Dynamique spatiale de l’ANACARDE et problématique de la sécurité alimentaire dans la zone dense du Département de (Nord-CÔTE D’IVOIRE) SILUE Karna*, Doctorant-Géographie / Université Alassane OUATTARA de Bouaké (Côte d’Ivoire)

GBODJE Jean-François Aristide, Assistant-Géographie / Université Peleforo Gon Coulibaly (Côte d’Ivoire)

DJAKO Arsène, Professeur Titulaire-Géographie / Université Alassane OUATTARA Bouaké (Côte d’Ivoire)

Résumé L’anacardier a été introduit dans le nord de la Côte d’Ivoire en 1959, avec pour objectif, la lutte contre la déforestation et la dégradation des sols. La valorisation de la commercialisation de la noix de cajou à partir des années 1968 et la détérioration du marché du coton ont constitué un contexte favorable au développement de l’anacardier. Ainsi, considérée désormais par les paysans comme la culture de tous les espoirs, les plantations d’anacardiers fleurissent dans l’espace agricole de la zone dense du département de Korhogo au détriment des cultures vivrières. Comment l’expansion spatiale de l’anacarde impacte-elle négativement la sécurité alimentaire des ménages ruraux de la zone dense du département de Korhogo ? A partir de données issues d’enquêtes sur le terrain, cet article examine l’impact de l’expansion spatiale de l’anacarde sur les rendements de la production vivrière de la zone dense du département de Korhogo. Les résultats montrent que l’engouement des paysans pour l’anacarde bouleverse non seulement les pratiques agricoles mais aussi les rapports sociaux à l’intérieur des lignages. L’anacarde s’accapare de l’espace agricole au détriment des cultures vivrières de par ses superficies et de son système de culture et de production. Cette situation compromet la sécurité alimentaire des ménages ruraux et leur capacité à approvisionner les marchés urbains en vivres. Mots clés : Dynamique spatiale, culture d’anacarde, noix de cajou, sécurité alimentaire, zone dense de Korhogo Abstract The cashew tree was introduced in the north of the in 1959, with the objective of combating deforestation and soil degradation. The development of the cashew nut marketing from the years 1968 and the deterioration of the cotton market constituted a favorable context for the development of the cashew tree. Thus, now considered by farmers as the culture of all hopes, cashew plantations are flourishing in the agricultural area of the dense area of the department of Korhogo to the detriment of food crops. How does the spatial expansion of the cashew tree negatively impact the food security of rural households in the dense area of the department of Korhogo? Using data from field surveys, this article examines the impact of the spatial expansion of the cashew nut on food production yields in the dense area of the . The results show that farmers' craze for cashew nuts disrupts not only agricultural practices but also social relationships within the lineages. The cashew takes up agricultural space to the detriment of food crops because of its areas and its culture and production system. This situation jeopardizes the food security of rural households and their ability to supply urban markets with food.

Keywords: Spatial dynamics, cashew cultivation, cashew nuts, food security, dense area of Korhogo

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Introduction Le pays sénoufo (nord de la Côte d’Ivoire) a été pendant longtemps caractérisé par une agriculture de subsistance basée sur les cultures céréalières. Mais dès les années 1960, cette partie du pays bénéficiera de nombreux projet de développement agricole tels que le plan cotonnier et le plan anacardier, conduits par des sociétés de développement pour compenser le déséquilibre agricole entre le Nord et la zone forestière du Sud. Ce nouveau contexte agro- économiques a ainsi entraîné le développement progressif des plantations d’anacardiers et une redéfinition des stratégies d’appropriation des terres disponibles pour une sécurisation du revenu agricole dans une zone où la disponibilité des terres arables se fait de plus en plus rare à cause de la pression démographique ( Le Guen, 2004, cité par Coulibaly, 2018). Ainsi, depuis près de trois décennies, la valorisation du prix bord-champ de la noix de cajou occasionne un engouement des paysans. Celui-ci se traduit par l’augmentation des superficies dédiées à l’anacarde. Cette dynamique de la culture de l’anacarde a conduit à la réduction significative des surfaces destinées aux cultures vivrières. Cette situation compromet la production des vivriers nécessaires pour garantir une sécurité alimentaire des ménages ruraux. C’est notamment le cas de la zone dense du département de Korhogo (chef lieu de la région du Poro) au nord de la Côte d’Ivoire caractérisée par une très forte pression démographique sur l’espace. Dès lors, il est important d’analyser l’impact de la dynamique spatiale de l’anacarde sur la sécurité alimentaire dans cet espace géographique du pays. Cette contribution vise à mettre en évidence l’impact de l’expansion spatiale de l’anacarde sur les rendements de la production vivrière locale de la zone dense du département de Korhogo afin de prévenir la dégradation de la situation alimentaire des ménages ruraux. Il s’agit précisément de décrire les systèmes de cultures et de production agricole dans la zone densément peuplée du département de Korhogo, d’étudier les stratégies de conquête de l’espace par l’anacarde dans la zone de l’étude et montrer les conséquences de cette appropriation des espaces agricoles par l’anacarde sur les cultures vivrières dans la zone d’étude. 1. Données et méthodes Cette étude s’appuie sur un ensemble d’informations collectées à partir d’une recherche bibliographique soutenue d’une enquête de terrain menée du 05 février au 23 octobre 2016 et de juillet à août 2018 dans 06 sous-préfectures de la zone dense1 du département de Korhogo (figure 1). Il s’agit des sous-préfectures de Korhogo (chef-lieu de département), Karakoro, Tioroniaradougou, Dassoungboho, et Napiélodougou. Dans ces sous-préfectures, nous avons retenu 2 à 3 villages par village pour mener cette enquête. Ainsi, 3 villages ont été retenus par village pour les sous-préfectures de Korhogo, Tioroniaradougou, et Karakoro. Dans les sous-préfectures de Dassoungboho et Lataha, Napiélodougou, 2 villages sont retenus par sous- préfecture. Au total, 15 villages ont été choisis (voir tableau 1). La justification de cette démarche réside, non seulement dans notre volonté de couvrir, autant que faire se peut l’espace d’étude, mais aussi dans des critères fondamentaux bien définis. Il s’agit notamment de :

- la proportion de paysans producteurs d’anacarde ; - la pression démographique sur l’espace agricole ; - l’accès facile à ces villages.

