La Désindustrialisation : Une Fatalité ?
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
29 Les Cahiers de la MSHE Ledoux Les fermetures d’usines, les délocalisations, les destructions massives d’emplois industriels et le rachat de fleurons de l’industrie nationale par La désindustrialisation : des groupes étrangers nourrissent l’inquiétude de l’opinion devant le déclin industriel de la France qui est sans équivalent en Europe. Pour comprendre ce une fatalité ? processus aux conséquences dramatiques, ce livre en étudie les causes, analyse le désengagement de Les Cahiers de la MSHE Ledoux l’État et le rôle du patronat, ausculte les dynamiques sous la direction de d’entreprises et de territoires industriels, décortique les réactions ouvrières, et compare l’évolution Dynamiques territoriales Jean-Claude DAUMAS, Ivan KHARABA française à celle de plusieurs pays européens. Au et Philippe MIOCHE terme de ce parcours, une question s’impose : la réindustrialisation est-elle encore possible ? Jean-Claude Daumas : professeur émérite à l’université de Franche-Comté et membre honoraire de l’Institut universitaire de France, est spécialiste de l’histoire des entreprises et du patronat. Ivan Kharaba : directeur de l’Académie François Bourdon (Le Creusot), ses recherches concernent l’histoire de l’industrie en Provence. Philippe Mioche : professeur émérite à l’université d’Aix- Marseille et titulaire de la chaire Jean Monnet, ses travaux portent sur l’histoire de l’industrie et de la construction de l’Europe. MAISON DES SCIENCES DE L'HOMME ET DE L'ENVIRONNEMENT Dynamiques territoriales 11 CLAUDE NICOLAS LEDOUX La désindustrialisation : une fatalité ? 9 782848 675831 Prix : 20 € TTC ISBN : 978-2-84867-583-1 Presses universitaires de Franche-Comté ISSN : 1772-6220 MSHE LEDOUX Illustration de couverture : © 123RF/Sean Pavone LA DÉSINDUSTRIALISATION : UNE FATALITÉ ? presses universitaires de franche-comté n° 1387 Collection « les cahiers de la mshe ledoux » dirigée par Philippe Barral n° 29 Série « Dynamiques territoriales » Responsable : Philippe Barral n° 11 UFR des Sciences du Langage, de l’Homme et de la Société 30-32, rue Mégevand 25030 Besançon cedex diffusion FMSH Diffusion 18-20, rue Robert Schuman – 94220 charenton-le-pont © presses universitaires de franche-comté – 2017 Mise en page : Marie Gillet ISBN : 978-2-84867-583-1 – EAN : 9782848675831 ISSN : 1772-6220 LA DÉSINDUSTRIALISATION : UNE FATALITÉ ? sous la direction de Jean-Claude Daumas, Ivan Kharaba et Philippe Mioche Ouvrage publié avec le concours de l’Académie François Bourdon © presses universitaires de franche-comté — 2017 12 La bourgeoisie d’affaires marseillaise face aux recompositions industrielles des années 1960-1990. Les fondements d’un désengagement Xavier Daumalin Les années 1960-1990 ont été particulièrement difficiles pour le port de Marseille. Les principaux fleurons de son industrie disparaissent un à un ou sont repris un temps par des sociétés nationales et interna- tionales, avant d’être démantelées ou fermées. Toutes les branches sont concernées : la réparation/construction navale et la construction méca- nique (fermeture des Chantiers & ateliers de Provence en 1966 ; dépôt de bilan de Titan-Coder en 1974 ; faillite de la Société provençale des ate- liers Terrin en 1978) ; l’industrie chimique (rachat et démantèlement de Schlœsing en 1970 par Ciba-Geigy ; rachat, puis fermeture des Blancs de zinc de la Méditerranée en 1980 par la New Jersey Zinc Co ; fermeture de la Compagnie générale des produits chimiques du Midi en 1988 ; rachat et démantèlement des Raffineries de soufre réunies en 1988 par PEN- NWALT) ; le pôle tuilier (vente en 1987 de la société des Tuileries de Mar- seille et de la Méditerranée – regroupant une grande partie de la branche – à la société Élysée investissement, avant de passer sous le contrôle de Saint-Gobain, Lafarge et d’être fermée) ; l’industrie des corps gras, avec la perte du contrôle d’UNIPOL – rassemblant la presque totalité de la 240 Xavier Daumalin branche – en 1971, puis la cession de l’ensemble de ses actifs entre 1975 et 1978 à la concurrence française et étrangère en vue, le plus souvent, d’une fermeture des sites de production. Comme d’autres ports indus- triels européens, Marseille subit alors un « choc de désindustrialisation » aux conséquences sociales et urbaines particulièrement douloureuses. Plusieurs milliers d’emplois disparaissent et de nombreuses friches indus- trielles apparaissent au sein de l’espace urbain (Daumalin, 2003). D’une certaine manière, on peut considérer que c’est au cours de ces trois dé- cennies que l’essentiel du triptyque pluriséculaire associant étroitement importation de matières premières agricoles ou minières, transformation dans les espaces portuaires marseillais, puis réexportation des produits obtenus sur tous les continents, s’efface pour laisser progressivement la place à un nouveau système économique portuaire davantage tourné vers les services (Garnier, 2011 ; Zalio, 2010). C’est aussi au cours de cette période que les grandes familles marseillaises se détournent