En couverture LES HOMMES DE MAIN DES PRÉSIDENTS Le « Benallogate », devenu en quelques jours une affaire d’Etat, est révélateur d’un système de pouvoir où la confiance du Président semble aveugler ceux qui le servent. Des gros bras du SAC sous de De Gaulle aux gendarmes de l’Elysée sous Mitterrand, la Vème République est fertile en dérives des « hommes de main » du président, qui se croient parfois tout permis. Par Charles Jaigu et Vincent Nouzille d’élite, qui dépend officiellement du dérives, imputables aux présidents ministère de l’Intérieur. Objectif : don- eux-mêmes. Souvent méfiants à ner plus de liberté aux hommes de l’égard des services officiels, ils préfè- l’Elysée pour faire ce qu’ils veulent. rent parfois s’entourer d’hommes de Omniprésent lors des voyages, promu toute confiance, davantage choisis au rang de lieutenant-colonel dans la pour leur loyauté aveugle que pour réserve opérationnelle de la gendarme- leurs compétences. es barbouzes sont-elles de retour ? L’af- rie sur ordre de l’Elysée, Alexandre Ceux qui reçoivent les injonctions de faire Benalla – ce proche du président Benalla bénéficiait visiblement d’ap- ces « hommes du Président » peuvent Macron accusé de violences lors des puis et de sésames hors du commun. difficilement résister à leurs pres- manifestations du 1er Mai et long- Ses dérapages et les dysfonctionne- sions. L’ancien préfet Rémy Pautrat, temps couvert par l’Elysée – semble en ments qui ont suivi révèlent à quel qui prit en 1985 les rênes de la Direc- Lattester. L’incident initial s’est trans- point le pouvoir élyséen peut aveugler tion de la surveillance du territoire formé en quelques jours en véritable ceux qui ont pourtant promis de chan- (DST), eut ainsi une « explication scandale d’Etat. Les révélations des ger les règles. Emmanuel Macron, qui orageuse » avec les collaborateurs du médias et des enquêtes déclenchées fonctionne, depuis les débuts de son as- président François Mitterrand, lors- dans la foulée n’ont pas fini de sur- cension politique météorique avec une qu’il arrêta de transmettre des rensei- prendre : l’ancien garde du corps du équipe restreinte de collaborateurs, a gnements sur des personnes privées candidat Macron était devenu, depuis entraîné avec lui des militants dévoués que l’Elysée exigeait avec insistance. l’élection de son mentor, un homme tout autant que des carriéristes pressés. A la DST, une « brigade du chef » re- tout-puissant dans l’ombre du Prési- L’ivresse de la victoire et celle du pou- cueillait des informations sensibles dent. Nommé adjoint au chef de cabi- voir ont fait tourner les têtes. réclamées et les transmettait chaque net d’Emmanuel Macron en Il est vrai que les présidents successifs semaine au directeur de cabinet du juin 2017, Alexandre Benalla avait, de la Ve République n’ont jamais lésiné Président. Rémy Pautrat put mettre semble-t-il, la haute main sur la sécu- sur l’emploi de séides et de fidèles, prêts fin à cette pratique parce qu’il avait rité des déplacements présidentiels. Il à tout pour les servir, y compris à fran- l’appui de son ministre de l’Intérieur s’est même vu confier par son patron chir les lignes jaunes. Des sombres his- de l’époque, l’intraitable Pierre Joxe, la mission de réformer le dispositif de toires du Service d’action civique qui avait peu de considération pour sécurité : celui-ci repose essentielle- (SAC), le service d’ordre du parti gaul- l’équipe entourant alors François ment sur le Groupe de sécurité de la liste, aux scandales de la cellule des Mitterrand. Tous les titulaires de la présidence de la République (GSPR), gendarmes de l’Elysée sous François Place Beauvau n’ont pas eu cet esprit composé de gendarmes et de policiers Mitterrand, la liste est longue de ces de résistance ! V.N. ____u 24/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018 Alexandre Benalla, 26 ans, adjoint au chef de cabinet du président de la République, aux côtés d’Emmanuel Macron. STÉPHANE GEUFROI/OUEST FRANCE/MAXPPP GEUFROI/OUEST STÉPHANE 25/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018 ANNÉES DE GAULLE : LES GROS BRAS DU SAC On est très loin, dans le temps, et dans le style, des barbouzeries me- nées dans les années 1960 au nom du général de Gaulle à l’intervention ponctuelle et erratique d’Alexandre Benalla dans une manifestation qui tourne mal. Les turbulences histori- ques en cours dans ces années-là sont d’une autre gravité. Elles por- tent les germes d’une guerre civile. La guerre d’Algérie d’abord, les évé- nements de 1968 ensuite suscitent des initiatives rugueuses de la part du pouvoir gaullien en place. Les ar- chives de Jacques Foccart l’attes- Jacques Foccart, conseiller du général de Gaulle, officiellement en charge de l’Afrique à tent. Le