Maria Casarès : Esquisse D'une Tragédienne (1922-1996) Par Séverine Mabille
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Maria Casarès : Esquisse d'une tragédienne (1922-1996) par Séverine Mabille ( Séverine Mabille signe dans le mensuel Rappels les articles consacrés à l’histoire du théâtre. Elle a également collaboré à divers ouvrages comme Le dictionnaire international du bijou, Phèdre : Le choix de l'absolu ou Suzanne Lalique-Haviland, Le décor réinventé. Conférencière et Chargée de missions dans plusieurs musées, elle a aussi mis en scène quelques correspondances dans des “ lieux de mémoire ”. Elle travaille aujourd’hui avec des comédiens ou des metteurs en scène comme Anne Delbée). Maria Casarès dans Le Malentendu d' Albert Camus (photo Roger-Viollet) Dans son livre, Résidente privilégiée, Maria Casarès évoque sa terre natale nous offrant un portrait d'elle en taille douce : « Les fées qui ont présidé à ma naissance, l'éducation reçue, la courte existence dans les douces terres galiciennes frappées par l'eau de l'Atlantique, m'ont dotée de quelques trésors. Une santé à toute épreuve, le sens du balancement des saisons, le goût de la nature en partant du naturel, le pouvoir de concentration, l'imagination, un intérêt passionné pour le cœur humain, l'attrait du mystère, la quête d'univers poétiques, le dégoût de la vulgarité où qu'elle se trouve, les richesses de la solitude, un caractère fort, la générosité, l'amour de ceux qui m'avaient faite, la fierté de ce qu'ils m'avaient donné, La familiarité des textes, des rituels, de la musique, du spectacle théâtral, une prescience de la vie publique, des marées humaines, des vanités de la gloire ; et surtout le sens du sacré, une acceptation vivante, profonde et véhémente devant la vie et la mort et l'ébauche d'un désir pour réussir l'une et l'autre en essayant d'en chercher ou de leur donner un sens. Ces dons portaient avec eux leurs revers et la sauvagerie, la peur des villes, un individualisme forcené dans une époque qui nous mène tout droit à la fourmilière, le besoin féroce d'indépendance et de vie multipliée, la démesure une morale personnelle mais rigoureuse en prise avec la revendication constante des libertés, les inhibitions nées de l'orgueil, une répulsion pour la foule et aussi un penchant certain vers un redoutable despotisme inconscient d'abord, révélé ensuite, déguisé en fin et que je dois encore combattre comme la violence, malgré ce remarquable exutoire qu'est le théâtre (…) Mais quand je pense à ce labyrinthe qu'est l'homme et à ses sublimes ambiguïtés, je ne sais plus où se cachent la fée et la sorcière, et mon émerveillement devant cette infinie complexité, c'est encore là, durant mon enfance, en Galice, que je l'ai découvert. » Maria-Victoria débarque à Paris avec sa mère, Gloria, à l'automne 1936, à l'âge de 14 ans. Son père, Santiago, ministre du gouvernement républicain, les éloigne par crainte de l'avancement des troupes franquistes. Avocat de formation, dandy de surcroit, il n'hésitait pas à rédiger certains actes en vers. Il sera l'une des références de sa fille, tout au long de sa vie, au même titre qu'Albert Camus. Quatre plus tard, elle suit une amie au Conservatoire. Béatrix Dussane consigne ses premières impressions dans son journal : « Ce matin, un petit événement. Colonna Romano m'amène une jeune espagnole aux yeux verts, aux épais cheveux noirs. Elle est réfugiée à Paris avec sa mère. La petite est menue, avec un air un peu de chèvre sauvage, et pourtant une curieuse diction. Elle parle encore très imparfaitement le français, et – catastrophe ! - me passe Sylvia du jeu de l'amour ! Si elle doit un jour être quelque chose, ce qui ne paraît pas impossible, elle ne sera jamais Sylvia. Elle se nomme Maria Casarès. En dehors de la scène, elle n'a pas dit quatre paroles. Ou sera-t-elle l'année prochaine ? J'aimerais la revoir... » L'année suivante, Casarès intègre sa classe : « Elle demeure infiniment séduisante, et tout autant mystérieuse. Correcte, parfaitement élevée, déférente même, je ne la sens cependant encore véritablement attachée à la classe. Elle manque souvent. Quand elle revient elle dispose, pour excuser son absence, de prétextes si bien choisis, présentés avec tant de charme que ne pas feindre de les croire serait manqué de respect que mérite toute parfaite œuvre d'art (…) Casarès est de ces natures à qui il faut laisser la paix d'abord, si on veut pouvoir exercer sur elles quelques bienfaisantes influences, parce que les disciplines, l’autoritarisme et les coercitions échouent contre un instinct majeur qu’elle possède, et qui leur fournit généralement toutes les ressources nécessaires à la sauvegarde de leur indépendance. La rigueur de cette institution froisse la vagabonde, elle fête ses vingt ans sur la scène du théâtre des Mathurins où elle interprète le rôle éponyme dans Deidre des douleurs de Synge mise en scène par Marcel