Quels bâtiments bruxellois méritent notre atten- tion en raison de leur génie technique ou leurs matériaux innovants ? Quelle est l’importance de l’ingénieur pour l’architecture et qui étaient ses

DOSSIER DE CONSTRUIRE L'ART Une publication de la Région DOSSIER prédécesseurs ? de Bruxelles-Capitale L’ART DE CONSTRUIRE

Saviez-vous que les cathédrales et les hôtels de ville gothiques étaient déjà renforcés avec du fer N    SEPTEMBRE 2012 forgé afi n d’en augmenter la stabilité ? Que les habitations bruxelloises typiques ont été constru- ites pendant des siècles sans l’intervention d’un architecte ? Que la Belgique en sa qualité de na- tion industrielle jeune et moderne était un pré- curseur de l’architecture métallique et verrière au XIXe siècle ? Ou que l’aménagement d’un parc nécessite d’importants travaux de construction ?

Ce numéro spécial de Bruxelles Patrimoines est consacré à la thématique des Journées du Pat- rimoine. Au travers de diff érents articles, « l’art BRUXELLESPATRIMOINES de construire » vous sera présenté sous diverses facettes.

20 € NUMÉRO SPÉCIAL JOURNÉES DU PATRIMOINE

ISBN : 978-2-930457-84-0

-PB 003-FR-couv def.indd 1 12/08/12 16:54 -PB 003-FR-def.indd 128 12/08/12 23:33 DOSSIER L'ART DE CONSTRUIRE 129

Construire vertical UNE OPTIMISATION ENTRE PLAN ET STRUCTURE

GÉRY LELOUTRE Architecte urbaniste, Université libre de Bruxelles

MICHEL PROVOST Ingénieur civil des constructions, Université libre de Bruxelles

L’immeuble tour a vu son histoire caractérisée l y a peu de types de construction par la recherche d’une relation optimale, presque où mode constructif, conception des espaces et expression archi - mécanique, entre structure, plan et façade, tecturale sont aussi liés que pour Iles immeubles tours. Et si ce lien est si autrement dit entre les disciplines d’ingénierie et fort, c’est avant tout par l’importance d’architecture. Loin des débats passionnés sur que prend la structure dans la concep- l’opportunité de leur construction ou leur impact tion et comment les architectes s’en emparent dans leurs recherches for - sur la ville, cette relation est au centre de l’intérêt melles. Aussi, un rapide aperçu des no- patrimonial qui peut être porté à certaines tours tions structurelles s’impose en guise à Bruxelles. d’introduction. La structure de tous les bâtiments est composée de deux types d’éléments: des plateaux horizontaux et des éléments verticaux qui ramè - nent les charges au sol. Mais pour assu- rer la stabilité des bâtiments, il faut les contreventer, afin de pouvoir reprendre les charges horizontales notamment celles liées à l’action du vent. La spé - cificité structurale des bâtiments éle- vés réside dans les éléments porteurs qui supportent un grand nombre de plateaux et bien entendu dans les élé- ments de contreventement, l’action du Tour de la Prévoyance Sociale, vent sur ces immeubles étant beaucoup rue Royale, Saint-Josse-ten- plus importante. Noode (M. Vanhulst © MRBC).

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Les éléments porteurs sont soit des élé- uns aux autres pour former un noyau ments isolés, des colonnes, soit des élé- est ne ement plus efficace, plus raide et ments linéaires, des murs quand ils plus résistant qu’un ensemble de voiles sont en maçonnerie, des voiles quand indépendants. Dans ce noyau, ce tube ils sont en béton armé. Les colonnes vertical, sont logées les circulations qui sont privilégiées dans les immeubles desservent le bâtiment (ascenseurs, es- tours de bureaux afin de libérer au calier, gaines techniques,…). Pour les immeubles de bureaux, ce C’est principalement dans la conception du noyau est la ou l’une des co- contreventement que les structures des tours lonnes vertébrales du bâti- se différencient de celles des immeubles de ment. Il est placé au centre de la tour, là où il est le plus plus faible hauteur. Dans le cas des bâtiments efficace. Les dimensions du à ossature en béton, le contreventement est noyau central nécessaires obtenu par des voiles en béton armé qui se pour résister aux sollicita- développent sur toute la hauteur du bâtiment. tions augmentent propor- tionnellement avec la hau- teur du bâtiment. Dans les maximum les plateaux. Vu le grand tours de grande hauteur le noyau est nombre d’étages, il faut recourir à des donc plus important et les surfaces pé- matériaux performants pour que les riphériques dites nobles se réduisent. À dimensions de ces colonnes soient ac- partir d’une certaine hauteur de tour, ceptables. La possibilité de réaliser des la solution du noyau central n’a plus tours est donc liée à la capacité por - beaucoup de sens et il est préférable tante de ces matériaux. Si les colonnes de considérer que la totalité de la tour de l’Empire State Building avaient été en constitue le noyau. Les façades sont maçonnerie, elles occuperaient au rez- alors des voiles de béton armé ou mé- de-chaussée une surface supérieure à talliques, percés de baies. Ce e solution, celle de l’emprise du bâtiment! À la fin qui était celle utilisée pour les tours du du XIXe siècle, pour les premiers gra e- WTC de New-York, ne concerne pas ciel de Chicago, la seule réponse pos - les tours dans la région bruxelloise qui sible était l’acier. Cette tradition s’est sont de relative petite taille, et contre- maintenue aux États-Unis, tandis qu’en ventées par un noyau central le plus Europe on s’est plutôt tourné vers le bé- souvent en voiles de béton armé. ton armé. Du point de vue de la résis - tance à la compression, l’acier est plus performant que le béton mais il est plus DES MAISONS ÉNORMES vulnérable en cas d’incendie. La résis- tance du béton a fortement augmenté, L’émergence des premières tours dans le ce qui rend aujourd’hui son usage gé - ciel bruxellois de l’entre-deux-guerres néralement possible, même pour les est précisément le fruit de la rencontre immeubles élevés. Pour les colonnes entre une technologie arrivée à maturi- Fig. 1a les plus chargées, celles des étages in - té –l’ossature en béton arm鍖 et un be- Pavillons Français en férieurs, les colonnes sont dites mixtes, soin spécifique du marché immobilier. construction. L’ossature en un profil d’acier enrobé de béton. S’al- Celui-ci se caractérise en effet par le dé- béton est visible. Le premier lient ainsi les performances méca - veloppement de l’immeuble à appar- étage a déjà reçu son remplissage par des murs en niques du premier et la qualité ignifuge tements, lequel remplace progressive- maçonnerie (Bâtir, 28, 15 mars du second. ment, pour la clientèle huppée, l’hôtel 1935, p. 103). C’est principalement dans la concep- particulier, devenu trop onéreux. L’im- tion du contreventement que les struc- meuble à appartements permet en ef- Fig. 1b tures des tours se différencient de celles fet de collectiviser un certain nombre Le chantier des Pavillons des immeubles de plus faible hauteur. de services, comme une conciergerie, Français, aile attenante à Dans le cas des bâtiments à ossature des chambres de bonnes, le chauffage la rue du Noyer. L’ossature en béton, le contreventement est obte- central, etc. L’ossature en béton armé, la est achevée et rendue nu par des voiles en béton armé qui se hauteur et les volumes que celle-ci ren- complètement invisible développent sur toute la hauteur du bâ- dent possibles vont amplifier ce prin- en façade par le travail de timent. Ces voiles sont soit isolés, soit cipe de collectivisation. Un promoteur, remplissage (Bâtir, 28, 15 mars 1935, p. 104). groupés. Un ensemble de voiles liés les Lucien Kaisin, va pousser ce potentiel

