avec laGuy collaboration IEDIA/et deRoger Just DRIÈS FONTAINE

1930-1982

DE MONTEVIDEO

A MADRID

La et ses douze Coupes du monde... e R.T.L. Edition - N.E.P. «On dit que le football ne s'apprend PELÉ : pas dans les livres, c'est faux ! »

On m'a demandé mille fois d'écrire une préface. Je me suis le plus souvent possible gentiment dérobé. Que voulez-vous, devant une feuille blanche, je suis désarmé. Ce ne sont plus des gouttes de sueur qui perlent sur mon front, mais des petites traces de sang tellement je souffre. Pour moi, c'est parfois plus difficile que de marquer un but. Mais cette fois, en recevant la lettre de Roger Driès, tout m'a soudain paru d'une facilité dérisoire. Comme si les défenseurs s'écartaient devant moi pour me laisser passer. Je n'avais plus qu'à laisser parler mon... pied, pardon mon cœur. Des souvenirs me sont revenus en mémoire : 1977, Cannes, le Festival du film, François Reichenbach, une interview dans ma chambre de l'hôtel Carlton, pour Télé Monte-Carlo, avec Roger Driès au micro. Des questions marquées du sceau du bon sens, humaines, pleines de sensibilité. J'en ai gardé un souvenir vivace d'autant qu'ensuite, j'ai vécu une anecdote qui m'a beaucoup amusé. Je jouais à l'époque aux Etats-Unis, et sitôt terminée cette interview, je devais prendre l'avion pour New York. Il pleuvait à torrents, en ce mois de mai, sur la Côte d'Azur. Il y avait une foule affolée sur la Croisette à Cannes. Plus de taxis pour me rendre à l'aéroport à Nice. Le temps pressait. Roger Driès me proposa de m'amener. Je le revois encore prenant des sens interdits, frisant l'accident pour que je ne sois pas en retard. Las, arrivé sur l'autoroute, des travaux retardaient la circulation. Roger Driès prit de nouveau des risques. Il emprunta la voie défendue à double sens ! A la sortie de l'autoroute, deux motards ! Ils ont arrêté la voiture et demandé au « chauffeur » de se garer. L'un d'eux se pencha à la portière, donna un « coup » de regard circulaire, esquissa un petit sourire en coin et dit à Roger Driès : « J'espère que dimanche soir, dans votre émission, vous donnerez le tiercé que j'ai joué, dans l'ordre, sinon ma femme va me tordre le cou. » Et il nous laissa filer. Il ne m'avait pas reconnu le moins du monde. Il devait certainement se demander ce que faisait ce Noir dans la voiture du speaker de la télévision... Le comble: l'avion eut deux heures de retard! Roger Driès m'a appris que Justo Fontaine avait participé grandement à l'élaboration de cet ouvrage sur l'his- toire de la Coupe du monde et de l'équipe de France. Qu'il sache que depuis 1958, il est resté une de mes idoles. Je n'étais qu'un gosse à l'époque. Je découvrais tout. Je vivais sur un nuage. Le bonheur parfait. Des enfants partout, des amis, des buts, un pays sportif et par-dessus tout ça, Justo Fontaine, un Français, qui réussissait tout ce qu'il entreprenait. J'ai souvent revu les films de cette Coupe du monde en Suède. J'ai été frappé chaque fois par le culot et l'adresse de Fontaine. Je vais lui faire une confidence : après notre victoire avec le Brésil, en demi-finale, nous avons répondu à des tas de questions au micro. Tous mes coéquipiers ont été unanimes à reconnaître que si Jonquet n'avait pas dû quitter le terrain sur blessure, nous n'aurions certainement pas remporté le titre face à la Suède car la France, avec Kopa, Fontaine, Kaelbel, Piantoni, Vincent et les autres, nous aurait causé les pires misères et nous aurions laissé une bonne partie de nos forces vives dans le match. Une joie intense m'a envahi à l'issue de cette partie. Je suis allé toucher la main de Justo et je l'ai embrassé. Peut-être s'en souvient-il... Depuis 1958, nos routes se sont souvent croisées dans les villes où sont organisées les Coupes du monde. Or, curieusement, je n'ai jamais pensé à lui poser la question... En 1986, j'y songerai. Pour réaliser un tel ouvrage aussi complet, aussi riche en recherches et en souvenirs, il fallait une triplette offensive de premier choix. Si Fontaine a décidé de «jouer» avec Guy Kedia, c'est que lui aussi est un vrai professionnel. L'équipier idéal. Car je sais que Justo a toujours eu horreur de la facilité. Il a demandé tellement le meilleur de lui-même à chaque match qu'il a disputé, tellement donné v y l'exemple en se battant sur tous les ballons avec talent et impétuosité, que l'on se sent obligé de le suivre sur les chemins les plus difficiles. Guy Kedia, habillé en footballeur, serait certainement ce pourvoyeur généreux qui se multiplierait sur le front de l'attaque. Micro en main, il fait bénéficier, en effet, depuis longtemps de ses qualités de reporter à R.T.L., une station dont les trois lettres me font rêver chaque fois à... , capitale du monde, car, comme Joséphine Baker, j'ai deux amours, «mon» Brésil et... Paris. J'ai fréquemment rencontré dans mes déplacements Guy Kedia, que ce soit au Mexique, en Allemagne, au Brésil, en Argentine, en Espagne, en France. En 1978, en Argentine, nous nous étions souvent vus. Je travaillais pour une chaîne de télévision vénézuélienne. Il était venu à l'hôtel qui servait de studio. Si ma mémoire est fidèle, c'est même à lui que j'ai donné à cette occasion ma dernière interview car j'ai dû partir ensuite précipitamment du « Mundial » pour assister à la naissance de ma... fille. R.T.L. était là. Comme d'habitude, présent partout! Cette belle histoire qu'ils vous racontent, amis chers de France, a été écrite avec la plume du cœur. On dit que le football ne s'apprend pas dans les livres. C'est faux. J'ose avouer que cette fois, j'ai découvert des tas de choses merveil- leuses. Ecoutez-les chanter ces belles aventures du football français et du monde, surtout les dernières, celles d'Espagne, les plus jolies de toutes, peut-être de l'histoire de la Coupe du monde... INTRODUCTION

gorge déployée par les 50.000 supporters des « Allo R.T.L. ? Ici Guy Kedia, « bleus » a été respectée. Est-ce une prémonition ? Je sens qu'il va se passer des choses... » « J'ai été court dans mon « chapeau ». Je me suis contenté de l'essentiel, à savoir que cette ren- « Mercredi 18 novembre 1981. Il est 20 h 30. contre est la plus importante depuis le France-Bul- Toute la France est « assise » devant la télévision garie de 1977 et que pour espérer terminer deu- ou à l'écoute des radios. Comme la majorité de mes xième du groupe, ce qui nous donnerait le droit confrères, je suis au Parc, blotti dans une cabine d'aller en Espagne, il nous faut vaincre à tout prix, bien trop exiguë, pour faire vivre le plus fidèlement non seulement la Hollande, ce soir, mais également possible aux millions d'auditeurs de R.T.L., « l'évé- Chypre le 5 décembre. Les Hollandais eux n'ont nement ». Dans les studios de la rue Bayard, c'est besoin au pire que d'un nul. S'ils l'obtiennent ils le grand branle-bas. Max Meynier a harangué ses pourront disputer un match d'appui face aux Irlan- routiers. Mais il n'a pas eu besoin de forcer son dais, de l'Eire. talent. Ils sont branchés depuis longtemps. « J'ai tenu à faire remarquer aussi, que fort « Dans la mesure de mes moyens, je vais donc intelligemment, Michel Hidalgo a formé une m'efforcer de respecter un certain équilibre entre équipe très offensive avec notamment en milieu de l'émission « Allo Max » les chansons et le « foot », terrain Michel Platini, le petit Giresse et Genghini. mais se sera difficile. De toute manière avec Max il C'est un risque qu'a pris là le sélectionneur. Il n'y a pas de problème c'est un fana du ballon. fallait oser. Je suis entièrement d'accord avec lui. Alors à nous le... direct intégral ou presque. D'ail- « ...Et c'est parti pour quatre-vingt-dix minutes ! leurs il y a longtemps que pour Bernard Roseau, La délivrance pour tout le monde. Jean-Jacques Bourdin, Eric Gendry et moi, la jour- « La première « vedette » de la soirée sera un... née a commencé. Dès 6 h 35, dans le « Club des coq. Il restera sur la pelouse pendant toute la Clubs » on a entendu les interviews de Michel première mi-temps. Peu soutenue, sans à-coups, ni