Maurice Grimaud Et Mai 1968 Comment Maurice Grimaud
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Philippe Nivet, « Maurice Grimaud et Mai 1968 », Histoire@Politique, n° 27, septembre-décembre 2015, www.histoire-politique.fr Maurice Grimaud et Mai 1968 Philippe Nivet En janvier 1967, Maurice Grimaud est nommé préfet de police de Paris, après avoir été plus de quatre ans directeur général de la Sûreté nationale, poste auquel il avait été nommé en décembre 1962 alors qu’il n’éprouvait « aucune attirance pour les affaires de police1 ». Il succède à Maurice Papon, en poste depuis 1958. Cette nomination survient alors que devait se mettre en place la réforme de la police parisienne : la fusion de ses services de police judiciaire et de renseignements généraux avec ceux de la police nationale. Maurice Grimaud fait d’ailleurs l’hypothèse que, s’il a été choisi pour ce poste, alors qu’il aspirait à reprendre un poste territorial, c’est que le général de Gaulle avait pensé que nommer le directeur de la Sûreté nationale à la préfecture de Police était une bonne manière de faire passer dans les faits une réforme destinée à réduire les aspérités traditionnelles entre les deux maisons2. « Ce que je savais de façon certaine, écrit-il, c’est que j’apporterais dans ces fonctions une manière qui n’était pas celle de Maurice Papon3. » Cette résolution, il doit la mettre en œuvre dix-huit mois plus tard, quand, en mai 1968, il affronte la plus longue et la plus périlleuse période de troubles et de violences que Paris ait connue depuis bien longtemps, une des poussées de cette « fièvre hexagonale » étudiée jadis par Michel Winock, avec des moments de violence paroxystique : « l’embarquement » des expulsés de la Sorbonne le 3 mai, l’interdiction de séjour de Cohn-Bendit le 21, la noyade de Gilles Tautin le 10 juin. Maurice Grimaud a beaucoup écrit, réfléchi ensuite sur Mai 1968 ; ses archives, conservées au Centre d’histoire de Sciences Po, contiennent également de nombreux documents concernant cette période. À partir de ce matériau documentaire, recoupé par d’autres témoignages, nous verrons dans quelle mesure Maurice Grimaud empêcha les débordements de violence policière en mai 1968 ; nous étudierons quelles ont été ses relations avec le pouvoir avant de mettre en valeur l’analyse qu’il a pu faire de ces événements. Par ce biais, nous montrerons comment s’est construite l’image du préfet humaniste auquel de nombreux hommages ont été rendus. Comment Maurice Grimaud empêcha les débordements de violence policière en mai 1968 Dès le prologue de la crise de mai, Maurice Grimaud fait le choix d’une certaine modération à l’égard des premières manifestations, afin d’éviter tout sentiment de 1 Fondation nationales des sciences politiques / Centre d’histoire de Sciences Po (FNSP/CHSP), Fonds Maurice Grimaud, GRI 15, Notice de Maurice Grimaud sur ses rapports avec le gaullisme rédigée à la sollicitation de Jean-Paul Brunet, 2005. 2 Ibid. 3 Maurice Grimaud, En mai, fais ce qu’il te plaît, Paris, Stock, 1977, p. 24. 1 Philippe Nivet, « Maurice Grimaud et Mai 1968 », Histoire@Politique, n° 27, septembre-décembre 2015, www.histoire-politique.fr provocation. Il juge opportun d’éviter que la police intervienne dans les locaux universitaires, celle-ci n’ayant pas pour mission de veiller au respect de la discipline intérieure. Il défend cette position dans une lettre envoyée au ministre de l’Intérieur le 2 mai, expliquant que, si la police avait cédé aux provocations des meneurs, « un véritable transfert de responsabilité se serait opéré quant à l’appréciation des causes du désordre ; chacun serait tombé d’accord pour oublier la carence des autorités universitaires et dénoncer les menées répressives du Pouvoir ». Il défend également dans ce courrier la « souplesse » dont il a fait preuve à l’égard des premières manifestations au Quartier Latin : « une attitude plus rigoureuse, survenant prématurément, aurait sans doute été mal accueillie par une grande partie de l’opinion ». Refusant la mise en état de siège de la capitale pour contrer les actions et les attentats menés par des commandos, il met en place un dispositif mobile permettant d’interpeller des coupables dès que l’alerte est donnée par l’échelon de surveillance implanté aux endroits les plus menacés4. Quand les événements prennent de l’ampleur, que cortèges et barricades se développent dans Paris, Maurice Grimaud connaît le risque de réactions des policiers victimes d’attaques verbales et physiques et mécontents de la mise en liberté de manifestants convaincus d’avoir commis des violences et des brutalités contre le service d’ordre5. Il sait en effet que s’était développée à la préfecture de Police, au cours des années 1950 et 1960, une « certaine culture de violence », dans le contexte du harcèlement des communistes contre la IVe République (avec notamment la manifestation anti-Ridgway