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au maximum en mettant sur le mar - ché deux immeubles emblématiques qui restent exceptionnels dans le pay- sage bruxellois: le Résidence Palace, rue de la Loi, signé par Michel Polak et les Pavillons Français, rue du Noyer, par Marcel Peeters. Au confort moderne que peut offrir un immeuble à apparte- ments, il ajoute pour le premier des fa- cilités sportives, une cuisine générale pouvant livrer des repas aux locataires, un restaurant. Le second est équipé d'un parloir au rez-de-chaussée et d’un sub- til système de gaines postales pour la distribution du courrier.

Si les ingénieurs peaufinent la tech - nologie structurelle, les architectes s’emploient à empiler au mieux des logements destinés à une clientèle bourgeoise. Le décalage est frappant entre d’une part la modernité et la ra- tionalité de la structure et d’autre part l’expression architecturale très conven- tionnelle pour l’époque. En effet, la fa- çade nie complètement la forme de la structure en ossature de béton. Celle-ci est recouverte d’un mur en maçonnerie, souvent ouvragé, référant à une archi- tecture de murs porteurs, comme c’est le cas pour les Pavillons Français (fig. 1a et 1b), la Résidence de la Cambre, boule- vard Général Jacques, construite par le fils de Lucien Kaisin1 et également des- sinée par Marcel Peeters (fig. 2), ou en- core l’immeuble Insula au square Ver- gote de l’architecte Georges France en 19372. Ce e volonté de continuité avec la tradition contructive de la ville exis- tante se prolonge à l’échelle urbanis - tique. Les ailes du Résidence Palace, qui s’articulent autour d’une place inté- rieure, jouent habilement avec la confi- Fig. 2 guration du quartier, tantôt en inté - rieur d’îlot, tantôt à front de rue. Les La résidence du Bois de La Cambre: les façades Pavillons Français, qui optent pour une 3 latérales et arrière laissent implantation en site propre , au milieu voir l’ossature en béton et son d’un jardin, ne dérogent pourtant pas à remplissage en briques la tradition conventionnelle de l’urba- (A. de Ville de Goyet © MRBC). nisme de tracé hérité du XIXe siècle, af- fichant une façade avant très travaillée –qui s’articule bien avec l’embranche- ment de la rue Hobbema– au contraire d’une façade arrière nettement plus sobre (voir fig. 1a et 1b).

La nouveauté de la construction en hauteur ne semble pas non plus

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Fig. 3a et 3b Plan d’un étage des Pavillons Français et photo du salon de l’un des appartements (Bâtir, 27, février 1935, p. 59 et 58).

Fig. 4 Plan étage type Résidence Léopold (Bâtir, 65, avril 1938, p.162.).

Fig. 5 La Résidence Léopold (Rythme, 21, avril 1957, p. 11).

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Fig. 6 Vue perspective de la place du Luxembourg selon le plan Malfait pour la transformation du quartier Léopold. On aperçoit la silhouette de la Résidence Léopold en second plan (Archives de la Commune d’Ixelles).

affecter le plan des logements qui re - personnel de maison6 qui, dans le Rési- des architectes, Raphaël Verwilghen et prennent les agencements et les spatia- dence Palace, cas unique, dispose de son Jean-Jules Eggericx, qui jouent tous les lités des grandes maisons et villas pa - propre logement dans l’appartement. deux un rôle fondamental dans le dé - triciennes. Le discours des architectes veloppement des cités-jardin en Bel - de la première moitié du XXe siècle tra- L’évolution de la forme des logements gique, n’est certainement pas étrangère hit d’ailleurs ce e ambiguïté entre ré- et leur expression architecturale ne à ce e évolution. Tous deux se sont for- volution structurelle et conformisme suivent donc pas celle de la technique, tement impliqués dans la réflexion sur architectural. Auguste Perret, célèbre mais bien de la société. En témoignent la forme moderne de l’habitat au tour- architecte français et précurseur des les lignes épurées des quatorze étages nant de la première guerre mondiale. structures en béton armé, s’enthou - de la tour de la Résidence Léopold, rue Cette simplification et cette relative siasmera dès 1904 pour le potentiel de ouverture du plan trouvent densification et de modification mo- La nouveauté de la construction en hauteur un écho dans la façade mar- numentale du paysage parisien de ces ne semble pas non plus affecter le plan des quée par un empilement «maisons énormes» qu’il voit éclore logements qui reprennent les agencements strict de bandeaux continus aux États-Unis4. Les réalisations des im- sur tout le pourtour du bâti- meubles à appartements trouvent en et les spatialités des grandes maisons et villas ment, recouverts de plaques effet un large écho en Europe et sont patriciennes. Le discours des architectes de pierre artificielle rosée d’ailleurs largement publiées dans de la première moitié du XXe siècle trahit prises entre deux cordons les revues belges. La Cité par exemple d’ailleurs cette ambiguïté entre révolution en béton de quartz. Ces ban- consacre un numéro entier au dessin deaux en encorbellement et des plans des logements américains structurelle et conformisme architectural. le maintien des pilastres en de standing5. Alors que la construction retrait de la façade expri - avec ossature rendait structurellement du Luxembourg, qui se démarquent ment enfin directement le potentiel inutile la présence de murs importants, des réalisations précédentes par l’ex- plastique que recèle une structure en tous montrent des pièces qui restent pression de la façade, mais également béton armé (fig. 5). La Résidence Léo - très cloisonnées (fig. 3a et 3b). Celles- par leurs plans. Rassemblant les fonc- pold semble ouvrir une réflexion de ci correspondent au goût de la haute tions de jour dans un même espace –le fond sur la conséquence de la hauteur société pour une succession d’espaces séjour–, ainsi qu’une cuisine spacieuse sur le dessin des logements et de leur à la fonction très précise –le salon, le à proximité de celui-ci, ils se veulent rapport à l’extérieur. Elle devait être le boudoir, la salle à manger, le bureau…– plus rationnels, adaptés à la «civilisa- fer de lance d’un projet plus vaste de et une circulation distincte pour le tion ménagère»7 (fig. 4). La personnalité transformation du quartier Léopold

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Fig. 7 Chantier de la tour PS, montrant l’ossature métallique périphérique, 1957 (Rythme, 21, avril 1957, p. 14).