Hidalgo et d'une partie de « sa bande ». Ensuite accélérations au cours des premières vingt minutes, dans le journal de Jean-Claude Larrivoire, « le par suite de la tactique employée par les Bataves, dossier » de 8 h 10 a été entièrement consacré à qui veulent protéger l'approche des buts défendus cette rencontre France-Pays-Bas. Dans les journaux par Van Breukelen, la partie a haussé d'un ton de 13 h à 18 h on a pu entendre enfin les derniers ensuite grâce à Platini qui par sa vision du jeu, sa échos, les ultimes impressions, celles où l'on est le sûreté technique a réussi enfin à décrisper ses plus fébrile. On l'a ressenti d'ailleurs dans les coéquipers en particulier Janvion dont le déborde- propos tenus par Michel Platini. Sa voix a été ment a failli permettre à Lacombe de lober le entrecoupée de silences. Nous les avons laissés à gardien hollandais. J'ai personnellement cru au but l'antenne comme on dit. Les « blancs » parfois ça et j'ai crié comme un fou dans le micro. Il ne s'en passe. Bref une véritable mobilisation générale a est fallu que de quelques centimètres. Sur ce, j'ai été décrétée par la direction. » rendu l'antenne à Max pour souffler un peu, car la « Ici le Parc ! » Dans les écouteurs j'ai du mal à tension est terrible. » entendre Max Meynier tellement l'ambiance est « L'intuition, « le pif » — pour employer un extraordinaire. Cette fois la Marseillaise chantée à mot plus banal — permet de réaliser des « coups » extraordinaires. Je reconnais que la chance est pour « Plus que dix minutes... beaucoup dans notre métier, mais à ce point je ne l'aurais jamais cru. Elle a été insolente ce soir-là « Plus que neuf... huit. pour R.T.L. « J'ai repris le commentaire en direct. « A 21 h 20 lorsque Max Meynier m'a demandé « ...Dégagement de Castaneda, un long dégage- de brosser un nouveau tableau sur le déroulement ment qui va bien au-delà de la ligne médiane, du match j'ai demandé à garder l'antenne plus ballon récupéré par Genghini de la tête légèrement longtemps, car je sentais visiblement que quelque dans le camp hollandais, en direction de Roche- chose allait se produire. teau. L'ex-Stéphanois part là-bas sur la gauche, file « Déjà Giresse, un des meilleurs sur le terrain, bien dans l'axe, embarque Krol, une fois, deux avait donné une nouvelle impulsion et le ballon fois, un centre du gauche de Rocheteau, Six est à la qu'il adressa à Genghini au moment où j'attaquais réception près du point de penalty il est seul le commentaire aurait pu être dangereux pour les devant Van Breukelen, Wijnstekers revient en Hollandais si Poortvliet ne s'était pas interposé. Il catastrophe, tir de Six, Buuuuuuut ! ! ! ! s'ensuivit deux coups francs consécutifs. Le premier « Un deuxième but de Six dans un trou de à la suite d'une faute de Neeskens et le second souris pour la France à sept minutes du coup de pour une main de Van de Korput. Cette nouvelle sifflet final, c'est la fête dans les tribunes et sur le faute se situait presque au même endroit à une terrain, Michel Platini est même revenu sur la vingtaine de mètre et M. Garrido l'arbitre portugais pelouse pour féliciter Six qui se jette dans ses bras, tenait à ce que cette distance soit scrupuleusement une véritable mêlée s'est formée, cette fois ça y est, respectée. Il fit donc reculer les Hollandais, tandis la route de l'Espagne est ouverte. » que Platini « travaillait » déjà dans sa tête la trajec- « Vous imaginez volontiers ce que fut la suite toire qu'il allait donner au ballon. J'avais l'antenne du reportage et la cohue vers les vestiaires. Jusqu'à depuis cinq bonnes minutes et je me proposais de la fin d'ailleurs on a tremblé non pas pour l'équipe la rendre à Meynier aussitôt après ce coup franc. de France, mais dans la crainte que se produise un La balle brossée « contourna » le mur et comme incident grave car dans les virages du Parc près de dans un rêve, alla se loger dans la partie gauche à cent cinquante mètres de grilles ont été sur le point hauteur idéale des buts de Van Breukelen surpris de céder et de temps à autre l'arbitre jetait un œil par la soudaineté et la précision de l'orfèvre trico- vers tous ces excités qui tentaient d'envahir la lore. D'un seul coup, d'autres images surgirent de pelouse. mon esprit. J'avais remarqué par exemple qu'avant « Il s'en est fallu de peu pour que ce match de tirer Platini avait embrassé le ballon, comme déborde dans la rubrique des faits divers pour l'amadouer. Le séduire. Qu'avant de le poser, il avait demandé à Rocheteau de se placer à un « Le lendemain en feuillettant les journaux, je endroit précis dans l'assemblage défensif n'ai pas été surpris par les titres. « orange ». Autant de détails que je donnais en « On a gagné » avait décidé d'étaler sur toute la vrac dans un vacarme qui atteignait la limite du première page Le Parisien Libéré, tandis que Fran- supportable. ce-Soir avait mis l'accent sur les exploits de Platini et Six avec ces mots « Deux buts superbes » sur Le livre huit colonnes. Le Matin, L'Humanité, L'Aurore étaient déjà sur la « Route de l'Espagne ». Quant à est né L'Equipe, il mentionnait: «Bravo et Merci.» « Les passions se sont tues. Tout cela aujour- d'hui est oublié. Les regards sont tournés vers « C'était le reflet des sentiments que j'avais l'Espagne. Les émotions passées n'ont guère d'im- ressentis. portance lorsqu'on s'apprête à en vivre d'autres. « Si en guise d'entrée en matière, j'ai mis sur- Mais si la France a été présente à ce « Mundial » tout ce match France-Hollande en exergue ce n'est 82 c'est grâce à cet exploit technique de Platini, pas pour l'unique raison que nous allions prendre que les auditeurs de R.T.L. ont vécu en direct. J'ai en cet été 82 la direction de Madrid mais aussi et commenté des milliers de matchs en plus de vingt surtout parce que huit jours plus tard, me retrou- ans de carrière et ce, aux quatre coins du monde, vant à Nice pour les besoins d'un reportage, j'ai mais en ce soir de novembre à cet instant précis, rencontré mon excellent ami Roger Driès, corres- quelque chose d'indéfinissable a plané sur le Parc, pondant de R.T.L. sur la Côte d'Azur et qui venait suscitant une passion particulière. Il est vrai que d'avoir une conversation intéressante avec le maire l'équipe avait été tellement critiquée jusque-là, tel- de Villefranche-sur-Mer, un passionné de football. lement décortiquée, que le point de rupture avait Ce dernier lui avait suggéré en substance pour été presque atteint. Ce fut comme une explosion. rendre hommage à Jules Rimet, « le créateur » Seul le football, peut décidément procurer des sentiments pareils. d'apposer avec la collaboration de R.T.L. une pla- « Mais le match n'était pas encore terminé loin que commémorative à l'endroit précis où le 21 juin s'en faut. Il avait même pris soudainement plus de 1930, s'embarqua pour l', non seulement volume. De densité. D'autant qu'à un quart d'heure l'équipe de France mais la Coupe, elle-même dans de la fin, Platini qui s'était dépensé sans compter, les bagages du fondateur. dut quitter le terrain en tirant la jambe, victime de L'idée fit son chemin. crampes. Hidalgo fit rentrer Tigana. Bossis, Roche- « Et si on remontait du même coup le cours de teau, maltraité tout au long de la rencontre, Lopez l'histoire ? » lança Roger Driès. par ses jaillissements, Janvion surveillant Muhren « On se mit au travail... comme le lait sur le feu, Castaneda plus « géant » que jamais, Giresse une « petite machine » merveil- « Suivez-nous sur le chemin de cette émouvante leuse, etc. redoublèrent d'énergie et d'attention. Il et ô combien passionnante rétrospective, l'extraor- fallait tenir. dinaire épopée de la France depuis 1930. 1930

* Treize dont la France à la première table du football mondial à Monte- video * Pas un seul journaliste ni photographe français du voyage * Mexique, oui ! Argentine et Chili, non ! * Et soudain il se mit à neiger... * Monti, le méchant, transperce l'orgueil des tricolores * En passant par le Brésil * Castro, un manchot, délivre l' Uruguay.