1 Selon les informations de COULIBALY S., (1978, p. 58), la zone dense de la région du Poro, anciennement appelée département de Korhogo, se situe à cheval sur les sous-préfectures de Sinématiali, Karakoro, Napiélodougou et surtout Korhogo qui ont les densités les plus élevées.

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Pour le choix des producteurs, la méthode du choix raisonné a été privilégiée, étant donné que c’est une méthode qui n’obéit à aucune justification théorique ni à aucune rigueur statistique (Tano M., 2012, p. 95). Sur cette base, au total 150 producteurs de la noix de cajou ont été enquêtés en raison de 10 producteurs par village (voir tableau 1). Par ailleurs, un questionnaire a été administré aux paysans. Il a été orienté sur leurs systèmes d’exploitation agricole de production de l’anacarde, l’impact de l’anacarde sur la gestion de l’espace agricole et sur les rendements du vivrier du département de Korhogo. Enfin, des entretiens avec des techniciens agricoles de l’Agence Nationale d’Appui au Développement Rural (ANADER) de la zone Korhogo et certains responsables du Centre National de Recherche Agronomique (CNRA) de la direction régionale de la région du Poro, ont permis d’obtenir plus d’informations utiles, notamment en ce qui concerne certaines questions techniques à savoir : la croissance des plans d’anacardes, les rendements à l’hectare, l’impact pédologique de l’anacarde). Toutes ces informations recueillies ont contribué à l’obtention des résultats. Tableau 1 : Répartition des localités enquêtées dans la zone d’étude Producteurs Villages Département Sous-préfectures enquêtés par d’enquêtes village

Nahoualakaha 10 Tioroniaradougou Tioroniaradougou 10 Katia 10

Total Tioroniaradougou 3 30

Loyérikaha 10

10 Karakoro Pangarikaha Pokaha 10 Total Karakoro 3 30

Torgokaha 10 Korhogo Fodonition 10 Bounonkaha 10 KORHOGO Total Korhogo 3 30 10 Napiélodougou Pligakaha Napielodougou 10 Total Napiélodougou 2 20 Fonavogo 10 Dassoungboho Dassoungboho 10 Total Dassoungboho 2 20 Kohotiéri 10 Lathaha Nangakaha 10 Total Lathaha 2 20

Total zone d’étude 6 15 150 Source : Nos enquêtes, février 2016

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Figure 1 : Localisation de la zone d’étude

Figure 2 : Localisation des villages d’enquête

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2. Résultats et discussion 2.1. Systèmes culturaux et développement des cultures vivrières dans la zone dense du département de Korhogo 2.1.1. Des systèmes de culture en mutation dans le pays sénoufo Le système de culture désigne les combinaisons culturales adoptées par les agriculteurs, l’ensemble plus ou moins structuré par eux (Babouin, 1987, p. 358). Autrement dit, c’est le fait de cultiver une parcelle de terre en ayant recours à diverses techniques agricoles dans le but de produire suffisamment de végétaux destinés soit à la commercialisation, soit à l’autoconsommation (Koffi, 2008, p. 5 ; Gbodjé, 2018, p. 163). Partant de ce concept, comment se présente le système de culture dans le département de Korhogo en général et dans la zone dense dudit département en particulier ? 2.1.2. Des systèmes de cultures peu ravageurs de l’espace agricole à l’origine En pays sénoufo, l’originalité de la civilisation a su conférer à son terroir (territoire agricole du village) le caractère d’une mine inépuisable. Comme la souligné Coulibaly (1978, p. 65) et bon nombre de chercheurs tels que les ethnologues, les sociologues, les historiens, l’observation du terroir sénoufo permet de découvrir diverses morphologies agraires dans l’espace. Les terroirs paraissent crées d’une façon anarchique, suivant l’inspiration de chaque paysan. Mais à l’analyse, on constate qu’ils procèdent d’une logique interne qui aboutit à la naissance des principaux types agraires parmi lesquels on note le continuum de champ qui est celui de la zone dense du département de Korhogo (Korhogo-Tioroniaradougou-Napiélodougou-Karakoro). Ici, les champs et les jachères (rares) se succèdent en un véritable continuum. Alors, ce qui est important de notifier de ce constat est que du fait de l’expansion progressive de la culture de l’anacardier, à la fin des années 1970, les jachères sont devenues rares dans la zone de l’étude. Les résultats de nos enquêtes appuyés par ceux de Coulibaly (op.cit. p. 67), montrent que le stock des plantes cultivées par les paysans sénoufo a été constitué progressivement par suite d’acquisition successive et au hasard des rencontres de différentes civilisations. Plusieurs techniques agricoles permettent l’exploitation de chacune de ces plantes. À l’origine, le système de culture pratiqué par le paysan sénoufo est la monoculture. Ce système était pratiqué pour la production du mil (aliment de base) sur des superficies allant de ¼ d’hectare à 1 hectare par ménage. Tout au plus, il l’associait au sorgho. Même avec l’introduction de nouvelles cultures comme le maïs, l’arachide, le riz, la production se faisait toujours en monoculture. Cette pratique agricole révèle un caractère originel du paysan sénoufo, c'est-à-dire, la prudence à l’égard de toute innovation agricole. Il reste prudent avec l’adoption de nouvelles cultures car il ne veut pas compromettre par une association de culture, la productivité de la culture traditionnelle qui est le mil qui occupe d’ailleurs une place de choix dans l’alimentation de celui-ci. Par ailleurs, la production manuelle à l’aide d’équipements rudimentaires tels que la daba, la houe et la machette, imposait au paysan sénoufo, l’exploitation de petites superficies. De plus, celui-ci sera confronté à des contraintes naturelles (unicité et brièveté de la saison des pluies) et l’archaïsme des outils de production agricole utilisés à la production. Devant ces difficultés, il naît chez le paysan une volonté de produire un peu de toutes les cultures sur un même espace agricole dans le but de diversifier son alimentation. Il va donc expérimenter l’association culturale sur une même parcelle d’exploitation comme l’indique la planche 1.