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dessiné par François Malfait en 1935 et Victoria Régina, la voie express qui am- porté par la commune d’Ixelles, mais pute une partie du parc néoclassique resté dans les cartons (fig. 6). Le soin du Jardin Botanique pour adapter la pe- apporté au raccord avec l’existant et le tite ceinture à la circulation routière. dégagement de la partie supérieure dé- Ce premier jalon du lien particulier notent toutefois d’une volonté, non de entre tour et infrastructure recherche, bouleverser la structure urbaine exis- comme le voulait le jury du concours tante, mais bien de la densifier, avec d’architecture, un nouvel équilibre for- une certaine dose de monumentalité. mel, moderne, où la linéarité des serres néoclassiques est contrebalancée par Fig. 8 «un puissant volume vertical, de même Photo de la maquette du LA TOUR DANS LA VILLE caractère matériel»10. Un équilibre mo- projet pour un quartier du XXe derne qui se cherche encore, hésitant siècle, partie autour du parc du Jardin botanique (Habiter, L’évolution est radicale à la seconde entre, d’une part le respect de l’aligne- 24, décembre 1963, p. 38). moitié du XXe siècle: la tour devient ment et l’usage de matériaux tradition- un acteur assumé de la transformation nels pour le socle et, d’autre part une fondamentale de la structure urbaine volumétrie expressionniste pour les de l’après-guerre. Les tours ne s’intè - étages. Celle-ci est renforcée par les fa- grent plus seulement dans un proces- çades en murs rideaux de verre et d’alu- sus progressif de densification, mais minium –matériau à la pointe pour sont appelées à accompagner la trans- l’époque–, et la pergola qui chapeaute le formation de la ville en une métropole dernier étage. tertiaire internationale et son adapta- La structure de ses quatorze étages su- tion à la voiture. Dans la foulée de l’or- périeurs, conçue par le bureau d’études ganisation de l’Expo 1958, qui donne Verdeyen et Moenaert, est d’ailleurs tout le coup d’envoi de la reconversion de à fait innovante et est enveloppée, pour la première fois en Belgique, L’évolution est radicale à la seconde moitié d’une façade en mur rideau, e c’est-à-dire une simple peau du XX siècle : la tour devient un acteur non portante. Les plateaux assumé de la transformation fondamentale de planchers nervurés en bé- de la structure urbaine de l’après-guerre. ton armé reposent sur trois Les tours ne s’intègrent plus seulement dans type d’éléments porteurs: sur les éléments verticaux un processus progressif de densification, de la charpente métallique mais sont appelées à accompagner la centrale de contreventement transformation de la ville en une métropole du bâtiment, sur quatre co- tertiaire internationale et son adaptation lonnes métalliques enro - bées de béton et sur de pe - à la voiture. tites colonnes métalliques en façade. Ces dernières l’économie de tout le pays vers une in- sont recouvertes par les montants du dustrie de services poussée par le posi- mur rideau, montants qui confèrent tionnement de Bruxelles comme capi- à la tour l’élévation élancée et ner - tale européenne8, les grands boulevards veuse aux éclats métaliques qui la ca - hérités du XIXe siècle sont progressi- ractérise (fig.7 ). Cette structure dans vement transformés en autoroutes ur- laquelle le contreventement est réali- baines, selon le plan de l’administra - sé par une charpente métallique plu - tion des Travaux publics qui dispose de tôt que par des voiles en béton, est un larges moyens pour financer la démoli- exemple unique d’une typologie impor- tion du bâti préalable à une rénovation tée des États-Unis par l’architecte Hugo moderne du tissu urbain9. Les tours ap- Van Kuyck. paraissent aux croisements des nou - velles autoroutes urbaines. La tour PS sera finalement englobée La première d’entre elles, et peut-être dans un plan général pour «un quar - la plus emblématique, est celle de la tier du XXe siècle» mis en œuvre par Prévoyance Sociale, terminée en 1957, la commune de Saint-Josse-ten-Noode qui domine magistralement l’avenue (fig. 8), s’étalant des pourtours du Jardin

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L’ALUMINIUM EN CONSTRUCTION, est un atout pour les structures de grande réalisé par un procédé emprunté directement DÉVELOPPEMENT D’APRÈS-GUERRE portée en réduisant considérablement à l’industrie aéronautique. À la même leur poids mort. Quelques années plus époque, ce matériau se retrouve aussi dans Dès les années 1930, l’aluminium prend une tard, l’aluminium sera délaissé au profit de plusieurs bâtiments considérés aujourd’hui place importante dans l’architecture grâce l’acier plus économique, à nouveau produit comme majeurs en Belgique et en Région aux mouvements Bauhaus et moderniste. en quantité suffisante pour répondre à bruxelloise. Par exemple, le nouveau bâtiment La légèreté du matériau, sa résistance à la demande. L’aluminium est néanmoins de l’aéroport international de Bruxelles la corrosion, la possibilité de réaliser des encore utilisé en architecture pour l’image (1958, architecte M. Brunfaut) l’utilise pour la formes complexes par moulage ou extrusion, high tech qu’il véhicule ainsi que grâce structure et les éléments de parachèvement : et la diversité d’état de surface sont des à l’industrialisation des processus de couverture, plafond, façades, portes… La qualités appréciées dans le secteur de la construction. tour PS (1957) est habillée de murs rideaux en construction. aluminium. En 1965, l’aluminium est également En Belgique, l’, exprimant le présent dans la façade de la tour Madou. Par son usage en aéronautique, la production renouveau, le « tout est possible », remet Aujourd’hui, l’aluminium est encore très utilisé de l’aluminium a fortement augmenté l’aluminium à l’honneur. Présent dans une en construction, majoritairement pour des pendant la Seconde Guerre mondiale, quinzaine de pavillons, l’aluminium est utilisé éléments de façades ou des parachèvements. pour atteindre en 1943 un volume multiplié dans les structures remarquables telles que le par quatorze en comparaison à celui de Pavillon des Transports, dont la structure et la 1933. Cet aluminium était destiné presque couverture sont entièrement en aluminium, à exclusivement à la filière aéronautique. exception des colonnes en acier (l’architecte En 1945, la demande de cette industrie Montois, l’ingénieur Lipski, a obtenu le Prix chute brusquement et les producteurs Reynolds décerné par l’industrie américaine d’aluminium sont donc obligés de trouver de l’aluminium), le Pavillon de l’URSS, les rapidement d’autres débouchés. Dans cette façades du Palais 11 et bien entendu la peau période d’après-guerre, la reconstruction de l’. Le choix d’une enveloppe est pressante et nécessite beaucoup de en aluminium a été déterminé par la moyens. L’aluminium va alors s’imposer légèreté du matériau, sa facilité de mise en comme matériau de substitution à l’acier, en œuvre et le fini de surface remplissant les Photo d’un avion de la Sabena devant la forte pénurie, pour les structures portantes. conditions désirées. Cette tôle d’alu de 1,5 nouvelle aérogare de Maxime Brunfaut. Sa densité, environ le tiers de celle de l’acier, mm d’épaisseur offre un rendu ‘poli miroir’