conseiller de De Gaulle à l’Elysée, avait la haute main sur les services secrets et les officines liées au pouvoir. l’Elysée, de 1958 à 1969, a donné des ordres ciblés d’élimination pendant la guerre d’Algérie. Même quand il qui agissait depuis Londres, et Jac- confie dans un livre d’entretien que n’est pas question d’exécutions dis- ques Foccart, lui aussi résistant de la ce sont surtout les événements de crètes – une pratique que François première heure. Ce dernier est le 1968 qui ont ouvert le SAC à des in- Hollande a revendiquée contre les plus en vue. Il est, dès 1958, repéré dividus venus de l’extrême droite ou djihadistes – les services parallèles par la presse comme « homme de du gangstérisme. « Quand il y a le de la Républiques font ce qu’il faut main » du Général, dont il est un fi- feu, on ne demande pas leur casier ju- pour déstabiliser l’ennemi du mo- dèle depuis le début des années diciaire aux pompiers volontaires, des ment : FLN, OAS ou gauchistes de 1950. A l’Elysée, il est chargé de gens peu recommandables en avaient tout poil. Le Service d’action civi- l’Outre-Mer et de la fameuse cellule profité pour s’infiltrer », dit-il à pro- que (SAC) est l’un des canaux de Afrique. Foccart est avant tout pos de la lutte contre les émeutiers cette politique. Il a été créé en 1960 d’une fidélité indéfectible à de de Mai 68. On attribue au SAC une « pour faire connaître la pensée et Gaulle malgré son opposition à l’in- longue liste de forfaits, dont le ta- l’action du général de Gaulle », décrit dépendance de l’Algérie, comme bassage de manifestants devant le sobrement le statut de l’association. l’établit la biographie méticuleuse QG de la France libre, rue de Solfe- Il ne s’agit pas d’un service dépen- de Frédéric Turpin parue en 2015 rino, le 11 mai. L’enlèvement du chef dant de l’Elysée, mais plutôt du bras Jacques Foccart. Dans l’ombre du de l’opposition marocaine Mehdi armé des mouvements gaullistes qui pouvoir (CNRS éditions), qui décrit Ben Barka, en 1965, qui lui a été im- sera dissous par François Mit- un personnage moins noir que sa lé- puté, n’aurait pas été une initiative terrand en 1982, après un règlement gende, et surtout voué corps et âme du SAC. Jacques Foccart est main- de comptes entre anciens du SAC à son chef – il n’amassera aucune tenu à l’Elysée par Georges Pompi- entraînant la mort d’un certain Jac- fortune personnelle. dou. La longévité de sa carrière, ques Massié et de toute sa famille, y Les collaborations du SAC avec « le l’importance politique de son rôle compris un enfant de 7 ans. Au com- milieu » auraient commencé dans dans les années de décolonisation le mencement du SAC, on trouve les années de la guerre d’Algérie, placent très au-dessus des habituels Pierre Debizet, un ancien de la après le départ des grognards du hommes de confiance chargés des France libre et du Bureau central de gaullisme, hostiles à sa nouvelle po- basses œuvres qui entourent depuis renseignements et d’action (BCRA) litique d’indépendance. Foccart toujours les présidents en exercice. 26/ Le Figaro Magazine / 27 juillet 2018 En couverture cret de François Mitterrand : l’exis- tence de sa « deuxième famille », à savoir sa maîtresse Anne Pingeot et sa jeune fille Mazarine, qui sont lo- gées quai Branly, dans une annexe de l’Elysée. Les gendarmes com- mencent donc à accompagner Ma- zarine à l’école ou, lorsqu’elle passe le week-end avec sa mère, dans le do- maine présidentiel de Souzy-la-Bri- che, à l’abri des regards indiscrets. Le système dérape rapidement. Après l’attentat de la rue des Ro- siers, le 9 août 1982, le Président dé- cide de réorganiser la lutte antiter- roriste, dont il dénonce les « carences ». Le commandant Prou- teau, qui supervise déjà sa sécurité personnelle, est chargé de piloter une nouvelle « cellule » élyséenne de coordination et d’action contre le terrorisme. Il a carte blanche pour recruter des agents, procéder à des Le commandant Christian Prouteau (à droite), fondateur et patron du groupe d’élite de la écoutes, recueillir des renseigne- gendarmerie (GIGN), devenu le protecteur des secrets du président François Mitterrand. ments, hors de tout cadre habituel. « J’ai constitué un système paral- lèle », admettra Prouteau. Ses François Mitterrand se repose donc « hommes du Président », venus ANNÉES sur ses fidèles. Son conseiller spécial principalement du GIGN, mais François de Grossouvre, le ministre aussi d’autres services, se croient MITTERRAND : de l’Intérieur, Gaston Defferre, et le tout permis. Au sein de la cellule, ils ministre de la Défense, Charles constituent un « groupe d’action LES COW-BOYS Hernu, estiment que le Président est mixte » (GAM), composé d’une mal protégé.
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