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MÉTAMOR- PHOSER LA VILLE 2010 ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ Centre cahier spécial national de création LIEUX_PUBLICS_2010_meghedi_v2.qxp 07/06/2010 11:26 Page 2 LIEUX_PUBLICS_2010_meghedi_v2.qxp 07/06/2010 11:26 Page 3

cherchent à créer du sens et de la relation. A force Une politique de l'espace 4 GÉO- d’arpenter la ville, de mettre en œuvre des projets Entretien avec Michel spécifiquement écrits pour elle, ils dressent Lussault, GRAPHES de nouvelles « cartes d’intelligibilité » du terri- par Jean-Sébastien Steil toire, perçu comme un vivant écosystème. DU Si les « mutations urbaines » vont leur chemin, SCÈNES 8 ces mêmes artistes sont auteurs de métamor- D’ARPENTAGE SENSIBLE phoses qui préfigurent, mine de rien, un certain urbanisme de l’imaginaire. La marche, une 10 fabrique de l’espace ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ par Anne Gonon PAR JEAN-MARC ADOLPHE GEOGRAPHERS OF THE DIRECTEUR DE LA PUBLICATION MOUVEMENT PERCEPTIBLE Appuyer sur lecture 16 ET PIERRE SAUVAGEOT par Anne Gonon COMPOSITEUR, DIRECTEUR DE LIEUX PUBLICS Our communication machines assail us with available cartographies. We can verify that, seen LES FRICTIONS 20 from overhead, our house is definitely next to our DU MONDE Nos machines à communiquer nous assaillent neighbour’s. The satellite guides our car in the de cartographies disponibles. Nous pouvons urban jungle. And if we want to go from Romorantin Stations migratoires 22 vérifier que, vue du ciel, notre maison se trouve to Palavas-les-Flots, we have to choose from eight par Julie Bordenave bien à côté de celle du voisin. Le satellite guide itineraries according to our vehicle, the mileage, notre automobile dans la jungle urbaine. gas station or hotel name along the itinerary, toll Théâtres de 27 Et quand il s’agit d’aller de Romorantin à Palavas- booths, not to mention gastronomic or cultural tourist la consommation les-Flots, nous devons choisir entre huit itiné- curiosities. In the midst of this profusion of always par Julie Bordenave raires en fonction de notre véhicule, la moyenne more, European public space artists are sliding their kilométrique, les marques des stations-service way through – as is the artist’s role itself – and beco- Parties de campagne 30 ou des hôtels jalonnant le parcours, les ming, without knowing it, the geographers of the par Julie Bordenave péages autoroutiers, sans oublier les curiosités perceptible. Should we let telecom companies et David Sanson touristiques, gastronomiques et culturelles. Au and other “mobility engineers” be the only “inno- milieu de cette profusion du toujours plus, les vation producers” ? Métamorphosphorer 32 artistes européens de l’espace public se faufilent – Created by Mouvement and Lieux publics, this l’urbain mais le rôle même de l’artiste est bien de toujours special section probes the new practices par Mark Etc se faufiler – et deviennent sans le savoir les géo- of public space artists, amongst the multitude graphes du sensible. Devrions-nous laisser of projects that develop with Lieux publics and the MYTHOLOGIES 34 les opérateurs de téléphonie et autres « ingé- European network IN SITU. URBAINES nieurs de mobilité » être les seuls « produc- Michel Lussault underlines the distinction, which is teurs d’innovation » ? appropriate here, between “the urban envelope” Transformer la ville, 36 Conçu par Mouvement et Lieux publics, ce cahier and the urban world itself. When the city fragments habiter le monde spécial ausculte les nouvelles pratiques and divides up, “planners” think in terms of infra- par Jean-Marc Adolphe des artistes de l’espace public, parmi la multitude structures and transport, while public space artists des projets qui cheminent avec Lieux publics try to create meaning and connection. By measuring Le travail à l’œuvre 40 et le réseau européen IN SITU. Le géographe the city, implementing projects specifically written par Fred Kahn Michel Lussault souligne la distinction qu’il for it, they draw up new “maps of comprehensibility” convient d’opérer entre « l’enveloppe urbaine » for the territory, perceived as one living ecosystem. Les nouvelles aires 42 et le monde urbain lui-même. A l’heure où la ville While “urban transformations” follow their path, du s’atomise et se parcellise, les « aménageurs » these same artists are authors of metamorphoses par Pascal Le Brun-Cordier pensent en terme d’infrastructures et de trans- which prefigure, despite appearances, a certain ports, quand les artistes de l’espace public urban planning of the imagination. Agenda / Contacts 44

Cahier spécial / MOUVEMENT Edition : Laura Adolphe, MOUVEMENT, l’indisciplinaire Directeur de la publication : Lieux publics En couverture : n° 56 (juillet-septembre 2010) Charlotte Imbault, David des arts vivants Jean-Marc Adolphe Centre national de création Benjamin Verdonck, Sanson, Pascaline Vallée 6, rue Desargues © mouvement, 2010. Tous droits Direction : Pierre Sauvageot Hirondelle / Dooi vogeltje / Réalisé en coédition avec Partenariats/publicité : 75011 Paris - France de reproduction réservés 16, rue Condorcet The Great Swallow. LIEUX PUBLICS, Alix Gasso Tél. +33 (0)1 43 14 73 70 Cahier spécial Mouvement 13016 Marseille - France Photo : Geert Vanden Wijngaert Centre national de création Ont participé : Jean-Marc Fax +33 (0)1 43 14 69 39 n° 56. Ne peut être vendu. Tél. +33 (0)4 91 03 81 28 Adolphe, Julie Bordenave, www.mouvement.net Fax +33 (0)4 91 03 82 24 Coordination : Jean-Marc Mark Etc, Anne Gonon, [email protected] Adolphe, Fanny Broyelle Fred Kahn, Pascal Le Brun- Mouvement est édité par www.lieuxpublics.com Conception graphique : Cordier, Pierre Sauvageot, les Editions du Mouvement, Sébastien Donadieu Jean-Sébastien Steil SARL de presse au capital et Meghedi Simonian Traductions : Kate Merrill de 4 200 €, ISSN 125 26 967

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Dries Verhoeven, Life spectateurs européens et de Streaming. La nouvelle jeunes artistes d'un pays brisé UNE POLI- création de Dries Verhoeven par la guerre et le tsunami. érige un pont sensible entre des Photo : Zhang Huan TIQUE DE L’ESPACE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Géographe spécialiste de la ville La notion de « métamorphose », qui renvoie à l’idée d’une transformation radicale et irréver- contemporaine, Michel Lussault sible du corps, évoquant le passage d’un état à un autre, porte en elle une dimension allégo- a beaucoup travaillé sur les acteurs, rique qui suppose une amélioration, voire l’accession à un état de pureté (voir la transfi- les discours, les représentations guration du Christ). Alors que le métamor- phisme des roches existe en géologie, on ne et la production de l’espace urbain. trouve pas, dans le domaine de la géographie urbaine, de référence à la métamorphose. Il explique comment les artistes Pourtant, cette notion ne vous semble-t-elle pas adaptée à la description de la transfor- doivent nécessairement contribuer, mation des villes ? « Si la métamorphose n’est pas un concept ou au même titre que les sciences sociales, une notion de la géographie urbaine, il n’en reste pas moins que c’est un mot que l’on utilise à créer ces « collectifs d’intelligibilité » souvent pour qualifier l’ampleur des bouleverse- ments urbains que nous avons connus depuis la permettant de prendre la mesure fin de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas rare, mais de manière plus littéraire que scienti- des métamorphoses accélérées fique, que des géographes évoquent en décrivant l’urbanisation et ses effets, la métamorphose des de la ville contemporaine. villes qui s’est ensuivie. Il convient sans doute de mettre de côté l’épisode de la guerre bien qu’il ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ ait largement contribué à accélérer cette méta- PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-SÉBASTIEN STEIL morphose, ne serait-ce que parce que les des- tructions de guerre ont obligé des opérations de

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reconstruction qui ont souvent été de très penser. Mais les qualifieriez-vous pour autant grande ampleur et de très grande ambition – que d’acteurs de métamorphose, de transformation A SPACE l’on songe à Perret pour Le Havre. Il est exact que de la ville ? si l’on compare les espaces urbains de 1940 ou de « Je crois que les artistes ont, depuis une vingtai- POLICY l’immédiate avant-guerre et ceux d’aujourd’hui, ne d’années, avec le développement des arts on ne peut qu’être frappé par l’ampleur des bou- urbains, fait plus qu’illustrer un processus de leversements. Le monde urbain d’aujourd’hui métamorphose. Les productions artistiques que ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ n’a plus grand-chose à voir avec le monde urbain l’on a vues se développer partout dans le monde, Doesn’t the notion of “metamorphosis” non pas d’avant-hier, ni d’hier, mais du début de et pas seulement en France, montrent que les fit the description of the transformation la journée. En très peu de temps, les infrastruc- artistes ont cristallisé un certain nombre of cities ? tures techniques ont été totalement modifiées et d’évolutions et les ont précipitées plus qu’ils ne “If metamorphosis isn’t a concept sont devenues de plus en plus sophistiquées, les les ont illustrées. S’est ainsi créée une interaction or a notion of urban geography, it’s politiques du logement ont mis en place des inédite entre l’évolution des espaces, des pay- nevertheless often the word that we espaces inédits, en particulier sous la forme de sages, des sociétés et des pratiques, et l’évolution use to describe the enormity of the grands ensembles qui restent des éléments très propre de la création artistique, avec une per- urban upheavals that we have witnes- puissants de structuration du paysage urbain méabilité nouvelle entre plasticiens, artistes de sed since the end of World War II. dans bien des pays. Les évolutions récentes de rue, scénographes, urbanistes, architectes, In very little time, the technical infra- l’urbanisme commercial ont provoqué une sociologues, géographes et anthropologues. On a structures, housing, sports and com- transmutation des équipements commerciaux vu se constituer de manière souvent assez infor- mercial complexes were completely urbains, les équipements sportifs eux-mêmes melle, une sorte de réseau d’acteurs qui tous modified. We’ve also seen the deve- n’ont plus grand-chose à voir avec ce qui existait partageaient l’idée que ce changement était lopment of a research trend in infor- et l’actuelle fixation sur la nécessité de construi- radical, qu’il n’était pas superficiel et qu’il ne mational science which considers re des grands stades de football dans la perspec- concernait pas seulement l’enveloppe urbaine, the street as an informational platform tive d’accueillir l’Euro 2016 montre bien que mais le monde urbain lui-même. De cette méta- for new telecommunication means. l’équipement sportif est devenu un élément-clé morphose, nous étions tous plus ou moins à la d’un développement urbain métropolitain. On fois comptables, responsables, témoins, specta- Are artists, who show these current pourrait multiplier les exemples et facilement teurs et acteurs. Cela a provoqué une réflexion dynamics, themselves actors in the accepter de penser l’évolution urbaine à l’aune sur ce que cela signifiait que d’être acteur d’une city’s transformation ? de la métamorphose. Mais alors il ne faudrait évolution urbaine. Et sur le fait que les artistes “For about twenty years, artists have pas la parer de vertus ou de vices : vous avez eux-mêmes, à la manière de ce que certains been crystallizing many evolutions parlé d’une allégorie de la métamorphose, mais sociologues, géographes ou urbanistes ont pu and have accelerated them more pour Kafka, la métamorphose n’est pas une essayer de faire, soient pensés non plus comme than showing them. We have seen évolution allégorique. On pourrait accepter que spectateurs, mais comme acteurs d’une évolu- the formation of a sort of network of le propre de l’urbanisation contemporaine, ce tion de fond car apportant avec eux un certain actors who have shared the idea that soit qu’elle ait métamorphosé les espaces et les nombre de formes : cognitives, matérielles, this urban change has been radical. sociétés. De cette métamorphose-là, il faut des formes d’organisation de la discussion et This provoked a reflection on what rendre et tenir compte pour envisager toute évo- de transmission d’un certain nombre de mes- this meant: being an actor in an lution ultérieure. sages. La constitution de ce réseau d’intérêts urban evolution. Par ailleurs, aujourd’hui, on voit se développer – je ne parlerais pas de “communauté”, terme un courant de la recherche en sciences de l’infor- qui laisserait penser qu’il y a une unique pers- Even though some works incorporate mation qui considère la rue comme une plate- pective de vues – autour de la métamorphose me the participation of sociologists and forme informationnelle via les nouveaux moyens paraît essentielle. geographers, it seems that the rela- de télécommunication – mobiles, iPhones, etc. –, tionships between art and science mais aussi via les réflexions sur de nouveaux Certaines œuvres font intervenir des socio- aren’t clear… types de bornes, des bâtiments intelligents, des logues ou des géographes, mais on a toutefois “The relationship is strong on the relais informationnels. Ainsi, chaque individu l’impression que ces différents acteurs dialo- intellectual level, because today’s pourra sortir de chez lui sans rien savoir de guent très peu entre eux, que les relations artists associate with the social ce qui se passe alentour, et être informé en entre art et science ne sont pas évidentes. Dans sciences, the intellectual products of temps réel des conditions de circulation, voire les arts plastiques, elles s’illustrent surtout à science, more than ever. But this dia- de la présence, dans un périmètre de proximité, travers l’appropriation par les artistes de cer- logue is held from a distance. Joint de certains de ses amis… taines technologies… projects are still rare, probably « La relation est forte sur le plan intellectuel, car because the temporalities and the Par rapport à ces évolutions, on voit bien que les artistes d’aujourd’hui n’ont jamais tant fré- operation and activity production les artistes, en tant que rapporteurs du quenté les sciences sociales, les produits intel- modes remain different. One of the présent, peuvent avoir une fonction de mise en lectuels de la science. Je suis frappé de voir leur stakes today is to plan, as often as évidence de dynamiques en cours, une fonc- bonne connaissance de problématiques. Prenez possible, events that allow these activi- tion d’exploration, ils peuvent donner à – pour citer un thème qui est au cœur de ce ty production modes to come together.

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numéro – la marche urbaine. C’est une question- sociales, qui ont l’air d’arriver avec un temps We get the impression that it’s the clé de la réflexion scientifique sur les mobilités, de retard… telecom companies and the engineers comme de celle des artistes avec la flânerie, l’er- « Deux des caractéristiques majeures de l’urbain that are currently the innovation produ- rance. Je constate que les artistes qui abordent la contemporain sont ce que j’appelle l’“illimita- cers, rather than the artists... marche savent qu’il y a des anthropologues, des tion” et l’“hyperspatialité”. L’illimitation est “One of the major characteristics of sociologues, des économistes qui se penchent moins un concept matériel que quelque chose contemporary urban society is what sur la question, et qu’à l’inverse, ces mêmes qui renvoie à la possibilité d’être toujours we call illimitation and hyper-spatiali- scientifiques n’ignorent pas que la marche est un connecté. L’urbain est également hyperspatial au ty. Illimitation is less of a material sujet fondamental pour les artistes. C’est un dia- sens de l’hyperlien. Nous sommes toujours concept than a reference to the pos- logue à distance, médié par les productions de la désormais avec un smartphone qui nous permet sibility of always being connected. science et de l’art beaucoup plus que par une de nous connecter à un autre espace en synchro- This convergence of artist-scientists construction commune. En effet, ces projets nie avec l’espace dans lequel nous existons. Cela is fundamental because what is communs restent rares, sans doute car les tem- nous permet d’aller de liens en liens, vers une unique to artists is the ability to invent poralités et les modes d’action et de production combinaison complexe d’espaces, de pratiques et situations that exemplify and some- de l’activité restent différentes. L’un des enjeux de relations qui n’ont plus rien à voir avec le clas- times push real life situations to the majeurs aujourd’hui, c’est d’envisager aussi sique emboîtement d’échelles – “locale”, “régio- absurd and to invent mobile and tele- souvent que possible des événements qui per- nale”, “nationale”. Tout est brouillé pour compo- communication instruments. Urban mettent de faire converger ces modes de produc- ser des espaces urbains hyperspatiaux en écume artists are amongst the only ones tion de l’activité. Pour les sciences humaines et et fondamentalement conçus sur le principe de able to ask us many of the questions sociales, il s’agit de trouver des conditions l’illimitation. Aujourd’hui, le moindre utilisa- that today’s social sciences can no mettant en avant leur activité comme une activi- teur de smartphones est un acteur de l’innova- longer be asking alone. té artistique qui renvoie à une réflexion cultu- tion de la vie urbaine, car il est capable de com- relle sur un phénomène social. A l’inverse, il est poser des agencements de réalités incroyablement The great, popular traditional gathering intéressant que les artistes prétendent et assu- complexes et riches, et de se placer pratique- rituals often end in confrontations. On ment le fait que leur acte est aussi une matière à ment dans une situation qui, jadis, était une the other hand, new rituals are being penser, quelque chose qui va nourrir l’intelli- situation que les artistes mettaient en scène. created (neighbourhood parties…). gence collective que les sciences sociales ont L’autre jour, Gare de Lyon, je vois une jeune How do you interpret these vocation à constituer. Je suis persuadé qu’il faut femme faisant de grands gestes devant son télé- phenomena ? trouver des lieux qui permettent de faire phone qu’elle tenait de la main gauche. Puis, je “The contemporary world is an effusi- converger autour de projets ces deux modes de m’aperçois que ces gestes appartiennent à la ve one in which the need for pretexts, production d’intelligibilité des faits sociaux langue des signes, je m’approche et je constate solicitations, to bring together a big humains. Il faut essayer de découvrir ces que via Skype, sur un portable équipé d’une crowd based on the common deno- moments où l’on peut faire en sorte que ces deux petite caméra, elle discute avec un autre sourd- minator of coming together is still mondes qui se connaissent, mais ne se prati- muet à distance. Ce qui, il y a quinze ans, aurait important. Many of these events tend quent pas suffisamment entrent en tension dans été une scène de film de science-fiction, devient to end up in skirmishes, as if the des actes de création commune. Je pense à des aujourd’hui une situation presque ordinaire et large gathering party mode couldn’t événements comme Marseille 2013 ou certains banale. Nous n’avons pas encore les cadres de exist without its parade of excesses. festivals – je me suis engagé par exemple avec les pensées qui nous permettent de saisir tout ce On the other hand, urban societies Subsistances, à Lyon, dans une sorte de tentative que cela signifie. Cette convergence entre are more and more influenced by de création d’œuvre avec quatre jeunes artistes à artistes et scientifiques est fondamentale dans ce the turning inward of the individual. partir de propositions scénaristiques. sens, car la capacité propre des artistes est d’in- We need to perpetuate intermediate venter des situations qui exemplifient, en les forms, depending on the space, Vous évoquiez les nouvelles technologies de poussant parfois jusqu’à l’absurde, les potentiali- which are neither effusive forms l’information et de la communication et la tés qui sont celles de la vie réelle, et d’inventer au of excessive parties, nor exclusive manière dont elles modifient la rue, nos rela- jour le jour des instruments de mobilité et de forms for the small pleasures of tions à la ville et aux autres. Beaucoup d’ar- télécommunication. Les artistes urbains sont the hyper-individual. And these tistes se sont interrogés sur cela, comme parmi les seuls, par la force de convocation des intermediate forms allow for the le Néerlandais Dries Verhoeven, avec sa der- dispositifs artistiques, à pouvoir nous poser un creation of a common ground. nière création, Life streaming, jouée depuis un certain nombre de questions que les sciences café internet au Sri Lanka et visible simultané- sociales aujourd’hui ne peuvent plus poser à Will this hyper-sspatiality, encouraged ment par des spectateurs en Europe. elles seules, parce qu’elles ont perdu ce monopo- by a space policy, necessarily lead Néanmoins, on a l’impression que ce sont les le qu’elles ont eu – ou qu’elles ont cru avoir – de to a redefinition of public space ? opérateurs de téléphonie et les ingénieurs qui production des cadres d’intelligibilité. Les socié- “Public space must go outside of sont aujourd’hui les producteurs d’innovation. tés urbaines sont devenues si complexes, si the classical model. The true public Les usagers de « smartphones » sont presque mélangées, si hybrides, si cosmopolites, si space today is that within which davantage producteurs de sens et de réalité que hyperspatiales, que les systèmes d’intelligibilité individuals are able bring and les artistes ou les chercheurs en sciences de cette société ne sont plus le monopole de share many values together.”

