique depuis 2002, désamianté en 2016, il D’autres personnalités ont refusé de s’y installer. C’est n’aurait pas fait l’objet de travaux depuis des années et, le cas du précédent coordonnateur national du rensei- selon un visiteur du soir, se trouverait « dans un état assez gnement (CNR), l’ex-ambassadeur Didier Le Bret qui, vétuste ». L’Elysée confirme que quatre appartements par pure coïncidence, forme un couple avec Mazarine « en mauvais état » sont en voie de rénovation. Quelques Pingeot. La fille du président François Mitterrand studios et deux-pièces accueillent les lingères de l’Elysée, ayant vécu, elle, une bonne partie de son enfance cachée des officiers de sécurité, des majordomes, certains cuisi- dans les murs du 11 quai Branly avec sa mère, a opposé niers et jardiniers. Ceux qui sont arrivés avant 2013 lo- un « non » catégorique à son compagnon lorsque l’op- gent gracieusement. Depuis que Sylvie Hubac, direc- portunité de s’y installer s’est présentée. « Nous étions trice de cabinet de François Hollande, a clarifié cette sur les listes de Daech, et on nous a proposé le même ap- distribution discrète mais réelle d’avantages en nature, partement, au deuxième étage, dans lequel Mazarine les nouveaux résidents « non NAS » doivent payer un avait vécu. Ce fut sans appel », sourit-il. ■ loyer. En vertu d’une convention d’occupation précaire, Guyonne de Montjou GILLES TARGAT/PHOTO12

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