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Ainsi, l’on peut rencontrer aujourd’hui en pays sénoufo des associations de cultures telles que : - Igname-maïs ; - Riz-maïs ; - Igname-riz pluvial ; - Coton-anacarde ; - Coton-maïs, etc. Planche 1 : Des parcelles de cultures en association à Loyérikaha (photo 1) et à Napié (photo 2)

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Source Prises de vue Silué, août 2016 Sur ces deux photographies, on observe deux parcelles de cultures en association. Dans la photographie de la gauche, on observe une association maïs-arachide-patate-gombo. Dans celle d’à droite, on a une association de deux cultures vivrière que sont le riz et le maïs. En analysant cette planche, l’on constate qu’en zone densément peuplée, le paysan entreprend d’intensifier à sa manière, la production de son champ en lui faisant supporter beaucoup plus de cultures à la fois. Dans ce système cultural, le paysan est conduit par une logique qui est celle de prioriser les cultures en tenant compte des besoins nutritionnels de chaque culture associée. Par exemple, la récolte du maïs précède celle des autres cultures, ensuite suivra l’arachide et ainsi de suite. Cependant, comme l’a souligné Coulibaly (1978, p. 205), l’une des faiblesses de ces systèmes culturaux, c’est que le sol n’est pas spécialement aménagé pour lui conserver sa fertilité. Cette situation est encore plus alarmante dans la zone dense du département de Korhogo où la pression démographique sur le foncier ne permet plus un abandon en jachère des terres épuisées. L’utilisation des fertilisants s’impose donc aux paysans dans un contexte d’inaccessibilité aux produits phytosanitaires du fait de la pauvreté des ménages ruraux de la zone de l’étude. En plus, l’observation faite par le paysan et son expérience ont fini par lui prouver que le même champ ne peut pas porter indéfiniment, chaque année, les mêmes associations culturales, d’où l’innovation culturale. Elle s’appuie sur la pratique de la rotation culturale. Plus de 80% des paysans adoptent aujourd’hui cette nouvelle méthode. Le paysan alterne les cultures en fonction de leur impact sur les propriétés du sol. Il est donc passé de la monoculture du mil à la polyculture en pratiquant diverses associations et rotations culturales. Mais comment ce système cultural se présente-t-il dans la zone dense sénoufo ? En effet, il importe de noter que la forte pression démographique dans cette partie de la région du Poro engendre une insuffisance des terres cultivables. Ainsi, pour remédier à cet état de fait, le paysan sénoufo a recours à l’intensification agricole. Cette stratégie de production agricole va se

150 renforcer avec la mise à disposition du paysan, des produits phytosanitaires (engrais, pesticides, herbicides). Ces innovations s’inscrivent dans la politique de l’État ivoirien soucieux de promouvoir le développement d’une économie de rente dans le nord ivoirien. À cette occasion, trois objectifs ont été retenus parmi lesquels l’intensification agricole (Coulibaly, 2018, p. 8). L’impact de ces innovations se fait sentir sur les rendements vivriers surtout au cours de la période de dégradation du marché du coton. Cette amélioration des rendements de la production vivrière issue de l’utilisation des engrais chimiques favorise une disponibilité de vivres post- récolte pouvant assurer une sécurité alimentaire des ménages et la capacité des ménages à approvisionner les marchés de la région. 2.1.3. Des systèmes culturaux de l’anacarde : une appropriation l’espace agricole Suite au projet de reboisement initié par l’État ivoirien après l’indépendance du pays en 1960, la culture de l’anacarde s’est très vite transformée en première richesse agricole des paysans de la région nord de la Cote d’Ivoire, en générale et de ceux de la zone dense du département de Korhogo, en particulier. Aujourd’hui, l’anacarde appelé « l’Or brun » du nord est l’espoir des régions de savane (Tuo, 2007, p. 6). En effet, l’anacardier est la seule culture pérenne sur laquelle les structures de développement ont le moins investi en Côte d’Ivoire. Sa diffusion massive et son introduction dans les systèmes de production paysans ont été l’œuvre des producteurs eux-mêmes. C’est donc de manière spontanée et sans encadrement technique que la culture de l’anacardier s’est enracinée dans la région du Poro (ANADER, 2016). L’amélioration continuelle du prix bord-champ de la noix de cajou depuis 1991 est à la base du bouleversement des gouvernances foncières constatées dans la zone dense du département de Korhogo. Entre 1991 et 2016, le prix de commercialisation de la noix de cajou connaît une évolution significative comparativement à celui du coton. Sur cette période, on note que le prix du coton passe de 90 F CFA/kg en 1991 à 265 F CFA/kg en 2016, alors que celui de la noix de cajou passe de 85 F CFA/kg en 1991 à 440 F CFA en 2016 (ARECA, 2016).