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quelques acteurs. Il faut trouver des collectifs nels. Cela laisse à penser que les artistes pren- l’espace matériel est souvent ce qui permet de d’intelligibilité et au sein de ces collectifs, les nent éventuellement acte de cette difficulté créer du commun. Certains artistes l’ont bien artistes ont un rôle central. Ne croyez pas que actuelle à parler à des foules, de cette compris en travaillant sur les controverses envi- pour autant je limite les artistes à cette fonction recherche d’intimité, d’une échelle plus ronnementales – par exemple ces individus qui spéculaire, mais en tant que géographe, j’ai réduite de rassemblement. Comment interpré- se mettent en lutte pour protéger un paysage, un besoin d’eux pour essayer de progresser dans tez-vous ces phénomènes ? quartier. La puissance de convocation du dispo- mon intelligibilité des phénomènes sociaux. « Incontestablement, le monde urbain contem- sitif spatial fait que, petit à petit, des individus porain est un mode d’effusion, un monde effusif mettent en commun des choses qu’ils n’avaient Vous rappelez, en introduction de votre dans lequel le besoin de trouver des prétextes, pas l’intention de mettre en commun. Il y a ouvrage De la lutte des classes à la lutte des places, des sollicitations pour rassembler une foule urgence aujourd’hui à essayer de poser la ques- ce cas d’un plasticien associé, à l’invitation du importante sur le principe d’un petit dénomina- tion sous cet angle. Nous avons besoin de faire directeur de l’OPHLM de la cité Graville-la- teur commun demeure important. Que reste-t-il exister des formes intermédiaires, médiées par Vallée, au Havre, à la mise en place d’un faux du rituel religieux classique dans une “cérémo- l’espace, qui ne soient ni les formes effusives hall d’immeubles entre des tours pour y loger nie” urbaine comme la fête des Lumières à de la fête – de surcroît aisément marchandisées –, des jeunes, dont certains ont participé à la Lyon ? Pratiquement plus rien, si ce n’est un ni les formes exclusives de petite jouissance construction. Le résultat n’est certes pas extra- petit peu de procession à la Vierge faite par les de l’hyperindividu organisant son petit pré carré ordinaire, et il y a eu beaucoup de tensions, catholiques : globalement, c’est devenu un évé- de pratiques et de désirs. Des formes intermé- mais l’expérience est fascinante. L’artiste a-t-il nement festif en soi. On est dans ce que le socio- diaires qui permettent de construire du été maladroit ? logue Michel Maffesoli appelle une logique de commun autour de problématiques spatiales et « L’artiste en question a été sans doute embarqué “l’enthousiasme”. Beaucoup de ces grandes mani- de faire prendre conscience aux individus impli- contre son gré dans une opération qui n’avait pas festations tendent à se terminer en échauffou- qués là-dedans ce qu’il en coûte de construire du été construite de manière claire, pour une fina- rées, comme si le mode festif en grand nombre lien social ; mais aussi de considérer la manière lité expressive qui n’était pas une mise en scène, ne pouvait plus se passer de son cortège de dont chaque groupe social doit nécessairement mais un dispositif d’intervention sur la pratique débordements. En même temps, les sociétés faire pour entrer en transaction avec les autres sociale. Or, le propre des interventions artis- urbaines sont de plus en plus marquées par un et pour mettre en lien ces réalités qui composent tiques, en tout cas dans les arts urbains, c’est repli des individus sur eux-mêmes. L’entité la ville contemporaine. qu’elles ne se construisent pas comme des pra- individuelle n’a jamais été aussi forte, le mouve- tiques prescriptives. Le fait que ce vrai-faux hall ment d’individualisation n’a pas cessé ; on peut Cette hyperspatialité dont vous parlez, portée d’immeuble, implanté au milieu d’une cité d’ha- même dire que l’on est aujourd’hui dans une par une politique de l’espace, doit-elle amener bitat social pour soi-disant permettre aux jeunes société d’hyperindividualisation. Or, le commu- à la redéfinition d’un espace public ? de ne plus occuper les cages d’escalier réelles, nicationnel renforce ce phénomène, puisque « L’espace public doit sortir du modèle classique, ait provoqué une polémique, montre bien la l’individu peut se considérer désormais comme très prescriptif et uniforme. Selon moi, le véri- puissance de convocation d’un dispositif maté- un commutateur universel, un centre du monde table espace public aujourd’hui, c’est l’espace au riel conçu par un plasticien. Le plasticien a été à informationnel parfait : il peut tout recevoir sein duquel, par le biais d’une situation, les indi- l’œuvre, non pas parce que son dispositif était et tout émettre du seul point spatial qui lui vidus, véritables acteurs, arrivent à construire particulièrement spectaculaire et inventif, mais importe, à savoir celui occupé par son propre une mise en commun d’un certain nombre de parce qu’il mettait en visibilité par l’espace les corps et par les prothèses immédiates qu’il a à sa valeurs. Partout où l’on peut créer ce commun, il contradictions d’une politique qui consistait à disposition. Une tension “paroxystique” se y a de l’espace public. La communauté ne doit criminaliser la station au pied des immeubles. découvre dans la loi des fêtes de grand nombre pas être close sur elle-même, mais s’appuyer sur Face à une intervention spatiale plus ou moins qui ponctuent aujourd’hui toute vie urbaine et l’idée de partage. L’espace est une bonne entrée réussie, on ne peut plus dissimuler le problème. son caractère hyperindividualiste. pour construire, via une démarche éthique, ce Cet exemple montre que dès que l’on intervient Je suis très critique à l’égard de ceux qui affir- nouveau type d’espace public qui ne serait ni sur un dispositif spatial dans une situation ment que ces grandes fêtes créent du lien social : l’espace public marchand des centres commer- donnée, on est face à quelque chose de subversif. à mon sens, elles sont conçues pour créer une ciaux, ni l’espace public prescriptif des urba- apparence de collectif, mais sans ce que le lien nistes ou des pouvoirs publics. » On voit que les grands rituels populaires, tra- social suppose d’implication de l’individu, sans ditionnels de rencontre – la fête de la Saint- un investissement dans une relation forte avec Sylvestre, les matchs de football, la fête de autrui. L’hyperindividualisme, de son côté, est l’équipe victorieuse revenant dans sa ville – porteur de fragilisation du lien social. On a finissent souvent par des affrontements. Dans besoin de réfléchir à de nouvelles formes de le même temps, on voit se créer de nouveaux construction de monde commun, qui permet- rituels, plus ou moins spontanés : les grands tent d’échafauder des groupes sociaux fondés apéritifs convoqués via le réseau social sur l’idée qu’il faut s’impliquer dans la défini- Facebook, la fête des voisins, les Sirènes et midi tion d’un lien social, induisant le partage de net de Lieux publics. D’un côté, il y a un appétit biens et de réalités matérielles ou non. Le détour pour ces nouveaux rendez-vous et de l’autre, par l’espace est intéressant, car dans un monde un effritement des rassemblements tradition- aussi cosmopolite et multiculturel que le nôtre,

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SCÈNES D’ARPEN- TAGE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

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Gustavo Cirìaco & Andrea Sonnberger, Aqui enquanto caminhamos. Flânerie silencieuse dans le quartier du Panier à Marseille, Pazzapas 2007. Photo : Agnès Mellon

La ville : théâtre permanent où, sans lever de rideau, une dramaturgie aléatoire met en jeu toute sorte d’événement. Invitant à ouvrir les yeux et les oreilles, prenant ce décor « naturel » comme source d’imaginaire, des artistes se font promeneurs-arpenteurs pour révéler coins et recoins de l’espace urbain. Et recourent parfois aux nouvelles technologies pour attiser l’expérience spectatrice. ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

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LA MARCHE, UNE FABRI- QUE DE L’ESPACE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Andare Photo : Fanny Broyelle

Balades architecturales, promenades En deux décennies, l’exercice de la visite d’une ville a muté, l’explorateur citadin supplantant le sonores, dérives urbaines… Les artistes touriste à l’écoute du guide conférencier. Classement du Havre au patrimoine mondial de nous convient à arpenter la ville, l’Unesco, exposition sur Claude Parent à la Cité de l’architecture, balades urbaines consacrées à à tenter une immersion discrète l’architecture des années 1930 à Brest… Le fait urbain passionne, l’aménagement et l’urbanis- dans son quotidien pour en déceler me sont l’objet de concertations et la découverte de la ville concerne aujourd’hui autant les tou- la théâtralité. De la marche comme ristes de passage que les habitants. L’association Les Promenades urbaines, projet expérience sensorielle et symbolique, initialement né au Centre Pompidou à l’instiga- tion d’Yves Clerget, architecte et chef de projets pour éprouver l’espace et inventer au service éducatif, accompagne cette tendance depuis plus de vingt ans. Prenant acte d’une des territoires émotionnels. « reconnaissance de plus en plus explicite du rôle des promenades urbaines dans les processus de médiation ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ autour de l’architecture, de la ville et du patrimoine », ANNE GONON l’association propose un vaste programme de balades, guidées par des journalistes, des histo- riens ou des architectes. De longue durée (entre 5 et 7 heures), envisagées comme « une pratique interdisciplinaire des savoirs et des savoir-faire sur la ville », elles laissent à chacun le temps de

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l’observation et offrent la possibilité d’échanges la musique devient bande-son, telle la B.O. d’un entre les participants – amateurs avisés, experts road-movie piétonnier. WALKING, et novices. A L’ÉCOLE PÉRIPATÉTIQUE THE CREA- B.O. URBAINE De l’incontournable flâneur baudelairien ana- TION OF A l’opposé de cette démarche en groupe, lysé par Walter Benjamin au philosophe Karl Soundwalk développe depuis 1998 des audio- Gottlob Schelle, qui fit de la promenade un art, la SPACE guides téléchargeables en ligne (payants). De figure du marcheur traverse le paysage de la New York à Paris et Shangaï, Stephan création artistique, étroitement liée au fait Crasneanscki opte pour la version arty de la visite urbain. Aristote et l’école péripatétique en ont ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ audio-guidée et vise « des gens qui normalement fait un art de philosopher (en grec, peripatein In two decades, the way of visiting n’utilisent pas d’audio-guides ». Des actrices, des signifie “se promener”) : la marche n’est pas the city has been transformed. Urban artistes, un professeur nous font parcourir leur un simple mouvement du corps mais un engage- studies have become fascinating, quartier, racontent l’émergence du hip-hop dans ment de l’esprit. Phénomène physique tout urban development and planning le Bronx ou les rituels pratiqués dans le Gange à autant que processus intellectuel et psychique, la have been the subject of dialogue, Bénarès. Dans un Marais printanier peuplé de marche a été adoptée par nombre d’artistes and the discovery of a city pertains touristes, on se sent délicieusement décalé alors comme un processus de création en soi, des esca- just as much to visiting tourists as to qu’Isild Le Besco nous susurre à l’oreille le code pades dadaïstes et surréalistes aux randonnées the inhabitants. As a group or indivi- d’une porte cochère derrière laquelle nous du groupe Stalker. « Adopter la mobilité comme point dually, associations and companies attend une formidable cour intérieure. D’autres de vue, écrit Alix de Morant, chercheuse spécialis- propose different sorts of walks that voix se mêlent à la sienne et racontent le quartier te du nomadisme artistique, le mouvement comme are as historical as they are artistic. gay, les juifs de la rue des Rosiers ou encore source de création. Voilà ce qui pousse de plus en plus Les Promenades urbaines in Paris, Madame de Sévigné. Un travail sonore et une d’artistes à marcher, à explorer le tout proche et le très Soundwalk in New York, the Waltser création musicale soignés rythment la cadence loin, à s’engager dans le flot des circulations Collection of the Swiss foundation SLM de la déambulation. La narration nous plonge humaines. » (1) « De la marche à la danse, il n’y qu’un or Hervé Lelardoux, artistic co-director dans les lieux de vie et l’ambiance du quartier. pas », renchérit la danseuse Christine Quoiraud, of the Théâtre de l’Arpenteur, create Soundwalk convoque la référence cinématogra- qui a engagé dès 2000 un profond travail sur visual or sound tours through our cities. phique en donnant l’impression au spectateur la marche. Un pas qui l’a conduite à estimer d’être dans un film. Les adeptes de l’écoute au qu’« il s’agit d’un acte artistique qui n’a besoin d’aucune From the unmissable Baudelairian casque en ville le savent mieux que quiconque : autre forme de production que celle de marcher. » idler analysed by Walter Benjamin to the philosopher Karl Gottlob Schelle who made strolling an art, the figure of the walker has crossed the artistic landscape. Aristotle and the Peripatetic school turned it into an art of philosophizing (in Greek, “peripa- tein” meaning “to stroll”): walking is not the simple movement of the body but an undertaking of the mind. Many artists have since adopted it as a creation process unto its own, from the Dadaist and Surrealist escapades to Stalker’s hikes. Ici-Même (Grenoble) turns travelling, the shifting of the body and the gaze, into an opportunity to share a personal interpretation of the city. “In 2002, over four weeks, recounts Corinne Pontier, we walked in Grenoble and were lodged by the inhabitants. We wanted to understand to what extent it was possible to travel within one’s own city.”

Theun Monsk et Robert Photo : Anne Zorgdrager/ Wilson, Walking (voir p. 14). FotoMarleenSwart.nl The sound dimension also plays Hot house IN SITU 2008, Terschelling (Nl). a crucial role in the physical and

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symbolic understanding of the city ÉPROUVER ET ÉPUISER ment d’un lieu parisien. L’auteur note tout ce qu’il and is largely explored by artists LE RÉEL voit et établit une liste, reflet poétique et banal who take us walking. “These sound de la vie quotidienne. Au croisement du réel et de strolls”, writes Thierry Davila in Des créateurs en espace public associent la la perception de l’espace se situe Ici-Même Marcher, créer (Walking, creating) démarche de ces artistes arpenteurs à la pratique (Grenoble). Invitée au séminaire du réseau IN SITU “allow us to lend an ear to noises défendue par l’association Les Promenades Les artistes parlent aux artistes, organisé par Lieux that we discover can exist as sounds, urbaines. Ils adoptent la dérive – modalité privilé- publics à Neerpelt en février 2010, Corinne ready-made sounds which, during giée de découverte de la ville hors des chemins Pontier a présenté le travail de ce collectif qui a a walk, we realize can be sound balisés – pour ensuite emmener des spectateurs fait de l’arpentage des villes une de ses activités de material in itself, invaluable even. dans leurs pas. Ce faisant, ils provoquent la ren- prédilection. « En 2002, pendant quatre semaines, Walking becomes the preferred contre entre Michel de Certeau et Georges Perec. raconte-t-elle, nous avons marché dans Grenoble et means of listening to the world.” (1) Dans son livre L’Invention du quotidien, Certeau avons été hébergés chez des habitants. Nous voulions Walking encourages the reinvention analyse l’appréhension sensible de l’espace comprendre dans quelle mesure on peut partir en voyage of the city because it leads to urbain et souligne qu’un lieu devient espace lors- dans sa propre ville. » Ici-Même fait du voyage, du a modification in the way of seeing, qu’il est éprouvé par des marcheurs, lorsque des déplacement du corps et du regard, l’occasion to a displacement. habitants se le sont approprié – physiquement et d’une lecture personnelle de la ville que les mem- symboliquement. D’un lieu nous faisons espace. bres du collectif ont, depuis, appris à partager. Intervening in public space without Cette fabrique de l’espace passe par le corps. intervening upon public space, L’alliance du regard et du mouvement aboutit à la ÉCOUTER POUR VOIR the artist works in the city without production, à l’invention même du territoire. add-ons or equipment. He introduces C’est Perec qui, installé pendant trois jours place Regard et mouvement ne sauraient occulter le himself there quite discreetly and Saint-Sulpice à Paris, se livre à sa Tentative d’épuise- son. La dimension sonore joue un rôle crucial suggests to the spectator to do the same. The spectator walks in the street, evolves in the flux of public space, in the middle of passers-by, in the secret of a relationship taking shape in the ear’s hollows. Through the stories that are told, “the permanent re-fabrication of the city itself” is playing out.

Alix de Morant writes that these “aesthetics of fluidity have a common approach, one that is subtle and sensitive to the territory and which makes paths, questions habits or incites the spectator to move away from passive reception modes”. Decrypting and emotionally perceiving the city in the goal of sharing it are contextual exercises. From a place, we make space, and, in return, the space shapes us. Within invisible and emotional exchange, we make the city as much as it makes us.

1 Thierry Davila, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Editions du Regard, Paris, 2002, p. 16.

Ici-Même (Grenoble), Habiter au bord de la panique, Grenoble, juin 2008. Photo : Stéphane Rambaud.

