Obama Vs Mccain Un Combat Moderne ?
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081011dossier077.bin:Et&Refl 18/09/08 14:51 Page 79 LA PROCHAINE AMÉRIQUE OBAMA VS MCCAIN UN COMBAT MODERNE ? ■ MATHIEU LAINE ■ obamania triomphante, faite d’images scintillantes et de stades bondés, qui alimente l’espoir d’une nouvelle ère L’ américaine mêlant subtilement modernisme, sourires géné- reux, repentance et réconciliation, nourrit une bulle médiatique particulièrement puissante qui pourrait bien finir par propulser le sénateur démocrate au sommet du pouvoir américain. Même le très respecté The Economist, qui, à l’heure où ces lignes sont écrites, ne s’est pas encore prononcé, devrait apporter son soutien (certes avec de multiples réserves, mais tout de même !) à celui qui, de prime abord, paraissait bien trop interventionniste pour décrocher ce prestigieux appui. Il existe, en effet, un « phénomène Obama », qui transcende les courants et bouleverse les cartographies politiques : personne ne semble en réalité vouloir, s’il devait gagner, prendre le risque – sans doute mortel – d’être passé à côté d’un tel événement. Obama a, en quelque sorte, réussi le tour de force d’associer son 79 081011dossier077.bin:Et&Refl 18/09/08 14:51 Page 80 LA PROCHAINE AMÉRIQUE Obama vs McCain Un combat moderne ? nom à l’idée d’un mouvement de fond singulier, sans commune mesure avec ce que l’on appelait « l’effet Kerry » il y a quatre ans, visant à déringardiser l’Amérique et à lui donner, enfin, l’occasion d’être universellement aimée. Sa victoire est même annoncée comme l’un des bouleversements politiques les plus importants de l’histoire américaine depuis l’élection de Ronald Reagan en 1980. Décryptages À y regarder de plus près, on s’étonne, cependant, d’une telle comparaison. Le programme du sénateur démocrate est fina- lement assez pauvre, conceptuellement, à côté des ambitions et réalisations de celui qu’il présente parfois comme son antimodèle. Certes, Barack Obama parle. Il parle remarquablement et sait dépasser, avec une très grande habileté, les susceptibilités qui divi- sent pour tracer un chemin d’« unité », d’« espoir » et de « change- ment ». Mais la dimension quasi messianique de ce champion de la séduction intellectuelle cache, comme nous allons le voir, une tra- gique absence de vision doublée d’un pari économique d’un autre âge qui pourraient bien assombrir, s’il est élu et s’il applique ce qu’il dit, l’avenir d’un pays aux infinies ressources. Face à lui, John McCain paraît parfois jouer contre son camp. Ou plutôt se contenter de fédérer, au-delà d’une grande majorité de militaires acquis à sa cause à la suite de ses faits d’armes, les anti-Obama bien plus que rassembler, autour d’idées phares et de concepts novateurs, une dynamique d’adhésion, de conviction et de victoire. L’intervention russe en Géorgie en août 2008 aura cependant contribué à relancer sa campagne, qu’il tente d’inscrire, toute chose égale par ailleurs, comme un certain Nicolas Sarkozy, en « rupture » avec un président sortant issu de son propre camp. Son professionnalisme reconnu l’incite à miser sur sa notoriété, sur l’Amérique profonde et sur l’idée, partagée au-delà de son camp, qu’il serait un bon chef des armées et un président d’une grande probité. La loi limitant les abus dans le financement des campagnes électorales et réduisant considérable- ment l’influence du soutien des milieux d’affaires dans une telle 80 081011dossier077.bin:Et&Refl 18/09/08 14:51 Page 81 LA PROCHAINE AMÉRIQUE Obama vs McCain Un combat moderne ? campagne, qu’il a faite passer, contre son camp, en 2002, au Congrès, lui donne sur ce point un avantage non négligeable face à un Obama clairement moins expérimenté et souffrant de ne pouvoir montrer qu’il a fait et qu’il sait faire. Trois phénomènes majeurs marquent cette campagne et révèlent aux yeux du monde la complexité du nouveau visage américain. Alors que l’Amérique connaissait depuis plusieurs décennies un stimulant choc conceptuel entre républicains et démocrates, le combat de fond qui se déroule sous nos yeux emprunte davantage, sur des sujets autrefois clivants comme l’en- vironnement, à l’harmonie d’une musique de chambre qu’aux affrontements musclés rythmant les symphonies tonitruantes. Il en va autrement, bien entendu, sur le terrain économique où, entre les perspectives d’Obamanomics et de McCainomics, les différen- ces s’affirment. Même si, là encore, l’un comme l’autre s’éloignent, notamment ces dernières semaines, des propositions initiales tran- chées pour converger désormais vers des options plus mainstream. Enfin, tous deux ne prennent pas suffisamment position sur le nouveau monde, celui de la « post-politique », dans lequel le poli- tique subsistera, bien entendu, mais verra son influence considéra- blement s’effacer et devra totalement se réinventer pour préserver sa légitimité. L’atténuation des clivages Sur de nombreux sujets, McCain