du 28 mai 1952), puis dans celui de la guerre d’Algérie : en témoignent les répressions des manifestations algériennes d’octobre 1961 et de la manifestation au métro Charonne le 8 février 19626. Il a conscience que « parmi les neuf années du commandement de Maurice Papon, la police parisienne avait été constamment incitée à réagir vite et fort aux menaces à l’ordre public7 ». Or, comme lui dit Roger Frey, certains hommes « n’ont pas compris qu’on reste l’arme au pied pendant que les barricades s’édifiaient et puis qu’après on leur fasse rentrer dans le chou des étudiants8 ». Alors qu’un discours « musclé » resurgit dans certaines franges de la police parisienne, Maurice Grimaud cherche donc à éviter la contagion de la violence au sein de l’institution. Pour ce faire, il s’efforce d’être proche des gardiens de la paix, leur rend visite la nuit, de bivouac en bivouac. « Je vais les voir le plus possible. Je vais encore sortir maintenant pour aller les voir un peu dans Paris parce que je les vois là où ils sont installés dans les différents barrages et autres alors comme ça, ça permet un peu de bavarder avec eux » dit-il à Georges Pompidou le 16 mai9. Il mène une action psychologique et de persuasion pour convaincre tous les fonctionnaires de police que la brutalité n’est pas seulement inadmissible, mais qu’elle fait un tort considérable aux policiers. Redoutant tout de même les débordements que pourraient commettre des policiers en colère contre les campagnes de presse développées contre 4 FNSP/CHSP, Fonds Maurice Grimaud, GRI 36, Lettre du 2 mai 1968. 5 FNSP/CHSP, Fonds Maurice Grimaud, GRI 39, Lettre à Jacques Fauvet, 29 mai 1968. 6 Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962, anthropologie historique d’un massacre d’État, Paris, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 2006. 7 FNSP/CHSP, Fonds Maurice Grimaud, GRI 15, Communication de Maurice Grimaud à la journée d’études « Maintien de l’ordre et conflits sociaux », Département de Science politique de la Sorbonne, 27 septembre 1991, p. 8. 8 FNSP/CHSP, Fonds Maurice Grimaud, GRI 38, Transcription des conversations téléphoniques (p. 47). 9 FNSP/CHSP, Fonds Maurice Grimaud, GRI 38, Transcription des conversations téléphoniques (p. 43). 2 Philippe Nivet, « Maurice Grimaud et Mai 1968 », Histoire@Politique, n° 27, septembre-décembre 2015, www.histoire-politique.fr eux et réclamant le versement de leurs frais de police, il prend des dispositions pour éviter les brutalités contre les manifestants interpellés. Dans les commissariats où sont transférés les jeunes après leur arrestation, il fait placer des équipes d’assistance médicale, afin de laisser une présence visible qui devait empêcher les passages à tabac. « Aucune mesure n’est efficace à 100 %, mais ces dispositions avaient, entre autres, pour but de montrer clairement à tous et du haut en bas de la hiérarchie que le patron était clairement opposé à certains comportements. Dans une maison qui a un fort sens de la hiérarchie, ce n’était pas inutile » analysera-t-il en mars 199910. Quand des brutalités lui sont signalées, il cherche à se renseigner, prépare un dossier et travaille avec l’Inspection générale des services11. Cette volonté d’éviter tout débordement est notamment manifeste dans la note qu’il adresse, le 28 mai 1968, au directeur général de la police municipale et au directeur de la police judiciaire, au sujet des contrôles d’individus suspects, notamment des jeunes qui, en vélo, en vélomoteur ou en voiture, jouent le rôle d’agents de liaison ou de transporteurs de projectiles pour les manifestations. Il insiste pour que « ces contrôles soient menés dans le style d’une police parfaitement maîtresse d’elle-même et consciente de ses responsabilités. J’ai eu de nombreux témoignages directs de la façon dont se passaient ces interpellations et je pense qu’elles sont souvent maladroites ou inutilement brutales. Même si le jeune interpellé a toutes les allures d’un voyou, il faut le traiter comme un adulte responsable. Il ne sert à rien de le bousculer, de tirer ses vêtements, de le rudoyer. On l’exaspère un peu plus et on le confirme dans les idées qu’il avait déjà à tort mais qu’il aura désormais avec quelques raisons sur certaines manières de police12 ». Le lendemain, il adresse une note complémentaire par laquelle il fait part de sa décision « que dorénavant un commissaire de la Police judiciaire serait présent dans chacun des commissariats pendant toute la durée des opérations de contrôle et également à Baujon. Son rôle sera de veiller à ce que l’identification des interpellés soit faite avec soin et que soient précisées par les gardiens ou gradés les raisons qui ont motivé leur arrestation13 ». Cette volonté culmine avec la lettre dictée le 28 mai14 et envoyée le 29 mai à chaque fonctionnaire de la préfecture sans avoir été auparavant communiquée au ministre de l’Intérieur.