Source : ARECA (2016) et nos enquêtes, mars 2016

Figure 3 : Prix bord-champ du coton et de la noix de cajou de 2010 à 2016

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L’analyse de la figure ci-dessus montre de façon générale que les prix bord-champ de la noix de cajou sont élevés que ceux du coton sur la période 2010-2016. Seul en 2013, le prix du coton acheté aux paysans dépasse de 15 FCFA celui de la noix de cajou. En 2015 et 2016, le prix d’achat de la noix de cajou dépasse largement celui du coton. La différence des prix est de 325 FCFA en 2015 et 350 FCFA en 2016 pour la noix de cajou contre un prix stable de 250 FCFA pour la même période (2015-2016). Sur les marchés de la région du Poro, le prix bord-champ du kilogramme de noix de cajou a pu atteindre la barre de 700 F CFA, c'est-à-dire environ le double du prix fixé par l’État ivoirien. L’explication donnée par certains producteurs réside dans le fait que les acheteurs eux-mêmes estiment que l’augmentation du prix bord-champ leur est profitable en tant qu’intermédiaires entre les producteurs et les acheteurs-exportateurs. Pourtant, cette différence de prix soulève une préoccupation quant au lieu de transit de l’exportation de ce produit acheté sans respect des règles commerciales telles que fixées par l’État. Il faut souligner que l’État ivoirien mène une campagne de sensibilisation contre la vente des noix de cajou sur les marchés des pays limitrophes. Cependant, si le circuit d’exportation de la noix de cajou acheté à un prix élevé que celui fixé par l’État de Côte d’Ivoire est à l’origine de plusieurs interrogations, les producteurs semblent se frotter les mains dans ce contexte qui selon eux, leur est profitable. En prenant l’exemple du prix bord-champ de 2017 qui était de 440 F CFA/kg, le paysan obtient une marge bénéficiaire minimale de 340 F CFA/kg après déduction des charges d’exploitation. Ce gain économique important constitue l’un des principaux facteurs incitateurs pour les producteurs de noix de cajou selon l’ARECA. Ainsi, ces facteurs encourageants poussent les paysans à s’adonner davantage à la création ou l’agrandissement des plantations d’anacardiers dans la région du Poro. Par ailleurs, cet engouement des paysans pour la production de la noix de cajou n’est pas typique à la Côte d’Ivoire. Le même constat a été fait par Sokemawu (2004) dans le département de Tchamba au Togo. Dans cette partie du Togo, le développement récent de la culture d’anacardiers se fait au détriment de celle du coton comme c’est cas aujourd’hui dans la zone septentrionale de la Côte d’Ivoire, notamment dans la région du Poro. Elle constitue une nouvelle stratégie paysanne de diversification agricole face à l’amenuisement de la rentabilité économique cotonnière. Même si les parcelles de coton sont favorables à la rotation culturale sans parler des arrières effets des fertilisants de celui-ci pour le vivrier, les paysans optent pour l’anacarde (une culture pluriannuelle, en moyenne 30 ans) qui admet un calendrier de travail beaucoup moins contraignant et moins exigeant en fertilisants. En plus, le calendrier d’entretien des plantations d’anacarde n’a pas d’impacts véritables sur le calendrier agricole senoufo. La période d’entretien des vergers se situe entre janvier et février où les récoltes des cultures vivrières et/ou du coton sont quasiment terminées. 2.1.4. Anacarde et mutation de la gouvernance foncière dans la zone dense du département de Korhogo La gestion coutumière du foncier rural dans la région du Poro est caractérisée par une appartenance de la terre à la communauté lignagère. Sa gestion est confiée au descendant le plus âgé du lignage et résidant dans le village. Dominée par le système matrilinéaire, la succession en pays senoufo se fait de l’oncle au neveu. Ce principe de collectivisme exclut toute initiative d’appropriation du droit de propriété individuelle. Seul le droit d’usage est admis et les moyens d’exploitation sont le prêt, le don et l’héritage. Avec le don, la production de culture pérenne est exclue. Quelle que soit la forme d’attribution de la parcelle, elle ne confère pas une cession

152 définitive de la parcelle. L’exploitant n’est qu’un usufruitier. Même l’héritier lignagère n’a pas un droit d’aliénation exclusif. Celui-ci n’est qu’un simple gestionnaire transitoire. Mais cette gouvernance foncière va connaitre une mutation avec l’introduction, d’abord du coton (culture annuelle). En effet, la recherche du gain et les avantages liés à l’adoption du coton remettent en cause les modalités du droit d’usage collectif des terres du lignage. Ces changements se généralisent sous l’effet des incitations permanentes des conseillers agricoles de la Compagnie Ivoirienne pour le Développement du Textile (CIDT) et en raison de la mauvaise gestion du revenu cotonnier des champs collectifs par les chefs de lignages qui s’accaparent le revenu agricole (Coulibaly, 2018, p. 15). Ensuite, le développement de l’arboriculture comme l’anacarde vient renforcer davantage la détérioration du titre du chef de lignage en tant que gestionnaire exclusif des terres de la famille matriarcale. Si le développement des cultures annuelles favorise ou impose la restitution des terres après chaque récolte, ce n’est pas le cas avec la production de l’anacarde (culture pérenne). On peut ainsi dire que la culture de l’anacarde entraîne la mutation des droits d’usage traditionnel en droit d’aliénation sur la ressource foncière. Audouin et Gonin (2014) cités par Coulibaly (op. cit. p.15), montrent que le droit acquis sur les arbres se transforme en droit de propriété sur la parcelle. Ces transformations de la propriété foncière pourraient être imputables à la pression démographique avec pour conséquences la rareté des terres cultivables et la dégradation des sols par le coton. Ainsi, dans l’objectif de devenir propriétaire de parcelle de terre, les bénéficiaires mettent progressivement en place des plants d’anacardiers. Cette situation est favorable à l’expansion des vergers d’anacarde dans la zone dense du département de Korhogo. Elle favorise également des conflits fonciers entre gestionnaires traditionnels de lignages et membres de lignages. 2.2. Impact de l’anacarde sur la production vivrière dans la zone dense du département de Korhogo