botanique à la place Madou 11, où la d’utilité publique, et d’autre part la loi les grandes lignes. Cette structure est construction de la tour du même nom De Taeye de lutte contre les taudis de composée de trois types d’éléments: s’accompagne d’un élargissement no- 1953. Face au refus du Ministère de la un noyau dans lequel sont rassem - table de l’espace public. Ce plan vise santé publique de déclarer le quartier blées les circulations verticales, qui as- également l’augmentation de la capaci- Nord insalubre pour bénéficier de la sure le contreventement et la reprise té de l’axe de la chaussée de Louvain en loi De Taeye, la Ville de Bruxelles remet d’une partie des charges verticales, des le dédoublant par la rue Scailquin, dont un premier projet de transformation colonnes en périphérie (à proximité ou les abords sont complètement refaçon- du quartier Nord élaboré entre 1958 et en façade), d’éventuelles colonnes in- nés par une barre et une tour de loge - 1962, portant essentiellement sur du lo- termédiaires (si la distance entre noyau ments intégrant une station service. gement, pour adopter en 1967 un plan et façade est trop importante). Ce sont fondé sur un carrefour autoroutier im- la position et la forme du noyau d’une planté comme par enchantement en part, le type et la localisation des appuis LE CONTREVENTEMENT plein centre du quartier, le tristement en façade d’autre part qui déterminent DES TOURS DE BUREAUX célèbre plan Manhattan 12(fig. 9). Au l’architecture de la tour. Ce e architec- plan Manha an sont durablement liées ture résulte donc d’un intense dialo - De manière générale, deux sources de dans la mémoire collective les quatre gue entre architectes et ingénieurs, tant subventions sont mises à la disposi - tours WTC érigées sur un socle haut de ceux qui s’occupent de la structure que tion des pouvoirs publics locaux pour 13 mètres de hauteur. Elles représen - ceux qui s’occupent des équipements stimuler la transformation de la ville tent l’archétype et en même temps l’af- du bâtiment, des ascenseurs, de la ven- par la démolition du bâti ancien. D’une fligeante banalité de la tour tertiaire de tilation et des gaines qui y sont dé- part, le Fonds autonome des Routes, la seconde moitié du XXe siècle, dont la diées. La solution la plus évidente est dans le cas de projets de mobilité structure est toujours identique dans de placer le noyau au centre de la tour.

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Fig. 9. Quartier Manhattan (W. Robberechts © MRBC).

L’action du vent étant la même dans jours pour l’érection du noyau d’une Fig. 10 toute les directions. La forme et les di- tour de 112 m de haut. Il était donc Schémas en plan d’une tour mensions du noyau sont dictées par les possible de voir monter le tube de bé- rectangulaire, de la tour éléments qu’il englobe. Il peut être car- ton en temps réel de façon continue à Madou et de la (dessins et collage Géry ré rectangulaire ou encore en forme de une vitesse minimale 15 cm par heure! Leloutre). losange (fi g. 10). C’est la première application en Bel- gique pour un bâtiment de cette tech- Ce lien entre forme du noyau et volu- nique utilisée la première fois aux USA métrie générale du bâtiment est parti- dans les années 1920 pour des silos à cé- culièrement évident dans le cas de la réales. Pour garder l’avantage de rapidi- tour Madou, conçue par Robert Goff aux té de la construction du noyau central entre 1963 et 1965. Le losange qu’adopte par coffrage glissant, il n’est pas pen- le plan amène une équidistance perma- sable de réaliser le solde de la structure nente entre le noyau central et la façade en béton coulé sur place. Les colonnes, dont la pliure, si elle évite la création les poutres de rive et les poutrelles de qu’angles morts, induit un eff et visuel plancher sont dès lors métalliques et panoramique digne de la hauteur spec- très rapidement montées. Contraire- taculaire de l’édifi ce. La forme du noyau ment à la tour PS, les colonnes sont ici est ici d’autant plus emblématique qu’il en recul de 60 cm par rapport à la fa- fut coulé en continu selon la technique çade, elles sont plus espacées –six co- du coff rage glissant, qui off re une rapi- lonnes pour la grande façade– et elles dité extraordinaire d’exécution, soit 35 sont de plus grande section. Elles ont

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Fig. 11a La tour du Midi en chantier (La technique des travaux, nov-déc 1966).

Fig. 11c La tour du Midi (nouvelle façade) (W. Robberechts © MRBC).

Fig. 11b Croquis explicatif du système constructif de la tour du Midi (Bruxelles sur les traces des ingénieurs bâtisseurs).

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Fig. 12 Fig. 13 L’immeuble Berlaymont La tour ITT (W. Robberechts © MRBC). (W. Robberechts © MRBC).