Jules Rimet « dessina » la Coupe Par décence nous n'avons pas touché à cette légende qui nous a été racontée à Theuley-les- du monde sur son cahier d'écolier Lavoncourt. Elle est belle, mais fragile. On risque- rait de la briser. A la limite du plateau de Langres, là où la Seine n'est encore qu'une gamine bien sage, sautil- lant dans les près de la ferme des Vergerots, pres- A bel Lafleur : un artiste passionné que au pied des premiers contreforts du Jura, profitant donc à la fois de la renommée de la de football Bourgogne et de la Franche-Comté, la haute vallée Reprenons plutôt la route qui remonte vers de la Saône, « mène » une existence paisible. Paris, et allons à Boulogne-sur-Seine. Arrivé à Le charme des villages et des hameaux s'y proximité du pont de Sèvres, au fond d'une rue on reflète, d'église en château, de bois en vallon, y découvre encore un vieil atelier sombre et incitant au repos et à la réflexion. Aussi s'expli- vétusté, mais qui à l'époque resplendissait d'or et que-t-on mieux les visites fréquentes effectuées jus- où le talent régnait en maitre. Avant de devenir qu'au soir de sa vie, dans les années 52 à Theuley- sculpteur et graveur, Abel Lafleur, un nom de les-Lavoncourt de l'enfant du pays que le football poète, ancien élève des Beaux-Arts et des Arts et a rendu immortel : Jules Rimet. Métiers, avait une autre passion lui aussi : le foot- C'est dans ce village, situé entre Dampierre- ball. Cet Aveyronnais bon teint, fier d'ailleurs de sur-Salon et Combeaufontaine, près de Vesoul, que son Rodez natal, l'avait même pratiqué avec un naquit en effet, le 24 octobre 1873, le « créateur ». réel bonheur. Il le quitta très jeune pour aller vivre dans la Par suite d'un concours de circonstances, aussi capitale, mais jamais il n'a oublié le vieux moulin étrange qu'insolite, c'est lui Abel Lafleur qui fut où ses parents avaient installé une épicerie. Il vint chargé de ciseler le « rêve » de Jules Rimet sous la souvent méditer en ces lieux et son plaisir était de forme d'une victoire ailée, aux bras levés, suppor- rencontrer quelques amis d'enfance avec lesquels il tant entre ses ailes une coupe, l'ensemble taillé bavardait volontiers. C'est ainsi qu'un jour, il mon- dans un bloc de 1.800 grammes d'or mesurant une tra à un copain de classe l'arbre sous lequel en trentaine de centimètres et pesant avec son socle de cachette, il griffonna à la hâte sur une feuille de marbre quatre kilos environ. cahier d'écolier pendant les minutes de la récréa- On se représente volontiers, ciseau en main, cet tion l'esquisse de cet. objet d'art devenu quarante artiste sculptant le trophée, tout en imaginant ans plus tard, en 1930, le symbole de la force et de l'extraordinaire aventure qu'allait vivre « sa » vic- la popularité d'un jeu, cette fameuse statuette que toire en or, qui le 21 juin 1930, fut rangée avec les footballeurs de plusieurs générations du monde précaution au fond du coffre-fort du paquebot, le entier ont rêvé de caresser. « Conte Verde », en route pour Montevideo. Grâce à R.T.L., ce bout de chemin portera désormais le nom de « Voie Jules-Rimet ». C'est là que naquit en effet, le « créateur » de la Coupe du Monde, qui mourut le 15 octobre 1956, fier de son œuvre qui a aujourd'hui la dimension de l'univers, devenant le plus grand spectacle sportif de tous les temps avec les jeux Olympiques Décédé à la suite d'une opération, à 83 ans, dans une clinique de Suresne, Jules Rimet vit le jour dans ce moulin en 1875, où ses parents étaient installés épiciers. Parfois, aux premières lueurs de l'automne, une main anonyme vient déposer une rose fraîchement cueillie. On imagine volontiers un footballeur des années 30, témoin de cette langageaventure, noble tenant et àqui rendre réalisa hommage son rêve. à ce haut dirigeant, sensible, discret, disert, d'une suprême correction, au La première photo, de la première équipe de France dans la première Coupe du Monde, prise le samedi 21 A Villefranche-sur-Mer juin 1930 sur le port de Villefranche-sur-Mer où grâce à R.T.L. et à la municipalité azuréenne et M. Caldero- avec un pêcheur pour témoin ni, ancien footballeur et secrétaire du district de la Côte d'Azur et premier personnage de la cité chère à Malgré l'heure matinale, le soleil est déjà très Léon Rossi et Antoine Bonifaci, sera inaugurée plus haut dans le ciel de la Provence. D'ailleurs, c'est, d'un demi-siècle après, par une plaque rappelant ce aujourd'hui, le jour le plus long de l'année. Assis départ pour la grande aventure... près de la fenêtre, dans le rapide Paris-Vintimille qui serpente maintenant à travers le massif tour- menté de l'Esterel, et va donc bientôt atteindre la farce est Numa Andoire, le régional de l'étape, Nice, notre voyageur promène son regard sur le l'intrépide défenseur de l'O.G.C. Nice. bleu intense de la mer tranchant avec le rouge feu Cinquante ans après, et même plus dans son des roches, ces minuscules plages de sable blotties repaire d'Antibes, le facétieux Numa est toujours aux creux des criques, où il doit faire si bon rêver amusé par le souvenir de cet « exploit » de jeu- et se reposer... nesse : « Nous avions improvisé un petit match et Mais le moment n'est ni à la méditation ni aux c'est un tir adressé à Alex Thépot, notre gardien de vacances. but qui a balayé des mains de l'adjoint au maire le Ce monsieur distingué, séduisant d'allure, dis- précieux message. Au fond, sans l'avoir fait volon- cret, qui descend d'un pas alerte de son wagon-lit tairement, j'ai mis un peu d'ambiance, car la nos- en gare de Villefranche-sur- Mer, ce samedi 21 juin talgie avait saisi soudain tous ces footballeurs, 1930, c'est Jules Rimet en transit pour Montevideo. parisiens pour la plupart, lorsqu'ils ont entendu au Dans la valise du, président de la fédération loin résonner la corne de brume annonçant l'arri- internationale de football un véritable trésor : la vée dans la baie de Villefranche du « Conte Coupe du Monde ! Verde » un superbe paquebot italien, en prove- nance de Gênes et dans lequel nous allions embar- Aussi ne confie-t-il à personne ses précieux quer. Et puis disons-le franchement : il y avait de bagages, pas plus au porteur de service qu'aux quoi être vexé du peu de curiosité et d'intérêt que membres d'une délégation venus l'accueillir au suscitait notre expédition. A proximité de l'endroit bout du quai. où la vedette venait nous chercher sur le coup de Réception intime au café du coin. Repas pris à 16 heures pour appareiller, il me souvient qu'il y la hâte. Et direction le petit port de la cité azu- avait un pêcheur à la ligne assis sur un cageot réenne. d'osier. Il n'a même pas daigné lever la tête. Alors « ...Vous emportez avec vous un peu de notre pour donner encore un peu plus d'animation, je orgueil national... » l'ai poussé à l'eau. Un dirigeant de la suite de Jules Ce seront les seules paroles que pourra pronon- Rimet m'intima, sur le champ, l'ordre de rentrer cer, du discours qu'il avait préparé, le représentant chez moi, à titre punitif. J'ai fait la sourde oreille. de la municipalité, car un ballon « égaré sur le Je suis parti avec les copains. Je savais depuis front de l'attaque » a interrompu brusquement la longtemps qu'il ne pouvait pas souffrir les Méri- « cérémonie ». A l'écart, honteux et confus : les dionaux. Sa femme l'avait fait cocu avec un Mar- internationaux de l'équipe de France. L'auteur de seillais. Il ne s'en était jamais « remis »... Voici le fameux trio qui a, en quelque sorte, «inven- té » la Coupe du Monde. De gauche à droite : Hugo Meisl, Henry Delaunay et Jules Rimet. Toute la carrière internationale de Numa Il en fallait plus que ça pour émouvoir les