De Paul Bourget
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LE SOUVENIR DE PAUL BOURGET < Une amitié de quarante années ne peut s'éteindre dans la mort. Celui qui reste doit encore le culte du souvenir au grand aîné disparu. Plus d'un demi-siècle de littérature a retenti de la renommée de Paul Bourget. Les Essais de psychologie, avant même ses premiers romans, avaient ouvert des voies nouvelles à la jeunesse intellectuelle, et son dernier ouvrage, Une laborantine, publié à plus de quatre-vingts ans, rendait encore hommage à ces vaillantes jeunes filles d'au jourd'hui, si diffamées par ailleurs, qui ont orné du goût dé la science l'obligation du travail ; et quelle distance parcourue de Thérèse de Sauve, l'héroïne de Cruelle énigme, à la labo rantine Paule Gauthier qui trouve son salut dans son métier ! Cependant, je ne viens pas ici, après tant de critiques, célé brer l'écrivain. C'est un autre portrait qui me tente, celui de l'homme qui, par sa conversation, son caractère, son culte de la vérité, a orienté tant d'esprits. Je ne l'ai pas connu, je ne l'aurais pu connaître, — séparé de lui par vingt années, c'est- à-dire par une génération, — dans l'éclat de la jeune gloire qui lui était sans retard venue avec Un crime d'amour, avec Mensonges. C'est l'homme mûr, préoccupé d'une société ébran lée et des forces capables de la consolider, que j'ai beaucoup fréquenté, et c'est, plus encore, le vieillard attristé par la plus cruelle épreuve, retenu à la vie, non par le goût de vivre, mais par la curiosité et par la résistance à toute désa grégation. De même qu'il servait de chaînon entre nous et les générations précédentes, celle d'Alphonse Daudet, de Sully TOME xxxvn. — 1937. 37 578 KEVtTF 0ES DEUX WONUES. Prudhomme, de Coppée et celle encore de Taine, de Renan, de Barbey d'Aurevilly, je désirerais maintenir sa mémoire personnelle pour les générations qui me suivent, afin qu'elles ajoutent une image aux livres de lui qu'elles auront choisis pour les sauver de l'oubli. N'était-ce pas son vœu secret quand il nous parlait de ses maîtres : prolonger là clarté de ceux qui ne sont plus ?... LÀ. NAISSANCE D'uflfE AMITIÉ Elle est née, cette amitié, un soir d'octobre 1894, dans le petit appartement que j'occupais alors au boulevard Saint- Germain, au fond d'une cour, mais cette cour était plantée d'arbres. Je n'aurais pu me passer de cette vision de cam pagne, habitué aux horizons de ma Savoie natale. J'étais avocat-rédacteur au contentieux de la Compagnie Paris-Lyon- Méditerranéè. Si les appointements étaient minimes, les loi^ sirs étaient eonvenables et m'autorisaient à cultiver ma passion de la littérature. Or, je venais de publier mon premier livre, Ames modernes. Le premier exemplaire m'avait fait l'effet d'un petit pain chaud quand je le tins dans lés mains, doré et fleurant la farine venue du blé de chez nous. C'était un recueil d'études sur l'individualisme dans Ibsen, l'exotisme et la passion de la jeunesse dans Pierre Loti, le dilettantisme dan» Jules Lemaitre, la joie de l'art dans José-Maria de Heré- di&i h sens du mystère et les communications avec l'invisible dans Villiers de rislê-Adam. Écrit aux alentours de la ving tième année, il s'en ressentait. Vous rappelez-vous ce jeune homme que les Essais de psychologie représentent à la première page accoudé sur un livre : il paraît oublier la vie, et il vit à cette minute même « d*une vie plus intense que s'il cueillait les fleurs parfumées, que s'il regardait le mélancolique Occi dent, que s'il serrait les fragiles doigts d'une jeune fille », Tout débutant dans lés lettres fut eé jeune homme-là. J'avais envoyé à tout hasard mon premier livre à mes écrivains préférés. Quelques jours plus tard ou, plus pïéc> sèment,- le dernier jour d'octobre, je déchiffrai à la nuit tomv bante, rapproché de* la fenêtre plutôt que de prendre le temps d'allumÉr une lampe, une lettre de quatre pages, d'une écriture fine, serrée, affirmative, qui était signée : Paul Bourget. J'ai LE SOUVENIR DE PAUL BOURGET. 