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LA MARCHE, le promeneur sur « les vestiges de WALKING, A EXERCICE CRITIQUE l’activité humaine ». Au croisement CRITICAL EXERCISE d’un travail documentaire et d’une La marche n’est pas l’apanage du création sonore, la Marche sonore nous Walking is not the privilege milieu urbain, loin s’en faut. Elle propose de partir en promenade, of the urban milieu, far from it. est aussi synonyme d’exploration équipés d’un baladeur mp3 et d’une It is also the synonym for the de la nature. Pierre Redon, artiste carte. La dimension documentaire exploration of nature. Multimedia and multimédia et environnemental, tient aux entretiens que Pierre environmental artist, Pierre Redon, marcheur au quotidien, s’intéresse Redon réalise en amont, auprès a daily walker, has been interested in dès 2003 au son dans le paysage. d’habitants, d’acteurs du territoire, sound within landscapes since 2003. etc. L’artiste conçoit la Marche sonore In 2007, he created his first Sound L’écologie humaine, qui désigne comme un projet hybride qui Walk, in Markstein, a Vosges selon lui le lien que l’espèce humaine cherche à révéler les caractéristiques mountain range. A crossbreed of entretient à son environnement, d’un territoire par la densité des a documentary work and a sound est au cœur de sa démarche. Il crée relations affectives que les personnes creation, the Sound Walk proposes en 2007 sa première Marche sonore, au rencontrées entretiennent avec lui. that we go on a walk with an mp3 Markstein, dans le massif des Vosges ; La carte, partie intégrante du projet, walkman and a map. The map, puis une seconde en septembre est un objet graphique qui déjoue an integral part of the project, is 2009, à Saint-Ouen-l’Aumône, les habitudes d’orientation, et a pictorial object which confounds en partenariat avec l’abbaye de surtout un outil critique. Car our habitual ways of sensing Maubuisson, site d’art contemporain, Pierre Redon souhaite conduire direction as well as a critical work. et le musée de l’Education du ainsi le promeneur à une réflexion Pierre Redon aims indeed at guiding Val-d’Oise. Entre friches industrielles, sur sa propre relation au paysage the walker into a reflection upon chemins de fer délaissés et site et à l’environnement. his own relation to the landscape de l’abbaye, cette Marche conduit Anne Gonon and environment.

dans l’appréhension physique et symbolique mentales se bousculent et elle se révèle comme une partition où des vacances sont ménagées, de la ville, et elle est largement explorée par les jamais auparavant. Avec 24 heures dehors (La ville conditions nécessaires à son appropriation. La artistes qui nous emmènent en balade. Dès 1966, une nuit entière), Ici-Même franchit en 2010 une mise en scène des regards et de l’ouïe produit à New York, le plasticien sonore Max Neuhaus nouvelle étape avec une tentative publique de l’invention du territoire par un spectateur en invite des amis à marcher avec lui dans les rues, « dérive exploratoire, à l’échelle de 24 heures ». Le situation d’expérimentation. avec pour seule consigne d’écouter. « Ces déambu- collectif entend repousser les limites de l’expé- La Waltser collection, collection de balades gérée lations sonores, écrit Thierry Davila dans Marcher, rience physique de la fatigue. L’aventure d’un par la Fondation suisse SLM, œuvre à cette créer, permettent de prêter l’oreille à des bruits dont groupe qui déambule, de nuit, quand le paysage mutation des regards sur la ville. La Fondation on découvre qu’ils peuvent être des sons, des sons urbain « se met en théâtre » de lui-même, fait SLM est née de la volonté de perpétuer la pra- ready-made dont on remarque qu’ils s’offrent dans « de la lecture de la ville une épopée ». tique culturelle de la promenade, et à cette fin, l’espace de la promenade comme une matière sonore elle se consacre depuis 1988 à « l’étude, la préser- à part entière, voire de premier ordre. Marcher devient L’INFRAORDINAIRE vation et la diffusion de cette activité ». Un casque le moyen privilégié pour écouter le monde. » (2) THÉÂTRALISÉ sur les oreilles, le spectateur est amené à faire Quarante ans plus tard, Ici-Même (Grenoble) une promenade réalisée pour la première fois nous convie aux Concerts de sons de ville : marcher La réinvention de la ville se fait par la mise au 30 ou 40 ans auparavant, sur les mêmes lieux. les yeux fermés, guidé par une personne qui jour d’une théâtralité de l’infraordinaire. Sa Selon Amanda Diaz, l’artiste conservatrice de nous tient délicatement le bras. Alors que la détection demande du temps, et une immersion. La Waltser collection – du nom d’Otto Waltser, lumière du jour colore l’intérieur des paupières La marche est propice car elle est déplacement et célèbre collectionneur de promenades –, l’origi- d’un rose orangé, le spectateur-expérimenta- mouvement ; elle conduit à modifier le regard, nalité du dispositif tient au fait qu’il « détourne teur s’engage dans la rue, à l’aveugle, l’ouïe à se dé-placer. Elle doit pour cela trouver son notre environnement acoustique quotidien et provoque affûtée. La confiance s’installe avec le guide, qui rythme. Pour l’artiste, l’écriture se complexifie un décalage entre perception auditive et visuelle. La restera muet et inconnu. Les sens sont en éveil. du fait du spectateur unique – une constante de perception de l’espace public est modifiée, sans chan- Un sentiment de découverte emplit le mar- la plupart des propositions artistiques ayant ger ni interférer sur la réalité physique et dynami- cheur, auquel la ville apparaît comme un espace recours à la marche. Telle la pièce manquante que du lieu. » Après avoir été présentée à Small is hostile, poétique et exaltant à la fois ; les images du puzzle, le spectateur vient s’inscrire dans beautiful à Marseille en 2008, La Waltser collection

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fait étape à En lieux et places de Toulon, puis même. « Les piétons planétaires, écrit Davila, n’opè- Quand il crée WALK MAN 1. parcours sonore en à Barcelone en 2010, poursuivant sa mission de rent aucune élision du monde tel qu’il se présente à eux. 2002, Hervé Lelardoux allie toutes ses préoccu- valorisation de la promenade urbaine. […] [Ils proposent] un ensemble de stratégies d’insertion pations artistiques : s’adresser au spectateur dans la ville et ses territoires, un ensemble de dispositifs dans son intimité la plus profonde – le « château LA FICTION contextuels aptes à permettre aux déplacements du mar- de l’âme », dit-il, citant le texte de Jean Genet RÉVÈLE L’INVISIBLE cheur de prendre place. » Hervé Lelardoux, codirec- L’Atelier de Giacometti ; aborder l’espace public teur artistique du Théâtre de l’Arpenteur, s’inscrit dans sa dimension sonore ; faire entrer en réso- Intervenir dans l’espace public sans intervenir dans cette droite ligne : « Notre scénographie, c’est nance la mémoire du spectateur avec celle de la sur l’espace public. L’artiste s’immisce dans la ville l’espace urbain à l’état brut. La ville constitue la matière ville. L’ouvrage d’Italo Calvino, Les Villes invisibles, sans ajout ni appareillage. Il s’y introduit en toute même de nos spectacles. » Il recourt à la fiction pour est une référence fondatrice. « Quand j’écris un par- discrétion et propose au spectateur de faire de provoquer l’imaginaire, pour révéler l’invisible. cours de WALK MAN, je suis comme Marco Polo dans

COMPILATION des histoires et des images, crée And also… des projets avec certains et propose Walking Pour l’arpenteur urbain qui sommeille régulièrement des restitutions aux Theun Mosk and Robert Wilson en chacun de nous, la promenade spectateurs, invités à marcher à leur Inaugurated during the IN SITU peut commencer en ligne. Les photos tour de long de la Nationale 14. network’s Hot House in 2008 et vidéos ne remplaçant pas www.witnessn14.org in Terschelling (Netherlands), l’expérience, il est ensuite vivement this slow walk of 3 ½ hours offers conseillé de sortir marcher. Sound Delta the spectators a meditative sound www.promenades-urbaines.com Collectif MU experience of an internal journey www.soundwalk.com La dimension sonore occupe une in connection with the extraordinary www.icimeme.org place importante dans la démarche environment of this Dutch island. www.helloearth.cc pluridisciplinaire du collectif MU. www.theunmosk.nl www.blastheory.co.uk Projet de création d’environnements www.cardiffmiller.com sonores géolocalisés diffusés Witness/N14 www.les-arpenteurs.com au casque, Sound Delta propose Friches Théâtres Urbain, www.icimeme.info au spectateur d’être immergé dans Sarah Harper www.lespasperdus.com une « série de climats et d’architectures Since 2007, this artist has been www.pierreredon.com sonores éphémères et invisibles ». treading the Paris-Rouen route, www.rimini-protokoll.de www.mu.asso.fr in search of encounters with inhabitants. She collects words, Et aussi… stories and images, creates projects Walking COMPILATION with some, and regularly proposes Theun Mosk et Robert Wilson restitutions to spectators who Inaugurée lors de la Hot House For the urban hiker lying within each of are also invited to walk along du réseau IN SITU en 2008 us, the walk can begin the National 14 Highway. à Terschelling (Pays-Bas), cette online. Since photos and videos www.witnessn14.org marche lente de 3h30 offre au can’t replace the actual experience, it’s spectateur l’expérience sensorielle highly recommended to go out walking Sound Delta et méditative d’une traversée afterwards. Collectif MU intérieure en connexion avec www.promenades-urbaines.com The sound dimension has l’extraordinaire environnement www.soundwalk.com an important place in the de cette île néerlandaise. www.icimeme.org multidisciplinary approach of www.theunmosk.nl www.helloearth.cc the MU collective. A project creating www.blastheory.co.uk geo-localized sound environments Witness/N14 www.cardiffmiller.com broadcast on headphones, Friches Théâtres Urbain, www.les-arpenteurs.com SoundDelta offers the spectator Sarah Harper www.icimeme.info an immersion into “a series of Depuis 2007, l’artiste parcourt l’axe www.lespasperdus.com ephemeral and invisible moods Paris-Rouen à la rencontre des www.pierreredon.com and sound architectures”. habitants. Elle récolte des paroles, www.rimini-protokoll.de www.mu.asso.fr

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Cie Amanda Pola, The Waltser Collection. Small is beautiful 2008, Marseille, quartier Saint-André. Photo : Vincent Lucas

le roman : je retrouve une part de mon passé dont je ÉCRITURE CONTEXTUELLE tique impose nécessairement ses contraintes à ne me souvenais plus et je découvre les traces du l’œuvre. « Content modifies context », pourrait-on passé de la ville elle-même. » La ville sensible est Ces « esthétiques de la fluidité ont en commun, écrit ajouter dans le cas, si singulier, de l’espace public, chargée d’une double temporalité, rendue tan- Alix de Morant, une approche subtile, sensitive du où les propositions artistiques vont modifier la gible par les sons. Un casque sur les oreilles, on territoire qu’il s’agisse d’initier des chemins, de question- réception du spectateur, et donc la nature même entend un personnage, incarnation sonore de la ner des habitudes ou d’inciter le spectateur à se distancier du lieu. Du lieu nous faisons espace et l’espace présence-absence de l’acteur, qui fait le parcours des formes de réception passive. Elles se fondent sur nous façonne en retour. Dans un échange invi- à nos côtés. Il a enregistré son monologue tout une dimension événementielle et non reconductible, sible et émotionnel, nous faisons la ville autant au long du parcours qu’il nous propose de suivre, la transmission d’un vécu ou d’une expérience person- qu’elle nous fait, nous l’habitons autant qu’elle à un moment différent. Les sons de son espace- nelle, la mise en œuvre d’une situation et reposent sur nous habite. temps viennent se confondre avec celui du un partenariat avec le public invité à tramer les dimen- spectateur. « Cela produit un effet de fiction très puis- sions réelles et fictives pour prolonger le voyage au-delà 1 Alix de Morant, « Mobiles créateurs », in Stradda n° 10, octobre 2008. sant, explique Hervé Lelardoux, sans que l’on du temps imparti par un rendez-vous programmé. » (3) 2 Thierry Davila, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives n’ajoute rien à la réalité. La fiction tient aussi à la créa- La ville est un territoire d’inspiration inépui- dans l’art de la fin du XXe siècle, Paris, Editions du Regard, 2002, p. 16. tion de ce personnage invisible dont la présence induit sable, à sillonner, observer, à différentes heures 3 Alix de Morant, « Mobiles créateurs », op. cit. une convention que le spectateur accepte très vite : je suis du jour et de la nuit. Cette matière plurielle 4 Brian O’Doherty, White Cube. L’espace de la galerie et son idéologie, Les Presses du Réel, Dijon, 2008. avec quelqu’un qui n’est pas là. » Le spectateur (architecture, non-lieux, flux, circulations, habi- marche dans la rue, évolue dans le flux de l’espa- tants, pratiques, etc.) nourrit une écriture in situ. ce public, au milieu des passants, dans le secret Le décryptage et la perception sensibles de la ville d’une relation qui se noue au creux de son dans le but de la partager sont de fait des exer- oreille. Au travers des histoires racontées, c’est cices contextuels. « Context is content » (4), a écrit « une refabrication permanente de la ville elle-même » Brian O’Doherty à propos du White cube, la salle qui se joue. blanche de la galerie ou du musée dont l’esthé-

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APPUYER SUR LEC- TURE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Janet Cardiff, The Forty Part Motet, 2001. Photo : Atsushi Nakamichi / Nacása & Partners Inc.Courtesy of the Les technologies nomades sont Fondation d’entreprise Hermès, 2009. omniprésentes dans les explorations urbaines des artistes arpenteurs. Au-delà d’un effet de mode, ceux-ci questionnent notre rapport à l’autre, bousculant les notions de représentation et d’expérience spectatrice. ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ ANNE GONON

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Notre quotidien est comme le Web, très 2.0. : connexion sensorielle et symbolique au monde, participatif, virtuel et connecté. Les technologies une extrasensorialité, telle que celle recherchée PRESS de l’information et de la communication nous par Hello!earth. Il se noue « un réseau de références permettent d’habiter le monde entier ; nous et de relations possibles entre l’espace intérieur du mar- PLAY sommes là où nous sommes mais, virtuellement, cheur et l’environnement extérieur, écrit Daniela ailleurs aussi. L’ici et maintenant est relativisé. Zyman dans un ouvrage consacré aux Audio Walks Le privé et le public s’interpénètrent. Dans le de Cardiff. Notre sensation du temps et de l’espace est ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ grand bain de la ville contemporaine, tout est mise en fiction. “Maintenant” et “ici” se dissipent et Our daily life is like the Web, devenu portable – les téléphones, la musique, fusionnent avec une pluralité de périodes d’espace- very 2.0. In the great pool of the les ordinateurs… Des artistes se saisissent des temps. » (1) « J’aime l’idée que nous construisons une contemporary city, everything has objets, les mettent en scène et en jeu, nous expérience simulée dans le but de faire sentir aux gens become mobile – telephones, music, conduisent à les utiliser autrement, notamment qu’ils sont encore plus connectés à la réalité », com- computers… Artists take hold of dans nos interactions avec les autres. mente Georges Bures Miller, le collaborateur de objects, stage them and interact Le binôme danois Hello!earth, Jacob Langaa- Janet Cardiff (2). L’artiste inverse l’usage de l’outil with them, leading us to use them Sennek et Vera Maeder, crée des balades technologique qui, au lieu de nous couper du in a different way, especially in our urbaines au cours desquelles le spectateur joue lieu et de l’instant, nous permet d’être en prise interactions with others. avec la réalité. Guidé par une voix entendue au directe avec le réel. casque ou par des instructions reçues sur son Blast Theory, groupe de trois artistes implanté à The Danish duo Hello!earth, Jacob téléphone portable, il expérimente un voyage Brighton, évolue dans un champ d’expérimenta- Langaa-Sennek and Vera Maeder, dans la ville, à travers des séquences orchestrées tion similaire, explorant les nouvelles technolo- create urban walks during which par la compagnie. The World in Technicolor se veut gies, et notamment celles du jeu. De 2004 à 2008, the spectator plays with reality. une approche sensible de la performance pour ils ont mené le projet Integrated Project on Pervasive Guided by a voice heard through et par le spectateur. Le terme de « performance » Games (littéralement : « Projet intégré de jeux headphones or by instructions se justifie, bien davantage que celui de « spec- envahissants »), en partenariat avec le Swedish received via a cell phone, the tacle ». De spectacle, point, sinon celui du Institute for Computer Science, Sony et Nokia. spectator goes on a voyage through monde qui défile devant les yeux du spectateur. Pas d’autre public qu’un spectateur impliqué, au contact d’autres performers, qui sont parfois eux-mêmes des spectateurs. « Your experience is your performance », a expliqué Vera Maeder, invitée au séminaire IN SITU Les artistes parlent aux artistes, à Neerpelt (Belgique) en février 2010. Plutôt que de couper le spectateur du monde en le projetant dans un ailleurs, le téléphone por- table ou l’iPod le relie au lieu et à l’instant qu’il est en train de vivre. Pour Hello!earth, le specta- teur est un co-créateur. Il est plongé dans un cadre maîtrisé par les artistes mais l’imprévu peut toujours survenir et l’expérience est de fait personnelle, reposant sur l’implication physique et émotionnelle de chacun.

L’OUTIL TECHNOLOGIQUE, UNE PRISE SUR LE MONDE

Alors que l’écoute de la musique au casque en ville sert d’ordinaire à se plonger dans une bulle d’intimité inviolable – plus le bruit extérieur est intense, plus le son est fort –, certains artistes l’utilisent pour faire entendre la ville et la mettre en abyme. Janet Cardiff, artiste plasticienne qui commence à créer des Audio Walks dès le début des années 2000, perçoit d’emblée la puissance du lien que l’univers sonore qu’elle propose établit entre le spectateur et le monde qui l’en- toure. L’écoute au casque concentre le spectateur Rimini Protokoll, Call Cutta in a Box. Photo : Rimini sur son ressenti et le plonge dans une intense Protokoll

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the city with sequences orchestrated En collaboration avec des chercheurs et des ingé- peut-être vous sentir un peu bizarre au début, un peu by the company. As for the show, nieurs, ils contribuent à la création d’applica- mal à l’aise. Mais tout va bien et c’est normal. Détendez- there is none, except for the crowds tions. Fascinés par « la façon dont la technologie, et en vous. » Rassurante, elle le conduit à confier des that walk before the spectators’ eyes. particulier les objets portables, crée de nouveaux espaces secrets, à parler de lui intimement avec d’autres Rather than shutting the spectator culturels avec de possibles adaptations personnelles qu’il ne verra pas, mais dont il entendra les off from the world by putting him in pour chaque participant », ils s’interrogent sur « les témoignages à mesure qu’il traversera les lieux another one, the cell phone or iPod implications de ce changement dans la pratique artis- qu’ils ont choisis. Bientôt, la ville est constellée links them to the place and moment tique ». Le projet Rider Spoke (2007) est embléma- de ces messages invisibles. « Vous êtes simultané- that they are living. tique d’une alliance entre ces questionnements ment conscient d’être incroyablement seul et engagé Whereas listening to music on et le rapport à la ville. Le spectateur se voit prêter dans une activité publique, remarque Matt Adams headphones in the city is usually un vélo, sur lequel est installé un mini-ordina- de Blast Theory. La frontière entre le privé et le public a means of creating a protective teur à écran tactile. Equipé d’une oreillette et s’effondre à de multiples niveaux. » L’ordinateur personal bubble – the more intense d’un micro, il est invité à parcourir la ville et à devient l’interface d’un réseau de connexions the outer noise, the louder the chercher des endroits où enregistrer des mes- entre les participants dont les voix enten- sound –, artists use it to listen to sages. Une voix féminine le guide : « C’est dues prennent corps, en dépit de l’absence de the city and to mirror it. Visual artist, un de ces moments où vous êtes tout seul. Vous allez l’autre. Avec Rider Spoke, Blast Theory interroge Janet Cardiff started making Audio Walks in the early 2000’s. Blast Theory, a group of three artists living in Brighton, are evolving in a similar field of experimentation, exploring new technologies, especially those related to games. In collaboration with researchers and engineers, they contribute to the creation of applications. And so, in the project Rider Spoke (2007), the spectator is lent a bicycle, on which a mini tactile-screen computer is mounted. Outfitted with a headset and microphone, they are invited to cross the city and find places where they can record messages. The computer becomes the interface of a network of connections between the participants whose audible voices become physical bodies, in spite of the other’s absence. In the same spirit, Ici-Même (Paris) is exploring in 2010 the gaming and the scripting of the city in Allô, Ici-Même, a scavenger hunt and urban thriller to which spectator “gamers” are invited. The city, beyond its architecture and urban development plan, beyond the isolation it can produce, is made up of an invisible network of relationships that unite us.