Andoire allait dépendre de cette scène digne de Britanniques, maîtres du jeu et de sa destinée. On Marcel Pagnol. dut donc attendre. Mais l'idée continuait à faire Mais ça c'est une autre histoire... son chemin. Hugo Meisl et Robert Guérin ne désarmaient pas. Jules Rimet ayant succédé ensuite à Robert Guérin, le projet passa entre les mains Le père de la Coupe du monde d'Henry Delaunay devenu membre de l'Internatio- est... autrichien : nal Board, ce fameux conseil des « sages » consti- tué pratiquement que de sujets de sa Majesté. « A il se nomme Hugo Meisl ! ce sujet, on a épilogué sur une rivalité qui a opposé Jules Rimet à Henry Delaunay, chacun d'eux Si le départ eut lieu sans apparat, dans l'indiffé- s'étant acharné disait-on à s'approprier la paternité rence générale, en présence seulement de quelques de la Coupe du Monde, née, par conséquent, dans dirigeants locaux, de la municipalité et des enfants l'esprit de Hugo Meisl. Voilà qui doit, à mon avis, de la communale voisine, pour Jules Rimet il était mettre tout le monde d'accord définitivement. l'aboutissement de près d'un quart de siècle d'at- tente, de démarches, d'efforts, de travail obscur, de « Il est exact, cependant, que leurs rapports déceptions autant que d'espoirs les plus fous. furent parfois très tendus. Mais il n'en est pas moins vrai aussi que tant l'un que l'autre œuvrèrent Car la légende des sports rendra toujours cette avec un parfait désintéressement, sans en faire une justice à la France qu'elle fut le berceau où naquit question d'amour-propre ou d'honneur. Méticu- l'idée grâce à laquelle le football est parti à la leux, adversaires acharnés du gaspillage, ils ont su conquête de l'univers et la patrie des hommes en coordonner leurs efforts, canaliser leur inépuisable qui se personnifient d'abord la création de la plus énergie, de sorte que la gestion du football n'a pas grande des fédérations puis de l'essor sans cesse souffert de cette animosité que le temps malheureu- grandissant que celle-ci a prise à travers le globe. sement, à cause de la méchanceté des hommes, n'a Mais qui s'en souvient aujourd'hui ? fait qu'aggraver. Les années défilent et c'est bien vrai que la « Ce projet d'un championnat du monde des gloire est éphémère. Alors pour restituer à chacun pays mit donc plusieurs années à mûrir. le plus fidèlement possible sa part de mérite, nous « Poli, repoli sans cesse par mon père, déposé avons tenu, à l'image des archéologues, à l'aide de aux périodes les plus opportunes sur le tapis de documents d'archives, de livres aux pages jaunies, l'International Board, pour consultation il eut l'ap- de témoignages ô combien précieux des derniers probation de Jules Rimet en décembre 1926. Deux survivants — et ce avant de prendre la mer — à mois plus tard il était adopté en commissions. Mais remonter le cours des événements à la recherche ce n'est que le 29 mai 1929, au Congrès de la précisément de ces pionniers. F.I.F.A. tenu à l'occasion des Jeux Olympiques à Car, on se doute bien qu'une réalisation d'une Amsterdam que ce texte lu cérémonieusement par telle ampleur n'a pas été l'œuvre d'un seul homme « Sir » Henry comme disaient les Anglais quand ils aussi génial qu'il puisse avoir été. M. Pierre Delau- parlaient de mon père, fut pris officiellement en nay, secrétaire général de la Fédération française considération. jusqu'en 1969, qui avait succédé à son père, Henry Delaunay a pu nous fournir des détails qui ont leur « La force de persuasion de Jules Rimet, son importance. charme naturel pesèrent certes, lourd dans la « Je me suis longuement penché effectivement balance, mais l'époque était propice du fait du peu sur l'évolution du football international à cette de signification que représentait sur le plan sportif époque dont mon père, jusqu'à sa mort, en 1955, le tournoi des J.O. voire la faillite inévitable de un an avant la disparition de Jules Rimet, m'a cette compétition, ouverte aux amateurs, dont l'im- souvent parlé. C'est ainsi qu'il a toujours affirmé portance s'amenuisait devant la montée impression- avec force que le premier a avoir l'idée vraiment nante du professionnalisme, qui, établi depuis d'une mise en ordre du football dans la monde a longtemps en Angleterre, envahissait toute l'Eu- été Robert Guérin, alors secrétaire général des rope. Sociétés françaises de sports athlétiques, avec la « Mais de son adoption à son application, il y complicité de son collègue hollandais M. Hirs- avait encore un monde. chmann. « D'abord qui allait être en mesure d'organiser « Rédacteur au journal Le Matin, en même une manifestation d'une telle envergure ? temps que manager de l'équipe de France, il fut « Six candidats levèrent la main, à Barcelone, nommé président de ce premier embryon de fédéra- au Congrès de mai : l'Italie, l'Espagne, la Hongrie, tion internationale en 1904. Par la suite, l'initiative la Hollande, la Suède et l'Uruguay, qui dominait le de créer une compétition mondiale a émané, non football des Jeux. Jules Rimet avait justement un pas de Jules Rimet ni d'Henry Delaunay, mais de penchant pour ce pays, enthousiaste, généreux et l'Autrichien Hugo Meisl, un personnage tout en qui faisait donc valoir ses succès aux Olympiades rondeur, intelligent, passionné, énergique, qui de Paris en 1924, puis d'Amsterdam, quatre ans devint plus tard l'infatigable animateur du Wun- plus tard. De surcroît, l'Uruguay projetait de faire derteam. » coïncider ce tournoi mondial avec le Centenaire de Un jour, en effet, Jules Guérin vit entrer dans son indépendance en juin et juillet. Enfin, les son bureau, Hugo Meisl, qui repoussant d'une responsables acceptaient de payer tous les frais chiquenaude son chapeau melon en arrière, s'ex- sans exception, d'organisation, de déplacements clama : « Alors, ces Anglais, vous les faites bou- des équipes, des officiels, des arbitres, etc. et de ger ? S'ils s'aperçoivent qu'on se rassemble, vous couvrir éventuellement le déficit si les recettes verrez qu'ils changeront d'avis... ». s'avéraient insuffisantes. « Ce fut l'argument décisif du choix de l'Uru- Pas un seul photographe — ni journaliste français d'ailleurs — pour « couvrir » cette Coupe du Monde, guay ». la première du nom. Un comble quand on sait que Ce petit pays de deux millions d'âmes coincé c'est la France qui est précisément à l'origine de cette entre les deux géants que sont l'Argentine et le épreuve. Voici donc la seule photo-souvenir prise sur Brésil, se mit aussitôt au travail. Pour ériger à le « Conte Verde » à l'issue de l'escale à Barcelone, à Montevideo l'Estadio Centenario, une arène de l'aller, alors que le navire file vers Montevideo. Les 80.000 places quatre mois suffirent, illustration par- quatre équipes européennes sont réunies, pour la pre- faite de ce que pouvait engendrer la passion d'un mière et dernière fois. Au centre, les Français fiers de peuple pour le football. poser pour la postérité. Mais si de l'autre côté de l'océan des miracles Après tout ils n'étaient encore que des « ama- se produisaient chaque jour, les fédérations euro- teurs »... péennes, elles, ne manifestaient que peu d'empres- « La date de cette note portait le tampon du sement à envoyer dans les délais la lettre d'engage- 19 mai 1930. ment. « Le départ était prévu pour la mi-juin. Le vieux continent s'était aperçu soudain que « Jules Rimet obtint finalement gain de cause, l'Uruguay c'était loin, très loin... mais il était temps, car l'Uruguay s'apprêtait elle à expédier un télégramme dans lequel il était signifié « C'est là qu'un hommage particulier, nous dira que son organisme international n'était plus encore Pierre Delaunay, doit être rendu à Jules