Herrand.. Sa ferveur embrase les spectateurs, consume la critique, la voie royale se dessine devant elle, Marcel Carné l'engage pour Les Enfants du paradis : Son visage stigmatisé par la passion pour un homme (Jean-Louis Barrault) que tout son être porte vers Garance (Arletty) est l'une des images les plus signifiantes du cinéma française. À une époque où les ombres aiguisaient les sentiments qui impressionnaient la pellicule en noir et blanc. En 1944, elle tourne sous la direction de Robert Bresson : Les Dames du bois de Boulogne. Ce chef d'œuvre reçoit un accueil mitigé, Bresson en fait porter la responsabilité à l'actrice. Ce sont les premières interrogations, elle évoquera plus tard ses rapports avec le cinéma. « Spectatrice pourtant passionnée et émerveillée devant les acteurs de cinéma qui ont su créer des figures presque mythiques, sensible même à ceux qui apparaissent un moment pour recueillir en eux et représenter une époque ou même une mode, pour ma part, peut-être parce que je porte en moi une forme autre de narcissisme, je n'ai jamais pu de l'autre côté de la caméra m'attacher à une telle quête ; et du coup, cherchant inlassablement et vainement matière à création qui me tirerait hors de moi-même, réduite à l'état de totale passivité, incapable d'oublier le truchement mécanique pour imaginer des spectateurs vivants, agissant, possibles, je vaquais vide et disponible dans les répits ; et aussi dans ma vie- à moins qu'un roman comme celui de Stendhal, avec la proposition d'un univers et d'un personnage donnés, ne viennent teinter mon comportement quotidien de nuances que je pouvais exprimer dans la réalisation du film qui lui était consacré. » Jean Cocteau la sollicitera pour ses deux Orphée ainsi que Christian-Jacques pour La Chartreuse de Parme, avec Gérard Philipe, ses apparitions se feront de plus en plus rares jusqu'à La Lectrice de Michel Deville en 1988. Les Épiphanies d'Henri Pichette - Décors de Matta Maquette reconstituée - Collection A.R.T. En 1943, elle rencontre Albert Camus lors de la lecture du Désir attrapé par la queue de Picasso. Il l'engage pour Le Malentendu, toujours aux Mathurins. La pièce est un four, qu'importe un couple mythique s'est formé, indissociable malgré les ruptures et la mort. Il l'appelle « Guerre et Paix », elle l'évoquera avec pudeur dans ses souvenirs : « J'ai aimé et j'aime Camus parce que, pris dans ses contradictions qu'il était le premier à dénoncer, même dans les moments de diversion sans lesquels aucun homme ne peut subsister, il a employé toute son attention à ne jamais se laisser distraire de cette veine vive qu'il suivait à même la surface de la pierre sans jamais s'en détourner, au risque même parfois de « sembler » perdre de vue, la ligne même à laquelle il s'attachait pour rester fidèle à sa passion de justice et de vérité. » Après une collaboration avec André Barsacq, il met en scène Les Frères Karamazov dans une adaptation de Jacques Copeau à l'Atelier, Dussane souligne l'adéquation entre « l'Espagne de Casarès et la Russie de Dostoïevski », sa carrière s'emballe : Roméo et Juliette de Jean Anouilh toujours avec Barsacq à l'Atelier (1946), Les Épiphanies d'Henri Pichette, première rencontre avec Gérard Philipe, dirigée par Vitaly aux Noctambules (1947), L'Etat de siège de Camus mise en scène de Barrault à Marigny (1948), Le roi pêcheur de Julien Gracq monté par Marcel Herrand au théâtre Montparnasse (1949), Les Justes de Camus, direction Paul Oetly à Hebertot (1949) La Seconde de Colette par Leopold Marchand à la Madeleine (1951), Le Diable et le Bon Dieu de Sartre, sous la houlette de Louis Jouvet, au théâtre Antoine (1951)... Yves Brainville et Maria Casarès dans Les Justes d'Albert Camus (photo DR) Béatrix Dussane intervient, une nouvelle fois, dans sa vie pour l'inciter à entrer à la Comédie- Française afin de jouer avec elle la Jeanne d'Arc de Péguy sous la direction de Charles Gantillon. Dans son journal en avril 1952, elle écrit : « Maria est engagée, elle vient de me téléphoner pour me l'annoncer. Je ne suis pas blasée de ces choses surtout quand il s'agit d'un être comme elle. Elle entre dans la Maison comme il fallait qu'elle y entrât, en artiste de premier rang, ayant conquis et affirmé sa personnalité et fait son nom. Dix ans après ce concours (celui du Conservatoire) au résultat dérisoire. Quel chemin elle a fait dans ces dix ans ! Va-t- on savoir et vouloir la mettre en valeur à la Comédie, et lui trouvera-t-on des partenaires de son style ? » Finalement, Casarès débute dans Six personnages en quête d'auteur de Pirandello, en remplacement de Renée Faure alitée, les étudiants prennent d'assaut les dernières galeries, un journaliste stéphanois s'enthousiasme non sans grandiloquence : « C'est notre nymphe noire qui pénètre sous ces lambris (...) déchirant, d'un grelottement de rire, les nuages qui l'enténèbrent et au fond desquels elle nous paraîtrait inaccessible.