FlashRue, C'est la crise. Rue Saint-Ferréol, Marseille, 2009. Photo : Vincent Lucas

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RÉINVENTER LES l’aide de promeneurs-habitants venus REINVENTING LIEUX DE VIE nourrir le récit d’anecdotes et de vécu. LIVING SPACES Dans un second temps, Les Pas Créé en 1989, le collectif Les Pas perdus, avec la complicité des Created in 1989, the association perdus prône l’entrelacement des résidents et de Nicolas Mémain, Les Pas Perdus encourages the imaginaires, « des audaces artistiques entrecroisent et s’approprient intertwining of imaginary worlds, by populaires et des aventures singulières la matière récoltée pour réaliser bringing together creativity, fantasy, and de l’art de référence dit savant ». Elle use un « Guide d’usage quotidien et exception- collaboration with “non-artists”. Within pour cela d’armes redoutables : nel de la cité de Fonscolombes ». Mario the Fonscolombes apartment complex, la créativité, la fantaisie et la Fabre, l’architecte de la cité construite in Marseille, Les Pas Perdus launched collaboration avec des entre 1978 et 1988, viendra présenter a “Home of the Ordinary and of the « non-artistes ». Au cœur de la son travail : une occasion de Fantastic”, a poetic space where artists résidence Fonscolombes, à Marseille, requalifier la dimension and inhabitants create art together on a Les Pas perdus initient la mise en architecturale et donc l’intérêt culturel daily basis. First step: walks guided by place d’une « Maison de l’ordinaire de cette « expérimentation urbaine ». “architecture exhibitor” Nicolas Mémain et de la fantaisie », espace poétique Une fois ces préalables partagés, with the help of the walker-inhabitants où se rencontrent des artistes et des l’enjeu, pour Guy-André Lagesse, who come to enrich the narrative with habitants, fabriquant ensemble de Nicolas Barthélémy et Jérôme Rigaut, anecdotes. With the complicity of the l’art au quotidien. Pour préparer cette est « de renverser poétiquement des lieux residents, Les Pas Perdus then use réalisation, l’avant-projet a consisté de vie » avec ceux qui les occupent the material that has been gathered en des promenades guidées par et de faire fonctionner, au sens to make a “Daily and Exceptional User Nicolas Mémain, artiste « montreur littéral du terme, avec des visiteurs Guide of the Fonscolombes Housing d’architecture ». Soulignant les aussi variés que possible, ces œuvres Project”. Mario Fabre, the architect caractéristiques architecturales issues d’une pratique de l’inventivité of this housing project constructed du quartier, Nicolas Mémain a dévoilé au quotidien. between 1978 and 1988, will come la singularité de Fonscolombes, avec Anne Gonon to shed light on this perceptive work.

la posture spectatrice tout autant que la solitude mêmes, en quête d’un dénouement. Le télépho- proposent aussi un recentrage. Dans un article urbaine. Jusqu’où suis-je prêt à me confier et ne portable le guide et les relie à la fois. Avec Call consacré à Gerucht de Lotte van den Berg et à quel statut a ma parole ainsi diffusée ? Et celle Cutta (2005), Stefan Kaegi, du collectif Rimini The Large Movement et You Are Here de Dries des autres ? Les outils technologiques qui nous Protokoll, a pour sa part créé une œuvre de Verhoeven, Eve Beauvallet écrivait, dans le pré- maintiennent en contact sont-ils des remparts théâtre de téléphone mobile pour Berlin. cédent cahier spécial Mouvement/Lieux publics, contre la solitude ? Repoussant les limites de la représentation et que ces créations « semblent être les versants d’une de la relation acteur/spectateur, Kaegi invite même histoire : celle d’ultramodernes solitudes. Celles de JOUER AVEC ET DU RÉEL un spectateur à marcher dans la ville, guidé par spectateurs qui expérimentent, en commun, le fait d’être une personne travaillant dans une plate-forme seuls. » (3) C’est un tout autre cheminement qui se Chez ces artistes de l’expérience, la référence au d’appels (call center) en Inde. Une interaction se dessine ici. Si l’expérience proposée est indivi- jeu est récurrente, les outils technologiques per- noue entre deux inconnus, unis par un parcours duelle, nous nous y sentons plus que jamais mettant une interaction ludique avec d’autres. dans une ville où l’un d’eux n’est même pas. connectés au monde et aux autres. Notre regard La théâtralité n’est jamais absente dans la Un jeu s’instaure, au rythme de la marche et a été remis en jeu. Nous atteignons un état de mesure où le participant choisit l’image qu’il des confidences. conscience. La ville, au-delà de son architecture présente de lui et mesure son degré d’implica- et de son plan d’aménagement urbain, au-delà tion. Ici-Même (Paris) explore en 2010 le jeu et la Ces marches, déambulations et parcours, à pied de l’isolement qu’elle peut générer, est consti- scénarisation de la ville dans Allô, Ici-Même, jeu de ou à vélo, s’adressent pour la plupart à un specta- tuée d’un réseau invisible de liens qui nous unis- piste et polar urbain auxquel sont conviés des teur seul. Elles déjouent les notions de représen- sent. spectateurs « gamers ». Là encore, le téléphone tation et de public. Le déplacement du regard portable joue un rôle central. Il est le moteur qu’elles proposent conduit à un processus de 1 Daniela Zyman, « At the edge of the event horizon », in Janet Cardiff: The Walk Book, Vienne, Thyssen Bornemisza Art de l’excursion dans la ville, du déplacement et mise à distance du réel que l’on observe autre- Contemporary avec Fund, New York, 2005, p. 11. le théâtre de la narration. Bientôt, des interac- ment, comme une scène de rue qui brutalement 2 Ibid, p. 18. 3 Eve Beauvallet, « L’ajustement des regards », in L’Art d’être tions se nouent entre les spectateurs eux- s’offre à nous. Dans l’agitation de la ville, elles ensemble, cahier spécial Mouvement/Lieux publics, 2009.

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LES FRIC- TIONS DU MONDE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

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Qu’en est-il du « vivre ensemble » quand les soubresauts du « nouvel ordre mondial » se répercutent dans l’espace public, et que le « développement durable » exige une éthique nouvelle ? Des altérités que transportent les flux migratoires à l’omniprésence des signes de la publicité et de la consommation, en passant par le désir de ruralité au cœur des villes, des artistes déjouent les codes et les frontières d’une société trop policée. ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Pierre Sauvageot, Lieux publics & Cie, Champ harmonique. Essais des instruments sur site, pointe de Bonnieu à Martigues, avril 2010. Photo : Fanny Broyelle

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STATIONS Rimini Protokoll, Cargo MIGRA- Sofia. Photo : D. R. TOIRES ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Concentrant les questions de frontières Sas de (dé)compression, bulles dans l’espace public – tour à tour enchanteresses ou anxio- symboliques, d’appartenance et de libre gènes –, forts d’une symbolique irréductible, containers et camions sont des écrins de plus en circulation, l’espace public est au cœur plus utilisés pour abriter des propositions trai- tant de la circulation des populations. des préoccupations de nombreuses Praticien d’un singulier « théâtre documentai- re », le Suisse Stefan Kaegi restitue avec Rimini compagnies. Entre propositions Protokoll une mémoire du vécu sublimant les frontières. Conviant des acteurs amateurs utopistes et anticipations cyniques, – protagonistes « spécialistes » campant leur propre rôle –, ses créations, empreintes d’une les enjeux de l’immigration, de la réalité flirtant à peine avec la fiction, s’attaquent frontalement à des sujets lourds de sens : muez- sécurité et de l’altérité sont en jeu zins cairotes, enfants d’expatriés, étudiants en médecine confrontés au traitement de la mort… dans de nouvelles créations. Bousculant les codes tant scénographiques que dramaturgiques, chaque mise en scène fouille ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ dans le quotidien pour en restituer une réalité JULIE BORDENAVE authentique, parfois crue : en 2004, Sabenation.

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Go Home & Follow The News abordait ainsi la dou- du monde, tellement loin de tout qu’ils ne connaissent loureuse question des licenciements en masse à rien d’ici. » La parole est remplacée par le « langage MIGRA- la compagnie aérienne belge Sabena, par la voix kamchatkien », né d’improvisations menées à d’employés livrant leur propre histoire. Il y a huit : « Le migrant est parachuté dans un univers TORY quatre ans, Cargo Sofia embarquait le spectateur qui lui semble étranger. A l’inverse, les codes usités par à bord d’un poids lourd pour un partage éphé- les Kamchatka peuvent sembler incongrus dans la STATIONS mère du quotidien de routiers bulgares, le long société quotidienne : aller vers l’autre, embrasser, regar- d’un périple faisant éprouver physiquement le der dans les yeux… Ce sont pourtant des choses temps du voyage et sa lente progression géogra- basiques. » Porteur d’émotions délicates, le déam- ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ phique, passages de douanes et modifications bulatoire se teinte d’une mélancolie poignante From utopian propositions to cynical du paysage à l’appui. La mémoire de la migra- lorsque les comédiens déballent le contenu de expectations, immigration, security tion est aussi au cœur de la création d’Osmosis leurs valises – objet fétiche, photo d’un être and alterity issues are the subjects of Cie, du danseur Ali Salmi. Poursuivant le travail cher… –, maigre mémoire emmenée dans l’ur- new creations. While Rimini Protokoll, initié en 2005 avec Transit – vidéo-chorégraphie gence de l’exil, lien fragile reliant les déracinés Osmosis Company or Collectif pour un camion-remorque, autour du parcours à leur passé. Intérieur Brut have the spectator live d’un migrant clandestin afghan passant par through an immigrant’s journey, the Calais pour rejoindre l’Angleterre –, Alhambra GOÛTER D’AUTRES Kamchatkas show him the arrival Container (2008) croise trois parcours de vie : FORMES DE VIE on foreign land and the confrontation engagement physique du corps en mouve- with a new environment. Arriving in ment, projections vidéo, entre mémoire Deux ans après, les Kamchatka se sont intégrés : 2008, they are then integrated and et nécessaire résistance. Habitaculum convie le public à une visite de leurs with Habitaculum invite the public Création 2010 du Collectif Intérieur Brut, Ticket appartements, reflet de la vie quotidienne to visit their apartments, which reflect fait de son côté le choix audacieux de placer établie dans leur ville d’adoption : « Dans chaque the new daily life in their adopted le spectateur en situation de clandestinité : un ville, les façades classiques des immeubles cachent des city. An interior based on urgency, « voyage immobile » dans un camion, évoquant intérieurs très variés. En ouvrant la porte d’un apparte- on instability. The suitcase, symbol le parcours de migrants par le biais d’écoute ment, on peut se retrouver à Islamabad ou Addis Abeba, of the eternal wanderings of the sonore et d’interventions de comédiens. sur la foi de nourritures, de sons ou de couleurs. characters, is always present.

L’INTÉGRATION, RECONNAISSANCE DE L’ALTÉRITÉ

Arrivé en terre étrangère, le migrant se confron- te à la nécessaire découverte d’un nouvel envi- ronnement, préexistant à toute intégration. Nombreux sont les spectateurs qui, au gré des festivals depuis 2008, auront fait connaissance avec les Kamchatka : une drôle de peuplade exilée, tout de sombre vêtue, qui se déploie en douceur dans l’espace public pour aller à la rencontre de l’autre, entre retenue et curiosité. Poreux à son environnement tant géographique que social, le metteur en scène Adrian Schvarzstein veut « un théâtre de rue qui ressemble à la réalité. Au cœur de mes préoccupations : faire du comédien un migrant, porté par le sentiment d’être un étranger chez lui. » Menées au débotté pendant le festival Escena Poblenou de Barcelone, les sessions de travail avec des comédiens locaux – espagnols, argentins, italiens… – débouchent sur la création d’un premier déambulatoire éponyme : l’acte de naissance des Kamchatka, tribu de huit comédiens symbolisant altérité et déracinement à l’état brut. « Le Kamchatka est une péninsule de Sibérie, à la limite de l’Alaska. Les comédiens se présentent comme des personnes Osmosis Cie, Transit. en provenance de cet endroit, un peu aux confins Pazzapas, Marseille, 2005. Photo : Vincent Lucas

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Lucy + Jorge Orta, Antarctic Village – No Borders, installation éphémère en Antarctique, 2007. Courtesy des artistes. Photo : D. R.

Habitaculum est une invitation à goûter d’autres à Singapour ou Dubaï, le fait que la plupart des tra- Played around the world, Kamchatka formes de vie, dans l’intérieur des Kamchatka. » Un vailleurs viennent d’Inde ou du Sri Lanka et sont takes on a different meaning intérieur basé sur l’urgence, la précarité. renvoyés dans leur pays une fois qu’ils ont tout donné. depending on the country: bringing Toujours présente, cette valise, symbole de l’iti- Ce sont des choses que l’on retrouve partout. Or, il faut a buried history to light, digging nérance éternelle des personnages, gardienne se souvenir que la plupart des histoires familiales se sont into the depths of the collective de leur identité : « On l’a vu dans l’histoire récente construites sur des migrations… » memory, the show provokes de l’Europe, les migrants sont toujours à la merci de varied reactions in spectators, l’évolution des lois. Les Kamchatka ont toujours cette ABOLITION DES from the extremely touched to valise à portée de main, elles font office de sièges dans FRONTIÈRES ET the very vindictive. le salon. La mémoire est intégrée dans les personnages ; LIBRE CIRCULATION il se produit même une tempête de neige durant le spec- Certain artists respond to these tacle, souvenir d’un événement qu’ils ont vécu durant A ces frictions, certains artistes répondent par frictions with utopia. These leur traversée. C’est une façon pour eux de partager leur l’utopie. Ces préoccupations nourrissent les preoccupations fuel the creations passé avec les spectateurs. » créations du Studio Orta depuis ses débuts. of the Studio Orta. Starting in the Joué à travers le monde, Kamchatka revêt diffé- Investissant les champs de l’architecture éphé- 90’s, Jorge and Lucy Orta’s rents sens selon les pays : mettant en exergue mère, de la cuisine ou de la couture – habitations questionings on the free movement l’histoire enfouie, puisant dans les tréfonds de modulaires pour communautés déplacées, of people led them to the Antarctic la mémoire collective, le spectacle suscite des buffet gastronomique avec les invendus du Peninsula, a neutral continent where réactions variées, des plus émues aux plus marché, vêtements refuges réalisés à partir military activity is prohibited: as part vindicatives : « Sur l’île de Jersey, certaines personnes d’équipements humanitaires, défilé de sans- of the vast project Antarctic Village reprochaient au spectacle de donner une image positive abri devant l’Armée du Salut, etc. –, Jorge et – No Borders (1992-2008), they de l’immigration. Au Chili, les comédiens ont fait Lucy Orta s’intéressent aux exclus sous toutes constructed a temporary village émerger le souvenir des personnes disparues pendant la leurs formes. Le duo anglo-argentin met en on the Marambio scientific base dictature, on pouvait entendre des commentaires hor- place installations et dispositifs tentant de lier – around 50 domes were covered ribles parmi le public et la police… Habitaculum traite corps social et corps physique dans l’espace with evocative objects (flags, aussi d’une actualité chaude, partout dans le monde : urbain, pour « donner de la visibilité aux margi- clothes, gloves…) – symbolizing en France, le récent débat sur l’identité nationale ; nalisés ». Leurs interrogations sur la libre circula- the welcome land of all refugees.

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tion des êtres humains les mènent dès les titutions grandeur nature (La Jurassienne de A feeling of insecurity, presented as années 1990 sur la péninsule antarctique, un réparation, Elu…), Théâtre Group se saisit des a growing phenomenon, currently continent neutre où l’activité militaire est inter- enjeux qui régissent cette éminente question fetters the aspiration toward free dite : dans le cadre du vaste projet Antarctic politique avec Vigiles : « Des forums sur la sécurité movement. Reenactment event Village – No Borders (1992-2008), ils montent sur la ont eu lieu dans toute la France en 2009 à l’initiative regulars, Théâtre Group seize upon base scientifique de Marambio un village éphé- de Michèle Alliot-Marie, explique Patrice Jouffroy, the issues governing this important mère – une cinquantaine de dômes recouverts directeur artistique de la compagnie. Comme political question with Vigiles (Vigils). d’objets évocateurs (drapeaux, vêtements, souvent, ils ont été organisés par bonne conscience, In the subtext is the exploration of gants…) – symbolisant la terre d’accueil de tous mais n’ont servi à rien. Nous avons assisté à plusieurs insecurity issues throughout different les réfugiés. Installation itinérante rendant d’entre eux : ces débats nous ont titillés, parce que eras, the slow acceptances that have compte de cette expérience, Le Bureau de théâtralement, c’est nul ! Aucun sens du spectacle ! modified public spaces – search and délivrance du passeport universel distribue à chaque C’est mal foutu, ennuyeux au possible... » Ayant control through video surveillance visiteur un passeport intégrant cet amendement multiplié les sources de documentation – discus- cameras –, and the inevitable drift utopiste à l’article 13 de la Déclaration des droits sions avec agents de la sécurité, universi- of the public towards the private: de l’homme : « Tout être humain a le droit de se dépla- taires, etc. –, la compagnie s’empare donc du “The disengagement of the State cer librement et de circuler au-delà des frontières vers sujet, soucieuse d’éviter l’écueil du mani- and the cut-backs on civil servants’ le territoire de son choix. Aucun individu ne peut avoir chéisme. En sous-texte, les enjeux de l’insécuri- jobs are leading the private sector to un statut inférieur à celui du capital, des marchandises, té à travers les époques, les acceptations lentes appropriate the public one. We are des communications et de la pollution, qui ignorent qui modifient l’espace public – telles que son going towards a system resembling toutes frontières. » quadrillage par les caméras de vidéosurveil- England or Belgium, with more lance… –, et l’inévitable dérive du public vers and more private police, based DÉRIVE DU PUBLIC le privé : « Le désengagement de l’Etat, la suppression on the American sheriff model.” VERS LE PRIVÉ de fonctionnaires amène le privé à récupérer le secteur. On s’achemine vers un système type Angleterre ou The influence of the private on the L’aspiration à la libre circulation est pour Belgique, avec de plus en plus de polices privées, sur public sector is already a reality, l’heure entravée par un sentiment d’insécurité le modèle des shérifs américains. » which Thé à la Rue barely présenté comme croissant. Habitué des recons- exaggerates with A vendre (For Sale). The premise is laid out at the beginning of the show: the buying and selling of cities is authorized now that the old system of municipal order has become obsolete. The actors are thus the representatives of a specialized real estate agency. Cynical expectation ? Not certain, you may notice that sponsoring has already an influence on naming: “Naming is already a reality: companies can now finance a public holding in order to give it their name. This is already true for the Le Mans Stadium, the Lyon Stadium is right behind it…” As is often the case in street theater, reality is already greater than fiction.

KompleXKapharnaüM, Memento. Small is beautiful 2009, Aubagne. Photo : Vincent Lucas

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LE GROUPE BERLIN militaires de part et d’autre du mur THE GROUP BERLIN de séparation de Jérusalem, guerre Pour la première fois cet été, le larvée entre les sept résidents de For the needs of their last creation, (flamand) groupe Berlin va se Bonanza (Colorado), ex-cité minière Moscow, the (Flemish) group Berlin produire dans un festival de rue (1). Il de la ruée vers l’or, invraisemblable had a custom circus tent made. faut dire que pour la scénographie de isolement à Iqaluit, capitale Inuit Inside, six turning screens, a string leur dernière création, Moscou, ils ont au fin fond du pôle nord accessible quartet, a pianist, and a wandering dû faire construire un chapiteau sur exclusivement par avion… Chaque audience in the centre, are face mesure. A l’intérieur, six écrans performance « holoscénique » est un to face with a subjective and giratoires, un quatuor à cordes, objet dramaturgique à part qui flirte enlightening look at this USSR un pianiste, et un public déambulant avec les frontières géographiques beacon city. au milieu, confronté à un regard et artistiques, conférant à chaque The Holocene series paints a subjectif et éclairant sur la capitale écran la place d’un comédien. portrait of cities through layers de feu l’URSS, 10 millions d’habitants Présentées en bout à bout(2) comme of documentary film material. pas des mieux lotis et la plus grande autant de métaphores d’un monde Presented end-to-end(1) like so concentration mondiale de en mutation, Jérusalem, Iqaluit, many metaphors of a world in milliardaires par kilomètre carré. En Bonanza et Moscou ouvrent transformation, Jerusalem, Iqaluit, filigrane sous la toile de chapiteau magistralement la voie à un nouveau Bonanza and Moscow open the door rouge, une question : Moscou est-elle cycle signé Berlin : Horror Vacui to a new series entitled: Horror Vacui un vaste cirque ? Ainsi va la série (littéralement : « Peur du vide »). (literally “Fear of Emptiness”). Holocène (du nom de la période Où l’on assistera à une tentative de Here, we will witness the géologique actuelle), imaginée par reconversion de la Ruhr, à travers redevelopment of the Ruhr, le très transdisciplinaire groupe un projet immobilier impliquant through a building project d’artistes pour croquer des portraits la fantasmatique intervention involving the fantastical de villes à travers des strates de d’un cheikh saoudien…Cathy Blisson participation of a Saudi sheik… matériaux filmiques documentaires, mis en scène sur écrans multiples. 1 Du 22 au 25 juillet à Chalon dans la rue. 1 From October 11th thru the 15th at the Domaine d’O 2 Du 11 au 15 octobre à Montpellier (Domaine d’O), (Montpellier), and from October 17th thru the 24th at Dialogues de sourds et valses puis du 17 au 24 à Marseille (Le Merlan et Small is the Merlan and Small is beautiful (Marseille). de pèlerins, officiels religieux ou beautiful).