reconnu et qu'une association panaméricaine dissi- Rimet, symbole de la tenacité, grand pèlerin devant dente allait être créée ». l'Eternel, car le pire c'est qu'il dut supplier ses propres dirigeants de revenir sur une décision On comprendra mieux maintenant pourquoi en transmise par communiqué aux instances officielles posant le pied sur le « Conte Verde » au cœur de mentionnant en substance que la France était dans l'après-midi de ce 21 juin 1930, Jules Rimet laissait l'impossibilité de réunir une quinzaine de joueurs couler une larme de plaisir en criant « Vive la capables de la représenter dignement et en mesure France ». surtout de s'absenter pendant six longues semaines. Il attendait ce jour depuis si longtemps... « Mi-temps » à bord du « Conte Verde ». Le « stage marin » de l'équipe de France, pendant la traversée, sous la conduite d'. vedettes du football français, l'athlète de « la bande à Jules Rimet ». « Maintenant que j'y pense, les détails me reviennent peu à peu... ». Un demi-siècle est largement passé. A mi-che- min de Bastia et d'Ajaccio au coeur de la Corse, dans la pittoresque vallée de la Restonica, point de départ de merveilleuses promenades en montagne, à travers les torrents qui jaillissent un peu partout, une auberge attire l'œil. C'est là que s'est retiré « Momon » Delfour. Il n'est toutefois pas le foot- balleur le plus célèbre dans le coin, car Corte, qui se trouve à un dégagement à peine de gardien de but, est la patrie de Dominique Colonna, son gendre. Et tandis que le populaire « Doumé » au volant de sa superbe Mercedes, s'en va parcourir l'île de Beauté pour le compte de la firme Adidas dont il est l'agent exclusif, Edmond Delfour ouvrira pour nous — pour vous surtout — son cœur et le grand livre de souvenirs. Ce sera d'abord pour nous apprendre que pur- geant une suspension il faillit ne pas partir pour Montevideo. « Marcel Langiller et moi avions été punis pour fait de professionnalisme ! Lui appartenait au C.A. Paris, j'étais au Racing C.P., mais titulaire d'une licence « B » qui nous interdisait de disputer des matches officiels. Je n'ai pas eu le droit notamment de jouer la finale de la Coupe de France contre Sète, qui comptait dans ses rangs les Stefanovich, Dubus et Yvan Beck, qui marqua deux buts, tandis que je me morfondais dans la tribune. Au courant Un peu de «gym» en passant Tout est bon pour de cette attitude scandaleuse des dirigeants de clubs s'entraîner... en s'amusant sautèrent sur l'occasion pour condamner ce faux amateurisme et l'hypocrisie qui régnait. Par contre- coup, les grosses écuries réagirent et réclamèrent un statut professionnel. A la fédération, les responsa- Edmond Delfour : "Suspendu bles se retrouvèrent vite débordés. On tarda, devant ce désordre, à prendre les décisions qui s'impo- pour professionnalisme, j'ai été gracié saient, les Britanniques faisant les gros yeux. En pour partir à Montevideo » définitive on trouva une solution boiteuse, en déci- dant d'officialiser un règlement pour « joueur ama- Le bateau s'éloigne. Une magnifique histoire teur rétribué », alors qu'en Tchécoslovaquie, en sportive commence. Cinquante ans plus tard, elle Autriche, en Allemagne, en Angleterre, en Espa- aura la dimension de l'univers. Mais à l'heure qu'il gne, voire en Roumanie, aux Etats-Unis et au est, les footballeurs français, à l'image des autres Canada, entre autres, le professionnalisme était « Européens » d'ailleurs, sont en route vers l'in- « accepté ». Huit mois plus tard d'ailleurs — le 17 connu. Partis pour « débroussailler » un jeu, ils janvier 1931 — on rattrapera la bêtise. En atten- ignorent tout du pays et de l'ambiance qui les dant je manquais de compétition, car je ne pouvais attend. Aussi dans la douceur de cette première m'aligner que dans... l'équipe de France. Un com- nuit, au large du Golfe du Lion, en attendant ble ». l'escale du « Conte Verde » à Barcelone, les plus C'est la raison pour laquelle, dans son ardent avides de découvertes vont en profiter pour se désir de brûler les étapes « Momon » Delfour pencher sur les cartes et fouiller dans la bibliothè- monta le premier sur le pont pour un « stage que du paquebot, pour connaître les us et coutumes marin » d'un genre original avec exercices, sauts de de ces villes du bout du monde dont les noms ont chaises, équilibres, ping-pong, natation en piscine, un parfum d'aventure, grâce notamment au héros courses à travers les coursives, etc., et devint, en du moment, Jean Mermoz, qui, un mois plus tôt, quelque sorte, le préparateur physique en chef du en mai, a réussi la traversée de l'Atlantique sud en onze de France dans la première Coupe du 20 heures avec son avion rempli de courrier. D'au- Monde... # tres, par contre, passeront leur temps à contempler Au fait, les meilleurs avaient-ils été retenus les étoiles ou à... danser, Numa Andoire par exem- pour cette expédition ? « Peut-être pas », nous dira ple, aux sons d'un orchestre qui « se languira » en encore Edmond Delfour. « ... J'estime pour ma part jouant « Parlez-moi d'amour » la chanson à la qu'un élément de valeur comme l'arrière droit du mode de Lucienne Boyer, ou sur un rythme de Racing, Manuel Anatol, d'origine espagnole — il rumba. était champion de football et d'athlétisme de son Mais au petit matin, alors que le jour est à pays — né à Irun, mais qui connut la gloire en peine levé, ce 22 juin 1930 et que les passagers France après s'être fait naturalisé, puisqu'il porta sommeillent encore, l'un d'eux, particulièrement seize fois le maillot d'international, aurait large- énergique et consciencieux, a décidé de sonner le ment mérité d'être parmi nous. Il me souvient rassemblement. C'est Edmond Delfour, une des qu'en mars de cette année-là, à Colombes, il avait marqué un but de 55 mètres au fameux gardien cap, et passa la nuit allongé sur son lit en atten- suisse Pasche. La balle, glissante, avait rebondi dant l'aube du grand jour. Moins athlétique que devant le goal, et alla se loger dans les filets. Mattler, mais dont la science de jeu, l'intelligence, Depuis lors le public ne cessa de scander chaque le sang-froid, la technique en mouvement ou arrê- fois qu'il apparaissait : « Méfiez-vous d'Anatol »... tée — il était le roi du corner direct — étaient une C'était devenu une habitude. » merveille, Veinante était devenu à force de travail Problèmes pour les uns, empêchements et et d'application le « cerveau » de l'équipe de « oublis » pour d'autres, ils étaient en tout cas seize France, puis un entraîneur de qualité à la Libéra- sur le « Conte Verde » qui abritait dans ses flancs tion. les Belges, les Roumains, montés au départ à Gênes, et un peu plus tard les Yougoslaves qui embarquèrent en Espagne. Les dirigeants de ces Chaliapine et Jules Rimet boudent pays avaient éprouvé eux aussi de sérieuses diffi- « le passage de l'Equateur » cultés pour envoyer une délégation digne de bien figurer, notamment la Roumanie dont les joueurs Mais celui dont on allait parler le plus désor- exerçaient pour la plupart une profession séden- mais avait nom : Alex Thépot. Un gardien de but taire dans une importante société pétrolière breton, avec tout ce que cela pouvait comporter anglaise à Bucarest. Il fallut une ultime interven- d'entêtement et de 'volonté, qui sera le trait d'union tion du prince Carol en personne, futur roi Charles parfait entre deux époques, celle de Pierre Chayri- II, pour qu'ils puissent obtenir les bulletins de guès et de Julien Da Rui. D'une stature bien sortie nécessaires et surtout l'autorisation de s'ab- proportionnée, puissant, possèdant un coup d'oeil senter deux mois, ce qui n'était pas une mince de maître, Alex Thépot était