Châteaux Et Sites Pittoresques Des Vosges
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Imprimerie et héliogravure des Dernières Nouvelles de Strasbourg Dépôt légal 3086-63 - N° d'éditeur 177 - 3e trimestre 1963 Nous avons des châteaux prestigieux dans nos montagnes. Nous en avons partout. Campés sur uri sommet auquel n'accède plus qu'un sen- tier, ou perdus dans la profondeur des forêts, ils sont à l'abri du monde et de ses bruits. Devant leurs tours, le temps arrête ses vagues: mugis- santes. Une grande paix plane dans leurs ruines. Il n'y règne plus que le souvenir ♦ N'est-ce pas un privilège que de pouvoir monter vers un de ces manoirs pour y reposer l'esprit en écoutant, sous le tilleul de la cour ou depuis la margelle du puits, le grand silence et les voix de mystère qui en émanent. Depuis un banc de pierre, taillé dans la niche d'une fenêtré ogivale, on laisse planer le regard sur les cimes des arbres centenaires qui s'inclinent en murmu- rant des mélodies dont les dentelles s'enroulent autour des murailles comme du lierre. Allez dans ces. châteaux, remontez le pont- levis derrière vous, et vous retrouverez dans ces murs où se recueillent les siècles, l'apaisement et la sérénité de l'âme. Robert Redslob Le grand trouvère des Vosges n'est plus. Celui qui en connais- sait et célébrait les beautés a disparu après une vie bien remplie, laissant une œuvre difficile à remplacer et impossible à imiter. Cette œuvre est un mélange de vaste érudition et de connaissances populaires dosé avec une suprême habileté, une palette de nuances admirablement disposées, une explosion d'une imagination aussi féconde que contrôlée, un humour capable de s'allier aux considé- rations les plus élevées, le témoignage d'un grand esprit et d'un noble cœur, une parfaite unité dans la diversité. Si l'on ajoute 1'>qgrément du style, l'élégance de la pensée, l'intérêt du récit soutenu par un don d'évocation peu commun, on comprend le plaisir procuré par la lecture des livres du Doyen Redslob. Ce plaisir, il l'a certainement ressenti le premier, car on ne peut communiquer aux autres que les sentiments qu'on éprouve soi-même intensément, que si on a, pour sa petite patrie, un amour profond et sincère comme le sien. C'est ce plaisir que veut faire revivre pour nous la réédition du volume consacré aux Châteaux des Vosges. Le choix des « Dernières Nouvelles » est particulièrement heureux, car les ruines, qui jalonnent nos montagnes du nord au sud, sont les vestiges . d'un passé sinon idéal, du moins pittoresque et captivant et l'un des plus beaux trésors légués par nos aïeux. Joseph Dénoyez Président du Club Vosgien A la page précédente: Le Doyen honoraire Robert Redslob, président du Club Vosgien. LexRpptenbachkopf Paysage typique des crêtes des Hautes-Vosges. Voici les Vosges (1) X-J1 Alsace est une œuvre d'art. Elle offre, en des modulations infinies, des beautés sans nombre, créations de la nature que sont venues enluminer les ouvrages des hommes. Le paysage présente, à la fois, des miniatures exquises et des fresques de grand style, des menuets et des symphonies pathétiques. Mais toujours ce paysage a-t-il été conçu avec un sens de la mesure qui le prédestinait à être une terre latine. Dieu, quand le septième jour il s'est dit que tout était bien, a dû, en faisant son tour d'horizon, jeter son dernier regard sur l'Alsace. De là son optimisme. Cette harmonie préétablie se reflète partout, elle se reflète aussi dans la montagne vosgienne. Les Vosges, depuis les rives de la Lauter, s'étagent en gra- dins, doucement d'abord et ensuite en pas toujours plus puissants, pour culminer enfin dans un dernier promontoire qui fait face à la gloire des Alpes Suisses. Partons de Wissembourg, cette ville charmante qui est un clair regard de la France. Sur cette ville s'appesantit la chro- nique des siècles. Un roi Dagobert la gratifia de sa munifi- cence. Une abbaye puissante, défendue par quatre châteaux (i Description générale par Robert REDSLOB forts, était sa célébrité depuis le haut Moyen Age. Le moine- poète Otfrit y a composé un Livre des Évangiles. « Or, pendant qu'ils séjournaient en ces lieux, Les temps étaient révolus où la mère Donnerait le jour à un enfant Que le monde attendait. » De Wissembourg partit une fille de roi pour monter sur le trône de France. Depuis les collines d'alentour le coq gaulois, bien souvent, a jeté son cri de guerre héroïque. Les noms de Wurmser, Hoche et Pichegru, Abel Douai passent là-haut dans des sons de clairon. Defuncti adhuc loquuntur, « les morts parlent encore », dit le monument qui, à Morsbronn, rappelle la charge lé- gendaire des cuirassiers. Comme pour faire contraste avec ces souvenirs de bataille, des