ESPACE PUBLIC À VENDRE vatif et répondre aux lois du marché : achat, dynamisa- tion du produit en terme de communication puis re- La mainmise du privé sur le public, c’est déjà une vente. » Nourrie du contexte urbain – architectu- réalité, dont la compagnie Thé à la rue grossit à re, histoire, associations locales… –, la peine le trait avec A vendre, mettant en scène la déambulation dans la ville en présente ses forces marchandisation de l’espace public. Mués en et faiblesses, amenant à l’esquisse d’un grand investisseurs potentiels, les spectateurs sont projet destiné à « booster l’image de la commune à l’in- conviés à la visite d’une commune, sur les pas ternational. A Lion d’Angers, la ville du cheval, nous d’un agent immobilier peu scrupuleux. Le postu- avons conseillé de revitaliser l’image ringarde des courses lat est posé en début de spectacle : l’achat et la hippiques en autorisant les combats de jockeys. Pour la vente de villes sont désormais autorisés, l’ancien ville de Moirans en Montagne, entièrement axée autour système de gestion municipale étant obsolète. du jeu, nous avons préconisé la construction d’un Les comédiens seront donc les représentants énorme four pour renforcer la thématique du pain… » d’une agence immobilière spécialisée : « Les villes Anticipation cynique ? Pas si sûr, quand on consta- que nous vendons appartiennent à un groupe industriel, te que le sponsoring influe déjà parfois sur la topo- qui revend son bien par besoin de liquidités face à la crise, nymie : « Le naming est déjà une réalité : les boîtes explique Amédée Renoux, codirecteur de la com- peuvent désormais financer un bien public pour lui donner pagnie. En parallèle avec le monde de l’entreprise, ces son nom. Le stade du Mans est déjà concerné, le nouveau usines qu’on achète et qu’on revend, nous nous sommes stade de Lyon est sur les rails… » Comme souvent en demandé comment l’espace public pourrait devenir pri- théâtre de rue, la réalité dépasse déjà la fiction.

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THÉÂTRES DE LA Roger Bernat, Domini Public. Photo : Cristina Fontsaré CONSOM- MATION ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Détourner les codes de la consommation, Les vitrines et autres publicités, on le sait, consti- tuent l’essentiel du décor urbain, immédiate- créer du patrimoine vivant à partir des ment appréhendable, présent de façon réma- nente. Dès 2000, Kumulus singeait les panneaux usages urbains… De la mise en scène Decaux, en y enfermant des comédiens victimes de la société de consommation, à travers le du territoire à la création de nouvelles narquois Tout va bien. Si les vitrines peuvent aussi être prétextes à des détournements laissant pratiques collectives, les artistes vagabonder l’esprit (revisitation du mythe du western à travers le jean par la Cie Etant donné), apprennent à faire à partir de l’existant certains artistes s’interrogent sur les produits qui pourraient y figurer. pour déranger la logique marchande et bousculer les espaces communs. LE PATRIMOINE VIVANT La fabrication d’objets, c’est le credo du plasti- ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ cien Nicolas Simarik : « La production en série de JULIE BORDENAVE mes créations fait partie de mon engagement par rapport à l’accès à l’art ; je ne suis pas amateur de

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l’œuvre unique à contempler chez soi ou dans un musée. sonore de postes à cassettes, une conférence sur La diffusion à grande échelle permet des rebondisse- la jubilation ou encore des interventions d’un THEATRE ments, la communication génère un autre type de mystérieux bonhomme barbu, comme dans les rapport à la création. » Du journal Boulot, sur le rues de Marseille en octobre dernier durant OF PRECA- modèle du quotidien Métro (tiré à 30 000 exem- Small is beautiful : « Il erre dans les rues, à la ren- plaires) au catalogue La Déroute – détournement contre des gens qui ne l’attendent pas… Son but, dans RIOUSNESS de La Redoute mettant en scène des habitants la rue, c’est de louper le public. » la région toulousaine, tiré à 6 000 exemplaires –, La Chose publique choisit quant à elle de détour- en passant par 20 000 clés du 104 parisien ner un certain type de consommation pour aller ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ distribués aux habitants du quartier ou un à la rencontre de son public. Implantée en zone As we know, store windows and plan de la ville de Montflanquin présenté sous rurale depuis 2005, la compagnie y observe other make up most forme de jeu de l’oie, l’artiste œuvre à la concep- depuis le va-et-vient quotidien des camions of the urban scenery. Since 2000, tion d’objets inspirés de l’identité d’un territoi- commerçants : « Tous les jours, on voit venir les Kumulus has been mocking Decaux re. A l’invitation du Centre chorégraphique de camions du boulanger, du boucher, de vêtements… Dans signs, by locking actors inside Tours, il mène depuis 2009 un travail de fond les villages éloignés des grands axes, la population, of them, victims of consumer society, avec les habitants du quartier Sanitas, pour y souvent vieillissante, ne prend plus la route, et attend ces in the wry Tout va bien (All is well). concevoir des « produits dérivés et objets souvenirs » : livraisons pour faire ses courses. Pour une certaine caté- Infiltrating consumer society, the Sanitasses (mugs à l’effigie de cinq types d’habita- gorie d’habitants, c’est aussi le seul lien avec le monde visual artist Nicolas Simarik creates tions présents dans le quartier), sacs plastiques extérieur : le camion colporte des nouvelles de village objects inspired by an area’s identity. ornés de visuels emblématiques du paysage en village. Pour nous, citadins, c’était quelque chose de At the invitation of the Centre (Passerelle Fournier, segment de voies curieux et touchant... » En sus de ces camions com- chorégraphique de Tours, he has ferrées) qui, mis bout à bout dans une file merçants, il faudra donc désormais compter been conducting an in-depth project d’attente, reconstituent la fresque dans son inté- avec le Camion d’histoires : un 508 Diesel acquis with the inhabitants of the Sanitas gralité, Sanithé (sachets de thé produits avec par la compagnie pour son nouveau spectacle, neighborhood since 2009 for the de la menthe cultivée par les résidents)… Les Livreurs, sillonnant le territoire pour y déli- creation of “spin-off products and Vendus dans un chalet dédié lors d’événements vrer des contes de tradition orale : « Nous souhai- souvenirs”: Sanitasses – mugs with ponctuels (Veiller par le geste en mai dernier, tons toucher un maximum de gens, aller dans les lieux the effigies of five housing types Rayons Frais en juillet prochain), ces objets sont isolés, où il n’y a pas forcément d’espace pour le in the neighborhood ; plastic bags destinés à mettre en relief un « patrimoine vivant » spectacle. Le spectacle va au-devant du public, mais adorned with emblematic visuals préexistant, devenant des objets usuels dont on demande aussi au public de faire un pas vers lui : of the landscape… Sold in their own peuvent se saisir les habitants comme les pas- il faut de l’attention pour suivre une histoire du début special chalet (during the “Veiller sants occasionnels. à la fin. » La démarche répond à une préoccu- par le geste” event last May, and the pation récurrente dans les créations de la com- “Rayons Frais” festival in July), ESPACE PUBLIC pagnie, l’écriture dans l’espace public : « Nous these objects are meant to highlight EN DÉRANGEMENTS cherchons à pousser le récit le plus loin possible en rue. the pre-existing “living heritage”, On vise une tournée itinérante importante sur l’été, de becoming common objects which Se pencher sur l’espace public pour y piocher la village en village, quelque chose de moins formel que can be appropriated by residents matière à mettre en scène : c’est aussi le propos le festival, qui incite à prendre son temps pour créer as well as occasional passers-by. de Camille Boitel, qui organise des « dérangements un autre rapport à l’écoute. » Examining public space in order réguliers » de l’espace public. Le décor de son to unearth material that can be récent spectacle L’Immédiat est ainsi le résultat CONSOMMATION ET staged is also the intention of d’une collecte d’objets hétéroclites menée en PRÉCARITÉS VISIBLES Camille Boitel, who organizes France et à l’étranger, sous forme de troc ou de “regular disruptions” of public récupération : « Nous avons mené toute une série Cette diversité du profil des consommateurs spaces. The decor of her recent d’expérimentations sur le fait d’arriver dans un endroit, inspire aussi le catalan Roger Bernat. Domini show L’Immédiat (The Time Being) de collecter tout ce qui allait nous servir dans le spec- Public s’inspire des méthodes des enquêtes de is the result of a collection of tacle, sans transaction financière, juste en demandant consommation, pour mettre en place des choré- miscellaneous objects conducted aux gens de nous donner du matériel, ou en ramassant graphies urbaines : sur consignes délivrées in France and abroad through des objets dans la rue… C’était déjà à l’époque une pre- via casques HF, les spectateurs sont invités à bartering or salvaging. With mière forme du spectacle, qui ne disait pas son nom : des se déplacer selon leur profil. Une manière Les Livreurs (The Delivery Men) interventions dans la réalité, sans revendication, comme gracieuse de rendre hommage aux différen- La Chose Publique, on the other un envahissement de la ville. On allait partout, on rame- ces et similarités qui nous constituent, habi- hand, goes out to meet their public, nait les objets dans la rue sur des traîneaux… tudes volatiles ou convictions ancrées, consti- wandering the area in a 508 Diesel A Marseille, on a collé sur les murs de la ville des photos tuant des modes de vie avant d’être des cœurs to deliver tales from oral tradition: de cette transhumance. » Plusieurs petites formes de cibles publicitaires… ou peut-être est-ce l’in- “We’re aiming for something less sont nées de ces expérimentations : une mini- verse ? Autre détournement des codes de la formal than a festival, which salle de projection en carton, une installation grande distribution : le performer Benjamin encourages taking the time to create

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Verdonck s’attelle à un classement chromati- d’éteindre toute velléité de rébellion à l’issue du spec- another relationship to listening.” que des produits de consommation dans une tacle. Je préfère tenter d’aborder des thématiques un peu Desiring to capture the essence grande surface, pour donner un autre sens pointues, sans solutions toutes faites. » of daily reality placed under media’s aux linéaires. Devant le constat de la désertification des festi- sirens, Philippe Mouillon and Soucieux de capter l’essence de la réalité de vals de rue par les populations initialement Maryvonne Arnaud of the group terrain sous les sirènes de la communication, visées, « qui n’y voient plus qu’une animation pour Laboratoire (Laboratory) worked Philippe Mouillon et Maryvonne Arnaud, du commerçants de centre-ville », l’artiste se question- with the philosopher Bruno Latour groupe Laboratoire, ont travaillé avec le philo- ne : quelle animation pourrait faire descendre in order to sharpen their critical sophe Bruno Latour pour tenter d’affûter leur les gens dans la rue, même en pleine période de sense. Following an in-depth work sens critique. A l’issue d’un travail de fond mené Coupe du monde ? Réponse : une série d’exécu- led throughout Europe, the urban à travers l’Europe, l’installation urbaine Exposure tions publiques, que l’auteur met en scène pour installation Exposure presents twelve propose douze représentations de la précarité, la Cie Komak (Charon, exécutions publiques). De la representations of precariousness, dans des containers posés en extérieur : «Un guillotine posée en plein centre-ville par le in freight containers placed travail d’interrogation de l’époque qui invite à en Théâtre de l’Unité dans les années 1980 à la mise outside. With a similar assessment, montrer les limites, à quel point nous croyons com- à mort du comédien par Mazout et Neutron Christophe Vignal began the new prendre le monde alors que nous ne disposons que d’une dix ans plus tard, la voracité du public est une creation of the company Portez-vous petite fenêtre de représentation du réel. Sous une appa- thématique sans cesse interrogée, que les clowns bien (Take care), Vente aggravée rence très décontractée, on est dans des sociétés qui tolè- joyeusement transgressifs du Tony Clifton Circus (Increased Selling): “The show rent très peu les prises de parole. On fait tenir les gens en s’emploient aujourd’hui à titiller dans des mises takes a public space and prohibits leur foutant la trouille, la peur du licenciement, de ne pas en scène repoussant toujours plus loin les limites improvisation from there on, avoir de boulot. C’est pour ça qu’on propose presque une de la bienséance. Du spectacle sur la consom- the only authorized events being “éthique de l’indiscipline”, pour inciter à ne pas se laisser mation au questionnement sur la consommation commercial demonstrations.” cannibaliser sans bouger. » (1) du spectacle, il n’y a qu’un pas. Just one step lies between a show on consumerism and the 1 Entretien avec François Cau, in Le Petit Bulletin de Grenoble, questioning of show consumption. L’ESPACE PUBLIC, FOIRE septembre 2008. À CIEL OUVERT

C’est en partant d’un constat similaire que Christophe Vignal a démarré la nouvelle création de Portez-vous bien Cie, Vente aggravée. Initialement présentée comme une uchronie, l’action se déroule finalement dans une époque contemporaine : « Tout rassemblement dans un espace public de plus de quatre personnes peut déjà être passible de sanctions. Le spectacle pose un espace public désormais interdit à l’improvisation, où les seuls événe- ments autorisés sont les démonstrations commerciales. » Le public sera donc rassemblé pour assister à une vente d’objets (à peine) décalés : « Lunettes à réalité augmentée, affichant des informations personnalisées en fonction du profil client ; bracelet inhibant permet- tant de calmer les gosses turbulents, ou de satisfaire la libido d’un époux trop pressant… » L’arrivée inopinée d’un personnage trublion – l’ex de la vendeuse – fait basculer le propos : « C’est un soldat de retour d’un conflit, qui s’était engagé par idéal aux côtés des gens qui sauvent le monde, mais en a pris plein la gueule. Il va tenter de reconquérir son ex, en dénonçant les valeurs qu’elle porte au sein de cette boîte. Au fil du spec- tacle, on s’aperçoit que lui aussi est dans sa bulle : l’éco- consommation représente aussi un marché… » Emaillant son spectacle de textes d’auteurs – Alain Damasio, Charlotte Delbo, George Orwell, Françoise Chevigné, entre autres –, Christophe Vignal veut éviter l’écueil de la simple dénoncia- Tony Clifton Circus, Xmas forever. Small is beautiful 2009, tion : « Je suis de l’école Augusto Boal, j’ai le sentiment Martigues. Photo : Vincent Lucas qu’un théâtre qui joue le rôle de catharsis prend le risque

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Pierre Sauvageot et Lieux Pointe de Bonnieu, Les PARTIES publics & Cie, Champ Laurons, Martigues 2010. harmonique. Photo : Vincent Lucas DE CAM- PAGNE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Certains artistes résistent à la saturation Lorsque l’espace urbain se sature, l’artiste est naturellement porté à tourner son regard vers de l’espace urbain en y révélant, ou y d’autres territoires : de plus en plus, il est enclin à intégrer à sa démarche le souci d’un dévelop- réintroduisant de la ruralité. D’autres pement durable, défrichant de nouveaux espaces-temps de représentation. Certains choi- se déplacent en milieu naturel pour sissent de révéler le rural au cœur de la ville, d’y réinjecter de la campagne : c’est le cas frotter leurs installations aux éléments. par exemple d’Olivier Darné, le plasticien apicul- teur urbain avec son vaste projet de « service public C’est le cas de Pierre Sauvageot avec de pollinisation ». D’autres prennent le parti de vagabonder dans la ville et de poser leur regard, sa nouvelle création, Champ harmonique. et le nôtre, sur la nature qui y persiste envers et contre tout : la compagnie belge Victor B., qui dit Dans ce parcours symphonique en vouloir aider les spectateurs à déceler « comment la ville nous offre, si on prend le temps d’y regarder de plus espace naturel, les sculptures sonores près, les ressources nécessaires à notre plaisir mais aussi, on ne sait jamais, à notre survie », ou encore les capturent la musique de l’air pour Marseillais de Safi, collectif de plasticiens et scé- nographes, sont de ceux qui pratiquent de telles mieux faire respirer l’imaginaire. relectures « élémentaires », organiques et biolo- giques, de l’espace urbain. ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ JULIE BORDENAVE ET DAVID SANSON D’autres, encore, choisissent d’investir des espaces naturels pour y jouer avec les éléments.

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On pense bien sûr à la compagnie ilotopie, basée table orchestre symphonique, ayant pour singu- à Port-Saint-Louis-du-Rhône, qui, avec Les larité d’être actionné de manière autonome, par COUNTRY Oxymores d’eau, propose le premier « spectacle à la seule impulsion aléatoire du vent. énergie positive ». Mais aussi à Champ harmonique, la PARTS nouvelle création de Pierre Sauvageot. Après les La scénographie se présente ainsi comme une grosses machineries d’oXc [Odyssée], le composi- réelle composition en espace naturel : un chemi- teur a en effet imaginé avec Lieux publics & Cie nement de 600 mètres découpés en six grands ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ un parcours symphonique en espace naturel – mouvements, incluant déambulations, pauses Confronted with the saturation of « sans doute en réaction à la surenchère du kilowatt, de la avec chaises longues, labyrinthe, carillon de cin- urban space, certain artists have machine, que l’on vit depuis un siècle, dit-il. Je voulais quante moulins, grand final dans un champ de decided to resist by reinjecting rural explorer une forme différente, par le biais d’une prome- derricks… Dans Champ harmonique, les sculptures life into it or revealing the nature that nade semi-permanente, invitant le public à circuler sonores défient le paysage. Au cœur des préoccu- persists in spite of everything. Others à sa manière. » pations : distiller du vivant dans une installation chose to take over natural spaces plastique. Des comédiens habitent le site, en and to play with the elements there. Inspiré par les éoliennes balinaises – « des épou- coexistence avec les instruments dotés de leur vie This is the approach adopted by the vantails, qui produisent un petit clic-clac, créant une propre : « A l’aléatoire du vent s’ajoute cette présence composer Pierre Sauvageot with matière sonore inédite » –, le compositeur veut permanente d’artistes sur le site, pilotés par la choré- Champ harmonique (Harmonic Field), placer l’air au cœur de sa nouvelle création. graphe Jany Jérémie ; ce ne sont pas des musiciens, on les his new creation. With Lieux publics Codirecteur artistique du Oerol Festival, festival appelle des “éoliens”. Ils opèrent de micro-actions : petits & Cie, he actually imagined a sym- de théâtre en site spécifique organisé chaque été morceaux rythmiques, chuchotis d’histoires, aphorismes phonic path in a natural space sur l’île de Terschelling en Mer du Nord, Kees sur les noms de vents… Une manière de vivre artistique inspired by Balinese wind machines, Lesuis se souvient : « Les premiers pas vers l’idée du sur le site, pour pousser à l’écoute. » Investissant des created as “a reaction to the escala- projet du Champ harmonique ont été faits au cours espaces non urbains, pour une dizaine de jours, tion of the kilowatt, of the machine.” d’une ballade orageuse le long de la digue au début du Champ harmonique s’adapte aux nouveaux temps Champ harmonique is a veritable printemps 2008. Pierre Sauvageot a parlé de son idée festivaliers, tendant à créer de nouveaux espaces- orchestra of totally new instruments d’une composition à grande échelle pour des instruments temps d’écoute : « L’an dernier, sur l’île de Terschelling, (wind harp, split bamboo…) invented entraînés par le vent en se servant des vingt kilomètres bien qu’ils n’aient pas été annoncés dans le programme, with the Ventcourtois group and the de la digue comme “partition”. » Avec le groupe des les ateliers ont remporté un succès au-delà de toute ima- scenographer Toni Casalonga, with Ventcourtois et le scénographe Toni Casalonga, gination : des gens venaient même dormir sur le site ! » the unique trait being that it is il met au point une série d’instruments inédits : L’investissement d’un nouveau type d’espace operated autonomously, by solely harpes éoliennes, tambours percés, bambous public, pour sortir des sacro-saints trois jours the coming and going of the wind. fendus en guise de flûtes… A l’arrivée, un véri- d’animations en centre-ville. Imagined and perfected as part of the Oerol Festival, a site specific theatre festival organised each year on Terschelling Island, in the North Sea, the scenography takes the form of a true composition in natural space: a 600 meter progression, sectioned into six great movements, including parades, breaks with reclining chairs, a labyrinth, the chime of fifty mills, and a grand finale in a field of oil derricks…Defying the landscape, the intention of the sound sculptures is to distil some life into a visual installation. With the help of actors living on site – the “wind generators” –, Champ harmonique thus proposes “an artistic way of living on the site, in order to encourage listening” and plays upon the rhythms associated with “traditio- nal” festivals. It is as if capturing the air’s music could make it easier to breathe in the imaginary world. Pierre Sauvageot et Lieux Pointe de Bonnieu, publics & Cie, Champ Les Laurons, Martigues 2010. harmonique. Photo : Vincent Lucas