le contraire d'un goal affaire. Le roi qui reprenait son trône, après en volant du genre Vignal. Il plongeait rarement d'ail- avoir été chassé une centaine de jours plus tôt, était leurs, mais savait mieux que quiconque fermer d'autant plus concerné et intéressé que la Yougos- d'instinct les angles de tir. Il était en somme, sobre lavie, le grand rival, avait depuis belle lurette réglé mais efficace. On aura maintes fois l'occasion de le ces problèmes d'intendance pour ses éléments retrouver dans ce récit, non seulement en qualité de pourtant éparpillés aux quatre coins de l'Europe. joueur au Red Star, en équipe de France, mais de Le plus connu du grand public de « chez nous » sélectionneur. Personnage plein de sagesse, froid était précisément Yvan Beck, qui, bien qu'opérant d'apparence, aimant le théâtre, la lecture et le sur notre sol, à Sète, était encore de nationalité cinéma, retiré du monde volontairement, et ne yougoslave. Avec ses épaules de déménageur, sa recevant plus aucun journaliste, il a tenu à garder puissance qui n'avait d'égale que sa correction, pour lui ses impressions. Si Alex Thépot a pu l'impétueux attaquant faisait d'énormes ravages prendre une part active à ce déplacement c'est dans les différentes compétitions. « Un signe qui ne grâce à l'administration des Douanes à laquelle il trompait pas : c'était lorsque, de rage, il remontait appartient en tant que fonctionnaire et qui lui a sa culotte haut sur ses hanches. Il devenait alors accordé un congé exceptionnel de deux mois, à irrésistible. Beck n'avait qu'une vingtaine d'années l'instar du demi-centre Marcel Pinel qui présente- et déjà il comptait une quinzaine de participations ment est militaire et qui a réussi à obtenir un ordre sous les couleurs de son pays. La France aura été de mission assez insolite puisqu'il est mentionné sa patrie, finalement. D'ailleurs il allait revêtir sur la « perm » qu'il part comme envoyé spécial ensuite en 1934, à l'occasion de la seconde coupe extraordinaire auprès du consulat de France en du monde, le maillot bleu frappé du coq avant Uruguay. Apprenant d'ailleurs qu'il y avait sur le d'être nommé commandant et devenir un héros de même navire un « ambassadeur » qui se morfon- la Résistance dans le maquis en 1943 », a raconté dait en... deuxième classe, près de la cale, le génial Numa Andoire qui avait énormément d'estime chanteur et comédien, Chaliapine qui marqua de sa pour lui. si forte personnalité le rôle de Boris Godounov et Le joueur le plus dur au mal, en même temps qui ne daigna jamais quitter sa cabine luxueuse de que le plus brave et le plus loyal mais à qui il ne crainte d'être dérangé, l'invita, par un bristol, à faisait pas bon se frotter : Etienne Mattler. Sa disputer une partie de... bridge. Bien que joueur de carrière internationale débutait pratiquement avec cartes de talent, Marcel Pinel, qui occupait de ce championnat du monde. Elle s'étalera sur une brillantes fonctions dans le civil, et dont la culture décennie, au poste d'arrière droit. Lui aussi, plus générale faisait l'admiration de ses camarades, ne tard, pendant la guerre, entré dans la clandestinité, s'y rendit pas. Il crut à une farce et n'osa pas aller arrêté et mis en prison, s'en tirera grâce à la frapper à la porte de l'illustre personnage de l'épo- pratique intensive du sport en effectuant pendant que dont la présence sur le « Conte Verde » resta des heures et des heures, dans sa cellule, de la d'ailleurs à l'état de mystère... gymnastique, ce qui lui permit de s'évader en ... Car personne ne le vit. cascadeur, et de franchir la frontière dans une charrette de foin. Etienne, l'indomptable, qui termi- Tous les sélectionnés n'avaient pas, loin s'en nait parfois ses matches avec une entorse de la faut, les mêmes bagages physiques ou intellectuels. cheville n'a eu que deux amours durant toute son , par exemple. Cet autre « Capiste » existence : son cher maillot bouton d'or du F.C. originaire de Saint-Maur, passait surtout inaperçu Sochaux, et celui de l'équipe de France qu'il porta à cause de sa petite taille — à peine 160 centimè- avec une fierté qui ne s'est jamais démentie, qua- tres — et son poids — 64 kg — mais sur le terrain, rante-six fois, ce qui constitua longtemps un par contre, balle aux pieds, il était un véritable record. Assidu aux séances d'Edmond Delfour : poison. Un vrai gagneur, sans complexe, avec sa Emile Veinante, un Messin, dont on dira plus tard gouaille de « Titi » parisien, et un culot monstre que si le football n'avait pas existé, « Mimile » avec ça. Techniquement il était un des plus accom- l'aurait inventé. Il fut toute sa vie. A 14 ans, la plis de l'équipe. Il tirait le maximum de ses possibi- veille de son premier match, il s'habilla, de pied en lités... à commencer de sa petitesse. Son frère, Jean Laurent, était également du considéraient comme le premier vrai « pro » de la voyage. De formation « capiste » — on s'en serait génération, dans toute l'acception du terme. Un douté — voyageur impénitent — il porta une détail d'autant plus curieux que Langiller avait été bonne dizaine de maillots de clubs différents — à l'origine, nous l'avons déjà dit, en compagnie de mais moins expansif que Lucien, il n'en possédait Delfour d'une condamnation pour cause d'amateu- pas moins, une joie de vivre naturelle qui aida nos risme marron, alors que le football n'était pas « aventuriers » à supporter parfois les difficiles encore réglementé. moments de nostalgie. Plus mystérieux et indéchif- frable était par contre Alex Villaplane, un person- Mais il s'attela précisément à cette tâche impor- nage à sa manière, un peu « bandit » sur les bords, tante pour faire « avancer » sa profession et défen- vivant en marge de la société, mais dont le jeu de dre ses intérêts. Celui que l'on avait surnommé « la tête était surprenant d'efficacité. Né à Alger, de Caille » n'avait eu que la rue à traverser pour se parents... sétois, il connut ses premiers succès au rendre au Stade « capiste » dans ce coin où a battu Gallia, puis reçut une très belle formation de Gib- si longtemps le cœur du football de Paris. Aussi ce son, un fameux pédagogue. Villaplane se perfec- ne fut pas une surprise d'apprendre qu'il avait été tionna à Antibes, puis à Nice, pour devenir inter- incorporé à 16 ans, en première. national à 20 ans, et endosser le paletot tricolore Effacé dans la vie, Marcel Capelle, le fut plus plus de vingt-cinq fois. Il se lia d'amitié sur le encore durant la longue traversée. Il avait tellement bateau avec un Oranais, Ernest Liberati, un ailier peur d'avoir le mal de mer — c'était une obsession qui avait beaucoup de style, de la tenue, et dont — qu'il n'osait pas se lever de sa chaise longue ou l'autorité et des dons assez exceptionnels de vitesse de son hamac. Il fallut toute la décision énergique et le shot puissant et soudain, en faisaient un de Delfour et du goal remplaçant Tassin, qui lui danger constant pour les défenses les plus huppées. conseillèrent de manger et de bouger le plus possi- Le pendant de « Momon » Delfour, sur le ter- ble pour qu'il acceptât enfin de se mêler à ses rain, était Henry Delmer. A l'époque le demi-aile coéquipiers, mais avec quelle précaution ! était un élément un peu « falot », sans grande Côté responsables, ils étaient quatre : Caudron, dimension, du moins on le pensait, dont la mission le sélectionneur ; Balway, un arbitre qui en arrivant essentielle était de servir d'agent de liaison. Puis on à Montevideo, apprit par télégramme que son le chargea de marquer les ailiers adverses tandis épouse était décédée et qui ne put aller s'incliner que les arrières surveillaient plutôt l'approche