Mourir Au Monde
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CAHIERS LAUSANNoTS D'HrsrorRE vÉntÉvelp 7 PIsnn BoRRanoRr Mourir au Monde Les lépreux dans le Pays de Vaud 6IIIe - XVU? siècle) Lausanne 1992 CAHIERS LAUSANNOIS D'HISToIRE Ir,lÉolÉvuB cAHIERS LAUSANNOIS D'HISTOIRE vtÉoIÉvalp 7 7 Edités par Prcne BoRnnoonr AGOSTINO PARAVICINI BAGLIANI Mourir au Monde Les lépreux dans le Pays de Vaud (nIIe - XVII? siècle) &{M* Faculté des lettres Section d'histoire Anthropole CH-1015 Lausanne Section d'histoire. Faculté des Lettres Université de Lausanne BFSH 2 CH-1015 Lausanne Lausanne 1992 En préambule, je tiens à remercier les personnes qui ont permis la parution de ce livre. Tout d'abord le Professeur Agostino Paravicini Bagliani qui m'a dirigée tout au long de mes recherches et qui me permet aujourd'hui d'en publier les résultats. Je suis également très reconnaissante à ceux qui m'ont encouragée et guidée en me conseillant ou en me signalant des documents: Jean-Daniel Morerod, Bemard Andenmatten, Pierre Dubuis, Daniel de Raemy, Nathalie Pichard Sardet et Ilaria Taddei. J'ai une dette particulière envers ceux qui m'ont généreusement aidée dans la lecture et la traduction des textes anciens, en particulier Ansgar Wildermann, Eric Chevalley, Pierre-Yves Favez et Franco Ciardo. Ce travail doit également beaucoup aux personnes qui ont eu la patience et l'amitié de relire les épreuves: Caroline Butikofer- Oesch et Véronique Pasche. Et un grand merci aussi à tous les autres... Quiconque sera atteint de Ia lèpre portera ses vêtements déchirés, et il aura la tête nw; il se couvrira la barbe et criera: Impur! Impur! Tout le temps que durera le mal, il sera impur. Etant impur, il demeurera seul hors du camp. Lévitique 13,45-46. De nos jours encore, les lépreux inspirent l'épouvante et la pitié. Et cela bien que la médecine contemporaine ait appris à guérir la lèprel. Au Moyen Age, comme pendant l'époque modeme, la lèpre n'est jamais maîtrisable. Même lorsqu'elle n'est qu'une crainte, lorsqu'aucun cas ne se manifeste dans I'immédiat, un ensemble de significations et de symboles s'interpose toujours entre les malades et la population saine2. Pour l'apprivoiser, I'homme médiéval n'a pas le secours de la science: il n'a que I'aide de Dieu et le bon sens de ses ancêtres. Alors, on va enfermer les lépreux... mais aussi les entretenir. Le comportement des bien portants envers les lépreux est toujours ambivalent, car l'image du lépreux l'est aussi. D'un côté, les lépreux sont ces êtres horribles qui hantent les routes et les chemins et qui, par leur aspect hideux, rappellent à I'homme le jour inéluctable où son propre corps pourrira, rongé par les vers, comme celui du ladre est rongé par la maladie. Ce sont des hommes que I'on pense devoir mettre à l'écart, car ils sont marqués par Dieu dans le corps et dans l'âme. Pour les mêmes raisons, on les persécute parfois avec achamement. De l'autre côté, les lépreux bénéficient d'innombrables legs. Ils sont nourris, au besoin, par la communauté ou la paroisse qui les 1. Depuis 1943, il existe plusieurs médicaments capables de détruire le bacille de Hansen, responsable de la maladie (le plus employé, car le moins cher, c'est le dapsone). Pourtant il existe encore environ cinq millions de lépreux recensés (onze millions de cas estimés) dans le monde (NLM, p. 575). Mais si l'on peut guérir de la lèpre, il est encore plus facile de ne pas l'âtraper. Bien qu'il existe encore quelques points obscurs, nous savons aujourd'hui que l'on peut vivre au milieu de lépreux, sans en devenir un: il suffit de respecter des mesures d'hygiène simples, de posséder un organisme normalèment constitué et de jouir d'une alimentation'saine (Les renseignements sur les connaissances actuelles de la lèpre m'ont été aimablement transmis par Cristina Duroux-Borradori). 2. BÉRIAC, Hi,stoire des lépreux au MoyenAge, p. 88. 8 MOURIR AU MONDE INTRODUCTION 9 héberge, les habille, leur foumit des personnes pouvant les aider. thérapeutique pour soigner les lépreux et la prophylaxie n'était Ils sont soutenus lorsque, dans les jours sombres, leurs jambes se pas adéquate au mal. A part la théorie des humeurs -théorie plus brisent sous le poids de leur corps meurtri, les empêchant ainsi de philosophique que médicale-, qui ne donnait pas une explication se déplacer, lorsque leurs bras ne peuvent même plus se diriger de la maladie pouvant déboucher sur un traitement pratique5, on vers I'aumône qu'un passant veut bien leur tendre. Comment ne connaissait qu'un seul système pour limiter la contagion: expliquer ce comportement charitable si le lépreux n'était vu que exclure les malades de la société des bien portants. Pourtant, si le comme un réprouvé de Dieu et de la société? risque de contagion de lèpre était vraiment grand, les habitations Au Moyen Age, on comprend mal ce qu'est la lèpre et c'est urbaines