et Obama sont plus pro- ches que ne l’étaient, au même stade, Bill Clinton et George Bush père ou John Kerry et George W. Bush. Bien entendu, la fin de campagne et la nécessité de rassembler au-delà de son propre camp accentue ce phénomène. Les deux opposants vivent le même processus d’attiédissement de leurs discours pour, après avoir galvanisé leurs troupes et gagné chacun les primaires, élargir le cercle des soutiens et tenter d’emporter la bataille finale. Cette dernière se jouera en effet très clairement au centre. Cependant, les deux finalistes ont depuis le départ certaines idées communes. Sur le terrain environnemental, par exemple, 81 081011dossier077.bin:Et&Refl 18/09/08 14:51 Page 82 LA PROCHAINE AMÉRIQUE Obama vs McCain Un combat moderne ? Obama suit naturellement les pas et les conseils d’Al Gore. Plus surprenant : McCain, qui est il est vrai poussé lui aussi à jouer la rupture avec les années Bush, paraît quasiment tout aussi proche des positions de l’ancien vice-président démocrate. Le Parti répu- blicain a pourtant toujours regardé avec une grande méfiance les emportements, parfois effectivement excessifs (1) (notamment quand ils s’éprennent de décroissance), du Green Power. On a ainsi entendu McCain, dès le début de sa campagne, pointer expli- citement du doigt les « imperfections des processus de marché » sur ces questions et stigmatiser toute forme d’innovation aux conséquences incertaines. Obama et McCain se retrouvent donc côte à côte à proposer un virage complet de la politique environ- nementale américaine et à souhaiter sur ces matières un volonta- risme significatif. McCain n’en est d’ailleurs pas à sa première manifestation d’indépendance vis-à-vis de la doctrine républicaine. On l’a ainsi vu au Sénat jouer d’alliances ponctuelles et de manœuvres politi- ciennes avec le camp adverse, alimentant le doute quant à la ligne de son éventuelle action en tant que président. Se sentant déposi- taire d’un droit d’inventaire, il a même développé une lecture très personnelle – et inquiétante – du premier amendement puisqu’à plusieurs reprises, il a appelé à davantage de régulation (au sens américain, c’est-à-dire de réglementation) en matière de liberté d’expression, l’« antipatriotisme » de propos anti-gouvernement ou anti-guerre devant être, à ses yeux, sanctionné. Dans un pays et, plus encore, un parti à ce point attachés aux valeurs fondamenta- les de l’Amérique unifiée et aux écrits des pères fondateurs (sur ce point, plus ceux de James Madison que de Thomas Jefferson), une telle défiance à l’encontre de la liberté individuelle révèle une rup- ture intellectuelle majeure. John McCain n’est donc pas Ronald Reagan. Il n’est d’ailleurs pas véritablement considéré comme l’un des leurs par les puis- sants think tanks libéraux de Washington. Plus solide sur les ques- tions de défense, McCain tranche également avec le néoconserva- tisme du président actuel par sa retenue à l’égard du religieux. Le choix de Sarah Palin comme colistière aura cependant permis de resserrer les rangs au sein du camp républicain. Mais sur des argu- ments regrettables comme l’engagement anti-avortement. 82 081011dossier077.bin:Et&Refl 18/09/08 14:51 Page 83 LA PROCHAINE AMÉRIQUE Obama vs McCain Un combat moderne ? Si les référents traditionnels du mouvement conservateur paraissent donc, chez John McCain, brouillés, Obama ne brille, quant à lui, que par son immense talent tactique et l’authentique rupture d’image que constituerait, pour un pays culpabilisé par l’insoutenable esclavage pratiqué par ses aïeux, l’accession d’un membre de la communauté noire à la Maison-Blanche. Il attire la gauche par ses origines idéologiques et, nous le verrons, ses pro- messes de redistribution d’un argent public inexistant, mais par- vient également à rallier à lui de nombreux non-démocrates, sensi- bles à son verbe fédérateur, et réalise ainsi une redoutable percée méthodique au centre. Sans pour autant tracer, mais c’est un corol- laire inévitable, une route claire et conceptuellement identifiable pour les quatre années à venir. McCain et Obama jouent ainsi avec les lignes et cherchent à tirer profit de ce flou artisto-politique pour conquérir un même électorat. En matière économique, les oppositions sont toutefois plus marquées, même si la stratégie politique les invitent tous deux à arrondir les angles. Obamanomics vs McCainomics : l’opposition fébrile Obama se présente depuis le début de sa campagne comme le héraut des théories keynésiennes. Il promet une relance par la demande (c’est-à-dire le creusement du déficit public) et défend l’un des programmes de dépenses publiques les plus coûteux que les États-Unis aient eu à connaître. Il entend notamment relancer les investissements publics dans les infrastructures et les énergies alternatives et renouvelables. Mettant parfois la barre très à gauche, Obama promet également une augmentation significative du salaire minimum.