2.2.1. Les facteurs de la diffusion spatiale de l’anacarde Aujourd’hui, la filière anacarde cherche encore ses repères malgré l’importance qu’on lui accorder dans le système économique du pays. L’économie de la région Nord de la Côte d’Ivoire s’est longtemps reposée sur la production cotonnière. Mais le constat est que depuis les années de désengagement de l’État ivoirien du secteur agricole à la fin des années 1990, le système de production cotonnière se dégrade de plus en plus selon l’ARECA. À la suite de la crise cotonnière s’est créé un environnement propice à l’émergence ou au développement de la filière anacarde (Tuo, 2007, pp. 6-8). Cependant, la filière anacarde souffre de plusieurs maux tels que le manque d’un véritable encadrement des producteurs, la complexité du circuit de commercialisation, le manque de financement, la destruction des noix de cajou par les insectes et l’augmentation sans cesse des pisteurs véreux. Mais à la réalité, les producteurs travaillent à l’avantage des acheteurs-exportateurs de la noix de cajou. Malgré tous ces écueils, les paysans estiment que l’avenir de la noix de cajou demeure prometteur sur le marché. L’anacarde représente pour eux le même intérêt que le café et le cacao représentent pour les populations des zones forestières du Sud du pays. Dans la zone d’étude, le constat est une évidence de cet espoir que représente l’anacarde, au vue de l’étendue des exploitations. Les producteurs estiment que, quel que soit le prix du kilogramme de la noix de cajou, ils sont sûrs qu’après la vente, ils obtiendront en espèce de l’argent contrairement au coton dont la production et la commercialisation sont contrôlées par les Compagnies cotonnières auxquelles les cultivateurs sont assujettis en termes de gains.

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Au niveau des revenus de l’anacarde, il faut noter qu’il existe une disparité d’une localité à une autre. L’importance des gains des paysans est liée à la taille et aux rendements des vergers. Dans la sous-préfecture de Tioroniaradougou et dans les villages de la banlieue de la ville de Korhogo, on note, non seulement de très petites exploitations (moins d’un ha) mais aussi des rendements faibles par rapport aux sous-préfectures de Napiélodougou, de Karakoro, de Dassoungboho et de Lathaha. Plusieurs explications sont retenues pour cette variation des rendements dans la zone dense du département de Korhogo. D’abord, on a l’insuffisance d’espace agricole du fait de l’émiettement des parcelles entre plusieurs familles et la proximité des villages qui empêche la création de grandes exploitations d’anacarde, notamment dans la sous-préfecture de Tioroniaradougou et la banlieue de la ville de Korhogo. Ensuite, la nature des propriétés physiques du sol conditionne les rendements de la noix de cajou à l’hectare. Les sols sont généralement pauvres en nutriments utiles à la production des plants. Malgré ces difficultés, paradoxalement, dans toute la zone d’étude, l’on assiste chaque année à la création de nouvelles plantations d’anacarde tandis que le nombre de producteurs de coton diminue fortement. Le constat sur le terrain révèle les résultats suivants : - Aujourd’hui, en moyenne 5/10 des ménages produisent l’anacarde contre seulement 1/10 qui cultive encore du coton dans la sous-préfecture de Tioroniadougou et la banlieue de la ville de Korhogo; - Dans les sous-préfectures de Napiélodougou, Karakoro et de Dassoungboho, en moyenne 6/10 des ménages sont propriétaires de vergers d’anacarde contre 4/10 qui cultivent encore du coton. Cependant, il faut noter que dans la sous-préfecture de Napiélodougou, même si l’anacardier a marqué son « territoire », la production du coton demeure encore significative dans les systèmes agricoles paysans et une source importante de revenus. Dans la plupart des cas, le coton est cultivé en monoculture, comme l’indique la photo 1, alors que la logique paysanne aurait voulu qu’on l’associe aux cultures vivrières pour assurer la sécurité alimentaire des producteurs et de leurs familles. Photo 3 : Une exploitation cotonnière à Houafiakaha dans la sous-préfecture de Napielodiougou