le même diamètre extérieur pour tous R. Aerts, P. Ramon, Y. Blomme, J. Pe- inférieur. Ces suspentes et colonnes les niveaux, mais l’épaisseur des tôles et tit, A. Bressers, A. Van Ackers, M. Lam- sont placées à l’extrémité des porte-à- la qualité des aciers évoluent en fonc- brichs et J. Van Dosselaere et de l’ingé- faux, dans le plan des façades. De par tion de la charge et donc des étages. Le nieur A. Lipski. On peut supposer que leur faible section –elles ne reprennent mur rideau, formellement complète- le mariage d’un si grand nombre d’ar- qu’un seul étage– elles sont totalement ment indépendant, adopte une expres- chitectes et d’un ingénieur brillant a intégrées dans les murs rideau de fa - sion uniforme et neutre par rapport à laissé libre cours au génie très inventif çade. Mis à part son noyau central, la la structure. de celui-ci. Sa structure particulière se tour du Midi est un bâtiment sans co - compose d’un noyau central carré de lonne et donc surtout sans leur encom- Traduction li érale du rôle central que 20 m de côté sur lequel s’appuient des brement (fig. 11b). Une prouesse que le joue le noyau dans la structure d’un im- poutres en porte à faux de 10 m, ce qui remplacement de la façade originelle meuble élevé, la tour du Midi est entiè- donne une tour carrée de 40 m de côté. transparente (fig. 11c) par un mur ri - rement suspendue à son bloc technique. Ces poutres sont des éléments métal- deau en miroir sans tain polychrome et Extrême par sa structure en lévitation liques enrobés de béton imaginés par esthétisant, exécuté par l’architecte Mi- l’ingénieur A. Lipski sous le chel Jaspers, a malheureusement rendu Traduction littérale du rôle central que joue nom de poutres Preflex. La complètement invisible. «préflexion» vise l’obtention le noyau dans la structure d’un immeuble d’une grande raideur pour Également rénové sans beaucoup de élevé, la tour du Midi est entièrement une hauteur relativement mise en lumière de sa structure, le Ber- suspendue à son bloc technique. Extrême par faible, qui permet des porte- laymont (Jean Gilson, André et Jean sa structure en lévitation sur l’espace public, à-faux importants sans en- Polak) (fig. 12).est aussi un bâtiment combrement de poutre ex- sans colonne, mis à part les voiles cen- elle l’est également par sa hauteur. cessif (fig. 11a). Pour des traux. Là aussi il est question de porte- raisons d’encombrement au à-faux mais l’approche structurale est sur l’espace public, elle l’est également croisement des poutres et d’économie, différente. Au sommet des voiles sont par sa hauteur. Commandée en 1962 les plateaux fonctionnent structurale- placées de grandes poutres Préflex de et achevée en 1967, avec ses 150 m de ment par paire de sorte que le plateau 9 m de porte-à-faux de chaque côté. haut et ses trente-huit étages, elle reste inférieur est suspendu partiellement Tous les plateaux du bâtiment qui en aujourd’hui la plus haute tour de Bel- au plateau supérieur et que ce dernier compte treize sont d’une part appuyés gique. Elle est l’œuvre des architectes est partiellement appuyé sur le plateau sur les voiles centraux et d’autre part

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suspendus à l’extrémité des porte-à- revêtues d’une tôle noire13 (fig. 14). de l’organisation générale de l’édifice. faux de ces poutres. Les plateaux sont Une technique très répandue à Le volume, plutôt massif, est rythmé donc supportés en façade non pas par Bruxelles, testée sur la tour PS où il par d’immenses surfaces vitrées per - des colonnes mais par des suspentes. s’agissait de poutrelles métalliques, est çant des aplats de pierre qui correspon- En effet, les colonnes risquent de se dé- le recours à de petites colonnes préfa- dent aux contreventements assurés par rober, de «flamber» sous l’effort, ce qui briquées intégrées dans le plan de la les murs des pignons et par le noyau n’est pas le cas pour les suspentes. Grâce façade (fig. 15). C’est l’option des ingé- de circulation excentré en façade laté- à cela, la section des suspentes, et donc nieurs Verdeyen et Moenart avec l’ar- rale ouest (fig. 18). La tour Assubel s’im- leur encombrement, sont ne ement in- chitecte André Guillissen pour l’Insti- plante dans une zone serpentant dans férieurs à ceux des colonnes, ce qui faci- tut de physique de l’ULB14. Couplé à un tout le pentagone et destinée à contenir lite leur intégration dans la façade, qui de nouveaux équipements se voulait la plus transparente possible. La tour ITT et, plus tard, la tour de la ainsi que du logement, qui Si l’ingénieur A. Lipski dégage les pla- comprend d’ailleurs plu - teaux de leurs colonnes structurelles, Cité administrative de l’État sont de bons sieurs opérations impor - l’architecte Walter Bresseleers va exemples de la manière dont les éléments tantes menées par le Foyer jusqu’à en extraire le noyau pour la tour structuraux sont mis à profit dans la bruxellois, comme les barres ITT (1968-1973) qui en présente en réa- recherche plastique des concepteurs. de logements du Rempart lité deux: un empilement de plateaux, des Moines ou le complexe potentiellement complètement déga- de la Querelle, dans les Ma- gés de tout volume plein et le noyau noyau technique extérieur, cela donne rolles. Cette zone a été définie par un extérieur. Ainsi excentré, le noyau doit des plateaux avec une rangée centrale plan directeur d’urbanisme dressé en supporter des sollicitations plus fortes. unique de pilastres, ouverts à différents 1962 par le bureau Tekhné (fig. 19), Le revêtement des façades joue sur le usages et modulables dans le temps chargé par les autorités communales contraste des fonctions, avec un bardage (fig. 16). Une tour aux façades portantes d’adapter le centre de Bruxelles aux de lamelles verticales en aluminium suffisamment étroite peut se passer changements exigés par le monde mo- noir pour les surfaces utiles, sensé, mais de support intermédiaire, c’est le parti derne. sans succès, évoquer la transparence pris par le bureau d’architecture Hen- des plateaux et de la pierre blanche, en ry Montois pour le siège de la s.a. Sol - En prolongation du plan des routes, le couverture du béton du noyau (fig. 13). vay à Neder-Over-Heembeek, rue de plan Tekhné prévoit la protection to - Ransbeek (1969)15. Ce e tour adminis- tale d’un périmètre autour de la Grand- trative forme le pendant d’un long vo- Place, ceinturé par un petit ring à sens L’EXPRESSION DE LA STRUC- lume horizontal qui regroupe les labo- unique. Les principaux croisements TURE ET DU PROGRAMME ratoires pour lequel les colonne es de routiers, traités en échangeurs, sont ac- la structure périphérique ont été réso- compagnés de plans de transformation La tour ITT et, plus tard, la tour de la lument détachées de la façade (fig. 17). radicale du bâti, dont le plus éloquent Cité administrative de l’État sont de La répétition de petits éléments de est sans doute celui pour la construc - bons exemples de la manière dont les structure confère à l’édifice un caractère tion de la tour Philips et du nouveau éléments structuraux sont mis à pro- sculptural. Un effet similaire est généré complexe administratif que se parta- fit dans la recherche plastique des par l’usage non plus de colonnes mais gent l’hôtel des Postes et l’administra- concepteurs. Si le noyau reprend bien de cadres préfabriqués, comme pour tion communale, à bâtir sur une galerie entendu une partie des charges verti- l’immeuble du Foncolin (A. Jacqmain, commerciale et la double station de mé- cales, les colonnes supportent le reste. J. Wabbes et V. Mulpas) ԍaujourd’hui dé- tro De Brouckère (fig. 20). Le lien entre La limitation de leur encombrement moliÔ qui marque l’avènement du béton architecture et infrastructure de mobi- est donc un enjeu spatial, aussi peu - architectonique, en 1957, suivi plus tard lité est ici évident et spectaculaire. vent-elles être rejetées en façade. Dans des célèbres sièges de la Banque Lam- ce cas, la structure portante peut par- bert (aujourd’hui ING, place du Trône, L’imposante structure en béton du ticiper à l’expression de la façade. Les architectes SOM, 1959-1960) et de la s.a. socle de la tour Philips (1969) assure architectes André et Jean Polak, avec CBR (chaussée de la Hulpe, Constantin un abri aux passagers des transports en le bureau d’études Sétesco, l’avaient Brodzki, 1968-1970). commun et permet de ponter la voie bien compris pour conférer à la tour courbe du terminus des lignes de bus des assurances Generali, sur l’avenue La structure apparente s’intègre par - tout en ouvrant largement les deux sur- Louise, un caractère expressionniste fois dans une composition architec - faces commerciales du rez-de-chaussée. monumental, en plaçant les châssis turale plus générale. Dans le cas du La stabilité, étudiée par le bureau Geci- non plus en mur rideau mais en re - centre médico-chirurgical d’Assubel tra, relève de la gageure. Pour diminuer trait de la structure périphérique. Le (architectes Charles Verhelle et Hen- les délais de construction, le coffrage débord des planchers, rehaussé par un ry Profiter, stabilité J.L. Cnops) dans le glissant du noyau central est en effet habillage en inox, joue un rôle de pare pentagone bruxellois, les colonnettes entamé avant que les fouilles de fonda- soleil et accueille des colonnes en acier participent à l’expression en façade tion ne soient totalement terminées 16.