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Villeurbanne, par exemple, impressionnent par leur emprise, magnifient, transfigurent des lieux MÉTAMOR- Stéphane Thidet, La Meute. du quotidien. L’exubérance des grandes scénogra- Œuvre présentée dans le cadre phies urbaines et des actes de célébrations des d’Estuaire 2010, Nantes. Photo : Stéphane Thidet années 1980-90 a laissé place à un fourmillement d’initiatives entretenues par l’explosion des pro- PHOS- fessionnels et des artistes. Des 26 000 Couverts aux 36 000 communes, la multiplication des évé- nements et des formes y compris moins monu- mentales – mais pas moins pénétrantes – subvertit PHORER les limites assignées, déjoue les fonctions urbaines. L’artiste qui parvient à crédibiliser ses capacités de perturbation et de transfiguration du quotidien démocratise et démystifie dans le L’URBAIN même mouvement le pouvoir de transformation. Parfois les artistes et leurs œuvres s’effacent sous le poids des concepts touristico-culturels, à l’instar ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ d’événements urbains tels que Nuit blanche, dont le parti pris oscille entre la stricte valorisation insti- tutionnelle ou patrimoniale et la confrontation prospective aux lieux. Dans une conjonction d’in- térêt entre l’artiste et le commanditaire, la méta- morphose s’admet dans une temporalité, un propos, un périmètre précontraints. Valo- riser, revisiter artistiquement des lieux n’est pas métamorphoser. De même la formidable collection d’œuvres à ciel ouvert réunie par Jean Blaise et son équipe pour l’Estuaire de Nantes, tout en réussissant à ques- Pour Mark Etc, à la tête du collectif tionner, bousculer, déplacer nos usages ou nos représentations d’un territoire, relève en même Ici-Même (Paris), les créateurs doivent à temps d’une démarche de valorisation touris- tique. Magistrales, les interventions, habitent, la fois déjouer le piège de l’événementiel percutent, habillent les lieux. Les œuvres frayent effectivement un chemin en résonance avec leur et se réapproprier les technologies de environnement. En revanche, le contexte, le rituel touristique n’est pas anodin et peut agir sur la per- l’information et de la communication. ception de cette prise de position artistique dans les lieux, comme il en va, par exemple, de l’excel- ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ lente proposition de Stéphane Thidet, La Meute : MARK ETC introduits dans les douves du château des Ducs de Bretagne, six loups réinscrivent le sauvage en Par métamorphoser l’urbain, il faut entendre, par possibilité de transformations radicales rencontre pleine ville. Au-dessus des douves, que se passe-t- définition, imprimer un changement radical et les contraintes et les héritages complexes du il ? Bardés d’appareils photos, les visiteurs sifflent irréversible qui passe par des transformations temps, autant que la sanction économique. les loups, provoquent, éructent, crachent, invecti- souvent brutales. L’acte de transformation traduit vent pour raviver le souvenir de l’état sauvage et historiquement l’expression par excellence du Parmi les usages de la ville, la production artis- faire saillir les crocs, abusent de la position domi- pouvoir, aujourd’hui démocratisé et diffracté. Si tique a su prendre grandeur nature, rivaliser avec nante sur la condition animale tant et si bien que l’urbaniste, l’architecte ou le personnel politique l’échelle urbaine et projeter ses visions. Indiscuta- le public mute en meute. Qui des six loups apa- de la modernité ne semblent plus transformer de blement, les artistes ont marqué les esprits par des thiques et impassibles ou des touristes qui les sur- manière aussi prépondérante et exclusive le fait mises en scène éclatantes des espaces urbains. plombent est meute plus incarnée ? Dans quelle urbain, quelles sont alors les autres forces de L’épopée monumentale du Royal de Luxe, les sym- position place-t-on le public ? Conçue pour les transformation ? Les acteurs de la métamorphose phonies de feu du groupe F, le domptage de taxis lieux, la commande qui s’affichait comme une se diversifient. Au-delà de l’injonction au change- de Générik vapeur, les girafes de la Compagnie off, quête de l’inconfort et de l’inquiétude (la peur des ment dont le personnel politique est familier, les les parades baroques d’Oposito, les paraboles loups) se renverse en psychanalyse du public en usages, les représentations seraient eux aussi sus- aquatiques d’ilotopie, les chimères du groupe ZUR singe. Cela n’en est pas moins intéressant et corro- ceptibles de métamorphoser la ville, même si la ou encore la plage de sable des Eclats Nova à bore la puissance de l’œuvre. Par contre l’exemple

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fait bien mesurer combien le contexte agit sur le « moins », « plus », « travailler » pavoisaient l’école. texte, combien la commande agit sur l’œuvre et L’œuvre n’aura été installée que quelques heures, METAMOR- combien finalement le pouvoir de transformation la direction ayant d’autorité pris la décision de et de métamorphose paraît bien relatif, écrasant décrocher les banderoles. Désavouant l’acte de PHOSPHO- l’ensemble dans les fonctions établies. censure, Claire Carolin, commissaire de l’exposi- Voilà qui nous rappelle qu’au jeu de la confron- tion, a aussitôt décidé de remettre sa démission, RIZING tation à l’urbain, les œuvres marquent certes tandis que l’artiste faisait connaître la situation à les lieux et les esprits, mais la façon de les présen- l’AFP. La direction invoqua la neutralité des bâti- THE ter, le contexte, le rapport au commanditaire, le ments publics pour justifier sa décision, dans une packaging traduit aussi les limites, la place que la lamentable palinodie de la vocation d’un lieu d’ap- URBAN société consent réellement à accorder à l’art dans prentissage des libertés de création. la transformation du réel et de la ville : toutes ces Que craint-on ? La création en plein air menace- perturbations artistiques, ces transformations for- rait-elle de renverser le pouvoir ou de métamor- ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ melles même éphémères sont d’autant plus phoser radicalement l’urbain ? C’est là lui prêter une Metamorphosing the urban: marking admises qu’elles sont bien de l’ordre de la repré- importance exorbitante et bien excessive. Si le sou- a radical and irreversible change sentation, sans ambiguïté. Ainsi, quand l’artiste venir des œuvres est vif et les capacités de débat which often implies brutal se joue des limites du contexte d’énonciation, plausibles, cela n’a jamais fait de l’artiste un fabri- transformations. Whereas the urban usurpe les identités ou brouille les repères entre cant de ville. planner, the architect or the politician fiction et réalité, assimilant son simulacre à la D’où vient que l’on associe la création artistique of modernity seem to no longer fabrique de la métamorphose urbaine, il inspire la à la métamorphose urbaine ? Sans doute est-ce là have as much impact on urban défiance de ses partenaires et s’expose à la censure le fait conjugué de la démocratisation du pouvoir transformation, common practices, économique ou à la censure tout court. de transformation et la survivance d’une vision representations, may be more likely to. En 2004, Chronoclub d’Ici-Même (Paris) présente romantique de la position démiurgique de l’artis- Among these common practices, un imposant dispositif en pleine rue, des maisons te. Il est intéressant de relever que c’est bien de artistic production has been able to aux dimensions de places de parking, aussi com- ce pouvoir de transformation artistique du réel rival the urban scale and project its pactes que réputées fonctionnelles, aussi habitées et de la ville que l’industrie des télécommunica- visions. Several artistic mise-en-scènes qu’inhospitalières. Parabole acide sur la mobilité tions affuble ses clients : dans les publicités pour transfigure daily places, but often sociale et les fausses évidences de la micro-archi- les smartphones, la téléphonie mobile et les ser- come up against the commission’s tecture, l’intervention décrit la violence symbo- vices Web, l’usager est ainsi promu en artiste et limits. This was the case of La Meute lique d’une offre immobilière et d’une chaîne de fantasmé en créateur de contenus. (The Pack), a remarkable work by production décomplexée, la vulnérabilité de la Tout à la fois petit reporter, petit porteur en Stéphane Thidet shown in 2009 at clientèle d’une formule aussi outrancière que bourse, développeur d’applications et même Estuaire in Nantes – an intrusion of six vraisemblable. Pendant dix jours, la polémique artiste, l’usager serait capable d’agir sur ses repré- wolves in the castle’s moats. Certainly, fait rage, un débat complexe d’une rare intensité sentations, sur l’information et même de percuter these works have a lasting effect s’instaure entre visiteurs, riverains et spécialistes. l’organisation et l’usage fonctionnel de la ville : on the places and on the viewers’ Salué, souvent cité, ce spectacle qui ne dit pas l’usage de la géolocalisation des smartphones minds, but the way in which they son nom pour un public qui s’ignore ne sera jamais modifie notre rapport à l’espace, se déplacer deve- are presented also has its limits. repris. Les coûts de dix jours de représentations nant en soi une façon de reconstruire la ville ; l’in- In 2004, Chronoclub by Ici-Même évolutives étant comparables à une parade urbaine terconnexion instantanée et les réseaux sociaux (Paris) was an imposing installation d’un soir, les charges d’exploitation n’expliquent en ligne favorisent les rassemblements commu- – houses the sizes of parking places, pas seules la position des acheteurs. Il semble bien nautaires à plus ou moins grande échelle, des per- equally compact and functional, que la polémique, le vrai/faux, les modes opéra- sonnes qui ne se connaissent pas, coordonnées sur inhabited and inhospitable – toires, la crainte de l’incompréhension des élus et le Net, se retrouvent donc dans la vie réelle pour de describing the symbolic violence of a du public aient été les freins véritables à la reprise grands apéritifs, des flash mob, freeze et autres real estate offer and an unscrupulous de cette œuvre. Trop sur le fil du réel ? La sentence streetbooming réputés spontanés. assembly production. Over ten days, semble dire : «Métamorphoser la ville, oui, mais clairement Manifestement, les technologies d’information the controversy cased fury, a complex pour de faux, donc métamorphoser, non et avec applaudisse- parviennent à impacter le quotidien, les NTIC debate of rare intensity began ments svp, médiateurs, et cadres réconfortants. » scrutent et changent nos comportements, nos amongst the visitors, local residents, relations, dévorent notre temps libre, modifient and professionals. However, the show Plus avant, quand l’artiste assimile l’identité de ce nos représentations de l’espace, déhiérarchisent will not be played again. qu’il formule à celle de son partenaire, il peut s’ex- nos priorités, quand ils ne doublent pas tout The association between artistic poser ni plus ni moins à la censure. Souvenons- simplement la réalité (Second Life, Poker online…). creation and urban metamorphosis nous des kakémonos noirs dressés par l’artiste chi- Le médium devient le message. Voilà qui mérite is most likely the result of a noise Ko Siu Lan sur la façade de l’Ecole nationale bien une exploration artistique du sujet. combination of a democratisation supérieure des Beaux-arts de Paris (ENSBA). of the power of transformation Réponses à l’invitation de questionner « les fan- Show-room est repris à Chalon dans la rue du 22 au 24 juillet. and the survival of a romantic vision Allô, Ici-Même, création à Pronomade(s) les 3 et 4 septembre puis tasmes d’une société de loisirs », les mots « gagner », à Small is beautiful à Marseille en octobre of the artist’s demiurgical role.

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MYTHO- LOGIES URBAINES ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

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Construire un nid à l’aplomb d’une façade, composer un opéra portuaire dans le cadre industriel de chantiers navals, parsemer la ville de signes éphémères ou d’inscriptions urbaines : voilà quelques-unes des « effractions » menées dans l’espace public qui tissent de nouvelles mythologies, reliant mémoire et présent. Des géographies inattendues dessinent ainsi des territoires joyeusement pervertis par la fable qui s’y déploie. ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Raphaël Dupin, 10ème Minute Corner. Small is beautiful 2009, Aubagne. Photo : Vincent Lucas

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Julie Desprairies, Rennes. Architecte : Printemps. Environnement Christian de Portzamparc. TRANS- chorégraphique créé pour Photo : Vladimir Léon les Champs libres 2008, à FORMER LA VILLE, HABITER LE MONDE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Des mouvements militent pour que « Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde. » Sommée de quitter les locaux que la Ville de l’espace urbain puisse continuer Paris lui octroie depuis 2003, la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France d’accueillir des activités échappant aux demande, derrière ce slogan, son relogement. Une revendication, donc, toute factuelle, propre seules règles du marché immobilier. aux activités militantes de cette Coordination, mais qui recoupe, dans l’exigence de « lieux pour Et les actions de collectifs tels que Jeudi habiter le monde », le désir plus vaste que soient préservées, dans la topographie de l’aménage- noir ou les Enfants de Don Quichotte ment urbain, les conditions d’accueil d’activités qui échappent aux seules règles du marché pointent les tragiques paradoxes de nos immobilier. Et la question n’est pas anodine, car avant même que l’espace public ne soit objet de sociétés opulentes qui transforment les débats et de transactions, la simple préoccupa- tion du logement est aujourd’hui d’une acuité cités en places-fortes. Autant d’appels à criante. Alors que les banlieues restent, malgré les vertueuses déclarations d’intention, au ban se réapproprier, ensemble, l’architecture, des politiques publiques, l’accablante et osten- sible présence, en bordure des villes et sur leurs pour faire œuvre d’hospitalité. trottoirs mêmes, des sans-abri, exilés de toutes sortes d’exclusions, dessine la triste figure d’un ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ urbanisme qui a oublié de faire hospitalité. JEAN-MARC ADOLPHE Campements de fortune, tels que le mouvement

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des Enfants de Don Quichotte en a hérissé la visi- arts et des arts vivants, ou de celui des médias, bilité ; spectaculaires expulsions de squatters intègrent de manière implicite et inconsciente des CHANG- parfois sans papiers ; exploration d’espaces rési- notions largement reconnues comme relevant de la duels menée à la périphérie de Rome par le col- seule architecture dite savante. Par exemple : orienta- ING THE lectif Stalker, etc. La ville est devenue cet espace tion, composition de l’espace, gestuelle, trajectoire, diffus où de fantomatiques présences rôdent perception complexe, traitement des volumes et des CITY en quête de refuges. Tout en faisant de la « mobi- surfaces, inventions langagières. » lité » un dogme interne, l’Europe de Schengen Pascal Nicolas-Le Strat, politiste et sociologue, TO LIVE s’est dressée en forteresse protégée par toutes appelle de son côté, à une « politique de l’expéri- sortes de barrières, visibles et invisibles. mentation » : « Une situation de vie ou d’activité ne IN THE Lesquelles n’ont cependant pas suffi à stopper coïncide jamais totalement avec le texte officiel dans les flux migratoires engendrés par le nouveau lequel de nombreuses instances institutionnelles tentent WORLD désordre planétaire de la mondialisation. de la circonscrire et de la confiner. Elle engage nécessai- Cette nouvelle anarchie urbaine n’est pas le seul rement une pluralité d’écritures, plus ou moins revendi- fait des migrants, dont le philosophe Giorgio quées, plus ou moins reconnues – des écritures silen- ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ Agamben écrit qu’ils constituent une sorte cieuses comme peuvent l’être les pratiques quoti- In asking for “places to live in d’avant-garde de l’identité européenne ! Au diennes de vie et d’activité ou des écritures subalternes the world”, the Coordination cœur même de nos sociétés opulentes, le creuse- toujours empêchées d’accéder à une pleine visibilité des Intermittents et Précaires ment des inégalités sociales accentue le cancer publique. […] Une situation de vie ou d’activité est d’Ile-de-France (Coordination of du mal-logement, quand ce n’est pas le « pas-de- nécessairement en capacité de s’émanciper du strict Workers in Temporary and Insecure logement-du-tout ». Les actions de Droit au cadre dans lequel elle s’origine. Elle est susceptible de Situations in Ile-de-France Region) logement et du collectif Jeudi noir manifestent bifurquer et elle réserve conséquemment un ensemble express their greatest desire, that, à bon droit l’injustice de ce véritable scandale d’opportunités, à l’état d’ébauche ou encore insoupçon- in the topography of urban social. A Paris, un immeuble de la prestigieuse nées, à fleur de réalité ou absolument indiscernables. development, the occupations which Place des Vosges, inoccupé depuis des années, N’importe quel aménagement peut être détourné et don’t fall under the exclusive rules est devenu, sous le nom de La Marquise, l’emblè- me d’espaces de vie et de partage public à recon- quérir. Avec le soutien de l’Atelier immédiat, les « occupants » de la Place des Vosges (parmi les- quels de nombreux étudiants en architecture) se sont lancés dans un festival pour faire hospitali- té, SPERANZA ! : « Dans les interstices de la ville plani- fiée, il est urgent de répondre aux situations critiques et de fabriquer l’hospitalité autant que faire se peut. SPERANZA ! est cela : une prise de position par la pensée et les actes en faveur d’une ville meuble mais accueillante, précaire mais habitable, imparfaite mais en devenir. »

EXPÉRIENCES À LA MARGE

Déjouant une normativité urbaine dont on ne peut que constater l’échec, ces expériences à la marge montrent toutefois que dans un certain nombre de non-lieux résiduels s’expérimente et s’invente un usage de la ville qui, s’il n’est pas répertorié dans les inventaires officiels de l’ar- chitecture et de l’urbanisme, s’avère extrême- ment vivant. Menée en 2009 par l’architecte Patrice Gobert, Marie-Christine Loriers et Alain Vulbeau, une proposition d’étude, non retenue par le ministère de la Culture et de la Communication qui avait lancé un appel à recherche sur « la culture architecturale des Français », portait sur les « pratiques critiques de l’espace ». Pour les auteurs de cette proposition, Stephen Bain, Baby, where il s’agissait de voir « comment des expériences et are the fine things you promised me? des pratiques de la vie quotidienne, du domaine des Photo : Victoria Birkinshaw

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Les Pas perdus, Mari-Mira. Esplanade du J4, Marseille 2007. Photo : Les Pas perdus

servir de support à un usage parfaitement inédit. » Laisser entrer l’imaginaire, le laisser se sédimenter of the real estate market continue to Par exemple, « l’installation de bordures de trottoir dans et avec le bâtiment existant, provoquer la faille, be welcomed under the same terms. ou d’un dallage représente pour des skateurs une l’accident visuel, sensoriel, pour que la chose imprévue This is a charged question, because, occasion inespérée pour explorer de nouvelles figures ». puisse émerger… » before public space even becomes « Les aménageurs, constate Pascal Nicolas-Le Strat, the object of debates and sont en lutte constante contre ces réinvestissements EFFRACTIONS transactions: the simple concern imprévus, si fâcheux et contrariants, et multiplient les CLANDESTINES of housing has become alarmingly mesures “préventives” pour les dissuader : “esthétisa- acute today. While turning “mobility” tion” des espaces pour dissuader toute pratique ludique Depuis quelque temps, des artistes s’emploient, into an internal dogma, the Schenhen (s’allonger sur les pelouses), inconfort des équipements de même, à ne pas figer leurs interventions dans Europe has erected a fortress pour contrarier toute utilisation prolongée, suréquipe- le bâti, ni davantage à répondre au seul souci protected by all sorts of visible or ment des lieux pour décourager les attroupements et d’événementiel que plébiscitent parfois les col- invisible barriers. While such initia- les rencontres spontanées. » (2) lectivités territoriales. Infiltrer les failles de la tives as the Enfants de Don Quichotte A rebours d’une architecture patrimoniale, ville pour habiter autrement le monde, tel pour- (Children of Don Quijote) or the Patrick Bouchain, notamment investi à la Friche rait être leur commun mot d’ordre (ou de collective Jeudi Noir (Black Thursday) La Belle de mai à Marseille, où il préside la désordre). Partant de là, pour ce qui est issu du try to battle for descent housing, Société coopérative d’intérêt collectif qui co-gère « spectacle vivant », les stratégies peuvent se other experiments lie in the margins. le lieu, met en œuvre une démarche participati- révéler extrêmement variées. Pascal Nicolas Le Strat, political ve où « le faire influence la théorie » (3). Matthieu Rangé des plateaux de théâtres, qui ne l’ont de scientist and sociologist, calls for Poitevin, architecte du plan directeur de La Belle toute façon guère accueilli, un chorégraphe “a policy of experimentation”:“A life de mai 2013, abonde en ce sens : « Il n’est pas ques- comme Mourad Beleksir développe, à l’enseigne or occupational situation never totally tion de faire des fossiles pour plus tard, mais des pos- des Danses invisibles, une attitude assez radicale coincides with the official text in sibles pour maintenant. Nous avons imaginé un schéma qui consiste à investir, de façon souvent clandes- which many institutional authorities directeur qui se modifie et grandit tout seul, comme une tine, des espaces urbains et des temps abandon- try to define and confine it.” forêt. Conserver de la friche dans la Friche… Ce projet nés. Initié à Paris entre 1997 et 2000, ce projet a intègre le temps comme dimension ; un déplacement été réactivé en janvier 2010, en visant à For some time, artists have been théorique de la matière inerte à la matière vivante. « occuper » la nuit et à « remuer des événements striving to take their actions outside