majoritaire- ment de l’industrie pour investir dans d’autres activités ou s’orienter vers des métiers moins liés à l’économie. Comment expliquer un tel désengagement alors que depuis le dé- but du XIXe siècle la bourgeoisie d’affaires marseillaise est très présente dans l’industrie et quelle a même notablement renouvelé sa présence au cours des années 1880-1930, en réponse aux enjeux et aux défis de la deuxième industrialisation (Daumalin et Raveux, 2001, p. 153-176 ; Dau- malin, 2014) ? Plusieurs hypothèses peuvent être avancées : le poids de la conjoncture, et notamment de celle liée à l’évolution du coût de l’éner- gie, même si la chronologie choisie pour ce texte laisse déjà entendre une réponse différente ; la perte des marchés coloniaux qui, pour certaines sociétés, représentaient une source d’approvisionnement ou un débou- ché essentiel ; l’ouverture à la concurrence de marchés jusque-là plus ou moins captifs avec la création de la CEE ; l’essor industriel de pays autre- fois cantonnés dans la production de matières premières ; la lassitude aussi, voire l’inquiétude, de la bourgeoisie d’affaires à l’égard d’activités jugées désormais moins rémunératrices et trop risquées pour l’avenir du patrimoine familial. Bien évidemment, il n’est pas possible de présen- ter une étude exhaustive dans le cadre de cet article. Nous prendrons donc comme exemple une branche qui a longtemps été – concrètement et symboliquement – un des poids lourds de l’industrie marseillaise, avant de disparaître brutalement : l’industrie des corps gras. Nous évoque- rons tout d’abord les difficultés rencontrées par cette branche au cours des Trente Glorieuses, puis les réponses apportées par les principales La bourgeoisie d’affaires marseillaise face aux recompositions industrielles… 241 familles présentes au sein de cette activité avant de dresser le bilan de leurs différentes initiatives. I. L’industrie marseillaise des corps gras dans les Trente Glorieuses Au cours des années 1950, l’industrie marseillaise des corps gras compte une trentaine de sociétés et emploie un peu plus de 4 000 per- sonnes. C’est donc une branche peu concentrée, contrairement à d’autres comme le raffinage du sucre et le raffinage du soufre où la concentration est totale depuis l’entre-deux-guerres. Ces huileries et ces savonneries sont alors confrontées à plusieurs difficultés. Les huileries doivent tout d’abord faire face à la concurrence des pays développés (USA notamment), mais surtout à celles de pays qui, jusque-là, approvisionnaient Marseille en oléagineux et qui désormais triturent eux-mêmes leurs corps gras pour exporter de l’huile : l’Inde ; les colonies françaises d’Afrique où depuis la récession des années 1930 l’huilerie est subventionnée par la France pour essayer de diversifier et de dynamiser les économies coloniales. Le principal ensemble industriel des colonies est exploité par la société G. Lesieur & fils qui a accepté, en 1941, de jouer la carte coloniale proposée par l’État, contrairement aux industriels marseillais qui l’ont refusée1. Et le pari s’est avéré gagnant. En 1951, dix ans après s’être implanté dans les colonies avec l’aide de l’État, Lesieur est à la tête d’un ensemble africain couvrant le Sénégal, le Maroc et l’Algérie : l’usine de Dakar, d’une capacité de traitement de 120 000 tonnes de graines d’arachide, est reliée au port par un pipe-line qui permet de transborder directement l’huile en vrac dans des bateaux- citernes ; celle d’Alger, également à proximité du port, est équipée pour triturer 100 000 tonnes de graines d’arachide, raffiner l’huile brute impor- tée du Sénégal et produire du savon ; l’usine de Casablanca peut traiter 60 000 tonnes de graines et raffiner 85 000 tonnes d’huile. Non seulement le groupe Lesieur s’est implanté sur les lieux de production où les indus- triels marseillais avaient l’habitude de s’approvisionner en oléagineux 1. C’est l’huilier Émile Régis, président de la chambre de commerce et d’industrie de Mar- seille, qui – en accord avec l’ensemble de la profession – refuse l’offre du gouvernement de Vichy de construire plusieurs huileries en AOF et au Maroc. Déjà obligés de s’appro- visionner sur le seul marché ouest africain à des prix plus élevés que ceux pratiqués sur les marchés internationaux (loi de 1933), les huiliers marseillais ne souhaitent pas par- ticiper à une politique industrielle coloniale qui risque, à terme, de mettre en péril près de 4 000 emplois directs dans Marseille. Et c’est finalement Georges Lesieur, dont les usines de Dunkerque sont arrêtées par la guerre, qui accepte l’offre du gouvernement (Daumalin, 1992, p. 334-340). 242 Xavier Daumalin (Sénégal), mais il est aussi présent dans leurs principaux débouchés : les pays du Maghreb. En 1956, Lesieur-Dakar affiche 86 millions de béné- fices nets, Lesieur-Alger 61 millions et Lesieur-Casablanca 123 millions. Cette concurrence a des effets dévastateurs. Entre 1951 et 1955, cinq hui- leries marseillaises ont déjà fermé leurs portes et la plupart des autres établissements sont en sous-activité et éprouvent des difficultés de tré- soreries.