surpeuplées -par exemple aux XIVe-XVe siècles- qui cette incompréhension qui entretient ce qu'on pourrait appeler un impliquaient une promiscuité et un manque d'hygiène favorable certain respect du lépreux. On attribue au malade un rôle et une pour la transmission de toutes les maladies6, auraient été de vrais fonction qui n'ont, au fond, aucun rapport direct avec sa maladie. foyers d'épidémiez. Comme on ne reconnaissait que les stades les On le traite de monstre qu'il faut écarter de la société et, en même plus avancés de la maladie, il était impossible d'empêcher la temps, on le considèrê comme un de ses meilleurs intercesseurs contagion pendant I'incubation ou les stades initiaux de celle-ci8. auprès de Dieu. En rejetant le lépreux dans l'espace méconnu de D'ailleurs, I'absence de connaissances médicales sur le sujet fut la marge, on en idéalise l'image. Aucun autre malade n'aura une commun à toute époque fiusqu'au XVIIIe siècle en tout cas). Mais place si importante dans une hypothétique hiérarchie spirituelle. alors, comment expliquer que la lèpre ait progressivement disparu depuis le XVIe siècle? Etait-ce grâce aux résultats de La lèpre commença à sévir en Europe bien avant le Moyen I'exclusion? Peut-être en partie (ce système est parfois utilisé Age. Contrairement à ce qu'on a pensé pendant longtemps, ce ne encore aujourd'hui dans certains pays), mais il semblerait que les sont pas les Croisés qui I'ont amenée en Occident en revenant de raisons principales ne sont pas à chercher dans cette direction. Terre Sainte3: un témoignage écrit du VIe siècle montre que cette Plusieurs autres hypothèses peuvent être avancées: le bacille de maladie était une réalité que nous connaissions depuis des temps Koch -celui de la tuberculose- aurait chassé celui, plus faible, de reculés4. Pendant l'époque médiévale, il n'existait aucun moyen la lèpre; les progrès en matière d'hygiène et de train de vie en Occident auraient restreint l'ampleur des catégories à risque; I'ouverture des hôpitaux vénériens spécialisés auraient diminué le 3. Par conffe, les Croisés ont involontairement ramené de I'Orient une nombre des "lépreux" en facilitant la distinction entre vrais ladres conception nouvelle de la lèpre: en effet, si même ces chevaliers qui s'étaient et malades vénériens9. qu'il en soit, est évident que la battus pour la cause chrétienne en tombaient malades, comment pouvait-on Quoi il continuer,à croire que la lèpre était la rançon du péché individuel de celui qui I'attrapait? (BRODY, The Disease of the Soul, p. 103). 4. "Vita s. Romani", dans Vie des Pères du Jura, par F. Martine, p. 288- respicientes, eleunta cum gaudio uoce, de salute communi gloriantur alterutrutn, 291 1...1 accidit ut, inminente uespera, speluncam, qua propter aggerem leprosi et concite ad ciuitatem currentes [...]. Texte, daté d'entre 510 et 530, rapportant duo, id est pater cumfilio, uersabantur, intraret. Igitur, cum infelices ipsi, une histoire qui se serait passée aux alentours de 480. intrante misericordia iamfelices, ligna usibru conuecturi, eminus aliquantulum 5. Pour cette théorie: voir BÉRleC, Histoire des lépreux au Moyen Age,p. absentarent, beatissimus Romanus, pulsata reserataque clusurula, speluncam 17-20. ingressus est. 46. Cumque orationem religiosa functione complessent, ecce 6. NADA PATRoNE, "Gli uomini e le loro malattie nel tardo Medioevo", p. laboriosi ipsi ligna deferentes adueniunt, eiectisque in uestibulo lignorum 76. surculis, nouos atque inopinatos hospites non sine haesitatione respiCiunt. At 7. "Dans 95 7o des cas,le Mycobacterium leprae est éliminé sans créer de uero sanctus Romanus, ut erat singulari benignitate conspicuus, consalutatis maladie" (GENTILI{I M., Médecine ffopicale, Paris, 1989, p.275). blandissime complexisque Martini in morem, utrumque sanctissima fide et 8. D'après les connaissances de la médecine moderne, "la plupart des caritate deosculatur. Et oratione cum reliqua solemnitate percepta, uescuntur malades [de lèprel se contamineraient dans I'enfance, bien que la maladie se simul,, una manent pariterque consurgunt ac, dilucescende crepuscolo, agens déclare habituellement à l'âge adulte" (GENTILINI M., Médecine topicale,Paris, Deo hospitibusque gratias, cæptum iter adgreditur.47. Et, o mirafides, môx ut 1989, p. 2'14). Ce qui signifie que la période d'incubation est pdticulièrement ipse egressus est, adparuit in operatione similitudo, cuius iam praecesserat in longue. imitatione constantia. Leprosi namquam illi, per confabulationem recordantionemque magnorum hospitum mutua semet consideratione 10 MOURIR AU MONDE INTRODUCTION 11 ségrégation des lépreux n'a pas suffi à elle seule à faire disparaître jamais du lépreux lui même, car rares sont les sources où on lui la maladie. donne la parole. Ce sont les bien portants qui racontent I'histoire de leurs contemporains atteints de la maladie.