Source : Prise de vue Silué, juillet 2016

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2.2.2. Les techniques de conquêtes de l’espace par l’anacarde : du système d’association de culture à l’abandon du champ à l’anacarde L’anacardier est une culture pérenne avec une durée moyenne de 30 ans d’exploitation, comme déjà indiqué plus haut. Mais à cause de la raréfaction d’espaces agricoles dans la zone dense de la région du Poro, le déplacement du front pionnier de la culture de l’anacarde se fait très rarement. Certaines plantations d’anacardier ont aujourd’hui plus de 40 ans d’existence. À l’origine de son introduction, l’anacarde était planté en monoculture dans le seul but de la reconstitution du couvert végétal (Koffi Y., 2005, p. 12). Ce système de culture a été favorable au début des années 1960 par une relative disponibilité de l’espace agricole. La création d’une plantation d’anacarde admet deux utilisées par les paysans. La première méthode repose sur la production de pépinières sur la base d’une sélection de belles noix. Lorsque ces noix ont germé et donné de jeunes plants, les planteurs préparent la parcelle où seront transplantées les plantules. La deuxième méthode la plus répandue à laquelle a recours la majorité des paysans dans la zone dense du département de Korhogo, est celle qui consiste à semer directement deux à trois noix par trou. Cela sous-entend que le paysan a au moins la certitude qu’une noix peut germer et pousser. Aussi faut-il noter que les paysans ne sont pas techniquement encadrés. Donc, ils cultivent selon leur bon vouloir. Dans les plantations visitées, l’observation de la disposition en désordre des arbres montre que les paysans n’ont aucune formation, ni de notion sur les espacements et l’ordre de plantations des anacardiers, comme le recommande l’Agence National d’Appui au Développement Rural (ANADER). On peut ainsi dire que la majorité des paysans ignorent les itinéraires techniques modernes de plantation d’anacardiers. Selon cette structure agricole, non seulement les anacardiers doivent être plantés en rangées, mais aussi le paysan doit respecter l’équidistance entre les plants est de 10 mètres en longueur comme en largeur. Sur la même parcelle de semis direct des noix de cajou, l’agriculteur associe d’autres cultures telles que le riz, le maïs l’igname, le coton, l’arachide dès le début de la mise en place de la plantation comme l’indique la planche 2. Cette technique culturale permet aux paysans d’assurer la disponibilité alimentaire durant les trois premières années d’évolution des plants d’anacardiers. Au-delà de la quatrième année, les plantes forment une couronne fermée ; ce qui rend inapte la culture des vivriers et les risques d’insécurité alimentaires sont grands. L’association culturale à base anacardiers est une technique qui favorise l’entretien permanent des plants et facilite leur croissance rapide.

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Planche 2 : Stratégies de création de plantation d’anacardiers à Karakoro et Dassoungboho [Anacardiers associés au maïs (photo 4) et au coton (photo 5)] Source : Prises de vue Silué, juillet 2018 4 5

Source : Prises de vue Silué, juillet 2018

Le paysan pratique la rotation les culturale à base d’anacardiers. Les vivrières et le coton sont cultivés en alternance sur la parcelle dans les champs d’anacardiers selon les saisons de culture pour des impératifs alimentaires et économiques. La photo 4 a été prise au moment où le paysan cultivait du maïs, entre juillet et septembre et la photo 5 au moment où il cultivait le coton entre Octobre-novembre. La quatrième année, le paysan se voit obligé d’abandonner le champ à la seule culture de l’anacarde, puisque les plants d’anacardiers ont commencé à former une couronne ombrageuse qui ne permet plus d’y cultiver (voir tableau 2 ci- après). Tableau 2 : De l’association des cultures à l’abandon de la parcelle à l’anacarde

Années de production agricole Association des cultures sur une même parcelle 1ere année Riz + maïs + anacarde/Coton + anacarde

2eme année Arachide + maïs + anacarde + coton

3eme année Arachide + légumes + anacarde

eme 4 année Anacarde

Source : Nos enquêtes, 2016 Il ressort de l’analyse de ce tableau que le système de production de l’anacarde est de tout temps associé à la culture du coton et des vivriers. Aujourd’hui, dans l’ensemble de la zone d’étude, il est quasiment impossible de trouver des parcelles de terres qu’on pourrait dédier à la production des vivriers ou de coton en monoculture. En réalité, il n’y a plus suffisamment de terres libres pour produire abondamment des vivriers. On est même arrivé à un stade où la forte pression foncière exacerbées par la création des plantations d’anacardiers laisse peu de marge de manœuvre aux paysans à assurer convenablement leur sécurité alimentaire. Ainsi, pour produire de la nourriture ou du coton pour assurer des revenus économiques, les paysans cultivent temporairement à l’intérieur des vergers d’anacardier. Mais une fois que les anacardiers ont grandis, les paysans ne peuvent plus y cultiver à cause de la couronne du feuillage et de l’ombrage, et ce, à partir de la quatrième année (voir photo 6).

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Photo 6 : Une plantation d’anacarde à Torgokaha

Source : Prise de vue Silué, février 2016 Par cette technique de création des plantations d’anacarde, les espaces agricoles du vivrier disparaissent progressivement au profit de l’anacarde. Ainsi, les rendements du vivrier diminuent et compromettent gravement la sécurité alimentaires des ménages ruraux étant donné que les revenus du coton ne garantissent pas convenablement le pouvoir d’achat des ménages ruraux pour leur permettre de se procurer des denrées alimentaires sur les marchés ruraux et urbains. En milieu rural, les revenus de l’anacarde ne sont pas en grande partie destinés à l’achat des denrées alimentaires, mais plutôt à leur affectation à plusieurs charges qui confirmeraient la réussite sociale du paysan. Par exemple, il engage des dépenses liées à la construction d’un habitat amélioré, à la scolarisation des enfants, à la santé, aux funérailles, etc. Seulement 23% des revenus sont destinés à l’achat de nourriture (voir figure 4 ci-après).