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cachés » liés à l’histoire de certains lieux dans habitat éphémère contre érection monumen- of built environments. In this way, Paris : « En ne nommant rien de ce qui était fait, en ne tale du bâtiment administratif, oisiveté contre choreographer Mourad Beleksir donnant aucune forme à ce qui était produit, nous avons travail, fragilité de la construction artisanale develops, under the name Invisible voulu participer avec enthousiasme à l’effacement contre stabilité de la forme architecturale, Dances, a rather radical attitude de la croyance en la vérité de ce monde », explique persistance de la nature dans un environ- consisting of taking over urban Mourad Beleksir. nement urbain qui la domestique – quand elle spaces and the forsaken past, Toute autre est la démarche de Julie Desprairies ne la bétonne pas ! N’avons-nous tous désir de often in clandestine way. Introduced qui, si elle a également déserté les salles de spec- faire nid quelque part ? in Paris between 1997 and 2000, this tacle, s’attache depuis 1998 aux rapports entre A une autre échelle, nomade et insulaire, project was reactivated in January, le corps en mouvement et son environnement Guy-André Lagesse, Jean-Paul Curnier et leurs 2010, “to take over” the night and architectural. Chaque site investi est l’objet complices des Pas perdus cultivent l’esprit de to “stir up hidden events” linked d’une exploration minutieuse des caractéris- cabane avec le projet Mari-Mira, qui s’est notam- with the history of certain places in tiques plastiques, spatiales, lumineuses, acous- ment posé sur l’esplanade du J4, à Marseille, en the capital. tiques ; le corps servant d’outil de mesure et 2007. Cet « univers transportable » (de l’île Maurice In Marseille, the Friche La Belle d’appréhension de ces différentes composantes. à Marseille, de Paris à Johannesburg…) déploie de Mai (cultural creation centre), Mais l’architecture n’est pas seulement une ses cabanons et dépendances, son complexe co-managed by a Collective Interest question de formes. L’histoire et les pratiques culturel, sa maison du peuple, ses jardins, etc. Co-operative chaired by the architect des usagers (habitants, commerçants, employés, Cette œuvre évolutive s’enrichit à chaque instal- Patrick Bouchain, develops a écoliers) sont au cœur de la recherche mise lation de nouvelles propositions où se conju- participative approach. As Matthieu en place. Il s’agit pour elle de « rendre visible le guent le souci d’économie et « le bonheur Poitevin, architect of the place’s main mouvement des lieux », comme elle l’a fait aux de tirer de déchets et matériaux sans valeur les élé- plan, says, “It’s not about making Champs libres à Rennes, en 2008, ou encore ments d’une rêverie luxueuse ». Le sens du brico- fossils for later, but possibilities aux Gratte-ciel de Villeurbanne en 2006 : lage et l’art du recyclage confèrent à cette for now. We imagined a master plan chaque groupe de spectateurs, muni d’un plan, démarche jubilatoire, outre qu’elle participe which can modify and expand suivait un parcours permettant de découvrir d’un renversement des catégories du bon et du on its own, like a forest. Let’s keep des points de vue architecturaux. Cette « excur- mauvais goût, contribue à un certain réenchan- the possibilities of this raw space sion chorégraphique » faisait se croiser danses de tement du monde tel qu’il peut s’habiter et in the Friche…” voisinage, phrases dansées, chorégraphies se donner à vivre. Dans une chronique qu’il For Julie Desprairies, architecture pour vitrines et autres petites formes dont consacre à cette aventure, Brice Matthieussent isn’t just a question of forms. Since habitants et commerçants étaient aussi les parle d’une installation inachevée, en répara- 1998, the choreographer places the acteurs. Elle poursuit actuellement, entre autres tion permanente. « L’œuvre n’est pas cette chose history and the practices of the users projets, un « inventaire dansé » de la ville de figée, finie et définie une fois pour toutes, mais à chaque (inhabitants, storekeepers, Pantin : une « analyse topographique d’un territoire instant une naissance et une disparition, un événement employees, school children) at the emblématique de la proche banlieue parisienne, avec en cours, en train de se faire, à travers ses ratures, heart of her research. In Gratte-ciels le corps du danseur comme outil de mesure et d’appré- ses distorsions, son accompagnement et sa théori- de Villeurbanne (Skyscrapers of hension des espaces choisis (architectures signifi- sation incessante. » L’objectif avoué étant de nous Villeurbanne), her “choreographic catives, circulations structurantes, configurations « faire dévier vers un territoire jusque-là inexploré, excursion” was the crossroads urbaines spécifiques) ». suggérer des pratiques inédites, créer une fantastique for neighbourhood dances, danced plastique imprévue » (3). Façon, aussi, de mettre en sentences, choreographies for store FAIRE NID DANS LA VILLE jeu un art de la relation au sein duquel nous ré- windows and other small forms apprenons à envisager la ville comme espace where inhabitants and storekeepers Transformer la perception de la ville pour poétique. Habiter, quoi, en faisant fi des habi- were also the actors. habiter le monde. C’est au pied de la lettre, ce tudes et des contraintes. Whereas Benjamin Verdonck built qu’entreprend Benjamin Verdonck avec himself a swallow’s nest on a 1 Hirondelle. A Bruxelles en mai 2008, pendant le Pascal Nicolas-Le Strat, in Moments de l’expérimentation, éditions Brussels facade, the company Fulenn, Montpellier, 2009. Le Journal de recherche de Pascal Kunstenfestivaldesarts, cet acteur, écrivain et Nicolas-Le-Strat est en ligne sur le blog : http://blog.le-commun.fr Les Pas Perdus constructs 2 plasticien flamand, est resté perché pendant Entretien avec Marie-Christine Loriers, in Mouvement n° 56, a “transportable universe” made up juillet-septembre 2010. sept jours dans un nid accroché à 32 mètres de 3 Cité par Fred Kahn in « La vie Mira », article consultable en ligne of huts, guest houses, a culture hauteur sur la façade du Centre administratif de sur : http://mari-mira.blogspilotes.marseille-provence2013.fr/archives/ complex, gardens… An evolving la capitale belge. Pour cette performance, il a work “to steer one towards a never lui-même construit son nid d’hirondelle géant, before explored territory, to suggest avec des branches de bouleau, de saule et de completely new practices, and to hêtre. Le tout consolidé par 90 kilos de ciment et create unpredictable fantastic visual 60 kilos de sable, sans compter 12 seaux de art.” Just living, by disregarding colle… L’image, saisissante, d’un nid d’oiseau habits and constraints. collé à une façade de verre et d’acier, est à elle seule métaphore de tout un refoulé de la ville :

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LE TRA- VAIL À L’ŒUVRE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Chantier de shipbreakers à Chittagong au Bangladesh. Photo : Eryck Abecassis

L’activité industrielle et portuaire a Eryck Abecassis a croisé l’univers des chantiers navals de La Ciotat alors qu’il était enfant et le marqué les esprits, s’est profondément « spectacle » des fêtes relatives aux baptêmes des super-tankers s’est gravé dans son esprit. Mais un inscrite dans la mémoire collective cheminement artistique n’est ni linéaire, ni uni- voque. Beaucoup plus tard, le compositeur et donc dans celle des artistes. Ces traces retrouve ces images dans un tout autre contexte. A l’occasion d’une tournée théâtrale en Inde, il ni tangibles, ni quantifiables, n’en sont visite un chantier de shipbreakers à Chittagong, au Bangladesh. « J’avais vu naître ces tankers en pas moins prégnantes. L’intervention Méditerranée, et j’assistais à leur fins en tant que bateaux, au milieu de l’Asie. Si loin, mais parce que l’Occident n’en- artistique, en se réappropriant ces signes visage plus de regarder en face l’endroit de la fin. » Le lien devient évident : « Notre société fabrique des de la production humaine, leur redonne objets gigantesques, absolument inhumains et elle est incapable ensuite de les détruire, de prendre en charge corps et chair. Ainsi incarné, le travail cette destruction. Les raisons ne sont pas qu’écono- miques, mais aussi culturelles. Nous refusons la fin des redevient ce qu’il ne devrait jamais choses, nous en avons peur. » Eryck Abecassis passe deux jours à prendre des clichés et à enregistrer cesser d’être : un acte de transformation les sons que produit cette incroyable activité humaine « qui consiste à découper quasiment à la main et d’inscription dans le monde. des monstres d’aciers de plusieurs centaines de milliers de tonnes. Il me semblait qu’ici une histoire finissait et com- ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ mençait dans le même temps. » C’est à ce moment-là FRED KAHN que lui vient l’envie de faire un opéra, « quelque chose qui raconterait la musique de ces corps aux prises

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avec la machine monstrueuse, les sons du métal sur la projet spécifique. Or, le comté de Cornouailles, surface de l’eau, l’horizon lointain où apparaît ce qui va, situé à l’extrémité sud-ouest de l’Angleterre, est WORK et doit disparaître. Performance des images, des choré- aussi un grand pays maritime, avec de nombreux graphies et des sons… » ports. Bill Mitchell s’est donc plongé dans cet IN THE Il ne reste donc plus qu’à recomposer la boucle univers portuaire et s’est imprégné de la vie des qui mène de la construction à la destruction, de dockers, des pêcheurs et de leurs familles. Lui MAKING transformer ce cycle industriel en principe de vie. aussi accumule les traces qui se sont déposées « Je voudrais montrer le travail de déconstruction, de des- dans les mémoires et ont imprégné des lieux. Un truction et faire sentir, car il s’agira aussi d’un opéra du matériau précieux, à la fois objectif et source ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ “Ressentir” (“Gefühl”), la mémoire de ce qui fut mais mythologique pour construire A Beautiful Journey. The spectacle that the urban world que l’on doit détruire si l’on veut renaître et reconstruire. » Chaque objet a une histoire à raconter. La moindre offers inspires many artists, who, Cet opéra portuaire se nourrira bien évidemment bricole peu représenter un monde de connais- thereby, stage the resonances of du contexte. Eryck Abecassis espère créer son sance, de savoir faire, de sentiment et d’émotion. human work. Originally from Algeria, spectacle sur les anciens chantiers navals de La Rien d’étonnant donc si Bill Mitchell accumule the composer Eryck Abecassis fell Ciotat. Le propos n’est pas de nous documenter ces choses de peu pour ensuite les faire parler. Les under the charm of the La Ciotat sur le passé, mais de « faire résonner le site ». En mettre en jeu et en scène, et donc les sublimer. shipyards when he was a child. donnant à voir des artistes au travail, in situ, des Later, he would come back to these correspondances émergeront avec l’activité, la LES CARCASSES images in Asia where he was vie, qui habitaient ce lieu. La mémoire sensible DU TRAVAIL recording sounds produced by ne saurait être commémorative ou mortifère. Elle a human activity “consisting of se projette toujours dans le présent. « Elle fonction- La résurgence de ce monde du travail apparaît cutting apart steel monsters, almost ne dans les deux sens. Nous sommes imprégnés par l’his- bien trop complexe pour que l’on puisse pré- by hand”. The composer created toire d’un lieu, mais l’œuvre imprime aussi sa propre tendre l’appréhender dans sa globalité. Un signe a port opera which “would relate mémoire. C’est dans l’esprit du spectateur que ces deux suffit à faire ressurgir tout un continent. Alhambra the music of these bodies grappling mémoires se rencontrent et se cristallisent. » Container d’Ali Salmi, fondateur d’Osmosis Cie, ne with the monstrous machine, the traite pas directement de l’activité industrielle et sounds of metal on the water’s LOIN DE LA GRANDE marchande. L’intention première de l’artiste était surface, and the far horizon HISTOIRE de porter un regard sur l’humanité en mouve- where what appears will and ment, en transit, en exil, en clandestinité (lire page must disappear”. KompleXKapharnaüM aime aussi se laisser 23). Mais les migrations sont avant tout écono- Urban memory has also infiltrated contaminer par la mémoire urbaine. Avec miques. Quant aux marchandises tout le monde the work of KompleXKarpharnaüM. PlayRec, créé en 2006, le collectif investi, lui aussi, sait qu’aujourd’hui, elles voyagent beaucoup plus In 2006, with PlayRec, the collective des espaces d’activités délaissés. Après avoir « librement » que les hommes. Le container sym- took over abandoned areas. Acrobats, collecté des traces sonores et visuelles de ce passé, bolise cette circulation et cet empêchement. Il musicians, and actors gathered to KompleXKapharnaüM construit des narrations représente dans l’imaginaire de l’artiste une boîte play upon the explored buildings. que des acrobates, musiciens, comédiens remet- de pandore recelant tous les fantasmes du The idea wasn’t to “come up against tent en jeu dans un langage onirique sur les murs migrant, son imaginaire et ses rêves. Mais aussi la the dead end of the past”, but to des bâtiments explorés. La grande Histoire ne les dure réalité contre laquelle il se cogne. Il sera lui “question our ability to construct intéresse pas. Ils se focalisent au contraire sur aussi débarqué. Commence alors un corps à a collective thought” in a society l’accumulation des empreintes humaines. Non corps, une confrontation entre « la matière premiè- where work is being delocalized pas pour « se cogner à l’impasse du passé », mais pour re marchande et la matière première humaine ». Les and individualism is growing. poser en contrechamp à la mutation du travail containers vont happer, engloutir, mais aussi Each object has a story to tell. et à l’individualisme grandissant « un point d’inter- recracher les danseurs. Et quand ces monstres With his company Wild Works, Bill rogation sur notre capacité à construire une pensée col- d’aciers, soulevés par des chariots élévateurs, se Mitchell prepares specific projects lective aujourd’hui ». dressent dans les airs, se balancent et tournoient, based on the world of ports. L’artiste, dans sa confrontation au réel, ne se ils deviennent certes des objets scénographiques In his “Landscape Theatre”, he contente donc pas des faits. Il se méfie des ver- à part entière, mais, pour autant, leur fonction brings the world of dockers and sions officielles de l’Histoire. Il cherche aussi et d’usage ne s’efface pas. Derrière cette apparente fishermen back to life. surtout ce qui ne peut être formulé rationnelle- légèreté subsiste toujours la sueur du labeur Ali Salmi’s Alhambra Container takes ment. Et cela demande du temps. Bill Mitchell, humain ; quelque chose de très fragile et qui a look at humanity in movement. directeur artistique de la compagnie Wild Works, pourtant résiste. Staging around a container passe parfois plusieurs années à préparer ses Ces projets réincarnent les multiples traces que le emphasizes circulation and obstacles. interventions théâtrales. Avec son « Théâtre de travail des hommes laisse derrière lui. A travers But, behind the show’s beauty, paysage », il a investi les anciens sites miniers et ses actes et ses gestes, l’individu, qu’il soit artiste remains the sweat of human labour. les friches de Cornouailles et a reconvoqué cette ou ouvrier, témoigne de sa présence au monde. activité, soit disant morte, pour générer du rêve Le déposséder de cette capacité, n’est-ce pas lui et de l’imaginaire. Pour chaque site, il crée un ôter toute dignité ?

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LES NOU- VELLES AIRES DU GRAFFITI ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃

Zevs, Electroshock. Glyptotek Museum, Danemark 2007 Photo : Zevs

Signes greffés sur l’ordinaire urbain, Tags furtifs, calligraphies sophistiquées ou vastes fresques, signes éphémères ou inscriptions dura- les métamorphosent nos villes bles, sur des piles de ponts, des cheminées inacces- sibles, des palissades fatiguées ou des façades par petites touches. Quelles directions neuves, sauvages et effacés, ou arty et bien côtés, les graffitis marquent nos villes depuis presque un explorent les artistes du pour demi-siècle. Alors que l’espace urbain semble saturé de signes et qu’une certaine banalisation menace le continuer à être visibles ? Comment genre, de nouvelles pratiques ont émergé ces der- nières années, relançant de manière stimulante les composent-ils avec un environnement enjeux artistiques et politiques du street art. Notamment en modifiant son régime de visibilité. saturé et encore souvent hostile ? LE GRAFFITI PROPRE ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ PASCAL LE BRUN-CORDIER « A la fin des années 1990, Paris était une des villes les plus taguées au monde. Il était impossible de trouver une place sur un rideau de fer pour écrire un tag. Puis la mairie