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Fig. 15 Série de plans des tours Trieste, Institut de Physique, Assubel, Solvay (dessins et collage Géry Leloutre).

Fig. 14 Détail technique en coupe du débord en façade (La Maison, 1, 1968, p. 38).

Fig. 17 La construction du siège Solvay à Neder-Over- Heembeek en 1966. La structure des colonnettes en béton est clairement visible (Architecture, 70, 1966).

Fig. 16 Institut de Physique (Architecture, 68, janvier- février 1966, p.336).

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Fig. 19 Plan Tekhné 1962 avec les axes de mobilité, carrefours principaux et la zone d’équipements (collage par Géry Leloutre des diff érentes facettes du plan tel que publié dans la revue Habiter n°24 de décembre 1963).

Fig. 18 La tour Assubel : les grandes surfaces des parties ajourées s’alternent avec les parties pleines (La Maison, 8, août 1965, couverture).

Il s’agit là d’une application précoce particulière en H qui optimalise la sur- socle. À l’échelle du détail, au niveau du du système dit up and down par lequel, face de bureaux directement en contact socle, le vitrage de la plinthe, l’intégra- après la réalisation d’une partie des avec la lumière naturelle, dont le carac- tion des enseignes commerciales et de fondations, généralement profondes, tère compact est sans doute lié à la ser- l’éclairage public dans le calepinage de la superstructure des plateaux hors vitude de vue depuis la Grand-Place qui la pierre de parement font l’objet d’un sols, les infrastructures des plateaux en en a fi xé la hauteur17 (fi g. 21). Le résultat soin particulier. La recherche plastique sous-sol et le solde des fondations sont fi nal est un mariage réussi entre struc- de l’articulation de volumes distincts réalisés simultanément. Cette tech- ture et architecture. Chaque élément liés à une fonction bien particulière nique a encore été récemment utili- constitutif de l’édifice est clairement montre bien la complexité program- sée pour l’érection de la tour Dexia. La articulé. À l’échelle globale, la tour pro- matique voulue par le plan Tekhné pour tour en tant que telle adopte une forme prement dite est en lévitation sur le les diff érentes réalisations.

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Fig. 20 Coupe cavalière de la station de métro De Brouckère avec le Centre administratif de la Ville de Bruxelles et l’immeuble Phillips (Ministère des Communications, brochure de présentation des travaux du tunnel de Brouckère-Anneessens sous les boulevards du centre).

Fig. 21 Schéma montrant la servitude de vue depuis la Grand-Place qui fixe la hauteur de la tour Phillips (Architecture, 92, 1969, p. 601).

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VIVRE EN HAUTEUR

Le plus clair et le plus bel exemple de la tour multifonctionnelle à Bruxelles, la tour Rogier dessinée par Jacques Cuisi- nier, est un habile assemblage de typo- logies bien calibrées: un socle commer- cial d’où ressort un théâtre en façade, une tour de bureaux compacte et verti- cale, une barre de logements à l’arrière, perchée sur des surfaces pour foires d’exposition et bien sûr le célèbre bar Martini qui donna son nom au com - plexe (fig. 22). Ce e barre de logements, courbe et longiligne, à l’arrière de la tour Rogier est très emblématique de la re- cherche de l’habitat moyen en Région bruxelloise dans les années 1960 et 1970. La forme allongée de la barre est le résul- tat direct de la volonté de combiner une qualité lumineuse des appartements via des plateaux très peu profonds et traver- sants, avec un système constructif écono- mique qui se prête bien aux espaces plus cloisonnés des logements, à savoir une structure par voiles traversant de béton Fig. 22 armé qui assurent un contreventement La tour Rogier (démolie) transversal de l’immeuble. Le contre- (© Chr. Bastin & J. Evrard ventement longitudinal est obtenu faci- © MRBC). lement grâce aux noyaux de circulation verticale. Le problème du contrevente- ment longitudinal est généralement fa- cile à régler, l’action du vent étant plus faible vu la faible largeur du bâtiment. Avec la courbure de la barre, Jacques Cui- siner tente d’optimiser le système struc- turel par rapport au plan. Les voiles, po- sitionnés en trapèze, se resserrent du côté de la bonne orientation, totalement dédié au séjour, tandis qu’il s’évase côté ouest perme ant opportunément l’amé- nagement du plus grand nombre de chambres à coucher. Le modèle, dit de la typologie en falaise, se répètera pour plusieurs de ses réalisations, comme le Brusilia de trente-quatre étages (fig. 23), la résidence Biarritz, le long des étangs d’Ixelles, ou encore la très sculpturale tour du parc des Étangs à Anderlecht. Contraint par l’administration commu- nale de Schaerbeek de suivre la courbe de l’embouchure du boulevard Léopold III18, l’architecte Josse Franssen se verra quant à lui confronté à une situation in- verse, qui amènera la solution originale d’intégration, côté sud, d’un studio mo- Fig. 23 noface entre deux grands logements tra- La tour Brusilia, avenue versants (fig. 24). Louis Bertrand, Schaerbeek (W. Robberechts © MRBC).

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Fig. 24 Plan-type Amelinckx.