villages gracieux, groupés autour d'un clocher et de son traban, un arbre séculaire, essaiment au pied de la montagne. On peut les contempler depuis un de ces bancs de pierre qui, sur le linteau qui joint leurs piliers, porte le millésime de la naissance du roi de Rome ou du prince Louis Napoléon. Les trônes se sont écroulés, ils ont enseveli de grands espoirs sous leurs ruines, mais les bancs sont toujours debout et portent témoignage de ces temps passés, de leurs gloires et de leurs coups de destin. Au loin un troupeau de brebis se serre autour de son berger qui, enveloppé d'un ample manteau, s'appuie sur sa houlette. Les terres de labour, soigneusement cultivées, descendent le long de la colline, en longues traînées égales, parallèles et qui s'infléchissent ensuite en une courbe élégante pour at- teindre les premières maisons du village. Les voici, là-bas, ces maisons paysannes avec leurs pignons élancés, leurs portails majestueux, fières comme des châteaux. Les cloches envoient leur appel familier, conviant les fidèles à une heure de recueil- lement après une semaine de labeur. Le tilleul frissonne, il étend ses branches, à l'instar d'un manteau plissé, sur les croix du cimetière. Il murmure une litanie, comme pour in- viter les aïeux à s'unir aux vivants par une même prière. Le chant de la cloche se fait plus profond, plus insistant. Alors, sur le sentier, derrière la haute phalange des épis, on voit s'avancer des êtres solennels, pleins de sérieux et de dignité. Les femmes arborent les nœuds de soie noire ou multicolores qui, caressés par le vent, voltigent doucement comme les ailes d'un oiseau. Des corselets et des tabliers aux riches bro- deries donnent au cortège un air de fête. Des hommes suivent avec des tricornes ou des bonnets de fourrures, avec des cols pointus qui s'enfoncent dans les joues et qu'encerclent les cravates à plusieurs tours, avec des redingotes ou habits qui leur tombent jusqu'aux chevilles, et surtout avec beaucoup de majesté. Ces villageois ont des traits profondément marqués, creusés par les intempéries, pleins de caractère et comme taillés à la hache. Parfois ils baissent les yeux et leur âme vibre avec fer- veur, à l'unisson de la cloche; ou bien leur regard plane, avec une fierté calme, sur la riche moisson qui baisse la tête sous le lourd fardeau et attend le faucheur; ou encore ils regardent vers le ciel où habitent les éléments mystérieux, sources de bénédictions, mais aussi de fatalités, et qui sont puissants comme des divinités. Et les paysans, les paysannes poursuivent leur marche. Les épis s'inclinent profondément, les tiges se séparent comme les longs plis flottants d'un rideau qui s'ouvre devant un spectacle auguste. Ces paysans, ces paysannes passent là comme le fleuve puissant de l'histoire. Ils s'avancent avec la sûreté de la charrue qui creuse les sillons. Des généra- tions peuvent se succéder, ces êtres sont toujours les mêmes. Ils incarnent l'Alsace d'airain, cette valeur d'éternité qui s'en va, immuable, à travers les siècles, en dépit de tous les cata- clysmes. Elle est soutenue, cette Alsace, par une puissance d'une grandeur auguste : le génie du sol natal. Celui qui s'est imprégné de ce tableau a compris l'Alsace et les arcanes de son être. Il a saisi le style du pays. Il aura beau percevoir par-ci par-là des variations nuancées, toujours en- tendra-t-il planer au-dessus de lui, ce Cantus Firmus, inalté- rable et souverain. Et maintenant quittons le monde des vivants et prenons le sentier des forêts. Les montagnes sont mignonnes d'abord, ce sont les Vosges gracieuses. De petites marquises, en attendant les amazones. Il y a là des vallons idylliques. Des rivières de saphir courent à travers les fleurs, en sautillant sur les pierres, et en scandant des strophes langoureuses qui alternent avec des éclats de rire. Au fond d'une de ces vallées, entre les bras de puissants tilleuls qui le caressent de leurs bruissements, se cache un vieux moulin. Sa roue tourne, méditative et sentencieuse, avec un rythme inexorable, comme pour dire que dans la fuite des temps et la folie des hommes, les lois du Destin restent toujours les mêmes. Il y a, dans ce pays, sous la garde de sapins, immuables comme des menhirs, des pièces d'eau silencieuses, graves et sur lesquelles passent des souvenirs comme des rides sur un front de vieillard. Ce serait une image de paix sereine si là-bas, sur les monts, ne retentissait un cri de guerre : Aux rochers de grès rouge qui s'élancent flamboyants des forêts, s'accrochent des ruines de châteaux forts; leurs tours, pointant leurs ai- guilles vers le ciel avec une hardiesse dolomitique, se lèvent comme des hallebardes ou des épées tronquées.