Source : nos enquêtes, 2017 Figure 4 : Répartition des dépenses des revenus de l’anacarde dans la zone dense du département de Korhogo

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Il ressort de l’analyse de la figure que les revenus de l’anacarde sont destinés à 23% à l’achat de la nourriture, 20% aux dépenses funéraires, 19% pour les dépenses relatives aux intrants agricoles et aux biens d’équipement, et respectivement 6% et 3% à la santé et à l’élevage. La construction d’une maison moderne est pour le paysan un indicateur de la réussite sociale et de la valeur économique de l’anacarde. Avoir deux sources de revenus s’il est aussi producteur de coton. Dans ce cas, avec des revenus consistants, il peut par exemple se permettre de nourrir sa famille et subvenir aux besoins essentiels de celle-ci, notamment la construction de plusieurs maisons modernes, l’achat d’habits, d’appareils électroménagers, de véhicules (voiture ou moto), les portables téléphones, etc. La perception paysanne relative à l’achat des denrées alimentaires avec l’argent d’anacarde diverge d’un paysan à un autre dans l’ensemble de la zone d’étude. Au total, 85% des paysans enquêtés estiment que, non seulement l’expansion de la culture de l’anacarde les empêche de cultiver convenablement les produits alimentaires à cause de la quasi-annexion des terres agricoles, mais aussi, les revenus issus de la vente des noix d’anacarde, ne suffisent pas assez pour acheter régulièrement de la nourriture toutes les saisons pour nourrir leur famille respective. Ces paysans n’ont pour seules sources de revenus que les recettes d’anacarde. Ils sont par conséquents exposés à un risque d’insécurité alimentaire toute l’année. Seulement 5% parviennent selon eux, à acheter de la nourriture au cours de l’année, en ce sens qu’ils ont des revenus issus de la vente des noix de cajou et du coton. Ce sont les des paysans aisés comparativement à ceux qui ont une seule source de revenus issue de la vente de l’anacarde. De tout ce qui précède, on retient que l’accaparement de l’espace agricole du vivrier par l’anacarde impact négativement le niveau de production vivrière des ménages dans notre espace d’étude, la région dense du département de Korhogo. Dans l’ensemble, les paysans sont conscients de la diminution de l’espace production des vivriers au profit de l’anacarde et les risques certains d’insécurité alimentaire qui se profilent à l’horizon. Dans ce contexte d’amenuisement des espaces agricoles, les autorités politiques devraient attirer l’attention des paysans sur l’insécurité alimentaire qui les guette en les encourageant à délimiter des blocks de parcelles qui seront destinées essentiellement aux cultures vivrières. De plus, il faudrait revaloriser les prix bord-champs des noix de cajou aux producteurs et les maintenir pérennement, en mettant hors d’état de nuire tous les acheteurs et les intermédiaires véreux. En définitive, la maîtrise du marché par le mécanisme de la transformation industrielle des noix de cajou en produit fini, peut apporter des plus-values aux paysans et améliorer par conséquent leurs conditions de vie. 3. Discussion L’objectif de cet article a été de mettre en évidence l’impact spatial de l’anacarde sur les rendements de la production vivrière locale de la zone dense du département de Korhogo. Dans le nord de la Côte d’Ivoire et particulièrement dans la zone dense du département de Korhogo, les plantations d’anacardiers connaissent une expansion extraordinaire. Cette dynamique d’occupation spatiale des vergers d’anacarde au détriment des superficies de vivriers est due, à la fin des années 1980, à la valorisation économique de l’anacarde par l’Etat ivoirien, notamment auprès des paysans du Nord du pays. Koffi Y. (2005, pp. 14-17) ne dira pas le contraire dans sa thèse où il met en valeur la dimension économique de la plante depuis son introduction en Côte d’Ivoire en 1968, grâce à la commercialisation de la noix de cajou. Cette valorisation économique de l’anacarde s’est traduite par la volonté des pouvoirs publics de créer la SOVANORD (Société de Valorisation de l’Anacardier du Nord) en 1972, puis la