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a décidé de les effacer. C’est en observant les employés sonnages étranges peints sur des murs, s’animer, chargés du dégraffitage que j’ai eu l’idée d’utiliser un passer de façade en façade, épouser les contours NEW Kärcher pour réaliser des graffitis. » En nettoyant des de l’architecture, disparaître dans des trous… Une murs sales sur lesquels il fait ainsi apparaître ses métamorphose continue, parfois inquiétante, GRAFF- dessins en réserve, Zevs devint le précurseur d’un produite par ce mariage inspiré du graffiti et du genre : le graffiti propre. cinéma d’animation (http://blublu.org). Dans le ITI D’autres artistes développeront cette technique. même registre, signalons le travail de Tant et En 2008, Moose a composé une vaste fresque Unga, du crew israélien Broken Fingaz AREAS champêtre à l’entrée d’un tunnel de San (http://vimeo.com/brokenfingaz). En inscrivant Francisco, en appliquant des pochoirs sur les ces fictions graphiques sur la pierre ou le béton, murs pollués avant d’y projeter de l’eau sous pres- ces petits films ouvrent de troublants espaces poé- ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ sion. Dans un registre plus sombre, en 2006, tiques au creux de l’urbain. Fleeting tags or vast panoramas, Alexandre Orion a dessiné au chiffon des cen- Le passage du graffiti en mouvement au graffiti temporary or durable inscriptions, taines de têtes de mort sur les parois noires d’une tridimensionnel semble assez évident. Il s’est on scores of bridges, chimneys, tired autoroute urbaine souterraine de São Paulo. opéré récemment grâce aux technologies de motion fences or new facades: unauthorized Relevant d’une astucieuse esthétique de la sous- capture. Le graffeur dessine dans l’espace : ses and erased or arty and popular, traction, en résonance avec les préoccupations gestes sont enregistrés par trois caméras et traités graffiti makes its mark on our cities. écologiques de l’époque, cet art du « reverse graffiti » par un logiciel qui les traduit en traces lumineuses While urban space seems to be pose d’intéressants problèmes aux juristes et aux visibles sur des lunettes-écrans (http://daim.org). saturated with signs, and a certain services municipaux : s’il est en général interdit On retrouve dans ces expériences l’enchante- banality is threatening this genre, d’écrire sur les murs, les nettoyer n’est pas un délit. ment produit par le « light painting » expérimenté new practices have emerged these Dans un film (www.ossario.net), on peut ainsi voir par Man Ray dans les années 1930 et réapproprié past years. By cleaning dirty walls to Orion interrompu dans son travail par des poli- par les street artists depuis quelques années : une make his drawings appear discretely, ciers, alertés par les caméras de surveillance : ils source lumineuse en main, le graffeur dessine dans Zevs is becoming the precursor of a interrogent l’artiste, mais sans pouvoir l’arrêter. le vide, tandis qu’un appareil photo enregistre les genre: clean graffiti, or reverse graffi- Quelques heures plus tard, les services de la ville lignes tracées par la lumière (www.marko-93.com). ti, which poses interesting problems viendront effacer les graffitis… au Kärcher. for jurists and municipal services: CHANGER D’ÉCHELLE while writing on walls is prohibited, LE GRAFFITI INVISIBLE cleaning them is not an offence. Celui qui a fait basculer le street art dans une Other styles explored: “the invisible”, Autre registre surprenant exploré ces dernières autre dimension s’appelle JR. Les projets qu’il an experiment by Zues with invisible années par les street artists : l’invisible. En 2007, mène depuis 2006 (Portrait d’une génération, Face 2 fluorescent paint made visible only devenu un des artistes phares de la scène du Face, et surtout Women Are Heroes) se déploient tout temporarily by the passing of black street art en France, Zevs a posé un graffiti sur un autant dans l’espace public urbain que dans l’es- light, or “stop motion”, used by the large pan de mur des quais de Seine, au pied de pace public médiatique et socio-politique. A Rio Italian tagger Blu in his panoramas. Notre-Dame, avec une peinture fluo-luminescen- de Janeiro en 2008, quand il colle ses photogra- Here, we see strange people painted te. La phrase – « The real style is invisible » – n’était phies des femmes de la favela Morro da on the walls come to life, pass from révélée qu’au passage d’un bateau-mouche dont Providencia sur les murs de leurs maisons, ou en one facade to another, disappear l’artiste avait remplacé l’éclairage habituel par 2009 au Kenya quand il installe les portraits de in holes…The passing of graffiti une lumière noire. Les passagers voyaient ainsi femmes du bidonville de Kibera sur un train et sur in movement into three-dimensional apparaître l’image fantôme, furtivement. Ce les toits de tôle, son travail est simultanément graffiti seems pretty obvious. This projet va être prochainement repris à Marseille visible dans la ville, par une population directe- was able to happen recently thanks dans le cadre du festival Small is beautiful, avec ment concernée par le projet (il rencontre longue- to motion capture technologies. The quelques transpositions. Une autre œuvre réali- ment les femmes qu’il photographie), dans les tagger’s movements are recorded sée en peinture invisible par Zevs, dans sa série médias traditionnels et sur Internet. by three cameras and treated with des « Electric Shadows », devrait aussi être réactivée Subtiles et spectaculaires, les images de ces a computer program that translates fin 2010 à Montpellier : une ligne dessinée au sol femmes qui nous regardent possèdent une force them into light traces which can qui épouse la silhouette de l’ombre portée d’une rare, à la fois artistique (elles relèvent tout autant be seen with screen-glasses statue, produite chaque nuit par un réverbère de la photographie que d’une forme d’art du (http://daim.org). dans le quartier d’Antigone, place Zeus. paysage), culturelle (elles nourrissent l’imaginaire Another artist who has brought street collectif) et politique (elles rendent visibles des art into another dimension is JR. The PRÉSENCES PARADOXALES femmes habituellement laissées hors champ). projects that he has been carrying Issu du street art, JR « l’artiviste » a bien inventé out since 2006 (Portrait d’une gene- D’autres régimes d’apparition du graffiti jouent une nouvelle manière de créer dans l’espace ration-Portrait of a generation, également avec son inscription paradoxale dans la public et de faire exister des créations singulières Women Are Heroes…) unfold in urban réalité physique. Ainsi les fresques en « stop face aux images et aux récits formatés des indus- public spaces as well as in the public motion » du graffeur italien Blu : on y voit des per- tries du divertissement et de la culture mainstream. media and social-political space.

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IN SITU Artonik, Et ainsi de suite… Réseau européen pour Création en 2011 la création artistique Coproduction, résidence LIEUX en espace public au long cours Projet pilote pour la mobilité Rendez-vous (déc. 2009- fév. 2011) Le Laboratoire, Philippe Mouillon et Maryvonne Arnaud, PUBLICS Les artistes parlent aux artistes, L’Encyclopédie infinie Neerpelt (BE) : séminaire à huis clos Création pour 2013 de 34 artistes et organisateurs Coproduction (remue méninges 2008) EN 2010 européens, 2-5 février Directors’ choice : construction FLASHRUE d’un catalogue européen de Interventions artistiques ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ spectacles commun aux membres surprises à Marseille, avec informations sur www.lieuxpublics.com du réseau Caroline Selig (Artonik) wwwfacebook.com groupe FlashRue 8 résidences d’artistes européens www.youtube.com/flashrue pour tester des protocoles communs d’accueil et de travail hors frontière, Souriez, vous êtes filmés le 19 mars, SIRÈNES A l’occasion de la tenue à Neerpelt mai-octobre Comme au cinéma le 28 mai, ET MIDI NET du séminaire Les artistes parlent Toulon le 25 juin et d’autres Rituel urbain chaque premier aux artistes organisé par IN SITU / 5 missions de repérage dans rendez-vous dans l’année, mercredi du mois sur le parvis Avec Katrien Verwilt (Copenhague), 11 pays européens hors du réseau notamment en octobre pendant de l’Opéra de Marseille Kurt Demey (artiste), Franck Small is beautiful. www.dailymotion.com/sirenesmarseille Bauchard (La Chartreuse), Jean-Sébastien Steil (Lieux publics, VIAEUROPEA.EU Ministère des Affaires inutiles IN SITU) Revue quadrilingue sur Le Palmarès des recalés, 6 janvier la création artistique dans Lieux Publics & Cie Marseille, vue par… Des artistes l’espace public européen eRikm en repérage www.viaeuropea.eu CHAMP Une canopée aux accidents, 3 février Avec Denis Pondruel et Dominique Boivin (Cie Beau geste), Pierre HARMONIQUE Théâtre de cuisine Sauvageot et Fabienne Aulagnier REMUE MÉNINGES Pour qui sonnent les sirènes ?, 3 mars (Lieux publics) Résidence d’écriture, ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ de réflexion sur 5 projets création de Pierre Sauvageot Anitya Un art contextuel de créations en gestation La Marseillaise sans midinette, 7 avril Avec Paul Ardenne (historien Pigna, Haute-Corse, novembre A Martigues, création, de l’art, auteur du livre Un art du 26 mai au 6 juin L’Apprentie compagnie contextuel), Marc Boucherot Production : Lieux publics, On ne s’improvise pas pompier !, (artiste plasticien activiste), RÉSIDENCES ET Soutien à la résidence : 5 mai Jean-Sébastien Steil (Lieux publics, COPRODUCTIONS Terschellings Oerol Festival (NL). IN SITU) Atelier scénographique, Avec le soutien de la SACEM Kubilai Khan Investigations laboratoire Les Murs ont Soto ni deru, 2 juin Les clowns et le rire des oreilles, bourses en espace public de composition LE CONCERT Et les rendez-vous de l’automne : Avec Proserpine (Apprentie DE PUBLIC 6 octobre, 3 novembre, 1 décembre Compagnie), Léandre Ribera (ES), Ilotopie, Les Oxymores d’eau Clermont-en-Genevois (74), Fanny Broyelle (Lieux publics) Création 2010 en ouverture de la saison Coproduction, résidence, aide départementale Itinéraire bis, SIRÈNES La musique en espace public à la conception du dispositif 25 juin ET BLABLABLA Autour de la création de sonore, février Toulon (83), En lieux et places, Emission en direct et en Champ harmonique à Martigues, le 26 juin public, chaque premier Pierre Sauvageot et Lieux publics Panem & Circences, Transhumance mercredi du mois & cie… mécanique à 18 heures au Longchamp Première étape de création en 2010, palace création en 2011 à Marseille, à écouter sur OUTIL COMMUN Coproduction, résidence, diffusion Radio Grenouille. Groupe de travail (coproduction et remue méninges 88.8 fm ou sur www.grenouille888.org sur la mutualisation 2009), janvier à juin (direct ou podcast) d’actions vers les publics des quartiers Nord Ici-Même (Paris), Allô, Ici-Même La danse en espace public de Marseille Création en 2010 Autour de la parution de l’ouvrage (Cosmos Kolej / la Gare Franche, Coproduction, résidence, Extérieur danse de Sylvie Clidière Lézarap’art, Lieux publics - Centre diffusion, mars et Alix de Morant national de création, l’A.P.C.A.R. - Association de préfiguration Pixel 13, Work’n Progress Comment les artistes tissent de La Cité des arts de la rue Création en 2010-2011 avec d’autres artistes ? et le Merlan, Scène nationale Coproduction, résidence, juin

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EN LIEUX RENDEZ-VOUS INTERVENTIONS ET SURPRISES URBAINES LIEUX PUBLICS ET PLACES Kubilaï Khan Investigations (Fr) Soto ni deru Les Beaux parleurs (Fr.) Centre national de création DE TOULON Danse contemporaine Les Invitations / Les Joutes 16 rue Condorcet 13016 Marseille - France ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ Osmosis Cie (Fr) Compagnie Amanda Pola (Es.) Tél. +33 (0)4 91 03 81 28 Les 23, 24, 25 et 26 juin 2010 Transit La Waltser collection Fax +33 (0)4 91 03 82 24 Partition chorégraphique urbaine Collection de promenades [email protected] Un nouveau rendez-vous proposé www.lieuxpublics.com par Lieux publics et le Conseil Ulik & Le SNOB (Fr) Johan Lorbeer (De), Tarzan Standing général du Var. Glisssssssssendo Legs. Performance Président : Philippe Chaudoir Quatre jours pour mettre en valeur Ballet irréel Direction : Pierre Sauvageot les espaces urbains communs, Marché commun (Fr/It) avec Administration : Sabine Chatras avec une trentaine de rendez-vous. Delices DADA (Fr) Ubidanza, Gênes, Koïné, Gênes, avec Marion Bottaro Ou comment Toulon, avec ses lieux RUSHs Il Cantiere, Turin, Ex nihilo, Marseille, et places, devient un écrin – lieu Théâtre burlesque Lézards bleus, Apt. Responsables de projets : de la création, espace de convivialité Solos et duos sur les marchés de Fabienne Aulagnier avec Elisa – ouvert aux nouvelles écritures Pierre Sauvageot et fruits et légumes. Projet eurorégional Schmidt et Anne-Lise Guénégou urbaines d’Europe et de Lieux publics & Cie (Fr) Alpes-Méditerranée Béatrice Goudard, Méditerranée. Le Concert de public Elodie Presles, Concert dont vous êtes le héros FlashRue. Intervention furtive Jean-Sébastien Steil avec Isabelle Vass

Communication et relations publiques : Fanny Broyelle avec Fanny Girod et Christine Abis SMALL IS Projet partagé avec Les Bancs Cie Victor B (Be) publics (Marseille) et Le Citron jaune Trop de Guy Béart tue Guy Béart Comptabilité : BEAUTIFUL (Port-Saint-Louis) Visite guidée au casque Elisabeth Henry ANPU (Fr) en centre-ville avec Muriel Barguès ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ Séances de divan, conférences du 6 au 23 octobre, Martigues / Projet partagé avec Le Théâtre Technique : Marseille / Aubagne Projet partagé avec Le Merlan, des Salins (Martigues) Pierre Andrac avec Camille spectacles, installations et scène nationale à Marseille Frédéric Nevchehirlian (Fr) L’Appel Bonomo, Alexandre Pax interventions en espace public Berlin (Be) de la forêt et Jérôme Boillet Holocènes Performance slamée Portraits de villes Saison Quatre ! L’occasion d’ouvrir Stephen Bain (Nz) le territoire : au centre de Marseille Les Beaux Parleurs (Fr) Baby, where are the fine things you Lieux publics - Centre national et dans les quartiers Nord, à l’Ouest Le Banquet promised me? de création, est conventionné de Martigues avec Port-Saint-Louis La nourriture dans la littérature Installation, performance par le Ministère de la du Rhône, vers l’Est à Aubagne et (et vice versa) Culture et de la Communication, toujours l’Europe vue depuis le Sud. Delices DADA (Fr) la Ville de Marseille, Saison Quatre, le temps qui rythme Pixel 13 (Fr) RUSHs le Conseil régional l’action : trois semaines pour « griffer » LE BULB Théâtre burlesque Provence-Alpes-Côte d’Azur Marseille et deux week-ends pour Dispositif multimédia exploratoire et le Conseil général bousculer le quotidien à Martigues des territoires contemporains Ici-Même (Paris) (Fr) des Bouches-du-Rhône. et Aubagne, puis à Saint-André. Allô, Ici-Même Il reçoit le soutien de la Saison Quatre, pour appréhender les OPUS (Fr) Expérience de communication Commission européenne, de éléments, bousculer les esthétiques : La Quermesse de Ménetreux la Sacem, du Conseil général arts visuels, danse, musique, vidéo, Vraie fausse kermesse Panem & Circences (Fr) du Var et des Villes d’Aubagne conférences, parcours urbains, Transhumance mécanique et de Martigues. théâtre, installations, interventions, Zevs (Fr) Déambulation d’un troupeau Lieux publics pilote IN SITU, performances, rituels urbains… Parcours nocturne en petit train, mécanique réseau européen de création Saison Quatre, pour que chacun street art artistique en espace public. prenne conscience de son rapport Artonik (Fr) à la ville et à l’autre : favoriser Projet du réseau IN SITU Premiers pas à Aubagne le sentiment de convivialité, penser dans le cadre des résidences Spectacle participatif pour parcs la participation du public, partager nomades de Rendez-vous, et jardins publics les sensations, laisser libre cours programme pilote pour la mobilité à nos intuitions. des artistes Mondial de FlashRue Small is beautiful 2010 ouvre L’ai-je bien descendu ? Interventions furtives le champ, prépare 2013 sans Série de descentes d’escalier le préfigurer et pose la quadrature proposées par une douzaine Les Causeries du cercle : continuer à dire que d’artistes du corps (danseurs, Conférence sur la création le petit est beau dans un événement artistes de cirque, performeurs, etc.) artistique en espace public, de plus en plus grand ! venus de toute l’Europe séminaire IN SITU

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Arnaud) www.lelaboratoire.net/ines.php C’era l’Acca www.associazioneceralacca.it L’Ai-je bien descendu www.lieuxpublics.com LES COMPLICES Ateliers Frappaz www.ateliers-frappaz.com CONTACTS L’Apprentie compagnie www.proserpine.fr/ Centre national chorégraphique de Rillieux-la- Les Beaux parleurs www.lieuxpublics.com IN SITU et partenaires européens Pape www.compagnie-maguy-marin.fr Les Pas perdus www.marimira.com Artopolis, Budapest www.placcc.hu Les Hivernales www.hivernales-avignon.com ⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃⌃ Les Promenades urbaines Associazione culturale C’era l’acca, Turin www.promenades-urbaines.com www.associazioneceralacca.it Les partenaires institutionnels Marché commun www.lieuxpublics.com Atelier 231, Centre national des arts de la rue, Ministère de la Culture et de la Communication ARTISTES ET Moose www.symbollix.com Sotteville-lès-Rouen www.atelier231.fr www.culture.gouv.fr COMPAGNIES Mourad Beleksir www.lesinvisibles.com Bunker, Ljubljana www.bunker.si Ville de Marseille www.mairie-marseille.fr Nicolas Simarik www.courtesy.free.fr Cork Midsummer Festival Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur Anitya www.anitya.fr Olivier Darné www.parti-poetique.org www.corkmidsummer.com www.regionpaca.fr ANPU www.anpu.fr Orion www.ossario.net Ctyri dny, Prague www.ctyridny.cz Conseil général des Bouches-du-Rhône Artonik www.lafriche.org/artonik Osmosis Cie www.osmosiscie.com Festival Chalon dans la Rue, L’Abattoir, www.cg13.fr Benjamin Verdonck Panem & circences www.fabricateurs.net Chalon-sur-Saône www.chalondanslarue.com Commission européenne http://ec.europa.eu/culture www.benjamin-verdonck.be Pierre Redon www.pierreredon.com Fundación municipal de cultura de Valladolid Sacem www.sacem.fr Christine Quoiraud Pierre Sauvageot et Lieux publics & cie www.fmcva.org Marseille-Provence 2013 http://www.conteners.org/christine-quoiraud www.lieuxpublics.com Huis en Festival a/d Werf, Ütrecht www.marseille-provence2013.fr Cie OPUS www.curiosites.net Pixel 13 pixel.asso.free.fr www.festivalaandewerf.nl Conseil général du Var www.var.fr Collectif intérieur brut www.gintzburger.net/bib Portez-vous bien Cie Kosice 2013 www.kosice13.sk Ville d’Aubagne www.aubagne.com Delices DADA www.delices-dada.org www.portezvousbiencie.com La Paperie, Centre national des arts de la rue, Ville de Martigues www.mairie-martigues.fr Dries Verhoeven www.driesverhoeven.com Rimini protokoll www.rimini-protokoll.de Angers www.lapaperie.fr ONDA www.onda-international.com eRikm www.erikm.com Roger Bernat www.rogerbernat.com La Strada, Graz www.lastrada.at Eryck Abecassis www.eryckabecassis.com Soundwalk Metropolis, Copenhague cph-metropolis.dk Autres partenaires Frédéric Nevchehirlian soundwalk.com/blog/tag/stephan-crasneanscki MIramirO, Gent www.miramiro.be L’Entretemps www.editions-entretemps.com www.myspace.com/nevchehirlian Stephen Bain Pronomade(s) en Haute-Garonne, Centre Théâtre des Salins, Martigues Groupe Berlin www.berlinberlin.be http://wherearethefinethings.blogspot.com national des arts de la rue www.theatre-des-salins.fr Hello!earth www.helloearth.cc Studio Orta www.studio-orta.com www.pronomades.org Le Merlan, scène nationale à Marseille Ici-même (Grenoble) www.icimeme.org Thé à la rue www.thealarue.com Teatri ODA, Pristina www.teatrioda.com www.merlan.org Ici-même (Paris) www.icimeme.info Théâtre de cuisine www.theatredecuisine.com Terschellings Oerol festival www.oerol.nl Le Citron jaune www.ilotopie.com ilotopie www.ilotopie.com Théâtre de l’Arpenteur www.les-arpenteurs.com Theater Op De Markt, Neerpelt Les Bancs publics bancspublics.free.fr JR www.28millimetres.com Théâtre Group www.lamuserie.com www.limburg.be/theateropdemarkt Théâtre Comoedia, Aubagne www.aubagne.com Julie Desprairies Tony Clifton circus www.tonycliftoncircus.com UZ Events, Glasgow www.uzevents.com Opéra de Marseille www.compagniedesprairies.com Ulik et Le Snob X.trax showcase festival, Manchester www.marseille.fr/vdm/cms/culture/opera Kamchatka www.kamchatka.fr www.fanfarelesnob.com / www.ulik.com www.xtrax.org.uk Bibliothèque de L’Alcazar www.bmvr.marseille.fr KompleXKapharnaüM Victor B www.victorb.be Hors les murs www.horslesmurs.fr www.komplex-kapharnaum.net WildWorks Les partenaires de Marcher commun Grenouille www.grenouille888.org Kubilaï Khan investigations www.wild-works.co.uk/EN/index.html avec l’Eurorégion Alpes-Méditerranée L’APCAR www.lacitedesartsdelarue.net www.kubilai-khan-investigations.com Zevs www.gzzglz.com Festival Corpi Urbani www.associazioneartu.it La Gare Franche www.cosmoskolej.org Kumulus www.kumulus.fr/ Fondazione Teatro Piemonte Europa Lézarap’art pagesperso-orange.fr/lezarapart La Chose publique www.lachosepublique.com www.fondazionetpe.it Espace culture www.espaceculture.net Laboratoire (Philippe Mouillon et Maryvonne Interplay www.mosaicodanza.it LIEUX_PUBLICS_2010_meghedi_v2.qxp 07/06/2010 11:31 Page 47 LIEUX_PUBLICS_2010_meghedi_v2.qxp 07/06/2010 11:31 Page 48