des sur sa tombe que 55 jours plus tard ; Panezotti, le buts. Henry Delmer, actif et plein d'imagination, masseur des sportifs et plus particulièrement du ne se contenta pas de son rôle ingrat et anonyme, cyclisme et du football, et un certain M. Pons. il approfondit plus encore ses responsabilités. D'où Sans compter bien sûr M. Jules Rimet qui, curieu- la carrière marquée par des titres d'international sement, ne vint pas rendre une seule visite à ses pour ce footballeur qui passa de Mulhouse à joueurs, bien « qu'habitant » l'étage au-dessus, en Amiens, et de Roubaix au Red Star, selon les classe de luxe. Il avait été pourtant invité à la fête ambitions des clubs. organisée traditionnellement pour le passage de Il est vrai qu'il avait en Delfour l'exemple l'Equateur au même titre que Chaliapine. On les vivant de l'intelligence du jeu qui prenait le pou- attendit en vain. Une drôle de manière d'entretenir voir, lentement mais sûrement, en football. le moral des troupes. Manieur de balle assez exceptionnel, possédant un Pas un seul journaliste, ni photographe, n'était souffle quasiment inépuisable, Delfour avait en présent. Heureusement que la France ne gagna pas réalité une formation d'inter, le sens de l'attaque la Coupe du Monde... du joueur d'appui qui savait aussi « éclairer » le jeu. Il fut un des premiers, sous la férule de Après une brève escale à Rio de Janeiro, où le Kimpton, à prendre l'initiative de passer systémati- Brésil vint se joindre aux Européens, ce fut enfin quement à l'offensive, ce qui provoqua dans les l'arrivée dans la capitale de l'Uruguay. Une foule défenses, une infériorité numérique et perturba les immense s'était rassemblée sur le quai, agitant de données les mieux établies. Tout gosse, il eut petits drapeaux, où dominaient le bleu, le blanc et l'amour de ce jeu. Remarqué par le Stade Français le rouge, qui étaient aussi, il est bon de le rappeler, alors qu'il opérait à Juvisy, il signa au Racing sur les couleurs de la Yougoslavie. Cet accueil fit les conseils de Jean-Bernard Levy, l'âme du club chaud au cœur, en tout cas, de nos vaillants petits « bleu et blanc » qui tenait à tout prix à s'attacher Français, quelque peu refroidis, trois heures plus cette étoile naissante dont les feux brillaient d'un tard, en découvrant les installations du Rowing- vif éclat. Il réussit à le convaincre, mais l'affaire fit Club au quartier Pocitos, pas loin de la mer, à grand bruit. C'est à partir de ce moment-là qu'il proximité également du Parque Central, le terrain parvint à atteindre les sommets, à savoir d'être un du club de Penarol, qui servira de cadre au match titulaire indiscutable de l'équipe de France. inaugural face au Mexique, le Stadio del Centena- Delfour fit indirectement d'autres émules, et rio, n'étant pas complètement terminé. notamment Augustin Chantrel, un sportif cultivé, « C'était très vétusté, contrairement à ce que j'ai dont le Paris U.C. était fier de le voir porter les pu lire et entendre depuis cinquante ans. Pas fonc- couleurs, avant qu'il ne s'en aille faire les beaux tionnel du tout. Nous avons demandé à aller loger jours du Red Star et d'Amiens où il avait tenu à ailleurs. On nous proposa un autre endroit. Les rejoindre Paul Nicolas. installations étaient tout aussi précaires. Alors nous sommes restés là. Se plaindre ? Faire un scandale ? Dans cet amalgame à forte tendance parisienne, Ça n'aurait rien changé. Nous étions trop ainsi que l'on a pu aisément s'en rendre compte, et « petits », et l'Uruguay était pauvre, à telle ensei- qui voguait sur l'Atlantique, figurait également gne que la compétition achevée, le gouvernement Marcel Langiller, dont l'ascendant sur ses camara- décida de dévaluer le peso, une opération qui passa des était particulièrement marquant. Ces derniers le « comme une lettre à la poste » tellement l'enthou- siasme et l'effervescence de la victoire finale qu'il faisait là et quel était le score. « Ne t'occupe avaient accaparé les esprits » s'est souvenu avec de rien, cours ! » lui rétorquera sur un ton sans précision Edmond Delfour, qui n'avait pas oublié équivoque Etienne Mattler. ses origines modestes : « Je travaillais alors avec « Je ne me rappelle absolument de rien, ni j mes beaux-parents. Nous étions marchands ambu- comment se déroula la rencontre, ni de quelle lants, sur les marchés, de vêtements de toile. Le façon furent marqués les buts. » jour de ma première sélection je me suis levé à Edmond Delfour ne fut donc pas le « témoin » 6 heures pour déballer la marchandise. A 10 heu- de l'exploit que réalisa d'abord Lucien Laurent qui res, j'ai avalé un bifteck et de la purée et j'ai eut l'insigne honneur d'inscrire le premier but de rempli de nouveau la camionnette. Il était plus de l'histoire de la Coupe du monde, créée par Jules midi lorsqu'un copain est venu me chercher pour Rimet et ciselée par Abel Lafleur. m'accompagner à Colombes. Une demi-heure après j'étais en tenue, prêt à affronter l'Angleterre. Je Rien que pour cela l'aventure méritait de vous n'étais pas le seul dans cette situation... » être contée... Trois autres buts furent marqués par la C'était l'âge ingrat du football français. « Caille », Marcel Langiller, et un autre joueur de talent sur lequel nous étions restés discrets jus- que-là : André Maschinot. Avec ses cheveux pla- qués et rejetés en arrière, son teint mat, ses yeux Contre le Mexique les crampons sautent profonds et noirs, son allure élégante, le Belfortain n'avait pas hésité à mordre d'emblée, à pleines comme des bouchons de champagne dents, dans cette confrontation. Ses efforts furent Avec treize participants seulement, il n'était pas couronnés puisqu'il trompa à deux reprises le gar- question d'utiliser intégralement, à Montevideo, le dien Bonfiglio, avec la candeur propre aux êtres système « Coupe » cher à Henry Delaunay. Les généreux et nullement surpris par leur réussite. équipes furent donc réparties en quatre groupes, Comme un animal sur sa proie, Maschinot avait su avec demi-finale entre les vainqueurs puis finale. bondir au bon moment, et en restant « caméléon » le reste du temps... Argentine, Brésil, Uruguay, Etats-Unis, furent choisis comme « têtes de séries », les autres nations L'inler droit Carreno, et sa gueule d'Indien, étant affectées à chacun des groupes par tirages au sauva l'honneur mexicain devant des spectateurs sort. La France se trouva donc dans le groupe I médusés et ébahis par la rigueur, le sérieux et la avec l'Argentine, le Chili et le Mexique. condition physique affichée par dix garçons sûrs Une semaine s'était écoulée. d'eux-mêmes, qui avaient pris confiance en leurs moyens deux jours auparavant en alignant cinq Le 13 juillet eut lieu le « coup d'envoi ». Il se buts au cours d'un match d'entraînement face aux mit à... neiger ! Un vent frisquet venant du nord Roumains. balayait le terrain, lorsque le onze de France, transi, se présenta face à la tribune d'honneur avec son chef de file, Alex Thépot, engoncé dans sa tenue de laine. L'Uruguay, supporter de la France Un sacré baptême du feu. victime d'une erreur d'arbitrage Première anecdote cocasse : des crampons, mal Il fallait maintenant confirmer ces bonnes fixés, sautèrent dès le début comme des bouchons intentions et cette réussite qui avaient engendré la de Champagne, les arrières étaient mis dans l'obli- joie dans le clan français, face à l'Argentine qui se gation de dégager au « petit bonheur la chance ». dressait à son tour, sur sa route. Les « bleus » Mais l'affolement allait être de courte durée. Sur ce avaient juste le temps de récupérer des fatigues terrain, immense, rendu glissant par endroits, puisque la rencontre était