L’EXPRESSION DE LA PRÉFABRICATION

Bien qu’initiée à la fin du XIX e siècle avec les débuts du béton armé, c’est la demande pressante de logements après la Seconde Guerre mondiale qui don- nera l’impulsion du développement de la préfabrication. Le logement, des es- paces cloisonnés superposés, s’y prête Fig. 25. bien. Si pour certains architectes, le La tour Europa I, boulevard stade ultime de cette préfabrication Léopold III, Schaerbeek, était l’empilement de cellules préfa - en 1966 (Architecture, 70, briquées totalement parachevées, le 1966, p. 345). monde de la construction s’est progres- sivement tourné vers l’utilisation d’élé- ments préfabriqués standard et l’opti- misation des systèmes de coffrage pour béton à réutilisations multiples. Le cof- frage glissant dont il a été question Deux grandes entreprises de construc- temps équipés d’un feu ouvert. Quelle pour la tour Madou en est un exemple. tion, Amelinckx et Etrimo –la seconde que soit l’opinion que l’on peut en avoir Le coffrage tunnel permettant le cof - sera reprise la première– générali - aujourd’hui, ces immeubles ont offert frage et le bétonnage simultané des sent le modèle de barre à une échelle à un grand nombre de familles de la voiles et des dalles s’est vu souvent ap- presque industrielle, selon la formule classe moyenne la possibilité d’habiter pliqué pour les immeubles de logement de la vente sur plan (fig. 25) 19. Pour ré- dans un logement neuf, dans la verdure, à voiles porteurs. duire les coûts, le nombre de cages d’as- à proximité de leur lieu de travail pour Aussi poussée qu’ait été la standardisa- censeur est réduit au minimum avec un prix équivalent à une maison fami- tion dans la construction des barres de souvent comme conséquence l’impos- liale en dehors de l’agglomération. C’est logement privées, les finitions, en par- sibilité d’offrir des logements traver - d’ailleurs l’argument invoqué par René ticulier de la façade avec l’emploi fré - sants, rendant indispensables les ter- Blijweert, patron de la s.a. Amelinckx quent du parement en pierre de France, rasses avec leurs balustrades de verre pour défendre la généralisation de son relèvent d’une architecture d’inspira- fumé qui doivent servir de coursive modèle d’habitat20. Dans ce modèle, tion classique et bourgeoise. Le loge - d’évacuation en cas d’incendie. Néan- la hauteur et la rationalité de la struc - ment social par contre ouvre aux archi- moins, comme celles-ci relient par l’ex- ture sont avant tout un argument fi - tectes et ingénieurs un champ créatif térieur l’ensemble des pièces de vie et nancier, non plus, comme dans l’entre- inédit pour explorer et exprimer archi- des chambres, elles offrent une certaine deux-guerres, pour amortir le coût d’un tecturalement les techniques de pré - richesse de circulation au sein des lo- grand nombre de services, mais tout fabrication et d’industrialisation de gements, qui, destinés essentiellement simplement pour rendre le logement la construction. Les murs rideaux des à la classe moyenne, sont la plupart du accessible au plus grand nombre. trois tours et de la grande barre de la

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Fig. 26 Cité Modèle, chaussée Romaine, Bruxelles- (W. Robberechts © MRBC).

Cité Modèle (fig. 26), au Heysel, s’éti - –des galets– sont visibles . De son côté, structurels préfabriqués. La construc- rent sans interruption sur toute la hau- Maxime Brunfaut met les briques à tion récente de la tour Dexia due aux teur des édifices, mais bu ent sur la tête l’honneur pour les parties non vitrées architectes Samyn, Jaspers et Eyers, des voiles porteurs qui rythment quant de l’immeuble de logements sociaux si- place Rogier, a profité de toutes les ex- à eux la distribution des logements . tué à côté de l’église des Brigi ines, le périences passées. Le noyau central L’expression de la structure comme élé- long du viaduc de la jonction Nord-Mi- est en béton coulé sur place, vu les ef - ment de composition plastique revient di . Sur la façade nord se déploient des forts importants auquel il devait résis- sous une autre forme dans le complexe coursives sécurisées par un claustra ter une solution en voiles préfabriqués Ieder Zijn Huis d’Evere dessiné par Willy reliées par une cage d’escalier, le tout n’était pas possible. Les autres éléments Van Der Meeren, où la structure, main- en béton préfabriqué donnant à l’en - de structure sont préfabriqués: les plan- tenue apparente en façade, est remplie semble un effet sculptural. chers sont en hourdis standard et les co- de panneaux préfabriqués dans les - Le traitement très expressionniste d’élé- lonnes en façade sont en béton à haute quels sont intégrés les châssis . La struc- ments secondaires est une façon pour résistance pour en limiter le diamètre. ture est composée d’une superposition Pepermans d’esquiver la question du Afin de conserver le même diamètre, de portiques transversaux dont les co- travail du parement, qu’il réduit à des les colonnes des étages inférieurs sont lonnes s’affinent au fur et à mesure des parpaings en béton. Les tours qu’il des- en construction mixte, profilés métal- étages. Les planchers sont composés de sine pour le Foyer laekenois à la chaus- liques noyés dans le béton. La construc- hourdis, éléments de dalle préfabriqués sée d’Anvers ou pour l’Habitation Mo- tion a partiellement été réalisée up and portants de portiques à portiques paral- derne à Woluwe-Saint-Lambert, près de down pour réduire la durée du chantier. lèlement aux façades . l’E40, s’expriment comme un assem - Pour les façades, les murs rideaux vitrés Ce dessin de façade issu du remplissage blage très graphique des escaliers de se- sol-plafond sont à double peau par sou- de l’ossature par des éléments d’un seul cours, des terrasses et de la cheminée de ci d’économie et de confort thermique. tenant se répète dans de nombreuses la chaufferie. De la tour PS à la tour Dexia, distantes opérations et débouche sur une re - d’un demi-siècle, il y a bien à Bruxelles cherche de mise en valeur, en parement une tradition de la construction des de façade, de matériaux jusque-là réser- ASSEMBLAGE tours, une tradition qui se fonde tou - vés au gros-œuvre. Pour la tour du Foyer jours sur une collaboration très forte Bruxellois (1951-1957) de la rue Haute, Assemblage est aujourd’hui le mot qui entre concepteurs d’espace et concep- l’architecte Charles Van Nueten opte qualifie le mieux la construction en teurs de structure. pour des panneaux préfabriqués en bé- hauteur. Assemblage de techniques ton lavé, autrement dit dont les agrégats différentes et assemblage d’éléments