158 construction d’une usine de transformation de la noix de cajou dénommée A.I.C.I (Anacarde Industrie de Côte d’Ivoire) en 1975. Touré M., (1997, pp. 13-15) souligne que l’essor de la culture d’anacarde au Nord du pays est consécutif à l’effondrement des cours du marché du coton à partir de 1990. Pour lui, c’est la détérioration du marché du coton, seule source de revenu des paysans, qui a favorisé l’intérêt et l’engouement de la culture de l’anacarde auprès des paysans. On assiste dès lors à une forte croissance des superficies d’anacardiers au point où les parcelles de terre qui étaient dédiées à la production des vivriers, sont quasiment annexées par cette spéculation. Cette expansion spatiale de l’anacardier se vérifie par les résultats enregistrés au niveau de la région d’étude et au plan national, tant pour les rendements à l’hectare que pour les superficies. Entre 1990 et 2011, la production de la noix de cajou a accru de plus de 60% et occupe environ 75% de l’espace (ANADER, 2012). Au plan national, les superficies cultivées sont passées de 8.220 hectares en 1970 à 450.000 hectares en 2008 et la production est estimée à 11% en moyenne par an entre 2011et 2014 et (ARECA, 2009 ; Ministère de l’Agriculture, 2015). La stratégie d’adaptation paysanne aux mutations économiques en milieu rural n’est pas typique en Côte d’Ivoire. Il est aussi observé ailleurs, notamment au Togo selon Sokemawu (2004) cité par Coulibaly (op.cit.). Pour l’auteur, le développement récent de la production d’anacarde dans ce pays se fait au détriment de celle du coton. De plus estime Basset (2002), le développement de l’anacarde accentue la mutation de la gouvernance foncière. L’anacardier est de ce fait, devenu un indicateur de propriété foncière comme une preuve judiciaire au sens traditionnel. Si l’anacarde constitue une source importante de revenus pour l’ensemble des paysans dans toute la région du Nord du pays, il n’en demeure pas moins qu’en tant qu’une plante pérenne, l’expansion de sa culture est un frein au développement des cultures vivrières. En effet, l’extension des champs d’anacardiers empiète sur les parcelles qui servaient à la production des cultures vivrières pour répondre aux besoins alimentaires des paysans. Aujourd’hui, la raréfaction des terres arables à mettre en valeurs pour la production des vivriers expose les populations de la région du Poro, précisément celles de zone dense du département de Korhogo, à une insécurité alimentaire. Même les revenus engrangés de la vente des noix de cajou se trouvent insuffisants pour faire face à toutes les charges domestiques de la majorité des paysans (plus de 60%), notamment en ce qui concerne l’achat de nourriture tout une année agricole pour la nourriture des familles. On rencontre cette même situation principalement dans le Département de Bondoukou, le principal front pionnier de production d’anacarde en Côte d’ Ivoire, comme le souligne Kouakou K., (2017, p. 10) dans ses travaux de recherche sur cette région située dans le Nord-est du pays. Conclusion L’anacardier a été introduit en Côte d’Ivoire en 1968, notamment dans les régions septentrionales pour lutter contre la déforestation et la dégradation des sols. Mais ce n’est seulement à partir des années 1990 que sa culture a pu susciter auprès des paysans, un engouement à cause de sa rentabilité économique. Autrefois marginalisé dans le système économique des paysans au profit de la culture du coton, l’anacarde est devenu, depuis environ trois décennies, ce qu’est le cacao pour les paysans des zones forestières du pays. Si l’expansion de la culture de l’anacarde s’est accrue dans le milieu agraire senoufo, singulièrement dans la zone dense du département de Korhogo, on peut dire qu’elle est consécutive à la rémunération des prix bord-champs et à la dévalorisation des cours du coton. L’embellie des prix a donc poussé les paysans à s’intéresser massivement à la culture de

159 l’anacarde, au point où toutes les parcelles qui servaient de sites de production des vivriers sont aujourd’hui annexées. L’amenuisement des espaces de cultures vivrières expose par conséquent, les populations à un risque d’insécurité alimentaire d’autant plus qu’ils n’ont plus suffisamment de parcelles cultivables pour produire les vivriers pour satisfaire leur autoconsommation. Ainsi, pour éviter un drame alimentaire aux paysans, des actions concrètes doivent être menées pour améliorer la situation. Pour ce faire, il faudrait par exemple mettre à la disposition des paysans, des variétés de noix de cajou améliorées à haut rendement, de sorte à éviter l’extensivité des plantations d’anacardier, car c’est un système considéré comme consommateur d’espaces. De plus, il est bien de renforcer l’encadrement des paysans producteurs surtout en ce qui concerne le respect des espacements entre les plants d’anacarde. Cela permettrait d’augmenter leur rentabilité des champs avec en prime, l’augmentation du revenu des paysans. D’autre part, l’intensification l’exploitation des bas-fonds devrait être une préoccupation majeure pour les décideurs politiques et économiques dans la zone dense de Korhogo, mais au-delà, dans tout le pays pour assurer une bonne sécurité alimentaire à la population grâce à la production des vivriers tels que les légumes et principalement le riz pour lequel l’État engloutit environ 140 milliards francs CFA/an en importation (Ministère du commerce, 2012). Références bibliographiques Abiali M., 1998. Anacarde à Odienné : le projet promis à un avenir certain in Fraternité Matin n°10134 du mercredi 29 juillet 1998, pp. 12 ANADER., 1997. Fiche technique économique de l’anacardier, Abidjan, Direction générale, Rapport, 2 p. Badouin R., 1987. Le système productif en agriculture : « L’analyse économique du système productif en agriculture » in Cahier des Sciences Humaines ; 23 (3-4) 1987 : pp. 357-375. Coulibaly M., 1999. Contraintes et stratégies de développement des exportations non traditionnelles en Côte d’Ivoire : Etude du cas de l’anacarde, Abidjan UFR SEG, université de Cocody. Coulibaly S., 1977. La problématique de la reconstitution du couvert arboré dans la zone dense de Korhogo, in Anales de l’université d’Abidjan, série G. VII tome, pp. 10-35. Coulibaly T. H, 2018. Développement agricole et gouvernance foncière à Tioroniaradougou (Nord de la Côte d’Ivoire), EchoGéo [en ligne] http://journals.openditionorg/echogeo/15192; DOI:10.4000/echogeo/15192, (consulté le 08/04/2018). Coulibaly T. H., 2016. Analyse de la dynamique de l’occupation du sol dans le terroir Kiembara de 1986 à 2015 (Nord de la Côte d’Ivoire), Regard Sud, IGT, Abidjan, pp. 1-12. Courade G., 1996. Entre libéralisation et ajustement structurel : la sécurité alimentaire dans un étau, in Cahiers d’études et de recherches francophones (agricultures) 1996 ; 5 (4), Paris, John Libbey Eurotext, Aupelf-Uref, pp.221-227. Djabaté G., 2002, Analyse du secteur de l’anacarde : situation actuelle et perspective de développement, rapport d’activité CNUCED/OMC (CCI), Abidjan, 34 p. Gbodjé J.-F. A., 2018. Développement de la cacao-culture et mutations socio-spatiales dans le département de Lakota (sud-ouest ivoirien), thèse de doctorat unique de Géographie, UFR/CMS, Université de Bouaké, 398 p.

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