579 publié cette lettre latéralement dans la préfaee d'une nou velle édition à* Ames modernes, avec l'autorisation de son auteur qui, depuis lors, dans son testament, a condamné l'usage de sa correspondance. « Il y a longtemps, disait-it à ce nouveau venu, que je n'ai éprouvé à la lecture d'un volume autant de plaisir qu'au vôtre... » Mais, s'il avait la gentillesse de me louer ainsi, il me reprenait avec ce mélange de bien<- veillance et d'autorité que lui donnaient sa sympathie pour la jeunesse et le sens des directions intellectuelles. Au sujet de mes engouements peut-être trop Vifs pour Villiers de l'Isle- Adan» et pour Ernest Hello, il me disait : « Pourquoi de jeunes hommes tels que vous, qui ont le courage de la pensée abstraite, n'ont-ils pas le courage du jugement d'art indé pendant de cette convention h rebours qui est eelle des cénacles et des coteries ? » Et il me reprochait encore certaines confu sions qui rassemblaient dans une même énumération des génies ou des talents fort dissemblables : « H y a des échelles de formes intellectuelles, comme il y a des échelles de formes animales. Le psychologue doit reconnaître les premières avec autant d« lucidité que le physiologiste les autres. C'est l'enseignement que j'ai reçu de M. Taine et que je vous transmets, comme il le ferait s'il n'était pas loin de nous... » Je ne devais le rencontre* que plus tard. Il vivait volon tiers loin de Paris dont il avait trop aimé peut-être la vie mondaine. Mais il ne voulait pas se laisser dévorer par elle. Un voyage en Orient, dont il n'a jamais publié les notes, un autre en Amérique d'où il rapporta les deux volumes d'Outre mer, dos retours en Italie (de quoi donner plusieurs suites aux Sensations), «on installation à Costébelle, dans le voisi nage d'Hyères, lui composaient une exîstenee a demi nomade, favorable à «a production. Comme je m'étonnais un jour devant lui de cette richesse de production, il protesta : « Mais non, mon ami, j'ai l'impression de ne rien faire... » Puis il ajouta dans un demi'Sourire : « 11 est vrai que je travaille to.ut le temps. » Tout lui était, en effet, matière â méditation : une lecture, un paysage, une causerie, le monsieur qui passe, la dame qui monte en voiture. Au restaiwant, il recomposait le roman de chaque couple, avec l'interprétation d'un geste, d'une expression de visage. Déjà lié avec lui pa* une correspondance qui le suivait 580 BEVUE DES DEUX MONDES. à travers le monde, je le vis néanmoins pour la première fois sous la Coupole, lors de sa réception à l'Académie. Il y rem plaçait Maxime du Camp et sa péroraison fut pour louer son .prédécesseur de n'avoir été qu'un homme de lettres. « Je ne sais pas, conclut-il, de plus bel éloge... » On devinait, dans cette fin qu'il prononça avec un frémissement dans la voix, quelle passion l'attachait à la littérature et quelle importance il lui attribuait. Entre parenthèses, Maxime du Camp est aujourd'hui la victime de Flaubert. Celui-ci l'a relégué dans l'ombre après avoir été son ami et l'avoir accompagné dans le voyage d'Egypte. Or, revenant de Luxor et d'Assouan, j'ai eu la curiosité de lire le récit de Maxime du Camp et j'y ai trouvé des pages exactes et colorées. Quand je me fixai à Paris, Paul Bourget avait à peu près cessé de voyager. Dès lors, je commençai de lui rendre souvent visite dans ce cabinet de travail de la rue Barbet-de-Jouy qu'il n'a plus quitté jusqu'à sa mort et dont ses fidèles auront toujours la vision dans les yeux. Le fond, au-dessus de la cheminée, était occupé par une copie de la fresque de Luini qui-représente l'adoration des Rois Mages. Sur la cheminée s'entassaient les photographies de ses amis. Contre les fenêtres, les parois étaient consacrées aux Lettres : une belle copie de la George Sand de Delacroix, un portrait d'Hippolyte Taine, un Melchior de Vogué qu'il avait eu en grande amitié, le masque mortuaire de Tolstoï, douloureux et crispé, et, à une place de faveur, un charmant dessin de Mme Paul Bourget. Les livres avaient mangé tout le reste : un Balzac complet, un Taine, un Walter Scott, et les chefs de file pré férés, Bonald, Joseph de Maistre, Le Play, Fustel de Cou- langes. La littérature contemporaine s'entassait comme elle pouvait sur les meubles : elle n'avait pas lés préférences, elle n'avait pas servi à la formation du cerveau. Dans les années qui précédèrent la guerre, Paul Bourget s'était laissé séduire, un temps, par le théâtre après le succès de la pièce tirée de son roman Un divorce par M. André Cury. Successivement, il avait donné l'Émigré, la Barricade, le Tri bun. Mais, bientôt, il s'était lassé de la scène pour revenir à la forme d'art qu'il préférait, le roman. Seulement, il revenait au roman avec une préoccupation plus grande de la respon sabilité humaine et des répercussions de nos actes d'une LE SOUVENIR DE PAUL BOURGET. 581 génération à l'autre. Dans une de ses meilleures nouvelles, V Échéance, il montrait la transmission des mérites pour le rachat des coupables.