prévue pour le surlende- inégal, le style dépouillé des Français, lesquels main 15 juillet, et surtout de panser leurs blessures. avaient à cœur de démontrer au public — mal ou Cette rencontre, tout l'Uruguay l'attendait avec prou informé par des journalistes ignorant d'ail- d'autant plus de fébrilité et de curiosité que les leurs tout de la valeur des Tricolores — qu'il valait Argentins lui avaient causé les pires misères, en celui de l'Amérique latine, montraient un visage 1928, aux Jeux olympiques d'Amsterdam, où les plaisant, ma foi, sans fausse note, sous le regard de deux pays s'étaient affrontés en finale. Nazzazi, le Jules Rimet qui n'était pas le moins surpris. capitaine José Andrade, la « merveille noire » Ges- Las, au bout d'une dizaine de minutes de jeu, trido, qui n'avait que vingt-quatre ans, Scarone, Alex Thépot, à la suite d'un heurt avec l'avant-cen- qui termina sa carrière en Italie, avaient tremblé tre mexicain Meija, se blessait et devait recevoir jusqu'au bout et ne l'emportant que de justesse 2 à des soins de Panezotti. Ce fut l'affolement dans le 1. Aussi voyaient-ils d'un bon œil une éventuelle clan français, quand il annonça qu'il n'était pas en défaite des joueurs de la « Pampa » particulière- mesure de reprendre la partie. Le gardien de but ment agressifs et mals aimés, à l'image d'un des hors de combat et quatre-vingts minutes à tenir à leurs, Monti, le défenseur le plus brutal et méchant dix ! C'est Augustin Chantrel qui se dévoua et que le football mondial ait connu. Echantillonnage endossa le chandail à grosses mailles de l'infortuné sélectionné au travers d'une élite assez impression- Thépot. Comble de malchance, Edmond Delfour, nante l'Argentine symbolisait ce football d'une se télescopant avec un défenseur, était victime à autre planète avec tout ce qu'il pouvait représenter son tour d'un choc à la tête. Il continua à jouer de force, d'arrogance, de talent, de couleur, de la dans le « brouillard » le plus complet, sans que ses touche de fantaisie et d'orgueuil inhérente au carac- coéquipiers ne s'en soient véritablement aperçus, tère d'un peuple tout acquis déjà à la cause d'une sauf à la mi-temps où il s'inquiéta de savoir ce balle de cuir... Jean Laurent (à droite) pose auprès d'Edmond Del- four, au Rowing-Club à Montevideo, quelques heures avant le match contre l'Argentine du brillant stratège parisien. Alex Thepot, le gardien de but, fut un des héros de cette première Coupe du Monde. On le porta même en triomphe, à l'issue notamment de son brillant com- portement face à l'Argentine. Il intervient ici en même temps que le défenseur Capelle.

L'équipe de France qui a disputé le match d'ouverture face au Mexique et qui l'emporta 4 à 1. De g. à dr. au premier rang : Liberati, De/four, Maschinot, L. Laurent, Langiller. Au second rang : Chantrel, Pinel, Thepot, Capelle, Mattler, Villaplane. Pour la France, le ciel avait soudainement tard, je mettais légèrement au-dessus. Le temps de changé de ton lorsque le gardien Alex Thépot, la remise en jeu et Langiller, encore lui, filait au soigné une bonne partie de la nuit par le masseur- but quand l'arbitre, qui venait de consulter son miracle, se sentit apte à tenir de nouveau sa place, chrono, mit fin aux opérations. ! ainsi que Delfour, remis de son K.-O. technique. « Stupeur dans les tribunes et dans le camp Mais pour la presse spécialisée, face à une français. Il avait, de bonne foi ou pas écourté la formation complète dans toutes ses lignes, et qui partie de huit minutes ! envisageait d'atteindre la finale, la France partait « On rentra aux vestiaires dans la confusion la sans la moindre chance de l'emporter. « Ces jour- plus totale, tandis que Thépot, Tassin, Andoire et nalistes semblaient ignorer que chez nous aussi Veinante, accourus depuis le bord de la touche, l'amour du ballon rond était soigneusement ancré parlementaient. dans nos entrailles », dira plus tard, à son retour « S'étant aperçu de son « erreur » il rappela près des siens, Emile Veinante, qui n'était prévu tout le monde afin que le jeu puisse reprendre, qu'au titre de remplaçant et ne cessait d'encourager cependant que le capitaine argentin, Varallo, ses camarades. vaincu par toutes ces émotions, était emporté en « Francia ! », « Francia ! », « Francia ! ». vitesse auprès du médecin, en proie à une véritable Le public était « pour nous »... crise de nefs. « On se rhabilla à la hâte et on disputa donc Envolé du coup les complexes. Du panache, au cette « prolongation » mais le bombardement contraire. Face à ce jeu très enlevé, brillant, des intensif ne servit à rien. Le résultat était acquis. Argentins, les Tricolores donnèrent toutefois, au Nous étions battus. Il ne nous restait que ce dont début, quelques signes de panique. C'est ainsi que nous étions le plus fier, à l'image de Cyrano de Villaplane et Pinel éprouvaient des difficultés à Bergerac : notre panache... » contenir Ferreira, Evaristo, Perinetti, les plus en Le public envahit le terrain de nouveau pour vue, tands que Capelle qui ratissait la pelouse porter notamment Alex Thépot en triomphe. autour des combinaisons soigneusement menées, Mieux, un policier à cheval, le hissa sur la croupe devait redoubler d'attention. Mais Alex Thépot et lui fit faire un tour d'honneur... était dans un jour faste. Il réalisait des prouesses. Quelques-uns pleurèrent de dépit. Ils avaient Restait maître sur sa ligne. Un véritable rempart soudain le sentiment qu'ils venaient de passer à sur lequel venait « mourir » les actions des avants côté d'un exploit. argentins. Les spectateurs qui les avaient-attendus à la « C'est alors que le terrible Luisito Monti entra sortie eurent beau leur faire encore une ovation, ils en transes. A défaut de coup d'éclat il plongea ne sont pas arrivés à se consoler. Ils pestaient littéralement dans les jambes de Lucien Laurent qui resta au sol en se tordant de douleur, sa cheville ayant rapidement doublé de volume. Ce fut d'au- tant plus écœurant que l'arbitre portugais, M. Almeida Rego, ne siffla même pas un coup franc. Les jambes de Maschinot souffrirent à leur tour du traitement infligé par le demi argentin qui se sen- tait visiblement « protégé ». Mais le temps passait. Nous tenions toujours. Mieux, Liberati, qui avait réussi à échapper au marquage de son vis-à-vis, le puissant Suarez, un joueur très habile et correct, lui, fut à deux doigts de tromper Bossio, le goal, qui avait été peu sollicité, il est vrai, jusque-là. » Edmond Delfour en arriva ensuite à l'incident qui coûta la victoire, du moins le match nul et dans lequel il fut directement mêlé. « Il restait dix minutes à peine à jouer. Le vent s'était levé et modifiait de plus en plus la trajec- toire du ballon. Sur un tir en lob d'un attaquant j'ai contrôlé le ballon avec la poitrine à une ving- taine de mètres des buts gardés par Alex Thépot. Rien de répréhensible. « Or, l'arbitre estima que j'avais touché le bal- lon de la main et siffla la faute. Tandis que nous nous apprêtions à nous placer, Monti est arrivé à toute allure et sans que Almeida Rego lui en ait intimé l'odre, il frappa en force et... marqua ! « But accordé ! « Alors de rage, dans un mouvement de révolte, on se lança à corps perdu dans la furieuse bataille qui se déroulait dans un climat que je vous laisse deviner volontiers. « Sur un renversement d'attaque, Langiller se Jules Rimet, président de la F.I.F.A., remet le trophée retrouva seul devant le goal argentin Bossio, mais à M. Raul Jude, président de l'Association uruguayen- tira à côté. Moi-même, quelques secondes plus ne de football. Prix: 89 F. ISBN 2.86494-034 5

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