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BIBLIOGRAPHIE NOTES 11. Bernard P., op. cit., p. 71 High-rise structures: joint research DEMEY, Th., Des gratte-ciel 1. BERNARD, P., « Petite his- 12. Pour une histoire exhaus- dans Bruxelles, Bruxelles, 2008 toire des tours à Bruxelles », in tive du quartier Nord, voir between architects and engineers - Guide Badeaux. Dejemeppe P. (dir.), Bruxelles, Demey, T., op. cit., volume 2. BERCKMANS C., BERNARD, les tours, la ville, Région de 13. La Maison, 1, 1968, p. 37. There are few types of building where P., Bruxelles 50-60, Architec- Bruxelles-Capitale, Bruxelles, construction method, design of the spaces 2010, p. 43. 14. Architecture, 68, janvier- ture moderne au temps de février 1966. l’Expo 58, Aparté, Bruxelles, 2. L’Émulation, 1939, 3, p. 39. and architectural expression are as closely 15. La Maison, 6, juin 1969. 2007. 3. Bâtir, 27, février 1935, p. 57. linked as in tower blocks. And this link is 16. Architecture, 92, 1969. ATTAS, D., PROVOST, M., 4. Expression reprise d’une so strong mainly because of the growing Bruxelles, sur les traces des 17. Architecture, 92, 1969, chronologie sur le débat sur importance of structure in the design. ingénieurs bâtisseurs, CIVA/ la construction en hauteur à p. 600-611. ULB/ VUB, Bruxelles, 2011 Paris: « Paris et le problème de 18. Architecture 70, mai-juin The text aims to show how architects (Ville et Architecture). la hauteur, 1867-2007 », Criticat, 1966, p. 345 appropriated technical aspects in their PROVOST, M., DE KEMME- 1, janvier 2008, p. 26. 19. THEUNIS K, De zoektocht formal research, for both spaces and TER, Ph., ATTAS, D., Comment 5. La Cité, 4, sept-oct 1923. naar een Belgisch woonproject, tout ça tient, Alice Éditions, 1965-1975. Toenadering tussen the expression of the building, and how CIVA, 2011. 6. À ce sujet : BURNIAT, P., « Habiter ‘moderne’ », in Mo- ontwerpers en overheid in de engineers rely on formal aspirations to TAILLANDIER, I., NAMIAS, O., praktijk van het private wonen, dernisme, Art Déco, Mardaga, advance construction techniques. Thus, POUSSE, J.-F., L’invention de Sprimont 2004. Proefschrift voorgedragen tot la tour européenne, Pavillon de het behalen van het doctoraat for offi ce buildings, attention is focused 7. Bâtir, 65, avril 1938, p. 156. in de ingenieurswetenschap- l’Arsenal, Picard, Paris, 2009. on the shape and position of the central DEJEMEPPE, P. (dir.), 8. Bruxelles 55, 2, mars-avril pen, Katholieke Universiteit Bruxelles, les tours, la ville, 1955. Leuven, Faculteit Ingenieurwe- core relative to the peripheral structural Région de Bruxelles-Capitale, 9. DEMEY, T., Chronique d’une tenschappen, Departement elements, while housing projects favour Bruxelles, 2010. capitale en chantier, volume 2, Architectuur, Stedenbouw en Paul Legrain/CFC, Bruxelles, Ruimtelijke Ordening, februari elongated and shallow volumes, where Collectif, La Cambre (re)visite 2008, p. 95-96 l’Expo 58, éd. ENSAV et ISACF 1992; Aron, J., Le tournant de the shape of the load-bearing elements – La Cambre, Bruxelles, 2009. l’urbanisme bruxellois, 1958- 20. « Quand le bâtiment va… et 1978, Fond. Joseph Jacque- quand il ne va pas », interview matches the partitioning of the various Collectif, Modernisme, Art motte, Bruxelles, 1978. de René Blijweert dans housing units. This joint research for Déco, éd. Mardaga, Sprimont e Bâtiment, 100, septembre 1975. 2004. 10. La Maison, 2, 14 année, optimising the project arises out of a rich 1958, p. 39. p. 59-66. Jacques Aron, Le tournant and varied tradition, over more than half a de l’urbanisme bruxellois century, of high-rise building in . 1958-1978, Fondation Joseph Jacquemotte, Bruxelles, 1978.

-PB 003-FR-def.indd 14 12/08/12 23:33 COMITÉ DE RÉDACTION GRAPHISME IMAGE DE COUVERTURE Jean-Marc Basyn, Stéphane Demeter, supersimple.be Palais 5 (Brussels Expo) Paula Dumont, Cecilia Paredes et Brigitte (Chr. Bastin & J. Evrard © MRBC) Vander Brugghen avec la collaboration d’Anne- Sophie Walazyc pour le Cabinet du Ministre- IMPRESSION Président chargé des Monuments et Sites. Dereume Printing LISTE DES ABRÉVIATIONS AAM – Archives d'Architecture Moderne REMERCIEMENTS ARB – Académie royale de Belgique COORDINATION DE PRODUCTION AVB – Archives de la Ville de Bruxelles Koen de Visscher Philippe Charlier, Julie Coppens, Marcel Vanhulst IRPA – Institut royal du Patrimoine artistique KBR – Koninklijke Bibliotheek van België / RÉDACTION ÉDITEUR RESPONSABLE Bibliothèque royale de Belgique MRAH – Musées royaux d’Art et d’Histoire Dossier : Patrick Burniat, Bernard Espion, Philippe Piéreuse, Direction des Monuments MRBAB – Musées royaux des Beaux-Arts de Odile De Bruyn, Rika Devos, Benoît Fondu, et des Sites de la Région de Bruxelles-Capitale, Belgique Pierre Halleux, Leen Lauriks, Géry Leloutre, CCN – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles Piet Lombaerde, Michel Provost, Véronique MRBC – Ministère de la Région de Bruxelles- Les articles sont publiés sous la responsabilité Samuel-Gohin, Joris Snaet, Elisabeth Van Besien, Capitale – Centre de Documentation de de leur auteur. Tout droit de reproduction, Ine Wouters l’Administration du Territoire et du Logement traduction et adaptation réservé. Plus : David Attas, Paula Dumont, Michel Provost, MVB – Musées de la Ville de Bruxelles Brigitte Vander Brugghen. SPW – Service public de Wallonie ULB – Université libre de Bruxelles CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES La majorité des documents ont été fournis par TRADUCTION les auteurs et proviennent de diverses collections Gitracom ISNN (références mentionnées à chaque illustration). 2034-578X Malgré tout le soin apporté à la recherche RELECTURE des ayants droit, les éventuels bénéficiaires DÉPÔT LÉGAL Elisabeth Cluzel et le comité de rédaction. n’ayant pas été contactés sont priés de se D/2012/6860/12 manifester auprès de la Direction des Monuments et des Sites de la Région de Bruxelles-Capitale. Dit tijdschrift verschijnt ook in het Nederlands onder de titel Erfgoed Brussel.

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